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Sommaire

Edito
Alex Anfruns

Cuba survivra-t-elle à la fin de l’ère Castro ?


Marc Vandepitte

La culture comme outil de transformation sociale


dans la révolution cubaine
Christine Gillard

Cuba : « Motivés par la solidarité,


pas par l’intérêt matériel »
Abel Prieto

Communes et contrôle ouvrier au Venezuela


– interview avec Dario Azzellini
Ricardo Vaz

Les défis du processus de paix entre


le gouvernement colombien et l’ELN
Raffaele Morgantini
Edito

Cuba et la Continuité de la Révolution

Les mots sont importants. Tandis qu’en France on nous fait croire qu’il existerait une
alternance entre Macron et Hollande, ou entre Hollande et Sarkozy, leurs politiques
respectives se ressemblent comme deux gouttes d’eau. La preuve : leurs législatures
ont été marquées par une contestation massive des gens qui refusent d’être pris en
otage au nom de la « démocratie ». Tout est fait pour détruire les conquêtes sociales,
que le gouvernement présente comme des reliques du passé, inaptes à faire émerger le
« monde nouveau » de la génération Macron. En réalité, il s’agit de tromper l’opinion
publique et de contenir la lutte des classes. Leur « alternance » n’est que la continuité
déguisée d'un système qui creuse les inégalités.

Le verdict de l'Histoire est sans appel. Le vieux monde essaie par tous les moyens de
cacher le fait qu'à Cuba le nouveau monde rayonne déjà sur tous les continents.
L'éducation, la santé, la culture, les sciences, ne sont pas des privilèges réservés à une
élite du pays. Le maître-mot n'est pas l'argent, mais l'humanité. Ainsi, les jeunes
Cubains sont encouragés à développer une réelle expérience de la vie, en allant à la
rencontre des plus démunis dans des missions d'alphabétisation ou d’aide médicale.
Leur aide inconditionnelle et dévouée envers les damnés de la terre est saluée dans le
monde entier.

Contrairement à ce que les médias vous ont raconté pendant des décennies, les jeunes
générations de Cubains n'attendaient pas la disparition physique du Commandante
Fidel pour sortir massivement dans la rue et tourner la page de leur histoire. Ils ne
sont pas aveuglés par le mirage de « l'American way of life », créé par les
productions hollywoodiennes du maître du monde. Le 19 avril, c'est l'expression «
Continuité de la Révolution » qui résonne dans l'île. Elle fait référence à la poursuite
des conquêtes liées aux solides principes de la « génération historique ».

Avec la continuité de sa Révolution, Cuba préserve les droits humains et sociaux dans
leur vision la plus large et la plus généreuse. Les œuvres et les idées émancipatrices
d'hier sont des graines d'espoir pour la jeunesse d'aujourd'hui.

Alex Anfruns
Cuba survivra-t-elle à la fin de l’ère Castro ?

Le 18 avril, un nouveau président sera élu à Cuba. La génération historique fera


alors place à une nouvelle jeune garde. Devons-nous nous précipiter à Cuba
avant que tout ne change ? Aperçu et coup d’œil rétrospectif sur, tantôt soixante
ans de révolution, par le spécialiste des affaires cubaines, Marc Vandepitte.

Un palmarès impressionnant

Il y a presque soixante ans de cela, Fidel et Raúl Castro écrivaient l’histoire en défaisant avec
quelques centaines de rebelles, l’armée du dictateur Batista, à l’époque la mieux équipée de toute
l’Amérique Latine. Chassant alors les Yankees de leur île, ils réussissaient à bâtir, à leurs portes, une
société socialiste. Contre toute attente, ils allaient tenir bon contre les agressions tant militaires
qu’économiques et diplomatiques de la première superpuissance au monde. La révolution cubaine
fit table rase de la théorie pessimiste qui voulait qu’une réorientation progressive aurait été
impossible dans « l’arrière-cour » de l’oncle Sam.
Les Cubains ont résisté au plus long embargo économique de l’histoire de l’humanité. En trente ans,
ils ont perdu jusqu’à deux fois leurs plus importants partenaires commerciaux. Pour la plupart des
systèmes économiques, le coup eut été fatal mais, même cette épreuve-là, ils devaient y survivre
sans explosions sociales. En 1961, ils infligeaient encore à l’impérialisme US, une mortifiante
défaite dans la baie des Cochons. La Maison-Blanche n’a jamais été humiliée à ce point par un pays
d’Amérique Latine. Un quart de siècle plus tard, les soldats Cubains, appelés à l’aide par l’Angola,
portaient, à des milliers de kilomètres de leurs frontières, le coup de grâce à l’armée de l’Apartheid,
pourtant bien mieux équipée. Voilà comment une petite île insignifiante participa à la libération de
Mandela et à l’histoire de l’Afrique.
Du fait de son passé colonial, de l’embargo économique, du manque de richesses naturelles
importante et de la chute de l’Union-Soviétique, le pays est resté, au plan économique, un pays du
tiers-monde. En dépit de cela, ils ont réussi à atteindre un niveau social, intellectuel et culturel qui
fait partie des meilleurs au monde. Cuba, à elle seule, envoie dans au niveau mondial, plus de
médecins que l’Organisation Mondiale de la Santé. Cuba est également le seul pays au monde qui
arrive à combiner un développement social important avec un impact écologique faible.
Avec le Venezuela, Cuba a été le moteur de l’intégration des pays d’Amérique Latine (Alba, Celac,
Unasur), aux dépens de l’emprise de Washington sur la région.
De par les réalisations sociales pour le pays ainsi que pour le rôle joué à l’étranger, les responsables
cubains jouissent d’un prestige particulier dans les pays du Sud. Par deux fois, de 1979 à 1983 et de
2006 à 2009, la petite Cuba pu assumer la présidence des Pays Non Alignés (PNA), un mouvement
qui regroupe deux tiers de tous les pays.
En 2014, Raúl Castro présidait le deuxième sommet du CELAC. Pour cette réunion, 30 des 33 chefs
d’états des pays d’Amérique Latine se sont déplacés à la Havane.

Un indissociable duo

L’histoire nous apprend que dans la première phase d’un processus révolutionnaire, des figures
fortes et charismatiques jouent un rôle important. Ce fut certainement le cas de Fidel, figure
imposante dotée d’une personnalité particulièrement forte et d’un pouvoir de conviction
magnétique. C’était un visionnaire doué d’éloquence, et qui possédait la capacité de prévenir les
désaccords. Il avait le don d’enthousiasmer les populations dans les circonstances difficiles en plus
d’être un excellent « manager » par temps de crise. (1)
Fidel était incontestablement le numéro 1. En tant que moteur du processus révolutionnaire, il était
en permanence sous le feu des projecteurs. C’est donc lui également qui fut la cible de centaines de
tentatives d’assassinat. Des dizaines de biographies ont été écrites à propos de El Comandante en
Jefe. Il tint des centaines de discours et accorda régulièrement des interviews. Le contraste avec
Raúl est grand. Jusqu’au moment de la grave maladie de Fidel en 2006, Raúl n’était que rarement à
l’avant de la scène, un exercice qu’il n’affectionne d’ailleurs pas. C’est la raison pour laquelle son
rôle dans la révolution cubaine est souvent sous-estimé.
Les deux frères étaient les deux parties d’un indissociable duo. Ils se complétaient parfaitement et
se renforçaient mutuellement. Fidel était le visionnaire et celui qui posait les jalons importants
tandis que Raúl représente la partie plus pratique du duo, avec beaucoup de bon sens et de talent
d’organisateur. Fidel l’architecte, Raúl l’entrepreneur, voilà qui résumerait bien la situation.
Le facteur Raúl

Les talents d’organisateur et les qualités de leader de Raúl apparaissent au moment de la lutte de
guérilla. Au début de 1958 à peine âgé de 26 ans, Raúl est nommé commandant du deuxième Front.
Il additionne les succès militaires et contrôle assez rapidement un territoire un peu plus petit que la
Flandre. Il monte toute une administration parallèle incluant des écoles et de petits centres
hospitaliers. Il organise les paysans, tient un Congreso Campesino (congrès des agriculteurs) et
mène une réforme agricole dans tout le territoire libéré. Des routes sont aménagées ainsi que des
liaisons téléphoniques et jusqu’à une mini force aérienne avec au total 13 petits avions.
En octobre 1959, Raúl est à la tête des forces armées cubaines et il y restera jusqu’au moment de
son élection en tant que Président en 2006, ce qui fait de lui le Ministre de la Défense le plus
longtemps en fonction. Son rôle en tant que commandant des forces armées ou comme en tant que
dirigeant du gouvernement sera, à divers moments, crucial pour la survie de la révolution.

Commandant des forces armées

La survie de la révolution naissante dépendra de la capacité de résister à une intervention militaire


des USA. Durant les premiers mois, la nouvelle armée cubaine ne ressemble à rien. Une grande
partie du matériel est inutilisable ou insuffisante et une grande partie des officiers a quitté le pays
pour les USA. Le temps presse.
En mars 1960, un attentat sur un bateau chargé de munitions dans le port de la Havane fait plus de
cent morts. Deux mois plus tard, les multinationales américaines refusent de poursuivre le raffinage
du pétrole. Il devient clair qu’une intervention militaire au départ des USA n’est plus qu’une
question de mois.
En juin 1960, Raúl se déplace à Prague et à Moscou pour obtenir suffisamment d’équipement
militaire et de munitions, dans le but de pouvoir contrer une telle invasion. Des dizaines de pilotes
suivent un entraînement accéléré et secret en Tchécoslovaquie. À Cuba, des programmes
d’entraînement intensifs sont organisés, 25.000 soldats et des centaines de milliers de civils
reçoivent une formation élémentaire au combat. Des agents secrets cubains sont infiltrés dans
l’armée de mercenaires préparée aux USA. Divers groupes contre-révolutionnaires qui projettent
secrètement de soutenir l’invasion sont démasqués à Cuba-même et arrêtés. Toutes ces dispositions
font que l’invasion qui débute le 17 avril 1961 est écrasée en moins de 72 heures. C’est une défaite
historique pour les USA, dans leur propre arrière-cour.
La menace n’est toutefois pas écartée. Cuba ne fait pas partie du Pacte de Varsovie, ce qui signifie
qu’après la crise des missiles de 1962 (2) , le pays ne devra compter que sur ses propres forces en
cas d’éventuelle intervention dans le futur. En quelques années, Raúl met sur pieds une toute
nouvelle armée avec des troupes bien entraînées et du matériel de haute technologie. Au début des
années septante, la force aérienne, les troupes de blindés et les unités de défense aérienne font partie
des meilleures en Amérique Latine. Tandis que les armées soviétiques s’enlisent en Afghanistan,
l’armée cubaine engrange quelques stupéfiantes victoires dans des contrées éloignées comme, par
exemple, contre les armées de l’Apartheid pourtant bien plus fortes.
En plus des troupes de l’armée régulière, se développe une véritable armée populaire. Endéans les
24 heures, deux millions de Cubains peuvent ainsi être mobilisés. Les troupes d’invasion pourraient,
exactement comme au Vietnam, se voir prise dans un nid de guêpes, emmenées dans des pièges,
puits, mines, tunnels etc. Pour « conquérir » l’île, le Pentagone devrait envoyer des millions de
soldats avec, évidemment, et payer le prix fort en termes de pertes. Ceci rend la petite île, de facto
pour ainsi dire invincible. En ce sens, Cuba comme le Vietnam sont, pour les générations actuelles
et futures, un exemple de réussite contre la politique agressive des USA.
Après la chute de l’Union-soviétique en 1991 et le durcissement de l’embargo, l’économie de Cuba
s’effondre totalement. Les conditions de vie se dégradent fortement et la famine guette. La plupart
des observateurs prédisent la fin rapide de la révolution. Ils se trompent. Pour sortir de la crise, ce
sont des mesures radicales qui doivent être prises et c’est l’armée qui jouera ici le rôle de
locomotive. Les troupes-même sont réduites et fondamentalement réformées. Les militaires seront
les premiers qui expérimenteront les nouvelles techniques de management ainsi que des stratégies
de production plus souples et plus efficientes. L’armée devient, non seulement auto-suffisante, elle
va, dans le futur exercer de plus en plus d’activités économiques, entre autres dans le tourisme et
l’agriculture. Les surplus de la production alimentaire sont proposés sur les marchés agricoles dans
le but de faire baisser les prix.
En 1996 déjà, un tiers de ce que produit l’armée pourra être livré à l’économie civile. Cette
approche sert de modèle pour le reste de l’économie et sera décisive pour arriver à survivre sans
trop de dommages à cette période dite « Période Spéciale ».

