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L'aspect verbal chez G. Guillaume et ses disciples


Sylvie MELLET
La notion d'aspect verbal est une de celles qui a suscité le plus de
débats, aussi bien dans les travaux de philologie classique qu'au sein
de la linguistique contemporaine ; la définition même de la notion, son
expression comme classe grammaticale, ses rapports avec le temps
sont autant de sujets de controverses traditionnels. Or sur ce point,
comme sur tous ceux qu'il a abordés, G. Guillaume estime que la
psychomécanique du langage apporte aux problèmes une solution
définitive ; et en effet le tableau, plusieurs fois exposé, des aspects du
verbe français paraît d'une clarté et d'une simplicité déconcertantes.
Pourtant, lorsque l'on étudie les écrits guillaumiens un peu plus
attentivement, il devient plus difficile de se laisser convaincre ; la
théorie, nous l'avouons, n'emporte pas notre adhésion : revenu à
plusieurs reprises et en des termes fort variés sur cette question de
l'aspect, G. Guillaume a laissé dans son œuvre les germes de plusieurs
contradictions qui se retrouvent, amplifiées et radicalisées chez bon
nombre de ses disciples. C'est donc tout à la fois une présentation de la
théorie guillaumienne, une analyse critique de son contenu et une mise
en regard des diverses interprétations auxquelles elle a donné lieu, que
nous allons tenter dans cet article.
A travers l'œuvre de G. Guillaume l'aspect est présenté selon deux
points de vue : nous trouvons tantôt des définitions de la notion
(démarche de type onomasiologique), tantôt des définitions de la
forme grammaticale (démarche de type sémasiologique) : les
premières prétendent à une portée universelle, les secondes varient
avec chaque langue étudiée. Examinons-les donc successivement.
1) LES DEFINITIONS NOTIONNELLES
(ONOMASIOLOGIQUES)
La première et la plus importante fait appel aux notions de « temps
impliqué » et de « temps expliqué ». En effet « le verbe est un
sémantème qui implique et explique le temps » (1). Le temps impliqué
est celui qui est « inhérent au verbe », qui est véhiculé en lui ; le temps
expliqué est celui qui est véhiculé avec le verbe, que le discours lui
attribue sous la forme du passé, du présent et du futur. Dans ces
conditions est aspectuel tout ce qui relève du temps impliqué et
temporel tout ce qui relève du temps expliqué : « Cette distinction du
temps impliqué et du
2

(1) Immanence et transcendance dans la catégorie du verbe. Esquisse


d'une théorie psychologique de l'aspect dans Langage et sciences du
langage. Pans, Nizet et Québec, P.U.L., 1964, p. 47.
temps expliqué coïncide exactement (souligné par nous) avec la
distinction de l'aspect et du temps » (1 ). Roch Valin, le disciple le plus
fidèle du maître, le redit sous une autre forme, tout aussi claire et
catégorique : la caractéristique de l'aspect est « d'instituer une
distinction intéressant non pas le temps qui contient /'événement, mais
le temps que /'événement contient. Cette opposition d'un temps
d'univers contenant et d'un temps d'événement contenu (...) est la clé
de tous les problèmes concernant l'aspect grammatical » (2). Telle est
la définition générale de l'aspect, celle qui servira de référence à toutes
les discussions ultérieures.
Quelles sont les différentes valeurs aspectuelles possibles pour un
verbe donné ? Généralement il en existe au moins deux : l'aspect «
tensif » qui « éveille dans l'esprit l'image même du verbe dans son
déroulement » et l'aspect « exten- sif » qui « éveille dans l'esprit le
déroulement d'une « séquelle » de cette image verbale » (3) ; c'est ce à
quoi correspond par exemple en français l'opposition forme
simple/forme composée (marcher/avoir marché) et cela recouvre à peu
près le couple traditionnel imperfectif/perfectif. Rien de plus simple et
de plus classique ; néanmoins la nouvelle terminologie de G.
Guillaume présente quelques inconvénients : en effet, si c'est la
tension du verbe qui permet de définir l'aspect, c'est aussi le terme de
tension qui sert à comprendre l'existence de formes différentes à
l'intérieur d' un seul et même aspect : ainsi au mode nominal, le verbe
français offre trois formes simples, c'est-à-dire trois formes d'aspect
tensif ; l'infinitif donne du procès verbal une image toute en virtualité
d'accomplissement : le procès est saisi dans sa tension ; le participe
présent donne l'image d'un procès en train de s'accomplir, c'est-à-dire
en partie arrivé et en partie arrivant : c'est un équilibre de tension et de
détension ; enfin, avec le participe passé, l'image verbale est celle d'un
procès arrivé à son terme, dont le déroulement sous nos yeux est
achevé : elle n'est que détension. Il faut donc admettre que l'aspect
tensif peut exprimer la détension aussi bien que la tension (4) : le
choix des termes n'est vraiment pas très
(1) Id. p. 48.
3

(2) Les aspects du verbe français dans Mélanges Rosetti,"\ 965, p.


