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Actes des congrès de la Société

des historiens médiévistes de


l'enseignement supérieur public

Les montagnes des médiévistes


Monsieur Benoît Cursente

Citer ce document / Cite this document :

Cursente Benoît. Les montagnes des médiévistes. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de
l'enseignement supérieur public, 34ᵉ congrès, Chambéry, 2003. Montagnes médiévales. pp. 415-433;

doi : https://doi.org/10.3406/shmes.2003.1866

https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_2004_act_34_1_1866

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Les montagnes des médiévistes

Benoît CURSENTE

Je remercie les organisateurs de l'honneur qu'ils m'ont fait de tirer les


conclusions des travaux de la cuvée 2003 du congrès annuel de notre
société, organisé sur ce thème un an après « l'année de la montagne » et
cinq ans après nos collègues modernistes . Il s'agit là d'un honneur
redoutable dans la mesure où nos travaux ont mis au jour un tissu de
diversités et de paradoxes qui semble irréductible à toute synthèse. À vrai
dire, l'exercice final qui m'échoit est le symétrique d'un autre exercice,
tout aussi redoutable, mais collectivement assumé, auquel ont dû se livrer
en amont les organisateurs de cette rencontre. Il leur a fallu définir un
programme et sélectionner des propositions tenant compte d'une
multitude de pondérations obligées. Les dix-neuf communications
effectivement présentées traduisent un savant équilibre entre périodes (une
grande majorité se rapportent aux trois derniers siècles du Moyen Age),
entre secteurs géographiques, entre types de sources et de thématiques,
entre centres universitaires enfin... Sachant combien l'art est difficile, je
ne me permettrai aucune remarque critique sur les choix effectués.
J'estime, par exemple, que compte tenu de la dispersion des thématiques
et des approches, la concentration des regards sur les montagnes
intéressant en tout ou en partie le territoire français actuel était la meilleure
façon d'espérer obtenir un certain nombre de regards croisés. J'ai pris le
parti de conserver le même compas d'observation de façon à ne pas
exagérément gonfler ces considérations conclusives.
Par l'effet d'un paradoxe quasiment inévitable et souvent observé,
le contenu de ce colloque ne reflète que de façon biaisée l'état réel de la
recherche. En effet, quand un secteur disciplinaire a récemment fait
l'objet d'une puissante vague de recherches parachevée par un colloque et
une publication majeure, les chercheurs concernés sont justement
réticents à présenter une communication faisant doublon avec un travail
qu'ils viennent de signer. À l'inverse, quand une recherche est encore
émergente, ses acteurs ne se sentent pas encore en mesure d'en présenter

1 . La montagne à l'époque moderne (Actes du colloque de 1998), Paris, 1998.


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les fruits devant l'aréopage des médiévistes français. Il m'est apparu que
mon rôle était, à cette place, de réintroduire ces deux ailes opposées de la
recherche pour mieux être en mesure d'apprécier et de mettre en
perspective les résultats de nos travaux chambériens.
Je me propose d'ordonner les réflexions qui suivent selon deux
registres. Tout d'abord, je reviendrai sur la riche pâture d'analyses et
d'informations qui nous a été offerte durant ces deux journées. Je
m'efforcerai d'en mettre en perspective les principaux apports. Dans un
second temps, j'examinerai les deux questions sous-jacentes à nos travaux
qui me paraissent conditionner le devenir des études sur les montagnes
médiévales : 1) Dans quelle mesure est-il pertinent et possible d'étudier
les sociétés de montagnes ? ; 2) Les sociétés de montagnes sont-elles
irréductiblement diverses, voire hétérogènes, ou bien subtilement
structurées par une charpente de même nature sinon de même apparence ?
Nos travaux ont été organisés autour de quatre thèmes : la
montagne traversée, la montagne gouvernée, la montagne vécue, la
montagne imaginaire. En fait ces quatre thèmes recouvrent deux façons
d'envisager les recherches : d'un côté la montagne considérée comme un
espace d'altérité, d'un autre la montagne considérée comme un espace
vécu. Et cette bi-polarisation thématique recouvre largement une autre
dualité. Dans le premier cas de figure, la montagne éclairée par des
sources qui lui sont extérieures se trouve dans une situation de
protohistoire ; dans le second elle est considérée comme un espace pleinement
historique. C'est là simplement prolonger le regard dialectique sur « ceux
qui passent et ceux qui restent »2, souvent repris depuis 1989.

La montagne espace de représentations


et de projections
L'étude des montagnes médiévales ressortit pour une part à
l'histoire des mentalités . Les montagnes servent tantôt de support à des
légendes spécifiques et tantôt d'espace projectif pour des réalités qui
intéressent la société englobante. Si nous laissons provisoirement de côté
les documents iconographiques, il appert que cette approche de la
montagne repose sur l'utilisation d'un corpus documentaire largement
commun aux historiens et aux littéraires. Avec le récent recueil d'études

2. P. Dubuis éd., Ceux guipassent et ceux qui restent. Études sur les trafics transalpins et leur impact
local, Actes du colloque de Bourg-Saint-Pierre, 1988, Grand-Saint-Bernard, 1989.
3. H. Martin, Mentalités médiévales II. Représentations collectives du xf au XV siècle, Paris, 2001,
p. 26-30.
Les montagnes des médiévistes 417

intitulé « La montagne dans le texte médiéval », nous disposons d'un


ouvrage de référence sur les représentations de la montagne , dont les
auteurs sont très majoritairement des spécialistes de la littérature. Les huit
communications se rapportant à cette thématique présentées dans notre
rencontre d'historiens constituent donc un précieux contrepoint et un
utile prolongement au discours des littéraires. Dans une telle perspective,
la montagne ne constitue par tant un objet d'observation localisé qu'un
thème universel, « au centre de la pensée symbolique des hommes »5.
C'est ainsi que Gilles Lecuppre a attiré notre attention sur le fait que la
montagne médiévale servait de support à l'avatar original d'un invariant
ethno-culturel qu'est le thème du roi de la montagne, signalé du Japon au
Cameroun. Dans un registre voisin, François Foronda a montré, à partir
de sources castillanes, comment se réalisait l'instrumentalisation de la
montagne comme métaphore du pouvoir royal.
Notre rencontre a permis de mettre au jour quelques paradoxes,
toujours utiles à examiner. Il se vérifie bien, d'un côté, que le recours aux
topoï constitue le mode habituel de description de la montagne. Locus
horribilis, sauvagerie sans nom des habitants, paganisme endurci des
autochtones... : la montagne, peuplée de diables et de sorciers, constitue
un lieu terrifiant (Ch. Lucken, G. Bischoff, Cl. Deanjean). Dans le
même registre d'un système de représentation figé sur des stéréotypes, je
placerai le domaine de l'iconographie, dominé par le souci d'exprimer des
idées à l'aide de conventions figuratives (D. Rigaux). Or, à côté de ces
représentations plus ou moins figées, existent des représentations en
mouvement. Ce mouvement, on le trouve d'une part dans la géographie
savante avec l'affirmation d'une réflexion rationnelle (Ch. Deluz).
D'autre part émergent dans les textes des éléments de description concrète
qui campent la montagne comme une réalité ordinaire, dont les éléments
sont à la mesure du regard de l'homme et de ses besoins dans la vie
quotidienne (O. Kammerer, Cl. Deanjean, A. Pinto, FI. Sabaté). Ce
paradoxe, on le voit, invite à poursuivre et à approfondir la réflexion sur
les différentes temporalités et les différents registres de notre histoire
culturelle . Vaste programme...

