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PICABIA

Arno Schmidt Mac Orlan


Romanciers
d’Europe centrale
845. Du 1er au 15 Janvier 2003/PRIX : 3,80 € (F. S. : 8,00 - CDN : 7,75) ISSN 0048-6493
ROMANS, RÉCITS

Le non-amour de Mitia
IVAN BOUNINE dans l’analyse que dans l’épaisseur de la chair et de
L’AMOUR DE MITIA la nature omniprésentes l’une à l’autre, que nouent
trad. du russe par Anne Coldefy-Faucard l’amour et la mort. La féminité même et la mort.
Cette dernière étant la pierre d’angle et le point de
Mercure de France éd., 118 p., 12,50 € fusion des choses, des êtres et des temps. La mort
tangible : ses formes, ses odeurs, ses couleurs. Et
L’INCENDIE avec la femme et l’amour, mêlée à la nature et aux
petits récits saisons. Rien n’est jamais pris abstraitement chez
trad. du russe par Madeleine Lejeune Bounine, et ses thèmes il s’en empare toujours dans
Jacqueline Chambon éd., 91 p., 15 € une poignée de matière. La nature raye l’âme de
Mitia, et par sa splendeur, sa générosité, une profu-
sion jamais démentie, accuse les traits de la détresse
du héros et sa jalouse avarice de cœur. Tout au long
du récit, il y a cette extraordinaire tension entre la
beauté, la force grandissante de la nature et de la vie
n n’est jamais si bien trahi, trompé, rejeté par la
O vie quand on ne l’est que par soi-même. Là où il
nous faut gravir nos maux pour voir, on préfère les
d’une part, et la force négative, l’état d’échec et
d’inutilité qui d’autre part investissent Mitia et le
jettent hors jeu : « ...lui seul n’accomplissait rien, se
descendre pour désespérer. L’amour est aveugle contentant d’aspirer à quelque chose qui devait être,
quand il n’est pas amour. et même plus que tout le reste, mais qui se révélait
L’Amour de Mitia (connu jusqu’ici en français démesuré et, ainsi qu’il apparaissait de plus en plus
sous le titre Le Sacrement de l’Amour, dans une clairement, rigoureusement impossible. »
traduction de Dumesnil de Gramont, Stock 1925)
raconte une possessivité maladive et la destruction
qu’elle entraîne, non pas de l’autre mais de soi- Petits tableaux
même et sa relation avec l’autre. Dans « cette guerre
jalouse qu’il menait contre quelqu’un », Mitia IVAN BOUNINE
s’applique en fait à détruire son amour pour Katia et Écrit en 1930, L’Incendie est une suite de petits
à refuser à celle-ci les simples, les seuls intérêts tableaux de la Russie d’antan et des prémisses, des
sociaux de la vie dont chacun a besoin pour vivre et première peur. Là où la jalousie, naturelle et néces- débuts de la Révolution. Un ensemble nostalgique et
pour développer, approfondir le rapport privilégié saire comme composante de l’amour, informée et cruel. Un monde achevé et clos dont Bounine garde
avec l’être aimé et lui ouvrir des angles, des champs, dominée par celui-ci, devrait en fin de compte se précieusement et caresse la clef humide de sueur, de
des recoins, des séjours et des chemins. Mitia ne sait résoudre en confiance vis-à-vis de l’autre et défiance larmes et de sang. Tout Bounine est encore là : son
pas vivre. Il ne sait pas vivre avec patience : il ne sait à l’égard d’une partie de soi, chez Mitia elle s’enferre désespoir, son dernier mot pour une incompréhensi-
pas aimer. Il ne s’accoutume pas plus à vivre qu’aux et s’enferme, laissant l’amour dépérir à l’extérieur. ble, ineffable lumière. En avançant dans ses mots,
maux de l’âme, qu’avec ceux du corps il faut affron- Même les baisers de la passion lui sont suspects : ses phrases, on perçoit au-delà d’eux et porté,
ter faute d’avoir appris et vécu le sens de toute « Comment, où avait-elle appris à embrasser ainsi ? » enveloppé par eux, le noyau ancien de la vie et son
chose. Et pour mourir, il prend une voie d’évitement. La puissance de Bounine dans cette œuvre souffle toujours neuf. Un autre monde sans doute, du
Malgré les apparences, il ne va pas jusqu’au bout majeure (avec Le Monsieur de San-Francisco, La Vie bois sec mais toujours le brasier de la vie.
parce qu’il n’a rien commencé, n’ayant rien voulu d’Arséniev et Les Allées sombres) comme dans
commencer mais tout remis aux mains d’une l’ensemble de ses récits et romans, n’est pas tant CHRISTIAN MOUZE

