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dem_de

de
collection
finance

dirigée par
E. M. Claassen
H. G. Johnson
P. Salin

D. E. Laidler
la demande de monnaie

J. H. David
la politique monétaire

sous presse
R. Munde!!
monnaie, inflation, croissance
en économie mondiale

M. Friedman
la monnaie: concepts et analyse

H. G. Johnson
l'inflation
dans les économies nationale et mondiale
DAVID E. LAIDLER
Université de Manchester

la demande
de monnaie
théories et vérifications empiriques

traduit par Monique Fitau

dunod
PARIS - BRUXELLES - MONTRÉAL
ISBN 2-04-009139-4
© Bordas 1974
N" 011 3740208

"Toute représentation ou reproduction, intégrale ou por-


tielle, foile sans Je consentement de l'auteur, ou de ses
ayants-droit, cu ayants-cause, est illicite (loi du ri mors
1957. alinéa ,-- de ,'article 40). Celle representation ou
reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitue-
rait une contrefacon sanctionnée par les orticles 425 et
suivants du Code pénol. la loi du Il mors 1957 n'outorise,
aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, que les copies
ou reproductions strictement réservées 6 l'usage privé du
copiste et non destinées à une utilisotion collective d'une
pori, et, d'aulre port, que les analyses el les courles cita-
lions dons un huI d'exemple el d'illustration",
T ABLE DES MATIÈRES

Présentation ................ E. M. Claassen, P. Salin 7


Préface ........................... D. E. Laidler 13
Introduction ................................... 17

TITRE 1

LA DEMANDE DE MONNAIE
DANS LE CADRE MACROÉCONOMIQUE

1. Un modèle macroéconomique simplifié . . . . . . . . . . . . 21


2. Les différentes formulations de la fonction de demande
de monnaie ................................. 38
Appendice A : Présentation algébrique du modèle . . . . . . 48
Appendice B : L'effet de richesse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

TITRE II

LES THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

3. Un aperçu des différentes théories. . . . . . . . . . . . . . . . 57


4. La théorie classique de la demande de monnaie. . . . . . 63
5. L'économie monétaire keynésienne et la théorie
quantitative moderne .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
6. Les développements récents de la théorie keynésienne
de la demande de monnaie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

TITRE III

LES VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

7. Les données. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101


8. Les tests empiriques .......................... 112
9. Les résultats ................................ 135
Bibliographie .................................. 147
Index des auteurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
Index des matières .............................. 153
présentation

L'auteur du présent ouvrage, David Laidler, Professeur à


l'Université de Manchester, est un des plus brillants économistes
de la nouvelle génération en Angleterre. Son texte présente un
exposé rigoureux de l'analyse de la demande de monnaie aussi
bien du point de vue de l'explication théorique que de la vérifi-
cation empirique. Tout au long de son ouvrage l'auteur se penche
sur trois questions fondamentales, à savoir: (i) pourquoi il est
d'une importance cruciale de connaître avec exactitude la fonc-
tion de demande de monnaie; (ii) pourquoi il existe un si grand
nombre de formulations de la demande de monnaie; et (iii) pour-
quoi les tests empiriques sur les différentes hypothèses relatives
à la demande de monnaie sont indispensables.

i) Ce sont les agents économiques qui déterminent néces-


sairement la masse monétaire.
La quantité de monnaie effectivement détenue est-elle pour
autant entièrement désirée par les détenteurs de monnaie ou bien
est-elle trop abondante ou insuffisante? Dans le cas où la quantité
existante n'est pas la quantité désirée, les individus vont se
débarrasser de la partie non désirée, ou augmenter leur déten-
tion de monnaie jusqu'au niveau désiré. Ce comportement d'ajus-

7
PRESENTATION

tement des encaisses effectives aux encaisses désirées ne peut se


réaliser que par une variation de la demande .de biens dans
d'autres marchés de l'économie, en particulier sur ceux des titres
et des produits, ce qui déclenche une variation des taux d'intérêt,
de la production (revenu) et du niveau général des prix. Cette
variation des variables «stratégiques» de l'économie s'arrêtera
au moment où elles auront atteint un niveau tel que la masse
monétaire effectivement détenue sera également et entièrement
désirée. Donc, la « demande de monnaie », c'est-à-dire la quantité
de monnaie (1'« encaisse») que les ménages et les entreprises
désirent détenir, est fonction de certaines variables économiques.
La découverte de cette fonction et sa vérification empirique
constituent le domaine même de l'étude de la demande de
monnaie.
Son importance pour l'ensemble de l'économie, c'est-à-dire
pour la macroéconomie, peut être montrée encore en d'autres
termes. La politique monétaire, lorsque son objectif est d'in-
fluencer l'activité économique, suppose de bien connaître la forme
de la fonction de demande de monnaie, pour savoir, par exemple,
quels effets une augmentation de la masse monétaire aura sur
les variables stratégiques pour lesquelles la détention de la nou-
velle quantité de monnaie sera désirée. De plus, il serait égale-
ment indispensable pour mesurer avec précision l'impact des
instruments de politique monétaire de savoir si la fonction de
demande de monnaie est stable, en ce sens qu'il y a une régularité
dans les comportements des détenteurs de monnaie. L'importance
macroéconomique de l'analyse précise de la demande de monnaie
est montrée dans la première partie de l'ouvrage. Certes, l'auteur
ne se sert que d'un seul modèle macroéconomique, bien qu'il en
existe à l'heure actuelle un nombre important qui se différen-
cient en fonction des hypothèses que l'on choisit et des objectifs
que l'on poursuit. L'exposé d'un modèle macroéconomique n'est
donc fait qu'à titre indicatif pour montrer l'importance et de la
forme et de la stabilité de la fonction de demande de monnaie
pour prévoir les effets des politiques de stabilisation.

ii) L'analyse proprement dite des fondements théoriques


de la demande de monnaie est entreprise dans la seconde partie.
Au début d'une telle analyse, une question fondamentale se pose:
dans quelle mesure est-il justifié de parler de «la théorie de la
demande de monnaie » au lieu de se référer à la théorie générale
de la demande de biens dont le cadre analytique pourrait servir
pour déterminer la demande de n'importe quel bien, y compris
la monnaie. Ainsi, comme l'auteur le remarque, il n'y a pas de
8
PRÉSENTATION

«théorie de la demande des réfrigérateurs» - bien durable


(ou «actif») comme la monnaie - parce que la demande des
réfrigérateurs peut être dérivée des principes généraux de la
théorie de la demande de biens, et en particulier, de la demande
de biens durables. La procédure habituelle de cette théorie consiste
à postuler que l'individu reçoit une satisfaction - une « utilité»
- provenant de la consommation du bien en question, ou, dans
le cas des biens durables, une satisfaction provenant de la
consommation des flux de services procurés par le stock du bien
durable en question; c'est sur la base de cette utilité que la
demande du bien est dérivée et elle ne dépend plus que des prix
et du revenu, ou encore du patrimoine. Cependant, lorsqu'il
s'agit du bien «monnaie », les théoriciens choisissent une autre
voie, une autre théorie qui est précisément celle de la demande
de monnaie.
La justification traditionnelle de cette approche consiste
à dire que la monnaie est tout-à-fait différente des autres biens,
que son utilité a une tout autre nature que celle des autres biens.
Tout d'abord, la monnaie constitue le moyen de paiement uni-
versellement accepté, ce qui n'est pas le cas des autres biens;
son utilité provient du fait unique qu'elle facilite les transactions
ce qui fonde la première motivation de la demande de mon-
naie : le motif de transaction. Etant donné le cadre institutionnel
des paiements, la demande de monnaie dépendra, d'une part,
du volume de paiements dont l'indicateur peut être représenté
par le revenu, et d'autre part des taux d'intérêt constituant le
coût d'opportunité de la détention de monnaie. Mais la monnaie
n'est pas seulement le moyen de paiement, c'est aussi un moyen
de réserve de valeur qui est demandé lorsque l'individu anticipe
une perte en valeur possible du capital sur les autres actifs de
son portefeuille.
Il diversifie donc son patrimoine en détenant également de
la monnaie; son utilité est maintenant fondée sur le besoin
d'éviter des risques, ce qui représente la seconde motivation,
souvent appelée motif de spéculation de la demande de monnaie.
Ce deuxième type de demande répondra différemment à une
variation des taux d'intérêt et réagira plutôt à une variation du
patrimoine qu'à celle du revenu. Il va de soi que les analyses
qui soulignent le motif de transaction (<< approche classique»)
mènent à d'autre formes de la fonction de demande de monnaie
que celles qui mettent l'accent sur le motif de spéculation
(<< approche keynésienne»). Enfin, d'autres analyses évitent déli-
bérément chaque type de motivation particulière et d'utilité
particulière (de même qu'une «théorie de la demande de réfri-
9
PRÉSENTATION

gérateurs » est dépourvue de sens lorsque l'on veut la fonder sur


le « motif de posséder des glaçons » et sur le « motif de disposer
de lait froid») et appliquent rigoureusement la théorie générale
de la demande de biens à la demande de monnaie (<< approche
keynésienne»); ces analyses fourniront encore d'autres formula-
tions de la demande de monnaie.

iii) Etant donné qu'il y a plusieurs modèles (ou « théories»)


de la demande de monnaie, on pourrait être tenté par l'une ou
l'autre des deux solutions. Ou bien on les considère comme des
cas particuliers d'une théorie «générale», ou bien on souligne
les différences de chaque approche et on soumet chacune à un
test empirique d'où l'une d'elles ressortira comme (provisoire-
ment) la meilleure explication, celle qui a résisté le mieux à la
vérification empirique. Dans la troisième partie, David Laidler
choisit cette dernière voie en comparant les différents tests
empiriques qui ont été entrepris en· vue de distinguer le «vrai»
modèle des «faux» modèles. Comme on pourrait s'en douter,
aucun des tests ne donne une information satisfaisante sur le
« vrai» et le «faux».
Certes, si les travaux empiriques avaient fourni une solution
définitive, le problème de la formulation de la fonction de la
demande de monnaie serait réglé et aucune recherche future ne
serait effectuée dans ce domaine, ce qui est évidemment encore
une utopie à l'heure actuelle. Cependant, lorsqu'il s'agit de
savoir quel modèle donne· une prévision correcte, chacun des
différents modèles se révèle comme « bon» et « utile ». L'auteur
en tire la conclusion qu'il vaut mieux employer le modèle le
plus simple, à savoir celui qui est dérivé de la théorie de la
demande de biens et abandonner les méthodes traditionnelles
dans le domaine de la demande de monnaie qui postulent des
fonctions d'utilité particulières en termes des motifs de transac-
tion et de spéculation.
Il reste encore un mot à dire à l'égard des résultats concrets
des tests empiriques. La quasi totalité de ces tests confirme
que la demande de monnaie est une fonction stable des taux
d'intérêt (fonction décroissante) et du revenu, ou encore du
patrimoine (fonction croissante). Les tests traités par David
Laidler ne se réfèrent qu'à l'économie américaine. Cependant,
une étude empirique récente sur «la demande de monnaie en
France: tentative d'explication» par Jacques Melitz (1) donne
de manière générale le même résultat pour l'économie française
(1) Statistiques et Etudes Financières, n° 11, 1973, pp. 21-45.

10
PRÉSENTATION

que pour l'économie des Etats-Unis. La seule différence impor-


tante entre les deux pays tient plutôt à un fait « institutionnel »
à savoir que les taux d'intérêt en France sont contrôlés, de telle
sorte que le taux d'inflation anticipé ne se reflète pas nécessai-
rement dans un ajustement des taux d'intérêt susceptible de
compenser les pertes qu'engendre l'inflation. Les Français sont
donc devenus d'autant plus sensibles au taux d'inflation en tant
qu'indicateur du coût de détention de la monnaie.

Emil CLAASSEN
Pascal SALIN

11
préface à l' édi tian française

Bien que cela ne fasse que quatre ans que ce livre ait été
écrit, un certain nombre de nouveaux ouvrages sur la demande
de monnaie est paru depuis sa publication. Je suis assez content
de constater que les résultats de ces travaux ont si souvent
confirmé les conclusions que j'avais émises dès 1969. Néan-
moins, le lecteur trouvera peut-être utile d'avoir un bref aperçu
de ces ouvrages.
En ce qui concerne la théorie de la demande de monnaie,
le principal développement a porté sur l'élargissement de l'analyse
keynésienne du motif de précaution de la détention de monnaie,
mais plutôt sur le plan micro économique que dans le cadre du
modèle global qui constitue le support de ce livre. Les idées
fondamentales de cette théorie peuvent être aisément définies.
L'individu en tant qu'agent économique doit déterminer la
composition de son portefeuille et tout d'abord la quantité de
monnaie qui y sera incluse, en fonction, premièrement, de l'in-
certitude sur le rythme de ses dépenses et de ses recettes au cours
de la période de référence et, deuxièmement, de l'existence de
coûts occasionnés par la conversion éventuelle d'actifs productifs
d'intérêts pour faire face à des dépenses imprévues. Dans le
modèle qui en résulte, la demande de monnaie est fonction
13
PRÉFACE

du patrimoine, des taux d'intérêts des actifs autres que la mon-


naie et de l'incertitude inhérente au rythme des transactions en
espèces. Cette théorie paraît être particulièrement fertile dans
son application au comportement des sociétés. Il est intéressant
aussi de remarquer qu'elle introduit, au cœur même de la théorie
de la période de référence et, deuxièmement, de l'existence de
de la demande de monnaie, les concepts fondamentaux de la
« nouvelle microéconomie» - l'incertitude et les coûts d'ajuste-
ment - appliqués en général à la théorie de l'emploi. Le lecteur
de langue anglaise qui désire avoir quelques notions de cette
théorie pourrait utilement consulter Daniel Orr, Cash Manage-
ment and the Demand for Money, Praeger, New York, 1971.
Sur le plan empirique, de récents ouvrages ont étendu à
d'autres pays l'analyse principalement développée dans le cadre
de l'économie des Etats-Unis. Ainsi, certains essais de l'ouvrage
collectif publié par David Meiselman, The Varieties of Monetary
Experiences, University of Chicago Press, Chicago, 1971, trai-
tent de la demande de monnaie en Argentine, au Chili, au Brésil,
en Corée du Sud, au Canada et dans un certain nombre d'autres
économies. Ils confirment assez nettement l'existence d'une rela-
tion constante entre la demande de monnaie et son coût d'oppor-
tunité souvent représentée ici par le taux anticipé de l'inflation.
Certaines de ces études, ainsi que d'autres effectuées ailleurs,
confirment bien que la demande de monnaie réagit avec retard
à des variations du revenu, retard qui peut sans doute être le
mieux interprété comme étant la démonstration que le revenu
permanent, et non le revenu mesuré, doit être inclus dans la
fonction de demande de monnaie. Ces mêmes études fournissent
aussi de nouvelles preuves de la proportionnalité de la demande
d'encaisses réelles par rapport au niveau des prix.
Toutefois, les travaux empiriques récents ne font pas que
confirmer de vieilles conclusions. Ils ont aussi commencé à en
établir de nouvelles, surtout en ce qui concerne la structure des
retards de la fonction de demande de monnaie. La poursuite
des travaux de Feige (voir les pages 101-102) a établi que les
retards d'ajustement et de prévision (du revenu permanent) sont
présents dans la fonction lorsque l'on utilise des statistiques
trimestrielles (par exemple, D. Laidler et M. Parkin, «The
Demand for Money in the U.K. 1956-1967, Preliminary Esti-
mates », in H.G. Johnson (ed) Readings in British Monetary
Economics, Oxford University Press, Londres, 1971). De même
important, il semblerait que du point de vue des réponses à
court terme, les retards en question sont différents selon les
différents secteurs de l'économie (cf. Priee, «The Demand

14
PRÉFACE

for Money in the United Kingdom: a Further Investigation»


Bank of England Quarterly Bulletin, 12, (mars 1972), pp. 43-55,
qui a démontré qu'en Angleterre, les sociétés et les ménages
ajustent leurs encaisses réelles au cours de la période à des
vitesses différentes et avec une périodicité différente des réponses
et ceci sans doute parce que les renseignements concernant le
marché ainsi que les coûts des transactions sont différents pour
ces deux secteurs). En même temps, Motley, «Household
Demand for Assets: A Model of Short Run Adjustments »,
Review of Economics and Statistics, 52, (août 1970), pp. 236-
241, a démontré qu'à l'intérieur même d'un secteur - le secteur
des ménages aux Etats-Unis - le schéma des retards peut
varier dans le temps suivant la composition générale des porte-
feuilles. Ces résultats laissent supposer qu'il y a une certaine
limite à l'utilité des relations globales simples lorsqu'elles sont
appliquées au comportement économique à court terme. Les
ouvrages sur ce point sont encore peu nombreux et ce problème
nécessite encore un certain nombre d'études.
Ce qui précède n'est en aucune façon un exposé très complet
des œuvres de ces quatre dernières années mais j'espère qu'il
fera tout au moins ressortir leurs grandes lignes et qu'il sera,
de ce fait, utile aux lecteurs français de ce livre.

David E.W. LAIDLER

15
introduction

Les problèmes de base traités en macroéconomie sont la


détermination du niveau du revenu national et de l'emploi, la
détermination du niveau des prix et de son indice de variation,
et la détermination de la progression du taux de croissance du
revenu. Pour aborder ces problèmes, les économistes ont trouvé
nécessaire de construire des modèles macroéconomiques qui
prennent en compte beaucoup plus de variables que celles qui
sont directement liées à la compréhension du sujet. En ce qui
concerne la théorie de la croissance on laissait généralement de
côté, encore jusqu'à une époque récente, l'offre et la demande
de monnaie et presque tous les modèles de détermination à court
terme des revenus et des prix, à l'exception des plus simples,
comprennent un marché monétaire.
Les prévisions faites par ces modèles à court terme sur
l'interrelation entre les variables de l'économie dépend, de façon
critique, de ce qui est supposé vrai sur la manière dont réagissent
notre patrimoine. Ces deux genres de décisions ne sont pas
l'offre et la demande de monnaie. Il est impossible de déduire
de quelques principes premiers quelles hypothèses particulières
du marché monétaire sont les plus vraisemblables. On peut
trouver de fortes preuves a priori en faveur de plusieurs théories
17
INTRODUCTION

différentes sur le fonctionnement du marché monétaire. Ce n'est


qu'en se référant aux travaux empiriques qu'on peut dire quelle
théorie est la plus acceptable.
L'objectif primordial de ce livre est de décrire l'état actuel
des connaissances sur la demande de monnaie et sur le marché
monétaire. Les deux premiers chapitres exposent le modèle
macroéconomique de base qui constitue le corps des manuels les
plus modernes sur le sujet et montrent comment s'intègre le
marché monétaire. Ce livre démontre aussi comment des points
de vue différents sur la nature de la fonction de demande de
monnaie aboutissent à des conclusions différentes, et quelquefois
contraires, sur le fonctionnement du modèle dans son ensemble.
Le Titre II présente une discussion plus détaillée des théories
sous-jacentes aux différentes formes de la fonction de demande
de monnaie qui peuvent être introduites dans un tel modèle
macroéconomique. Le Titre III décrit et compare ces théories
concurrentes au vu des vérifications empiriques disponibles et
présente quelques suggestions hypothétiques sur les implications
macroéconomiques plus générales de ces preuves.

18
LA DEMANDE DE MONNAIE
DANS LE CADRE
MACROECONOMIQUE
1
un modèle macroéconomique simplifié

Les problèmes de la macroéconomie à court terme sont liés


essentiellement à la détermination du niveau du revenu national,
de l'emploi et des prix. En particulier, la macroéconomie cherche
à individualiser les facteurs susceptibles d'entraîner des fluctua-
tions dans ces variables. Elle essaye, d'autre part, d'analyser
comment ces variables peuvent être utilisées, sous contrôle du
gouvernement, pour retarder de telles fluctuations lorsqu'elles
sont indésirables ou, par contre, pour les provoquer lorsqu'elles
sont souhaitables. Il est donc pratique d'avoir un modèle explicite
de l'économie afin de traiter de tels problèmes. Celui que nous
utiliserons dans ce chapitre est celui le plus généralement employé
dans ce genre d'analyse. La règle générale veut que nous traitions
en premier lieu du comportement du modèle en situation de sous-
emploi et c'est la méthode que nous suivrons ici.
Supposons, tout d'abord, que l'économie à étudier est une
économie dans laquelle il existe suffisamment de forces produc-
tives pour répondre à toute demande globale, quelle que soit son
intensité. Supposons, d'autre part, que toute variation dans
l'intensité de la demande de biens et services ne peut être satisfaite

21
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

que par des changements dans la productivité et que le niveau des


prix peut être considéré comme une donnée fixe dans le temps (1).
Dans une telle économie, les dépenses peuvent être engagées
soit par les ménages, auquel cas elles s'appellent consommation,
soit par les entreprises, et c'est l'investissement, soit par les gouver-
nements et il s'agit de dépenses publiques. On fait les hypothèses
habituelles sur les déterminants des composantes de ces dépenses.
La consommation est considérée comme une fonction croissante
du revenu disponible, et puisqu'il est pratique de considérer pour
le moment une économie exempte d'impôts, ceci entraîne que la
consommation est uniquement fonction du revenu. Une autre
hypothèse est que la propension marginale à consommer est infé-
rieure à l'unité. L'investissement est considéré comme inversement
proportionnel au taux d'intérêt, tandis que les dépenses publiques
constituent un facteur exogène - c'est-à-dire une variable qui
n'a pas d'effets sur les autres variables du modèle mais n'est pas
affectée non plus par elle. Le modèle est en équilibre lorsque le
niveau des dépenses dans l'économie considérée est égal au niveau
des revenus. Le lecteur trouvera le modèle représenté par des
figures géométriques connues dans le graphique (1.1). (A noter:
pour indiquer les coordonnées, de nombreuses variables ont été
affectées d'indices entre parenthèses. Cette écriture signifie que la
variable affectée d'un indice prend une certaine valeur lorsque
la variable de l'indice prend la valeur de cet indice. Par exemple:
dans la figure (1.1), Y(ro) donne le niveau du revenu lorsque le
taux d'intérêt est égal à ro). Le quadrant (a) décrit la fonction de
consommation C = c (Y) et le niveau exogène des dépenses
publiques 0, tandis que la fonction d'investissement 1 = i (r) est
décrite dans le quadrant (b). Si l'on suppose que le taux d'intérêt
est égal à ro, l'investissement est déterminé par 1 (ro). Dans le qua-
drant (c), l'investissement a été ajouté à la consommation et aux
dépenses publiques pour tracer la courbe C + 1 (ro) + G qui
détermine le rapport - implicite dans le modèle - entre les
dépenses globales et le revenu. La première bissectrice détermine

(1) Il est implicitement sous-entendu ici que les facteurs capital et travail entrent dans
le processus de production en proportions fixes de manière à ce que le produit marginal du
travail ne manifeste aucune tendance à la baisse au fur et à mesure que l'emploi augmente;
ceci, parce que l'emploi du capital augmente parallèlement à celui du travail. La combi-
naison de cette hypothèse avec celle d'un niveau des salaires fixe entraîne un niveau des
prix qui est indépendant du niveau de production. Un modèle plus complexe permettant
d'utiliser le capital et le travail en proportions variables et admettant le plein emploi du
capital introduit une relation fonctionnelle entre les prix et la production pour un
niveau donné des salaires. Il n'y a pas de différences qualitatives importantes entre ces
modèles tout au moins en ce qui concerne les problèmes qui nous intéressent, aussi ai-je
choisi d'utiliser le modèle simplifié. Le lecteur trouvera le modèle plus élaboré entièrement
décrit dans l'ouvrage de SMITH [391. (A noter: les chiffres entre crochets renvoient aux
références à la fin du livre.)

22
1. MODÈLE MACROÉCONOMIQUE SIMPLIFIÉ

tous les points pour lesquels les dépenses, mesurées sur l'axe des
ordonnées, sont égales aux revenus mesurés sur l'axe des abscisses.
En d'autres termes, elle définit une représentation géométrique de
la situation d'équilibre du modèle. La courbe des dépenses coupe
cette droite en un seul point: celui pour lequel les dépenses déter-
minées par les fonctions du modèle sont égales au revenu.

C r
1
G
C = cry)

~--------------G
1= ;(r)

O~--------------Y OL----L---------I
(a) Il roi
(b)
C
1 45°
G

C=c(YI

b-=9"------------+- liraI
G
O~--------------~----Y
(c 1

FIGURE (1.1). - La géométrie simple de la détermination du revenu.


e est la consommation, 1 l'investissement, G les dépenses publiques,
y le revenu, et r le taux d'intérêt. c et i représentent des relations de
fonction alors que la barre au-dessus de G indique que c'est une variable
exogène

Y(ro) est alors le niveau du revenu d'équilibre et ceci tant


que le taux d'intérêt demeure au niveau ro. Si ce dernier doit
prendre une autre valeur, l'investissement et le revenu au niveau
d'équilibre vont changer. Il existe une autre fonction implicite
parmi les fonctions déjà examinées. C'est le rapport entre le taux
d'intérêt et le revenu d'équilibre. Il est assez aisé de rendre cette
fonction explicite.
La figure (1.2a) définit la relation investissement - taux
d'intérêt. Le quadrant (b) détermine plusieurs courbes dépenses
globales-revenus, chacune étant fonction de la même courbe de
consommation et du même niveau de dépenses publiques mais
avec un taux d'intérêt inférieur au taux ro, r2 est plus faible
encore. Plus ce taux est bas, plus le niveau d'investissement est

23
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

élevé comme nous le montre la figure (1.2a), et plus l'investis-


sement est important, plus le niveau des dépenses globales est
élevé. Ainsi, dans le quadrant (b) de la figure (1.2), la courbe
C + 1 (r2) +
G est supérieure à C 1 (r 1) G qui est elle- + +
même supérieure à C 1 (ro) + +
G. A chacune de ces courbes
de dépenses correspond un niveau d'équilibre du revenu. Comme
on peut aisément le voir, plus le taux d'intérêt est faible, plus le
revenu est élevé. Ces combinaisons entre taux d'intérêt et revenu
d'équilibre sont déterminées par la courbe IS de la figure
(1.2c) (2).

r 45°

ro

ri

r2
1= i(r)
0 1 L-~--~--~---r
IUo ) ljr.) IV, ) ~ro) ~r.) ~r,)
(Il) (b)

1
ro

r1

r2
5
0 ~~--~~-----Y
Y( ra) Ylr.) Ylr,)

(c)

FIGURE (1.2). - La relation d'équilibre entre le taux d'intérêt et le niveau


du revenu implicite dans le modèle du marché des biens et services.

Or, à première vue, cette analyse nous pose un problème.


En effet, comme nous le montre très clairement la figure (1.2c),
le modèle que nous étudions va nous dire quel devra être le
revenu d'équilibre pour un taux d'intérêt donné ou alors quel
devra être ce taux si nous connaissons le revenu d'équilibre. Il
serait utile d'avoir un modèle qui nous donnerait le niveau du
revenu à l'équilibre sans avoir à connaître en premier lieu le

(2) Dans un modèle sans dépenses publiques, cette courbe est appelée IS parce qu'en
tout point de cette courbe, l'investissement est égal à l'épargne. D'une manière générale,
cette appellation est utilisée pour tout courbe d5équilibre sur le marché de biens et services.

24
1. MODÈLE MACROÉCONOMIQUE SIMPLIFIÉ

taux d'intérêt. Mais ce modèle n'est pas de notre ressort. Il est


incomplet, ce qui ne devrait pas surprendre. Après tout, nous
décidons non seulement des flux de biens et services, de l'intensité
de notre consommation ou de l'investissement, etc., mais aussi
du niveau des stocks et de la gestion de ce qu'on pourrait appeler
notre patrimoine. Ces deux genres de décisions ne sont pas
indépendants l'un de l'autre et un modèle qui ne traiterait que
de l'un ne pourrait être qu'incomplet. Comme nous allons le
voir maintenant, nous pouvons compléter le modèle macroéco-
nomique que nous étudions ici en examinant les problèmes liés
au patrimoine et en analysant la manière dont ces problèmes
interviennent dans la détermination des niveaux de biens et
services.
Il y a de nombreuses manières de disposer de son patri-
moine. Un individu peut détenir des biens de consommation
durables, des actions, des obligations, etc., mais pour notre
modèle macroéconomique simplifié, il est suffisant de supposer
qu'il existe seulement deux sortes d'actifs possibles: la monnaie
et les obligations. En ce qui concerne la gestion de ses actifs,
chaque individu a à choisir entre la monnaie et les obligations.
Si nous supposons le niveau du patrimoine donné, l'absence
d'encaisses suppose la détention d'obligations, de sorte que le
problème est ramené à la détermination de la quantité de monnaie
détenue. La suite de ce livre est consacrée à l'examen des diffé-
rentes hypothèses faites sur les variables déterminant cette déci-
sion. Pour le moment, nous ne ferons que formuler une hypothèse
simple généralement admise sur les composantes de la demande
de monnaie et étudierons la manière dont elle peut s'intégrer
dans notre modèle. Il est d'usage de dire que pour un niveau
de prix donné, la demande de monnaie dépend principalement
du niveau du revenu et du taux d'intérêt et que, si seuls les prix
varient, les autres variables demeurent inchangées; la demande
de monnaie varie dans les mêmes proportions que les prix. Ceci
revient à dire que la demande de monnaie mesurée en unités de
pouvoir d'achat, c'est-à-dire en termes réels, ne varie pas avec
les prix.
Puisque la monnaie est un moyen d'échange universellement
admis, on dit que la demande de monnaie augmente avec le
revenu. Il est démontré aussi que, puisque les obligations sont
le pendant des encaisses monétaires, il faut renoncer aux intérêts
lorsqu'on détient de la monnaie. Plus le coût d'opportunité des
encaisses est élevé, plus le taux d'intérêt est élevé et plus la
demande de monnaie est faible. En ce qui concerne l'offre de
monnaie sur le marché monétaire, il est de coutume de dire

25
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

en première approximation que l'offre est entièrement contrôlée


par les autorités monétaires dont le comportement peut être pris
comme une variable exogène du modèle. Comme pour tout
problème d'offre et de demande, ce marché est en équilibre
lorsque l'offre et la demande de monnaie sont égales.

r
Ms
p

rI Y,)

rly, )

rl Ya ) rlYa)
P lyl )
Md
Md
P;-ye )
0
M
0
L -_ _ _-----L_ _~PIYe) _ !!!.
fi P

(a) (b)

r M

r{y2)
r{Yl)

r{ye )

L
L-_ _ _ L-~~ _ _Y
ra YI Yz
(c)

FIGURE (1.3). - La relation d'équilibre entre le taux d'intérêt et le niveau


du revenu implicite dans le modèle du marché monétaire. M est la
quantité de monnaie et P le niveau des prix de sorte que MIP est la
quantité de monnaie mesurée en unités de pouvoir d'achat constant.
Les indices s et d représentent l'offre et la demande et la barre au-dessus
de M indique que c'est une variable exogène.

La figure (1.3) décrit géométriquement ce marché. Le


plan (a) représente le rapport demande de monnaie/taux d'intérêt
pour un niveau de revenu Yo. Pour une offre de monnaie et un
niveau des prix donnés, le marché sera en équilibre lorsque le
taux d'intérêt sera égal à r (Yo). Toutefois, sur ce marché moné-
taire, nous sommes confrontés à nouveau à un problème ana-
logue à celui que nous avons rencontré précédemment dans
le cadre du marché des flux de biens et services. La valeur
d'équilibre du taux d'intérêt déterminée par le marché n'est une
valeur d'équilibre que si le niveau du revenu demeure à Y o•
La figure (1.3 b) illustre ce problème assez clairement. Le revenu
Y 2 est supérieur à YI qui est lui-même supérieur à Y o• Puisque
26
1. MODÈLE MACROÉCONOMIQUE SIMPLIFIÉ

la demande de monnaie pour différents niveaux du taux d'intérêt


augmente lorsque le revenu s'élève, cela entraîne que la courbe
reliant la demande de monnaie au taux d'intérêt se déplace
vers la droite au fur et à mesure que le revenu s'accroît. A un
niveau donné de l'offre et des prix, cela implique un taux d'intérêt
d'équilibre supérieur. En ce qui 'concerne l'équilibre sur le
marché monétaire, il existe un rapport positif et implicite dans
ce modèle entre le revenu et le taux d'intérêt. Ce rapport est
représenté dans la figure (1.3 c) et est appelé communément
LM (3).
Nous disposons maintenant de deux fonctions d'équilibre
différentes entre le taux d'intérêt et le revenu. Toutefois, le
marché des biens et services n'est pas totalement indépendant
du système monétaire. Les personnes dont les décisions sont
à la base des fonctions de consommation et d'investissement
sont les mêmes personnes dont le comportement vis-à-vis des
richesses détermine la fonction de demande de monnaie. Le
niveau du revenu et le taux d'intérêt sur les deux marchés sont
les mêmes de sorte que l'ensemble de l'économie ne peut être en
équilibre que si les valeurs de ces deux variables sont compa-
tibles avec l'équilibre de chaque marché. Cela implique que
les valeurs en question doivent se trouver en même temps sur
la courbe LM et sur la courbe IS. Ceci n'est possible de toute
évidence que si les deux courbes se coupent. Dans la figure
(1.4) les deux courbes sont représentées sur les mêmes axes et
le revenu d'équilibre est donné par Y e pour un taux d'intérêt
à l'équilibre 'C' Ces valeurs à leur tour déterminent les valeurs
à l'équilibre de la consommation, de l'investissement et des en-
caisses.
r J M

L 5

o~----------~-------y

FIGURE (l.4). - La détermination dans le modèle complet des niveaux


d'équilibre du taux d'intérêt et du revenu

(3) LM signifie qu'en tout point de cette courbe, la demande de liquidités est juste
satisfaite par l'offre de monnaie.

