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Julien d'Huy
Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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All content following this page was uploaded by Jean-Loïc Le Quellec on 05 October 2015.
Or que nous dit-il dans les paragraphes en renvoi? Il considère que l'art
rupestre saharien est paléolithique, comme aussi, dans leur ensemble, les
arts rupestres d'Afrique australe, de 1'Oural ct de l'Inde centrale. Une
telle généralisation est inacceptable. Dans le détail, par exemple, ses
sources d'informations pour le Sahara sont obsolètes, car il persiste à
penser que le « Buba lin » constituerait une « phase » particulière (p. 527,
n. 338), alors que cene position intenable a été réfutée depuis plus de
vingt ans (voir par exemple Le Quellec 2013). Il reprend d'une manière
extrêmement naïve le vieux dossier des « béliers à sphéroïdes » du Saha-
ra (p. 267) en acceptant sans discussion l'hypothèse - pour le moins ris-
quée - selon laquelle ces animaux porteraient un disque solaire (contra:
Muzzolini 2001 ; Le Queliee 2001 ).
Manifestement, 1' auteur ne maîtrise pas du tout le dossier des arts ru-
pestres, sa documentation est trop ancienne, partielle ct partiale. Plutôt
que de renforcer sa mèse, l'usage qu'il fait de ce dossier ne peut que l'af-
faiblir aux yeux de tout connaisseur. Et si l'on interroge ses connais-
sances sur des périodes encore plus anciennes, le constat est similaire.
Ainsi, plutôt que de corriger son ouvrage après avoir cu connaissance de
récentes découvertes concernant les hommes de Néandertal, il préfère les
ignorer purement et simplement (p. XVITI). De la meme manière, il ne
considère que deux « humanités», celle d'Afrique, ct celle - de l'homme
moderne - sortie d'Afrique. Quid des êtres humains qui ont quittè précé-
demment cc continent, ces multiples formes issues d'Homo erectus ar-
chaïques ? Auraient-ils été totalement dépourvus de mythes ? N'au-
raient-ils pu interférer avec des hommes dits modernes venus plus tard ?
Aprés tout, Ncandcrtal nous a transmis une partie de ses gènes (Green et
al. 2010; Prüfcr et al. 2014); pourquoi pas une partie de ses mythes?
Pour échanger ses gènes, il faut d'abord sc comprendre. La chose était
d'autant plus importante qu'une influence néanderÙ!alienne pourrait ex-
pliquer une partie de la mythologie laurasicnne (voir une première hypo-
thèse dans Lajoyc 2006). Pourtant, Michael Witzcl ne pose même pas la
question. Et pour cc qui concerne cet homme « moderne », l'Eve afri-
caine aurait vécu, selon l'auteur, vers 130 000 ans, ct la sortie d'Afrique
daterait de 65 000 ans. Si la première date est, en l'état, à peu près exacte
(même si, depuis la découverte d'Homo sapiens ida/tu, on est bien obligé
de rechercher une date antérieure), la deuxième est fausse. L'auteur
ignore les découvertes de Qafzeh et de Skhul (Israël, 120 000/90 000
ans), pourtant célèbres, ou celles de Liujiang (Chine, vers 68 000 ans).
Au-delà de toutes ces critiques sur les données, il faut aussi s'attarder sur
la fonne de l'essai. Michael Witzel prétend à la réfutabilité, ce qui le
place, avons-nous vu au début du texte, dans une approche poppéricnne
de la science. Pourtant il ne cesse de trouver des hypothèses ad hoc pour
sauver sa théorie lorsque les faits ne sont pas en accord avec lui : il sé-
lectionne la littérature en sa faveur, tout en organisant sa défense. Ainsi,
selon l'auteur, pour faire s'effondrer sa théorie, il ne suffirait pas que les
contre-exemples concernant la diffusion d'un mythème en particulier se
multiplient, mais que l'organisation des mythèmes qu'il a sélectionné ne
se retrouve plus (p. 281 ). Pour procéder par analogie : qu'importent si les
briques utilisées pour construire une voiture Lego se retrouvent dans
d'autres boîtes, pourvu qu'elles ne servent à construire qu'un seul modèle
de voiture.
