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LA JEUNESSE, LA LÉGION ET MIRBEAU

Concluant son introduction à la présentation de quelques lettres échangées entre


Mirbeau et La Jeunesse, il y a quelques années, Pierre Michel concluait que selon toute
vraisemblance, le lien s’est poursuivi entre les deux écrivains, au-delà de 1907. onfirmation
nous en était donnée, l’an dernier, en acquérant une lettre de La Jeunesse à Mirbeau du 24
avril 1910, que nous présentions dans les Cahiers Mirbeau. Les découvertes se poursuivent,
puisque, il y a peu nous avons pris connaissance de trois nouvelles missives de La Jeunesse à
Mirbeau. Deux sont datées de 1910, l’une d’entre elle faisant suite immédiate à celle du 24
avril où La Jeunesse expliquait de manière tortueuse la nécessité où il se trouvait d’obtenir la
Légion d’Honneur ; la troisième est fort tardive, datée du 11 juillet 1913. Voilà complétée peu
à peu la connaissance des relations qui unirent Mirbeau et celui qui passa faussement, aux
yeux de Sacha Guitry, pour son secrétaire.
Comment Mirbeau a-t-il pu, ne serait-ce que souffrir les démarches d’un tel
solliciteur ? La sensibilité rétive qu’on lui connaît pouvait-elle s’accommoder du caractère
répétitif de telles entreprises de pilonnage, sur un terrain que Mirbeau abhorrait entre tous,
celui des distinctions officielles ? Il ne s’agit pas ici de peser le poids et la valeur des
arguments de ce dernier en matière de récompenses de l’État – on sait que d’autres, qui ne
furent pas de mauvais bougres, ni précisément des caudataires des gens en place, comme
Gustave Geffroy, non seulement agréaient ces distinctions, mais se faisaient fort d’en faire
décerner aux artistes qu’ils fréquentaient : Geffroy interviendra pour Carrière en 1889, pour
Huysmans, fait officier en janvier 1907, pour André Antoine, Rodin (parrain de Geffroy à la
Légion d’Honneur en 1895), Georges Crès, peut-être pour Jules Renard. Non, il s’agit plutôt
de formuler une hypothèse, afin d’éclairer le sens de cette réceptivité inédite de l’anarchiste
Mirbeau face aux requêtes d’un fâcheux, fût-il doté d’une belle plume.
La bienveillante attitude de Mirbeau à l’endroit de La Jeunesse s’explique ainsi par ce
qui, aux yeux d’un tiers, justifierait qu’on s’éloigne de lui. Le déferlement d’orgueil, la
boursouflure, bref, l’excès qui transpirent de la parole de La Jeunesse sont tels qu’ils en
composent une logique solide et cohérente, bien à part, et en marge de la modération la plus
élémentaire, voire de toute raison. Un peu à la manière d’un Léon Bloy – quoique sur un autre
registre, mais La Jeunesse ne déplore-t-il pas de « faire figure de mendiant », dans l’une des
lettres de 1910 ? – la ressource de l’égocentrisme poussé à l’excès donne chair à une sorte de
personnage aveuglé par son Moi, ivre de soi, et si bien possédé par sa mégalomanie qu’il en
constitue la convaincante représentation d’un individu façonné jusqu’à l’absurde par son rejet
de la société – quand bien même il aspire à se voir gratifié par ses honneurs les moins
contestés. Car le paradoxe est que la Légion arrive à point nommé pour récompenser les
mérites d’un antisocial : « [M]oi je suis un solitaire, on me mangera vivant. J’ai besoin de ça.
Ne m’écrivez pas : agissez ». Et plus loin, dans un autre courrier : « Mais je m’amuse
aigrement de faire figure de mendiant ! Ce n’est pas mon genre ». Pour le dire vite, Mirbeau
se laisse peut-être séduire par l’enflure d’un personnage qui, à force de vide, prend sa réelle
valeur dans l’espace inédit d’une sorte de délire artistique et libertaire. La Jeunesse, moderne
Matamore, selon Mirbeau, « entouré […] de gens qui ne vous aiment pas, qui vous détestent
et qui tâchent à faire avorter en vous les merveilleux dons que vous avez », s’est constitué une
raison et une manière d’être de bouc émissaire – raisons affectives pour susciter la défense de
Mirbeau – et une façon d’incommunicabilité particulière à son caractère antisocial – raisons
intellectuelles sur quoi se fonde l’élan d’adhésion de Mirbeau.

