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VERSION N°2
17 septembre
(I CAPITOLI DEL CROLLO)
de Stefano Massini
stefanomassini@libero.it
www.stefanomassini.it
Pietro Pizzuti
L'Arche
est
agent
théâtral
du
texte
86
Rue
Bonaparte,
75006
Paris
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 2
Premier volume
Trois frères
[ENTREE PUBLIC] Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 3
SHUTTER FERME
MONTER SON
Il y est.
C’est maintenant « le moment où je serai en Amérique »,
c’est inscrit sur une horloge géante en fer et en fonte
là tout en haut
sur la tour du port de New York:
7h25 du matin.
C’est à ce moment-là
que quelqu’un le tire par le bras.
“Rimpar.”
“Bayern: Germany.”
“Heyum Lehmann”
“Heyum…”
“What is Heyum ?”
“Lehmann…”
“Henry Lehman.”
Chapitre II
Chametz
La clenche
en laiton rouge
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 6
Il le sait bien
Henry Lehman,
vingt-six ans,
fils d’un marchand de bétail,
juif circoncis
qui depuis trois ans gagne sa vie
en bossant comme un baudet
derrière son comptoir.
Travailler, travailler, travailler.
En fermant boutique pour Shabàt, et encore
Mais surtout en restant ouvert, le dimanche matin, et comment.
En se rendant à la messe les femmes se souviennent
de telle ou telle jupe abîmée,
d’une nappe à recoudre
et puisque le dimanche n’est pas Shabàt :
bienvenue à tous, par ici, mesdames et messieurs, le dimanche Lehman est ouvert.
Chez Lehman.
C’est peut-être tout petit,
n’empêche, tout le magasin est à lui.
Petit, le strict minimum, minuscule, mais à lui.
C’est écrit en grand “H.LEHMAN” sur la vitre de la porte.
Chapitre III
Bulbe
Têtecarrée Deggoo
ou plus exactement
la cotonnerie où travaille son frère
parce que la cotonnerie bien sûr appartient à un blanc.
Et que Têtecarrée aussi est un entre-deux.
Le « B » de Brothers
c’est le troisième et dernier des frères qui le peint
en sueur
plié en deux
avec la plus grande application,
débarqué en Amérique comme un paquet il y a à peine un mois,
encore traumatisé par le voyage, l’océan, les tempêtes,
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 10
“C’est ce que nous faisons : du commerce. Nous vendons, nous ne faisons pas autre
chose.”
“Je ne veux pas vendre les seaux et les bêches pour les esclaves.”
“Tu es là pour faire ce que je te dis de faire: c’est moi qui ai ouvert le magasin.”
“C’est moi qui l’ai voulu, c’est moi qui l’ai fait écrire, le magasin est à moi.”
“J’ai fait mes calculs : les patrons des plantations achèteront les graines, les outils,
les chariots.”
« Graines et outils, mister Lehman ? God bless you ! Je les achèterais tout de suite :
le fournisseur le plus proche est au-delà du Tennessee ! »
Chapitre IV
Hanoucca (or what happened after the fire)
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 12
« Alors dis-moi Têteronde Deggoo : qu’est-ce qu’il vous faut chez Smith & Gowcer ? »
« God bless you mister Lehman : tout, il nous faut tout, depuis le début. »
« Je suis venu en Amérique pour compter de l’argent, pas des bouts de papier. »
« Une saison mister Lehman, après quoi faudra encore vendre le brut… »
« Payez-nous avec le brut : un tiers de la récolte, au prix fixé, dès maintenant. Vous
nous le donnez et nous le revendons. »
Chapitre V
Shpan dem loshek!
Ça marche comme ça :
les Lehman donnent aux plantations les graines, les outils et tout ce qu’il leur
faut,
les plantations donnent aux Lehman du coton brut,
les Lehman bourrent leur magasin de coton
et à un prix plus élevé
- « un peu plus » dit Henry , « le double » pour Emanuel
« un tiers de plus : comme ça tout le monde est d’accord » -
ils le revendent aux industries.
Tu me donnes le coton, je le revends.
Tu me payes aujourd’hui avec du coton, demain je touche de gros billets.
Le petit magasin
sur l’avenue de Montgomery
avec la porte à la clenche qui coince
et la grande enseigne noire et jaune « Lehman Brothers »
est plein d’allées et venues de gens les plus disparates.
Là, viennent d’entrer les chapeaux de paille des plantations,
mais aussi les cigares allumés des industriels ;
les noirs comme Têteronde Deggoo
et les blancs commerçants nordistes
comme Teddy Wilkinson,
un tonneau cravaté,
barbe blonde, toujours en sueur,
illico rebaptisé par Mayer Bulbe « Mainsparfaites »
parce qu’il n’arrête pas de se vanter
« je n’ai pas le moindre durillon aux mains, elles sont parfaites : jamais touché une
bêche, je ne fais que compter mes sous. »
Pour certains Lehman vend des graines et des outils,
pour d’autres Lehman revend du coton.
Depuis ce jour-là
on voit souvent Teddy Wilkinson :
Il achète à chaque fois huit chariots de brut.
« Mais si vous en aviez plus je les prendrais ! »
Il le dit à chaque fois en jetant sur le comptoir
ses deux liasses de billets.
Puis il essuie sa sueur, allume son cigare :
« L’un des Lehman viendra un jour voir mon industrie. »
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 16
Éperonner le cheval.
Shpan dem loshek.
Et c’est avec cette phrase
qu’une piètre patate de vingt et un an
réussit dans l’entreprise inouïe d’obtenir une réponse de deux humains.
Mieux
pour être précis
la tête répond en pure style cérébral :
« Sur l’enseigne dehors il n’est pas écrit achat et vente »
tandis que le bras le fait en pure style manuel :
« Je l’y inscris demain matin. Si tu veux ».
la tête et le bras.
Ceci dit, quelqu’un est prêt à jurer
que par terre
courbé,
en train de peindre l’écriteau
il n’y avait pas un bras
mais bien
une patate.
Chapitre VI
Shivà
« Même cinquante »
« Même cinquante »
Habillés de noir.
Le chapeau sur la tête.
« Même cinquante »
« Même cinquante »
La porte se ferme
puis se rouvre : un autre.
« Même cinquante »
« Même cinquante »
Chapitre VII
Kish Kish
Cinq plantations.
Un peu moins de 400 chariots de coton brut à acheter et revendre.
Deux cents chariots vont à Teddy Wilkinson Mainsparfaites,
ceux qui restent sont répartis entre deux industries en Atlanta et sur la côte, à
Charleston :
c’est un rabbin de Birmingham qui les leur a trouvées,
un certain Abraham Kassowitz:
ànu modim lakhem Rab Kassowitz !
Le bénéfice net pour les Lehman Brothers est de 12 dollars par chariot.
Au début ça faisait beaucoup.
En réalité, après avoir fait les comptes, c’est très peu.
Parce que transporter le coton brut – de l’Alabama jusque dans le Nord- ça coûte
cher.
Les chevaux coûtent, les chariots,
les porteurs, les déchargeurs aussi
même si Têteronde Deggoo, par accord,
utilise parfois les esclaves de la plantation Smith & Gowcer.
Mais même avec les esclaves, 12 dollars par chariot c’est une misère,
une aumône
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 21
ils y perdent
trop
ça ne vaut pas la peine
avec 12 dollars
on y perd
calculs en main
avec 12 dollars
on ferme boutique et c’est tout.
