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30 HISTOIRE SAINTE

met à cuire le veau le plus'tendre, mijoté dans le beurre


le meilleur. En chaque visiteur, la plus noble des tra-
ditions enseigne à voir un messager des
orientales
dieux mais ces visiteurs de Mambré, c'est Dieu lui-
;

même avec deux de ses anges. Le Très-Haut a traité


le Patriarche en ami; il s'est abrité sous son toit.
Et il lui annonce la bonne nouvelle Sara elle-même :

aura un fils. Elle en doute? Elle rit à part soi ? « Vieille


comme suis, connaîtrai-je encore le plaisir?
je
—Y
qui doive surprendre de la part de Dieu? »
a-t-il rien

répond le visiteur. L'homme prédestiné et le maître


suprême sont de plain-pied, dans une merveilleuse
simplicité.
A cet hôte, à ce confident, Dieu ne veut pas cacher
que s'il s'est arrêté un instant à Mambré, il a un autre
but. Maître des promesses heureuses, il l'est aussi
des punitions. Sodome et Gomorrhe ont attiré sur
elles de terribles menaces. Leur immoralité a décidé
Dieu à les détruire. Abraham se récrie. ]>s détruire
entièrement? Mais puisque Dieu est le Dieu de jus-
tice, est-il juste de frapper les innocents pour les cou-
pables ? S'il se trouve, une poignée d'hommes intègres
dans ces cités. Dieu ne pardonnera-t-il pas ? Les anges
du Seigneur partent vers les deux villes : ils y sont
traités abominablement. Les sodomistes et les go-
morrhéens avaient vraiment des mœurs qui appe-
laient le châtiment. Il vint, terrible. « Des pluies de
flammes denses s'abattirent avec une violence continue
sans cesse renouvelée. Brûlés furent les champs, les

prairies, les
bocages bourgeonnants. Brûlées, les fo-
rêts des collines et leurs troncs consumés jusqu'aux
racines. Brûlés ensemble les étables, les maisons, les
forteresses et les édifices publics. Lés cités populeuses
devinrent des tombeaux et quand les flammes eurent
dévoré tout ce qui était sur la terre, elles pénétrèrent
dans le sol même, pour le stériliser. » Ainsi raconte
en l'an 20
l'historien et philosophe alexandrin Philon
avant notre ère.
Ce drame est-il prouvé par d'autres documents
LES PATRIARCHES 31

que la Bible? A-t-il été suggéré par la vue de ce pay-


sage de la mer Morte, par l'eau lourde de sel et de
bitume qui étend sa nappe aux reflets métalliques
le long des falaises pourpres du Moab? Il est certain

que toute cette contrée est fortement marquée de


volcanisme. Dans ce fond, une odeur minérale flotte,
une "odeur de mort. Mais la Bible insiste à plusieurs
reprisés sur la beauté, la fertilité de ce pays avant
le cataclysme, et l'archéologie pense avoir prouvé que
vers l'an 2000, la région était peuplée, cultivée; les
ruines des cités infâmes auraient été recouvertes par
la montée des eaux.
A
la catastrophe, seul échappa le clan de Lot, parce
qu'il s'était montré humain au milieu de ces popu-
lations féroces et qu'il avait accueilli les anges du
Seigneur. Il put s'enfuir, à travers des pluies de feu.
Mais sa femme, s'étant retournée pour voir l'atroce
spectacle, fut asphyxiée par les gaz délétères ; les
efilorescences salines la recouvrirent. On voit encore,
dans la contrée sinistre, de ces obélisques blanchâtres
qui semblent des statues, des formes aux grands
voiles, pétrifiées par la terreur de Dieu.