4. La montagne dans le texte médiéval. Entre mythe et réalité, Cl. Thomasset et D. James-Raoul éd.,
Paris, 2000.
5. Formule empruntée à Ph. Joutard, « La haute montagne. Visions et représentations », Le monde
alpin et rhodanien, 16/1-2 (1988), p. 7.
6. La question des interactions entre géographie savante et espace vécu a été récemment posée par
P. Gautier Dalché, dans le compte rendu paru dans Cahiers de Civilisation Médiévale, 44 (2001),
p. 384-385, à propos du livre de D. Dickinson, Medieval Space. The Extent of Microspatial
Knowledge in Western Europe During the Middle Ages, Lund, 1996.
418 Benoît CURSENTE

La montagne traversée :
marchands et pèlerins
La montagne se définit comme un espace où la circulation joue un
rôle d'autant plus structurant que le relief lui fait obstacle. Dans les
sources comme dans l'historiographie, la thème de la traversée des
montagnes occupe une place importante7. On a ici, avec bonheur,
poursuivi l'exploitation de la riche veine des récits de pèlerinage ou de
voyage profanes. Une fois la part faite, par un décryptage approprié, à la
dimension proprement humaine des faits, on en vient à un registre
d'analyse plus structural. La montagne se définit, simultanément, par la
particulière importance de situations d'isolement et une bonne capacité
d'insertion dans l'économie englobante (et par là même de syncrétisme8).
C'est une subtile affaire d'échelle, de moments, et de secteurs. L'étude
des péages, naturellement, privilégie l'image de l'ouverture. Comment
avoir une pesée globale de la « porosité » d'un massif ? Yves Coativy s'est
essayé à en expérimenter une en se fondant sur l'étude des trésors
monétaires.
Émergent deux faits contradictoires, qui méritent d'être également
soulignés. D'un côté, il faut prendre garde que nos propres habitus ne
nous poussent à l'anachronisme : eu égard à la conception médiévale de
la commodité et de la rapidité des transports, « la montagne barrière
n'existe même pas » (O. Kammerer). Cela étant, il faut sans doute
distinguer hautes terres et hautes vallées. L'apport de la période médiévale à
l'amélioration de la circulation intra-montagnarde, particulièrement dans
les Alpes, s'avère fondamental. La possibilité de passer un col en toutes
saisons constitue en soi une véritable révolution commerciale. Chacun
garde à l'esprit les pages magnifiques que Jean-François Bergier a
consacrées à l'aménagement du Saint-Gothard. Il était juste de reprendre ce
dossier majeur et Pierre Racine a fait pour nous le point sur le rôle
majeur que joue ce maillon de « l'axe eurasiatique » qui permet de relier
Londres à la Chine. Les spectaculaires aménagements des hautes vallées
ne doivent pas masquer des réalités beaucoup plus modestes mais sans
doute aussi beaucoup plus habituelles des conditions de circulation en

7. À titre indicatif quelques jalons : J.-F. Bergier, « Le trafic à travers les Alpes et les liaisons
transalpines du haut Moyen Âge jusqu'au XVIIe siècle », dans Le Alpi e l'Europa, III, Bari, 1975,
p. 1-72 ; P. Dubuis, éd., Ceux qui passent et ceux qui restent..., op. cit. ; G. Castelnuovo, « Tempi,
distanze e percorsi in montagna », dans Spazi, tempi, misure e percorsi nell'Europa del Basso
medioevo, Atti del XXXII Convegno Storico intemazionale deU'Academia Tudertina (Todi 1995),
Spolète, 1996, p. 211-236.
8. Cf. l'introduction d'E. Castelnuovo au magnifique volume collectif// Gotico nelle Alpi, 1350-
1450, Trente, 2002, p. 17-33.
Les montagnes des médiévistes 419

montagne. Je me permets de signaler combien est novatrice, à cet égard,


la récente thèse de Franck Bréchon qui a méthodiquement mis au jour les
2 000 kilomètres du réseau routier médiéval qui irriguent le Vivarais9.
En fait, dans tous les cas de figure, on peut et on doit envisager le
thème de la route comme un jeu d'échelles10 , à l'intersection des
« montagnes traversées » et des « montagnes vécues ». Il s'avère souvent
que le tracé des itinéraires comme leurs aménagements procèdent d'une
interaction entre les dynamiques des communautés des hautes terres et les
stimuli économiques, politiques, religieux, venus du plat pays.

La montagne espace vécu :


moines, princes, communautés
Le thème « communautés et pouvoirs » est central dans l'étude des
sociétés de montagnes envisagées dans la longue durée. Je retiendrai qu'il
a fait ici l'objet d'un ensemble de communications qui, présentées par de
jeunes médiévistes, reflètent le dynamisme actuel de ce secteur de
recherche. On ne peut que s'en réjouir. On sait en effet que l'émergence
dans les montagnes d'un ensemble de communautés autonomes (à des
degrés divers) constitue l'un des héritages majeurs de la période médiévale
mais que, faute d'études récentes, les historiens modernistes tendent à
intégrer cet héritage à leur territoire de recherche. Fabrice Mouthon a
présenté une synthèse nuancée de ce phénomène pour l'ensemble de l'arc
alpestre. Sa contribution aboutit à une classification du phénomène en
quatre cas de figure, qui constitue une précieuse pierre d'attente pour un
comparatisme élargi à d'autres massifs. C'est avec la même volonté de
lancer de nouvelles pistes, mais à partir d'un angle différent, que se situe
l'intervention de Roland Viader quand il cherche à situer la communauté
dans la charpente générale des sociétés de montagne en prenant en
compte le grain primordial qu'est l'unité domestique. Sous-jacente à ces
deux interventions se situe la question, fondamentale, de la militarisation
des sociétés de montagne, qui conditionne d'existence de libertés
paysannes11.

9. F. Bréchon, Réseau routier et organisation de l'espace en Vivarais et sur ses marges au Moyen Âge,
Thèse de Université de Lyon 2, 2000, dactyl.
10. B. Debarbieux, « La traversée des Alpes : une histoire d'échelles et d'intérêts, d'épousailles et
de divorces », Traverser Us Alpes, Revue de géographie alpine, 89 (2002), p. 1 1-24.
11. P. Freedman, Images of the Medieval Peasant, Stanford, 1999, p. 185-199 (l'Andorre et la
Suisse fournissent les paradigmes des libertés paysannes au Moyen Âge).
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Dans le jeu complexe des pouvoirs au sein desquels s'affirment les


