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Les trois sorcières de Cassis http://balades.contingences.

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Bouches-du-Rhône et Var

Les refusants d’Aigues-Mortes

Pèlerins ou conscrits
préhistoriques dans la vallée des
Publié par Christian Bonnet | lundi 22 juin 2009 | Mis à jour le jeudi 28 novembre 2013
Merveilles
En 1614, trois femmes déclarées coupables de sorcellerie, furent brûlées en place publique à Cassis. Qui étaient-elles ?
Maléfices et superstitions en
Qui était le sieur Curet, juge civil qui les condamna ? Et quel était au juste leur crime ? Les documents d’époque
Provence, au 19e siècle
parvenus jusqu’à nous ne répondent que très partiellement à ces questions. Nous tenterons donc une reconstitution
La galerie de La Madeleine
plausible des évènements.
La Marie-Madeleine de la Sainte
On raconte que la population, exaspérée par leurs sortilèges, les aurait chassées du village et qu’elles se seraient alors
Baume
réfugiées non loin de Toulon, dans le massif du Gros-Cerveau où une grotte leur est toujours attribuée. C’est donc là
Promenades et rêveries en Saint-
que nous mènerons notre balade.
Barth…

Le balcon de la Sainte-Baume

Sur les traces de Saint Eucher

Sur le plateau d’Aubrac :


randonneurs et pèlerins

Le corps de Rossolina

Du 13e au 18e siècle, les autorités religieuses et laïques se livrèrent dans toute l’Europe à une répression de la
sorcellerie qui, par son caractère systématique, s’apparente à une purification ethnique. On parle de « chasses aux
sorcières » car les trois quarts des prévenus étaient des femmes.
Le nombre des victimes n’est pas aussi élevé qu’on le croit. Compte tenu des incertitudes du comptage, le site
Hérodote
le situe dans une fourchette de 60 000 à 120 000, dont la moitié environ fut brûlée.

Les autres ne s’en tirèrent pas indemnes : ruinées, rejetées par leurs proches, estropiées le
plus souvent, elles pâtirent leur vie durant des séquelles du procès.

La répression atteint son apogée, grosso modo entre 1560 et 1660 c’est-à-dire durant les
Chronologie Trois préludes douloureux de l’Europe moderne, alors que guerres, pestes et disettes menaient
sorcières
leur sarabande.
De la réunio n de la
Provence au royaum e
au dernier pro cès lo cal
en so rcellerie.

La peste prend un caractère endémique. Elle sévit, ici ou là, épisodiquement. L’épidémie
de 1580, apportée à Marseille par un navire du Levant, fut l’une des plus violentes qu’eût
à subir la Provence avant celle de 1720. Cette affection terrifiait la population. Pourquoi
apparaît-elle ? Et surtout pourquoi disparaît-elle ? Personne n’a de réponse à la première
question. On accuse donc les Juifs, les étrangers, et bien sûr, sorciers et sorcières. À
l’inverse, tout le monde connaît la réponse à la seconde question : la peste cesse sur
intervention de La Vierge ou d’un(e) saint(e) local(e) à qui on ne manque pas de rendre
grâce par de spectaculaires processions ou la construction d’une église. C’est ainsi que les Cassidains bâtirent Notre
Dame de Santé (devenue N. D. du Bon Voyage).

Comme la peste, les guerres deviennent endémiques entre 1561 (début des guerres de
religion) et 1648 (fin de la
Guerre de Trente ans). Soit près d’un siècle de guerres.
Au début du 17e siècle, pas encore sortis des guerres de religion mais bataillant déjà
contre les Habsbourg, Louis XIII et Richelieu arment Toulon en port militaire. Les
Provençaux, « réunis » à la couronne depuis un peu plus d’un siècle, commencent à se
sentir hexagonaux en souffrant des ennemis de la France.

Les guerres dites « de religion » n’ont de religieux que l’habit, le prétexte. Sur le fond, elles ont pour objectif la
conservation, la conquête ou l’accroissement du pouvoir, comme les guerres conventionnelles. Elles s’en distinguent par

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l’emploi
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de nos guerres Françaises de religion, à 10 % de la population, ce qui, rapporté à la population contemporaine, ferait
six à sept millions de personnes. Les chiffres laissent deviner l’ampleur des dégâts de tous ordres.
Ces guerres ont rompu les liens familiaux et les rapports d’allégeance médiévaux. Des princes du sang n’hésitaient pas
à passer à l’ennemi, les rois, pris de « coup de majesté », faisaient assassiner leurs proches, quand ils ne succombaient
pas eux-mêmes sous les coups d’un spadassin : ainsi Henri IV en 1610. Les nobles s’alliaient de gré à gré et
entretenaient une insécurité permanente.

La Provence acquit, dans les guerres de religion, une triste précocité avec le massacre des Vaudois du Luberon en
1545 achevant l’éradication entreprise une cinquantaine d’années plus tôt dans le Briançonnais.
Après les massacres de la saint Barthélémy en 1572, la Provence s’enfonce dans les troubles et l’anarchie. La guerre y
faisait rage : sur tout le territoire de la province, les châteaux, les villages, étaient assaillis, pillés, mis à feu et à sang
par les bandes adversaires, dont l’effectif variait de quelques centaines à plusieurs milliers d’homme. [R. Busquet,
Histoire de la Provence, p. 250]

Au sommet de la hiérarchie, Papes et Rois, rivaux et complices à la fois, aggravèrent


leurs pressions uniformisatrices, le contrôle social de leurs sujets. Au motif d’hérésie, la
répression ou l’élimination physique des déviants devint systématique en deux volets
connexes : les procès en sorcellerie et les guerres dites « de religion ». Ce long et cruel
lessivage de l’ordre médiéval favorisa l’émergence d’un ordre nouveau basé sur la
monarchie absolue incarnée par Louis XIV (1638-1715) et le catholicisme ultra animé par
les Jésuites [1].

Cassis semblait préservée des atrocités de ce temps. Son commerce prospérait et le modeste port de pêche se muait
en cité florissante, lorsqu’une banale affaire de sorcellerie villageoise, comme dit Muchembled* (l’astérisque renvoie à la
bibliographie), ouvrit la place à la folie persécutrice d’un chasseur de sorcières.
À l’issue d’un procès rondement mené, probablement assorti de tortures, les accusées furent mises à mort en place
publique, à la grande satisfaction de tous, édiles, ecclésiastiques, commerçants et pêcheurs.

Carte des Cassini, Cassis au 18è siècle.


