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UN MYSTÈRE PARISIEN ILLUSTRÉ PAR UCCELLO LE MIRACLE DE L'HOSTIE D'URBINO

Author(s): Pierre Francastel


Source: Revue Archéologique, Sixième Série, T. 39 (JANVIER-JUIN 1952), pp. 180-191
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41752303
Accessed: 01-04-2018 11:02 UTC

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m MYSTÈRE PARISIEN ILLUSTRÉ PAR UCCELLO
LE MIRACLE DE L'HOSTIE DURINO

Parmi les artistes de la Renaissance que notre époque a


étudiés avec le plus de sympathie, figurent Piero della Fran-
cesca et Paolo Uccello. Il semble pourtant qu'on se soit uni-
quement attaché à l'appréciation esthétique de leurs ouvrages,
sans chercher vraiment à expliquer la manière dont s'est posé
pour eux l'éternel problème du réalisme plastique. Insistant
trop sur les comparaisons d'œuvre à œuvre et d'époque à
époque, on n'a pour ainsi dire jamais examiné leurs compo-
sitions dans leur rapport avec les faits et les usages contem-
porains, et l'on s'est ainsi contenté d'une conception stéréo-
typée de la Renaissance. Je voudrais montrer, dans le cas
particulier du Miracle de l'Hostie d'Uccello, que, sous une
composition en apparence fantaisiste, on peut découvrir un
matériel figuratif et des intentions très concrets.
On sait que les six épisodes qui constituent l'œuvre célèbre
d'Uccello, aujourd'hui conservée au Musée d'Urbin, consti-
tuaient la prédelle d'un retable exécuté par l'auteur pour là
Confrérie du Corpus Domini. D'après M. Salmi, le dernier
historien d'Urbin, Uccello aurait travaillé à cet ouvrage
pendant un séjour qu'il fit dans la ville en 1467-68. C'était
l'époque brillante d'Urbin1. Marié en 1460 avec Battista
Sforza, Frédéric de Montefeltre, le nouveau « duc », avait
appelé les meilleurs artistes de la Toscane pour lui élever un
palais de style moderne : Luciano Laurana et Piero della

1. Sur le rôle d'Urbin dans la formation de la Renaissance, cf. le livre extrê-


mement riche de M. Salmi, Piero della Francesca e il Palazzo ducale di Urbino ,
Florence, 1945. Il comporte une importante bibliographie. Cf. aussi P. Rotondi,
Il Palazzo ducale di Urbino , Urbin, 1951. Sur Uccello, le meilleur recueil, très
bien illustré, est celui de E. Somare, Uccello , Milan, 1946.

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Francesca étaient ses conseillers artistiques et Urbin était


alors un des foyers de l'art vivant. Le passage d'Uccello dans
les ateliers d'Urbin ne fut cependant pas de longue durée et
l'on sait que, dès 1473, c'est à un étranger, Juste de Gand,
que la Confrérie du Corpus Domini faisait appel pour l'exé-
cution du corps central du retable, la pala. Juste de Gand
exécuta, nous dit-on, à Urbino même, dans un studio où il
travailla avec Berruguete et Melozzo da Forli, et où Signo-
relli vint en 1494, un Christ communiant de sa main les Apôtres,
thème iconographique assez rare et qui remplaçait une pre-
mière pala : une Cène, de Thierry Bouts, exécutée vers 1468,
en même temps par conséquent que la prédelle d'Uccello1.
Retenons surtout qu'Urbin était un centre d'art à l'affût de
la nouveauté et que la Confrérie du Corpus Domini y jouait
un rôle de premier plan.
En ce qui concerne le sujet de la prédelle, on se contente
habituellement de rappeler qu'il s'agit de la légende du Juif
qui acheta le corps du Christ à une pauvre femme, et le fit
bouillir, ou tenta plutôt vainement de le détruire, puisqu'un
miracle transforma l'hostie en sang d'abord, puis en Crucifix.
Je crois qu'on peut aller beaucoup plus loin dans l'étude des
sources et de la signification de cette œuvre.
Sur les faits, c'est dans le livre de P. Perdrizet, le Calen-
drier parisien à la fin du Moyen Age, que l'on trouve la
meilleure documentation2. A la date de la saint Jean, Per-

