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Présentation du dossier

L es documents réunis dans ce dossier ont été réalisés en vue du 3e week-end du cycle
biblique « Lectures de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament » organisé par
le Service biblique de la Fédération Protestante de France, à Paris les 10-11 mars 2001,
sur le thème :

« Ancien et Nouveau Testament :


peut-on, doit-on lire les deux ?
L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ? Comment ? »

Ces questions naissent de la Bible qui, comme bien des produits actuels, peut bénéficier de la
formule marketing « Deux en un ! ». En effet, la Bible chrétienne est un livre qui contient
deux ouvrages parfois édités et vendus séparément : l’Ancien et le Nouveau Testament.
Comment comprendre que des deux l’un soit ancien et l’autre nouveau ? Le second est-il la
version révisée du premier ? Auquel cas, est-il indispensable de lire encore le premier ?
Y a-t-il intérêt à lire encore un Testament ancien ? Et si oui, faut-il le faire à la lumière du
Testament nouveau ?

Ce sont entre autres ces questions que nous avons abordées lors de ces journées, accompagnés
par quatre intervenants, tous lecteurs familiers et éclairés de la Bible qui ont chacun une
approche particulière de ce livre. Notre réflexion s’est bien sûr construite sur la lecture et
l’étude de quelques-uns de ces textes qui appartiennent à la Bible.

Ceux qui n’ont pas pu participer à ces deux journées pourront, grâce à ce dossier, se faire une
idée de ce qu’a été le parcours du groupe. Peut-être serez-vous mis en appétit ?

Et si vous souhaitez à votre tour travailler ce thème, voici de quoi nourrir lecture et réflexion.

Nous vous invitons à compléter la liste des textes bibliques, à ajouter des documents de
synthèse, d’autres points de vue, bref, il vous reste à enrichir ce dossier.

Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Colette BRIFFARD, professeur de Lettres,


formatrice pour l’Académie de Créteil à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres, M.
Charles-Daniel MAIRE, animateur biblique à la Ligue pour la Lecture de la Bible,
responsable de la revue Epi, M. Emile NICOLE, professeur d’Ancien Testament à la Faculté
Libre de Théologie évangélique de Vaux-sur-Seine et M. Thomas RÖMER, professeur
d’Ancien Testament à la Faculté de Théologie protestante à Lausanne. Tous quatre, par la
qualité de leurs apports, ont permis un débat riche et largement ouvert.

Ma gratitude va aussi à Mme Véronique PICARD, secrétaire du Service biblique, sans qui ce
dossier n’aurait pu être édité et diffusé.

Très bonne lecture !

Sophie Schlumberger,
Responsable du Service biblique

Service biblique – EARB – Cycle biblique 2000-2001 : Lectures de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament
Week-end à Paris – 10-11 mars 2001 sur le thème : Ancien et Nouveau Testament :
Peut-on, doit-on lire les deux ? L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ? Comment ?
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Sommaire
Programme du week-end des 10-11 mars 2001 p.3

Jeu biblique :
- Introduction p.4
- Etiquettes des listes bibliques (liste des livres selon la TOB) p.5
- Variantes canoniques de l’Ancien Testament p.12

Reprise et synthèse sur les canons de l’Ancien Testament :


- « Les principes théologiques de la structure du canon de la Bible hébraïque » (Thomas
Römer) p.13
- Précisions supplémentaires concernant le canon (Emile Nicole) p.19

Lecture et étude d’Exode 13,17-14,31


- Texte biblique (traduction TOB) p.20
- Pistes pour la lecture en ateliers p.21
- Lire et interpréter Exode 13-14 à 4 voix :
- Emile Nicole : « Le lecteur chrétien face à Exode 13,17-14,31 » p.22
- Thomas Römer : « Les théologies à l’intérieur d’Exode 13,17-14,31 » p.26
- Colette Briffard : « Lire Exode 13,17-14,31 » p.45
- Charles-Daniel Maire : « De l’Ancien au Nouveau Testament. L’exemple d’Exode
13,17-14,31 » p.48

Caïn et Abel (Genèse 4) : lecture du récit selon différentes éditions


- Guide pour les ateliers de lecture de Genèse 4 p.54
- Traductions : Français Courant, Traduction Œcuménique de la Bible (TOB), Bible de
Jérusalem p.55-56
- Document iconographique : Miniature du Miroir de l’Humaine Salvation p.57
- Quelques notes concernant les éditions de Genèse 4 et le document iconographique p.58

Ancien et Nouveau Testament : le premier serait-il dévoilé par le second ?


Réponse à 4 voix
- Introduction aux interventions p.59
- Intervention de Colette Briffard p.60
- Intervention de Charles-Daniel Maire p.61
- Intervention d’Emile Nicole p.63
- Intervention de Thomas Römer p.65

Service biblique – EARB – Cycle biblique 2000-2001 : Lectures de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament
Week-end à Paris – 10-11 mars 2001 sur le thème : Ancien et Nouveau Testament :
Peut-on, doit-on lire les deux ? L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ? Comment ?
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Cycle biblique Lectures de l’Ancien Testament


2000-2001 dans le Nouveau Testament

PROGRAMME
du week-end de formation des 10-11 mars 2001

Ancien Testament et Nouveau Testament :


Peut-on, doit-on lire les deux ?
L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ?
Comment ?

avec Mme Colette BRIFFARD, professeur de Lettres,


MM. Charles-Daniel MAIRE, animateur biblique,
Emile NICOLE et Thomas RÖMER, professeurs d’Ancien Testament
et Mme Sophie SCHLUMBERGER, animatrice.

Programme

Samedi
14 h Accueil des participants – Remise des documents de travail
14 h 30 Introduction et jeu biblique
16 h Pause
16 h 30 Lecture et étude d’Exode 13-14 (en ateliers)
17 h 45 Restitution des travaux des ateliers (en plénière)
19 h Dîner
20 h 15 Lire et interpréter Exode 13-14 à quatre voix (Mme C. Briffard, MM. C-D. Maire,
E. Nicole et T. Römer) et débat
22 h 15 Fin de la soirée

Dimanche
8 h 45 Accueil des participants
9h Caïn et Abel (Genèse 4) : lecture du récit selon différentes éditions (en ateliers)
10 h 15 Reprise des travaux des ateliers (en plénière) et débat
12 h 30 Déjeuner
14 h Ancien et Nouveau Testament : le premier serait-il dévoilé par le second ? Réponse à
quatre voix (Mme C. Briffard, MM. C-D. Maire, E. Nicole et T. Römer) et débat
16 h Fin du week-end

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Jeu biblique introductif

Avant le week-end, des enveloppes ont été préparées à destination des


participants, contenant les étiquettes des livres bibliques selon la liste de la TOB. Vous
trouverez ces étiquettes ci-après. Il vous reste à les découper et à jouer à votre tour.

En début de week-end, en plénière, les participants se sont mis par deux et ont
essayé de reconstituer, de mémoire, une Bible (Ancien et Nouveau Testament) avec
ces étiquettes.

Après 15 minutes, les participants ont confronté les différentes Bibles ainsi
reconstituées puis ont comparé ces Bibles à différentes variantes canoniques de
l’Ancien Testament (cf. document ci-après). Par manque de temps nous nous sommes
consacrés au seul premier Testament.

Après cette étape de confrontation, de questions et d’échange, Thomas Römer a


fait un exposé : « Les principes théologiques de la structure du canon de la Bible
hébraïque » (cf. texte qui suit).

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Etiquettes des listes bibliques

Abdias Actes des Apôtres

Aggée Amos

Baruch Apocalypse

1 Chroniques 2 Chroniques

1 Corinthiens 2 Corinthiens

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Colossiens Cantique des cantiques

Daniel Deutéronome

Ephésiens Esaïe

Esdras Esther

Exode Ezéchiel

Galates Genèse

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Habaquq Hébreux

Job Jacques

Judith Juges

Joël Jean

1 Jean 2 Jean

3 Jean Jonas

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Josué Jérémie

Jude Luc

Lamentations Lettre de Jérémie

Lévitique 1 Maccabées

2 Maccabées Marc

Michée Malachie

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Matthieu Nahoum

Nombres Néhémie

Osée 1 Pierre

2 Pierre Philippiens

Philémon Proverbes

Psaumes Esther (en grec)

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1 Rois 2 Rois

Romains Ruth

1 Samuel 2 Samuel

Sagesse Ecclésiastique (Siracide)

Sophonie Tobit

1 Thessaloniciens 2 Thessaloniciens

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1 Timothée 2 Timothée

Tite Zacharie

Daniel (en grec) Ecclésiaste (Qohéleth)

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Variantes canoniques de l’Ancien Testament


Canon juif Traduction œcuménique Traduction grecque Version Segond
et (Septante LXX)
Bible en français courant
Loi Pentateuque Lois Pentateuque
Genèse Genèse Genèse Genèse
Exode Exode Exode Exode
Lévitique Lévitique Lévitique Lévitique
Nombres Nombres Nombres Nombres
Deutéronome Deutéronome Deutéronome Deutéronome

Prophètes Livres prophétiques Histoires Livres Historiques


Josué Josué Josué Josué
Juges Juges Juges Juges
1-2 Samuel 1-2 Samuel Ruth Ruth
1-2 Rois 1-2 Rois 1-2 Rois (= 1-2 Samuel) 1-2 Samuel
3-4 Rois (= 1-2 Rois) 1-2 Rois
Esaïe Esaïe 1-2 Chroniques 1-2 Chroniques
Jérémie Jérémie Esdras 1 (= 3 Esdras) Esdras
Ezéchiel Ezéchiel Esdras 2 (= Esdras+Néhémie) Néhémie
Osée Les 12 (Osée à Malachie) Esther Esther
Joël Judith
Amos Autres Ecrits Tobit Livres Poétiques
Abdias Psaumes 1-4 Macchabées Job
Jonas Job Psaumes
Michée Proverbes Livres Poétiques Proverbes
Nahoum Psaumes Ecclésiaste
Habaquq Ruth Odes de Salomon Cantique des cantiques
Sophonie Cantique des cantiques Proverbes
Aggée Ecclésiaste Qohéleth Prophètes
Zacharie Lamentations Cantique des Cantiques Esaïe
Malachie Esther Job Jérémie
Daniel Sagesse de Salomon Lamentations
Ecrits Esdras Siracide Ezéchiel
Psaumes Néhémie Psaumes de Salomon Daniel
Job 1-2 Chroniques Osée
Proverbes Livres Prophétiques Joël
Ruth Livres deutérocanoniques Les 12 (Osée à Malachie) Amos
Cantique des cantiques Esther (grec) Esaïe Abdias
Qohéleth Judith Jérémie Jonas
Lamentations Tobit Baruch Michée
Esther 1-2 Macchabées Lamentations Nahum
Daniel Sagesse Lettre de Jérémie Habaquq
Esdras Siracide Ezéchiel Sophonie
Néhémie Baruch Histoire de Susanne Aggée
1-2 Chroniques Lettre de Jérémie Daniel Zacharie
Daniel grec Bel et le Dragon Malachie

Extrait du livre Il était une fois… la Bible – De l’Ancien au Nouveau Testament, parcourir les
textes et leur histoire, de Christiane Dieterlé, Charles-Daniel Maire et Alain Massini – Editions
Réveil Publications – mars 1997

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Les principes théologiques


de la structure du canon de la Bible hébraïque
(Thomas Römer)

Le canon massorétique comporte les trois parties suivantes (pour suivre cet exposé, se
référer au document en annexe : « Variantes canoniques de l’Ancien Testament»): Torah (=
Loi), Nebiim (= Prophètes), Ketubim (= Ecrits). La succession des trois parties est aussi une
suite chronologique en ce qui concerne la canonisation de ces parties.

La première partie du canon, le Pentateuque, fut la première à être close,


probablement au IVe siècle av. J-C ; la tradition et l'
exégèse historico-critique mettent souvent
la clôture de la Torah en relation avec la mission du prêtre-scribe Esdras (vers 400 av. J-C).

Pour la deuxième partie du canon, la date de clôture est moins évidente. On peut
situer cette date au plus tard au début du troisième siècle av. J-C., puisque le livre de Daniel
(dont la rédaction finale est à situer vers 165 av. J-C.) n'
a plus été intégré parmi les Prophètes
mais parmi les Ecrits.
Dans cette deuxième partie on peut observer une certaine volonté d’établir une structure
parallèle à celle de la Torah ou plutôt avec celle du livre de la Genèse : les Prophètes
antérieurs (la distinction entre prophètes antérieurs et prophètes postérieurs n' est attestée que
depuis le VIIIe siècle après J-C.) commencent par un état idéal (tout Israël habite ensemble
dans le pays selon le livre de Josué) et se termine par la destruction et la dispersion (2R 24-
25). Ceci correspond grosso modo à la trame narrative du cycle des origines dans le livre de la
Genèse (d' une situation idéale en Gn 1-2, à la dispersion en Gn 11). Et comme la vocation
d'Abraham est construite comme antithèse à cette dispersion (l' humanité veut se faire en grand
nom, Dieu promet à Abraham de rendre grand son nom ; Gn 11 relate la dispersion de
l'
humanité sur toute la terre, la promesse de bénédiction de Gn 12 inclut le rassemblement en
Abraham de toutes les familles de la terre), les annonces messianiques au début du livre
d'Esaïe (le premier livre des Prophètes postérieurs) peuvent être lues et comprises comme
contrepoint de la fin peu glorieuse de la royauté relatée dans le deuxième livre des Rois. La
succession des trois grands et douze petits Prophètes correspond aux trois patriarches
(Abraham, Isaac et Jacob) et aux douze fils de Jacob dans la deuxième partie de la Genèse.

La troisième partie du canon ne fut fixée définitivement qu' à la fin du premier siècle
ap. J-C. dans le contexte de la destruction du deuxième temple et par la nécessité de protéger
les écritures saintes du judaïsme contre l' utilisation qu'
en faisaient les communautés
chrétiennes.
Pourtant l'idée d'un canon tripartite est antérieure à cette date. Elle est notamment
attestée dans l'introduction au livre du Siracide (rédigé par le petit-fils du Siracide vers 132
av. J-C.) : ”Beaucoup de grandes choses nous ont été transmises par la Loi, les Prophètes et
ceux qui les ont suivis ... D' ailleurs non seulement cet ouvrage, mais aussi la Loi, les
Prophètes et les autres livres présentent des différences considérables quant à leur contenu”.

Contrairement à cette conception tripartite, le canon de la Septante (= LXX), repris par


les chrétiens, s'organise autour de quatre parties. Les Réformateurs qui n'ont pas reconnu les
écrits qui se trouvent dans la Septante « veritas hebraica » ont néanmoins conservé
l'
organisation de la version grecque, à savoir:
- le Pentateuque
- les livres de l'
Histoire
- les livres de sagesse ou livres poétiques
- les livres de prophétie
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Le concept sous-jacent est le suivant : la Torah est considérée comme fondement, puis
viennent les textes du passé, ceux du présent (Ecrits de sagesse) enfin ceux du futur (Livres de
prophétie). L'annonce eschatologique de la fin du livre de Malachie est alors à comprendre
comme annonçant la venue du Messie dont parle le Nouveau Testament (= NT).

Le canon du NT est d' ailleurs construit selon le même schéma : les évangiles comme
fondement, les actes des apôtres comme rappel du passé, les épîtres comme enseignement
pour le présent et l'
apocalypse de Jean comme révélation de l' avenir. Contrairement au TaNaK
(= Torah, Nebiim, Ketubim), le canon de la LXX est construit selon une conception
« chronologique » suivant une certaine « histoire du salut ».

Quel est alors le principe herméneutique du canon massorétique ?

Pour le canon massorétique, la clé de lecture est sans aucun doute la Torah (Les
Samaritains, dans ce sens, ont un canon constitué de la seule Torah) : la deuxième et la
troisième partie du TaNaK doivent être lues et interprétées à la lumière de la Torah (ce qui
signifie d'
abord dans un sens large le Pentateuque), c’est ce qu’attestent les introductions des
Nebiim et des Ketubim ; En effet, Josué 1 introduit la partie des «Prophètes» par un discours
divin à Josué qui, dans un style deutéronomiste, confirme le fait que Josué est devenu le
successeur de Moïse. Josué est installé comme un roi et chef de guerre. Alors que Josué 1,6
ou 1,7 pourraient constituer la fin de ce discours, le v. 8 reprend et introduit un autre thème :
Josué y est transformé, de chef de guerre, en lecteur de la Torah.

Le parallèle le plus proche de Jos 1,8 se trouve dans le Ps 1,1-3 :


- « Ce livre de la Torah ne s’éloignera pas de ta bouche, tu le murmureras jour et nuit afin de
veiller à agir selon tout ce qui s’y trouve écrit, car alors tu rendras tes voies prospères, alors tu
réussiras » (Jos 1,8).
- « Heureux l’homme…qui se plaît à la Torah de Yahvé et murmure sa Torah jour et nuit…il
réussit tout ce qu’il fait » (Ps 1,2s).

Il semble que ces deux textes proviennent du même milieu producteur. Le Ps 1 compte
certainement parmi les Psaumes les plus tardifs. Il représente peut-être une création littéraire
dont le but est de donner une grille de lecture à tout le Psautier. Les deux textes témoignent
d'un stade avancé du processus de canonisation où la troisième partie, les Ketubim, commence
à prendre forme autour des Psaumes. Il s' agit dès lors de préciser la "bonne utilisation" du
deuxième et du troisième volet du canon. Via Jos 1,8 et Ps 1,2-3, les deux parties du canon,
Prophètes et Ecrits sont clairement corrélés à la Torah qui devient alors le « canon dans le
canon ». Il s' ensuit que le « livre de la Torah » en Jos 1,8 ne désigne pas, comme on le dit
souvent, le seul livre du Dt, mais plutôt le Pentateuque dans sa forme finale.
Les Prophètes sont d' ailleurs encadrés par la référence à la Torah : « Souvenez-vous de
la Torah de Moïse, mon serviteur, à qui j’ai donné, à l’Horeb, des lois et des coutumes pour
tout Israël. » (Malachie 3,22).

Les messages théologiques de ce cadre sont les suivants: Josué est le premier lecteur
de la Torah, et du fait de cette lecture, la promesse du pays s'accomplit. Pour bien comprendre
le corpus prophétique et sa dialectique de jugement et de salut il faut se souvenir de la Torah
dont Moïse est le seul médiateur et dont le Dt constitue quasiment la quintessence. D' ailleurs
l'
annonce du retour d' Elie en Mal 3,23 peut également se comprendre en référence à Moïse
puisque Elie est décrit dans les livres des Rois comme un deuxième Moïse (cf. notamment son
séjour à l'
Horeb de 40 jours pendant lequel Dieu s' est finalement révélé à lui). De plus le
retour d'Elie va réaliser l'unité des générations et assurer une vie heureuse dans le pays. Ce
sont là deux préoccupations centrales du Dt. Alors que la fin des Nebiim insiste sur l' aspect
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collectif de la Torah, l'


ouverture des Ketubim (Ps 1) souligne la dimension individuelle. Par
contre, la finale des Ketubim et de toute la Bible hébraïque rappelle la dimension du peuple:
“Ainsi parle Cyrus, roi de Perse: Tous les royaumes de la terre, Yahvé, le Seigneur des cieux
me les a donnés et il m' a chargé lui-même de lui bâtir une Maison à Jérusalem, qui est en
Juda. Lequel d' entre vous appartient à son peuple ? Yahvé, son Dieu sera avec lui et qu' il
monte…” (2Chroniques 36,23).

La Bible hébraïque se termine donc par l' édit de Cyrus. Les livres d'Esdras et de
Néhémie qui relatent la suite de l' histoire ont été placés avant les livres des Chroniques. Ceci
trahit clairement une option théologique et une mise en garde contre la chronologie comme
clé de lecture (contrairement au canon de la Septante). Cette finale souligne d' abord la
dimension universelle du Dieu d' Israël, il est le Dieu des cieux qui dispose de tous les
royaumes de la terre. C' est un renvoi à l'ouverture de la Torah (Gn 1) où Dieu apparaît comme
le créateur des cieux et de la terre. L'ordre de reconstruire le temple peut être compris dans le
contexte de la destruction du temple par les Romains comme la promesse que cette
destruction ne sera pas définitive, comme ne l' était pas celle du premier temple.

Ensuite le lecteur est placé devant une question, celle de l' appartenance au peuple de
Yahvé. Il est invité à s'interroger sur son identité, et celle-ci doit répondre à l'
exhortation à
« monter » (2Ch 36,23). « Monter » est le dernier mot de la Bible hébraïque. On peut le lire
comme soulignant la nécessité d' un retour dans le pays mais aussi comme un rappel de
l'
Exode (la racine ‘alah, « monter » est souvent utilisée pour décrire la sortie d'Egypte). Donc
la fin des Ketubim renvoie à la finale de la Torah.