La dernière épreuve,
La promesse allait-elle se réaliser, enfin? Abra-
ham aurait pu douter, car, étant descendu dans la
plaine de Gérar, pour y faire paître ses troupeaux, le
roi du Abimélech, enleva Sara. La même aven-
lieu,
ture qu'avec le Pharaon se reproduit (1), ce qui pa-
raît d'autant plus admirable qu'à ce moment l'épouse
du patriarche a largement dépassé quatre-vingts
ans Le narrateur biblique a sans doute voulu prou-
!

ver encore combien Dieu protégeait le fruit des en-


trailles de Sara, car Abimélech la rendit prompte-
ment, et c'est de son mari qu'elle conçut peu après.

l.Les critiques rapportent ces deux épisodes à deux sources,


ce qui peut suggérer que nous avons affaire à deux traditions
d'un même fait, localisé en deux endroits différents.
32 riiSTOiRË ÔAINÎ'È

L'attente enfin était comblée. La joie fut immense


aux tentes des Téharites. Cet enfant né du miracle
apportait avec lui la garantie que la parole divine
serait tenue. Et cette allégresse, on voulut que le
nouveau-né en portât le signe il reçut le nom d'Isaaç,
:

ce qui exprime l'idée du bonheur, du rire. « Qui eût


dit à Abraham, chantait l'accouchée Sara allaitera
:

des enfants? J'ai donné un fils à sa vieillesse. »


L'enfant grandit. Un incident troubla un instant
le clan. Sara et Agar, la légitime et la concubine s'en-
tendaient de plus en plus mal. Et l'épouse prévoyante
pensait à l'héritage futur d'Abraham il ne fallait
;

pas que le fils de l'Egyptienne fût en mesure de le


disputer au sien. De nouveau, elle exigea le renvoi
de l'esclave et de son enfant. Abraham en éprouva
de l'ennui ; la loi d'Hammourabi n'autorisait cette
cruauté que dans le cas de la concubine insolente
et Sara ne produisait plus de griefs contre Agar. Mais
Ismaël aussi était promis à un haut destin. Dieu
avertit le père, qui le laissa partir avec sa mère. Ils
s'en allèrent vers le désert du Sud. Un péril affreux
les y attendait. L'outre épuisée, l'eau manqua. Il
s'en fallut de peu que le garçonnet ne mourût, mais une
fois encore, l'Ange du Seigneur apparut; un puits
était près d'eux qu'ils n'avaient pas vu. Ainsi les des-
cendants d' Ismaël, les Arabes qui vivent dans le dé-
sert, savent-ils qu'eux aussi ont reçu la promesse
et que la volonté même de Dieu a fait d'eux une
grande nation.
Un pire danger guettait cependant Isaac, resté
aux tentes paternelles. Il fallait que le Patriarche
fût éprouvé une dernière fois. La voix de Dieu retentit :

« Abraham » Il
1
répondit « Me voici. » Et Dieu dit
: :

« Prends ton fils, ton unique, celui que tu préfères,

Isaac. Va-t'en au pays de Moriah, et là, offre-le en


holocauste sur la montagne que je te désignerai »
(Gen., XXII, 1). Pas plus qu'à Our, il n'avait discuté
l'ordre de tout quitter, Abraham ne songe à se déro-
ber à ce commandement atroce. Il selle son âne, fend
LES PATRIARCHES 33

du bois pour l'holocauste et, appelant son fils, il part.


' Cet épisode, par maints côtés énigmatique, est un
de ceux où paraît le mieux le fil qui relie aux plus
anciennes traditions, le symbolisme chrétien. Ge fils
sur qui la main même de son père va lever le couteau,
a toujours paru l'image d'une autre victime. Le pa-
rallélisme est plus évident encore, si comme le croient
certains (1), la montagne du pays de Moriah est cette
,
colline où, bien plus tard, Salomon bâtira le temple:

(un vallon seul séparerait le bûcher dressé pour Isaac


^ (du gibet dressé pour Jésus.
il Historiquement, l'épisode se situe dans une pers-
, pective aujourd'hui très bien éclairée la coutume
:

d'immoler les premiers-nés. C'était une habitude


très ancienne et les habitants du pays de Canaan
l'avaient incontestablement. Au haut lieu de Guézer,
un des centres du culte cananéen, autour de men-
hirs préhistoriques, on a retrouvé de nombreuses
jarres contenant des squelettes de petits enfants,
dont presque tous ont moins de huit jours. Cette cou-
tume barbare que, sous d'autres formes, la Phéni-
cie et Carthage garderont jusqu'à une époque bien

plus proche de nous, était-elle sémitique ou antérieure ?