Le père de Babette,
est assis dans un fauteuil,
entouré par ses huit garçons
alignés comme un peloton d’exécution
devant Mayer Bulbe
vêtu de son costume chic, celui de l’enterrement,
les cheveux coiffés,
un bouquet de fleurs à la main, sueur froide
et hélas une barbe épaisse à cause du deuil.
Son frère Emanuel se tient trois pas en arrière,
immobile, muet,
contraint d’être là :
représentation familiale oblige.
« Que vendez-vous ? »
« C’est un métier qui n’existe pas encore, Monsieur Newgass : nous le créons. »
« Oui ? »
« C’est un nouveau mot : nous sommes… des gestionnaires, voilà, c’est ça. »
« Parce que nous gagnons bien notre vie, Monsieur Newgass ! Mieux : nous
gagnerons toujours davantage. Je vous le jure : faites-moi confiance. »
Le lendemain matin
- premier jour de fiançailles officielles-
- 720 jours avant le mariage -
Mayer Lehman
- un temps surnommé Bulbe, et maintenant Kish Kish -
est officiellement engagé :
au nom des Lehman Brothers
c’est à lui
de frapper aux portes de tous les patrons,
d’aller dans toutes les plantations,
de s’asseoir sur les divans dans les salons,
d’écouter les petites filles jouer du piano…
sans que tout cela ne lui pèse, car Babette – sa Babette-
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 25
joue du piano
et enseigne le piano
comme aucune autre.
Septembre 1857
-274ème jour de fiançailles officielles-
-447 jours avant le mariage-
grâce à Mayer Kish Kish
à Babette et à Shubert
les plantations qui vendent du coton aux Lehman
passent de cinq à quinze.
Décembre 1858
-720ème jour de fiançailles officielles-
- il ne manque plus qu’un jour au mariage-
grâce à Mayer Kish Kish
à Babette et à Jean Sébastien Bach
les plantations qui vendent du coton aux Lehman
passent de quinze à vingt-quatre.
Mazel tov !
Vingt-quatre fournisseurs de coton brut.
De l’Alabama aux confins de la Floride.
De l’Alabama à la Caroline du Sud.
De l’Alabama à la Nouvelle Orléans.
Plantations, plantations, plantations :
étendues d’esclaves travaillant nuit et jour
2500 chariots par an de coton brut.
50.000 dollars de bénéfice
qui passent par un petit magasin de Montgomery
dont la clenche coince imperturbablement.
Acheter revendre.
Acheter revendre.
Entre les deux
exactement entre les deux
se trouvent les Lehman Brothers
« gestionnaires ».
TOP 1 [NY]
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 26
FERMER
Chapitre VIII SHUTTER
Something about New York
On hisse l’enseigne :
noire et jaune, trois gars viennent de la peindre,
le seau de peinture est encore posé par terre dans la rue.
Mayer Lehman descend de sa diligence
et ça lui fait quelque chose
de s’arrêter pour la regarder
au 119 Liberty Street,
“Lehman Brothers Cotton from Montgomery Alabama”
« Je cherche du coton, bien sûr, mais la qualité que je recherche ne se trouve qu’en
Alabama. »
En disant cela,
le Monsieur très grand et distingué
reprend sa canne au pommeau en or et fait un signe
à quelqu’un dans la foule : il est tard, il veut rentrer.
De la foule apparaît,
en robe blanche et chapeau de paille,
une jeune fille aussi frêle que les branches de certains jeunes arbres à peine
plantés
là-bas en Allemagne, à Rimpar, en Bavière.
La jeune fille regarde Emanuel, un instant,
agacée
amusée
taquinée
intriguée
par ce jeune homme qui la fixe.
« Voici ma fille Pauline. »
a à peine le temps de préciser le monsieur à la barbe de rabbin,
avant de prendre sa fille bras dessus bras dessous
et de disparaître, au milieu de la foule.
illico presto,
sans perdre une minute,
faire sa valise,
c’est ça non
oui c’est ça
maintenant
ou mieux encore demain matin.
Et l’autre Lehman
n’a rien compris.
Ou plutôt
Il a très bien compris
que parfois
même un bras
perd la tête.
Chapitre IX
Kiddushin
Mariage commercial
entre Montgomery et New York.
« Bonjour, mademoiselle.
Vous ne me connaissez pas : je m’appelle Emanuel Lehman,
je deviendrai quelqu’un et je vous demande de m’épouser. »
La jeune fille
cette fois en robe bleu ciel
et sans chapeau de paille
l’a regardé beaucoup plus qu’un instant
agacée
amusée
taquinée
intriguée
avant de lui rire au nez :
« Je suis déjà fiancée ! »
« Vous et moi ? »
« Bonjour, mademoiselle.
Je suis venu il y a sept jours : je m’appelle Emanuel Lehman,
je suis le principal fournisseur de votre père et je vous demande en mariage. »
Pauline Sondheim
cette fois en robe lilas
l’a regardé beaucoup plus qu’un instant
agacée
amusée
taquinée
intriguée
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 33
« Et alors ? »
Au troisième mois,
nous sommes au vingt-quatrième retour,
Pauline Sondheim
cette fois en robe estivale
lui a fait trouver la porte ouverte
et une femme de chambre l’attendant à l’entrée.
« Elle vous attend au salon, Monsieur Lehman, avec son père. Donnez-moi votre
chapeau. »
Ce soir-là
Emanuel Lehman
allongé dans son lit
fixant le plafond
pense qu’en effet
les choses commencent à rouler maintenant.
Il a une femme.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 34
Un siège à Montgomery.
Un bureau à New York.
Des liasses de billets dans un coffre-fort.
Vingt-quatre fournisseurs de coton au Sud
et cinquante et un acheteurs au Nord.
Et bercé par ses pensées
voilà qu’il allait s’endormir,
sereinement,
lorsqu’un vent glacé
pendant une fraction de seconde
lui caresse l’oreille :
une seule chose au monde pourrait tout détruire :
la guerre
entre le Nord et le Sud.
Mais ce n’est qu’une vilaine pensée,
de celles qui caressent l’oreille avant de s’endormir.
Il l’enferme dans un tiroir
et JUMP TO OUVRIR
s’endort
tranquillement. [GUERRE] SHUTTER
TOP SON
Chapitre X
A little glass
On court s’enrôler
à Montgomery comme à New York :
Abraham Lincoln pour l’Union
Jefferson Davis pour la Confédération
Au milieu
entre les deux
comprimés
encastrés
comme un verre de cristal
les Lehman Brothers.
Emanuel Lehman
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 36
à New York
lui qui est un bras
ne se résigne pas :
il veut agir.
Il s’inquiète pour ses sous
il s’inquiète pour ses affaires
tout ce qui l’intéresse c’est le coton 4
rien que le coton
sauver ce qui peut l’être :
entre les coups de canon,
-tandis que 120.000 hommes meurent à Chattanooga
désespérément un Lehman
-tandis que 70.000 hommes meurent à Atlanta
embarque
-tandis que 40.000 hommes meurent à Savannah
sept cent tonnes de coton
sur un bateau pour l’Europe
où il n’y a pas de guerre
où il n’y a ni Union ni Confédération
ni Nordistes ni Sudistes
mais surtout
où le coton
se vend encore !
