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Gaston Bachelard laisse une œuvre originale et forte, qui se développe en suivant deux
versants, un versant diurne et un versant nocturne. Le versant diurne est celui de la
raison, de l’action, de la maîtrise du monde comme de soi-même ; le versant nocturne
est celui du rêve et de la poésie, du cœur et du sentiment.
. Le second, plus poétique, débouche sur une véritable métaphysique de l’imaginaire qui
va se construire au fil des années, de 1938 à 1961.
1 - L’épistémologie
L’idée de rupture est au cœur de l’épistémologie de Bachelard qui professe que des
configurations nouvelles apparaissent et que la connaissance objective se développe,
non pas parce que des problèmes propres à l’objet d’étude ont été résolus, mais grâce à
des victoires sur les obstacles épistémologiques, c’est-à-dire sur les entraves et
résistances internes à l’acte même de connaître (l’opinion, l’expérience sensible
immédiate, la certitude immédiate etc.)
« C’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de
nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C’est là que nous décèlerons des
causes d’inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques. » La Formation
de l’esprit scientifique
. L’expérience première
. la connaissance générale
. l’obstacle substantialiste
. vouloir trop de précision et exclure l’approximation
. la notion de continuité
Fractures, séries : il faut donc découvrir le socle discontinu et brisé sur lequel se bâtit le
discours scientifique.
La première, qui s’étend de l’antiquité classique jusqu’au 18 ème siècle, délimite l’état
pré-scientifique. La seconde va de la fin du 18 ème jusqu’au début du 20èmesiècle et
correspond à l’état proprement scientifique. La troisième, enfin, qui commence en 1905,
avec l’établissement de la Théorie de la relativité restreinte, coïncide avec ce que
Bachelard nomme Le Nouvel Esprit scientifique.
Celui-ci se caractérise par une abstraction croissante et ne se situe jamais dans une
perspective concrète et réaliste. C’est l’ « homo mathematicus » qui l’anime et ce sont
les symboles mathématiques qui lui donnent sens.
Aujourd’hui, un savant ne pense plus avoir affaire à un réel donné une fois pour toutes.
Il sait que tout est interdépendant. Un phénomène a une histoire ; il est modifié par son
contexte qu’il modifie à son tour. L’observateur qui étudie un phénomène modifie le
phénomène observé. Tout est mouvant, multiple, varié. Aussi, pour connaître, il faut être
capable de revenir sur ce que l’on pense afin de le rectifier. D’où de continuelles
révolutions de la part de l’esprit scientifique, qui n’est pas monolithique, comme le
prétendent ses détracteurs.
Les hommes ont une tendance naturelle à se fonder sur ce qu’ils peuvent voir ou
toucher, c’est-à-dire au fait de dériver un savoir des expériences subjectives qu’ils
peuvent faire. En prenant les images des choses pour les choses elles-mêmes, ils ont
tendance à figer le savoir.
Par contre, Gaston Bachelard réhabilite l’imagination dont il souligne l’aspect créateur.
En ce sens, elle est une puissance majeure de la nature humaine. On peut la définir
comme la faculté de produire des images à condition de bien différencier l’image du
souvenir. Si la mémoire nous ramène au présent, l’image nous tourne vers l’avenir.
Cet ouvrage se propose de dissiper les songes qui envahissent naturellement l’homme
devant le phénomène primitif du feu. Mais au fil des pages, Bachelard découvre que
l’imagination, et non la raison, est la puissance maîtresse de l’esprit humain.
Bachelard esquisse ici la poétique matérielle des 4 éléments : feu, air, eau, terre, sorte de
physique ou de chimie de la rêverie.
L’eau et les rêves – 1942
Ici, Bachelard ordonne ses intuitions selon les 4 axes distincts des 4 éléments. Il
commence également à développer une conception plus dynamique de l’imagination,
avec ses constantes métamorphoses.