Homme d’État

Dans ces circonstances difficiles, l’appareil d’état comme le parti communiste nécessitent un
sérieux remodelage. Raúl s’attaque à cette tâche. Avec les cadres supérieurs du pays, il organise, en
1994, une série de conférences qui ont pour but de discuter de la crise et de chercher de nouvelles
issues. Il exige que les leaders du gouvernement comme ceux du parti, renforcent leurs liens avec la
population afin de donner la priorité à la recherche de solutions concernant les besoins vitaux des
citoyens ordinaires. Un nombre conséquent de cadres dirigeants sont congédiés et remplacés,
essentiellement par des personnes plus jeunes.
À l’été de cette année, la crise atteint un sommet. Les conditions de vie deviennent précaires et le
salaire mensuel sur le marché noir, atteint à peine les 1,5 dollar. Principalement à La Havane, la
situation devient critique. Raúl est nommé à la tête d’une commission qui doit s’attaquer aux
problèmes les plus aigus que connaît la capitale. La commission opère une amélioration dans
l’approvisionnement en nourriture ainsi que dans les services à la population de sorte que les
tensions diminuent et que l’on n’en arrive pas à des situations de bagarres autour de la nourriture et
de pillage généralisé.
La crise économique laisse des séquelles profondes. Le pouvoir d’achat a sérieusement diminué et
un fossé s’est creusé entre deux groupes de Cubains ; ceux qui doivent nouer les deux bouts avec un
salaire en pesos et ceux qui ont de la famille à l’étranger ou qui travaillent dans un secteur ou l’on
est payé en CUC, une monnaie dont la valeur est bien plus élevée que celle du peso (3) . Depuis
tantôt vingt ans rien n’avait pratiquement été investi dans l’économie. Ces problèmes et challenges
doivent être abordés sous l’angle du structurel, autrement dit, le modèle économique mérite un
lifting.
Depuis 2003, à ce niveau également, on peut percevoir de prudents remaniements. Mais en août
2006, Fidel tombe gravement malade. Raúl devient Président suppléant jusqu’en février 2008. À ce
moment, Fidel se retire et Raúl est élu comme Président. Il reprend le fil des réformes économiques
et passe à la vitesse supérieure. Dans le giron du Comité Central, il crée une commission
économique. Celle-ci a pour tâche de préparer une réactualisation de l’économie tout en s’attaquant
aux carences du système. Tout au long de deux années, la population va être consultée de manière à
faire émerger des lignes directrices (Lineamientos) qui seront par la suite, discutées et amendées
durant le sixième congrès du parti qui aura lien en avril 2011. Raúl tient à ce que la réactualisation
de l’économie ait lieu avant qu’il ne transmette le flambeau à la jeune génération.
Le congrès lance toute une batterie de mesures. Les plus évidentes concertent la suppression d’un
demi million d’emplois dans le secteur public et le fort développement d’un système de travail à
titre privé. Les mesures ne produisent pas l’effet d’un grand saut en avant mais les résultats sont
loin d’être mauvais, certainement sur fond d’embargo.
Depuis 2006, Cuba a enregistré un taux de croissance annuel moyen de 3,6 %,en comparaison des
2,7% du reste de l’Amérique Latine.
Nonobstant ceci, le pays reste confronté à des défis économiques sérieux comme le manque de
devises étrangères, un outil de production et une infrastructure dépassés, une trop faible
productivité, d’importantes importations en matière de denrées alimentaires, la persistance d’une
double monnaie…
Indépendamment de l’économie, le fonctionnement du parti également, exige une nécessaire
révision du système. En 2012, le parti communiste tenait une première Conférence Nationale. Raúl
est perspicace en ce qui concerne ses compagnons de parti et il y critique les méthodes de travail
dépassées, le formalisme, le jargon archaïque du parti et la multiplication des réunions de parti qui
ne sont plus en phase avec la réalité des problèmes du quotidien. Il met en garde contre une
corruption largement répandue qu’il considère comme l’un des ennemis les plus importants de la
révolution, plus dangereux même que la possibilité d’ingérences étrangères.
Raúl travaille très intensément à la recherche de rapprochement d’avec son ennemi juré, les USA.
Ce rapprochement se fera fin 2014, avec l’établissement de relations diplomatiques ainsi qu’un
échange de prisonniers. Le dégel des relations entre les deux pays conduit à la visite historique de
Obama à Cuba.
Le défi

Lors de sa réélection à la présidence, en 2013, Raúl avait annoncé qu’il ne presterait que deux
mandats et qu’il transmettrait le flambeau dès 2018. Ce moment est arrivé.
Le contexte dans lequel cette relève des générations a lieu n’est pas des plus favorables. Avec
Trump à la Maison Blanche, les relations sont tendues. Il ne reste plus rien des prudentes avancées
enregistrées sous Obama. En Amérique Latine, la vague gauchiste est sur le retour. De plus, le
soutien économique du Venezuala a sensiblement diminué, du fait de la chute des prix du pétrole
comme à cause de la crise interne que connaît le pays. À tout ceci, il convient d’ajouter le facteur
climatologique. Les périodes de sécheresse et les ouragans se font de plus en plus fréquents.
Mais il existe aussi des développements positifs. Avec la Russie, la Chine et l’Union Européenne,
les relations sont meilleures que jamais.
Le pays se trouve face à de grands défis. L’importance des développements sociaux et économiques
ont généré de grandes attentes dans la population mais les véritables bases font encore défaut et cela
crée de la frustration. Ceci est encore accentué par le tourisme. Un touriste semble, en effet, tout
pouvoir s’offrir, même si il n’est pas nécessairement plus ou mieux formé. Et ceci est en étroite
relation avec un autre phénomène : après l’effondrement monétaire en 1991, un salaire ne
représente plus grand chose. Par conséquent, le lien entre le travail, le salaire et le pouvoir d’achat
se délite. Une telle situation est évidemment très préjudiciable à la motivation au travail comme à la
productivité. Cela génère également de la corruption et du mécontentement, la seule réponse à ces
deux défis étant une accélération dans le processus de croissance de l’économie, ce qui est plus
facile à dire qu’à faire. Le contexte extérieur est, ici également, déterminant. Trump cherchera-t-il
l’affrontement ou se contentera-t-il de tweeter ? Comment la situation au Venezuela et en Amérique
Latine évoluera-t-elle ? Comment vont évoluer les relations économiques avec la Chine, la Russie
et l’Europe ? De tout ceci dépendra également le succès du vaste nouveau port près de La Havane.
Sue le plan politique, c’est le rajeunissement de la direction du parti qui représentait le plus grand
défi. Ce rajeunissement ne s’est pas fait si facilement et s’est même fait attendre. Toutefois, ces
dernières années, on assiste à une vraie relève de la génération historique. Au parlement, la
moyenne d’âge est de 48 ans et, au Conseil d’État (4) , ils sont plus de 60% à être nés après la
révolution.

Cuba une dernière fois ?

Il est plus que probable que Miguel Díaz-Canel, un ingénieur en électronique de 58 ans, devienne le
nouveau président. Il fut un temps professeur à l’université de Santa Clara, sa carrière politique
commençant il y a plus de trente ans dans les jeunesses communistes (UJC). Élu en 1991 au Comité
Central du parti, il deviendra, en 1994, président du parti pour la province de Villa Clara et en 2003
pour la province de Holguín.
Cette année-là il est encore repris au bureau politique du PCC comme ( ??) plus jeune membre
jamais. En 2009, Díaz-Canel est nommé ministre de l’enseignement supérieur. En 2012, devient
vice-président du Conseil des ministres et en 2013, premier vice-président du Conseil d’État, en
clair, le deuxième homme du gouvernement.
Faut-il s’attendre, sous Díaz-Canel, à de fondamentaux changements de direction ? Autrement dit
faut il visiter Cuba une dernière fois avant que tout ne change ? Évidemment, nous n’avons pas de
boule de cristal mais la possibilité que ceci ait lieu est vraiment faible. Le passé nous apprend que la
société cubaine est caractérisée par une stabilité et une continuité surprenantes, même dans des
conditions particulièrement difficiles comme dans les années nonante.
Les raisons à cela sont multiples. Avant tout, le pouvoir politique s’est montré, tout au long des
derniers soixante ans, extrêmement fidèle à ses fondamentaux. Le socialisme était et reste toujours
une valeur importante. Si des réformes sont nécessaires —et il est évident qu’elles le sont toujours
— elles seront mises en œuvre avec prudence et sans précipitation superflue. Au-delà de cela, la
prise de décision est collective et la direction prise ne dépend pas du tempérament ou des
préférences politiques du numéro un. C’était déjà le cas du temps de Fidel et de Raúl et il n’en ira
pas autrement aujourd’hui. Enfin, tous les changements importants sont largement présentés à la
population. En l’absence d’un support suffisamment important, pas de changement.
Voilà qui contribue à prévenir tout changement de direction inattendu ou imprévisible.
Pas nécessaire donc de vous hâter vers Cuba avant que tout ne change, ce qui ne change rien au fait
qu’il s’agit là d’une merveilleuse destination de vacances.

Notes
ALBA est l’Alliance bolivarien pour l’Amérique Latine. Ce lien de collaboration a été fondé en
2004 afin d’offrir une alternative à l’ALCA, l’accord de libre échange commercial que les USA
voulaient imposer à l’Amérique Latine. Cuba et le Venezuela en furent les premiers membres, suivis
de la Bolivie, du Nicaragua, de la République Dominicaine de l’Équateur et de quelques autres
pays.
En décembre 2011 est créée, à l’iniative de Hugo Chavez, le CELAC, une communauté des états
d’Amérique Latine et des Caraïbes. Pour la première fois dans l’histoire est fondé un organe
régional de toute la région d’Amérique Latine (y compris les Caraïbes), sans les USA et le Canada.
En 2007, sur le modèle de l’Union Européenne est constituée l’Unasur : Union des Nations
d’Amérique du Sud. Indépendamment d’un parlement, est également fondée une banque, la Banco
del Sur, qui doit représenter l’alternative au FMI.
Pour une courte biographie et plus de détail quant au rôle de Fidel Castro dans la révolution
cubaine, voir http://www.dewereldmorgen.be/long-read/2016/11/26/fidel-castro-1926-2016-de-
geschiedenis-zal-me-vrijspreken; https://www.cubanismo.be/nl/artikels/interview-met-marc-
vandepitte-over-fidel-en-zijn-nalatenschap-longread.
Au début de 1962, la tension est palpable. En janvier, Cuba sous l’impulsion de Washington éjectée
de l’Organisation des États américains. Le 3 février, Washington annonce un embargo total. Ces
faits sont interprétés comme préparatoires à une attaque en règles. Fidel Castro cherche appui
auprès de l’Union Soviétique pour repousser une invasion militaire et œuvre dans la direction d’un
pacte militaire. Kroestjev choisit au contraire, d’installer des missiles nucléaires. Le gouvernement
cubain accepte à contre-cœur, mais les USA l’apprennent. En octobre 62, le monde frôle le conflit
nucléaire mondial. Finalement, Moscou retirera les missiles – sans concertation avec Cuba – et la
crise sera écartée.
À cause de la crise économique des années nonante, la valeur de la monnaie locale s’était
effondrée. Pour protéger le marché intérieur, retirer du tourisme un rendement maximal et retrouver
un impact sur le flux des devises (venant de l’envoi de devises par les membres de la famille exilés
à l’étranger), on introduisit, en plus du peso, une nouvelle monnaie, le CUC. Cette dernière a, à peu
près la valeur du dollar. Au départ, elle était destinée essentiellement au circuit touristique. Dans
l’après-coup, également de nombreux produits de luxe et autre furent vendu en CUC. Ce double
système monétaire est l’expression du fossé qui émergea entre les Cubains qui disposaient de
devises parce qu’ils avaient de la famille à l’étranger ou parce qu’ils travaillaient dans le secteur du
tourisme, et les Cubains qui devaient arriver à nouer les deux bouts uniquement avec un salaire en
pesos (estimés à quelque 30 à 40% de la population). Les autorités cubaines veulent sortir de cette
situation le plus rapidement possible mais cela semble plus vite dit que fait.
Le Conseil d’État est l’organe exécutif le plus puissant de Cuba. On peut le considérer comme étant
LE gouvernement. Ses membres sont élus par le parlement national. À la tête du Conseil d’État se
trouve le Président.

