Sie sind auf Seite 1von 4

Facebook, ou lʼère de la servitude numérique volontaire | AOC media - Analyse Opinion Critique 27/04/2018 06*55

mercredi
25 . 04 . 18
[Opinion]

Facebook, ou l’ère de la
servitude numérique
volontaire
Par Bertrand Naivin

C’est connu, tout possesseur d’un ordinateur doté d’un OS (Operating


System) Microsoft a souvent – pour ne pas dire régulièrement – été
confronté à un bug informatique. C’est ce qui a longtemps di!érencié
d’ailleurs Windows et Apple. Au point d’être mis en scène dans un des
spots publicitaires de la série « Get a Mac » que la marque co-fondée
par le charismatique et quasi messianique Steve Jobs réalisa et di!usa
entre 2006 et 2010. Incarnés par deux comédiens, le « PC », raide dans
son costume n’arrive pas à finir sa phrase de présentation, et doit pour
se débloquer redémarrer encore et encore alors que le « Mac », en jean,
t-shirt et veste street wear représente la détente et l’aisance d’un
système qui ne « plante » jamais. La firme à la fenêtre multicolore pâtit
donc depuis longtemps de cette image d’un système qu’il faut
régulièrement rebooter alors que celle à la pomme s’enorgueillit d’une
stabilité à toute épreuve.

Mais cette stabilité a un prix. Et pas uniquement financier. Car si


l’adepte de Microsoft sou!re de manière chronique de ces
disfonctionnements, l’architecture Windows lui o!rit longtemps la
possibilité de compléter, enrichir, triturer, bidouiller, changer,
personnaliser, voire booster son système ou les composants qui
équipent sa carte mère. Avant que Windows change de structure et ne
se rapproche de l’ergonomie des Mac, hardware et software étaient en
e!et connus pour être sous Windows sujets à de multiples
interventions et modifications de la part de l’utilisateur averti. Je me
rappelle ainsi avoir passé de longues heures à modifier le design du
« bureau » et des « icônes », changer une carte son, remplacer un
ventilateur ou rajouter de la Ram, lorsque d’autres ont toujours vu dans
leur ordinateur un ensemble évolutif, ouvert à mille reconfigurations
possibles. Autant d’opérations auxquelles n’invite pas un Mac qui se
présente comme un ensemble autonome déjà prêt à l’utilisation avec
cette culture du plug and play initiée par l’iMac G3 en 1998. Le geek qui
bidouille son pc est alors à ce titre l’équivalent, à l’ère digitale qui est la
nôtre, du bricoleur de mobylette ou de 2cv de notre enfance.
Aujourd’hui, les moteurs de nos voitures sont au contraire d’opaques
blocs de plastique dont seul l’ordinateur du technicien agréé est
capable de sonder les mystères.

https://aoc.media/opinion/2018/04/25/facebook-lere-de-servitude-numerique-volontaire/ Page 1 sur 4


Facebook, ou lʼère de la servitude numérique volontaire | AOC media - Analyse Opinion Critique 27/04/2018 06*55

Une opacité que l’on retrouve donc chez la firme de Cupertino. Au


contraire de Windows et plus encore de Linux – ce système gratuit, dit
en Open source – qui invitent leurs utilisateurs à le personnaliser et à le
faire eux-mêmes évoluer, les OS successifs produits par Apple se sont
donc, et de plus en plus caractérisés par une ergonomie intuitive,
certes, mais également par le peu de marge qu’ils laissent à leur
possesseur en terme de personnalisation d’un système qui ne lui
permet pas, ou peu de modifier ou de faire évoluer l’apparence de son
système comme la structure physique et computationnelle de son
ordinateur. Dès lors, en cas de problème, nous semblons ne pouvoir
compter que sur un correctif produit par la firme à la pomme elle-
même. Fini alors le temps du bricolage et de la personnalisation. Pour
apprécier Apple, nous devons nous plier à son ergonomie et à ses lois
physiques et éditoriales.

Signe des temps, Microsoft a tout récemment annoncé à ses équipes


que la branche chargée du développement de Windows allait bientôt
être abandonnée au profit d’une division consacrée au Cloud et à
l’Intelligence Artificielle et d’une autre travaillant sur les terminaux et
l’expérience utilisateur (Le Monde, supplément Économie, 31 mars
2018). La fenêtre du célèbre système informatique qui régna pendant
de longues années sur le parc informatique s’ouvre alors désormais sur
l’immatériel. Et Microsoft, désireux de rebondir sur des pratiques
numériques en pleine mutation avec le remplacement progressif des
ordinateurs par les tablettes et les smartphones et une mobilité de plus
en plus accrue des usages, a alors choisi de sauter par la fenêtre pour
regagner l’immatérialité des nuages. Adieu monde physique des unités
centrales que l’on démonte et remonte et des OS que l’on reboote avec
plus ou moins de ménagement. Bienvenue l’évanescence spectrale du
web qui n’est nulle part mais partout à la fois, et qui vient s’emparer de
notre système pour nous rappeler qu’une mise à jour doit être installée
ou que notre espace de stockage est presque saturé et qu’il su"t pour
remédier à ce problème d’augmenter le montant de notre abonnement
pour pouvoir grossir l’espace que nous habitons dans l’infinité
d’Internet.