27
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

Or la figure (1.4) est assez simple puisqu'elle ne comporte


que deux courbes qui se coupent mais cette simplicité est trom-
peuse. La courbe IS est la résultante d'une fonction de consom-
mation donnée et d'une fonction d'investissement donnée ainsi
que d'un montant fixe de dépenses publiques et d'impôts (jus-
qu'ici supposés égaux à zéro). A la base de la courbe LM ·se
trouve une fonction donnée de la demande de monnaie, une
offre de monnaie déterminée et un niveau des prix fixe. Nous
devons voir, maintenant, comment le modèle réagit à des varia-
tions de ces différentes fonctions fondamentales.
Toute variation d'un des facteurs déterminants de la courbe i

IS entrainera son déplacement; de même, tout changement dans

O~--~~~~--~------Y
Y{I.S.1 Y{IoSol Y(I1Sll
(cil

O~--~--~--~-----------Y

(b)

FIGURE (1.5). -- L'effet des déplacements des courbes IS et LM sur les


niveaux d'équilibre du taux d'intérêt et du revenu

28
1. MODÈLE MACROÉCONOMIQUE SIMPLIFIÉ

les composantes de la courbe LM provoquera un déplacement


de celle-ci. La figure (1.5) démontre quelles sont les consé-
quences de tels déplacements. Le plan (a) représente les consé-
quences des déplacements de la courbe IS. Comme on peut le
voir aisément, lorsque cette courbe se déplace vers la droite,
de 10So à 11S1> le revenu d'équilibre et le taux d'intérêt à l'équi-
libre augmentent tous les deux. Si la courbe se déplace vers la
gauche, de l oSo à 12 S 2 , alors l'effet est contraire. Si la courbe·
LM glisse vers la droite, de LoMo à L 1 M1> le revenu s'accroît
tandis que le taux d'intérêt diminue, comme le montre la figure
(1.5 b). Un déplacement vers la gauche de cette courbe, de
LuMo à L2M2' a l'effet contraire.
Si tels sont les effets des déplacements des courbes IS et
LM, quelles en sont les causes? Regardons tout d'abord la
courbe IS. Un retour en arrière à la figure (1.2) nous sera très
utile à ce stade puisqu'elle démontre la composition de cette
courbe. On rappelle que la relation entre le taux d'intérêt et
le revenu a pu être déterminée parce que l'investissement est
une composante des dépenses globales et qu'il augmente au

r C
J
6

J=i1(r)
J= lo(r)
O~~~--~--------I ~----~----~----Y
JO(ra} J1(ra}
(a)

O~--~--~--------Y
YO(ra} Y1(ra}
(c)

FIGURE (1.6). - La dérivation d'un déplacement de la courbe IS produit


par une modification de la fonction d'investissement

29
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

fur et à mesure que le taux d'intérêt diminue. Tout point de la


courbe IS détermine un certain taux d'intérêt qui détermine un
niveau donné de dépenses globales. Si la courbe IS se déplace,
cela nécessite un changement dans le rapport entre le niveau
des dépenses et le taux d'intérêt. Trois facteurs peuvent en être
la cause. Si le rapport entre le taux d'intérêt et l'investissement
se déplace vers la droite, cela implique des dépenses globales
supérieures quel que soit le taux d'intérêt, de sorte que la
courbe IS se déplace effectivement vers la droite (cf. figure
(1.6)). Le raisonnement inverse en découle facilement. Si les
dépenses publiques augmentent, une fois de plus les dépenses
globales s'accroissent pour tout taux d'intérêt donné et la courbe
IS glisse encore vers la droite. Une réduction des dépenses
publiques aura de toute évidence l'effet contraire (cf. figure
(1.7) ).

C r
l
6

~--~----~--~-~
f---~-------+----+--Go
O~---------L---L __ y O~--~--~--------y
Y(GoHrol Y(61 llrol

la) 1b)

FIGURE (1.7). - La dérivation d'un déplacement de la courbe IS produit


par une modification du niveau des dépenses gouvernementales (G I > G,,)

Il faut observer avec soin les effets d'un changement dans la


relation consommation-investissement puisque c'est en déplaçant
la fonction de consommation que les impôts agissent sur l'éco-
nomie. Rappelons que la consommation dépend du revenu
disponible et considérons la figure (1.8 a) dans laquelle les
impôts sont supposés tout d'abord égaux à zéro, si bien que la
fonction de consommation est donnée par C = c (Y). Si un
impôt d'une valeur T est maintenant prélevé, le niveau du revenu
Yu correspondra à un revenu disponible Yu - T et la consom-
mation sera alors égale à c (Yu - T). Un raisonnement analogue
pourra être tenu pour chaque niveau du revenu. L'existence d'un
impôt déplace la fonction de consommation vers la droite d'une
valeur égale à T jusqu'en C = c (Y - T) de façon à déterminer
la consommation pour un niveau donné de revenu avant impôt.
30
1. MODÈLE MACROÉCONOMIQUE SIMPLIFIÉ

Cela revient à déplacer vers le bas la courbe de consommation


d'une valeur égale à la propension marginale à consommer mul-
tipliée par le montant de l'impôt (cf. figure (1.8» (4).

c c
C= clYl C= elYl
cl Yo} !----r-.....",,,.......- c= eIY-T} C=eIY-tYl
el roI I----.....",~
cOQ-Tl

o~--~--+-----Y oL-~~~-~~----Y
'---v----1 IYo-tYo~Yo
llO-Tl T Yo t Yo
la.} 1b }

FIGURE (1.8). -- L'effet sur la fonction de consommation de l'introduction


(a) d'un taux d'impôt constant T et (b) d'un taux d'impôt proportionnel t.
Une modification des impôts équivaut à une variation inverse du revenu
disponible de sorte que son effet sur la consommation à un niveau
donné du revenu national est de réduire celle-ci par le produit de la
propension marginale à consommer et du taux de variation des impôts.

D'une manière générale, un accroissement des impôts dé-


place la fonction de consommation vers le bas et une diminution
des impôts la déplace vers le haut, déplaçant ainsi la courbe
des dépenses globales dans la même direction et du même
nombre d'unités. Ainsi, une augmentation des impôts déplace la
courbe IS vers la gauche tandis qu'une diminution la ramène
vers la droite. Nous n'avons parlé ici que de variations dans
les « montants» des impôts, mais les mêmes conclusions peuvent
être obtenues avec des variations dans les «taux» d'impôts.
Une modification de ce taux peut toujours se ramener à un
changement dans le montant. des impôts versés en multipliant
la variation du taux par le revenu. La seule différence ici est
que le déplacement de la courbe de consommation ne sera plus
un déplacement parallèle. La figure (1.8 b) illustre ce point.
Tout ce qui peut faire glisser vers le haut du graphique,
la courbe des dépenses déplace la courbe IS vers la droite et
modifie le revenu et le taux d'intérêt comme le montre la
figure (1.5 a). Regardons maintenant ce qui peut provoquer
des déplacements de la courbe LM. Puisque la courbe LM est
obtenue à partir d'une fonction de demande de monnaie donnée,
(4) Le lecteur qui désire s'assurer qu'il a bien compris le processus pourra essayer
de démontrer qu'une augmentation égale des dépenses publiques et des impôts déplacera
d'autant vers la droite la courbe IS. c'est-à-dire que le multiplicateur budgétaire est égal
à un.

31
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

avec une certaine offre de monnaie et un niveau des prix fixe,


une variation de l'un quelconque de ces facteurs peut provoquer
le déplacement de la courbe, comme le lecteur le devine.

r M,o Ms1
P P

r('"S)
-f(r 1)

r(AI,
--;- )!Yo)
r(MS
-T(r )1)

r(Ms)
-T(ro)
M
0 P
(a)

FIGURE (1.9). - La dérivation d'un déplacement de la courbe LM


provoqué par un accroissement de la masse monétaire

Considérons en premier lieu une variation de l'offre de


monnaie. La figure (1.9 a) est semblable à la figure (1.3 b) et
l'on peut aisément constater qu'une variation de l'offre de
monnaie, de Mo à Ml, entrainera un équilibre du marché
monétaire nécessitant un taux d'intérêt plus faible quel que
soit le revenu. Ceci apparait dans la figure (1.9 b) par la
translation de la courbe LM de la position LoMo à la position
LjMj. On peut démontrer par un raisonnement tout à fait ana-
logue qu'une baisse de l'offre de monnaie déplacera vers la
gauche la courbe LM .
.Pour plus de commodité, nous reporterons au chapitre sui-
vant l'examen de la demande de monnaie et de ses effets sur le
comportement du modèle, mais il nous reste le problème des
prix. Il est évident qu'étant donné un certain niveau de l'offre,

32
1. MODÈLE MACROÉCONOMIQUE SIMPLIFIÉ

une baisse des prix déplacera la courbe LM vers la droite car


cela a le même effet sur la masse monétaire mesurée en termes
réels qu'une augmentation de la valeur nominale de l'offre de
monnaie à un niveau des prix déterminé. De même, il est
évident que le mécanisme jouera en sens inverse dans le cas
d'une augmentation des prix. Ce facteur prend toute son impor-
tance lorsque nous étudions un modèle en situation de plein-
emploi.
Tant que nous limitons notre analyse à des situations de
sous-emploi, il est assez raisonnable de supposer qu'un accrois-
sement de la demande de biens aura pour résultat une augmen-
tation de la production plutôt qu'une variation des prix. Il est
utile aussi d'admettre qu'en ce qui concerne les périodes à court
terme dont relève ce modèle l'existence de ressources inemployées
n'entraîne pas la baisse des prix des biens de consommation ni
même des prix des biens dans la production desquels elles inter-
viennent. Toutefois, l'hypothèse d'un niveau des prix fixe n'est
pas très judicieuse en situation de plein-emploi car dans ce
cas, si la demande de biens et services est supérieure aux pos-
sibilités de production, il faudrait supposer que le résultat en serait
une augmentation des prix de ces biens. Dès que l'on étend
le champ d'application du modèle à des situations de plein-
emploi, l'hypothèse d'un niveau des prix fixe doit être remplacée
par celle d'un niveau des prix qui augmente en présence d'une
demande excessive de biens et services. De fait, c'est précisément
parce que le niveau des prix augmente sur le marché monétaire
que les demandes excédentaires sont résorbées et que l'économie
retourne à une position d'équilibre.
En termes analytiques, il y a une demande excédentaire
lorsque les courbes LM et IS se coupent à un niveau de revenu
supeneur au niveau maximum de production (5). Ce dernier
est fixé à y* dans la figure (1.10). Dans le cas d'une demande
excessive, le niveau des prix est supérieur à sa valeur initiale
Po tandis que l'offre de monnaie en termes réels diminue et la
courbe LM se déplace vers la gauche. Tant que subsiste une
demande excédentaire, ce processus continue. Il cesse lorsque
les prix ont suffisamment augmenté pour que la quantité de
(5) II doit être clair pour le lecteur qu'il y a un certain degré d'approximation lorsqu'on
détermine un niveau de revenu précis qui puisse être identifié avec le plein-emploi. En
termes empiriques, il est plus logique de considérer le « plein-emploi» comme étant une
région plutôt qu'un point sur l'échelle des revenus. Toutefois, faire une distinction si
précise ici nous aide à conserver la simplicité de notre analyse sans trop se tromper.
Le lecteur notera que la demande globale n'est pas donnée par l'intersection des courbes
IS et LM quand elle se produit à un niveau de revenu impossible à atteindre. Ce point
d'intersection ne fait que représenter ce que serait la demande globale si un tel niveau
de revenu était accessible.

33
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

r l r*

s
o~------~--------r
r*
FIGURE (1.10). - Les effets sur la courbe LM d'une hausse des prix
provoquée par une demande excessive à l'origine. Y* est le plus haut
niveau de revenu possible. (P, > Pu)

monnaie en termes réels offerte soit compatible avec la demande


de monnaie à y* et ce au taux d'intérêt requis pour que
l'équilibre se fasse à y* sur le marché des biens de consom-
mation. Ceci se produit lorsque la courbe LM s'est déplacée
assez loin pour couper la courbe IS en Y*. En ce point, le
modèle est ramené à une situation d'équilibre avec un niveau
des prix déterminé en Pl comme Je montre la figure (1.10).
Cet élargissement du modèle à des situations de plein-
emploi nous permet de connaître davantage les effets de cer-
tains changements sur l'économie. Tout ce qui a été dit
demeure tant que nous traitions de situations de sous-emploi.
Cependant, si nous partons d'un équilibre de plein-emploi, il
est évident qu'on ne peut reprendre les prévisions faites sur les
effets qu'ont les déplacements vers la droite des courbes IS
et LM. Ces prévisions impliquent des accroissements du revenu

OL---~--~---------r O~------~---------r
(a) (b)

FIGURE (1.11). - Les effets d'une demande excessive provoquée par


(a) un déplacement de la courbe IS et (b) un déplacement de la courbe
LM (M" > M.o' P, > Po,M,/P, = M./P o)

34
1. MODÈLE MACROÉCONOMIQUE SIMPLIFIÉ

qui ne peuvent avoir lieu. D'après la figure (1.11 a), une trans-
lation de la courbe IS afin qu'elle coupe la courbe LM à
droite de y* déclenche une hausse des prix à partir de Po qui
déplace vers la gauche la courbe LM. La conséquence de ce
déplacement est en fin de compte un niveau des prix accru,
Pl> et un taux d'intérêt supérieur plutôt qu'un niveau de revenu
supérieur et un taux d'intérêt plus élevé comme dans le cas du
sous-emploi. De même, le déplacement vers la droite de la
courbe LM (cf. figure (1.11 b)) provoqué par une augmentation
de l'offre de monnaie, de Ms o à Ms!, crée une demande de biens
supplémentaire et une hausse des prix de Po jusqu'en Pl> point
pour lequel l'offre de monnaie en valeur réelle est de nouveau
compatible avec l'équilibre - c'est-à-dire reprend sa valeur
initiale. Dans ce cas, le niveau des prix doit varier en fonction de
l'offre alors que le taux d'intérêt demeure inchangé (6).
Nous pouvons maintenant résumer les conclusions aux-
quelles nous avons abouti dans ce chapitre. Il a été démontré
qu'en ce qui concerne une économie de sous-emploi, des
variations dans le revenu d'équilibre peuvent être une consé-
quence de fluctuations de la fonction d'investissement, elles
peuvent aussi être provoquées par des modifications des
dépenses pùbliques et des impôts. L'accroissement des dé-
penses publiques entraine la hausse du revenu d'équilibre
tout comme les impôts et vice versa. Il a été démontré
d'autre part que des modifications de l'offre de monnaie
donnent lieu à des variations semblables du revenu d'équilibre.
En ce qui concerne une économie de plein-emploi,
les modifications restrictives d'une variable quelle qu'elle soit
aboutissent aux mêmes résultats qu'en situation de sous-
emploi. Toutefois, des variations expansionnistes ne peuvent

(6) Ces résultats proviennent d'un modèle dans lequel la courbe IS reste invariable
par rapport aux prix. Trois aménagements peuvent être apportés pour modifier ceci.
Premièrement, dans une économie ouverte, le niveau des prix peut être un facteur important
dans la détermination du volume des exportations qui à leur tour sont une composante de la
demande globale. Si une hausse des prix provoque une diminution des exportations, la
courbe IS se déplacera vers la gauche au fur et à mesure que les prix s'élèvent. Le niveau
des prix devrait alors augmenter plus lentement par rapport à tout accroissement de l'offre
de monnaie pour que le modèle retrouve sa position d'équili1bre. Un impôt progressif perçu
sur des revenus nominaux plutôt que sur d.es revenus réels aurait le même effet car plus
les prix sont élevés, plus la fraction de revenu réel payée sous forme d'impôts sera
importante. Le troisième facteur agissant dans le même sens est le rôle qué pourrait jouer
le patrimoine dans la détermination de la consommation et qui est communément appelé
le «facteur richesse ». Ce dernier est à la fois subtil et trop important dans l'histoire de
la macroéconomie pour être traité dans une simple note. Le lecteur intéressé par ce facteur
le trouvera décrit dans l'Appendice B. Le fait qu'il en soit discuté dans une courte annexe
et non pas dans un chapitre propre n'est pas fait pour lui retirer de son importance au sein
de: l'étude macroéconomique mais tout simplement parce qu'il n'est pas lié à la fonction de
demande de monnaie en tant que telle.

35
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

amener une augmentation de revenu lorsque celui-ci est déjà


à son niveau maximum. Dans un tel cas c'est le niveau des
prix qui varie et, comme nous l'avons vu, tout ce qui déplace
la courbe 1S vers la droite - une augmentation des dépenses
publiques, une réduction des impôts ou une modification de
la fonction d'investissement - provoquera une hausse des
prix alors que l'augmentation de l'offre de monnaie entrainera
en fait un accroissement proportionnel des prix.
Ces conclusions sont à la fois importantes et intéres-
santes car elles laissent supposer que des fluctuations du
revenu d'équilibre peuvent avoir pour origines des perturba-
tions soit sur le marché monétaire soit sur le marché des
biens et services. Elles suggèrent aussi que les trois variables
qui sont généralement sous contrôle gouvernemental, à savoir:
les dépenses publiques, les impôts et la masse monétaire,
pourront être utilisées pour influencer le revenu d'équilibre.
De plus, les effets quantitatifs de ces variations peuvent être
évalués si l'on connait les paramètres du modèle (ceci sera
tout à fait clair pour le lecteur qui prendra la peine de
parcourir l'analyse algébrique à l'Appendice A).
De telles conclusions ont la valeur du modèle dont elles
découlent - ni meilleures ni moins bonnes. Si une partie
quelconque de ce modèle est suspecte alors les conclusions
obtenues le sont aussi. Si ce livre était un traité de macro-
économie, il serait souhaitable de prendre une à une chaque
partie du modèle - fonction de consommation, fonction
d'investissement, etc. - pour voir comment les différentes
hypothèses faites sur leurs formes modifient le comportement
du modèle. Il serait préférable aussi, dans la mesure où il
existe différentes hypothèses possibles, de voir s'il y a un
moyen de trier les hypothèses vraies et utiles des hypothèses
erronées et trompeuses. Cependant, l'objet de ce livre demeure
la fonction de demande de monnaie et ce n'est que cette
fonction qui sera étudiée de la sorte. Dorénavant, pour la
simplicité de l'exposé, toutes les expressions des fonctions de
consommation et d'investissement définies ci-dessus seront
considérées comme étant suffisamment précises pour ne pas
fausser le modèle. Nous estimons, non sans quelques raisons
quoique la place nous manque pour les exposer ici, qu'il est
utile et pertinent pour l'analyse empirique de se demander
comment différentes formulations de la demande de monnaie
agissent sur le comportement d'un tel modèle. Le lecteur
devra demeurer néanmoins quelque peu sceptique vis-à-vis
des résultats que je présenterai dans le chapitre suivant car

36
1. MODÈLE MACROÉCONOMIQUE SIMPLIFIÉ

il ne doit pas oublier qu'ils reposent sur des hypothèses faites


sur les autres fonctions du modèle. Sans perdre de vue cet
avertissement nous allons maintenant aborder la discussion
des problèmes soulevés par les diverses hypothèses faites sur
la fonction de demande de monnaie dans le cadre d'un
modèle macroéconomique à court terme.

37
2
les différentes formulations
de la fonction de demande de monnaie

La valeur des conclusions obtenues au chapitre précédent


et qui portent sur les effets de la politique monétaire et
budgétaire dépend du degré de confiance que nous voulons bien
accorder au modèle sous-jacent. La précision et la perti-
nence de ce modèle ne peuvent être considérées comme étant
des choses bien établies puisqu'il existe plusieurs expressions
différentes pour chaque fonction qui le compose. Il y a un
problème particulièrement aigu en ce qui concerne la fonction
de demande de monnaie, car les diverses définitions disponi-
bles de cette fonction peuvent changer du tout au tout le
comportement du modèle. Deux points étroitement liés entre
eux sont particulièrement intéressants. Le premier se réfère à
la relation entre la demande de monnaie et le taux d'intérêt.
Le second est plus général et traite de la stabilité de la
relation entre la demande de monnaie et les deux variables
sur lesquelles elle repose d'après l'analyse précédente. Il est
commode de commencer par le taux d'intérêt.

38
2. FONCTION DE DEMANDE DE MONNAIE

Tout au long du chapitre précédent, on a supposé que


la demande de monnaie était inversement liée par un rapport
constant au taux d'intérêt. C'est une hypothèse fondamentale
pour la dérivation de la courbe ascendante LM sur laquelle
reposent nombre des conclusions précédentes. Cependant, cer-
tains économistes pensent que la demande de monnaie n'est
que très faiblement influencée par le taux d'intérêt et qu'en
conséquence on pourrait tout-à-fait la considérer comme étant
indépendante de cette variable. D'autres économistes ont suggéré
que lorsque le taux d'intérêt est très bas par rapport à son niveau
normal, la demande de monnaie est si peu affectée par le taux
d'intérêt qu'il devient alors très utile de considérer que cette
relation est élastique.
Ce n'est pas le moment d'approfondir ici les fondements
théoriques de telles hypothèses. Elles seront reprises dans la
seconde partie de ce livre, mais il est nécessaire maintenant
d'étudier les effets. qu'ont ces différents postulats sur le com-
portement du modèle. La figure (2.1) illustre les fonctions de

r Md
r
Md Md Pty,)l
ptYo ) Md
"P;"Yz) PtYz)

0
;~~ PtY1 ) M
p- 0 M
P
la) 1b)

Md
ptr )
l

M
O~--------p

Icl

FIGURE (2.1). - La fonction de demande de monnaie représentée suivant


différentes hypothèses faites sur la relation entre la demande de monnaie
et le taux d'intérêt (Y. > Y, > Y o).

39
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

demande de monnaie établies suivant les différentes hypothèses


avancées. La figure (2.1 a) reprend la figure correspondante ~
du chapitre précédent où la relation demande de monnaie-
taux d'intérêt est supposée négative. La figure (2.1 b) parIe
d'elle-même. On suppose ici qu'il n'existe aucune relation
entre la demande de monnaie et le taux d'intérêt mais que,
plus le revenu est élevé, plus la quantité de monnaie demandée
est élevée ; la fonction devient une série de droites verticales,
celles à l'extrême-droite correspondant aux revenus les plus
élevés. II n'est pas plus difficile d'interpréter la figure (2.1 c).
On pose ici qu'à r*, la demande de monnaie devient infini-
ment élastique par rapport au taux d'intérêt. Pour des taux
d'intérêt supérieurs à r*, la demande de monnaie s'accroit
quand le revenu augmente. Les courbes tracées pour chaque
niveau de revenu convergent toutes pour devenir parfaite-
ment élastiques en r*, puisqu'à ce niveau du taux d'intérêt
un accroissement du revenu ne peut provoquer une augmen-
tation de la demande de monnaie déjà infinie.
Regardons maintenant les conséquences que ces diffé-
rentes théories peuvent avoir sur la forme de la courbe LM.
r r

M M

L
L
OL-----------------y OL-----~----------y

(o.) (b)

r* f-"L______-"

OL-----------------y
(c )

FIGURE (2.2). - Des courbes LM obtenues avec les fonctions de demande


de monnaie représentées dans la figure (2.1)

40
2. FONCTION DE DEMANDE DE MONNAIE

L'hypothèse de l'indépendance de la demande de monnaie


par rapport au taux d'intérêt implique que la courbe LM est
une droite verticale, comme le montre le plan (2.2 b), car
le marché monétaire est en équilibre lorsque la demande est
égale à l'offre de monnaie. Cette situation ne peut se pro-
duire que pour un seul niveau de revenu avec une offre de
monnaie donnée,· si la demande est une fonction continue et
croissante de cette même variable et ne dépend d'aucune
autre. L'autre hypothèse extrême, à savoir l'élasticité infinie
et non nulle du rapport demande de monnaie - taux d'inté-
rêt, produit un effet analogue mais inverse sur la courbe LM.
Si au-dessus de r* elle a une pente positive, elle devient
horizontale à r*. Ceci est illustré par la figure (2.2 c) tandis
que le plan (2.2 a) reprend la courbe LM du chapitre précédent
pour donner au lecteur une base de comparaison (1).
Etant donné les diverses courbes LM, nous pouvons
examiner les conséquences des théories ci-dessus sur le com-
r r
M
M
Il

rl rl
ro

So SI Sl
0 y 0 y
Yo YI ra =Yl
(Cl) (b)

M
Il

FIGURE (2.3). - Les effets des déplacements de la courbe IS d'après


les différentes formes de la courbe LM : sous-emploi

(1) Le lecteur qui éprouve des difficultés à passer de la figure (1.1) à la figure (2.2)
devrait refaire lui-même le premier graphique, lui ajouter une offre de monnaie et en
déduire la courbe LM d'après la métbode employée au chapitre précédent.

41
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

portement de l'ensemble du modèle. La figure (2.3) démontre


les effets d'une courbe IS qui se déplace en situation d'équi-
libre de sous-emploi. Il est évident que les résultats diffèrent
assez considérablement suivant la forme prise par la courbe
LM. La figure (2.3 a) reprend les résultats obtenus au premier
chapitre qui démontrent que le revenu et le taux d'intérêt
s'élèvent et s'abaissent ensemble quand la courbe IS se
déplace. La figure (2.3 b) représente l'indépendance de la
demande de monnaie par rapport au taux d'intérêt. Le seul
effet obtenu en déplaçant la courbe IS dans un tel modèle
c'est d'augmenter ou diminuer le taux d'intérêt. Par contre,
la figure (2.3 c) démontre qu'une courbe LM horizontale
produit des variations uniquement dans le niveau de revenu
sans que le taux d'intérêt en soit modifié.

r r
Mo Mo MI

Ml

1 1
ra
ra

ri

La LI
5
Y 0 Y
Ya YI Ya YI
(a 1 {b 1

O~------~~-----Y
lé =Y1
(c 1

FIGURE (2.4). - Les effets des déplacements de la courbe LM suivant


ses différentes formes: situation de sous-emploi

La figure (2.4) représente les conséquences d'un dépla-


cement de la courbe LM toujours en situation de sous-emploi.
L'hypothèse étudiée au premier chapitre est reprise dans le
plan (2.4 a)· comme élément de comparaison. La figure (2.4 b)
42
2. FONCTION DE DEMANDE DE MONNAIE

démontre que lorsque la demande de monnaie est inélastique


au taux d'intérêt, des translations de la courbe LM affectent
et le revenu et le taux d'intérêt. L'amplitude des variations de
ces deux facteurs est plus grande que dans le cas où il existe
une certaine élasticité pour un déplacement vers la droite de
la courbe LM. Lorsque la demande de monnaie est parfaite-
ment élastique au taux d'intérêt, nous obtenons un résultat
quelque peu bizarre. En effet, la figure (2.4 c) nous montre
que dans la partie de la courbe LM où le taux d'intérêt est
voisin de r*, des déplacements de la courbe ne modifient ni
le taux d'intérêt ni le revenu.

Il , M(Pol
l'la M(P,I

M(Pol Il
'1
la

'1
'a
51
L(p,) ra
Sl
L(Pol 50
50
0 Y 0 r
y* y*
(a.l 1b1

,
Il M(P,I M(Pol
la

'a =,* L
(Pol

y*
(c 1

FIGURE (2.5). - Les effets des déplacements de la courbe IS d'après les


différentes formes de la courbe LM: situation de plein emploi.
Pl > Po mais P, du plan (c) n'est pas égal à Pl du plan (a)

Le mécanisme du modèle en situation de plein-emploi est


décrit par les figures (2.5 et 2.6), la figure (2.5) illustrant les
conséquences d'un déplacement de la courbe IS. Les résultats
du chapitre précédent - à savoir que tout déplacement de
la courbe IS se traduit par une hausse des prix et un taux
d'intérêt supérieur - ne sont plus vérifiés quand on suppose
43
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

que la demande de monnaie n'est pas affectée par les varia-


tions du taux d'intérêt. La seule conséquence d'une telle
modification est que le taux d'intérêt augmente (cf. figure
2.5 b». Lorsque dans une économie de plein-emploi, la :
demande de monnaie est parfaitement élastique à l'intérêt,
une translation de la courbe IS conduira à un taux d'intérêt
plus élevé et à un niveau des prix supérieur. Le niveau des
prix s'est élevé d'une quantité indéterminée car les prix
augmentent jusqu'à ce que l'offre réelle de monnaie soit suf-
fisamment réduite pour permettre au taux d'intérêt de s'élever
au-dessus de r*, puisque pour un taux r*, il Y aura toujours
une demande excédentaire pour tout déplacement de la
courbe IS (2).
Les divers déplacements de la courbe LM sont repré-
sentés par le graphique (2.6). Il est intéressant de noter
qu'une demande de monnaie, qu'elle soit ou non élastique,
ne change en rien les conséquences d'un déplacement de la
courbe LM en situation de plein-emploi. Les deux figures
(2.6 a et 2.6 b) nous montrent qu'après une translation de
la courbe LM, l'économie retourne à l'équilibre avec le même
taux d'intérêt initial mais pour un niveau des prix supérieur.
Dans les deux cas, ce dernier a augmenté proportionnellement
à la variation de l'offre de monnaie qui est à la base du
déplacement de la courbe LM. Ce serait évidemment différent
si la courbe IS se déplaçait avec le niveau des prix (cf.
chapitre l, note 6). Les résultats concernant l'hypothèse de
proportion alité ne seront alors valables que si la demande de
monnaie est parfaitement inélastique à l'intérêt. Il est facile
de voir, d'après la figure (2.6 c), qu'un changement dans
l'offre ne peut avoir d'effet sur les prix, puisqu'un déplace-
ment à droite de la courbe LM n'a aucun effet quand la
courbe est horizontale (3).
Tout au long de ces quelques pages, nous avons retracé
le mécanisme des conséquences des différentes hypothèses
rencontrées sur la nature du rapport demande de monnaie-
taux d'intérêt. Il est facile de dégager la signification écono-
mique de ces résultats. Nous avons vu que, si la demande de

(2) Ce cas est certes un cas extrême qu'il est peu probable de rencontrer car il exige
un taux d'intérêt exactement égal à r* pour obtenir l'équilibre sur le marché des biens et
services en situation de plein-emploi. Si le taux est inférieur à r* l'économie sera en équilibre
de sous-emploi, et s'il est supérieur à r* la portion horizontale de la courbe LM ne sera
pas compatible avec l'équilibre du modèle. Ce cas est donc cité plus par souci d'ensemble
taxonomique que pour sa valeur empirique.
(3) Il faut remarquer encore une fois que ceci est un cas peu probable (cf. la note
2 de ce chapitre).

44
2. FONCTION DE DEMANDE DE MONNAIE

__~______~S~_y
y*
(al ( bl

y*
(c1

FIGURE (2.6). - Les effets des déplacements de la courbe LM suivant


ses différentes formes: situation de plein-emploi. (M, > Mo, P, > Po).

monnaie ne varie pas avec le taux d'intérêt, tout ce qui


déplace la courbe IS ne fera que modifier le taux d'intérêt,
le revenu d'équilibre (ou les prix en situation de plein-emploi)
demeurant insensibles à ces variations. Cela signifie que des
fluctuations de la fonction d'investissement ne peuvent jamais
être à l'origine de fluctuations du niveau du revenu à l'équi-
libre. Cela signifie aussi que les impôts et les dépenses gouver-
nementales sont des moyens inutilisables pour contrôler l'équi-
libre de l'activité économique. La quantité de monnaie est
la variable primordiale du modèle. Elle seule détermine le
revenu d'équilibre en situation de sous-emploi et le niveau
des prix pour l'équilibre de plein-emploi. En résumé, si la
demande de monnaie est inélastique au taux d'intérêt, une
politique budgétaire est inefficace en tant qu'instrument de con-
trôle économique et la politique monétaire est toute puissante.
Des conclusions inverses sont obtenues si nous adoptons
l'hypothèse d'une parfaite élasticité de la demande de monnaie

45
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROECONOMIE

par rapport au taux d'intérêt. Dans ce cas, des variations i


de la masse monétaire n'ont aucun effet et seuls les facteurs .
capables de déplacer la courbe IS auront quelqu'influence sur
le revenu ou le prix. La politique monétaire est alors ineffi-
cace et la politique budgétaire efficace. Entre ces deux séries de
résultats extrêmes, on a aussi démontré que, si l'élasticité de
la demande de monnaie au taux d'intérêt est parfaite ou
presque, chacune des politiques monétaire et budgétaire a un rôle i
à jouer dans la détermination du revenu d'équilibre ou du
niveau des prix en situation de plein-emploi.
L'importance des conclusions ci-dessus est évidente. La
nature de la relation demande de monnaie - taux d'intérêt
sera longuement étudiée au cours de ce livre, car elle cons-
titue une base fondamentale de la macroéconomie.
On ne pourra étudier avec autant de détails les. autres thèses
traitées dans la suite de ce livre mais elles demeurent néanmoins
importantes. Ces thèses concernent le problème plus général de
la stabilité de la fonction de demande de monnaie utilisée dans les
deux premiers chapitres. L'instabilité de. cette fonction peut être
due au moins à trois causes qui présentent toutes de l'intérêt pour
notre exposé.
En premier lieu, la demande de monnaie n'étant fonction
que du revenu et du taux d'intérêt, il se peut que cette
combinaison varie librement dans le temps. Si tel est le cas,
la courbe LM varie de la même manière. En supposant que
le' reste du modèle demeure inchangé, cela aboutira à des
fluctuations inattendues, pour ne pas dire imprévisibles, du
niveau du revenu et de l'emploi, si ce n'est également du '
niveau des prix. Savoir que la fonction de demande de mon-
naie est sujette à des variations non contrôlées serait impor-
tant non seulement pour notre compréhension de l'histoire
économique mais aussi pour notre appréciation de l'efficacité
des politiques élaborées pour le contrôle des fluctuations éco-
nomiques.
En second lieu, l'instabilité de la relation pourrait ne
pas être la conséquence d'un processus désordonné mais d'une
quelconque variable (ou variables) exclue de la fonction et
affectant la demande de monnaie indépendamment des autres
facteurs s'y rapportant. Les hypothèses ne manquent pas
quant .à la nature de ces variables comme nous le verrons
aux chapitres suivants.
Il est important de savoir si les différentes variables
appartiennent à la fonction pour les incorporer dans le mo-
46
2. FONCTION DE DEMANDE DE MONNAIE

dèle. On pourra alors étudier leurs effets potentiels sur le


comportement du modèle et mieux comprendre les mécanismes
macroéconomiques. Enfin, il se pourrait que le nivea.u du
revenu ne soit pas une composante de la demande de mon-
naie. Certains économistes pensent, comme nous le verrons
plus loin, que le patrimoine serait une variable plus appro-
priée. Cela voudrait dire alors que notre modèle n'est pas
correctement défini et pourrait être en conséquence faux. Dans
un pareil cas, il serait sans doute nécessaire de construire
une variante de ce modèle en incorporant la variable appro-
priée dans la fonction de demande de monnaie. Les prochains
chapitres, en plus de l'examen de la nature spécifique de la
relation entre la demande de monnaie et le taux d'intérêt,
examineront le problème de la stabilité générale de la fonc-
tion de demande de monnaie afin d'établir si l'instabilité
éventuelle de cette fonction est due à une omission de variables
influentes ou à l'inclusion de variables inopérantes - ou au
contraire si la demande de monnaie est sujette à des fluctua-
tions désordonnées.
Ceci ne limite en aucun cas IÇl. liste des problèmes qui
seront abordés dans la suite de ce livre mais pose quelques-
uns des thèmes fondamentaux soulevés par l'analyse .du rôle
de la fonction de demande de monnaie dans le contexte de
la macroéconomie. Il s'agit de convaincre le lecteur de la néces-
sité de bien comprendre la demande de monnaie.
Examinons maintenant les différentes théories sur la
demande de monnaie obtenues à partie d'hypothèses concur-
rentes sur la nature de cette fonction, en reportant au Titre 3
l'étude des preuves empiriques mises à notre disposition.