communautés montagnardes, on rencontre inévitablement les moines,
gros producteurs de sources écrites. Un vigoureux recadrage de ce que fut
leur rôle social effectif nous a été proposé par Nicolas Carrier. Si la
seigneurie monastique occupe une place qu'on ne saurait minorer, bien
au contraire, la figure rhétorique du moine-défricheur a joué dans
l'historiographie le rôle d'un rideau de fumée qui a longtemps contribué à
occulter la société réelle, celle des paysans12. Le jeu des pouvoirs s'opère
en fait généralement entre trois partenaires : un prince territorial, des
seigneurs locaux (laïques ou ecclésiastiques), les communautés paysannes.
C'est à la lumière de cette dialectique qu'Anne Lemonde a proposé une
relecture stimulante de l'avènement des célèbres escartons dauphinois où il
appert que le prince reste le maître du jeu et qu'il instrumentalise les
communautés pour bâtir son Etat13.
Dans l'ombre portée du personnage mythico-historique de
Guillaume Tell ainsi que l'a restitué Jean-François Bergier1 , cette
nouvelle vague d'études conduit à réviser nombre d'idées reçues héritées de
l'historiographie traditionnelle, très longtemps prégnante1 . Elle ouvre
aussi sur de nouvelles perspectives d'histoire comparée sur lesquelles on
reviendra. D'ores et déjà, notons que s'est fait jour l'intérêt particulier des
princes du bas Moyen Âge pour la partie montagneuse de leur territoire
(E. Johans, A. Lemonde), et ce au détriment des seigneuries locales et au
bénéfice des communautés. En d'autres termes, les montagnes se prêtent
particulièrement à l'instauration d'un rapport privilégié entre le prince et
les communautés. Ce schéma s'inscrit en contrepoint d'une tradition
historiographique de sens opposé1 , et dans un tableau général
certainement tout en nuances et en contrastes. C'est ce que suggère ici même
la contribution de Flocel Sabaté qui souligne la forte identification des
communautés des Pyrénées catalanes aux seigneuries locales. En
définitive, la montagne ne constitue-t-elle pas un passionnant laboratoire

12. Voir aussi F. Mouthon, « Moines et paysans sur les alpages de Savoie (xie-XIIIe siècles) : mythe
et réalité », Cahiers d'histoire, 46/1 (2001), p. 10-25.
13. On comparera avec profit son interprétation avec celle qui a été récemment proposée par
N. Vivier, « La république des escartons », Annales du Midi, CXIV (2002), p. 501-515.
14. J.-F. Bergier, Guillaume Tell, Paris, 1988.
15. On peut trouver jusqu'à une date récente dans certains ouvrages un discours situé dans la
filiation de celui que tenait il y a un siècle J. Grand Carteret, La montagne à travers les siècles, 1,
Grenoble-Moûtiers, 1903, p. 36 : «Inculte étant inoccupée (la montagne) sera défrichée pour
devenir sous la haute direction des religieux un modèle de culture agricole ».
16. G. Chittolini, « Principe e comunità alpine », dans Città, comunità efeudi degli stati dell'Italia
centro-settentrionale (secoli XIV-XVl), Milan, 1996, p. 127-144 : la construction des principautés
nord-italiennes s'accompagne au XVe siècle d'un relâchement du contrôle exercé sur la partie
alpestre (ce que F. Ratzel avait qualifié en 1896 « d'anomalie » alpestre).
Les montagnes des médiévistes 421

dans la construction de l'État moderne17, qui comme le souligne Anne


Lemonde, entend intégrer les « inaccessibles sommets » à son emprise ?
Quelle est la place de la ville dans ce monde de ruralité ? Le
réexamen des rapports villes-montagnes au Moyen Âge constitue une
thématique émergente qui appelle de nouvelles recherches. Alors que
quelques nouvelles monographies urbaines ont vu le jour depuis la
disparition prématurée de la regrettée Réjane Brondy18, les médiévistes du
monde alpin ont mis au jour un jeu complexe de situations en
dissymétrie et en décalage1 . Autant dire que, si on perçoit bien que les choses
ne se passent pas exactement comme dans le plat pays, on peine à
élaborer une grille d'analyse adéquate . C'est dans ce contexte historio-
graphique que Jean-Luc Fray nous a présenté une analyse du réseau
urbain des hautes terres du Massif central qui, ayant fait un sort aux
anachroniques clichés d'«enclavement » et de « retard », se conclut par un
appel à la mise sur pied d'un programme européen d'études comparatives.

D'autres thèmes pour d'autres colloques


À côté des thématiques qui ont fait l'objet de contributions, il y a
celles qui sont demeurées en marge de nos travaux. Tel est au premier
chef le cas du thème « montagnes et châteaux » qui, en termes de
production scientifique, a certainement constitué un des plus féconds
champs de recherche de ces dernières années. Dans leur grande sagesse,
les organisateurs n'ont pas souhaité faire une part — qui aurait été
forcément réduite— à un thème qui mérite de donner lieu à un grand
colloque. Au vu des thèses soutenues et des travaux publiés on peut en
effet rien moins envisager que : 1) une réévaluation des châteaux et des
peuplements castraux au haut Moyen Age i ; 2) un état des lieux

17. C'est ce que suggère P. Cammorossano, « L'organizzazione dei poteri territoriali nell'arco
alpino », dans L'organizzazione del territorio in Italia e Germania, secoli XIII-XIV, G. Chittolini et
D. Wiloweit éd., Bologne, 1994, p. 79.
18. R. Brondy, Chambéry : histoire d'une capitale vers 1350-1560, Lyon, 1988 ; J. Theurot, Dole,
genèse d'une capitale provinciale, des origines à la fin du XV siècle ; les structures et les hommes, 2 vol.,
Dole, 1998 ; C. Denjean, « Puigcerda, 1177 : un modèle pour une "ville nouvelle" ? », Saint-
Michel-de-Cuxà, 2001, Cahiers de Saint-Michel-de-Cuxà, 2002.
19. Ville et montagne. Stadt und Gebirge, Histoire des Alpes 5 (2000), Zurich, 2000 (cf. les
contributions de K. Brandsstâtter, M. Kosi, G. Chittolini, G. Castelnuovo, G.-M. Varanini).
20. Cf. G.-M. Varanini « Città alpine del tardo Medioevo », dans // Gotico nelle Alpi..., op. cit.,
p. 35-51.
21. P. Porte, Larina de l'Antiquité tardive au haut Moyen Âge, thèse de l'Université d'Aix-
Marseille I, 2001, dactyl. ; programme de recherche coordonné par Laurent Schneider (avec la
422 Benoît CURSENTE

renouvelé des châteaux sur motte en pays de montagne22 ; 3) une


typologie générale : la montagne sans château , le château seigneurial à faible
pouvoir structurant sur l'habitat2 , le castrum en moyenne montagne , le
château princier autour duquel se vertèbre l'État26.
Dans le même ordre d'idées sont ici quasiment absents ou
fortement sous-représentés quelques autres thèmes de recherche qui
correspondent à des cas de figure différenciés. Au premier rang des
domaines de recherche les plus dynamiques, qui ont fait l'objet de
publications récentes, se trouve sans nul doute l'étude des activités extractives
et industrielles, principalement la métallurgie27. L'étude des activités agro-
sylvo-pastorales, élargie à l'exploitation des ressources naturelles de la
montagne28, est également d'une belle fécondité. Ce secteur a récemment
fait un bond en avant grâce à une exploitation intégrée des données des

fouille du site haut-languedocien de Pampelune) ; thèse en cours d'achèvement d'André Constant