Source : Géoportail

Ce prologue laisse deviner qu’il ne serait pas simple de dire comment la paisible population de Cassis en est venue là.
Soucieux de ne pas lasser le lecteur, j’opterais donc pour une fiction scénique qui suggère plus qu’elle n’explique. La
bibliographie contentera ceux qui resteraient sur leur faim.
L’acte 2 est extrait d’Avant-hier les Cassidens, monographie de la ville dont l’auteure, Marie-José Rosaz-Brulard*,
agrégée d’histoire, était enseignante à Cassis dans les années 1980. C’est elle qui tient le rôle du coryphée, jusqu’au
troisième acte au cours duquel elle s’émancipe.

Pièce en quatre actes et un épilogue.

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Francesco Goya, Le sabbat, Musée du Prado, Madrid.

Acte I : La mise à mort


(La scène est vide. Le réalisateur saura enrichir le texte d’effets sonores et de quelques images sur le fond de scène. Le
coryphée rejoint sa place, sur l’avant-scène à droite, et déclame ce qui suit.)

Une foule tapageuse entoure l’estrade où trois femmes, nues sous une camisole de toile, sont liées aux poteaux
d’exécution. La plus vieille hurle elle aussi, la plus jeune pleure, de la troisième on ne sait rien.
De leurs familles non plus nous ne savons rien, ni de leurs enfants. Si elles en avaient, ils sont au premier rang, placés
là par les autorités pour assister à la mise à mort ignominieuse de leur mère. Ils seront stigmatisés à jamais la
sorcellerie étant héréditaire.
Deux heures plus tôt, sur le parvis de l’église — pénétrer dans l’église leur est maintenant interdit — le clergé a reçu
leur demande publique de pardon, peine infamante qui se traduisait par une privation d’honneur. Entre leurs mains
jointes et liées, on a glissé le "cierge de l’amende honorable"(il leur sera facturé) puis elles se sont hissées dans un
tombereau. Suivies de la longue procession des autorités religieuses et civiles, elles ont, dans cet appareil, rejoint le lieu
du supplice : le quai des Moulins selon certains chroniqueurs, la place Montmolin selon d’autres.
Alertés par le crieur public, les gens sont venus de La Ciotat, Ceyreste, et des hameaux voisins. Quelques notables de
Marseille et Aix sont aussi de la partie. Mais le gros de la foule est composé de Cassidens venus fêter l’expulsion du
malheur. Supprimer celles par qui le malheur arrive : voilà la raison de leur fête, l’objet du spectacle. Les quolibets, les
trompes de brume et les casseroles font un boucan étourdissant.

Le bourreau venu de Marseille, monte sur l’estrade. Dans le silence qui s’abat soudain — le silence de mort — les
malédictions de la vieille résonnent sur les façades voisines. Elle sait bien la vieho masco, que tous ces braillards la
craignent, qu’ils lui ont conféré le pouvoir d’enmasquer par son seul regard, par sa voix et par son souffle. Elle veut en
profiter pleinement, troubler leur sommeil, s’attribuer petits et grands malheurs qui leur adviendront nécessairement
pendant les cent ans à venir et davantage si possible. Elle charge les femmes, sachant bien qu’elles en parleront
longtemps, entr’elles, et qu’ainsi sera maintenu le mauvais sort.
— Carougnasse ! Poutane ! Les veines du cou vous pètent, vos seins tarissent. Elle souffle trois fois comme on crache,
une à gauche, une à droite, une au centre.
— Carougnasse ! Poutane ! Vos maris éjaculent la pisse, vos enfants se consument dans vos bras. Elle souffle encore à
trois reprises.
— Carougnasse ! Poutane ! Vos vignes sèchent, vos maisons prennent la gonfle…
De ce dernier sort nous savons qu’il tomba deux ans plus tard sur la maison de Julien Bermont.

Retentum

Passé derrière elle, le bourreau vérifie que le garrot placé à son cou coulisse bien dans l’œilleton du poteau. Il
l’empoigne soigneusement et, s’arque boutant d’un pied au poteau, tire de tout son poids avant d’arrimer le garrot à la
clavette. Après quelques spasmes désespérés, le corps s’affaisse.
Il l’a tuée proprement par grâce du tribunal. La justice n’a pas voulu que ces accusées, souffrent plus que nécessaire à
un un beau example au lieu et encore aux voisins. C’est pourquoi aussi on les suppliciera trois fois, primo par
strangulation, secundo par pendaison, tertio par crémation. Les enseignants, les prêcheurs et les dramaturges
connaissent la valeur de la répétition…
Et puis il faut bien que le spectacle dure pour que la catharsis opère…

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Acte 2 : Le récit de l’historienne ou la plainte des braves gens

(L’éclairage change, la voix du coryphée aussi. Elle ne déclame plus, elle lit le texte dont elle est l’auteure, sur le ton
d’une enseignante cherchant à accrocher son jeune auditoire.)

« Les trois sorcières ne sont connues que sous les noms de Donne Figonnière, Donne Tripière et la Grosse Coiffe. La
première aurait jeté un sort au bébé du pêcheur Barnabous, pour se venger du père qui, en la croisant, l’aurait
malencontreusement dévisagée d’un air moqueur. Dès lors le bébé avait refusé de s’alimenter. Le père, toutefois, avait
attendu Donne Figonnière au coin d’un bois et l’avait « bastonnée » jusqu’à ce qu’elle hurlât : « N’ia proun ! Vaï a
l’oustaou, toun drole tetera ! » Effectivement le bébé se rétablit.

"Grosse Coiffe, elle, choisit comme victime un de ses voisins dont le chien, selon elle, avait tué dix de ses poules. Le
voisin eut dès lors la gorge si serrée que, tout comme le nourrisson de Barnabous, il lui fut impossible de s’alimenter.
Heureusement qu’exerçait à Aubagne un « contre-sorcier » qui savait « désemmasquer » ; il plantait des aiguilles dans
un foie de veau qu’il laissait bouillir pendant deux heures, en prononçant le nom de la jettatrice. (ndlr : jeteuse du sort ;
terme Italien.) Ce procédé coûtait un écu mais il était infaillible, et le voisin de Grosse Coiffe eut le gosier dénoué.

"Quant à Dame Tripière, elle avait dressé des chats matagots (sorciers) qu’elle lâchait dans les vignes lesquelles se
recouvraient sur leur passage de plaques verdâtres, tandis que les grappes séchaient sur place. En furent victimes les
propriétés d’un certain Tonin, puis celles de Jourdan, puis celles de Poulidet à Sainte-Croix.

