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Caravelle

La « musique des Andes » en France : "l'Indianité" ou comment la


récupérer
Gérard Borras

Résumé
La musique dite « des Andes » ou de la « flûte indienne » a connu un important succès en Europe et en France en particulier.
Grâce à une lecture d'ensemble des éléments offerts par la discographie (enregistrements, textes, photos) publiée en France
entre 1960 et 1980 on peut montrer qu'ai s'agissait moins de proposer la véritable musique jouée par les Amérindiens que de
diffuser une musique adaptée, propre à satisfaire le goût de l'exotisme du public local.

Resumen
Le música « de los Andes » o de la "flauta india" ha sido muy difundida en Europa y ea Francia en particular. La lectura
conjunta de los diferentes elementos que propone la discografia (grabaciones, textos, fotos) publicada en Francia entre 1960 y
1980 permite mostrar que se trataba menos de proponer la auténtica música tocada por los Amerindios que de difundir una
música adaptada, hecha para satisfacer el exotismo del público local.

Citer ce document / Cite this document :

Borras Gérard. La « musique des Andes » en France : "l'Indianité" ou comment la récupérer. In: Caravelle, n°58, 1992. L'image
de l'Amérique latine en France depuis cinq cents ans. pp. 141-150;

doi : 10.3406/carav.1992.2491

http://www.persee.fr/doc/carav_1147-6753_1992_num_58_1_2491

Document généré le 16/04/2017


h)

C.M.HX.B. CARAVELLE
n* 58, pp. 141-150, Toulouse, 1992.

la «musique des Andes» en France :

«l'Indianité» ou comment la récupérer

PAR

Gérard BORRAS

Institut Pluridisciplinaire
Université ée d'Etudes
Totàous&Le
sur Mirou.
t'Amérique Latine,

La France, avec le Japon et l'Allemagne sont les pays où îa


musique de la « flûte indienne », la « musique des Andes » a été le plus
diffusée et le mieux vendue. Plus, efle a représenté un véritable
fiait de société puisque dans ces pays se sont ouverts de nombreux
ateliers où jeune» et moins jeunes venaient s'initier à Fart de la
kéna, da charango et de la. zampona.
Meas cette musiqae « mcBenne », jouée par des groupes dont les
maisons de disques et les critiques louent l'authenticité, quels
rapports entretientrelle avec Findianité qu'elle revendique ou qulmplici-
tement eue utilise ? S'agit-il de proposer une image de la réalité
musicale des Amérindiens ou de flatter l'imaginaire d'un public prêt à
rêver ? Grâce aux supports très riches que sont les pochettes de
disqcKs (photos et textes» et, bien sûr, aux musiques enregistrées
en France estre 1956 et Í99Q, on peut dégager les grandes tendances
de cette diffusion massive.
Les premiers morceaux as musique des Andes répertoriés dans la
142 C.M.HJL.B. Caravelle

production discographique française sont ceux du groupe Los Incas.


Dès 1956, ils publient (Intersong-Paris) au milieu de chansons latino-
américaines très prisées à cette époque, des mélodies (Jikiminiki,
Thème de Huayno, Viva Jujuy...) jouées à la guitare et à la kéna.
Devant le succès rencontré Los Incas poursuivront dans cette voie,
et on assistera progressivement à l'émergence de nouveaux groupes :
Achalay, Los Chacos, Los Calchakis, etc. composés soit de musiciens
latinoaméricains (argentins, uruguayens ou chiliens surtout), issus
de secteurs extérieurs au monde indigène, soit de musiciens français
dont les modèles musicaux ne sont pas ceux joués par les
Amérindiens dans les Andes, mais ceux proposés par la production
discographique française. Le marché est d'ailleurs énorme : Los Calcha-
kis — millionnaires du disque — enregistreront vingt-un 33 tours,
Los Chacos trois 33 tours en moins d'un an !
Parmi les nombreux succès du groupe Los Incas, certains ont
une particularité commune : ils proviennent des enregistrements de
la Ethnie Folkways Library publiés en 1950 (F 4415 B) et en 1958
(FE 4456). On peut évaluer dès lors, en comparant les originaux et
les adaptations, la nature des arrangements choisis par Los Incas.
La plupart de ces mélodies — souvent fort belles — sont jouées, dans
les enregistrements de la Folkways, par des ensembles « métis » {La
Estudiantina Teodoro Valcarcel de Puno, Agrupación Típica Ayacu-
chana, par exemple) qui jouent une musique populaire où les
techniques musicales et les instruments sont différents de ceux qu'utilisent
les Amérindiens. Dans plusieurs morceaux, ce ne sont pas les kénas
qui dominent, mais plutôt les violons, les mandolines, les guitares et
les accordéons diatoniques. Le groupe Los Incas dans son travail
d'adaptation ne va pas modifier les lignes mélodiques, mais
substituer ces instruments qui sans doute manquent un peu d'exotisme
(si on parle de folklore, l'accordéon fait plutôt penser à la bourrée
auvergnate qu'au vol du condor...) et utiliser massivement la kéna,
le charango, instruments qui ont une identité nettement plus
indienne. Si on prend l'exemple de Recuerdos de Catahuayo, il sera joué
avec une kéna, un charango et une guitare, mais sans les
mandolines, les violons et l'accordéon de l'enregistrement d'origine. On
façonne une image sonore propre à satisfaire un marché spécifique,
quitte à aller à Fencontre de ce qui se passe dans la réalité. A cette
époque, au Pérou, les disques de musique «folklorique» les plus
vendus sont ceux qui proposent de la musique Wanka de Junin, jouée
à grand renfort de clarinettes, saxophones et violons. Jamais les
sonorités de ces instruments ne parviendront à nos oreilles. Ils
desservent l'image que l'on veut construire.
Mais si les groupes remplacent les instruments qui manquent de
LA « MUSIQUE DES ANDES » EN FRANCE 143

