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Revue d’études benthamiennes

8 | 2011
Foucault et l'Utilitarisme

Le droit comme système de contrôle social


La question des normes chez Bentham et Foucault

Malik Bozzo-Rey

Éditeur
Centre Bentham

Édition électronique
URL : http://etudes-
benthamiennes.revues.org/295
DOI : 10.4000/etudes-benthamiennes.295
ISBN : 978-2-8218-0304-6
ISSN : 1760-7507

Référence électronique
Malik Bozzo-Rey, « Le droit comme système de contrôle social », Revue d’études benthamiennes [En
ligne], 8 | 2011, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 05 octobre 2016. URL : http://etudes-
benthamiennes.revues.org/295 ; DOI : 10.4000/etudes-benthamiennes.295

Ce document a été généré automatiquement le 5 octobre 2016.

Droits réservés
Le droit comme système de contrôle social 1

Le droit comme système de contrôle


social
La question des normes chez Bentham et Foucault

Malik Bozzo-Rey

1 La lecture que Foucault effectue du panoptique benthamien a bien souvent constitué – au


moins dans les milieux francophones – une « introduction » à la philosophie de Bentham.
Les « Bentham scholars » n’ont de toute façon pu faire l’économie d’une telle lecture. Cet
article n’entend cependant pas se concentrer sur l’analyse de la norme à partir d’un
questionnement sur l’interprétation foucaldienne du panoptique. Même si bien
évidemment, d’une part cela est tentant et d’autre part, cela pourrait être fructueux.
Cette réflexion est en fait le résultat d’une lecture ou relecture quasiment simultanée
d’un ouvrage de Bentham et d’un ouvrage de Foucault. En ce qui concerne Bentham, il
s’agit des Principes du Code pénal dont la dernière et volumineuse partie consacrée à la
législation indirecte a trouvé un écho tout particulier à la lecture de ces quelques lignes
de Foucault dans Sécurité, territoire, population :
En d’autres termes, ce qui est fondamental et premier
dans la normalisation disciplinaire, ce n’est pas le
normal et l’anormal, c’est la norme.1
2 Or nous pouvons défendre l’idée que Bentham opère le même type de raisonnement dans
ses Principes du Code pénal : il ne s’agit pas tant pour lui de décrire tous les éléments qui
doivent relever du droit pénal mais bien au contraire de replacer la norme juridique au
centre de sa réflexion et de s’assurer de l’adéquation ou de l’inadéquation à la norme. Le
mouvement benthamien se prolonge en opérant un déplacement de la punition vers la
norme, puis de la norme vers l’individu. Saisir ce mouvement implique tout d’abord de
revenir sur la définition benthamienne d’une norme juridique – une loi – et la manière
dont elle devient la pierre angulaire de sa théorie du droit. Bentham élabore ainsi une
conception de la loi qui repose explicitement sur une théorie de la motivation – d’ailleurs
solidaire de sa description de la psychologie humaine et du principe d’utilité comme
norme éthique régissant les conduites2 – et permet de construire le droit comme un

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Le droit comme système de contrôle social 2

système de contrôle social. Cette association de contrôle et de motivation dont le but est
d’influencer les conduites ne saurait être réduite à une dimension punitive. Afin d’étayer
cette affirmation, il sera nécessaire de nous interroger sur la place de la punition dans les
Principes du Code pénal rédigés par Bentham pour, enfin, nous concentrer sur les enjeux de
la législation indirecte.

I. Quelques éléments de la théorie juridique de


Bentham
3 Afin de bien comprendre la démarche benthamienne et ainsi pouvoir identifier les
similitudes qu’elle possède avec l’approche foucaldienne, il est nécessaire de comprendre
le cadre normatif de la théorie du droit que Bentham élabore dans Of the Limits of the Penal
Branch of Jurisprudence. Plus précisément, il s’agira de revenir sur les différents éléments
constitutifs de la définition que Bentham donne d’une loi et ses conséquences sur
l’architecture du droit.

