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CULTES DE POSSESSION ET PENTECOTISME AU

BRESIL : PASSAGES*

Patricia BIRMAN**

Comment passe-t-on d’une religion à l’autre ? Comment se construisent


les passages entre des religions par lesquelles on est passé ? Quels types de
médiations sont éventuellement nécessaires et dans quels contextes ? Ces
questions énoncées, en mettant l’accent sur la notion de passage, visent à
aborder, dans une perspective analytique, la relation entre des cultes religieux
différents au-delà des limites impliquées par la notion de conversion. Celle-
ci, privilégiant l’idée de parcours individuel et valorisant
presqu’exclusivement l’élaboration subjective et intérieure de la croyance,
tient peu compte du contexte social et religieux à l’intérieur duquel intervient
cette transformation. En effet, les mouvements individuels de passages entre
des cultes, impliquent un espace d’interlocution constante où, précisément,
nous rencontrons des médiations sociales et symboliques (aussi bien que des
médiateurs) qui rendent possible cette conversion. Cet espace d’interlocution
possède quelque chose de fluide, de syncrétique, qui sera constamment le
sujet de réinterprétations de la part des croyants et des non-croyants, des
convertis et des sceptiques. Il peut, cependant, être conçu comme espace “de
passage” en un sens plus large : espace où se redéfinissent les frontières, où
s’élaborent les échanges et les constructions syncrétiques, les innovations et
les inventions qui soumettent au changement les cultes impliqués.

*
La première version de ce texte a été présentée lors du séminaire, coordonné par
Marion Aubrée, au Centre de Recherches sur le Brésil Contemporain, EHESS, Paris,
janvier 1996, et publiée dans la revue Religião e Sociedade 17/1-2, 1996. Je remercie
Regina Novaes pour ses commentaires et Patricia Guimarães qui a été fondamentale
comme assistante de recherche. La version en français est de Marc Henri Piault à qui
je dois aussi des remarques très utiles qui ont dépassé les limites d’une simple
traduction.
**
Professeur d’Anthropologie au Département de Sciences Sociales de l’Université
d’Etat de Rio de Janeiro.

Cahiers du Brésil Contemporain, 1998, n° 35-36, p.185-208


186 Patricia BIRMAN

L’idée que les Eglises chrétiennes gardent attentivement leurs frontières


institutionnelles et symboliques, surtout dans le champ du protestantisme, est
une idée persistante en anthropologie. Ce serait en quelque sorte des églises
préservées du syncrétisme, en fonction de l’exigence présupposée d’une
adhésion exclusive aux modèles chrétiens. Cette présupposition a quelques
effets au niveau de la recherche ethnologique. Birgit Meyer (1995), dans un
article récent, a mis l’accent sur cette représentation largement répandue dans
la littérature concernant les recherches sur l’Afrique. Selon elle, le
syncrétisme est un phénomène religieux considéré comme sujet d’études plus
ou moins pertinent seulement lorsqu’il s’agit d’églises indépendantes, c’est-
à-dire de mouvements religieux autochtones apparus hors du cadre
institutionnel des Eglises chrétiennes. C’est ainsi, toujours selon elle, que
n’ont pas été mises suffisamment en valeur les innovations, en grande partie
singulières et extrêmement contextuelles que, dans diverses parties du monde
les Eglises pentecôtistes ont faites à propos des principes chrétiens défendus.
L’auteur suggère, avant tout, d’élargir le champ de l’observation
ethnographique et de prendre en compte à cet effet le vaste champ
pentecôtiste reconnu comme lieu d’invention et de procédures d’invention
jusqu’à présent peu mis en évidence.

Il s’agit de prendre en considération ces procès syncrétiques de


l’innovation religieuse ailleurs que dans les lieux privilégiés jusqu’alors
(essentiellement les religions dites “traditionnelles” et en particulier les
religions africaines) et d’étendre l’investigation au champ du christianisme.
Cela permettrait de considérer les phénomènes de conversion au
christianisme de façon plus relative et de poursuivre des analyses moins
soumises à un point de vue évolutif acceptant sinon prônant le caractère
inévitable d’un mouvement d’homogénéisation du monde où le christianisme
serait un instrument aussi bien qu’une confirmation de ce cours global de
l’histoire.

Sur le chemin emprunté par Birgit Meyer (1995), Marshall Sahlins fut
certainement un précurseur ; non pas, nous le savons bien, qu’il ait traité
spécifiquement des problèmes religieux, mais en ce qu’il a ouvert de
nouvelles perspectives analytiques à partir d’une prise en considération du
phénomène de contact culturel. En effet, Sahlins (1985) a perçu le caractère
positif du malentendu et de la confrontation des interprétations entraînées au
cours du contact culturel. Ce qu’il a appelé le malentendu productif, est
l’expression conceptuelle de cette positivité. De son point de vue, la relation
entre systèmes culturels distincts ne provoque ni l’accord entre eux, comme
le suppose une interprétation naïve, ni une négation pure et simple de l’un
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 187

par l’autre comme le voudrait une autre lecture largement répandue. Il s’agit
au contraire d’une appropriation sélective de la culture de l’autre par les
différents acteurs sociaux, appropriation qui serait la meilleure expression du
processus de changement social.

Nous voyons bien que le concept de contact culturel renforcé par celui
de malentendu productif, peut nous aider à penser ce que l’on appelle
habituellement le syncrétisme. Il s’agit, en somme, de valoriser le travail
d’élaboration symbolique de la culture de l’autre à travers les mouvements
qu’il entraîne et les modifications qu’il crée dans sa propre culture, dans les
traces qu’il laisse et les impacts qu’il produit. Nous devons chercher à
comprendre ces formes de contact entre le pentecôtisme et les cultes de
possession, mettre en évidence l’idée d’un processus impliquant des formes
successives d’appropriation et de réélaboration symboliques entre les deux
systèmes religieux en contact.

C’est en ce sens que nous souhaitons analyser certains aspects des


passages opérés entre un culte de possession brésilien et un culte pentecôtiste
particulier1. Les interlocuteurs principaux de cette tendance protestante
considèrent les cultes de possession, récemment désignés comme adversaires,
comme l’ennemi principal des hommes et surtout des chrétiens.

Vers la fin des années 80 en effet, s’est développée d’une façon


spectaculaire, une Eglise pentecôtiste qui se répand aujourd’hui dans le
monde entier et surtout en Amérique latine et en Afrique. L’Eglise
Universelle du Royaume de Dieu (IURD) fait du combat contre la possession,
le centre de son activité rituelle et un instrument essentiel dans sa conquête
de nouveaux adeptes. Le prosélytisme qui a entraîné sa croissance, a pris
comme thème principal le combat contre les forces du mal, incarnées par les
dieux et les entités, les esprits appartenant aux cultes de possession. Cette
expansion et le revirement que cela a produit dans le champ religieux
brésilien, se fondent sur la disposition et l’utilisation de moyens de

1
Marion Aubrée (1985) a été l’une des premières anthropologues à chercher les
relations de rupture et de continuité entre le pentecôtisme et les cultes de possession
au Brésil. Dernièrement, l’intérêt pour le thème du syncrétisme et les divers processus
de renouvellement charismatique a conduit des chercheurs comme Pierre Sanchis
(1992), entre autres, à se tourner vers les modifications religieuses qui dépassent les
limites fixées par le champ institutionnel. En ce qui concerne surtout les passages
syncrétiques des cultes de possession au pentecôtisme voir les travaux de Véronique
Boyer (1994 et 1996).
188 Patricia BIRMAN

financement et de diffusion extrêmement puissants. Le principal fut, sans


aucun doute, l’acquisition d’une chaîne de télévision et l’appui du
gouvernement Collor. Sa présence dans la société brésilienne s’est
développée, non seulement par la conquête de nouveaux adeptes selon les
procédures traditionnelles de la conversion mais également grâce à ces
nouveaux instruments de communication. Ils lui ont permis d’affirmer et de
préciser sa présence dans la vie publique grâce une très large visibilité et une
très grande puissance nouvelle données à son discours par ces moyens.