Et du fait que les éditeurs de la Bible hébraïque ont interrompu la suite chronologique
Dt-Jos et celle de Ch-Esd/Né, la Torah doit se décliner sur le mode de la promesse (cf.
également la fin des Ketubim), une promesse que chaque génération de lecteurs doit se
réapproprier.

Le Pentateuque comme Torah


Nous venons de voir que l' arrangement du canon de la Bible hébraïque désigne
clairement la Torah comme le «centre» de l' Ecriture. Mais que signifie « torah » qu' on
traduit communément par «Loi»? Tout d' abord, torah peut désigner toutes sortes
d’enseignements ou instructions. La torah que donne un prêtre contient des informations
concernant le pur et l'
impur ainsi que les sacrifices dont le fidèle doit s'
acquitter (cf. Jr 18,18).
Mais torah peut également désigner l' instruction qu' un père donne à son fils ou qu' un
professeur dispense à son élève (cf. Pr 3,1).

Torah est donc d' abord un terme général qui prend différentes significations selon le
contexte. Puisque torah peut désigner toutes sortes de recommandations, on a pu utiliser ce
terme également pour les commandements divins (cf. Dt 4,44). Dans le Deutéronome, le mot
torah devient alors le mot qui résume toutes les autres expressions pour les commandements
divins ; c'
est pourquoi le Dt dans sa totalité peut être caractérisé comme livre de la Torah (de
Moïse) : Dt 30,10; Jos 8,31 etc. Et quand on a uni le Dt et les livres de Gn à Nb, l'expression
s'est alors appliquée à tout le Pentateuque. Celui-ci est donc à comprendre comme
enseignement, instruction dans un sens large qui n' est nullement limité à des questions
juridiques comme la traduction «Loi» peut le laisser penser. Les parties narratives du
Pentateuque font partie de la Torah, elles servent d' exemples illustrant des comportements
justes ou injustes par rapport à la volonté divine, ou elles rappellent comment Israël est
devenu peuple de la Torah.

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La structure de la Torah

La Torah (Pentateuque) est la partie la plus importante (dans les deux sens du terme)
de la Bible ; elle est presque aussi grande que le NT. L'exégèse historico-critique qui a débuté
par l'
analyse du Pentateuque ne se lasse pas, à juste titre, de souligner l'
énorme complexité du
Pentateuque, ses contradictions, ses ruptures, ses incohérences, etc. Ceci est dû à une histoire
rédactionnelle très compliquée qu' il s'
agit également de prendre au sérieux dans une démarche
synthétique. Il faut également souligner le fait que la composition finale n' est pas due au
hasard. Cette structure finale peut même être comprise comme un programme théologique.

Ainsi, la partition de la Torah en cinq livres ne s' est pas faite pour des raisons
pratiques comme l' ont suggéré certains. Chaque livre a son profil propre. Dans un article
suggestif1 E. Ben Zvi a montré comment les conclusions de chaque livre participent au
programme théologique du Pentateuque. Ex, Lv, Nb et Dt se terminent tous par une référence
au peuple d'Israël :

Ex et Dt, les premier et dernier de ces quatre livres, ont des formulations très proches :
- Ex 40,382 : « Car la nuée du Seigneur était sur la demeure pendant le jour mais,
pendant la nuit, il y avait en elle du feu, aux yeux de toute la maison d’Israël, à toutes leurs
étapes. »
- (Dt 34,12) : « ce Moïse qui avait agi avec toute la puissance de sa main, en suscitant
toute cette grande terreur, devant les yeux de tout Israël. »

Lv et Nb ont également des conclusions similaires :


- Lv 27,34 : « Tels sont les commandements que le Seigneur donna à Moïse pour les fils
d’Israël, sur le Mont Sinaï. »
- Nb 36,13 : « Tels sont les ordres et les règles que le Seigneur prescrivit aux fils
d’Israël par l’intermédiaire de Moïse, dans la plaine de Moab, au bord du Jourdain, à la
hauteur de Jéricho. »

Il y a là une volonté de mise en parallèle évidente. Or curieusement, le livre de la


Genèse a été exclu de cette harmonisation puisqu' il se termine par une notice concernant la
mort de Joseph en Egypte. Selon Ben Zvi, les éditeurs du Pentateuque voulaient ainsi
souligner le caractère spécifique du livre de la Genèse par rapport aux autres livres. Et,
comme nous allons le voir, ce livre a en effet été compris comme une sorte de prélude à la
Torah.

Si nous nous tournons maintenant vers la structure du Pentateuque dans son ensemble,
la place centrale de la torah se fait également jour, puisque le centre du Pentateuque est le
Lévitique (= Lv), le livre le moins étudié en théologie chrétienne, mais par lequel on devrait
commencer l' étude de la Bible selon les Rabbins. A la suite de Zenger (Einleitung in das Alte
Testament, Stuttgart), on peut considérer que le Lv possède un double encadrement par les
livres de la Gn et du Dt d'
une part et ceux d’Ex et des Nb d'autre part :

1E. Ben Zvi , BiNo 62, 1992, pp. 7-10. “The Closing Words of the Pentateuchal Books “
2La LXX n' a pas « maison » et témoigne donc d'une forme identique que celle de la clôture du Dt.
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Peut-on, doit-on lire les deux ? L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ? Comment ?
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Genèse Deutéronome
Création de la Terre/du pays Instructions pour la vie dans le pays
Promesse du pays Promesse du pays
Finale 49-50 Finale 33-34
Bénédiction des 12 tribus par Jacob Bénédiction des 12 tribus par Moïse
Mort et enterrement de Jacob Mort et enterrement de Moïse

La promesse du pays constitue un premier leitmotiv qui encadre le Pentateuque. La


finale de ces deux livres met en relation les deux pères fondateurs du peuple: Jacob, le père
généalogique, Moïse le père idéologique. Cet encadrement montre alors que le peuple de Dieu
a une double origine qui ne sera pas toujours facile à gérer.

Passons au cadre intérieur:

Exode Nombres
Egypte->désert->Sinaï Sinaï->désert->Moab
six notices d'
itinéraires six notices d'
itinéraires
12,37; 13,20; 14,1s; 15,22; 16,1; 17,1 10,12;20,1;20,22;21,10s; 22,1;25,1
12 Pâque 9 Pâque
16 Manne et cailles 11 Manne et cailles
17 L'eau du rocher 20 L'eau du rocher
18 Répartition des fonctions de Moïse 11 Répartition des fonctions de Moïse
Murmures, pas de jugement Murmures, jugement

Cet encadrement montre qu’Ex et Nb sont liés par l' idée d'un itinéraire, contrairement à
la situation «statique» du Lv. La reprise des prescriptions sur la Pâque en Nb 9 montre que la
torah n' est pas définie une fois pour toutes, mais qu'
il faut la redire, la réinterpréter dans des
contextes différents. En ce qui concerne le plan narratif, Ex et Nb partagent un certain nombre
de traditions et une différence notable: alors que les murmures du peuple provoquent en Ex
des interventions divines destinées à combler le manque ressenti par le peuple, les mêmes
murmures en Nb provoquent des sanctions souvent très dures de Dieu à l' égard de son peuple.
Cette différence fait également ressortir une option théologique fondamentale : entre ces deux
cycles de murmures se situe justement la révélation de la torah au Sinaï, et le statut d' Israël
n'est pas le même sans ou avec la connaissance de la volonté divine. La Loi est
l'
aboutissement de la libération de l'esclavage, mais la Loi responsabilise ses destinataires.

Cette Loi est multiple, mais si l' on s’en tient à la structure du Pentateuque, c'
est la Loi
selon le Lévitique qui est au centre. Il y a peut-être même un centre dans le centre, comme le
montre la structure suivante :
Structure du Lévitique:
1-7 Sacrifices
8-10 Prêtres
11-15 Prescriptions concernant le rituel«quotidien»
16 RECONCILIATION
17-20 Prescriptions concernant le quotidien
21-22 Prêtres
23-27 Fêtes et sacrifices

Le centre du Pentateuque met en place Israël, peuple saint du Dieu saint. Cette sainteté
doit se manifester aussi bien dans le rituel que dans le quotidien. Cette exigence se constitue
autour d'un rituel d'expiation (le Yom kippur) qui insiste sur la possibilité pour le peuple
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d’être déchargé de ses manquements (le Bouc émissaire) et de pouvoir repartir à zéro. Yahvé
apparaît donc au milieu de la Torah comme un Dieu qui offre les possibilités à son peuple
d'obtenir le pardon : « Devant Yahvé vous serez purs de vos péchés » (Lv 17,30). C' est la
promesse du centre de la Torah.

Thomas Römer

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Précisions supplémentaires concernant le canon


(Emile NICOLE)

L’existence d’un canon samaritain, réduit au Pentateuque, confirme le caractère


fondamental du Pentateuque pour l’ensemble de l’Ancien Testament. La date de séparation
entre Samaritains et Juifs est débattue (6e, 4e ou 2nd siècle av. J.-C.)

Parmi les antilégomènes (ouvrages canoniques contestés) figure le livre d’Ezéchiel qui
appartient à la 2nde partie du canon (les Prophètes). Le fait qu’il fasse l’objet de réserves à une
époque où le canon des prophètes est déjà clos, incite à la prudence lorsqu’on tend à repousser
la date de clôture de la 3e partie du canon en raison de débats sur la canonicité des autres
antilégomènes (Esther, Proverbes, Cantique, Ecclésiaste).

En Jn 10.35 un texte des Psaumes est cité comme appartenant à la loi (au sens large du
terme = Torah + Prophètes + Ecrits).

Les traditions juives les plus anciennement attestées associent au canon les nombres
symboliques de 22 (lettres de l’alphabet hébreu) ou 24 (2 x 12). Ce compte des livres
implique des regroupements (Ruth avec Juges, Lamentations avec Jérémie) qui correspondent
à une répartition différente de certains livres entre les sections 2 (Prophètes) et 3 (Ecrits) du
canon.

Le prologue du Siracide témoigne, vers la fin du 2e siècle av. J.-C., d’un canon en trois
parties : la Loi, les Prophètes et les autres Livres.

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Exode 13,17 Quand le Pharaon laissa partir le peuple, Dieu ne le conduisit pas par la route du pays des
Philistins, bien qu' elle fût la plus directe. Dieu s' était dit : « Il ne faudrait pas que, à la vue des combats, le
peuple renonce et qu' il revienne en Égypte ! » 18 Dieu détourna le peuple vers le désert de la mer des Joncs.
C' est en ordre de bataille que les fils d' Israël étaient montés du pays d' Égypte. 19 Moïse prit avec lui les
ossements de Joseph, car celui-ci avait exigé des fils d' Israël un serment en leur disant : « Dieu ne manquera pas
d'intervenir en votre faveur ; alors vous ferez monter d' ici mes ossements avec vous. » 20 Ils partirent de
Soukkoth et campèrent à Etâm, en bordure du désert. 21 Le SEIGNEUR lui-même marchait à leur tête : colonne
de nuée le jour, pour leur ouvrir la route-colonne de feu la nuit, pour les éclairer ; ils pouvaient ainsi marcher
jour et nuit. 22 Le jour, la colonne de nuée ne quittait pas la tête du peuple ; ni, la nuit, la colonne de feu.

14,1 Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse : 2 « Dis aux fils d' Israël de revenir camper devant Pi-
Hahiroth, entre Migdol et la mer-c' est devant Baal-Cefôn, juste en face, que vous camperez, au bord de la mer ;
3 alors le Pharaon dira des fils d'
Israël : Les voilà qui errent affolés dans le pays ! Le désert s'
est refermé sur eux
! 4 J'
endurcirai le coeur du Pharaon et il les poursuivra. Mais je me glorifierai aux dépens du Pharaon et de
toutes ses forces, et les Égyptiens connaîtront que c'est moi le SEIGNEUR. » Ils firent ainsi.

5 On annonça au roi d' Égypte que le peuple avait pris la fuite. Le Pharaon et ses serviteurs changèrent
d'idée au sujet du peuple et ils dirent : « Qu'
avons-nous fait là ? Nous avons laissé Israël quitter notre service ! »
6 Il attela son char et prit son peuple avec lui. 7 Il prit six cents chars d'
élite, et tous les chars d'
Égypte, chacun
avec des écuyers. 8 Le SEIGNEUR endurcit le coeur du Pharaon, roi d' Égypte, qui poursuivit les fils d'Israël,
ces fils d' Israël qui sortaient la main haute. 9 Les Égyptiens les poursuivirent et les rattrapèrent comme ils
campaient au bord de la mer -tous les attelages du Pharaon, ses cavaliers et ses forces-près de Pi-Hahiroth,
devant Baal-Cefôn.

10 Le Pharaon s' était approché. Les fils d'


Israël levèrent les yeux : voici que l'
Égypte s'
était mise en route
derrière eux ! Les fils d' Israël eurent grand-peur et crièrent vers le SEIGNEUR. 11 Ils dirent à Moïse :
«L'Égypte manquait- elle de tombeaux que tu nous aies emmenés mourir au désert ? Que nous as-tu fait là, en
nous faisant sortir d'
Égypte ? 12 Ne te l' avions-nous pas dit en Égypte : Laisse-nous servir les Égyptiens !
Mieux vaut pour nous servir les Égyptiens que mourir au désert. » 13 Moïse dit au peuple : « N' ayez pas peur !
Tenez bon ! Et voyez le salut que le SEIGNEUR réalisera pour vous aujourd' hui. Vous qui avez vu les
Égyptiens aujourd' hui, vous ne les reverrez plus jamais. 14 C' est le SEIGNEUR qui combattra pour vous. Et
vous, vous resterez cois ! »

15 Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Qu' as-tu à crier vers moi ? Parle aux fils d' Israël : qu'on se mette en
route ! 16 Et toi, lève ton bâton, étends la main sur la mer, fends-la : et que les fils d'
Israël pénètrent au milieu
de la mer à pied sec. 17 Et moi, je vais endurcir le cœur des Égyptiens pour qu' ils y pénètrent derrière eux et que
je me glorifie aux dépens du Pharaon et de toutes ses forces, de ses chars et de ses cavaliers. 18 Ainsi les
Égyptiens connaîtront que c' est moi le SEIGNEUR, quand je me serai glorifié aux dépens du Pharaon, de ses
chars et de ses cavaliers. »

19 L'ange de Dieu qui marchait en avant du camp d' Israël partit et passa sur leurs arrières. La colonne
de nuée partit de devant eux et se tint sur leurs arrières. 20 Elle s' inséra entre le camp des Égyptiens et le camp
d'Israël. Il y eut la nuée mais aussi les ténèbres ; alors elle éclaira la nuit. Et l'
on ne s'approcha pas l' un de l'autre
de toute la nuit. 21 Moïse étendit la main sur la mer. Le SEIGNEUR refoula la mer toute la nuit par un vent d' est
puissant et il mit la mer à sec. Les eaux se fendirent 22 et les fils d' Israël pénétrèrent au milieu de la mer à pied
sec, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur gauche. 23 Les Égyptiens les poursuivirent et
pénétrèrent derrière eux-tous les chevaux du Pharaon, ses chars et ses cavaliers-jusqu' au milieu de la mer.
24 Or, au cours de la veille du matin, depuis la colonne de feu et de nuée, le SEIGNEUR observa le
camp des Égyptiens et il mit le désordre dans le camp des Égyptiens. 25 Il bloqua les roues de leurs chars et en
rendit la conduite pénible. L' Égypte dit : «Fuyons loin d' Israël, car c'
est le SEIGNEUR qui combat pour eux
contre l'Égypte ! » 26 Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Étends la main sur la mer:que les eaux reviennent sur
l'
Égypte, sur ses chars et ses cavaliers ! » 27 Moïse étendit la main sur la mer. À l' approche du matin, la mer
revint à sa place habituelle, tandis que les Égyptiens fuyaient à sa rencontre. Et le SEIGNEUR se débarrassa des
Égyptiens au milieu de la mer. 28 Les eaux revinrent et recouvrirent les chars et les cavaliers ; de toutes les
forces du Pharaon qui avaient pénétré dans la mer derrière Israël, il ne resta personne. 29 Mais les fils d' Israël
avaient marché à pied sec au milieu de la mer, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur gauche. 30
Le SEIGNEUR, en ce jour-là, sauva Israël de la main de l' Égypte et Israël vit l'
Égypte morte sur le rivage de la
mer. 31 Israël vit avec quelle main puissante le SEIGNEUR avait agi contre l' Égypte. Le peuple craignit le
SEIGNEUR, il mit sa foi dans le SEIGNEUR et en Moïse son serviteur.

(Traduction TOB)

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21

Pour la lecture en ateliers


d’Exode 13,17-14,31

Après lecture du texte à voix haute par un des participants, le groupe travaille de
façon à revenir en plénière avec :

une affirmation (voire deux) concernant ce texte


une ou deux demandes de précision
une interrogation profonde, essentielle, née de la lecture de ce
texte.

Dans chaque atelier, une personne anime le groupe (=distribue la parole, veille
au temps, au respect des 3 demandes), une autre personne prend note des réponses à
ces trois demandes pour restitution en plénière.

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Le lecteur chrétien face à Ex 13,17-14,31


(Emile Nicole)

Le récit de la traversée de la mer pose au lecteur chrétien moderne deux problèmes


caractéristiques :

- celui de la réalité des faits racontés (le miracle, nuée et traversée),


- celui de la violence ou plus précisément l’opposition des deux destins (salut des
Israélites et anéantissement de la cavalerie égyptienne).

Les ressorts des réactions négatives sont aisément repérables :


- le scepticisme à l’égard du miraculeux, héritage du siècle des lumières,
- le refus, plus récent, de la discrimination (cf. la traversée de la mer dans le spectacle Les dix
commandements).

Il est toujours possible d’envisager des lectures partielles qui restent à l’écart des deux
problèmes mentionnés. Par exemple :

- lecture typologique, comme celle de 1 Co 10,2 qui associe traversée de la mer et baptême, à
première vue par le biais de l’élément liquide (mais dans la typologie, la nuée, qui n’est pas
liquide, est citée avant la mer).

- lecture homilétique qui exploite le récit selon le thème de l’épreuve de la foi, cf. Hb 11,29 :
« C' est par la foi qu'
ils traversèrent la mer Rouge comme un lieu sec, tandis que les Égyptiens
qui en firent la tentative furent engloutis. » (remarquer cependant que ni le miracle, ni
l’opposition des deux destins ne posent ici problème à l’auteur de l’épître, ce n’est donc pas la
volonté d’éviter les problèmes qui le motive, il ne reste pas à l’écart des problèmes, mais il ne
les perçoit pas comme problèmes).

La « surface de texte » exploitée varie d’un exemple à l’autre. Elle peut être bien plus
étendue dans le second type de lecture (l’impasse apparente, les réactions de doute des
Israélites, etc.)
Cependant ces interprétations restent partielles. Une interprétation globale ne peut laisser les
deux problèmes de côté.

Serait-il possible de neutraliser les deux éléments qui font problème en proposant une
lecture qui les présente comme accessoires, comme appartenant à la forme du message et non
à son contenu ?

1. Le miracle est directement relié à la connaissance de Dieu et à sa


gloire :
- 14.4 : « Pharaon et toute son armée serviront à faire éclater ma gloire, et les Égyptiens
sauront que je suis l'
Éternel. »

- 14.17-18 : « Pharaon et toute son armée, ses chars et ses cavaliers, feront éclater ma
gloire. Et les Égyptiens sauront que je suis l'
Éternel, quand Pharaon, ses chars et ses

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cavaliers, auront fait éclater ma gloire. »

- 14.31 : « Israël vit la main puissante que l'


Éternel avait dirigée contre les Égyptiens. Et le
peuple craignit l' Éternel, et il crut en l' Éternel et en Moïse, son serviteur. »
L’action de Dieu est inséparable du miracle qui en est le signe. Peut-on contester le miracle,
sans contester par voie de conséquence la capacité d’action de Dieu et Dieu lui-même ?

2. L’anéantissement des Egyptiens est directement attribué à Dieu :

- comme réalisation : 14.24-25 « l' Éternel, de la colonne de feu et de nuée, regarda le camp
des Égyptiens, et mit en désordre le camp des Égyptiens. Il ôta les roues de leurs chars et en
rendit la marche difficile. Les Égyptiens dirent alors : Fuyons devant Israël, car l' Éternel
combat pour lui contre les Égyptiens. »

14.27 « … vers le matin, la mer reprit son impétuosité, et les Égyptiens s' enfuirent à son
approche ; mais l'
Éternel précipita les Égyptiens au milieu de la mer. »

14.31 « Israël vit la main puissante que l'


Éternel avait dirigée contre les Égyptiens. »

- et comme intention, préméditation, avec le thème bien connu de l’endurcissement du


cœur : 14.3-4 « Pharaon dira des enfants d' Israël : Ils sont égarés dans le pays ; le désert les
enferme. J'endurcirai le cœur de Pharaon, et il les poursuivra ; mais Pharaon et toute son
armée serviront à faire éclater ma gloire »

14.8 « L' Éternel endurcit le cœur de Pharaon, roi d'


Égypte, et Pharaon poursuivit les enfants
d'
Israël. »

14.17 « Et moi, je vais endurcir le cœur des Égyptiens, pour qu'


ils y entrent après eux : et
Pharaon et toute son armée, ses chars et ses cavaliers, feront éclater ma gloire. »

Alors qu’il aurait été tout à fait possible au narrateur de rapporter les mêmes événements en
évoquant uniquement la méchanceté et l’entêtement des Égyptiens ou de leur roi, il semble,
pour le lecteur moderne, rechercher la difficulté en expliquant que Dieu avait intérêt à cet
entêtement pour pouvoir mieux les anéantir. Non seulement il y avait intérêt, mais il a même
provoqué cet entêtement.

