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QUAND LA RÉVOLUTION S'EST FAITE INFÂME

Haydée et Célia, Quand la révolution s'est faite femme. On s'attendait à un film où l'on
verrait des femmes, que ce soient Haydée Santamaria et Célia Sanchez ou d'autres,
donnant le caractère révolutionnaire au processus cubain. Or, si l'on conçoit la
révolution comme un bouleversement social où tout est remis en question, on finit par
conclure qu’à part le renversement du pouvoir oligarchique et décadent de Batista, les
piliers de la société patriarcale et homophobe sont bien restés intacts, au moins jusqu'à
l'année de la mort des deux femmes en 1980, l'une par suicide et l'autre d'un cancer.

Qu'un changement profond ne survient pas d'un jour au lendemain, on le sait. Mais que
les "femmes révolutionnaires" aient cautionné un régime du culte de la personnalité -par
ailleurs masculine- dans lequel la ratification des rôles traditionnels dits inhérents au
genre féminin -tendresse, maternité, caractère pieux- se combinent avec un nouveau
rôle de femme forte à l'image caricaturale de l'homme fort -directive, intolérante,
exécutive-, ne fait que confirmer nos doutes sur un conservatisme profond.

Mais que voit-on, au juste, dans le film de Renaud Shaack ? Car pour en apprendre sur
ces deux femmes qui participèrent activement à l'organisation de la guérilla qui
renversa le dictateur Batista, même Wikipédia est plus bavard. Le film, prétendument
"documentaire romancé", nous laisse au contraire l'impression d'être un outil de
propagande pour dédouaner Fidel Castro des aberrations de la politique menée sous son
régime à travers quelques bribes de la vie de deux femmes qui lui auraient été loyales,
converties de ce fait en héroïnes. Leurs désaccords -non documentés- face aux décisions
peu éthiques pendant la période qui vint après le triomphe de la révolution (le soutien à
l'occupation soviétique de la Tchécoslovaquie, les controversés Unités Militaires d'Aide à
la Production - UMAP, la censure et répression des artistes et poètes tels que Padilla... ),
auraient servi à donner au régime un visage plus humaniste.

« Derrière chaque grand homme, il y a toujours une grande femme »

Dans le film "Quand la révolution s'est faite femme", Célia est présentée comme un être
délicat et tendre, qui aimait les fleurs-papillons et qui par sa proximité avec Fidel
pouvait donner suite immédiatement aux problèmes des gens, en contournant la
bureaucratie du parti. Dans le même style anecdotique, le film nous présente le rôle de
cette "fée" de la révolution dans la création des écoles et la lutte contre
l'analphabétisme. Femme infatigable et sans responsabilité officielle, elle était toujours
là pour soutenir le travail du Líder Máximo et aller bien au delà. La phrase qui définit sa
place dans la révolution s'exprime enfin dans le film par : "Derrière chaque grand
homme, il y a toujours une grande femme". Incontournable enseignement sexiste auquel
toute femme doit se conformer : être à l'ombre et au service de grandes épopées du
genre masculin.

Par contre, la participation de Célia Sanchez au commando féminin "Mariana Grajales"


en 1958, n'est pas beaucoup évoquée. Car les exploits militaires sont plutôt une affaire
d'hommes, surtout du Commandant Suprême. Le réalisateur n'a peut-être pas lu le livre
sur cette expérience, qui a été publié en 2003 (en espagnol et en anglais) intitulé : "Teté
Puebla y el pelotón femenino Mariana Grajales en la guerra revolucionaria cubana". Tété
(Delsa Esther Puebla Viltre de son vrai nom), qui revendique jusqu'à aujourd'hui "le rôle
positif de Fidel dans le processus cubain", est la seule femme à Cuba qui ait atteint le
rang militaire de Générale... à l'âge de 66 ans en 2006 ! Mieux aurait valu pourtant que le
film nous montre comment elle, Célia et Haydée ont vécu leur participation en tant que
femmes pendant les années de la guérilla. La création du Commando féminin Mariana
Grajales marquait-elle la volonté de ces femmes de s'inscrire dans une dynamique autre
que devenir les infirmières, les cuisinières ou les messagères de leurs camarades
hommes, toujours le fusil à la main ?

La répression de l’homosexualité minimisée

En ce qui concerne Haydée Santamaria, le réalisateur nous renvoie l'image d'une femme
forte qui combinait l'intransigeance avec la tolérance. Co-fondatrice du Mouvement 26
Juillet avec Fidel Castro, puis membre elle aussi du Commando féminin Maria Grajales,
elle fut désignée par Fidel après le triomphe de la révolution à la tête de la Casa de las
Américas, prestigieux centre culturel de l'époque où toute l'intelligentsia latino-
américaine et mondiale de gauche se donnait rendez-vous.

En 1968, le célèbre poète Heberto Padilla est accusé d’être contre-révolutionnaire à


cause de son recueil poétique Fuera de juego. Son incarcération, où il subit torture et
humiliation publique, marque une rupture des intellectuel.le.s (qui jusque là admiraient
et soutenaient le processus cubain) avec le régime. Haydée, elle, resta silencieuse. Le film
de Shaack explique: "Elle était contre, mais avait avant tout la responsabilité de la Casa
de las Américas". Donc, la fonction finit par annihiler l'humain. Plus tard, en 1971,
l'écrivain José Lezama Lima est accusé et mis au silence pour "s’être livré à des activités
contre-révolutionnaires" : son roman Paradiso, plein de poésie érotique homosexuelle,
en fut la cause. Parallèlement, la censure et la répression tombent aussi sur les écrivains
Reynaldo Arenas et Virgilio Piñera, eux aussi homosexuels.