Mayer Lehman
simultanément
à Montgomery
lui qui est Kish Kish et bulbe
c'est-à-dire une patate sentimentale
défend
à cœur ouvert
l’Alabama où il vit,
il s’en fout des sous
il s’en fout des affaires 5
il oublie le coton
-qui de toute façon est foutu-
et au milieu des coups de canon,
-tandis que 50.000 hommes meurent en Géorgie
héroïquement un Lehman
-tandis que 70.000 hommes meurent à New Orléans
se proclame
-tandis que 20.000 hommes meurent en Virginie
« Moi, Mayer Lehman, défenseur du Sud ! »
et avec l’argent de la Lehman
rachète les prisonniers
avec l’argent de la Lehman
finance les armements
avec l’argent de la Lehman
soutient les veuves, les orphelins et les blessés
mais surtout
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 37
dit adieu
pour toujours 6
au coton !
Et c’est là que
sans le savoir
au milieu des coups de canon
Lehman Brothers
parvient
miraculeusement
à rester debout
parce que
tandis que la moitié de l’Amérique est en morceaux
d’un côté comme de l’autre
-Nord
-Sud
-Union
-Confédération
-Abraham Lincoln
-Jefferson Davis
les deux frères
Emanuel et Mayer
font
l’un le contraire de l’autre
et
à la fin du désastre
dans un océan de décombres
seul
un verre de cristal
parvient à rester debout. TOP 2ème Comédien sorti
JUMP TO FERMER
[NOIR] SHUTTER
Chapitre XI
Reb Lashon
« Bien sûr, mais elle est passée, finie : votre plantation est restée debout, je vous
l’achète… »
En rentrant à Montgomery,
avec son cheval fatigué,
Mayer Lehman ce soir-là
pour la première fois
observe le paysage :
plantations fermées
avec l’écriteau « À vendre »,
entrepôts brûlés,
les logements occupés jadis par les esclaves : vides,
clôtures démolies,
carcasses de charrettes
et surtout
partout
le silence,
un cimetière géant.
Mayer Lehman ce soir-là
pense
que peut-être
c’est comme la fois
où il y a quinze ans,
Henry était encore là,
l’incendie avait éclaté
et eux
les Lehman Brothers
avaient fait renaître Montgomery.
Le lendemain
en habit sombre
Mayer Lehman
est debout
souriant
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 39
« Bien sûr excellence. Nous allons reconstruire. Tout. Du début, repartir de rien,
comme… »
« Parfaitement : vous nous donnez les capitaux. Et Lehman Brothers retape tout
l’Alabama, plus… »
« Certes, nous sommes les premiers dans le commerce du brut, excellence, donc
c’est à nous de… »
« N’allez pas si vite, je vous prie : je ne peux pas vous suivre si vous parlez aussi
rapidement.
Moi, Gouverneur de l’Alabama,
je devrais donner les capitaux pour reconstruire… à une entreprise de tissus ? »
« Nous ne sommes pas dans les chiffons, excellence : nous sommes des hommes
d’affaires. »
« Parfaitement : nous sommes nés dans le coton. Comme vous du reste : n’aviez-
vous pas une plantation jadis ?
Si le coton peut conduire à la charge de Gouverneur,
il peut tout aussi bien conduire au métier de banquier, n’est-ce pas ? Faites-moi
confiance. »
Seule condition :
au-dessus de cette porte
à la clenche qui coince
doit être changée
de nouveau
l’enseigne :
« Lehman Brothers »
et
jaune sur noir
doit être inscrit à côté
“Bank for Alabama”
Chapitre XII
Der boykhreder
Ce qui enrichit
vraiment
Emanuel le sait
et son beau-père le confirme
c’est le chemin de fer
qui n’existe pas encore
mais bientôt existera :
il faudra remplir l’Amérique entière
de lignes et de gares,
du Nord au Sud,
d’Est en Ouest,
Même Teddy Wilkinson Mainsparfaites
a finalement transformé son industrie :
au diable le coton,
maintenant il fabrique les écrous et les boulons en fer pour les rails,
et ça lui rapporte le double.
« Un moment, mister Lehman : pour autant que je sache, Lehman Brothers vend du
coton. »
a dit l’Inspecteur en Chef des Chemins de Fer
quand Emanuel Lehman
lui a proposé d’être l’entre-deux,
le gestionnaire :
vous nous donnez l’argent, nous payons les constructeurs,
vous nous donnez l’argent, nous choisissons et réalisons
« Oui mais pourquoi donc moi, Inspecteur en Chef des Chemins de Fer,
je devrais donner les capitaux pour construire… à une entreprise de tissus ? »
Et cela suffit.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 44
Deuxième volume
Pères et fils
OUVRIR SHUTTER!!
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 45
Chapitre I
Der bankir bruder Rideau ouvert à 50%
JUMP TO
[BROADWAY]
Yehudà Ben Temà
écrit
dans les Maximes des Pères :
tu auras cinquante ans pour devenir sage,
tu en auras soixante pour devenir savant.
Mayer Lehman
a cinquante ans
et ne sait pas ce qu’est la sagesse,
mais si c’est “observer sans bouger”
alors peut-être est-il sage.
Là par exemple :
sur la porte d’entrée du bureau de New York
ils finissent déjà d’installer l’enseigne
sur laquelle est écrit :
“Lehman Brothers Bank”.
Et de fait
en les voyant ensemble,
-son père et lui-
ils ressemblent un peu à cette vieille enseigne “Lehman Brothers”
avec le nouveau bout à côté “Bank”.
C’est peut-être pour ça que les gens qui passent rigolent ?
Ils rigolent, oui.
Non pas parce que Mayer est drôlement habillé,
genre millionnaire du Sud,
avec des guêtres rayées
“Oui, mais comment puis-je signer si je ne vois jamais ce que j’ai payé ?”
“Sauf votre respect, Mister Lehman, tout ceci est négligeable au vu de l’affaire qui
nous occupe.”
“Ce que l’on vous demande, Mister Lehman, en tant que banque, c’est un seul
engagement : votre parole.”
“Quelle parole voulez-vous que je vous donne ? La banque pourrait faire faillite dans
quarante ans !”
“Quel mot?”
“Oui.”
réponses-questions
des mots et encore des mots
un océan entier de discours
plus grand que la mer vue de Brooklyn,
au point que – pense Mayer - les gens se droguent avec des mots,
et à New York
en effet
même la nuit
tout le monde
parle dans son sommeil.
TOP 1
Chapitre II [BROADWAY]
Wall Street
L’équilibriste
est un jeune gars.
Il s’appelle Solomon Paprinskij,
son frère est le shames du Temple.
Solomon s’arrête
debout
devant le grand building.
Il choisit deux réverbères,
à cinquante mètres l’un de l’autre.
À un pas
de la porte d’entrée.
Solomon ouvre une valise,
en sort un fil d’acier,
le tend
en se hissant
au-dessus des réverbères.
La route est prête :
le fil est en place.
Qu’est-ce qu’il manque ?
Le courage.
Solomon Paprinskij s’en donne :
sort une bouteille,
avale une bonne rasade de cognac
puis
monte,
il se met en position,
et commence à marcher.
Parfait.
Aérien.
D’une légèreté inouïe.
Il ne rate pas un pas,
Solomon Paprinskij :
Il est le meilleur équilibriste
de tout New York.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 49
Et à partir d’aujourd’hui
il a décidé :
il viendra
s’exercer
tous les jours
matin et soir,
son fil tendu
entre deux réverbères
là
à un pas
de la toute nouvelle entrée
de la Bourse de Wall Street.