Elle passait pour le plus efficace des rites propitia-
toires. Quand on bâtissait une maison, on accomplis-
sait souvent l'horrible « sacrifice de fondation »;ona
retrouvé beaucoup de ces petits squelettes à Meguido, ;

le corjps d'une jeune fille de quinze ans est cimenté


au milieu des pierres de base d'un mur.
Quelles pensées remuaient le Patriarche quand il
gravissait la colline désignée pour l'holocauste et
quand jeune victime elle-même, lui disait, dans
la
,.
son innocence « Je vois bien le bois et le feu, mais
:

1 où est l'agneau? » {Gen., xxii, 8). Ce n'était qu'une


J épreuve. L'Ange du Seigneur retient le couteau prêt
Ta s'enfoncer dans la gorge d' Isaac. « Ayant levé les
yeux, Abraham vit un bélier pris par les cornes dans

1. D'autres pensent plutôt au Sinaï.


34 HISTOIRE SAINTE

im buisson. Il le saisit et l'offrit en holocauste à la


place de son fils. » Et l'archéologie, jetant sur cette
histoire sublime un jour nouveau, — ou peut-être
posant une nouvelle énigme, — nous montre parmi
les objets trouvés dans les tombeaux d'Our, un bélier
retenu à un buisson. Ici encore, très antique tradition
sumérienne? Signe d'un changement dans les con-
ceptions religieuses, refus de l'holocauste humain?
Le détail historique est moins précis que le sens moral :
la soumission totale de l'homme prédestiné à la vo-
lonté du Très-Haut.

La fin d'Abraham,
Désormais, Abraham avait donné tout son témoi-
gnage. Il ne lui restait plus qu'à attendre la morf;

mais elle vint à pas très lents, car il convenait que ce


parfait serviteur de Dieu mourût comblé d'années. Le
clan vécut d'abord dans le sud, autour des puits de
Bersabée, dont ie roi Abimélech, par un traité solennel,
avait accordé l'usage aux Térahites. Mais, parmi tant
de territoires de pâturages, celui qui parlait davantage
au cœur du vieillard était cette région de maquis et
de chênes où les trois visiteurs divins lui étaient ap-
parus, dans le soleil du jour. Le clan remonta à Hébron
et la vie du Patriarche s'y acheva.
De ces longues années de vieillesse, la Bible ne nous
dit rien. On sait seulement qu'il maria son fils selon
ses vœux et que sa femme mourut. Un problème alors
se posa. Ces nomades étaient des étrangers parmi
la population de Canaan ; où placeraient-ils la der^
nière demeure de Sara ? Au pays de Sumer, la famille
avait certainement son caveau privé, semblable à ceux
que les fouilles ont dégagés. Il était sans doute sous
la cour de la maison, ou même sous une des chambres
du rez-de-chaussée. Les morts y étaient ahgnés, en-
roulés dans une natte de roseau, ayant près de leurs
mains les jarres pleines de vivres et le gobelet pour
boire. Mais Our était trop loin, et, sous la tente mo-
LES PATRIARCHES 35

bile, qu'eût signifié un tombeau ? Abraham adopta


donc la coutume funéraire du pays de Canaan qui
était de se servir de cavernes aménagées. Il en acheta
une à un roitelet hittite installé dans le pays et Sara
y fut déposée. Plus tard, âgé de cent soixante-quinze ans,
le Patriarche ira l'y rejoindre. C'est cette caverne
de Macpéla, en face de Mambré, sur laquelle, aujour-
d'hui, s'élève une des plus vénérées des mosquées
islamiques. Elle restera le lieu de ralliement des morts
térahites, et si l'on ouvrait le caveau, peut-être y
trouverait-on les os du grand Patriarche près de ceux
d'Isaac et de la momie de Jacob.
Avant de mourir, Abraham avait bien précisé
que, parmi les nombreux fils qu'il avait eus. un seul
bénéficiait des prérogatives d'héritier. Les enfants
des concubines ne recevaient que des indemnités :
la loi sumérienne le voulait ainsi. Celui que Dieu lui-
même avait deux fois appelé à la vie, investi de la
mission par ce choix, le peuple privilégié avait un
nouveau guide. «
Après la mort d'Abraham, Dieu
bénit Isaac, son fils » (Gen., xxv, 11). L'histoire pro-
videntielle se poursuivait (1).