Haydée, qui avait commencé timidement à exprimer son désaccord, se suicide


finalement en juillet 1980, en pleine crise de l'exode du Mariel. Pendant cet évènement
125 000 Cubains, parmi lesquels 7 000 homosexuels, abandonnèrent l'île après un
accord passé entre les gouvernements de la Havane et de Washington. Le film suggère
pourtant une autre cause à son suicide: "elle épaissit (commence à grossir)", signe de la
dépression dans laquelle Haydée tombe peu à peu suite à l'assassinat de son frère Abel
par le régime de Batista... vingt-sept ans auparavant!

Où est passé Fidel ?

Mariela Castro, fille de Raúl Castro et actuelle directrice du CENESEX (Centre Nationale
d'Éducation Sexuelle à Cuba), interviewée elle aussi dans le film de Shaack, essaye
d’édulcorer l’homophobie promue par le gouvernement de son oncle Fidel Castro tout
en s'arrangeant pour laisser croire que les excès étaient plutôt le résultat des préjugés
sexistes de la société cubaine tout entière. Pirouette cocasse d'une femme liée au
pouvoir qui prétend que le Líder Máximo est à la fois le dirigeant à l’origine des
changements progressistes à Cuba et le militant qui est, malgré lui, soumis aux exigences
"parfois" insensées de ses camarades au nom du peuple cubain...

Dans une grossière manipulation d'images et voix en off, le film nous révèle le
"machisme" du Ché Guevara, à travers une phrase hors-contexte de Célia Hart, fille de
Haydée Santamaria. Un Ché qui, par ailleurs, est présenté de manière quasi elliptique et
juste pour suggérer que la conception guévariste de l'Homme Nouveau serait la source
de tous les maux. Fidel, par contre, n'y est pour rien : l'artisan principal de la révolution
s'efface de l'écran quand arrivent les moments difficiles à expliquer, et réapparaît par la
magie du cinéma quand ses partisan.ne.s se souviennent des moments de gloire.

En effet, en 1962, le gouvernement organise un raid massif appelé "La Nuit des trois P"
(pour Prostituées, Proxénètes et Pédérastes ou homosexuels dits 'Pájaros' à Cuba),
pendant laquelle "des milliers de personnes furent arrêtées et transportées au siège de
la police et dans les prisons de la Havane" (Cuba depuis la révolution de 1959. Une
évaluation critique, Samuel Farber, 2011).

Puisque l'on sait que le Ché ne part de Cuba qu'en 1965, on ne peut que conclure que lui
aussi a été responsable de ces faits. Cependant, le film-documentaire de Néstor
Almendros, Mauvaise Conduite ("Conducta Impropia" pour son titre en espagnol, 1984),
témoigne de la montée en puissance de la furie homophobe élevée au rang de politique
d'État pendant le dit Quinquennat Gris, dès 1965 avec la création des UMAP (Unidades
Militares de Apoyo a la Revolucion, euphémisme pour nommer les camps de
concentration pour les homosexuels et autres individus "déviants", où des panneaux
annonçaient en grandes lettres "Le travail fera de toi un homme") jusqu'aux évènements
de l'exode du Mariel en 1980.

Plus récemment, la répression continue

Si Renaud Shaack voulait rendre son film respectable et l'interviewée Mariela Castro
crédible, il lui aurait suffit de dissiper les doutes sur des faits très récents, dont je citerai
seulement deux : en 2012, l'activiste de l'Observatoire Cubain des Droits de la
Communauté LGBT, Leannes Imbert Acosta, fut arrêtée -une fois de plus- pendant douze
heures par la Sécurité de l'État avant qu'elle ne puisse déposer au CENESEX un rapport
indépendant sur les UMAP, préparé par cette institution civile non reconnue par le
gouvernement, et qui regroupe 13 associations pour les droits sexuels, également non
reconnues. Début 2013, le Mouvement Féminin pour les Droits Civiques "Rosa Parks" a
dressé la liste très longue des agressions –surtout physiques mais aussi psychologiques–
contre les femmes cubaines qui, organisées ou pas, dénoncent le manque de liberté
d'expression et la répression de l'État.

En ce qui concerne Célia Hart, qui apparaît à plusieurs reprises dans le film, elle est
morte avec son frère à la Havane lors d'un accident de voiture en 2008. Deux années
avant son décès, le PCC l'avait exclue, car elle se revendiquait ouvertement de l'idéologie
trotskyste et parce que lors des conférences internationales et dans ses nombreux
articles -notamment publiés sur le site web alternatif Kaos en la Red-, elle critiquait la
ligne politique menée par Raúl Castro. Quelques questions s'imposent donc au
réalisateur : de quelle année datent ces extraits d'interview avec Célia Hart ? Pourquoi
nous ne sommes pas alerté.e.s, en tant que spectatrices et spectateurs, que parmi les
quelques interviewé.e.s on compte au moins avec une personne décédée ? Comment le
réalisateur peut-il justifier le peu de récits obtenus sur la vie de deux icônes féminins à
Cuba ?
La malhonnêteté dans le film Quand la révolution s'est faite femme est très supérieure à
sa médiocrité technique et artistique, car il tente de nous faire avaler les mensonges du
parti unique et phallocrate cubain. Pour nous qui nous considérons d'une sensibilité
féministe et antiautoritaire, voir ce film et les difficultés de son réalisateur à argumenter
ses choix, nous a provoqué d'abord le dégoût, ensuite la risée, puis le fou rire.

Danitza

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