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Jean Dérens

Gislemar, historien de Saint-Germain des Prés


In: Journal des savants. 1972, N°3. pp. 228-232.

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Dérens Jean. Gislemar, historien de Saint-Germain des Prés. In: Journal des savants. 1972, N°3. pp. 228-232.

doi : 10.3406/jds.1972.1270

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1972_num_3_1_1270
GISLEMAR, HISTORIEN DE SAINT-GERMAIN DES PRÉS

La Vie de Droctovée, premier abbé de Saint-Germain des Prés, est tou


jours citée par les auteurs qui traitent des origines de cette abbaye ; elle
présente l'avantage d'être un texte fort explicite, dont la datation a été
fixée par Jules Quicherat 1 et dont Bruno Krusch a critiqué les sources dans
l'édition qu'il a procurée 2.
Le nom de l'auteur est donné en acrostiche dans un poème qui suit la
préface : « Gislemarus edidit haec ». Reprenant la position de Mabillon 3,
Quicherat l'a identifié avec un moine qui apparaît dans une association de
prière du début du IXe siècle 4, en réfutant les arguments de l'abbé Lebeuf
qui voulait voir en lui le chancelier de l'abbaye qui souscrivit des actes dans
la seconde moitié du xie siècle 5.
Pour Quicherat, la Vie n'a pas pu être écrite au xie siècle, car à cette
époque Droctovée n'était plus considéré comme le premier abbé : « Une charte
du temps de Childebert III, maladroitement rapportée à celui de Childebert Ier,
était cause qu'un abbé Autharius, nommé dans cet acte, avait pris rang sur
la liste avant Droctovée, et cette erreur historique, consacrée par le conti
nuateur et interpolateur d'Aimoin, qui écrivit vers 1015, se perpétua pendant
toute la durée du moyen âge » 6. Quicherat en effet n'avait pas daté la conti-
1. Jules Quicherat, Critique des deux plus anciennes chartes de Saint- Germain
des Prés, dans Bibl. de l'École des chartes, 6e série, t. I, 1865, pp. 513-555.
2. Vita Droctovei abbatis parisiensis auctore Gislemaro, éd. Bruno Krusch, 1896,
M.G.H., Script, rer. merov., t. III, pp. 537-543.
3. Mabillon, Annales Ordinis sancti Benedicti, éd. 1739, t. I, p. 123.
4. Cartulaire général de Paris, pubi, par R. de Lasteyrie, t. I, p. 53.
5. Abbé Lebeuf, Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, Paris, éd. 1883,
t. 1, pp. 262-263. L'abbé Lebeuf cite simplement un acte de 1070 {Recueil des chartes
de l'abbaye de Saint- Germain des Prés, éd. Poupardin, t. I, LXVI, p.no). Gislemar appar
aît dans trois autres actes non datés, dont deux furent rédigés sous l'abbatiat de
Robert (1063-1082) (Recueil des chartes..., t. 2, LXIX bis, p. 232 et LIX ter p. 234)
et le troisième sous celui d'Isembard (1082-1103) (Recueil des chartes..., t. I, LXXII,
p. 117).
6. Jules Quicherat, art. cité, pp. 531-535.
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nuation d'Aimoin d'après les éditions, « où l'on voit le récit s'étendre jus
qu'en 1165, comme s'il n'y avait eu qu'un continuateur », mais « d'après
le manuscrit de l'ancienne bibliothèque de Saint-Germain, qui a servi à faire
les éditions. Il est de deux écritures : l'une, d'un caractère antique, s'arrête
à 1015, l'autre indique une reprise de la fin du xne siècle » 7.
La cause paraissait donc entendue : la Vie de Droctovée ne pouvait qu'être
antérieure à l'interpolation d'Aimoin qui introduisit dans les traditions de
l'abbaye l'erreur concernant le premier abbé ; Gislemar devait être identif
ié avec le moine du IXe siècle. Cette datation ne fut plus remise en question
par la suite. Elle est d'importance sur deux points : quand Gislemar parle
de la basilique, on peut considérer qu'il l'a connue avant les invasions nor
mandes, en tout cas telle qu'elle était après avoir été réparée à la suite de ces
invasions, car on admet généralement qu'elle n'a pas subi de transformation
de plan avant le début du XIe siècle ; d'autre part, Quicherat s'est servi de
ce texte pour faire la critique des deux plus anciennes chartes de l'abbaye,
le diplôme de fondation de Childebert et le privilège d'immunité de saint
Germain 8. Selon lui en effet, le diplôme de fondation est un faux fabriqué
de toutes pièces d'après la Vie de Droctovée, alors que le privilège d'immunité
est une des sources de cette même Vie, garantie d'ancienneté qui vient con
firmer les fortes présomptions de sincérité que Quicherat avait déduites d'une
analyse diplomatique des plus remarquables 9.