47
appendice A

présentation algébrique du modèle

Certains lecteurs trouveront utile de présenter algébri-


quement les problèmes abordés dans cette partie du livre
en regroupant tous les résultats. En nous limitant à des
fonctions linéaires pour la simplicité de l'analyse, nous pou-
vons écrire le modèle comme suit, dans lequel Y est le revenu
réel national, 1: l'investissement, C: la consommation, M:
la masse monétaire nominale, P: le niveau des prix, G: les
dépenses publiques, T:. les impôts et r: le taux d'intérêt.
La fonction de consommation:
C=A +c(y- n (A·I)

La fonction d'investissement:
I=B- ir (A-2)

Une fonction d'impôts proportionnelle:


T=tY (A-3)

Les dépenses gouvernementales:


G=G (A-4)

48
APPENDICE A

La condition d'équilibre sur le marché des biens et services:


Y=C+/+G (A-S)

La fonction de demande de monnaie:


Md
- =mY-lr (A-6)
P

La masse monétaire:
(A-7)

La condition d'équilibre sur le marché monétaire:


Ms =Md (A-S)

En remplaçant (A-l), (A-2), (A-3) et (AA) dans (A-5), on


obtient:
y =A + B + G + C (l - t) Y - ir (A-9)

qui s'écrit aussi:


r = ~ (A + B + G) _ 1 - c(l - t) y (A-10)
1 i

C'est la courbe IS. Nous pouvons aussi substituer (A-6) et (A-7)


dans (A-8) pour avoir:
1 Ms m
r=--- +-y (A-11)
1 P 1

C'est la courbe LM. En prenant l'égalité des deux termes de


droite dans (A-lO) et (A-11) nous avons:
1 M m 1 1 - c(l -t)
- - ---2 + - y =- (A + B + Ci) - y (A-12)
1 Pli i

Dans l'équation (A-12), il Y a deux inconnues: le revenu et


les prix. Cependant, si l'on suppose que le niveau des prix
peut être considéré comme exogène en situation de sous-
emploi et si l'on prend un revenu correspondant uniquement
au plein-emploi, l'équation (A-12) peut se ré-écrire de deux
manières: l'une pour déterminer le niveau du revenu en situa-
tion de sous-emploi, l'autre pour définir le niveau des prix
au plein-emploi. Avec p* un niveau des prix donné et Y*
le revenu de plein-emploi, ces expressions deviennent:
Y= - - - - - - (A +B+G)+----l--- Ms (A-13)
mi l[l-c(l-t)] P*
i+[l-c(l-t)] m+ i

49
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

et
(A-14)
P= {l } 1 Ms
y* m+i [1- c(l- t)] - j(A +B+G)

Si l'on veut étudier les effets des modifications de variables


telles que les dépenses publiques, le taux d'imposition ou la
masse monétaire sur le niveau du revenu en situation de
sous-emploi ou même au plein-emploi, lorsque ces variations
sont des variations restrictives, il suffit de prendre la dérivée
partielle de l'expression (A-13) par rapport à la variable
appropriée correspondante. L'étude des effets des modifications
expansionnistes en situation de plein-emploi peut se faire à
partir d'opérations semblables sur l'équation (A-14). Nous
obtenons alors en situation de sous-emploi:
oY
. >0 (A-15)
oG
1ml + [1 - c(I - t)]

oY=_cY 1 <0 (A-16)


ot mi
1 + [1 - c(I - t)]

(A-17)

et au plein-emploi:

(A-18)

oP p2 1
- =- cy- -<0 (A-19)
ot Ms i

OP 1
--=-=---;--------------- >0 (A-20)
1 } 1 -
Y* { m+j[l-c(I-t)] -j(A+B+G)

Ces équations nous révèlent qu'avant d'atteindre le plein-emploi,


l'augmentation des dépenses publiques, le fléchissement du
taux d'imposition et l'accroissement de la masse monétaire
induiront toutes un niveau de revenu d'équilibre plus élevé,
tandis qu'au plein-emploi, des politiques similaires entraîneront

50
APPENDICE A

des augmentations du niveau des prix. L'équation (A-20) nous


montre aussi que les variations des prix sont proportionnelles
aux variations de la masse monétaire.
Les équations (A-] 5) à (A-20) montrent les problèmes
particuliers du rôle du taux d'intérêt dans la fonction de demande
de monnaie étudiée au chapitre 2. Moins le taux d'intérêt affecte
la demande de monnaie, plus le paramètre L reliant ces deux
variables etnd vers zéro; plus cette liaison est sensible, plus le
paramètre tend vers l'infini.
En regardant les équation (A-15) à (A-20), il est évident
que les expressions (A-15), (A-16), (A-18) et (A-19) tendent
vers zéro en même temps que L, alors que (A-17) et (A-20)
tendent respectivement vers l/m et I/Y*m. De même, lorsque
L tend vers l'infini, (A-18) et (A-19) tendent aussi vers
l'infini tandis que (A-17) et (A-20) se rapprochent de zéro.
L'équation (A-15) tend vers 1/[I-c(1-t)] et (A-16) vers
- c Y / [1 - c (1 - t)], En d'autres termes, moins le taux
d'intérêt a d'influence sur la demande de monnaie, moins la
politique budgétaire est efficace, et plus le niveau du revenu ou
le niveau des prix dépendent de la masse monétaire. Inver-
sement, plus la demande de monnaie est influencée par ces
variables, moins le marché monétaire peut déterminer la
façon dont réagiront le revenu et les prix aux modifications
de politiques, et plus la politique budgétaire aura d'importance.
Il faut interpréter avec précaution la manière dont les équa-
tions (A-18) et (A-19) tendent vers l'infini lorsque L tend
lui-même vers l'infini. Cela signifie que tant que la demande
de monnaie reste parfaitement élastique au taux d'intérêt,
la hausse des prix sera illimitée si une politique budgétaire d'ex-
pansion est menée en situation de plein-emploi. C'est précisément
à cause du fait que la fonction de demande de monnaie p,~rd
de son efficacité au fur et à mesure que les prix montent que
cette hausse des prix est enrayée. La hausse en question est
indéfinie plutôt qu'infinie. Toutefois, l'ensemble de cet exposé
concerne une série de circonstances très improbables comme
on l'a indiqué précédemment (cf. chapitre 2, note 2). Les
autres problèmes abordés à la fin du chapitre 2 traitent de
la stabilité des paramètres m et L. L'analyse des équations
(A-13) et (A-14) doit convaincre le lecteur que si ces para-
mètres ne sont ni constants ni prévisibles, les prix et le
revenu ne le seront pas davantage.

51
appendice B

l'effet de richesse

Comme nous l'avons vu au chapitre 1, l'effet de richesse


est le mécanisme par lequel des variations du niveau des prix
déplacent la courbe IS. Elles modifient directement le niveau
de la demande globale au lieu d'influencer le taux d'intérêt.
L'hypothèse fondamentale sur laquelle repose ce mécanisme
est que la consommation dépend non seulement du revenu,
mais aussi de la valeur réelle du stock d'actifs monétaires
détenus dans l'économie. Plus ce stock est grand, plus la
consommation est importante.
Le stock de richesses réelles doit nécessairement varier
avec le niveau des prix pour que l'effet de richesse se réalise.
La valeur réelle du capital immobilier est nettement indépen-
dante des prix puisqu'elle constitue un stock physique de
biens. De plus, quoique les individus émettent entre eux des
titres définis en unités de pouvoir d'achat, titres dont la
valeur réelle varie avec les prix, cela n'entraîne aucune diffé-
rence dans la situation d'ensemble du modèle puisque le
patrimoine des créanciers et des débiteurs est inversement 1

proportionnel aux modifications des prix. Tant qu'aucun chan-


52
APPENDICE B

gement n'apparaît dans la répartition des richesses, des titres


émis par des particuliers demeurent en-dehors de l'effet de
richesse. Son fonctionnement nécessite donc qu'une partie des
actifs dans l'économie, exprimés en termes réels, ne constitue
pour personne une dette dans l'économie. S'il existe de tels
actifs, une hausse des prix désavantagera leurs détenteurs sans
que quiconque puisse en bénéficier afin de réduire son endet-
tement réel. Une chute du niveau des prix avantagera les
détenteurs d'actifs et ne désavantagera personne.
On considère, en général, que la dette publique y compris
la partie de la masse monétaire qui représente les engage-
ments du gouvernement et non ceux d'un système bancaire
privé, constitue un patrimoine puisqu'il est détenu par un
secteur privé de l'économie mais ne correspond à aucun
endettement du secteur privé. Si on accepte ce raisonnement,
il est évident qu'une hausse des prix entraînera une baisse
de la valeur réelle de la dette publique, une diminution corré-
lative de la valeur du niveau global des richesses de l'économie
et par suite une chute des dépenses de consommation. Le
mécanisme de l'effet de richesse déplace la courbe IS vers
la gauche quand les prix augmentent et vers la droite s'ils
devaient diminuer.
Il est intéressant de noter ici qu'on a introduit pour la
première fois le mécanisme de l'effet de richesse en macroéco-
nomie pour démontrer que, si les prix ont une tendance à la
baisse et même si le taux d'intérêt minimum admis par la
courbe horizontale LM était supérieur à celui nécessaire pour
une demande globale de plein-emploi déterminée par la courbe
IS, l'économie finit toujours par revenir à une position d'équi-
libre de plein-emploi. L'effet richesse déplacera la courbe IS
vers la droite tant que les prix baisseront; ces prix fléchiront
jusqu'à ce que le plein-emploi soit atteint. Depuis son intro-
duction pour l'étude de ce problème particulier, le mécanisme
de l'effet de richesse a suscité un grand intérêt analytique.
Plusieurs modèles élégants du comportement macroéconomique
et même micro économique ont été constitués à partir de ce
mécanisme, en particulier par Patinkin [36].
L'importance empirique de l'effet de richesse en dehors
de son avantage analytique, peut être contestée. Comme nous
l'avons vu, les actions et les obligations qui constituent les
engagements du secteur privé, souvent appelés patrimoine
interne, sont exclus du mécanisme. Seuls les actifs qui ne
représentent aucun engagement vis-à-vis de quelqu'un dans
53
DEMANDE DE MONNAIE EN MACROÉCONOMIE

l'économie - patrimoine externe - peuvent donner lieu à un


effet de richesse. On peut se demander si la dette publique
doit être considérée comme un patrimoine externe puisque
ses intérêts sont alimentés par les impôts payés par le secteur
privé. Lorsque le niveau des prix varie de telle sorte que la
valeur réelle de la dette publique en soit modifiée, il doit
également modifier, mais en sens inverse, la valeur réelle
des impôts futurs. Si le secteur privé e~t conscient de ceci,
la dette publique qui rapporte des intérêts ne peut plus, en
fait, jouer un rôle dans le processus de l'effet de richesse;
elle devient alors un patrimoine interne. Cette théorie étant
admise, seule une dette publique ne donnant lieu à aucun
intérêt pourra induire un effet de richesse. Une pareille dette
est constituée par le papier monnaie émis par le gouverne-
ment et ne représente qu'une infîme fraction de la richesse
d'une économie moderne. Ainsi, malgré son attrait analytique
et son importance dans l'histoire de l'économie monétaire,
l'effet de richesse est sans doute une source bien moins im-
portante de l'interrelation directe entre les prix et le niveau
de la demande globale que ne le sont, d'une part, l'effet
produit par l'influence des prix sur les exportations et, d'autre
part, celui obtenu à partir de l'imposition progressive sur le
revenu nominal.

54
LES THEORIES
DE LA DEMANDE DE MONNAIE
3
un aperçu des différentes théories

Dire que la demande de monnaie en termes réels est


fonction du niveau du revenu national et du taux d'intérêt
constitue une hypothèse particulière sur la nature de la fonc-
tion de demande de monnaie. Les thèmes soulevés au cha-
pitre 2 posent le problème de la validité d'une telle hypothèse.
A première vue, nous pouvons répondre à cette question en
nous référant directement aux vérifications empiriques. Il sem-
ble en effet logique de supposer que l'on s'interroge sur la
part des variations de la masse monétaire de l'économie des
Etats-Unis qui pourrait s'expliquer par des modifications de
ces variables. On peut, en effet, procéder de la sorte mais
avant de se lancer dans cette étude empirique, il faut savoir
d'avance quelles genres de conclusions pourront être tirées à
partir des résultats recherchés.
On pourrait conclure à la perfection de la théorie s'il
s'avérait que toutes les variations de la demande de monnaie
peuvent être expliquées par les variables en question. Inver-
sement, si ces variables n'expliquent rien du tout, la théorie

57
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

sera alors jugée parfaitement inutile (1). Aucune de ces déduc-


tions n'est très vraisemblable. Il est plus probable que la
théorie rendra compte pour 50 % ou 90 % de la variation
de la demande de monnaie. Or, savoir si une théorie qui
explique 90 % des variations est bonne ou mauvaise n'est
pas une question à laquelle on peut répondre de façon judi-
cieuse. Tout dépend de la définition donnée aux notions de
«bon» et de «mauvais ».
A partir du moment où plusieurs théories ne diffèrent
ni par leur portée, ni par leur simplicité logique ou ni par
leur compatibilité avec d'autres modèles économiques, une
théorie qui explique 90 % des fluctuations de la demande
de monnaie sera dite meilleure qu'une théorie qui n'en
expliquerait que 50 %. S'il Y a plusieurs théories en cause,
on peut choisir la meilleure d'entre elles d'après ce critère
car, tant qu'une théorie satisfait aux autres critères mentionnés
ci-dessus, elle est dite «bonne» lorsqu'elle répond mieux
qu'une autre à l'examen empirique, et «mauvaise» dans
le cas contraire. Si l'on veut confronter les théories économi-
ques par des preuves empiriques, il est nécessaire de disposer
non pas d'une mais de plusieurs hypothèses qui puissent être
simultanément testées, car ce n'est que de cette façon que les
analyses théoriques valables pourront être départagées de celles
qui sont erronées.
La leçon à tirer de ceci pour la demande de monnaie
est qu'il est impossible d'en savoir plus sur la validité de
l'hypothèse de la stabilité et des variations prévisibles du
rapport de la demande de monnaie au taux d'intérêt, tant
que l'on n'aura pas comparé ces conclusions à celles qui
résultent d'hypothèses contraires faites sur les variables dont
dépend la demande de monnaie. Comme nous le verrons
dans les chapitres suivants, il existe un grand nombre de
théories différentes. Nous verrons aussi que nous avons déter-
miné la nature de la fonction de demande de monnaie à
partir d'examens effectués en vue de comparer le comporte-
ment de ces différentes hypothèses. Il est donc préférable
d'entrer plus avant dans le détail de ces théories avant d'en
étudier les vérifications empiriques.

(1) Mais «l'ensemble des variations» implique que l'on dispose de toutes les hypo-
thèses qui s'y rapportent. Or, de telles hypothèses sont constamment en cours d'élaboration
et l'on ne dispose jamais de l'ensemble de celles-ci. L'idée d'une théorie entièrement vérifiée
par le jeu des hypothèses est totalement étrangère à la procédure scientifique. Même si l'on
découvre une théorie expliquant parfaitement l'ensemble des hypothèses connues, il existe
toujours la possibilité qu'un nouveau postulat apparaisse et soit incompatible avec la théorie
en question.

58
3. APERÇU DES DIFFÉRENTES THÉORIES

Il peut sembler étrange au lecteur que l'on puisse même


parler d'une «théorie de la demande de monnaie ». Ce n'est
pas, pour un économiste, 1'approche classique de ce genre
de problème. Les manuels de microéconomie ne contiennent
pas de chapitre intitulé «la théorie de la demande de réfrigé-
rateur» mais présentent plutôt un cadre analytique d'ensemble
qui permet d'étudier la demande de n'importe quel bien. Quoi-
qu'il existe aujourd'hui un volume considérable de textes
traitant la demande de monnaie comme un cas particulier de
la théorie générale de la demande, ce n'est qu'au cours des
années 1950 que cette manière de procéder a reçu une consé-
cration réelle et valable (2). Avant cette date et même dans une
certaine mesure jusqu'à nos jours encore, on considérait géné-
ralement la demande de monnaie comme un cas particulier néces-
sitant une analyse spécifique. Il n'est pas difficile de trouver
les raisons de cette façon de procéder. L'approche la plus géné-
ralement employée est de postuler que la consommation de
différents biens procure une certaine satisfaction à 1'individu
et que c'est à partir de cette satisfaction, communément appelée
1'utilité, que découle sa demande de biens et services sur le
marché. Dans le cas de biens durables, il y a une étape inter-
médiaire car la demande d'un stock s'obtient à partir de 1'uti-
lité qu'un consommateur tire du flux de services qu'il lui
procure. En général, la nature de cette fonction d'utilité n'est
pas étudiée parce qu'elle relève de la psychologie. A part
quelques considérations sur la nature et sur le principe de la
décroissance du taux marginal de substitution entre biens de
consommation, elle n'est guère approfondie par les économistes.
Or, à première vue, la monnaie ne semble pas s'insérer
très bien dans ce contexte. En effet, ce n'est pas un bien physi-
quement consommable; elle ne semble pas non plus engendrer,
à 1'exemple des autres biens de consommation durables, un
flux de services qui procure une satisfaction psychologique
à 1'individu. Elle ne conserve pas les aliments au frais comme
le fait le réfrigérateur, ne procure pas de divertissement comme
la télévision. Les titres et obligations appartiennent à la même
catégorie d'actifs mais ils produisent des revenus monétaires
pour leurs détenteurs, qui pourront alors acheter des biens de
consommation; en général, la monnaie ne possède pas ces
propriétés. Dans certaines économies, certains actifs employés
aussi comme monnaie produisent un faible intérêt mais ceci
n'explique pas la détention d'encaisses liquides. Il existe de

(2) Quoique l'esprit de cette méthode ait été nettement défini par Hicks [19] dès 1935.

59
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

nombreux exemples de monnaies qui ne produisent aucun intérêt,


et que les individus, pourtant, détiennent. Il semble donc que la
théorie de l'utilité ne puisse expliquer directement la détention
d'encaisses si bien qu'il faut étudier la demande de monnaie avec
une analyse spécifique.
La monnaie possède deux caractéristiques particulières
mais liées entre elles qui sont habituellement mises en évidence
par les théories qui étudient la monnaie séparément des autres
biens. La première est que la monnaie est un moyen d'échange
contre des biens et services; la deuxième, que sa valeur mar-
chande est, en général, hautement prévisible. Ces deux carac-
téristiques communément regroupées en ce qu'on appelle
« liquidité» ne sont pas la propriété exclusive de la monnaie.
D'autres actifs les possèdent aussi à des degrés variables. Il est
possible de trouver, dans certains cas, un vendeur de bien qui
accepte un titre en échange de ce bien. D'autre part, le prix
de certains titres est souvent connu et varie peu. Néanmoins,
à l'encontre des autres types d'actifs, la monnaie est universelle-
ment reconnue comme moyen d'échange et sa valeur est en
général plus facile à estimer. La monnaie est la forme d'actif la
plus liquide et deux raisons peuvent expliquer l'existence d'une
demande de monnaie.
Pour effectuer des transactions, il est évidemment néces-
saire de disposer de monnaie pour effectuer les paiements mais
ce seul fait ne peut justifier la détention de monnaie. Dans
un monde parfaitement libre, un individu achèterait un actif
productif d'intérêt dès qu'il reçoit un règlement et le reven-
drait seulement au moment où il aurait besoin de monnaie
pour effectuer un paiement pour son propre compte. Ainsi,
il ne détiendrait jamais de monnaie. Toutefois, le monde n'est
pas sans contraintes. L'achat et la vente d'actifs demandent
du temps, exigent des démarches et sont, par conséquent, coû-
teux. De plus, il n'est pas du tout évident qu'une action pro-
ductive d'intérêts pourra se vendre à tout moment à son prix
d'achat. Il existe toujours un degré d'incertitude et s'il y a un
profit à tirer de l'achat de ces actions, il peut aussi y avoir
une perte. Profits et pertes peuvent être évités en comblant
l'écart existant entre le moment de la perception des règle-
ments et celui de l'engagement des dépenses en détenant des
encaisses plutôt que des actifs. La monnaie est détenue pour
trois raisons: l'achat et la vente d'actifs est coûteuse, le prix
de ces actifs est incertain et la monnaie est toujours facilement
acceptée dans une transaction. De tels concepts sont à la
base d'un grand nombre de théories sur la demande de monnaie.
60
3. APERÇU DES DIFFÉRENTES THÉORIES

L'utilisation de la monnaie pour les transactions n'expli-


que pas seule la demande de monnaie car sa valeur prévisible
sur le marché peut faire qu'on désire cet actif. Détenir de la
monnaie ne donne droit à aucun revenu de sorte qu'il est en
général préférable d'avoir un patrimoine sous forme d'actifs;
mais «en général» ne signifie pas «nécessairement». De
temps en temps, les prévisions sur les variations futures des
prix de ces actifs peuvent amener leurs détenteurs à craindre des
pertes massives. Dans un pareil cas, le gain nul qui résulte
alors de la détention de monnaie est nettement préférable à
la perte qu'on pourrait subir en détenant de tels actifs. La
monnaie devient donc désirable pour une raison autre que son
utilité dans les transactions. Les analyses de ce genre de com-
portement jouent aussi un rôle important dans les théories de
la demande de monnaie.
Nous venons de démontrer que la monnaie rend, en fait,
d'importants services à ses détenteurs, même si de tels services
ne produisent pas une satisfaction psychologique. Toutefois,
puisqu'il ne s'est jamais avéré nécessaire d'examiner la nature
des satisfactions psychologiques qui découlent de la consom-
mation des autres biens pour analyser la demande de ces biens,
on peut dire que le contexte psychologique qui entoure la
théorie de l'utilité lui est indifférent. A vrai dire, les théories
modernes de la demande adoptent ce point de vue. Si tel est
le cas, le fait que les services rendus par la monnaie ne soient
pas d'ordre «psychologique» devient sans importance dans
l'application de la théorie de l'utilité au problème de la demande
de monnaie. Il suffit de postuler que la monnaie rend des ser-
vices à ceux qui la détiennent et d'analyser ensuite les facteurs
de sa demande de la même manière qu'on le ferait pour tout
autre bien. On appréciera mieux s'il s'agit d'une procédure
valable ou non d'après la valeur prévisionnelle de la théorie
qui en découle, plutôt qu'à travers les discussions philosophiques
de ses hypothèses sous-jacentes.
Enfin, les théories de la demande de mon.naie fondées
sur l'application de la théorie générale de la demande ne sont
pas logiquement incompatibles avec l'idée que la demande de
monnaie résulte, en fait, de son utilité en matière de commerce,
ni même avec l'hypothèse qu'elle constitue une parfaite pro-
tection contre le risque inhérent à la possession d'actions. Ces
deux dernières thèses ne sont pas non plus contradictoires.
Cependant, les théories qui soulignent l'importance des tran-
sactions produisent des modèles de la demande de monnaie
différents de ceux qui résultent des théories de l'incertitude liée
61
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

à la possession d'actifs. La théorie qui élimine d'office toute


analyse de motivation et applique tout simplement les concepts
généraux de la détermination de la demande d'un bien quel-
conque à la demande de monnaie produit encore un modèle
différent.
Ces différents modèles pourraient être considérés comme
faisant tous partie d'une théorie «générale» de la demande
de monnaie. Or, pour des raisons de méthodologie, il est pra-
tique de les envisager comme étant diverses possibilités et de
se demander, ensuite, quelle part de la variation de la demande
de monnaie peut s'expliquer uniquement par les facteurs sup-
posés importants par chaque hypothèse particulière. On décou-
vrira grâce aux résultats des expériences si, le cas échéant,
aucun jeu de variables ne domine la fonction de demande de
monnaie. Mais, si un ensemble de variables est prépondérant
en fait, cette méthode permettra aussi de nous le dire. Ce type
de renseignement serait d'un intérêt certain. Plus on explique
de choses avec le moins de variables possibles, plus la théorie
qui en découle sera simple et, par conséquent, plus malléable
et facile à comprendre. Donc, c'est plus par méthode que par
simple logique que présenterai, dans les chapitres suivants,
les théories de manière à ce que leurs différences et non leurs
ressemblances soient mises en valeur et de manière à ce qu'elles
apparaissent comme des modèles concurrents et non complémen-
taires. Ce n'est qu'en procédant de cette manière qu'il sera possible
de définir clairement, par la suite, les concepts qui ont été étudiés
récemment grâce aux méthodes empiriques.

62
4
la théorie classique
de la demande de monnaie

L'une des analyses les plus complètes, si ce n'est celle


qui eut le plus de portée, qui considère la monnaie comme un
moyen d'échange, n'a pas explicitement formulé une théorie
de la demande en tant que telle. Néanmoins, comme nous le
verrons, ses résultats sont aisément transposables en de pareils
termes. Le concept clé était la vitesse de circulation de la
monnaie dans les échanges, la rapidité avec laquelle elle passe
de main en main et non la notion de demande de monnaie.
Irving Fischer [11], l'économiste le plus étroitement associé à
cette théorie, a commencé son analyse par une simple identité.
Dans toute transaction, il y a un acheteur et un vendeur
et, par conséquent, pour l'ensemble de l'économie le montant
des ventes doit être égal au montant des recettes. Or, la valeur
des transactions est égale au nombre de transactions réalisées
au cours d'une période multiplié par le prix moyen des tran-
sactions. D'autre part, la valeur des achats est égale à la quan-
tité de monnaie en circulation dans l'économie multiplié par
63
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

le nombre de fois qu'elle change de mains au cours de la même


période de référence. Donc, si Ms est la quantité de monnaie,
V T: le nombre de fois où la monnaie change de mains -
c-'est-à-dire sa vitesse de circulation - P : le niveau des prix et
T: le volume des transactions, on peut écrire l'identité:
MSVT =PT (4-1)
Seule une identité peut naître d'une autre identité; mais
elle peut néanmoins constituer un moyen de classification dans
la méthode d'élaboration des théories. Prenons les quatre varia-
bles ci-dessus et regardons ce qui détermine leurs valeurs. Les
résultats de Fisher sont les suivants: la quantité de monnaie
est déterminée indépendamment des trois autres variables et
est considérée à tout moment comme donnée; de plus, T, le
volume des transactions, peut aussi être considéré comme donné.
Dans une économie qui n'a qu'un seul équilibre se situant au
niveau du revenu de plein-emploi - point de vue envisagé
par Fisher ainsi que par une majorité de ses contemporains -
il semblait logique de supposer qu'il y avait un certain rapport
constant entre le volume des transactions et le niveau de pro-
duction. Fisher a aussi considéré V T comme une variable indé-
pendante mais constante à tout moment, si bien que la dernière
variable P reste seule à être déterminée par les trois autres.
Plus précisément, si V T et T sont des constantes, nous nous
trouvons en face de l'hypothèse que les prix sont déterminés
uniquement par la quantité de monnaie et lui sont propor-
tionnels. Ces derniers résultats nous permettent de transformer
l'identité ou «l'équation d'échange» en une théorie quanti-
tative de la monnaie, ou théorie de la détermination du
niveau des prix, qui s'écrit:
MSVT=PT (4-2)
Les barres au-dessus de V et T signifient que ce sont des
constantes.
Cette théorie est équivalente à la théorie du marché
monétaire établie en termes d'offre et de demande telle
qu'elle est décrite ci-dessous, bien que Fisher ne l'ait pas
définie de cette manière. La demande de monnaie dépend
du montant des transactions réalisées dans l'économie et est
égale à une fraction constante de ces transactions. De plus,
l'offre de monnaie est donnée; à l'équilibre, la demande doit
être égale à l'offre. Ceci s'écrit :
(4-3)
(44)

64
4. THÉORIE CLASSIQUE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

Ces deux équations réunies donnent :


1 -
Ms - = MsVT =PT (4-5)
kT

-
VT =-1 (4-6)
kT
Que l'on interprète ceci en termes de vitesse de circulation
ou en termes de fonction de la demande reliant les encaisses
au volume des transactions d'une économie, il reste toujours
la question: qu'est-ce qui détermine la vitesse de circulation
ou le rapport monnaie-transactions ? La réponse est donnée
en grande partie en termes technologiques. Lorsque l'on a
admis que la demande de monnaie dépend de son utilisation
dans le processus des transactions, on peut alors dire que le
montant exact de monnaie nécessaire pour effectuer un
volume donné de transactions est déterminé par la nature
du processus existant dans toute économie donnée. Une
certaine analogie avec l'analyse du processus de production
apparaît ici, le volume des transactions jouant le rôle d'output
et la monnaie celui d'input.
Si l'on pose le problème de cette manière, tout raison-
nement sur la demande de monnaie entraine inévitablement
l'étude de la nature de ce processus de production. Il faut
alors examiner le cadre institutionnel qui définit les modes de
paiement. Par exemple, il semblerait qu'une économie dans
laquelle l'usage des cartes de crédit est très largement
répandu nécessitera moins de monnaie pour financer un
volume d'affaires donné qu'une économie où tous les paie-
ments doivent se faire directement en espèces. Pour des
raisons analogues, il faut tenir compte des usages commer-
ciaux concernant les possibilités d'octroi de crédit. Par
ailleurs, la qualité des communications d'une économie est
également un élément important. Le fait que des déplacements
de fonds puissent être transmis par téléphone ou télégraphe
doit impliquer une demande de monnaie plus faible que celle
qui existerait dans une économie où tous les messages sont
envoyés par la poste. On pourrait multiplier sans fin de
pareils exemples, mais on en a dit suffisamment ICI pour
donner au lecteur une petite idée de ce qu'est cette approche
de la théorie de la demande de monnaie.
Ce qui est important pour nous dans ce genre d'analyse,
c'est que les choses telles que les habitudes d'octroi de crédit,
les communications et autres, si elles changent avec le temps,

65
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

ne se transforment pas rapidement. Donc, si on les considère


comme étant les principaux éléments de la demande de mon-
naie, on démontre que, pour de courtes périodes, les possi-
bilités de variations de la quantité de monnaie demandée
par rapport au volume des affaires effectuées sont faibles. Il
faut donc s'attendre à ce que la vitesse de circulation soit
constante au cours de ces périodes. En élargissant le champ
d'analyse, des variations de la vitesse de circulation ne se
feront que lentement et d'une manière correspc:mdant ainsi
à de lentes modifications structurelles. La vitesse de circula-
tion dans les affaires devient alors une constante et représente
ainsi une bonne approximation en court terme.
En outre, il est aussi très intéressant de traiter de la
même manière la relation entre le volume des transactions
et le niveau du revenu national. En effet, le premier dépend,
d'une part, du nombre d'étapes qu'ont à parcourir les produits
entre l'état de matière première et celui de produit fini et,
d'autre part, du nombre de sociétés indépendantes qui parti-
cipent à leur production. Si l'intégration verticale des sociétés
est possible et permet de réduire le volume des transactions
associé à un niveau de production donné, elle n'est pas une 1

procédure rapide et l'on peut, par conséquent, ne pas en


tenir compte dans l'analyse à court terme; telle est la
tendance qu'adopte ce genre de théorie monétaire. De même,
la fraction du revenu national effectivement liée aux transac-
tions du marché peut se modifier en cours de période au
fur et à mesure que les unités économiques se spécialisent '
et deviennent interdépendantes, produisant de moins en moins
pour leur propre consommation et de plus en plus pour le
marché lui-même. Encore une fois, ces modifications ne se
font pas rapidement et peuvent sans doute être écartées de
l'analyse à court terme (1).
Cette approche de la théorie monétaire par le biais des
transactions nous amène alors à l'hypothèse suivante: la
demande de monnaie est une fraction constante du niveau
des transactions, qui est lui-même lié par un rapport constant
au niveau du revenu national. De plus, le plein-emploi n'est :
pas un élément fondamental de la théorie, quoiqu'à son
origine il avait été postulé que le revenu de plein-emploi
était le seul équilibre possible pour l'économie. Nous pouvons
aisément écarter cette hypothèse pour insérer cette théorie du
(1) Néanmoins, ce raisonnement ne tient pas compte des fluctuations se succédant à un
rythme accéléré qui peuvent avoir lieu dans le volume des transactions réalisées sur les
marchés financiers.

