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tentement d’Almanzor. Devancant le gros de l’armée,
qui revenait d’une’ expédition contre les Léonais, il
était allé montrer 4 Cordoue plusieurs tétes coupées;
mais ces trophées ne lui appartenaient pas, il les
avait volés, Dans sa colére, Almanzor jura de le
punir. Peu de temps aprés, en mars 978, il le fit
arréter ainsi que tous les membres de sa famille, et
a peine Hichim était-il arrivé dans la prison d’Etat 4
Zahra, qu’il fut mis 4 mort sans forme de procés '.
IL
UN FAQUI TOLERANT.
«Du temps d’Almanzor ibn-abi-Amir, une étrange
aventure arriva a Cordoue. Un homme, nommé Ca-
sim ibn-Mohammed Sonbosi?, fut accusé d’impiété ,
et Almanzor le fit emprisonner de méme que plusieurs
hommes de lettres qui appartenaient aux hautes clas-
ses de Cordoue et qui étaient suspects de libertinage
et d’athéisme. Ils restérent longtemps sous les ver-
rous ; chaque vendredi, quand le service était terminé ,
on les placait devant la porte de la grande mosquée ,
et alors un héraut criait: «Que tous ceux qui peuvent
\
1) Voir Ibn-Adhart, t. II, p. 285; Maccart, t. IZ, p. 62.
2) Dans le Zobb-al-lobéb on trouve le nom relatif Sinbist; mais
> ror,
Yo man. 354a donne , gamnimnel}, et lo man. 354 ( cansinll
_ :
Dans le man. 70 on trouve cgemsdonalle
Vol. 11. 17258
témoigner contre ces hommes , le fassent!» Des té-
moins se présentérent, et le cadi put dresser contre
Casim un acte revétu de plusieurs signatures et ot
cet homme était accusé de matérialisme et d’incrédu-
lité. Cet acte ayant été porté au palais, les faquis
furent convoqués, et quand on leur eut demandé leur
opinion , ils déclarérent que Casim méritait le dernier
supplice. Ce fetfa rendu, on fit venir Casim, qui
arriva accompagné de ses deux jeunes fils et de son
péere. Ils étaient en habits de deuil; le vieillard, qui
ne pouvait pas marcher, se faisait porter en litiére
par deux hommes, et tous pleuraient devant la porte
du palais. Puis on envoya chercher le bourreau , qui
s’appelait Ibn-al-Djondi, et on lui donna plusieurs
épées; mais tandis qu’il les essayait et que les en-
fants et leur grand-pére tenaient leurs regards attachés
sur lui, on vit arriver le faqui Abou-Omar ' ibn-al-
Macw4, le Sévillan. Il venait contre son gré, et il
avait refusé longtemps de faire partie de l’assemblée.
Sommé de déclarer son opinion: «Un arrét de mort,
dit-il, ne doit étre rendu que sur des preuves tout
4 fait convaincantes, et il faut absolument qu’il ne
1) An lieu d’Abou-Omar, les trois manuscrits dont je me sers
portent Abou-Amr, mais c'est une faute. Abou-Omar Ahmed ibn-
Abdalmelic ibn-Hachim, le Sévillan, connu sous le nom d’Ibn-al-
Macw8 (_g9%sJ}), écrivit, sur ordre d’Almanzor, un livre sur
Tes décisions de Mflic. Woyez Homaidt, man. d’Oxford, fol. 56 y.,
57r., et Maccart, t. IL, p. 117,259
reste aucun doute sur le crime de celui que l’on con-
damne. Supposez qu’au lieu d’avoir affaire a Ibn-as-
Sonbosi, vous ayez affaire 4 une poule, de quel droit
la tueriez-vous? — Mais, répliqua le cadi Ibn-as-
Sari !, j’ai ici la liste des témoins et je Pai examinée
attentivement. — Montrez-la-moi,» dit alors le faqui.
Puis, quand il en eut pris connaissance: « Dites-moi,
continua-t-il, sur quels témoignages vous croyez de-
voir condamner Vaccusé 4 la mort. — Sur celui-ci,
sur celui-la, et encore sur ces autres,» répliqua le
cadi, qui en indiqua cing. «Vous condamnez done
Vaccusé au dernier supplice parce qu’il y a contre lui
cing témoignages? — Qui, sans doute. — Mais s’il
n’y en avait que deux, que feriez-vous? — Je V’ab-
soudrais; mais comme il y a plusieurs témoignages,
Yun sert d’appui 4 V’autre, et d’ailleurs je sais que la
plupart des témoins sont des personnes honorables. »
S’adressant alors a l’assemblée: «Croyez-vous donc,
dit Ibn-al-Macwa , que lorsqu’il y a un certain nom-
bre de piliers, il faut répandre le sang des musul-
mans? Je ne le crois pas, moi; je ne suis pas d’avis
que laccusé doive mourir.» Peu a peu, les faquis
se rangérent 4 son opinion, et six mois aprés ils dé-
clarérent Ibn-as-Sonbosi innocent, encore qu’aupara-
vant ils Peussent condamné. Les autres accusés fu-
1) Ce nom est douteux. Jai suivi le man. 70; mais le man.
2354.4 porte (ipl) ysl, of le man, 3545 tt ch
az260
rent aussi mis en liberté, et le glaive rentra dans le
fourreau.
«Quand les faquis eurent informé Almanzor de la
décision qu’ils avaient prise, ce ministre leur dit:
«Puisque vous avez cru devoir absoudre Ibn-as-Son-
bosi, vous avez enlerré le cadi. Nous devons soute-
nir la religion, et il ne nous est pas permis de laisser
vivre un homme qui aime a répandre le sang !.» Le
cadi fut donc jeté en prison; mais quelques jours
aprés, on lui rendit la liberté, Dans la suite, le
faqui Ibn-Dhacwin lui disait souvent: «Quand on
vous demande comment vous savez qu’il y a un Dieu,
vous pouvez répondre, comme un autre le faisait quand
on lui adressait cette question: Je le sais, parce qu’il
a réduit mes projets au néant.»
«L’expression de piliers, dont le faqui se servait
en parlant 4 l’assemblée, signifie les témoins. Quand
ils ne sont que deux, leurs rapports ne prouvent rien
centre un accusé; mais a en croire le faqui, méme
le témoignage de plusieurs personnes, qui sont d’ac-
cord entre elles, ne serait d’aucune valeur. »
1) Pai suivi ici lo man. 70, qui porte: pale (ait wal SLS
Lrget OS (coll AT Ccamnianll Cgat eghtT ptyane
(lsee Jer) deel SSI Wy pal! Giner Gage). Dans
Je man. 3545, Ja phrase: «Nous devons soutenirs etc. est attribude
aux faquis, et dans le man. 3544, au cadi. Au reste, je dois avouer
que Vexpression .) gli8s i,cae, qui so trouve dans tous les man.,
me semble un peu étrange.