"Un beau jour, s’armant de courage, les Cassidens chassèrent et les masques et leurs sorts avec force râteaux, pelles,
rames même, jusqu’au col de l’Ange… Les sorcières se seraient réfugiées alors aux alentours de Canaille et du Bec de
L’Aigle, avant d’aller sévir dans la région varoise où on les signale au Beausset, Évenos, Sanary, vendant des philtres
d’amour et des poudres à héritage, envoûtant des animaux qui disparaissent… Elles logèrent même dans les sinistres
grottes d’Ollioules qui, plus de deux cents ans plus tard, inspirèrent à Victor Hugo de sonores descriptions en même
temps que des sanguines [2], mais leur souvenir ne s’était pas effacé pour autant de Cassis et le bruit courrait qu’elles
avaient perfectionné leur technique et opéraient dès lors à distance. C’est ainsi qu’elles avaient jeté leur dévolu — et
leur sort — sur la maison de Jullien Bermont. On ne sait pas au juste les dégradations dont pâtit la bâtisse, mais en
1616, (ndlr : l’exécution date de 1614. Sortilège post-mortem ?) il sera parlé de « dépenses et incommodités » « qu’on
fait les masques » et qui nécessitent un secours [3].
"Aussi lorsqu’en 1614, les sorcières sont arrêtées à Ollioules, le juge Curet est expéditif, et c’est à Cassis que, le 16
juillet sont exécutées les « masques ».

"Le 15 juillet les consuls de Cassis écrivent à ceux de La Ciotat :


« Nous vous envoyons ce porteur exprès avec la presante pour vous tenir advertys comme demain jour de mercredy
l’ont fait icy l’execution de trois masques qui ont estées compdanées à bruller et tout moyennant l’acistance de Dieu qui
a fort ascisté en cette affaire à la justice et sera un beau example au lieu et encore aux voisins. Doncques nous sommes
comandés par la justice de tenir avertys tout les voizins pour venir voir l’example et les malléfices qui avoyent fait. Pour
ce vous prions de dire publiquement en général qui voudra venir voir fere son execution qu’il s’en vienne demain, nous
ne savons point qu’il sera de matin ou sur le tard. Ne vous dizant autre chose sinon que vous regardiez de quoi nous
pourrions randre servize nous le ferons.
Messieurs les Consuls de La Cieutat,
vos affectionnés serviteurs les Consuls de Cassis. » [4]

"« L’an 1614 et le 16° du mois de juillet, trois femmes masques appelées Donne Figonnière, Donne Tripière et la Grosse

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Coiffe sont esté exsécutées dans notre lieu de Cassis, le supplice a esté qu’elles sont estées étranglées et pendues puis
bruslées. Le lieu a été la darse allant à l’île » [5]

Acte 3 : Les interrogations des historiens


(L’éclairage indique que nous passons dans une zone de transition, un lieu ou une situation médiumnique. Le coryphée
demeure dans un spot de lumière, sur l’avant-scène, le reste étant plongé dans une semie-obscurité.
Dans les coulisses, un bref éclair accompagné d’un bruit de bois rompu précède l’entrée des trois sorcières. Elles
s’alignent au fond. Elles resteront longtemps muettes, deux cachant leur visage derrière leur main, Donne Figonnière
seule défiant les spectateurs du regard.
Interloquée, le coryphée reprend précipitamment son rôle, comme pour masquer l’incident.)

Longue et terrible histoire que celle des sorcières dans nos contrées.
Présentes dans toutes les civilisations depuis les temps les plus reculés, les sorcières étaient craintes mais admises aux
époques réputées obscurantistes. Elles ne furent pourchassées qu’aux temps modernes.
Elles ne furent pas brûlées chez les chrétiens orientaux, ni chez les Turcs, mais exclusivement chez les chrétiens
occidentaux.
Longue et terrible histoire que nous vous dirons à la lumière des travaux
d’un historien du XIXe siècle, souvent qualifié de romantique. Jules Michelet*, puisque c’est de lui qu’il s’agit, écrivit La
sorcière alors qu’il s’était réfugié à Toulon après le coup d’État de Napoléon III. Ce voisinage constitue une première
raison pour l’invoquer. Mais il y en a de plus importantes…

(Nouvel éclair dans les coulisses, suivi d’un bruit de chute et d’un juron.
Entre un vieux monsieur, très droit, très distingué, avec une abondante chevelure blanche et un sourire rentré. Il boite
légèrement de la jambe droite. On reconnaît Jules Michelet.

Jules Michelet : Excusez-moi. J’ai manqué une marche.


(Il s’installe à une table de travail chargée d’énormes ouvrages, sur un fauteuil Louis Philippe.)

Marie-José Rosaz-Brulard (sidérée, avec craintes et tremblements) : Monsieur le Professeur, votre présence…

JM : Ma chère collègue, je vous en prie, ne me donnez plus du « Monsieur le Professeur ». Napoléon m’a fait retirer ma
chaire au Collège de France, je ne suis plus qu’un écrivain vivant de sa plume. Mais ce dénuement me convient, il me
comble de libertés. C’est ainsi que je puis, sans souci du qu’en-dira-t-on et sans problème de transport me rendre à
votre invitation…

MJ RB : Mon invitation, Monsieur le Professeur ?

JM (ignorant l’interrogation) C’est encore ainsi que, pour clore La sorcière*, mon ouvrage de synthèse sur la question
qui nous réunit, j’ai pu donner toute l’importance qu’elle mérite à l’affaire de cette jeune religieuse toulonnaise accusée
de sorcellerie après avoir passé pour sainte. [6] Les progrès de la procédure pénale lui permettaient de faire entendre
sa défense en appel. Mais il a fallu toute la détermination du petit peuple et des libéraux pour qu’elle puisse exercer ce
droit, tant le parti dévot avait embrouillé l’affaire.
Rien de tel j’imagine pour vos trois malheureuses ?

MJ RB : Non, à ma connaissance il n’y a pas eu d’appel. Je n’ai retrouvé dans les archives que quelques courriers relatifs
à l’affaire mais pas les minutes du procès. Elles ont disparu.

JM : Au XVIIe encore on brûlait souvent les pièces du procès avec les condamnés. Officiellement pour prévenir un risque
de contagion — au demeurant, très hypothétique — et plus probablement pour faire disparaître les traces d’irrégularités
dans la procédure. Elles étaient nombreuses dans les tribunaux provinciaux, le Parlement de Paris s’en était inquiété.

MJ RB : (elle a maintenant abandonné son rôle et se prend au colloque) :


Je ne suis même pas sûre de l’identité des accusées.