Mirbeau empereur
La Légion d’Honneur couronnant les vertus d’un solitaire, d’un révolté, voici un
argumentaire qui, certes, ne dut pas déplaire à Mirbeau ! À cette logique des contraires n’est
pas étrangère la réceptivité de La Jeunesse à une figure historique, Napoléon, en qui se
concilient deux aspects a priori incompatibles, comme le résume Pierre Michel :
« Anarchisme et bonapartisme apparaissent, une nouvelle fois, comme les deux faces d'une
même aspiration à s'extirper de la boue et à se dépasser, d'un même dégoût face à un monde
décidément trop mesquin et invivable pour les âmes nobles. » L’Imitation de notre maître
Napoléon, hommage consacré par La Jeunesse à l’empereur et paru chez Fasquelle en
décembre 1896, dont Mirbeau rendra compte élogieusement dans Le Journal du 31 janvier
1897, donne la mesure de cette fascination exercée sur La Jeunesse. Fidèle à son genre
d’admiration, la reconnaissance de ce dernier à l’endroit de l’anarchiste Mirbeau s’exerce déjà
en termes de respect militaire face à une figure césarienne à la fois crainte et révérée.
« Cohorte », « commandement d’armées », « escadron triomphal » sont les termes décalés
d’une syntaxe de stratège en terrain ennemi, selon une dérisoire mise en scène du culte du
chef, en la personne du maître Mirbeau. Trois ans auparavant, le ravissement où l’attitude de
Mirbeau jetait La Jeunesse se déclinait en signes de dévotion face à une figure sacrée : «
Maintenant je laisse faire aux Dieux et aux Saints – dont vous êtes ! », qui aurait néanmoins
fait l’objet d’un processus de sécularisation, puisque transformée en une transcendance
désacralisée, aux yeux de La Jeunesse, qui voit « la Providence laïque que vous étiez ».

Posture du légionnaire

Reste que la nécessité où se trouve prétendument La Jeunesse de se voir gratifié de la


Légion d’Honneur, une fois passé l’amusement suscité par l’excès de son expression, ne laisse
pas d’intriguer le lecteur. Mirbeau en sut-il davantage ? Mettre dans les plateaux de la
balance, d’un côté, l’incontournable gagne-pain dont la cruelle rareté a bien failli lui être
fatale, de l’autre, la reconnaissance officielle de l’État, éclaire certes sur un curieux trait de
personnalité mégalomaniaque de La Jeunesse, poussé jusqu’à l’idiosyncrasie, mais doit
pouvoir trouver son sens en fonction d’une conjoncture que nous ignorons : « J’ai pensé
mourir de faim souvent et je n’ai jamais rien demandé à personne. Aujourd’hui, je vous
demande indiscrètement, sereinement, d’obtenir ce ruban pour moi du ministre, du Président,
que sais-je ? J’en ai besoin. » La lettre de 1913 évoque à demi-mots la suspicion d’alcoolisme
qui pèse sur La Jeunesse, et toujours, l’opprobre collectif qui s’abat sur lui : « Et on me
reprochera tout, ensuite. Or, en dehors des légendes et des calomnies, j’ai la vie la plus digne
et la plus douloureuse – et je l’ai toujours eue. »
Les conditions de cette attribution de la Légion d’Honneur conçue par La Jeunesse
nous laissent pantois. La distinction convoitée doit être décernée sans que La Jeunesse
postule, sans qu’il endosse le rôle ingrat du candidat qui joue gros jeu en s’exposant à un
possible refus ! « Je n’ai jamais été candidat – et ne le serai jamais » (lettre du 7 mai 1910) ;
la lettre de 1913 précise elle aussi que sa démarche sera faite « sans passer par la voie
hiérarchique », et qu’il enjoint à son protecteur de défendre sa cause « sans hiérarchie, sans
formule – et sans retard ». Entre cette dernière sollicitation, et les précédentes, trois ans ont
passé – « depuis, vous m’avez un peu plaqué », reproche-t-il à Mirbeau.
La Jeunesse est sans conteste une double figure, celle du martyr que le monde des
Lettres sacrifie sur l’autel de l’incapacité à se plier aux règles fixées par ce tout petit monde ;
et celle de l’individu à l’échine souple, qui brigue ardemment les formes de reconnaissance
d’une société avec laquelle il fait mine de ne plus avoir part. Placé sous le signe de la
contradiction, La Jeunesse, d’évidence déterminé par son patronyme, nous apparaît
pleinement comme à la fois l’enfant gâté et l’un des enfants terribles de la Belle Époque.
Samuel LAIR
* * *

