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Résumé
La musique dite « des Andes » ou de la « flûte indienne » a connu un important succès en Europe et en France en particulier.
Grâce à une lecture d'ensemble des éléments offerts par la discographie (enregistrements, textes, photos) publiée en France
entre 1960 et 1980 on peut montrer qu'ai s'agissait moins de proposer la véritable musique jouée par les Amérindiens que de
diffuser une musique adaptée, propre à satisfaire le goût de l'exotisme du public local.
Resumen
Le música « de los Andes » o de la "flauta india" ha sido muy difundida en Europa y ea Francia en particular. La lectura
conjunta de los diferentes elementos que propone la discografia (grabaciones, textos, fotos) publicada en Francia entre 1960 y
1980 permite mostrar que se trataba menos de proponer la auténtica música tocada por los Amerindios que de difundir una
música adaptada, hecha para satisfacer el exotismo del público local.
Borras Gérard. La « musique des Andes » en France : "l'Indianité" ou comment la récupérer. In: Caravelle, n°58, 1992. L'image
de l'Amérique latine en France depuis cinq cents ans. pp. 141-150;
doi : 10.3406/carav.1992.2491
http://www.persee.fr/doc/carav_1147-6753_1992_num_58_1_2491
C.M.HX.B. CARAVELLE
n* 58, pp. 141-150, Toulouse, 1992.
PAR
Gérard BORRAS
Institut Pluridisciplinaire
Université ée d'Etudes
Totàous&Le
sur Mirou.
t'Amérique Latine,
6» édition,
(1) Paredes
1981,Rigoberto,
p. 41. El arte folklórico de Bolivia, La Paz, Ed. Popular,
144 CMMX3, Caravelle
(2)' Oh trouve même dans un autre disque une musique du Paraguay jouée
à la tarka... alors que cet instrument y est inconnu : « Reservista Purajhei ce
thème paraguayen sur un rythme de guarania comporte à l'origine des paroles
qui ont été remplacées par le son grave de la tarka» (ARN 30 T 091), un bel
exemple d'authenticité... Pourtant quelques lignes auparavant ce même
professeur a pourfendu les groupes qui osent enregistrer les airs vénézuéliens à
la kéna sous prétexte que cet instrument n'existe pas dans ce pays : «Ce ne
sont que des adaptations dm motifs écrits pour ta harpe et n'ont aucun rapport
avec la tradition.»
LA « MUSIQUE DES ANDES » EN FRANCE 145
ciens deviennent pour l'immense majorité des gens qui achètent leurs
disques les vrais représentants de la musique indienne alors que le
véritable indien lui, n'est plus qu'une référence exotique. Comment
ne pas évoquer ici la phrase de María Teresa Linares à propos du
Jazz: « Mientras morían de hambre los negros creadores del jazz,
las orquestas blancas que lo ejecutaban se enriquecían » (3).
D'autres photographies peuvent être rangées dans une autre
rubrique : les pochettes présentent des photographies des fêtes
amérindiennes les plus traditionnelles au cours desquelles les personnages
utilisent les instruments comme les mócenos, les kéna-kéna... Cette
fois, la photographie est issue du réel, mais il va sans dire qu'il y
a duperie et récupération. La musique contenue dans le disque n'a
rien à voir avec ce qui est présenté sur la pochette. On cherche ici
à ancrer la musique présentée dans une réalité à laquelle elle
n'appartient pas. Quoiqu'en disent les titres d'albums (« flûtes indiennes »)
si la fête ou les personnages photographiés sont bien indiens, la
musique, elle, ne l'est pas. Ce procédé a été largement exploité par
la maison Philips et par les disques Vogue notamment dans l'édition
de certains albums de Los Incas.
Les textes qui accompagnent les disques viennent donner une
cohérence à la démarche. On peut dégager deux tendances principales.
La première consiste à ancrer cette production musicale dans une
tradition culturelle et historique. La référence permanente est
« incalque ». Cela n'est pas nouveau. Il y a là beaucoup de
similitudes avec ce qui s'est passé au Pérou du début du siècle jusqu'aux
années quarante environ, où la musique produite et consommée par
les classes extérieures au monde indigène était placée sous le signe
de « l'indianité incaïque ». Les compositeurs utilisaient des motifs
dits inkaicos qu'ils introduisaient dans des structures musicales en
vogue. Le produit final n'avait qu'une parenté lointaine avec la
musique amérindienne ; il s'agissait de satisfaire les goûts exotiques du
public de la capitale. Des opéras incaïques, tahuantinsuyanas de Valle
Riestra et de Alomía Robles, au fox incaico, swing incaico, en
passant par les thèmes du Cuarteto Inkaico de Cámara, tout est inca.
Pour être acceptable et acceptée, « l'indianité » doit être parée des
insignes de l'Empire (4).
Latina
(3) Linares,
en su Música,
M.T., La
México,
materia
Sigloprima
XII - en
Unesco
la creación
México, musical,
1977, p. 83.
in América
(4) Pour une analyse détaillée de ce phénomène consulter l'ouvrage de
Llorens Amico, José. — La música popular en Lima : criollos y andinos », Uma.