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Les noms attribués à ces trois femmes sont à double ou triple sens en Provençal. Ce sont, à ce que je crois, des
sobriquets destinés à les ridiculiser et à effacer leur identité.
Deux sont qualifiées de « donne », francisation du provençal « dòna » qualifiant les femmes mariées, respectables,
voire maîtresses de maison. Or les textes ne mentionnent aucun homme dans leur environnement, ni aucune famille.
Toutes deux seraient veuves par conséquent, avec probablement un lien de parenté motivant leur vie commune. De
quoi leurs maris respectifs sont-ils morts ? De la peste ? Du brigandage ? Peut-être ont-ils été assassinés lors du sac
d’un village de l’arrière-pays ? Les femmes, ruinées, se seraient alors réfugiées à Cassis, où elles vivaient d’expédients.

Donne Figonnière me semble le leader du trio, la seule vraie sorcière, les deux autres n’étant que des complices ou des
comparses. Ainsi lorsque le pêcheur Barnabous, la jugeant responsable des ennuis de santé de son bébé, la moleste,
elle ne proteste pas de son innocence. Au contraire, elle justifie la suspicion du pêcheur et assume sa réputation de
masco. Suffit, ça suffit, crie-t-elle sous les coups. Rentre chez toi, ton petit tétera. Voilà qui s’appelle jouer avec le feu.
Donne Figonnière est une forte tête et une grande gueule. Elle se venge en prenant tous les risques. Car si elle n’était
pas masco que serait-elle ? Une pauvre donne déchue à la suite de je ne sais quel malheur.

J’imagine que « La Grosse Coiffe », était la servante des donnes du temps de leur aisance, et qu’elle les avait suivies
dans leur décadence. Serait-ce elle, connaissant les simples et les formules magiques, qui aurait alimenté le commerce
de philtres et d’onguents assurant la subsistance du trio ?

JM : Ce dernier réunirait alors toutes les figures féminines visées par la répression de la Sorcellerie : les veuves,
femmes socialement libres et parlant haut et les « magiciennes », dépositaires de connaissances venues de la nuit des
temps. Les unes et les autres transmettant les croyances populaires et les usages locaux, perçus par les élites comme
une contre-culture menaçante. C’est pourquoi la Sorcellerie fut assimilée à une hérésie par l’Église puis plus tard
qualifiée de crime par l’État.
Et vous écrivez que la population s’était plainte de leurs sortilèges et les avait même expulsées du village ?

MJ RB : C’est ce que je suppose en me basant sur ce qui se raconte encore aujourd’hui et sur de vieux almanachs.
Ce qui est certain c’est que les petites gens disposaient avec la rumeur d’une arme redoutable. La rumeur fait les
réputations au su ou, plus souvent, à l’insu des intéressés. Et, de cette arme, ils se sont abondamment servis pour
régler les conflits de voisinage. Dans la majorité des cas, ce sont les petites gens qui signalaient la sorcière à l’autorité.

Les protagonistes du drame sont tous présents sur cette gravure anglaise du 17e siècle. La vieille sur le pas de sa
porte, sorcière désignée par la foule armée ; au premier plan, le juge écoutant la mignonne délatrice, soutenue par une
matronne.

JM : Ces trois femmes auraient été victimes de la rumeur ?

MJ RB : C’est l’hypothèse la plus probable. On pense qu’elles n’étaient pas du village, on le leur aura fait payer…
Peut-être aussi ont-elles provoqué l’hostilité de la population.

JM : Le tribunal s’est-il soucié d’établir la matérialité des dommages qui leurs sont imputés ?

MJ RB : En toute rigueur, je l’ignore. Mais c’est peu probable. Vous savez mieux que moi qu’il faudra attendre plus d’un
demi-siècle avant que Louis XIV et Colbert fassent passer dans le droit appliqué à la Sorcellerie l’obligation de prouver
les actes délictueux.
Au demeurant, prouvés ou pas, les méfaits imputés à ces trois femmes ne justifient pas la peine de mort. Je me
demande de quoi la Justice les accusait.

JM : Mais tout simplement d’être rebelles à la puissance grandissante du Roi et de l’Église. Elles étaient qualifiées de
suppôt de Satan, de vos jours on parlerait de supporters.
Eh ! bien, moi je me demande si Satan n’est pas, le vrai moteur du progrès. Celui qui insuffle aux rebelles l’énergie de
résister à l’ordre établi, quand cet ordre est injuste.

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Les chasses aux sorcières "arrivaient à merveille pour terroriser le pays, briser les esprits rebelles, brûlant comme
sorciers aujourd’hui ceux qui, peut-être demain, auraient été insurgés." [7]

Pardonnez-moi. Je m’emporte et en plus je me cite…


Mais je ne prétends pas au magistère d’autorité, je vous suggère au contraire de vérifier mes dires. Vous pourriez
inviter le juge Curet…
Je serais curieux de le rencontrer, d’autant qu’il doit s’être maintenant débarrassé de ses soucis de carrière. Il nous
livrera peut-être un témoignage sincère.

Acte 4 : La certitude du juge Curet ou la vraie nature du crime


MJ RB (Ravie d’essayer le pouvoir magique de sa parole dont elle vient de prendre conscience ; à la cantonade, tournée
vers les coulisses :)
Votre honneur… Comment lui dit-on ? (elle rit) Monsieur le juge Curet !

(Nouvel éclair en coulisse, mais aucun bruit anormal.


Entre un petit homme rondouillard, la mine joviale. Il marche précautionneusement, appuyé sur une cane, son pied
droit emmailloté dans un gros pansement. Il boite vers le fauteuil que Jules Michelet lui cède.)

CURET : Pardonnez-moi, je souffre le martyre !

JM : Juste retour des choses M. le juge. Un effet de la Justice divine je suppose ?

CURET : Pas du tout. La goutte tout simplement. Dieu ni le Diable n’y sont pour rien.

JM s’inclinant profondément : Saluons ! M. Curet tient un propos de bon sens !

MJ RB, (comme Moati animant l’émission Riposte) Chuuut ! Chuuut ! Merci M. le Juge d’avoir accepté de vous joindre à
nous. Vos lumières nous serons utiles…

CURET : Commençons, si vous voulez bien, par faire la lumière sur ma modeste personne. Je ne suis pas curé moi (il rit
de son jeu de mot), je suis Juge civil auprès du parlement de Provence, chargé des affaires criminelles…

MJ RB : Un fonctionnaire territorial en termes actuels…

CURET : Sans doute. Par conséquent, si vous voulez que notre conversation dure, il vous faudrait, l’un et l’autre,
m’épargner vos tics anticléricaux. Si ce n’est pas demander trop, vous pourriez aussi m’épargner la condescendance
ordinaire des gens soit disant éclairés. Je ne suis pas curé et je ne suis pas non plus bouché. (Il rit encore)

JM : Vous n’êtes pas ecclésiastique, M. le juge, j’en prends acte. Cependant vos fonctions perpétuaient celles du Saint-
Office, autrement dit l’Inquisition.