7. Ibidem. — Ce manuscrit est aujourd'hui le Ms latin 12711 de la Bibl. nat., ancien


436 du fonds de Saint-Germain, que Quicherat cite par erreur sous le numéro 438 (actuel
12838-12839, Chronique de Dom Jacques du Breul). — Le manuscrit latin 12711, Chro
nique continuée ou Chronique interpolée d'Aimoin, est un manuscrit exécuté à l'a
bbaye de Saint-Germain des Prés, dont la tête est constituée par la Chronique univers
elled'Aimoin de Fleury. Il a été étudié successivement par Siméon Luce et par M. Jean-
François Lemarignier. De nombreuses notations relatives à l'abbaye furent introduites
par le copiste dans le texte d'Aimoin. Ces « variantes » ont été rejetées en notes dans
l'édition d'Aimoin publiée dans les Historiens des Gaules et de la France, t. III, pp. 19-
143. Je n'ai étudié que les « variantes » de cette première partie du manuscrit, dans la
mesure où elles avaient le même objet que la Vie de Droctovée, les origines de l'abbaye.
8. Jules Quicherat, art. cité ; Cartulaire général de Paris, t. I, pp. 3-7 ; Recueil
des chartes de l'abbaye de Saint-Germain des Prés, éd. René Poupardin, t. I, nos 1 et 2.
9. Bruno Krusch, dans son édition de la Vie de Droctovée (ouvr. cité) suit toutes
les conclusions de Quicherat, à cela près qu'il considère le privilège d'immunité comme
un faux. Par la suite, Krusch reprit la question dans son édition de la Vie de saint Ger
main par Venance Fortunat (M. G. H., Script, rer. merov., t. VII, pp. 340-341), et accepta
l'authenticité de cet acte d'après l'argumentation développée par Wilhelm Meyer,
Der Gelegenheitsdichter Venantius Fortunatus, dans les Abhandlungen der kôniglichen
Gesellschaft der Wissenschaften zu Gôttingen, Philologisch-historiche Klasse, Neue Folge,
Band IV, n. 5, Berlin, 1901.
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L'identification de Gislemar établie par Quicherat ne repose en fait


que sur la datation de récriture du manuscrit de la continuation d'Aimoin.
Moins de vingt ans après la parution de l'article de Quicherat, Siméon Luce
publiait sur ce manuscrit une étude qui prenait le contrepied de la chronol
ogieproposée par Quicherat 10, mais nul ne semble s'être avisé que les con
clusions de Siméon Luce remettaient en cause l'identification de Gislemar.
Luce rejette la date de 1015. La première partie du manuscrit (fol. 165 v°)
se termine à l'année 1030. Il note qu'on trouve en marge un certain nombre
de mentions relatives aux abbés de Saint-Germain des Prés du xie siècle,
de la même main que la première partie de la chronique. La plus récente de
ces mentions se rapporte à l'abbé Isembard, élu en 1082 et mort en 1103 :
il en déduisit que c'était à la fin du XIe ou au début du xne siècle qu'il fallait
situer la rédaction de la Chronique continuée.
M. Jean-François Lemarignier a précisé la nature de ces mentions mar
ginales n. Primitivement le texte du folio 165 v° qui s'arrête à la vingt-
deuxième ligne de la première colonne devait se poursuivre jusqu'au premier
tiers de la seconde colonne : le parchemin a été lavé, mais l'on discerne encore
des initiales de couleur verte, semblables à celles qu'utilisaient le scribe de
cette première partie, et que l'on ne retrouve plus après le folio 165. M. Lemar
ignier a montré que les mentions marginales sont des rubriques renvoyant
aux textes qui ont été lavés. Ceci explique l'apparente incohérence chronolo
gique : Isembard, qui est le plus récent, apparaît au tiers supérieur de la marge :
c'est qu'il renvoyait à un texte qui se trouvait à ce niveau, dans la colonne
de droite.
Voici donc ruiné l'argument principal de Quicherat : si la chronique
continuée d'Aimoin est une œuvre de la fin du xie siècle, rien n'empêche
d'identifier Gislemar avec le chancelier du xie siècle. Si l'on se reporte main
tenant au texte même de la Vie de Droctovée, on voit comme il est peu vra
isemblable qu'elle ait été composée au IXe siècle.
Ainsi que le soulignait l'abbé Lebeuf, l'auteur parle des ravages des
Normands comme d'une chose déjà très ancienne, et « il fait entendre qu'il
y avait si longtemps que la vie de ce saint avait péri dans les incendies cau-