sur les Albères du IVe au XIIe siècle (université de Toulouse II).
22. D. Mouton, La roca de Niozelles et Us mottes castrales du bassin de la Durance moyenne et ses
abords, thèse de l'Université Aix-Marseille I, 2003, dactyl.
23. R. Viader, L'Andorre du IX" au XlV siècle. Montagne, féodalité et communautés, Toulouse, 2003.
24. F. Guillot, Fortifications, pouvoirs, peuplement en Sabarthès (Haute-Ariège) du début du xf au
début du XV siècU, thèse de l'Université Toulouse II, 1997, dactyl; J.-L. Boudartchouk, Le
Carladez de l Antiquité au XIIf siècle : terroirs, hommes et pouvoirs, thèse de l'Université Toulouse
II, 1998, dactyl ; P.-Y. LafFont, Châteaux, pouvoirs et habitats en Vivarais, thèse de l'Université
Lyon II, 1998, dactyl ; D. Istria, Châteaux et habitats fortifiés dans le nord de la Corse (1077-1358),
thèse de l'Université d'Aix-Marseille II, 2000, dactyl.
25. B. Phalip, Seigneurs et bâtisseurs : le château et l'habitat en Haute-Auvergne et Brivadois entre le
xf et le XV siècle, Clermont-Ferrand, 1993 ; La maison du castrum de la bordure méridionale du
Massif central (xf-XVlf siècles), M.-G. Colin et alii éd., Carcassonne, Centre d'archéologie
médiévale du Languedoc, 1996 ; D. Dieltiens, L'architecture militaire et la fortification dans les Corbières
et le Fenouillèdes du X" au XVÎ siècle, thèse de l'Université de Lille III, 1998 ; Cabaret. Histoire et
archéologie d'un castrum : les fouilles du site médiéval de Cabaret h Lastours (Aude), M.-E. Gardel
éd., Carcassonne, 1999 ; M.-P. Estienne, Les réseaux castraux et l'évolution de l'architecture castrale
dans les baronnies de Mévouillon et de Montauban de la fin du X siècle à 1317, thèse de l'Université
d'Aix-Marseille II, 1999 ; S. Claude, Le château de Gréoux-les-Bains (Alpes de Haute-Provence) :
une résidence seigneuriale du Moyen Âge à l'époque moderne, Paris, DAF, 2000.
26. B. Demotz, Le comté de Savoie du XÎ au XV siècle. Pouvoir, château et État au Moyen Âge,
Genève, 2000 ; J.-M. Poisson, « Le palais comtal d'Albon (Xlf-XV1 siècle) : données textuelles et
archéologiques », Colloque international d'Avignon, nov.-déc. 2000 (sous presse).
27. Le fer dans les Alpes du Moyen Âge au XIX~ siècle {colloque Saint-Georges d'Hurtières, 1998),
M.-C. Bailly-Maître, N. Garioud et A. Ploquin éd., Montagnac, 2001 ; La sidérurgie alpine en
Italie (Xlf-XVIf siècle), Ph. Braunstein éd., Rome, 2001 ; C. Verna, Le temps des moulines : fer,
technique et société dans les Pyrénées centrales (Xllî-XVÎ siècle), Paris, 2001.
28. Signalons à titre indicatif: le numéro spécial « La montagne provençale », Provence historique,
XL (1990) (articles de N. Coulet et J.-P. Boyerj ; les thèses en cours de Juliette Lassalle (Alpes-
Maritimes), Amaia Legaz (Basse-Navarre), Delphine Brocas (Soûle) ; un programme collectif
achevé ( « Resopyr », dirigé par A. Catafau, clôturé en novembre 2002 par le colloque de Font-
Romeu, en cours de publication).
Les montagnes des médiévistes 423

textes avec celles de l'ethnologie, de l'archéologie et des archéo-sciences.


Nous voici à présent bien mieux armés pour réexaminer la délicate
question de la surcharge pastorale du bas Moyen Âge et pour enrichir les
études sur la transhumance, classiques mais toujours renouvelées29, par
l'examen des pratiques de l'estivage . On ne peut clore ce bref répertoire
des secteurs de recherche en pleine effervescence sans signaler la fécondité
des récentes rencontres entre médiévistes et modernistes sur le thème de
la « religion des montagnes », entendu non pas tant comme celui de la
« montagne magique » que comme l'examen des spécificités que peut
revêtir l'institution ecdésiale dans les hautes terres31.
Faisant contraste avec ces questionnements renouvelés qui ont
donné lieu à un foisonnement de programmes de recherches et de
colloques, il est d'autres thèmes qui se signalent, durant la décennie écoulée,
par une relative atonie conceptuelle. Ainsi celui de la démographie, des
mouvements de population. On se trouve en présence d'hypothèses fortes
relativement anciennes toujours bonnes à conforter ou à réviser : la
montagne comme réservoir d'hommes ; la corrélation entre l'émigration
tardo-médiévale et la mutation économico-sociale de la montagne
(déprise agricole au profit des activités pastorales) 3. Antony Pinto nous a
ici montré que l'exploitation systématique des registres notariés pouvait
permettre, pour les Pyrénées orientales, de donner un nouveau souffle
aux nécessaires recherches sur les hommes et leurs ressources
Par ailleurs, on assiste à la montée en puissance des recherches
fondées sur des grilles d'analyse combinant (selon des formules variables)
anthropologie et systémique écologique. Tout en saluant les importants
travaux récemment publiés sur les structures familiales des hautes terres ,
on relève la faible implication des médiévistes dans le débat
méthodologique et conceptuel
montagne3 . Manque dequi
sources
accompagne
appropriées,
l'étude
pesanteurs
des systèmes
historiographiques
familiaux de:

29. R. Comba, A.-L Dal Verme, I. Naso éd., Greggi, mandrie e pastori nelle Alpi occidentali (secoliXII-
XïJ, Cuneo, 1996.
30. C. Rendu, La montagne d'Enveig. Une estive pyrénéenne dans la longue durée, Perpignan, 2003.
31. Je me borne à renvoyer aux Actes, en cours de publication, du colloque de Tarbes (juin 2002)
« Religion et montagnes », qui parachève un programme de travail de deux années coordonné par
l'EPHE (N. Lemaitre) et l'UMR 5136 FRAMESPA (S. Brunei).
32. Voir la révision de ce lieu commun historiographique que fait J. Tricard, Les campagnes
limousines du XlV au XVf siècle. Originalité et limites d'une reconstruction rurale, Paris, 1 996, chap. 4.
33. Cf. en dernier lieu R. Comba, « La mobilita geografica délie popolazioni montane : l'esempio
délie Alpi Maritime », dans Contadini, signori e mercanti nel Piemonte médiévale, Rome-
Bari, p. 85-107.
34. Ph. Maurice, La famille en Gévaudan au XV siècle, Paris, 1998.
35. On en trouvera une excellente discussion dans la thèse de D. Albera, L'organisation domestique
dans l'espace alpin. Équilibres écologiques, effets de frontières, transformations historiques, Université
d'Aix-Marseille, 1995.
424 Benoît CURSENTE

les deux facteurs se combinent. En fait, on constate une dissymétrie entre


la médiévistique pyrénéenne3 , héritière des problématiques « Le play-
siennes » relayées par le phénomène « Montaillou »37, et celle des Alpes
qui tend à laisser ce domaine aux modernistes38, voire aux ethnologues3 .
Après avoir écouté les dix-neuf communications de ce congrès,
force est de constater l'inégale maturité des deux secteurs de recherche
consacrés aux montagnes médiévales que nous avons pensé pouvoir
identifier en introduction. L'étude des représentations fonctionne,
globalement, selon des schémas bien rodés et des méthodes éprouvées,
pour déboucher sur un discours qui embrasse les montagnes dans leur
généralité, voire la société englobante. L'étude des realia de la montagne
vécue est un domaine qui s'efforce de mettre au jour le fonctionnement
de sociétés concrètes fonctionnant dans un cadre restreint. Ce domaine
récemment revitalisé, mais encore tâtonnant, a particulièrement besoin
de rencontres telles que celle de Chambéry pour mettre au clair ses biais,
conforter ses méthodes et pour éviter, pour finir, que se développe une
logique d'accumulation de cas particuliers qui seraient irréductibles les
uns aux autres.
Peut-il y avoir une histoire « au-dessus de 1 000 mètres », s'est
interrogé Henri Falque-Vert en introduction du livre qu'il a récemment
consacré aux montagnes du Dauphiné ° ? La teneur des contributions
présentées ici même comme l'abondance et la qualité des récentes
publications monographiques ne laissent subsister aucune inquiétude41.
Mais il s'avère qu'une difficulté préalable réside dans la définition même
de ce qu'est la montagne.