CURET : Non. Du moins pas sur le fond. De mon temps, il était devenu évident que la Sorcellerie n’était plus une affaire
de religion ou de liberté de penser mais d’actes criminels ou délictueux. Des actes causant des dommages aux gens et à
leurs biens, et si fréquents qu’ils désorganisaient le royaume et menaçaient ses intérêts vitaux. Voilà pourquoi les
tribunaux civils traitaient les affaires de sorcellerie.
Enfoncez bien ça dans vos certitudes : j’étais un gardien de l’intérêt public, moi.

MJ RB : J’ai du mal à croire que trois pauvres femmes dans un village du midi puissent menacer les intérêts du royaume

CURET : Oui, je sais que les apparences sont en leur faveur. Mais nous ne nous arrêtions pas aux apparences, nous.
Nous savions que ces trois pauvres femmes étaient membres d’une organisation secrète œuvrant à la destruction du
royaume. Rien de moins.
Fort heureusement leur complot avait été dévoilé par nos jurisconsultes les plus éminents, des esprits éclairés et des
intelligences supérieures. Des hommes qui vous auraient bien plu, M. Michelet !

JM : Je les ai lus, M. le Juge. Je tiens Boguet pour un exterminateur consciencieux ; mais j’aime bien
Pierre de Lancre. Son livre a été écrit surtout en vue de montrer combien la justice de France, laïque et parlementaire,
est meilleure que la justice de prêtres. [8].

CURET : Vous connaissez donc mes maîtres.

MJ RB : D’où tenez-vous la certitude que ces trois-là (elle désigne les femmes dans le fond obscur de la scène), ces
trois-là spécifiquement, étaient membres d’une organisation secrète conspirant à la destruction du royaume ?

CURET : Tout bonnement parce qu’elles l’ont avoué.

(Sortant de leur immobilité, les trois femmes avancent à pas sonores dans la zone claire. Figonière boite de la jambe
droite.)
Elles crient : NON ! NON ! NON ! NON ! NON ! NON !
(Leurs « non » d’abord désordonnés, se rythment.)

DONNE FIGONIÈRE : Nous n’avons rien avoué du tout


LES TROIS : Rien du tout ! Rien du tout ! Rien du tout !

DONNE FIGONIÈRE : Pour faire cesser vos tortures


LES TROIS : Vos tortures ! Vos tortures ! Vos tortures !

DONNE FIGONIÈRE : Nous avons dit ce que vous vouliez entendre


LES TROIS : Ce que vous vouliez ! Ce que vous vouliez ! Ce que vous vouliez !

(Oubliant cane et goutte, Curet s’est écarté précipitamment des trois furieuses. Passe un long silence.)

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JM (il explique à la salle) :


La procédure à laquelle elles furent soumises fabriquait de la sorcière à tous coups, infailliblement, quel que soit
l’accusé. N’importe lequel d’entre vous, Mesdames, Messieurs, ma charmante collègue ici présente, moi-même,
n’importe qui passant par cette géhenne finissait par endosser le rôle de « Sorcier » ou de « Sorcière ».
La procédure comportait deux temps : l’un pour apprendre le rôle, l’autre pour l’interpréter en public.
Pendant la phase d’apprentissage, le juge posait toutes les questions figurant au programme à plusieurs reprises, de
manière de plus en plus circonstanciée. D’abord bénignement, la fois suivante après visite guidée de la salle de torture ;
si l’accusé feignait de ne pas comprendre ce que l’on attendait de lui, à la séance suivante on reposait les mêmes
questions en le torturant un peu.
L’escalade des tourments se poursuivant, le sujet parvenu à maturité, livrait une déclaration conforme aux idées fixes
des démonologues. En attestent les très nombreux procès-verbaux qui nous sont parvenus.

CURET : Arrêtez ! Arrêtez M. Michelet de jouer les bonnes âmes ! C’est trop facile dans votre position. Vous l’intellectuel
dans son cabinet, elle enseignante face à des gamins, vous êtes confortables, protégés. Moi, j’ai fait le choix d’un métier
exposé. J’étais en première ligne, j’affrontai les forces qui menaçaient de désintégrer le royaume.
Les chasses aux sorcières ne sont qu’un volet des guerres de religion savez-vous ? Ce sont des guerres totales.
Supprimer le religionnaire ne leur suffit pas ; il leur faut de plus extirper sa religion.
Je ne suis pas un monstre. Pris dans une situation comparable à la mienne, d’autres ont employé les mêmes méthodes.
Vous les avez côtoyés, Madame.

MJ RB : Vous voulez parler de la Gestapo ?

CURET : Par exemple. Et de la torture pendant la guerre d’Algérie.


Et des procès staliniens, et du maccarthysme, et d’ d’Abou Grabi… Pour tous ceux qui ont conçu et conduits sur le
terrain ces opérations, nous avons été des précurseurs. Ils ont repris nos méthodes, adoptés nos justifications et obtenu
les mêmes protections officielles.

MJ RB : Il est vrai que nous avons eu des chasses aux sorcières encore récemment.

CURET : Et vous en aurez encore ! (Il éclate de rire)

MJ RB : Vous avez évoqué une organisation secrète, un complot des sorcières. De quoi s’agit-il ?

CURET : Mission impossible, chère Madame.


Votre scientisme vous ferme la compréhension profonde des choses, vous n’êtes pas capables de voir au-delà des
apparences. Or c’est là que réside le nœud de l’affaire. Entre vous et moi il y a incommunicabilité.

(Un silence.)

JM : M. Curet nous ne sommes pas bouchés. Nous sommes capables de comprendre sans adhérer… Alors, le nœud de
l’affaire c’était…

CURET, (comme à regret) : Le mal. Le Mal majuscule. L’Axe du Mal.

Le Mal nous submergeait… les épidémies de peste à répétition, les intempéries, les disettes… Les Turcs, Musulmans
impies, non contents d’avoir conquis Constantinople, menaçaient l’Europe chrétienne ; les hérétiques protestants
enlevaient des pays entiers à la catholicité ; le péril n’épargnait même pas la fille aînée de l’Église tombée aux mains
d’un roi (Henri IV) qu’une messe ne lavait pas du soupçon d’hérésie.
Les petites gens avaient peur du lendemain, des mauvaises récoltes, des soudards en vadrouille, des maladies, des
intempéries, des maléfices. Les gens en charge des affaires partageaient plus ou moins ces craintes, mais par-dessus
tout ils redoutaient une déroute du dessein divin : la Cité de Dieu, boussole du Moyen-Âge, nous semblait menacée.