La porte dorée
Ce roman, qui représente la première partie des écrits les plus récents de Boris langue, celle que parlaient ses parents et ses
amis les plus proches ; à l’âge de sept ans, il
Pahor, a été publié en slovène sous le titre : Zibelka sveta (Le Berceau du monde). assiste, impuissant, à l’incendie de la Maison
Malheureusement, l’ouvrage a été accueilli en Slovénie avec une malveillance voulue de la Culture slovène. Lucie, elle, a été victime
d’un père incestueux, qui la privera pour
de la part de critiques qui font fi des règles minimales du jeu qui sont le respect de la toujours d’une enfance heureuse.
différence et la valeur de l’argument. Sans doute le roman a-t-il pu susciter des réac- Déporté au Struthof, Igor y retrouve l’odeur
de cendres de ses jeunes années et subit cette
tions inattendues parce qu’il est un éloge à l’amour et au corps, vecteurs des senti- fois le plus innommable viol de l’Histoire, tel
que peuvent le comprendre tous ceux qui ont
ments, de la mémoire, et de la force avec laquelle les héros résistent au viol de leur survécu à l’univers des crématoires.
intimité la plus profonde. C’est dans ce contexte, à la fois historique et
psychologique, que l’amour devient le symbole
d’une nouvelle espérance née du néant et de
EUGEN BAVCAR l’impossibilité de rattraper la vie volée. Ainsi
est jeté un pont entre les générations, grâce à
BORIS PAHOR La Porte dorée met en scène deux expé- une compréhension de la singularité des destins
LA PORTE DORÉE riences existentielles qui se reconnaissent humains qui ne sont jamais une répétition
(Zibelka sveta) mutuellement et trouvent une forme de générale, mais toujours une quête volontaire
trad. du slovène par Andrée Lück-Gaye complicité dans la blessure partagée que les des moments qu’on peut encore dérober au
Rocher éd., 228 p., 17 € héros s’efforcent de surmonter dans la fusion temps. Igor, durant les épreuves qu’il a traver-
amoureuse. sées dans sa volonté de résistance au mal, a
Ainsi la passion l’emporte sur la différence compris la fragilité du corps face au temps qui
d’âge (Lucie a trente-cinq ans de moins nous est imparti. Pour Lucie, c’est en prenant
qu’Igor). Il en est de même de l’identification conscience du temps qu’il reste à vivre à son
epuis, d’autres critiques plus avisés ont dans le viol qui n’est pourtant pas pour l’un et
D heureusement rendu justice au romancier,
qui vient d’obtenir le Prix des Critiques de la
pour l’autre de même nature.
Igor a été abusé par l’histoire : Slovène
« maître à aimer », qu’elle comprend la valeur
de l’existence.
Leur histoire d’amour fait contrepoint à
Radio Allemande, pour le roman paru en vivant à Trieste au temps de l’occupation l’Histoire qui, soutenue par les idéologies
français sous le titre Pèlerin parmi les ombres fasciste italienne, il a subi la profanation de ses mortifères du XXe siècle – fascisme, nazisme,
(Ed. de la Table Ronde ). livres de classe et la malédiction jetée sur sa communisme, – a joué avec lui, et désacralisé

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ROMANS, RÉCITS

l’histoire familiale où celui qui devrait aimer (le Une question qui, posée ici dans les années
père de Lucie) se transforme en bourreau de trente, conserve toute son actualité.
l’enfance de sa fille. D’autres réflexions naissent au fur et à
Le viol comme thème central du roman est mesure des rencontres des deux amants : C’est
montré sous des formes diverses qui nous par exemple l’occasion pour l’écrivain de faire
saisissent par leur apparition inattendue, pour- comprendre qu’aimer vraiment signifie surtout
tant si évidente et presque banale. Dans les avoir la sagesse de remonter constamment à
deux cas, c’est l’espace de l’intimité qui est l’origine d’une enfance blessée et aux moments
envahi au moment où le système de défense de perdus d’une jeunesse trop tôt dérobée ; ou
l’individu n’est pas encore constitué pour encore de souligner à quel point l’art du XXe
pouvoir résister aux prédateurs idéologiques et siècle, avec la prédilection qu’il manifeste pour
incestueux. la représentation du corps humain torturé,
C’est ensemble qu’ils vont reconstituer les mutilé, évoque la stratégie des bourreaux qui
espaces profanés de leur substance humaine et s’attaquent aux corps pour dévaloriser les sujets
essayer d’écarter la malédiction. En racontant rebelles et leur ôter leur dignité.
l’histoire des résistants slovènes contre le Pas à pas, les promenades d’Igor et Lucie à
fascisme, Igor va apprendre à Lucie les travers Paris et autres lieux se transforment en
premières formes de rébellion européenne une nouvelle initiation à l’amour et une
contre un système totalitaire. Il ne va pas communion dans la beauté de l’art qui
manquer d’évoquer aussi le problème éthique comblent le fossé temporel qui les sépare.
qui se pose à son compatriote Kavs lorsque Ainsi, c’est dans la conscience de la fragilité
celui-ci renonce à commettre un attentat- de l’existence et la vulnérabilité de leur intimité
suicide contre Mussolini, de peur d’être aussi le retrouvée que se construit la passion d’Igor et

fatalité. 
meurtrier des enfants qui pourraient accompa- de Lucie, comme un nouveau rempart contre la
gner le Duce. BORIS PAHOR