969.
(3) G. Guillaume, Temps et Verbe, théorie des aspects , des modes et
des temps,Pans, Champion, 1970 (2e éd. ; 1"' éd. : 1929), p. 21.
(4) Le problème est à peu près le même pour l'imparfait et le passé
simple au mode indicatif : ces deux temps verbaux appartiennent tous
les deux à l'aspect tensif, mais l'un éveille dans l'esprit une image
verbale en tension complète (P. S.), l'autre une image verbale associant
une part de détension réelle à une part de tension virtuelle (IMP.).
heureux ! Eviter ce genre d'ambiguïté devrait être pourtant, nous
semble-t-il, le premier souci de celui qui souhaite rénover la
nomenclature grammaticale traditionnelle.
G. Guillaume a d'ailleurs utilisé concurremment d'autres termes, ceux
d'aspect « immanent » et d'aspect « transcendant ». Le premier est
celui qui « signifie le dedans, sans l'outrepasser, de ce dont le verbe est
la représentation » ; le second, celui qui « signifie l'au-delà de ce dont
le verbe est la représentation » (1 ). Ainsi j'ai marché est dit aspect
transcendant parce qu'il « déclare atteint, sans plus, l'au-delà de je
marche » ; « la construction avoir marché, composée, interdit à l'esprit
de demeurer au dedans du procès marcher et lui impose d'en
considérer la suite » (id.). Abstraction faite de ses relents
philosophiques, cette seconde terminologie est- elle plus satisfaisante
que le précédente ? Nous ne le croyons pas car, là encore, les termes
imaginés par G. Guillaume ne sont pas univoques : ils servent aussi à
qualifier le temps en général (le temps impliqué et le temps expliqué),
comme il ressort clairement des quelques phrases suivantes : « Les
différenciations d'aspect inscrites dans le temps impliqué et les
différenciations de temps inscrites dans le temps expliqué ont une
origine commune ; c'est la différence qualitative du temps qui s'en va
et du temps qui vient. (...) Le temps qui s'en va est du temps qui a
atteint l'être et que nous nommerons, pour cette raison, le temps
immanent. Le temps qui vient est, au contraire, du temps qui n'a pas
atteint l'être et que nous nommerons, pour cette raison, le temps
transcendant » (2). « Immanent » et « transcendant » ne sont pas des
épithètes spécifiques de l'aspect ; ces deux adjectifs ne sauraient donc
permettre de définir clairement les deux valeurs aspectuelles
fondamentales du verbe français. Cela est d'autant moins possible que
le sens même du mot « transcendant » varie extrêmement selon qu'il
4

qualifie le temps ou l'aspect : le temps transcendant n'a pas atteint


l'être ; c'est un « pas encore » ; l'aspect transcendant, au contraire, a
atteint et dépassé l'être, puisqu'il en est l'au-delà (avoir marché n'a de
sens que si marcher a été réalisé) ; il s'agit donc de deux conceptions
de la transcendance diamétralement opposées, voire incompatibles.
Notons un dernier défaut de cette terminologie : c'est la différence
entre temps immanent et temps transcendant qui, dans l'article cité,
permet de définir la valeur respective de l'imparfait et du passé simple
français ; or, selon G. Guillaume, l'opposition de ces deux formes
verbales est d'ordre temporel, absolument pas d'ordre aspectuel : c'est
là, nous le verrons, un point de vue délicat à soutenir et très
difficilement admis, même par certains linguistes d'inspiration
guillaumienne ; la possibilité d'une facile confusion entre temps et
aspect par l'intermédiaire de qualificatifs communs tels que «
transcendant » et « immanent » est, dans ces conditions, d'autant plus
regrettable (3).
2) LES DEFINITIONS FORMELLES (SEMASIOLOGIQUES)
Dès 1 929, G. Guillaume affirmait dans Temps et Verbe : « L'aspect
est une forme (4) qui, dans le système même du
< 1 ) Epoques et niveaux temporels dans le système de la conjugaison
française dans Cahiers de linguistique structurale, n° 4, Québec,
P.U.L., 1 955.
(2) immanence et transcendance, op. cit., p. 49.
(3) Un bon exemple de cette confusion est donné par l'article de H.
Yvon : Aspects du verbe français et présentation du procès dans L
Français moderne, t. 1 9 ; rappelant la théorie guillaumienne, il donne
de V aspect transcendant une définition correspondant en réalité à ce
qui est pour G. Guillaume le temps transcendant.
(4) Souligné par nous.
verbe, dénote une opposition transcendant toutes les autres oppositions
du système, et capable ainsi de s'intégrer à chacun des termes entre
lesquels se marquent les dites oppositions ». Dans une langue donnée,
on reconnaîtra donc une marque aspectuelle à sa constance : elle doit
être également présente à tous les modes et à tous les temps du
paradigme verbal. « Le moyen le plus pratique d'identifier l'aspect
sans risque d'erreur est d'en relever le champ modal et temporel. Est
de nature de l'aspect toute opposition qui, sensible dès la forme
nominale du verbe (infinitif) (...) se continue jusque dans le mode
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indicatif où elle s'intègre aux distinctions temporelles de présent, de