C’est donc l’image de Dieu que véhicule le texte qui est en cause. Un Dieu dont la gloire est
liée au miracle (1er problème) et à l’anéantissement de l’armée Égyptienne (2nd problème).

Une lecture chrétienne invite-t-elle à réviser cette image de Dieu ?


- quant au miracle, aucune différence perceptible entre Ancien et Nouveau Testament,
- mais quant à l’anéantissement des ennemis, une différence sensible doit être prise en
compte.

a) thème de l’amour des ennemis :

- Mt 5.43-45 « Vous avez appris qu’' il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton
ennemi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites
du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous
persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son
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soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » (id°
Lc 6.27, 35 ; cf. Rm 12.20).

b) thème du combat spirituel :

- Ep 6.11-12 « Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir tenir ferme contre
les ruses du diable. Car nous n' avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les
dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les
esprits méchants dans les lieux célestes. » (cf. autres textes).

Cependant le thème de la discrimination actuelle et finale reste un des thèmes majeurs de


l’enseignement du Christ et des apôtres, une lecture chrétienne du récit vétérotestamentaire ne
peut l’exclure.

Les stratégies d’évitement ou de neutralisation se révélant inefficaces, on se trouve ramené au


choix entre :
- la critique du texte selon les présupposés du lecteur,
- la critique des présupposés du lecteur selon le texte.

A quoi pourrait ressembler une critique des présupposés évoqués ?

1. Scepticisme à l’égard du merveilleux :


Essentiel pour lutter contre la crédulité, mais risque du refus orgueilleux de tout ce qu’on ne
parvient pas à expliquer rationnellement.

Les propositions d’explication naturelle de la traversée de la mer ne manquent pas.


Elles sont plus ou moins plausibles et font intervenir des phénomènes plus ou moins courants
ou exceptionnels.

La difficulté à valider une explication ne discrédite pas en soi la procédure, elle peut être
rapprochée des querelles d’experts en présence de phénomènes exceptionnels.
Les explications ne dispensent pas le lecteur de la foi au miracle.

2. Refus de la discrimination :
Attitude noble et, en bien des cas, justifiée (discriminations selon la race, la fortune, etc.),
mais est-elle toujours réaliste ?

Constater que la puissance anéantie est une puissance militaire oppressive, rendra
probablement certains lecteurs moins critiques envers l’image de Dieu véhiculée par le texte :
un Dieu pour les faibles, contre les puissants (théologie de la libération).

Est-ce vraiment un amour pour tous bien compris qui inspire le refus radical de la
discrimination ? C’est à l’abri de plusieurs barrières (prison, quartiers non fréquentés,
frontières, etc.) que se diffuse le discours généreux sur le caractère intolérable de l’exclusion.
Que deviendrait ce discours sans ces protections coûteuses (police, justice, gardiens, armée,
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25

etc.), dans un environnement réellement sans exclusions ? Vu à l’échelle du monde et de


l’histoire, ce discours n’apparaît-il pas comme un luxe, un raffinement de bourgeois
surprotégés ?

Brève remarque sur la structure du récit.

Les tensions, les surprises, les ruptures, voire les énigmes, ont autant une fonction
narrative que les symétries. Elles donnent au récit sa couleur. Une histoire sans imprévus,
sans rebondissements, ne présenterait plus d’intérêt.
Le récit étudié comporte plusieurs ruptures caractéristiques, notamment l’ordre donné
par le Seigneur en 14.2 : « retournez et campez ». Les deux verbes sont l’un et l’autre en
rupture avec ce qui précède :

- on savait déjà que Dieu avait prévu un détour (13.18), pour épargner aux fils d’Israël la
guerre, maintenant il leur est demandé de revenir : contrordre ?

- l’ordre de camper, vient après la séquence partir – camper du v. 20, on attendrait partir, la
séquence naturelle est rompue,

- le lieu même du campement, sans nom, est déterminé par une sorte de triangulation : devant
Pi-Hahiroth, entre Migdol et la mer, devant Baal-Tsefon (14.2), évoquant plus le placement
stratégique (mais ici à l’endroit le plus inconfortable) que le cheminement d’un lieu naturel de
campement à un autre ; et Dieu disait vouloir éviter à son peuple la guerre !

Ainsi est perturbée l’impression rassurante du début du récit (13.17-22) :


- si Dieu prévoyait une route plus longue, c’est parce qu’elle était plus sûre,
- les fils d’Israël étaient sortis en bon ordre (v. 18),
- on emportait les ossements de Joseph (pas d’affolement, réalisation d’une promesse
ancienne),
- début de l’alternance régulière partir, camper, etc. (v. 20),
- présence du Seigneur en tête, dans la nuée, description d’une symétrie très étudiée, avec la
triple mention du jour et de la nuit (v. 21-22) :

colonne de nuée le jour pour leur ouvrir la route,


colonne de feu la nuit pour les éclairer,
ils pouvaient ainsi marcher de jour et de nuit,
le jour, la colonne de nuée ne quittait pas la tête
du peuple,
ni la nuit, la colonne de feu.

Bien d’autres ruptures vont intervenir qui correspondent aux péripéties du récit

Emile Nicole

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26

Les théologies à l'intérieur d'Exode 13,17–14,31


(Thomas Römer)
Introduction
Même si le livre de l' Exode (=Ex) est le deuxième livre de la Torah, d' une certaine
manière il pourrait être considéré comme le premier. On y trouve beaucoup plus de
fondements pour la foi vétérotestamentaire que dans la Genèse : C' est dans le livre d'Exode
que Dieu se révèle à Israël, que Dieu libère son peuple, que Dieu lui donne le culte et la loi ;
c'est ainsi que les origines de la relation privilégiée entre Yahvé et Israël se trouvent en Ex. Il
y est question de la naissance d' un peuple mais aussi la naissance de la Torah. C' est dans le
livre de l'Ex que se trouvent toutes les institutions constitutives du judaïsme (circoncision,
Pâque, sabbat, loi) qui y sont mises en relation avec la libération de l' esclavage égyptien. Or,
c'est cette confession de la libération qui constitue le centre même de l' Ancien Testament (=
AT). Dans les sommaires historiques (Os 12 ; Dt 6,20ss ; 26,5ss ; 1Sam 12; Ez 20 ; Jr 11; Jos
24 ; Néh 9 ; etc.) ainsi que dans les Psaumes historiques (Ps 105 ; 106 ; 136 ; etc.) l'événement
de l'Exode occupe toujours la place centrale. Nous touchons donc là au "noyau" de l' AT. En
effet, à l'origine de la foi yahviste figure peut-être une simple confession de foi de type
"Yahvé nous a fait sortir d' Egypte". Cette conception a été élaborée, étoffée (le livre de l'Ex),
réinterprétée (le Deutéro-Esaïe), voire même critiquée (Am).

Dans une interprétation chrétienne on peut aisément constater un parallèle entre les
deux testaments. A l'
origine de chacun d' eux se trouve une confession de foi: "Dieu nous a fait
sortir d'
Egypte." - "Christ est mort et ressuscité le troisième jour." Les deux confessions
expriment l'idée d'
une libération définitive, libération de l'
esclavage, de l'
aliénation, libération
de la mort et du péché (d' ailleurs le parcours exodique a considérablement influencé la
composition du Nouveau Testament...). Et dans les deux cas, cette libération implique un
passage: de l'
esclavage à la liberté, de la mort à la vie.

L'Exode, la "sortie", est donc au cœur de la mémoire du peuple de la Bible. D' année en
année, au long des siècles, chaque père de famille israélite affirmera qu' il est, lui, sorti
d'Egypte et que le Seigneur a agi en sa faveur. La libération des lointains ancêtres est alors
actualisée pour chaque génération. Nous allons essayer de voir, à partir du récit central du
livre de l' Exode, la traversée de la mer, comment cette dynamique d' actualisation et
d’interprétation, est inscrite dans le texte même. En effet, nous avons en Ex 13,17-14,31 au
moins deux théologies en dialogue l' une avec l'
autre.
Nous commencerons notre enquête par une présentation d' Exode 13,17-14,31 dans sa
forme canonique.

1. Délimitation et structure du texte :

Le récit de la traversée de la mer fait suite au cycle des plaies, à l'


institution de la Pâque
et à la mort des premiers-nés d' Egypte. Après un épisode d' institution rituelle, la narration
débute en 13,17 avec la formule introductive « et voici ». La fin du récit se trouve clairement
en 14,31, puisque 15,1 introduit un texte hymnique, le cantique de Moïse, qui constitue une
reprise psalmique du récit précédent.

L'établissement de la structure du récit 13,17-14,31 n'est pas une chose facile. Si l'
on
consulte les commentaires à ce sujet, on trouve certes quelques découpages. Ces découpages
sont avant tout intéressés de mettre en avant la progression du récit sans tenir suffisamment
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compte des éléments répétitifs ni des mots-clés qui, comme l' a montré notamment Martin
Buber, sont constitutifs pour de nombreux textes bibliques.
On peut alors reprendre la subdivision la plus ancienne, celle faite par les Massorètes.
Ils ont constaté que dans Ex 13,17-14,31, Dieu parle à trois reprises à Moïse et ils ont utilisé
ces trois discours comme marquant les trois parties principales du texte. 13,17-22 formeraient
alors l'introduction; Les v.1, puis 15, puis 26 marquant alors les trois césures principales.
Comme l' a observé Jean-Louis Ska, ces trois parties sont mises en relation les unes avec les
autres. Au v. 2 nous trouvons l'ordre: "parle aux fils d' Israël", le même impératif se trouve au
début de la deuxième partie au v. 15: "parle aux fils d' Israël". Cet ordre est suivi aux v. 16 par
l'
impératif. "Etends ta main sur la mer", que l' on retrouve justement au début de la troisième
partie au v. 26.
Le même phénomène d' interconnexion est visible à la fin de chaque partie. Au v. 14,
Moïse annonce à Israël: "Yahvé combattra pour vous", au v. 25 c' est l'
Egypte qui constate:
"Yahvé combat pour eux - contre l' Egypte"; et nous retrouvons l' expression "contre l'Egypte"
au début du v.31, marquant alors la fin de la troisième partie.

La structure de notre récit se présente alors ainsi :


13,17-22 Introduction : la mise en route
I. 14,1-14 Premier discours divin et ses conséquences
II. 14,15-25 Deuxième discours divin et ses conséquences
III. 14,26-31aA Troisième discours divin et ses conséquences
14,31aBb Conclusion : la foi du peuple

On peut encore affiner ce plan (cf. le plan en annexe) par le fait qu' un certain nombre
d'éléments sont présents dans les trois parties et se renvoient les uns aux autres. Nous n'
allons
cependant pas nous attarder sur ce point.

Ce qui me semble important, c' est que la structure proposée nous déplace dans notre
perception du texte d' Ex 13,17-14,31. Certes, il s'agit d'un récit, les formes verbales au narratif
prédominent. Mais il y a aussi quelque chose de "cyclique" dans le déroulement, pour ne pas
dire "liturgique". Et ce qu'il faut souligner, c'
est le fait que le récit dans sa forme actuelle se
présente comme une série de réactions face à la parole initiale de Yahvé. Associant ainsi la
narration aux discours de Dieu, cet épisode peut être caractérisé comme une théologie
narrative qui vise à préparer le destinataire au récit d' un moment unique et décisif qu' il est
appelé non seulement à commémorer, mais aussi à actualiser et à revivre.
L' expression "théologie narrative" permet également de comprendre le texte d' Ex 13,17-
14,31 comme une sorte de compendium réunissant plusieurs approches qui tentent d' exprimer
la signification théologique de l'événement de la mer des Joncs (nous allons voir cela plus loin
d'une manière plus détaillée).

Dans sa forme finale, le texte joue également sur le schéma "promesse et


accomplissement". Ainsi les versets finaux relatent l' accomplissement de ce que Moïse avait
annoncé au peuple au v. 13. En exhortant les Israélites, Moïse leur dit: "Voyez le salut
(yeshou' a) que Yahvé réalisera (ya' aséh) pour vous aujourd' hui"; le v. 30 constate: Yahvé en
ce jour-là sauva (wa-yosha' ) Israël".
Moïse avait poursuivi en disant: "les Egyptiens que vous voyez aujourd' hui, vous
cesserez de les voir", les v.30-31 notent: "Israël vit l'
Egypte morte sur le bord de la mer. Israël
vit avec quelle main puissante Yahvé avait agi (' asah) contre l'Egypte".
On peut également voir un lien entre l' appel de Moïse : "ne craignez pas" et la remarque
du v. 31: "Le peuple craignit le Seigneur". Qu' est-ce à dire? Au v. 10, Israël craignit Pharaon,
maintenant, il vit dans la crainte de Yahvé. Aurait-il simplement changé de tyran ? Non, la
« crainte » du v. 31 est d'une autre qualité. Elle voit le jour précisément lorsque tout ce qui a
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pu causer la terreur a disparu. C' est la "crainte" qui naît de l' expérience de la proximité du
divin (cf. Gn 28) et qui s'exprime ensuite dans la vénération de Dieu. En effet, il y a au v. 31
un surplus par rapport à ce qu' annonçait le v. 13, et c' est précisément la foi en Yahvé et son
serviteur Moïse. Ce "croire" du peuple n' était pas directement préparé par le narrateur. Il est
l'
aboutissement d' un récit qui décrit un triple commencement:

A -Yahvé devient le Dieu d'Israël :


Notre récit montre comment le peuple d' Israël en est venu pour la première fois dans la
Torah, après le prélude d' Ex 4,31, à reconnaître Yahvé comme Dieu. Yahvé s' est révélé
comme étant le vrai souverain et sauveur de son peuple et Israël a su voir (cf. l'importance de
la racine en hébreu ra'ah = voir, qui apparaît cinq fois dans le récit).

B - Moïse est définitivement installé comme médiateur entre Dieu et le peuple :


Ex 14,31 est le seul passage de l'
Ecriture où il est dit qu'
Israël ait cru en même temps en
Yahvé et en un homme (pour des conceptions comparables cf. encore Ex 19,9 et 1Sam 12,18).
Le texte d'
Ex 14 est en quelque sorte le récit fondateur de la foi yahviste en tant que religion
mosaïque. Les trois discours de Dieu sont adressés à Moïse et non au peuple entier, et c' est
Moïse qui transmettra les ordres de Yahvé à Israël. Ainsi, Ex 14 consigne une constellation
qui trouvera son apogée dans le livre du Deutéronome et qui est typique de toute la tradition
deutéronomiste.

C - La "naissance" d'Israël en tant que "peuple" :


Le récit est encadre par le terme « peuple » (13,17 ; 14,31) alors que dans les chapitres
précédents et à l'
intérieur du récit on parle plutôt des « fils d'
Israël ». Une lecture symbolique
ou psychanalytique pourrait facilement lire ce récit comme le récit d' une naissance: Israël qui
se voit mourir renaît à la vie et cette naissance est exprimée par le thème de passage. Ce
passage pourrait aussi évoquer la sortie du ventre maternel. En acceptant de passer, les
Hébreux trouvent leur identité et leur nom.

Ainsi convergent les trois commencements de notre récit: la "vraie" vie du peuple
commence en ce jour où il accepte de tout miser sur Yahvé et d' accepter la médiation de
Moïse.
C' est ainsi que l'
on peut résumer le message central du rédacteur final de notre texte.
Pourtant, avec ces remarques nous n' avons pas épuisé la richesse du texte. Car si passage il y
a, il y a aussi passage entre les différents niveaux diachroniques du récit. En effet, la rédaction
finale a fait cohabiter en Ex 13,17-14,31 (comme ailleurs dans l' Ecriture) plusieurs lectures de
l'
événement fondateur. Essayons maintenant de cerner ces différentes théologies à l' intérieur
d'Ex 13,17-14,31.

2. Indications pour une lecture diachronique :

Une lecture attentive d' Ex 13,17-14,31 fait apparaître un grand nombre d' indices qui
suggèrent que nous avons à faire à un texte composite. Nous nous contentons ici de quelques
exemples flagrants :
- Selon Ex 13,17 et 14,5b, l' Exode est produit par un renvoi (shalakh), tandis que 14,5a
parle d'une fuite (barakh) du peuple.
- La mention des ossements de Joseph en 13,19 interrompt l' itinéraire 13,18.20.
- En 14,10 Israël crie vers Yahvé. Pourtant le v.11 reproduit une accusation adressée à
Moïse. Ensuite la réponse de Moïse ne reprend pas les accusations du peuple, mais se
réfère à la peur du v. 10. Et finalement: pourquoi au v. 15 Yahvé reproche-t-il à Moïse
de crier vers lui, alors qu'
il n'
en est jamais fait état dans ce qui précède ?
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- En 14,21aB la mer est refoulée par un vent d'


est, tandis que, selon 14,21b.22, les eaux
se fendent au milieu de la mer.

Ces observations pourraient être complétées par des observations d' ordre stylistique et
syntaxique. On arrive alors à une répartition d' Ex 14 en deux récits plus une relecture de ces
récits par une rédaction ultérieure (cf. schéma en annexe).
Le premier récit peut être appelé, à la suite de Pierre Gibert, "stratégie de combat"; il
provient sans doute, comme nous allons le voir, de l' école deutéronomiste.
Le deuxième récit des "eaux fendues" ou du "passage" nous vient de l' école
sacerdotale.
L'idée qu’Ex 13,17-14,31 est le résultat d' une combinaison de deux interprétations
différentes du miracle de la mer est largement acceptée par l' exégèse historico-critique.
Pourtant, cette idée n'est pas une trouvaille qui serait limitée à ce type d'
approche.

Nous possédons en effet une représentation iconographique d' Ex 13,17-14,31 dans la


synagogue de Doura-Europos, qui se compose de trois scènes, dont deux traitent du miracle
proprement dit
Dans la première scène on voit les Hébreux en marche guidés par Moïse (les deux
colonnes devant la ville rappellent peut-être Ex13, 21.22). Cette première scène avec une
connotation fortement guerrière se poursuit dans le deuxième tableau qui représente la
noyade des Egyptiens. Après cette noyade, le troisième tableau revient en arrière avec la
légende "Moïse quand il fendit la mer"; à côté de lui, on voit douze personnages qui
représentent les douze tribus d' accent est mis sur le passage, symbolisé par une
Israël. Ici, l'
sorte de chemin au milieu de la mer.
J'ai l'
impression que par cette représentation l' artiste voulait rendre compte des deux
versions du miracle de la mer:
- un récit de guerre se terminant par la noyade des Egyptiens
- et un récit de séparation insistant sur la traversée et le passage.
Passons maintenant au premier récit.

3. La version deutéronomiste, stratégie de combat :

Le caractère deutéronomiste (=dtr) de cette version est facile à établir. Il existe de


nombreux rapports entre le vocabulaire utilisé par l' auteur de ce récit et le Deutéronome
(=Dt) voire l'
historiographie dtr. Il suffit de lire quelques extraits du début du Dt, pour se
rendre compte que nous nous trouvons dans le même milieu théologique.
On peut même lire la version dtr d'
Ex 14 comme une reprise narrative de Dt 1,30ss : "Le
Seigneur, votre Dieu, qui marche devant vous, combattra pour vous, exactement comme il a
fait pour vous en Egypte sous vos yeux ... vous n'
avez pas mis votre foi dans le Seigneur votre
Dieu lui qui marchait devant vous sur la route pour vous chercher un lieu de camp, dans le feu
pendant la nuit pour vous éclairer sur la route où vous marchiez, et dans la nuée pendant le
jour."

On peut également remarquer que la version dtr d' Ex 14 utilise pour les Israélites les
expressions "peuple" ou "Israël", mais jamais "fils d'
Israël". Ceci est conforme à la théologie
dtr qui définit le peuple de Yahvé non pas par une conception généalogique, mais par
l'
adhésion au projet de Yahvé et à la tradition mosaïque. L' auteur dtr présente le récit du
miracle de la mer comme un récit de "guerre de Yahvé" dans lesquels on célébrait
l'
intervention directe de Dieu en faveur de son peuple. Les narrations de la « guerre de

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Yahvé » se trouvent surtout dans l' historiographie dtr ou dans des textes qui en dépendent, à
savoir Jos10 ; Jg 4 ; 1Sam 7 ; 2Chr 20 (cf. également Dt 20,1-4).

