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«C’est simple, j’ai vidé mon PEL» : jusqu’à ce qu’elle porte plainte pour viol il y a
bientôt deux ans, Camille (1) n’avait pas vraiment conscience des conséquences
financières de sa démarche. Trouver la force de parler de son agression,
surmonter sa peur du regard des autres - ses proches, les policiers, les avocats -,
se lancer dans une procédure aux retombées sociales et psychologiques : tout ça
avait pesé lourd avant de franchir la porte d’un commissariat. Mais depuis
qu’elle a surmonté ces obstacles, Camille compte chacun de ses euros pour
mener à bien sa quête de justice. Son avocat est une connaissance et lui a fait un
prix. «Vous êtes jeune, vous n’avez pas beaucoup de revenus, on va
s’arranger», lui a-t-il dit en acceptant de la défendre. Oubliés les honoraires
à 300 euros de l’heure, voire plus, qui auraient pu faire culminer la note finale
aux alentours de 10 000 euros, une somme insurmontable pour la jeune adulte
qui a un petit job à côté de ses études. Pour l’instant, la facture de Camille est
bloquée à 2 000 euros. Elle pioche dans son épargne personnelle en croisant les
doigts pour que l’addition ne gonfle pas plus.
Le hic, c’est que de nombreux avocats ne veulent pas entendre parler de dossiers
relevant de l’AJ : c’est plus de démarches administratives, une rémunération
très faible et versée a posteriori. En plus, instruction et procès aux assises
compris, un avocat touche en aide juridictionnelle quasiment le double pour un
homme mis en cause que pour une victime de viol. En 2017, l’assistance d’une
partie civile culminait à 1 728 euros, contre 3 200 pour un agresseur présumé.
Sans compter que les frais engagés avant la demande d’aide juridictionnelle ne
sont pas remboursés. Or c’est souvent dans les premiers rendez-vous que tout se
joue, pour préparer le dépôt d’une plainte la plus solide possible. «Ce travail en
amont est crucial et il prend du temps, explique l’avocate spécialiste des
violences sexuelles Lorraine Questiaux. Là on peut vraiment dire que l’argent
fait obstacle : l’aide juridictionnelle ne joue pas et les victimes doivent
débourser de l’argent avant même de déposer plainte.»
Victime d’un viol en 2011, Hélène (1) se casse la tête pour financer sa démarche
avant de franchir la porte d’un commissariat. Créer une cagnotte, un appel aux
dons, une association de soutien ? Elle ne sait pas encore. L’avocat qu’elle a
trouvé ne lui a pas encore facturé les premiers rendez-vous de préparation. Mais
il a déjà chiffré le coût total de la procédure à environ 10 000 euros. «Je préfère
savoir, je ne veux pas naviguer à vue pendant l’instruction et le procès»,
souligne Hélène. Avocate et militante féministe, Lorraine Questiaux raconte
avoir «toujours très peur de donner le prix d’une procédure à une victime» lors
de la prise de contact. «Je sais que cela peut les amener à abandonner, qu’il y a
un très grand risque que je ne la revoie pas pour un deuxième rendez-vous. Du
coup on fait du pro bono», ajoute celle pour qui l’argent est une «entrave
exceptionnelle»pour les femmes les plus précaires.
Quand la montagne financière est trop haute à gravir, certaines victimes font le
choix de se rabattre sur une simple main courante, parfois sur l’insistance des
policiers qui mettent en avant une procédure longue et chère en cas de plainte.
Leur histoire ne débouchera pas sur un procès, mais elles l’ont consignée devant
un représentant de l’Etat, s’autorisant en quelque sorte à tourner la page.
D’autres se disent qu’il vaut mieux accepter de voir son viol requalifié en
agression sexuelle car un procès aux assises durera plus de temps que devant un
tribunal correctionnel. Ce qui est à la fois faux et vrai. Selon les chiffres du
ministère de la Justice, les durées d’instruction pour un crime ou un délit étaient
quasiment égales en 2016 : environ deux ans et demi (28,2 mois contre
29,6 mois). C’est au niveau du procès que le temps rallonge : contrairement aux
tribunaux correctionnels, une cour d’assises n’est pas une juridiction
permanente. Elle se réunit généralement tous les trois mois pour une quinzaine
de jours, ce qui joue sur le calendrier. Du coup, «correctionnaliser» son viol
pour que ça aille plus vite, et donc que cela coûte moins cher, Camille y pense
déjà. Mais, dit-elle, «cela veut dire que mon agresseur ne sera jamais jugé pour
viol par la société et ça, c’est dur à encaisser».