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La codification est l'un des moments majeurs de l’Histoire juridique française et européenne.
A partir du XIXième siècle, la quasi-totalité des grands pays européens passent sous le régime
du droit codifié, en dehors bien sûr des pays de Common Law qui en général repousse tout à
la fois cette nouvelle forme donnée au droit mais également les méthodes de mise en œuvre
que cette modification a vocation à entraîner. Par la suite, l'influence européenne va
introduire le système du droit codifié dans plusieurs autres parties du monde.
Cependant durant la première moitié du XIXième siècle, cette codification suscite de vigoureuses
critiques de la part d'une partie de la doctrine juridique, c’est le développement sous l'influence de
Savigny, de l’École historique allemande qui met l'accent sur les liens qui unissent les lois d'un
peuple à son histoire et à sa langue, cette École refuse l'identification du droit à la loi étatique que
représente à leurs yeux, la codification.
Dans la diffusion de ce qui est une nouvelle forme de droit, la confection et l'édiction du Code de
1804 va exercer une influence considérable et c'est pourquoi nous allons tenter de comprendre ce
que représente la codification à travers l'expérience française de 1804, rappelons que le terme même
, codification, n'est pas utilisé avant que Bentham au début du siècle ne vienne l'inventer.
Le code de 1804 n'est certes pas la première codification, les pays scandinaves, la Prusse ont
précédé la France sur cette voie.
Mais cette codification, ce Code de 1804 est la première œuvre législative de ce type qui réponde
pleinement au but assigné par la doctrine, à l'opération de codification. Non pas seulement
rassembler des règles jusqu'alors dispersées, stade qui correspond plutôt à la compilation, mais en
outre faire de l'ensemble des règles ainsi compilées, un système cohérent et exhaustif par lequel le
juge est enfermé dans le corps des règles de droit que constitue le Code donc le juge est enfermé ce
qui veut dire qu'en théorie, il est contraint de juger sur les seules bases de ce droit codifié.
Une exhaustivité doit donc être obtenue, cette exhaustivité est essentielle aux visées de la
codification, et l'un des moyens de la mettre en place c'est l'abrogation toute entière du droit
antérieur au droit codifié.
En outre, le code de 1804 va avoir une remarquable pérennité puisqu'à ce jour nous vivons encore
partiellement sous l'empire du Code de 1804, ce qui invite à s'interroger sur ce succès qui tient sans
doute, c'est ce que nous allons plus particulièrement essayé de montrer, à un écart sensible entre la
réalité concrète qui a été celle du Code de 1804 et l'idéal de ce que selon les visées théoriques avait
vocation à être la codification du droit.
Codifier est une des grandes tâches assignées comme but au législateur, par la pensée juridique
moderne. La plupart des grands courants qui la constitue convergent sur cette conclusion, affirmer
la nécessité absolue de l'entreprendre et de la réaliser, et en même temps car le projet était ancien et
qu'il n'avait pas été mis en œuvre, donner les moyens de parvenir à réaliser cette opération.
Selon ces vues théoriques, la codification est l'instrument d'une transformation profonde du droit, on
peut même parler d'un véritable bouleversement.
Elle modifie tout d'abord son fondement puisque à travers elle , la totalité des règles reposent
désormais sur l'autorité de l’État, lequel a d'abord ordonné la confection du Code, lequel ensuite a
édicté les textes ainsi rassemblés et systématisés.
L'identité de source qui est ainsi introduite entre les règles qui sont toutes rattachés à l'autorité de
l’État, entraîne ainsi un premier résultat essentiel, toutes les règles ont désormais, la même source,
la même valeur, homogénéisation des règles.
En tant qu'elle rassemble les règles, la codification vise tout d'abord à assurer la lisibilité du
droit, elle présente en un seul corps, facile d'accès et de consultation la totalité des lois qui
doivent permettre de régler les différents.
En outre, elle s'efforce de présenter la masse de règles ainsi rassemblées comme une sorte de
système à l'intérieur duquel les règles, en général rédiger sous forme d'article le plus possible, à la
limite des définitions, donc ces règles sont rattachées les unes aux autres par des liens logiques que
traduit l'ordre qui est institué entre elles, le but théorique étant de faire apparaître la totalité des
normes ainsi rassemblées comme des conséquences logiquement déduites d'un ou de quelques
principes fondamentaux.