1. Définition d’une loi

4 Bentham définit ainsi le concept de loi :


Nous pouvons définir une loi comme un assemblage de signes déclaratifs d'une
volonté conçue ou adoptée par le souverain dans un Etat, concernant la conduite à
observer dans tel cas par telle personne ou classe de personnes qui sont – ou sont
supposées être – assujetties à son pouvoir dans le cas en question ; la réalisation
d’une telle volition repose sur l'espérance que certains événements se produiront à
la suite de cette déclaration, ainsi que sur la perspective que ces événements
agissent comme motif de l’action de ceux dont il s’agit d’influencer la conduite. 3
5 Par cette définition, Bentham opère une individuation du concept de loi4, il parle ainsi
d’ « une » loi, pour être précis, et l’ensemble du chapitre dont est extraite cette citation
consiste précisément à « définir par distinction » ce qui constituera désormais le socle
conceptuel fondamental de l’ensemble de sa théorie du droit. Cette construction ou plutôt
re-construction relève avant tout d’une analyse linguistique qui place les enjeux de
langage à l’origine des positions défendues par Bentham. Nous pouvons identifier trois
éléments de la définition que Bentham élabore et dont, d’une certaine manière, le reste
de l’ouvrage Of the Limits of the Penal Branch of Jurisprudence ne vont faire que tirer les
conséquences. Tout d’abord, une loi est l’expression de la volonté du souverain. Ensuite,
elle comporte une première partie que l’on peut appeler « directive » qui exprime le
souhait du législateur de voir ses sujets se conformer à sa volonté. Une loi entend donc
essentiellement influencer ou agir sur la conduite des personnes qui lui sont soumises,
des personnes qu’elle affecte. Enfin, le souverain exprime non seulement sa volonté mais
il souhaite également que cette dernière soit respectée. Nous arrivons donc logiquement
à l’idée qu’une loi doit être renforcée par des sanctions sans qu’il ne soit nécessaire que
celles-ci soient clairement énoncées. Plus précisément, il n’est pas nécessaire de les
mentionner pour introduire l’idée que les sanctions seront les instruments du respect
d’une loi. Cette dernière partie est appelée partie « sanctionnante » ; elle entend fournir
un motif à l’action, action qui rappelons-le est influencée par la loi. Elle prend une forme
bien spécifique puisqu’il peut s’agir d’une prédiction ou d’une probabilité de voir telle
punition infligée à la personne qui accomplira une action que le souverain interdit par

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l’intermédiaire d’une loi interdite ou qui n’accomplira pas une action qu’il aura ordonnée.
Nous allons maintenant tenter de comprendre les implications d’une telle conception.