Au lieu de négocier
le fer à la Bourse du Fer,
le tissu à la Bourse du Tissu,
le charbon à la Bourse du Charbon
ils ont créé une Bourse unique,
immense,
énorme,
newyorkaise
une synagogue,
avec des plafonds plus hauts que ceux d'une synagogue,
dans laquelle des centaines, des milliers de personnes,
du matin au soir
de manière ininterrompue
parlent
expliquent
traitent
crient
Et ce qui est exceptionnel
-du moins c'est ce qu’a ressenti Mayer-
c'est que là dans Wall Street
tout se vend :
fer, tissu, huile, charbon,
et tout ce que tu peux imaginer
est en vente là
sur le comptoir
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 50
exposé
même si en réalité
à dire vrai
on n’en voit pas la trace :
il n'y a rien à Wall Street
et pourtant
il y a tout à Wall Street
jeté
au milieu de montagnes
d’avalanches
de mots
des bouches ouvertes
qui soufflent, soufflent, soufflent de l'air
et
là dehors
devant ce temple de la parole
Solomon Paprinskij
à partir d'aujourd'hui
tous les jours
s'exercera
debout sur son fil.
Ou plutôt non :
ce n'est pas sa seule pensée.
L'autre
c'est que sûrement
Philip
son neveu
aimera Wall Street, lui, et comment.
Et Mayer a raison.
Parce que Philip,
fils d'Emanuel
est une machine parlante.
Puissante.
Philip aux yeux de son oncle est un autre mystère.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 51
Un nouveau, Philip.
Un tout nouveau,
Fils de New York, Philip.
Oui,
sans aucun doute :
il aimera Wall Street.
Chapitre III
Chavouot
Il tombe, Emanuel
précipité
tout en bas
de la colonne de monnaie
renversé
déchiqueté
par le train.
Et Emanuel l’attend
mais dans son fauteuil :
il dort là, assis.
Parce que couché dans son lit
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 53
On peut le comprendre :
comment voulez-vous qu’un bras
aille raconter à Wall Street
qu'il possède une banque,
mais qu’il n'investit pas dans le chemin de fer
parce que chaque nuit
il est terrorisé par le train ?
FERMER
SHUTTER
Il ne peut pas dire ça, Emanuel.
La seule consolation
- l’issue de secours -
pour Emanuel
c’est l’âge.
Extra.
Ne plus agir,
mais stimuler les autres.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 54
“Toi aussi tu t'y mets avec cette idée fixe de marché ferroviaire ?
Nous les avons déjà les capitaux, mon fils :
nous avons le contrôle du fer, du tissu, du charbon et du café de tout New York.”
Et si le jeune cocher
défiait la locomotive de Chavouot ?
Peut-être qu’Emanuel
pourrait de nouveau dormir tranquillement.
Il suffirait
qu’Emanuel et Mayer
s’en remettent au cocher,
à son grand talent d'orateur.
Cela suffirait.
“Je n'ai pas fondé une banque pour compter des zéros-virgule.”
“Et moi je n'ai pas fondé une banque pour aligner des mots.”
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 56
C’est à ce moment-là
que tout à coup Emanuel comprit.
Pour la première fois, ils comprit le sens
de son cauchemar
et de ce que voulait dire son frère
avec “le chemin de fer ce sont des mots” :
Ils avaient peur, tous les deux, du chemin de fer
parce qu'en réalité il ne l'avait jamais vu.
C'était une idée, pas une réalité.
Il décida.
Il devait agir.
Il devait éclairer le cerveau végétal de son frère
exactement comme la visite à Teddy Wilkinson
avait éclairé le sien trente ans auparavant.
Total.
Parfait.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 57
Il n'y a rien.
Rien de construit.
Rien en construction.
Rien à construire.
Rien.
Une vallée.
Un fleuve.
Des buissons.
Des mouches.
“Le chemin de fer courra là au milieu, le tracé est déjà noir sur blanc.
Voilà : vous pouvez le voir dessiné sur cette feuille.”
“Dans les délais prévus par le contrat, même si pour vous, dans cette affaire, cela
est négligeable.”
“Dix ans ?”
“Quel mot ?”
Ce sourire énorme
appelé Archibald Davidson
ajouta plein d'autres choses
et ouvrit au moins six ou sept feuilles
grandes comme des draps de lit
sur lesquels le chemin de fer était parfaitement tracé.
Noir sur blanc.
Emanuel Lehman,
ne perdit pas un instant de vue
les costumes taillés sur mesure
de la United Railways :
c’était des costumes de grande classe,
d’un tissu raffiné,
très recherché,
un splendide coton
très coûteux.
Chapitre IV
Bar-mitzvah
Herbert Lehman
est le plus petit des fils de Mayer :
il ne tire plus la barbe de son père.
Il a neuf ans
et fréquente l'école juive.
il est assis au fond de la classe
toujours un peu distrait,
il oublie même de se lever
quand le rabbin Lewinsohn
-qui a plus de dents dans la bouche que de cheveux sur la tête –
une fois par mois descend dans la classe
et interroge les enfants :
“ Quand je vous appellerai, vous me direz
dans l'ordre
toutes les plaies d'Égypte :
en commençant par vous, jeune Rothschild.”
“Tomba la grêle.”
“Lehman!
“C'est intolérable !”
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 63
“À mon avis Hashem - au lieu de perdre son temps avec toutes ses plaies –
il aurait dû directement tuer Monsieur le Pharaon,
et comme ça les Juifs auraient été libérés tout de suite, et…”
Chapitre V
La farine
Philip
alors
a levé la voix
et a commenté les Écritures
comme un gamin à la Bar-Mitzvah
pour être reçu parmi les grands :
“Illustre Monsieur Dow,
la farine dont vous voulez connaître le nom
n’est
ni le café
ni le charbon
ni l'acier de la voie ferrée :
mon père et mon oncle ici présents
craignent de vous dire que nous sommes commerçants d'argent.
Les gens normaux, voyez-vous,
utilisent l'argent uniquement pour acheter.
Mais ceux qui comme nous possèdent une banque
utilisent l'argent
pour acheter de l'argent
pour vendre de l'argent
pour prêter de l'argent
pour échanger de l'argent
et c'est avec tout cela
que nous faisons fonctionner le four,
croyez-moi.”
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 65
OUVRIR BAISSER
Mayer sourit SHUTTER 2 ET 3
Emanuel fait pareil.
Depuis ce jour
Philip Lehman ne se distrait plus.
Il sait que s'il maintient le contrôle
la bonne carte ne lui échappera pas.
Suivre le moindre mouvement.
Fixer les doigts du nain,
ne pas perdre de vue le parcours des cartes,
maintenir le contrôle.
Et Philip Lehman garde le contrôle.
Toujours.
À vingt ans
-qui pour Yehudà Ben Temà est l’âge de la course –
Philip Lehman a couru
à toutes jambes TOP 1 [TRAVELLING]
derrière les trains en construction.
Il a écrit dans son agenda
en majuscules
“CHEMIN DE FER ÉGAL CAPITAUX, CAPITAUX ÉGAL CHEMIN DE FER”
et parmi tous les chemins de fer
il a choisi ceux qui vont de l’Est à l’Ouest,
pas ceux qui vont du Nord au Sud, FERMER REMONTER
parce que 2 ET 3
–sans perdre de vue les doigts du nain –
SHUTTER
Philip Lehman a compris
que la nouvelle frontière est l’axe Est-Ouest :
à quoi sert désormais le Sud ? Après la guerre ?
Le Sud est un souvenir, rien de plus.
Et puis il y a des milliers de fous
qui se ruent vers l’Ouest
tous à la recherche de l’or,
quoi de mieux que de leur donner un train ?