L’Eglise Universelle du Royaume de Dieu est celle, parmi les Eglises


pentecôtistes, qui a mené un combat d’une nature et d’une extension sans
précédent contre la “sorcellerie”. Elle a fait du combat rituel contre la
possession un instrument thérapeutique et en même temps un instrument
d’occupation théâtrale, spectaculaire, des réseaux de communication.

La présence du pentecôtisme dans la vie de ses fidèles se fait au travers


d’une élaboration extrêmement personnelle de leurs trajectoires sociales et
religieuses. L’Eglise, malgré sa présence envahissante, verra ses activités
rituelles soumises à des expériences singulières, individualisées, de la part de
ses adeptes qui donneront un nouveau sens à ses croyances et à ses pratiques
en exprimant quelque chose de plus et de différent par rapport au discours de
ses pasteurs.

Nous examinerons le rapport de ce pentecôtisme avec les cultes de


possession à deux niveaux : d’abord, au niveau de la personne, là où
l’individu redéfini sa place et son identité religieuses et sa propre forme de
pensée en relation avec le domaine surnaturel ; en second lieu, au niveau des
relations sociales où sont mises en évidence les médiations construites par les
nouveaux convertis entre les deux cultes.

En effet il y a dans cette Eglise un ensemble d’activités rituelles et


symboliques qui font office de pont entre les deux systèmes religieux, ce sont
les activités qui ont une même origine —les cultes de possession— et bien
sûr peuvent donner lieu à des interprétations différentes. De telles activités
sont les lieux de passage d’un culte à l’autre.

Dans ce texte, nous travaillerons à partir des expériences de personnes


liées à l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu, choisies selon un seul
critère : leur ancienne adhésion aux cultes de possession. Le fait également
d’être situées dans un même espace d’habitation, une favela de la ville de Rio
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 189

de Janeiro, nous permettra de circuler à l’intérieur d’un réseau de relations de


voisinage et/ou de fréquentation actuelle ou antérieure d’un même culte.

Personne, possession ou exorcisme

Avant nous vivions seulement dans la souffrance : c’est ce que disent les
personnes lorsqu’elles racontent leur libération. Libération, c’est l’un des
mots qui s’entend le plus à l’intérieur de l’église aussi bien que dans le
discours de chacun au sujet de son entrée dans le pentecôtisme. Libéré,
libération, c’est le contrepoint le plus fréquent à la complainte de souffrance
concernant ce que l’on a subi lorsqu’on appartenait aux cultes de possession.
Ceci peut être également, dans un sens plus “classique” à l’intérieur du
pentecôtisme, l’expression d’une libération des maux du monde et du salut
par Jésus. Cependant, parler de la condition de libéré, implique par dessus
tout un règlement de compte avec un passé qui, en ce cas, est celui d’une
participation aux cultes de possession. Se libérer est compris parfois comme
une libération du mal générique inhérent au monde, parfois comme
essentiellement une libération des attaches spécifiques, puissantes et pensées
comme indestructibles, établies avec les dieux et les entités au moyen de la
possession. Le sentiment le plus fort de libération concerne cependant ce qui
est relatif à la rupture de ces liaisons rituelles.

On ne rappellera jamais assez que l’Eglise Universelle du Royaume de


Dieu, tient au centre absolu de ses activités la pratique de l’exorcisme et
l’expulsion des démons, essentiellement identifiés aux entités2 et aux orixás3
appartenant aux cultes de possession. L’expulsion des entités anciennes,
parfois inconnues, hors de chaque personne, va constituer le moment le plus
important des activités rituelles de l’Eglise, structurant dans son espace
public le sentiment de la libération. Se libérer est ainsi une activité rituelle
dont l’objectif est de détruire les liens antérieurs forgés dans le contexte d’un
autre culte.

Inévitablement cependant, pour l’ensemble des personnes ayant


appartenu à des cultes où la possession était au centre des activités rituelles et
constituait un moyen essentiel de qualification personnelle, l’exorcisme
gardera un sens particulier. La relation exorcisme/possession ne se réduit pas

2
Désignation générique pour les êtres surnaturels.
3
Divinités des cultes afro-brésiliens.
190 Patricia BIRMAN

ainsi à une simple idée “d’entrée” et de “sortie” d’êtres surnaturels par cela
même que ces deux mouvements se rencontrent aussi bien dans les cultes de
possession que dans les cultes avec exorcisme. Le sens est évidemment
différent dans un contexte ou dans l’autre, non seulement à cause de
l’importance accordée à l’un ou l’autre mouvement mais également à cause
de la négativité acquise par les dieux qui deviennent des diables lorsqu’ils
passent d’un culte à l’autre. La place et le rôle qui leurs sont attribués dans
chacun des cultes diffèrent également en ce qui concerne la construction de
la personne. Alors que les diables doivent être détruits, par contre les entités
et les dieux doivent être conservés. En tout état de cause, le passage des
anciens adeptes des cultes de possession au culte d’exorcisme pentecôtiste, se
fera avant tout en renversant les liens que ces individus entretenaient avec
leurs anciens protecteurs surnaturels devenus des ennemis puissants.

Il n’y a rien d’exceptionnel à imaginer que les personnes qui entrent


dans les cultes pentecôtistes aient auparavant acquis une certaine
qualification à l’intérieur d’un culte de possession. En conséquence,
lorsqu’elles entrent dans leur nouvelle église, elles sont confrontées à une
conception nouvelle de leurs anciennes divinité protectrices devenues
soudain des forces diaboliques. Elles gardent en même temps la conviction
que leur relation, diabolisée, reste néanmoins inaliénable. L’exorcisme va
être perçu comme un rituel dont l’efficacité est reconnue mais à l’intérieur de
certaines limites. Ce rituel devra agir sur un individu qui n’est pas
simplement un être “occupé” par des entités maléfiques qui devraient être
“retirées”, mais c’est également un être possédant une qualification, en
d’autre termes une nature qui s’est constituée à travers justement cette
relation entretenue avec ses anciens protecteurs, ces entités, ces dieux
désormais diabolisés dans la nouvelle Eglise.

La qualification personnelle obtenue par l’attention et le soin avec


lesquels un individu cultive ces liens personnels, est comprise comme un
renforcement du soi, comme une forme de progression par rapport au passé.
Des personnes avec “de nombreuses années de saint”, sont des personnes
plus fortes, avec une stabilité et une autonomie meilleures, construites à long
terme dans cet échange avec les orixás qui lui appartiennent. C’est ainsi
qu’une personne initiée, vouée pendant de longues années aux activités
rituelles d’une maison de culte, ne se considérera pas comme “égale” à un
jeune qui entrera en transe pour la première fois au cours d’une fête. Cette
différence renvoie à un grade hiérarchique établi institutionnellement et
correspond également à une différence de statut de la personne, statut donné
par la qualité du lien établi avec ses entités surnaturelles. Plus il sera “ancien
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 191

dans le culte”, plus il sera “initié dans le culte”, plus élevé sera son grade
hiérarchique, meilleures seront ses qualités personnelles, meilleure sera son
autonomie.

