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L’expérience du réel dans la avec l'accent que nous y mettons, le corps

vivant, nous écartons ce corps symbolisé


cure analytiqueJacques-Alain comme aussi bien le corps image. Ni imaginaire,
MillerDix-huitième séance du Cours ni symbolique, mais vivant, voilà le corps qui est
(mercredi 19 mai 1999) affecté de la jouissance.
XVIII Rien ne fait obstacle à ce qu’on situe la
jouissance comme un affect du corps. La
question est de donner son sens à cet adjectif
qu’on ne peut pas éluder : vivant. Évidemment
J’ai introduit la dernière fois des éléments de qui a pour nous beaucoup moins de précision
biologie lacanienne et c'était la troisième que l'adjectif imaginaire ou l'adjectif symbolique
scansion de cette année, après l'expérience du qui, pour nous, résonnent de tous les échos de
réel que j'ai centrée, si vous vous en souvenez, l'enseignement de Lacan et, après tout, qui
sur l’opposition entre symptôme et caractère et peuvent se fonder sur l’épistémologie et même
après les paradigmes de la jouissance que j'ai précisément sur les travaux d'histoire des
énumérés jusqu'au nombre de six. Et je veux sciences sur lesquels Lacan s'est appuyé pour
croire que c'est logiquement que j'ai été conduit faire cette distinction de l'imaginaire et du
au concept de la vie. symbolique alors que vivant passe là, dans
En effet, je ne m'intéresse à la vie que dans notre discours, sans être doté le moins du
sa connexion à la jouissance et pour autant qu’il monde d’une précision comparable.
se pourrait qu'elle soit ce qui mérite d’être La question est de donner son sens à cet
qualifié de réel et il m'a paru que les adjectif de vivant et aussi bien de saisir par quel
propositions de Lacan ne faisaient pas objection biais, de quelle incidence l’affect de jouissance
à formuler que la vie est la condition de la advient au corps.
jouissance. En tout cas, c'est ce que, la dernière Il y a donc, si on admet cette argumentation,
fois, j'ai énoncé et à quoi aujourd'hui il faut que cette perspective, il y a donc la condition de
j'apporte cette précision. corps et on peut tout de suite ajouter qu'il y en a
Si la vie est condition de la jouissance, c'est une seconde, une seconde condition qui s'ajoute
une condition nécessaire, ce n’est pas une à la condition de corps pour qu’on obtienne
condition suffisante. En effet, j'ai pris soin la quelque chose comme la condition suffisante.
dernière fois, je me suis même étendu là- Cette seconde condition c’est la condition de
dessus, de distinguer la vie comme telle – je ne signifiant. Si on se règle, comme je fais, sur
pourrais pas dire comme puissance - et le corps. cette formule de Lacan que “ le signifiant est
La vie déborde le corps. cause de la jouissance ”.
C'est ce qui oblige à préciser qu’il n’y a Voilà la perspective, la condition de la
jouissance qu'à la condition que la vie se jouissance, la condition de corps, la condition de
présente sous la forme d'un corps, d'un corps signifiant, voilà la perspective où je compte
vivant. C’est bien cette expression qu’il s'agit m’avancer dans cette biologie lacanienne.
d'évaluer, le corps vivant. Qu’est-ce à dire ? Une perspective, mieux vaut esquisser ce
Ça dit qu’il ne s'agit pas seulement du corps qu'on entrevoit au bout de cette perspective. Ce
imaginaire, pas seulement du corps sous la qu'il y a au bout, c'est une clinique, une clinique
forme de sa forme. Il ne s'agit pas du corps qui prendrait pour pivot une définition qui me
image, de celui que nous connaissons, auquel semble avoir été négligée du symptôme et qui
nous nous référons, parce qu'il est opératoire est pourtant fondamentale, incontournable, je
dans le stade du miroir, ce corps spéculaire, qui veux dire la définition du symptôme. Si je dis
double l'organisme. Il ne s'agit pas non plus, qu’elle a été négligée, c'est parce que,
quand on parle du corps vivant, du corps concernant le symptôme, on a beaucoup donné,
symbolique, celui qui, à plusieurs reprises, fait on a pris le symptôme pour thème d'une
venir sous la plume de Lacan la métaphore du réflexion, beaucoup ont contribué ces deux
blason. dernières années. Cette définition, c'est celle du
Dans les armoiries - les armoiries sont un symptôme qui figure au moins une fois chez
code - et, certes, des parties du corps peuvent y Lacan, pour l'instant, je l’ai trouvée une fois, je
être représentées, d'ailleurs avec d'autres n'exclus pas qu'elle se soit multipliée, mais enfin
éléments naturels, mais ces parties du corps ont dans une certaine discrétion et c'est une
valeur de signifiant. Ce sont des signifiants définition, pourtant, il m'apparaît maintenant,
imaginaires, des signifiants dont la matière est tout à fait nécessaire.
empruntée à l'image. Et quand nous disons,

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J.-A. MILLER, L’expérience du réel dans la cure analytique - Cours n°18 19/05/99 2

Bon je vais dire laquelle, quand même J'ai modulé ce dit en insistant sur ce que la
(rires), la définition du symptôme comme biologie freudienne devait à la biologie, sur la
événement du corps. Si elle a été négligée, pertinence de ce qui avait été le choix de Freud
outre qu'elle n’est pas répandue par Lacan, en allant pêcher la différence du soma et du
c’est sans doute qu'elle semble partielle. Le germen chez Weismann, dont j’ai indiqué que
symptôme comme événement du corps, ça ça faisait partie et que c'était même le point de
semble négliger l’évidence, par exemple, du départ de la voie principale de la biologie, celle
symptôme obsessionnel, qui se présente qui a déjà donné des résultats sensationnels et
comme symptôme de la pensée, par je dois dire j’ai renoncé même à vous apporter
excellence, bien que les symptômes ici tout ce que, au court de la semaine, on peut
obsessionnels de la pensée aient toujours leur pêcher dans les journaux ou magazines et
cortège de symptômes corporels qui ont été, revues sur les inventions qui se proposent en
d'ailleurs, repérés comme tel. cascade.