1. Pour situer dans le. temps l'histoire d'Abraham, nous avons


adopté la chronologie traditionnelle, celle que préfère aussi
Mgr Ricciotti. Mais certains historiens, d'après l'étude de l'ar-
chéologie, sont tentés d'admettre que le grand flot araméen,
dont les Hébreux sont une vague, ne déferla sur la Palestine
que vers 1700, qu'il serait contemporain de l'invasion des Hyk-
: SOS en Egypte (voir plus loin, p. 54).
Dans cette hypothèse, il faudrait réduire beaucoup la durée
des temps patriarcaux, peut-être à un siècle, et demi, c'est-à-
dire à quatre générations normales : cela poserait du coup le
problème de la longévité des Patriarches, attestée par la Bible.
(Sur cette hypothèse, voir R. P. R. de Vaux, La Palestine et la
TransJordanie au 11^ millénaire et les origines Israélites, dans
Zeitschrift fur die alttestamentliche Wissenschaft, 3-4-1938.)
II

LA VIE PATRIARCALE

Trois siècles sous la tente,


La mort d'Abraham ne changea rien à la vie du
clan. Comme au temps du fondateur, ses enfants,
ses petits-enfants et tous ses descendants, pendant
trois siècles, demeureront des nomades se déplaçant
selon les nécessités de la pâture, vivant sous la tente
bédouine. Le fait même de ces errances surprend
nos habitudes occidentales modernes ; hormis nos
bohémiens, nous ne connaissons pas de ces tribus
sans racines ; n'avoir pas de donaicile, pour nos vieux
pays agriculteurs, c'est un délit. L'Orient des steppes
n'a pas cette conception d'une vie obligatoirement
fixée. Personne ne devait s'étonner de voir le fils d'A-
braham nomadiser de Sichem à Gérar, de puits en puits
dans Negeb. Au surplus, la situation politique de la
le

Palestine, pendant ces trois siècles, explique encore


mieux la grande liberté dont un peuple de nomades
y bénéficiait.
Placé comme ilCanaan ne pouvait échapper
est,
au destin deux plus grandes
d'être tiraillé entre les
masses de l'époque l'Egypte et les empires mésopo-
:

tamiens. Du sud ou du nord, pendant trois mille ans


(pour s'en tenir à la seule histoire ancienne) des vagues
de conquérants se succéderont, s'opposeront, par-
fois s'annuleront sur ce sol. Tantôt champ de bataille,
tantôt protectorat, il advint, au moins deux fois, que
ce petit pays trouvât dans l'épuisement et l'équilibre
de ses yoisins puissants, une liberté anarchique. Les
LES PATRIARCHES 37

siècles des Patriarches correspondent justement à une


de ces parenthèses.
Jusqu'au temps d'Abraham, c'était de l'est qu'était
venue la domination. De Sargon à Hammourabi,
la liste serait longue de ces maîtres mésopotamiens
de Canaan. La langue babylonienne et les cunéiformes
étaient alors d'usage officiel en Palestine et en Syrie.
L'Egypte avait bien, de temps en temps, cherché à
intervenir dans ces régions; au xxv^ siècle, le grand
Pharaon Pépi I®^ (un contemporain de Goudéa le
Sumérien) y avait fait une sérieuse expédition. Mais
les Égyptiens s'intéressaient surtout à la côte, et
plus qu'à tout, au grand port phénicien de Byblos
qui, en échange de leur papyrus, leur expédiait le bois
et la résine pour faire les cercueils des momies : déjà,
vers l'an 2800, Mykérinos, le constructeur d'une des
grandes Pyramides, envoyait des présents au dieu
, sémite de Byblos.