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La Jérusalem céleste, miniature du 12e. siècle.

La conjonction de tous ces malheurs ne pouvait provenir que des forces sataniques. De Satan en personne. Ce n’était
plus le diable benêt que le paysan médiéval roulait facilement ; c’était un « diable en corps » c’est-à-dire doté d’un
corps physique, apte à des actes physiques, terrifiant.
Nos sorcières connaissaient son anatomie en détail et, d’un bout à l’autre du royaume, nous en faisaient une description
cohérente, preuve qu’elles l’avaient rencontré. Il ressemble à un grand satyre, mi-humain, mi-bouc.

Baise cul rituel

Il a un visage au cul qu’elles embrassaient dévotement, en signe de soumission. C’est lui qui les dotait du pouvoir de
faire le mal. Vos sorcières de Cassis pouvaient en faire beaucoup plus que vous ne dites, Madame. Elles pouvaient aussi
ruiner les récoltes en provoquant des intempéries, et surtout tarir ou corrompre les flux vitaux : l’eau, le sang, le lait, le
sperme, la sève, le souffle…
Tout cela avait des effets aussi néfastes que concrets : la végétation, les bêtes, les gens du royaume, tout pouvait
succomber à leurs maléfices.

Sans doute jetaient-elles leurs sorts pour satisfaire un désir personnel de vengeance ou même pour le plaisir d’exister.
Mais nous, nous savions reconnaître le projet global derrière les actions individuelles.
Ces femmes avaient signé un engagement dans les troupes du diable. C’était cela leur crime : l’adhésion au complot
satanique. Les maléfices dont se plaignaient les petites gens n’étaient, à nos yeux, que le symptôme de leur
enrôlement. Voilà pourquoi nous les exécutions.
En détruisant les sorcières, nous cherchions à réduire leur maître, Satan. Il est vrai qu’elles n’étaient que des petits
soldats. Mais dans une guerre les soldats sont tués.

MJ RB : Mais d’où teniez-vous cette théorie du complot satanique ?

CURET : De l’université tout simplement : Boguet et Lancre dont nous avons déjà parlé et bien d’autres. Plusieurs
générations d’intellectuels, rivalisant en ouvrages de démonologie, avaient élaboré et confirmé cette théorie. Il n’y a
rien d’original dans ce que je viens de vous dire, c’était, de mon temps, des choses admises, indiscutées et
indiscutables.

JM : Hélas ! Je dois vous en donner acte, M. le juge.


« … cette horrible littérature de sorcellerie m’a passé, repassé fréquemment par les mains. J’ai épuisé d’abord les
manuels de l’inquisition, […]. Puis j’ai lu les parlementaires, les juges lais qui succèdent à ces moines, les méprisent et
ne sont guère moins idiots. […] Sauf un petit entracte dans le Parlement de Paris, c’est toujours et partout même
férocité de sottise. Les talents n’y font rien. Le spirituel De Lancre, magistrat bordelais du règne d’Henri IV, fort avancé
en politique, dès qu’il s’agit de sorcellerie, retombe au niveau […], des moines imbéciles du quinzième siècle. » [9]

(Un silence méditatif suit.)

MJ RB : Eh ! bien voilà qui me donne une rare occasion d’être satisfaite de notre temps. Nous, nous n’avons plus de
sorcières et nous nous sommes débarrassés de votre Diable !

CURET éclate de rire : Débarrassés de mon Diable ? Quelle naïveté ! Le connaissez-vous seulement ?

MJ RB : Pas vraiment. Je n’ai croisé que celui de Goya au musée de Madrid.

CURET : Asmodée ?

MJ RB : C’est ça, oui, Asmodée.

(Coup de tonnerre et foudre en coulisse. Entre un immense Asmodée hilare, entièrement vert et copieusement membré.
Il marche l’amble, ne progressant que sur la jambe gauche. Il rit d’une voix haut perchée, hennissante.)

CURET, secoué de rire, s’adressant à MJ RB : : Il est dans ta tête, fadade !


Puis désignant la salle : Il est dans leurs têtes !

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(Asmodée s’approche de Curet et lui passe amicalement la main dans le dos. Figonière
les bras au ciel, court vers Asmodée. Tous trois continuant de rire aux éclats, s’enlacent
et claudiquent de concert vers l’avant-scène.
Au second plan, Marie-José Rosaz-Brulard et Jules Michelet se tiennent côte à côte. La
sonorisation aidant, ce que le second souffle à l’oreille de sa voisine, surmonte le rire des
trois autres qui finissent par écouter eux aussi.)

« En consultant les premiers monuments chrétiens, on trouve à chaque ligne l’espoir que
la Nature va disparaître, la vie s’éteindre, qu’enfin on touche à la fin du monde. […]
On avait follement dit : « Le grand Pan est mort. » Puis, voyant qu’il vivait, on l’avait fait
un Dieu du mal ; […]
Au sabbat, la sorcière dressait son Satan, un grand Satan de bois, noir et velu. Par les
cornes et le bouc… il eût été Bacchus ; mais par les attributs virils, c’était Pan et Priape.
[…]
À lui de sacrer sa prêtresse. Le dieu de bois l’accueille comme autrefois Pan et Priape. […] Conformément à la forme
païenne, elle se donne à lui, siège un moment sur lui, […]. Elle en reçoit le souffle, l’âme, la vie, la fécondation simulée.
[…] Dès lors, elle est l’autel vivant [10] »

Photo "RS" - Source :Cassis-forum

Épilogue : Cassis : le retour des sorcières ?

Sous ce titre, le correspondant local de La Provence signait un article qui eut l’honneur de paraître, le surlendemain en
pages régionales.