« couleur locale » par d'autres plus « indiens » ces musiciens ne


cherchent pas pour autant à reproduire la façon de jouer des
Amérindiens car les techniques musicales traditionnelles servent, chez eux,
une conception esthétique qui est très différente de celle qui structure
les musiques académiques ou populaires occidentales. Ce n'est pas
un hasard si un des spécialistes (créole) du folklore bolivien dit à
propos de la musique autochtone : « cansa el oído de los que se ven
en la angustiosa necesidad de escucharla » (}). Esthétique occidentale
et amérindienne ne font pas bon ménage dans le domaine musical. On
assiste alors, dans le contexte européen, à une adaptation, à une
occidentalisation des instruments et des musiques qui permettent à
un large public — très demandeur — de consommer des musiques
« qui font rêver ».
Chez les Aymarás par exemple, on ne mélange pas aerophones et
instruments à cordes ni instruments de familles différentes, une kéna
ne joue jamais avec une flûte de Pan. Ils préfèrent certains écarts
harmoniques, — octave, quinte, quarte — (tierce, sixte chez les
Quechuas). Les groupes jouant en Europe vont procéder aux mélanges
d'instruments les plus libres et vont préférer des écarts harmoniques
de tierces qui ne choquent pas notre oreille : ils appartiennent aussi
à notre tradition musicale.
Les sonorités, les timbres d'instruments que les autochtones
recherchent, sont de nature à décourager une oreille occidentale. Dans leur
ensemble, bien que les aerophones aient des étendues très larges,
ils privilégient les registres aigus ou ceux qui produisent des
harmoniques, c'est-à-dire des sonorités suraiguës, que la plupart du temps
nous jugeons agressives. Ce sont précisément les registres graves
— qui ne sont jamais utilisés par les Amérindiens — et les médiums
que les groupes de « musique des Andes » vont eux privilégier. La
tarka, par exemple, n'a de valeur, pour les indiens de l'Altiplano,
que dans la mesure où elle émet ce son rauque, puissant, gueulard
qu'ils appellent tara. Il s'agit d'un instrument dont la musique vive,
puissante, épique est jouée lors des carnavals. Des musiciens comme
Los Calchakis ou Guillermo de la Roca, n'hésiteront pas malgré tout
à enregistrer des yaravíes joués à la tarka dans un registre grave
avec un son douceureux à l'opposé de ce que recherche l'esthétique
indigène. Les musiciens justifient ainsi leur choix : « la merveilleuse
sonorité de la tarka met en valeur ce yaraví péruvien » (Los Calchakis
ARN 30 T 091).