36. B. Cursente, Des maisons et des hommes. La Gascogne médiévale, Toulouse, 1998, R. Viader,
L 'Andorre. .., op. cit.
37. E. Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, 1975.
38. Par exemple P. P. Viazzo, Upland communities. Environment, Population and Social Structure
in the Alpe Since the Sixteenth Century, Cambridge, 1989.
39. R. Me Netting, Balancing on an Alp. Ecological Change and Continuity in a Swiss Moutain
Community, Cambridge, 1981.
40. H. Falque-Vert, Les hommes et la montagne en Dauphiné au XIIf siècle, Grenoble, 1997.
41. J.-P. Boyer, Hommes et communautés du haut pays niçois médiéval : la Vésubie (Xllf-xV siècles),
Nice, 1 990 ; N. Carrier, La vie montagnarde en Faucigny à la fin du Moyen Age : économie et
société, fin Xllf-début XVf siècle, Paris, 2001 ; P. Dubuis, Une économie alpine à la fin du Moyen
Age. Orsières, VEntremont et les régions voisines, 1250-1500, 2 vol., Sion, 1990; R. Viader,
L Andorre..., op. cit.
Les montagnes des médiévistes 425

L'objet : les montagnes


et les sociétés de montagnes
S'il est une réflexion, parfois désabusée, qui a parcouru ces
journées, c'est bien celle-ci : la montagne médiévale constitue décidem-
ment un objet d'étude bien difficile à cerner — ce dont témoigne
notamment le titre de la contribution d'Odile Kammerer. La question de la
définition de la montagne se pose donc comme un préalable, et mes
remarques conclusives font boucle avec le propos introductif de Georges
Cornet. Il n'est peut-être pas inutile de déblayer le terrain en mettant au
jour les présupposés qui conditionnent notre discours. À commencer par
un paradigme historique majeur : nous avons tous intériorisé les pages du
grand œuvre de Fernand Braudel, dans lesquelles il impose comme une
évidence l'image d'une montagne conservatoire d'archaïsmes, peuplée
d'hommes sauvages, pauvres et libres 2. Toutefois, c'est du côté de la
géographie que nous sommes tentés d'aller chercher nos certitudes. En effet,
la montagne a longtemps constitué l'objet géographique par excellence
dans la mesure où, dans le discours « vidalien », elle constitue un
laboratoire privilégié pour mettre au jour les interactions entre l'homme et le
milieu — un statut qui, comme nous l'a appris ici même Christiane
Deluz, est déjà le sien au XIIe siècle ! Or, les géographes actuels ont
basculé dans l'incertitude, et avouent leur incapacité à s'accorder sur une
définition universelle de la montagne 3. Cette attitude reflète l'importance
prise par le courant subjectiviste au sein de la géographie, et sans doute
plus généralement au sein des sciences humaines. Le fait qu'un groupe
humain ait tendance à nommer montagne tout élément différencié d'un
paysage (même de très faible relief) constitue un objet intéressant en soi.
Et plus généralement, il importe de prendre en compte les décalages
observés entre une « montagne socio-culturelle » et une « montagne
physique » : à conditions naturelles comparables, les sociétés ont pu
adopter des modes d'organisation différents tant dans la succession des
temps que dans des espaces voisins .
Au total, pour l'historien qui s'intéresse aux sociétés de montagne
force est de se résigner à gérer la complexité et les ambiguïtés de son objet

42. F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe H, Paris, 19662,


p. 27-47.
43. Voir en dernier lieu Revue de géographie alpine, 2001-2, « Quelle spécificité montagnarde ? »,
B. Debarbieux et F. Gillet dir. , et Les montagnes. Discours et enjeux géographiques, Y. Veyret dir.,
Paris, 2002.
44. Cf. à titre d'exemple la fine analyse des systèmes de moyenne et haute montagne que fait
P. Charbonnier, Une autre France. La seigneurie rurale en Basse-Auvergne du XlV au XVf siècle, I,
Clermont-Ferrand, 1980, p. 337.
426 Benoît CURSENTE

d'étude qui se situe sur trois registres souvent difficiles à démêler.


L'historien a pour point de départ obligé le lexique et les données
sémantiques des sources. Ensuite il lui faut évaluer avec précision l'impact des
lourdes contraintes du milieu naturel : la montagne constitue comme la
mer ou le désert un « milieu paroxystique » qui impose son empreinte
aux activités et les mentalités des nommes. Pourtant, en dernier lieu,
l'historien se doit de prendre la bonne mesure de la pluralité des possibles
en analysant finement comment les apparentes rigidités recouvrent des
marges d'adaptation au changement.
Au-delà de ce constat, c'est la pertinence même des études portant
spécifiquement sur un massif montagneux qui est en question. Pour être
légitimes, de telles recherches doivent être menées comme un souple et
permanent jeu d'échelles. À micro-échelle, ce n'est pas tel massif
géographique que l'on observe mais, en son sein, telle ou telle vallée où a pu
prendre corps une organisation socio-spatiale distincte de la vallée voisine.
Et à macro-échelle ledit massif est loin d'être toujours l'unité de référence
adéquate puisque bien des phénomènes ressortissent à une dialectique
montagne-plat pays 5. N'a-t-on pas récemment montré que les
microscopiques variations de structure mises au jour dans les fouilles des fonds de
cabanes de bergers en Cerdagne pouvaient être interprétées comme un
« sismographe » des changements intervenus dans l'économie
méditerranéenne ?