Traduit du néerlandais par Anne Meert pour le Journal Notre Amérique


La culture comme outil de transformation sociale
dans la révolution cubaine

Le triomphe de la Révolution cubaine le 1er janvier 1959 était le début d'un changement
catégorique de système politique, lequel se mettra en place relativement lentement puisque le
nouveau régime fonctionnera avec la constitution nationale de 1940 jusqu'en 1976. Mais pour
changer en profondeur les structures politique, économique et sociale il fallait transformer la
société et donc les structures mentales des membres qui la composent, afin qu'ils en acceptent
les nouvelles valeurs comme faisant naturellement partie de la culture nationale. Les
révolutionnaires arrivés au pouvoir comprirent que la culture pouvait être un formidable
levier pour atteindre les objectifs d'égalité et de justice sociale.

Christine Gillard

La politique culturelle consista en premier lieu à soutenir la création artistique au moyen d’instituts
nationaux tels que La Casa de Las Américas (La Maison des Amériques), L’UNEAC (Unión
Nacional de los Escritores y Artistas de Cuba ; l’Union Nationale des Ecrivains et Artistes
Cubains), mais aussi au moyen de Casas de Cultura (Maisons de la Culture), dans les provinces et
les régions, afin de mettre la culture à la portée du peuple. Le Conseil National de la Culture, créé
en 1961, eut pour rôle de promouvoir les activités culturelles en relation avec la tradition et de
donner un statut aux artistes. En 1971 le Congrès National de la Culture et de l’Education déclara
que la base de la culture cubaine était le métissage entre les éléments africains et les éléments
hispaniques : l’objectif était de retrouver les racines cubaines en y incluant les éléments de la
culture universelle, tout en rejetant les modèles étrangers.

La politique culturelle commencée dès le début de la Révolution déboucha en 1977 sur la création
du Ministère de la Culture. Devant les membres du IIe congrès de l’UNEAC le ministre Armando
Hart, en réponse à la déclaration de Martí – « La justice d’abord, l’art ensuite » – déclarait : « La
justice a triomphé, à l’art maintenant ». L’effort budgétaire fut à la mesure de la volonté politique,
non seulement en créant des instituts nationaux mais aussi en mettant en place un réseau d’écoles
d’art dont l’enseignement était gratuit et en encourageant la pratique artistique de masse chez les
ouvriers, les paysans, les étudiants et les militaires. En 1975 il existait un millier d’orchestres,
35000 chorales, 17000 cercles de lecture. Les bibliothèques faisaient cruellement défaut en 1958 ; la
campagne d’alphabétisation fit surgir un lectorat très demandeur et en réponse des centaines de
bibliothèques furent créées, des bibliothécaires formés, en même temps qu’un effort d’édition était
mené : en 1959 Cuba publiait 0,6 livre par habitant, elle en publiait 4,1 en 1975.

Nicolás Guillén, poète déjà célèbre, fut nommé président de l’Union des Ecrivains et Artistes de
Cuba. Il fut le porte-parole de la Révolution car sa poésie, populaire dans ses thèmes et dans sa

forme, était représentative des valeurs de celle-ci. Son je poétique avait la même condition que
celle du lecteur-auditeur auquel il s’adressait.

Nous pouvons dire qu’une révolution littéraire se développa parallèlement à la Révolution dans le
sens où la littérature se modifia en profondeur. Il s’agissait de faire coïncider un contenu littéraire
avec une idéologie ; contenu qui devait être le reflet d’un intérêt, non seulement commun à tous les
Cubains, mais surtout accessible à tous. C’est pourquoi le gouvernement révolutionnaire s’attacha à
développer le théâtre par une aide technique et économique. Le Théâtre National, fondé en juin
1959, proposa une programmation quotidienne, faite d’œuvres du répertoire antique et moderne,
européen et américain, mais aussi du répertoire national qui adopta les formes et le langage
vernaculaire. À partir de 1971, date du premier congrès national de l’Education et de la Culture, la
production théâtrale évolua de l’interprétation de la réalité à la proposition de solutions. Comme
dans les autres secteurs culturels le gouvernement décentralisa le théâtre en créant des salles dans
les villes de province. Ce développement logistique fut accompagné d’une politique sociale d’accès
aux salles et d’accès aux conservatoires.
Le gouvernement révolutionnaire s’employa à rééditer les œuvres narratives considérées comme
faisant partie du patrimoine culturel et le roman connut une nouvelle vitalité. Mais la question de la
censure se posa au vu du nombre de romanciers qui commencèrent à publier à Cuba et émigrèrent
finalement, à partir des années 70. « La culture, comme l’éducation, ne peut être ni apolitique ni
impartiale. » Cette phrase extraite de la déclaration du Premier Congrès National d’Education et
Culture de 1971 nous éclaire sur la situation des artistes dans cette période. La littérature cubaine en
exil commença à se développer dans les années du plus grand raidissement du régime castriste.
Leonardo Padura répondait à la question de savoir s’il existe une littérature cubaine de l’exil ou s’il
faut seulement parler de littérature cubaine en avril 2006 lors d’un entretien: « Un écrivain qui vit
ici à Londres, à Paris ou à Miami, né à Cuba et ayant eu une expérience de vie de 25, 30 ans à Cuba,
ne devient pas un écrivain anglais, français ou de Miami, il continue à être un écrivain cubain. »
Cette position montre à quel point l’identité cubaine, la cubanité, est un concept totalement
assimilé, comme l'exprime René Vázquez Díaz, romancier cubain exilé en Suède depuis 1975: « En
réalité tous les Cubains sont pénétrés par l’image vivante de la révolution, indépendamment du fait
qu’ils soient pour ou contre. Plusieurs générations de Cubains vivent toujours avec cette image, et
cette dernière présente plusieurs ramifications, à Cuba, à Miami. »

En matière musicale les changements se firent sentir rapidement car les musiciens étaient
totalement liés à la vie sociale nocturne des Yankees qui résidaient à Cuba, venaient y faire du
négoce ou du tourisme. Le départ des Américains et la rupture avec les Etats-Unis provoquèrent une
fuite massive des musiciens. L’État changea le système de production ; les radios et télévisions,
regroupées, furent nationalisées ainsi que les entreprises discographiques. Un organisme d’État fut
créé, l’EGREM, chargé d’enregistrer et de diffuser la musique, les artistes furent salariés et les
Night-Clubs fermés. Cependant la production musicale ne s’arrêta pas. La Orquesta Cubana de
Música Cubana, orchestre fondé en 1967, expérimenta les sonorités électriques, et le Groupe
d’Expérimentation Sonore de l’ICAIC s’engagea sur la voie de la recherche musicale, créant une
musique entre rock planant et chansons à texte. La musique cubaine prit une nouvelle voie avec la
Nueva Trova à la fin des années 60. Et le Son, symbole de la cubanité, continua à être présent ;
citons Carlos Puebla et son célèbre Hasta siempre Comandante, écrit à la gloire de Che Guevara
après son départ de Cuba en 1965.

Le cinéma est une création de la Révolution au sens où Cuba n’avait pratiquement pas de
production nationale antérieurement. L’Institut Cubain d’Art et d’Industrie Cinématographiques,
fondé en 1959, commença en produisant des films documentaires et des courts métrages, puis des
longs métrages de fiction. En 1960 les grandes entreprises de distribution et de diffusion
cinématographiques furent nationalisées, et dans les cinq années suivantes, toutes les salles privées
rachetées. En 1965 tout le système était entre les mains de l’ICAIC, qui développait en outre une
nouvelle stratégie de développement. À côté de l’objectif de développer une industrie
cinématographique exportable dans les festivals internationaux, l’ICAIC eut une politique de
diffusion locale, tant par l’ouverture de nombreuses salles dans les villes, que par la mise en place

d’un cinéma itinérant en milieu rural, appelé cinemóvil.

Une partie de la production de courts métrages répondait à un objectif éducatif : films à destination
des parents pour donner des conseils de bonnes relations avec les enfants (respect de l’enfant,
dialogue, soins éducatifs) ou au public urbain pour rappeler les règles de bonne conduite entre
voisins. Ces films traitaient sur le mode de la fiction, avec beaucoup d’humour, voire d’ironie, des
thèmes graves comme la violence ou l’alcoolisme. Les documentaires, longs et courts métrages,
constituaient une production importante dans les années 70 (une trentaine par an). En revanche la
production de longs métrages de fiction resta modeste à cette époque. En 1975 le cinéaste García
Espinosa dénonçait l’attitude aristocratique de ceux qui dédaignaient le cinéma commercial et il
soutenait la nécessité de développer un cinéma du quotidien qui réponde aux exigences du public.
En effet vingt-cinq ans après le début de la Révolution le public était totalement différent : le
Cubain moyen était jeune, avec une espérance de vie correspondant à celle d’un pays développé,
étudiait ou travaillait. En 1985, 36% des personnes actives étaient des travailleurs intellectuels. Si
on y ajoute la population étudiante, il est bien évident que les attentes en matière cinématographique
n’avaient plus rien à voir avec les attentes du public analphabète de la première génération. A partir
de 1987 la Fédération Nationale des Ciné-Clubs ouvrit des salles de projection de films en vidéo,
approvisionnées par la Distribution Nationale de Films de l’ICAIC, projetant deux nouveaux films
par semaine. Deux cents salles de projections vidéo s’ouvrirent.

Un autre secteur culturel, celui de la production d'affiches, allait servir d'outil de communication de
la Révolution. A partir du moment où les entreprises furent nationalisées et la consommation de
masse bannie, l’affiche ne fut plus un support publicitaire pour vendre des produits mais un moyen
de communication au service de l’État. Le gouvernement révolutionnaire ne donna jamais de
directives idéologiques sur le contenu des affiches ni sur la forme, mais Fidel Castro, dans ses
Discours de la Révolution et en particulier dans Paroles aux intellectuels, fut explicite quant au rôle
de l’artiste : l’artiste était libre dans sa création pourvu qu’elle ne remette pas en cause la
Révolution. Les affichistes furent donc totalement libres dans leur expression pour promouvoir la
Révolution et la Culture. En 1980 l’affichiste Felix Beltrán l’exprimait de cette manière : « A Cuba
nous sommes évidemment libres. Mais nous n’avons pas la liberté d’agir contre le système. »

Les affichistes, salariés de l’Etat, jouèrent donc un rôle important dans la construction d’une société
différente, dans la défense de cette société et l’incitation à la production avec des slogans à forte

résonance : « Venceremos » « Hasta la Victoria Siempre » , « Patria o Muerte »

Les agences de communication furent nationalisées dès la première année de la Révolution, laissant

place à une seule agence, l’Agence Intercommunications, à la disposition des organismes d’État qui
en auraient besoin ; c’est ainsi que les graphistes pouvaient travailler pour le cinéma comme pour la
pêche, ou pour tout autre secteur selon les commandes. Cette agence, placée sous l’autorité du PCC,
changea de nom par la suite.

L’affiche politique cubaine ne fut jamais triste : les couleurs étaient vives ; la danse, les fleurs y
figuraient dans un style populaire optimiste très caribéen. D’ailleurs l’effort révolutionnaire devait
être consenti dans l’enthousiasme. En complément de l’affiche dont les slogans étaient purement
politiques, une autre sorte d’affiche, l’affiche sociale, répondait aux besoins de communication sur
les grands programmes comme l’alphabétisation, l’hygiène, la prévention, la santé, le travail
volontaire.
Dans le domaine du graphisme le support de l’affiche fut le plus important, mais d’autres supports
furent utilisés comme les murs et les panneaux métalliques. La fresque murale n’a jamais égalé le
muralisme mexicain, cependant dans les campagnes les murs des écoles par exemple continuent à
servir de support aux slogans de la Révolution, souvent avec véhémence et dans une langue
populaire, comme l’atteste celui-ci : « Lo haremos, coño ».