6» édition,
(1) Paredes
1981,Rigoberto,
p. 41. El arte folklórico de Bolivia, La Paz, Ed. Popular,
144 CMMX3, Caravelle

Pour faire bonne mesure, le Professeur Lorenzo Carballo qui


présente plusieurs disques de Los Calchakb ajoute : « sa facture {de
la tarka] très primitive ne permet pas d'en jouer avec une totale
justesse, en revanche sa sonorité est particulièrement intéressante »
(ARN 3O-D-057) ou dans un autre disque : « La rusticité de sa facture
explique te manque de justesse de certains passages mais la beauté
de sa sonorité justifie son utilisation • (Barclay 920-031). C'est
précisément un son qui n'existe pas dans l'esthétique andine qui est
considéré comme Tunique vertu de l'instrument (2).
Les kénas ptats longues que celle qui s'est répandue récemment
dans- les groupe» de néo-folklore, sont bien utilisées dans les Andes
notamment par les groupes aymarás (kéna-kéna choquelas, pusip-
pias...) mais jamais pour jouer- — comme c'est le cas dans de
nombreux disques — des sons graves et mélancoliques soulignés par des
vibratos romantiques que les Amérindiens ignorent totalement. La
flûte de Pan, instrument symbole, sera elle aussi l'objet d'altérations
profondes. Nous n'entendrons pas ces sonorités cuivrées qu'émettent
les tubes de roseau lorsqu'un souffle puissant les fait vibrer, ni les
nies hannsnies des tropas, ces groupes de joueurs de flûtes
de Ban, de l'Altiplano. Nous ne sentirons pas non plus la fantastique
sensation de puissance qui se dégage de ces groupes et qui bossent
let partácijiairt àt la fête dons- un état di'ébriété sonore, hors du temps.
Dans; tes disques que certains groupes français vont dédier à la flûte
de Pan, ornas écouterons des souffles anémiés et les inévitables
vibrato» ceases souligner le lyrisme du morceau (¿Los Chacos Vol. 3 La
flûte de Pan de sAndes BARC. 929 295). Il en va de même poor le
célèbre meceño qui selon la tropa à laquelle il appartient peut
atteindre plus de deux mètres de long! Les fantastiques sonorités graves
qu'il peut produire mais que les Amérindiens n'utilisent jamais feront
les délices de certains groupes (Los Incas « Rio Abierto » CBS ESC
341, Uña Ramos LDX 74 585).
On dépouille donc tous ces instruments de leurs sonorités «
rustiques », on les rend audibles pour une oreille occidentale. Ils ne
gardent plus de leur « indianité » que le côté exotique. A travers le

(2)' Oh trouve même dans un autre disque une musique du Paraguay jouée
à la tarka... alors que cet instrument y est inconnu : « Reservista Purajhei ce
thème paraguayen sur un rythme de guarania comporte à l'origine des paroles
qui ont été remplacées par le son grave de la tarka» (ARN 30 T 091), un bel
exemple d'authenticité... Pourtant quelques lignes auparavant ce même
professeur a pourfendu les groupes qui osent enregistrer les airs vénézuéliens à
la kéna sous prétexte que cet instrument n'existe pas dans ce pays : «Ce ne
sont que des adaptations dm motifs écrits pour ta harpe et n'ont aucun rapport
avec la tradition.»
LA « MUSIQUE DES ANDES » EN FRANCE 145

choix de l'instrument (on élimine tout ce qui n'est pas « typique »)