Les moyens : quelles sources pour l'histoire


des sociétés de montagnes ?
En montagne comme dans le plat pays, la question des sources
conditionne évidemment toute recherche. Si tant est qu'ait pu encore
flotter l'idée selon laquelle les sources des pays de montagnes sont plus
pauvres que celles de la plaine, la visite guidée des trésors documentaires
conservés aux archives de Chambéry a permis de dissiper tout
malentendu. La véritable difficulté réside dans la très forte disparité et la
violente inégalité qui caractérisent la couverture des secteurs de
montagne. Contraste absolu entre la qualité des éclairages dont bénéficient

45. On trouvera, entre autres ouvrages, une illustration de ce constat dans les thèses de
P. Bonnassie, La Catalogne du milieu duX" à la fin du xt siècle. Croissance et mutations d'une société,
Toulouse, 1975-1976, 2 vol. ; F. Menant, Campagnes lombardes du Moyen Âge. L'économie et la
société rurales dans la région de Bergame, de Crémone et de Brescia du X~ au XIIf siècle, Rome, 1 993 ;
J.-J. Larrea, La Navarre du iV au XIf siècle. Peuplement et société, Bruxelles, 1998.
46. C. Rendu, La montagne d'Enveig. .., op. cit., p. 330-331.
Les montagnes des médiévistes 427

notamment les Abruzzes et la Catalogne des IXe-xT siècles et l'obscurité


totale ou la vague pénombre dans lequel restent plongés la plupart des
massifs montagneux. Contraste encore, plus en aval du temps, entre les
montagnes quadrillées par les comptes de châtellenies et celles qui en sont
dépourvues, tout en bénéficiant parfois de sources d'une autre nature (à
l'instar des registres notariés de Puigcerdà). De là, des questions
fondamentales : dans quelle mesure le sentiment de décalage voire d'étrangeté
que ressentent, par exemple, historiens des Alpes et historiens des Pyrénées
en comparant leurs résultats respectifs découle-t-il d'un fonctionnement
différent des sociétés ou bien d'une différence de nature des sources
utilisées ? Plus généralement, ce biais originel n'interdit-t-il pas toute
étude comparée des sociétés de montagne ?
Au-delà de cette question déterminante, la documentation des
montagnes suscite d'autres interrogations. Les sociétés de montagne
entretiennent-elles un rapport particulier avec ce qu'il est à présent
convenu de nommer la literacy ? La rudesse de la langue utilisée, souvent
notée, n'est pas tant la preuve d'un archaïsme que d'une précoce
appropriation de l'écriture par les communautés valléennes . Des études
attentives montrent que celles-ci ont eu la capacité d'instrumentaliser de
façon sélective l'acte écrit, soit pour consigner des privilèges anciens,
soigneusement conservés dans leurs archives, soit au contraire pour tenir
hors du champ de l'écriture des pratiques qu'ils n'avaient aucun intérêt à
exposer au regard des légistes princiers 8. Tandis que les textes coutumiers
locaux sont incompréhensibles sans l'éloquence de leurs silences 9, il
semble y avoir dans certains cas une sorte d'escalade entre la capacité
procédurière des communautés et la sophistication croissante des
administrations . Une seconde question subsidiaire touche la profondeur
réelle du champ de vision sur la société que permettent ces sources. Les
sociétés de montagne se caractérisent en effet fréquemment par la
prégnance des structures de médiation (comme les manses) qui cachent
au regard de l'historien la partie la plus défavorisée de la population. Par
ailleurs, l'abondance et la précision pré-statistiques des sources fiscales

47. Voir à titre d'exemples la charte de Tende (fin XIe siècle) récemment revisitée par L. Ripart,
« Le comté de Ventimille a-t-il relevé des marquis arduinides ? », dans Le comté de Vintimille et la
famille comtale, A. Venturini éd., Menton, 1998, p. 147-167.
48. Fait récemment noté tant dans les Alpes que dans les Pyrénées : F. Mouthon, « Le règlement
des conflits d'alpages dans les Alpes occidentales (Xllf-XVf siècles) », dans Le règlement des conflits
au Moyen Âge (Congrès SHMESP d'Angers, 2000), Paris, 2001, p. 259-279, et R. Viader, L'Andorre. . .,
op. cit., chap. 8.
49. P. Caroni, « Statutum et silentium. Viaggio ne\Y entourage silenzioso dell diritto statutario »,
Archivo storico ticinese, 117 (1995), p. 129-160.
50. M. Gelting, « Les hommes, le pouvoir et les archives : autour des reconnaissances du mas
Diderens à Hermillon », Études savoisiennes, 3 (1994), p. 5-45.
428 Benoît CURSENTE

incitent à conduire à partir des unités tributaires des raisonnements


« autosuffisants », alors que se trouvent occultés les réseaux familiaux qui,
comme l'ont montré les modernistes, occupent une place essentielle dans
le jeu social. Enfin l'étendue du champ géographique couvert par ces
sources suggère une dernière observation : d'immenses espaces restent
quasiment blancs ou vierges. La documentation écrite est insuffisante
pour historiciser l'espace montagnard dans son ensemble.
Nous ne prétendrons pas pour autant que la documentation écrite
est incapable d'éclairer l'histoire environnementale. L'effondrement du
Granier, en 1248, connu par neuf sources différentes et qui a récemment
fait l'objet de magistrales études, apporterait un cinglant démenti à
pareille assertion51. Mais, capables d'enregistrer l'exceptionnel, ces sources
ne consignent pas l'ordinaire. C'est en cela qu'est irremplaçable l'apport
récent de l'archéologie et des sciences paléo-environnementales : anthra-
cologie, palynologie, carpologie. . . La voie a récemment été ouverte par
des travaux pionniers achevés ou en cours52. Citons ceux de Marie-Pierre
Ruas qui restitue un paysage agraire de moyenne montagne à partir de
l'analyse des graines calcinées d'un grenier du XIVe siècle53 ; ceux de
Christine Rendu qui historicise les estives à partir de fouilles de cabanes
de bergers54 ; ceux passés et en cours d'Aline Durand qui éclaire
l'environnement médiéval des montagnes du sud à partir d'analyses anthraco-
logiques...55 Toutes ces recherches individuelles récemment publiées
constituent la partie émergée de différents programmes collectifs (PCR,
ACI, APN), de plus ou moins grande ampleur géographique, qui
donneront à leur tour leurs fruits dans les toutes prochaines années5 .
Ayant constaté l'existence d'une dynamique de recherche, impulsée
par les travaux de jeunes historiens et renforcée par l'apport des
disciplines archéologiques, il me serait ici loisible de mettre un terme à ce
propos condusif. Le stock des études de cas est en passe de
considérablement s'enrichir, ce qui conduira à réévaluer la foisonnante diversité
des sociétés locales. C'est là une évolution heureuse de ce domaine de

51. J. Berlioz, « L'effondrement du mont Granier en Savoie (fin 1248). Production, transmission et
réception des récits historiques et légendaires (xiIl'-XVlf siècles) », Le monde alpin et rhodanien, 15/1-2
(1987), p. 7-68 ; cf. aussi L'éboulement du Granier et le sanctuaire de Myans, Chambéry, 1998.
52. D. Galop, La forêt, l'homme et le troupeau dans les Pyrénées: 6000 ans d'histoire de
l'environnement entre Garonne et Pyrénées, Toulouse, 1998.
53. M.-P. Ruas, Productions agricoles, stockage et finage en Montagne Noire médiévale. Le grenier
castrai de Durfort (Tarn), Paris, 2002.
54. C. Rendu, La montagne d'Enveig..., op. cit.
55. A. Durand, Les paysages médiévaux du Languedoc (X-Xlf siècles), Toulouse, 1998 ; habilitation
en cours d'achèvement sur les montagnes du Sud.
56. Est sous presse l'ouvrage coordonné par L. Fau, Approches de l'habitat médiéval et de l'activité
économique en moyenne montagne. Les dépendances de la domerie d'Aubrac, Paris.
Les montagnes des médiévistes 429

recherche, dont on ne peut que se féliciter, mais dont on ne saurait se


satisfaire. Partageant en cela l'opinion d'Alain Guerreau, j'estime que le
but de tout médiéviste doit être d'apporter sa contribution à une
meilleure compréhension de la dynamique globale des sociétés
médiévales 7. D'où les propositions que je me risque à faire pour finir.