Chez les individus venus des cultes de possession, nous percevons deux
modes d’interprétation contradictoires de la personne, qui traversent leurs
histoires de conversion au pentecôtisme. L’interprétation par le destin
personnel implique qu’une personne appartient à une religion particulière et
que le choix de ce destin appartient à la sphère de l’invisible ; ce sont les
mécanismes divinatoires qui permettent de savoir à quel culte appartient
l’individu et à quel orixá il doit se vouer. A l’inverse la voie du salut,
introduite de façon ambiguë par le pentecôtisme, vise à transformer l’idée
d’un destin prévu et énoncé en un choix qui serait à faire, génériquement, par
tous les hommes de bonne volonté, un choix pour Jésus. Par dessus tout, ce
choix, dans l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu, ne peut être réalisé
qu’individuellement à travers un processus de “purification rituelle”, un
exorcisme qui détruira les liens religieux antérieurement établis. En d’autres
termes, il s’agit de détruire l’ancienne qualification donnée à une personne
par l’intermédiaire des liens établis précédemment avec les orixás, désormais
considérés comme maléfiques et diaboliques.

L’entrée dans un culte de possession, nous le savons bien, se fait par la


communication avec les orixás, établie par des moyens divinatoires comme le
jeu des cauries ou par la révélation médiumnique, moyens contrôlés par les
responsables de la maison de culte. Cette entrée ne se fait pas sans difficulté.
Les futurs adeptes savent que le passage de la condition de client à celle de
médium ou de fils de saint implique des restrictions certaines dans la vie
personnelle ainsi que des obligations à accomplir. C’est la raison pour
laquelle cette entrée est généralement négociée entre la personne et l’autorité
principale du culte qui transmet, par l’intermédiaire de la possession ou de la
divination, le désir et les exigences des êtres sacrés. Les divinités et les
esprits imposent leurs exigences qui seront l’objet de négociations, parfois
très longues, et se référant à des raisons différentes liées à des niveaux
variables d’adhésion religieuse. Parfois une personne récuse la maison de
culte qui veut l’initier et se méfie du diagnostic reçu ; il est également
possible de considérer que l’initiation n’a, en l’occurrence, pas de raison
d’être et penser qu’elle peut être remplacée par la pratique directe de la
possession ; on peut rejeter la “ligne” religieuse d’une maison de culte ; on
peut enfin accepter les liens proposés et en même temps tenter de les
repousser le plus possible. En somme, rien n’implique une acceptation pure
et simple d’une exigence quelconque dans ce domaine des religions de la
192 Patricia BIRMAN

possession. En général les individus font un choix qui est rendu effectif par
une négociation face aux exigences prononcées au nom du destin qui lui
aurait été réservé. Sans mettre en doute le principe selon lequel ce destin est
véridique, les individus ne se soumettent cependant pas au verdict qui leur est
énoncé sans chercher à créer un espace de négociation entre leurs intérêts et
les exigences religieuses. La négociation est présente dès le début, dès que
l’individu est confronté aux liens qu’il doit avoir avec ses orixás. Elle
apparaît chaque fois plus favorable à l’individu, au fur et à mesure qu’il
gagne en respectabilité et qu’il occupe une position plus élevée dans la
hiérarchie du terreiro (lieu de culte). A ce moment, le jeu d’échange,
d’obligations et de devoirs pour entretenir les liens avec les orixás, offre à
l’individu respectable un grand espace de manoeuvre et la possibilité d’une
prise en compte attentive de son autonomie.

Par contre, ce que l’entrée dans le pentecôtisme implique pour ses futurs
adeptes, est la sortie de l’espace de négociation du destin personnel :
l’exorcisme élimine ce qui était son fondement, c’est-à-dire la qualification
héritée du terreiro par l’intermédiaire de la possession. Au lieu de négocier
avec les orixás et avec les entités dans une relation instituée et avec certains
mécanismes d’échange bien établis, il faudra au contraire les “expulser” pour
laisser la place à un choix d’une autre nature. L’entité ou le dieu, désormais
considéré comme diabolique, empêcherait l’exercice de la vraie volonté de
l’individu qui serait aveuglé par l’action des forces maléfiques à l’intérieur
de lui-même. L’usage de la force est alors légitime pour venir au secours du
caractère véridique et unique de la foi qui exige un acte de reconnaissance de
son exclusivité. Il s’agit, avec la libération, de dévaloriser l’astreinte relative
à la relation existant antérieurement : elle était l’expression même du rapport
entretenu avec des êtres reconnus maintenant comme diaboliques. A partir de
l’entrée dans l’église, le but à atteindre est de se libérer du caractère
obligatoire de la relation antérieure. On cherche à la transformer par la force,
à la soumettre. Cette entrée dans le nouveau culte va donc soulever quelques
problèmes, clairement évoqués dans les témoignages des anciens adeptes des
cultes de possession, et qui persistent tout au long du processus vécu jusqu’à
être libéré. C’est entre le destin et le choix, entre la négociation et l’usage de
la force que s’opèrent les passages par où circulent les personnes.

La recherche de ces passages signifie donc un effort pour concilier ces


oppositions si vives, si sensibles et parfois si dramatiques. Les qualifications
et les attributs obtenus grâce aux cultes de possession vont être représentés
comme des éléments qui conditionnent la forme par laquelle seront exécutés
les rites publics d’exorcisme et, en conséquence, la forme à travers laquelle
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 193

vont se constituer les nouvelles identités religieuses et s’établira le sens de la


libération.

Comme nous l’avons vu, l’un des obstacles à la libération est la


qualification obtenue antérieurement dans le culte de possession. Il s’agit de
quelque chose qui définit une dimension importante de la personne et qui
sera représenté de différentes manières dans l’Eglise. En effet, les individus
vont traiter cet “obstacle” à une pleine adhésion à la nouvelle foi par
différents moyens que nous allons examiner.

Une ancienne adepte interprétait sa conversion à l’Eglise par le fait que


cela correspondait à son destin personnel lu à travers les jeux divinatoires et
reconnu par les entités et les orixás. Les raisons que Dona Maria donnait à
son entrée dans l’église se fondaient sur ce qu’elle considérait comme une
profonde inadéquation personnelle au système religieux antérieur dont
cependant elle ne niait pas la valeur. Il y aurait eu, d’après elle, une
dédication personnelle à Jésus, quelque chose d’intrinsèque à sa personne et,
en conséquence, une absence de lien avec les orixás qui seraient aujourd’hui
condamnés comme diables. Cette constatation à laquelle elle était parvenue,
fut rendue possible par une reconstruction de son histoire de vie lui
permettant de revaloriser les indices de son inadéquation à la possession,
indices qu’autrefois elle négligeait ou ignorait.

Des signes infimes sont ainsi mis en relation avec son passage au
pentecôtisme pour identifier les caractéristiques qui, dès le départ auraient
indiqué un destin en ce sens. Par exemple, Dona Maria affirme comme une
idiosyncrasie personnelle qu’elle n’a pu comprendre qu’après son entrée
dans la nouvelle église, qu’elle n’a jamais aimé les images. Ce n’est pas,
comme on pourrait facilement le supposer, parce qu’elle aurait été entraînée à
considérer, à partir de sa rencontre avec l’église qui en fait un point de
doctrine affirmé en permanence, que les images sont des “idoles” et qu’elle
ne représentent rien. Ce qu’elle affirme ressentir est une autre chose, il s’agit
d’un manque initial d’affinité personnelle avec les images : «j’ai toujours été
au milieu mais je n’aimais pas les images, aucune même ! ».