2. Le droit comme système de contrôle social

6 Ce concept d’une loi reconstruit permet d’indiquer ce qui est obligatoire, non-obligatoire,
interdit et permis – ce qui correspond aux quatre aspects de la volonté identifiés par
Bentham et qui servent de base à sa logique de la volonté. Il est également érigé en norme
juridique et, de ce fait, nous pouvons comprendre le travail benthamien comme une
tentative d’assurer une adéquation à la norme juridique et de repérer toute inadéquation
à cette dernière. Mais la préoccupation de Bentham ne se limite pas à énoncer quel
comportement est légalement valide ou non. Les lois ne sont pas simplement des
mécanismes exprimant les souhaits, les préférences du législateur en ce qui concerne les
actions que doivent effectuer ses sujets : elles indiquent son intention positive d'agir sur
les comportements. Bentham rejoint ici le projet foucaldien dans le sens où il envisage les
lois d'un point de vue positif, il adopte une perspective visant à la production de normes. 5
De telles normes ne prennent sens ou ne gagnent en effectivité que dans la mesure où
elles sont respectées et où l’on peut s’assurer de leur application. En d’autres termes, il
s’agit de s’assurer que toute norme juridique est bel et bien obligatoire. C’est pourquoi
Bentham, après s’être intéressé aux ressorts de l’action,6 cherche ce qui peut donner une
force à toute expression de la volonté du souverain. La « force » d'une loi fait référence
chez Bentham aux « motifs sur lesquels cette dernière va agir afin de produire l'effet
souhaité, et aux lois ou autres moyens sur lesquels elle va s’appuyer pour les influencer ».
7
Nous voyons bien ici que l’attention portée aux motifs les transforme en aspect essentiel
de la loi : ils doivent permettre de constituer le droit en un système de contrôle. Le mode
de contrôle envisagé par Bentham place le peuple – les sujets –, en son centre. Le but des
lois devient de contrôler le comportement des individus qui leur sont soumis ; ceci n’est
possible que dans la mesure où chaque loi est comprise et considérée comme un guide
pour l’action. Une loi est finalement ce qui doit permettre à un individu, un sujet, d’agir
de telle ou telle manière dans une situation donnée. C’est un guide au sens où il aide la
prise de décision. Ce guide ne peut être efficace – c’est-à-dire que le législateur ne peut
s’assurer de l’effectivité de la conformité de l’action des sujets à sa volonté – que s’il
s’appuie sur une théorie de la motivation. Cette théorie repose sur deux fondements : en
premier lieu, l’analyse psychologique élaborée à partir du principe d’utilité couplée aux
axiomes de pathologie mentale et à la reconnaissance du plaisir et de la douleur comme
« souverains maîtres ». En second lieu, elle va s’appuyer sur une théorie de la punition qui
devient le moyen d’agir sur la motivation.8
7 Nous pouvons alors parler du droit comme d'un système de contrôle social car Bentham
tente de penser la dynamique de l'influence : une loi est pensée en fonction de l'action
qu'elle est susceptible d'avoir sur le comportement. Autrement dit, il s’agit de contrôler
au sein de la société le champ des actions possibles et de s’assurer que seules les actions
définies par les lois comme obligatoires ou permises seront accomplies ou réalisées. Or,
Bentham identifie deux types d'influence : la première agit sur l'entendement (qui est
une faculté passive) et la seconde sur la volonté (qui est une faculté active). 9 Donc, quand
il étudie l'influence de la volonté sur la volonté – par exemple de la volonté du législateur
sur la volonté des sujets – il cherche à établir la possibilité d'influencer l'action.

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8 Nous avons désormais établi le cadre normatif : le droit est conçu comme un système de
contrôle social qui va catégoriser la réalité en autant d’actions possibles que les normes
juridiques se chargent de rendre obligatoires ou d’interdire. Cependant, le concept même
de force d’une loi laisse entrevoir la possibilité de ne pas réduire les modalités de
l’influence à la seule norme juridique. L’étude de cette alternative va redéfinir le rapport
à la norme juridique au sein de la philosophie benthamienne.

II. Norme, punition et prévention : les enjeux de la


législation indirecte
1. La punition : seul moyen d’influencer les conduites ?

9 A la lumière de ces observations, nous constatons un changement perceptible dans la


manière d’envisager le rapport à la norme, il ne s’agit plus uniquement d’envisager sa
force à travers des opérateurs mais bien de savoir si l’adéquation de l’action à la norme ne
peut s’obtenir qu’à travers l’utilisation exclusive et intensive de la punition. Cette
dernière étant comprise comme le moyen d’influencer la conduite des individus en jouant
sur leur peur de la souffrance. Tout l’art du législateur, dans son souci d’économie de la
coercition et de la sanction, résidera alors dans la balance positive entre les bénéfices de
la loi (les droits) et les coûts (les obligations). Bentham propose dans son texte des
Principes du Code pénal de réfléchir aux présupposés et aux conséquences d’une conception
du droit qui s’appuierait sur la punition, ou plus précisément qui aurait pour but de faire
respecter les normes édictées par le souverain afin de diminuer l’alarme et de satisfaire
les parties lésées par les délits.