1. Cf. E. MÂle, Vari religieux de la fin du Moyen Age en France , Paris, 1908;
2e éd., 1922. Parallèlement aux travaux de M. E. Mâle, M. Gustave Cohen a étudié,
il y a un demi-siècle, le problème des rapports entre la mise en scène et l'art,
l'un insistant davantage sur la dette de l'art vis-à-vis du théâtre, et l'autre sur
la dette du théâtre vis-à-vis de l'art. Je pense qu'il y a un troisième élément
dont il faut tenir compte : l'influence, sur l'art et le théâtre à la fois, d'un matériel
d'objets utilisés dans les spectacles populaires et en particulier par les corpora-
tions. Cf. à ce sujet : G. Cohen, The Influence of the Mysteries on art, Gazette
des Beaux-Arts , 1943, et deux articles que je publierai prochainement sur Les
origines du théâtre moderne et la peinture du Quattrocento , et sur Le cycle du Mai
florentin , de Politien à Botticelli.
2. Le calendrier parisien à la fin du Moyen Age , d après le Bréviaire et les
Livres d'Heures , Paris, 1933, p. 158-160. On y trouve reproduit le texte de Gilles
Corrozet, Les Antiquités de Paris , éd. de 1586, p. 105.

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drizet signale l'importance des. deux sanctuaires de S


Jean-en-Grève et des Carmes-Bijlettes, liés traditionnelle
par une procession commémorative des faits survenus en
au quartier du Temple, dans la rue dite des Jardins et d
la « rue où Dieu fut boulu ». Voici le texte de Corrozet,
des Antiquités de Paris : « Un juif ayant prêté de l'ar
sur gage à une pauvre, mais meschante femme, demeur
à Paris, conuint de marché avec cette malheureuse qu'el
porteroit le S. Sacrement qu'elle recueroit le iour de Pas
Elle n'y faut, ains allant à l'église S. Merry, vint à la
munion, et comme un second ludas, elle porta l'host
retaillé infidelle, lequel soudein s'acharna à coups de can
sur le corps précieux de N. S., si bien que la ste Hosti
du sang, en grand abondance, qui n'empescha que le m
Hebrieu ne la iettast dedans le feu, d'où elle sortit sans
lesion et se print à volter à l'entour de la chambre. L
forcené la prit et la lança dans vne chaudière d'eau to
bouillante, et soudain cette eau fut toute changée en co
de sang, et aussitost s'esleva l'Hostie, et apparut visiblem
ce qui estoit caché sous le pain, à sçavoir la forme et fi
de N. S. crucifié. Ce forfaict si détestable fut descouuer
vn fils du Iuif qui le dist aux enfans des Chrestiens, ne
sant que cela fut la ruine de son pere. » Comme il n'y
pas encore d'église au lieu où le Christ avait subi une no
passion, on transporta et exposa hostie et couteau, au
après le crime, à Saint-Jean-en-Grève et on nomma m
des Miracles l'habitation de Jonathas. On fonda plus
sur l'emplacement de cette maison, l'église desservie pa
Carmes Billettes. Toutefois le couteau et l'Hostie restèrent à
Saint-Jean-en-Grève et ils étaient souvent portés en grande
procession à travers Paris.
Des histoires analogues coururent dans beaucoup de pays
et, jusqu'à présent, on n'a pas directement rattaché aux évé-
nements parisiens - miracle et rites commémoratifs - la
prédelle d'Urbin. Cependant, Perdrizet rappelle le témoignage
de Jean Villani : « En 1290 se trouvait à Paris un juif qui
avait prêté à intérêt à une chrétienne sur les habits de celle-ci.

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Le jour de Pâques étant proche, la chrétienne voulut ses