De même qu’elle a transformé une négation du culte des images en


idiosyncrasie personnelle qui aurait son origine dans un destin préfixé, cette
même ex-médium cherche dans son ancien terreiro la reconnaissance des
orixás à l’égard de cette “ligne” particulière à laquelle elle appartient et qui
n’est pas admise dans les terreiros bien qu’elle ait son propre lieu bien défini
194 Patricia BIRMAN

dans le monde. La conversation qu’elle tient avec les esprits au cours de


sessions d’umbanda4, nous est rapportée comme une source supplémentaire
d’information corroborant la nature de son destin personnel lié au
pentecôtisme :
«Aïe ! Au cours d’une nuit, j’ai été là et le Boiadero (un esprit de l’Umbanda)
est descendu sur moi et là j’ai eu une conversation avec lui. Je lui ai parlé de
mon mari qui buvait beaucoup mais quand j’ai été au centre, rien n’est arrivé de
définitif. Alors il m’a parlé en me disant qu’il ne pouvait pas m’aider parce que
j’étais une personne qui croyait seulement ce qui était au sommet et que je ne
croyais pas en lui. Je lui ai dit que si mais que j’étais également catholique ;
c’est également pour ça que je ne me baptisais pas dans une autre église».

De même que certaines personnes sont marquées par des “saints de


berceau” c’est-à-dire qu’elles montrent dès leur naissance une prédestination
à la naissance pour les orixás et ainsi sont dispensées d’initiation, Dona
Maria affirme qu’elle possédait Jésus “au berceau”. Dans les cultes de
possession, l’idée d’une médiumnité à la naissance est liée à une mise en
question de l’idée d’initiation : ce sont des personnes qui n’ont pas besoin de
se soumettre au rite de passage désigné par l’expression “raser la tête”, pour
exercer l’activité rituelle de la possession. Cette forme particulière de
médiumnité qui s’exerce sans initiation peut entraîner la suspicion : en effet
cela écourte le cheminement et économise les recours rituels pour
l’acquisition de prestige et ceux qui la possède parviennent très rapidement
au sommet de la hiérarchie religieuse. Ceci paraît valable aussi bien pour les
cultes de possession que, d’une autre façon, pour le processus de libération
dans l’Eglise pentecôtiste.

La réponse apportée par Dona Maria à cette tension entre le destin


personnel et le choix d’une religion exclusive, s’appuie sur l’idée que la
qualification personnelle obtenue par le culte de possession était déjà, par
nature, adéquat pour l’entrée dans une Eglise pentecôtiste. Son destin était
Jésus et ce qu’elle tient du terreiro, loin de l’embarrasser, facilite, au
contraire, sa nouvelle condition d’élue. Au lieu d’esprits malins, elle porte
Jésus en son coeur et en ce sens elle n’aura pas besoin d’éprouver la
souffrance de son changement de statut à travers l’exorcisme. Du fait qu’elle
possède Jésus depuis le berceau, la relation de cet ancien médium avec le rite
d’exorcisme sera d’une nature différente de celle d’une autre personne qui
apportera du culte de possession, comme attributs personnels, ses liens avec

4
L’un des courants religieux afro-brésiliens.
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 195

les entités et les orixás. Dona Maria, c’est en cela sa différence d’avec les
autres, n’aura jamais besoin de se soumettre. Elle est née déjà libérée.

Sans cette qualification positive, les autres anciens médiums arrivent à


l’Eglise chargés, avec leurs histoires anciennes, d’une pratique constante de
la possession. Mais avant d’aborder ces situations là, nous pouvons
mentionner un cas symétriquement inverse à celui de Dona Maria. Une
enfant, élevée par sa mère au sein de l’église, présente une caractéristique qui
la différencie des autres personnes en ce qu’elle “possède un diable depuis le
ventre” (c’est-à-dire avant sa propre naissance). A cause de cette
qualification, la “purification” par l’exorcisme sera considérée comme
inadéquate, ou plutôt en l’occurrence, insuffisante.

La différence vient de ce que de telles personnes possèdent à la


naissance, de nature pourrait-on dire, ce qui sera pour les autres l’objet de
longues élaborations rituelles. La conséquence logique d’une telle situation
est une relation différente des uns et des autres avec l’exorcisme. S’il n’y a
pas eu de rites de fixation des entités et des orixás sur la personne dans le
cours d’une initiation, il n’y a pas de raison de passer par les mêmes rites,
dont le sens est inversé dans l’église, pour retirer du corps ce qui y aurait été
fixé auparavant. C’est ce qu’explique la mère de la gamine :
«(le pasteur) prend le sang de Jésus, jette le nom entier dans la coupe (avec le
sang), élève la coupe et la personne qui a le diable depuis le ventre, il (le diable)
se manifeste».

On observe que les gestes rituels qui seront considérés comme


appropriés pour faire apparaître le démon qui occupe le corps de la personne,
sont des gestes clairement liés au rite de la trans-substantation dans le rituel
de la messe : le pain et le vin acquièrent une autre nature et se transforment
en corps et en sang du Christ. Avec le vin on place un papier avec le nom de
la personne qui, comme le vin et à cause de la proximité de celui-ci, change
de nature au moment où le pasteur “élève la coupe”. On passe donc, par
l’intermédiaire du rite, d’une nature compromise avec le mal, “le diable
depuis le ventre”, à une nature libérée de ce mal.

Il est intéressant de distinguer ici, dans ce récit, non seulement la


fonction du rite mais également la relation qu’il paraît entretenir avec la
196 Patricia BIRMAN

messe catholique. Le “travail syncrétique”5 qui est la partie constitutive de


ces passages entre cultes, est donc effectué, parfois par l’église dans les
gestes accomplis, parfois par l’interprétation donnée par les personnes qui
vont s’approprier le sens de ces gestes par rapport à leur propre histoire de
vie.

La qualification donnée par le système religieux antérieur, semble donc


informer de manière très précise le chemin rituel à accomplir dans le nouveau
culte. Plus précisément, la reconstruction que ces personnes font de leurs
histoires de vie, implique une présentation des attributs personnels liés au
domaine de la possession qui les qualifient pour un type déterminé de
relations avec la sphère du surnaturel. Cette qualification va conditionner la
forme et les difficultés par lesquelles elles passeront pour obtenir la condition
de libérés et plus encore, elle pourra être étendue, en terme de valeur
possédée, jusqu’à l’intérieur du nouveau groupe d’appartenance religieuse. Il
se crée ainsi un mécanisme de distinction symbolique par l’intermédiaire de
la relation que les personnes maintiennent ou maintiendront avec le rite
d’exorcisme à l’intérieur de l’église.

En effet, de la même manière que la possession est essentielle aux


terreiros pour la réalisation convenable de leurs cérémonies, le rituel
d’exorcisme se révèle essentiel pour l’Eglise Universelle du Royaume de
Dieu. Ceci exige cependant, une forme pentecôtiste de construction de la
possession, condition inévitable, bien entendu, pour pratiquer l’exorcisme.
Ainsi, le rite de possession à l’intérieur de l’espace rituel de l’église, va obéir
à certaines règles et sera pratiqué avec une plus ou moins grande fréquence
sur le chemin qui mène à la condition d’un être libéré. Cela implique une
révision des liens religieux antérieurement établis. On utilise de manière
courante le terme de manifester pour désigner la possession à l’intérieur de
l’église. L’acte de manifester fait donc intimement partie de ces parcours qui
s’achèveront avec la nouvelle condition de libéré. Comme le soulignent les
anciens adeptes de ces cultes, le pasteur provoque la possession, utilisant les
instruments rituels liés à cette culture de la possession diffuse dans toute la
société brésilienne, aussi bien pour “faire manifester la personne” que pour
réaliser un exorcisme.