2. Les deux sources de motivation : plaisir et douleur

10 On pourrait alors penser que la théorie de la motivation benthamienne ouvre la voie à


une théorie du droit pénal qui place la punition au centre de ses préoccupations et nous
pourrions même considérer qu’il s’agit du centre unique de ses préoccupations. Il nous
semble cependant qu’une telle conception ne rend pas compte de la complexité de la
pensée benthamienne. Plusieurs éléments viennent soutenir cette idée. Tout d’abord, la
punition n’est pas le seul moyen d’influencer la conduite. En effet, si la douleur est un des
maîtres souverains auxquels est assujettie l’humanité, elle ne peut être pensée
indépendamment du plaisir et il ne faudrait donc pas minimiser la place de la récompense
dans les motifs des actions. Si, dans ses écrits juridiques, Bentham a tendance à en
restreindre la portée, c’est beaucoup moins le cas dans ses écrits constitutionnels quand il
s’attache à étudier la structure économique du management des fonctionnaires. 10

3. La place de la punition au sein du Code pénal benthamien

11 Le second élément tient à la place qu’occupent réellement les punitions ou les peines dans
le Code pénal qu’élabore Bentham. Si la première partie est consacrée aux délits, la
deuxième est tout naturellement consacrée aux Remèdes politiques contre le mal des Délits.
Nous pourrions ici nous attendre à une analyse détaillée des peines, qui serait conçue en
miroir de l’analyse des délits. Elles seraient alors comprises comme les uniques remèdes
aux délits. Or, la position de Bentham est plus subtile et, à ce titre, le premier chapitre

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consacré à définir le « Sujet de ce livre » est fondamental. Il expose en effet de manière


claire et synthétique l’ampleur et l’originalité du projet benthamien.
12 Bentham identifie les différents remèdes au mal des délits, la nature de ces remèdes n’est
cependant pas anodine puisqu’elle engendre l’extension de leur champ d’application et de
leur mode d’existence : ils ne vont ainsi pas se résumer aux punitions. En effet, la
question n’est pas tant de réparer les différents maux engendrés par les délits que de les
prévenir. Ils sont donc pensés selon deux modalités : réparation et prévention. Ceci
suppose de prendre en considération à la fois l’ensemble des parties concernées par le
délit – la partie active, c’est-à-dire commettant le délit, comme la partie lésée11 - mais
également les circonstances et les conséquences de l’acte délictueux. Bentham identifie
quatre classes de remèdes : les remèdes « préventifs » (divisés en remèdes directs et
indirects), « suppressifs », « satisfactoires » et « pénaux ou simplement peines » 12. Nous
voyons bien ici le schéma de la pensée benthamienne : les deux premiers visent à
prévenir le mal du délit, au moins en partie ; le troisième s’intéresse à la réparation du
dommage subi alors que le quatrième intervient une fois l’ensemble du processus achevé
(cessation du mal et réparation). Si la catégorisation semble claire, elle n’est cependant
pas exempte d’une certaine demande d’éclaircissement. Nous pouvons en effet nous
interroger sur la distinction entre les remèdes préventifs et pénaux puisque pour
Bentham « le but principal des peines c’est de prévenir des délits semblables ». Cette
distinction ne peut être saisie sans faire appel à deux éléments complémentaires que
Bentham s’empresse de donner. Il s’agit tout d’abord de la distinction entre réformer et
incapaciter.
Il y a deux manières d’opérer pour arriver à ce but,
l’une de corriger la volonté, l’autre d’ôter le pouvoir
de nuire. On influe sur la volonté par la crainte : on
ôte le pouvoir par quelque acte physique. Oter au
délinquant la volonté de récidiver, c’est le réformer :
lui en ôter le pouvoir, c’est l’incapaciter. Un remède
qui doit opérer par la crainte s’appelle peine. A-t-elle
ou n’a-t-elle par l’effet d’incapaciter ? C’est ce qui
dépend de sa nature.13
13 La punition entend agir sur la volonté d’accomplir une action spécifique mais elle entend
également avoir une influence sur la possibilité d’agir à nouveau de manière délictueuse.
Ces deux dimensions ne sont pas nécessairement présentes dans toutes les peines et ne
doivent pas forcément être présentes.
14 Le second point réside dans la prise en compte de la temporalité des actes.
Le délit passé ne concerne qu’un individu, mais des
délits pareils peuvent les affecter tous.14
15 Par « délits pareils », il faut entendre les mêmes types de délits futurs. C’est-à-dire
qu’effectivement, l’identification d’un délit va permettre de définir de manière précise
l’individu lésé mais ce même délit peut potentiellement concerner tous les individus de la
société. Cette potentialité, cette possibilité d’être dans le futur la partie lésée est ce qui va
provoquer l’alarme. Il faut également agir sur cette potentialité et réduire sa capacité à
être effective : il faut tenter d’annihiler son passage à l’existence. La caractérisation des
peines par Bentham prend bien ce sens car elles doivent permettre de « prévenir des
délits pareils, soit du même délinquant, soit de tout autre »15. L’accent est donc mis sur la
perpétration du délit indépendamment de l’individu qui le commet. Ceci laisse également
entrevoir, ce qui est parfaitement cohérent avec la prise en compte des conséquences,