Les éléments constitutifs de cette idéologie sont les suivants (voir tableau « récit de guerre de
Yahvé » en annexe) :
- L'
ennemi se place en position d' attaquant contre Israël.
- Réaction d'Israël : découragement, peur, cri (vers Yahvé).
- Exhortation à ne pas craindre l'ennemi mais à croire en Yahvé.
- Yahvé sort devant Israël et livre lui-même le combat.
- L'
intervention miraculeuse de Yahvé provoque le découragement de l' ennemi.
- Ce qui mène à une victoire totale sur les ennemis dont il ne reste pas un rescapé.

L'origine de ce concept se trouve dans l' iconographie et dans la littérature de


propagande assyro-babylonienne. Dans les récits de victoire des rois assyriens, c' est Assur qui
donne la victoire contre des coalitions des rois ennemis extrêmement puissants. Les auteurs
deutéronomistes (=dtrs) ont donc repris à leur compte un modèle assyrien courant. Cette
pratique de la reprise de l'
idéologie assyrienne se trouve également dans le livre du Dt qui est
construit en analogie aux traités de vassalité assyriens.
A l'époque des Dtrs la culture assyrienne était omniprésente. Ainsi, l'on peut dire que les
Dtrs sont en dialogue avec la culture de leur époque; mais ils le sont de manière subversive.
En imitant le modèle de traité de vassalité dans le Dt, les Dtrs affirment qu'
il y a un suzerain à
qui Israël doit allégeance totale, mais ce suzerain ce n' est pas le roi d'
Assur ou de Babylone,
c'
est Yahvé, le Dieu d' Israël.

La même stratégie sous-tend le récit apparemment guerrier d' Ex 13,17-14,31. D' abord
on peut y lire l' affirmation de la souveraineté de Yahvé face à l' Egypte et ses dieux, ce qui
signifie pour les destinataires la souveraineté de Yahvé face à Babylone et Marduk. Ce qui est
particulièrement remarquable dans notre récit c' est l'exhortation adressée à Israël à se tenir
tranquille. C'est Yahvé seul qui combat, Israël n' a rien d'autre à faire qu' à voir et croire. On ne
peut donc pas parler ici de "guerre sainte" car ce n' est pas Israël qui combat pour son Dieu,
mais c' est Yahvé qui combat pour Israël.
L' auteur dtr d' Ex 14 a recours à cette théologie pour insister sur le pouvoir de Yahvé
dans une situation de crise où ce pouvoir était sans doute contesté. En effet, ce texte
présuppose l' expérience de l' exil babylonien où les exilés ont du se sentir écrasés par les
fastes, la culture et la puissance babyloniennes. Ce récit était donc d' abord destiné à des
destinataires privés de toute puissance politique et guerrière et dans l' incapacité d' être les
instruments de leur propre délivrance. Ex 13,17-14,31 (dtr) montre alors que la libération ne
peut venir que de Yahvé. En même temps ce récit affaiblit l' historicité en particulier de la
guerre en tant qu' événement intra-humain. La guerre humaine se fonde et se perd dans l' action
libératrice de Dieu. Ainsi, il n'est guère exagéré d' affirmer que la place de la théologie de la
guerre de Yahvé, dans sa forme dtr du moins, n' est pas dans un cadre idéologique guerrier,
mais dans le contexte d' une certaine "théologie de la libération".

4. La version sacerdotale (P), les eaux fendues ou le passage :

Pour notre propos nous n' avons pas besoin d' aborder la question de savoir si la version P
d'Ex 13,17-14,31 était à l'origine un récit indépendant où si elle présuppose déjà la version
dtr. Dès le premier abord, il est évident que les auteurs sacerdotaux abordent l' événement de
la mer sous une autre optique que leurs cousins dtrs. La version P d' Ex 13,17-14,31 insiste sur
l'
étroite correspondance entre la parole de Dieu et sa réalisation. Les autres textes qui font

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apparaître cette correspondance proviennent également du milieu sacerdotal : Gn 1; la version


sacerdotale des plaies en Ex 7ss, et la construction du sanctuaire mobile en Ex 25ss.

On constate également la présence d'un certain nombre de refrains qui ponctuent le tout,
notamment "Pharaon, ses chars et son armée" et "les Egyptiens sauront que c' est moi - le
Seigneur". Il s'
agit d'
un récit stylisé ou d'
un récit structuré, un récit où la narration devient
secondaire, s'efface quelque peu derrière les éléments de répétition et d' ordre. Certains
commentateurs ont du coup proposé de voir ce récit sacerdotal dans le cadre d' une célébration
cultuelle.

Dans le récit sacerdotal, Dieu est le grand acteur, contraignant même le Pharaon à
s'endurcir (tout comme dans la version sacerdotale du récit des plaies), faisant de lui le jouet
d'une -faut-il dire: diabolique- prédestination, alors que, tout différemment, le dtr nous
montrait un Pharaon libre dans ses décisions, beaucoup plus humain dans ses attitudes et ses
réactions.

Contrairement à la version dtr la version sacerdotale lit le miracle de la mer surtout dans
la perspective d'une traversée, d' un passage.
La symbolique du passage est largement attestée dans toute la littérature humaine. On y
trouve de nombreux exemples dans la mythologie grecque (p. ex. dans l' Odyssée) où des
rochers, des écueils s' entrechoquent au passage des navires. Ces rochers séparent en fait deux
mondes: l' ici-bas et l'
au-delà, la patrie (la Grèce) et l'
Océan, le monde des vivants et le monde
des morts. Et seuls les héros assistés par les dieux peuvent passer, comme c' est aussi le cas
d'Israël conduit par Yahvé vers la terre promise.
Mais en Ex 13,17-14,31 c' est l'eau de la mer qui devient en quelque sorte rocher
(muraille) et passage pour les uns et qui redevient eau pour les autres. Le récit sacerdotal
réussit de façon peu commune à montrer que le même élément peut être salvateur et
maléfique. Les deux murailles d' Ex 14 peuvent faire penser dans le même ordre d' idée aux
fameuses "colonnes d' Hercule" (le détroit de Gibraltar) qui marquent la limite au-delà de
laquelle le dieu protecteur cesse d' agir. Ex 14 renverse cette valeur habituelle du symbole.
Alors que le pouvoir des dieux s' arrête à cette frontière-là, ce qui vaut pour les Egyptiens, le
Dieu d' Israël manifeste au contraire sa puissance en créant ce passage. Pour Israël Dieu ouvre
donc un passage et traverser signifie inaugurer une existence nouvelle avec Dieu.

Quant à l' Egypte, elle n'a pas pu passer : elle refusait à Israël de pouvoir passer de
l'
esclavage à la liberté. Le texte s' exprime symboliquement lorsqu' il décrit la disparition des
Egyptiens en même temps que la disparition des deux murs permettant le passage. Somme
toute, le point capital semble être, non pas de trouver le passage, car Israël et l'
Egypte s'y sont
engagés, mais de savoir comment passer.

La version sacerdotale d' Ex 13,17-14,31 s' attache surtout à établir une étroite
correspondance avec les récits de la création en Gn 1 et le récit du Déluge en Gn 6-8 (peut-
être aussi avec le récit de la traversée du Jourdain en Jos 3-4). On trouve en effet un certain
nombre de mots-clés qui sont communs à ces récits: baqa'- fendre (Ex 14,16.21) renvoie à
Gn 1,2 où Dieu fend les eaux primordiales et à 7,11 où Dieu fend les réservoirs de l' Abîme.
L'expression yabbasha'- terre sèche (Ex 14,16.22.29) se retrouve lorsqu' en Gn 1,9.10 la terre
ferme est créée, et en 8,7.14 pour désigner la terre habitable face aux eaux chaotiques du
déluge. De même betok hayyam - au milieu de la mer (Ex 14,16.22.23.27.29) apparaît en Gn
1,6 pour décrire l' apparition du firmament au milieu des eaux. De même le vent comme
instrument divin est commun aux trois récits (Ex 14,21 - mais appartenant à "Dtr", Gn 1,2;
8,1).

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Par ces correspondances P veut clairement montrer que la traversée de la mer est un acte
créateur : Dieu crée son peuple. Les eaux dangereuses et les eaux séparées renvoient à Gn 1
où les eaux doivent être séparées pour qu'
apparaisse la terre et dans la suite la vie.

Temps que la séparation n' a pas eu lieu, Israël reste face au chaos. La séparation
permettra à Israël d'accéder à la vie. L'
Egypte fera l'expérience inverse, celle de la dé-création,
le retour au chaos primordial. C' est l'
expérience faite par la première humanité avec le déluge
(Gn 7,21). Et comme Gn 1, Ex 14 est centré sur une "création par la parole". En Ex 14, les
auteurs sacerdotaux veulent montrer qu' Israël relève lui aussi de la volonté créatrice de Dieu.
Nous avons là la même stratégie que chez le Deutéro-Esaïe, contemporain des auteurs
sacerdotaux, et qui met également en corrélation l' acte créateur de Dieu et l' annonce du
nouvel Exode. En utilisant un langage mythologique et créationnel pour décrire la sortie
d'Egypte, P entreprend en quelque sorte une mythologisation de l' histoire (ce qui va à
l'
encontre d' une certaine tendance qui veut à tout prix démythologiser les récits bibliques).

Pour le récit sacerdotal, la traversée du peuple devient presque une procession, et on


pourrait trouver un symbolisme encore plus poussé. En Ex 14,22, il est dit que les eaux
forment une muraille à la gauche et à la droite d' Israël. La "gauche" - semo' l en hébreu peut
désigner le nord (Gn 14,15; Jos 19,27), la droite - yamin le sud (Jos 17,7). Ces directions se
comprennent si l' on s'oriente par rapport à l'
est. Et la mer - yam est en effet le même nom que
pour l' ouest. Israël doit quitter la mer pour aller vers l' est. L'
ouest dans la mythologie du
Proche Orient Ancien signifie le couchant, l' enfer, le lieu de la mort. Et les temples sont en
général orientés vers l' est. L'
image de la traversée est, pour les auteurs sacerdotaux, analogue
à la signification du plan de certains temples et aux images liées à la course du soleil durant la
nuit. Et le passage à travers les eaux fendues peut évoquer des processions, des rituels
symbolisant une nouvelle naissance.
Il est donc assez compréhensible que Paul et d' autres auteurs chrétiens se soient inspirés
de la version sacerdotale pour y voir la préfiguration du baptême.

Nous sommes donc en Ex 13,17-14,31 en présence de deux théologies différentes pour


décrire l'
événement fondateur du peuple hébreu. Il me paraît hautement significatif que les
derniers rédacteurs de la Torah aient choisi de faire cohabiter ces deux versions. Lors de
l'
édition du Pentateuque, ces deux versions se sont enrichies de certains versets qui ajoutent
encore une nouvelle perspective.

5. La dernière rédaction d'Ex 13,17-14,31, la nostalgie de


l'Egypte :

Comme l' ont démontré des exégètes comme H.C. Schmitt, N. Lohfink et d' autres, la
dernière grande rédaction du Pentateuque peut être décrite comme une rédaction post-
sacerdotale renouant avec l' idéologie dtr. En Ex 13,19 elle insère la notice concernant la
promenade des ossements de Joseph, créant ainsi un lien avec la fin du livre de la Genèse (Gn
50,24) et renvoyant déjà à la fin de la conquête en Jos 24.

Cette rédaction est avant tout responsable de l'


ajout des versets 14,11-12. Par ces versets
elle inaugure le thème de la désobéissance du peuple dans le désert. C' est au moment même
de la sortie d'Egypte que cet exode est mis en question par le peuple lui- même. Déjà M.
Buber avait remarqué que les v. 11-12 sont savamment construits: sept groupes de mots se
terminent soit par le terme "Egypte" soit par l'
expression "mourir au désert":

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"N'y avait-il pas des tombes en Egypte


pour que tu nous a amenés mourir au désert ?
Que nous as-tu fait en nous faisant sortir d'
Egypte ?
Ne t'
avions-nous pas dit ceci en Egypte :
Laisse nous tranquille pour que nous servions l'Egypte.
En effet, mieux vaut pour nous servir l'Egypte
que de mourir au désert."

Devant l' alternative Egypte ou désert, le peuple préfère l'


esclavage en Egypte et entre en
procès avec Moïse qui est ici considéré comme l' auteur de l'Exode. Moïse va donc devoir se
justifier, le lecteur s'attend à une discussion serrée, voire à un règlement de comptes. Il est
alors étonnant que Moïse ne réponde nullement à cette question, mais exhorte tout
simplement le peuple de ne pas avoir peur.
Au niveau diachronique, ceci s' explique par le fait que dans la version antérieure le v.
10 était immédiatement suivi du v. 13. Au niveau de la rédaction finale l' irruption de la
question "pourquoi l' exode ?" surprend. C' est une question qui va être reposée à plusieurs
reprises, notamment dans le livre des Nombres. Et cette question est toujours liée à une
certaine nostalgie de l' Egypte (Ex 17,3 ; Nb 11,18ss ; 14,2-4 ; 16,12-15 ; 20,4-5 ; 21,4-9).

Au niveau historique ce thème reflète sans doute le refus d' une partie de la Golah
(diaspora) babylonienne de faire retour vers la province de Judée après que les Perses aient
permis un tel retour. En effet, la perspective d' un retour vers la Judée ne provoquait guère un
enthousiasme débordant parmi les membres de la diaspora (Esd 7,13; Ez 36,12-15) et à
l'
époque de Néhémie, la population de Jérusalem reste insuffisante.
Les récits de contestation de l'Exode reflètent cette situation. A mon avis, l'
introduction
du motif de la nostalgie de l' Egypte et de la mise en question de l' exode montre une certaine
sympathie qui ne peut être que cachée pour une diaspora qui ne veut plus quitter son pays
d'accueil et reflète une situation extrêmement complexe entre ceux qui sont restés au pays et
la diaspora, situation qui est encore perceptible dans le judaïsme actuel.
Dans sa forme actuelle, le Pentateuque rend compte de cette tension: à l' intérieur du
grand exode officiel apparaît un élément de subversion qui ne reçoit pas de légitimité mais qui
existe néanmoins. L' exode en tant que tradition fondatrice du peuple intègre et digère des
bouts d'anti-exode qui sont mis au service de la théologie officielle. Pourtant il reste des
questions comme « pourquoi nous as-tu fait sortir d' Egypte ? » - questions pour lesquelles
chaque lecteur doit trouver sa grille de lecture et sa réponse à lui.

Pour tenir compte de la diversité des lectures de l' événement central de la sortie de
l'Egypte dans le livre de l' Exode, il faudrait également évoquer le psaume qui se trouve en Ex
15. Nous nous contenterons ici de quelques remarques.
Il est fort probable qu' Ex 15,1-21 provienne du milieu lévite (cf. M.L. Brenner) dont
l'activité musicale à l'époque du deuxième temple est bien attestée par le Psautier et le livre
des Chroniques. Ex 15,1-21 présuppose apparemment les versions dtr et sacerdotale de
l'événement de la mer. On peut en effet observer que l' auteur utilise la tradition de la guerre de
Yahvé pour l' intégrer dans la description hymnique du combat primordial du Dieu créateur
contre les forces du chaos qu' il identifie aux ennemis d'Israël.
Le contexte historique pour la rédaction de ce psaume pourrait être l' époque perse,
puisque l' on peut lire certains versets d' Ex 15 comme faisant allusion à la construction du
deuxième temple et à la fortification de Jérusalem. Mais ce qu' il faut souligner avant tout c' est
le fait qu’Ex 15 relit et interprète le récit d'
Ex 13,17-14,31 dans la perspective d' une utilisation
liturgique et cultuelle. Ainsi, le récit quitte le cadre des théologies savantes et entre dans le
contexte de la célébration.
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Peut-on, doit-on lire les deux ? L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ? Comment ?
34

Mais comment faut-il alors expliquer que ces multiples lectures aient été intégrées dans
le même corpus de la Torah ?

6. Les différentes théologies en Ex 13,17-14,31 comme exemple de la


cohabitation théologique à l'intérieur du Pentateuque :
Il semble maintenant assuré que le Pentateuque (ou : un "Proto-Pentateuque") fut publié
vers 400/350 sous instigation du pouvoir perse comme document officiel pour la communauté
juive de l'Empire.
Peut-être que sous Artaxerxès II (398), Esdras, porteur du titre de "scribe de la loi du
Dieu des cieux" (Esd 7,12) eut pour mission de faire accepter à toute la province de Yehud la
loi de Yahvé, assimilé par les Perses à Ahura Mazda. Depuis longtemps, on a cherché à
identifier la loi sur laquelle Esdras engage le peuple (Esd 7). Ces derniers temps on pense
volontiers qu' il s'
agit de la publication du Pentateuque. On compare alors la mission d' Esdras
à celle du scribe égyptien Oudjahorresné, et on voit à l' arrière-plan d'
Esd 7 le principe de
l'
autorisation impériale, à savoir la reconnaissance des normes locales par la juridiction perse.
Cette thèse séduisante donnerait un contexte historique plausible à la naissance du
Pentateuque en tant que document fondateur. En effet, la publication au moins d' un Proto-
Pentateuque peut fort bien s' expliquer dans le contexte d' un contrôle perse sur la Syrie-
Palestine. Cette publication d' une "Torah" marque un pas décisif vers la canonisation
définitive d'une histoire d'Israël unifiée.

Les différents groupes du judaïsme postexilique sont invités à se retrouver dans une
même histoire à l' intérieur de laquelle l'
événement de l'Exode va occuper la place centrale. On
peut d' ailleurs noter que cet événement de la sortie d' Egypte ne pouvait que trouver l'accord
des autorités perses pour lesquelles l' Egypte était l'
ennemi par excellence. Mais avant tout il
fallait que les différentes sensibilités théologiques du judaïsme puissent se retrouver dans
l'
interprétation théologique voire liturgique du miracle de la mer. On peut alors dire que le
texte d'Ex 13,17-14,31 reflète un compromis entre ces groupes, ou alors que nous avons là un
document œcuménique, les sacerdotaux et les dtrs étant, si on peut se permettre de telles
comparaisons, en quelque sorte les "catholiques" et les "protestants" de l' AT. Malgré la
volonté du judaïsme de disposer d' une seule tradition fondatrice, l'
effort de cohabitation a
permis aux différentes conceptions des origines du peuple de Yahvé de garder une certaine
indépendance. Redécouvrir ces différences permet de mieux comprendre les richesses et les
tensions qui caractérisent le judaïsme et ce jusqu'à nos jours.

Nous constatons alors que le texte biblique lui-même engendre la nécessité d' une
réinterprétation et d'
une actualisation, la dynamique herméneutique étant présente dès la
constitution du corpus littéraire.
Une actualisation du livre de l'Exode ne doit pas se borner à retrouver les couches les
plus "anciennes" ou à l’opposé, à rejeter toute approche diachronique ; il s'
agit, bien plutôt de
prendre en considération la multitude des voix qui contribuent à l'
unité de ce texte fondateur.

7. Conclusion et ouverture

La lecture des deux, voire trois, versions d' Ex 13,17-14,31 que l'on pourrait encore
affiner (avant la version dtr il a vraisemblablement existé une version plus ancienne,
probablement orale) montre que la péricope joue sur le thème du passage à plusieurs niveaux :
dans la version définitive du texte, il s'
agit avant tout d'
un passage de l'
oppression à la liberté,
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de la mort à la vie, passage qui définira aussi les relations entre Yahvé, Moïse et le peuple,
donc un passage ayant un aspect fortement initiatique.
Mais en même temps le texte ouvre à un lecteur attentif d' autres passages possibles.
Passage d' une version vers une autre, passage de la "guerre de Yahvé" vers la "nouvelle
création". Ces passages d' un sens à un autre demandent aussi au destinataire de se positionner
par rapport à ces différentes lectures d'un même événement.
Que signifie aujourd' hui confesser Dieu comme celui qui fait sortir de la maison
d'esclaves ? Et peut-on dire aujourd' hui cette sortie avec les catégories dtrs de la guerre de
Yahvé ? Pouvons-nous reprendre la terminologie guerrière (même si dans le texte elle est déjà
"subvertie" ?) alors que sur l' échelon mondial nous sommes plus proches des "oppresseurs"
que des opprimés ? Ou : comment interpréter l' idée sacerdotale de l' endurcissement du
Pharaon ou d' une manière plus générale celle de la mythologisation de l' histoire ?