passé et, sauf résistance particulière, de futur » (1 ) ; il s'agit bien là
d'une reconnaissance purement formelle. Néanmoins, elle semble
trouver sa justification dans la définition précédemment évoquée de la
notion même d'aspect : si, en effet, l'aspect est du temps impliqué par
le verbe, il lui est inhérent depuis l'origine, c'est-à-dire depuis
l'embryon d'image verbale qui précède la chronogé- nèse, et il lui reste
inhérent à travers les différentes étapes de celle-ci (2) ; il fait partie
intégrante de sa substance et ne peut que précéder la construction
modo-temporelle. Ce caractère très précoce de l'aspect, opposé au
caractère plus tardif des temps et des modes, explique que « les
différenciations inscrites dans le temps impliqué sont généralement
rendues d'une manière semi-lexicale, par des faits de vocabulaire, de
dérivation, d'emploi de préverbes et d'auxiliaires. Les différenciations
inscrites dans le temps expliqué, par des faits de morphologie pure,
tels que l'emploi d'un système de flexions » (3).
Toutefois, malgré le lien logique que nous venons d'établir entre les
deux types de définitions - notionnelles et formelles - proposées par G.
Guillaume pour cerner l'aspect verbal, la concordance entre les deux
est loin d'être parfaite et selon qu'on s'appuie davantage sur les unes
ou sur les autres pour l'étude précise d'un système linguistique choisi,
les conclusions auxquelles on aboutit sont totalement différentes ; c'est
ce que nous allons montrer à propos du verbe français, puis du verbe
latin.
3) L'ASPECT EN FRANÇAIS
3.1 La théorie générale
C'est sur le système verbal français que G. Guillaume a le plus écrit ;
le point de départ de ses démonstrations à propos de l'aspect est
toujours le même : il s'agit du parallélisme exact que l'on peut
observer entre la série des formes simples, celle des formes composées
et, dans une synchronie assez récente, celle des formes surcomposées :
Infinitif : Subjonctif Indicatif :
aimer avoir aimé avoir eu aimé
que j'aime que j'aie aimé que j'ai eu aimé
j'aime j'ai aimé j'ai eu aimé '
j'aimais j'avais aimé j'avais eu aimé
Cette itération de la conjugaison en chacune des trois séries, à tous les
modes et à tous les temps, est bien, d'après les
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( 1 ) immanence et transcendance. . ., 1 •'• parution dans Journal de


psychologie normale et pathologique, t. 30, 1933, n. 4, p. 356.
(2) La chronogénèse est la durée, longitudinalement suivie en son
cours, nécessaire à la pensée pour construire le système verbal ; sa
présupposition repose sur le postula guillaumien du temps opératif .
(3) immanence et transcendance..., dans Journal de psychologie, p.
358-359.

principes de découverte rappelés au paragraphe précédent, le signe


formel d'une opposition d'aspect. Quelle est la valeur exacte de cette
opposition ? Les formes simples du verbe français correspondent à
l'aspect tensif (ou immanent), les formes composées à l'aspect extensif
(ou transcendant), les formes surcomposées à l'aspect bi- extensif (1).
Les premières nous font donc voir le procès verbal dans son
déroulement jusqu'à l'étape ultime, celle où il est entièrement accompli
et n'offre plus qu'une image de détension complète : c'est le participe
passé, qui se situe à l'extrême limite du système verbal ; ayant perdu
toute tension, le verbe est « parvenu à la limite de sa capacité
systématique », il est « mort systématiquement ». L'emploi d'un
auxiliaire a pour fonction de le « ressusciter » : la série des formes
composées correspond à un renouvellement de la tension verbale, «
l'aspect exprimé sous cette forme est un aspect anastatique » (2). Enfin
la série des formes surcomposées réitère le processus. Telle est la
valeur en système de l'aspect français ; par delà l'image discutable de
mort et de résurrection, nous retiendrons que les deux premiers aspects
servent à exprimer l'opposition entre le procès saisi dans son
développement et le procès saisi dans ses conséquences au sens le plus
large du terme (3) ; R. Valin propose de parler d'« endotropie » et d'«
exotropie », c'est-à-dire de l'intériorité d'une durée non révolue et de
l'extériorité « que constitue l'état de fait résultant de l'existence
révolue de l'événement » (4). La troisième série, celle des temps
surcomposés, marque l'antériorité par rapport aux temps composés
sans changer d'époque.
3.2 Les temps du passé
Ainsi présentée de façon assez abstraite, la théorie guillaumienne
paraît d'une cohérence et d'une solidité exemplaires : l'aspect y
apparaît comme une catégorie grammaticale de contenu sémantique
bien défini et relativement homogène (5), ayant une traduction
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morphologique univo- que et constante. Mais les difficultés surgissent