et des techniques d'exécution — écarts harmoniques, sonorités
graves, vibratos, sikus ventés — on crée une image sonore qui conserve
son exotisme tout en restant conforme à notre propre tradition
musicale ; elle conforte notre vision romantique de l'indianité...
mélancolie, tristesse, grands espaces, mais aussi nostalgie, pureté, ingénuité.
C'est ce que reconnaît Hector Miranda, fondateur et directeur du
groupe Los Calchakis : « Nous nous efforçons dans notre
interprétation de respecter au maximum le caractère profond de cette musique,
sa spontanéité, son ingénuité » (ARN 34510). La musique « indienne »
est-elle spontanée et ingénue? Rien n'est moins sûr. Il s'agit là
d'une perception paternaliste de la réalité amérindienne qui ne repose
sur aucune analyse sérieuse. Mais dans ce processus d'adaptation,
cette musique perd toute sa personnalité, sa saveur, son génie ; elle
n'est plus qu'un produit qui est issu de ce que le critique Carlos
Raygada appelle la « falsification folklorique », c'est-à-dire une
mystification du métissage entre Amérindiens et Européens. De cet espace
géographique immense, culturellement varié, où il existe de
multiples expressions musicales, on ne va garder qu'une appellation facile,
créée pour la circonstance : « musique des Andes » qui ne
correspond à aucune réalité musicale traditionnelle ou populaire, métisse
ou indigène.
Dans ce contexte musical, les pochettes de disques ont un rôle
important : elles ont pour but d'ancrer dans l'imaginaire européen
une réalité musicale qui n'existe pas. Elles disposent pour y parvenir
de deux types de messages, un iconographique (photographies,
dessins), l'autre textuel.
On peut ranger dans une même rubrique les photographies qui
représentent un ou plusieurs musiciens du groupe qui jouent d'un
instrument et qui sont généralement parés des signes de l'indianité :
chullos, ponchos, couvre-chefs divers (de préférence de Cuzco, cela
fait inca, mais nous reviendrons sur ce point). L'arrière plan est
neutre ou au contraire très évocateur... Lac Titicaca, Machu Pichu...
Il y a dans plusieurs de ces clichés des contradictions cocasses :
tel musicien est coiffé d'un chapeau cuzqueño et joue d'un rondador
typiquement équatorien, (Los Calchakis ARN 30 D 057) d'autres jouent
apparemment simultanément de la tarka, de la kéna, du siku et du
pinkillo, (ARN 30 T 091) situation absolument impossible dans la
réalité. Il ne s'agit pas, bien sûr, de présenter une image du « réel »
de « l'authentique » mais plutôt d'offrir une image pittoresque,
romantique et de présenter des situations qui font vendre.
Il y a aussi la volonté de détourner une nuage de l'indianité à son
profit. Vêtus de ponchos et parés de chullos et chapeaux, ces musi-
146 CM.HLJB. Caravelle

ciens deviennent pour l'immense majorité des gens qui achètent leurs
disques les vrais représentants de la musique indienne alors que le
véritable indien lui, n'est plus qu'une référence exotique. Comment
ne pas évoquer ici la phrase de María Teresa Linares à propos du
Jazz: « Mientras morían de hambre los negros creadores del jazz,
las orquestas blancas que lo ejecutaban se enriquecían » (3).
D'autres photographies peuvent être rangées dans une autre
rubrique : les pochettes présentent des photographies des fêtes
amérindiennes les plus traditionnelles au cours desquelles les personnages
utilisent les instruments comme les mócenos, les kéna-kéna... Cette
fois, la photographie est issue du réel, mais il va sans dire qu'il y
a duperie et récupération. La musique contenue dans le disque n'a
rien à voir avec ce qui est présenté sur la pochette. On cherche ici
à ancrer la musique présentée dans une réalité à laquelle elle
n'appartient pas. Quoiqu'en disent les titres d'albums (« flûtes indiennes »)
si la fête ou les personnages photographiés sont bien indiens, la
musique, elle, ne l'est pas. Ce procédé a été largement exploité par
la maison Philips et par les disques Vogue notamment dans l'édition
de certains albums de Los Incas.
Les textes qui accompagnent les disques viennent donner une
cohérence à la démarche. On peut dégager deux tendances principales.
La première consiste à ancrer cette production musicale dans une
tradition culturelle et historique. La référence permanente est
« incalque ». Cela n'est pas nouveau. Il y a là beaucoup de
similitudes avec ce qui s'est passé au Pérou du début du siècle jusqu'aux
années quarante environ, où la musique produite et consommée par
les classes extérieures au monde indigène était placée sous le signe
de « l'indianité incaïque ». Les compositeurs utilisaient des motifs
dits inkaicos qu'ils introduisaient dans des structures musicales en
vogue. Le produit final n'avait qu'une parenté lointaine avec la
musique amérindienne ; il s'agissait de satisfaire les goûts exotiques du
public de la capitale. Des opéras incaïques, tahuantinsuyanas de Valle
Riestra et de Alomía Robles, au fox incaico, swing incaico, en
passant par les thèmes du Cuarteto Inkaico de Cámara, tout est inca.
Pour être acceptable et acceptée, « l'indianité » doit être parée des
insignes de l'Empire (4).