I.E.P., 1983, pp. 111416.
LA « MUSIQUE DES ANDES » EN FRANCE 147
Ainsi en Europe, les musiciens vont s'appeler Los Incas, Perú Inca,
Inca Huasi, Waskar Amaru... Les albums, Les flûtes de l'empire Inca
(ARN 34 300), La musique Inca (Pachacamac EMI Pathé), L'empire
des Andes (Polydor 2393041). Les photographies viennent consolider
cette orientation. Les clichés du Machu Pichu, symbole de « l'incaï-
que », et de personnages habillés à la cuzqueña sont nombreux. Les
commentaires sont eux aussi révélateurs : El Condor Posa (de Daniel
Alomia Robles) devient : « selon certains auteurs (...) l'ancien hymne
au soleil des Incas » (Barclay 820 127), Vírgenes del Sol composition
de Jorge Bravo de Rueda : une musique (qui) caractérise les danses
péruviennes issues de la tradition Inca (Barclay 920 165) ou : une
mélodie indienne dédiée aux « vierges du soleil* qui habitaient 1a
vieille cité de Machu Pichu (Barclay 820005), les vidalas argentines,
des chants indiens fortement imprégnés du mysticisme religieux
inca ! (Barclay 920 165). L'indianité accommodée à la sauce inca fait
vendre parce qu'elle agit sur les ressorts puissants de la rêverie et
de l'exotisme. En outre, elle permet enfin de placer cette musique
fiction dans une réalité historique. Elle devient un symbole que
manipulent les groupes et les maisons de disques à des fins lucratives.
L'autre fonction des textes est didactique; il s'agit d'expliquer
ce que sont les instruments, les rythmes... On confie parfois cette
tâche à des personnes qui sont censées avoir une compétence
particulière en la matière. On cherche à donner un caractère sérieux,
scientifique aux propos comme pour leur donner plus de poids et les
rendre plus vrais. On fait appel à un « Profesor » qui cite
régulièrement les époux d'Harcourt qui ont signé le célèbre ouvrage La
musique des Incas et ses survivances. Mais les erreurs sont parfois
grossières et révèlent ue connaissance très superficielle et parfois
inexacte des réalités musicales qu'ils sont chargés d'expliquer. Par
exemple, « le moceño est un instrument fait d'un grand roseau
sur lequel est adapté une kéna traversière dans laquelle on
souffle »! ! ! (5) (Uña Ramos LDX-74 585) ; « Le siku est une espèce de
syrinx typiquement indo-américain: les roseaux exceptionnels de la
région du lac Titicaca permettent sa fabrication et contribuent à sa
magnifique sonorité» (Barclay 920 021). Malheureusement pour le
Profesor qui rédige cette note, les syrinx de l'AltipIano n'ont jamais
été construites avec la totora du Titicaca mais avec différents types
de roseaux provenant de la montaña, contreforts andins du versant
amazonien.
septembre
to) Lienhart,
1982 à la Martin,
Bibliothèque
Conférence
Municipale
sur J.M.
de Lima.
Arguedas enregistrée le 8
LA « MUSIQUE I»S ANDES » EN FRANCE 149
vent des salles de spectacles (les contrats sont plus rares) pour aller
jouer dans la rue où ils proposent directement leurs enregistrements.
Ils gardent ainsi le contact avec une frange de la population qui est
charmée par cette musique mais qui ne fréquente guère les concerts.
D'autre part, les secteurs restés fidèles à l'aire andine mais qui se
sont détournés des musiques les plus frelatées ont progressivement
accès à des formes musicales de nature à les satisfaire. Des groupes
comme Bolivia Manta enregistrent et proposent sur le marché du
disque des musiques plus proches de celles que jouent les groupes
métis et amérindiens. Apparaissent aussi pour les plus exigeants, les
enregistrements réalisés in situ (cf. ceux de Xavier Bellanger) qui
proposent eux, les différentes musiques traditionnelles ou populaires
jouées par ceux qui les ont créées.
Mais dernièrement, l'avènement du disque compact tire de l'oubli
certaines mélodies des années soixante-soixante-dix. Apparaissent sur
le marché des compilations et des rééditions. Les maisons de disques
et les groupes ont de nouvelles perspectives de profit. Le condor n'a
pas fini de passer. Mais le Vieux Continent connaît toujours aussi
mal les expressions musicales — traditionnelles ou populaires —
des Amérindiens.
BIBLIOGRAPHIE
DISCOGRAPHIE
Arion : Los Calchakis, ARN 30 T 091 - ARN 30 D 057 - ARN 34510 - ARN
34 300 • ARN 34 390.
Barclay : Los Calchakis, BAR 920 031 - BAR 820 127.
Los Chacos, BAR 820 295.
Los Koyas, BAR 920 165.
Toute l'Amérique Latine, BAR 820 005.
150 CM.HJLB. Caravelle