L'horizon : peut-on identifier un faciès de


montagne du système social médiéval ?
Il me semble que les travaux présentés lors de ces deux journées
chambériennes, ajoutés à ceux qui ont été récemment publiés, ou qui
sont actuellement en cours, conduisent à risquer une réponse positive.
Non sans précautions. Chronologiquement, la profondeur de perception
des éléments de la charpente générale ci-dessous présentés ne remonte pas
en deçà du XIIIe siècle. Ces éléments ne sont qu'inégalement perceptibles
et rarement tous rassemblés. Dans l'énumération qui suit, chacun des
éléments se présente comme une palette de cas de figure largement
ouverte en sorte que la combinatoire de l'ensemble compose un tableau
tout en diversité. J'en donne donc bien acte aux organisateurs : les
montagnes sont fondamentalement plurielles. Enfin, s'il est manifeste
que cette vision des faits est partie d'une expérience de recherche
pyrénéenne58, soulignons qu'elle n'a d'autre ambition que de susciter des
réactions permettant de la rendre obsolète pour accéder — enfin — à l'au-
delà des particularismes de massifs.
1) Sans doute faut-il davantage tirer toutes les conséquences du fait
que, dans la documentation médiévale, le mot « montagne » ou ses
équivalents signifient généralement pâturage. Parce qu'il est un moyen de
production majeur, Yincultum constitue en effet non pas un espace
marginal, mais l'espace structurant dont l'accès et le contrôle déterminent
largement l'organisation sociale. Il est significatif que le marché des
parcelles de terre individuellement appropriées soit généralement libre et
l'accès aux pâturages communs fortement restrictif. De par leur nature,
les alpages constituent en même temps un « espace édredon » qui a pu
absorber les à-coups de la pression démographique, au prix il est vrai
parfois d'épisodes conflictuels. Quant aux zones intermédiaires, celles des
cultures temporaires où se rencontrent élevage et agriculture,
appropriation individuelle et communautaire, elles constituent dans ces sociétés
des secteurs de respiration essentiels, dont l'étude est à reprendre.

57. A. Guerreau, L 'avenir d'un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge au XXÏ siècle ?, Paris, 200 1 .
58. Je remercie chaleureusement Guido Castelnuovo de m'avoir aidé à compléter ma
bibliographie « alpestre ».
430 Benoît CURSENTE

2) Dans le plat pays, la tenure parcellaire constitue l'unité sociale et


productive de base. Hautes vallées et hautes terres sont caractérisées par la
prégnance d'une cellule élémentaire d'une autre nature dont le manse (ou
mas) est le prototype. L'importance de cette structure et sa complexité
sont telles qu'elle mériterait de donner lieu à un programme de recherche
spécifique. Elle se révèle à l'historien à des intersections variables entre
unité de compte fiscale et unité concrète d'habitat — le hameau parfois
appelé « village »59 -, entre groupement parental et communauté de
voisinage. Souvent arrimée au seigneur par un lien puissant qui relève du
vocabulaire féodal {servicium, ligesse), cette unité fonctionne à la façon
d'une seigneurie rustique sur un modèle familial à la fois patriarcal et
communautaire qui lui assure une remarquable pérennité dans la longue
durée. Cette unité domestique constitue en même temps une unité de
production qui, pour se trouver en adéquation avec les conditions
écologiques, comporte nécessairement un certain nombre de parcelles de
cultures et de droits d'usage forestiers et pastoraux °.
3) Structurée d'une façon qui les fait parfois qualifier de
« claniques » par les historiens modernistes — ce dont on peut discuter -,
les sociétés paysannes de montagnes sont en tout état de cause des
sociétés inégalitaires. La puissance des solidarités inhérente à la rudesse du
milieu naturel et aux situations d'isolement tend à occulter ces inégalités
qui du reste, contrairement au restant des sociétés rurales médiévales, se
laissent rarement appréhender à l'aune de la propriété foncière '. En effet,
la société semble généralement organisée de façon à donner à tous les
moyens de survivre de façon à ce qu'une minorité puisse asseoir
durablement sa domination. Cette domination, qui est parfois brutale 2,
et plus souvent subtile, résulte d'un panachage très diversifié selon les
régions et les périodes : accès privilégié aux revenus de l'élevage
(pâturages, prairies irriguées, production fromagère), insertion dans des
réseaux commerciaux, contrôle du crédit, de l'institution ecclésiale locale,
des offices subalternes... Dans le même temps, on note souvent un faible
différentiel entre les élites paysannes et les besogneuses familles de la
petite aristocratie locale avec lesquelles elles coexistent 3.

59. Cf. en dernier lieu Le village des Limousins. Études sur l'habitat et la société rurale du Moyen Âge
à nos jours, J. Tricard éd., Limoges, 2003.
60. R. Me Netting, Balancing on an Alp..., op. cit.
61. Essentiel est à cet égard l'éclairage des modernistes : L. Fontaine, « Les sociétés alpines sont-
elles des républiques de petits propriétaires ? », dans La montagne à l'époque moderne. .., op. cit., p. 47.
62. B. Cursente, Des maisons et des hommes..., op. cit, met au jour le fossé qui sépare les casalers,
maîtres de maisons peu différenciés de la petite aristocratie, et leurs propres tenanciers appelés botoys.
63. Deux exemples : celui de Montaillou, E. Le Roy Ladurie, Montaillou..., op. cit., p. 43 ; et
celui du village suisse deTôrbel, R. Me Netting, Balancing on an Alp..., op. cit., p. 53.
Les montagnes des médiévistes 431

4) C'est sur la base de cette structure élémentaire que se sont


constituées les communautés, qu'il faut se représenter comme des
syndicats de chefs de maisons. Celles-ci se présentent souvent comme un
emboîtement plus ou moins complexe. Les plus profondément enracinées
ne sont pas forcément les mieux documentées, mais souvent les
communautés taisibles des mas et des hameaux. Celles que l'on rencontre
le plus habituellement dans les textes sont les communautés de villages
qui tendent à constituer des seigneuries collectives. Les plus puissantes
sont les communautés de vallées. Leur montée en puissance face aux
seigneurs locaux semble aller de pair avec le compromis passé avec le
prince pour lui servir de relais administratif et fiscal dans le cadre de
l'Etat émergent. Les plus chanceuses (cantons suisses, Andorre) ont
durablement pris place sur la carte politique de l'Europe.
5) Du fait de la prégnance des manses, les pôles autour desquels
s'est effectué l'encellulement n'ont souvent pu jouer qu'un rôle limité
dans le resserrement de l'habitat qui caractérise, on le sait, les XIe-
XIIIe siècles. C'est particulièrement vrai pour le château, souvent
surimposé, voire absent sur les hautes terres. Toutefois, au contact de l'aire
méditerranéenne, l'habitat des montagnes a été modelé par Y incastellamento
dans des proportions et avec une profondeur dont on met
progressivement au jour toute la diversité . Dans les cas les mieux documentés il
appert que cette concentration correspond à l'option des élites alleutières
de la paysannerie . Partout ailleurs, le tissu de base est constitué par des
hameaux (ici ou là appelés « villages ») qui correspondent à des îlots
familiaux plus ou moins complexes .
6) Du fait de sa cohérence, ce tissu tend à faire résistance au
système englobant tel que l'identifie Alain Guerreau : un système ecclésial
dans lequel s'encastrent le lien social, la parenté, le prélèvement...
L'institution ecdésiale apparaît ici davantage intégrée aux cellules
familiales et à la communauté du lieu qu'à l'Église catholique. Les modernistes
ont été les premiers à se préoccuper de cette question fondamentale 7. Il
est vrai que les sources médiévales sont telles que l'on peine à mettre au
jour un phénomène souvent difficilement lisible et inégalement marqué.
Ce « communautarisme » a cependant été identifié comme fait de structure