L'auteur paraît avoir senti la faille de sa théorie. Parmi les motifs qu'il
étudie, le déluge est universel, idem pour le Trickster amenant la culture
aux hommes (presque universel), le Dieu créateur se retrouve en Afrique
(mis en note, p.474), et on y trouve aussi des récits de création, par
exemple chez les Bambara (ces motifs sont donc bien présents dans un
secteur où, selon Michael Witzel, le monde serait éternel)... Aucune
carte, aucun relevé précis, ne pcnnet par ailleurs de vérifier que certains
motifs sont bien plus répandus dans une partie du monde que dans
l'autre. La base des énoncés est donc bien fragile.
Si l'on admet qu'importent peu les briques ct que c'est l'organisation des
mythèmes entre eux qui est importante, force est de constater qu'il est
rare de trouver ensemble les différents éléments de la cosmologie propo-
sée. Michael Witzel, bien conscient du danger, propose afin de le contrer
quelques hypothèses ad hoc :le peuple aurait oublié, ou modifié, son hé-
ritage. Le raisonnement de l'auteur se fissure davantage encore : si seul
compte le plan, on ne le retrouve pas partout, là où justement son omni-
présence devrait garantir la division du monde en deux grands schèmes
mythologiques. Face à ces difficultés, Michael Witzel décide de réduire
la structure laurasienne au maximum, en la définissant comme un
schème allant de la création à la destruction du monde, et en précisant
que les grands événements qui doivent sc dérouler entre ces deux cx-
trémes ne sont pas obligatoires (p. 283). Ce recul pose encore problème :
en effet, jamais n'est démontré le fait que la croyance en un début et une
fin de l'univers aurait été plus importante, aux yeux des peuples paléoli-
thiques, que par exemple le déluge. Dans ces conditions, pourquoi les
privilégier? Par ailleurs, le début de l'univers et sa déflagration finale ne
sc retrouvent pas partout en Laurasie, par exemple chez les Eskimos. La
rigueur autoproclamée de Michael Witzel ne doit donc pas faire illusion.
Les lacunes logiques sont nombreuses dans son ouvrage, ct suffisent à
elles seules à faire douter des fondements de sa théorie.
II aurait été pourtant facile d'étayer J'analyse statistiquement, en calcu-
lant le pourcentage de co-occurences de chaque mythème en plusieurs
points bien définis du monde. Ou même d'étudier plusieurs ethnies avec
précision ct de les mettre en regard dans un tableau. Cela n'a pas été fait
(ou quand cela a été fait, par exemple pour le tableau du Gondwana, cela
reste trts peu convaincant, avec de nombreuses cases vides). Au
conttaire, le lecteur fait face à une accumulation d'éléments en faveur de
la thèse de l'ouvrage, sans que l'auteur cherche à réellement tester
celle-ci. Or une collection d'observations (« Je n'ai vu jusqu'à présent
que des cygnes blancs ») ne permet pas d'induire logiquement une pro-
position générale (« Tous les cygnes sont blancs »), car une seule obser-
vation contraire («J'ai vu passer un cygne noir») invalide la proposition
générale.
Il semble au final que Michael Witzcl ait généralisé ses intuitions sans
prendre la prendre la peine de faire de véritables démonstrations. Il a,
comme Yuri Berezkin que nous avons récemment accueilli dans nos co-
lonnes, mis le doigt sur de véritables différences de distributions géogra-
phiques qu'il faut expliquer, mais à la différence du premier, il s'est obs-
tiné à reconstituer deux grands mythes dont la préhistoire, 1'histoire et
l'évolution rendraient compte de la situation actuelle. Cc n'est sans
doute pas entièrement faux, mais il est prématuré de l'affirmer, surtout de
manière péremptoire et schématique. Il paraît hautement préférable, du
moins pour l'instant, de sc contenter d'étudier la diffusion de certains
mythes ct motifs.
Alfred Muzzolini, << Les relations entre l'Égypte et le Sahara aux temps
néolithiques>>, in Josep Cervello Autuori (éd.), A/rica antiqua. El anti-
gua Egypto, una civilizacion africana, 2001, Barcelone, Aula AEgyptia-
ca studia, p. 205-218.