Trois lettres inédites d’Ernest La Jeunesse à Octave Mirbeau

[7 mai 1910]
Merci de grand cœur, mon bien cher Maître et ami. Mais il ne s’agit pas de me
recommander au ministre : il s’agit de me proposer… et de triompher. Je n’ai que vous et je
ne me suis adressé qu’à vous. C’est à vous seul que j’ai envoyé mon curriculum vitae et
quand je parle de désir, c’est bien « désir » que je veux dire. Je n’ai jamais été candidat – et ne
le serai jamais. Je puis demander à un maître pour lequel j’ai un culte unique, à un maître de
m’obtenir une distinction (ou tout au moins je le crois), mais je ne demanderai jamais rien
officiellement. C’est Lintilhac1 qui m’a collé les palmes de force et c’est Gaston Leroux 2 qui
m’a eu la rosette violette en trois heures pour me faire une farce. La croix c’est autre chose. Et
il y a les directeurs de journaux.
En ce qui touche la Grande Chancellerie, vous savez, mieux que moi, qu’elle est la
dernière à connaître de ces choses et qu’elle ne pourrait me décorer directement que si j’avais
perdu un pied à Inkermann et deux ou trois bras à la Bérésina. Je vous ai seulement dit que le
général Florentin3 avait de la sympathie pour moi et il me semblait amusant et touchant qu’il
eût demandé un dossier dont il n’existait pas – et pour cause – une ligne. Je ne veux pas vous
ennuyer plus longtemps : voici la quatrième lettre, depuis quinze jours, dont je vous harcèle.
Je ne me suis jamais tant occupé de moi ! Je veux seulement que vous sachiez que c’est à
vous, et à vous seul, que je m’adresse, en mon admiration tyrannique et ma foi sûre, que vous
aurez tout l’honneur de cet… honneur et que ce sera un désir de vous qui inspirera – peut-être
– aux pouvoirs publics un de ces gestes spontanés qui retardent la séparation de la littérature
et de l’État. Et si, dans tout vos dévoûments, dans toute votre activité, je vous demande un
effort, j’ai tant de joie à imaginer que vous vous occupez de moi, qu’il ne faut pas trop m’en
vouloir.
Sachez-moi de cœur
Votre Ernest La Jeunesse
Samedi soir, 7 mai 1910
Catalogue Testart, juin 2015.

II
[Fin mai ou mi-juin 19104]
Mon bien cher maître et ami

1 Eugène Lintilhac (1854-1920), journaliste, professeur de rhétorique, historien du théâtre, fut un grand
promoteur du mouvement du Félibrige.
2 Auteur de romans policiers empreints de fantastique (Le Mystère de la chambre jaune, 1908), Gaston Leroux
(1868-1927) avait une formation d’avocat, ce qui lui permit de plaider notamment durant la période des attentats
anarchistes.
3 Georges-Auguste Florentin (1836-1922), général de division français, fut gouverneur militaire de Paris en
1900. Il est l’inventeur d’un type de canon, le canon Florentin. Lors de l’affaire des fiches, son intégrité permit
de mettre à jour l’identité des coupables. Grand chancelier de la Légion d’Honneur, il a à ce titre la charge de
tout ce qui touche aux décorations en France.
4 Cette lettre vient vraisemblablement après celle en date du 7 mai 1910, puisque La Jeunesse y manifeste une
forme de contentement face à l’avancée de son dossier.
Vous avez dû être terriblement chaleureux avec Doumergue5, l’autre jour, car je reçois
du Ministère un papier à remplir – et je le remplis. Il y est question d’un tas de services que je
laisse vides car je n’ai pu être tué à la guerre ou sauver des cholériques. Maintenant je laisse
faire aux Dieux et aux Saints – dont vous êtes !
J’ai souri un peu, il y a huit jours, aux Français 6, en voyant la Providence laïque que
vous étiez, guettée par Courteline7, dévorée par Veber, grignotée par Wolff8 ! Et moi aussi !
Hélas ! Je me console en ayant un motif, si j’ose dire, de vous admirer davantage et de vous
aimer mieux, si possible. Il y a des gens qui feraient tout pour moi, après vous, et sous votre
égide. Lavedan, Masson, Donnay, Barrès, Lamy 9, Doumic10, que sais-je ? Si vous les
rencontrez au coin d’un bois sacré… Mais je m’amuse aigrement de faire figure de mendiant !
Ce n’est pas mon genre. Je veux seulement vous remercier, de tout mon cœur et de toute mon
âme, et vous dire que, maintenant, M. Doumergue ne m’ignore plus tout à fait. Grâces vous
soient donc rendues et sachez-moi, simplement, votre
Ernest La Jeunesse
Excusez mon écriture : je ne suis pas bien du tout et, mercredi, je me suis évanoui –
discrètement – en plein concours de comédie.
E. L. J.
Catalogue Testart, juin 2015.