lorsqu'on suit G. Guillaume, et surtout ses disciples, dans l'étude
particulière et détaillée de chaque temps verbal français, notamment
des temps narratifs référant au passé : le passé simple (P. S.),
l'imparfait (IMP.) et le passé composé (P.C.).
Ce dernier est présenté par G. Guillaume comme un présent, le présent
de l'aspect extensif ; par conséquent il n'est jamais systématiquement
étudié dans ses rapports avec les temps du passé, en particulier avec le
P. S. Or on sait l'importance, pour l'équilibre du système verbal en
français contemporain, de la concurrence entre ces deux formes :
simple fait de discours dont la psychosystématique, qui étudie les faits
de langue, n'a pas à se préoccuper ? Mais a-t-on le droit de négliger un
fait d'une telle ampleur sous prétexte qu'il relèye du discours ? Celui-
ci ne traduit-il pas une évolu-
( 1 ) Il n'y a pas de trosième terme dans la seconde série
terminologique. On notera d'ailleurs que ce troisième aspect est
souvent négligé dans les écrits guillaumiens.
(2) Immanence et transcendance..., op. cit., p. 368.
(3) G. Guillaume dans Temps et Verbe parle de « séquelle », c'est-à-
dire d'une « situation résultante susceptible de se déterminer dans la
pensée comme suite dans le temps d'une action ou d'un état qui a
existé antérieurement », p. 21.
(4) Op. cit.
(5)On remarquera toutefois que le sens d'antériorité logique porté par
l'aspect bi-extensif peut difficilement être mis sur le même plan que
l'immanence et la transcendance exprimées par les deux autres
aspects.
tion qui touche le système lui-même ? Car la langue, aussi bien que le
discours, connaît une diachronie : G. Guillaume est le premier à le
reconnaître ; pourquoi négliger les indices d'une telle évolution et ne
pas s'intéresser à ce qui demain sans doute, sinon aujourd'hui même,
sera le nouveau système en langue ? Ces questions ne semblent guère
avoir préoccupé le fondateur de la psychomécanique du langage. A sa
suite, R. Valin se contente de remarquer que l'aspect extensif nous
faisant voir l'événement depuis ses séquelles, c'est-à-dire depuis ses
conséquences obligées, cet événement apparaît comme dépassé, donc
passé : il s'agit d'une antériorité logique (1). Explication banale s'il en
est, et qui ne justifie absolument pas la place prédominante prise par le
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P.C. ; que celui-ci ait pu occasionnellement se charger d'un sens de


passé, voilà ce que permet de comprendre la remarque de R. Valin ;
mais qu'il ait entièrement détrôné le P. S. (au moins dans le langage
parlé), voilà qui reste tout aussi obscur. Il faut attendre une deuxième
génération de disciples guillaumiens pour voir le problème repris et
traité avec davantage de profondeur (2).
Les rapports du P. S. et de l'IMP. soulèvent tout autant de questions ;
chacun de ces deux temps a une forme simple, ils appartiennent donc
tous les deux à l'aspect tensif du verbe. Quelle est la valeur propre de
chacun ? Celle-ci se détermine d'après l'architecture même du temps
d'univers dans le système français, architecture qu'il nous faut ici
exposer rapidement '. à l'indicatif, l'image du temps, qui accompagne
toute image verbale, a atteint son degré de perfection ; en particulier,
le présent s'est constitué comme tel, avec toutes ses caractéristiques
systématiques, et il s'inscrit sur la ligne infinie du temps pour y faire
naître la distinction des deux époques, le passé et le futur ; le présent
français, comme tout présent d'ailleurs, se compose de deux parcelles
de temps, aussi petites que possible, mais toujours réelles : même le
présent ponctuel théorique continue à recouvrir du temps révolu et du
temps non révolu (3) ; dans la conception française du présent, ces
deux particules - que G. Guillaume appelle chronotypes - sont non pas
juxtaposées, mais superposées. On peut rendre compte de cette
représentation par le schéma suivant :
a
Passé
Futur
dans lequel a représente le chronotype orienté vers le futur, c'est-à-dire
de sens ascendant, et a> le chronotype orienté vers le passé, c'est-à-
dire de sens décadent. Cette figuration permet de comprendre que le
présent français divise le temps par position en deux époques latérales
(comme tout présent d'ailleurs), mais aussi (et c'est là sa spécificité)
divise par composition chacune de ces deux époques en deux niveaux
d'elle-mêmes correspondant aux deux niveaux que lui-même
comporte, soit un niveau supérieur de pure incidence et un niveau
inférieur associant incidence et décadence : d'où l'existence en français
de deux passés et de deux futurs ;
(1) Op. cit., p. 971-975.
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(2) Cf. par ex. Robert Martin : Temps et Aspect ; Essai sur l'emploi
des temps narratifs en Moyen-Français, Paris, Klincksieck, 1 971 .
Annette Vassant : Passé simple et passé composé en français
contemporain : problématique et méthodologies, thèse
dactylographiée. Marc Wilmet : Le système de l'indicatif en Moyen-
Français, Genève, Droz, 1 970.
(3) R. Valin : D'une difficulté inhérente à l'analyse du présent français
dans Mélanges Gardette, Strasbourg, 1966, en part. p. 486-487.
nous n'examinerons ici que les passés. A celui qui est perçu tout en
incidence correspond la forme de P. S. : elle montre l'événement dans
son inscription au temps, saisi à sa limite initiale et suivi dans son
déroulement jusqu'à son terme. Au passé construit sur de l'incidence
déjà versée en décadence correspond la forme d'IMP. qui montre
l'événement déjà en partie arrivé et en partie virtuellement arrivant ;
c'est la « vision sécante » de l'événement qui associe de l'accompli réel
à un accomplissement virtuel. Avec le P. S. « il s'agit du fait conçu
positivement, dans son arrivée au temps » ; avec l'IMP. « il s'agit du
dedans de ce fait, de la manière qui marquait au dedans de lui » (1). Le
P.S. « envisage l'action synthétiquement, comme un noyau indivis (...)
et en offre une vision globale, indifférenciée, non sécante ». L'IMP.
envisage « la durée vécue dans le processus qui lui est propre et qui
consiste dans l'incessante transformation d'une parcelle d'avenir en
une parcelle de passé » (2). De telles phrases ne seraient-elles pas de
bonnes définitions de ce que l'on appelle traditionnellement l'aspect
ponctuel et l'aspect duratif, ou encore le déterminé et l'indéterminé ?
G. Guillaume lui-même le reconnaît dans une de ses leçons encore
inédite : « Le prétérit défini apparaît un temps capable de rendre l'idée
d'entier verbal exprimée dans les langues anciennes au moyen de
l'aspect déterminé (...). Symétriquement l'imparfait éveille dans l'esprit
l'idée du verbe non entier offrant à l'esprit la vision, ou la prévision
d'une suite perspective (...) », ce qui correspond sensiblement à
l'aspect indéterminé des langues anciennes (3). Mais c'est pour ajouter
aussitôt : « ainsi quelque chose qui s'exprimait autrefois sous la
catégorie de l'aspect s'exprime aujourd'hui, dans les langues romanes,
sous la catégorie du temps » (4). Il y aurait eu transfert de la notion
d'une catégorie grammaticale sur une autre ; il s'avère par conséquent
impossible de recourir aux définitions de type onomasiologi- que pour
cerner l'aspect verbal dans un système linguistique donné. On se
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souvient de l'affirmation péremtoire de R. Valin (cf. par. 1 ) : « Cette