66
4. THÉORIE CLASSIQUE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

comportement du marché monétaire dans le cadre macro-


économique et voir ce que représente le modèle qui en
résulte.
Si la demande de monnaie dépend uniquement du niveau
du revenu, nous nous trouvons avec un modèle dans lequel
tout repose sur l'importance de l'offre de monnaie et sur
aucune autre variable. Le modèle est en fait un cas parti-
culier du modèle plus général présenté à la section 1 dans
lequel la demande de monnaie est totalement indépendante
du taux d'intérêt. Que cette approche de la théorie monétaire
entraine ou non des conclusions exactes est sujet à contro-
verse, mais on ne peut nier qu'elle aboutit à des conclusions
intéressantes qui, si elles s'avèrent exactes, auront des consé-
quences importantes sur la façon dont les gouvernements
devraient mener leur politique économique. Elle implique tout
simplement que le revenu d'équilibre ou les prix en situation
de plein-emploi ne peuvent être en aucune façon influencés
par une politique budgétaire. Ce genre d'analyse doit donc être
envisagé très sérieusement et examiné avec beaucoup d'atten-
tion.
L'interprétation de la théorie monétaire faite par Fisher
présente de nombreux attraits. En effet, en posant comme
hypothèse que la demande de monnaie dépend du besoin
des individus de commencer entre eux, elle lie la demande de
monnaie au volume des transactions dans l'économie à tout
moment et, par suite, débouche directement sur une théorie
macroéconomique de la demande de monnaie. Elle permet
aussi de faire des prévisions assez précises sur la nature
de la fonction de demande de monnaie et est, en consé-
quence, hautement vérifiable. Cependant, rien de tout ceci ne
constitue une conséquence nécessaire et logique de l'analyse
de la demande de monnaie faite à partir de son rôle dans le
processus des transactions. Comme nous allons le voir main-
tenant, l'interprétation dite de Cambridge, telle qu'elle figure
dans les ouvrages de Marshall et de Pigou, si elle part du
même point et se termine par un énoncé formel de la fonction
de demande de monnaie très proche de celui de Fisher, suit
un trajet tout à fait différent pour y arriver [37].
Les économistes de Cambridge ne cherchaient pas à
déterminer la masse monétaire nécessaire à l'économie pour
effectuer un volume donné de transactions, comme le fit
Fisher, mais essayaient plutôt de déterminer la quantité de
monnaie désirée par un individu si toutefois la volonté d'échanger
justifie la détention d'encaisses. Le problème était donc posé
67
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

en termes micro-économiques et mettait l'accent sur le comporte-


ment de choix des individus. Cette présentation ressemble beau-
coup plus à une application de la théorie générale de la demande
à un problème particulier qu'à une théorie particulière de la
demande de monnaie. Si l'on pose le problème en ces termes, le
type de variables envisagées par l'économiste diffère de celui
utilisé par Fisher.
Si on définit le problème en termes de quantité de
monnaie désirée par un individu, le cadre de travail qui se
présente est celui dans lequel les coûts d'opportunité et les
contraintes sont les facteurs principaux agissant ensemble !

avec les goûts des individus. En ce qui concerne la théorie


de Cambridge, la principale composante du désir qu'ont les
individus de posséder de la monnaie se trouve dans le fait
que c'est un actif pratique à détenir puisqu'il est universelle-
ment accepté contre des biens et services. Plus un individu '
effectue de transactions et plus il désirera détenir de la mon-
naie. Jusque là, cette présentation est semblable à celle de
Fisher mais l'accent est mis sur la volonté de détenir de la
monnaie plutôt que sur la nécessité de la détenir. C'est la
différence fondamentale entre la théorie monétaire de Cam-
bridge et l'analyse de Fisher.
Un individu ne peut détenir toute la monnaie qu'il vou-
drait ne serait-ce que parce que son encaisse ne peut excé-
der sa fortune globale. C'est la contrainte sur ses encaisses.
De plus, même s'il est possible pour un individu de conserver
tout son patrimoine sous forme de monnaie, il n'est pas du
tout certain que ce soit ce qu'il désire. Il y a d'autres ma-
nières de posséder des actifs et nombre d'entre elles présen-
tent des avantages que la monnaie ne peut offrir. Les actions
et les obligations produisent des intérêts et la monnaie n'en
produit pas. Si l'on admet que plus le niveau de ses encaisses
est élevé, moins on désirera l'augmenter, il est évident qu'à
un certain moment, il sera préférable de sacrifier une partie
de ce surplus de satisfaction pour obtenir un revenu supplé-
mentaire. Par ailleurs, la possession d'actions et d'obligations
comporte la possibilité de réaliser des gains (ou des pertes)
en capital, tout comme la monnaie en période de fluctuations
des prix. On peut supposer que toute personne cherchant à
allouer au mieux sa fortune tiendra compte de ces choses
avant de décider quelle part elle affectera à un actif en
espèces.
Tout ceci revient à dire que la demande de monnaie
dépend du volume des transactions qu'un individu projette
68
4. THÉORIE CLASSIQUE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

de réaliser et, de plus, varie avec le montant de son patri-


moine et le coût d'opportunité - c'est-à-dire le revenu au-
quel on renonce en ne possédant pas d'autres actifs. Si on
parle de monnaie en termes réels, elle variera aussi propor-
tionnellement avec les prix. Ceci est dû au fait que l'utilité
de la monnaie dans la réalisation des transactions nécessaires
à l'obtention de biens et services lui confère le caractère d'un
bien. Que les prix de ces choses viennent à augmenter d'une cer-
taine proportion et la quantité de monnaie qu'un individu devra
détenir de manière à se procurer exactement la même satisfaction
que précédemment devra elle aussi augmenter dans les mêmes
proportions.
On n'a pas mentionné ici des facteurs tels que la dispo-
nibilité de substituts à la monnaie pour la réalisation des
transactions, la disponibilité de bons moyens de communica-
tions, etc. (thèmes soulignés par la théorie de Fisher), mais
il est évident qu'on ne peut guère les exclure de ce schéma.
Ils doivent déterminer, en partie tout au moins, le degré de
satisfaction qu'il y a à détenir de la monnaie plutôt que
d'autres actifs. Cependant, l'analyse de l'école de Cambridge
du problème de la demande de monnaie attribue une impor-
tance secondaire à ces facteurs.
La présentation par l'école de Cambridge de la théorie
de la demande de monnaie revient à dire que, si l'on aborde
le problème des encaisses dans l'économie du point de vue
du comportement des choix faits par les individus, il faut
considérer la satisfaction obtenue par un individu à travers
la détention de monnaie nécessaire pour les transactions, son
patrimoine, le taux d'intérêt, les prévisions qu'il fait sur la
marche future des événements, etc. comme ayant une influence
potentielle importante sur la demande de monnaie. Elle ne
fait pas état de la nature des rapports que l'on pourrait
s'attendre à trouver entre ces variables et ne parle guère de
celles qui pourraient être importantes. En élaborant leur
modèle, ce groupe d'économistes, et en particulier Pigou, a
choisi au contraire de le simplifier en supposant que, pour
un individu, le rapport entre son patrimoine, le volume de
ses transactions et le niveau de son revenu serait constant, tout
au moins à court terme. Ils démontraient alors que, toutes choses
étant égales par ailleurs, la demande de monnaie en termes réels
est proportionnelle au revenu réel pour chaque individu et, par
conséquent, pour l'ensemble de l'économie. Ainsi, ils écrivaient
l'équation de la demande de monnaie comme suit:
~=~y ~n

69
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

Celle-ci associée à la condition d'équilibre du marché moné-


taire
Md=Ms (4-4)
nous donne
Ms = kPY (4-8)
d'où
1
M s -k =Ms V=PY (4-9)

Cette dernière équation semble très proche de celle de Fisher,


si ce n'est que le symbole V représente non pas la vitesse
de circulation de la monnaie par rapport aux transactions
définie auparavant par V T, mais plutôt sa vitesse par rapport
au revenu - c'est-à-dire non pas le nombre de fois qu'une
unité de monnaie «boucle la boucle» mais sa vitesse de cir-
culation par rapport au taux de production du revenu réel.
Ainsi, la théorie de Cambridge envisagée en ces termes
paraît aboutir à un modèle du marché monétaire semblable à
celui de Fisher et semble attribuer les mêmes conséquences
aux rôles des politiques monétaires et budgétaires sur le contrôle
du revenu. Or, une telle interprétation serait une erreur.
Fisher et les économistes de Cambridge ont défini leurs théo-
ries sur la base de «toutes choses étant égales par ailleurs».
On peut s'attendre, avec raison, à ce que la constante de
Fisher, à savoir le cadre institutionnel déterminant la nature
technique de la procédure des transactions, ne varie qu'im-
perceptiblement sur de courtes périodes; on peut donc consi-
dérer que sa présentation définit une théorie du marché
monétaire qui implique une vitesse de circulation constante
à court terme. Il n'en est pas de même pour l'école de
Cambridge car ces économistes donnent de l'importance au
taux d'intérêt et aux spéculations, facteurs qui peuvent varier
assez sensiblement sur de très courtes périodes.
Définir le modèle de Pigou et de Marshall de manière
à ce qu'il ressemble à celui de Fisher, c'est cacher d'impor-
tantes différences entre les deux formules et ignorer le fait
que la théorie de Cambridge nécessitait une analyse plus
approfondie des variables utilisées avant d'en déduire une
théorie explicite du marché monétaire. Dans le cadre du
modèle macroéconomique présenté au chapitre précédent, on
pourrait dire que Fisher a établi une hypothèse sur le faible
rôle du taux d'intérêt sur la demande de monnaie mais il
est impossible de tirer une proposition· aussi formelle des
70
4. THÉORIE CLASSIQUE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

travaux de l'école de Cambridge. La contribution de celle-ci


à la théorie monétaire fut précisément d'attirer l'attention
sur le fait que des variables telles que le taux d'intérêt pou-
vaient être des composantes importantes de la demande de
monnaie. Toutefois, elle laissa à ses successeurs le soin
d'approfondir en détail ses hypothèses.

71
5
l'économie monétaire keynésienne
et la théorie quantitative moderne

Le développement par Keynes [24] de la thèse de


Cambridge sur la demande de monnaie constitue à l'heure
actuelle la base de l'étude sur ce sujet dans les manuels
de macroéconomie (1). Keynes analysa avec plus d'attention
que ses prédécesseurs les motifs qui poussent les individus
à détenir de la monnaie et fut, par conséquent, plus précis
qu'eux sur la nature des satisfactions à en tirer. Comme nous
l'avons vu, la caractéristique particulière de la monnaie en
tant qu'actif mise en valeur par Fisher et l'école de Cam-
bridge est que seule la monnaie parmi tous les actifs est
universellement acceptée comme moyen d'échange. Keynes n'a
en aucune façon rejeté ce point de vue et a en fait classé

(1) La distinction entre la théorie de Cambridge et les travaux de Keynes est quelque
peu arbitraire. Le Tract on Monetary Re/orm est tout à fait dans la tradition de Marshall et
de Pigou tout comme les parties du Treatise on M oney traitant explicitement de la
demande de monnaie quoique le cadre général de cette œuvre se réfère à la dynamique
de Wicksell. Ce n'est pas dans la Théorie générale que nous trouvons ce qu'on appelle
maintenant la théorie monétaire keynésienne.

72
5. THÉORIE QUANTITATIVE MODERNE

le «motif de transactions» comme le premier mais non


l'unique - motif à la base de la demande de monnaie.
Il stipula, peut-être avec plus de clarté que ses prédéces-
seurs, que le niveau des transactions d'un individu puis de
l'ensemble des individus est en rapport constant avec le
niveau du revenu et qu'en conséquence la soi-disant «de-
mande transactions» est proportionnelle au niveau du revenu.
Il n'y a rien de nouveau dans cet aspect de la théorie
keynésienne. Néanmoins, l'emploi du terme «motif de tran-
sactions» était limité à la description de la nécessité de
posséder des espèces pour combler l'écart entre les recettes
et les paiements régulièrement arrêtés. Pour les catégories de
réglements ni réguliers ni planifiés, tels que paiement de
factures inattendues, réalisation d'achats à des prix avanta-
geux mais inattendus, nécessité de faire face à des dépenses
soudaines dues peut-être à un accident ou à une mauvaise
santé, Keynes suggéra de plus que les individus trouve-
raient plus prudent de détenir des espèces au cas où ils ne
seraient pas en mesure de réaliser suffisamment rapidement
d'autres actifs. Il appelait cela le motif de précaution de la
demande de monnaie et disait que la demande de monnaie qui en
découle dépendait très largement du niveau du revenu.
Keynes lui-même ne voulait pas considérer comme techni-
quement constant le rapport enrte la demande de monnaie résul-
tant des motifs de transactions et de précaution et le revenu car il
voyait très bien que les individus ont à choisir entre détenir
des espèces et percevoir des revenus en possédant d'autres
actifs. Il fit des demandes de transaction et de précaution
des fonctions du taux d'intérêt. Toutefois, il n'a pas appro-
fondi le rôle du taux d'intérêt dans cette partie de son
analyse. Nombre de ses vulgarisateurs l'ont tout simplement
ignoré, non pas parce que le taux d'intérêt n'est pas impor-
tant dans l'œuvre de Keynes mais parce qu'il joue un rôle
primordial dans la «demande de spéculation» de la mon-
naie (2).
Marshall et Pigou pensaient qu'un des facteurs suscep-
tibles d'influencer la demande de monnaie était l'incertitude
du futur et l'analyse du motif de spéculation faite par Keynes
représente un essai de formulation d'un des aspects de cette
hypothèse. Au lieu de parler d'incertitude en général, le
(2) On se réfère souvent à la distinction entre la demande de transaction et de précau-
tion, principalement définie par le niveau du revenu, et la demande de spéculation déterminée
par le taux d'intérêt en parlant de la distinction entre la demande d'encaisses « actives» et
la demande d'encaisses «passives ».

73
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

domaine d'étude se limite à l'incertitude d'une variable écono-


mique: le niveau futur du taux d'intérêt.
Une obligation est un actif dont on sait qu'il va rap-
porter chaque année à son détenteur un certain revenu défini
en termes nominaux. La décision d'acheter une obligation
équivaut à la décision d'acheter un droit à un revenu futur.
Ce qu'un individu acceptera de payer pour acquérir cette
obligation, c'est-à-dire la valeur marchande de celle-ci, dépend
essentiellement du taux d'intérêt car l'acheteur éventuel voudra
bénéficier au minimum de la valeur actuelle du taux d'intérêt
appliquée à la fraction de son patrimoine qu'il détient sous
forme d'obligations. Ainsi, si le taux d'intérêt est de 5 %, il
sera prêt à payer jusqu'à 100, et pas plus, pour une obliga-

°
tion qui offrirait un revenu de 5 par an. Or, si le taux d'intérêt
est de 1 %, personne ne voudra payer plus de 50 pour la
même obligation.
Il s'ensuit donc que, d'après la nature même des obli-
gations, des variations du taux d'intérêt entrainent des varia-
tions de leur prix: une hausse du taux d'intérêt signifie que
leur valeur marchande baisse et une chute de ce taux entraine
sa hausse. Ainsi, des fluctuations du taux d'intérêt impliquent
des gains ou des pertes en capital pour les détenteurs
d'obligations. Toutefois, ces mêmes fluctuations n'entrainent
aucune modification dans la valeur de la monnaie. Si l'on
considère le choix entre détenir de la monnaie ou détenir
des obligations, il est évident que les obligations (en plus
d'offrir l'attrait d'une rente d'intérêts que la monnaie ne peut
pas toujours offrir) présentent aussi la possibilité de faire
des gains en capital lorsqu'on suppose que le taux d'intérêt
va baisser. En de pareils cas, il devient très intéressant de
posséder des obligations. Mais lorsque le taux d'intérêt aug-
mente, c'est la situation inverse car ceux qui possèdent des
obligations doivent faire face à des pertes en capital.
Ainsi, Keynes supposa que, lorsqu'on prévoit une baisse
du taux d'intérêt, la demande de monnaie est relativement
faible car les individus détiennent des obligations puisqu'ils
anticipent des gains à réaliser. Cependant, lorsque sa hausse
est prévue, la demande de monnaie est plus forte puisque les
individus cherchent à éviter des pertes en capital. Tout ceci
est parfait mais la variable qui détermine quand et comment
doit varier le taux d'intérêt est absente de la théorie telle
qu'elle a été décrite jusqu'ici. Keynes a résolu ce problème
en considérant le niveau du taux d'intérêt courant.
Il pensait qu'à tout moment il y avait une valeur du

74
5. THÉORIF QUANTITATIVE MODERNE

taux d'intérêt dite normale, si bien que, lorsque le taux était


au-dessus de ce niveau normal, les gens auraient tendance
à prévoir sa baisse, et, s'il était en-dessous de ce palier, à
prévoir sa hausse. Dans cette optique, tout individu, à un
moment quelconque, prévoit soit la chute du taux d'intérêt
- auquel cas il anticipe des gains en plus des intérêts s'il
possède des obligations et il cherchera effectivement à en
acquérir - soit la hausse du taux d'intérêt - auquel cas il
anticipe des pertes sur les obligations. Tant que les pertes
anticipées ne sont pas suffisamment importantes pour com-
penser les revenus des obligations, l'individu continuera à
conserver tout son patrimoine sous forme d'obligations. Toute-
fois, si ces pertes sont jugées assez importantes pour com-
penser les revenus d'intérêt, l'individu ne détiendra alors que
de la monnaie. Il existe une troisième possibilité: les pertes
envisagées sont égales au revenu en intérêt de sorte que le
bilan final sera nul. C'est le cas lorsque le taux anticipé des
fluctuations du taux d'intérêt (qui varie en sens inverse du
taux de fluctuation du prix des obligations) est égal au
niveau courant du taux d'intérêt. Dans de pareilles circons-
tances, le montant de son patrimoine détenu sous forme de
monnaie sera indifférent à l'individu.
Pour un individu faisant de bonnes prévisions sur l'in-
dice futur du taux d'intérêt, la demande spéculative de mon-
naie est une fonction continue du niveau courant de ce taux.
Il y a une valeur fixe du taux courant au-dessus de laquelle
le revenu escompté des obligations est positif; en-dessous
il est négatif et à égalité il est nul. A leur tour, ces revenus
entrainent une demande de monnaie (1) nulle, (2) égale au
patrimoine de l'individu et (3) se situant entre ces deux
extrêmes. Cependant, pour l'ensemble de l'économie, les indi-
vidus font des prévisions différentes sur les fluctuations du
taux d'intérêt autour de la valeur normale de ce taux. Plus
le taux normal est bas, plus la hausse du taux attendue par
les individus sera rapide et par suite, plus les individus dési-
reront posséder tout leur patrimoine sous forme de monnaie.
De même, plus le taux est élevé, plus la demande spéculative
globale sera faible. La fonction de demande spéculative glo-
bale de la monnaie devient une fonction négative et continue
du taux courant de l'intérêt à condition que la part de mon-
naie et d'obligations détenue par chaque individu soit insigni-
fiante par rapport au total pour l'économie et qu'il existe
à tout moment une certaine divergence d'opinion sur l'indice
de variation du taux d'intérêt.
75
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

Dans son expression la plus simple la demande de


monnaie de transaction et de précaution est fonction du i

revenu et la demande de spéculation est fonction du taux


courant de l'intérêt et du niveau des richesses. Keynes intro-
duit cette dernière variable parce que la demande de mon-
naie de spéculation est présentée comme correspondant à la !

fraction des actifs détenue en espèces. De plus, ces deux


fonctions sont considérées comme complémentaires. On obtient
alors la fonction de demande de monnaie
Md = (kY+À(r)w)p (5-1)
où W représente le patrimoine réel. Le premier terme à droite
entre parenthèses représente les demandes de transaction et
de précaution et le second terme la demande de spéculation
(3). Si nous limitons l'analyse à de courtes périodes pendant
lesquelles le niveau des richesses ne varie pas, on peut tout
simplement négliger cette variable et nous avons alors une
équation de la demande de monnaie semblable à celle utilisée
dans le modèle du chapitre 1 de ce livre.
Elle est semblable mais non identique car la partie de
l'analyse keynésienne ayant un intérêt particulier pour le
comportement du modèle concerne la demande spéculative de
monnaie et stipule qu'elle ne peut être en rapport linéaire
négatif et constant avec le taux d'intérêt. Examinons ce
point de plus près. Un individu peut détenir son patrimoine
soit sous forme de monnaie soit sous forme d'obligations
selon ses anticipations sur le taux d'intérêt. L'uniformité du
rapport négatif entre la demande de monnaie et le taux
d'intérêt provient du fait que les individus font des prévisions
différentes sur les fluctuations futures du taux d'intérêt à
divers niveaux de cette variable. Plus le taux d'intérêt est
bas, plus les individus anticiperont une hausse rapide et
plus ils chercheront à détenir de la monnaie plutôt que des
obligations.
(3) Les parenthèses autour de r dans cette équation indiquent que ).. est une fonction et
non un paramètre linéaire. La fonction en question est certes négative mais, comme nous
le verrons plus loin, tout l'intérêt de l'analyse keynésienne de la demande spéculative de
monnaie est de supposer que le rapport entre la demande spéculative et le taux d'intérêt
ne peut être bien défini par une combinaison linéaire constante. Le fait que toute l'expres-
sion soit multipliée par P, le niveau des prix, signifie que cette théorie, tout comme les
précédentes, est une théorie de la demande de monnaie en termes réels - que, toutes choses
étant égales par ailleurs, la demande de monnaie est proportionnelle aux prix. A noter
cependant, qu'ici «toute chose égales par ailleurs », comprend le niveau des richesses réelles.
Une variation des prix peut entraîner une modification de ceci lorsqu'une personne détient
une partie de sa fortune sous forme d'instruments définis en valeur nominale. Ainsi, dire
que la demande nominale est proportionnelle aux prix n'est pas la même chose que de
dire qu'une variation des prix entraînera une variation proportionnelle de la demande
nominale. Ce n'est vrai que si tout le reste n'est pas affecté par les modifications du niveau
des prix.

76
5. THÉORIE QUANTITATIVE MODERNE

De là, il n'y a pas loin à dire avec Keynes qu'à un


faible niveau du taux d'intérêt chacun dans l'économie anti-
cipera une hausse suffisamment rapide de celui-ci de sorte
qu'il préférera la monnaie aux obligations ou bien leur sera
indifférent à tous deux. A ce moment là, la demande globale
de monnaie devient parfaitement élastique par rapport au
taux d'intérêt. Cette dernière variable ne peut plus diminuer
et toute augmentation de la quantité de monnaie sera tout
simplement absorbée sans nouvelle baisse du taux. C'est la
théorie de la trappe monétaire qui stipule que l'élasticité
de la demande de monnaie par rapport au taux d'intérêt peut
prendre une valeur infinie pour de faibles niveaux de l'intérêt.
Comme nous l'avons vu au chapitre 2, cette hypothèse im-
plique que la politique monétaire demeure parfaitement inef-
ficace, la politique budgétaire étant le seul moyen de politique
économique. Il faudra comparer avec beaucoup d'attention
cette théorie aux tests empiriques.
Le théorie de la trappe monétaire, tout en étant le
plus étonnant résultat de l'œuvre de Keynes dans l'étude de
la demande de monnaie, n'est pas le seul résultat important
dans le cadre du modèle décrit à la Section 1. Son analyse
de la demande de monnaie de spéculation repose sur l'hypo-
thèse qu'à tout moment il y aura un niveau du taux d'intérêt
qu'on pourra considérer comme normal. Rien dans l'analyse ne
permet de supposer qu'un tel taux normal puisse être constant
dans le temps. Cependant, la quantité de monnaie requise
par l'économie pour les besoins spéculatifs dépend du taux
d'intérêt courant par rapport à son niveau normal.' Si ce
dernier change, la quantité de monnaie demandée variera
aussi quelle que soit la valeur du taux d'intérêt. Le modèle sup-
pose donc l'instabilité du rapport dans le temps autour du
niveau normal si bien que l'efficacité des politiques moné-
taire et budgétaire ne peut être établie sur la base d'un modèle
supposant ce rapport constant. Encore une fois, ceci consti-
tue une hypothèse qu'il serait intéressant d'approfondir.
L'analyse keynésienne de la fonction de demande de
monnaie aboutit à des conclusions tout-à-fait contraires à
celles énoncées par Fisher. Ce dernier suppose implicitement
que la demande de monnaie n'est pas affectée par le taux
d'intérêt et qu'elle est dans un rapport constant avec le
volume des transactions (et donc du revenu) sur de courtes
périodes, ce rapport variant peu à peu sur de plus longues
périodes au fur et à mesure qu'évolue le cadre institutionnel
des marchés. Tout en admettant la stabilité de la demande

77
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

de monnaie de transaction, Keynes, en suivant la tradition


de Cambridge et en considérant le problème de la demande de
monnaie comme un problème du comportement en face des
choix, avait quelques raisons de croire que la demande globale
de monnaie pouvait être dominée par des comportements spé-
culatifs, à tel point que toute prévision à partir des seuls
motifs de transactions serait erronée - voire même tout à fait
contradictoire avec la réalité de ses conséquences pour un
modèle macroéconomique.
L'œuvre de Keynes sur la demande de monnaie constitue
le développement d'un aspect de la théorie précédente de
Cambridge puisqu'elle est fondée sur une analyse des motifs
qui poussent les individus à détenir des encaisses plus appro-
fondies que celle figurant dans les ouvrages de Marshall
et de Pigou. L'idée que la demande de monnaie ne doit pas
être traitée comme un problème à part mais bien plutôt
comme une application particulière de la théorie générale de
la demande n'est jamais tout à fait absente de la pensée
des économistes de Cambridge. Un autre type d'analyse, sou-
vent appelée la théorie quantitative moderne et dont Milton 1

Friedman [ 12] a donné la meilleure définition, met en évi-


dence cet aspect de l'œuvre de Marshall et Pigou et fait de
la théorie générale de la demande le point de départ principal
de l'analyse.
La contribution de Friedman à la théorie monétaire est
précisément de ne pas s'occuper des motifs qui inspirent la
détention d'encaisses et d'analyser soigneusement les facteurs
qui déterminent la quantité de monnaie désirée par les indi-
vidus dans différents cas, étant admis que les individus détien-
nent réellement de la monnaie. Ainsi, il traite la demande
de monnaie de la même façon qu'un économiste aborderait
tout autre bien durable s'il devait construire un modèle de
demande. Il définit une fonction de demande dont la forme i

est dictée par le désir final de tester empiriquement ses résultats.


Friedman commence son analyse en postulant que la
monnaie, comme tout autre actif founit à son détenteur un
flux de services. Il n'y a pas d'analyse précise des motifs qui 1

sont satisfaits en-dehors de la remarque que ces services résul-


tent du fait que la monnaie est une «source de pouvoir
d'achat facilement accessible» (4). Tout ce qui est dit à propos
de ces services est que plus il y a d'encaisses, moins ces

(4) Un cynique dirait que d'entrer dans les détails d'une telle question équivaut à
analyser les motifs du « cube de glace» et du « lait frais» pour l'achat d'un réfrigérateur.

78
s. THÉORIE QUANTITATIVE MODERNE

services seront significatifs par rapport à ceux des autres actifs.


Ceci n'est qu'une application particulière du principe général
de la décroissance du taux marginal de substitution entre biens
de consommation. Comme pour tout autre cas particulier de
la théorie de la demande, l'accent est mis sur l'analyse de la
contrainte budgétaire et sur le choix des variables adéquates
pour mesurer le coût d'opportunité de la monnaie. Il va sans
dire que le patrimoine est la contrainte appropriée pour la
détention d'actifs et, par conséquent, pour la demande de mon-
naie et que les taux des recettes perçues sur les actifs autre que
la monnaie constituent dans ce cas son coût d'opportunité. Tout
ceci apparaît dans l'œuvre de Marshall et Pigou mais ce qu'on ne
trouve pas chez eux c'est un examen minutieux de ce que devrait
être la définition du patrimoine à utiliser dans l'analyse empirique
de la demande de monnaie, ni même une liste précise des différents
taux de rentabilité appropriés. C'est en cela que consiste la contri-
bution de Friedman. Voyons tout d'abord le problème du concept
du patrimoine.
Le rôle joué par la contrainte budgétaire dans la théorie
de la demande est de définir la quantité maximum d'un bien
quelconque qui peut être achetée ou, dans le cas d'un actif,
la valeur maximum qui peut être détenue. Si un individu
devait libérer son actif - biens durables, obligations, etc. -
il s'en débarrasserait certainement et les remplacerait par de
la monnaie. Ce lot d'actifs constitue ce qu'on appelle son
patrimoine. Toutefois, si le lecteur veut bien envisager un
instant un monde sans restrictions sur les achats et les ventes,
il verra que cela n'impose pas une limite maximum au mon-
tant de la monnaie détenue. Si un individu reçoit un revenu
du travail, il n'y a aucune raison qu'il ne puisse vendre le
droit à cette source de revenu et en transformer le pro-
duit en monnaie. Tout compte fait, une obligation n'est pas
autre chose qu'un droit à un revenu d'intérêt futur et une
action un droit sur le revenu futur d'un élément d'un bien
de capital. Il n'y a pas beaucoup de différences économiques
entre l'échange de tels actifs et l'échange de revenus futurs du
travail.
Cette façon de voir suppose que le concept du patrimoine
dont on a l'habitude de parler en économie doit être élargi
pour y inclure aussi la valeur actuelle du revenu du travail
ou comme on l'appelle maintenant le capital humain. La pré-
cision analytique veut que ce soit là une bonne marche à
suivre car l'argument ci-dessus généralise considérablement le
concept du patrimoine en établissant très précisément que
79
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

le revenu produit par une source quelconque constitue un revenu i


du patrimoine et que celui-ci n'est, ni plus ni moins, que la valeur
actualisée d'un flux de revenus.
Cependant il y a des arguments pratiques qui supposent :
l'existence d'une distinction importante à effectuer pour l'ana-
lyse empirique entre le capital humain et la richesse matérielle. •
Cette dernière peut être achetée et vendue et il peut y avoir 1

une substitution presque illimitée dans cette catégorie de


richesses. Il n'y a toutefois pas de marché du capital humain
en-dehors de l'esclavage et, par conséquent, pas beaucoup de i
possibilités de substitution entre capital humain et capital
physique dans un portefeuille. Néanmoins, il y en a une:
un individu est toujours libre de vendre quelque actif et de 1

consacrer le produit de sa vente à des études plus avan-


cées afin d'augmenter sa rentabilité ou, à l'inverse, de négliger
son éducation et d'accumuler des richesses physiques. Les'
possibilités de telles substitutions sont limitées. La question
de savoir si la richesse physique seule n'est pas une meilleure
mesure de la contrainte que le patrimoine doit être posée 1

dans le contexte de la demande de monnaie. Il existe certai-


nement un problème ici. La solution de Friedman est de
préconiser une définition globale du patrimoine mais, en vue i
des problèmes soulevés par l'inexistence du marché humain,
sans doute doit-on aussi considérer le rapport des richesses
humaines et physiques comme une variable secondaire de la
fonction. On suppose alors que, pour un montant donné de
richesses globales, plus la composante humaine est grande,
plus la demande de monnaie sera élevée afin de compenser
l'absence d'un marché du capital humain. Le problème est
empirique. D'autres économistes, tout en suivant la thèse fon-
damentale de Friedman, ont préféré une définition plus étroite,
plus conventionnelle. Comme nous le verrons plus loin, le
choix du concept le plus approprié peut encore donner lieu
à de multiples discussions.
Le coût d'opportunité de la monnaie est le profit à gagner
par la détention d'obligations, d'actions (au sens de biens
durables produisant des services ainsi que les emprunts) et, si
l'on incorpore le capital humain dans la contrainte, le rende-
ment de celui-ci. Le principe du taux marginal de substitution
décroissant entre la monnaie et les autres actifs veut que, lors- ,
que la recette d'un seul d'entre ces actifs augmente, la demande .
de monnaie diminue.
Or, le rendement de ces actifs comporte deux composantes.
L'intérêt ou le service qu'ils produisent doit être envisagé en

80
s. THÉORIE QUANTITATIVE MODERNE

premier lieu, puis la façon dont leurs prix sont supposés varier
car les gains (ou les pertes) en capital déjà réalisés font tout
aussi bien partie intégrante du coût d'opportunité de la mon-
naie. Comme on l'a exposé précédemment, le prix d'actifs
productifs d'intérêts varie inversement avec le taux d'intérêt
du marché si bien qu'on peut utiliser le pourcentage estimé
des variations du taux d'intérêt pour évaluer le pourcentage
des gains ou pertes obtenus par la détention de ces actifs.
Le pourcentage des fluctuations du taux d'intérêt est évidem-
ment de signe contraire à celui du taux de ces gains (OU
pertes) ainsi mesurés et doit être soustrait du taux d'intérêt
lui-même pour obtenir la recette escomptée sur l'actif corres-
pondant - ce rendement étant ce qui serait perdu si on
détient de la monnaie et non des actifs (5).
Quoique nous ayons parlé des taux de rendement des
différents actifs en tant que variables distinctes, il est clair
qu'une modification d'un de ces rendements modifiera les ren-
dements des autres actifs. Si, par exemple, le revenu des obli-
~gations augmente, il sera plus intéressant de posséder des
obligations de sorte que les individus voudront convertir d'autres
actifs en obligations et ceci jusqu'au moment où les taux de
rendement des différents actifs s'équilibreront à nouveau.
Si les taux de rendement des différents actifs varient
ensemble, on peut simplifier la fonction de demande de mon-
naie en choisissant un seul taux qui sera représentatif de
l'ensemble des taux. Déterminer ce taux est un problème empi-
rique. Pour l'instant, nous l'appellerons tout simplement le
« taux de l'intérêt» et nous l'incorporerons, ainsi que son
indice de variation, dans la fonction de demande de monnaie
- laissant pour plus tard le soin de trouver la variable em-
pirique correspondante. Si le taux de rendement de la monnaie
était constant, on pourrait s'arrêter ici mais si le niveau des
prix varie, ce n'est pas possible. En effet, si les prix augmentent,
la valeur réelle des encaisses (telle qu'elle est définie en termes
nominaux) diminue et vice-versa. Quand les prix augmentent ou
diminuent, le rendement de ]a monnaie est négatif ou positif.
Si l'on peut prévoir l'indice de variation des prix, cela signifie
donc que l'on peut prévoir le rendement de la monnaie et, toutes
choses étant égales par ailleurs, plus ce rendement sera élevé
plus on détiendra de la monnaie et plus il sera faible moins
(5) C'est évidemment la même variable qui est à la base de la demande spéculative
keynésienne, mais cela ne veut pas dire que les idées de Friedman développées ici soient
les mêmes que celles de Keynes. L'étape essentiellement keynésienne est de lier le taux
d'intérêt à son niveau normal, ce que Friedman ne fait pas.

81
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

il Y aura d'encaisses. Ainsi, l'indice de variation des prix devient


une variable importante dans la fonction de demande de monnaie.
Le niveau des prix et son taux de variation doivent être
mentionnés ici. Puisque la monnaie est détenue pour les ser-
vices qu'elle procure à ses détenteurs et puisque ces services
proviennent de ce qu'elle est une source de pouvoir d'achat,
il s'ensuit que la fonction décrite ci-dessus détermine la
demande de monnaie évaluée en unités constantes de pouvoir
d'achat. C'est une fonction de demande d'encaisses réelles et
si l'on veut la transformer en une fonction de demande nomi-
nale, il faut donc la multiplier par le niveau des prix. Le
modèle s'écrit alors de la manière suivante, où Md est la
demande de monnaie nominale, r: le taux d'intérêt, W: le 1

patrimoine, h: le rapport capital humain sur capital physique,


P: le niveau des prix, les dérivées représentent les taux de
variations:
Md = t (w, r - l dr ~ dP h) P
r dt' P dt'
(5-2)

les conditions suivantes étant imposées aux relations entre les


variables ainsi dénommées.

<0 (5-3)

(toutes choses étant égales, plus les rendements des autres


actifs sont élevés, plus la demande de monnaie est faible) :
(5-4)
ô (J... dP) <0
P dt
(toutes choses étant égales, plus le taux de variation des prix
est important, moins la demande de monnaie est importante):

ôMd
ÔP
=t(w, r- 1r dt'
dr J.. dP)
P dt
(5-5)

(toutes choses étant égales, plus le niveau des prix est élevé,
plus la demande de monnaie est proportionnellement forte):

ôMd > (5-6)


M 0
!

(toutes choses étant égales, plus le rapport du capital humain


sur le capital physique est élevé, plus la demande de mon-
82
5. THÉORIE QUANTITATIVE MODERNE

naie est importante). Et comme la monnaie est un bien «nor-


mal» par opposition aux biens inférieurs, nous avons aussi:

(5-7)

(toute choses étant égales, plus le patrimoine est élevé, plus


la demande de monnaie est grande).
Ainsi, cette théorie définit les composantes importantes de
la demande de monnaie et détermine le signe des dérivées par-
tielles. Cependant, elle ne précise ni la valeur ni l'importance de
ces dérivées dont l'étude est laissée à l'analyse empirique.
On ne peut en dire plus sur cette présentation du pro-
blème de la demande de monnaie sans faire appel à l'analyse
empirique et cela n'a rien d'étonnant. On ne s'attend pas à
ce que la théorie traditionnelle donne des précisions sur l'impor-
tance relative des différents facteurs affectant la demande des
autres biens de consommation et il n'y a pas de raison d'en
attendre plus pour la demande de monnaie.
. Dans l'optique adoptée par la méthode analytique de
Friedman, la théorie a atteint son but si elle pose le problème
de façon à trier les questions empiriques qui seront utilement
posées. Une fois ceci fait, il reste à poursuivre les vérifica-
tions empiriques qui permettront de déterminer si les relations
entre la demande de monnaie et les variables mentionnées
ci-dessus sont importantes et si elles sont constantes dans le
temps. Puisque c'est le patrimoine, sans doute défini de façon
arbitraire, et non le revenu qui figure dans cette fonction
particulière et puisque le taux d'intérêt n'est qu'une des diffé-
rentes variables ayant quelque importance, ce modèle élaboré
d'après les «principes premiers» de la théorie de la demande
suggère que la fonction de demande de monnaie utilisée dans
le modèle décrit au chapitre 1 pourrait être une bien mauvaise
approximation de la réalité. Ainsi, les solutions aux problèmes
empiriques soulevés par cette thèse seront d'une très grande
utilité.