habits pour les mettre durant cette fête. Le Juif lui dit :
« Si tu m'apportes le corps de votre Christ, je te rendrai tes
habits sans que tu aies rien à payer. » La femme, qui était
simple et cupide, accepta. Elle alla communier, garda l'Hostie
en bouche et l'apporta au juif. » Ce témoignage est très impor-
tant, car il établit qu'aux yeux des Florentins du xve siècle
cette histoire avait un caractère nettement parisien ; bien que,
à l'origine, le culte du Corpus Domini ait eu pour berceau
le pays de Liège. C'est, en effet, Urbain IV (1261-1264) qui
fit une fête universelle et obligatoire, le jeudi après la Trinité,
de la Fête-Dieu ou du Saint-Sacrement instituée dans son
diocèse par Pévêque de Liège en 1246. Rappelons que c'est
déjà un évêque de Liège, Étienne (903-920), qui institu
l'office de la Trinité à partir d'une messe élaborée sous l'in-
fluence d'Alcuin ; mais que cet Office fut définitivemen
incorporé en 1334, seulement dans les prières de l'Église uni
verselle. Enfin, le culte du Précieux Sang est le culte de Brug
et des princes bourguignons. Bref, il est clair que les dévotion
mystiques de l'octave de la Trinité ont une première origine
mosane, mais que c'est sous la forme d'une légende parisienn
que la légende du Juif était connue à Florence auxve siècle1.
Il en existe une preuve supplémentaire, qui fournit en
outre l'indication des sources positives d'Uccello. C'est qu
le miracle n'était pas seulement célébré et commémoré p
des processions, mais par des Mystères. On n'a pas prêté
attention à un texte de Le Febvre - cité sans plus par
P. Perdrizet - qui rapporte qu'à la procession du 15 mai 1444,
où les évêques de Paris et de Beauvais accompagnés de deux
abbés portèrent le corps de N. S. - c'est-à-dire l'ostensoir
où était l'Hostie miraculeuse - de Saint-Jean-en-Grève aux
Billettes, un char , dit le Mystère du Juif, figura dans la
procession et que sur ce char était représenté, par person-

1. Sur les origines de la dévotion au Saint-Sacrement, cf., en dernier lieu :


E. de Moreau, Histoire de VÊglise en Belgique , II et III, Bruxelles, 1940 sqq.,
et L'Église en Belgique , Paris-Bruxelles, 1945, p. 110. Le texte de Villani est cité
par Perdrizet, p. 160.

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nages, le miracle1. Or, ilexiste un texte qui nous ex


en quoi consistait cette représentation du miracle. C
Miracle de la Sainte-Hostie que l'on trouvera tout simpl
dans le tome 43 de la Patrologie de Migne, dans le Di
naire des Mystères publié, en 1854, par Douhet2. Ce
est la réimpression d'un ouvrage édité au xve siècle en
caractères gothiques et dont un exemplaire est conserv
Bibliothèque d'Aix. Le texte a été réimprimé en 181
Auguste Pontier et tiré à 62 exemplaires en fac-simi
analyse en est donnée, au surplus, tout simplement d
collection des frères Parfait, t. II, pp. 365-377, éd. d
Paris.
Ceux qui se reporteront à ce texte verront qu'il s'agit d'un
Mystère en quatre parties et ils pourront constater en quoi la
version d'Urbin suit, et parfois de très près, le texte du
mystère parisien, mais en quoi aussi elle s'en distingue. Cette
comparaison n'est pas sans profit, tant en ce qui concerne
l'ordre des épisodes que l'appréciation de leur valeur symbo-
lique et plastique.
La partie gauche de la prédelle d'Uccello représente le
Miracle proprement dit. Cette portion de la composition, qui
constitue le tiers de l'ensemble, est divisée elle-même en deux

1. Le texte de Le Febvre est dans le Calendrier historique , p. 147, cité par


P. Perdrizet. Le char permet de rattacher la représentation populaire du Miracle
du Juif à une forme de spectacles ou de liturgies civiles aussi importants, à mon
avis, au XVe siècle que les Mystères et qui n'ont été sommairement décrits que
par certains historiens de la civilisation italienne, notamment Alessandro ďAncona,
dans le livre cité plus bas. C'est un vaste problème que j'ai touché dans les deux
articles que je me suis permis de signaler.
2. Douhet, Dictionnaire des Mystères, moralités , efc., Paris, 1854. A côté
de Douhet, il faut faire une place importante à Magnin, Origines du théâtre
moderne , Paris, 1838, complété par une série de cours faits à la Faculté des Lettres
de Paris - qui fut le véritable initiateur des études sur le théâtre médiéval.
Parus en articles dans Ije Journal des Savants , les travaux ultérieurs de Magnin
ont servi de base aux recherches de Petit de Julleville. Mais on n'a. prêté, de
plus en plus, d'attention qu'aux Mystères, laissant de côté tout un aspect, essen-
tiel, aussi bien pour les mœurs que pour l'art, de la vie sociale de ce temps. Cf.
récemment le livre très suggestif de G. R. Kernodle, From art to Thealer . Form
and convention in the Renaissance , Chicago, Univ. Press, 1944. Malheureusement,
l'auteur limite au xvie siècle et aux Entrées l'objet principal de son étude.