opposition d'un temps d'univers contenant et d'un temps d'événement
contenu est la clé de tous les problèmes concernant l'aspect
grammatical » (souligné par nous) ; à la prendre au pied de la lettre, on
serait obligé de conclure à la valeur aspectuelle de l'opposition entre
P.S. et IMP. : celle-ci n'intéresse pas en effet le temps d'univers qui
contient l'événement (les deux formes réfèrent au passé et peuvent
évoquer des procès simultanés), mais elle intéresse le temps que
contient l'événement (vu dans son entière perspective ou saisi à un
moment quelconque de son accomplissement). Cependant cette
affirmation de R. Valin est aussitôt invalidée par la phrase qui suit : «
Ce qui ne signifie nullement qu'il faille imputer à l'aspect grammatical
toutes les distinctions dont l'événement peut, avec le temps qu'il
contient, être le siège. (...) En français, le couple imparfait/prétérit
défini, bien que recouvrant la distinction établie en russe, dans le
passé, par l'imperfectif et le perfectif et livrant de l'événement deux
images bien différentes l'une de l'autre, n'est pas une distinction ayant
son principe dans le temps d'événement, mais dans le temps d'univers
(...) » (5). Le lecteur reste décontenancé face à de tel-
(1) Indédits, 1949-1950 A, p. 107-108. Souligné par nous.
(2) R. Martin, op. cit., p. 70-71.
(3) Inédits, 1943-1944 A, p. 6. .
(4) Id.
(5) Les aspects du verbe français, op. cit., p. 969. •
les contradictions : il se croyait muni d'un critère de reconnaissance de
l'aspect sûr et universel ; mais, à peine proposée, cette « clé » lui est,
sans aucune justification, retirée.
Que sera, finalement, l'aspect ? Une forme, c'est tout ; seules les
définitions sémasiologiques (cf. par. 2) restent valables à la fin de ce
rapide examen de quelques temps verbaux, choisis parmi les plus
difficiles à expliquer du système français. Sera dite aspectuelle
l'opposition formelle qui s'observe dès l'infinitif et se retrouve à tous
les modes et tous les temps et qui, rappelons-le, relève autant du
lexique que de la morphologie : « Les différenciations inscrites dans le
temps impliqué sont généralement rendues d'une manière semi-
lexicale (...) » ; à tel point que l'on parlera parfois de deux verbes, non
plus de deux aspects du même verbe : « le verbe lire, c'est l'action de
lire jusqu'au terme de sa durée, le verbe avoir lu, la subséquence qui
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s'étend ad infinitum au- delà de ce terme » (1 ). Or si les aspects