Latina
(3) Linares,
en su Música,
M.T., La
México,
materia
Sigloprima
XII - en
Unesco
la creación
México, musical,
1977, p. 83.
in América
(4) Pour une analyse détaillée de ce phénomène consulter l'ouvrage de
Llorens Amico, José. — La música popular en Lima : criollos y andinos », Uma.
I.E.P., 1983, pp. 111416.
LA « MUSIQUE DES ANDES » EN FRANCE 147

Ainsi en Europe, les musiciens vont s'appeler Los Incas, Perú Inca,
Inca Huasi, Waskar Amaru... Les albums, Les flûtes de l'empire Inca
(ARN 34 300), La musique Inca (Pachacamac EMI Pathé), L'empire
des Andes (Polydor 2393041). Les photographies viennent consolider
cette orientation. Les clichés du Machu Pichu, symbole de « l'incaï-
que », et de personnages habillés à la cuzqueña sont nombreux. Les
commentaires sont eux aussi révélateurs : El Condor Posa (de Daniel
Alomia Robles) devient : « selon certains auteurs (...) l'ancien hymne
au soleil des Incas » (Barclay 820 127), Vírgenes del Sol composition
de Jorge Bravo de Rueda : une musique (qui) caractérise les danses
péruviennes issues de la tradition Inca (Barclay 920 165) ou : une
mélodie indienne dédiée aux « vierges du soleil* qui habitaient 1a
vieille cité de Machu Pichu (Barclay 820005), les vidalas argentines,
des chants indiens fortement imprégnés du mysticisme religieux
inca ! (Barclay 920 165). L'indianité accommodée à la sauce inca fait
vendre parce qu'elle agit sur les ressorts puissants de la rêverie et
de l'exotisme. En outre, elle permet enfin de placer cette musique
fiction dans une réalité historique. Elle devient un symbole que
manipulent les groupes et les maisons de disques à des fins lucratives.
L'autre fonction des textes est didactique; il s'agit d'expliquer
ce que sont les instruments, les rythmes... On confie parfois cette
tâche à des personnes qui sont censées avoir une compétence
particulière en la matière. On cherche à donner un caractère sérieux,
scientifique aux propos comme pour leur donner plus de poids et les
rendre plus vrais. On fait appel à un « Profesor » qui cite
régulièrement les époux d'Harcourt qui ont signé le célèbre ouvrage La
musique des Incas et ses survivances. Mais les erreurs sont parfois
grossières et révèlent ue connaissance très superficielle et parfois
inexacte des réalités musicales qu'ils sont chargés d'expliquer. Par
exemple, « le moceño est un instrument fait d'un grand roseau
sur lequel est adapté une kéna traversière dans laquelle on
souffle »! ! ! (5) (Uña Ramos LDX-74 585) ; « Le siku est une espèce de
syrinx typiquement indo-américain: les roseaux exceptionnels de la
région du lac Titicaca permettent sa fabrication et contribuent à sa
magnifique sonorité» (Barclay 920 021). Malheureusement pour le
Profesor qui rédige cette note, les syrinx de l'AltipIano n'ont jamais
été construites avec la totora du Titicaca mais avec différents types
de roseaux provenant de la montaña, contreforts andins du versant
amazonien.

(5) La «flûte traversière» n'est en réalité qu'un prolongement du canal


d'insufflation permettant au musicien de souffler tout en bouchant les trous
de ces très longues flûtes.
148 CJ4JIJJB. Caravelle

Evoquer les erreurs qui souvent prêtent à sourire, n'aurait pas


grand intérêt si cela ne permettait de mettre en évidence la distance
qui sépare le texte de la réalité. Ici, mettant à profit l'ignorance de
la majorité du public et l'autorité que leur confère l'édition, les
maisons de disques imposent leur vérité qui n'est pas nécessairement
la réalité. En ce sens, la démarche fait penser à celle de certains
romanciers indigénistes dont Martin Lienhart disait : « Se trataba
por parte de los autores indigenistas tradicionales de reemplazar la
palabra inexistente de los indios Quechuas-Aymarás por la voz
autorizada del autor, la cual se justifica a travez del conocimiento que él
pretende tener del mundo indígena que él describe »(6). Dans les
deux cas l'expression des vrais protagonistes est exclue. Elle est
prise en charge par des tiers qui en fonction de multiples intérêts
lui font subir des altérations de nature à la transformer en un
produit consommable par les secteurs auxquels ils appartiennent, mais
à condition que ce glissement ne soit pas clairement perceptible.
Il ne faut pas s'étonner dès lors que le concept le plus récurant dans
les textes de ces disques soit celui d'authenticité :

• Chants et danses vont se succéder, obsédants, envoûtants,


toujours authentiques-.* (Barclay 820 005)
• Hector Miranda nous donne avec sa virtuosité et son
authenticité habituelles»... (ARN 30 D 057).
« Les ensembles sont authentiques*. » (Festival Musidisc AL 106).