III

[11 juillet 1913]


Mon bien cher Maître et ami,
Je vous félicite de tout mon cœur, de votre élévation 11 – si vous pouviez être élevé à
une dignité – vous qui êtes toute dignité – qui, sous Napoléon, donnait le commandement
d’une cohorte – et vous commandez des armées. C’est à raison de ça et sans passer par la voie
hiérarchique que je m’adresse à V. E. Il y a trois ans vous avez bien voulu vous occuper de

5 Gaston Doumergue (1863-1937) fut président de la République française de 1924 à 1931. Président du Conseil
pour la première fois en 1913, il est Ministre des Beaux-Arts, du 4 janvier 1908 au 3 novembre 1910, soit
vraisemblablement à la date où La Jeunesse écrit cette lettre à Mirbeau, qui a pu en effet rencontrer le successeur
d’Aristide Briand.
6 Peut-être à l’occasion de la première de La Fleur merveilleuse, pièce en quatre actes et en vers de Miguel
Zamacoïs (1866-1955), le 23 mai 1910, ou alors à l’occasion de la commémoration Pierre Corneille, le 6 juin,
d’où les deux dates proposées.
7 Rappelons que Courteline, qui a reçu la croix en 1899, parrainera La Jeunesse qui sera promu chevalier de la
Légion d’Honneur, le 30 juillet 1914, soit la veille de la déclaration de guerre.
8 Faut-il entendre par là que Courteline – qui sera fait officier de la Légion d’Honneur en 1921, et deux autres
dramaturges, Pierre Weber (1869-1942) et Pierre Wolff (1865-1944) sont intervenus auprès de Mirbeau pour que
ce dernier soutienne leur candidature ? C’est probable, d’après la présentation qu’en fait La Jeunesse.
9 Écrivain, journaliste, homme politique, Étienne Lamy (1845-1919) fut élu à l’Académie Française en 1905,
par vingt et une voix, contre douze à Maurice Barrès.
10 René Doumic (1860-1937), élu en 1909, clôture ici une belle série d’académiciens globalement
contemporains : Henri Lavedan (1859-1940) fut élu en 1898, Frédéric Masson (1847-1923) en 1903, Maurice
Donnay (1859-1945) en 1907, Barrès (1862-1923) en 1906, René Doumic (1860-1937) en 1909. On comprend
qu’en alignant cette ligne d’Immortels, le vœu de La Jeunesse soit qu’un peu de leur grandeur retombe sur lui…
11 Le terme revêt ici la valeur d’une énigme : de quelle forme d’élévation s’agit-il ? Pierre Michel écarte de
toute évidence l’hypothèse d’une décoration accordée à Mirbeau, et les archives de la Légion d’Honneur ne
signalent qu’un seul Mirbeau, né en 1892 et prénommé Pierre Charles Léon
(http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/leonore_fr?
ACTION=CHERCHER&FIELD_1=NOM&VALUE_1=MIRBEAU). On peut en revanche imaginer que les critiques
favorables à Dingo, paru en mai 1913, après une prépublication dans Le Journal, constituent la base de la
métaphore employée ici par La Jeunesse.
moi. Depuis, vous m’avez un peu plaqué – excusez-moi de vous parler ainsi, j’en suis navré
moi-même, et vous m’avez contenté de formules de politesse ministérielle. Eh bien ! Mon
cher Maître, voici le drame. Après l’escadron triomphal qui vous a suivi dans l’honneur, un