Le raisonnement tient la route.
La solution est à portée de main.
“La bonne carte est celle-ci.”
Et il a de nouveau gagné.
De la chance ?
Non.
De la méthode.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 67
À trente ans
-qui pour Yehuda Ben Temà est l’âge de la force –
Philip Lehman est devenu fort
grâce aux puits de pétrole.
Il a écrit dans son agenda.
en majuscules
“INDUSTRIE EGAL ENERGIE, ENERGIE EGAL PETROLE”
et parmi tous les gisements en bon financier
il n’a pas choisi ceux que tout le monde
a pris d’assaut,
et qui s’épuiseront vite :
lui en a cherché de nouveaux en Alaska, au Canada, parmi les glaciers :
parce que
–sans perdre de vue les doigts du nain –
Philip Lehman a compris
qu’il faut arriver le premier
là où personne n’est encore arrivé,
et planter là son drapeau.
Le raisonnement tient la route.
La solution est à portée de main.
“La bonne carte est celle-ci.”
Et il a de nouveau gagné.
À quarante ans
ensuite
-qui pour Yehuda Ben Temà est l’âge de la ruse –
Philip Lehman est devenu rusé
- et c’est son chef d’œuvre-
en écrivant
dans son agenda
en majuscules
“1900 ÉGAL NEVROSE, NEVROSE EGAL DIVERTISSEMENTS”
et parmi tous les divertissements en bon financier
il n’a pas choisi ceux qui sont le plus en vogue,
comme l’alcool
Non : trop facile.
Philip
–sans perdre de vue les doigts du nain –
a misé sur le tabac.
parce que les cigarettes seront bientôt aussi communes que le pain
et si tu veux gagner des sous
tu dois aller aux choses simples
avant qu’elles ne deviennent simples :
“La bonne carte est celle-ci.”
Et il a de nouveau gagné.
Contrôle.
Contrôle.
Non content.
Philip Lehman a planifié
une tactique scientifique
pour investiguer
parmi un échantillon de candidates
qu’il avait choisies lui-même
en épluchant la liste
des bienfaiteurs du Temple.
CULTURE : SCOLAIRE
SYNTHESE : JEUNE GRAND-MERE
SCORE : 60 SUR 200.
Le mariage
eut lieu
-après des fiançailles idoines-
dans des temps et des modalités
établies en majuscules
dans l’agenda de Philip Lehman.
Il écrivit tout,
ne perdit le contrôle de rien,
depuis la couleur de la kuppah
jusqu’à la quantité de vaisselle nécessaire pour la réception
en passant par les noms des serveurs.
Carrie Lauer
de son côté
depuis le premier jour
se révéla la bonne épouse,
la bonne mère,
la bonne maîtresse de maison,
la bonne belle-fille,
la bonne bienfaitrice.
Rien de plus.
Rien de moins.
LA bonne.
Comme une balle de tennis,
qui ne tombe jamais hors du périmètre de jeu.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 71
Chapitre VII
Un tsvantsinger
-peut-être trop-
pour deux frères
nés à Rimpar, là-bas, en Bavière,
où l’or c’était le bétail
et va-t'en prier Dieu que tes vaches ne meurent pas.
“Très cher monsieur mon père,
il n'y a pas de raison pour que vous vous fatiguiez autant :
laissons la vraie fatigue à notre personnel,
vous ici vous siégez plus haut :
n'oubliez pas que vous êtes propriétaire,
vous devez seulement gérer
déplacer les pions sur l'échiquier.”
Et Mayer signe,
chaque jour,
avec son frère,
à la fin de la soirée,
le bilan avec le signe +.
Pendant des années.
Toujours signe +
parce que l'Amérique
est un cheval qui s'est lancé au galop comme un fou
dans l'hippodrome de New York,
et Lehman Brothers
est son jockey.
“Très cher monsieur mon oncle, très cher monsieur mon père,
il n'y a pas de raison pour que vous fassiez les commissaires aux comptes :
vous devez seulement choisir
sur qui et sur quoi investir.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 73
Conseil d'Administration.
Sage décision
pour ne pas faire de faux pas,
pour maintenir le cap,
pour ne pas s'emballer.
Bien sûr.
Mais quand le signe est toujours +,
comment faire pour ne pas s'emballer ?
Comment faire pour garder les pieds
sur terre ?
Si tu n'y prends pas garde
elle s'insinue
la maladie du dépassement
et tu ne peux pas l'arrêter.
Emanuel et Mayer
s'en sont rendus compte
tout à coup
quand il était déjà trop tard
et qu’ils n'avaient plus qu'à se résigner.
Emanuel sourit :
pour lui c'est superflu.
Celui qui parle est son fils
après tout.
Chapitre VIII
Milah
Philip Lehman
s’avance,
lentement,
en serrant dans ses bras un nourrisson blanc
tout contre son costume sombre.
Il s'arrête.
Lève le nourrisson,
et la cérémonie peut commencer :
à partir d'aujourd'hui son fils
portera un nom
Comme le veut la loi,
Robert Lehman
sera circoncis
“Hello Lehman.”
“Hello Goldman.”
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 76
“Félicitations, Lehman.”
“Félicitations, Goldman.”
“Étrange coïncidence.”
“Très.”
“Fâcheuse.”
“Plutôt.”
“Hélas, Goldman.”
“Malheureusement.”
“Donc tu l'admets?”
“À l’occasion, Goldman ?”
“À l’occasion, Lehman.”
“Cotations.”
“Cotations.”
“Émissions de titres.”
“Émissions de titres.”
“L’entrée en Bourse.”
Chapitre IX
Shivà
La famille Lehman
observe toutes les règles, elle l’a décidé :
Shivà et sheloshim,
comme elle le faisait en Allemagne,
toutes les règles comme s'ils étaient à Rimpar, là-bas, en Bavière.
Ne pas sortir pendant une semaine.
Ne pas cuisiner : demander aux voisins de le faire.
Ils ont déchiré un vêtement, comme cela est écrit,
dès qu'ils sont rentrés
du vieux cimetière.
Et ils ont même récité le Kaddish,
tous les jours,
matin et soir,
toute la famille,
les jeunes au premier rang,
depuis que le deuil a commencé.
Chapitre X
Horses
Même
Robert, son petit-fils
à qui il demande
“qu’est-ce que tu feras quand tu seras grand ?”
répond
“jockey”.
Ce que
sa mère,
systématiquement,
sachant bien
que dans l’agenda de son mari
ce n’est pas exactement ce qui est prévu,
corrige
en souriant:
“jockey banquier”.
Ce que,
Philip Lehman
corrige lui aussi
en majuscules:
“jockey financier”.
Oui.
Parce que maintenant
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 81
“Aucun compromis.”
“Dis-moi si tu aimes ça :
Lehman Brothers est une personne.”
“Au contraire :
si Lehman Brothers est une personne,
cela veut dire qu'elle a deux jambes et deux bras.
Je me trompe ?”
“Continue.”
“Mais ?”
Ça se passa comme ça
à plusieurs reprises
entre Philip Lehman fils d'Emanuel
et Herbert Lehman fils de Mayer
une lutte acharnée.
entre l'héritier d'un bras
et celui d'un légume
inconciliables
mais
ponctuellement
réconciliés
par un whisky pur malt.
Jusqu'à ce que
la loi Volstead
en 1920
mit l'alcool
hors-la-loi
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 83
Inutile de dire
que même dans ce cas
Philip a suivi les doigts du nain
et a tiré la bonne carte.