83
6
les développements récents
de la théorie keynésienne
de la demande de monnaie

Dans les deux chapitres précédents, nous avons examiné


des théories de la demande de monnaie qui ont été, dans
l'ensemble, élaborées dans le but d'une application macroéco-
nomique. Elles étaient soit explicitement macroéconomiques de
par leur formulation, telle l'œuvre de Fisher, soit à l'exemple
de la thèse de Friedman, parties d'une fonction de compor-
tement «typique» en supposant implicitement que ce qui
est vrai pour un individu l'est aussi pour l'ensemble de l'éco-
nomie. Or, les théories de la demande de monnaie ne sont
pas toutes semblables à ce schéma. L'œuvre récente de Baumol
et Tobin, en élargissant l'analyse keynésienne des motifs de
transactions et de spéculation, présente des résultats du com-
portement individuel qui ne sont pas aussi facileIpent trans-
posables, par analogie, à l'ensemble de l'économie. Néanmoins,
cette œuvre attire notre attention sur certains facteurs de la
84
6. THÉORIE KEYNÉSIENNE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

décision de détention de la monnaie que nous aurions négligés


sinon; pour cette seule raison, il convient de l'étudier.
Les études théoriques modernes de la demande de mon-
naie de transactions dues à Baumol [2] et Tobin [43] cher-
chent à rendre l'analyse plus rigoureuse et à en déduire des
résultats plus précis sur les variables qui la déterminent. Pour
obtenir des conclusions précises à partir d'un modèle, il faut
en général poser des hypothèses explicites. Celles faites par
Baumol sont les suivantes (1). Il analyse le comportement d'un
agent économique, que ce soit une société ou un ménage, et
il suppose que celui-ci reçoit un revenu une fois par période,
par exemple une fois par mois (2). Cependant, l'agent éco-
nomique doit étaler ses achats dans le temps. On suppose,
pour la simplicité de l'analyse, qu'il dépense la totalité de ses
recettes à un rythme constant au cours de la période. Ainsi,
à tout moment sauf à l'instant final en fin de mois lorsque
la dernière dépense est faite, l'individu possède un certain
volume d'actifs, la fraction de son revenu non-encore dépensée.
Son problème consiste à déterminer comment détenir cet actif,
étant donné d'une part qu'il existe des obligations productives
d'intérêts qu'il peut acheter au même tifre que les encaisses et,
d'autre part, qu'il y a un coût fixe lié à la conversion d'obligations
en monnaie.
De toute évidence, il essayera de minimiser ses coûts sur
toute la période. On peut résoudre ce problème de la manière
suivante. Supposons que T est la valeur réelle du revenu de
cet individu qui est· aussi égal au montant réel du volume
des transactions réalisées; r le taux d'intérêt par période
supposé constant sur toute la période; b le coût réel de la
conversion des obligations en monnaie (ce que Baumol appelle
les «frais de courtage») et K la valeur réelle des obligations
transformées en monnaie chaque fois qu'un tel transfert se produit.
Les coûts supportés par l'individu ont deux composantes.
Tout d'abord, chaque fois qu'il vend des obligations, il doit
payer des frais de courtage et puisqu'il dépense tout son
revenu et vend ses obligations par lots d'égale valeur K, les
débours en frais de courtage seront égaux à b(T / K). En

(1) Baumol et Tobin ont travaillé séparément sur ce problème mais sont arrivés à des
conclusions très semblables. Des deux, Baumol utilisa une approche du problème un peu
plus simple. C'est son analyse qui est suivi ici. Une présentation géométrique du modèle
peut être trouvée chez Johnson [21]. A noter aussi que Whalen [47], en rationnalisant la
demande de monnaie de précaution chez Keynes, établit un modèle similaire.
(2) Le laps de temps réel utilisé est de peu d'importance car il suit de l'analyse présentée
ci-dessous que le niveau des encaisses requises pour un niveau donné de revenu annuel est
indépendant de la fréquence des paiements. Cf. note 3 de ce chapitre.

85
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

~ême temps, s'il détient de la monnaie à la place d'obligations,


Il doit renoncer aux intérêts et ceci aussi doit évidemment être
considéré comme un coût. Puisque le flux des dépenses est
constant, la valeur moyenne de monnaie détenue au cours de
la période est K12, c'est-à-dire la moitié de ses recettes dues
à la vente d'obligations. Ceci, multiplié par le taux d'intérêt
de la période, nous donne le coût d'opportunité de la monnaie.
Le coût total des transactions peut alors s'écrire avec y
le coût:
T K
"(=b-+,- (6-1)
K 2
Or, pour trouver la valeur de K qui mInImise le coût, il suffit
de prendre la dérivée de (6-1) par rapport à K, l'égaler à zéro
et résoudre. Cela nous donne:
8"( - bT ,
- = - - +-=0 (6-2)
8K K2 2
de sorte que:
K= 12~T (6-3)

Et puisque la quantité de monnaie détenue au cours de la


période a une valeur moyenne de K12, comme nous l'avons
vu précédemment, l'équation de la demande de monnaie qui
résulte de cette analyse est :
(6-4)

C'est-à-dire que la demande d'encaisses de transactions en termes


réels est proportionnelle à la racine carrée du volume des
transactions et inversement proportionnelle à la racine carrée
du taux d'intérêt (3). Cela peut encore s'écrire

Md = ~ 12~T ·P=aT"5. ,-.5. P where a == ~ yu; (6-5)

(3) Certains lecteurs auront remarqué que ceci n'est qu'une application particulière de la
théorie générale bien connue de la gestion de stock. Il faut noter que, d'après
l'équation (6-4), une prolongation de la période de revenu, qui entraîne une augmentation
de T pour un niveau donné de revenu annuel, provoquera une hausse de r proportionnelle-
ment égale, laissant inchangée la demande de monnaie. Le lecteur pourra remarquer aussi
que, si l'équation (6-4) semble être une fonction continue, il y a en fait ici un problème
d'interprétation. Cette fonction résulte d'un modèle qui suppose que la multiplication de la
valeur moyenne des retraits de monnaie par le nombre de ces retraits est exactement égale
à T, le volume des transactions. Cette hypothèse donne des limites arbitraires à la valeur
de K. Par exemple, la valeur maximum de K est égale à T. Si nous donnons à r la valeur
zéro dans l'équation (6-4) et si nous la résolvons pour K, nous pourrions penser qu'un retrait
de valeur infinie pourrait en résulter. C'est à Alvin Marty que je dois d'avoir attiré mon
attention sur ce problème.

86
6. THÉORIE KEYNÉSIENNE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

Or, le lecteur aura remarqué qu'en établissant cette soi-


disant «règle de la racine carrée» on ne dit rien d'explicite
sur l'utilité de la détention d'encaisses pour effectuer des tran-
sactions, ni sur le fait qu'en détenant de la monnaie, on renonce
à percevoir des intérêts. L'un des grands apports de la théorie
de Baumol est qu'elle ne nécessite pas de tels concepts. Il
suppose seulement que la monnaie est un moyen d'échange
dans l'économie, qu'il y a un coût impliqué dans la transfor-
mation d'actifs productifs d'intérêts en monnaie et qu'il y a
des frais de courtage. Si b prend la valeur zéro dans l'équa-
tion (6-4), l'expression sera évidemment réduite à zéro, ce qui
veut dire que si la vente d'obligations ne comporte pas de
coûts, il n'y aura pas de demande de monnaie même pour
une économie où elle serait le seul moyen d'échange. Sans
frais de courtage, il serait intéressant de synchroniser parfai-
tement les ventes d'obligations avec l'achat de biens, de sorte
que la monnaie ne serait détenue que pendant l'instant où
elle passe entre les mains de la personne qui vend des obliga-
tions et achète des biens.
Les frais de courtage constituent donc une variable capi-
tale. Il est important de l'interpréter avec soin. Il serait erroné
de l'interpréter comme étant, dans la pratique, des honoraires
facturés par un intermédiaire pour la vente d'actions pour le
compte d'un client, car c'est une interprétation trop étroite. Dans le
modèle, elle joue le même rôle que n'importe quel autre coût
résultant de la vente d'actifs productifs d'intérêts; cela pourrait
aussi bien être la peine et le dérangement d'un individu pour
vendre lui-même son actif. En simplifiant à l'extrême, s'il est
peu pratique d'aller au coin de la rue dans une caisse d'épar-
gne pour y retirer de la monnaie en fonction de ses dépenses,
on suppose des frais de courtage si l'on payait quelqu'un pour
vendre des titres d'Etat sur un marché financier organisé.
En interprétant le concept des frais de courtage de cette
manière, le malaise qu'aurait pu avoir le lecteur en pensant
qu'il n'est pas réaliste de les considérer comme une valeur fixe
plutôt que comme une fraction de la valeur du transfert
effectué doit être largement dissipé. Cependant ce point de
vue attire l'attention sur le fait que le paiement des revenus
est en général effectué sous forme d'encaisses, et non d'obliga-
tions, et qu'il est tout à fait justifié d'envisager l'existence de
coûts pour l'acquisition d'obligations en début de période.
Tant que ce coût ne varie pas avec le montant de l'achat, il ne
joue aucun rôle. L'équation (6-1) devient alors:

87
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

T K
r=b-+r- +g (6-1 ')
K 2

où g est le coût fixe de l'achat des obligations. Puisque g ne


varie ni avec le montant, ni avec la fréquence des retraits de
monnaie, les valeurs optimum de ces variables sont indépen- '
dantes de g, sauf dans le cas où le coût d'achat est tellement
élevé que l'individu préfère garder ses ressources sous forme
d'encaisses, si à l'origine il a été payé de cette façon. Toutefois,
même modifié de la sorte, le modèle prévoit toujours en géné-
ral que la demande de monnaie augmentera moins vite que le '
volume des transactions et qu'il y a des économies d'échelle
pour les encaisses détenues par un individu (4).
Cette hypothèse comporte deux points importants sur le
plan macroéconomique. Le premier est que, pour l'ensemble
de l'économie, la demande de monnaie dépend de la réparti-
tion des revenus aussi bien que du niveau des revenus. Si
nous supposons, comme précédemment, que le rapport du volume
des transactions effectuées dans l'économie au niveau du
revenu national est constant, il est alors évident que plus un
montant donné du revenu est concentré dans les mains d'un
groupe restreint d'individus, plus la demande de monnaie pour
un revenu global donné est faible. Cela résulte de ce que les
économies d'échelles étudiées ci-dessus se rapportent à l'indi-
vidu effectuant des transactions de sorte qu'une seule personne
réalisant un volume donné de transactions détiendra moins de
monnaie que deux personnes effectuant chacune la moitié
de ce même volume. Si la répartition des revenus varie, la
demande de monnaie sera aussi modifiée (5).
Le second point remarquable de ces économies d'échelle
est que la politique monétaire peut avoir plus de poids que

(4) On remarquera que dans l'ensemble de l'économie, il est impossible que chacun
ne reçoive qu'un seul revenu par période et le dépense de façon régulière. Il y aura toujours
quelqu'un qui recevra un flux continu de recettes mais qui effectuera une seule grosse
dépense par période. Il est facile de démontrer que tant qu'il y a des frais de courtage,
ce type de demande individuelle sera aussi proportionnelle à la racine carrée du volume des
transactions et inversement proportionnelle au taux d'intérêt de la période. Ce point est
étudié par Baumol [2]. Il faut aussi noter qu'en ajoutant une nouvelle composante aux
frais de courtage, on ajoute aussi un terme au niveau des transactions correspondantes.
L'élasticité de la demande de monnaie par rapport au volume des transactions nécessaire pour
que les économies d'échelle prévues par le modèle deviennent négligeables, est un problème
empirique. De toute façon, des efforts considérables ont été entrepris pour rechercher
les preuves empiriques de ces économies.
(5) Cela ne veut pas dire que les premiers modèles envisagés, fondés sur le concept des
transactions, rejettent ce point; ils n'en font rien. Cependant, dans la discussion précédente,
il a été implicitement supposé qu'ils aboutissent à une fonction de demande de monnaie pour
n'importe quel individu qui est non seulement proportionnelle à son revenu mais est très
semblable à celle de toute autre personne. De telles hypothèses permettent de négliger la
répartition des revenus pour la mise en équation d'une fonction globale.

88
6. THÉORIE KEYNÉSIENNE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

ne le laissaient supposer les théories antérieures. Etant donné


une certaine répartition des revenus, toute augmentation ou
diminution de la quantité de monnaie aura plus d'effets sur
les revenus en situation de sous-emploi que si la demande
de monnaie était proportionnelle aux revenus. Pour un taux
d'intérêt donné, doubler la quantité de monnaie, dans le cas
de la proportionnalité, nécessite pour absorber l'augmentation
un doublement du niveau des revenus. Si l'économie se con-
forme à la simple «règle de la racine carrée», il en résulterait
un quadruplement du revenu réel. Toutefois, en situation de
plein-emploi, le niveau des prix variera proportionnellement
à la quantité de monnaie tout comme dans les autres modèles
car la valeur nominale des transactions ainsi que celle des
frais de courtage varient proportionnellement avec le prix
établissant un rapport proportionnel entre la demande de mon-
naie et les prix.
Voilà donc ce qui justifie de prendre ce modèle au sérieux.
Les résultats précédents laissent supposer non seulement que
la fonction linéaire de demande de monnaie utilisée au cha-
pitre 1 peut être une trop grande simplification de la réalité,
mais aussi que les caractéristiques d'une fonction qui ne
comprend que le niveau des revenus et le taux d'intérêt ne
sont pas suffisamment complètes pour lui permettre de faire
partie d'un modèle dont on attend des prévisions précises sur
une économie quelconque. En particulier, cette théorie moderne
de la demande de monnaie de transactions démontre que la
répartition des revenus est un facteur dont il faut tenir compte.
Toutefois, dans le concept keynésien, la demande de
transactions ne constitue qu'une partie de la demande glo-
bale et comme nous l'avons vu, la nouveauté de l'approche
keynesienne au problème du rôle de la monnaie en macro-
économie résidait dans son analyse de la demande de monnaie
de spéculation. Il n'est donc pas surprenant que des recherches
aient été effectuées dans cette voie. Comme nous allons le
voir maintenant, cette analyse en a été considérablement amé-
liorée.
Le motif de spéculation de la monnaie apparaît, d'une
part, parce que la valeur en capital de la monnaie ne varie
pas avec les modifications du taux d'intérêt à l'inverse des
autres actifs financiers et, d'autre part, parce qu'il y a une
incertitude sur la variation future du taux d'intérêt. Keynes
a résolu ces problèmes en posant que pour choisir entre la mon-
naie ou les obligations, chaque individu agissait «comme si»
il était certain du taux d'intérêt futur et par conséquent,
89
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

détenait soit des obligations soit de la monnaie, suivant ses


prévisions. Ce n'est qu'en supposant qu'à tout moment les
individus auront des opinions différentes sur les variations
de ce taux que Keynes arriva à une relation uniforme pour
l'ensemble de l'économie entre la demande de monnaie de spé- '
culation et le taux d'intérêt.
Les études modernes sur ce problème, et qui sont dues
principalement à Tobin [44], présentent une analyse plus
sophistiquée du comportement de l'individu (6). Ceci est de
toute évidence nécessaire puisque même un regard rapide
montre qu'on ne trouve pas d'individus qui détiennent tout leur
patrimoine soit uniquement sous forme de monnaie soit uni-
quement en obligations ou en tout autre actif. Les individus
diversifient plutôt leurs portefeuilles. On ne peut expliquer un
tel comportement par une théorie qui stipule que les individus
agissent «comme si» ils étaient certains de l'avenir. S'il en
était ainsi, ils ne détiendraient que les actifs dont ils escomptent
les plus grands bénéfices. Il faut donc expliquer pourquoi les
portefeuilles sont diversifiés. La théorie qu'on va maintenant
décrire, même si, ici, elle est limitée à l'étude du problème
de la diversification entre monnaie et obligations, peut fournir
une application très générale de ce problème.
La clef de l'analyse se trouve dans une affirmation très
simple sur les goûts des individus: les gens considèrent la
richesse comme un bien mais envisagent le risque comme un
mal, c'est-à-dire comme quelque chose qui réduit la satisfac-
tion que procure la détention de richesse. Pour donner un
exemple concret, on suppose que les individus préfèreront, par
exemple recevoir 100 $ avec certitude plutôt que 50 $ ou 150 $
avec seulement 50 % de chances. Dans les deux cas, le gain
escompté est de 100 $. En effet, dans le premier cas, la somme
est certaine et dans le second, si l'offre était acceptée plusieurs
fois, la moitié du temps on obtiendrait 50 $ et l'autre moitié
150 $ pour chaque éventualité ce qui donne une moyenne de
100 $. Toutefois, dans le second cas il existe un risque inférent
au résultat, ce qui diminue le désir de recevoir les dollars de
cette manière. Si le risque était encore plus élevé, mettons
(6) L'analyse qui suit n'est pas tout à fait conforme à l'article de Tobin. En particulier,
elle diffère lorsqu'elle fait de l'utilité une fonction du patrimoine et des risques anticipés
plutôt qu'une fonction du taux de rendement escompté sur un portefeuille et du risque.
Cette dernière méthode veut que la composition d'un portefeuille soit indépendante de son
volume. que l'élasticité de la demande de monnaie et d'obligations soit égale à l'unité.
Cette hypothèse élimine la possibilité attrayante d'un rapport inverse entre la demande de
monnaie et le taux d'intérêt examiné auparavant (pages 72 à 74). Le premier article de Tobin
n'est pas d'une grande précision à ce sujet et je suis reconnaissant à Peter Diamond d'avoir
tout d'abord attiré mon attention sur quelques-uns des problèmes en cause.

90
6. THÉORIE KEYNÉSIENNE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

que les possibilités soient de 175 $ et 25 $, ce choix serait


encore moins désiré (7).
Voyons maintenant comment ce concept simple et riche
peut s'appliquer au problème de la demande de monnaie de
spéculation. Considérons un individu qui reçoit son revenu une
fois par période et qui de plus épargne. Entre chaque période,
il doit conserver cette épargne sous une forme quelconque.
Supposons donc qu'il a le choix entre la monnaie et les obli-
gations. Le niveau des prix étant supposé constant, la monnaie
ne peut produire des intérêts ni constituer un risque pour le
détenteur. Cependant, puisque les obligations sont productives
d'intérêts et sont sujettes à des fluctuations de prix, elles engen-
drent un profit, quoique celui-ci soit incertain. Ce revenu a
deux composantes: les paiements des intérêts dus à l'obliga-
taire dont le montant est connu, et les gains ou pertes en
capital qui devront être estimés. Pour simplifier l'analyse, nous
supposerons que l'individu, lorsqu'il évalue les probabilités de
réaliser des gains ou des pertes sur des obligations le fait de
façon à annuler ces gains et ces pertes entre eux. Ainsi,
la valeur estimée de la rémunération des obligations devient
juste égale au taux d'intérêt du marché (8). Cependant, il y a
(7) L'idée d'un échange entre le risque et le rendement provient en fait de ce que l'utilité
marginale du patrimoine diminue lorsque le patrimoine s'accroît. Considérons le diagramme
suivant où le patrimoine figure sur l'axe des abscisses et l'utilité sur l'axe des ordonnées.
Vne offre certaine de 100 $ donne une utilité de V (100 $), alors qu'une probabilité de
1/2 d'obtenir 50 $ ou 150 $ produit une probabilité de 1/2 d'avoir V (50 $) ou V (150 $)
car un gain de 50 $ sur un total de 100 $ est moins important qu'une perte de 50 $ sur un
montant de 100 $. Ceci est dû à ce que l'utilité marginale du patrimoine est décroissante.

UI$1501
U
-------;:
~U:fIWI
f"<O
UI$lOOI - - - - '/ 1
0.5UI$1501+0.5UI$501 ----:/1 1

UI$501 - 1 1
1 1 1
1 1 1
: 1 1
1 1 1
L---~--~--~---W
$50 $100

De même un raisonnement analogue démontrera qu'une probabilité de 1/2 d'obtenir 25 $


ou 175 $ produit une utilité encore plus faible. Cette analyse devient plus complexe
lorsque des distributions continues sont attachées à de possibles situations éventuelles mais
tant que ces distributions sont normales il est posible de faire de l'utilité une fonction du
patrimoine et d'étudier l'écart-type de la distribution, cette dernière variable mesurant
le risque.
(8) Cette hypothèse n'est pas essentielle. Il est possible de prévoir une valeur positive
ou négative des gains ou pertes en capital sans pour cela modifier le fond de l'analyse.
Toutefois, un tel point de vue complique quelque peu les choses car, dans ce cas, la pente
de la contrainte budgétaire dans les figures qui suivent n'est plus donnée par le taux d'intérêt
mais par la combinaison du taux d'intérêt avec l'indice des gains escomptés. Le rapport

91
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

un risque sur le profit possible qui peut être évalué par l'écart- i
type - une mesure habituelle de la dispersion - de la distri- '
bution de probabilités à partir de laquelle l'individu détermine
ses prévisions sur l'évolution future des prix des obligations (9). i
Le problème qui se pose alors à l'individu en fin de
période est de déterminer la manière dont il va allouer son 1

épargne, dont la valeur est supposée déjà fixée, entre la mon-


naie et les obligations afin de maximiser l'utilité qu'il espère
en retirer. Posséder un nombre important d'obligations augmente 1

les bénéfices réalisables sur l'épargne et puisque cela accroît ,


le patrimoine dont il espère disposer au cours de la prochaine 1

période, son utilité tend à s'accroître. Or, cela augmente aussi


la dispersion des valeurs possibles de son patrimoine dans la
période suivante.
Plus son portefeuille comportera d'obligations à prix varia-
bles plus les fluctuations éventuelles de la valeur de ce portefeuille 1

seront importantes (10). Et puisque le risque diminue l'utilité, 1

oL-------------------~---------
0'"0

FIGURE (6.1)

entre la demande de monnaie et le taux d'intérêt obtenu à l'aide de cette théorie devient alors
assez obscur sauf si les gains en capital peuvent être reliés au taux d'intérêt, ce qui serait
peut-être possible avec la théorie keynésienne.
(9) L'usage de l'écart-type de cette distribution n'est pas arbitraire; il est en fait dicté
par la théorie de l'utilité qui est à la base du modèle. Sur ce point, le lecteur sceptique
peut consulter Tobin [44].
(10) Dans le modèle décrit ici, introduire de nouvelle obligations augmente le risque.
Ii n'est pas difficile d'imaginer un modèle dans lequel la monnaie joue le rôle de l'actif
aléatoire. Par exemple, si les obligations en question sont réalisables au cours de la période
suivante à une valeur donnée en termes réels et si les prix de cette prochaine période sont
incertains, c'est la monnaie qui supporte alors le risque. Néanmoins, dans un tel modèle, un
individu possède ra quand même un portefeuille diversifié et la demande de monnaie variera
quand même avec le taux d'intérêt. Matthew [31) étudie plusieurs aspects de ce genre de
problèmes.

92
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

toute introduction de nouvelles obligations dans le portefeuille


augmente à la fois la valeur escomptée du patrimoine futur
et le risque sur le portefeuille. Quelques figures géométriques
permettront d'illustrer ceci et de poursuivre plus avant notre
analyse.
Dans la figure (6.1), le patrimoine de la période suivante
(w) est porté sur l'axe des ordonnées et le risque (J sur l'axe des
abscisses. Les courbes lu, Il> etc., sont des courbes d'indiffé-
rence dont on connaît bien l'interprétation. Chaque courbe
représente le lieu géométrique des combinaisons du patri-
moine et du risque entre lesquelles l'individu est indifférent.
La pente ascendante à droite de chaque courbe résulte de l'hypo-
thèse selon laquelle un supplément de patrimoine est un
« bien» qui augmente l'utilité et que le risque est un «mal»
qui diminue cette même utilité. Il s'ensuit que, si son patri-
moine est accru, l'individu s'en trouvera satisfait à moins que
le risque n'augmente aussi et le maintienne au même niveau
de satisfaction qu'auparavant. Pour la même raison, les courbes
d'indifférence représentent des paliers d'utilité croissante au fur
et à mesure que l'on monte vers la gauche. Une hausse du
patrimoine sans risque accru ou une diminution du risque sans
baisse corrélative du patrimoine améliore la situation de l'indi-
vidu. Les courbes sont convexes vers le bas, car on suppose
que plus le patrimoine est grand, moins un supplément de
richesse attire l'individu et par conséquent plus faible sera
l'augmentation du risque qu'il acceptera d'encourir pour accroî-
tre son patrimoine.
La droite W o - W'j (1 + r) représente la contrainte bud-
gétaire qui illustre les combinaisons entre le risque et le patri-
moine parmi lesquelles l'individu peut choisir pour constituer
son portefeuille. S'il décide de conserver tout son patrimoine
sous forme de monnaie, il n'en retirera aucun bénéfice mais
il ne supportera plus de risque. Ainsi, la contrainte budgétaire
passe par le point W o qui représente la valeur de son patri-
moine initial et final s'il ne possède que des encaisses. De
même, s'il choisit de détenir des obligations, son patrimoine
est égal dans ce cas à W o (l + r), où r représente le taux
d'intérêt tandis que (Jo est le risque maximum qui puisse être
encouru: ce que l'individu devra supporter s'il détient tout
son patrimoine sous forme d'obligations. Si l'on suppose que
toutes les obligations produisent un même intérêt et engendrent
des risques, tout point de W o - W o (1 + r) est disponible au
choix de l'individu. Il peut à la fois détenir de la monnaie et
des obligations dans son portefeuille. Plus il aura d'obliga-
93
6. THÉORiE KEYNÉSIENNE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

tions, plus le revenu escompté sera élevé, tandis que le risque


qu'il encourt augmentera proportionnellement au volume des
obligations détenues dans son portefeuille.
Or, le souci de l'individu qui possède un portefeuille est
de retirer un maximum d'utilité de son portefeuille, pour un
taux d'intérêt et des risques possibles donnés. Son but est
d'atteindre la plus haute courbe d'indifférence possible, c'est-
à-dire le point E où la contrainte budgétaire est tangente à la
courbe d'indifférence Il' En ce point, il aura un portefeuille
composé à la fois de monnaie et d'obligations. L'analyse par-
vient alors à expliquer la diversification d'un portefeuille mais
son intérêt va plus loin, car elle peut être utilisée pour établir
le lien entre le taux d'intérêt du marché et la demande de
monnaie.

oL-----------~--~--~----------~
~o

FIGURE (6.2)

Considérons la figure (6.2) qui est essentiellement la


même que la figure (6.1). Si le taux d'intérêt du marché est
Y1 plutôt que Yu, le degré du risque engendré par les obligations
restant le même, la pente de la contrainte budgétaire devient
de toute évidence plus raide. Au lieu d'être en situation d'équi-
libre en Eu, le propriétaire d'un patrimoine sera satisfait au
point El qui dans la figure (6.2) se situe en haut et à droite
de Eu. Il gagne plus et encourt plus de risque. Or, si le taux
d'intérêt est le même dans les deux cas, il n'en est pas de
94
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

même du risque, si bien que la conclusion qui veut qu'on accepte


alors plus de risque implique ipso facto qu'il y a un grand
nombre d'obligations détenues à un taux d'intérêt plus élevé,
c'est-à-dire qu'à un taux d'intérêt élevé correspond une demande
de monnaie faible. Il est possible à partir de cette analyse
d'établir pour l'individu une courbe de demande de spéculation
qui est continue et dont la pente est inclinée vers le bas, à
l'inverse de la théorie keynésienne qui n'obtient une relation
continue que pour l'ensemble de l'économie.

w w
woll +'il 1 - - - - - - - , 1 '

o~--~~-~----u o~---~-~----u

(a) (b)

FIGURE (6.3). - (a) Un schéma d'indifférence qui produit une demande


de monnaie supérieure pour des taux d'intérêt plus élevés. (b) Un schéma
d'indifférence qui produit la même demande de monnaie pour des taux
d'intérêt différents

Il n'est pas nécessaire que la pente soit négative car sa


nature dépend des courbes· d'indifférence dont elle découle.
Il est possible de dessiner celles-ci de telle façon qu'à un taux
d'intérêt plus élevé le risque soit moindre, c'est-à-dire qu'une
plus grande quantité de monnaie sera détenue ou tout au
moins la même quantité. La figure (6.3) décrit ces diverses
possibilités. La nature de la fonction de demande de monnaie
obtenue par cette analyse dépend de la nature du schéma
d'indifférence qui en est le fondement; son étude relève de
l'examen empirique plutôt que de la théorie. Cela ne doit pas
surprendre car de telles conclusions sont fréquentes en écono-
mie (11).

(11) Un exemple très connu de ceci est la possibilité d'une courbe d'offre d'emploi ayant
une pente «concave ». En effet, dans la figure (6.1) il suffit de substituer le revenu à w
sur l'axe des ordonnées et le nombre d'heures de travail à ". sur l'axe des abscisses, de
remplacer la contrainte budgétaire par le revenu autre que les salaires et d'interpréter
la pente de cette droite comme étant le taux des salaires pour obtenir un modèle analogue.

95
6. THÉORIE KEYNÉSIENNE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

Ceci n'est ni plus ni moins que le cas où l'effet de substi-


tution et reflet de revenu (qu'il serait préférable d'appeler
ici l'effet-richesse) agissent en sens contraire. Considérons la
figure (6.4) qui reprend la figure (6.2). Le passage de Eo à El '
peut être considéré comme étant en partie un déplacement

Wo

O~------~--~~----~-------u
a

FIGURE (6.4). - La distance a représente l'effet de substitution, b l'effet


richesse et a + b l'effet total d'un taux d'intérêt ri plutôt que ro

autour d'une courbe d'indifférence et en partie le passage à


une courbe supérieure. L'effet de subtitution Eo - El signifie
très nettement qu'on détient moins de monnaie pour un taux
d'intérêt plus élevé, mais l'effet richesse E~ -- El peut aller
dans les deux sens. Tant qu'un accroissement du patrimoine
amène les individus à désirer plus d'obligations, l'eflet-richesse,
pour un taux d'intérêt plus fort, renforcera l'effet de substitu-
tion et augmentera le volume d'obligations détenues, et par con-
séquent les individus détiendront moins de monnaie. Puisque
ceci semble être un postulat valable sur la nature du rapport
entre le niveau du patrimoine et la demande d'obligations, la
possibilité d'une relation perverse entre la demande de monnaie
et le taux d'intérêt est virtuellement inexistante.
Il faut préciser que nous étudions ici la relation entre
la demande de monnaie et le taux d'intérêt pour un individu
ayant un montant donné de richesses à allouer entre la mon-
naie et les obligations. Ce n'est pas nécessairement la même
chose que le rapport entre la demande de monnaie et le taux
d'intérêt lorsque celui-ci varie. En effet, des variations du taux
96
THÉORIES DE LA DEMANDE DE MONNAIE

d'intérêt n'affecteront pas les patrimoines des individus ne


possédant pas d'obligations au moment où le taux varie. Par
contre, pour ceux qui détiennent des obligations, une hausse
du taux d'intérêt entraîne une diminution de richesse, et vice-
versa. Pourvu que la demande de monnaie varie dans le même
sens que le patrimoine et que la monnaie ait une élasticité posi-
tive de demande par rapport au patrimoine, ces effets renfor-
ceront encore la tendance négative du rapport entre la demande
de monnaie et le taux d'intérêt déjà examiné.

~(1+~1~------------~~----~~

O~---------------L------~-----~
~o

FIGURE (6.5). - L'effet d'un accroissement du risque inhérent aux


obligations provoque un déplacement de En à El

On peut également étudier l'effet des modifications du


risque sur la demande de monnaie. D'après nos graphiques,
un accroissement du risque entraîne un déplacement de cro vers
la droite, de sorte que la contrainte budgétaire devient moins
aiguë pour un taux d'intérêt donné. La figure (6.5) illustre
ceci. Le lecteur verra aisément qu'un risque plus grand produit
un effet en tout point équivalent à un taux d'intérêt plus faible
en augmentant la quantité de monnaie demandée. De même,
une diminution du risque provoquera une baisse de la demande
de monnaie. Ces résultats sont tout à fait plausibles. C'est le
taux d'intérêt qui fait que les obligations sont intéressantes
à posséder et le risque diminue leur caractère désirable. Une
hausse du taux d'intérêt et une baisse du risque sont deux
97
6. THÉORIE KEYNÉSIENNE DE LA DEMANDE DE MONNAIE

moyens de rendre les obligations désirables et il n'est pas sur-


prenant qu'elles agissent de la même manière.
Nous avons donc ici une théorie de la demande de mon-
naie de spéculation pour un individu. Elle stipule que la '
demande dépend du patrimoine de l'individu, du taux d'intérêt
qui représente dans cette théorie le bénéfice escompté sur les :
obligations pendant une période, et l'écart-type de la distri- '
bution des probabilités attribuées par l'individu aux taux pos-
sibles des gains ou pertes en capital, c'est-à-dire le risque lié
aux obligations. Quoique rien ici ne soit explicitement dit sur
le niveau des prix, il est évident que la fonction d'utilité liée
à cette analyse et qui fait de l'utilité une fonction du patri-
moine réel, est une fonction dans laquelle la demande de mon-
naie évaluée en termes nominaux est proportionnelle au niveau
des prix, toutes choses étant égales par ailleurs (12).
Or, il s'agit d'une théorie du comportement de l'individu ,
et, par conséquent, d'une partie seulement de la fonction glo- :
baIe de demande de monnaie, de sorte qu'il ne faut pas
s'attendre à ce qu'elle nous renseigne beaucoup sur la fonction
globale. Néanmoins, étant donné qu'il s'agit d'une théorie
qui explique la diversification des portefeuilles, il n'est guère
douteux que les mobiles spéculatifs - importants pour l'en-
semble de l'économie - seront mieux analysés à l'aide d'un
tel modèle qu'à travers l'analyse keynésienne. Cette dernière
ne considère pas l'existence de portefeuilles diversifiés. Mais
cependant, ce genre d'analyse ne nous avance guère. Elle ne
fait que stipuler qu'il serait sans doute profitable d'inclure
dans la fonction de demande de monnaie l'estimation écono-
mique du risque attaché aux actifs autres que la monnaie.
L'importance réelle de ce type d'analyse ne se situe pas dans
sa conception de l'économie de l'ensemble mais dans ce qu'elle
représente une thèse intéressante sur l'établissement d'une rela-
tion entre la demande de monnaie et l'existence du risque,
thèse qui offre sans doute de grandes possibilités de développe-
ment dans l'avenir.

(12) Mais n'oubliez pas que ce n'est pas la même chose de dire que «la demande de
monnaie est proportionnelle au niveau des prix» (toutes choses étant égales) que de dire
qu'« une variation des prix entraînera nécessairement une variation proportionnelle de la
demande de monnaie ». Les «autres choses» peuvent ne pas rester égales. (Cf. note 4,
chapitre 6).