Et puis cette définition du symptôme comme D'ailleurs je ne lis plus que ça, l'actualité est
événement du corps semble faire l’impasse sur faite, d'un côté d’un certain nombre de
tous les symptômes qui, dans les différentes destructions qui s'effectuent de façon
structures cliniques, affectent par excellence la méthodique et patiente et puis elle est faite du
pensée, l’énonciation, le langage, et je devenir de ces curieux organismes que sont
suppose que c'est l’apparente partialité de les entreprises qui fusionnent, gonflent,
cette définition qui la fait négliger. C'est s’étendent, et puis elle est éminemment faite
pourtant une définition logique du symptôme, à du nouveau dans la biologie. J’ai à peine eu le
quoi on ne peut pas échapper dès lors qu’on temps de prendre connaissance, comme vous,
saisit le symptôme comme jouissance, dès lors certainement, de l’innovation apportée par le
que même on le saisit, dans les termes que spermatozoïde transgénétique qui a été porté à
propose Freud dans Inhibition symptôme la connaissance des populations par un ultime
angoisse, comme une satisfaction de la article de la revue Science et dont un certain
pulsion. Si le symptôme est une satisfaction de nombres de nos journaux familiers ont aussitôt
la pulsion, s’il est jouissance conditionnée par fait leurs gros titres, spermatozoïde
la vie sous la forme du corps, eh bien cela transgénétique qui périmerait l'opération du
implique que le corps - à condition de le définir clonage. Visiblement, chaque jour apporte sa
comme il convient - que le corps vivant est moisson, de ce point de vue.
prévalent dans tout symptôme. Mais enfin, s'agissant de la mort, réglons-
Voilà la clinique, la symptomatologie qui est nous sur le dit de Lacan qui distingue la
à l’horizon de ce que j'appelle biologie biologie freudienne et la biologie proprement
lacanienne. Ce qui est à l'horizon, c'est la dite. C’est ce biais qui a conduit Lacan à
reprise de la symptomatologie à partir des dédoubler la mort, à distinguer deux morts.
événements du corps. Ce qui nous Il introduit cette distinction à partir de la
demandera, évidemment, quelques spéculation de Sade, comme je l’ai rappelé la
redéfinitions, quelques précisions qui dernière fois, le Système du pape Pie VI qui
apparemment font obstacle à ce que cette figure dans l'histoire de Juliette. La première
définition soit utilisée, soit considérée comme mort, dans cette spéculation, c'est celle qui
opératoire. frappe la vie du corps individuel et le
Alors la dernière fois, j’ai longuement parlé transforme en cadavre.
de la vie, y compris des mythes matérialistes La seconde, c'est celle qui frapperait les
de la vie et, pour faire bonne mesure, je dirais molécules du corps réduit à ce cadavre. C'est
quelque chose de la mort. sous cet aspect que Lacan nous l’amène et, de
Concernant la mort, c'est le moment où ce fait, ça reste marqué de ce saut là, du saut
jamais de se régler sur le dit de Lacan auquel sadien. Je le dis parce qu'il me semble qu'il
j’ai fais un sort la dernière fois, que la biologie faut, bien sûr, relire ce dédoublement de la
freudienne n'aurait rien à faire avec la biologie. mort.
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Évidemment le dédoublement lacanien n’est pêcher ce dédoublement biologique chez


pas le dédoublement sadien. Il s’étaye sur le Sade, c'est précisément qu’il n'y a pas trace,
dédoublement sadien mais enfin il ne s'y réduit chez Freud, d'un tel dédoublement, selon toute
pas. L'existence de ces deux morts suppose apparence.
l’existence de deux vies, c’est celle dont Freud ne distingue pas entre la vie et le
s’enchante Diderot, comme je l’ai dit dans le corps. Allons voir le chapitre V de l'Au-delà du
Rêve de d’Alembert. Deux vies ou deux formes principe de plaisir où Freud développe ce
de vie, dont la première se réalise sous la qu’ultérieurement, en 1925, il appellera lui-
forme du corps et la seconde s’accomplirait même une ligne extrême de sa pensée,
sous une forme qui est infra corporelle. Une vie susceptible d'être amendée, d'être corrigée.
qui serait en effet moléculaire ou fibryonnaire et Alors, qu'elle est cette ligne extrême ?
c'est sur ce matérialisme vital que la Pour dire vite, premièrement, elle consiste à
spéculation de Sade s’appuie et aussi bien imputer la répétition, la compulsion de
qu'elle retourne, qu'elle anime, de ce qu'il répétition, cliniquement saisie comme
appelle le crime, ce crime qui serait le désir de phénomène isolé dans l'observation de l’enfant
frapper non seulement la première vie mais de comme dans l'expérience analytique, consiste
frapper aussi la vie moléculaire. à imputer cette répétition au corps vivant, à
Mais enfin, si on se met un peu à distance l'organisme vivant comme tel, voire à la
de la passion, criminelle en l'occurrence, qui substance vivante.