Dans le placard
de l’Histoire
Il resta allongé sur le dos et jeta un coup d’œil dehors : la lumière grise d’un Quelle partie de lui-même Milo Dor, qui a
passé son enfance dans le Banat serbe, été exclu
matin d’avril froid entrait dans la pièce et annonçait une journée maussade et de l’université de Belgrade, connu la résistance
pluvieuse. Fin de Morts en sursis, et remarquable raccourci métaphorique pour un et la déportation, a-t-il mise dans ce Mladen
Raikow à peine sorti du lycée, qu’indigne le
roman qui s’insinue peu à peu dans la conscience à la manière d’une pluie froide, pacte germano-soviétique, qui le dit, et que son
persistante, et dont la lecture suscite le désir impérieux de retourner au lit, et d’y rester Parti envoie rejoindre la cohorte des pestiférés,
je veux dire des trotskistes ? Il connaîtra tous
à dormir jusqu’à ce que mort s’ensuive. les malheurs engendrés par l’époque. Mais,
vomi par ses amis, arrêté par la police serbe,
JANINE MATILLON puis par la Gestapo, envoyé à Vienne dans la
cadre du Travail Obligatoire, puis relégué dans
un camp, eh bien, il ne semble même pas
MILO DOR tion par son prédécesseur nazi, le seul frisson traverser l’histoire. Les événements-clés, tels
MORTS EN SURSIS qui lui court sur l’échine est d’admiration pour que le ralliement à la cause allemande de Draza
(Tote auf Urlaub, roman) la virtuosité de l’auteur à établir en quelques Mihajlovic ou la libération de Belgrade, passent
trad. de l’allemand (Autriche) par Jean-Claude Capèle mots des équations qu’il avait eu tant de mal à très loin de lui. Par la même occasion, ils
Fayard éd., 449 p., 22 € comprendre. passent très loin du lecteur, effleurés qu’ils sont
sans explication, et sans description.
Davantage : les grands manitous de l’histoire
qui tiraient les ficelles de son malheureux
destin brillent par leur absence. Rankovic,
ilo Dor avait le cafard, c’est certain, Kardelj, Djilas ? Connait pas. Tito ? Jamais
M lorsqu’il a écrit cet ouvrage. Où est
l’auteur de Mitteleuropa, l’homme heureux qui
entendu parler. Les divisions de partisans qui
ont appuyé l’Armée rouge pour la libération de
voyageait entre la Shoah et les plus récentes Belgrade ? Passées à l’as. On prend pitié de ces
abominations en Europe sans rien perdre de sa pauvres gamins qui subissent leur calvaire
sérénité, ne voyant qu’ordre et beauté autour de comme on subit la sécheresse : parce que c’est
lui ? comme ça. Non que la désillusion, la torture, la
Ici, ce qui glace le lecteur, ce n’est pas tant faim, la peur les maintiennent dans cet état
– dans la Serbie occupée par l’Allemagne et d’hébétude où l’on voit souvent plongés ceux
dans l’Autriche nazie où se débattent entre 41 et qui en sont les victimes. Ils ne sont pas abrutis,
45 les malheureux jeunes communistes de ils sont plutôt, comment dirais-je, non-
Belgrade – toutes ces chasses à l’homme, toutes intéressés. Ni spectateurs ni acteurs de leur
ces arrestations, ces tortures, exécutions, époque de merde, ils y jouent mollement les
dénonciations, doubles ou triples trahisons de utilités. Ils font l’amour comme la guerre et se
tous bords, mensonges éhontés, déportations, promènent comme ils meurent : dans une sorte
etc. Depuis, le lecteur en a vu d’autres. Il en de lugubre embarras. S’ils parlent sous la
voit d’autres tous les jours.Pour les premières, il torture, ou ne parlent pas, ce n’est pas en fonc-
ne savait pas. Depuis, il sait tout, mais ça ne lui tion de leur degré de dévouement au Parti, à la
fait plus rien. Et lorsqu’après la libération de nation, à la patrie, ou de foi en leur idéal et en
Belgrade, un camarade capitaine ouvre un pla- leur combat. C’est par référence à ce précepte
card pour faire son choix parmi les instruments
de torture opportunément laissés à sa disposi- MILO DOR SUITE

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