98
LES VÉRIFICATIONS
EMPIRIQUES
7
les données

Avant d'aborder l'étude empirique, il faut parler des


données qu'elle emploie ainsi que des techniques statistiques
utilisées. Au cours des études théoriques précédentes, nous
avons parlé de monnaie, de taux d'intérêt. de patrimoine, etc ..
en supposant ces notions bien définies. Le lecteur sait sans
doute en gros ce qu'on entend par chacun de ces mots, ce qui
suffit pour la compréhension de la logique des théories. Cepen-
dant, pour entreprendre des tests empiriques, il faut donner
des définitions précises à chaque terme afin de rassembler
les données et d'établir des hypothèses empiriques précises
sur les différents modèles de la demande de monnaie.
Voyons tout d'abord le problème de la définition empi-
rique de la variable «monnaie». Il n'y a pas dans le monde
de distinction bien établie entre «monnaie» et «autres actifs »,
mais seulement un spectre d'actifs dont certains sont plus
proches que d'autres de l'idée qu'on se fait de la monnaie. Si
certaines théories sont assez explicites sur la distinction à
établir entre ces actifs, d'autres ne le sont pas. Les théories
fondées explicitement sur le motif de transactions mettent

101
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

l'accent sur le fait qu'il existe une demande de monnaie parce


que la monnaie est un moyen d'échange à l'inverse des autres
actifs. Ce sont des théories de la demande d'actifs facilement
acceptés et transférables dans les transactions de tous les jours.
Le concept monétaire auquel elles se réfèrent est aisément
définissable dans le contexte de l'économie. Il n'y a que deux
actifs qui possèdent cette caractéristique. Ce sont les espèces
et les dépôts à vue bancaires. L'ensemble de ces actifs dispo-
nibles à tout moment pour le public constitue l'évaluation du
stock monétaire pour les théories de la demande de monnaie
de transactions.
Mais toutes les théories ne sont pas fondées sur le motif
de transaction. Les théories de la demande de monnaie de
spéculation ignorent totalement cette caractéristique (la mon-
naie comme moyen d'échange) et insistent au contraire sur le
fait que la monnaie est un actif dont la valeur intrinsèque ne
varie pas avec le taux d'intérêt. Les dépôts à vue et les espèces
possèdent, certes, cette autre caractéristique mais ne sont pas
les seuls actifs à la posséder. De ce point de vue, les dépôts
à terme bancaires, les dépôts dans les caisses d'épargne et les
bons des caisses d'épargne représentent tout autant de la «mon-
naie» (1).
Les théories qui ne considèrent la monnaie que comme
un actif produisant un flux de services à leur détenteur posent,
elles aussi, des problèmes. Tout actif produit des services.
Définir un type d'actif comme étant de la monnaie et un autre
comme tout ce qui n'est pas de la monnaie, c'est prétendre
que les services rendus par les différents actifs de la première
catégorie sont suffisamment semblables les uns aux autres
pour qu'il soit possible de les traiter comme un seul actif
mais assez différents de ceux produits par d'autres actifs pour
que ces derniers ne soient pas éligibles au classement de la
première catégorie. C'est le détenteur d'actifs et non l'écono-
miste étudiant son comportement qui détermine quels actifs
sont de bons substituts les uns des autres et quels actifs ne le sont
pas. Le seul moyen de savoir ce que pensent les détenteurs
d'actifs est d'étudier leurs comportements. Dans le cadre de
cette approche plus générale du problème de la demande de
monnaie, la définition correcte de la monnaie devient un
problème empirique.
(1) Ces derniers actifs produisent un intérêt pour leurs détenteurs qui est supeneur
à celui sur les dépôts à vue et les espèces (pour lesquels le taux est égal à zéro). Le fait que
les individus détiennent des espèces et des dépôts à vue en quantité appréciable élimine
immédiatement la possibilité que le motif de spéculation soit le seul motif de la détention
de monnaie. Mais cela ne signifie pas qu'il ne soit pas important.

102
7. DONNÉES

Or, si l'économiste souhaite examiner la nature de la


fonction de demande de monnaie et s'il est convaincu d'avance
que le motif des transactions domine la fonction, il définira
la monnaie comme, d'une part les espèces détenues par le
public et d'autre part, les dépôts à vue. Toutefois, l'un des
principaux buts de la recherche empirique est de découvrir si
le motif de transactions domine en fait la fonction. L'on ne
pourra guère résoudre le problème en supposant la solution
connue dès l'élaboration du test. Ainsi plusieurs définitions
de la monnaie ont été utilisées lors des vérifications empiri-
ques des théories de la demande de monnaie.
La majeure partie des travaux empiriques a limité les
définitions employées aux espèces plus les dépôts à vue, ou
aux espèces plus les dépôts à vue plus les dépôts à terme. Il
est tout-à-fait justifié de limiter les définitions de la monnaie
car les théories empiriques, non seulement clarifient la théorie
de la demande de monnaie en tant que telle, mais aussi sont
supposées indiquer les effets de la politique économique et en
particulier de la politique monétaire. Il est donc souhaitable
de connaître le rôle joué dans l'économie par les actifs dont
le volume peut être contrôlé par les autorités monétaires: ce
sont le volume de la monnaie en circulation et le volume
des exigibilités des banques. Ainsi, il n'est pas illogique de se
concentrer sur ces actifs à l'exclusion des autres, quoique
évidemment s'il s'était avéré qu'une fonction constante de la
demande de monnaie ne pouvait être établie sans élargir le
concept monétaire on n'aurait pas pu s'arrêter là. Cependant,
dans le cas présent, il ne semble pas nécessaire d'étendre davan-
tage la définition de la monnaie car, comme nous le verrons
plus loin, on peut trouver des fonctions constantes dont les
unes adoptent une définition qui exclut les dépôts à terme et
d'autres les incluent.
Il n'est pas facile d'évaluer le patrimoine. Si l'on se
contente de limiter la définition au patrimoine physique, il
existe bien des éléments pour l'économie américaine qui per-
mettent d'établir une série mesurant le stock des actifs détenus
par le secteur privé de l'économie (2). Toutefois, comme il a
(2) Il y a ici un problème concernant le degré de consolidation des éléments du patri-
moine nécessaire à l'établissement d'un chiffre global. Par exemple: si des ménages possèdent
des participations dans les sociétés comme cela arrive, et si l'on suppose que le patrimoine
des ménages constitue la contrainte sur la quantité de monnaie détenue par eux et que la
richesse des sociétés est la contrainte sur leurs encaisses, doit-on pour obtenir le total des
contraintes sur la monnaie détenue par les ménages et les sociétés, ignorer le fait que le
patrimoine des sociétés est inclu dans le patrimoine des ménages constituant le portefeuille
de ces derniers? Doit-on ajouter tout simplement les deux sortes de patrimoine ou doit-on
retirer tous les éléments doubles du patrimoine total de ces deux secteurs? Il n'existe pas de

103
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

été dit plus tôt, Friedman pensait qu'il fallait utiliser un


concept plus large comprenant le capital humain et le patri-
moine physique pour évaluer la contrainte patrimoniale de
la demande de monnaie. L'estimation par des moyens directs de
cette contrainte soulève d'innombrables difficultés. Il est heu-
reux qu'on ait trouvé un moyen relativement direct de contour-
ner ce& difficultés. Le patrimoine est la valeur actualisée du
revenu futur. Tant que le taux d'actualisation est supposé
constant, le patrimoine va varier exactement de la même
manière que le revenu. Si le revenu s'accroît de 10 %, le
patrimoine augmentera d'autant; si le revenu baisse, le patri-
moine diminuera aussi.
On s'intéresse surtout à l'étude du rapport entre les varia-
tions du niveau des richesses et les variations de la demande
de monnaie et de ce fait, il est tout-à-fait indifférent d'utiliser
comme substitut à cette variable, les richesses évaluées directe-
me.nt ou le revenu escompté. Si le revenu escompté était un
concept difficile à mesurer, cette substitution ne serait pas d'une
grande utilité. Cependant, il s'est avéré que souvent dans une
étude empirique, la valeur future d'une variable peut être utile-
ment estimée en prenant une moyenne pondérée exponentielle
des valeurs passées et présentes de cette variable. L'hypothèse
très simple à la base de ce processus est ni plus ni moins que
les individus prennent en considération les expériences passées
et plus particulièrement du passé récent pour essayer de prévoir
l'avenir.
Que cette procédure soit bonne ou mauvaise relève de
l'analyse empirique, mais en ce qui concerne l'évaluation du
revenu escompté ou «permanent» (comme on l'appelera doré-
navant), une moyenne pondérée exponentielle des niveaux passés
et présents du produit national net semble donner des résultats
satisfaisants. C'est la variable qui a été employée dans les
travaux empiriques comme substitut au concept plus général
de la richesse élaboré par la théorie de la demande de monnaie
de Friedman (3).
réponse théorique à cette question mais l'œuvre empirique de Meltzer [32] semble démontrer
que les résultats obtenus ne sont pas sensiblement affectés par le degré d'une telle consoli-
dation dans les données utilisées. Ainsi, la thèse la plus simple a été adoptée et l'usage
maintenant est de définir le patrimoine comme valeur nette consolidée du secteur privé
y compris la dette publique détenue par ce secteur. Les travaux de Meltzer semblent montrer
qu'il y a une différence dans les résultats obtenus lorsqu'on dit que le secteur privé «possède >}
le gouvernement et par conséquent lorsqu'on ajoute l'actif public au lieu de la dette de l'Etat
à l'actif du secteur privé. Toutefois, certains résultats de cet auteur semblent aller à l'encontre
de cette conclusion. Envisager la dette publique comme une ressource nette du secteur privé
revient à la définir comme étant une richesse « extérieure >}. (Voir Titre 1 Appendice B).
(3) Cette même variable s'est très bien comportée dans la fonction de consommation et
a été en fait, à l'origine, développée à partir des travaux dans ce secteur. Voir Friedman [13].

104
7. DONNÉES

Une autre variable qui nécessite quelques explications est


le rendement des actifs autres que la monnaie. Le problème
principal ici est de déterminer de quels actifs il s'agit. Le choix
est limité à deux séries pour les Etats-Unis, en raison surtout de
la disponibilité des renseignements sur de longues périodes,
quoique le rendement des bons des caisses d'épargne ait été
utilisé pour la période après la deuxième guerre mondiale. Les
séries employées pour les études de plus longue durée sont le
rendement des obligations à 20 ans et le rendement du papier
commercial à 4 ou 6 mois. Ce sont les recettes à percevoir sur
des effets remboursables sur 20 ans (ou 4 à 6 mois), ces recettes
étant par définition le rapport du revenu moyen annuel à gagner
par la possession de l'instrument en question jusqu'à sa maturité,
au prix courant du marché. Ce rendement comprend donc toute
modification qui pourra se produire dans le prix de l'actif afin
d'amener son prix courant au niveau de son prix à échéance.
Il se trouve que les deux séries en question évoluent très
étroitement dans le temps, et l'une et l'autre peuvent être prises
pour étudier l'importance du taux d'intérêt dans la fonction de
demande de monnaie. Cependant, pour certains problèmes, il
est important de savoir lequel de ces taux est plus étroitement
1ié à la demande de monnaie. Il existe des arguments a priori
tout à fait acceptables pour justifier l'une ou l'autre de ces
séries. D'une part, certains économistes disent -que le taux à
long terme est préférable parce qu'il est plus représentatif du
taux moyen de la rémunération du capital à tout moment dans
l'économie. Il est donc un meilleur indicateur du coût d'oppor-
tunité global de la monnaie que le rendement des dettes commer-
ciales à court terme. D'autre part, certains économistes pensent
que ces derniers qui ont une courte échéance sont de meilleurs
substituts à la monnaie que ne le sont les obligations à plus
long terme, si bien que leur rendement est particulièrement
intéressant parmi toutes les possibilités qui sont exclues par les
encaisses. Chacun de ces arguments a du mérite mais ils ne
tiennent pas comptes des nombreux travaux effectués récemment
sur le problème de la structure des taux d'intérêt, l'inter-relation
des recettes d'actifs à échéances variables.
La théorie de la structure des taux d'intérêt la plus satis-
faisante est celle qui repose sur l'hypothèse selon laquelle les
revenus périodiques prévus pour des actifs à échéances multiples
tendent (avec un ajustement approprié pour le risque) à s'éga-
liser sur le marché. Le revenu escompté à percevoir toutes les
semaines sur, mettons, des obligations à 20 ans tend à être égal
à celui perçu sur des titres à échéances variables. Ce revenu
105
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

périodique escompté comprend évidemment les gains ou pertes


en capital réalisés pendant la période. Or, si c'est le cas - et
si la période prévue pour la détention d'encaisses et d'obligations
est courte au sens où les décisions de posséder de la monnaie
ou des obligations ne lient pas irrévocablement pour de longues
périodes de temps celui qui les prend - , alors les revenus
escomptés sur les différents actifs pendant une courte période
constituent les coûts d'opportunité correspondants de la monnaie.
Si la théorie de la structure des taux mentionnée ci-dessus est
exacte, le revenu de l'un quelconque de ces actifs serait plus
ou moins égal au revenu de tout autre actif.
Le rendement d'un effet commercial à 4 ou 6 mois est
donc sans doute mieux approprié pour mesurer les recettes
périodiques à court terme des actifs autres que la monnaie, et
par conséquent du coût d'opportunité correspondant de la mon-
naie que ne l'est le rendement des obligations à 20 ans (4).
Certes, ceci est un problème empirique et les deux taux d'inté-
rêt ont été utilisés dans différents tests. Il faut noter que la
discussion précédente sur les propriétés du taux d'intérêt à
court terme signifie qu'il existe des actifs pour lesquels le taux
de rendement au cours de la période est sujet à très peu d'incer-
titude. A son tour, ceci fait penser que les théories de la demande
de monnaie de spéculation ont peu de champ d'application dans
la pratique à cause de l'existence même de ces actifs. Ce point
relève toutefois de l'étude empirique, car il n'y a aucun moyen
de savoir ce que constitue «très peu d'incertitude ».
La seule autre variable d'importance employée par les
tests utilisant les statistiques américaines est le niveau du revenu
qui non seulement représente un substitut du volume des
transactions dans beaucoup de théories mais nécessite aussi
plus d'attention parce qu'elle constitue l'un des principaux
éléments de la fonction de demande de monnaie utilisée dans
le modèle macro-économique type du Titre I. L'évaluation de
cette variable soulève peu de problèmes puisque les deux séries
- les données du produit national brut et net qui ont été
employées - évoluent si étroitement ensemble qu'il est prati-
quement indifférent dans les résultats obtenus de prendre l'une
ou l'autre.
Le lecteur remarquera qu'on n'a pas mentionné ici certains
facteurs tels que la répartition du revenu et le risque inhérent
aux obligations, pour n'en citer que deux. La raison en est très

(4) Le lecteur intéressé par un examen plus approfondi trouvera une bonne introduction
à la théorie de la structure des échéances chez Michaelson [34].

106
7. DONNÉES

simple: on n'a jamais essayé de les incorporer directement dans


les tests de la fonction de demande de monnaie. Ceci s'explique
sans doute, d'une part parce qu'il est difficile de donner à ces
variables une définition quantitative précise, bien que l'on
puisse espérer que ce ne soit pas impossible, mais surtout parce
que les économistes qui ont travaillé sur la fonction de demande
de monnaie ne se sont tout simplement pas encore intéressés
aux rôles que pouvaient jouer ces variables. En dehors de cette
simple remarque, nous manquons ici de place pour poursuivre
plus loin la discussion.
Il existe des statistiques pour l'économie des Etats-Unis
sur la plupart des variables utilisées qui remontent à 1900 et
dans certains cas jusqu'en 1869. C'est un point important qu'il
ne faut pas perdre de vue lorsqu'on jugera de l'importance des
tests empiriques qui seront décrits au chapitre suivant, car
c'est une période fertile en expériences monétaires. Toute théorie
qui se comporte bien au cours de la période après 1900 pour
l'économie américaine est une théorie capable d'expliquer la
demande de monnaie dans de nombreuses situations.
Jusqu'en 1913, la quantité de monnaie aux Etats-Unis était
déterminée par le mécanisme du flux international des espèces,
car le pays se référait au système de l'étalon-or et il n'y avait pas
de banque centrale. Il n'y avait virtuellement pas de politique
monétaire au sens moderne du terme sous le National Banking
System. La création du Federal Reserve System en 1913 changea
ceci et l'histoire monétaire du pays à compter de cette date a
été très variée au fur et à mesure que la banque centrale appre-
nait à manier la politique monétaire (ou peut-être à s'abstenir
de toute intervention).
La première tentative réfléchie de la part des autorités
pour contrôler l'économie fut suivie presque immédiatement
par la courte mais violente chute des affaires de 1920-1921,
elle-même suivie par la croissance remarquablement régulière et
presque non-inflationniste des années 1920. 1929 a vu le com-
mencement de ce qui a été sans doute la plus terrible dépression
économique de l'histoire américaine, dépression qui ne prit
réellement fin qu'avec le début de la deuxième guerre mondiale.
Des années 1946 à nos jours, il y eut au contraire une période
de croissance inégalée dans l'histoire du pays, d'une part par
l'étendue de la période de référence et, d'autre part, par le peu
d'amplitude des variations cycliques du revenu et de l'emploi
qui l'ont accompagnée. En somme, pratiquement tous les types
d'expériences monétaires, sauf l'hyperinflation, se sont mani-
festés aux Etats-Unis depuis 1900. Une théorie ayant de bonnes
107
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

performances dans le contexte de telles statistiques a passé un


test des plus rigoureux (5).
En fait, tous les tests dont je parlerai au chapitre suivant
sont fondés sur l'analyse de la régression et de la corrélation.
C'est une méthode bien connue qui consiste à adapter les
relations fonctionnelles aux statistiques. Il n'y a pas de place ici
pour entrer dans les détails d'une telle méthode. Toutefois, il
y a un aspect de cette technique particulièrement pertinent pour
notre problème qui doit être exposé ici. C'est le problème de
l'identification. La quantité de monnaie demandée n'est pas une
variable que l'on peut observer. Seule la quantité de monnaie
offerte peut être mesurée et ce n'est qu'en supposant l'équilibre
sur le marché monétaire que ce second concept peut servir à
évaluer le premier. Il existe aussi une fonction d'offre de mon-
naie et la question se pose de savoir si, en reliant la quantité
de monnaie à différentes variables, l'on ne mesure pas en fait,
par inadvertance, cette fonction d'offre ou bien les effets com-
binés des deux fonctions au lieu de la seule fonction de demande.
r

O~----------------------------M

FIGURE (7.1)

Un graphique nous aidera à mieux saiSir ce problème.


Dans la figure (7.1), nous avons représenté la demande de
monnaie comme une fonction négative du taux d'intérêt et
l'offre comme une fonction positive du taux d'intérêt. Le pro-
blème est alors de mesurer le rapport entre la demande de mon-
naie et le taux d'intérêt à partir des observations faites sur le

(5) Un récit extrêmement détaillé, pour ne pas dire indigeste, de tout ceci se trouve
dans l'ouvrage de Friedman et Schwartz [15].

108
7. DONNÉES

marché. Comme le montre la figure (7.2), ceci ne sera possible


que si seule la fonction d'offre se déplace tandis que la fonction
de demande demeure fixe (plan (a)). Si c'est la fonction de
demande qui se déplace, la courbe d'offre sera celle décrite par
le plan (b), alors que si les deux courbes se déplacent, la situation
du plan (c) apparaît et l'on obtient une dispersion se situant
entre les deux courbes qui ne nous renseigne guère sur l'une
ou l'autre. A ce moment-là, on peut toujours, à l'aide de l'ana-
lyse de régression, leur adjoindre une fonction telle que la
droite FF.

r r

Md
L------------------M oL...------------------Md
(a J (b J

~----~----------M
(c J

FIGURE (7.2). - (a) Seule la courbe d'offre se déplace, garantissant


ainsi que toutes les observations (marquées d'une croix) sont bien sur
la même courbe de demande. (b) Seule la courbe de demande se déplace
de sorte que les observations décrivent la courbe d'offre. (c) Les deux
courbes se déplacent fournissant un ensemble d'observations qui pro-
duiront, si une analyse de régression leur est appliquée, une courbe telle
que FF qui n'est ni une fonction d'offre ni une fonction de demande.
M est une variable-facteur ici

Il s'agit ici d'un cas à deux variables mais le problème est


le même dès qu'il y a plus d'une variable dans l'analyse de la
demande de monnaie. Il faut être certain de deux choses avant
de pouvoir tirer des conclusions sur la quantité de monnaie, les
109
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

relier au niveau du revenu et au taux d'intérêt et appeler le


résultat une fonction de demande de monanie.
Tout d'abord, il faut s'assurer que la fonction d'offre varie
indépendamment de la fonction de demande de monnaie, que
la fonction d'offre possède au moins une variable qui n'apparaît
pas dans la fonction de demande. Ce n'est pas difficile d'établir
ce point puisque le niveau des réserves mises à la disposition
du système bancaire par la banque centrale figure de façon pré-
éminente dans toute théorie de l'offre de monnaie alors qu'elle
n'apparaît dans aucune théorie de la demande. Il y a aussi ,
de nombreuses preuves que cette variable varie dans le temps,
nous assurant la possibilité d'obtenir des informations aux
différents points de la courbe de demande de monnaie. Le
second point dont il faut s'assurer est que toutes ces observations
se situent bien sur la même fonction de demande. Ce n'est pas
suffisant de supposer que la fonction d'offre de monnaie varie
indépendamment de la fonction de demande; il faut supposer
de plus que cette dernière demeure fixe entre les observations (6).
On ne peut s'attendre à ce que la relation entre la demande
de monnaie et le niveau du revenu (ou patrimoine) et le taux
d'intérêt demeure constante à travers le temps que si ce sont
les deux seules variables déterminant la demande de monnaie.
S'il y a une ou plusieurs autres variables d'importance dans la
fonction de demande et si elles sont omises de cette fonction,
l'on se retrouvera alors dans la situation décrite dans la figure
(7.2 c). L'importance des autres variables ne peut être éliminée
a priori. En effet, tout ce qui n'est pas une fonction parfaitement
stable va créer un problème de sorte qu'il faut trouver un
moyen de résoudre cette difficulté.
Heureusement, certains économistes ont utilisé dans leurs
études du marché monétaire des techniques qui surmontent
cette difficulté en permettant l'ajustement simultané des fonctions
d'offre et de demande. D'autres, y compris moi-même, ont em-
ployé des techniques plus simples et dans cette mesure les
résultats obtenus sont suspects. Néanmoins, comme nous le 1

verrons plus loin, il existe de nombreuses preuves démontrant


que les résultats afférents à la demande de monnaie ne sont
pas en fait modifiés de beaucoup ni de manière importante

(6) Si l'offre de monnaie était tout à fait exogène, c'est-à-dire si elle ne dépendait en
aucune façon d'une variable qui détermine aussi la demande de monnaie, les variations
de la fonction de demande ne nous empêcheraient pas de mesurer avec précision ses
paramètres. Il est intéressant de noter, d'après la figure (7.2 c), que plus la fonction
de demande varie par rapport à l'offre, plus la droite FF sera proche de la fonction d'offre
et vice-versa.

110
7. DONNÉES

lorsque l'on tient compte explicitement de l'offre. Ainsi, au


chapitre suivant, je tiendrai pour dignes de foi les résultats des
tests qui ne tiennent pas compte de ce problème.
Le problème de l'identification n'est certes pas la seule
difficulté statistique que l'on rencontre au cours des travaux
empiriques sur la fonction de demande de monnaie. De nom-
breux autres problèmes se posent dans l'interprétation des résul-
tats mais ils ne sont pas d'une portée aussi générale que le
problème de l'identification et seront mieux traités au fur et
à mesure qu'ils apparaissent. Poursuivons donc maintenant
l'étude de la théorie empirique elle-même.

111
8
les tests empiriques

Les chapitres précédents ont soulevé un certain nombre


de questions intéressantes sur la fonction de demande de mon-
naie. Les plus importantes peuvent s'énumérer comme suit :
1. Le taux d'intérêt est-il une variable importante de la
fonction?
2. L'élasticité de la demande de monnaie par rapport à
l'intérêt peut-elle devenir infinie ?
3. Mis à part le taux d'intérêt, faut-il inclure dans la
fonction de demande de monnaie le revenu ou le
patrimoine (ou les deux suivant la théorie keynésienne) ?
4. La demande nominale de monnaie est-elle proportion-
nelle au niveau des prix ?
5. La relation entre la demande de monnaie et le taux
d'intérêt est-elle constante dans le temps ou varie-t-elle
avec les variations du risque inhérent aux obligations ou
du niveau «normal» du taux d'intérêt?
6. Existe-t-il des preuves que d'autres variables dont il
n'est pas fait mention ici doivent être incluses dans la
fonction?

112
8. TESTS EMPIRIQUES

7. Existe-t-il des preuves attestant l'existence d'économies


d'échelle pour les encaisses comme le suggèrent les
théories modernes de la demande de monnaie de tran-
saction?
8. Le taux d'intérêt de la demande de monnaie est-il un
taux à court ou à long terme ?
9. La notion de patrimoine comprend-t-elle ou non le
capital humain?
10. La monnaie est-elle mieux définie lorsque 1'on inclut
ou lorsque 1'on exclut les dépôts à terme?
Comme on peut s'y attendre, la valeur qualitative des
réponses qu'on peut donner à ces questions varie de 1'absolue
certitude à l'incertitude expérimentale. Une difficulté propre au
test des hypothèses du comportement économique est 1'impossi-
bilité de maintenir « toutes choses égales» pour n'étudier qu'une
seule relation à la fois. Le monde ne fournit pas de statistiques
aussi pratiques. Pour analyser une relation particulière, il est
nécessaire de faire des hypothèses sur la nature des autres rela-
tions. On ne peut pas étudier la relation, disons, entre la
demande de monnaie et le taux d'intérêt avec les statistiques
fournies par l'économie des Etats-Unis sans introduire une
variable telle que le revenu ou le patrimoine dans la fonction
appropriée. Le résultat d'un tel test dépendra très nettement
du choix de cette autre variable et de la forme particulière de
la fonction adoptée.
Il se trouve que les réponses obtenues à certaines questions
posées ci-dessus ne sont pas affectées par ce genre de problème.
Les résultats sont les mêmes quelles que soient les autres varia-
bles introduites ou la forme de la fonction utilisée, et ceci est
vrai pour bon nombre de points, ce qui est encourageant. Ainsi,
1'importance du taux d'intérêt pour la demande de monnaie
est maintenant établie sans aucun doute possible alors qu'il
est un peu moins évident que l'élasticité de la demande de mon-
naie par rapport au taux d'intérêt ne tend jamais vers l'infini.
De même, une certaine forme du patrimoine semble nettement
préférable à la variable du revenu pour la fonction de demande
de monnaie et il ne semble pas y avoir de place pour que les deux
variables puissent agir simultanément (1). 11 n'y a qu'une preuve
très faible provenant presque exclusivement des statistiques de
1'après-guerre permettant de croire l'existence d'économies

(1) Toutefois, comme le démontre Johnson [20], le revenu est la rémunération du patri-
moine et le patrimoine est la valeur actualisée du revenu. La présence du taux d'intérêt et de
l'une de ces deux variables dans la fonction aurait pour effet de rendre l'autre redondante.

113
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

d'échelle pour les encaisses. En ce qui concerne le niveau des


prix, il semble bien que la demande d'encaisses lui soit propor- i
tionnelle.
Les réponses aux autres questions ne sont pas aussi évi-
dentes. Il semble qu'il y ait eu un rapport constant entre la
demande de monnaie et le taux d'intérêt pendant les quelques
soixante dernières années, et le taux «normal» de l'intérêt ne
semble pas être très important. Toutefois, il serait dangereux
d'éliminer tout à fait le risque inhérent aux obligations comme
influence possible sans avoir de preuves directes provenant
d'expériences tenant compte explicitement de cette variable. De
même, si des expressions relativement simples de la fonction
de demande de monnaie produisent des relations remarquable-
ment constantes pour 1'économie américaine, on ne peut pas
dire qu'une fonction plus complexe utilisant un plus grand
nombre de variables ne fournirait pas une relation encore plus
stable tant qu'on n'a pas réellement essayé de formuler une
telle expression. En effet, il y a quelques preuves suffisantes de
la variation du rapport entre la demande de monnaie et le niveau '
des richesses (ou du revenu) pour justifier de nouvelles études.
Une autre variable a d'ailleurs été étudiée à ce propos -
le taux de variation des prix - mais elle ne semble pas être
importante pour les Etats-Unis. Or, puisqu'on a trouvé qu'elle
avait une importance considérable dans les situations hyperinfla-
tionnistes de l'Europe après la première guerre mondiale et
dans le cadre de 1'inflation galopante que le Chili a connue plus
récemment, c'est sans doute parce que le niveau des prix en
Amérique n'a jamais varié suffisamment vite pour que les effets
de cette variable soient assez grands pour les mesurer.
Quant aux problèmes de la définition des variables appro-
priées, à savoir: le choix entre la monnaie définie avec les dépôts
à terme ou la monnaie définie sans ceux-ci, définitions désignées
souvent par Ml et M2' le choix entre le capital humain et le
concept plus général dont la variable de substitution est le
revenu permanent, ou celui entre les taux d'intérêt à court
ou à long terme, rien n'est définitivement établi. Les choix sont.
inter-dépendants de sorte que si, par exemple, on utilise Ml> '
un taux à long terme est quelque peu préférable alors qu'un
taux à court terme convient mieux à M 2'
Sans perdre de vue ce très court résumé des preuves
existantes, regardons maintenant les tests qui y ont conduit,
en commençant par le problème de 1'importance du taux
d'intérêt.

114
8. TESTS EMPIRIQUES

Aux Etats-Unis, nombre de travaux empmques sur la


fonction de demande de monnaie ont considéré que le point
fondamental à étudier était la relation entre la demande de
monnaie et le taux d'intérêt. Cette optique très keynésienne a
amené les économistes à établir des tests centrés sur cette
variable et construits sur des notions très simples du rôle de
« l'autre» ou «des autres» variables de la fonction de sorte
qu'il est assez difficile d'accepter leurs résultats en tant que tels.
Dans une étude antérieure faite par Tobin [42] et dans
celle plus récente de Bronfenbrenner et Mayer [3], la distinction
entre encaisses actives et encaisses passives a été maintenue et
on a supposé que le taux d'intérêt n'affectait que les encaisses
passives. Le problème abordé était alors l'évaluation du degré
de cette influence. Le processus suivant a été adopté pour
obtenir une estimation des encaisses passives. On a supposé
que la demande d'encaisses actives était proportionnelle au
niveau du revenu et que, à un moment donné, lorsque le rapport
de l'ensemble des encaisses au revenu était à sa valeur mini-
male observée, les encaisses passives étaient égales à zéro.
Ce rapport minimal observé mesurait alors le paramètre m dans
l'équation
Md (8-1)
p=mY+À(r)

de sorte qu'en supposant l'équilibre sur le marché monétaire,


les encaisses passives pouvaient être évaluées par
Ms
--mY
p

et leur demande pouvait alors être reliée au taux d'intérêt. Les


différences entre ces deux études dans les définitions précises
des variables utilisées, qui ne nous intéressent pas ici, ne les ont
pas empêchées d'aboutir à la conclusion qu'on pouvait observer
une relation négative précise entre la demande d'encaisses
passives et le taux d'intérêt. L'ennui ici, c'est que les résultats
obtenus reposent sur des hypothèses très strictes sur la nature de
la fonction de demande de monnaie. Bronfenbrenner et Mayer
s'en sont aperçus et de ce fait ont établi une fonction de demande
de monnaie de la forme :
Md {3
(8-2)
-=bY'r
p

Ainsi, en supposant l'équilibre sur le marché monétaire, ils


ont pu mesurer l'élasticité de la demande de monnaie par rapport
au taux d'intérêt à l'aide de l'équation:
115
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

Ms = b. r{3 (8-3)
PY
Ils ont adapté ceci à des senes successives d'années, reliant la
variation du logarithme du rapport de la monnaie au revenu à
la variation du logarithme du taux d'intérêt. Ils ont encore
trouvé que ~ était en général négatif et que ce paramètre repré-
sentait un indice prévisionnel du sens de variation de la demande
de monnaie mieux adapté que ne le serait une variable quel-
conque (2).
Une étude un peu similaire effectuée par Latané [28] com-
mençait avec la fonction de demande de monnaie suivante
Md _}
-=aY+bY·r (8-4)
P
à partir de laquelle on pouvait déduire
Md 1
(8-5)
-=a+b-
PY r

En utilisant l'analyse de régression, Latané trouva que le


paramètre b était positif de façon significative, ce qui indique que
la relation entre la demande de monnaie et le taux d'intérêt
est négative. Il a aussi démontré que son équation avait un
certain pouvoir de prévision sur les statistiques obtenues en-
dehors de la période de référence.
Or, l'inconvénient de tous ces tests est que chacun suppose
que la demande de monnaie est proportionnelle au revenu,

(2) ~ représente bien l'élasticité de la demande de monnaie par rapport au taux d'intérêt
dans l'équation (8.2) puisqu'il s'ensuit que

d (::)
= (3br({3-1)
dr
et que

d (if:)
Md/PY -
(3br({3-1) dr
br{3
dr
= (3-;

L'estimation de ~ s'obtient en prenant la transformée logarithmique des variables et en


ajustant la fonction

log ( : : ) = log b + (3(log r)

Il faut noter que Bronfenbrenner et Mayer ont aussi utilisé une régression directe de la
forme

et ont constaté que le taux d'intérêt était une variable importante.

116
8. TESTS EMPIRIQUES

hypothèse qui est récusée par ceux qui considèrent le patrimoine


comme une variable plus appropriée aussi bien que par ceux
qui supposent l'existence d'économies d'échelle. Néanmoins, l'in-
sistance !,!vec laquelle ils démontrent l'importance du taux
d'intérêt dans la détermination de la demande de monnaie est
impressionnante, et il est heureux que d'autres travaux qui ne
sont pas fondés sur des hypothèses aussi strictes confirment ce
résultat. A tout prendre, ces travaux sont fondés sur l'analyse
de régression et quoique ce genre d'analyse entraine une
contrainte sur les formes des fonctions utilisées pour les relations
à l'étude, ses limites ne sont pas aussi étroites.
D'après la plupart des travaux récents sur la question, on
peut dire que la fonction de demande de monnaie peut être
approximée par
Md = b'X{30'r{31 (8-6)
p

dans laquelle X représente soit le revenu (Y), soit le patrimoine


physique (W), soit le revenu permanent (Y p ), les symboles ~ étant
des élasticités et on peut prendre une équation de régression
pour trouver les valeurs des deux élasticités (3).
Les travaux effectués par Alain Meltzer [32] ont estimé
de telles fonctions pour la période 1900-1958 en utilisant les
trois substituts possibles pour X, les définitions de la monnaie
qui excluent les dépôts à terme (Ml)' les incorporent (M 2 ) et y
ajoutent les dépôts dans les caisses d'épargne. En prenant le
taux d'intérêt r sur des bons à 20 ans, Meltzer obtint un rapport
négatif mais significatif entre la demande de monnaie, quelle
que soit sa définition, et le taux d'intérêt, indépendamment de
toute autre variable de la fonction. Malgré l'enregistrement
de quelques variations de l'élasticité de la demande par rapport
au taux d'intérêt, cette variable prenait en général une valeur
voisine de -0,7. De plus, lorsque Meltzer divisa ses périodes en
tranches de dix années, en estimant pour chaque période une
fonction différente de vitesse de circulation de la monnaie, il
constata une similitude remarquable dans les rapports entre
la vitesse de circulation et le taux d'intérêt pour les différentes
périodes (4).