concernent uniquement la forme du verbe, il faudra, avec H. Yvon (2),
distinguer de ces derniers « la présentation du procès, puisque des
tiroirs appartenant au même aspect présentent le procès de façon
différente ».
3.3 Les disciples dissidents
Peu de disciples ont suivi le maître dans cette voie. Ainsi, pour H.
Bonnard (3), l'aspect est, au présent et au futur, un simple effet de
discours résultant du contexte interne et externe ; mais « ces
différences aspectuelles, qui dans l'avenir comme dans le présent
doivent être considérées comme des faits de discours, appartiennent au
contraire à la langue dans l'expression des faits passés. Elles sont
marquées par l'opposition morphologique imparfait/passé simple. » Et
de préciser : « A l'imparfait est dévolu (depuis le latin) l'aspect statique
qui, étant valeur de langue (souligné par nous), s'applique non
seulement aux verbes imperfectif s, mais aux perfectif s (...). Au passé
simple est dévolu l'aspect dynamique ». La divergence avec G.
Guillaume est tout à fait claire.
Tout aussi claire est la prise de position de R. Martin : après avoir
exposé dans sa pureté la théorie guillaumienne et reconnu ses aspects
positifs, il déclare : « à réduire en français l'expérience de l'aspect à
l'opposition des temps simples et des temps composés, on s'oblige à
restreindre singulièrement sa conception onomasiologique » ; « sous
peine d'hérésie, nous continuerons à appeler aspect (...) toute
traduction grammaticale de la notion, préalablement définie, de temps
impliqué : l'aspect sera donc pour nous, en français, non pas une
catégorie unique, mais un ensemble d'oppositions grammaticales qui
apparaissent en divers lieux du système (...) ». En particulier sera
considérée comme aspectuelle l'opposition P.S./IMP. : « (...) la vision
décadente parait si intiment liée à l'expérience du temps vécu qu'il est
impossible de la dissocier de l'idée même de procès senti dans son
écoulement. C'est de lui que l'IMP. offre une vision proche de
l'expérience réelle de la durée (...). Le mouvement régressif ne peut
guère s'interpréter qu'à travers la catégorie de l'aspect, parce qu'il
reflète sans contexte l'expérience intérieure de la durée et relève ainsi
de ce temps inhérent, de ce
(11 G. Guillaume dans Langage et Se. du lang., op. cit., p. 57 et p. 1
90.
12

(2) Op. cit.


(3) Henri Bonnard, Avec Arne Klum dans une théorie scientifique des
marques temporelles, le Français Moderne, t. 32, 1 964, p. 92-93.

temps impliqué que G. Guillaume pose au départ de ses recherches sur


l'aspect » (1). D'autre part R. Martin souligne à juste titre que si sa
conception fait perdre de l'homogénéité à la catégorie de l'aspect, elle
en fait en revanche gagner à celle du temps ; car si cette dernière, chez
G. Guillaume, « présente une indéniable unité morphologique en ce
sens qu'elle s'exprime uniformément par le paradigme des désinences
verbales, elle n'a pas d'homogénéité dans le contenu, puisque deux
plans se superposent sans se confondre, celui de la marche du temps
(exprimé par exemple dans l'opposition du P.S. et de l'IMP.) et celui de
la structuration en époques. » Sur ce plan, avantages et inconvénients
des deux théories se compensent donc tout à fait.
Mme A. Vassant reproche vivement à R. Martin son « hérésie » : elle
estime qu'il est sur la « pente dangereuse de l'éclectisme » (2) et qu'il
n'étudie plus « le système linguistique de l'aspect », mais «
l'expression linguistique de la notion d'aspect » ; et de conclure : «
Nous sommes très loin de la psychomécanique du langage » (3). Pour
sa part, elle désire s'en tenir à la théorie guillaumienne, dans toute sa
pureté. Pourtant, on est obligé de relever chez elle aussi des
occurences du mot « aspect » qui ne correspondent pas à la définition
proposée par G. Guillaume. Par exemple lorsqu'il s'agit d'expliquer
l'expression « présent dans le passé » si souvent utilisée à propos de
l'imparfait, A. Vassant écrit (4) : comme le présent, l'IMP. « donne
l'impression de percevoir mentalement un événement passé sous son
aspect statique, de le saisir entre son devenu et son devenir, à la
manière d'un présent psychologique étroit toujours à cheval sur un
seuil mouvant à une cadence lente. (...) En revanche, l'aspect
dynamique du présent, celui par lequel nous percevons, en l'espace
d'un instant, l'entier d'un procès », c'est le P.S. qui l'exprime dans le
passé (souligné par nous). Dans un article récemment paru dans
l'information Grammaticale (5) et consacré à l'étude des moyens
d'expression de l'aspect en français à partir de l'inventaire des valeurs
observables en discours, A. Vassant reprend, sans réticence semble-t-
il, la terminologie traditionnelle qui distingue un perfectif, un
imperfectif, un inchoatif ou ingres- sif, un progressif, un semelfactif et
13