Toute la tradition biblique nous montre que l' interprétation de la sortie d' Egypte se fait
toujours en interaction avec la situation concrète des auditeurs.
D' abord on peut constater que certaines lectures de l' événement de la mer insistent fortement
sur l'
idée de la traversée (notamment le 2e Esaïe), tandis que d' autres textes ne présupposent
pas l'idée du passage, mais mettent tout l' accent sur la souveraineté du Dieu d' Israël qui
contrôle la mer et y noie les Egyptiens (p. ex. Dt 11,4 ; Jos 24,6).
Dans la tradition prophétique, le rappel de l' exode est souvent utilisé dans un contexte
polémique. Ainsi Ez 20 radicalise la conception d' Ex 14,11-12 dans le sens que la
désobéissance des pères commence déjà avant la traversée de la mer. En même temps, le texte
d'Ez 20 précise l' idée sacerdotale selon laquelle l' Exode a lieu pour la "glorification" de
Yahvé. Ez 20 insiste sur le fait que la libération des pères désobéissants d' Egypte est
exclusivement motivée par le nom du Seigneur (v.9: "cependant, je me suis mis à l' œuvre à
cause de mon nom"). La référence de l' Exode ne peut donc en aucun cas servir à légitimer une
quelconque supériorité de ceux qui s' y réfèrent. Le prophète Amos ou plutôt ses éditeurs font
le même constat de la manière suivante : "N' ai-je pas fait monter Israël du pays d' Egypte, les
Philistins de Kaftor et Aram de Qir ?" (9,7). On pourrait presque dire que l' unicité de l'Exode
est mise en question, face à des destinataires qui font de cet exode une sorte de sécurité
sociale religieuse. Et dans le livre d'
Osée, on oppose à la légitimation généalogique du peuple
qui s'identifie à son ancêtre Jacob, la référence à Yahvé, le Dieu depuis le pays d' Egypte. Ici,
l'
évocation de l' exode sert à critiquer une identité qui se constituerait uniquement par un
modèle généalogique. Confesser le Dieu qui fait sortir d' Egypte signifie alors le
décloisonnement d' un discours exclusiviste ou sécuritaire. Il s' agit alors pour les destinataires
du livre d'Osée et donc aussi pour nous de s' inscrire dans une dynamique d' actualisation du
message fondateur de la Bible, message qui peut se dire de multiples manières, mais qui
exclut tout immobilisme et nombrilisme théologique.

Thomas Römer

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Plan détaillé d’Exode 13,17 -14,31

Le peuple

INTRODUCTION 13,17-22 (A) v 17a Départ définitif (Acteur : Pharaon)


(B) v 17-18 Route (Acteur : Dieu)
v 19 Ossement de Joseph (Acteur : Moïse)
v 20 Route et 1er camp (Acteur : Israël)
(C) v 21-22 Accompagnement (colonne) (Acteur : Dieu)
1ère PARTIE 14,1-14 (A) v 1-4a Discours Yahvé Moïse a) dis à Israël : ordre de camper
b) annonce de l’intervention face à Pharaon
-Endurcissement
- Glorification
-« Je suis Yahvé »
(B) v4b Réaction d’Israël : Exécution de l’ordre
(C) v5-10a Réaction de Pharaon + intervention de Yahvé
a) discours : qu’avons-nous fait ?
b) 6-7 Préparation de la poursuite
c) 8a Yahvé : Réalisation
Endurcissement
b’) 8b-10a Poursuite
(D) v10b-14 Réaction d’Israël et de Moïse
a) 10b Israël : peur. Crient vers le Seigneur
b) 11-12 discours Israël Moïse :
Qu’as-tu fait ?
c)13-14 discours de Moïse
Yahvé COMBATTRA POUR VOUS
2ème PARTIE 14,15-25 (A) v15-18 Discours Yahvé Moïse a) 15 dis à Israël : Ordre de partir
b) 16 étends ta main
c) 17-18 annonce : intervention face à l’Egypte
-Endurcissement
- Glorification
- « Je suis Yahvé »
(B) v19-20 Intervention de l’ange et de la nuée
(C) v21a Réaction de Moïse : exécution de l’ordre
(D) v21-22 Intervention de Yahvé pour Israël - refoule les eaux
- Israël entre dans la mer
(E) v23 Réaction de l’Egypte - poursuite dans la mer
(F) v24-25a Intervention de Yahvé contre l’Egypte - désordre dans le camp
- bloque les roues des chars
(G) v25b Réaction de l’Egypte (discours) - fuite car
Yahvé COMBAT POUR EUX
CONTRE L’EGYPTE
3ème PARTIE 14,26-31a (A) v26 Discours Yahvé Moïse Ordre : Etends la main
(B) v27a Réaction de Moïse Exécution de l’ordre
(C) v27a Réaction de l’Egypte Fuite
(D) v27b Intervention de Yahvé contre l’Egypte : culbutée dans la mer
(E) v28-29 Conséquences pour Egypte et Israël 28 Egypte : mort
29 Israël : vie
(F) v30-31a Résumé (commentaire du narrateur) - Yahvé sauva Israël
- Israël vit l’Egypte morte
- Israël vit la main puissante
de Yahvé CONTRE L’EGYPTE

CONCLUSION 14,31b Crainte de Yahvé + Foi en Yahvé et en Moïse


Le peuple

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Les différentes versions d’Exode 13,17-14,31


(Thomas RÖMER)

Version « combat » Version « eaux fendues » Rédaction finale


13,17a Quand le Pharaon laissa partir
le peuple,
17b Dieu ne le conduisit pas par la
route du pays des Philistins, bien qu' elle fût la
plus directe. Dieu s' était dit : « Il ne faudrait
pas que, à la vue des combats, le peuple
renonce et qu'il revienne en Égypte ! »
18a Dieu détourna le peuple vers le
désert de la mer des Joncs.
18b C' est en ordre de bataille que les
fils d'
Israël étaient montés du pays d'Égypte.
19 Moïse prit avec lui les ossements
de Joseph, car celui-ci avait exigé des fils
d'Israël un serment en leur disant : « Dieu ne
manquera pas d' intervenir en votre faveur ;
alors vous ferez monter d' ici mes ossements
avec vous. » 20 Ils partirent de Soukkoth et
campèrent à Etâm, en bordure du désert.
21 Le SEIGNEUR lui-même marchait
à leur tête : colonne de nuée le jour, pour leur
ouvrir la route-colonne de feu la nuit, pour les
éclairer ; ils pouvaient ainsi marcher jour et
nuit.
22 Le jour, la colonne de nuée ne
quittait pas la tête du peuple ; ni, la nuit, la
colonne de feu.
14,1 Le SEIGNEUR adressa la parole
à Moïse :
2 « Dis aux fils d' Israël de revenir
camper devant Pi-Hahiroth, entre Migdol et la
mer-c' est devant Baal-Cefôn, juste en face, que
vous camperez, au bord de la mer ;
3 alors le Pharaon dira des fils
d'Israël : Les voilà qui errent affolés dans le
pays ! Le désert s'est refermé sur eux !
4 J'
endurcirai le cœur du Pharaon et il
les poursuivra. Mais je me glorifierai aux
dépens du Pharaon et de toutes ses forces, et
les Égyptiens connaîtront que c' est moi le
SEIGNEUR. » Ils firent ainsi.
5 On annonça au roi d' Égypte que le
peuple avait pris la fuite. Le Pharaon et ses
serviteurs changèrent d' idée au sujet du peuple
et ils dirent : « Qu' avons-nous fait là ? Nous
avons laissé Israël quitter notre service ! »
6 Il attela son char et prit son peuple
avec lui.
7 Il prit six cents chars d'
élite, et tous
les chars d'
Égypte, chacun avec des écuyers.
8 Le SEIGNEUR endurcit le cœur du
Pharaon, roi d' Égypte, qui poursuivit les fils
d'
Israël, ces fils d'
Israël qui sortaient la main
haute.
9a Les Égyptiens les poursuivirent et
les rattrapèrent comme ils campaient au bord
de la mer
9b -tous les attelages du Pharaon, ses
cavaliers et ses forces-près de Pi-Hahiroth,
devant Baal-Cefôn.
10a Le Pharaon s' était approché. Les
fils d'Israël levèrent les yeux : voici que
l'
Égypte s' était mise en route derrière eux !
10b (Ils)eurent grand-peur et crièrent
vers le SEIGNEUR.
10c Les fils d'Israël
11 Ils dirent à Moïse : « L' Égypte
manquait-elle de tombeaux que tu nous aies
emmenés mourir au désert ? Que nous as-tu
fait là, en nous faisant sortir d'
Égypte ?
12 Ne te l' avions-nous pas dit en
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Égypte : Laisse-nous servir les Égyptiens !


Mieux vaut pour nous servir les Égyptiens que
mourir au désert. »
13 Moïse dit au peuple : « N' ayez pas
peur ! Tenez bon ! Et voyez le salut que le
SEIGNEUR réalisera pour vous aujourd' hui.
Vous qui avez vu les Égyptiens aujourd' hui,
vous ne les reverrez plus jamais.
14 C'est le SEIGNEUR qui combattra
pour vous. Et vous, vous resterez cois ! »
15a Le SEIGNEUR dit à Moïse :
15b « Qu'
as-tu à crier vers moi ?
15c Parle aux fils d'
Israël : qu'
on se
mette en route !
16a Et toi,
16b lève ton bâton,
16c étends la main sur la mer, fends-
la : et que les fils d'
Israël pénètrent au milieu
de la mer à pied sec.
17 Et moi, je vais endurcir le cœur
des Égyptiens pour qu' ils y pénètrent derrière
eux et que je me glorifie aux dépens du
Pharaon et de toutes ses forces, de ses chars et
de ses cavaliers.
18 Ainsi les Égyptiens connaîtront
que c' est moi le SEIGNEUR, quand je me
serai glorifié aux dépens du Pharaon, de ses
chars et de ses cavaliers. »
19 L' ange de Dieu qui marchait en
avant du camp d' Israël partit et passa sur leurs
arrières. La colonne de nuée partit de devant
eux et se tint sur leurs arrières.
20 Elle s' inséra entre le camp des
Égyptiens et le camp d' Israël. Il y eut la nuée mais aussi les ténèbres ;
[…] alors elle éclaira la nuit. Et l' on ne
s'
approcha pas l'un de l'
autre de toute la nuit.
21a Moïse étendit la main sur la mer.
21b Le SEIGNEUR refoula la mer
toute la nuit par un vent d'
est puissant et il mit
la mer à sec.
21c Les eaux se fendirent 22 et les fils
d'Israël pénétrèrent au milieu de la mer à pied
sec, les eaux formant une muraille à leur droite
et à leur gauche.
23 Les Égyptiens les poursuivirent et
pénétrèrent derrière eux-tous les chevaux du
Pharaon, ses chars et ses cavaliers-jusqu' au
milieu de la mer.
24 Or, au cours de la veille du matin,
depuis la colonne de feu et de nuée, le
SEIGNEUR observa le camp des Égyptiens et
il mit le désordre dans le camp des Égyptiens.
25 Il bloqua les roues de leurs chars et
en rendit la conduite pénible. L' Égypte dit :
«Fuyons loin d' Israël, car c'
est le SEIGNEUR
qui combat pour eux contre l' Égypte ! »
26 Le SEIGNEUR dit à Moïse : «
Étends la main sur la mer : que les eaux
reviennent sur l'
Égypte, sur ses chars et ses
cavaliers ! »
27a Moïse étendit la main sur la mer.
27b À l' approche du matin, la mer
revint à sa place habituelle, tandis que les
Égyptiens fuyaient à sa rencontre. Et le
SEIGNEUR se débarrassa des Égyptiens au
milieu de la mer.
28a Les eaux revinrent et recouvrirent
les chars et les cavaliers ; de toutes les forces
du Pharaon qui avaient pénétré dans la mer
derrière Israël,
28b il ne resta personne.
29 Mais les fils d' Israël avaient
marché à pied sec au milieu de la mer, les eaux
formant une muraille à leur droite et à leur
gauche.
30 Le SEIGNEUR, en ce jour-là,
sauva Israël de la main de l'
Égypte et Israël vit
l'
Égypte morte sur le rivage de la mer.
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31a Israël vit avec quelle main


puissante le SEIGNEUR avait agi contre
l'
Égypte. Le peuple craignit le SEIGNEUR,.
31b il mit sa foi dans le SEIGNEUR
et en Moïse son serviteur.

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Version « combat »

13,17a Quand le Pharaon laissa partir le peuple,


21 Le SEIGNEUR lui-même marchait à leur tête : colonne de nuée le jour, pour leur ouvrir la
route-colonne de feu la nuit, pour les éclairer ; ils pouvaient ainsi marcher jour et nuit.
22 Le jour, la colonne de nuée ne quittait pas la tête du peuple ; ni, la nuit, la colonne de feu.
5 On annonça au roi d' Égypte que le peuple avait pris la fuite. Le Pharaon et ses serviteurs
changèrent d' idée au sujet du peuple et ils dirent : «Qu' avons-nous fait là ? Nous avons laissé Israël
quitter notre service ! »
6 Il attela son char et prit son peuple avec lui.
9a Les Égyptiens les poursuivirent et les rattrapèrent comme ils campaient au bord de la mer
10b (Ils) eurent grand-peur et crièrent vers le SEIGNEUR.
13 Moïse dit au peuple : « N' ayez pas peur ! Tenez bon ! Et voyez le salut que le SEIGNEUR
réalisera pour vous aujourd' hui. Vous qui avez vu les Égyptiens aujourd' hui, vous ne les reverrez plus
jamais.
14 C' est le SEIGNEUR qui combattra pour vous. Et vous, vous resterez cois ! »
20 Elle s' inséra entre le camp des Égyptiens et le camp d' Israël. Il y eut la nuée […] alors elle
éclaira la nuit. Et l'on ne s'
approcha pas l'un de l'autre de toute la nuit.
21b Le SEIGNEUR refoula la mer toute la nuit par un vent d' est puissant et il mit la mer à sec.
24 Or, au cours de la veille du matin, depuis la colonne de feu et de nuée, le SEIGNEUR
observa le camp des Égyptiens et il mit le désordre dans le camp des Égyptiens.
25 Il bloqua les roues de leurs chars et en rendit la conduite pénible. L' Égypte dit : «Fuyons loin
d'Israël, car c'est le SEIGNEUR qui combat pour eux contre l' Égypte ! »
27b À l' approche du matin, la mer revint à sa place habituelle, tandis que les Égyptiens fuyaient
à sa rencontre. Et le SEIGNEUR se débarrassa des Égyptiens au milieu de la mer.
28b il ne resta personne.
30 Le SEIGNEUR, en ce jour-là, sauva Israël de la main de l' Égypte et Israël vit l'Égypte morte
sur le rivage de la mer.
31a Israël vit avec quelle main puissante le SEIGNEUR avait agi contre l' Égypte. Le peuple
craignit le SEIGNEUR.

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41

Version « eaux fendues »

18b C' est en ordre de bataille que les fils d'


Israël étaient montés du pays d' Égypte.
14,1 Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse :
2 « Dis aux fils d' Israël de revenir camper devant Pi-Hahiroth, entre Migdol et la mer-c' est
devant Baal-Cefôn, juste en face, que vous camperez, au bord de la mer ;
3 alors le Pharaon dira des fils d'Israël : Les voilà qui errent affolés dans le pays ! Le désert s' est
refermé sur eux !
4 J'endurcirai le coeur du Pharaon et il les poursuivra. Mais je me glorifierai aux dépens du
Pharaon et de toutes ses forces, et les Égyptiens connaîtront que c' est moi le SEIGNEUR. » Ils firent
ainsi.
8 Le SEIGNEUR endurcit le cœur du Pharaon, roi d' Égypte, qui poursuivit les fils d'Israël, ces
fils d'Israël qui sortaient la main haute.
9b -tous les attelages du Pharaon, ses cavaliers et ses forces-près de Pi-Hahiroth, devant Baal-
Cefôn.
10a Le Pharaon s' était approché. Les fils d' Israël levèrent les yeux : voici que l' Égypte s' était
mise en route derrière eux !
15a Le SEIGNEUR dit à Moïse :
15c Parle aux fils d' Israël : qu'
on se mette en route!
16a Et toi,
16c étends la main sur la mer, fends-la : et que les fils d' Israël pénètrent au milieu de la mer à
pied sec.
17 Et moi, je vais endurcir le cœur des Égyptiens pour qu' ils y pénètrent derrière eux et que je
me glorifie aux dépens du Pharaon et de toutes ses forces, de ses chars et de ses cavaliers.
18 Ainsi les Égyptiens connaîtront que c' est moi le SEIGNEUR, quand je me serai glorifié aux
dépens du Pharaon, de ses chars et de ses cavaliers. »
21a Moïse étendit la main sur la mer.
21c Les eaux se fendirent
22 et les fils d'
Israël pénétrèrent au milieu de la mer à pied sec, les eaux formant une muraille à
leur droite et à leur gauche.
23 Les Égyptiens les poursuivirent et pénétrèrent derrière eux-tous les chevaux du Pharaon, ses
chars et ses cavaliers-jusqu' au milieu de la mer.
26 Le SEIGNEUR dit à Moïse : « Étends la main sur la mer : que les eaux reviennent sur
l'
Égypte, sur ses chars et ses cavaliers ! »
27a Moïse étendit la main sur la mer.
28a Les eaux revinrent et recouvrirent les chars et les cavaliers ; de toutes les forces du Pharaon
qui avaient pénétré dans la mer derrière Israël,
29 Mais les fils d' Israël avaient marché à pied sec au milieu de la mer, les eaux formant une
muraille à leur droite et à leur gauche.

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Rédaction finale

17b Dieu ne le conduisit pas par la route du pays des Philistins, bien qu' elle fût la plus directe.
Dieu s'
était dit : « Il ne faudrait pas que, à la vue des combats, le peuple renonce et qu' il revienne en
Égypte ! »
18a Dieu détourna le peuple vers le désert de la mer des Joncs.

19 Moïse prit avec lui les ossements de Joseph, car celui-ci avait exigé des fils d' Israël un
serment en leur disant : « Dieu ne manquera pas d' intervenir en votre faveur ; alors vous ferez monter
d'ici mes ossements avec vous. »
20 Ils partirent de Soukkoth et campèrent à Etâm, en bordure du désert.

7 Il prit six cents chars d'


élite, et tous les chars d'
Égypte, chacun avec des écuyers.

10c Les fils d'Israël


11 Ils dirent à Moïse : « L' Égypte manquait-elle de tombeaux que tu nous aies emmenés mourir
au désert ? Que nous as-tu fait là, en nous faisant sortir d'
Égypte ?
12 Ne te l'avions-nous pas dit en Égypte : Laisse-nous servir les Égyptiens ! Mieux vaut pour
nous servir les Égyptiens que mourir au désert. »

15b « Qu'
as-tu à crier vers moi ?

16b lève ton bâton,

19 L'ange de Dieu qui marchait en avant du camp d' Israël partit et passa sur leurs arrières. La
colonne de nuée partit de devant eux et se tint sur leurs arrières.

20 mais aussi les ténèbres ;

31b il mit sa foi dans le SEIGNEUR et en Moïse son serviteur.