5
Il est important de valoriser dans l’ancienne notion de syncrétisme ce qui serait un
“travail syncrétique”, ce qui veut dire un travail d’invention à partir d’une “tradition”
donnée, comme le postule André Mary (1993).
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 197

Mais dans les terreiros comme dans l’IURD, ceux qui subissent la
possession, surtout celle qui est incontrôlée, ne souhaitent pas qu’elle se
présente dans leurs corps, car ce type de scène rituelle laisse habituellement
une sorte de honte chez les personnes du fait de l’exhibition publique qui
paraît comme un manque de maîtrise et de contenance corporelles. On fait
donc référence à cette transe obligatoire qui arrive par la volonté du pasteur
et oblige à participer aux rituels d’exorcisme, en manifestant les esprits
malins qui s’emparent des corps.
«Parce que c’est obligatoire pour toi de manifester, on ne peut pas tricher. Le
pasteur pose la main sur ta tête et tu manifestes sur le champ. Il n’y a pas de
refus ou de peur. Il dit : “démon, toi qui te cache, tu vas te manifester ; sors de
cette vie”. Et il n’y a pas d’échappatoire. Mais avec moi, grâce à Dieu, ça n’est
jamais arrivé... Tu as vu des personnes se manifestant et les démons disant ce
qu’ils avaient fait et ce qu’il feraient dans la vie de la personne. Moi je suis
lassée de voir (le démon disant) : “je vais détruire la vie de cette personne. Je
vais détruire son fils. Il sera bon pour les ordures”».

Le passage à la libération dépendra, dans certains récits, de la capacité


du pasteur à provoquer dans l’église, la manifestation des diables et, selon ce
qui est dit, l’identification et l’individualisation de ces entités maléfiques par
le moyen de l’acte de “donner le nom”. Dans les terreiros du candomblé et
de l’umbanda, l’acte rituel, coordonné par la mère de saint qui oblige l’orixá
ou l’entité à “donner le nom”, indique le parfait établissement du lien entre
un esprit spécifique et une personne. Ce lien, dans le cas du candomblé,
passe par les rites de l’initiation et, dans le cas de l’umbanda, par l’exercice
constant de la possession. Une personne avec le plein usage de sa
médiumnité, saura les noms des entités qui l’habitent et, par là même, aura un
meilleur contrôle de la possession, contrôle partagé avec la principale
autorité religieuse de la maison, son père ou sa mère de saint.

Les activités rituelles pour la libération impliquent, dans l’IURD, une


action effectuée par l’esprit incorporé dans la personne qui obéira à la voix et
à l’autorité du pasteur et “donnera son nom”. C’est seulement lorsqu’il est
identifié que l’esprit peut être l’objet d’un exorcisme efficace. Savoir le nom
est donc une forme de pouvoir de l’église sur l’esprit qui habite la personne :
«Ce qui est amusant est que dès qu’on manifeste ce n’est pas pour savoir quel
type de diable c’est. Le pasteur non plus parce qu’il demande toujours le nom du
diable. Là il dit le nom. Dans la macumba, comme chaque personne se
débrouille avec son saint, il y a des fois où l’on n’a pas besoin de savoir ni de
demander qui il est, on sait aussitôt. Parce qu’ils dansent, esquissent leur signe».
198 Patricia BIRMAN

Toutefois le pasteur ne paraît pas avoir les conditions pour faire se


manifester n’importe quel esprit.
«Parce que il y a des esprits qui sont plus difficiles à tirer, à brûler. Béni soit
celui qui se manifeste. On est libéré ; dans l’instant Dieu accorde la délivrance à
cette personne. C’est alors le jeûne et l’oraison et c’est plus difficile parce qu’il
entre par l’âme. Il est déjà entré par là où tu es né. Il est entré en même temps
que tu es né et maintenant, ma fille, cela se dilue seulement en oraison».

Celui qui se manifeste dans l’espace rituel de l’église est très rapidement
libéré mais il montre devant tous une fracture structurelle aussi bien en
relation avec les anciens orixás qu’en relation avec la force de l’Esprit Saint.
Rappelons que provoquer la possession en quelqu’un c’est démontrer un
certain pouvoir sur lui. Le même geste significatif d’un tel pouvoir est utilisé
aussi bien dans les terreiros qu’à l’église, ce geste de mettre la main sur la
tête et qui provoque la possession. Un geste qui, d’un côté, renvoie à un
manque de contrôle de la personne sur elle-même, de l’autre signifie une
acceptation du pouvoir de l’église sur soi. Accepter la possession à l’intérieur
de cet espace rituel est donc, pour ceux qui se sentent détenteurs d’une
certaine qualification religieuse, quelque chose de contraignant. Nombreux
sont les anciens médiums qui déclarent qu’ils ne “manifesteront jamais” dans
l’église. Nous pourrions suggérer que parfois la possession aux fins
d’exorcisme sera plus intensément pratiquée parmi ceux qui, dans les
terreiros de l’umbanda et du candomblé, étaient de simples clients et
n’avaient jamais vraiment “progressé”. Ceux-là, certaines données d’enquête
nous le montrent, vont faire la connaissance des esprits malins qui les
habitent dans l’espace même de l’église. C’est là qu’ils verront confirmé le
soupçon qu’ils avaient toujours eu : j’avais un exú et je ne le savais pas,
j’étais obsédé par le sexe à cause d’un esprit de Pomba-Gira et je l’ignorais...
La libération dans l’Eglise pentecôtiste peut donc être, pour certaines
personnes, une des voies dans la constitution d’un savoir rituel sur la
possession. Les rites d’exorcisme, ainsi pratiqués, se constituent comme un
pont qui, soit autorisera le passage effectif de certaines personnes d’un culte
à l’autre, soit permettra l’élaboration du sens de ce passage à partir
d’expériences antérieures.

Nous avons mentionné deux cas où les attributs associés à la possession


sont mis en évidence soit pour éviter sa pratique dans l’espace rituel de
l’Eglise, soit pour établir une spécificité faisant de l’exorcisme un instrument
insuffisant pour établir les liens de la personne avec la sphère sacrée. Nous
allons voir maintenant un troisième cas où l’attribut qui relie la personne aux
cultes de possession est perçu comme peu développé. En d’autres termes, il
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 199

s’agit d’un cas qui, au contraire des cas précédents, semble manquer d’une
qualification donnée par le système antérieur.

Le parcours d’Augusta

Augusta a actuellement 33 ans. Son parcours religieux est entièrement


marqué par le doute. Elle a été umbandiste puis elle est entrée à l’IURD et
maintenant elle n’a plus de filiation religieuse institutionnalisée. Elle a
travaillé dans le commerce jusqu’au moment où elle s’est sentie très
souffrante. Aujourd’hui elle est soutenue par l’INAMPS (Sécurité Sociale)
pour maladie nerveuse. Elle a un fils, est séparée du père de l’enfant et vit
depuis quelque temps avec un autre homme qui est catholique. Sa mère
habite le même quartier qu’elle et appartient à l’IURD depuis dix ans.

Tout a commencé, dit-elle, à partir d’un travail très pesant, c’est-à-dire


une “sorcellerie” qui a été faite contre son mari et contre elle. Ça n’a pas
collé contre son mari et ça a collé contre elle et son fils. Pour se délivrer de la
sorcellerie, Augusta a été obligée d’aller à un centre d’umbanda. Le mari
était contre et la battait beaucoup, ce qui a provoqué une lésion cérébrale qui
lui a donné une grande douleur à la tête et l’a obligée, jusqu’aujourd’hui, à
suivre un traitement psychiatrique. Les difficultés avec son premier mari
n’ont pas cessé, ils ne se séparaient pas mais ils n’étaient pas ensembles. La
mère a proposé de l’aider et l’a emmenée à l’Eglise Universelle. Elle
raconte :
«J’ai été à l’Universelle, je me suis agenouillée, j’ai mis mon visage à terre,
j’étais là en toute humilité et j’ai demandé qu’il (le premier mari) soit à moi ou
bien qu’il sorte de ma tête».