64. P. Toubert, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du IX" à la fin
du Xlf siècle, 2 vol., Rome, 1973.
65. L. Feller, Les Abruzzes médiévales. Territoire, économie et société en Italie centrale du IX" au
Xlf siècle, Rome, 1998, chap. 6.
66. Villages pyrénéens. Morphogenèse d'un habitat de montagne, M. Berthe et B. Cursente éd.,
Toulouse, 2001.
67. N. Lemaitre, « Y a-t-il une spécificité de la religion des montagnes ? », dans La montagne à
l'époque moderne..., op. cit., p. 135-155.
432 Benoît CURSENTE

dans les Alpes 8. Dans les Pyrénées, les travaux récents permettent de
mettre au jour contrastes et nuances. Dans les hautes vallées du centre de
la chaîne, l'Église a littéralement été « possédée »69 : du XIIIe siècle au
concile de Trente les prêtres y ressortissent à un système familial et non à
l'Église universelle, de même que la dîme y est communautairement
gérée, à l'instar des pâturages70. Et, comme on l'a bien montré pour le
Dauphiné, la sorcellerie et la déviance ne préexistent pas, mais naissent de
la friction entre des sociétés paysannes particulièrement cohérentes et
l'irruption en force de l'État moderne et de l'Église universelle71.
7) II faut cependant prendre garde de taxer trop vite œs sociétés
« autres » d'archaïques. On parlera plutôt, là encore, de paradoxe. D'un
côté, par nécessité et par choix, les communautés sont portées à vivre dans
une auto-suffisance conservatrice. Mais elles se caractérisent, aussi, par une
remarquable capacité d'adaptation à l'innovation et au changement. Elles
ont su précocement en plusieurs endroits, grâce à des techniques de fumure
et d'irrigation, élaborer un système de production « hautement intensif»7 .
Par ailleurs, en dehors et parfois loin du manse où s'enracinent les élites
montagnardes, fonctionnent des réseaux familiaux que les sources, quand
elles existent, permettent d'identifier. Artisans, marchands, prêtres,
mercenaires, notaires, officiers, contribuent ainsi à leur façon à la renommée, à la
prospérité, voire à la simple survie de la cellule-souche. Sans doute faut-il
replacer dans cette perspective, du moins partiellement, les phénomènes
migratoires. On observe enfin que ces sociétés sont plus que d'autres, par
nécessité et par culture, prédisposées à la pluri-activité et à l'échange.
L'essor du pastoralisme ressortit à la logique spéculative d'une économie
ouverte. Partout où il a été étudié, le décollage de la métallurgie
montagnarde, dans les derniers siècles du Moyen Âge, se révèle indissociable d'un
engagement des élites locales. Et formulons l'hypothèse que si les rapports
ville-montagne se laissent si difficilement décrypter c'est, pour partie, que la
dialectique y est plus déroutante. Les élites urbaines qui investissent la
montagne sont parfois issues des branches cadettes des élites
communautaires qui ont investi la ville !

68. D. Rando, « La Chiesa e il villaggio in area alpina (secoli XIV-XV) », dans // Gotico nelleAlpi. . .,
op. cit., p. 53-59.
69. R. Viader, L'Andorre..., op. cit., chap. 7.
70. S. Brunet, Les prêtres des montagnes. La vie, la mort, la foi dans les Pyrénées centrales sous
l'Ancien Régime, Aspet, 2001 (restitue la genèse médiévale, à partir du XIIIe siècle, d'une situation
qui perdure jusqu'au XVIIe siècle).
71. P. Paravy, De la chrétienté romaine à la Réforme en Dauphiné. Évêques, saints et déviants
(v. 1340-v. 1530), 2 vol., Rome, 1993 ; « Dissidences religieuses et sorcellerie : une spécificité
montagnarde ? », Heresis, 39, 2003.
72. R. Me Netting, Balancing on an Alp..., op. cit., p. 43-49.
Les montagnes des médiévistes 433

II va de soi que plusieurs des éléments qu'on vient d'énumérer se


rencontrent, séparément, ailleurs qu'en zone de montagne. Ce qui fait
« système », c'est la superposition organique de plusieurs d'entre eux. Or,
dans les montagnes médiévales, ce système ne semble pas exister avant le
XIIIe siècle. Antérieurement, partout, les choses apparaissent moins
structurées, plus lâches. Est-ce un pur effet des sources si l'on ne voit guère
alors que les évêques, les moines, les seigneurs laïcs, et si l'on recueille des
indices donnant à croire que l'agriculture y est relativement plus
importante ? Que s'est-il passé de décisif entre le XIIe et le XIIIe siècle ?
Pour l'heure, le chercheur qui a ouvert la piste la plus prometteuse est
Chris Wickham . Il a pu suivre dans l'Apennin toscan le devenir de la
paysannerie libre du haut Moyen Âge. Or, dans le secteur montagneux, il
remarque que les familles dominantes ont fait le choix, au XIIe siècle, de
s'investir localement plutôt que de tenter l'aventure de la chevalerie. Et ce
sont ces élites qui ont constitué l'armature des communautés. On entre là
dans un débat ancien qu'il conviendra certainement de réactiver, sur les
origines des communautés de montagnes.
De façon plus générale, les études sur les sociétés de montagnes
dans les derniers siècles du Moyen Âge ont fait ces dernières années un
véritable bond en avant. On voit bien le chemin qui reste à parcourir et
on identifie clairement les moyens à mettre en œuvre : davantage de
dialogue entre les centres universitaires voués à l'étude de leur(s)
massif(s), et davantage de dialogue entre les disciplines. Un tel dispositif
de recherche sera bien nécessaire pour progresser dans la connaissance des
périodes antérieures au XIIIe siècle. Ici les présupposés sont encore plus
prégnants et les traditions historiographiques nationales plus cloisonnées.
Formons le vœu que cette rencontre de Chambéry serve de catalyseur aux
dynamiques de recherche, enclenchées indépendamment les unes des
autres, qui s'y sont manifestées. Car les sociétés de montagnes méritent
bien de sortir de la privation d'histoire, cet autre nom de l'enfer, dont
elles ont longtemps souffert. En raison de leur intérêt intrinsèque, et aussi
parce qu'une meilleure connaissance de ces milieux humains, à la fois
autres et identiques, permet mieux comprendre le fonctionnement de la
société médiévale dans son ensemble.

73. C. Wickham, The Moutain and the City. The Tuscan Appenines in the Early Middle Ages,
Oxford, 1988 ; Id., Communautés et clienteles en Toscane au Xlf siècle. Les origines de la commune
rurale dans la région de Lucques, Rennes, 2001 .

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