10. Siméon Luce, La Continuation d'Aimoin et le manuscrit I2jn de la Biblio


thèque nationale, dans Notices et documents publiés pour la Société de l'histoire de France,
Paris, 1884, pp. 57-70.
11. Jean- François Lemarignier, La Continuation d'Aimoin et le manuscrit latin
12711 de la Bibliothèque nationale, dans Bibl. de l'Ecole des chartes, CXIII, 1955,
pp. 25-36.
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ses par les barbares que personne ne se souvenait plus de ses actions ». On
peut ajouter que, décrivant la splendeur de l'église fondée par Childebert,
il craint de paraître exagérer et se croit obligé de citer aussitôt le poème de
Fortunat De ecclesia Parisiaca : il ne devait donc rien rester de l'église pri
mitive ; c'est dire que l'auteur écrivait après les transformations de l'abbé
Morard. Tout ceci semble donner raison à l'abbé Lebeuf : il est légitime de
dater la Vie du xi° siècle et on peut raisonnablement proposer l'identifica
tion avec le chancelier, dont la fonction constitue un argument supplément
aire, alors que le Gislemar du IXe apparaît sans qualité distinctive, occupant
l'avant-dernier rang dans la liste des moines de l'abbaye de Saint-Germain
des Prés.
On peut aller au delà de cette simple vraisemblance et c'est encore le
manuscrit 12711 qui fournira un argument à l'inverse de celui qu'il avait fourni
à Quicherat. Je dois à M. François Avril, conservateur au Cabinet des manusc
ritsde la Bibliothèque nationale, d'avoir pu identifier le copiste : alors que
j'examinais avec lui le folio 165 v° à la lampe de Wood, il reconnut l'écriture
et me communiqua la liste d'un certain nombre de manuscrits du fonds
de Saint-Germain copiés de la même main 12. Un d'entre eux (latin 12225)
Retractationes sancii Augustini porte une signature, déjà publiée par Leo
pold D elisie :
« Hic Augustinus sua dicta retracta honestus,
« Quœ, Germane, tuus quidam conscripsit alumpnus
« GISLEMARUS in hoc vocitatus nomine libro,
« Quem si quis furto tulerit tradatur Averno ». 13
Le Gislemar copiste de plusieurs traités de patristique et compilateur
de la Chronique continuée d'Aimoin, terminant sa vie sous l'abbatiat d'Isem-
bard, paraît bien être le même personnage que le chancelier connu par ailleurs,
exactement à la même époque. Si l'on veut bien envisager la parenté étroite
et la communauté des sources qui unissent la Vie de Droctovée et les « variantes
san-germaniennes », comme dit M. Lemarignier, on sera bien contraint d'ad-

12. Bibl. nat., manuscrits latins 1938, 12170, 12223, 12225, I2943- — M. Lemarig
niera distingué trois elaborations successives dans le manuscrit latin 12711. Il y a bien
en effet trois parties et le texte a pu être abandonné et repris à d'assez longs intervalles.
Mais au-delà de certaines différences de graphie dues à la plume, à l'encre, au parchemin
ou à l'âge du copiste, il paraît bien que c'est la même main que Ton retrouve dans les
trois parties. M. Vezin et M. Avril, à qui j'ai soumis la question, sont convaincus de
l'identité du copiste.
13. Leopold Delisle, Le Cabinet des manuscrits, t. II, p. 41.
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mettre que c'est encore le même Gislemar qui est l'auteur de la Vie de
Droctovée.
Que le premier abbé soit Authaire dans la Chronique et Droctovée dans
la Vie ne constitue pas un obstacle sérieux. En effet la Vie de Droctovée est un
texte plus ancien que la Chronique continuée. Gislemar aura pu, par la suite,
être l'auteur de la confusion dont parle Quicherat et introduire Authaire
en toute bonne foi au premier rang de la liste des abbés.

Cette identification et ce rapprochement de deux textes impliquent une


nouvelle interprétation des sources relatives aux origines de l'abbaye de Saint-
Germain des Prés, qui pourra d'ailleurs confirmer l'identification proposée.
Ainsi sur un point, la localisation de la première sépulture de saint Germain,
j'ai cru pouvoir expliquer 1' « erreur.» de Gislemar, en contradiction avec
tous les auteurs anciens, en replaçant son témoignage à la fin du XIe siècle,
et non au milieu du IXe siècle 14. Si la suite des fouilles entreprises dans la
chapelle Saint-Symphorien de l'église Saint-Germain des Prés vient confirmer
cette hypothèse, ce sera une preuve décisive de l'identification de Gislemar,
et il y aura lieu de publier toutes les conclusions que cette datation nouvelle
comporte, notamment pour la critique des « deux plus anciennes chartes de
Saint-Germain des Prés ».
Jean Dérens.

14. Lecture d'un rapport de Jean Dérens sur les fouilles menées dans la chapelle Saint-
Symphorien de Saint-Germain des Prés, dans Commission du Vieux Paris, Procès ve
rbaux des séances des lundi 3 mai, lundi 7 juin et lundi 5 juillet 1971, Paris, 1972, pp. 6-22.
Voir pp. 16 et 17, n. 34 et 35.

Directeur de la publication : M. Charles SAMARAN, membre de l'Académie


des Inscriptions et Belles-Lettres. Dépôt légal : 4e trimestre 1972 - N° 2799
edit. n° 1414. — Imprimé en France. — impr. f. paillart - Abbeville.

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