anime cette spéculation, si on se règle sur le Deuxièmement, elle consiste à concevoir
schéma que comporte ce dédoublement, ça se cette répétition comme tendance à rétablir un
traduit ainsi, ça se décide ainsi ce schéma, une état antérieur. Et troisièmement - si on admet
mort au-delà de la mort, une vie au-delà de la ce découpage - elle consiste à identifier cet
vie. état antérieur à la mort, conçu simplement
Simplement, chez Diderot comme chez comme non-vie, c'est-à-dire la mort biologique,
Sade, la double vie comme la double mort sont pour autant que, comme s'exprime Freud, le
du registre biologique. C'est une biologie non-vivant était là avant le vivant.
rêvée, ça se présente comme une biologie, la Autrement dit la démonstration, au temps de
dichotomie ainsi introduite répercute la Freud, dans ce chapitre V et qu'il prolonge
différence qu'il y a, en définitive, entre la vie et dans son chapitre VI, isole un mouvement vers
le corps, c'est-à-dire le dédoublement, ce la mort qui affecterait le vivant en tant que tel.
dédoublement sur lequel Lacan fait fond dans En effet, ça affecte le vivant en tant que tel.
son Éthique de la psychanalyse, repose sur le En cela, évidemment, il y a une différence.
fait que je mentionnais tout à l'heure, que la vie Freud a un concept de la vie qui est plus large
déborde le corps, que la vie comme telle que celui du corps, certainement, mais si je
déborde la vie du corps individuel et que le disais qu'il ne distingue pas les deux, c’est que
corps n'est qu'une forme transitoire, une forme le corps individuel obéit pour lui à la même
périssable, de la vie. logique que la vie en tant que telle, ce qui
Alors, le vœu sadien, le Wunsch de Sade, conduit Freud à chercher les manifestations de
que Lacan appelle finalement la pulsion de ces pulsions dès l'origine de la vie.
mort, vise la vie comme telle au-delà du corps. Ce qui se présente chez Freud comme l'état
Et quand on parle de Sade, qu'est-ce qui initial, l'état naturel, c'est l'état inanimé pour
porte le nom de Sade ? C'est le sujet qui autant que c'est un état sans aucune tension et
assumerait, qui prendrait à son compte la la vie apparaît comme une perturbation
pulsion de mort et qui la subjectiverait comme extérieure qui est survenue à l’inanimé. C'est
un crime et qui l’étendrait jusqu'aux éléments ce que Freud dit en toutes lettres, dans cette
du corps décomposé dont il désirerait la spéculation extrême – “ Les propriétés de la vie
disparition, l’anéantissement. furent suscitées dans la matière inanimée par
Alors, est-ce qu'on trouve quoi que ce soit l'action d'une force ”. Et il dit lui-même que
d'équivalent chez Freud ? Si Lacan est allé cette force, à vrai dire, est pour nous
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impensable. Là, lui est encore en rapport, en qui s'est développée au cours du 19e siècle et
discussion, avec le vitalisme qui hante la qui a connu ses plus beaux fleurons dans la
biologie de son temps. première partie de ce siècle, toute la
Alors Lacan, on peut dire qu'il a nié psychologie animale célèbre l’adaptation de
d'emblée et nécessairement, étant donné son l’organisme animal au milieu et c'est une
point de départ, la pertinence biologique de la référence qui restera, pour Lacan, permanente,
mort conçue comme retour de l'animé à celle des recherches tellement divertissantes,
l’inanimé. Il l’a fait d'emblée et il l’a développé de Von Uexkull, montrant comment, par
au long de son second Séminaire. Qu'est-ce exemple, la mouche a son monde à elle,
qui force, dit-il, Freud à penser à ça ? Qu'est- qu'elle prélève sur l'ensemble de
ce qui force Freud à penser à la mort comme l'environnement, des lieux significatifs par
destin du vivant saisi par une répétition qui est rapport à quoi elle apparaît merveilleusement
une tendance vers la mort ? Qu'est-ce qui force adaptée, appareillée, pour son monde. Là,
Freud à introduire cette conception ? Sa l’adaptation culmine dans l'harmonie. À cet
réponse, c'est précisément que ça n'est rien de égard, il n’y a rien de plus harmonieux que la
biologique, que sous l'apparence biologique de vie de la mouche, décrite par Von Uexkull.
la spéculation, c'est d'autre chose qu’il s'agit. Je vois que ça vous amuse, ça me laisse
Ce qui force Freud à penser à ça, dit Lacan, ce penser que vous n'avez pas la pratique du
n'est pas la mort des êtres vivants, c'est le texte de Von Uexkull qui est… Enfin, s’il y a un
vécu humain. livre qu'il faut mettre à côté des Écrits de
Et le vécu humain, expression dont Lacan Lacan, c’est l’ouvrage de Von Uexkull sur
se délestera, précise plus ou moins comme Monde humain et monde animal et vous
étant l'échange inter humain, l’intersubjectivité, constaterez d'ailleurs que le caractère
le fait du langage, disons que Lacan donne une absolument constant, du début à la fin de son
toute autre valeur que Freud - au moins enseignement, de la place que Lacan fait une
explicitement - à la connexion de la répétition à notion Von uexkullienne de l'Innenwelt et
la mort. l'Umwelt et, précisément, à leur emboîtement
C'est-à-dire que, d'un côté, évidemment, harmonique.