« Après les déchaînements de la dernière élection municipale [11] Cassis a connu de nouveaux émois lors d’une
représentation donnée à la salle polyvalente par une troupe d’amateurs, issus de l’association bien connue « Avant-hier
les Cassidens ».
Vers les 22 heure, les pompiers recevaient un appel angoissé du régisseur. On ne peut pas tirer le rideau disait-il,
visiblement déstabilisé. Aux demandes de précision il répondait obstinément : on ne peut par tirer le rideau, l’affaire
continue.
Sur les lieux, les pompiers découvrirent la salle cadenassée, au mépris des consignes de sécurité les plus élémentaires.
Ayant d’abord envisagé d’enfoncer les portes, ils y renoncèrent à la réflexion. Aucune odeur de fumée ne provenait de
l’intérieur, aucun appel à l’aide. Bien au contraire, les prisonniers semblaient débordants de vie, à en juger par leurs
rires stridents et, comme une énorme bourrée, leurs pas martelant le sol en cadence.
Aussi, avant de dégrader un édifice public, les sauveteurs décidèrent-ils d’obtenir l’autorisation des autorités
municipales, lesquelles ne furent pas faciles à joindre à cette heure tardive, on s’en doute.
Ils attendaient donc encore, lorsque, peu avant minuit, les portes s’ouvrirent tout grand, d’un seul coup, comme
poussées par une force invisible. Quelle ne fut pas leur stupéfaction d’assister à la sortie d’un grand vieillard en
redingote et lavallière, suivi d’un bouc géant dressé sur ses pattes arrières et atteint d’une forte claudication puis de
trois femmes en chemise de nuit.

Des acteurs restés en costume ? C’est évidemment la première chose à laquelle on pense. Mais comment expliquer les
nombreux spectateurs à demi dénudés, certaines dames n’étant plus vêtues que d’une veste ou un chandail
d’emprunt ? Les pompiers interrogés ont tous insisté sur les mines « allumées » et les pupilles dilatées. « Comme s’ils
sortaient d’une partie de délire [rave-party, ndlr], et encore bien chargés » précise l’un d’eux.

Que s’est-il passé avant-hier soir à la salle polyvalente, tandis que l’on évoquait sur scène les trois sorcières de Cassis ?
Votre serviteur s’en est allé interviewer Madame Marie-José Rosaz-Brulard, la sympathique animatrice d’Avant-hier les
Cassidens. Elle-même en scène ce soir-là, elle y tenait un rôle impliquant sa présence constante sur le plateau. Qui
mieux qu’elle pourrait nous éclairer sur la nature des événements ?
Las ! Madame Rosaz-Brulard, visiblement traumatisée, refuse de s’exprimer. Elle est d’ailleurs atteinte d’un bégaiement
que son entourage ne lui connaissait pas.
Vous ne com… prendriez pas répète-t-elle. Entre vous et moi il y a in… communicabilité.
Alors le journaliste insiste : un sabbat ? Elle ne dit ni oui ni non.
Un sortilège ? Sait…-on jamais répond notre interlocutrice, soudain mutine.

Les esprits forts se gausseront. Ils auront plus de mal à fournir une explication rationnelle. Soulignons que, au moment

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où l’on envisage la commémoration du supplice des trois sorcières, nos questions relèvent de l’ordre public, voire de la
sécurité publique. Et qu’en conséquence elles mériteraient une réponse crédible. »

Goya- A sm odée

La grotte du Garou se situe dans le massif du Gros Cerveau, l’un des plus beaux belvédères de la côte, si ce n’est le
plus beau.
C’est une petite Sainte Baume par la forme et la géologie, longue de 5 km environ, parallèle à la côte, entre Ollioules et
Sanary, à l’ouest de Toulon. On l’atteint en voiture, à partir d’Ollioules, (autoroute A 50, sortie 13). L’itinéraire détaillé
se trouve ci-dessous, dans les Repères topographiques.

La balade se déroule sur un sentier accessible à tous, situé entre la crête et la route qu’il rejoint à plusieurs reprises. On
peut, par conséquent, moduler à sa guise la longueur de la marche. Voire ne pas marcher du tout et se contenter du
paysage.
À l’extrémité ouest, on découvrira la grotte du Garou, un peu en contrebas, côté nord. À vrai dire, il s’agit d’une une
caverne à ciel ouvert, précédée d’une esplanade accueillante.

Le Gros Cerveau
Le toponyme aurait à voir avec les cervidés dont se régalaient les celto-ligures installés dans les oppida de la crête.
Venus beaucoup plus tard, les militaires partageaient avec les premiers occupants le goût des lieux élevés d’où l’on

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surveille facilement l’ennemi. Ils ont construit la route stratégique (D. 20 et 22 actuelle) pour le soutien logistique des
ouvrages fortifiés qui coiffent la crête. Les promeneurs leur sont redevables d’une montée motorisée aux environs des
quatre cents mètres d’altitude où se déroule notre balade.

Le garou
Ce nom met l’imagination en branle. Elle ne résiste pas à l’appel du loup-garou. Du loup-garou à ses collègues sorcières
il n’y a qu’un pas. On le saute et on tombe sur la seule commune des alentours dotée de sorcières, Cassis. Il est vrai
que le proche paysage, les sombres gorges d’Ollioules en contrebas, la pierre volcanique du château d’Évenos, tout
enfin, prédispose les lieux à cette vocation.

Ceci dit, rien n’empêche de chercher une origine plus originale. Un arbrisseau buissonneux des alentours en propose
une. C’est le Daphné-Garou ou Garou saint-bois :

Source : http://florenligne.free.fr/noms.htm

Aussi joli que vénéneux. Il vaut mieux ne pas le toucher, le simple contact cutané pouvant être toxique. Une station du
chemin de découverte lui est consacrée.

Enfin, ceux qui pousseront jusqu’à cette caverne à parvis et mezzanine — très propre le plus souvent – inclineront à
penser que les jeunes gens du voisinage, mieux renseignés que les livres sur la toponymie du lieu, viennent ici,
courir le
garou.

Christian Bonnet
Juin 2009

Plan de situation

Source : Géoportail
Aller sur le site pour obtenir une échelle plus détaillée. Requête : « ollioules 83 ».

Ligne générale
Une route stratégique longe la crête du Gros Cerveau. Elle est bien visible sur l’extrait ci-dessus de la carte IGN.

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Gagner la crête en voiture et se garer à proximité du point côté 429 m ou plus loin, comme indiqué dans la fiche
"itinéraire détaillé" ci-dessous.

En période estivale et en cas de risque d’incendie de forêt la circulation automobile et pédestre peut être interdite.

La balade
Elle suit un GR (balisage rouge et blanc) accessible à tous, situé entre la crête et la route qu’il rejoint à plusieurs
reprises. On peut, par conséquent, moduler à sa guise la longueur de la marche.

Côté terre
Val d’Arenc au prem ier plan ; la Sainte Baume au fo nd.

Les grands apprécieront les vastes échappées de vues côté terre et côté mer.

Rade de Toulon

Les enfants trouveront un aven (protégé) et de petites escalades sur les lapiaz. Les uns et les autres profiteront d’un
sentier de découverte de la végétation. Les sportifs se laisseront tenter par une descente dans le Val d’Arenc.

Grotte du Garou
Itinéraire détaillé.