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par une colonne. A gauche, on voit la boutique du juif à


qui la femme tend Y Hostie ; à droite le juif, entouré de sa
femme et de ses deux enfants, est le témoin du miracle,
tandis que le guet frappe à sa porte pour venir l'arrêter. On
observera plusieurs choses et, notamment, que Tordre des
temps n'est pas strictement respecté. Non seulement la
légende est représentée seulement dans deux ou trois épisodes
saillants, ce qui suppose la connaissance familière du Mystère
tout entier, mais, dans la seconde scène, les temps sont
condensés puisque, en fait, l'enfant n'a pu révéler les faits
miraculeux à ses camarades qu'après leur achèvement. On
touche ainsi du doigt une des hypothèses fondamentales de
l'art : la représentation symbolique des temps. Cette question
était, du vivant d'Uccello, d'un intérêt tout particulier,
puisque la convention médiévale qui, jusqu'alors avait satis-
fait les artistes, était en voie d'être rompue. Le désir d'intro-
duire une sorte d'harmonie logique dans la position réciproque
des lieux, impliquait l'abandon de la simple représentation
simultanée des événements à des échelles variées, sans autre
principe d'organisation ou de dispersion sur l'écran plastique
que la fantaisie de l'artiste et les lois de la composition
décorative. La solution adoptée par Uccello - qui consiste
à présenter dans un ordre de lecture déterminé deux épisodes
types de la légende et à leur donner pour cadre un décor
sommaire modifié par les accessoires et symétriquement
ordonné par rapport à l'axe médian - lui fournit non seule-
ment l'occasion d'une application des règles de la perspective,
mais la possibilité d'un rappel du cadre des représentations
scéniques de la légende.
On observera, au surplus, comment, dans l'épisode des
hommes d'armes, Uccello a réduit, par l'artifice du pan de
mur oblique, les dimensions de la scène intérieure redoublée
et comment cet artifice rappelle celui des célèbres fresques de
la chapelle Brancacci où, en particulier dans les Miracles de
saint Pierre , on voit au premier plan des scènes d'intérieur
représentées dans des fragments à demi ouverts de l'espace.
On retrouve cette formule jusque dans la célèbre Visitation

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de Ghirlandajo et dans Y Incendie du Borgo de Raphaël. C'est


le problème fondamental de l'association, dans les limites du
cadre, de scènes du dehors et du dedans1. Je pense que l
formule, mal connue et assez surprenante à laquelle s'est
attaché le Quattrocento est liée à la transposition de spec
tacles mimés, comme la chose est quasi évidente, en tout cas
pour la prédelle d'Urbin.
D'une part, donc, Uccello a figuré deux moments de la
représentation jouée du Miracle de V Hostie, suivant une ver
sion proche de celle de Paris, mais, d'autre part, il a assoc
les autres épisodes à un encadrement de paysage dont le
origines sont toutes différentes. On constate, en effet, que
toutes les autres scènes sont placées devant un horizon de
collines qui constitue, à l'arrière-plan, un déroulement continu
On rapprochera • ce fond de tous ceux qui existent dans
peinture contemporaine et notamment des paysages qui
figurent derrière les célèbres figures de Frédéric de Monte-
feltre et de Battista Sforza, dans l'admirable dyptique nuptia
de Piero della Francesca. J'ai dit ailleurs comment, à mon
avis, il y avait là aussi une tentative pour intégrer la repré-
sentation d'une chose vue dans une figuration stylisée e
comment, à mon sens, il existait une liaison étroite entre les
fonds de paysage peints sur des toiles de fond tombant
angle droit derrière de véritables plateaux de scène - sur
lesquels xdes suites d'épisodes et des cortèges continuent
défiler - et la constitution future de la scène classique. Dans
le cas de la prédelle d'Urbin nous avons donc, d'une part, ce
paysage composé, dans le sens même où parlera Poussin,
véritable toile de fond significative d'une localisation géné
rale de la scène - elle est censée se passer à Urbin, dans le
domaine de la confrérie et des seigneurs qui passent la com-

1. Sur tous ces problèmes de l'espace-temps dans la plastique de la Renais-


sance, de la figuration simultanée des dehors et des dedans, sur la significatio
de la célèbre fresque des Miracles de saint Pierre , la Résurrection de Tabitha e
sur le sens du diptyque de Piero della Francesca, cf. mon livre récent : Peintur
et société , naissance et destruction d'un espace plastique de la Renaissance au Cubisme
Paris, 1952.