un itératif, etc. Seuls sont condamnés, dans leur emploi générique, les
termes d'accompli et d'inaccompli, parce qu'ils sont jugés inadéquats «
à traduire l'opposition des formes simples et des formes composées du
verbe ». Il faut reconnaître que toutes ces occurrences du mot « aspect
» se situent dans des analyses concernant les effets de sens en
Discours : « aspect » pourrait sans doute être avantageusement
remplacé par « nuance de type aspectuel » ; or la distinction entre
Langue et Discours est si importante chez les guillaumiens qu'on ne
saurait pertinemment critiquer une analyse faite à l'un des deux
niveaux par des arguments empruntés à l'autre. Néanmoins il nous
paraît gênant de faciliter ainsi la confusion par l'emploi d'un
vocabulaire ambivalent. L'incertitude est particulièrement grande au
paragraphe 4.4.3 (p. 1 6) : le schéma utilisé pour représenter l'image
que l'IMP. donne du procès verbal, paraît bien être un schéma de
(1) Op. cit., p. 73-74.
(2) Op. cit., p. 125.
(3) Id., p. 135.
(4) Id., p. 88-89.
(5) Pour une étude de l'aspect verbal dans l'Information Grammaticale,
n° 4, janvier 1980, pp. 12-19.
Langue ; il donne la valeur en système de l'IMP., dans la plus fidèle
symbolique guillaumienne. Or voici comment il est commenté par A.
Vassant : « On dit généralement que le processus verbal ainsi construit
est d'aspect sécant » ; cette phrase nous paraît aussi hérétique que les
déclarations de R. Martin. Toutefois notre jugement ne prétend pas
être définitif dans la mesure où, en conclusion, A. Vassant estime qu'il
faut aller plus loin dans la synthèse entreprise et annonce un travail
ultérieur : nous attendrons donc avec intérêt ce prochain article.
Il n'en reste pas moins que, sur un système aussi longuement décrit et
expliqué par G. Guillaume lui-même, de nombreux points obscurs et
difficiles subsistent encore, qui empêchent l'unanimité de se réaliser
autour de sa théorie. A plus forte raison allons-nous rencontrer de
profondes divergences à propos du système verbal latin sur lequel les
écrits du maître sont moins abondants et moins explicites.
4) L'ASPECT EN LATIN
Le schéma proposé par G. Guillaume pour illustrer la structure du
système verbal latin et mettre en évidence les rapports des différentes
formes entre elles est le suivant :
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amabam
amo
amabo
Zl wi « LZ
amaueram
amaui
amauero
Ce schéma, finalement très classique, apparaît dès Temps et Verbe et
ne sera pas modifié par la suite. Mais il ne nous apprend rien sur
l'expression de l'aspect en latin. En particulier, il n'est nulle part
précisé dans Temps et Verbe si l'extension du présent vers un autre
horizon, celui de parfait, relève de la notion de temps ou de celle
d'aspect. C'est dans un article plus tardif (1 ) et surtout dans les inédits
qu'il faut aller chercher un développement plus complet sur l'aspect en
latin ; « Dans une langue à morphologie temporelle développée,
embrassant le temps in extenso (sous ses trois époques : passé,
présent, futur) le système des aspects dans son ensemble portera non
pas des conséquences de morphologie, mais des conséquences de
sémantèse » ; après cette affirmation générale, G. Guillaume cite entre
autres exemples le latin suadeo/persuadeo, caedere/occidere (2) ; et
dans l'article évoqué ci-dessus, on peut lire : « en latin légère et legisse
sont des thèmes temporels et non des aspects parce qu'on ne peut pas
conjuguer la deuxième construction, mais seulement la première au
présent. Mais latin légère et perlegere, français lire et avoir lu sont des
aspects et non des thèmes temporels, les deux constructions étant
conjugables - la condition est suffisante - au présent et au passé : lego,
legebam ; per/ego, per/egebam ; je lis, je lisais ; j'ai lu, j'avais lu. » (3)
G. Guillaume reprend donc la thèse née après la découverte des
langues slaves et défendue par exemple par D. Barbelenet, selon
laquelle, en latin, c'est le préverbe qui porte l'expression de l'aspect. Il
reconnaît d'ailleurs que celui-ci ne joue plus que très imparfaitement le
rôle grammatical qui lui était dévolu : « L'action du préverbe sur le
verbe est une action illimitée qui, après avoir produit tous les effets
grammaticaux dont elle est capable, se prolonge en une action
sémantique, tendant à la
(1) Immanence et transcendance.
(2) Inédits 1938-1939, p. 1-2.
(3) Op. cit., n. 4, p. 356.
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op. cit.
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définition d'un verbe nouveau par le sens. Ainsi latin occi- dere et
slave u-biti ont pris l'un et l'autre le sens de « tuer » sous lequel ne
transparaît que faiblement la signification première de « battre
jusqu'au bout ». L'action sémantique du préverbe en a oblitéré l'action
grammaticale. » (1) Le système de l'aspect en latin est donc ébranlé,
ce qui explique l'apparition d'un système nouveau dans les langues
romanes.
Nous avouons être étonnée par le caractère très succinct de cette
analyse guillaumienne. Peut-on encore parler d'aspect quand la
marque en est à ce point affaiblie qu'elle est devenue un simple moyen
de composition ? Peut-on parler de catégorie grammaticale quand
l'inventaire des formes est aussi incertain et quand le choix entre les
deux termes de l'opposition n'a aucun caractère d'obligation ? Par
ailleurs nous ne sommes pas convaincue par les arguments donnés
pour rejeter hors de l'aspect l'opposition legere/legisse. Dans Temps et
Verbe en effet, et plus tard dans L 'Architec- tonique, la forme de
parfait est toujours conçue comme un présent : le sentiment de la fuite
du temps a entraîné la décadence du bloc et + u> constituant le présent
latin ; celui- ci prend « en direction du passé une forme étendue » ;
mais dans la mesure où il n'y a pas disjonction des deux chronoty- pes,
on a toujours affaire à un présent, « la notion d'époque ne s'est pas
dégagée » (2) ; c'est pourquoi la forme de parfait est appelée « présent
de mémoire ». Cette conception est sans doute criticable, mais elle est
celle de G. Guillaume ; pour rester logique avec lui-même, il aurait
donc dû considérer que le couple legere/legisse était conjugable à tous
les modes et tous les temps, notamment au présent et au passé de
l'indicatif (lego/legi, legebam/legeram), « condition suffisante » pour
en faire une opposition aspectuelle.
Cette seconde analyse est d'ailleurs si conforme à la « ligne
guillaumienne » qu'elle est proposée par R. Valin - le plus fidèle
pourtant des disciples - dans son article sur les aspects du verbe
français. Il considère en effet que l'opposition morphologique des
thèmes d'infectum et de perfectum, qui transcende toutes les autres
oppositions du système, est d'ordre aspectuel et correspond aux
valeurs de « méro- tropie » et de « plérotropie » ; la première exprime
la durée incomplète, la seconde la durée complète. Les deux aspects
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du latin sont donc comparables à ceux du russe ; mais, à la différence