bruit s’est répandu que des gens avaient été arrêtés à la porte de l’hôtel de la Chancellerie.
J’en étais. C’est impossible, puisque je n’avais pas été proposé, puisque je ne fais pas partie
de la Société des gens de lettres, puisque je n’avais été au courant de rien. Mais le bruit court.
On me reproche d’aller au café et je n’y vais que pour travailler, dans le mouvement, dans le
bruit, pour mettre de la vie dans mes papiers qui, chez moi, seraient de la mort parmi les
morts. Et on me reprochera tout ensuite. Or, en dehors des légendes et des calomnies, j’ai la
vie la plus digne et la plus douloureuse – et je l’ai toujours eue. Je crois que vous le savez. J’ai
pensé mourir de faim souvent et je n’ai jamais rien demandé à personne. Aujourd’hui, je vous
demande indiscrètement, sereinement, d’obtenir ce ruban pour moi du ministre, du Président,
que sais-je ? J’en ai besoin. On jase déjà. On a fait passer celui-là et celui-ci : moi je suis un
solitaire, on me mangera vivant. J’ai besoin de ça. Ne m’écrivez pas : agissez. Oui, je sais,
j’en use sans protocole et sans distances, excusez-moi. Je suis en train de faire de très belles
choses et je n’ai pas le temps de fignoler des gentillesses. J’ai un tas de gens qui viennent me
parler de « l’injustice » comme ils viendraient me consoler d’une condamnation à mort. Et
c’est un peu ça. Vous êtes le premier à qui j’ai parlé, il y a trois ans d’un désir qui me semblait
ne pas connaître le délai. Depuis … Jadis Hugo demandait la croix à Louis-Philippe puis je ne
sais qui comme un général pour un soldat. Vous, vous le pouvez aujourd’hui. Vous avez assez
témoigné votre bienveillance et votre attention pour un brave homme qui a vingt ans de
journalisme, dix volumes, trois ans de critique au Journal, trois ans au Comoedia illustré, qui
pourrait être décoré en ces temps de patriotisme, pour des articles et des collections militaires,
qui croit avoir du style et de l’honneur pour que vous marchiez à fond pour lui, sans
hiérarchie, sans formule – et sans retard.
Je compte sur vous. Ne m’écrivez pas à moi, et sachez que si je vous écris ce mot,
dans l’angoisse, c’est pour l’admiration, l’estime et la foi que je fonde sur votre caractère et
sur votre âme.
Sachez-moi de cœur
Votre Ernest La Jeunesse
Vendredi 11 juillet 1913
Vente Ebay, juin 2015.

* * *

[Au moment où s'approche le bouclage de ce n° 23 des Cahiers


Octave Mirbeau, voilà que deux nouvelles lettres d'Ernest La Jeunesse à
Mirbeau viennent d'être mises en vente, le 16 décembre 2015. Bien
antérieures aux trois précédentes correspondances, elles permettent
néanmoins de compléter la connaissance des relations entre les deux
hommes. Aussi nous a-t-il semblé utile d'en reproduire le texte. Bien
qu’elles ne soient pas datées, leur lecture autorise néanmoins sans
hésitation à les situer dans le courant du deuxième semestre de 1897. La
première fait référence au séjour de Mirbeau dans les Pyrénées, la
seconde à la création des Mauvais bergers à la Renaissance.
S. L.]