Cette forme de systématisation, au moins dans l'idéal car la réalisation ne répond bien évidemment
en général que partiellement à cette visée, cette mise en système vise donc à modifier le processus
d'interprétation de la loi.
Grâce à elle la mise en œuvre des lois peut être pensées comme la continuation du processus
déductif utilisé par le codificateur. Et dès lors l'interprétation a vocation à poursuivre le processus
de particularisation des règles initié par le Code Civil.
Cette systématisation permet de faire en outre de la totalité des règles du droit, un ensemble clôt
fonctionnant sous le signe de l'autarcie sans ouverture sur l'extérieur, c'est la fermeture du monde
des normes.
Sur ce point également c'est un encadrement des méthodes d'interprétation judiciaires qui est visé,
pour la mise en œuvre des lois, la détermination de la solution, le juge ne doit plus avoir recours à
d'autres normes que celles qui lui sont présentées par le Code, donc exhaustivité, caractère essentiel,
tout le droit est sensé être contenu dans le Code, idéalement, comme déjà nous l'avions vu, le
voulait l'empereur Justinien, seule l'insertion d'une règle de droit dans le Code, assure sa juridicité.
Mais cette exhaustivité n'est véritablement obtenue que si tout le droit antérieur est dépouillé de sa
valeur juridique, elle suppose donc une abrogation générale de la totalité des règles qui existaient
avant elle.
Les modifications essentielles ainsi apportées à travers la codification aux liens qui rattachent les
lois, les unes aux autres. Ont pour conséquence de modifier les techniques mises en œuvre par les
juristes. Elle vise à bouleverser les procédés traditionnels de la raison juridique.
Toutefois, le tableau que nous venons de présenter relève largement de l'idéal voire de la chimère.
Tout au long de la décennie révolutionnaire , les tentatives de codification qui s'efforcent de mettre
en œuvre les principes que nous venons de rappeler, ces tentatives vont se solder par des échecs,
comme on l'a dit l'histoire de la codification révolutionnaire, c'est à peu près l'histoire du Code
impossible. Les différents projets élaborés seront tous repoussés par les assemblées et pour
l'essentiel, ces échecs répétés s'expliquent par les contraintes qui étaient imposées aux codificateurs.
Rappelons en effet que la période révolutionnaire est marquée par le développement d'une violente
hostilité envers les juristes, ils sont considérés comme détenteurs d'un pouvoir usurpé grâce auquel
ils tentent de s'opposer à la volonté générale et à la révolution. Par conséquent, la volonté de
codifier, s'enracine pour partie dans cette hostilité, l'un des buts à atteindre c'est de faire des règles
qui puissent être comprises de tous et ce but, l'obtention de ce but, permettrait bien évidemment de
se passer des juristes, ici donc l'exigence idéologique, anéantir la puissance des juristes et des juges,
renforce l'exigence formelle que nous avons évoqué tout à l'heure de rejeter tout le droit du passé,
Les nouveaux principes qui animent la codification de 1804 sont présentés par Portalis dans un
texte resté célèbre qui est l'un des monuments de l'Histoire de la pensée juridique française, le
célèbre discours préliminaire qu'il est appelé à prononcer lorsque le premier projet étant achevé on
le soumet aux différentes assemblées qui avaient vocation à intervenir dans l'élaboration de la loi au
cours de cette période c'est à dire la période consulaire – 1799/1805.
Ces principes se caractérisent à la fois par la fidélité à la pensée des Lumières et par la volonté de
renouer avec la tradition juridique antérieure. Cette volonté de synthèse apparaît dans le contenu du
Code, elle apparaît également dans la place qui est laissé à l'interprétation, bien qu'il ait eu nous le
verrons des discussion sur ce point, entre les codificateurs eux-mêmes et entre les codificateurs et
les membres des assemblées.
C’est pour caractériser les règles mises en œuvre par les codificateurs en ce qui concerne le contenu
qu'on a plus particulièrement parlé d'une transaction par rapport aux tentatives avortées de la
période révolutionnaire, cette volonté de transaction se traduit donc par un effort constant pour
préserver l'essentiel des règles ancienne tout en les conciliant avec les nouveaux principes hérités de
la révolution.
Les quatre codificateurs désignés par Napoléon Bonaparte, 1er consul sont tous des juristes de
l'ancienne monarchie, deux viennent des pays de coutume, deux des pays de droit écrit. Parmi ces
derniers, Portalis, avocat venu d'Aix en Provence, va jouer un rôle essentiel.