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Schéma des récits de « guerre de Yahvé » selon la tradition deutéronomiste (Thomas Römer)
Exode 14 Josué 10 Juges 4 1 Samuel 7 2 Chroniques 20
1) L’ennemi Les Egyptiens les poursuivirent S’étant unis, les cinq rois Elhoud mort, les fils d’Israël Les Philistins apprirent que les Après cela, les fils de Moab et
veut attaquer et les rattrapèrent comme ils amorites – le roi de Jérusalem, le recommencèrent à faire ce qui fils d’Israël s’étaient rassemblés les fils d’Ammon, accompagnés
Israël campaient au bord de la mer roi d’Hébron, le roi de est mal aux yeux du SEIGNEUR. à Miçpa et les princes des par les Maonites, virent faire la
Yarmouth, le roi de Lakish et le Le SEIGNEUR les vendit à Philistins montèrent contre guerre à Josaphat.
roi Eglôn – montèrent, eux et Yavîn, roi de Canaan, qui régnait Israël.
toutes leurs troupes, assiéger à Haçor. Le chef de son armée
Gabaon et lui faire la guerre. était Sisera, mais celui-ci habitait
à Harosheth-Goïm.
2) Les fils d’Israël eurent grand Les hommes de Gabaon Les fils d’Israël crièrent vers le Les fils d’Israël l’apprirent et ils On vint l’annoncer à Josaphat en
Réaction d’Israël : peur et crièrent vers le envoyèrent dire à Josué, au camp SEIGNEUR, car Sisera avait eurent peur des Philistins. Les disant : “ Une grande multitude
découragement, SEIGNEUR. de Guilgal : “ Ne retire pas ton neuf cents chars de fer et il avait fils d’Israël dirent à Samuel : est venue contre toi d’au-delà de
peur, cri aide à tes serviteurs ; montez opprimé durement les fils “ Ne reste pas muet ! Ne nous la mer, c’est-à-dire d’Edom, et
vers nous rapidement pour nous d’Israël pendant vingt ans. abandonne pas ! Crie vers le les voilà à Haçaçon-Tamar, c’est-
sauver et nous secourir, car tous SEIGNEUR, notre Dieu, pour à-dire Ein-Guédi. ” Josaphat eut
les rois amorites qui habitent la qu’il nous sauve de la main des peur : il décida de consulter le
Montagne se sont coalisés contre Philistins ! ” SEIGNEUR et il proclama un
nous ”. jeûne sur tout Juda. Juda se
rassembla pour implorer le
SEIGNEUR ; on vint même de
toutes les villes de Juda pour
implorer le SEIGNEUR.
3) Moïse dit au peuple : “ N’ayez Josué monta depuis Guilgal et Elle (Deborah) fit appeler Baraq, Samuel prit un agneau de lait et … (prière de Josaphat)…
Exhortation : ne pas peur ! Tenez bon ! Et voyez avec lui tout le peuple sur pied fils d’Avinoâm, de Qédesh de l’offrit tout entier en holocauste Au milieu de l’assemblée,
pas craindre, faire le salut que le SEIGNEUR de guerre et tous les vaillants Nephtali et elle lui dit : “ Le au SEIGNEUR. Samuel cria vers l’esprit du SEIGNEUR fut sur
confiance à Yahvé réalisera pour vous aujourd’hui. guerriers. SEIGNEUR, Dieu d’Israël, a le SEIGNEUR en faveur d’Israël Yahaziël, fils de Zekaryahou fils
Vous qui avez vu les Egyptiens Le SEIGNEUR dit à Josué : “ Ne vraiment donné un ordre. Va, et le SEIGNEUR lui répondit. de Benaya, fils de Yéiël, fils de
aujourd’hui, vous ne les reverrez crains pas rassemble au mont Tabor et Mattanya, le lévite, des fils
plus jamais. prends avec toi dix mille d’Asaf. Il dit : “ Faites tous
hommes parmi les fils de attention, peuple de Juda,
Nephtali et les fils de Zabulon. habitants de Jérusalem et roi
Josaphat ! Ainsi vous parle le
SEIGNEUR : Ne craignez pas et
ne vous effrayez pas devant cette
multitude nombreuse,
4) Yahvé C’est le Seigneur qui combattra car je te les ai livrés ; aucun J’attirerai vers toi au torrent du car cette guerre n’est pas la vôtre,
marche devant pour vous. Et vous, vous resterez d’entre eux ne tiendra devant Qishôn Sisera, chef de l’armée mais celle de Dieu. Demain,
Israël / Yahvé se bat cois ! ” toi. ” Josué arriva sur eux à de Yavîn, ainsi que ses chars et descendez contre eux. Les voici
pour Israël l’improviste : il était monté ses troupes, et je le livrerai entre qui montent par la montée de la
depuis Guilgal durant toute la tes mains(…) Fleur, et vous les trouverez à
nuit. Débora dit à Baraq : “ Lève-toi, l’extrémité du ravin en face du
car voici le jour où le désert de Yerouel. Vous n’aurez

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SEIGNEUR a livré Sisera entre pas à y combattre ; présentez-


tes mains. Oui, le SEIGNEUR vous, arrêtez-vous et regardez la
est sorti devant toi. ” Baraq victoire du SEIGNEUR en vote
descendit du mont Tabor, ayant faveur. Juda et Jérusalem, ne
dix mille hommes derrière lui. craignez pas et ne vous effrayez
pas ! Demain, sortez au-devant
d’eux et le SEIGNEUR sera avec
vous.
5) … Le SEIGNEUR refoula la mer Le SEIGNEUR les mit en Alors, devant Baraq, le Or, tandis que Samuel offrait Au moment où ils commençaient
Intervention toute la nuit par un vent d’est déroute devant Israël et leur SEIGNEUR mit en déroute l’holocauste, les Philistins leurs acclamations de louange, le
miraculeuse de puissant et il mit la mer à sec. infligea une grande défaite à Sisera, tous ses chars et toute son s’avancèrent pour combattre SEIGNEUR mit des agents de
Yahvé contre les Or, au cours de la veille du Gabaon : il les poursuivit vers la armée –au tranchant de l’épée. Israël. Mais le SEIGNEUR, ce discorde parmi les fils
ennemis matin, depuis la colonne de feu montée de Beth-Horôn et les Sisera descendit de son char et jour-là, tonna à grand fracas d’Ammon, de Moab et de la
et de nuée, le SEIGNEUR battit jusqu’à Azéqa et jusqu’à s’enfuit à pied. contre les Philistins. Il les frappa montagne de Seïr venus en Juda
observa le camp des Egyptiens et Maqqéda. de panique et ils furent défaits et ils se battirent entre eux. Les
il mit le désordre dans le camp Or, tandis qu’ils fuyaient devant devant Israël. fils d’Ammon et de Moab se
des Egyptiens. Il bloqua les roues Israël et qu’ils se trouvaient dans levèrent contre les habitants de la
de leurs chars et en rendit la la descente de Beth-Horôn, le montagne de Seïr pour les
conduite pénible. L’Egypte dit : SEIGNEUR lança des cieux détruire et les exterminer. Quand
“ Fuyons loin d’Israël, car c’est contre eux de grosses pierres ils eurent fini avec les habitants
le SEIGNEUR qui combat pour jusqu’à Azéqa. de Seïr, ils contribuèrent à
eux contre l’Egypte ! ” s’anéantir les uns les autres.
A l’approche du matin, la mer
revint à sa place habituelle,
tandis que les Egyptiens fuyaient
à sa rencontre. Et le SEIGNEUR
se débarrassa des Egyptiens au
milieu de la mer.
6) Il ne resta personne. Ils moururent. Plus nombreux Baraq poursuivit les chars et Les gens d’Israël sortir de Miçpa Quand Juda parvint au
(Poursuite et) Le SEIGNEUR, en ce jour-là, furent ceux qui moururent par les l’armée jusqu’à Harosheth- et poursuivirent les Philistins de promontoire d’où l’on observe le
victoire totale sauva Israël de la main de pierres de grêle que ceux que les Goïm ; toute l’armée de Sisera leurs coups jusqu’en dessous de désert, il se tourna vers la
contre les ennemis l’Egypte et Israël vit l’Egypte fils d’Israël tuèrent par l’épée. tomba sous le tranchant de Beth-Kar. Samuel prit une pierre multitude : voilà que c’étaient
morte sur le rivage de la mer. Ni avant ni après, il n’y eut de l’épée ; il n’en resta pas un et la plaça entre Miçpa et La des cadavres gisant terre sans
Israël vit avec quelle main jour comparable à ce jour où le seul…En ce jour-là Dieu abaissa Dent. Il l’appela Evèn-Ezèr, aucun rescapé.
puissante le SEIGNEUR avait SEIGNEUR obéit à un homme, Yavîn, roi de Canaan, devant les c’est-à-dire : Pierre du Secours …
agi contre l’Egypte. Le peuple car le SEIGNEUR combattait fils d’Israël. La main des fils “ car dit-il, c’est jusqu’ici que le Et la crainte de Dieu fut sur tous
craignit le SEIGNEUR, pour Israël. d’Israël se fit de plus en plus SEIGNEUR nous a secourus ”. les royaumes des pays, quand ils
lourde contre Yavîn, roi de Les Philistins furent abaissés et apprirent que le SEIGNEUR
Canaan, jusqu’à ce qu’ils eussent ils ne recommencèrent plus à avait combattu contre les
abattu Yavîn, roi de Canaan. pénétrer dans le territoire ennemis d’Israël.
d’Israël. Et la main du
SEIGNEUR fut sur les Philistins
durant tous les jours de Samuel.

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Lire Exode 13,17-14,31


(Colette Briffard)

Présupposés méthodologiques
La lecture est vue comme le dialogue d' un sujet avec un partenaire, le texte, partenaire à
entendre. Le lecteur aura donc autant à se libérer des lectures imposées par avance qu' à
vérifier ses hypothèses de construction de sens grâce à une attention minutieuse au texte. Un
point butoir : le respect de la première situation de communication intégrant la première visée
du texte tout en faisant le deuil du texte source, que l’on ne peut atteindre. Travail de lecture
donc qui consiste à rendre à ces textes l’honneur d’être lus.

Pour lire,
1. partir des points qui posent problème au lecteur : anomalies, indices étranges,
contradictions, questions... Ici, contradictions ou obscurités quant à l’avancée, au trajet, au
motif du départ, aux campements, au temps de la marche, à qui crie et quand, à l’ordre de se
mettre en route ou de demeurer inactif…
2. mener une enquête, chercher à comprendre, émettre des hypothèses concernant la
situation première de communication : milieu producteur, date, genre socio-discursif, contexte
textuel, vouloir dire du texte vu comme réponse à des questions essentielles pour les auteurs
comme pour les premiers destinataires du texte. (On peut dire que se trouve élaborée dans Ex
13,17-14,31 une réponse aux questions que pose à tout peuple son origine, avec cette
particularité qu' il s'
agit d'
un peuple vaincu et déporté, que son avenir est en jeu et que la
guerre armée est impossible). Grâce à leur mise en texte, sous forme de récit épique ici ou
sous une autre forme, de quoi parlent au juste les auteurs avec quels moyens sémantiques,
quelle encyclopédie ? Quel message veulent-ils transmettre à leurs destinataires ? Comment
l'
organisent-ils ? Il s'agit d'
une tentative d'explorer les trois fonctions d'
un texte : cognitive,
interpersonnelle et textuelle. Un bon repère pour le travail de lecture, c' est-à-dire
d'interprétation.

Le texte d’Exode 13,17-14,31


Point d’appui : la présentation du texte en versions proposée par Thomas Römer (en
annexe)

I - Proposer un travail sur la version "combat" et un sur la version


"eaux fendues" en utilisant des outils qui s’adaptent le mieux possible à chaque texte.
Repérer, dans "eaux fendues", les récurrences, les dénominations des personnages, leur rôle ;
dans la version "combat", les traits de Yahvé, les caractéristiques du combat et la façon dont
on en parle. Observer les apports du rédacteur final.(en annexe : le texte en trois colonnes et
séparément les deux versions + la rédaction finale).

Version "eaux fendues" – L’enchevêtrement de récurrences de segments composés


parfois de plusieurs mots qui font refrains fait penser à un échiquier où les pièces se déplacent
selon les ordres d’un seul maître, Yahvé. Moïse est l’exécutant de Yahvé. Pharaon est
déclassé du rang d’adversaire de Yahvé à celui de marionnette aux mains de Yahvé. Les fils
d’Israël sont ceux qui ont marché sur “la sèche” au milieu de la mer. Si l’on compare avec Gn

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1 et 7-8, on s’aperçoit que la terre n’est pas dégagée de la mer pour exister et permettre la vie
mais que la mer est fendue pour ouvrir un passage, juste l’espace d’un chemin pour passer,
pendant un laps de temps pour aller vers l’existence.
Version "combat" – On retrouve le schéma d’un récit de combat assez classique, à
ceci près qu’un ordre curieux est donné : “ rester cois ”. Yahvé apparaît comme chef de guerre
marchant à la tête de son peuple, la main puissante, avec les traits d’un dieu de l’orage
(colonne de nuée, colonne de feu, fort vent d' est), auteur de la libération (salut, sauver) de son
peuple dominé par la peur. Il n’est pas l’origine divine d’une force militaire qui serait
déployée par le peuple. L’Égypte comprend que Yahvé combat pour “eux ” mais que ce n’est
pas un combat habituel et s’enfuit. La conclusion est la crainte de Yahvé par le peuple.

II - Conclusions interprétatives

1. Ceux qui écrivent ce texte comme le récit de la victoire de Yahvé sur Pharaon
veulent dire que leur libération est le fait de Yahvé, qu' eux n'y sont pour rien, ni leur force ni
les armes. Ils parlent en terme de salut. Yahvé combat pour eux et eux restent cois. Cette
perspective convient à la fois à un peuple qui a perdu la maîtrise guerrière tout en proclamant
que son Dieu est le Dieu de l' univers, maître du monde et donc de Pharaon.
Ces différents traits, cette théologie sont caractéristiques des deutéronomistes (3).

2. Ceux qui écrivent ce texte comme le récit de la création du peuple redonnent, par
le récit des eaux fendues desquelles surgit “la sèche ”, la force d' un mythe de victoire sur la
menace d' engloutissement, la menace de mort que représente la mer. Si l' instigateur de toutes
ces actions merveilleuses est Yahvé, l' acteur personnalisé est Moïse dont la main est armée
d'une puissance prodigieuse par Yahvé. Moïse et ce qu' il représente, à savoir la puissance de
la Tora, sont sans doute les piliers de référence des auteurs de cette version.
Par deux fois (v 22 et 29), on note que les fils d' Israël marchent ou ont marché "à pied
sec (sur la sèche) au milieu de la mer, les eaux formant une muraille à leur droite et à leur
gauche". La droite et la gauche représentent le sud et le nord ; l' avancée se fait donc, le dos à
ouest – à la mer, à la fin, à la mort – vers l'
l' est, promesse de vie et de renouveau : c' est
l'
orientation des sanctuaires au Proche-Orient.
Le vocabulaire de cette version contient des mots, relativement rares et donc
significatifs, de Gn 1 et Gn 7-8. Si l'on ajoute la référence à la loi mosaïque et au temple, on
est convaincu d' être devant la théologie sacerdotale (4). Marcher avec la loi c' est marcher sur
“la sèche ” au milieu de la mer, dans la bonne direction.

3. La rédaction finale prend acte des deux autres versions et ajoute sa problématique
sur la nécessité de "sortir d'
Égypte" (= revenir d'
exil) ? Seulement 20 à 30% des exilés sont

3 Les deutéronomistes. Un sursaut vital après la destruction du Temple, l’exil du roi comme de l’élite et la
domination babylonienne sur la terre, de la part de scribes intellectuels. L’Exil est la sanction de Yahvé et Yahvé
devient le dieu de l’univers (versus un dieu national comme Marduk ou Assur). Mais on présente Yahvé comme
ces dieux : guerrier victorieux dont Marduk n’est qu’un exécutant. Est élaborée une théologie deutéronomique
où l’essentiel est la libération qu’apporte Yahvé, le personnage principal Moïse, le cadre fondateur l’élection et
l’alliance et le destinataire le peuple.
4 Les prêtres s’intéressent davantage à la façon dont on peut honorer Yahvé quand on n’a plus de temple. Pour
eux les rites sont nécessaires et la théologie, comme discours sur Dieu, ne suffit pas. Leur proposition est de
remplacer un temple par un temps consacré (le sabbat), de remplacer les institutions théocratiques visibles dans
la royauté et le Temple par des institutions rituelles (le sabbat, la circoncision, les lois alimentaires, la pâque
familiale). Ces rites sont portatifs et les fils d’Israël où qu’ils soient peuvent les accomplir.
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revenus... la plupart préférant servir que risquer de mourir, si l' on se fie au verset 14,12. En
tout cas il faut garder la mémoire de Joseph, celui des pères qui n' est pas vraiment un
patriarche, qui a abouti en Égypte malgré lui et a voulu en revenir, celui qui fait le lien avec
les générations qui ont vécu en Égypte.
L'essentiel semble la confession de foi en Yahvé et en Moïse son serviteur. C' est la
synthèse qui conclut ce passage, assumée par le rédacteur final, qui a mis ensemble les deux
premières versions et inséré le thème du nécessaire retour pour habiter la terre d' Israël. La
guerre, la victoire sur la mort, le retour se trouvent tissés pour ne faire qu'un récit de traversée
de la mer comme mythe d' origine, comme naissance d' un peuple. Difficile d' imaginer
plusieurs récits relatant plusieurs passages de la mer quand ce passage désigne le
franchissement définitif de l' infranchissable, l' intervention décisive de Dieu au risque de la
mort.

4. Essai de reconstitution du travail de rédaction


Le rédacteur final connaît deux versions du passage de la mer, la version "combat" et la
version "eaux fendues" qu' il mobilise pour faire mémoire de l' origine du peuple et adresser un
message à sa communauté de lecteurs. On peut imaginer que la version "combat" est
antérieure et que pour y adjoindre la version "eaux fendues", il faut effectuer des
aménagements tout en donnant au récit fondateur une actualité valable pour les destinataires
contemporains du texte. On voit que la préoccupation du rédacteur est de justifier le passage
par la route du désert et d' inciter ses lecteurs à prendre la route du retour sur la terre en
emportant la mémoire de leurs ancêtres morts en exil, avec l' argument que rester sur la terre
étrangère c'est servir le vainqueur. Il se fait aussi le médiateur, le passeur, entre Élohim, dieu
de tous et Yahvé, grâce à l' ange de Yahvé pour aboutir à la foi en Yahvé et Moïse son
serviteur.

Colette Briffard

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De l’Ancien au Nouveau Testament.


L’exemple d’Exode 13,17-14,31
(Charles-Daniel Maire)

Présupposés
Les textes bibliques, notamment les récits comme celui que nous travaillons, peuvent
faire sens pour l’homme confronté aux problèmes sociaux et culturels de ce début de XXIe
siècle. Mais ils doivent aussi permettre aux chrétiens de l’an 2001 de fonder leur foi et de
la penser comme les Israélites pour qui, à l’origine, ils ont été rédigés. Je vais donc proposer
une lecture croyante dans la ligne de la déclaration conclusive de tout le passage : “ Le peuple
mit sa foi dans le Seigneur et en Moïse son serviteur. ” (14,31)

Ce récit peut être reçu comme un témoignage digne de foi1. Certes, il nous parvient
sous une forme qui soulève de nombreuses questions. Nous y reconnaissons des points de
suture et les rapports d’experts qui tentent d’en rendre compte doivent être examinés avec
attention car ils projettent sur le texte une lumière crue qui en fait ressortir toutes les
aspérités2.
Comme l’a fort justement affirmé Thomas RÖMER, ce texte nous place au cœur de la
foi hébraïque. L’expression sortir d’Égypte, pour désigner l’acte de libération revient 87
fois dans la Bible dont 83 fois dans l’AT. Aucune expression vétérotestamentaire ne renvoie à
la notion de salut plus fréquemment et plus clairement qu’elle. En plus, l’identité même du
Seigneur lui est attachée : “ Je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t' ai fait sortir du pays d'
Egypte,
de la maison de servitude. ” (Ex 20,2). Si le Seigneur semble d’abord se faire connaître
comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (14 fois), c’est incontestablement l’Exode qui
constitue l’élément le plus marquant par lequel il s’est fait connaître à tout le peuple3. Il
semble donc difficile de lire ce texte autrement qu’en tant qu’événement historique. En effet,
ou bien il relate un fait avéré, même si sa forme ne correspond pas aux règles de
l’historiographie moderne, et il peut fonder la foi, ou bien il fait partie d’un cycle de mythes et
présente un intérêt culturel considérable certes4, mais alors, comment pourrait-il fonder la foi
au Dieu de la Bible puisque la réalité historique démentirait les affirmations du texte ?

Principes de lecture
Ces présupposés conduisent à prendre le texte très au sérieux et donc à l’observer
attentivement. En effet, la foi ne peut être fondée sur des éléments marginaux, voire sur les
idées importées. L’observation du texte doit conduire à en dégager les enjeux et, si possible, à
repérer l’enjeu principal. Les textes bibliques recèlent quantité d’informations intéressantes et
utiles à la compréhension générale des situations relatées, mais pour retrouver la théologie des
auteurs, il est indispensable de dégager l’enjeu ou les enjeux du texte. L’exercice n’est pas
toujours facile, mais il est particulièrement intéressant et exemplaire pour Exode 13,17-14.31.

L’enjeu du récit
Le passage de la mer récapitule en quelque sorte tout le récit de l’Exode en le
dramatisant. Dès les premières plaies, nous assistons à la confrontation entre les acteurs

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principaux : le Seigneur et le Pharaon. Moïse et le peuple d’Israël d’un côté ne font que subir
et obéir, le Pharaon de l’autre ne peut accepter de trouver plus puissant que lui, aussi se laisse-
t-il attirer, avec son armée, dans un combat dont le passage de la mer constitue, d’après notre
texte, la phase décisive. L’enjeu est clairement explicité : “ Ainsi les Égyptiens connaîtront
que c' est moi le SEIGNEUR, quand je me serai glorifié aux dépens du Pharaon, de ses chars
et de ses cavaliers.” Déclaration répétée trois fois (Ex 14,4.17.18). Tout se passe comme si la
libération d’Israël était reléguée au second plan. L’enjeu principal est la gloire de Dieu. Ce
dernier ne semble pouvoir être glorifié que par la défaite totale et définitive de son adversaire
(vous ne les verrez plus jamais). Remarquons cependant que la défaite de l’adversaire n’est
que le moyen d’amener Israélites et Égyptiens à connaître ou à reconnaître le Seigneur.
L’affrontement entre le Seigneur et le Pharaon est au cœur de la théologie de
l’Exode : théologie stricto sensu et théologie du salut. En effet, le lien entre le Seigneur et la
libération qu’il opère pour son peuple est précisément celui qui est attesté par la déclaration
d’identité que nous avons déjà évoquée : “ Je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t' ai fait sortir du
pays d' Egypte, de la maison de servitude. ” Cette déclaration de foi est fondée sur un
événement qui a bouleversé l’existence du peuple. Le passage de la mer représente bien pour
la foi d’Israël ce que la résurrection du Christ représente pour la foi chrétienne5. On peut
même découvrir le même cheminement psychologique et religieux dans les deux cas. Cela
nous amène à nous intéresser à l’itinéraire du peuple.