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qu’un délit pourra entraîner une peine plus ou moins sévère en fonction des
conséquences possibles (voire probables) sur l’ensemble de la communauté. C’est-à-dire
que la distinction entre les remèdes préventifs et pénaux réside dans le moment de leur
application : les premiers relèvent de « précautions générales » qui interviennent avant le
délit et les seconds interviennent après l’ensemble du processus de réparation effectué
dans le but d’empêcher la réalisation future de délits identiques. Mais, si Bentham
distingue quatre classes de remèdes, il convient néanmoins qu’elles « exigent quelquefois
autant d’opérations séparées : quelquefois la même opération suffit à tout ».
16 On ne saurait par ailleurs comprendre l’influence de la punition sur les conduites sans la
théorie des fictions. En effet, en faisant comme si la peine était réelle, alors qu’elle est
fictive car non encore actualisée, l’individu s’imagine dans la situation de ressentir
réellement la douleur associée à la peine, or cette douleur l’influence dans la mesure où il
va chercher à l’éviter. Le processus de ce « comme si » a donc un impact réel sur son
action : l’individu va chercher à échapper à la douleur de la sanction, même si cette
douleur n’est dans un premier temps que fictive. La fictivité trouve son actualité dans la
conduite qu’elle induit.

III. La législation indirecte : punition et prévention


1. La distinction entre législation directe et indirecte : la place de la
punition

17 Le troisième élément, absolument primordial, tient à ce que Bentham appelle la


législation indirecte. Ce terme apparaît dans la quatrième partie des Principes du Code
Pénal.
18 L’enjeu de la législation indirecte ne se situe pas dans la punition. Celle-ci arrive trop
tard, est trop coûteuse et ne permet d’identifier qu’a posteriori toute déviation par
rapport à la norme juridique. L’enjeu de la législation indirecte réside dans la prévention.
Il s’agit d’éviter que des délits ne soient commis afin de diminuer l’alarme au sein de la
société et de renforcer la sécurité. C’est-à-dire que Bentham cherche à établir des moyens
de repérer les populations qui pourraient commettre des délits et ainsi les prévenir. Ce
qui aura pour effet de réduire les dommages et le sentiment d’alarme.
19 La législation directe consiste à punir, la législation indirecte consiste à prévenir et à
susciter « en agissant principalement sur les inclinations des individus afin de les
détourner du mal et de leur imprimer la direction la plus utile à eux-mêmes et aux autres
».
20 Afin de saisir l’enjeu de la législation indirecte, il faut revenir à la distinction entre
réformer et incapaciter ou plus exactement à l’idée que les remèdes doivent influencer la
conduite des individus. Bentham recentre donc son propos non plus sur les délits eux-
mêmes mais sur les individus avant qu’ils n’aient accompli un acte délictueux : Bentham
vise ici l’influence sur la manière d’agir, il cherche à combiner une influence aussi bien
sur l’esprit que sur l’action. L’enjeu réside donc désormais dans la capacité du code pénal
à prévenir les délits, à avoir un impact avant la réalisation de tout délit.
21 Le droit pénal est désormais pensé comme un système de contrôle social qui, en accord
avec le principe d’utilité, tentera d’établir un équilibre global des plaisirs et des peines au
niveau de la société toute entière. C’est bien tout le sens du premier « moyen indirect de