À la fin du mois de mars dernier, Facebook a été confronté à un


nouveau scandale. La firme Cambridge Analytica, en s’emparant de
données privées d’internautes au profit de l’équipe de campagne de
Donald Trump pendant les dernières élections présidentielles
américaines a en e!et porté un lourd discrédit au célèbre réseau social,
accusé de ne pas être en mesure de garder confidentielles nos datas et
d’avoir une nouvelle fois participé à l’élection de l’actuel président
américain. Dès son annonce, Facebook sou!rit alors une perte
significative de comptes avec le mouvement #deleteFacebook et sa côte
boursière une chute sérieuse.

Confronté à ce qui apparaît comme une crise sans précédent pour


l’image du célèbre réseau social, l’éternellement jeune et sémillant
Mark Zuckerberg, tout en prenant très au sérieux l’indignation de ses
utilisateurs, a tout de suite assuré les médias de son intention de
mettre en place des correctifs visant à renforcer à l’avenir la
confidentialité des données mises en ligne et la fiabilité des
informations postées. Lui qui avait déclaré également le 12 janvier qu’il
comptait repenser le fil d’actualités qui donnera désormais la priorité
aux messages privés provenant d’amis ou de la famille et limitant ceux
édités par des entreprises ou des organes de presse. Plus récemment, il
a a"rmé son souhait de conformer Facebook au nouveau Règlement
Général sur la Protection des Données (RGPD) censé cadrer le

https://aoc.media/opinion/2018/04/25/facebook-lere-de-servitude-numerique-volontaire/ Page 2 sur 4


Facebook, ou lʼère de la servitude numérique volontaire | AOC media - Analyse Opinion Critique 27/04/2018 06*55

traitement et la circulation des données personnelles au niveau


européen. Cette attitude est ainsi révélatrice d’une ère digitale dans
laquelle le manipulateur que nous étions n’est plus qu’un utilisateur
auquel les interfaces et applications grâce auxquelles il « tech-siste »
lui délivrent les solutions à ses problèmes, les réponses à ses questions,
des assurances à ses doutes.

Alors que la politique paraît toujours plus impuissante à humaniser un


présent disruptif et à réguler une économie mondialisée, alors que rien
ne semble en mesure de renverser le réchau!ement de la planète et
l’appauvrissement des ressources naturelles, Mark Zuckerberg veut
incarner la maîtrise et la résolution assurée du bug. Lui qui tout
récemment, après avoir troqué son t-shirt bleu très « Mac » pour un
costume davantage « Pc » a renouvelé devant le Sénat américain sa
volonté de changer le réseau social pour le rendre encore plus fiable et
éthique. Une figure providentielle alors que notre présent ne cesse de
donner des signes de disfonctionnements politiques, écologiques,
sociaux et humains, mais qui nous prive encore un peu plus de notre
désir et de notre capacité à régler nous-mêmes nos bugs, qu’ils soient
informatiques ou éthiques. C’est ainsi qu’il semble se révéler plus que
jamais illusoire de ne pouvoir compter que sur la responsabilité des
internautes, et qu’il est préférable de gérer à leur place ces monstres
2.0 qui se repaissent de nous-mêmes et de notre soif toujours plus
accrue de nous montrer à l’autre, mus par un besoin viscéral d’exister
dans et par le digital.

Toutefois, notre humanité peut-elle vraiment survivre à cet état


d’assistanat numérique ? Au contraire, il nous revient de redevenir
responsables de nos usages digitaux. Mais en avons-nous encore
vraiment envie ? Dans une récente di!usion de son émission
hebdomadaire Répliques, le philosophe Alain Finkielkraut, pour
qualifier le manque d’égards des touristes vis à vis des sites prestigieux
sur lesquels ils se rendent en tenues légères et décontractées,
remarqua que dans notre société, « l’aisance s’est substituée à
l’élégance ». Déplacée dans nos usages des réseaux sociaux et du web,
cette formule résume alors bien notre éthos 2.0. L’aisance que nous
o!rent ces algorithmes qui finissent par penser à notre place et nous
permettent de nous « libérer » du libre arbitre se substitue en e!et à
l’élégance qui consisterait en une maîtrise consciente de nos données
et en une conduite digitale responsable et éthique. Une servitude
volontaire devenue numérique, près de 500 ans après le Discours écrit
par La Boétie. Après nous être débarrassés d’un Surmoi encombrant
pour mieux succomber à notre fascination pour l’abjecte, jouir des
misères de l’autre, et nous adorer sur l’écran de nos smartphones, il est
ainsi temps de redevenir acteur de notre vie numérique, face à des
monstres 2.0 qui, à l’instar de Facebook, paraissent échapper
aujourd’hui au contrôle de leur créateur.

Bertrand Naivin

https://aoc.media/opinion/2018/04/25/facebook-lere-de-servitude-numerique-volontaire/ Page 3 sur 4


Facebook, ou lʼère de la servitude numérique volontaire | AOC media - Analyse Opinion Critique 27/04/2018 06*55

THÉORICIEN DE L’ART ET DES MÉDIAS,


CHERCHEUR ASSOCIÉ AU LABORATOIRE ART
DES IMAGES ET ART CONTEMPORAIN (AIAC)
ET ENSEIGNE À L’UNIVERSITÉ PARIS-8

https://aoc.media/opinion/2018/04/25/facebook-lere-de-servitude-numerique-volontaire/ Page 4 sur 4

Das könnte Ihnen auch gefallen