On consolide là par le texte, une mystification qui s'est opérée à


plusieurs niveaux. Les déclarations de critiques ou journalistes que
les disques reproduisent montrent que dans certains cas l'entreprise
a réussi :
« Les Calchakis constituent sans doute le groupe le plus authentique
de musique indo-américaine », Paul Carrière « Le Figaro ».
« Les Calchakis ont fait découvrir et connaître à toute l'Europe ta
véritable musique indo-américaine », J.C. Zana, « Paris-Match » (ARN
34 390). On pourrait multiplier les citations.
A partir des années quatre-vingts, on assiste à un désintérêt
progressif pour ce style de musique. En fait de nouvelles formes de
consommation se mettent en place. Les énormes succès
commerciaux des groupes argentins ou chiliens, drainent vers l'Europe de
nombreux musiciens péruviens et boliviens qui se détournent

septembre
to) Lienhart,
1982 à la Martin,
Bibliothèque
Conférence
Municipale
sur J.M.
de Lima.
Arguedas enregistrée le 8
LA « MUSIQUE I»S ANDES » EN FRANCE 149

vent des salles de spectacles (les contrats sont plus rares) pour aller
jouer dans la rue où ils proposent directement leurs enregistrements.
Ils gardent ainsi le contact avec une frange de la population qui est
charmée par cette musique mais qui ne fréquente guère les concerts.
D'autre part, les secteurs restés fidèles à l'aire andine mais qui se
sont détournés des musiques les plus frelatées ont progressivement
accès à des formes musicales de nature à les satisfaire. Des groupes
comme Bolivia Manta enregistrent et proposent sur le marché du
disque des musiques plus proches de celles que jouent les groupes
métis et amérindiens. Apparaissent aussi pour les plus exigeants, les
enregistrements réalisés in situ (cf. ceux de Xavier Bellanger) qui
proposent eux, les différentes musiques traditionnelles ou populaires
jouées par ceux qui les ont créées.
Mais dernièrement, l'avènement du disque compact tire de l'oubli
certaines mélodies des années soixante-soixante-dix. Apparaissent sur
le marché des compilations et des rééditions. Les maisons de disques
et les groupes ont de nouvelles perspectives de profit. Le condor n'a
pas fini de passer. Mais le Vieux Continent connaît toujours aussi
mal les expressions musicales — traditionnelles ou populaires —
des Amérindiens.

BIBLIOGRAPHIE

Llorens Amico, José. — La música popular en Lima : Criollos y Andinos,


Lima, I.E.P. 1983.
Paredes, Rigoberto. — El arte folklórico de Bolivia, La Paz, éd. Popular,
1981, 6* édition.
Linares, Maria-Teresa. — La materia prima en la creación musical, in
América latina en su música, México, Siglo XXI, Unesco, México,
1977.

DISCOGRAPHIE

Arion : Los Calchakis, ARN 30 T 091 - ARN 30 D 057 - ARN 34510 - ARN
34 300 • ARN 34 390.
Barclay : Los Calchakis, BAR 920 031 - BAR 820 127.
Los Chacos, BAR 820 295.
Los Koyas, BAR 920 165.
Toute l'Amérique Latine, BAR 820 005.
150 CM.HJLB. Caravelle

CBS : Los Incas, Rio Abierto ESC 343.


ETHNIC FOLKWAYS LIBRARY : F 4415 B - 1950.
FE 4456 - 1958.
LE CHANT DU MONDE : Uña Ramos LDX 74-585.

Résumé. — La musique dite « des Andes » ou de la « flûte indienne » a connu


un important succès en Europe et en France en particulier. Grâce à une
lecture d'ensemble des éléments offerts par la discographie (enregistrements,
textes, photos) publiée en France entre 1960 et 1980 on peut montrer qu'ai
s'agissait moins de proposer la véritable musique jouée par les Amérindiens
que de diffuser une musique adaptée, propre à satisfaire le goût de l'exotisme
du public local.

Rbsumen. — Le música « de los Andes » o de la « flauta india * ha sido muy


difundida en Europa y ea Francia en particular. La lectura conjunta de los
diferentes elementos que propone la discografia (grabaciones, textos, fotos)
publicada en Francia entre 1960 y 1980 permite mostrar que se trataba menos
de proponer la auténtica música tocada por los Amerindios que de difundir
una música adaptada, hecha para satisfacer el exotismo del público local.

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