Certes le Code est une œuvre collective, outre le travail des quatre codificateurs, désignés par le
premier consul qui au reste reprennent certains des projets de l'époque révolutionnaire, le projet
de Code va être soumis aux observations des principaux tribunaux, de la cour de cassation, ainsi
qu'à un examen approfondi du Conseil d’État, nouvellement créé, et des différentes assemblées
de l'époque consulaire.
Mais Portalis peut être considéré comme le véritable père du code civil français, il est le
codificateur français. Ces quatre codificateurs originaires sont tous convaincus qu'il est impossible
de faire une bonne législation si l'on se passe des acquis du passé, sur ce point la rupture avec les
conceptions révolutionnaires est nette comme le montre Portalis, un code philosophique fondé
uniquement sur la raison, faisant table rase du passé, une code de cette nature est une véritable
utopie.
Entreprendre de construire l'ensemble du droit a priori sans recours à l'expérience sociale et
historique, revient selon lui à se priver des moyens indispensables pour mettre en place une bonne
législation et surtout pour permettre aux règles codifiées de s'enraciner.
S'inspirant alors de très près, parfois littéralement,des thèmes qui animaient le discours des juges de
l'ancienne monarchie, le codificateur français rappelle que les lois positives sont certes en partie la
mise en œuvre de principes généraux et universels mais qu'elle résulte d'un travail d'adaptation à
Quant au droit romain, il conserve une place essentielle d'abord sur le fond, nombre de règles
du Code civil, en particulier dans le domaine du droit des obligations, du droit des contrats
sont la reprise de lois tirées de la compilation de Justinien, en outre et c'est peut être le plus
important, les codificateurs continuent à affirmer que le droit romain doit être considéré
comme la raison écrite.
Le projet initial des codificateurs étaient un livre préliminaire qui s'intitulait Du droit et des
Lois. Ce livre préliminaire était composé de définitions visant à énoncer ce qu'était la loi,
qu'elles étaient les méthodes d'interprétation qui devait être mises en œuvre pour
l'interpréter. Dans l'esprit de Portalis qui l'avait très largement inspiré ce livre préliminaire visait à
inscrire le code civil dans la tradition juridique ancienne, celle qui voit dans les lois posées par les
Hommes, la cristallisation indispensable mais imparfaite d'un droit plus vaste, le droit naturel et
universel, il était présenté dans l'article premier de ce livre préliminaire, ce droit naturel et universel
que les juristes qui mettent en œuvre les lois doivent toujours visé à travers cette interprétation.
Les principes mêmes ne furent pas remis directement en cause, cependant on dit remarquer que de
pareilles définitions constituaient je cite des abstractions méthaphysico-légale et que en tant que
telles elles relevaient beaucoup plus de la doctrine que du législateur dont on fit remarquer qu'il
n'avait pas vocation à statuer sur des choses qui ont une existence indépendante des volontés
arbitraires de l'Homme.
Le livre préliminaire ne put donc accéder à la juridicité. Dans le texte définitif du Code, il fut
réduit aux dimensions d'un simple titre préliminaire intitulé De la publication, des effets et de
l'application des lois en général. Composé d'articles dispersés, empruntés donc à l'ancien livre
préliminaire, ce titre préliminaire ne présente plus que les débris, presque les décombres de ce qui
avait vocation à être pour reprendre là encore la formule de Portalis, une loi sur les lois. Entendons
la présentation des règles devant guidés l'interprétation des lois.
Lors des débats qui vont accompagner donc l'examen de ce titre préliminaire et de ces articles, deux
conceptions des rôles respectifs de la loi et de l'interprétation vont s'affronter pour déterminer la
latitude, c’est le terme qui est souvent employé , qu'il convient de laisser au juge dans
l'interprétation de la loi. Le rappel de ces débats, auxquels il faut joindre l'étude de ceux qui vont
marquer la question de la clause abrogatoire, ce rappel donc est essentiel pour comprendre les
solutions et l'esprit de la mise en œuvre du droit codifié.
Pour Portalis, la loi ne peut pas tout prévoir, il s'élève avec force contre la volonté de ceux qui
entendent assigner « la terrible tâche de ne rien laisser à l'appréciation du juge », pour y parvenir
dit-il « il faudrait multiplier les lois à l'infini afin qu'elles puissent s'appliquer presque directement
Pour qu'il en soit vraiment ainsi, il faut donc obliger les juges à juger selon les seules règles que leur
propose le Code. Pour cela il faut leur interdire d'avoir recours à des règles qui ne seraient pas
contenu dans le Code et il faut en particulier leur interdire d'interpréter le Code comme un
prolongement des lois anciennes.