(3) Comme il a déjà été dit à la note 2 de ce chapitre, une régression linéaire sur les
logarithmes des éléments donnera des estimations de ces élasticités.
(4) Il est évident qu'une fonction de vitesse de circulation s'obtient à partir d'une
fonction de demande de monnaie en posant que la demande est égale à l'offre, en divisant
les deux côtés de l'égalité par le revenu et en inversant la fonction. Ainsi, si M d=f(X, r) P=M,
PY PY
-=--=v
Ms f(X,r)P

117
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

Dans une étude conjointe avec Karl Brunner [4], ce même


économiste estima pour une période de temps semblable des
fonctions de vitesse de circulation dérivées de la fonction de
demande de monnaie et utilisant des permutations et des com- !

binaisons diverses des variables comprenant le revenu, le revenu


permanent et le patrimoine matériel. Au lieu de s'en remettre
uniquement aux résultats de la régression, ils ont utilisé un test
prévisionnel. Une équation de régression a été établie pour les
dix premières années de leurs statistiques et ses paramètres ont
servi à prévoir la vitesse de circulation de la Ile année; puis
les années 2 à Il ont été utilisées pour prévoir la vitesse de
circulation de la 12" année et ainsi de suite, ce processus étant
reporté à travers toutes leurs séries. Ils ont calculé la moyenne
des erreurs de prévisions faites par les différentes fonctions
et ont démontré que le taux d'intérêt jouait un rôle important
dans la détermination de prévisions précises tandis que l'élas-
ticité de la demande de monnaie par rapport au taux d'intérêt
restait relativement constante quelles que soient les autres va-
riables incluses dans la fonction.
Des fonctions de demandes telles que l'équation (6) utili-
sant successivement un taux d'intérêt à court terme puis à long
terme et prenant le revenu permanent comme «autre» varia-
ble ont été établies par l'auteur [26] pour la période 1892-
1960; et une fois de plus, quelle que soit la définition de la
monnaie utilisée (qu'elle comprenne ou non les dépôts à terme),
il a obtenu des élasticités de la demande de monnaie par rapport
au taux d'intérêt d'environ - 0,7 pour le long terme et d'en-
viron - 0,15 pour le court terme. Il a aussi utilisé différentes
sous-périodes (1892-1916, 1919-1940, 1946-1960) dans ce test
et il s'est avéré que les rapports entre la demande de monnaie et
les différents taux d'intérêt étaient presque les mêmes pour '
chaque période. Pour les années 1951-1964, Lee [29] s'est servi
de statistiques sur les différences de taux d'intérêt entre les
dépôts à vue et divers autres actifs, y compris les dépôts à terme
et les dépôts auprès des caisses d'épargne, pour expliquer la
demande de monnaie, la monnaie ayant ici la définition la plus
restreinte. Avec une définition plus large de la monnaie, il utilisa
les différences de taux d'intérêt entre les dépôts à terme et les
autres actifs, et en prenant le revenu permanent comme « autre»
variable dans tous ses tests, il obtint des résultats significatifs
avec pratiquement tous les taux employés mais surtout avec ceux
des dépôts auprès des caisses d'épargne. Toutefois, à l'inverse de
Hamburger [16], il n'a pas trouvé que le rendement des emprunts

118
8. TESTS EMPIRIQUES

obligataires était une composante très importante de la demande


de monnaie.
Or, tous ces tests ont un défaut commun; ils ignorent le
problème de l'identification. On ne peut admettre que ce soit
un point sans importance et par chance Brunner et Meltzer [5],
ainsi que Teigen [41], ont effectué des études qui tiennent tout
particulièrement compte de ce problème en estimant simul-
tanément des fonctions d'offre et de demande de monnaie. La
fonction de demande employée par Brunner et Meltzer utilise
le patrimoine physique et le taux d'intérêt à long terme et,
tout en tenant compte de la fonction d'offre, ils ont démontré
que l'élasticité de la demande de monnaie était voisine de
- 0,7. L'élasticité de la demande de monnaie par rapport au
patrimoine (environ 1,0) était voisine de l'estimation de Meltzer
obtenue à partir d'une seule équation. Teigen obtint une élas-
ticité d'environ - 0,15 avec les variables suivantes: le niveau
du revenu, un taux d'intérêt à court terme et la quantité de
monnaie retardée, ainsi qu'une définition un peu différente
de la fonction d'offre (5). Comme on pourra le constater, les
résultats donnés ici sont les mêmes que ceux obtenus avec des
taux d'intérêt semblables par les travaux ne tenant aucun
compte du problème de l'identification. Cela laisserait sup-
poser qu'en ce qui concerne le calcul de l'élasticité de la
demande de monnaie par rapport au taux d'intérêt, l'omission
n'est pas très grave. Néanmoins, les conclusions de Teigen font
penser que pour l'estimation de la fonction d'offre, le problème
de l'identification ne peut être facilement écarté.
Parmi les nombreuses expériences qui ont été effectuées,
une seule a pu établir un rapport entre la demande de monnaie
et le taux d'intérêt: celle de Friedman pour les années 1869-
1957. Il pensait que, puisqu'une grande partie des variations
du taux d'intérêt se situe au cours du cycle des affaires, une
fonction de demande de monnaie établie suivant des statistiques
faisant abstraction de ce cycle et utilisée afin de prévoir des
fluctuations cycliques de la demande, fera des erreurs de pré-
vision sur le taux d'intérêt. Il considéra donc des statistiques
sur les valeurs moyennes des variables en cause au cours de
chaque cycle. Les variables employées étaient la monnaie, défi-
nie avec les dépôts à terme, et le revenu permanent, auxquelles
(5) L'étude de Teigen couvre les années 1924-1941 (avec des données annuelles) et
1947-1959 (avec des données trimestrielles). L'introduction de la quantité de monnaie
retardée avait pour but de prendre en considération la lenteur du public à ajuster ses
encaisses aux niveaux d'équilibre, mais une autre interprétation est donnée ultérieurement.
Il convient de noter que puisque le taux d'intérêt à court terme varie plus que celui à long
terme, l'élasticité de la demande de monnaie utilisant le premier sera forcément plus petite.

119
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

était adjointe une régression linéaire logarithmique dont les


paramètres servaient à prédire des variations annuelles de la
vitesse de circulation. Il n'obtint aucune relation précise entre
les erreurs de prévision et le taux d'intérêt.
Si Friedman ne voulait pas en conclure que cette expé-
rience éliminait le taux d'intérêt comme composante importante
de la demande de monanie, ce résultat soulevait des doutes
sérieux sur ce point et il est heureux qu'une réfutation y fût
apportée. Le test de Friedman n'est valable que si l'abstraction
du cycle des affaires à la base des statistiques libère complète-
ment celles-ci de toute influence d'un rapport quelconque entre '
la demande de monnaie et le taux d'intérêt. Or, il se trouve
que pour les Etats-Unis, il y a eu une très faible tendance à la
baisse du taux d'intérêt au cours de la période de référence.
En omettant le taux d'intérêt de sa régression des moyennes
cycliques, Friedman fit en sorte que la part de la variation de
la demande de monnaie qui était la conséquence de cette baisse
du taux d'intérêt fut attribuée, à tort, à la variation du revenu
permanent. Ainsi, il mesura de façon erronée le rapport entre
la demande de monnaie et le revenu permanent de sorte que
ses prévisions ann.lelles n'étaient plus valables. Un test sembla- 1

ble à celui de Friedman fut réalisé par l'auteur [26] dans


lequel le taux d'intérêt fut introduit dans la régression des
moyennes cycliques. Cette introduction a eu pour effet d'accroÎ-
tre le pouvoir de prévision de la fonction pour des statistiques
annuelles, confirmant ainsi l'importance du taux d'intérêt comme
composante de la demande de monnaie (6).
Ainsi, en résumé, que l'on dise que la fonction de demande
de monnaie a pour contrainte le revenu, le patrimoine ou le
revenu escompté, que l'on définisse la monnaie avec ou sans
les dépôts à terme, que l'on choisisse d'écarter le problème
de l'identification ou bien de le prendre en considération, que
l'on utilise un taux d'intérêt à court ou à long terme, les exigi-
bilités des intermédiaires financiers ou le bénéfice réalisé sur
les emprunts obligataires, il y a un nombre considérable de
preuves en faveur de la thèse d'une relation négative, mais
constante, entre la demande de monnaie et le taux d'intérêt.
Parmi tous les problèmes d'économie monétaire, celui-ci semble
avoir été résolu de la manière la plus décisive. Les preuves
contre l'hypothèse de la trappe monétaire sont presque aussi
fortes, comme nous allons le voir maintenant.
(6) Il n'était pas possible d'obtenir des statistiques sur le taux d'intérêt pour toute
la période de Friedman et par conséquent les données utilisées ici commencent à partir
de 1892.

120
8. TESTS EMPIRIQUES

Cette hypothèse stipule que pour de faibles niveaux du


taux d'intérêt, la demande de monnaie devient parfaitement
élastique par rapport à cette variable. Or, il n'est pas possible
de trouver directement à l'aide de l'analyse de régression une
fonction qui a une pente négative sur une partie de sa courbe
et une pente nulle sur une autre partie de cette même courbe.
C'est pourquoi il faut employer ici des tests moins directs. Ils
ne sont pas difficiles à imaginer. Si l'hypothèse de la trappe
monétaire est vérifiée, il faut que l'élasticité de la demande de
monnaie par rapport au taux d'intérêt augmente quand le taux
d'intérêt diminue puisque c'est la seule façon de passer d'une
valeur finie à une valeur infinie. Il ne semble pas y avoir
beaucoup de preuves que ceci soit en fait le cas. Comme on
l'a dit plus haut, Bronfenbrenner et Mayer [3] ont étudié
l'élasticité M/PY par rapport au taux d'intérêt pour des
observations annuelles successives. Pour la période considérée
(1914-1957), ils n'ont noté aucune tendance à la hausse
des élasticités mesurées pour de faibles taux d'intérêt. L'auteur
a effectué un test quelque peu semblable à celui-ci [26]. Toute
la période de référence (1892-1960) fut divisée entre, d'une
part, les années pour lesquelles le taux d'intérêt était au-dessus
de sa valeur moyenne pour la période et, d'autre part, celles
pour lesquelles il était en-dessous. Cette division a été faite
aussi bien pour le taux d'intérêt à court terme que pour celui
à long terme. Une régression de la quantité de monnaie sur
le revenu permanent et le taux d'intérêt a été effectuée séparé-
ment pour ces deux séries de données. On utilise plusieurs défi-
nitions de la monnaie (avec ou sans les dépôts à terme). Prati-
quement, on ne décela aucune tendance à ce que l'élasticité soit
plus forte pour des taux d'intérêt faibles plutôt qu'élevés (7).
Il n'y avait pas non plus de preuves que la fonction soit plus
instable pour des taux d'intérêt assez bas.
Il y a un nombre appréciable de preuves indirectes sur
ce sujet; ceci est dû en grande partie au fait que beaucoup
d'économistes ont utilisé des périodes de courte durée aussi bien
que des périodes plus longues pour élaborer leurs fonctions.
Teigen, par exemple, établit ses fonctions d'offre et de demande
séparément pour des statistiques d'avant et d'après la deuxième
guerre mondiale. Quoique la première période soit dominée
par les années 1930 (les taux d'intérêt étaient remarquable-
ment faibles et l'économie dans un état dépressif, ce qui amena,
(7) Une régression utilisant la première série de variantes des données, à savoir une
définition étroite de la monnaie et un taux d'intérêt à long terme, a montré une certaine
tendance dans ce sens.

121
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

tout d'abord, Keynes à formuler sa thèse de la trappe monétaire),


Teigen ne peut trouver d'importantes différences de l'élasticité
de la demande de monnaie par rapport au taux d'intérêt entre
les deux périodes.
De même en établissant des fonctions de vitesse de circu-
latiOn de la monnaie par périodes de dix ans Meltzer [32]
décela pour les années 1930 une élasticité légèrement inférieure
à celles d'autres époques. Les tests prévisionnels de Brunner
et Meltzer donnent des résultats encore plus surprenants. Ils
ont exclu les années 1941-1950 de leurs données et ont, malgré
tout, démontré que des régressions très riches en observations
sur les années 1930 produisaient une fonction capable de pré-
voir la vitesse de circulation des années 1950 sans aucune
baisse sensible de la précision obtenue par rapport aux autres
prévisions effectuées pour d'autres périodes. De même, ma
propre variante du test de Friedman, qui utilisa des statistiques
de moyennes cycliques afin d'établir une fonction de demande
de monnaie qui servait alors à prévoir les variations annuelles
de la quantité de monnaie détenue, ne montra aucune tendance
à être moins précise dans ses prévisions pour les années 1930
que pour les autres époques.
Or, il se peut qu'aucune de ces preuves ne démontre de
façon certaine l'inexistence de la trappe monétaire mais il
semble bien qu'elles démontrent que cette trappe n'a jamais
été un facteur d'une importance quelconque pour l'histoire
économique des Etats-Unis, du moins pour ce siècle-ci. De plus,
Teigen, Bronfenbrenner et Mayer partirent d'un taux d'intérêt
à court terme et d'une définition étroite de la monnaie; Brunner
et Meltzer utilisèrent les deux concepts - étroit et plus général
- de la monnaie et un taux d'intérêt à long terme, tandis que
ma propre étude s'est servie des deux définitions de la monnaie
et des deux taux d'intérêt. J'ai utilisé dans ces tests des fonctions
dont les contraintes sont le patrimoine, le revenu permanent
et le revenu futur, et les conclusions semblent être toutes les
mêmes en ce qui concerne les très nombreuses possibilités de
permutations et de combinaisons des statistiques en cause.
Tout comme la conclusion sur l'importance du taux d'intérêt
dans la détermination de la demande de monnaie, le résultat
qui montre que la théorie de la trappe monétaire n'est pas
empiriquement significative, ne paraît dépendre en aucune façon
d'une expression particulière de la fonction de demande de
monnaie.
Nous en arrivons maintenant au problème du type de

122
8. TESTS EMPIRIQUES

variable (revenu ou patrimoine) à inclure dans la fonction de


demande de monnaie. Les preuves, ici, semblent être très
favorables au patrimoine. On a précisé au chapitre précédent
que deux concepts du patrimoine pouvaient avoir un rapport
avec la demande· de monnaie. En premier lieu, des statistiques
obtenues directement sur la valeur des actifs dans l'économie
américaine ont été rassemblées pour établir une série des
richesses physiques détenues dans l'économie. En second lieu,
on a utilisé le revenu permanent estimé par la moyenne pon-
dérée exponentielle du produit national net passé et présent
comme substitut à un concept plus général qui inclut, dans la
masse actuelle du patrimoine, la valeur actuelle de l'évaluation
du produit du travail à venir. Ces deux notions semblent pou-
voir expliquer une plus grande part des variations de la demande
de monnaie. Pour étudier un tel problème, il est nécessaire
de comparer avec les mêmes données et avec les mêmes techni-
ques statistiques, les effets des fonctions de demande qui sont
identiques mais en incluant le patrimoine dans l'une et le
revenu dans l'autre. Meltzer [32], Brunner et Meltzer [4],
Chow [8] ainsi que l'auteur lui-même [25] ont réalisé de
telles expériences.
La technique fondamentale de Meltzer [32] était d'effec-
tuer des régressions à l'aide des variables de revenu et de patri-
moine combinées ainsi que des régressions pour chaque variable
séparément. Il a constaté tout d'abord que l'introduction du
patrimoine (à l'exclusion du capital humain dans ce cas) déter-
minait une fonction de demande plus stable que le revenu, puis
si les deux variables étaient introduites dans la fonction, que
le patrimoine était suffisamment lié à la demande de monnaie
pour que le revenu n'ait rien de plus à expliquer. La variable
revenu était donc redondante lorsqu'on avait introduit le patri-
moine. Il a aussi utilisé une ou deux fonctions comprenant
le revenu permanent et a établi que cette variable avait plus
de pouvoir explicatif que le revenu escompté. Ces résultats
ne varient pas, que la définition de la monnaie comprenne ou
non les dépôts à terme. Chow [8] effectua des régressions pour
la période 1897-1919, en utilisant tour à tour le revenu perma-
nent et le revenu futur et démontra qu'en ce qui concerne
la demande de monnaie à l'équilibre, la première variable était
plus efficace.
D'autres arguments favorables proviennent des tests de
prévisions de Brunner et Meltzer [4] déjà cités. Ils ont comparé,
de manière directe, des fonctions comprenant le revenu, le
patrimoine physique et le revenu permanent et utilisé les
123
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

deux définitions de la monnaie. Ils démontrèrent que les


fonctions utilisant le concept du patrimoine donnaient de
meilleures estimations de la vitesse de circulation qu'avec le
revenu et ceci quelle que soit la définition donnée à la monnaie.
Ils démontrèrent que le pouvoir prévisionnel plus élevé du patri-
moine n'était pas dû uniquement à sa plus grande précision sur
de courtes périodes mais qu'au contraire il était uniformément
plus précis au cours de toute la période à compter du début du
siècle. Et ce résultat fut tout aussi important.
Les conclusions de Brunner et Meltzer sont renforcées
par les preuves fournies par l'auteur [25] avec une technique
quelque peu différente. Il a pris pour ses tests les variations
d'année en année des données, au lieu de leurs valeurs annuelles,
et a calculé la valeur du patrimoine sans le capital humain
d'une autre façon indirecte. La variation du patrimoine détenu
par le public au cours d'une année doit être égale à l'épargne.
Il existe un certain nombre de preuves que la consommation
est une fraction constante du revenu permanent, et puisque
l'épargne est égale au revenu moins la consommation, elle doit
être encore égale au revenu escompté moins le revenu perma-
nent (variable connue en général sous le nom de «revenu tran-
sitoire ») plus une fraction constante du revenu permanent (un
moins la propension à consommer). Ainsi, au lieu d'une esti-
mation directe de la variation du patrimoine, deux variables
- le revenu transitoire et le revenu permanent - ont été
introduites dans la régression et liées aux variations du montant
des encaisses. La fonction élaborée était une fonction linéaire
et les résultats obtenus ont été comparés aux formules semblables
des fonctions reliant les variations de la demande de monnaie
aux variations du revenu escompté et du revenu permanent (8).
On introduisit un taux d'intérêt à court terme et on
employa des définitions étroite et large de la monnaie. Avec
l'une ou l'autre définition, le patrimoine et le revenu escompté
donnaient de meilleurs résultats que le revenu calculé, dans

(8) On peut schématiser ceci. Si C == c Y p

où Y T est le revenu transitoire


on a alors
S=Y-C=Y T +(1-c)Yp
(II faut noter que puisque Y est le revenu national, il est sous-entendu ici que la dette
publique est une richesse « interne ».) Il a donc été stipulé que
!:,Md = bOY T + b 1(l- c)Yp + b 2!:,r
C'est la forme de la fonction du patrimoine utilisée. La période de référence de ces tests
était 1892-1960.

124
8. TESTS EMPIRIQUES

la mesure où ils donnaient des fonctions qui expliquaient une


plus grande part de la variance des modifications annuelles
de la demande de monnaie. Un autre test, non encore publié,
effectué par l'auteur, donna des résultats analogues pour la
période 1919-1958, avec cette fois-ci les mêmes séries de patri-
moine que Brunner et Meltzer. On estima des fonctions diffé-
rentes aux statistiques des moyennes cycliques et on employa
une fois de plus, les deux définitions de la monnaie ainsi que
des taux d'intérêt à court et à long terme. Si les fonctions
comprenant le revenu calculé convenaient aux données des
moyennes cycliques tout aussi bien que d'autres fonctions, elles
avaient très nettement moins de succès pour les prévisions des
variations d'année en année de la demande de monnaie.
Ainsi, toutes ces expériences laissent supposer que le
patrimoine plutôt que le revenu doit être introduit dans la
fonction de demande de monnaie, mais il y a un point quelque
peu subtil qu'il convient d'examiner avant d'affirmer une telle
conclusion. Le revenu permanent est mesuré par la moyenne
pondérée des niveaux de revenus passés et présents. Plus préci-
sément:

où b est égal à 0,33, valeur obtenue à partir des travaux de


Friedman sur la fonction de consommation.
Avec un taux d'intérêt constant, la relation entre la
demande de monnaie et le niveau du revenu permanent peut
s'écrire:
Md
p-t=m(Ypt)=m[bYt+b(l- b)Yt - 1 ·• '+b(l- b)nY(t_n)] (8-8)

En définissant de la sorte le revenu permanent, on ne peut


être certain en fait que l'on n'établit pas tout simplement une
relation entre la demande de monnaie et le revenu calculé pour
laquelle les individus ont des réactions lentes pour amener
leurs encaisses au niveau d'équilibre. Si le taux d'intérêt reste
constant, et si la demande de monnaie dépend du niveau du
revenu calculé mais qu'à tout moment le public n'ajuste que
partiellement les encaisses au niveau désiré, nous avons:
Md
p- Md
t=pt- 1 -tb (M~
pt- M d) Md
p t- 1 =mbYt+(l- b)pt- 1 (8-9)

où M d * est le niveau désiré, ce qui est tout à fait équivalent


à l'équation (8-8). C'est-à-dire que si on écarte le taux d'intérêt,

125
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

on ne peut distinguer entre l'hypothèse selon laquelle la demande


de monnaie dépend du revenu permanent de l'hypothèse qui
stipule que la demande de monnaie dépend du revenu calculé
mais que le public réagit lentement pour ajuster les encaisses à la
situation d'équilibre. Bronfenbrenner et Mayer [3] ainsi que
Teigen [41] ont introduit des valeurs retardées de la quantité
de monnaie dans leurs équations de régression pour obtenir un
effet de retard dans ce qu'ils appelaient une fonction de !

demande de monnaie du revenu calculé. Il y a ici un véritable


problème dans la distinction entre deux interprétations très .
différentes de la même relation statistique mais une étude récente 1

de Feige [10] semble avoir opté pour une solution en faveur


du revenu escompté (9).
La thèse précédente a supposé le taux d'intérêt constant;
or, de toute évidence, cette variable ne peut demeurer en fait
constante. Si ce n'était qu'une question de lenteur d'ajustement
des encaisses par le public, on devrait avoir un effet-retard
aussi bien pour les variations du taux d'intérêt que pour les
modifications du niveau du revenu. De plus, ce retard devrait
être le même pour le taux d'intérêt et pour le revenu. Feige
utilisa une technique statistique qui permit à l'analyse de régres-
sion de distinguer, s'il .s'avérait important, le retard lié à
1'établissement des prévisions sur le revenu permanent du retard
compris dans l'ajustement des encaisses à leur niveau d'équi-
libre. Sa technique lui permit aussi d'évaluer l'élasticité de la
demande de monnaie par rapport au revenu escompté et par
rapport au taux d'intérêt. Ses résultats sont les suivants.
Les encaisses retrouvent leur niveau d'équilibre après un
peu plus d'un an, mais il y a un retard supplémentaire qui
apparaît dans la réaction à une variation du revenu. Cette
réaction s'explique mieux par le fait que les individus font des
prévisions sur le niveau futur du revenu. De plus, son esti-
mation de l'élasticité de la demande de monnaie par rapport

(9) Le fait qu'il y ait une relation si étroite entre l'expression de l'effet-retard et la
demande de monnaie exprimée en fonction du revenu permanent explique sans doute le
résultat apparemment anormal donné par Chow [8], à savoir que la demande de monnaie est
mieux définie en situation d'équilibre par une fonction comprenant le revenu permanent
plutôt que le revenu escompté mais, dès qu'on tient compte de l'effet-retard, le revenu
escompté devient alors la variable la plus appropriée des deux. Il est vraisemblable que,
dans les deux cas, Chow évaluait la même relation entre la demande de monnaie et le
revenu permanent. Cependant, il convient de noter que Chow a aussi introduit un effet-
retard dans une fonction comprenant le revenu permanent et qu'il l'a trouvé significatif,
résultat qui n'est pas compatible avec ceux de Feige [10] ou de Lee [29]. Ce dernier suivit
une méthode analogue à celle de Chow (mais pour des statistiques réunies après la
deuxième guerre mondiale) se préoccupant uniquement des ménages. Il obtint des différences
marquées dans les schémas de retard d'avant guerre et d'après guerre, la première période
ayant un retard apparemment plus long.

126
8. TESTS EMPffiIQUES

au taux d'intérêt était d'environ - 0,15 pour un taux d'intérêt


à court terme, et celle de l'élasticité de la demande de monnaie
par rapport au revenu permanent tout juste au-dessus de 1,0,
valeurs tout à fait compatibles avec les résultats obtenus par
d'autres moyens plus simples. Ce qui est plus étonnant encore,
c'est que les résultats de ses tests étaient constants pour
une valeur du paramètre b utilisée dans le calcul du revenu
permanent, valeur peu différente de celle obtenue initialement
par Friedman dans l'étude de la fonction de consommation.
Les constatations de Feige rendent difficile d'accepter l'idée
selon laquelle les résultats obtenus avec cette variable ne sont
que le reflet de la lenteur des réactions du public à amener les
encaisses à leur niveau d'équilibre.
Ainsi, la contrainte appropriée de la fonction de demande
de monnaie semble être le patrimoine plutôt que le revenu
escompté, quels que soient le taux d'intérêt, la définition de la
monnaie ou le concept du patrimoine utilisé. Une fonction de
demande utilisant le patrimoine paraît mieux se comporter,
quel que soit le test ou le critère employé, qu'une fonction dont
la contrainte est le revenu (10).
Toutes les théories présentées aux chapitres 4, 5 et 6
supposent que la demande de monnaies en termes réels est indé-
pendante du niveau des prix, autrement dit que la demande
d'encaisses nominales est proportionnelle aux prix. Un certain
nombre des tests déjà décrits dans ce chapitre ont admis cette
hypothèse, et les fonctions de demande de monnaie élaborées
au cours de leurs réalisations ont été établies en termes réels.
Les statistiques initiales sur le patrimoine nominal, le revenu
nominal et la quantité de monnaie nominale ont été divisées
par les prix avant d'être utilisées dans l'analyse de régression.
La raison en est la suivante. Si la fonction de demande de
monnaie considérée est, disons,
Md
- =b' wPo .,PI (8-10)
P
l'un des éléments d'information qu'on attend de l'analyse de

(10) Quoiqu'une étude réalisée par Helier [18] et utilisant des statistiques trimestrielles
d'après guerre contredit cette conclusion. Il y a trois raisons majeures pour mettre en doute
ses résultats. En premier lieu, Helier dut effectuer des interpolations pour obtenir des séries
trimestrielles du patrimoine et l'échec de l'hypothèse du patrimoine peut refléter tout simple-
ment le fait que l'interpolation n'a pas donné de très bonnes séries. En second lieu, l'étude de
Feige démontre très clairement que des observations trimestrielles ne constituent pas des
situations d'équilibre, mais la technique d'une seule équation de régression employée par
Helier nécessite ce type d'observations. Les travaux de Teigen en tenant tout particulièrement
compte des retards ne sont pas aussi sujets à ce genre de critique. En troisième lieu, Helier
n'a pas essayé la version du revenu permanent.

127
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

régression est la valeur des ~. Si l'on admet que la demande


d'encaisses nominales est proportionnelle aux prix, la fonction
peut s'écrire en termes réels en multipliant chaque terme par
P; ainsi
(8-11)

Ce n'est pas la même fonction que


Md = b' (p. W).Bo • ,.BI (8-12)
qui est celle obtenue si les statistiques étaient laissées en termes
réels car alors ~o donnerait une moyenne de l'élasticité de la
demande de monnaie par rapport au patrimoine et ~1 l'élasti-
cité de la demande par rapport au niveau des prix. La première
peut, en principe, prendre toutes les valeurs alors que la seconde,
dans l'équation (8-11), est supposée égale à un.
Si l'élasticité de la demande de monnaie par rapport aux
prix est égale à un, l'estimation de l'élasticité par rapport au
patrimoine à partir de l'équation (8-12) tendra vers un (11).
Afin d'éviter cela, des expressions telles que l'équation (8-10)
ont été en général préférées pour les études empiriques. Cette
procédure est acceptable tant que l'on est convaincu que l'élas-
ticité par rapport aux prix est bien égale à un. Si ce n'est pas
le cas, en divisant une expression telle que
Md = b . p.B2 . w.Bo • ,.BI (P2 =1= 1) (8-13)
par P, on n'obtient pas l'équation (8-10), mais plutôt
Md =b .p(.B2-l). w.Bo .,.BI (8-14)
P
C'est-à-dire que, si l'équation (8-13) plutôt que (8-14) s'avère
exacte, la demande d'encaisses réelles dépendra aussi du niveau
des prix. Toute omission de cette variable se ressentira par
l'instabilité et la pauvreté de l'ajustement dans tous les tests
utilisant des données en termes réels. Le fait qu'une telle insta-
bilité n'est pas apparue fait penser que l'élasticité de la demande

(11) Relier la quantité de monnaie nominale demandée à quelque autre variable estimée
au prix courant du marché peut aussi produire une relation étroite mais erronée entre ces
variables. On a tendance à attribuer à cette variable les effets des variations des prix sur la
demande d'encaisses nominales. Ce phénomène est particulièrement important en période
de forte inflation lorsque la plus grande part de la variation est due aux modifications du
niveau des prix de sorte que presque toute variable choisie - pourvu que sa valeur varie
aussi avec les prix - pourrait expliquer la demande de monnaie. Ce fait explique sans
doute les résultats obtenus par Allais [1] avec une équation de demande de monnaie
utilisant le revenu nominal escompté et négligeant le taux d'intérêt. Ils sont nettement
meilleurs pour des périodes d'hyperinflation que pour d'autres. Il est difficile d'évaluer
J'importance des résultats d'Allais car il ne les compare pas à ceux obtenus par d'autres
hypothèses. Toutefois, il ne faut pas porter de jugements trop hâtifs sur cet article puisqu'il
représente le résumé de nombreux travaux disponibles en français seulement. Il se pourrait
que beaucoup d'observations qu'on pourrait y faire soient examinées dans cette œuvre
originale.

128
8. TESTS EMPIRIQUES

de monnaie par rapport aux prix est effectivement égale à un


et que le niveau des prix n'affecte pas le niveau des encaisses
réelles.
Il existe d'autres preuves que celles-ci, car Meltzer [32]
ne voulait pas admettre que la demande d'encaisses nominales
soit proportionnelle aux prix. Il examina directement ce point.
Tout d'abord il élabora des fonctions (utilisant le patrimoine
et le revenu dans différentes expressions) pour des statistiques
établies en termes nominaux et des statistiques en termes réels.
Autrement dit il a évalué ~() dans le cadre d'expressions du
type de l'équation (8-10), puis de l'équation (8-12). Ses résul-
tats démontrent d'une façon très nette que l'estimation de ~()
tend vers un dans le second cas comme on peut le prévoir
si la demande d'encaisses nominales est proportionnelle aux
prix. Mais Meltzer ne s'en est pas tenu là. Il a appliqué direc-
tement aux statistiques une régression sur l'équation (8-13)
pour obtenir une estimation directe de ~o. L'estimation qui en
résultait était à tous égards égale à un. Ainsi, les preuves
directes de Meltzer confirment ce que toutes les preuves indi-
rectes suggèrent, à savoiI que la demande d'encaisses nominales
est proportionnelle aux prix et que, par conséquent, la demande
d'encaisses réelles demeure invariable par rapport aux varia-
tions des prix.
Nous venons d'examiner les quatre premières questions
posées au début de ce chapitre et ce de manière assez longue,
d'une part parce que ce sont des points relativement importants,
mais aussi parce que les preuves sont plus ou moins défini-
tives. Les choses ne sont pas aussi nettes lorsqu'on en arrive
aux autres problèmes et ceci en grande partie parce qu'on n'a
pas encore réalisé les études nécessaires pour leur donner une
réponse décisive. Voyons en premier lieu le problème de la
stabilité du rapport entre la demande de monnaie et le taux
d'intérêt.
Si l'on considère la période de 1892 à 1960, on peut dire
que l'élasticité de la demande de monnaie M 2 par rapport
à un taux d'intérêt à court terme semble avoir varié entre
environ - 0,12 et - 0,15, et celle par rapport à un taux
d'intérêt à long terme de - 0,2 à - 0,6. (Si l'on utilise
Ml. les élasticités correspondantes sont - 0,17 à - 0,20
et - 0,5 à - 0,8). Or il faut admettre, surtout en ce qui
concerne le taux d'intérêt à court terme, que ces variations
sont faibles, plus faibles qu'on n'aurait pu le penser. Toutefois,
il n'y a aucun moyen de savoir si ces rapports sont « constants»

129
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

ou non, à moins d'avoir un point de comparaison. Il serait sans


doute plus approprié de prendre une relation qui tiendrait
compte de la variation du risque inhérent aux obligations ou
des variations du taux d'intérêt «normal» pour une telle
comparaison, mais seul le deuxième type de relation a fait
l'objet de mesures pour l'économie américaine. Starleaf et
Reimer [40] ont calculé un taux d'intérêt anticipé en prenant
la moyenne pondérée exponentielle des valeurs passées et pré-
sentes de ce taux, ont pris la différence entre cette variable et
le taux courant puis ont lié la demande de monnaie à cette
variable très keynésienne. Ils ne constatèrent pratiquement
aucune preuve de son importance.
Les preuves de l'importance du risque inhérent aux obliga-
tions sont indirectes. Les théories de la demande spéculative
de monnaie font penser qu'en période d'instabilité du marché
financier, il y aura aussi une nette instabilité de toute fonction
de demande de monnaie qui ignore le fait que les obligations
sont des actifs risqués en de pareils moments. Il serait difficile
de trouver une époque où le marché financier soit plus instable
qu'au début des années 1930 aux Etats-Unis. Si les arguments
précédents s'avèrent exacts, on pourrait s'attendre à ce qu'une
fonction de demande de monnaie n'utilisant que le patrimoine
et le taux d'intérêt, se comporte moins bien au vu des preuves
issues de cette période et non d'une autre époque. En fait,
cela ne semble pas être le cas. La fonction de vitesse de circu-
lation de Meltzer [32] est tout aussi stable pour les années
1930 que pour les autres périodes. Les tests de prévisions de
Brunner et Meltzer [4] ne fonctionnent pas plus mal pendant
les années 1930, alors que les prévisions de l'auteur sur la
demande de monnaie fondée sur une régression des moyennes
cycliques, (Laidler [26]), ne démontrent aucune tendance à de
plus grandes erreurs pendant cette même période. Ces preuves
ne sont peut-être pas concluantes, mais elles démontrent assez
nettement que le niveau escompté du taux d'intérêt et le risque
lié à la possession d'obligations n'ont que de faibles effets sur
la demande de monnaie. Cette conclusion serait certainement
compatible avec la constatation que cet autre concept issu de
l'analyse de la demande spéculative de monnaie, la trappe moné-
taire, n'est pas non plus très satisfaisant pour l'étude empirique.
Quant a~x autres variables qui pourraient être importantes
dans la fonction, il est encore difficile de conclure de façon
bien décisive. Il faut signaler que les études de Cagan [7] sur
les hyperinflations européennes, de Derner [30] sur l'inflation
à l'intérieur des Etats Confédérés et de Harberger [17] sur
130
8. TESTS EMPIRIQUES

l'expérience inflationniste récente au Chili, ont toutes fourni


de fortes preuves de l'importance de l'indice de variation des
prix comme composante de la demande de monnaie. Friedman
[ 14] et Sel den [38] ont tous deux recherché, sans grand succès,
l'influence de cette variable sur la demande de monnaie aux
Etats-Unis mais puisqu'elle a été jugée importante d'autre part,
leur échec tient au fait que le niveau des prix aux Etats-Unis a
été relativement constant pendant la période de référence plutôt
qu'au fait que les américains ignorent cette variable en décidant
de la quantité de monnaie à détenir. Ce n'est certainement pas
une variable à exclure de la fonction sur la seule base de ces
preuves.
Toutefois, ce n'est qu'un facteur parmi les autres. On a
aussi cité la répartition des revenus et le cadre institutionnel
des transactions. Sans tests directs, il est difficile d'affirmer
quelque chose mais, encore une fois, il est toujours possible
de donner une conclusion, quitte à la réviser par la suite.
L'élasticité de la demande de monnaie (en incluant les dépôts
à terme) par rapport au revenu permanent semble avoir été
d'environ 1,6 entre 1890 et 1916 puis être tombée à 1,2 au
cours des années 1919-1940 et jusqu'à 0,8 pour la période
après la deuxième guerre mondiale. Le résultat diffère peu
si l'on prend le patrimoine en excluant le capital humain ou si
la définition de la monnaie ne comprend pas les dépôts à
terme. Il démontre un déplacement lent dans le temps de la
fonction, déplacement qui semble inexpliqué pour le moment
(12). Ce pourrait être le fait de pas mal de choses, d'une
simple amélioration de la précision des statistiques employées
pour le calcul des variables utilisées à la lente transformation
de la préférence du public pour les encaisses. Cependant, on
a pu très bien omettre de la fonction une quelconque variable
qui aurait lentement évoluée dans le temps et qui serait à la base
de ce résultat particulier resté inexpliqué. La répartition du revenu
et du patrimoine et le cadre institutionnel des transactions sont
tous deux des facteurs que l'on pourrait s'attendre à voir varier
peu à peu au cours du temps. Ils sont, par conséquent, en tête
de liste en tant que causes possibles pour l'étude de ce déplace-
ment de la "fonction. Mais on ne peut en dire plus sans se

(12) Il Y a peu de chances qu'une élasticité de la demantle de monnaie par rapport au


patrimoine supérieure à l'unité apparaisse à une époque quelconque lorsqu'une définition de
la monnaie excluant les dépôts à terme est utilisée, mais il y a une tendance à ce que ce
chiffre devienne plus petit. L'élasticité par rapport au revenu qui est inférieure à l'unité pour
la période de l'après-guerre est évidemment le reflet statistique de la hausse souvent constatée
de la vitesse de circulation de la monnaie dans l'après-guerre.