Enfin dans la production culturelle, il convient de citer la peinture. La Révolution favorisa le


développement des arts plastiques avec l’ouverture de nombreuses galeries et la formation d’un
grand nombres d’artistes et de professeurs. La première Biennale des Arts plastiques eut lieu à La
Havane en 1984 ; elle accueillit des artistes de vingt-deux pays latino-américains et deux cent mille
visiteurs. La Révolution n’a pas privilégié un courant pictural particulier. L’influence des courants
post-modernistes continua à dominer la création des maîtres de l’avant-gardisme. Il n’y eut pas de
rupture puisque les nouvelles tendances co-habitèrent avec les anciennes valeurs plastiques. La
plastique cubaine eut la capacité de refléter la réalité sociale, en particulier depuis les années 80,
avec les thèmes de l’émigration et de la vie quotidienne. Le plasticien cubain Roberto Fabelo définit
de cette manière la plastique cubaine des années 80 : « Dans la décade des années 80, il s’est
produit un mouvement qui fut comme une secousse de grande intensité […] Je crois qu’il existe une
plastique révolutionnaire, au sens le plus intégral du mot. »

De manière globale, pendant les trente premières années, la Révolution montra un souci constant de
démocratisation de la culture, comme étant un moyen d’éduquer le peuple pour construire la
nouvelle société. Cette politique culturelle de masse s’inscrivit dans une idéologie où l’homme est
au centre des préoccupations de l’Etat, non pas en tant que marchandise, mais comme maillon
indispensable à l’édification de la société, dont le bien-être social et culturel est le garant de la
réussite économique.
La démocratisation de la culture allait de pair avec l’accès à l'éducation pour tous. Ce furent deux
grands acquis de la Révolution que la crise économique des années postérieures à la chute de
l'Union soviétique n'a pu mettre en péril. Le peuple cubain est un peuple éduqué tant pour répondre
aux besoins collectifs qu'aux besoins individuels de développement humain. Le projet politique
culturel ne s'est pas construit à partir de modèles importés mais sur le sentiment d'appartenance à
une culture spécifique – la cubanité – partagée et pratiquée par chacun, en dehors des rapports
concurrentiels du marché et dans le respect des valeurs d'égalité et de justice sociale.

Extrait de l'ouvrage :Christine Pic-Gillard, Révolutions à Cuba, de José Marti à Fidel Castro, Paris, Ellipses,
2007.
Cuba : « Motivés par la solidarité,
pas par l’intérêt matériel »

“D’autres étrangers qui sont allés en Afrique ont eux aussi amené les
œillères du colonialisme culturel — mais pas les Cubains. Notre
formation révolutionnaire, notre expérience dans le développement de
la solidarité, rend impensable toute relation paternaliste ou coloniale
avec les peuples qui sont affligés.” Abel Prieto, l’ancien président de
l’Union des écrivains et artistes de Cuba (UNEAC) et ministre de la
culture, présente l’ouvrage Zone Rouge : l’expérience cubaine avec
l’Ebola écrit par Enrique Ubieta.
Abel Prieto

“Enrique Ubieta me dit que nous avons ici parmi nous les médecins Jorge Pérez — directeur de
l’Institut Pedro Kourí de médecine tropicale, qui était responsable de la formation de la brigade à
Cuba — et Félix Báez, le seul cubain qui a contracté le virus Ebola.
Jorge est allé à Genève, à l’hôpital où Félix était soigné. Il lui a parlé par téléphone, séparé par une
vitre, et Félix lui a dit : « Salut prof, je vais retourner en Sierra Leone. » En fait, il était gravement
malade. Mais il a récupéré et il y est bien retourné.
C’est cela l’exemple montré par nos trois frères ici et les autres compañeros de la brigade Ebola qui
sont présents aujourd’hui.
Je veux commencer par avouer que lorsqu’Ubieta m’a demandé de présenter ce livre à la foire, je
lui ai dit tout de suite que bien sûr je le ferais. Mais quand j’ai dit cela, c’était au cours de notre folie
quotidienne, en pensant que c’était purement un livre informationnel — que ça me fournirait plus
d’éléments, un rapport mieux structuré sur quelque chose que je connaissais déjà par les médias et
par le biais du journalisme d’Ubieta.
Mais le livre m’a bouleversé — il y a tellement plus que ce à quoi je m’attendais. Le docteur
Delgado l’a très bien dit. C’est un livre de témoignages de première main, mais c’est beaucoup plus
que cela. Il présente le drame de l’Afrique. Il reprend le sujet qu’Ubieta a traité dans plusieurs de
ses essais, toute la question de la colonisation culturelle. Il donne un aperçu de la bataille épique de
Cuba contre l’Ebola.
Un livre à promouvoir parmi les jeunes

En le lisant, j’ai compris que Zona Roja parle des personnes, des faits, de mécanismes et de
situations dont je n’avais vraiment aucune connaissance. Je crois que beaucoup d’autres lecteurs
auront une réaction similaire. C’est un livre que nous devrions promouvoir en particulier chez les
jeunes.
Il raconte l’altruisme, les principes et les convictions qui ont soutenu les médecins et les infirmières
cubains. Il commence avec une citation d’un discours prononcé par Fidel [Castro] le 17 octobre
1962, lorsque l’école de médecine de Playa Girón a été inaugurée :
« Quand j’ai parlé aujourd’hui avec les étudiants, nous avons dit que nous avions besoin de 50
médecins volontaires pour aller en Algérie. … Et nous sommes sûrs que nous allons avoir ces
volontaires. »
Nous parlons ici de 1962. Ubieta raconte comment la moitié des médecins à Cuba à ce moment — 3
000 sur 6 000 — sont partis après le triomphe de la révolution.
« Dans les huit ou 10 ans à venir, qui sait combien [nous serons en mesure d’envoyer] », a déclaré
Fidel. « Nous serons capables d’aider nos pays frères. »
Dans un de ses Réflexions, le 18 octobre 2014, quand les volontaires cubains ont commencé la
mission Ebola, Fidel a commenté : « Le personnel médical qui ira n’importe où pour sauver des
vies, au risque de perdre la leur, sont le plus grand exemple de solidarité qu’un être humain peut
offrir, par-dessus tout parce qu’ils ne sont pas motivés par l’intérêt matériel. »
Lorsqu’Enrique Ubieta et son équipe sont arrivés en Guinée et ont rencontré le fils et la veuve de
Sékou Touré [premier président de l’ancienne colonie française, Ahmed], ils ont parlé de la
première visite de Fidel en Guinée et sa relation avec le leader guinéen. Mohamed Touré, fils de
Sékou Touré, a déclaré : « Si nous commençons à parler des grands leaders historiques de l’Afrique,
nous devons commencer par Fidel Castro Ruz, qui est pour nous un Africain, un Cubain, un citoyen
du monde, un héros dans la lutte pour la libération de l’Afrique. »

Un demi-siècle de solidarité en Afrique

« En Guinée, » a déclaré Ubieta, « j’ai compris que si je voulais écrire sur le grand exploit
internationaliste de nos médecins dans la lutte contre le virus Ebola, je devais commencer en tenant
compte du demi-siècle de solidarité Cubaine avec l’Afrique. »
Jorge Lefebre, ambassadeur de Cuba en Sierra Leone et au Libéria, qui est ici aujourd’hui, se
souvient de l’appel qu’il a reçu de Raúl, « Nous avons tout évalué. Nous allons envoyer de l’aide à
l’Afrique. Vous devez parler avec les présidents de Sierra Leone et du Libéria parce que demain
nous allons annoncer notre décision publiquement. »
« C’était la mi-Septembre, » a indiqué Jorge Lefebre, « et au 2 octobre le premier avion atterrissait
en Sierra Leone. »
Avec des comptes rendus, des histoires et des témoignages personnels convaincants, Ubieta décrit
l’histoire de l’Afrique dans toute sa portée dramatique.
Quand il est arrivé au Libéria, il a écrit : « Nos esprits se remplissent de fausses images que la
télévision et le cinéma, et plus récemment l’internet, qui s’infiltrent dans nos rétines et
prédéterminent ce que nous voyons.
Ce n’est pas qu’ils sont totalement faux — c’est qu’ils créent des stéréotypes presque
insurmontables.
« Je veux rencontrer les êtres humains qui vivent dans la ville. Pour comprendre un médecin, vous
devez comprendre le patient. Dans les rues, beaucoup se plaignent quand nous essayons de sortir
nos appareils photos. Les Africains n’aiment pas les photographes arrogants, les étrangers qui
viennent pour enregistrer la pauvreté et pour transformer les êtres humains qui habitent le continent
en paysage, pillés et humiliés encore et encore. Ils en ont assez d’être des objets exotiques pour ces
voyageurs qui ne se soucient pas de leur sort. »
Plus tard, il a souligné une initiative pathétique — supposé être un acte de solidarité — par quelques
musiciens célèbres d’Europe et des États-Unis. En novembre 2014, « ils ont enregistré une chanson
de « solidarité » avec ceux atteints par le virus Ebola. » Mais, Ubieta a expliqué, « Ils n’ont pas fait
le moindre effort pour connaître la culture des personnes qui souffrent de l’épidémie… Le titre de la
chanson — « Do They Know It’s Christmas? » [Est-ce qu’ils savent que c’est Noël ?] — a été
désastreux comme tentative de se lier avec une population qui est à majorité musulmane dans deux
des trois pays touchés [la Sierra Leone et la Guinée]. Et les paroles, loin d’être instructives, ont
donné une description inexacte de l’épidémie et a instillé la peur parmi les Européens.
En Afrique, la chanson de « solidarité » a été vue avec rejet.
Il a cité un intellectuel libérien qui dit : « Ils demandent si nous savons ce que c’est Noël. Oui nous
le savons. Mais nous ne le célébrons pas. »
Cette chanson est un exemple de la philanthropie des célébrités, une approche qui mène les
personnalités riches et célèbres à acheter les enfants du Tiers-Monde, de les adopter et de les
déraciner de leur terre et de leur héritage culturel.

L’Obstacle du colonialisme culturel

D’autres étrangers qui sont allés à l’Afrique ont eux aussi amené les œillères du colonialisme
culturel — mais pas les Cubains. Notre formation révolutionnaire, notre expérience dans le
développement de la solidarité, rend impensable toute relation paternaliste ou coloniale avec les
peuples qui sont affligés.
Ubieta cite un anthropologue du Sénégal : « Un conflit absurde et nuisible s’est développé entre le
peuple et les autorités — le peuple a essayé de se soustraire aux mesures de santé établies par les
autorités. Ils étaient en colère, frustrés et effrayés par une maladie qui les tuait et par des
recommandations qui heurtaient leur système de croyance. Ils se sentaient mal compris et
abandonnés par le monde entier. »
Les brigades cubaines elles aussi ont dû surmonter ces obstacles culturels. Et ce qu’Ubieta décrit
montre qu’ils ont bien réussi à le faire grâce à leur dévouement. Le dévouement authentique et la
solidarité qui a soutenu les efforts déployés par les brigades sont devenus évidents aux patients et
aux communautés.
Ubieta décrit la dévastation précédente, le résultat de plus de 10 ans de guerre entre le Libéria et la
Sierra Leone, qui a détruit les structures de soins de santé des deux pays. Il explique comment le
colonialisme a créé ces soi-disant conflits ethniques :
« En Afrique, les colonialistes divisés des territoires comme s’ils étaient à découper un gâteau.
Chacun à pris le morceau le plus grand ou le plus appétissant, ou autant qu’ils pouvaient, de la «
nature » (s’agissant des ressources naturelles). Dans ce processus, ils ont divisés les cultures, les
langues et les traditions locales.
« Pour le colon, il était plus important de protéger un diamant ou une mine d’or qu’une culture. Ça a
également rendu la domination plus facile. Ils ont utilisé certains groupes ethniques contre les
autres. »
Ubieta explique comment les conflits ethniques masquent la tragédie sociale, la tragédie
économique, l’inégalité.
Il consacre un chapitre aux femmes cubaines. Il mentionne une femme médecin qui était déjà sur
place dans le cadre du Programme de santé publique globale et qui avait envoyé une lettre [à La
Havane] insistant que les médecins et les infirmières voulaient rester et se joindre à la lutte contre
Ebola.
Ubieta conclut : « La pauvreté, avec toutes ses conséquences sociales et culturelles, est le plus grand
facteur de production et de transmission de maladies mortelles. Et la pauvreté en Afrique est la fille
de la modernité, c’est à dire, du capitalisme. Le capitalisme engendre la pauvreté, les armes
biologiques, la course aux profits et les catastrophes écologiques. »
L’un des médecins interrogés par Ubieta est Graciliano Díaz de Santiago de Cuba — il est ici
aujourd’hui. J’ai été submergé par tous vos témoignages oculaires, mais je ne vous ai jamais
rencontré.