Les lieux, les repères et les acteurs


Le récit place en parallèle plusieurs itinéraires. Il y a d’abord l’itinéraire
géographique difficile à reconstituer avec exactitude, mais suffisamment clair au regard de ce
qu’il veut dire. Puis il y a les itinéraires psychologiques et religieux – qu’on peut aussi appeler
étapes spirituelles – du peuple d’Israël d’un côté et du Pharaon et de son armée de l’autre. Ces
itinéraires se correspondent et les étapes géographiques semblent devoir marquer les étapes
spirituelles6. D’ailleurs, ce parallélisme restera le même pour la suite de la partie narrative du
Pentateuque. On se souvient de Mara7, la première étape après le passage de la mer. Ainsi,
Soukkoth est un carrefour où le peuple est dirigé vers un chemin indirect ; Pi-Hahirot la
souricière où le peuple d’Israël se voit perdu et le Pharaon vainqueur ; enfin sur la rive
orientale, les situations sont renversées : c’est la victoire définitive où la gloire de Dieu est
constatée et célébrée (chap 15).
Restent deux éléments du décor qui jouent un rôle important : la nuée et la mer. Ils
obéissent à Moïse comme à un chef d’orchestre ! La double face de la nuée place le peuple de
Dieu côté lumière et vie, l’armée du Pharaon côté ténèbres et mort. L’évocation de la création
est transparente, la mer comme symbole du chaos met en relief l’action de Dieu qui semble
tenir à présenter son acte libérateur dans la logique de son acte créateur.

Le rôle de Moïse est très réduit et pourtant c’est lui qui se trouve constamment
sur le devant de la scène ! Interface entre le Seigneur et le peuple comme il l’avait été entre le
Seigneur et le Pharaon, Moïse joue un rôle qui ne prend tout son sens que dans la perspective
de la suite de l’histoire, notamment dans le don de la loi8. Thomas RÖMER nous a fait
remarquer que notre texte est la seule occurrence biblique où il est dit du peuple qu’il crut au
Seigneur et en un homme. Ce constat n’est pas sans rapport avec la place que Moïse occupe
ensuite comme prophète par excellence.

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Recherche du sens
Une fois les enjeux dégagés et, comme ici, l’enjeu principal identifié, on peut passer
à la phase suivante qui consiste à dégager le sens que le texte avait pour ses premiers
destinataires. L’enjeu principal, la victoire totale et définitive du Seigneur sur le Pharaon
constitue donc l’élément de théologie narrative sur lequel le texte nous invite à réfléchir. Il
met l’accent sur la souveraineté du Seigneur. C’est lui qui fait passer le peuple par un
chemin incompréhensible, d’une part pour lui éviter de se décourager de devoir affronter les
difficultés d’une route dangereuse pour lui (13,17-18) et d’autre part il se sert de ce détour
pour attirer le Pharaon à la poursuite du peuple (14,3-4). C’est lui aussi qui “met les bâtons
dans les roues” des chars de l’armée du Pharaon9. C’est encore lui qui “endurcit” le Pharaon
pour le faire aller au bout de sa révolte10. Une telle affirmation de la souveraineté de Dieu
nous heurte de plein fouet. Elle est totalement incompatible avec la vision du monde que nous
partageons avec la société qui nous entoure. Nous voilà devant une alternative : ou bien
chercher à faire dire au texte quelque chose de plus acceptable ou bien laisser le texte
modifier notre vision du monde. Remarquons que si cette manière de parler de Dieu nous
heurte en raison de notre culture, il faut reconnaître que, de tout temps, la souveraineté de
Dieu a soulevé de sérieuses objections. Ces objections, à leur tour, se sont heurtées à une
question incontournable : comment Dieu pourrait-il être Dieu sans être souverain ? Ou pour le
dire autrement : un Dieu qui ne pourrait pas agir sur le cœur du Pharaon et le vaincre en
l’attirant dans un piège serait-il encore Dieu ?
Ajoutons que la souveraineté du Seigneur n’est pas présentée uniquement sous son
angle le plus choquant. Elle est aussi l’apanage du berger qui conduit son troupeau au milieu
du danger, le protège contre l’ennemi et le sauve de l’esclavage, de l’angoisse12 et de la mort.
1.1.1 Pour la théologie du salut, notre texte nous décrit l’expérience de tout homme qui
se heurte à l’incapacité totale de se sauver. Là aussi, il récapitule l’ensemble du récit
de l’Exode. Le peuple est dans une situation désespérée, il n’a plus d’autre choix
que de faire confiance au Seigneur ! Les paroles de Moïse ne sauraient mieux
exprimer ce que croire veut dire : “ N’ayez pas peur ! Tenez bon ! Et voyez le salut
que le Seigneur réalisera pour vous aujourd’hui. Vous qui avez vu ces Égyptiens
aujourd’hui, vous ne les verrez plus jamais. C’est le Seigneur qui combattra pour
vous. Et vous, restez cois ! ” (14,13-14). Toute la théologie du salut par la foi ne
tient-elle pas dans ces deux versets ?
1.1.2 Il serait intéressant de nous arrêter sur les signes cliniques du doute et de la
révolte que notre texte nous invite à considérer : peur panique face à une adversité
sans issues et tentation de retour en Égypte pour Israël (14,10-12). Regrets d’avoir
laissé échapper ses esclaves et poursuite suicidaire pour le Pharaon qui semble avoir
complètement oublié les épreuves passées (14,5-9). L’expérience humaine, loin
d’être éclipsée par la souveraineté de Dieu retrouve la place qui lui revient.
L’intervention du Seigneur ne débranche pas la volonté, au contraire elle la stimule
et attend d’elle une réponse. Ainsi, aussi paradoxal que celui puisse paraître à nos
yeux, l’intervention souveraine de Dieu libère !

Pistes d’appropriation

Est-il difficile de se reconnaître dans ce récit ? Peur, doute, refus du risque, révolte,
oubli des épreuves passées ne sont-ils pas des éléments constitutifs de la nature humaine ?

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Week-end à Paris – 10-11 mars 2001 sur le thème : Ancien et Nouveau Testament :
Peut-on, doit-on lire les deux ? L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ? Comment ?
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En définitive, la peur des uns ne vaut pas mieux que la révolte des autres, cependant le
texte affirme que ceux qui se savent perdus et qui, bon gré mal gré, suivent Moïse ont un
avenir tandis que ceux qui prennent le risque de s’opposer au Seigneur n’en ont aucun !

Exode 13,17 - 14,31 et le Nouveau Testament

Perspective générale
Même sans mentionner les textes du NT, l’expérience spirituelle et les symboles
évoqués par ce récit laissent percevoir comme en filigrane les grands thèmes du NT. Pour
parler à la manière de Paul, il faut vraiment avoir sur les yeux un voile (2 Co 3.14ss) pour ne
pas reconnaître dans ce récit une préfiguration de l’œuvre de salut du Christ. La tradition
patristique a usé et peut-être abusé de ce thème. Les textes du NT, eux, sont plus sobres.

Les textes
Ils ne sont pas nombreux et sont très brefs !
1 Co 10,1-2 est un bon exemple de la manière dont les textes pouvaient être sollicités
dans le judaïsme.
Je ne veux pas vous le laisser ignorer, frères : nos pères étaient tous sous la nuée, tous
ils passèrent à travers la mer et tous furent baptisés en Moïse dans la nuée et dans la
mer.
Curieux baptême, sans une goutte d’eau ! De quoi réconcilier partisans du baptême par
aspersion avec ceux qui n’admettent que l’immersion ! La nuée et sa double face, les ténèbres
représentant la mort et la lumière la vie, renvoie bien au thème de la mort et de la résurrection
du Christ auquel le néophyte est appelé à s’identifier dans le baptême chrétien. La mer ne
saurait mieux évoquer le passage du chaos à l’existence et au renouvellement proclamé par
Paul dans une autre épître : “ Si quelqu' un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le
monde ancien est passé, voici qu' une réalité nouvelle est là. ” (2 Co 5,17)
Hé 11,29 est l’une des scènes de la grande fresque des héros de la foi.

Par la foi, ils traversèrent la mer Rouge comme une terre sèche, alors que les
Egyptiens, qui s'
y essayèrent, furent engloutis.
Il s’agit bien de la foi du peuple. De la foi il en fallait pour suivre Moïse dans cet
itinéraire incompréhensible puis sur le fond d’une mer fendue ou retirée. Ce texte met l’accent
sur l’exigence de la foi qui ne peut s’exprimer seulement par de belles paroles, mais requiert
des actes qui engagent.

Conclusion
Alors, Ancien et Nouveau Testament : peut-on, doit-on lire les deux ? L’un et l’autre ?
L’un sans l’autre ? Comment ?

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Peut-on, doit-on lire les deux ? L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ? Comment ?
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Face au récit du passage de la mer, on éprouve un peu la même impression que devant
certains tableaux de maître qu’on ne peut réellement admirer qu’à distance. De près, les coups
de pinceau semblent maladroits et les couleurs désordonnées, mais au fur et à mesure que l’on
s’éloigne de la toile, le dessin apparaît plus nettement et ce qui était confus prend un relief
saisissant.
La lecture du passage de la mer exige un recul semblable. Après l’examen à la loupe
qui a révélé des retouches voire une œuvre réalisée sur une toile qui avait déjà servi, un
premier pas en arrière fait apparaître des visages angoissés, des gestes qui évoquent des
paroles, des symboles déjà observés ailleurs. En reculant encore, les jeux d’ombres et de
lumières prennent sens, une perspective de liberté se dégage, du coup on continue à s’éloigner
et c’est la grande émotion de voir surgir l’ombre de la croix et la lueur du matin de Pâques.

Charles-Daniel MAIRE
Bibliographie et notes
BLANDENIER, Jacques, L’Ancien Testament à la lumière de l’Évangile, Saint Prex : Édition
Je sème, 1998. 160. pp.
COLE, Alan, Exodus, London : Tyndale Press, 1973. 239 pp.
MICHAELI, Frank, Le livre de l’Exode, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé. 1974. 310 pp.
BERDER Michel, BIRNBAUM Michel, DELATTRE Bertrand et all. (Présenté par), « La
Pâque et le passage de la mer », Cahier Évangile N° 92, Paris : Service Biblique Évangile et vie,
Éditions du cerf, 1995. 99 pp.
1.
Nous suivons Frank MICHAELI lorsqu’il écrivait : “ Le récit repose-t-il sur un événement authentique
qui s’est réellement passé au moment du départ des Hébreux, ou n’est-il que le développement d’une notion
théologique (une délivrance miraculeuse) comme illustration concrète du thème du salut de Dieu pour son
peuple ? – Des historiens y ont vu une légende sans fondement historique et ont souligné le caractère
invraisemblable du récit (...) Cette opinion n’est plus guère suivie aujourd’hui. Même ceux qui voient dans le
récit un développement de la tradition dans le sens d’une amplification surnaturelle, ne contestent pas la réalité
d’un événement historique qui s’est produit, alors qu’ils renoncent à le reconstituer réellement [M. NOTH, J.
BRIGHT]. La foi d’Israël repose sur le souvenir réel d’une délivrance qui ne peut pas avoir été fictive. Que les
textes écrits ne puissent plus nous donner toutes les indications exactes que nous souhaiterions avoir, n’empêche
pas de penser qu’un événement exceptionnel s’est produit dans lequel les anciens Hébreux ont vu l’intervention
puissante et libératrice de la main de YHWH ”. L’Exode, p. 123.
2.
Cependant, la critique historique semble davantage servir à révéler une reconstruction tardive qu’à nous
rapprocher des événements dont le texte rend compte. Alors comment la concilier avec le principe qui se dégage
de l’ensemble de l’Écriture, à savoir que nous avons affaire à un récit transmis fidèlement même s’il a été stylisé
notamment lors de la probable phase de transmission orale ? Il nous semble qu’aussi longtemps que le résultat du
travail de la critique historique sera basé sur des hypothèses et non sur des faits incontestables, le principe de
fiabilité du récit doit demeurer valide. La critique historique excluant toute idée d’intervention surnaturelle, il est
normal que nous constations ses limites devant le récit du passage de la mer.
3.
Les deux expressions mettent l’accent sur le caractère communautaire de cette foi, cependant, la
référence à l’Exode est plus explicitement collective.
4.
Il est même apte à répondre à ceux qui cherchent un sens à leur vie.
5.
Voir point 4.2
6.
C’est un exemple caractéristique de la lecture spirituelle des Pères de l’Église, par exemple Origène.
Voir La Pâque et le passage de la mer, p. 64.

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7.
Dont le nom qui signifie amertume tire son origine d’une source d’eau amère.
8.
Introduite par la déclaration : “ Je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t'
ai fait sortir du pays d'
Egypte, de la
maison de servitude ”, la loi n’a de sens qu’avec la liberté retrouvée. Moïse en est le médiateur au même titre que
dans le processus de libération de l’Égypte.
9.
Le fond de la mer, en tout état de cause, convenait mieux à la marche à pied qu’à des chars dont les
roues pénétrant dans le sable y rencontraient peut-être des concrétions ?
10.
Paul reprenant à son compte cet exemple dans le Nouveau Testament (Rm 9,14ss), il est difficile
d’opposer le Dieu de ce chapitre à celui du Nouveau Testament !
11.
Mitsraïm, le nom hébreu pour l’Égypte, est de la même racine que le mot tsôr qui signifie angoisse.

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Caïn et Abel

Guide pour les ateliers sur Genèse 4

Différentes éditions d’un texte biblique

Comparer la traduction, les notes, le découpage, les intertitres des quatre


éditions de Genèse 4 proposées.

Voir les ressemblances et différences et essayer de mettre à jour le point de


vue de chacune des traductions, en observant particulièrement Genèse 4,1-16.

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Pour visualiser la Miniature du Miroir de l’Humaine Salvation, IV° siècle, musée


Condé, Chantilly.

http://www.sources-chretiennes.mom.fr/mythes_bibliques/PDF/39-60.PDF

page 49 du document

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Quelques notes concernant les éditions de Genèse 4


et le document iconographique
Pour amorcer votre travail sur la traduction, observez attentivement le verset 1 de ce
chapitre 4. Deux éditions font démarrer ce récit avec « l’homme » pour sujet et premier terme,
une autre avec «Eve» (Français courant), ce qui donne une accentuation différente. Le reste
du verset comporte d’autres variations qui donnent elles aussi des tonalités différentes.
Autre exemple évident, plus loin, verset 8 : toutes les éditions ne rapportent pas les
propos qu’échangent les deux frères.

Vous trouverez encore bien d’autres particularités dans les traductions proposées.
Prenez le temps de cette recherche, votre patience se trouvera récompensée : vous mesurerez
que ce texte biblique finalement n’est pas tout à fait le même selon les éditions. Cet exercice
est une invitation à prendre l’habitude de consulter plusieurs éditions de la Bible. En effet, si
vous êtes un lecteur familier de la Bible en Français courant, vous ne lisez pas tout à fait le
même texte que celui qui est un habitué de la Bible de Jérusalem, par exemple.

Cet exercice gagne encore en intérêt si l’on prend le temps de comparer les notes des
différentes éditions de ce texte.
Prenons l’exemple de la Bible de Jérusalem : cette édition cadre très fortement la
lecture du récit en le faisant précéder d’une note e) qui donne des explications mais affirme
aussi des interprétations. Il est intéressant de confronter ces interprétations au texte de Genèse
4 lui-même.
Il est également fructueux de comparer ce que la note f) dit du verset 1 et ce que dit ce
même verset. La « jubilation » de la femme et sa qualité de « servante » sont-elles dans le
texte ?
Toutes les notes des différentes éditions peuvent être analysées ainsi et devraient
l’être, effectivement, car ces notes orientent la lecture que nous faisons des textes. Et là
encore, avoir les notes de la Bible de Jérusalem ou être plutôt familier de celles de la Bible en
Français courant, ce n’est pas la même chose ! Ces notes construisent des parcours de
lecture, d’interprétations différentes.

Le document iconographique « Miniature du Miroir de l’Humaine Salvation » :


Ce document est composé de deux scènes : une en haut à gauche, l’offrande, et une en bas à
droite, le meurtre.
Les personnages : Abel est représenté presque comme un ange ; il est le parfait chrétien, un
moine priant, voire le Christ. Caïn, lui, mains ouvertes, semble discuter. Son chapeau le
désigne comme juif.
Cette miniature interprète Genèse 4 de la façon suivante : Caïn le juif tue Abel le chrétien.

Si vous vous intéressez aux déplacements que l’interprétation peut opérer par rapport au texte
biblique, nous vous recommandons la lecture de la revue Le monde de la Bible n°105, juillet-
août 1997 « Caïn et Abel », notamment l’article pages 43 et suivantes. « Les interprétations
des Pères de l’Eglise ».

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Ancien et Nouveau Testament :


le premier serait-il dévoilé par le second ?

Introduction aux interventions

Au moment où nous préparions ce week-end des 10-11.03.2001, paraissait une double


page sur le bibliste Paul Beauchamp et son travail, dans le journal La croix daté des
samedi 24 et dimanche 25 juin 2000.

Nous reproduisons ici l’extrait qui a tout particulièrement retenu notre attention :

La Croix : - Dans vos livres, vous ne cessez d’articuler la lecture de l’Ancien et du


Nouveau Testament. Quand en avez-vous eu l’idée ?

Paul Beauchamp : - Tout de suite. C’est le même Dieu depuis le début. D’une
certaine façon, le Nouveau Testament est la clé de l’Ancien qui reste voilé,
énigmatique. Comment se fait-il, notamment, que le livre de l’Exode hésite à attribuer
à Dieu ou à un ange exterminateur la mort des premiers-nés de l’Egypte ? C’est bien
obscur. L’Ancien Testament a besoin d’une clé, et le Nouveau Testament se présente
comme cette clé. Même si, par ailleurs, il reste plein d’ombres lui aussi.

Dans les textes des interventions qui suivent, Colette Briffard, Charles-Daniel
Maire, Emile Nicole et Thomas Römer disent à leur tour comment ils pensent le lien
entre Ancien et Nouveau Testament.

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peut-on, doit-on lire les deux ? L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ? Comment ?
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Ancien et Nouveau Testament :


le premier serait-il dévoilé par le second ?
(Colette Briffard)
Je vais énoncer quelques points, qui ne sont pas un discours organisé mais qui forment un
puzzle.
La première chose dont je me réjouis, et j’en ai pris conscience a posteriori, c’est que nous
ayons résisté, sans nous l’être dit explicitement, à faire appel, pour un week-end de ce type, à
des représentants de toutes les confessions. Quelqu’un, à qui je présentais la session, me
disait : “ Mais, dans votre table ronde, il manque un rabbin. ” J’ai répondu : “ Oh ! non ! ” ce
qui était fort présomptueux. Ce que je voulais dire, c’est que le problème que nous nous
posons n’est pas un problème à poser au niveau confessionnel, mais au niveau du rapport
qu’entretiennent des lectrices et des lecteurs avec des textes. Voilà comment je vois la
question du rapport A.T./N.T. Les points de vue confessionnels ont très souvent le tort, à mes
yeux, de chercher à résoudre toutes les contradictions qu’il peut y avoir – et il y en a – dans
l’A.T. comme dans le N.T., avec, en plus, la fâcheuse tendance à défendre Dieu, c’est-à-dire à
défendre leur vision de Dieu.

Deuxième point – J’ai une espèce de tic que je considère comme un détour obligé, qui est,
schématiquement, de ne pas dire : “ Dieu a fait cela ”, mais de dire : “ les auteurs de ce texte
disent que Dieu a fait cela. ” Ce détour-là, vraiment, je le prends comme un essai de
déontologie du lecteur. Ces textes existent et ne sont pas des pré-textes.

Troisième point – Cela me contraint, me limite, dans mon approche des textes, à accorder
une attention particulière à la première situation de communication. C’est-à-dire, en fait,
tenter vraiment de comprendre les textes comme la réponse qu’ont apportée des hommes – il
n’y a pas beaucoup de femmes – à une question, à des questions fondamentales pour leur vie
humaine, à l’intérieur de laquelle la dimension religieuse est incluse. Ces questions sont
tellement essentielles, fondatrices, fondamentales qu’on ne peut les traiter qu’en en posant
d’autres. Ce ne sont pas des textes qui apportent des réponses définitives, toutes faites mais
des textes qui sont faits pour faire réfléchir, pour faire penser ceux qui les lisent, pour, je
pourrais aller jusqu’à dire, pour faire vivre, à condition de ne pas opposer penser et vivre. Ils
reprennent pour ce faire d’autres textes écrits avant eux et dialoguent avec eux.

Quatrième point – Je constate que le corpus du N.T., que nous avons englobé dans la Bible
chrétienne comme faisant partie des Écritures, que ce N.T., en fait, s’appuie sur ses Ecritures
à lui et que ses écritures à lui, ce n’est pas lui. Cette situation-là est à respecter. Je crie gare
quand l’appropriation des écritures devient un détournement du type de celui que j’évoquais
ce matin par rapport à Caïn et Abel concernant les notes de la B.J. Il y a eu le temps d’écriture
du N.T. qui s’est intéressé à dire que Jésus accomplissait les Écritures. Le N.T. l’a fait et
prenons-le comme tel, allons voir comment le N.T. dit cela, ce qu’il dit en disant cela.