Il est par conséquent nécessaire d'abolir la totalité du droit antérieur afin de donner au Code
le statut d'un pur droit nouveau ou encore selon l'expression utilisé à l'époque, d'un droit
innovatif.
Ce sont donc ici les débats concernant la clause d'abrogation qui accompagne la promulgation
du code qu'il faut ici évoqué.
Cette clause d'abrogation qui vise à présenter le code comme un droit nouveau est contenu dans
une loi de Ventôse an 12 donc 1804 qui est prise après que les différents titres composant le Code
ont été successivement discuté et promulgué, cette loi donc essentielle, intervient pour réunir ces
différents titres nous dit-on pour composer avec ces différents titres, un seul corps de loi, de telle
sorte que les juristes pourront interpréter les différents articles du code comme les parties d'un tout.
Alors cette place est importante, c'est donc après avoir rappelé les vertus de la réunion des différents
titres en un seul corps de droit que les codificateurs s'interrogent sur la portée de l'abrogation à
opérer. Le lien fortuit, la réunion nous dit-on, vise à placer les différentes règles dans leur ordre
naturel, ici c’est bien Domat qui inspire les codificateurs et par conséquent à permettre au juge de
saisir la législation comme un ensemble. Il ne suffit pas les codificateurs en prennent conscience à
ce moment là de rendre possible par la réunion cette nouvelle méthode d'interprétation, il faut aussi
la rendre indispensable, pour cela il faut ôter au juriste, la possibilité d'avoir recours à leurs
instruments traditionnels, la mise en relation du droit nouveau avec le droit ancien, il faut donc
Conséquence des débats que nous avons rappelés, les solutions retenues pour définir la portée de
l'interprétation sont marquées par une ambiguïté qui permet de comprendre l'esprit qui va prévaloir
durant les premières décennies de mise en œuvre du Code. Loin d'être considéré comme un droit
nouveau le code civil va être très généralement interprété comme un droit, je cite les termes du
moment, un droit additionnel. A l'origine donc des solutions ambivalentes.
Quel sens donner tout d'abord au rejet de la plupart des dispositions du Code des livres
préliminaires ?
Rappelons son contenu, il affirmait l'existence d'un droit universel et immuable qu'il définissait
comme étant la raison naturelle en tant qu'il gouverne tous les Hommes.
Ce livre préliminaire posait que ce droit universel et immuable était la source de toutes les lois
positives avec cette conséquence que le juge, il le disait dans le silence de la loi pouvait avoir
recours à cette loi naturelle c'est à dire à l'équité ou encore aux usages reçus. Dans ce cas, le juge
comme le voulait Portalis, redevenait un ministre d'équité.
De ce que ces articles ont été repoussé en même temps que le livre préliminaire doit-on
conclure que le recours à l'équité est interdit au juge ? Disons que la réponse n'est pas donnée.
En revanche, en ce qui concerne les arrêts de règlements, l'interdiction est claire et elle est contenue
dans l'article 5, il est défendu au juge de se prononcer par voie de dispositions générales et
La permanence des méthodes qui durant les premières décennies sont mises en œuvre pour
interpréter le code, cette permanence peut bien sur surprendre mais elle a peut être contribué,
c'est ce que nous allons montrer à la pérennité du code.
Certes en elle même ces méthodes semblent aller à l'encontre des visées de la codification.
L'objectif du code c'est de substituer un nouveau droit commun , celui qu'il faudra trouver dans le
code ou qu'il faudra construire à partir des seules règles proposées par lui, donc substituer ce
nouveau droit commun à l'ancien droit commun, celui dont les juristes dessinaient la figure par la
confrontation des règles du droit positif entre elles et avec les données de la tradition juridique.
L'ambivalence de la clause d'abrogation de Ventôse a peut être été essentielle dans les destinées du
code civil. En refusant de créer autoritairement le néant juridique absolu qui aurait obligé les
juristes à interpréter toute les dispositions du Code comme introductive d'un droit nouveau, les
codificateurs ont pris le risque de retarder les effets de leur œuvre, ils ont peut être assuré à plus
long terme, sa réussite.