• DELUMEAU Jean, La Peur en Occident, XIVe-XVIIIe siècles, une cité assiégée, Le Livre de poche, Collection Pluriel,
1980.
Chapitres 11 et 12 : « Une énigme historique : la grande répression de la sorcellerie »
Résumé de l’ouvrage sur le site de l’Institut Européen en Sciences des Religions, EPHE)

• FAVRET-SAADA Jeanne, Les mots, la mort, les sorts. Folio / essais, 2007
(Une enquête sur la sorcellerie contemporaine dans le Bocage de l’Ouest. Comment on se trouve pris dans les sorts,
dans la mort, dans les mots qui nouent les sorts ou les détournent. L’ouvrage fit grand bruit lors de sa première
parution en 1985.)

• MICHELET, Jules, La sorcière, 1862


(Publiée en 1862 chez Dentu et Hetzel, La Sorcière peut être considérée, après L’Amour (1858) et La Femme (1859)
comme le troisième volet d’une trilogie consacrée par Jules Michelet (1798-1874) à la femme, dont il avait également
célébré la grandeur dans Jeanne d’Arc (1853) et Les Femmes de la Révolution (1854). À sa parution, le livre, un temps
menacé de saisie, connut un succès de scandale. Michelet, accusé par ses adversaires de s’être livré à une apologie du
satanisme, ne trouva guère d’appui chez ses propres amis, qui lui reprochèrent d’avoir cédé à la tentation de
l’obscurantisme. Longtemps oublié, La Sorcière a été redécouverte dans les années 1950-1960 par les historiens des
Annales et leurs successeurs.

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Michelet retrace, à la manière d’un roman ou d’une tragédie, l’histoire d’une sorcière imaginaire, victime des pouvoirs
qui asservissent le peuple (dont elle apparaît à la fois comme le porte-parole et la libératrice) et de ceux - généralement
les mêmes - qui oppriment la femme, créature redoutée et maudite parce que trop liée à la Nature, donc libre et
potentiellement subversive.[...]
(source : E. Universalis en ligne)
. Réédition Garnier-Flammarion, Éditeurs, 1966, 314 pp. Collection “Le livre de poche”.
. Une édition numérique réalisée par M. Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l’enseignement, Université de Paris
XI-Orsay, mise en ligne par l’Université du Quebec.

• MUCHEMBLED Robert,
. La sorcière au village (XVe-XVIIIe siècle), Paris, Gallimard-Julliard, 1979 rééd.Gallimard-Folio, 1991.(Ouvrage
indisponible en librairie. On en trouvera un résumé
ici)
. Une histoire du diable, XIIe-XXe siècle, Paris, rééd. Points-Seuil, 2002.
(Une exploration de l’image du diable dans la civilisation occidentale, à travers ses représentations culturelles et
intellectuelles.)

• PALLOU Jean, La sorcellerie, QSJ n° 756, 10e édition.

• ROSAZ-BRULARD Marie-José :
Avant-hier les Cassidens, monographie de la ville conservée à la Bibliothèque Municipale de Cassis (tapuscript).

• SALMAN J. M., Les sorcières Fiancées de Satan, Coll. Découvertes, Gallimard,


1989.
(Vers le milieu du 15e siècle, l’Occident s’embrase. Un incendie monstrueux, en
forme d’épidémie. On brûle des hommes mais surtout des femmes. Les
sorcières sont les fiancées du diable. La rumeur le dit, les juges civils et
religieux le prouvent. […] Jean-Michel Sallmann analyse en historien le mode de
représentation que fut la sorcellerie […]. Extrait de la quatrième de couverture.)

• SAUREL Alfred, Statistiques de la ville de Cassis […] suivi de Répertoire des


faits les plus saillants de l’histoire de Cassis, 1857.

Sur l’internet :
• Deux articles de Wikipédia : Les chasses aux sorcières et Sorcière.

• INA Archives : Apostrophe du 2 janvier 1981 : Sorciers et sorcières.


L’émission en ligne
ici

(Avec Robert MUCHEMBLED (professeur à l’ Université de Lille 3, auteur de "la sorcière au village"), Carlo GINZBURG
(enseignant à Bologne, auteur de "les batailles nocturnes" sur la sorcellerie au Frioul au xvieme siècle), Roland
VILLENEUVE (auteur de"la mystérieuse affaire Grandier"), Danièle CARRER (coauteur avec Geneviève YVER de"la
désencraudeuse, une sorcière d’aujourd’hui", histoire d’une désenvouteuse au xxeme siècle dans un village de
Normandie), et Jean Pierre MAUREL (journaliste à "la France catholique", auteur d’un recueil de nouvelles"le diable sur
la neige".)
Dans les dix premières minutes (gratuites) l’essentiel est dit. Qui veut en savoir plus achètera la suite (podcast).

Le supplice des trois cassidènes ne mit pas fin aux maléfices. Trois siècles plus tard on les craignait toujours beaucoup
et les masco pullulaient, aux dires des folkloristes cités dans l’article Maléfices et superstitions en Provence, au 19e
siècle.

[1] Les Jésuites de la même époque. Cet ordre a une histoire mouvementée et ne craint pas le paradoxe. « La cohésion
de la Compagnie, le secret dont elle s’entourait, son ultramontanisme militant, son indépendance vis-à-vis des
hiérarchies ecclésiastiques locales, le succès de ses écoles, son influence auprès des souverains suscitèrent très tôt
jalousie et animosité dans le clergé séculier, chez les autres ordres religieux, dans les milieux universitaires et chez tous
ceux qui désiraient défendre contre les empiétements de Rome les prérogatives de l’État. » (J. Delumeau, Encyclopédie
Universalis, article Jésuites)

[2] Note 254 : Victor Hugo : Choses vues

[3] note de l’auteure n° 255 : AC : BB7

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[4] Note de l’auteure n° 256 : (renvoi à la note 253) : E. Davin, Les trois sorcières de Cassis, in Bulletin des Amis du
Vieux Toulon ; 1961. Le Provençal, sd 1979 ; un article non signé.

[5] Note de l’auteure n° 257 : Probablement, et c’est aussi l’avis de E. Davin, sur l’emplacement de l’Oustaou Calendau
et du quai des Moulins.
(Ndlr : A. Saurel*, p. 72, situe l’exécution place Montmorin.)

[6] La sorcière, Livre second, chap. XII. Le procès de la Cadière. 1730-1731

[7] La sorcière, p. 124

[8] La sorcière, page 137 pour Boguet, 143 pour Lancre

[9] La sorcière, p. 8

[10] Citations extraites des pages 17, 193, 101, 102

[11] mars 2009

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