Et enfin, dernier point par rapport à l’A.T. – Je voudrais donner la parole à l’A.T. pour lui-
même, le considérer comme un interlocuteur à part entière du dialogue avec le lecteur, dans le
respect de son autonomie de sens. Ce n’est pas une perte, ce n’est pas un sens moindre dont il
y aurait un plus : le sens chrétien. Ce qui serait une perte, ce serait de ne pas lui donner sa
propre parole. Toutes les constructions de sens opèrent des choix et ne peuvent prétendre à
l’exhaustivité, la lecture chrétienne comme les autres. La validité d’une lecture est dans
l’attention au texte.
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Ancien et Nouveau Testament :


le premier serait-il dévoilé par le second ?
(Charles-Daniel Maire)

A peu près à la même période que Paul Beauchamp, mais dans un milieu totalement différent,
j’ai aussi été saisi par le caractère tragique de l’AT. Aussi loin que remontent mes souvenirs,
ses personnages qui se combattent ou s’étripent étaient mes héros et je ne me souviens pas
d’avoir été choqué par toute cette violence. Ces récits bibliques faisaient tellement partie de
ma culture d’enfant que, devenu adulte, j’ai dû prendre conscience qu’ils pouvaient être
vraiment choquants ! Le caractère tragique de ces récits dont le principal enjeu est la victoire
du bien sur le mal et de la vie sur la mort a provoqué en moi une impression très forte qui a
profondément marqué ma perception de l’ensemble de la Bible. Je demeure persuadé que leur
lecture peut avoir un rôle éducatif et qu’il est regrettable qu’ils ne fassent plus partie de nos
références culturelles et ne jouent pratiquement plus de rôle dans l’éducation des jeunes
générations.

Si l’on commence, comme moi, par se passionner pour ces histoires et leurs héros même les
plus discutables, peu à peu la lecture du NT et la prise de conscience que les valeurs des héros
de l’AT ne sont pas compatibles avec la morale chrétienne font aspirer à un sens plus large.
Certes ils communiquent un motif spirituel important : Dieu intervient dans la vie des
humains, aussi y a-t-il avantage à se placer de son côté en mettant toute sa confiance en lui.
Mais reste à relier les deux Testaments Le motif de l’accomplissement peut alors s’imposer
comme le seul capable de réaliser ce tour de force. Il arrive malheureusement que ce motif
monopolise la lecture de l’AT. Par exemple, assez souvent, des abonnés à ÉPI, le guide de
lecture dont je coordonne la rédaction, m’écrivent pour dire leur déception lorsqu’un auteur
propose une lecture d’un texte de l’AT qui fait abstraction de cette dimension. Toute la
tradition qui remonte aux Pères de l’Église, et dont se réclame Beauchamp, peut quelquefois
servir à niveler les difficultés des textes à coup de christologie. Cet effet pervers se manifeste
surtout quand le Nouveau Testament est considéré comme devant tout expliquer de l’Ancien
alors que les renvois du Nouveau à l’Ancien ne procèdent pas tous de cette manière.

Prenons l’exemple de Caïn et Abel que nous avons travaillé ce matin. Quand le texte des
Hébreux (chap. 11) déclare “C’est par la foi qu’Abel offrit un sacrifice meilleur que celui de
Caïn...” il ne cherche pas à nous expliquer la foi d’Abel, mais à nous inviter à retourner au
texte de la Genèse. Tout Hébreux 11 semble nous dire : “Si vous voulez savoir ce qu’est la
foi, lisez l’AT”. La brièveté de ces renvois suppose que l’AT était bien connu des premiers
chrétiens, mais aussi, et probablement surtout, qu’il demeurait leur référence principale.
Donc, loin de nous proposer une lecture mutilante de l’AT, le NT nous encourage à relire ces
textes pour eux-mêmes.

Les rapports possibles entre les deux Testaments ne s’arrêtent pas là et il y a danger de ne les
envisager qu’à l’aide d’un seul paradigme. Les principaux rapports me semblent bien exposés
dans le petit livre de Jacques Blandenier, L’Ancien Testament à la lumière de l’Évangile. Cet
ouvrage constitue une excellente présentation du point de vue évangélique certes, mais
largement appuyé sur des ouvrages de théologie biblique dont les auteurs ont marqué le
dernier quart du XXe siècle.

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La démarche de Beauchamp met en relief une particularité intéressante pour une lecture
œcuménique de la Bible. La lecture des protestants évangéliques s’enracine aussi dans celle
Pères de l’Église. Chacun sait que les évangéliques sont demeurés longtemps en dehors de
l’œcuménisme qui leur semblait une affaire propre aux réformés et aux catholiques. Or la
lecture commune de la Bible révèle un point commun entre catholiques et évangéliques qui
créé une sorte de triangulation ! Réformés et évangéliques* se retrouvent dans leur commune
revendication du Sola Scriptura si important pour l’identité protestante, mais évangéliques et
catholiques se retrouvent quand ils adoptent la lecture de l’AT dans la perspective du NT à la
manière de Beauchamp. Ainsi, la lectio divina, telle qu’elle est restaurée par la communauté
de Bose en Italie ou par Mgr Martini à Milan, constitue un choc pour l’évangélique. Il se sent
tout à coup sur la même longueur d’onde que le catholique sur un point où il se croyait
irrémédiablement opposé à lui : la lecture de la Bible ! Réformés et catholiques se retrouvent
sur l’accueil des thèses de la critique même si les uns et les autres leur donnent une place
différente dans leur réflexion. Cette triangulation est loin de gommer les difficultés, mais elle
constitue un fondement solide et sans doute un nouveau point de départ pour un œcuménisme
de la base qui ne pouvait se faire jusqu’à récemment qu’à deux contre un.

Charles-Daniel MAIRE

* La distinction entre réformés et évangéliques ne tient que dans la mesure où actuellement, ce sont les
théologiens évangéliques qui s’identifient à l’approche biblique des Réformateurs, alors qu’une grande partie de
la mouvance réformée a pris ses distances par rapport à eux. Voir par exemple, Hans Christophe ASKANI,
Écriture", in Information Évangélisation, Nº 6, décembre 2000, p.16).
"Autorité de l'

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peut-on, doit-on lire les deux ? L’un et l’autre ? L’un sans l’autre ? Comment ?
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Ancien et Nouveau Testament :


le premier serait-il dévoilé par le second ?
(Emile Nicole)

Je voudrais exposer ce que j’avais prévu sans essayer d’entrer forcément en dialogue avec ce
qui a été dit. Il y aurait des éléments de dialogue qui seraient importants mais vous pourrez
juger par vous-mêmes des éléments de continuité ou de discontinuité entre ce qui a été dit et
ce que je vais vous exposer maintenant.

Je voudrais partir de ma situation, de notre situation historique concrète, actuelle.

Si je lis l’AT c’est parce que je suis chrétien. L’AT, je l’ai reçu des mains des croyants qui
m’ont précédé au cours des siècles et qui eux-mêmes l’avaient reçu de Jésus et des apôtres. Et
ces croyants m’ont légué, nous ont légué une Bible constituée d’un Ancien et d’un Nouveau
Testaments. Et même lorsque le NT est édité seul, il suffit de le lire pour constater qu’il n’est
pas lisible sans le volume qui le précède. Dès le début de l’évangile de Matthieu, avec les
généalogies, on est renvoyé nécessairement à l’AT. D’ailleurs, les traducteurs de la Bible,
dans les générations passées, lorsqu’ils traduisaient la Bible dans des langues nouvelles,
traduisaient uniquement le NT. Ils en sont revenus et constatent qu’on ne peut pas publier un
NT si on n’a pas, au moins une sélection de l’AT pour lui servir d’arrière-plan. Donc ça fait
partie de notre héritage chrétien, et avec cet héritage d’une Bible constituée d’un AT et d’un
NT, nous a été léguée aussi une manière d’appréhender cet héritage, une manière de gérer cet
héritage et cette manière de l’appréhender, je la résumerai sous deux aspects qui ont déjà été
évoqués par Thomas Römer : la continuité et la rupture.

La continuité : l’AT est nécessaire pour comprendre le NT. La personne, l’œuvre de Christ ne
peuvent être comprises qu’en référence à ( si je dis le cadre certains ne vont pas l’apprécier,
est-ce que l’on peut dire l’arrière-plan ?) ce qui a été posé par l’AT et qui permet de
comprendre la personne et l’œuvre du Christ ; de toutes manières le NT se réfère
constamment à l’Ancien comme à une source de révélation fiable. Cela, c’est l’aspect de la
continuité.

Le second aspect qui est en tension avec le précédent, c’est l’aspect de la rupture. Il y a une
ancienne et une nouvelle alliance, la venue du Christ qui est présentée dans le NT comme le
Fils de Dieu, comme une révélation définitive ; cette venue apporte des changements qui sont
des changements profonds et on pourrait évoquer l’un de ces changements : la composition du
peuple de Dieu ; le peuple de Dieu n’est plus une nation donnée, le peuple de Dieu est un
peuple de croyants appartenant à toutes les nations.

Alors ces deux aspects qui sont en tension déterminent une responsabilité pour le lecteur.
Comme il n’y a pas une ligne qui va dans le même sens mais comme il y a les deux aspects en
tension, le lecteur est invité à un discernement, le lecteur ne peut pas lire l’AT comme s’il
était le Nouveau. Cela a été la tendance dominante dans l’histoire de l’interprétation
chrétienne de l’AT : lire l’AT comme s’il était le Nouveau ; on le perçoit d’une manière
encore assez nette à l’époque de la Réforme. Quand on lit l’AT comme s’il était le Nouveau,
d’une part on perd une part de la spécificité de l’Ancien parce qu’on sait déjà ce que l’on va
lire puisqu’on lit l’AT comme s’il était le Nouveau, et d’autre part on risque de perdre aussi
une partie de la spécificité du Nouveau, j’en veux pour preuve la manière dont a été conçu le
peuple de Dieu depuis l’époque de Constantin jusqu’au 20e siècle, disons, dans une frange
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non négligeable de la chrétienté ; c’est une manière beaucoup plus vétérotestamentaire que
néotestamentaire de concevoir le peuple de Dieu lorsqu’il y a cette association très étroite
entre la nation et l’Eglise, entre l’identité ethnique et l’identité spirituelle.

Donc, derrière cet effort de discernement demandé, je perçois une stratégie, une stratégie
développée en direction du lecteur et ce discernement auquel est appelé tout lecteur de cette
Bible composée d’un Ancien et d’un Nouveau Testaments, on acquiert d’autant mieux ce
discernement qu’on en a aperçu la nécessité et qu’on en perçoit, on pourrait dire encore le
cadre –on pourra en discuter- parce que cette parole n’est pas seulement une source d’idée ou
de sens mais elle est aussi, elle apparaît aussi, en tout cas elle se présente comme un critère de
vérité. Tout apprentissage présuppose un domaine, un espace où il est possible d’évoluer, de
se mouvoir, de tâtonner et c’est cet espace de discernement que nous offre l’Ecriture, Ancien
et Nouveau Testaments.

Donc en réponse à la proposition, aux convictions de Paul Beauchamp, je dirai oui : l’AT est
dévoilé par le Nouveau, mais j’ajouterai immédiatement, réciproquement : le Nouveau a
besoin de l’Ancien pour être compris ; sans l’AT le NT serait-il voilé, je ne sais pas si le
terme de “ voilé ” correspondrait bien, mais en tout cas on devrait dire qu’il serait tronqué,
qu’il serait elliptique, qu’il serait sans racine.

Je terminerai par quelques remarques sur la diversité des types de discours dans l’AT qui me
paraît un élément important, dont je suis redevable en partie à la lecture de Westermann (cf.
son ouvrage Théologie de l’Ancien Testament) la diversité des types de discours est l’une des
caractéristiques de l’AT. Il n’y a pas une forme d’un discours type, il y a des formes de
discours dominants, il y a au moins 5 types principaux de discours : il y a le discours de la
Loi, le discours de la narration, le discours de type prophétique, il y a le discours-prière -
parole adressée par l’homme à Dieu-, il y a le discours-sagesse. Le Nouveau en revanche ne
se présente pas comme un Ancien Testament en miniature. On retrouve certaines de ces
formes de discours, on peut même dire qu’on les retrouve toutes, mais je ne sais pas trop où
on retrouverait la sagesse, elle est difficile à retrouver dans le Nouveau Testament, peut-être
l'épître de Jacques pourrait-elle être associé à la Sagesse ; mais le NT ne se présente pas
comme un AT miniature avec ses trois parties de la Torah ou avec les 5 livres de Moïse, le
NT reprend, il y a donc la narration qui est l’une des formes dominantes du NT comme dans
l’AT, je veux dire qu’il y a une continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament, mais il y a
quand même un vide assez sérieux dans le NT concernant les hymnes, les prières, et ce vide
on le voit très bien puisque dans la piété chrétienne c’est le livre des Psaumes qui a toujours
été le livre de la prière, donc le NT ne remplace pas l’Ancien, le NT vient le compléter et
également, la littérature de sagesse, il n’y a pas de corpus de littérature de sagesse dans le NT,
c’est à la littérature de sagesse de l’AT qu’il renvoie. D’ailleurs, il est assez frappant de
constater que le livre des Proverbes est très souvent cité dans le NT, ce qui pose d’ailleurs des
questions sur l’étendue du canon dont disposent les auteurs du NT (l’apôtre Paul cite assez
fréquemment aussi le livre des Proverbes).

Emile NICOLE

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Ancien et Nouveau Testament :


le premier serait-il dévoilé par le second ?
(Thomas Römer)

Rappel méthodologique : il n’y a pas un Ancien Testament mais au moins trois :


♦ L’AT catholique
♦ L’AT « protestant » mais conservant l’ordre de l’AT catholique sans les
Deutérocaniques
♦ L’AT qui correspond à la Bible hébraïque (dans l’ordre où la TOB l’a adopté)

Donc il convient d’abord de définir ce qu’on entend par « Ancien Testament ».

Rappel historique : dès le 2e siècle, l’Eglise chrétienne a eu des problèmes avec ce qu’on
appelle l’AT.
Cela commence avec Marcion qui avait beaucoup de succès et qui voulait se
débarrasser de l’AT avec une lecture dualiste, puisqu’il considérait que tout ce qui est dans
l'AT est mauvais et tout ce qui est dans le Nouveau, bon ; mais ce Nouveau Testament de
Marcion était restreint car il ne contenait que Luc et un peu de Paul. L’Eglise, la « grande
Eglise » n’a pas accepté cette solution mais, à mon avis, c’est quand même une tendance qui
l’a accompagnée jusqu’au 20e siècle et qui est toujours présente. On le voit dans une certaine
opposition entre Loi et Evangile que les protestants aiment beaucoup mais qui, à mon avis, est
mal comprise par rapport à ce que voulait dire Luther, car elle identifie l’AT à la loi et le NT à
l’Evangile.

Rappel théologique : Les modèles chrétiens courants pour définir la relation AT-NT
peuvent se résumer dans les modèles suivants (si l’on ne rejette pas l’AT) :
♦ Loi - Evangile en relation d’opposition
♦ Promesse et accomplissement : Jésus-Christ est le messie annoncé
♦ Approche typologique, (ce que fait Paul Beauchamp), c’est-à-dire les figures
ou les récits de l’AT préfigurent en fait ce qui va se passer dans le NT. Par exemple Josué qui
porte le même nom que Jésus préfigure, d’une certaine manière, l’œuvre de salut que le Christ
va accomplir, toujours avec une spiritualisation : l’entrée du pays par Josué devient l’entrée
dans le Royaume par Jésus. C’est assez courant. Je caricature un tout petit peu, mais c’est un
peu la démarche de Paul Beauchamp.
Le fondement biblique pour ces modèles se trouve chez Paul : 2 Cor 3,14 dans le
contexte d’une relecture de l’histoire du voile de Moïse après le séjour au Sinaï : « Mais leur
intelligence s’est obscurcie. Jusqu’à ce jour lorsqu’on lit l’Ancien Testament, ce même voile
demeure. Il n’est pas levé car c’est en Christ qu’il disparaît ».
Dans la première attestation de l’expression « ancienne alliance », il ne s’agit sans
doute pas d’une référence à l’AT tel que nous utilisons l’expression aujourd’hui (et il n’existe
d’ailleurs encore aucun NT). Il peut s’agir d’une allusion à la lecture synagogale de la Torah
(« voile » fait peut-être allusion à une coutume concrète -cf. la synagogue de Doura Europos,
où, sur une peinture, la Torah est couverte d’un voile).

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Donc : Paul n’oppose pas deux livres. Il reproche au peuple juif son endurcissement,
s’inscrivant par là dans la tradition prophético - deutéronomiste.
Paul utilise l’image de l’endurcissement et du voile pour expliquer pourquoi une
grande partie des juifs n’acceptent pas de reconnaître en Jésus la clé de l’Ecriture (bien sûr
liée à la question du statut de la loi).
Donc, j’ai envie de comprendre cet énoncé de Paul dans un contexte polémique précis
et non pas comme une doctrine atemporelle (cf. par ailleurs ce que Paul dit sur les rapports
entre juifs et chrétiens en Rom 9-11).

Deux remarques qui concernent un, voire deux malentendus assez fréquents :
a) Il n’y a pas « une » seule lecture chrétienne de l’AT comme il n’existe pas « une »
seule lecture juive de la BH
b) La lecture juive traditionnelle n’est pas plus « proche » de la BH que la lecture
chrétienne/christologique traditionnelle.
Et le judaïsme et le christianisme possèdent une instance de médiation (donc en
quelque sorte les juifs ont également leur « NT »).

Christianisme Judaïsme

AT Torah écrite Tanak

Bible Bible
NT hébraïque Torah orale Talmud

Dans les 2 lectures traditionnelles, on considère que la Bible Hébraïque a besoin


d’une clé : christologique ou rabbinique.

Point de départ : En ce qui concerne la lecture chrétienne : l’Eglise avait « renforcé »


cette clé de lecture christologique par la tradition et le magistère ; la Réforme a refusé cette
grille supplémentaire et a prôné le retour à la Bible seule : tout un chacun peut lire la Bible
sans magistère. C’est donc à partir de cette affirmation du lecteur libre de la Bible que
j’aimerais radicaliser cette affirmation par les thèses suivantes :

1. La Bible hébraïque doit d’abord être lue telle qu’elle est ; elle ne doit être ni
christianisée ni judaïsée.
Les lectures christologique ou rabbinique contiennent le danger d’un appauvrissement
de lecture ; il s’agit de lectures « harmonisantes » qui éliminent ce qui est obscur,
incompréhensible, choquant dans la BH.

2. On peut lire la BH comme un document qui se suffit à lui-même, mais cette affirmation
n’est pas valable pour le NT. Pour moi, c’est une des très grandes erreurs de toutes les
sociétés bibliques que de publier le NT comme un livre à part, comme si cela suffisait.
Le NT n’a jamais été rédigé pour constituer un canon à part. Il a toujours été écrit
comme un complément. Donc le NT n’a pas été conçu ni pour abolir, ni pour remplacer

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la Bible hébraïque. Ca c’est une différence par rapport au Coran. Le Coran a été écrit
pour remplacer les écrits des juifs et des chrétiens.

3. Le NT est un « midrash » de la Bible hébraïque c’est-à-dire une actualisation. Cette


actualisation peut bien sûr aussi contenir des interprétations ou lectures conflictuelles
avec l’AT.
Il n’existe quasiment aucun texte du NT qui pourrait se comprendre indépendamment
de son arrière-fonds vétérotestamentaire (cf. par ex. le sermon sur la montagne, le récit
de la transfiguration, etc.).

4. Le lien entre « AT » et « NT » se trouve justement dans cette dynamique


d’actualisation constante. Déjà, à l’intérieur de l’AT, on observe ce phénomène de
relectures successives que cela soit au niveau des lois (cf. Code de l’Alliance/Code du
Deutéronome/Code Sacerdotal) ou au niveau des récits (cf. la reprise des livres de
Samuel et Rois dans les livres des Chroniques). Les auteurs du NT s’inscrivent dans
cette même dynamique de réinterprétation.

5. Par la figure centrale du NT, Jésus confessé comme Christ, c’est-à-dire Messie, la
relation entre AT et NT est paradoxalement en même temps une relation de continuité
et de rupture.
Rupture par rapport au statut de la loi, continuité dans l’affirmation d’un Dieu qui
sauve de l’aliénation (cf. par ex. la structure exodique du NT).

6. Lire la Bible hébraïque pour elle-même n’est pas un appauvrissement mais au contraire
un enrichissement quelles que soient les options religieuses ou idéologiques du lecteur.

Thomas RÖMER

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