Le manque de soins de santé de base

Graciliano a raconté ce qui suit à Ubieta concernant la Guinée, « Il n’y a pas de statistiques, pas de
données, il est donc difficile de parler de l’état de santé et d’hygiène dans le pays. Il n’y a aucune
sensibilisation à la santé et à l’hygiène à aucun niveau, ce qui a contribué à propager la maladie. »
« Aujourd’hui, nous avons affaire à Ebola, dit Graciliano, mais avant, c’était le paludisme,
l’encéphalite, le choléra, la typhoïde, la tuberculose et le SIDA. »
Ubieta a fourni quelques faits terrifiants. [Voir le tableau dans « Épidémie d’Ebola : créée par le
pillage impérialiste »]
Comme l’Ambassadeur Jorge Lefebre l’a dit à Ubieta, lorsque la brigade médicale du Programme
de santé publique globale est arrivée en Sierra Leone, le ministre de la santé a dit quelque chose qui
vous arrache le coeur quand vous le lisez. « Vous ne pouvez pas imaginer combien nous apprécions
l’aide médicale que Cuba nous donne », dit-elle « Partout ailleurs dans le monde, une femme qui est
enceinte est une source de bonheur pour la famille. Dans mon pays, c’est une source de profonde
tristesse. Cela signifie que, à la fin de la grossesse l’un des deux va mourir — la mère ou l’enfant.
Vous nous apportez de l’aide afin que cela ce ne se produise pas. »
Le ministre des Affaires étrangères du Libéria a déclaré à Ubieta, « En Septembre et Octobre
[2014], le Libéria semblait être l’enfer. … Notre peuple mourait en grand nombre. … Cuba a
envoyé du personnel médical et ils ont partagé les risques avec nous. Ils ont dit qu’ils étaient des
frères qui ont traversé l’océan pour nous aider. … Quand l’histoire sera racontée sur la manière dont
nous avons vaincu cette maladie, un important chapitre sera consacré au rôle de Cuba et des
médecins cubains. »

Les gens que vous aimeriez avoir à vos côtés

Zona Roja ne contient pas de rhétorique. L’héroïsme des médecins et des infirmières cubains ressort
de leurs propres récits et actions. J’ai écouté le docteur Juan Carlos, qui a parlé du caractère
strictement volontaire de la mission. Pour la plupart des internationalistes le moment le plus
difficile n’a pas été la décision de se joindre à la mission. Ça a été quand ils ont dû le dire à leurs
familles. Ubieta a recueilli plusieurs témoignages à ce sujet.
Kike [le docteur Ángel Enrique Betancourt] a dit : « On m’a appelé, et ma femme m’a dit de ne pas
dire oui. … Mais j’avais un historique. Si mon père est mort comme il l’a fait, comment je n’aurais
pas pu y aller ? » Le père de Kike était le docteur de Samora Machel (le président du Mozambique).
Il est mort en 1986 dans l’attaque qui a fait tomber l’avion présidentiel, c’était clairement l’œuvre
des Sud-Africains. « Je dois remplir mon devoir, » a déclaré Kike.
Ce sont des personnes que vous aimeriez avoir à vos côtés dans le combat, dans les combats les plus
durs.
Un infirmier, Eduardo Rodríguez Almora, a été interviewé à Monrovia. Il a dit : « Ma mère était
vraiment bouleversée quand elle a entendu que je partais. Elle a commencé à pleurer. « S’il te plaît
sois prudent, m’a-t-elle dit encore et encore. Mais à aucun moment elle n’a dit : « Non, n’y va pas. »
L’infirmier Rogelio Labrador Alemán a été soutenu par ses frères — l’un d’eux avait été un
combattant internationaliste en Angola. Mais, il a expliqué, « J’ai dit à ma mère, qui à cette époque
avait 93 ans, que j’allais à Haïti pour enseigner. … À la fin de la mission, ma mère avait entendu où
j’étais vraiment allé. Quand je suis rentré, elle était très enthousiaste. Elle est allée au bureau
provincial du ministère de la santé pour m’attendre … Elle s’était préparée à m’accueillir plusieurs
jours à l’avance. Mon vol a été retardé. Tout le monde lui disait de rentrer à la maison et d’attendre
là-bas. Elle a dit « Non, mon fils le héros arrive aujourd’hui. »
Lorsque le fils du docteur Félix Báez a appris du ministère de la santé que le test de dépistage pour
l’Ebola fait sur son père était revenu positif, il a envoyé un message qui sert de titre à un chapitre de
ce livre, « Papa, sois fort. Tout va bien se passer. »
Alejandro — je crois que c’est le nom du fils de Félix — a envoyé un second message : « Oui, mon
père est tombé malade, mais cela ne signifie pas, comme beaucoup le disent, qu’il n’aurait pas dû y
aller. Je dis le contraire, mon père est allé là-bas parce qu’il a estimé que c’était son devoir d’aider
ceux qui ont le plus besoin, même si cela signifiait mettre sa vie en danger. … Ce qui nous rend
humain c’est de mettre l’intérêt commun au-dessus de notre bien-être personnel. C’est d’être
capable de se donner entièrement afin d’aider quelqu’un qui a besoin d’un coup de main. »
Voilà ce qui a été dit par le fils d’un médecin qui a contracté le virus Ebola, un homme dont la vie
était en jeu à ce moment. Et vous avez tous entendu ce que Félix Báez a dit au docteur Pérez à
l’hôpital où ils essayaient de sauver sa vie, quand c’était encore difficile de savoir à quel degré il
allait être affecté par la maladie.
Le docteur Iván Rodríguez Terrero, interviewé pour [le magazine mensuel populaire cubain] La
Calle del Medio [La rue du milieu] par Ubieta quand il été en formation à l’Institut Pedro Kourí, a
déclaré : « Nous savions que cela était une mission que nous entreprenions sans garantie de revenir.
Vos enfants ressentent de la douleur, mais ils sont fiers. Votre femme est triste … mais en même
temps, se sent fière. »
L’infirmier et babalawo [prêtre dans la santería] Orlando O’Farrill Martínez a expliqué : « C’était
une mission pour mon pays, mais je devais consulter mes orishas [dieux de santería]. Ils m’ont
donné la permission. »
Autrement dit, les orishas sont avec nous. Pas seulement le patriarche Kirill [orthodoxe russe] et le
pape François — les orishas, aussi.
Lorsque le personnel cubain est arrivé, Monrovia au Libéria, était « une ville fantôme », a expliqué
Ubieta. Plus tard, l’épidémie a commencé à décroître et la ville a commencé à revivre comme les
habitants revenaient.
Le docteur Leonardo Fernández compare le Monrovia qu’il a vu à son arrivée à la ville qui
renaissait. « Nous avons trouvé une ville déserte. Il n’y avait guère de voitures ou de personnes dans
les rues, personne alentour. … Et maintenant, nous venions juste d’en parler — ça alors, quelle
différence ! Donc, nous partons avec un peu de fierté : que j’ai contribué à quelque chose pour que
cette ville soit à nouveau remplie d’habitants. »
Dans la ville de Kerry Town en Sierra Leone, une Unité de traitement d’Ebola a été mise en place là
où des médecins et des infirmières de Cuba et d’autres pays ont travaillé ensemble.

La brigade cubaine était au cœur de la réponse

Andy Mason, le directeur britannique du projet, a déclaré à la cérémonie d’adieu pour la brigade
cubaine, « Ici, nous étions : Save the Children [Sauvez les enfants, une ONG britannique], la
brigade cubaine, le ministère britannique de la santé … et nos frères et sœurs de la Sierra Leone.
Mais au centre de la capacité d’intervention se trouvait la brigade cubaine. Ils étaient au cœur de la
réponse ici. »
« Je suis confiant –il a poursuivi– que nos statistiques montreront … comment le taux de mortalité a
chuté. Ce n’aurait pas été possible sans des soins consciencieux pour les malades. Et nos collègues
cubains étaient essentiels pour administrer ces soins. »
Quarante-deux membres de la brigade ont été affectés à Maforki-Port Loko, également en Sierra
Leone, rapporte Ubieta. « Pendant le séjour des Cubains, 499 patients ont été soignés … et 132 vies
ont été sauvées. « Plus de trois vies sauvées pour chaque volontaire, » m’a dit fièrement le docteur
Manuel Seijas Glez. Il est ici — il était le coordinateur de l’équipe cubaine dans cette unité.
Le docteur Rotceh Ríos Molina, responsable de l’équipe cubaine dans l’unité de traitement d’Ebola
à l’hôpital ADRA à Waterloo, en Sierra Leone, a présenté un bilan sur la mission :

« D’abord et avant tout, elle m’a laissé avec l’énorme satisfaction d’avoir sauvé tant de vies. […]
La deuxième chose était notre savoir-faire et compétence, sachant que nous sommes médecins
internationaux. … Vous entendrez peut-être parler d’un médecin de Harvard, ou de celui qui
travaille à telle ou telle clinique britannique. Mais ces gens n’avaient rien de plus que nous. Nous
sommes au même niveau. Notre formation professionnelle rivalise avec l’enseignement que
reçoivent ces médecins d’autres pays.
La troisième chose était l’esprit de solidarité, de camaraderie, de fraternité. Je pense que c’est ce qui
nous a tous ramené ici sains et saufs, sauf pour les deux, que nous avons perdu. »

Comme vous le savez tous, ces deux cas n’ont pas été dus à Ebola. Ils sont morts de paludisme.

Ce livre fournit un bilan extraordinaire en termes moraux aussi.


Leonardo Fernández, est-il ici ? Le docteur Leonardo Fernández, qui a 63 ans, presque ma
génération. Quand j’ai lu qu’il est fan de rock and roll je me suis identifié avec lui. Nous devrions
nous réunir dans un Yellow Submarine ! Mais bon …
Le docteur Fernández a servi au Nicaragua, au Pakistan, au Timor oriental, à Haïti et au
Mozambique. « Quand ils disent qu’ils ont besoin de volontaires », il dit, « Je lève la main et après
je demande pourquoi faire. »

« Nous avons simplement effectué notre devoir »