Lacan admet la répétition comme phénomène Cela me fait penser qu'il faudra peut-être
clinique, mais que, d'un autre côté, il donne un que la prochaine fois, je sélectionne quelques
tout autre sens à la connexion de la répétition à passages de la mouche pour vous les
la mort. transmettre, parce que c'est une référence, on
C'est-à-dire que là où Freud, dans sa ne peut que désirer être mouche en effet,
spéculation extrême, tient à y voir un quand on lit Von Uexkull, et c'est une référence
phénomène vital originaire, Lacan, absolument charnière et on a pu constater,
précisément, ne fait pas de la répétition un grâce à la publication d'un certain nombre de
phénomène vital. C'est que la répétition cours anciens de Heidegger, que lui-même
lacanienne ne relève pas du comportement de avait été un lecteur tout à fait attentif de Von
l'organisme vivant et même explicitement, il en Uexkull et même d'un certain nombre d'autres
fait un phénomène anti-vital, si je puis dire. psychologues du comportement animal.
Et, précisément, dans la mesure où c'est ce Donc, adaptation, emboîtement ou, comme
qu'il développe, à côté de Freud, en regard de s'exprime Lacan, je crois dans l’Étourdit,
la spéculation freudienne, que la répétition, rapport trait pour trait entre l'Umwelt et
dans l’espèce humaine s’oppose à l’adaptation. l’Innenwelt, entre le monde extérieur et le
Et c’est là deux grands registres qui sont suivis monde intérieur de l'animal, rapport trait pour
cahin-caha, de temps en temps, mais de façon trait. Là, emboîtement, disons envers et endroit
insistante dans cette lecture de Lacan, le parfait entre l'organisme et son milieu.
registre de la répétition et le registre de Et c'est par rapport à ce concept fort, ce
l'adaptation. L’adaptation vitale, que n'a pas concept expérimental, ce concept qui se
cessé de célébrer toute la psychologie animale prétend au moins issu de l'observation que
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prend sa dimension, par contraste, la On voit que, par une sorte de déformation, il
répétition. C'est par rapport à cette adaptation commence à mettre des guillemets à pulsions
merveilleuse, à cette adaptation qui est du moi, parce qu'il continue de parler de
harmonie, que la répétition freudienne, relue pulsions du moi, mais il précise, dès 1925,
par Lacan, prend son relief dans la mesure où, c'était la même date qu’Inhibition, symptôme,
après tout, il n’est pas très sorcier de montrer angoisse, il précise que c'est une dénomination
que la répétition est foncièrement inadaptation, provisoire, pulsions du moi et qui est
qu’elle est, pour l’espèce humaine un facteur simplement enracinée dans la première
d'inadaptation, que la répétition, précisément, terminologie freudienne.
telle qu’elle émerge dans la clinique, apparaît Même si la formule n’apparaît pas comme
comme conditionnant un comportement ça chez Freud, même si le terme de surmoi est
foncièrement inadapté par rapport aux ultérieur, on peut dire que la pulsion de mort
exigences de la vie, du bien-être du corps. telle qu’elle émerge dans son texte, c'est la
Ce que Freud appelle besoin de répétition, pulsion du surmoi.
loin d'être un besoin, entre guillemets, comme Et la force qui là ramène le vivant à la mort,
les autres, apparaît au contraire comme une qui fait qu'on voit le concept de l'auto-
exigence dysharmonique quant à l'être vivant conservation en quelque sorte se dissoudre
comme tel. sous nos yeux dans ce chapitre V, on voit
À cet égard, donc Lacan admet le fait de la l’auto-conservation se dissoudre, cette auto-
répétition, il démontre que par rapport à conservation qui serait l’apanage du moi, qui
l’adaptation, la répétition est d’un registre qui est une réédition de l'âme aristotélicienne, on
n'est pas du tout biologique et qu’il n'est voit que ça se dissout et que ce qui émerge à
vraiment pensable, ce registre, que dans la place, à la même place, c'est une pulsion
l'ordre du langage. tout à fait contraire à l’auto-conservation, c'est
Et c'est déjà, dans l'Au-delà du principe du une pulsion qui ramène le vivant à la mort et,
plaisir, dessinée la place du surmoi comme comme dit Freud, par ses voies propres, par un
principe de la répétition anti-vitale. Et c'est pour certain nombre de détours que Lacan lit
ça que, finalement, Freud a été conduit à comme des détours signifiants, les détours du
introduire son concept de surmoi. Il l’a introduit système signifiant qui trouvera le nom freudien
exactement à la place du moi. Parce que du surmoi.
jusqu'alors, Freud rapportait au moi tout ce qui Alors, il y a évidemment chez Freud, et
servait à l’auto-conservation du vivant. Il y a maintenu, valorisé comme tel, un binarisme
bien sûr des fonctions, les fonctions du moi, ce des pulsions. Il y a pulsion de mort mais que je
qu'il attribuait au moi comme fonction quant au traduis ici comme pulsion du surmoi, parce que
refoulement, etc. mais foncièrement qu'est-ce ça me paraît sa définition la plus simple,
qui fondait pour lui le concept du moi ? C'était éclatante, si on lit Freud, et il y a les pulsions
l'auto-conservation du vivant et c'est pourquoi il sexuelles qui seraient les pulsions de vie
parlait et il est embarrassé par ça dans son Au- s’opposant aux pulsions qui conduisent à la
delà du principe du plaisir, il parlait de pulsions mort.