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mande - et, d'autre part, six épisodes répartis entre trois mises
en scène, représentatives apparemment de trois tableaux
vivants directement inspirés des scènes du Miracle , j oué à la dili-
gence de la confrérie du Corpus Domini, Le tout est rythmé par
les colonnes, dont on comprend le sens si Ton songe que la pré-
delle était destinée à se placer au-dessus d'un autel, sous une
pala somptueusement encadrée : le parti adopté devait fournir
l'illusion d'un spectacle aperçu au dehors, sur la place et dans
les rues de la ville, devant le fond naturel des montagnes qui
entourent Urbin et constituer en quelque sorte un film per-
manent de la légende où s'alimentait la piété de la Confrérie
- insuffisamment renouvelée, une fois par an au maximum,
par la représentation matérielle du Mystère.
Il saute aux yeux que les deux épisodes de la réconcilia-
tion de l'autel et de la mort de la femme utilisent le même décor
mobile ; tandis que la pendaison de la femme et l'autodafé
des juifs se placent en plein air. Il reste à expliquer l'étrange
convention qui permet de représenter les deux premiers
épisodes devant le fond de paysage pour exprimer très net-
tement une scène d'intérieur.
Or, sur ce point, il existe des témoignages qui nous aident
à comprendre le point de départ concret qui a servi à Uccello
pour imaginer son œuvre. Dans son Histoire des Papes ,
Pastor a écrit : « Pie II n'a pas institué de nouvelles fêtes
religieuses, comme l'avaient fait ses prédécesseurs, mais il
s'attacha à célébrer avec un éclat particulier les fêtes déjà
existantes, et en particulier la Fête-Dieu. En 1461, il la
célébra à Rome : voulant affirmer solennellement sa vénéra-
tion pour le Saint-Sacrement de l'autel, il porta lui-même
Postensoir à la procession. L'année suivante, se trouvant à
Viterbe... » On trouvera dans le livre d'Alessandro d'Ancona,
Origini del Teatro italiano , la description des fêtes somp-
tueuses données, en 1462, à Viterbe, à l'occasion de la Fête-
Dieu. Tous les cardinaux furent tenus de construire, dans les
rues de la cité, des reposoirs d'un luxe inouï ; et le Pape
mena lui-même la procession parmi quelques douzaines de
« tableaux vivants », dont le souvenir s'est sans aucun doute

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conservé sous une forme très stylisée dans les deux édic
de la prédelle d'Urbino1.
En somme, il y a dans la composition d'Uccello trois sé
d'éléments tirés d'une expérience vécue par l'artiste e
contemporains : du matériel de décor emprunté à des re
sentations théâtrales de Mystères ; des éléments mat
tirés de la coutume des tableaux vivants - qui, des f
religieuses, se transférera couramment dans les tradi
nelles Entrées du xvie siècle - ; un parti pris proprem
pictural qui aboutit à une combinaison toute convention
de fonds de paysages brossés sur une toile de fond en
ciation avec une figuration, au premier plan, de scènes
ou moins processionnelles ou de défilés, préfiguratio
formules de la scène classique.
Si l'on accepte le rapprochement qui vient d'être
entre les rites contemporains et l'œuvre d'Uccello, o
tirera d'autres éléments pour l'interprétation de l'œuvre
verra d'abord, dans la figure du Pape qui ramène l'h
sur l'autel, un portrait de Pie II ; ou plus exactement, pe
être, car les traits ne me paraissent pas absolument conco
un rappel des intentions de ce Pape liées au culte du
du Christ. Depuis la prise de Constantinople, en 1453,
l'action du Pape était orientée vers l'idée de la Croisade.
Pie II s'efforçait, en vain, d'entraîner les princes chrétiens
dans une expédition contre les infidèles. Ainsi la légende du
juif était comme une préfiguration des outrages subis de