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prévenir la volonté de commettre les Délits » : « détourner le cours de désirs dangereux,


et diriger les inclinations vers les amusemens les plus conformes à l’intérêt public. » Et
Bentham de conclure :
Il n’y a d’efficace, qu’un moyen indirect, dont peu de
Gouvernemens ont eu la sagesse d’user.16
22 La critique contre un système pénal qui s’appuierait uniquement sur des peines, toujours
plus grandes, toujours plus sévères, toujours plus nombreuses est à peine voilée. Un tel
système ne saurait être efficace.
23 La législation indirecte revêt un aspect cognitif et épistémologique : elle intervient au
niveau de la volonté et de la connaissance. Volonté des individus de commettre des
délits ; connaissance du corps du délit, de la procédure pénale, des peines et connaissance
de la potentialité des autres individus à commettre des délits, donc accroissement de la
responsabilité de ceux dont les actes délictueux sont connus17. La société devient le lieu
d’une connaissance qui doit être la plus complète et la plus précise possible. Elle peut
désormais être appréhendée à travers une toile de liens invisibles, de connaissance des
individus sur eux-mêmes, les autres et les différents modes de sanction pénale
préconisés.
24 Nous pouvons retenir ici trois idées fortes : la volonté de marquer les esprits et d’agir sur
l’imagination, la nécessité de l’élaboration de systèmes de classification et de
référencement et enfin l’importance de la distinction immédiate des différents statuts des
individus. Pour Bentham, il faut « fortifier l’impression des peines sur l’imagination ».
C’est la peine réelle qui fait tout le mal ; c’est la peine
apparente qui produit tout le bien. Il faut donc tirer
de la première tout le parti possible pour augmenter
la seconde. L’humanité consiste dans le semblant de
la cruauté.18
25 Il est remarquable de noter à quel point Bentham a conscience de la portée symbolique de
la peine et de la force des représentations mentales. C’est pourquoi il détaille tous les
moyens apparents, visibles qu’il est possible d’utiliser pour renforcer l’impact de la
représentation de la peine et agir sur l’imagination.
26 La nécessité de la création de systèmes d’informations repose sur la volonté de remplacer
le langage oral par le langage écrit dont la marque perdure et dont l’influence sur l’esprit
est plus grande. Bentham encourage donc la création de registres concernant l’ensemble
des procédures pénales mais aussi des différents acteurs qui sont parties-prenantes dans
ce processus, en particulier les délinquants. Tout doit être connu de tous et consigné par
écrit. Transparence et publicité sont strictement requises par la législation indirecte.
27 Partant du principe que « la plupart des délits ne se commettent que par la grande
espérance qu’ont les délinquans de rester inconnus », alors « tout ce qui augmente la
facilité de reconnoitre les hommes et de les retrouver, ajoute à la sûreté générale. »19
Bentham préconise ainsi l’établissement de tables de la population, aussi précises que
possibles, le port d’habits spécifiques en fonction du statut social de l’individu (la
première distinction étant celle du sexe) et il va jusqu’à vouloir « imprimer leur nom de
famille et leur nom de baptême sur le poignet, en caractères bien tracés et indélébiles. » 20
Ces éléments visent à établir une connaissance qui puisse être la plus précise et la plus
exhaustive possible des individus eux-mêmes et des événements qui leur sont liés. Cet
ensemble d’informations accessibles par des registres et des catalogues sert de socle
cognitif à la vision benthamienne.

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2. La prévention comme processus d’identification et de repérage