Elle insiste en disant qu’elle a fait tout ce qu’on lui a demandé : elle
allait chaque jour prier après le travail, elle a apporté ses vêtements de saint
pour être détruits à l’église et elle a détruit toutes les statuettes parce que,
selon elle, à l’église on disait que “ce n’est pas bon les statuettes des
personnes mortes”.

Malgré tout cela le mal de tête était encore pire qu’avant :


«J’allais mal et je devais tenir ma mère pour ne pas tomber ; un “ouvrier” (un
assistant pasteur) est venu me bénir et la mauvaise chose (l’entité maléfique)
n’est pas descendue. Pour résoudre l’affaire il fallait sortir de là».
200 Patricia BIRMAN

Elle affirmait donc une inadéquation de sa personne à l’IURD sans


mettre en cause les principes religieux et les rituels défendus par l’église. En
même temps elle assumait que sa spécificité propre les empêchait d’agir et
même les lui rendait préjudiciables. Pour qu’un exorcisme soit efficace,
pense-t-on, il est nécessaire que l’esprit se manifeste : mieux la possession
sera construite, plus facilement la personne pourra être délivrée. Le fait de ne
pas posséder des esprits bien développés est considéré comme une
inadéquation et c’est ce qui empêche l’effet bénéfique de l’exorcisme
provoqué par le pasteur : la mauvaise chose n’est pas descendue.

Elle rechigne donc contre son absence de formation religieuse dans les
cultes de possession qui aurait permis à l’exorcisme de l’église d’être plus
efficace. Les liens qui auraient du être construits avec les orixás, manquent,
empêchant que ceux-ci soient suffisamment associés pour être invoqués. Ce
qui est déploré, c’est le manque d’un travail rituel qui aurait bien “fixé” en
elle ses entités. A cause de cela il s’est créé une sorte de brouillard, une zone
brûlée et indéfinie de présence et d’absence qui renforce son mal de tête et
son mal d’être. Il faut noter que le “mal de tête” ou “aller mal”, est un
symptôme traditionnel d’une présence mal prise en compte ou d’une demi-
présence de l’une des entités.

Le Bien peut donc faire mal : l’intervention rituelle du pasteur est


reconnue comme une intervention uniquement liée aux forces du Bien ;
toutefois, et même à cause de cela, il peut engendrer des effets nocifs sur une
personne comme elle qui possède des esprits peu développés. En fonction de
son expérience, elle critique ainsi l’intervention de l’église :
«Je crois que c’est un erreur, lorsque tu as un saint, d’appeler le saint, le saint va
descendre. Cette partie de l’Universelle est erronée je crois parce qu’ils
appellent beaucoup de mauvais noms (des entités maléfiques) et si on appelle,
ils vont descendre. Alors je ne me sens pas bien, je commence à trembler,
trembler. Car ça ne descend pas, tout ce que j’obtiens c’est de me sentir mal. Je
ne me souviens pas, ça fait déjà de nombreuses années que j’ai abandonné. Je
me souviens seulement qu’une personne disait que l’exú Caveira que j’ai, était
descendu une ou deux fois. Mon père et ma mère de tête sont Xangô et Iansã. Ce
sont les deux saints les plus puissants que j’ai. Ils ne sont pas vraiment bien
développés parce que je passe peu de temps avec le vêtement (comme médium).
Par exemple, les miens (mes saints), ne parlent pas, non ils ne parlent pas parce
qu’ils ne sont pas développés, ils ne font jamais leur signe. Si je vais dans un
terreiro pour appeler Xangô et Iansã, ils descendent».

Les saint les plus forts et les plus bénéfiques “ne descendent pas” et en
compensation seul descend à l’Eglise Universelle l’exú Caveira qui est plutôt
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 201

associé au mal. Augusta insiste, à l’Universelle, les pasteurs appellent


seulement “les mauvais noms”. En outre ces saints lorsqu’ils descendent à
l’église, présentent seulement un de leurs visages le plus affreux, le plus
tordu. Leur bon visage, ils ne le montrent qu’au terreiro.

Elle conclut donc que l’Eglise Universelle ne lui convient pas. Mais en
outre elle n’arrive pas à savoir qui a raison, elle affirme même qu’elle ne sait
pas en qui croire. De la même façon que ses esprits se montrent incapables de
se manifester à l’église, elle observe que, pour d’autres personnes, cela ne se
passe pas ainsi et qu’elles sont rapidement libérées. Elle se demande donc si
ce n’est pas elle qui est atteinte d’une faiblesse intrinsèque qui se révélerait
dans son incapacité à mener à bien un enchaînement de libération.

Au cours de sa quête à la recherche d’une amélioration de soi, elle a


fréquenté un terreiro et l’Eglise Universelle simultanément. Elle accepte le
discours des deux institutions qui rendent la possession responsable de tous
ses malheurs. Cette coïncidence, dans son récit, renforce le diagnostic reçu.
Le pasteur s’est montré capable de faire parler l’esprit mais incapable de
l’exorciser réellement. Son expérience au terreiro s’est avérée plus efficace
en ce qu’elle apportait une solution différente de l’exorcisme, une solution
négociée :
«De là j’ai donc été au centre. La mère de saint a commencé à parler avec moi et
tout à coup elle a changé ( elle est entrée en transe). Elle s’est changée comme
cette bête, comme cette espèce d’exú de Lama et elle a parlé de tout ce qui
s’était passé. Ils (les exú) ne dirent pas qui avait fait (quel était le responsable du
travail de macumba, de “sorcellerie”). J’ai demandé “mais pourquoi tu fais cela”
il répond : “parce que j’ai été bien payé pour le faire”. Moi je pleurais, lui riais.
La mère de saint était avec M’sieur Tranca Rua en avant, et une autre fille de
saint qui était avec M’sieur Lama et un autre est descendu avec moi. Là il a
changé et il a demandé à l’exú de Lama : “tu es à elle” et il a répondu : “non,
j’ai été payé pour finir avec elle, sucer tout son sang et manger sa chair, la
laisser seulement avec les os. J’ai été très bien payé pour manger sa chair”. De
là elle s’est adressée à l’exú Caveira et il a dit : “moi, je suis à elle” et elle lui a
demandé (encore) : “et vous faites quelque chose pour elle ?” Il répond : “Non,
la seule chose est que je suis fâché avec elle parce qu’elle a été à la maison de
Dieu et elle m’a abandonné. Mais je n’ai rien fait”. De là M’sieur Tranca Rua
demande en disant à M’sieur Exú de Lama : “Donc, fais quelque chose, retourne
voir celui qui t’a commandé, (fais lui )le double (de ce qu’il t’a demandé de
faire), c’est moi qui t’ordonne, (puis) pars dans l’espace et je ne veux plus que
tu fasses du mal à quiconque”. Il est parti».
202 Patricia BIRMAN

La négociation se présente dans toute sa puissance au cours de la


confrontation des esprits entre eux jusqu’au moment où il appartient à la
mère de saint de faire reconnaître sa position hiérarchique supérieure et, en
conséquence de faire obéir les autres à ses ordres.