1. On trouvera la description de la Fête-Dieu de Viterbe dans Al. d'Ancona,


Origini del teatro italiano , 2e éd., Turin, 1891, p. 236. Cette grandiose cérémonie
est relatée aussi dans Pastor, Histoire des Papes , t. Ill, p. 274 de la traduction
française. Pour d'autres représentations du Mystère en Italie, cf. Ancona, p. 289.
A Rome, en mai 1473, lors du passage d'Éléonore d'Aragon, fille du roi Ferrante,
qui allait se marier à Ferrare : « Fu fatta [à la diligence du cardinal de Saint-
Sixte] la Rappresentazione di quel Giudeo che arrosti il Corpo di Christo. » A
Bologne, en 1492, une représentation eut lieu à la diligence de la confrérie du
Corpus Domini : « Spectacula adeo fuerunt digna ut multi dicerent antiquitatem
romanam revixisse. » Pour se donner une idée de ce que pouvaient être les chars
de pareilles représentations, on peut consulter le recueil de P. Schubring, Cas-
soni , Leipzig, 1923, et les fresques du Palais Shifanoja à Ferrare, précisément.
Sur les mises en scène de l'Annonciation, cf. Ancona, p. 29 et 89.

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nouveau par des terres fécondées par la religion chrétienne et


qui réclamaient l'intervention des fidèles - très peu pressés
de se lancer toutes affaires cessantes dans une aventure colo-
niale. Il faudra un siècle, et le transfert de la menace dans
leur domaine méditerranéen, pour amener le « miracle » de
Lépante. Il est clair, toutefois, que, dans le domaine poli-
tique de la Papauté, les mots d'ordre de Croisade étaient en
honneur, à Urbin, chez les Montefeltre qui se donnaient
comme le bras séculier de l'Église, comme à Viterbe. On
saisit ainsi le sens des emblèmes qui figurent dans la maison
du juif sur le manteau de la cheminée : la tête de Maure sur
la targe et le scorpion, emblème du peuple juif, avec la masse
d'armes de la croisade sur les boucliers. La légende parisienne
connaît alors dans les terres de l'Église un regain d'actualité,
parce que le peuple juif est le symbole éternel de l'infidèle.
N'oublions pas qu'en Espagne le développement des Auto-
Sacramentales sera lié aussi à la Fête du Corpus Domini ,
que là aussi les chars sont la partie fondamentale de la fête
à l'origine, puisqu'elle est d'abord appelée Fiesta de los
Carros1.

Je n'insisterai pas sur le fait que le guet d'Urbin porte


des armes et des bannières marquées SPQR. Il va de soi
que, dans son transfert de Paris à Urbin, la légende de Jona-
thas a subi bien des changements et des adaptations. Mais il
est un dernier point qui vaut d'être signalé et qui donne une
valeur plus précise à la prédelle d'Uccello. C'est ce qui touche
aux changements apportés dans le rôle de certains person-
nages, celui de la femme en particulier.
Quand on lit attentivement le texte du Mystère parisien,
on constate qu'il a été composé à des fins générales d'édifica-
tion certes, mais aussi selon un but utilitaire ; sa représenta-
tion était destinée à encourager les Parisiens à la générosité
pour la construction des sanctuaires où étaient conservés les
objets du miracle : Hostie et Canivet et pour l'enrichissement
des châsses. A la fin du texte on lit, en effet, dans la bouche

1. Ancona..., p. 243.

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de l'évêque qui remplace le Pape : « Vous respectable cu