La tutelle mésopotamienne sur Canaan cessa pen-


dant qu'Abraham achevait sa vie. Frappé au cœur
par un raid de ces Hittites qui dévalaient de l'Anti-
Taurus, le grand empire d'Hammourabi s'affaissa.
Babylone fut pillée ; ses dieux emmenés en captivité.
Les roitelets locaux se révoltèrent contre la capitale.
Et peu après, descendant du Zagros, les Kassites
s'abattent sur la plaine, s'emparent de Babylone ; ils
y régneront sept siècles, demi-barbares qui peu à
peu s'assimilent la vieille civilisation, maîtres con-
testés que sans cesse menacent les attaques des mon-
tagnards.
L'Egypte ne chercha pas à profiter de l'occasion
pour s'installer solidement en Palestine. Elle eut ce-
pendant, d'abord, des souverains éminents, aux xix®
et xviii® siècles, ces Amenhemat
et ces Senousrit de
la xii^ dynastie, dont hauts faits furent, bien plus
les

tard, résumés par les Grecs dans la légende héroïque


de Sésostris. Mais ces grands rois s'occupaient alors
de conquérir la Nubie et de reculer de quatre cents
kilomètres, jusqu'à la deuxième cataracte, la fron-
38 HISTOIRE SAINTE

tière de leur Etat. Ils se bornèrent à mettre un vice-


roi à Byblos, à vendre des marchandises aux Cana-
néens, et s'en tinrent là. Après eux, les dynasties con-
fuses et déchirées qu'on désigne sous les numéros XIII
et XIV, Neferhotep au visage de jeune fille, Nehasi,
« tête de nègre sont bien incapables de faire de la
»,

grande politique. Quand la marée des Hyksos surgira,


l'Egypte en sera noyée.
Pendant les trois siècles des Patriarches, Canaan
resta donc sans maître. Il était d'autant plus aisé de
s'y promener avec ses troupeaux que nul ne songeait
à s'étonner de voir un peuple de plus sur un sol qui en
comptait tant. La population de Palestine était alors
un véritable puzzle. Il y avait, mêlés aux races pos-
térieures, les descendants des très anciens hommes
de la pierre taillée, qui avaient été nombreux à l'époque
préhistorique Hourrim, Anakim, Emim, Zuzim,
: ces
Zamgummim que Rephaïm, dont
cite la Bible, et ces
le nom veut dire seulement « les morts ». Il y avait
des descendants de la vieille race sumérienne, peut-
être les Perizzim. «
gens des villages », cultivateurs.
Il y avait surtout les couches successives des nappes

sémitiques qui, au cours des siècles; avaient balayé


le pays, depuis les Akkadiens du temps de Sargon
jusqu'aux Babyloniens d'Hammourabi. On y dis-
tingue, en gros, les Cananéens, qui semblent les plus
puissants, et les Amorréens, plus ou moins refoulés
vers le nord. Il y avait aussi, de-ci de-là, des Hittites,
comme auquel Abraham acheta la caverne de
celui

Macpéla, premiers éléments d'une infiltration qui


se développera. Sur la côte, la population était encore
plus mêlée peut-être des Phéniciens, proches parents
:

des Cananéens, des Cretois qui venaient faire des


achats de blé et avaient une sorte de représentation
consulaire, et ces Philistins qui deviendront si im-
portants, mais qui ne sont encore que les fourriers
égéens des futures vagues aryennes. Enfin, dans l'in-
térieur, des peuples dont le% descendants d'Abraham
racontaient eux-mêmes que c'étaient leiirs cousins,
LES PATRIARCHES 39