Parce qu’un beau jour,
il écrivit
dans son agenda
en majuscules
“HERBERT EST UNE RESSOURCE. MAIS PAS ICI.”
Il ne pouvait pas imaginer
qu’à ce moment-là
il venait de tirer non pas une
mais deux
bonnes cartes.
parce que la renommée de Lehman Brothers
était telle
que,
au faîte de sa carrière,
non seulement Herbert
devint Gouverneur,
mais son frère Irving Lehman
fut fait Juge Suprême
et
New York
devint
une seule et grande Lehman.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 84
REMONTER
Chapitre XI
1 ET 3
Model-T
JUMP TO
Yehudà Ben Temà [CIEL 2]
écrit
dans les Maximes des Pères :
tu auras cinquante ans pour devenir sage,
tu en auras soixante pour devenir savant.
Philip Lehman
qui a soixante ans
ne sait pas si être savant a quelque chose à voir avec les rêves,
mais le fait est
que la nuit il rêve.
Et il rêve toujours de la même chose.
Il tombe, Philip
précipité
tout en bas
sous la sukkà
emporté
broyé
par l’écroulement gigantesque.
C'est un secret.
Qu'il ne faut dire à personne.
Il ne faut même pas l’écrire dans l'agenda.
À Wall Street
c’est la fête,
toujours à la hausse.
Toujours le signe +
devant l’indice
inventé par
Charles Dow et par Monsieur Jones,
en mettant ensemble
les cours
des trente industries
les plus florissantes d’Amérique.
Toujours le signe +
pour l’indice Dow-Jones.
“Mon fils
a très certainement eu un moment d’égarement,
très cher Monsieur Paprinskij :
il existe des centaines d’actions
qui doubleront leurs bénéfices
en quelques années.”
Voilà pourquoi
au lieu de sauter de joie,
Philip Lehman /^\
dort désormais /!\
___
dans son fauteuil.
Et la cabane de Sukkoth
prise d'assaut
s'écroule
chaque nuit. TOP COMEDIEN DANS L'ASCENSEUR !!
TOP 1 FERMER
[CIEL 2] SHUTTER
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 88
Chapitre XII
Der akrobatik
Solomon Paprinskij
a soixante-dix ans bien sonnés.
Pourtant
depuis cinquante ans
qu'il marche sur son fil
devant Wall Street
il n'est jamais tombé.
Philip Lehman
va lui aussi sur ses soixante-dix ans.
Pourtant
depuis cinquante ans
qu'il dirige la Lehman
à Wall Street
il n'est jamais tombé.
Solomon Paprinskij
n'a toujours pas besoin
de son fils équilibriste,
tout comme Philip Lehman
n'a pas besoin
de son fils économiste.
“Vraiment :
je ne sais pas comment vous faites pour dormir tranquillement.”
La nuit,
Philip Lehman analyse la situation,
suit les doigts du nain
et conclut que la meilleure des choses
dans l’absolu
est
de faire comme si de rien n’était.
Parfaitement.
Le matin tôt
Philip Lehman
arrive à Wall Street
le sourire aux lèvres
comme si de rien n’était.
Chaque matin
il achète un journal
au jeune Italien
qui gueule au carrefour.
Le sourire aux lèvres.
Il boit un café
au comptoir
en feuilletant le journal
puis se dirige vers l'entrée.
Le sourire aux lèvres.
Solomon Paprinskij
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 90
Stop.
On ne bouge plus.
Solomon Paprinskij
pour la première fois
est tombé
tout en bas
il est tombé
par terre.
La cheville tordue,
s'est cassée
elle a lâché
pour toujours
mais son fils Mordechai
avec ses yeux verts
est déjà sur le fil
il a sauté dessus
il marche
en équilibre
léger
aérien
parfait
comme si Solomon
n'était pas tombé
comme si Solomon
ne s'était pas écroulé.
AIDER POUR
CHANGEMENT PLATEAU
Troisième volume
L’immortel
OUVRIR SHUTTER
LANCER "indices_osc"
[PART3]
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 92
TOP
RIDEAU PRESQUE
OUVERT A FOND
Teddy
est le premier agent de change
qui se tue.
Dans les toilettes de Wall Street
il se tire une balle dans la bouche à 9h17 du matin.
Nous sommes le jeudi 24 octobre
de l’année 1929.
TOP 1
Moins 4, moins 3, moins 2, moins 1… Bravo !
[WS PANIC] Toute la rue applaudit.
On ouvre les portes,
c'est l'inauguration de l’Exposition de Peinture de la Collection Lehman.
La Peinture flamande, XVIe siècle.
Bobbie Lehman est à l'aise,
Bobbie qui pendant des années a sillonné l'Europe de long en large
à la recherche de tableaux de maîtres,
à présent c’est lui qui inaugure les musées et les galeries
en costume blanc cravate blanche,
immaculée
il a à peine fait l'éloge du clair-obscur,
“dans lequel on célèbre la synthèse du réalisme et de la transcendance de la
lumière…”
que toute la salle applaudit.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 96
À la fin de sa conférence
une foule de compliments adressés à Monsieur Lehman,
qui serre les mains, remercie et fait le baisemain aux dames.
Ruth Lamar est dans son dos,
elle fume sa Philip Morris
que Lehman Brothers finance aussi.
“Tu sais que quand tu prends la parole en public tu as les doigts qui tremblent ?”
“Laisse-moi saluer les gens : bonsoir Madame Thornby.”
“C'est bien ça : tes doigts tremblent, je t'ai observé, je le fais à chaque fois.”
“Tu ne devrais pas.”
“Interdit ? »
“Ça me gêne que les autres te voient m’observer.”
“Comme s'ils n'étaient pas au courant.”
“Parle moins fort. Pour beaucoup tu es encore une femme mariée.”
“Divorcée.”
“Ils ne le savent pas. Bonsoir Monsieur Guitty.”
“Voilà, tu vois que ta main tremble !”
“Parce que je ne suis pas tranquille, voilà tout.”
“Bon.”
“J'ai 37 ans, je ne veux pas qu'ils pensent que je fais le gamin avec …”
“Avec Madame Rumsey.”
“Parle plus bas. Bonsoir Madame Downs.”
“Alors épouse-moi.”
“Pardon ?”
“Marions-nous de grâce. Je l'ai déjà fait une fois, je sais qu'on n'en meurt pas.”
“Bonsoir Madame Meldley.”
“Si on se marie je pourrais te regarder ou pas ?”
“Oh professeur Rumoski.”
“Ce n'est qu'un échange de bagues, ni plus ni moins.”
“Très cher Monsieur Nichols.”
“La vie ne change pas tant que ça quand tu es marié, je t'assure.”
“Sénateur Spencer.”
“Seulement je te préviens, on se marie au Canada.”
“Général Holbert.”
“Et puis on file d'ici, on change d'air : j'exige au minimum un voyage en Europe.”
“Tu es une femme exigeante, tu ne trouves pas ?”
“Je suis une femme pratique, mon chéri. Et donc on y va : oui ou non ?”
Donc ?
Donc j'encaisse. Je vends.
Rendez-moi mon argent.
Quel argent ? Il n'y a plus d'argent.
L'argent est un mirage.
c’est des chiffres.
c’est de l'air.
Vous ne pouvez pas, là maintenant, tous, tous ensemble,
tous en masse vouloir votre argent en retour.
ils s'enfuient
Grégory, Peter, Jimmy, Dave, Fred, Mitch
la balle
la gâchette
le coup part
TOP SON
TOP 1 Quels beaux coups de feu font
tous ces pétards et ces feux d'artifice
[STOCKS qui éclatent dans la rue
CRASH] pour fêter les mariés !