L’auteur reconnaît qu’il a pu purifier le feu de ses illusions familières et qu’il n’a pu
opérer le même redressement à l’égard de l’eau. Il ne peut que rêver l’eau et non pas la
penser. Il sent que les lumières de la raison ne peuvent plus le guider dans ce monde
obscur des images, des symboles et des archétypes qu’elles prétendaient au départ
dissiper.
Ici Bachelard fait référence à Aristote et notamment à deux causes : la cause formelle et
la cause matérielle qu’il dispose sur un axe vertical du monde. L’image est
comme « une plante qui a besoin de terre et de ciel, de substance et de forme.»
Des eaux claires et printanières à l’eau violente, Bachelard envisage les métamorphoses
de l’eau substantielle et leur retentissement psychologique chez les plus grands poètes :
rêverie primitive sur le miroir des eaux avec Narcisse, l’eau légère de la fontaine….
Jusqu’à l’eau lourde liée au sommeil, à la nuit, à la mort (Edgar Poe).
« la mort quotidienne est la mort de l’eau. L’eau coule toujours, l’eau tombe toujours,
elle finit toujours en sa mort horizontale. »
Avec l’air, pauvre matière, l’imagination matérielle est vite écourtée. Ici, le mouvement
prime la substance. La mobilité est le caractère essentiel de l’image. L’air donne
l’expérience même de l’ouverture, de la nouveauté. Il réhabilite l’élan intégral de
l’imaginaire dans les zones aériennes : les rêves de vol, la poétique des ailes, la méthode
du rêve éveillé, l’arbre cosmique, les constellations de nuages, la profonde liberté,
l’aspiration au voyage ….
Ce sont les principes d’une psychologie ascensionnelle qui oriente la vie de l’âme selon
un axe vertical sur lequel se greffent toutes les valeurs morales. La vie spirituelle veut
s’élever naturellement et cherche dans les images poétiques des opérateurs d’élévation
dans l’air imaginaire.
La terre nous dévoile le monde de la résistance, de l’action… mais aussi la lutte contre
la matière, la force humaine qui essaie de la maîtriser. Vaillance de l’ouvrier qui révèle
l’intelligence de la matière.
Il écrit deux livres car il divise son enquête en deux, selon les mouvements
d’extraversion et d’introversion, travail et repos, animus et anima.
« L’imagination est un arbre. Elle a les vertus intégrantes de l’arbre. Elle est racine et
ramure. Elle vit entre terre et ciel. Elle vit dans la terre et dans le vent. L’arbre imaginé
est insensiblement l’arbre cosmologique, l’arbre qui résume un univers, qui fait un
univers. »
« Pour saisir l’image poétique dans son émergence et sa vibration, il faut interpréter la
poétisation à travers une phénoménologie de l’âme qui se substitue à la traditionnelle
phénoménologie de l’esprit.».
La Poétique de l’espace abandonne tous les schémas rationnels : une seule méthode
s’impose, dans son cheminement circulaire : « l’image ne peut être étudiée que par
l’image, en rêvant les images telles qu’elles s’assemblent dans la rêverie. »
Il sépare ainsi le travail de l’âme en animus et anima, le travail rationnel sous le signe
du concept et du souci, relevant du masculin, tandis que la rêverie de l’imagination,
sous le signe de l’image et de l’insouciance, évoque la pure féminité.
Entre le concept et l’image, il n’y a pas plus de synthèse que de filiation, mais deux
lignes divergentes de vie spirituelle : on ne peut en conséquence utiliser les images pour
donner une matière au concept, ni étudier objectivement l’imagination pour en révéler
l’essence féminine.
La dialectique du masculin et du féminin n’est pas égale car Bachelard place la vie de
l’être sous le signe de l’anima, et en termes alchimiques, sous celui de l’eau.
Ses derniers mots : « le ciel et la terre, tous deux, donnent à l’image sa verticalité. Tout
ce qui monte recèle les forces de la profondeur. »