du moi mais comme pulsion d'auto- Donc pas du tout des pulsions d’auto-
conservation, pulsion du vivant servant à sa conservation, mais plutôt les pulsions de
subsistance. reproduction. Et c'est ce binarisme que Freud
Si vous lisez le chapitre V, vous voyez tente de fonder en biologie, c'est ce binarisme
l’embarras même de Freud avec ce terme de des pulsions qu’il tente de fonder sur la
pulsions du moi puisque dans Au-delà du biologie de Weismann, sur la différence entre
principe du plaisir déjà, on voit, à travers soma et germen, en fonction du schéma que
l'argumentation de Freud, difficultueuse, on voit j'ai mis au tableau la dernière fois.
les pulsions d’auto-conservation, les pulsions Maintenant, c'est là qu’on peut se poser la
du moi devenir la pulsion de mort. question de la place de la libido, entre pulsion
de mort et pulsion sexuelle et que cette place
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paraît singulièrement complexe, parce que d'un manifeste deux aspects la pulsion. Mais, les
côté, cette libido apparaît présente dans les pulsions sexuelles - celles que Freud distingue
pulsions soit disant d’auto-conservation soigneusement des pulsions de mort - les
référées au moi comme réservoir de la libido, pulsions sexuelles font surgir la mort comme
donc elles sont d'un côté, mais la libido signifiant.
apparaît également bien présente dans les Encore plus clair, dans l’écrit contemporain
pulsions sexuelles qui préservent la vie. de ce Séminaire, dans “ Position de
Et c'est pourquoi, à ce propos, Freud note l'inconscient ”, Lacan écrit : toute pulsion est
que l’opposition entre pulsions du moi et virtuellement pulsion de mort. Et qu’est-ce à
pulsions sexuelles s'est avérée inadéquate, et dire sinon annuler le binarisme freudien ? Et ça
il pense parer à cette difficulté qui est n'est pas autre chose que ce qu'il nous
finalement de localiser la libido dans ce représente sous la forme de son mythe de la
binarisme en substituant à cette opposition lamelle, qui est une représentation de la libido,
celle de pulsion de vie et pulsion de mort. représentation mythique la libido. Il s'inspire de
C'est là qu'il faut s'apercevoir de la la référence que Freud prend au Banquet de
transformation saisissante que Lacan a opérée Platon pour construire son mythe à partir
sur cette théorie des pulsions, soi-disant d'Aristophane, de l’Aristophane du Banquet. Et
fondée en biologie. C'est qu’avec Lacan par donc il nous représente la libido comme un
exemple, nous disons la pulsion, sans y penser organe, donc comme un objet, etc.
davantage, mais nous disons la pulsion Mais l’essentiel, c'est que c’est un organe,
précisément parce que Lacan nous a appris, il dans le mythe de Lacan, qui a un sens
ne nous a pas appris, il nous a appris à parler, mortifère, c'est admettre, il nous représente la
il nous a appris du Lacan, pas forcement à libido, et donc il nous la définit la forme du
penser avec lui et comme il nous a appris à mythe comme un être mortifère, un être qui
parler, nous disons la pulsion, mais quand porte la mort.
nous disons la pulsion, c'est bien que, Et donc l'opération complexe de Lacan, elle
contrairement aux avertissements répétés de porte à la fois sur la mort et sur la libido, elle
Freud, nous ne tenons pas compte du consiste à montrer que la mort n'est pas du
binarisme des pulsions et que, précisément, la tout l’apanage de la pulsion de mort mais
perspective de Lacan surclasse le binarisme qu’elle est présente dans les pulsions
des pulsions. sexuelles, dans les pulsions de vie, la mort
Et au fond c’est difficultueusement que aussi bien est présente et que,
Lacan a extrait la pulsion comme telle de ce symétriquement, la libido est présente dans la
que Freud a amené sous la forme de ce pulsion de mort.
binarisme, en plus en entourant ce binarisme Cette double démonstration, qui est
de toutes les précautions comme quoi il ne éparpillée dans l'enseignement de Lacan, mais
faudrait sous aucun prétexte y toucher parce cette double démonstration finalement a
que y toucher serait tomber dans le jungisme, comme résultat d'annuler le binarisme des
dans la pansexualisme, etc. pulsions et de nous permettre à nous
Je dis ça parce que j'ai souvent, après tout, aujourd'hui de dire la pulsion. Que la libido soit
parlé des pulsions chez Lacan sans souligner présente dans la pulsion de mort, on peut dire
le fait évident et majeur que précisément Lacan qu'on en a tout à fait l'indice chez Freud,
annule le binarisme freudien, le binarisme puisque Freud définit la répétition, dans ce
freudien des pulsions. chapitre V, comme la répétition d’une
Et il le dit à sa façon, discrètement, il le dit expérience de satisfaction primaire mais
dans le séminaire des Quatre concepts comme la répétition d’une expérience de
fondamentaux quand il dit : - “ la distinction satisfaction primaire en quelque sorte échouée,
entre pulsion de vie et pulsion de mort est la répétition insuffisante.