Bobbie Lehman et Ruth, sa femme,
dans leur automobile
à peine rentrés de leur voyage de noces
sont accueillis par une foule
de photographes et de curieux
au 7 West 54ème Rue.
Lune de miel splendide.
L’Europe, outre-Atlantique,
d'ailleurs la Lehman investit dans les avions,
donc aucun problème pour voler.
Toute de vert vêtue, Ruth.
Bobbie costume blanc cravate blanche,
immaculée
derrière les vitres de leur Studebaker
ils saluent de la main.
“Ils ont du temps à perdre tous ces gens.”
“Ce sont les employés de la banque, Ruth.”
“Pire encore: ils te haïssent et viennent te saluer.”
“Je ne crois pas qu'ils me haïssent.”
“Aucun esclave n’aime son négrier.”
“Et je ne crois pas être un négrier.”
“C'est vrai, tu n’es qu’un vice-négrier.”
“Et le négrier-chef c'est mon père, c'est ça ?”
“Je n’ai pas le droit de le dire ?”
“Trop tard tu l'as dit.”
“Je suis réaliste, Bobbie, sainement réaliste.”
“Le monde n'est pas toujours aussi horrible que tu l'envisages.”
“En effet il est pire que ça.”
“Regarde ce gamin avec sa pancarte : il est écrit MERCI MISTER LEHMAN.”
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 98
“Ce n'est pas pour toi, Bobbie : c'est sûrement pour ton père.”
“Pardon ?”
“À chaque fois qu'on cite ton père, tu clignes des yeux. Ça veut quand même dire
quelque chose.”
“Qu'est-ce que mon père a à voir là-dedans ?”
“Philip, l'immortel. Quand ils disent MERCI MISTER LEHMAN c'est seulement pour
lui.”
“Tu es très dure.”
“Je viens de l’Illinois, ne l’oublie pas.”
“Ruth…”
“Combien avez-vous perdu ?”
“Beaucoup.”
“Combien ?”
“Des millions.”
“Combien ?”
“Je ne peux pas.”
“Je veux savoir.”
“Je ne suis pas autorisé.”
“Je m'appelle Lehman oui ou non ?”
“Mais tu n'es pas une Lehman !”
“Très bien, Bobbie, voilà qui est clair : nous divorcerons très vite.”
Chapitre II
Rainbow
Philip Lehman
est arrivé dans son bureau
une heure et demie plus tôt :
il voulait noter la marche à suivre,
en majuscules, dans son agenda.
Il s'est assis
devant le mur de miroirs.
il s’est regardé dans la glace Philip
avec son agenda ouvert, une plume à la main :
pour la première fois
Philip Lehman
ne sait pas quoi écrire
dans son agenda.
Il déglutit.
On frappe à la porte.
Nous y sommes.
“Entrez.”
“Pardon ?”
“À quel prix ?”
“Moi ?”
“Toi, Bobbie.”
Chapitre III
Noé
Il pleut à verse.
à la fenêtre de Bobbie Lehman
qui n’a plus en tête à présent
qu’une maudite Arche.
Voilà, justement.
Il divorce.
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 103
Autre problème.
Parce que Noé le patriarche devait sauver les hommes
- ce qui n'est pas peu -,
mais au moins il avait une famille.
Bobbie, non monsieur.
Bobbie, à la maison, a un champ de bataille.
Ruth n'a pas envie de jouer la femme du patriarche.
Ruth veut être le patriarche.
Et si vraiment on ne la laisse pas faire,
elle veut au moins donner un coup de main pour construire l'Arche.
Elle n'a aucune envie que Bobbie sauve le monde,
et rentre à la maison en disant “l’Arche avance”.
“Bien sûr que ça avance et moi je suis ici comme une potiche!”
“Tu sauras tout, en temps voulu.”
“Quand ?”
“Quand tout le monde saura.”
“Mais tu me prends pour qui ?”
“Calme-toi.”
“Je vaux moins que le dernier de tes bibelots, c’est ça ?”
“Je n'ai jamais dit ça.”
“Non mais je viens juste de le comprendre.”
“Ruth…”
“Fais gaffe, Bobbie, fais gaffe à toi : je pense sérieusement au divorce.”
Voilà.
Justement.
Il y a ça aussi.
L'humanité dira “Merci, Mister Lehman !”
Hé oui.
Un autre problème.
Faut-il préciser que Noé le patriarche n'avait pas de père ?
Eh bien, oui.
Un téléviseur dans la maison des Lehman.
toujours allumé,
afin que, Noé, chaque soir, dans son salon,
des cors aux mains, mort de fatigue,
puisse voir son cousin sauver l'Amérique du déluge.
Et, hélas, pas seulement l’Amérique !
“Tu as vu, Bobbie ? Regarde, ton cousin Herbert est en Allemagne !”
“Moi, à sa place, je n’y serais pas allé.”
“Mais qu'est-ce que tu racontes ?”
“Je n'aime pas cet Adolf Hitler.”
“Il n'est pas en Allemagne pour Hitler.”
“Ah non ?”
“Herbert transmet les hommages de l'Amérique à l'Europe démocratique.”
“Gouverner l’Etat de New York ne lui suffit pas ? Il veut devenir Gouverneur à
Berlin, ou quoi?”
“Tu es jaloux, je crois.”
“Je vais me coucher.”
“Déjà ?”
“Bonne nuit.”
“Je me sens veuve, Bobbie.”
“Regarde mon cousin à la télévision.”
“Demain je demande le divorce.”
Chapitre IV
Goliath
OUVRIR
SHUTTER
Quand une baignoire est pleine,
tu retires le bouchon
et elle se vide illico.
Bobbie le patriarche
-il faut le reconnaître-
a réussi son coup.
Il n'a peut-être pas construit son Arche,
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 108
Ruth. TOP 1
Deuxième femme.
Même prénom. [MAINKONG]
Épousée un mois après le divorce.
Ruth Owen.
Déjà mariée.
Mère de trois filles, Ruth.
Très bonne famille.
Sa mère ambassadrice.
Son père chef de parti.
“Tu sais, dans la famille nous sommes tous démocrates, Bobbie chéri”
“Vraiment Ruth chérie ?”
“Démocrate jusqu'au bout des ongles, Bobbie chéri.”
“Jusqu'au bout des ongles, Ruth chérie ?”
“Démocrate comme ton cousin Herbert !”
Bobbie sourit.
Il ne peut pas dire ce qu'il pense.
“Vive mon cousin Herbert.”
“Vive le New Deal !”
La vérité
c'est que dès que Hashem a vidé la baignoire 1 s
là en-dessous a poussé une sorte de forêt
pleine de monstres et de gorilles. JUMP TO
L’un d’eux est gigantesque
il s’est collé à la façade de la banque [VISAGE
et s'apprête à tout démolir.
KONG]
Donc Bobbie,
a endossé la cuirasse de David
et a pris sa fronde.
Il faut apprendre à tuer, c'est ça qu'il faut.
TOP 1
[Thank You]
Chapitre V
Shivà
Ni plus ni moins :
le monde entier nous regarde,
l'Amérique est une grande entreprise
et Wall Street ne peut pas se coucher
parce que la terre tourne autour du soleil
et que sur les marchés il ne fait jamais nuit.