Il est difficile de ne pas reconnaître dans la forme de ce récit, l’effet


d’un travail syncrétique qui articule les traditions religieuses présentes. La
désaccord d’Augusta avec l’église n’empêche pas sa perception relative à
l’ancien culte de possession de se transformer. La représentation des esprits
ainsi que la façon de mettre en scène la possession construisent une
dramatisation au cours de laquelle émergent des images issues d’un arrière
plan chrétien. Un exú, par exemple, reconnaît l’Eglise Universelle comme la
maison de Dieu, un autre reconnaît sa propre action comme destructive et
marquée par une certaine animalité, vision qui correspond à celle du diable
comme une bête poussée par sa nature propre à faire le mal. L’idée de
destruction est explorée comme une confession faite à la première personne,
comme un témoignage, phénomène récurrent dans le scénario de la
possession à l’IURD. Dans son discours prédomine une image négative de ces
entités qu’elle reconnaît cependant comme des êtres qu’elle doit respecter.
De cette façon elle instaure comme solution pour elle-même, un respect rituel
pour cette sphère de l’univers invisible afin d’obtenir, en échange, une
autonomie :
«L’affaire est d’avoir toujours du respect pour les saints. Et aussi de faire ce
qu’ils désirent. En donnant ce qu’ils désirent, ils te lâchent, ils te laissent en
paix. Et tu peux vivre ta vie. Je crois que si tu en as, il faut leur donner ce qu’ils
désirent. Ce n’est pas toi qui choisit, ce sont eux qui te choisissent».

L’autonomie religieuse à laquelle elle veut atteindre peut être effective


en cherchant à préserver une condition religieuse de personne non-affiliée.
Ainsi, en assurant des pratiques quotidiennes de rituels domestiques, elle
garde une distance prudente à l’égard d’un niveau de participation
institutionnelle qui l’entraînerait obligatoirement vers l’acquisition d’un
statut hiérarchique religieux, comme fille de saint. L’absence d’un tel projet
d’adhésion et de participation, lui permet d’avoir recours à deux autres
instances religieuses : sa propre mère qui, en tant que membre de l’Eglise
Universelle, aura sur elle un exceptionnel pouvoir de guérison et son second
mari, catholique, qui lui a appris à lire la Bible et également à l’utiliser contre
la sorcellerie. Dans ces conditions, lorsque son mal de tête revient, sa mère
lui fait des applications d’huile d’onction, distribuée aux fidèles de l’Eglise
Universelle. Son mari, d’autre part, lui a enseigné un psaume qu’il lit
toujours et utilise également beaucoup en prière, principalement aux heures
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 203

considérées comme dangereuses et qui sont les plus favorables aux attaques
magiques : midi, six heures et minuit.

En fin de compte Augusta ne donne pas de valeur positive à la faiblesse


de ses liens avec la sphère surnaturelle comme si cela avait pu augmenter son
importance à l’intérieur de l’Eglise pentecôtiste. Au contraire, nous l’avons
vu, sa qualification précaire dans le culte de possession, rend impossible,
d’après elle, une pleine efficacité de l’exorcisme, condition nécessaire pour
“ouvrir son coeur à Jésus”. C’est donc une personne inachevée et en
conséquence fragile, sans alternative. D’une certaine façon, l’espace
d’autonomie par rapport aux saints a besoin d’être conquis. Les personnes
qui ont déjà “développé” leur relation pourront, de même que celles qui ont
reçu Jésus au berceau, être libérées très rapidement. Les unes parce qu’elle
pourront éviter avec le plus d’efficacité la possession, les autres parce qu’elle
n’en ont pas besoin.

Il est possible d’imaginer que la solution rencontrée par Augusta est


plus fréquente que nous ne le supposions, essentiellement parce que nous
pensions jusqu’à présent l’espace d’existence pentecôtiste comme un espace
exigeant une adhésion intégrale et exclusive, constitutif d’une communauté
participative. Nous savons, pourtant, que l’Eglise Universelle, différente en
cela des autres Eglises évangéliques, reçoit une population fluctuante. Et le
cas présent nous montre que sa présence dans la société peut se faire sous
une forme quasi “catholique”, bénissant, exorcisant, guérissant au moyen de
rituels divers, atteignant ainsi une population variable dont une partie peut
supprimer certains de ses rites pour les remplacer par d’autres d’origine
umbandiste ou catholique.

Il s’agit, finalement, d’une voie bien connue dans la société brésilienne.


A travers l’utilisation du terme syncrétisme, une vaste littérature mentionne
comme trait important et habituel de la religiosité dans la société, qu’elle
serait marquée par une accumulation de pratiques appartenant à des églises
différentes, en particulier et essentiellement à l’Eglise catholique et aux
cultes de possession.

Le comportement d’Augusta, à partir de la lecture faite de son passage


entre des cultes différents, se conforme à ce mouvement pour regrouper des
pratiques rituelles de façon à organiser des passerelles permettant de circuler
d’un culte à l’autre. Elle ne fréquente pas l’IURD mais, à travers ses proches,
elle conserve des liaisons qui lui permettent d’obtenir son aide rituelle :
204 Patricia BIRMAN

«Maintenant l’Universelle est contre toute les autres religions. Pour eux, il n’y a
que l’Universelle. Lorsque je me sens mal, en crise, je l’appelle (sa mère)
immédiatement. Quand je reviens à la normale, ma mère est la seule que j’ai
envie de voir, alors elle vient avec l’huile de l’Eglise dont elle oint ma tête et la
douleur s’arrête immédiatement. Jusqu’à présent je garde de l’huile de l’église
ici ; mais je peux “jouer” jusqu’à un litre et ça ne fera rien».

Nous avons développé jusqu’ici l’idée que la qualification religieuse


conditionne la forme et la limite de l’adhésion à ce type de pentecôtisme.
Nous pouvons cependant aller plus loin dans cette affirmation. Ceux qui sont
“qualifiés” ou dont le statut de possédé et le mode de participation au culte
sont assez importants, ne considéreront pas l’action de l’IURD comme
susceptible de détruire cela. Le rituel d’exorcisme peut “éloigner” les entités
considérées comme malignes, mais il ne sera pas susceptible d’invalider
quelque chose qui appartient au destin personnel de chacun. Ce ne seront pas
les personnes qui choisiront les orixás, elles seront choisies par eux et, bien
qu’elle puissent intervenir dans la relation qu’elles ont avec eux, elles ne
pourront pas la “désactiver”, elles ne seront pas capables de rompre
entièrement un lien établi par le destin. Il faudra mener à bien un important
travail rituel pour permettre “d’avoir un coeur purifié” et des entités “bien
amarrées”.

L’exorcisme est seulement une partie du rituel que la libération exige.


Le plus important est l’action dite “d’amarrer les diables”. Il s’agit d’un
usage courant parmi les fidèles de cette église et qui a également une relation
analogique avec une procédure rituelle usuelle dans les cultes de possession.
L’idée fondamentale implique que l’action “d’amarrer les diables”, c’est-à-
dire de les empêcher d’agir sur la personne, est une action indéfinie, devant
être constamment renouvelée, même par ceux qui ont été libérés et baptisés
dans les eaux. Pour ces derniers l’action de maintenir les diables amarrés est
souvent considérée comme importante. Ceci parce que la libération, même si
elle est individuelle, arrive à des personnes qui considèrent leur famille,
surtout leurs enfants, comme faisant partie d’elles-mêmes. C’est ainsi que,
tout en acceptant le caractère individuel de la conversion, elles pensent
également que leurs anciens saints et orixás, garderont une relation
privilégiée avec leur famille. L’institution familiale semble ainsi être
l’élément englobant dans les cas de sorcellerie. Rappelons ce que disait
Augusta et que répètent de nombreuses femmes : ce qui peut coller au mari,
collera à elle et à l’enfant. Ce transfert de cible de la sorcellerie est possible à
l’intérieur de la famille. Toutefois la sorcellerie collera plus facilement à
ceux qui seront moins fort, du point de vue des liens avec Jésus.
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 205