d’adéquation à la norme

28 Nous pouvons désormais tirer les conclusions de l’analyse de la théorie du droit pénal,
certes partielle, à laquelle nous venons de nous livrer, et surtout de ce que Bentham
appelle la « législation indirecte ». Il s’agit ainsi d’interroger le concept de normation
élaboré par Foucault dans Sécurité, Territoire, Population.
En d’autres termes, ce qui est fondamental et premier dans la normalisation
disciplinaire, ce n’est pas le normal et l’anormal, c’est la norme. Autrement dit, il y
a un caractère primitivement prescriptif de la norme et c’est par rapport à cette
norme posée que la détermination et le repérage du normal et de l’anormal
deviennent possibles. Ce caractère premier de la norme par rapport au normal, le
fait que la normalisation disciplinaire aille de la norme au partage final du normal
et de l’anormal, c’est à cause de cela que j’aimerais mieux dire, à propos de ce qui se
passe dans les techniques disciplinaires, qu’il s’agit d’une normation plus que d’une
normalisation. Pardonnez le mot barbare, enfin c’est pour bien souligner le
caractère premier et fondamental de la norme.21
29 L’enjeu pour Bentham réside en fait dans l’identification au sein de la population de
l’adéquation possible et a priori à la norme juridique. Il s’agit bien et à nouveau de
proposer une reconstruction du réel à partir de la norme juridique qui permettra de
s’assurer non plus du simple respect de la norme a posteriori mais de sa non-
transgression effective/a priori.
30 Cette législation indirecte, cette prévention est d’autant plus importante qu’elle permet
d’assurer la sécurité, c’est-à-dire d’éviter que des délits ne soient commis et donc de
diminuer l’alarme au sein de la société, ce dernier objectif primant sur les autres.
31 Il est intéressant de replacer la question de la législation indirecte d’une part dans
l’ouvrage où elle apparaît : les Principes du Code pénal et, d’autre part, dans le cadre
normatif défini par la théorie du droit benthamienne. Nous voyons bien que la législation
indirecte ne peut être comprise que comme une manière de redéfinir le rapport à la
norme. L’équation n’est plus : je ne respecte pas la norme donc je suis puni mais : il faut
développer des moyens de prévention qui permettent une catégorisation de la société en
fonction d’un comportement probable et/ou prévisible vis-à-vis de cette norme. Il s’agit
donc bien effectivement d’un changement profond dans la conception de l’exercice du
pouvoir puisque son lieu n’est plus seulement celui du souverain – comme pourrait le
laisser croire une interprétation normative ou impérative de la théorie du droit
benthamienne – mais aussi de l’individu. De la même manière que c’est au terme d’un
raisonnement que l’individu peut choisir de ne pas respecter la norme juridique, il va
s’agir ici de reporter sur l’individu la responsabilité de l’ensemble de ses actions. Ceci
n’étant possible que dans un cadre normatif clairement et préalablement défini. Le
souverain ne peut s’affranchir de la société et de l’individu compris comme sources et
contrôles de normativité. La norme juridique devient un principe interne du
« gouvernement de soi »22. Pour Bentham, il ne s’agit pas seulement de punir des
comportements déviants mais de repérer les personnes susceptibles de commettre des
actes déviants. On passe donc de l’action à la personne commettant l’action.

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Conclusion
32 Il est désormais clair que le cadre normatif élaboré par Bentham dans sa théorie du droit,
et dans sa solidarité et sa cohérence avec ses Principes du code pénal, se révèle plus fin et
plus complexe qu’une théorie de la motivation impliquant l’usage nécessaire et unique de
la punition comme moyen d’influencer les conduites. Il s’agit donc ici de compléter et de
problématiser l’analyse disciplinaire foucaldienne. Il est d’ailleurs finalement étonnant
que Foucault ne se soit pas plus intéressé à la question de la législation indirecte, surtout
lorsque Bentham écrit que « les moyens indirects sont donc ceux qui, sans avoir les
caractères de la peine, agissent sur le physique ou le moral de l’homme, pour le disposer à
obéir aux lois, pour lui épargner les tentations du crime, pour le gouverner par ses
penchants et par ses lumières. »23