Bref,
si Lehman Brothers parie sur le sourire,
si elle demande de l'argent pour garantir des sourires ad vitam,
comment veux-tu ensuite fermer pour cause de deuil ?
Ce serait une piètre stratégie publicitaire.
Et les partners ont l’image dans le sang,
parce qu’à présent
il y a des millions et des millions de téléviseurs,
un dans chaque maison
si tu ne soignes pas ton image
tu es hors-jeu.
Voilà pourquoi,
assis à la table de cristal,
dans leurs fauteuils noirs,
les partners Lehman Brothers
ne perdent pas un mot
du discours du Directeur de la Publicité.
Bravo le marché !
Aujourd'hui à la Bourse
les drapeaux seront en berne.
Qui sait si quelqu'un le remarquera.
Chapitre VI
Jonas
Bon d'accord.
Pour commencer, reprenons le contrôle des antennes.
Ainsi la moitié de l'Amérique entendra ce sacro-saint psaume.
Il suffit d'utiliser les téléviseurs.
Lehman Brothers a financé les appareils,
maintenant elle doit faire son entrée dans les émissions.
“Tu es en train de nous proposer de financer des producteurs de télévision ?”
“L’électronique.
Des calculatrices, des ordinateurs, des centrales téléphoniques,
l'Amérique fabrique encore tout à la main,
avec l'électronique, nous pourrions déclencher un court-circuit tel
que la baleine nous vomira !”
“Miséricorde, nous n’en retirerons rien si nous continuons à rester enfermés ici.”
“Il nous semble que pour ce projet les possibilités de gains sont assurées »
JUMP TO
[AVIONS 2]
Et voilà.
Ce fut à cet instant-là
que tout à coup
le poisson vomit Jonas et les États-Unis avec.
Hier soir,
Bobbie était en Arabie.
Après-demain
Bobbie sera au Pérou,
et après le Pérou à Sumatra.
À bord de son Boeing 707
Bobbie rebondit
comme une balle
d'un bout à l'autre
parce que le monde est petit
comme une table de billard,
et si aujourd'hui il joue au golf avec Eisenhower
demain il ira à un cocktail,
à Singapour, et voilà !
Bobbie Lehman
tient le monde entier
dans la paume de sa main.
Chapitre VIII
I have a dream
Autour de la table,
en cristal
au grand complet
les partners Lehman Brothers
ne perdent pas un mot
du discours du Directeur Marketing.
Extraordinaire.
Bobbie en bout de table sourit.
parce que quand son grand-père Emanuel et ses frères
ont fondé la banque
ils rêvaient d’un empire de coton et de café,
et quand son père Philip
l’a faite entrer en Bourse
il rêvait de train et de kérosène,
mais maintenant,
maintenant le plan est tout autre
ici on parle de vie éternelle, Messieurs,
on parle de donner un sens au monde,
vous comprenez
I have a dream, yes
I have a dream
et le rêve
n'est
rien de moins
que l'immortalité.
Chapitre IX
Egel haZahav
D’accord
pas un jour
sans que nos militaires
ne meurent au Vietnam
Ce jeune homme,
par exemple,
qui entre à l'instant dans son bureau
avec des joues comme des melons
il a à peine plus de trente ans.
Le regard perçant, même un peu trop,
un air arrogant,
un sacré culot,
il cassera les couilles au monde entier celui-là
à coups de marteau, à moins qu’il ne préfère la hache,
“Mon nom de famille, oui, je sais, il est hongrois.
Nous ne sommes pas des lâches comme ceux qui changent leur nom.
Et puis vous les Lehman vous étiez des juifs allemands, je le sais.
Si vous étiez allemands, je peux bien être hongrois.
Ou bien les Hongrois ne vous reviennent pas ?
S’ils ne vous reviennent pas, dites-le moi, et je m’en vais,
parce que, dans cette banque, vous avez beau avoir une montagne de fric
moi, j’ai une montagne d’idées,
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 125
“Pas encore.
Mais je voudrais en ouvrir un, justement.”
Paul Mazur
partner historique
a juré
qu’il ne mettrait plus jamais les pieds
à Water Street
empire de Hongrie
et au lunch du lundi
il fera part à ses collègues
de son incommensurable dédain.
Paul Mazur
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 128
76 ans
meurt peu de temps après.
Bobbie sourit :
ce n’est plus son problème.
Chapitre X
Twist 2s APRES DEBUT MUSIQUE
JUMP TO
Bobbie Lehman a 78 ans.
Et il danse le twist. [TWIST]
Il n'est pas le seul.
Le monde entier danse le twist.
TOP LUMIERE
Chapitre XI
Squash JUMP TO BAISSER
[BLANC] 1 ET 3
Sur la plaque accrochée à la porte d'entrée du bureau
il est inscrit “Président”.
Le fauteuil sombre
n'a pas changé
c’était celui d'Emanuel Lehman.
Le divan est le même,
c’était celui de Philip.
À présent tout appartient
au nouveau boss de Lehman Brothers.
Pourtant dans l'air
il n'y a rien de grec
ni de suédois.
Lew Glucksman
n'est jamais de bonne humeur
tôt le matin.
Aujourd'hui, il l’est encore moins que d'habitude,
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 131
Le Grec et le Hongrois :
l'un devant l'autre.
L’un est un banquier parfait.
L'autre est un trader de choc.
L’un est le Président de Lehman Brothers.
L’autre fait marcher la mine d’or,
et comme l’a déclaré à la presse
son pupille Dick Fuld
“sans nous ce ne serait rien que de la fumée, sans feu”.
Le Grec et le Hongrois :
l'un devant l'autre.
Un silence qui dure un siècle.
Peterson sourit.
Quand il était dans le Gouvernement de Richard Nixon
il a appris à sourire même aux ennemis,
il a un don pour ça,
il sourit sur commande.
gréco-hongrois.
Balle en jeu.
Balle hors-jeu.
La Hongrie a riposté trop fort.
Peterson sourit.
Il sait très bien faire ça.
Un zéro pour la Grèce.
Il remet la balle en jeu.
Balle hors-jeu.
La Hongrie est nerveuse.
Peterson sourit.
Il sait très bien faire ça.
Deux zéro pour la Grèce.
Il remet la balle en jeu.
Parfait.
Maintenant, c'est Glucksman qui mène le jeu.
Et ce sera du squash, jusqu'au dernier coup,
le gagnant est celui qui tape le plus fort.
Balle en jeu.
American Express
l’a racheté
à un bon prix.
TOP 1
[SONNETTE]
Épilogue
Monday Lunch
Autour de la table,
en cristal,
longue comme toute la pièce FERMER SHUTTER
sur les fauteuils noirs
on dirait le lunch du lundi
même s'il fait nuit
ou plutôt non tiens,
voilà l’aube.
Henry préside.
C’est sa place, depuis toujours.
Mayer Bulbe
Stefano Massini – “Lehman Trilogy” - 135
Bobbie Lehman
assis devant son père,
a de nouveau la main qui tremble,
et se mord la lèvre.
Herbert le sénateur
remet l'horloge au mur
à l’heure juste,
mais de toute façon ici le temps
est un étrange concept.
Henry se mouche,
plie son mouchoir en coton et le remet dans sa poche,
puis regarde ses frères :
“Et comment s'appelle-t-il ? J'oublie toujours son nom.”
“Dick Fuld.”
Il se lèvent.
Autour de la table.
Tous.
Matin et soir
ils réciteront le Kaddish
tout comme il le faisaient à Rimpar,
là-bas, en Bavière.