vraie. ” C’est ce qu’il paye à la tradition Il pose d’emblée comme fondement de la
freudienne Est vrai, pour autant qu'elle répétition le ratage, la satisfaction obtenue par
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la répétition n'est pas équivalente à la introduit un double statut de la mort. Et ce n’est


satisfaction voulue, à la satisfaction exigée. Il y pas le double statut de la vie corporelle et de la
a toujours un déficit et c'est même là que Freud vie moléculaire, et de la mort du corps, et de la
voit l'origine du facteur qui pousse en avant mort espérée des molécules. Ce double statut
l'être humain, qui l’empêche de se satisfaire de la mort c’est celui de la mort naturelle et de
d'aucune situation établie, et qui l’oblige à la mort anticipée.
avancer dans son chemin vers la mort, sans Évidemment Freud ne l’avait pas méconnu.
que le but d’une satisfaction complète puisse Mais pour ça, il faut se référer plutôt à son
être atteint. texte Considérations actuelles sur la guerre et
Donc l’essentiel de la dichotomie la mort de 1915, dont le second chapitre est
freudienne, aux yeux de Freud, est résorbé par précisément dédié à notre relation à la mort.
Lacan, en montrant que finalement la mort et la C’est là que Freud insiste sur ce que la mort
libido ont partie liée. C’est le vrai sens de son propre n’est pas représentable, et c’est ce que
mythe de la lamelle, c’est dire la libido est un Lacan fera rouler dans son enseignement à
être mortifère. Et cette formule qu’on trouve partir de La Rochefoucault, puisque La
dans le texte, à peu de chose près, justement, Rochefoucault a dit la même chose, mais c’est
elle déforme, elle franchit la frontière que Freud là présent chez Freud, et que tout en étant pas
avait établit, de ce binarisme qu’il a trimbalé représentable, elle est pourtant anticipable. Et
avec lui, depuis la différence entre pulsions du ça, la mort comme anticipable, c’est tout à fait
moi et pulsions sexuelles et pulsion de vie et autre chose que la mort naturelle.
pulsion de mort. C’est la mort, comme le montre Freud dans
Évidemment, ce monisme de la pulsion est ce chapitre, en tant qu’elle exerce - comme il
un moment essentiel de l’enseignement de s’exprime gentiment - une forte influence sur la
Lacan. Peut-être que j’arriverai jusque-là vie ; selon qu’on accepte de risquer la mort ou
aujourd’hui, mais il est clair que, de son point qu’on en exclut le risque. Comme dit Freud,
de départ éminemment binariste, le binarisme dans les postures un rien héroïques, si on
du langage et de la libido, du symbolique et de exclut le risque de mort, la vie devient insipide.
l’imaginaire, le mouvement même de La tendance à exclure la mort, dit-il, des
l’enseignement de Lacan est allé vers comptes de la vie, a pour conséquence
l’élaboration de catégories monistes et qui fait renoncement et exclusion. Et c’est précisément
toute la difficulté, qu’on a laissé longtemps de cette pensée de la mort qui, selon Freud,
côté et quand on s’y avance, qui fait toute la amène à concevoir la division du corps et de
difficulté d’arriver à loger ces catégories dans l’âme, qui donne l’idée d’une survie après la
les fondements, au moins dans les mort, qui ouvre l’espace d’au-delà de la vie.
commencements de cet enseignement. C’est C’est le principe du dédoublement de la mort
que, on voit en quelque sorte des pans entiers tel que Lacan l’a avancé. Évidemment, il a mis
de l’enseignement de Lacan qui s’effondrent à en avant le dédoublement sadien, entre deux
partir du moment où surgissent ces catégories formes de mort naturelle, selon qu’elle porte
monistes dont on peut dire que la première est sur le corps ou sur les molécules, mais la
en quelque sorte celle d’une pulsion ici véritable double mort dont il s’agit, c’est la mort
réunifiée. naturelle et la mort qui tient au signifiant.
Alors, j’ai un tout petit peu développé la Alors qu’est-ce que Lacan a appelé l’éthique
libido présente dans la pulsion de mort, de la psychanalyse ? Il a appelé éthique de la
simplement en m’appuyant sur la définition psychanalyse, premièrement une doctrine du
freudienne. Disons un mot tout de même de la surmoi, c’est-à-dire d’une exigence qui va
mort présente comme signifiant. À quoi Lacan contre l’adaptation, l’exigence du retour d’une
se réfère ? Qu’est-ce que c’est que la mort satisfaction primaire, et donc l’exigence d’une
comme signifiant ? Ça traduit le fait, après tout jouissance. Et quand il a formulé, bien
bien connu, que l’être vivant dans l’espèce longtemps après, le surmoi dit jouis ! c’est
humaine anticipe la mort. Alors ce seul fait vraiment ce qui se détache, ce qui s’inscrit déjà
J.-A. MILLER, L’expérience du réel dans la cure analytique - Cours n°18 19/05/99 8

de son éthique de la psychanalyse. C’est mort, de l’être vivant pour la mort. Et ça


simplement réunir le tu dois kantien et cette suppose, en effet, que, au moins dans
exigence du retour de la jouissance. l’Éthique de la psychanalyse, la pulsion de
Donc ce qu’il a appelé éthique de la mort est équivalente au rapport subjectif à la
psychanalyse c’est, d’un côté une doctrine du mort.
surmoi, qui n’a rien à faire avec une morale Alors, ça implique, en effet, un petit bougé
qui, finalement, n’est jamais que l’emplâtre de de notre notion de la mort, et c’est ce qui court
l’adaptation. Quand Lacan se réfère à l’Éthique dans toute l’Éthique de la psychanalyse, ça
à Nicomaque, quand il se réfère à Aristote, implique que la mort, cette mort anticipée, cette
c’est pour montrer que finalement la morale, la mort qui empiète sur la vie, est équivalente à
morale comme sagesse, c’est ce qui viendrait une disparition signifiante, c’est une mort qui
à nous donner le guide qui nous fait défaut est équivalente au sujet barré, au sujet en tant
dans le registre de notre rapport à l’Umwelt. que un signifiant en moins.
