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de Rome
Résumé
Le nom propre arabe médiéval, par sa complexité et sa richesse, occupe une place d'exception dans le monde méditerranéen.
Au IXe siècle de l'ère chrétienne, le système anthroponymique arabe est déjà élaboré. Historiens et biographes consacrent à la
collecte des noms et à l'analyse de leurs composantes une littérature spécifique qui, au XIIIe siècle, connaît un essor
considérable.
Avec ses éléments de natures diverses, hérités ou acquis, le nom des transmetteurs du savoir dont l'identité est enregistrée
dans les sources s'accroît jusqu'à la mort et apparaît sous la plume du biographe comme un nom posthume et une histoire de
vie, étroitement lié au dâr al-Islâm, les «terres d'Islam» dont il reflète l'étendue et l'évolution. Il fait fonction de preuve dans la
transmission des traditions depuis les origines de l'Islam. Mentionné en marge des manuscrits, il atteste de la lecture correcte
de textes écrits. Le nom du prince a une structure différente : tourné vers la naissance, fixé lors de l'accès au pouvoir, il n'a pas
cette vocation à recenser un univers.
À l'intérieur des noms, certains éléments ont pour rôle d'occulter les autres et de les préserver : ce «jeu des identités»
représente l'un des aspects de l'histoire sociale du monde musulman médiéval.
Sublet Jacqueline. Nom et identité dans le monde musulman. In: L’anthroponymie document de l’histoire sociale des mondes
méditerranéens médiévaux. Actes du colloque international organisé par l'École française de Rome avec le concours du GDR
955 du C.N.R.S. «Genèse médiévale de l'anthroponymie moderne» (Rome, 6-8 octobre 1994) Rome : École Française de
Rome, 1996. pp. 97-108. (Publications de l'École française de Rome, 226);
http://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1996_act_226_1_5079
de pouvoir. Ils furent la risée des poètes et l'un d'eux se para du titre
de Jirâb ad-dawla qui sonne comme un nom de prince et qui signifie
«le fourre-tout de la dynastie, du pouvoir temporel». Un exemple
pris chez les califes Abbassides d'Egypte dont on a déjà parlé : la
dynastie qui fut installée au Caire à l'initiative du sultan mamelouk
Baybars à parti de 659/1261 et qui est investie du pouvoir spirituel
porte une titulature composée de l'article al- suivi d'un qualificatif
ou d'un participe, lui-même suivi de billâh, alâ Allah ou bi'amr(i)
llâh (ex. : al-Mustansir billâh : «qui prend appui sur Dieu»). Les
sultans mamelouks qui représentent le pouvoir temporel et qui
concèdent le pouvoir spirituel aux califes abbassides par lesquels ils
reçoivent l'investiture, ont adopté le même schéma de titre que leurs
prédécesseurs de la dynastie ayyoubide : al-Malik («le prince») suivi
d'un adjectif ou d'un participe, par exemple : Al-Malik al-Zâhir
(littéralement «le Prince magnifique») Baybars.
S'il s'agit de dynasties d'esclaves comme celle des Mamelouks,
sans généalogie, là encore on se tourne vers les témoignages de la
naissance et des débuts de la vie : le ism, le nom turc sous lequel un
esclave a été importé, (ce nom qui a une thématique qui renvoie à la
thématique des récits de batailles : le fer, les lumières éclatantes, les
astres, les animaux sauvages, les chiffres et les nombres qui
impressionnent), suivi du nom de relation au marchand qui a acheté
l'esclave et qui l'a importé en Egypte, puis du nom du ou des maîtres
successifs qui ont assuré son éducation de mamelouk, un laqab
composé avec ad-dîn choisi parmi les cinq portés par la dynastie,
avec une préférence pour Sayf ad-dîn («le sabre, l'épée de la religion,
de la foi, du pouvoir spirituel»).
Le cas des esclaves mamelouks devenus princes donne bien
l'exemple de noms singuliers : esclaves achetés enfants, importés
sans généalogie, les Mamelouks ont donc un ism d'origine, turc ou
kiptchaq : Baybars, Qutuz, Aybak entre autres. Ils le font suivre d'un
nom de père fictif : ibn Abd Allah (littéralement : «fils de l'esclave
Dieu») et de plusieurs noms de relation {nisba) qui témoignent de
leurs attaches, d'une part avec le marchand qui les a importés et
dont ils prennent le nom, et d'autre part de leurs maîtres mamelouks
dont ils adoptent aussi le nom. Un surnom à résonance religieuse
{laqab composé avec ad-dîn) choisi dans un éventail restreint
complète ce libellé qui représente un cas extrême puisqu'il a le
rythme d'un nom musulman médiéval sans en avoir le contenu.
Jacqueline Sublet