En ce qui concerne la lutte contre le virus Ebola, il a dit : « L’impact de la médiatisation de cette
mission … a provoqué chez certains d’entre nous … à se voir comme des héros. À mon avis, nous
avons simplement accompli un devoir qui correspond aux valeurs morales de la révolution et de la
pratique médicale. … J’avais déjà entendu parler d’Ebola. Je connais bien l’Afrique, j’ai soigné la
fièvre hémorragique au Mozambique, donc j’ai levé la main et voilà je suis là. Rien
d’extraordinaire. C’est la vie, » dit-il, rejetant l’idée que cette décision héroïque avait une
quelconque importance.
Le détachement avec lequel le docteur Fernández parle de sa vie d’engagements maintes fois
prouvés, est quelque chose qui réapparait encore et encore dans les témoignages recueillis par
Ubieta. Ce sont des héros, bien sûr, dignes de la plus grande admiration. Mais ils racontent des
expériences éprouvantes avec modestie, sans s’appesantir sur les détails.
Le docteur Rotceh Ríos Molina, que j’ai mentionné plus tôt, a dit : « Quand nous sommes arrivés en
Sierra Leone, le 9 octobre [2014] et que nous sommes entrés dans un service hospitalier Ebola, ça
ressemblait à un entrepôt pour les malades, pas à un hôpital. Beaucoup étaient couchés sur le sol,
sans perfusion, sans médicament. Nous devions changer l’idée que vous ne pouviez pas toucher les
malades. Nous avons commencé à les traiter, et plus de malades ont commencé à survivre. »
L’infirmier Juan Carlos Curbelo, de cette même unité ADRA à Waterloo, parle d’ « une femme
enceinte diagnostiquée avec le virus Ebola qui avait besoin d’une transfusion. Mais l’hôpital n’avait
pas d’argent pour acheter du sang. » Les Cubains ont fait une collecte sur place pour l’acheter. Tout
le monde a donné ce qu’ils pouvaient à ce moment.
« L’infirmière en chef nous a dit que c’était sans espoir, que quoi que nous fassions la femme allait
mourir. Mais nous ne pouvions pas nous empêcher de faire tout ce que nous pouvions pour la
sauver. Après quelques jours, la femme est décédée, mais nous étions en paix avec notre conscience,
», a dit le camarade.
Un autre infirmier, Víctor Lázaro Guerra, « le plus jeune membre des brigades qui ont servi dans les
trois pays, » a célébré son 26e anniversaire au cours de la mission. Il parle d’ « un enfant qui avait
besoin en urgence d’une perfusion et d’une transfusion. Aucun membre de sa famille n’a voulu
donner du sang, et ils n’avaient pas d’argent pour se payer une transfusion. Alors, nous avons
récolté un peu d’argent … et nous avons obtenu une poche de sang. Grace à ça nous l’avons sauvé.
»
Ubieta résume brièvement tous ces héros, « Sans les combinaisons de protection, ils ne se
distinguent pas des autres mortels. Ils touchent la mort avec leurs mains, mais ils arrivent en
racontant des blagues qui rendent les choses plus faciles pour eux, les malades et les collègues
d’autres pays. Ils ont peur, mais ils la surmontent, l’oublient même et deviennent intrépides. »
Ils — vous qui êtes ici aujourd’hui — ont toujours eu cette importante composante de la capacité de
Cuba à résister : l’humour. Et cela ne pouvait pas être autrement. Dans de nombreuses pages de
Zona Roja, au milieu des horreurs de l’épidémie, au milieu de la mort, il y a aussi beaucoup de
plaisanteries, de blagues, du rire cubain. Les volontaires de provinces rivales au baseball,
plaisantent entre eux. Certains jouent de la musique sur un téléphone portable pour les patients qui
ont été sauvé et qui sont renvoyés chez eux, et ces malades dansent avec leurs sauveurs. D’autres
parlent d’experts qui étaient censés les former à Freetown, mais qui étaient comme ces
professionnels de karaté ceinture noire cinquième dan qui n’ont jamais mis les pieds sur le tatami.
La conduite éthique et morale des Cubains qui ont fait face à l’épidémie d’Ebola présente un
contraste saisissant dans ce monde dégradé du XXIè siècle. Leur lutte, malade par malade, pour
vaincre la mort et sauver des êtres humains sans défense est à l’opposé du traitement des migrants
qui naviguent jour après jour vers les côtes de l’Europe pour être accueillis seulement par des
barbelés, des murs, des troupes armées et l’égoïsme cruel.
Aujourd’hui, quand, au milieu de toutes les difficultés quotidiennes nous parlons beaucoup du
fléchissement des valeurs parmi nous, il est bon de se rappeler les exploits inscrits dans Zona Roja.
Ce n’est pas un livre au sujet d’histoire ancienne. Ça ne remonte pas aux événements épiques des
années 1960. Ceux qui ont participé à cette mission sont à Cuba ici et maintenant, certains dans
cette salle. D’autres effectuent ailleurs des missions internationalistes.
Certains ont moins de 30 ans, d’autres ont 10 ou 20 ans de plus. Malgré les avancées et les revers
que nous y avons vécus, malgré les défauts et les contradictions, il y a, sans aucun doute au sein
d’eux une préfiguration de « l’homme nouveau » dont le Che parlait. Ils illustrent les idéaux les plus
purs de la Révolution cubaine. Que notre admiration et notre hommage leur parviennent, et aussi à
vous qui êtes parmi nous.

Traduit de l’espagnol par The Militant, Année 80, no 17

Source : Cubaperiodistas
Communes et contrôle ouvrier au Venezuela
– interview avec Dario Azzellini

“Les communes devraient être l’espace dans lequel nous allons donner naissance
au socialisme” – tels étaient les mots de Hugo Chávez dans une de ses fameuses
émissions présidentielles. Pour discuter des communes vénézuéliennes et des
nouvelles formes de participation, ainsi que de leurs succès, difficultés et
contradictions, nous avons interviewé Dario Azzellini *. Il a étudié et documenté
ces questions tout au long de la révolution Bolivarienne. Son livre «Communes
and Workers’ Control in Venezuela » a récemment été publié en livre de poche
par Haymarket Books.

Dès le début de la Révolution Bolivarienne, et avec la Constitution de 1999, l’accent est mis
sur la participation et la démocratie protagoniste et il y a plusieurs expériences, d’autres pas
très réussies, jusqu’à ce que vous arriviez aux conseils communaux. Pourquoi les conseils
communaux ont-ils été les premiers à vraiment réussir?

Dès le début des années 2000, le gouvernement Bolivarien réfléchissait déjà aux mécanismes de la
participation populaire aux décisions institutionnelles. Les premiers exemples reflétaient des
expériences qui existaient dans d’autres endroits, comme les budgets participatifs. Puis ils ont
commencé avec des expériences de création d’organes pour rassembler des représentants
institutionnels (par exemple les municipalités) et des représentants de la base. Et ceux-ci ont
échoué, parce que ceux-ci étaient encore largement des corps représentatifs avec une inégalité de
pouvoir très claire ou asymétrique. Cela a rendu impossible toute forme d’autonomie ou de prise de
décision à la base.
Ces difficultés n’étaient pas exclusives aux maires de l’opposition ou aux municipalités, elles se
sont aussi produites avec les chavistes. Les conseils communaux ont été la première tentative de
séparer ces structures autant que possible (1). Un conseil communal est l’assemblage d’un territoire
auto-choisi. Dans les zones urbaines, il comprend 150 à 200 familles ou unités de vie, dans les
zones rurales 20 à 30 et dans les zones indigènes, qui sont encore moins densément peuplées, entre
10 et 20, et ils décident eux-mêmes du territoire de la communauté. Le conseil communal est
l’assemblée de tous les membres de la communauté qui décide de toutes les questions.
Les conseils communaux forment des groupes de travail pour différentes questions, selon leurs
besoins : infrastructure, eau, sport, culture, etc., et ces groupes de travail élaborent des propositions
qui sont ensuite votées par l’assemblée communautaire pour établir ce qui est plus important.
Ensuite, ils obtiennent le financement des projets à travers les institutions publiques. La structure de
financement qui avait été créée n’était plus rattachée aux institutions représentatives au niveau
local, ce qui les aurait amenées dans cette compétition directe et inégale dont j’ai parlé. Au lieu de
cela, elle se situait à un niveau national ou au moins régional. Et cela a créé la possibilité d’avoir
une communauté plus centrée, plus indépendante, capable de se projeter et de prendre des décisions.

Formation d’un conseil communal dans le quartier El Manicomio de Caracas (Photo: Rachael
Boothroyd-Rojas/Venezuelanalysis)

Combien y a-t-il de conseils communaux au Venezuela ? Et comment en arrivons nous aux


communes?
De nos jours, il existe officiellement 47 000 conseils communaux. Évidemment, c’est un nombre
énorme et je ne pense pas sincèrement que tous travaillent comme des assemblées populaires
démocratiques. Il y en aura beaucoup qui ne fonctionnent probablement pas vraiment, surtout avec
la crise économique. D’autres seront dirigés par quelques activistes qui ont le soutien mais pas la
participation active de la communauté, alors que beaucoup d’autres travaillent vraiment comme
assemblées communautaires.
L’étape suivante a été la création de communes, qui a, encore une fois, commencé par l’auto-
décision sur le territoire. Ils ne doivent pas correspondre aux divisions territoriales officielles, ils
peuvent s’étendre à travers différentes municipalités ou même États. Par exemple, à la périphérie de
Caracas, vous avez des communautés qui appartiennent officiellement à l’État de Vargas sur la côte,
mais à cause de la Cordillère, ils n’ont même pas de route qui les relie à Vargas. Leurs
infrastructures et leurs liens culturels sont avec la ville de Caracas, de sorte qu’ils forment des
communes avec des communautés qui font officiellement partie de Caracas.
Les communes dans les zones urbaines sont généralement composées de 25 à 40 conseils
communaux, et dans les zones rurales entre 6 à 10 ou 15, cela dépend. En plus, elles bénéficient de
la participation non seulement des différents conseils communautaires mais aussi d’autres
organisations existant sur le territoire. Il peut s’agir d’organisations paysannes, de la radio
communautaire ou d’organisations comme la « Corriente Revolucionaria Bolívar y Zamora ».
Toutes les organisations présentes sur le territoire participent aux assemblées de la commune.

Comment fonctionnent les communes?

La commune, encore une fois, n’est qu’un lieu qui coordonne des propositions et les pousse plus
loin vers le sommet. Les décisions de base sont toujours prises dans les conseils communaux. Et
l’étape suivante serait une ville communale, qui ne serait pas nécessairement structurée comme une
ville, mais plutôt composée de différentes communes. Il y a quelques villes communales, même s’il
n’y a toujours pas de loi à leur sujet!
Ceci est un modèle familier. Les conseils communaux ont commencé à être construits par la base,
avec des noms différents, certains avaient même un soutien institutionnel, et aucune loi ne les
réglementait. Puis Chávez a vu ces assemblées et les a nommés conseils communaux, et au moment
où la loi a été rédigée en 2006, il y avait déjà quelque 5000 de ces conseils en exercice. La même
chose s’est produite avec les communes. Elles ont commencé à être construites parce que les
communautés avaient besoin d’une structure plus grande pour décider de projets plus importants, et
au moment où la loi des communes a été adoptée, il y en avait déjà des centaines.
Et elles ont dû faire pression sur les institutions pour les reconnaître et les enregistrer officiellement
en tant que communes, car au cours des premières années les institutions déclaraient toutes les
communes comme des «communes en construction». Du point de vue institutionnel, il est dans
l’intérêt des institutions de déclarer autant de communes que possible comme ayant besoin de leur
soutien. Une fois qu’une commune est déclarée fonctionnelle, ce n’est plus le cas. Donc, à la fin, les
communes ont dû forcer les institutions à les enregistrer.

Et combien de communes existent aujourd’hui?

Il y a maintenant environ 1600 communes enregistrées. Encore une fois, comme pour les conseils
communaux, je dirais qu’elles se répartissent en trois groupes. Certaines ne fonctionnent pas
vraiment après que le soutien de l’État a disparu à cause de la crise, d’autres continuent de
fonctionner grâce à des militants bien organisés qui font le gros du travail, avec le soutien des
communautés mais sans de régulières réunions d’assemblées, et enfin les autres qui fonctionnent
bien.
Une chose que je dirais certainement, c’est que les communes qui travaillent sont les structures qui
réussissent le mieux à affronter les problèmes auxquels les gens sont confrontés. Il y a des
expériences intéressantes avec d’énormes installations de production contrôlées par la communauté,
ou des lieux de travail fermés qui ont été pris en charge par la communauté et les travailleurs pour
mettre en place toutes sortes de production. Au cours de cette crise très difficile, qui met sous
pression les réseaux sociaux en poussant les gens vers plus d’individualisme, ces choses sont très
pertinentes.

Quel a été le rôle des femmes dans ces organes participatifs?

Les femmes en ont été la force motrice. Dans les conseils communautaires, particulièrement dans
les régions urbaines, je dirais que plus de 70% des gens qui prennent des responsabilités et qui font
avancer la lutte sont des femmes. Il y a plusieurs raisons à cela. D’une part, le modèle rentier du
Venezuela a généré beaucoup d’activités spéculatives et informelles qui ne fournissent pas toujours
un travail régulier, et cela devient naturellement pire en période de difficultés économiques. Mais
alors que cela touche surtout les hommes, les femmes conservent l’expérience du travail régulier en
raison de toutes les autres responsabilités (enfants, travail domestique, etc.).
Les femmes sont donc le centre de la maison et le centre de la vie communautaire. Cela a aussi des
racines historiques. Si vous lisez la littérature anthropologique, dans les sociétés caribéennes
comme le Venezuela, le commerce transatlantique des esclaves impliquait que les hommes étaient
vendus plus souvent, et que les femmes étaient donc la partie la plus stable de la société esclave.
C’est une sorte de conséquence tardive, renforcée par le modèle économique de longue date.

L’une des caractéristiques que vous avez mentionnées est que les conseils communaux et les
communes ont émergé de la base et qu’il y avait ensuite une loi à suivre. Cela contraste un peu avec
la perception (véhiculée par les médias) que tout se passait d’une manière ou d’une autre à travers
un décret de Chávez …

Je pense que l’une des capacités extraordinaires de Chávez était qu’il était capable de comprendre
ce que les gens faisaient et ce qui fonctionnait, et ensuite d’agir comme une sorte de haut-parleur! Il
propageait ces choses qu’il considérait comme réussies, ce que les politologues pourraient appeler «
bonnes pratiques », et les faire largement connaître. Et évidemment, parce qu’il était si
charismatique et que les gens lui faisaient confiance, il était capable de les faire immédiatement
discuter et diffuser, afin qu’ils se développent.
Donc contrairement à la perception générale, comme vous le dites, la plupart des initiatives que
Chávez a lancées et qui ont été couronnées de succès ont réussi parce que ce sont des pratiques que
les gens faisaient déjà. Il les a élargis, les a fait mieux connaître et les a aidés à se développer, et à
un certain point leur a donné un statut légal. Ce n’est bien sûr pas exclusif au Venezuela. Par
exemple, les travailleurs de Rimaflow en Italie (2) avaient l’habitude de discuter de la façon dont
chaque loi favorisant les travailleurs en Italie a vu le jour après que la pratique existait déjà, après
que différentes luttes et grèves les avaient déjà contraints à voir le jour. Donc, même dans ce qui
peut être considéré comme un contexte favorable comme le Venezuela, ces « bonnes pratiques »
sont souvent mises en œuvre d’abord et ensuite légalisées.