C’est un tempérament de l’exigence de
jouissance, c’est une modération qui essaye de S
nous ramener à l’harmonie alors que la C’est ça que Lacan appelle la seconde mort.
doctrine du surmoi, elle se centre sur le facteur C’est la mort, comme il s’exprime, qui n’est pas
dysharmonique. la mort de tous au sens où ça n’est pas la mort
Et deuxièmement, l’éthique de la qui consiste, dit-il, à claquer du bec. C’est ce
psychanalyse, c’est une explication de la qu’il appelle la vraie mort, la mort qui a partie
fonction de la mort dans la vie, c’est-à-dire liée avec la vérité aussi bien, celle où le sujet
d’une mort qui n’est pas du tout rapportée à la est soustrait à la chaîne signifiante et, en
biologie, mais rapportée à la logique du quelque sorte, rejoint ou même épouse son
signifiant. propre anéantissement.
Donc ici, c’est la double mort dont il s’agit, Ce que Lacan appelle la seconde mort, c’est
c’est la mort naturelle d’un côté et la mort le manque-à-être signifiant du sujet, ce qui
signifiante de l’autre et c’est ce qui fait que d’ailleurs implique, symétrique de la seconde
Lacan peut poser la question dans son mort, la seconde vie, entre guillemets la vie
Séminaire de l’Éthique, question saugrenue, signifiante qui double la vie naturelle. Le vivant
apparemment - La vie a-t-elle quelque chose à dans l’espèce humaine existe comme signifiant
voir avec la mort ? Qu’est-ce que ça veut dire ? au-delà de la vie naturelle, il est en quelque
Ça veut dire que la mort n’est pas le sorte doublé par la vie signifiante.
complémentaire de la vie. Parce qu’il s’agit ici Alors, j’y mets des guillemets parce que
de la mort en tant que nous avons rapport à la cette vie signifiante, elle est avant tout
mort dans la vie et ce ne peut être qu’une mort présente dans le fil d’une chaîne signifiante où
signifiante, et ça traduit l’empiètement de la le sujet est précisément saisi. Alors il y a, dans
mort sur la vie. ce que Lacan appelle l’éthique, deux faces du
La question sur quoi débouche l’Éthique de sujet. Il y a sa face de disparition et c’est cette
la psychanalyse, c’est de savoir comment le face là qui s’identifie à la seconde mort, à la
vivant, quand il relève de l’espèce humaine, mort proprement signifiante, et puis il y a –
comment un corps vivant peut-il accéder à son c’est un terme qui ne figure pas déjà dans
propre rapport à la mort ? l’Éthique mais que j’amène pour rassembler les
Ce que Lacan appelle le rapport à la mort, le éléments qui composent cette autre face - il y a
propre rapport à la mort ou que Freud appelle le signifiant unaire, comme signifiant du sujet
notre relation à la mort, c’est ce que Lacan fait de la seconde mort. C’est le signifiant unaire et
équivaloir à la pulsion de mort, c’est le fait qu’il d’ailleurs le terme qui revient, là, n’est pas
y a rapport à la mort. Il n’y a pas simplement unaire, c’est l’unique.
mort subie, il n’y a pas simplement
identification subie à la mort qui s’effectue.
C’est, en effet, une déduction de l’être pour la
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S  S
l’absolu du soi- même. Évidemment, c’est un
1 signifiant détaché, le Un ici n’ouvre pas à une
= = série, le Un est le Un de l’unique et c’est pour
u n iq u e ça qu’il y a cette boursouflure dans ce
séminaire de l’Éthique. Pourquoi il y a tout ce
L’unique, c’est ce que le signifiant convertit commentaire d’Antigone ? Parce que,
de l’être, en dépit de toutes les transformations précisément, Antigone se voue à cette unicité
du vivant, pour en faire un Un absolu. du vivant humain et à ce qui de lui persiste au-
On peut dire que, d’un côté c’est par le delà de ce qui a été sa vie biologique.
signifiant que se produit cet empiètement de la Alors c’est un signifiant séparé, absolu et
mort sur la vie et d’un autre côté, le signifiant séparé de l’Autre avec un grand A. C’est ce
accomplit une éternisation du sujet dans son qu’illustre Antigone, on dit rebelle à l’ordre de la
unicité. L’Éthique commente le vers de Cité. C’est-à-dire qu’au point où elle se situe,
Mallarmé - Tel qu’en lui-même l’éternité le comme visant l’unique, elle est vouée à l’Un
change ; et c’est pourquoi, d’un côté Lacan tout seul. Et ici, sa séparation de l’ordre de la
commente l’effacement signifiant du sujet, et, Cité veut dire qu’elle est précisément en un
corrélativement, ce que le sujet conserve point où l’Autre n’existe pas et c’est pourquoi
d’ineffaçable, à partir du moment où le ici, Lacan a pu glisser comme une
signifiant l’a épinglé comme ce qu’il appelle représentation de la fin de l’analyse. C’est–à-
une chose fixe. dire comme une esquisse de la passe, comme
Alors c’est ici que s’introduit Antigone. le moment où le sujet s’accomplit en tant que
Antigone, c’est celle qui dit : rien d’autre que le celui, la formule est dans Lacan, qui n’attend
vivant humain a droit à la sépulture. C’est-à- l’aide de personne et donc, qui, dans l’ordre
dire qu’il persiste en tant que signifiant au-delà pathologique, dans l’ordre des passions, peut
de la mort biologique. Et donc ça met en cause se traduire par la détresse ou par le désarroi
à la fois cet S barré et la préservation du absolu, par le fait de n’être plus arrimé à
signifiant de celui qui a été un homme vivant. personne.