IV

[Août ou septembre 1897]


Mon cher ami,
Encore que je goûte en vos articles l’âpre senteur des sources de
Luchon12 et des montagnes empressées à borner de leur brun votre
aimable horizon (ah ! ce sont des vers libres), je suis cependant seul, sans
mers et sans montagnes où m’ennuyer, parmi des visages qu’hélas je
connais trop et que pendant la gestation dont je fuis la victoire presque
expiatoire j’appris à mépriser, à ignorer aussi. Il paraît aujourd’hui que le
docteur Pelet13 est mort : une partie de canot, mais ce nécrologue qui
s’appelait la Marquise de Sévigné étant morte – pour sa gloire – nous
n’aurons pas le récit anecdotique et, après tout, Pelet est peut-être
encore vivant14 – et nous n’avons qu’à remiser notre éloquence. Mes
articles ne passent toujours pas. Il fait chaud, j’ai été malade, je vais
partir, je ne pars pas, je ne fais rien et j’ai déjeuné hier samedi avec
Lorrain, bateaux-mouches, Rachilde et Mlle Read à la clé. Je ne trouve
plus de livres pour me donner une illusion, j’ai jeté bas ma bibliothèque
aujourd’hui. Ça m’a fait découvrir un tas de bouquins que je ne savais pas
posséder et que j’ignorais absolument. D’autres m’échappèrent, et ça le
fait deux mètres cubes de volumes dans ma chambre que je dois creuser,
détruire, réédifier, et qui me forcent à terminer cette lettre et à vous
envoyer, avant courriers de notre invitation, mes sentiments les plus rares
et les plus ardents, ainsi qu’à Mme Mirbeau.
Votre Ernest La Jeunesse
Dimanche
Je vais peut-être aller chez Allais, enfin !
Vente Alde du 16 décembre 2015.

Le Journal Paris, le
189
Quotidien littéraire, politique, artistique
Directeur Fernand Xau
100, rue de Richelieu, 100
Paris
[Novembre ou début décembre 1897]
Mon bien cher maître et ami,
Il paraît que vous êtes venu au Journal. Je suis venu derrière vous et
j’ai regretté amèrement de ne vous voir pas. J’aurais aimé vous féliciter et
me réjouis devant vous du prochain triomphe de votre pièce à la

12 Sur le conseil de son médecin, le professeur Albert Robin, Mirbeau a passé quatre semaines à Luchon, dans
le cadre d’une cure thermale censée le guérir d’une opiniâtre pharyngite. Il y écrira cinq chroniques intitulées
« En traitement », qui paraissent dans Le Journal du 8 août au 5 septembre 1897, et qui seront insérées dans son
récit-patchwork, Les 21 jours d’un neurasthénique.
13 David Pelet, docteur en droit et ami d’Alphonse Allais, fut administrateur du Théâtre du Chat noir. Il signait
ses chroniques de l’initiale de son prénom, suivi de son nom (D. Pelet), il avait pris habitude d’être appelé
Docteur, au point de donner des consultations à la terrasse des cafés, et de publier un Almanach du docteur
Pelet !
14 De fait, il sera encore vivant en 1935.
Renaissance15. Voici longtemps que je suis loin de vous : je ne travaille
pas, j’ai été malade, et je suis triste d’un tas d’ennuis, de mufleries, de
lettres anonymes, etc. Même je me ressaisis parmi tout ça et je me
retrouve plus ferme malgré ma tendresse liquide. J’ai terminé votre
Napoléon16. Où vous l’envoyer ? Car j’espère que vous allez nous revenir.
Mes hommages les plus sincères à Mme Mirbeau et croyez-moi en toute
affection votre
Ernest La Jeunesse
Lundi
Vente Alde du 16 décembre 2015.

15 Les Mauvais bergers, tragédie en cinq actes et en prose, de Mirbeau, sera représenté au Théâtre de la
Renaissance le 15 décembre 1897, avec Sarah Bernhardt et Lucien Guitry dans les rôles principaux.
16 L’Imitation de notre maître Napoléon (276 pages), signé Ernest La Jeunesse, a paru en 1897 à la
Bibliothèque Charpentier. Mirbeau en a rendu compte élogieusement dans Le Journal du 31 janvier 1897.
L’exemplaire destiné à Mirbeau, l’un des dix imprimés sur papier de Hollande, est enrichi d’un envoi
autographe, d’une petite aquarelle originale en forme de vignette, sur la couverture, et de six dessins à la plume
ou aux crayons de couleurs, pour la plupart des portraits, placés dans les marges, en tête des chapitres ou en culs-
de-lampe (Catalogue de la vente de la bibliothèque d’Octave Mirbeau, 24-28 mars 1919, ome I, n° 443).

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