vous garderez cette hostie merveilleuse ; et nous accordon
cent jours d'indulgence à tous ceux qui se cotiseront po
lui faire une châsse et, pour y mettre de Vordre, nomm
des majors. Sur ce, je vous recommande à Dieu. » Et le c
de Saint-Jean reprend : « Père en Dieu, la Vierge pure
porte dans ses flancs Jésus-Christ, vous ait en sa garde ét
nelle. Je vais mettre dans cette armoire cette hostie sacro-
sainte. Bonnes gens, le noble prélat ayant accordé cent jours
d'indulgence plénière à quiconque donnera pour la châsse de
cette relique précieuse, Dieu vous les remettra. Ne soyez donc
pas négligents. Vous avez vu tous ce grand et sérieux miracle,
gardez-en la mémoire ; respectez cette hostie, fondez et conser-
vez une confrérie au lieu même où ce fait s'est passé ; et que
les confrères se montrent pour la première fois autour du
bûcher de ce juif pervers et obstiné. C'est ainsi que nous
obtiendrons le pardon et la grâce de Dieu. » J'aime à supposer
que l'on se contentait de représenter en chaque occasion le
bûcher du juif sans rôtir pour de vrai un infidèle. Pastor
fait allusion à la douceur de Pie II envers les juifs et des
instructions strictes qu'il donne à l'évêque de Spolète pour
que, dans ses États, on ne baptise pas de force les enfants
juifs au-dessous de 12 ans et qu'on ne fasse pas travailler
leurs pères le jour du sabbat1. Je ne m'avancerai pas jusqu'à
jurer que, partout ailleurs qu'en Espagne, l'autodafé ait été
chose exceptionnelle, dans ces temps où l'Église faisait elle-
même les procès de tendance... Je signalerai seulement que
la version d'Urbin substitue, d'une part, à la fondation du
sanctuaire des Billettes et à l'embellissement des châsses de
Saint-Jean-en-Grève, la scène papale de la réconciliation et
le thème de la croisade, et qu'elle introduit, en outre, une
conception originale du personnage de la femme qui še dis-
tingue de la version parisienne. A Paris, on ne s'intéresse pas

1. Pastor..., p. 269. Un autre texte, cité par Pastor, range dans la catégorie
des inñdéles, ennemis menaçants de l'Église, les nègres et les juifs. Or les emblèmes
qui se trouvent dans la prédelle d'Urbin, au-dessus de la cheminée du juif, repré-
sentent précisément le peuple juif (par le scorpion) et un nègre.

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UN MYSTÈRE PARISIEN ILLUSTRÉ PAR UCCELLO 191

au sort de la femme ; elle s'enfuit et disparaît. Dans les États


pontificaux, on la pend. Au contraire, à Paris on brûle le juif,
mais on convertit la femme et les enfants et le Mystère
s'achève sur la scène, très touchante, du baptême des infi-
dèles de bonne volonté. A Urbin, on brûle toute la famille
au même poteau. En revanche, la femme est finalement
sauvée. Au moment de sa mort, elle semble, en effet, se repen-
tir, ainsi qu'en témoigne l'ange - tiré du matériel des Annon-
ciations - qui lui apparaît au pied de l'échelle1. Le dernier
épisode nous montre, en outre, un débat entre les anges et
les diables qui, manifestement, se dénoue par la victoire des
anges : ils sont du côté de la tête du cadavre et les diables
s'apprêtent à vider les lieux. Ainsi la moralité des deux figu-
rations est légèrement différente. A Paris les scrupules de
conscience qui ont poussé la famille du juif à le détourner de
son crime lui valent son pardon et l'entrée dans le corps de
l'Église de son vivant. En revanche, la justice immanente
frappe la femme de loin comme de près. A Urbin, point de
pardon pour les juifs ; mais la chrétienne repentie voit exaucer
sa prière de la dernière minute. Elle est, comme l'Église,
réconciliée.
J'espère montrer ailleurs que cette analyse d'une œuvre
célèbre du Quattrocento nous met sur la voie, d'une part, de
la connaissance précise des objets matériels dont se sont
inspirés les artistes pour élaborer des formules esthétiques, et,
d'autre part, d'une interprétation renouvelée des valeurs
morales et sociales que toute l'époque, artistes et mécènes,
attachait aux œuvres d'art.
Pierre Francastel.

1. Dans le Mystère parisien, la femme échappe d'abord au châtiment, en


revanche elle n'est pas sauvée. Ayant quitté Paris après la vente de l'Hostie,
elle se rend à Senlis, où elle s'engage comme servante à n'importe quel salaire chez
un aubergiste. Un peu plus tard, on s'aperçoit que c'est une femme perdue: Elle
est poursuivie et arrêtée pour ses « dérèglements- » «t, convaincue « d'infanticide »
«lie est brûlée. Le juif de Paris s'appelle Jacob Mousse.

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