Elle maintient le droit de l’existence Alors, disons que structuralement, ce que
signifiante de l’Un au-delà de tous les attributs vise l’Éthique de la psychanalyse, si on
qui ont pu lui être décernés. La question n’est représente la chaîne signifiante de cette façon
pas de savoir s’il a été bon, il a été méchant, élémentaire, comme une succession
s’il est coupable ou non. Il a été sujet du d’éléments signifiants, ce que vise précisément
signifiant et à ce titre, on peut dire qu’Antigone l’éthique de la psychanalyse, c’est l’intervalle
est le sujet qui vise le S1, le pur S1 du sujet, entre les signifiants. Et c’est ce qui est
c’est-à-dire le vise comme simplement dans représenté par ce sujet barré. Et même entre
son il a été. Et, à cet égard, ce S1, c’est la les signifiants, cet entre les signifiants est
pierre du vivant. C’est ce qui réalise la susceptible de recevoir son signifiant spécial,
pétrification signifiante et qui est d’ailleurs qu’ici je me suis contenté d’appeler S1.
incarné par, ce qui est quand même un rite
presque universel, la pierre tombale. La tombe S 1
a toujours à faire avec la pierre, que se soit
même sous la forme de la caverne, enfin
presque toujours. S
En tout cas il y a une affinité entre la C’est-à-dire, ce que vise l’Éthique de
sépulture et la pierre, et c’est là que Lacan la psychanalyse à cet égard, c'est, en effet, le
situe l’inanimé de Freud. Le soi-disant retour à rien. Alors dans son double aspect le rien que
l’inanimé, l’inanimé de Freud, Lacan le situe à fait surgir le signifiant et le Rien qui fait surgir le
cette place du S1, c’est l’inanimé de la signifiant. Et toute l’ambiguïté du Séminaire
pétrification signifiante et, si l’on veut, c’est repose sur cette différence : le rien que fait
surgir le signifiant, parce qu'il n'y aurait pas ce
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rien si le signifiant n’avait pas émergé, mais en creusée, c'est finalement la barrière de l'avoir,
même temps ce rien qui fait surgir le signifiant, c'est le bien que l'on possède et que l'on a à
et c'est ce que Lacan a traité comme protéger. La barrière du beau, c’est celle
créationisme. qu'oppose la forme du corps humain, c'est
On peut dire qu'il y a trois versions du rien l'image du corps comme enveloppe, dit Lacan,
qui s'articulent dans l’Éthique. Il y a le rien en de tous les fantasmes possibles du désir.
tant que la mort, la mort signifiante, la seconde Eh bien d’une certaine façon ces deux
mort, le rien comme signifiant de l'Unique, et le barrières, celle du bien et celle du beau, n'en
rien, si je puis dire, comme vide de la vie. font qu'une, précisément pour autant que, par
Alors ça se centre, ça se resserre et en excellence, c'est le corps qui est l'avoir du
même temps ça échappe, sur une antinomie sujet, qui est l'avoir du sujet c'est-à-dire qui
du signifiant et de la vie, une antinomie du n'est pas son être.
signifiant et de l'être vivant. Je poursuivrais dans la même ligne la
On peut dire que Lacan propose déjà là une semaine prochaine.
représentation de l'incidence du signifiant sur la
vie et une représentation qui, finalement, va Applaudissements.
être, il me semble, sous-jacente à nombre de
ses élaborations, y compris les plus avancées,
les dernières. Cette représentation de Fin du Cours de Jacques-Alain Miller du 19
l'incidence du signifiant sur la vie, je crois que mai 1999
c'est la valeur qu'il faut donner à ce qu'il 18° Cours
évoque à partir de Heidegger. Du vase et je
vais le représenter par une sorte de symbole
humain, comme un “ U ”.

Ce
même
U serait le symbole et
l'objet représentatif du
signifiant. Parce que d'un côté, c'est le
signifiant premier, qui peut prétendre à être
élevé au rang de signifiant premier façonné
des mains de l'homme et que, comme tel, il
crée le vide. Donc à la fois, il vient en plus
dans le monde et, venant en plus, en même
temps il amène un moins. D'où la valeur qu'il
prend de représenter ce en quoi le signifiant
annule la vie et, par là même, détache comme
telle la jouissance de la vie et c'est bien ce qui
introduit la problématique de ce qui vient
remplir le vide qui a été ainsi créé, ce qui se
substitue à la jouissance perdue et initialement
annulée.
Les substituts que Lacan peut énumérer
sont ici autant de barrières. Comme vous
savez, il distingue spécialement deux barrières,
la barrière du bien et la barrière du beau - je
terminerai là dessus - la barrière du bien et
justement pour les réduire, pour montrer en
court-circuit de quoi il s'agit. La barrière du
bien, le substitut du bien, à cette place ainsi

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