Les familiers sont donc perçus comme une extension de la personne et


les entités qui ont été amarrées, continuent à leur être associés. Si Jésus et
l’Esprit Saint ne protègent pas ceux qui ne fréquentent pas l’église, il est
donc nécessaire que certaines personnes puissent intervenir en leur faveur :
ils ne sont pas encore convertis mais ils ont besoin de protection. Il n’est pas
difficile d’imaginer que la responsabilité de cet espace de médiation et d’aide
religieuse incombe aux femmes et aux mères. Ainsi nous les voyons
impliquées dans une activité intense de médiation religieuse, essentiellement
rituelle, pour éviter que leurs proches ne soient attaqués par des diables dont
beaucoup sont leurs anciens orixás, leurs anciennes entités aujourd’hui
considérés comme diaboliques. C’est ce que nous constatons dans le récit
suivant, fait par une mère préoccupée des siens :
«Mon combat est très important. Je dois lutter toute la journée pour les (les
diables) laisser bien “amarrés” ; pour ne laisser aucune brèche par où ils
pourraient entrer. Regarde, il se passe toujours quelque chose dans ma famille.
Une vague petite brèche et ils veulent entrer ! Mais je n’ai plus peur. J’affronte
et je suis certaine de ma victoire. Le diable ne me détruit plus, je sais qu’il
essaye de me détruire. Il est amarré ; et aujourd’hui il est au-dessous des
ténèbres. J’ai déjà subi son assaut dans l’autobus et j’ai résisté au diable et il
s’est éloigné de moi. A toute heure il me cherche, utilisant ma famille, hein !».

C’est le témoignage d’une femme qui n’a jamais manifesté. Elle est
entrée dans l’église après trente ans de terreiro et possède un grand pouvoir
de guérison, aujourd’hui à travers les instruments fournis par l’IURD. Le fait
d’être libérée ne signifie pas que les esprits ne sont pas autour, comme nous
le savons, mais elle les tient bien amarrés. Toutefois, dans sa famille tout le
monde n’appartient pas à l’église, ce qui les rend particulièrement
vulnérables aux actions de sorcellerie, que l’on appelle travaux faits, ces
macumbas qui leurs sont envoyés. Elle-même est atteinte difficilement, parce
que la force de sa foi en Jésus écarte ce qui arrive directement contre elle
mais qui, par contre, peut atteindre les siens, plus vulnérables. Pour cela elle
pense qu’elle doit être d’une vigilance constante, quotidienne. Son activité
pour protéger les siens, semblable à celle de nombreuses autres mères de
l’Eglise Universelle, est une activité rituelle : elle met le portrait de son fils
sur l’autel, place le nom dans le livre d’oraison du pasteur, passe de l’huile
d’onction sur le corps des personnes, purifie la maison par des applications
de soufre, en apportant des fleurs, elle fait des enchaînements de prières
dédiées à des personnes spécifiques... Il ne manque pas d’activités rituelles à
accomplir !
206 Patricia BIRMAN

Les activités à l’intérieur de la maison peuvent s’étendre à l’espace du


voisinage. De nombreuses personnes qui ne sont pas dans l’IURD, demandent
des prières, qu’elle place leur nom dans le livre d’oraison, en somme qu’elle
se charge des activités rituelles associées à l’église et qui peuvent entraîner
un bénéfice sans exiger une adhésion plus effective6.

Il n’est pas difficile de supposer que cette dame a développé des


activités de guérison et de contre-sorcellerie en fonction non seulement de sa
présence dans l’église mais également de son passage dans les cultes de
possession. Elle a acquis, grâce à ce passé, les conditions pour opérer une
médiation entre les deux domaines, en tant que détentrice des deux types de
savoir, reliés aux deux pôles religieux, le pôle du Bien et de la guérison et le
pôle du Mal et de la sorcellerie. Elle-même raconte que son abandon du culte
de l’umbanda lui fut reproché par son ancienne clientèle qui venait la
consulter quand elle incorporait l’esprit d’un vieux noir (Preto Velho).

Nous avons rencontré une activité spécifique de contre-magie


développée en dehors de l’IURD et où ces femmes sont des personnages
essentiels. Activité non institutionnelle mais qui correspond à un rôle délégué
à l’intérieur de la famille et étendu au voisinage. Ce travail est possible en
fonction de la place particulière attribuée au genre féminin, à la conception
de la personne et aussi à la division sexuelle du travail. Le travail de contre-
magie, comme nous l’avons vu, est un travail qui opère une médiation entre
les personnes appartenant à l’église et leurs parents et leurs proches. La
tentative des adeptes de l’Universelle de faire venir au culte pentecôtiste
leurs parents et leur proches peut simplement résulter en l’élaboration d’un
lieu intermédiaire, capable d’offrir certaines procédures de guérison sans
produire les effets négatifs perçus dans les activités du pasteur.

Ces femmes médiatrices, donc, se distinguent à la fois du pasteur et du


père ou de la mère de saint : elles n’établissent pas un rapport de force avec
les diables des cultes de possession, elles n’ont aucun compromis avec ces
mêmes êtres malins mais une ancienne relation amoureuse. Elles connaissent
le jeu de chacun, elles en reçoivent des messages, elles sont capables de les
identifier à travers les symptômes de malaises qui prennent les corps de leurs
enfants. Ces êtres malins, ennemis intimes si l’on peut dire, sont chez elles,

6
Pour le rôle attribué aux femmes, voir Véronique Boyer (1994 ; 1996) et Patricia
Birman (1997).
Cultes de possession et pentecôtisme au Brésil : passages 207

amarrés mais par contre sont totalement libres à l’égard de leurs consanguins
qui deviennent ainsi la proie privilégiée des entités et des orixás.

Le statut religieux antérieur des personnes à leur entrée dans l’Eglise


Universelle du Royaume de Dieu, n’est pas quelque chose qui disparaît après
quelques sessions d’exorcisme. Nous avons cherché à montrer comment ce
statut peut, de différentes manières, faciliter ou rendre périlleux pour chacun
ce passage et comment, dans certains cas, il peut devenir l’instrument
essentiel pour la constitution d’une nouvelle identité pentecôtiste : cette
identité est marquée par un pouvoir singulier en relation avec ces êtres malins
et en fonction du poids et de l’importance de l’expérience religieuse passée.
Les voies du salut dans ces cas, au moins, continuent d’être marquées par la
façon dont ont pu être négociés les destins à l’intérieur des cultes de
possession.

Références bibliographiques
AUBREE, M. (1985) : «O transe : a resposta do Xangô e do
pentecostalisme», Ciência e Cultura, São Paulo, 37, n° 7, p. 1070-1075.
BIRMAN, P. (1995) : Fazer estilo, criando gênero, Rio de Janeiro,
ed. Relume Dumara.
BOYER, V. (1994) : «“Macumbeiras” et “crentes”, as mulheres vêm os
homens», Mimeo.
idem, (1996) : «Le don et l’initiation : de l’impact de la littérature sur les
cultes de possession au Brésil», L’Homme, Paris, n°138, avril-juin.
MARY, A. (1993) : «Le travail symbolique des prophètes d’Eboga : logiques
syncrétiques et entre-deux culturel», Cahiers d’Etudes Africaines, vol.
XXXIII, n°132.
MEYER, B. (1995) : «Delivered from the powers of darkness’ confessions of
satanic riches in Christian Ghana», Africa, vol. 65, n°2.
SAHLINS, M. (1985) : «Catégories culturelles et pratiques historiques»,
Critique, mai, n° 456.
Idem, (sans date) : Des îles dans l’histoire, Paris, éd. Gallimard/Le Seuil,
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
208 Patricia BIRMAN

SANCHIS, P. (1992) «O repto pentecostal à cultura “católico-brasileira”»,


ANPOCS.
Idem, (1995) : «As tramas sincréticas da história», Revista Brasileura de
Ciências Sociais, n° 28.

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