du russe, « la pensée latine (...), au lieu de référer l'opposition de la
mérotropie (infectum) et de la plérotropie (perfectum) à l'entier de
l'espace occupable par l'événement dans le temps d'univers, c'est-à-
dire au lieu de sa durée, les rapporte l'une à l'autre à un seul et même
point du temps, celui qui coïncide avec l'instant qui définit
intérieurement chacun des deux états de durée constratés : à savoir
l'instant de fin pour la plérotropie et un instant quelconque contenu
entre l'instant de fin et de commencement pour la mérotropie.
Figurativement Passé
Présent (amo) — mérotropie —
Futur
amabam
amabo
plérotropie (amaui)
amaueram
(1) Id., p. 367
(2) Temps et Verbe, p. 78.
(...) Dans un tel système, la mérotropie propose l'image d'un
événement pourvu d'un devenir et dont, par conséquent, les
possibilités de durée ne sont pas déclarées épuisées ; alors que la
plérotropie offre au contraire l'image d'une durée close et, par
conséquent, d'un événement qui n'a plus devant lui de devenir ouvert.
De là l'impression de passé (...) liée, en latin, à la plérotropie (...) »
<1). Cette analyse nous paraît davantage dans la logique du système
guillaumien dans la mesure où elle garde au parfait sa valeur de
présent ,* elle a d'autre part l'avantage de donner un sens grammatical
à la dimension verticale du schéma des temps latins, celle qui sépare
l'horizon du « présent de conscience » et l'horizon du « présent de
mémoire ». Mais on remarquera en même temps son caractère très
traditionnel : derrière une terminologie nouvelle se cachent en fait tous
les éléments de la présentation-type du système verbal latin, celle que
proposait A. Meillet et qu'ont reprise ses nombreux successeurs ; on y
retrouve en effet le même tableau des formes de l'indicatif, la même
explication du parfait (un accompli, donc par effet de sens êecondaire
un passé), la même valeur aspectuelle attribuée à chacun des deux
thèmes, finalement le même isomorphisme absolu ; or les dangers de
cet iso- morphisme ont été déjà soulignés. Nous ne pensons pas pour
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notre part que le parfait latin doive être fondamentalement considéré


comme un présent ; c'est un passé narratif aoristique et l'opposition
amo/amaui est d'ordre temporel, non pas aspectuel. D'ailleurs si amaui
était un présent, pouvant exprimer en discours une antériorité logique,
mais non pas d'époque, il aurait la même valeur que le P.C. français
j'ai aimé ; on ne comprendrait pas pourquoi la langue, normalement
guidée par le principe d'économie, n'aurait pas suivi une évolution
directe de l'un à l'autre. D'autre part le futur simple, si l'on examine les
faits latins sans a priori, n'est porteur d'aucune valeur aspectuelle : il
peut référer aussi bien à un procès saisi globalement dans son
inscription au temps qu'à un procès saisi en un point quelconque de
son développement. Sur ce problème, ainsi que sur celui du parfait, on
se reportera aux deux articles très fournis de G. Serbat, parus dans la
R.E.L. (2). Les guillaumiens nous reprocheront sans doute de
confondre le niveau du discours et celui de la langue. Mais pour la
cohérence même du système en langue, la théorie de R. Valin soulève
quelques difficultés ; en effet la valeur de vision sécante, qui, dans
toute langue et notamment en latin, est la caractéristisque spécifique
de l'imparfait, se trouve ici confondue avec la valeur aspectuelle qui,
elle, est commune aux trois temps d' infectum ; celle-ci explique celle-
là, mais, du même coup, lui enlève toute spécificité ; on pourrait en
effet conclure du schéma précédent que le présent et le futur donnent
eux aussi une image sécante du procès, ce qu'aucun guillaumien n'a
jamais affirmé. Le problème de la place à donner à l'aspect en latin et
de l'origine, dans cette langue, de la valeur propre de l'imparfait reste
donc entier au terme de cet examen.
Mme Vairel n'a jamais prétendu être une disciple inconditionnelle de
G. Guillaume ; néanmoins, notamment dans ses analyses du système
verbal latin, elle s'inspire très largement de la psychomécanique du
langage. Sur la question qui nous préocuppe, il est remarquable que,
partant exactement
(1) Op. cit., p. 970 et sq.
(2) Guy Serbat, Les temps du verbe en latin. Revue des Etudes
Latines, X. 53 et 54, 1975 et 1976.
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