Sur la question plus large des communes, Chávez a souligné très souvent que les communes
étaient la « voie vénézuélienne du socialisme ». Comment les communes nous aident-elles à
atteindre le socialisme?

Eh bien, selon Marx, la commune est la forme politique finalement découverte pour émanciper le
travail (3). C’est une étape de la décentralisation, de l’autonomie locale, qui est liée au contrôle
ouvrier et de la communauté, ce qui est très important en tant qu’étape vers le socialisme. Il permet
de créer des valeurs différentes, de créer une conscience différente de la base vers le sommet, de
créer une auto-organisation orientée vers le progrès collectif des personnes dans les communautés
au-delà du capitalisme.
Les communes permettent un dépassement tendanciel de la séparation entre les sphères politiques,
économiques et sociales, en transformant plus de ressources en biens communs, à gérer par la
communauté. (Je dis tendanciel parce que c’est encore une structure parallèle au sein des structures
institutionnelles, représentatives, et du capitalisme en général.) C’est ce que le socialisme était dans
l’imagination de Karl Marx et de beaucoup d’autres.

Peut-on voir ces avancées de ces formes participatives de démocratie dans un contexte plus
global, lié à l’échec de la démocratie libérale?

Effectivement. Le dernier grand tumulte du socialisme de conseil était les conseils ouvriers au début
du XXème siècle. Après cela, le modèle de la représentation s’est également emparé de la gauche et
des mouvements communistes, s’imposant comme le modèle hégémonique même pour les
transformations socialistes.
Donc, ces courants deviennent une minorité alors que le modèle de production dit Fordiste se
reflétait aussi dans l’imaginaire du socialisme en tant que paradigme représentatif de haut en bas.
Maintenant que le Fordisme est épuisé en tant que modèle de production, la démocratie libérale en
tant que modèle politique servant le Fordisme est également arrivé à ses limites. Nous devrions
nous rappeler que les droits acquis n’étaient pas dus à la démocratie libérale. Ils ont été imposés à la
démocratie libérale, ils ont été gagnés dans la lutte. Pendant un certain temps, il a été possible de
faire avancer et de faire progresser les luttes progressistes dans le cadre de la démocratie libérale,
mais maintenant ce n’est clairement plus le cas.
C’est la raison pour laquelle nous assistons à une résurgence des idées socialistes / communistes /
anarchistes, quoi que vous vouliez les appeler, des modèles d’auto-administration, de démocratie de
conseil, de socialisme auto-organisé. Le premier cas internationalement visible a été le soulèvement
Zapatiste au Chiapas, nous l’avons vu au Venezuela comme nous en avons discuté, mais aussi dans
des endroits comme l’Argentine, la Bolivie ou même le Kurdistan, toujours sous des formes
différentes. Nous l’avons vu dans les revendications du monde du travail qui se sont produites
mondialement, nous l’avons vu à Occupy Wall Street et à 15M, à Gezi et à Tahrir, ainsi que dans de
nombreux autres cas dont nous avons à peine entendu parler, par exemple en Afrique.
En résumé, je dirais qu’il y a une résurgence de ces concepts et idées de socialisme basés sur la
démocratie directe, la gestion autonome, l’auto-organisation – sur cette longue histoire de personnes
qui organisent elles-mêmes leur vie.

Pour en revenir aux communes vénézuéliennes, l’un des débats dans cet esprit de conflit et de
coopération avec l’Etat est qu’une fois que vous aurez créé un Ministère des Communes, elles
risquent d’être perçues comme un simple secteur de la société, et pas comme quelque chose
qui est censé remplacer l’Etat à long terme …

C’est exactement l’un des problèmes. Chávez a été très clair sur l’idée de la démocratie du conseil
remplaçant le cadre institutionnel, et il a inventé ce terme de « l’état communal ». Ce qui est un peu
un oxymore, parce que si c’est commun, ce n’est plus un état ! Mais c’est une confusion de longue
date dans tout le mouvement socialiste et communiste. Par exemple, Marx a insisté sur le fait que la
Commune de Paris n’était pas un Etat, mais un gouvernement, tandis que les communistes du début
du XXe siècle soutenaient principalement que la démocratie de conseil n’est pas un gouvernement
(certains l’ont appelé plus tard un état prolétarien) .
Chávez a insisté et était catégorique sur le fait que les communes devraient à un moment ou l’autre
surmonter l’état bourgeois. Il n’est pas clair si la même opinion est partagée par les responsables
gouvernementaux et les acteurs institutionnels dans le reste du Venezuela, il y en a beaucoup qui
considèrent les communes comme une sorte de structure parallèle permanente aux organes
représentatifs.
Et au niveau local, il y a souvent des conflits avec les communes, qui peuvent être perçus
comme une menace …

Oui en effet. Les administrations locales et régionales sont très souvent en conflit avec les
communes car elles les considèrent comme une menace directe et elles constituent effectivement
une menace directe ! C’est le but de tout cela ! Elles représentent des structures qui doivent être
surmontées par le système communal. Bien sûr, elles sont censées les soutenir politiquement et non
les combattre, mais cela revient à l’affrontement entre les logiques participatives / communales et
représentationnelles dont j’ai parlé auparavant.

Parlons du contrôle ouvrier, un sujet que vous discutez en détail dans le livre. Comment cette
logique de conflit et de coopération a-t-elle affecté les luttes pour le contrôle ouvrier, par
exemple dans les industries de base de l’État de Bolívar?

Cela les a affectés de manière très problématique. L’ensemble de la lutte ouvrière à Bolívar, dans les
industries lourdes (aluminium, fer, acier), n’a pas progressé du tout. Au fil des ans, il y a eu
beaucoup d’efforts, mais finalement ils ont calé, alors que la production n’a pas vraiment progressé.
La corruption et le sabotage impliquant des structures de pouvoir locales, la résistance
institutionnelle et les contradictions au sein du mouvement ouvrier ont condamné la lutte à l’échec.
Les industries de base sont dans une situation vraiment troublante aujourd’hui.
Dans d’autres cas, comme Lácteos Los Andes (un grand producteur de lait, de yaourt et de jus de
fruit) et Aceites Diana (le plus grand producteur de margarine et de pétrole), les luttes ouvrières ont
été fortes en 2013 et le gouvernement a accepté que le contrôle ouvrier progressif serait introduit,
mais la question n’a toujours pas avancé. Il y a eu des succès à plus petite échelle, par exemple des
installations de production qui ont été reprises par les travailleurs avec les communes. Il y a
Proletarios Uníos, qui était le producteur brésilien de Brahma Beer, qui embouteille l’eau potable
d’un puits profond. Ils ont également mis en place une production d’aliments pour animaux, le tout
en coopération avec les communes environnantes, par exemple en échangeant avec un autre
établissement contrôlé par les travailleurs qui élève des poulets.
Assemblée des travailleurs à l’usine d’aluminium d’Alcasa (Photo: Prensa CVG Alcasa)

Pour conclure, il y a une crise économique très nette et une guerre économique au Venezuela
aujourd’hui. Où cela laisse-t-il le modèle des communes et le contrôle ouvrier ? Est-ce
toujours la voie à suivre?

Je dirais oui. Avec tous les problèmes et toutes les contradictions qui existent, le « nouveau
Venezuela » du peuple, la nouvelle idée du socialisme, du collectivisme, se développe dans les
communes et les conseils communaux et les lieux de travail récupérés. Et ce n’est pas seulement un
débat académique. Rappelons par exemple que lors du sabotage ou du blocus pétrolier de 2002-
2003, les industries lourdes et l’industrie pétrolière ont été sauvées par les travailleurs qui en ont
pris le contrôle. Les travailleurs et les communautés organisés ont toujours offert la défense la plus
ferme de la Révolution Bolivarienne.
Mais évidemment, avec la crise économique et la mort de Chávez, le contexte actuel n’est pas
favorable aux communes et au contrôle ouvrier. Il y a quelques années, on pouvait s’attendre à ce
que le gouvernement règle tout, mais de nos jours, la plupart des organisations, des mouvements et
des communes de base sont convaincus que ce sont eux qui devront construire le socialisme. Ils
soutiennent le gouvernement pour éviter une intervention militaire, en luttant contre le blocus
financier et la guerre économique, ils comprennent qu’ils ont besoin de serrer les rangs, sinon même
la possibilité de discuter de plus de changements structurels disparaîtra. Mais ils ne s’attendent pas à
ce que des mesures significatives vers le socialisme soient prises d’en haut. Au contraire, ils
espèrent avoir l’espace nécessaire pour continuer à construire le socialisme par la base.

* Dario Azzellini est sociologue, politologue, auteur et réalisateur de documentaires. Il a travaillé et


écrit abondamment sur la question du contrôle ouvrier et de l’autonomie gouvernementale. Avec
Oliver Ressler, il a produit deux documentaires sur le Venezuela et la révolution bolivarienne, «
Venezuela from below » (Le Venezuela d’en bas) et « Commune under construction » (La
Commune en construction). Son dernier livre sur le Venezuela, « Communes and Workers’ Control
in Venezuela. Building 21st century Socialism from Below » (Les communes et le contrôle ouvrier
au Venezuela. Construire le socialisme du 21ème siècle par la base), a récemment été publié en livre
de poche. Plus d’informations sur son travail peuvent être trouvées sur son site web.

Notes
(1) Sur ce sujet, Chávez a déclaré: “[…] une grave erreur a été commise, les conseils communaux
ne peuvent pas être convertis en extensions des mairies […]. Ce serait les tuer […] avant qu’ils
soient nés. “(Aló Presidente 246)
(2) Un ancien fabricant de tuyaux de climatisation pour BMW à Milan, Rimaflow a été repris par
les travailleurs lorsqu’il a été abandonné par le propriétaire et exerce désormais un certain nombre
d’activités, du recyclage des palettes industrielles à la production de liqueurs artisanales. Pour en
savoir plus, voir notre interview précédente avec Dario Azzellini, ou le documentaire “Occupy,
Resist, Produce” (par Dario Azzellini et Oliver Ressler).
(3) Karl Marx a décrit la Commune de Paris en ces termes: “C’était essentiellement un
gouvernement ouvrier, produit de la lutte du producteur contre la classe appropriée, la forme
politique enfin découverte pour élaborer l’émancipation économique de la main d’œuvre.”

Photo : “Personne ne se rend ! Commune ou rien ! “- une fresque représentant Chávez et


l’engagement de construire la commune (Photo: Venezuelanalysis)
Les défis du processus de paix entre
le gouvernement colombien et l’ELN

Suite aux accords de paix conclus entre le gouvernement colombien et les Forces Armées
Révolutionnaires de Colombie (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia – FARC) en
2016, une nouvelle table de négociations se met en place à Quito entre l’Armée de libération
nationale (Ejército de Liberación National – ELN) et le gouvernement. En février 2017 débute
un premier cessez-le-feu plein de bonnes intentions, mais à peine quelques mois plus tard, les
affrontements recommencent et les négociations sont suspendues pour une durée de deux
mois. Le 12 mars 2018, les parties annoncent le rétablissement de la table de négociations.
Entre-temps, la violence réactionnaire et paramilitaire continue à faire des victimes dans le
pays, en majorité parmi les secteurs populaires, et le gouvernement ne semble pas avoir
l’intention de mettre en oeuvre la paix conclue avec les FARC. Dans un tel contexte, quel est
l’avenir de la nouvelle table de négociation ? Quels sont les principaux défis pour que la
Colombie se dirige vers une paix véritable et complète ? Dans le but d’aborder ces questions –
et en prenant toujours en compte le fait que dans toute négociation, les protagonistes sont
toujours les négociateurs – nous nous sommes entretenus avec une des personnes clé de
l’équipe de négociation de l’ELN, Aureliano Carbonell. Ce sociologue de formation est
considéré comme un des intellectuels les plus influents du mouvement.