NOTES
1. Foucault, Michel, Sécurité, territoire, population, Cours au Collège de France, 1977-1978, Paris:
Gallimard, 2009, p. 59.
2. Bentham, Jeremy, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Oxford: Oxford
University Press, 1996, p. 1, Trad. fr. Centre Bentham, Introduction aux principes de morale et de
législation, Paris: Vrin, 2011.
3. Bentham, Jeremy, Of the Limits of the Penal Branch of Jurisprudence, Oxford: Oxford University
Press, 2010, pp. 24-25. Trad. fr. Malik Bozzo-Rey, Des limites de la branche pénale de la jurisprudence,
Paris: Classiques Garnier, 2012 (à paraître).
4. James, M. H., « Bentham on the Individuation of Laws », dans Northern Ireland Legal Quarterly,
vol 24 (3), 1973, pp. 91-116.
5. Voir en particulier : Foucault, Michel, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France, 1978–
1979, Paris: Gallimard, 2004.
6. Bentham, Jeremy, IPML et Bentham, Jeremy, La table des ressorts de l’action, Paris: Cahiers de
l’Unebévue, 2008.
7. Bentham, Jeremy, Limits, pp. 24-25.
8. p. 43; Works of Jeremy Bentham, Bowring (ed.), Edimburg: William & Tait, 1843, vol. 11, p. 2 et
Bentham, Jeremy, Fragment sur le gouvernement, Paris: LGDJ, 1996, pp. 139–148.
9. Bentham, Jeremy, Works, vol. 8.
10. Bentham, Jeremy, Official Aptitude Maximized, Expense Minimized, Oxford: Clarendon Press,
1993 et Bentham, Jeremy, First Principles Preparatory to Constitutional Code, Oxford: Clarendon
Press, 1989.
11. Ce qui est cohérent avec la définition d’une loi que donne Bentham dans Of the Limits of the
Penal Branch of Jurisprudence, p. 24.
12. Bentham, Jeremy, Traités de législation civile et pénale, Paris: Dalloz, 2010, p. 273.
13. Ibid.
14. Ibid.
15. Ibid.
16. Bentham, Jeremy, Traités, p. 331.

Revue d’études benthamiennes, 8 | 2011


Le droit comme système de contrôle social 10

17. Voir également sur ce point l’article de Christian Laval, « « La chaîne invisible » », Revue
d’études benthamiennes [En ligne], 1 | 2006,mis en ligne le 01 septembre 2006, consulté le 25
octobre 2010. (http://etudes-benthamiennes.revues.org/63).
18. Bentham, Jeremy, Traités, p. 356.
19. Bentham, Jeremy, Traités, p. 368.
20. Ibid.
21. Foucault, Michel, Sécurité, territoire, population, Cours au Collège de France, 1977-1978, (Paris:
Gallimard, 2009), p. 58-59.
22. Pour un développement de ces positions, voir l’article de Christian Laval précédemment cité
« La chaîne invisible ».
23. Bentham, Jeremy, Traités, p. 332.

RÉSUMÉS
Cet article entend questionner l’application du concept de norme juridique tel qu’il est pensé par
Bentham au regard de la réflexion foucaldienne sur la norme. Plus précisément, il s’agira de se
pencher sur les Principes du code pénal rédigés par Jeremy Bentham. Après avoir exposé le cadre
normatif de la théorie du droit benthamienne, nous interrogerons la place de la motivation et de
la punition dans un modèle juridique pensé comme système de contrôle social. En effet, comment
s’assurer de la conduite des personnes autrement que par la mise en place d’un système punitif et
disciplinaire ? La réponse est à trouver du côté de ce que Bentham appelle la législation indirecte
qui pense les modalités de l’influence au prisme de la prévention.

This paper would like to focus on the applicability of the concept of a legal norm elaborated by
Bentham compared with foucaldian thought. More precisely, I will based my analysis on the
Principes du code pénal written by Bentham. After having exposed the normative frame of
Bentham’s legal theory, I will try to aswer to the following question: what could be the role of
punishment and motivation in a legal model turned in a system of social control? Indeed, is there
a way to ensure that people’s conduct will be as requested by the law without building a system
of control based on punishment and discipline? Bentham’s answer has to be found in what he
calls indirect legislation, which proposes modalities of influence on people’s behaviour through
prevention.

INDEX
Keywords : Bentham, Control, Foucault, Indirect Legislation, Law, Penal Code, Punishment
Mots-clés : code pénal, contrôle, droit, législation indirecte, loi, punition

AUTEUR
MALIK BOZZO-REY
Maître de Conférences en Ethique Economique et Philosophie du Management (Département
d’Ethique - Université Catholique de Lille)

Revue d’études benthamiennes, 8 | 2011

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