Edomites, Moàbites, Ammonites, qui nomadisaient


comme eux, mais plutôt sur la limite du désert.
Le pouvoir, — si l'on peut employer ce mot
pour
ces roitelets, — devait appartenir à des petits sou-
verains locaux, dont la domination se limitait à leur
ville et à quelques hectares de champs. Les cités étaient
bien défendues ; les murailles étaient larges, précé-
dées d'un glacis, et le tracé multiple de leur flanque-
ment prouve déjà un sens très élevé de l'art militaire.
A l'abri derrière ces fortifications, les maisons s'en-
tassaient, sans plan d'ensemble, assez semblables à
celles des Sumériens, mais plus pauvres, avec des
toits en terrasse ou des coupoles en forme de ruche,
percées d'un trou pour l'aération. Au large de ces
bourgades, les nomades ont toute la liberté qu'ils
souhaitent, à condition de ne pas dévaster les champs,
de ne pas piller les caravanes, ils pourront faire pâ-
turer leurs bêtes. Ainsi vécurent trois siècles les
descendants du vieux Térah.

Une aristocratie hautaine.

Quinconque a rencontré en Orient, qu'il s'agisse


des parages sahariens ou des steppes syriennes, l'une
de ces tribus qui campent encore sous la grande tente,
a observé la fierté, la hauteur calme et méprisante
que ces nomades ont envers les populations fixées.
À lire le récit biblique, on sent bien que ces hommes
du clan des Patriarches -ont eu cette réserve. A l'égard
des gens du pays, ils ne manifestent pas les intentions
systématiquement agressives et conquérantes que
nous leur verrons des siècles plus tard, quand ils seront
revenus d'Egypte avec Moïse d'ailleurs, ils ne seraient
;

pas assez forts pour avoir des chances. Mais visible-


,ment ils se tiennent à l'écart. Ils ont des relations de

courtoisie avec les princes sur les territoires desquels


ils campent, de commerce avec les citadins. Ils res-

tent « des étrangers », dira Moïse (Exode, vi, 5).

Ce n'est certainement point par hasard que, dans


40 HISTOIRE SAINTE

eurs traditions, ils racontaient que Noè. avait maudit


Cham, irrespectueux, l'ancêtre de Canaan. «Mau-
le fils
dit soit Canaan Il sera pour^ ses frères le serviteur
!

des serviteurs » {Gen., ix, 25). Des boutiquiers, des


valets, c'est à peu près ainsi qu'aujourd'hui encore
les nomades des tentes considèrent les gens des villes.
Et même les autres tribus, celles qui menaient sem-
blable vie sans être tout à fait du même sang, on ne
se gênait- pas pour les brocarder. Il est amusant de
constater que le texte biblique ne laisse guère passer l'oc-
casion de raconter sur les autres clans une petite his-
toire peu honorable. Les Moabites, les Edomites sont
bien des descendants d'Abraham, on ne le nie pas ;
mais veut-on savoir comment ils en procèdent? d'un
inceste commis par Lot sur ses filles, un soir d'ivresse :
'

peu flatteur (1) !

Ce particularisme isole donc les hommes du clan


parmi les populations. Ils ont le sentiment très net
de leur supériorité, de leur originalité. Dépositaires
de la promesse, ils en sont fiers. Quel est alors leur
nom? Abraham est désigné par le mot « Hébreu »
(Gen., XIV, 13) ce qui peut signifier aussi bien «fils
de Héber », un descendant de Noé, ancêtre des Pa-
triarches, que, plus généralement, « errant, nomade »,

l'équivalent de l'arabe qui a donné « bédouin ». Mais


il semble bien que ce terme soit trop large pour dé-
signer le clan des Térahites ; plus tard, le texte biblique
distingue « Hébreux et Israélites », ceux-ci étant une
partie de ceux-là. Le qualificatif d'Israël surgira dans
l'histoirede Jacob, sans doute au moment où le groupe
a atteint à une plus parfaite conscience de soi.
Ainsi ces Térahites nous apparaissent-ils, au sens
propre du mot, une aristocratie, une de ces ihinori-
tés privilégiées qui jouent, dans le monde, un rôle
bien plus important que ne semblait leur promettre

1. Ala décharge de ces « filles de Lot » incestueuses, il faut


peut-être invoquer la loi qui exigeait qu'une descendante d'Abra-
ham ne prît point, pour père de ses enfants, un homme en dehors
de la race...

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