Raffaele Morgantini : Le processus de paix entre le gouvernement colombien et l’ELN a


commencé il y a plus d’un an. Pourriez-vous nous faire un bilan de ce qui s’est passé jusqu’à
aujourd’hui ?
Aureliano Carbonell (délégation de l’ELN pour le processus de paix) : Premièrement, je salue le
site d’informations et d’analyse politique Investig’Action. Nous sommes très contents de pouvoir
partager notre vision de la situation en Colombie avec vous et nous allons répondre à vos questions
avec plaisir.
Le but de ce processus est de construire un accord de paix, qui incorporerait des changements
minimum et basiques pour permettre une nouvelle situation pour la Colombie, avec de nouvelles
perspectives politiques, sociales et économiques pour le pays. L’ELN a pris les armes il y a 53 ans
mais dans la conjoncture socio-politique actuelle, notre but est d’avancer vers une nouvelle situation
où « ceux d’en bas » n’auraient pas besoin de prendre les armes pour défendre leurs droits. Dans le
cadre de l’accord, « ceux d’en haut » doivent démontrer qu’ils peuvent gérer le pouvoir d’une autre
manière, en créant les conditions avec lesquelles il est possible de faire de la politique sans armes.
Pour réaliser cela, les classes dominantes doivent arrêter d’utiliser la violence comme centre de
leurs stratégie politique et moyen principal pour régler les conflits sociaux, l’action politique et les
perspectives des mouvements alternatifs, comme elles le font depuis des décennies.
Ce processus de solution politique a une composante de grande importance qui est qu’il ne s’agit
pas seulement d’un dialogue, d’une discussion ou d’une négociation, mais qu’il aborde la question
d’une participation très active de la société dans son ensemble. L’accord de paix a pour objectif
d’incorporer les décisions et les aspirations des différents secteurs sociaux, pour qu’il s’agisse d’un
accord national qui permette de nous diriger vers d’autres réalités socio-politiques.
Concernant le bilan, il faut se rendre compte que ce genre d’accord de paix est très complexe,
surtout dans un pays comme la Colombie où le pouvoir et la violence de l’oligarchie ont provoqué
des années d’affrontements. Les classes dominantes continuent à s’opposer à tout type de
changement. Ce qu’elles veulent c’est que rien ne changent, mais que la guérilla et l’insurrection
disparaissent tandis que tout le reste reste la même chose. Ils veulent que le pays continue d’être
géré de la même manière. Il existe même des secteurs importants de cette classe qui s’opposent
radicalement à ce dialogue et à tout type d’accord. Le même secteur qui s’est opposé aux accord de
La Havane et qui a obligé les parties à renégocier plusieurs fois : c’est un secteur très puissant et
influent. Avec l’exemple de l’accord de paix avec les FARC, on voit clairement que le
gouvernement et la classe dominante n’ont pas honoré leur parole et ne respectent pas les accords.
Les FARC ont respecté la partie principale de l’accord, c’est-à-dire la remise des armes. Mais la
contre-partie ne respectent pas les accords et surtout en ce qui concerne les aspects centraux de la
mise en oeuvre.
Dans le cas de l’ELN, les négociations durent depuis un an. Le premier point de l’agenda, la
participation de la société, est le seul sur lequel nous avons un peu avancé, en développant des
audiences préparatoires qui ont consisté à consulter les différents secteurs de la société sur comment
ils voient la participation, la manière dont ils se l’imaginent et quels mécanismes et instruments ils
proposent pour la mettre en pratique. En réalité, c’est une simple préface de la participation réelle.
Sur les composantes humanitaires de l’accord, la situation n’a pas connu d’avancées majeures. Un
point qui nous semble central est que des mesures effectives soient prises face à la situation qui se
présente depuis quelques années – y compris depuis la signature des accords de La Havane et le
début de l’accord de Quito – c’est-à-dire l’assassinat des leaders sociaux. En janvier 2018, on
compte 27 leaders assassinés. Et ça continue…
L’accord bilatéral de cessez-le-feu qui s’est conclu entre octobre et janvier est quelque chose de
positif. Nous sommes prêts pour conclure un nouveau cessez-le-feu, mais l’attitude non-
constructive du gouvernement l’a mis en crise. Après l’accord, le gouvernement a donné ses propres
interprétations en rejetant l’évaluation des pertes humanitaires générées, en plus de lancer de
nouvelles actions contre nous.

Quelle est votre analyse de la question du para-militarisme ? Et quelle est l’impact de ce


phénomène sur le panorama sociopolitique colombien ?

Le para-militarisme en Colombie est l’expression du terrorisme d’État. C’est un phénomène qui


joue un rôle décisif pour bloquer les alternatives, pour écraser le mouvement social et la
protestation. Dans ce sens, il doit être analysé comme un instrument au service de la classe
dominante pour rester au pouvoir et pour bloquer les propositions de changement. C’est une arme
de lutte qui permet qu’en Colombie le soulèvement armé reste valable. Au cours des années
passées, le para-militarisme s’est installé dans beaucoup de régions à travers la formation d’armées
paramilitaires qui génèrent violence et terreur. Ces groupes continuent à intimider la population et
les organisations de lutte dans d’autres parties du pays : Antioquía, Chocó et la région du Pacifique.
Ils se maintiennent dans le sud du pays et agissent comme groupe de civils dans les villes, protégés
par l’armée et les services secrets.
Le para-militarisme continue à empêcher les perspectives de lutte organisatrices des secteurs
alternatifs et des secteurs populaires. C’est la raison pour laquelle nous réfléchissons à la nécessité
d’une solution politique à travers un accord de paix. Les classes dominantes ne peuvent pas
continuer à développer cette stratégie violente pour empêcher les alternatives des secteurs qui
luttent pour la justice sociale.

La communauté internationale a été présente dans le processus à travers les États et d’autres
institutions. Pouvez-vous faire un bilan de la participation de la communauté internationale ?

La participation de la communauté internationale a été très positive pour l’intérêt et l’engagement


actif dans le processus. Il y a eu un accompagnement de la part des pays garants, c’est-à-dire la
Norvège, le Chili, l’Equateur, le Venezuela, Cuba et le Brésil. Un groupe de soutien,
d’accompagnement et de coopération a aussi été formé par la Hollande, l’Italie, la Suède, la Suisse
et l’Allemagne. L’ONU joue aussi un rôle important à travers le Conseil de Sécurité qui s’est lié de
manière active au cessez-le-feu. L’Église et les deux parties conversent également dans un autre
espace. Au niveau continental également, les secteurs populaires ont manifesté un intérêt pour le
processus : nous avons reçu des manifestations de solidarité de nombreuses parties d’Amérique
latine.

Dans le développement de l’agenda, vous avez inclus comme élément central la participation
de la société. De quelle manière cela a-t-il avancé ? Quel bilan faites-vous des audiences
préparatoires ? Et comment les propositions pourraient-elles se concrétiser ?

Selon l’ELN, il faut assurer la participation des gens et de la société en général pour résoudre le
conflit de manière effective et durable. Il ne s’agit pas exclusivement d’une négociation entre la
guérilla et le gouvernement, parce que ni la guérilla ni le gouvernement ne représente l’entier de la
société. Durant le processus, différents secteurs sociaux ont participé avec 194 témoignages qui
résultaient des processus organisationnels dans les régions. Des représentants d’organisations du
Pacifique, le Sud occidental, le Caraïbe, les organisations de femmes, de groupes ethniques, les
paysans, la population LGBT, des organisations étudiantes, des syndicats, des migrants et des
réfugiés. Ce qu’on recherche, c’est une participation de la population colombienne. Certains ont été
proposés par l’ELN et quelques-uns par le gouvernement, à travers un processus transparent et
inclusif.
Les audiences préparatoires ont été très positives. De manière générale, tous ceux qui ont participé à
ces audiences ont apporté des idées basiques sur comment la participation pourrait être assurée, sur
la méthodologie, les mécanismes, les résultats et bien d’autres choses. Dans ce sens, le résultat est
encourageant et positif mais jusqu’à présent, seules les audiences préparatoires ont été réalisées, on
n’a pas avancé davantage sur ce point de l’agenda. La participation de la société n’a pas encore été
réalisée.
Dans le cinquième cycle que nous avons initié, nous avions prévu d’élaborer ensemble ce que serait
la participation de la société colombienne. Premièrement, en réunissant les propositions des
audiences. De notre côté, nous aspirions à ce qu’en plus de l’élaboration, on puisse réaliser quelques
premiers pas de ce que serait la participation sur les territoires, mais aussi en rapport aux secteurs
sociaux. De telle manière que nous puissions considérer ces premiers pas comme des pas
expérimentaux et exploratoires. Maintenant nous verrons comment nous mettrons en marche
réellement la participation pour qu’elle soit effective et qu’elle contribue à une paix inclusive.

En ce moment, le processus semble bloqué. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez et
quelles sont les alternatives proposées par l’ELN ?

La table est bloquée. Le gouvernement a refusé de venir au cinquième cycle en disant que le cessez-
le-feu se terminait le 9 janvier et qu’étant donné que le cycle devait avoir lieu le même jour, il ne
pouvait pas être présent pour des raisons logistiques. L’ELN est prêt à réfléchir à un nouveau
cessez-le-feu pour baisser l’intensité du conflit. Un nouveau cycle devrait être installé, au cours
duquel on ferait un premier bilan pour essayer de corriger les questions les plus problématiques et
de se mettre d’accord sur une élaboration globale de la participation. Cependant, cela n’a pas été
possible jusqu’à présent. Nous avons encore des divergences avec le gouvernement concernant les
modalités du processus. Nous voulons la participation plus active de secteurs de la société pour
qu’ils soient les interlocuteurs des deux parties et qu’ils jouent un rôle actif. Nous sommes ouverts
aux initiatives visant à avancer vers des solutions avec l’Église, l’ONU et les pays garants.
Actuellement, on développe la participation de secteurs représentatifs des centrales ouvrières, qui
veulent contribuer à la recherche de sorties possibles avec les deux parties. Donc nous travaillerons
avec les différents secteurs à la recherche d’une sortie de l’impasse dans laquelle nous nous
trouvons en ce moment.

Quelles sont les conditions pour qu’une paix effective et intégrale règne en Colombie ?

Tout ce processus de para-militarisme a conduit au déplacement de 7 millions de personnes et à la


spoliation de près de 7 millions d’hectares. En conséquence, le para-militarisme – en plus d’être une
manière d’exercer le pouvoir – se transforme en un moyen d’accumulation à travers de la violence.
De fait, beaucoup de paysans ont dû quitter leur région ou ont été déplacés.
Dans cette guerre, les secteurs des classes dominantes, du para-militarisme et du narcotrafic ont
travaillé main dans la main pour écraser les forces insurgées. Nous essayons de trouver d’autres
chemins, vers un accord de paix qui nous permette de développer la lutte d’une autre manière. Les
difficultés sont importantes. Regardez par exemple le processus de paix de la Havane et son manque
de mise en oeuvre.
En ce moment, la possibilité existe d’aller vers une nouvelle situation sociale, d’arriver à des
accords de paix pour que les conflits sociaux se gèrent d’une autre manière. La responsabilité
principale revient aux classes dominantes, surtout à cause de l’absence de mise en oeuvre des
accords. Elles refusent tout changement et protègent leurs privilèges de classe, mais au contraire
elles exigent que les forces insurgées et la résistance disparaissent. L’attitude de la classe dominante
colombienne qui refuse de s’attaquer aux racines socio-économiques du conflit est en train de nous
faire perdre une autre opportunité historique. Elle créé les conditions pour que la violence et le
conflit armé se poursuivent encore des dizaines d’années.
Tant que le gouvernement ne montrera par de volonté politique, tant que nous n’arrivons pas à une
nouvelle situation, tant que les accords ne se respectent pas, le soulèvement armé reste en vigueur.

Avril 2017. Traduction de l’espagnol Amanda Ioset


LE JOURNAL DE
NOTRE AMERIQUE

Crédits
Rédacteur en chef : Alex Anfruns

Equipe de rédaction : Ricardo Vaz, Raffaele Morgantini

Remerciements à Christine Gillard & Marc Vandepitte

Traductrices/teurs : Anne Meert, Amanda Ioset, Tamar vlad

Correcteur : Rémi Gromelle

Année 4, n°35, Avril 2018

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