131
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

référer explicitement à une série de tests et ces tests n'ont


pas encore été réalisés.
Les preuves mentionnées au paragraphe précédent sont
aussi valables pour le problème de l'existence d'économies
d'échelle pour les encaisses. La réponse ici serait en grande
partie négative, car ce n'est que pour la période d'après-guerre
que les preuves apparaissent. On ne peut prendre des preuves
vérifiées seulement pour 15 à 20 ans pour affirmer quelque
chose qui n'est pas vrai pour une période précédente de quel-
ques 50 ans. Toutefois, ce n'est pas une conclusion sur laquelle
l'auteur veut beaucoup insister puisqu'un problème se pose
quant à la variation dans le temps de la valeur de l'élasticité
de la demande de monnaie par rapport au patrimoine. Il convient
de noter, malgré tout, que ces prévisions sont fondées sur
la théorie des transactions qui pourrait très· bien convenir au
comportement des sociétés et que Meltzer [33], dans une étude
particulière de la demande de monnaie des sociétés, ne constata
aucune preuve qu'elle soit autre chose que proportionnelle au
volume de leurs ventes. Edward Whalen [46], dans une étude
analogue, obtint à peine un début de preuve de la présence
d'économies d'échelle pour les encaisses des sociétés.
Ainsi, dans l'ensemble, l'hypothèse de l'existence d'écono-
mies d'échelle ayant une influence sur la fonction de demande
de monnaie globale reste à démontrer, étant donné que, pour
le moment, il existe un grand nombre de preuves contraires.
Le problème que nous allons maintenant aborder, celui
de la définition exacte des variables incluses dans la fonction
de demande de monnaie, ne peut être considéré comme tout
à fait résolu. Ces problèmes devront attendre que des travaux ,
soient effectués sur d'autres économies que celle des Etats-Unis
pour en tirer des résultats définitifs. Il suffira donc de présenter
ici l'état actuel des preuves et d'essayer d'en tirer une série de
conclusions expérimentales en laissant au lecteur le soin d'en
décider pour lui-même.
Les problèmes sont les suivants. La définition de la mon-
naie doit-elle inclure ou non les dépôts à terme? Le patrimoine
doit-il inclure ou non le capital humain? Le coût d'opportunité
de la monnaie est-il mieux estimé par un taux d'intérêt à court
ou à long terme? On ne peut donner que des réponses par-
tielles. D'après les tests prévisionnels de Brunner et Meltzer [4],
le patrimoine (sans le capital humain) semble être une meilleure
estimation de la contrainte sur la demande de monnaie que
ne l'est le revenu permanent, que la monnaie soit définie avec

132
8. TESTS EMPIRIQUES

ou sans les dépôts à terme. De plus, pour les tests utilisant un


taux d'intérêt à long terme, il semble préférable d'associer une
définition étroite de la monnaie avec le patrimoine sans le
capital humain.
Certains résultats de l'auteur [25], ceux obtenus à partir
de l'application d'une régression linéaire aux différences de
premier ordre dans les données et du calcul des différences
premières du patrimoine physique dans une relation d'épargne,
sont arrivés à des conclusions inverses. Ils montrent que le
revenu permanent est légèrement supérieur, que la définition de
la monnaie soit étroite ou plus générale. Mais ces tests utilisent
un taux d'intérêt à court terme et emploient le patrimoine d'une
autre façon. Une autre série d'expériences [26] utilisant le revenu
permanent démontra qu'avec une technique statistique plus
directe (la régression linéaire logarithmique), l'élasticité de la
demande de monnaie par rapport au taux d'intérêt était à son
niveau le plus constant quand on adaptait une définition large
de la monnaie (avec les dépôts à terme) et un taux d'intérêt
à court terme (13).
Ainsi, les résultats obtenus pour chaque variable dépendent
des hypothèses faites sur l'introduction appropriée des autres
variables utilisées dans le test. La seule façon de sortir de cette
impasse est d'essayer toutes les permutations et toutes les
combinaisons de ces variables et de choisir la meilleure.
L'auteur a effectué récemment un tel test (non encore publié) :
il a fait des régressions sur des moyennes cycliques pour la
période 1919-1958, puis a déterminé le meilleur test et quelle
combinaison de variables lui permettrait de prévoir le plus
exactement possible les valeurs de la demande de monnaie

(13) Dans tous les cas, les différences dues aux différentes définitions de la monnaie
sont peu importantes. Il est difficile de concilier ceci avec les résultats de Feige [9]: ce
dernier en essayant de calculer des élasticités croisées de la demande des différents actifs
constata que celle entre les dépôts à terme et les dépôts à vue était presque inexistante,
ct montra par là que les différents dépôts n'étaient pas des substituts proches. Ses résultats
pourraient être dus à sa mauvaise interprétation du taux de rendement des dépôts à vue.
Ce sont les différences de taux d'intérêt entre les dépôts à vue et les autres actifs qui sont
valables pour évaluer leur degré de substitution. Feige prit le rapport des charges bancaires
globales sur l'ensemble des dépôts à vue et interpréta celui-ci comme étant le taux de
rendement (négatif) des dépôts à vue. Il est vrai que les intérêts versés sur les dépôts à vue
doivent être payés en cachette puisque leurs versements sont illégaux et ils sont souvent
réglés en déduction des charges. Les variations de ces charges mesurent donc les variations
des intérêts si le rapport de ces charges était d'autre part constant. Malheureusement, les
charges bancaires dépendent, en partie au moins, du taux de roulement de ces dépôts de
sorte que les variations du rapport utilisé par Feige reflètent d'une part les variations dans
les paiements d'intérêts et d'autre part les variations de la vitesse de circulation des
dépôts bancaires. L'importance de ce problème ne peut être évaluée au vu des informations
disponibles. Il faut noter cependant que Lee [29] constata une relation entre la demande
de monnaie définie au sens étroit et les différences de taux d'intérêt entre les dépôts à vue
et les dépôts à terme.

133
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

d'une année sur l'autre. Le test le plus satisfaisant est celui


qui inclut une définition large de la monnaie, le revenu perma-
nent et un taux d'intérêt à court terme. Même en substituant
un taux d'intérêt à long terme dans la fonction, la supériorité
des deux autres variables était maintenue. Ce résultat, tout
en favorisant l'hypothèse du revenu permanent et une définition
plus large de la monnaie, soulève aussi un problème.
Comme on l'a dit plus haut, les tests prévisionnels de
Brunner et Meltzer ont montré qu'on obtenait de meilleurs
résultats en combinant monnaie (sans dépôts à terme) et patri-
moine physique avec taux d'intérêt à long terme. Cela contre-
dit un des résultats ci-dessus et laisse penser que la perfor- 1

mance des différentes définitions des variables dépend du test


particulier effectué et peut-être aussi de la période de référence.
Lorsque de tels problèmes ont un effet aussi important sur le
résultat des expériences, il ne serait pas sage d'affirmer des
conclusions définitives, si ce n'est la nécessité d'autres travaux
sur ces problèmes particuliers.

134
9
les résultats

Comme nous l'avons vu au chapitre précédent, les travaux


empiriques effectués jusqu'à présent sont loin d'avoir résolu
les problèmes soulevés par les différentes théories de la de-
mande de monnaie. Il est peu probable aussi que toutes ces
questions reçoivent une réponse. Dire qu'elles le seront un jour
équivaut à dire que les économistes pourraient abandonner
leurs travaux sur la théorie de la demande de monnaie et ceci
ne constitue guère une hypothèse réaliste. Cependant, comme
nous l'avons vu aussi, les preuves afférentes à certains problèmes
semblent être suffisamment probantes pour que leurs solutions
soient considérées comme étant passablement établies. Il serait
donc bon de voir très rapidement maintenant la validité des
preuves empiriques présentées dans les derniers chapitres.aussi
bien pour les théories de la demande de monnaie sous-jacentes
que pour le type de modèle macro-économique décrit au cha-
pitre II dont le comportement dépend aussi largement de la
nature de la fonction de demande de monnaie. Examinons tout
d'abord les questions se rapportant aux théories de la demande
de monnaie.
135
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

La question fondamentale ici est de savoir si oui ou non il


est intéressant d'établir un modèle de la demande de monnaie
en partant d'une analyse précise du comportement des individus.
Ce faisant, il apparaîtrait que jusqu'ici rien de très positif
n'ait été gagné. L'essentiel n'est pas que les preuves nous démon-
trant très clairement que des notions telles que celles qui sug-
gèrent que la demande de monnaie résulte principalement de
son utilité dans les transactions ou de son usage comme palliatif
contre le risque inhérent à la possession d'autres actifs seraient
erronées; mais bien plutôt que ces concepts ne nous ont pas
encore permis de prévoir des choses établies par ces preuves, qui
ne puissent l'être par une approche plus simple. Regardons en
premier lieu le motif des transactions.
La version de Irving Fisher [11] de la théorie quantitative
de la monnaie qui veut que la monnaie entre et sorte en pro-
portions constantes du processus des transactions est très nette-
ment réfutée par l'abondance des preuves relatives à l'influence
du taux d'intérêt sur la demande de monnaie des individus.
L'autre modèle fondé sur le motif des transactions et qui pré-
sente quelque intérêt - à savoir le modèle de stocks de
Baumol-Tobin - n'est guère mieux car s'il prévoit, à juste
titre, que le taux d'intérêt est une variable importante de la
fonction, cette prévision seule ne le distingue pas des autres
modèles. L'idée mise en valeur par les défenseurs de cette
théorie est qu'il .::xiste peut-être des économies d'échelle pour
la détention de monnaie. Il ne semble pas y avoir de preuves
de ce phénomène dans les statistiques établies pour les Etats-
Unie à l'exception des années après la deuxième guerre mondiale.
Il se pourrait évidemment, quoique l'auteur pense que celà soit
peu vraisemblable, qu'à des époques antérieures il s'avérait que
des modifications dans la répartition des revenus contrebalan-
çaient les effets de ces économies au fur et à mesure que le
volume des transactions augmentait. Toutefois, en l'absence
de preuves directes, ceci ne doit rester qu'une possibilité.
Il existe d'autres preuves, plutôt circonstantielles, allant à
l'encontre des théories fondées sur le motif de transactions.
Dans les ouvrages, on a supposé généralement que le niveau
du revenu était un meilleur substitut du volume des transactions
que le patrimoine mais, comme nous l'avons vu, les tests
empiriques démontrent que le patrimoine est une variable plus
appropriée que le revenu dans la fonction de demande de mon-
naie. Cela ne constitue pas un argument décisif contre cette
interprétation, car il se pourrait que le patrimoine soit en fait
plus étroitement lié au volume des transactions que ne l'est le

136
9. RÉSULTATS

niveau du revenu. L'auteur pense cependant que cette interpré-


tation est difficilement acceptable tant que l'on ne disposera
pas de preuves supplémentaires (1). Il faut souligner ici un
autre point intéressant, à savoir qu'il est difficile de justifier
l'introduction des dépôts à terme dans la définition de la mon-
naie si l'on considère la demande de monnaie avant tout comme
une demande de moyen d'échange. Cependant, comme nous
l'avons vu, introduire les dépôts à terme n'entraîne au moins
aucune différence pour la stabilité des fonctions et pourrait même
améliorer quelque peu leur comportement dans certains tests.
Ce n'est pas un résultat auquel on pourrait s'attendre si le motif
de transactions dominait la détention de monnaie.
Or, aucun de ces arguments n'écarte complètement l'hy-
pothèse selon laquelle le motif de transactions détermine la
demande de monnaie, mais ils montrent bien qu'une analyse
précise des motifs tels que ceux-ci ne permet pas d'améliorer la
précision des prévisions sur le comportement de la fonction
de demande de monnaie. Le cas est presque semblable si l'on
considère le motif de spéculation. En premier lieu, comme il
a été démontré précédemment, le seul fait qu'il existe certains
actifs dont la valeur nominale ne varie pas avec le taux d'inté-
rêt du marché mais qui produisent des intérêts à un taux supé-
rieur à celui engendré par les exigibilités des banques commer-
ciales (à savoir les actions des caisses d'épargne et les dépôts
dans les caisses d'épargne), montre que les motifs spéculatifs ne
peuvent dominer la demande de monnaie aux Etats-Unis. S'ils
la dominaient, les individus ne détiendraient pas un volume
important d'exigibilités des banques commerciales quand, du
point de vue de la satisfaction de ce motif, il existe des substi-
tuts apparemment parfaits produisant un intérêt supérieur (2).
De plus, quand on se rend compte qu'aucune des deux pro-
positions particulières résultant des théories de la demande spé-
culative de monnaie - l'existence de la trappe monétaire et
l'instabilité de la relation entre la demande de monnaie et le
taux d'intérêt - n'est vérifiée par les tests empiriques, l'analyse
du motif de spéculation paraît encore moins utile. Il est sans

(1) Mais il faut noter que Feige [10] suggère cette interprétation pour le rôle du
revenu permanent dans la fonction de demande de monnaie et que l'auteur [25] a étudié
attentivement cette possibilité.
(2) Il faut faire attention ici. Tout organisme d'épargne américain - Mutual Savings
Banks, Savings and Loan Association, et ·les Commercial Banks en ce qui concerne les
dépôts à terme - a un droit légal d'exiger un préavis pour le retrait de fonds. Ce ne sont
donc pas des substituts tout à fait parfaits pour les dépôts à terme, mais le fait qu'on ne
semble pas exercer ce droit rend ce facteur difficile à évaluer. Dans l'ensemble, les
ménages peuvent retirer des dépôts sur simple demande alors que les sociétés ne peuvent
le faire aussi facilement.

137
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

doute possible de trouver des alibis pour chacun de ces résultats


et de maintenir que l'analyse de la spéculation doit encore être
à la base des théories de la demande de monnaie, mais le fait
demeure que, jusqu'ici, rien de très nouveau, ni ayant quelque
valeur empirique, n'a été engendré par de telles théories.
Le lecteur doit faire très attention aux conclusions qu'il
tire des arguments précédents. Ils n'impliquent pas que les
individus ne détiennent pas de monnaie pour des besoins de
transactions ou de spéculation. Ils ne signifient pas non plus que
l'analyse de ces motifs ne fournira pas de meilleurs modèles
de la demande de monnaie à l'avenir. L'analyse précédente indi-
quait simplement que le modèle fournissait les mêmes prévisions
qu'une analyse qui traiterait la demande de monnaie comme une
demande de bien durable. De plus, ceci ne signifie pas que ceux
qui ont travaillé à une telle analyse ont perdu leur temps car,
comme nous l'avons vu, leurs travaux ont permis de mettre
à l'épreuve leurs résultats qui, s'ils se sont avérés faux, ont
quand même obligé les économistes à effectuer des expériences
à partir desquelles ils ont appris tout ce qu'ils savent à l'heure
actuelle sur la fonction de demande de monnaie. Il ne sert à
rien d'effectuer des recherches empiriques si l'on ne dispose
pas d'hypothèses concurrentes, et si l'on a de telles hypothèses,
certaines seront nécessairement fausses.
Si les conclusions que l'on peut tirer de la théorie de la
demande de monnaie sont relativement expérimentales, il est
possible d'être un peu plus précis sur le modèle macro-écono-
mique décrit au Titre 1 et sur son application à l'économie
réelle. Si l'on admet pour le moment les autres relations de
l'économie - à savoir que la consommation dépend du niveau
du revenu, l'investissement du taux d'intérêt et que l'offre de
monnaie peut être considérée comme une variable exogène -
les constatations décrites ci-dessus sur la relation entre la de-
mande de monnaie et le taux d'intérêt permettent d'établir un
point primordial.
Aucune des deux possibilités extrèmes soulignées au cha-
pitre 2 ne s'avère avoir une signification empirique quelconque.
Il n'est pas vrai que la demande de monnaie n'est liée au taux
d'intérêt ni que cette fonction devient parfaitement élastique par
rapport au taux d'intérêt, quel que soit ce taux à court terme.
Il s'ensuit que, pour permettre d'évaluer les effets sur l'écono-
mie d'une modification des dépenses gouvernementales, du taux
d'imposition ou de l'offre de monnaie, il faut utiliser un modèle
global de l'économie et non pas se limiter à un seul secteur.

138
9. RÉSULTATS

D'après le Titre I, on peut utiliser le modèle dont la pente


de la courbe LM est positive. Les paramètres de chaque marché
sont importants et il est évident qu'il faut en connaître beaucoup
plus que la seule fonction de demande de monnaie pour pouvoir
prévoir les effets d'un changement de politique.
Pour commencer, le modèle est établi à partir de l'hypo-
thèse selon laquelle l'offre de monnaie est une variable exogène
et ceci n'est pas du tout évident pour l'économie américaine
d'aujourd'hui. Il n' y a pas suffisamment de place ici pour entrer
dans les détails. Toutefois, il faut au moins noter que ce sont
la quantité de monnaie à «haut pouvoir» et le taux de rées-
compte du Federal Reserve qui sont sous contrôle des autorités
monétaires, et qu'étant donné les valeurs de ces variables,
l'offre de monnaie tend à varier avec le taux d'intérêt. Ce
résultat ne modifie pas les conclusions qualitatives qui peuvent
être déduites du modèle dont on parle ici, mais si l'on donne
des valeurs à tous les autres paramètres du modèle, une modifi-
cation au niveau des dépenses gouvernementales aura plus d'in-
fluence que si le taux d'intérêt n'influence pas l'offre de mon-
naie (3). On aboutit à une conclusion semblable s'il y a une
modification du taux des impôts. On ne peut pas vraiment faire
des comparaisons de politique monétaire puisque les variables
appropriées de cette politique sont maintenant la quantité de
monnaie à « haut pouvoir» et le taux de réescompte et non plus
l'offre de monnaie. Il suffit de dire ici que la politique moné-
taire demeure quand même un instrument efficace dans le cadre
d'un tel modèle modifié.
La seconde série de facteurs sur laquelle l'information doit
être accrue concerne le rôle du taux d'intérêt dans le modèle.
Les expériences faites sur la fonction de demande de monnaie
nous ont révélé que «le» taux d'intérêt est une variable com-
mode des modèles économiques mais que, dans le monde réel,
il y a de nombreux taux d'intérêt qui, tout en étant reliés les
uns aux autres, sont loin d'être les mêmes. Comme nous l'avons
vu, les preuves obtenues sur les encaisses suggèrent que la
demande de monnaie serait plus étroitement liée à des taux
d'intérêt courts qu'à des taux longs, si bien que des variations

(3) Une politique budgétaire ~xpansionniste tend à provoquer, pour une quantité de
monnaie donnée, la hausse des taux d'intérêt et c'est cette tendance qui empêche le bon
fonctionnement du multiplicateur sur le marché des biens et services. Si la quantité de mon-
naie augmente au fur et à mesure que s'accroît le taux d'intérêt, une partie de cette influence
néfaste du marché monétaire est neutralisée par cette expansion induite des encaisses
monétaires et le taux d'intérêt n'augmente plus autant qu'i! ne l'aurait autrement fait.
La réduction de l'investissement est donc moins importante. Il s'ensuit un niveau du revenu
plus élevé.

139
VÉRIFICA TIONS EMPIRIQUES

de la quantité de monnaie affecteront tout d'abord ces taux à


court terme. Ainsi, il faut avoir des informations non seulement
sur la relation entre la demande de monnaie et le taux d'intérêt
à court terme mais aussi sur les rapports existant entre ce taux
et les taux des autres actifs avant de pouvoir dire comment une
telle augmentation de la masse monétaire pourrait agir sur l'éco-
nomie.
On peut partiellement résoudre ce problème en se référant
aux travaux sur la structure des échéances des taux d'intérêt
car ils traitent de la manière dont les variations des taux d'intérêt
à court terme influencent les taux à long terme. Toutefois, il
faut aussi tenir compte de l'interaction des taux de rendement
des différents types d'actifs émis par les emprunteurs. C'est une
chose de dire qu'une augmentation de la masse monétaire pro-
voque une baisse des taux d'intérêt sur, mettons, des obligations
publiques à courte échéance et que cela entraine une chute des
taux d'intérêt sur des titres à long terme. C'est tout autre chose
de dire que cela entraine aussi une baisse du taux de rendement
requis par les individus pour les inciter à posséder, mettons,
des actions ou même des emprunts obligataires à long terme.
La première proposition se réfère à la structure des taux d'intérêt
alors que la seconde traite du degré de substitution entre actifs
qui diffèrent autrement que par leurs échéances.
En ce qui concerne l'évaluation de l'investissement, on
pourrait s'attendre à ce que les taux ayant le plus d'influence
soient ceux pour lesquels les sociétés pourront souscrire des
emprunts à long terme. Ainsi, le taux à long terme des emprunts
obligataires et la rémunération des actions sont susceptibles
d'être particulièrement importants si bien que les deux problèmes
mentionnés ci-dessus concernant les relations entre taux d'inté-
rêt nécessitent une analyse plus détaillée.
En ce qui concerne la structure des taux un nombre impor-
tant de preuves semblent indiquer maintenant que les taux
d'actifs à échéances différentes, mais qui sont semblables par
ailleurs, sont en fait très proches les uns des autres. Il faut
noter toutefois que si l'on peut interpréter le choix entre la
monnaie et les autres actifs d'un portefeuille comme étant
l'échange d'une recette contre un risque, de même on peut
analyser de façon analogue les choix parmi l'ensemble des autres
actifs. Les obligations à long terme ont plus de chances que
les instruments à court terme de voir varier leurs prix et
sont par conséquent plus risquées. On pourrait s'attendre alors
à ce que leurs propriétaires exigent un bénéfice supérieur pour

140
9. RÉSULTATS

compenser ce risque. Il y a de nombreuses preuves que de telles


primes de liquidité existent bien pour les fonds d'Etat et il se
pourrait qu'elles fixent un minimum au-dessus de zéro pour les
taux d'intérêt des valeurs à long terme.
Il est vraisemblable, quoiqu'il y ait encore peu de preuves,
qu'une situation analogue apparaît pour les taux d'intérêt aux-
quels empruntent les sociétés. S'il existe un minimum pour ces
taux, ce qui serait particulièrement justifié pour l'investissement,
les effets d'une politique monétaire sont peut-être limités. En
d'autres termes, le fait que le concept de la trappe monétaire
n'a pu matérialiser un aspect important de la fonction de
demande de monnaie ne signifie pas qu'elle ne pourrait avoir
une importance sur une autre partie de l'économie. Il serait
nécessaire d'effectuer une étude très complète avant de pouvoir
déduire des conclusions définitives sur l'efficacité réelle d'une
politique monétaire. De plus, même ici une solution ne cernerait
pas tout à fait le problème. Il faut encore connaître les effets
d'une modification des taux d'intérêt sur l'investissement. En
transposant cela dans le modèle simplifié du Titre 1 de ce
livre, une fois que l'on sait que la courbe LM a une pente
positive par rapport aux taux d'intérêt à court terme, il faut
encore voir comment ces taux réagissent sur les taux à plus
long terme, lesquels pourraient avoir une importance particu-
lière pour la détermination du comportement d'investissement,
ainsi que le degré de la pente de la courbe IS par rapport à ces
taux à long terme, avant de pouvoir affirmer quelque chose de
précis sur l'efficacité de la politique monétaire.
On peut résumer les arguments de ces dernières pages.
Le fait que la demande de monnaie soit liée par un rapport
constant aux taux d'intérêt, en particulier les taux à court terme,
à travers une fonction qui ne comprend pas de trappe monétaire
dans sa structure élimine un point important du problème de
l'efficacité des variations de la masse monétaire comme ins-
trument de la politique monétaire. Il est maintenant certain
qu'une modification de la masse monétaire peut provoquer une
variation des taux d'intérêt à court terme, quoique ce n'est là
qu'un aspect important parmi tant d'autres. Avant d'en arriver à
des conclusions définitives sur l'efficacité de la politique moné-
taire et même de l'importance relative du marché monétaire sur
la politique budgétaire, il faut savoir comment les taux d'intérêt
influencent l'investissement, comment les différents taux agissent
les uns sur les autres, aussi bien que la valeur du mécanisme par
lequel les autorités monétaires contrôlent la masse monétaire.

141
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

Chacun de ces titres constitue un sujet trop étendu pour


un petit livre comme celui-ci et il est impossible de faire honneur
ici à chacun d'entre eux. Il suffit de dire qu'au fur et à mesure
que les preuves s'accumulent, il semble que la masse moné-
taire est suffisamment bien contrôlée par les autorités moné-
taires, que les taux d'intérêt des différents actifs sont liés les
uns aux autres et varient sensiblement de la même façon et
que certains taux ne sont pas sans avoir quelqu'influence sur
le niveau de l'investissement. Ainsi, ce qui se passe sur le marché
monétaire semble avoir un rôle certain dans la détermination du
revenu et du niveau des prix (4).
La discussion précédente sous-entend que la demande de
monnaie est une fonction constante du revenu. Il est nécessaire
d'inclure cette variable dans les fonctions de consommation et
de demande de monnaie pour que l'on ait un modèle de la
détermination du niveau du revenu. Il semblerait que les preu-
ves favorables à l'introduction du patrimoine dans la fonction
de demande de monnaie plutôt que du revenu (et un certain
nombre de preuves, non citées ici, semblent indiquer que le
patrimoine est la variable appropriée de la fonction de consom-
mation) sapent la base même du modèle et ne nous donnent
aucun renseignement très précis sur le mécanisme de détermi-
nation du revenu.
Il suffit de réfléchir un peu à ce problème pour se rendre
compte que les choses ne sont pas aussi graves qu'on aurait pu
le penser tout d'abord. Le patrimoine et le revenu sont, après
tout, des concepts très proches l'un de l'autre puisque l'un est
la valeur actualisée du niveau futur de l'autre. Comme nous
l'avons vu, il s'est avéré que le revenu escompté ou permanent
est une variable très utile pour la fonction de demande de
monnaie et pour l'explication de la propension à consommer des
individus.
Pour les besoins de l'étude empirique, on a défini le revenu
permanent comme étant la moyenne pondérée des valeurs
passées et présentes du revenu constaté, variable dont la valeur
actuelle est supposée déterminée par des modèles macro-écono-
(4) Il est inutile de dire que les preuves pour certains de ces problèmes sont plus
complètes que pour d'autres. Il semble presque certain que la masse monétaire peut être
étroitement contrôlée par les autorités monétaires en agissant sur la quantité de monnaie
à «haut pouvoir» et sur le taux d'escompte. Il paraît également bien établi que les taux
d'intérêt à échéances différentes sont étroitement liés. Par ailleurs, un nombre croissant de
tests semblent prouver que les taux auxquels empruntent les sociétés déterminent d'une façon
importante leurs décisions d'investissement. Cependant, les relations entre ces taux et ceux
sur lesquels la politique monétaire pourrait avoir un effet premier sont loin d'être tout
à fait nettes.

142
9. RÉSULTATS

miques à court terme. L'usage du revenu permanent et non du


revenu réel dans les fonctions de demande de monnaie et de
consommation n'élimine pas de ces fonctions l'emploi du revenu
courant mais au contraire permet d'y laisser ce dernier en y
ajoutant des niveaux de revenu passés. Ainsi la fonction de
consommation peut s'écrire:
Ct =C YPt =C [b Y t + b (1 - b) Y t -' l ... b (1 - b)n Y t- n 1
=cbYt +c(1- b)YPt _ 1

et la fonction de demande de monnaie (en termes linéaires pour


la simplicité de l'analyse devient:
Md/Pt =mYpt - Irt = mbYt + m(l - b) YPt - l - Irt

Le résultat final est de garder telles quelles les fonctions du


Titre I, sauf pour les termes qui reposent sur des valeurs passées
et donc indépendants des niveaux actuels du revenu. Ainsi, le
modèle peut être modifié en y introduisant la notion de revenu
permanent sans changer ses caractéristiques fondamentales, quoi-
qu'il faille les interpréter avec un peu plus de soin. Une réduc-
tion de la masse monétaire entrainera, par exemple, une réduc-
tion du niveau actuel du revenu d'équilibre, mais cela ne signi-
fie pas que le revenu sera définitivement en baisse mais seule-
ment qu'il sera moins élevé que prévu. Par la présence même
dans le modèle des niveaux passés du revenu, cela entraine à
son tour que les effets des variations antérieures sont transmis
aux périodes en cours de telle sorte qu'il serait possible d'em-
pêcher des variations du revenu pour plusieurs périodes après
une première modification.
Cela n'est guère un fait nouveau car cela revient à dire
que des variations des niveaux du revenu et de l'emploi sur-
venant d'une cause quelconque mettent du temps à agir et,
pendant ce temps là, les effets d'autres variations sont plus
difficile à prédire. Ainsi, par exemple, lorsque le revenu s'élève
à un nouveau niveau d'équilibre, un durcissement de la politique
monétaire provoquera une baisse du niveau auquel tend le
revenu. On ne peut prévoir si cela correspondra à une baisse
réelle du revenu de la période ou à un simple ralentissement
du taux de croissance du revenu sans avoir de plus amples
informations quantitatives sur ces différentes modifications (5).
(5) Pour avoir plus de détails à ce sujet, il faudrait effectuer une analyse assez longue
et complexe. Cependant, le lecteur intéressé trouvera cette analyse chez Tucker [45] et
Laidler [27]. Il faut noter que cette analyse démontre que l'emploi du revenu permanent au
lieu du revenu courant ne ralentit pas nécessairement l'accession à de nouveau niveaux
d'équilibre du revenu. Ces retards peuvent tout aussi bien se manifester dans une procédure
étirée de mise à l'équilibre du taux d'intérêt.

143
VÉRIFICATIONS EMPIRIQUES

En ce qui concerne les modèles du revenu à court terme,


les modifications lentes dans le temps des variables économi-
ques, le problème de la substitution du revenu permanent au
revenu courant dans les différentes fonctions sont dus à ce
phénomène. Si le modèle est en situation de plein-emploi, le
niveau du revenu y* (cf. Titre 1), tant qu'il demeure à un
niveau d'équilibre dans le temps, peut être interprété comme
étant égal au revenu permanent, si bien que le comportement du
modèle n'est pas le moins du monde influencé par l'introduction
de la variable de revenu permanent.
Les conclusions de ces dernières pages sont les suivantes.
Il est très vraisemblable que la politique monétaire agit tou-
jours avec efficacité sur le niveau de l'activité économique mais
l'importance de cette efficacité dépend de choses telles que la
détermination des structures des taux d'intérêt, la réaction des
dépenses au taux d'intérêt, les fonctions d'offre et de demande
de monnaie. Ces conclusions indiquent aussi que, si l'on tient
compte des marchés autres que le marché monétaire, de même
il faut tenir compte du marché monétaire pour l'étude de la
politique budgétaire dont les effets se font sentir tout d'abord sur
le marché des biens et services. En ce qui concerne la théorie
de la demande de monnaie, on a conclu que la méthode tradi-
tionnelle de la théorie de la demande (qui supposait une fonction
d'utilité mais sans la détailler) convenait aussi bien pour la mon-
naie que pour les autres biens. Une analyse détaillée des motifs
de transactions et de spéculation n'a jusqu'à présent rien apporté,
ou très peu, quant aux prévisions sur la demande de monnaie
ayant une valeur empirique.
Ces conclusions peuvent paraître très anodine au lecteur
et correspondre peut-être à ce qu'il aurait prévu en tous les
cas sans l'appui des vérifications empiriques. S'il en est ainsi,
tout ce qu'on peut dire c'est qu'il est rassurant d'avoir des
preuves qui confirment ses propres idées. Toutefois, si ce sont
effectivement les idées du lecteur, ou bien il a lu les bons livres
avant celui-ci, ou bien c'est un individu particulièrement perspi-
cace car, si l'on en juge d'après les nombreux manuels, ces
conclusions sont loin de ce qu'on a enseigné sur le marché
monétaire.
En ce qui concerne les motifs de la détention de monnaie
et les formes particulières de la fonction de demande de monnaie,
les motifs de spéculation et de transactions ont souvent tenu
l'avant-scène alors que pour la nature de la fonction elle-même,
on l'a fréquemment considérée comme fonction du niveau du

144
9. RÉSULTATS

revenu et du taux d'intérêt avec presque toujours comme carac-


téristique principale et la plus remarquée une trappe monétaire
pour des taux d'intérêt faibles. Ainsi la politique monétaire a été
en général présentée comme un instrument peu précis, les effets
de la politique budgétaire étant par contre très efficaces et relative-
ment bien estimés par un modèle de détermination du revenu
sans marché monétaire.
De tels concepts paraissaient également logiques et vrai-
semblables avant l'explosion récente des travaux empiriques
sur la demande de monnaie. Ce sont maintenant des positions
difficiles à maintenir. La leçon à tirer de tout ceci est que les
résultats des travaux empiriques seront rarement surprenants
ni sensationnels. On y a recours dans la plupart des cas, non pas
pour faire la différence entre des idées apparemment logiques et
des idées très improbables qui révolutionneraient l'économie
politique si elles s'avéraient exactes, mais plutôt pour différencier
des hypothèses également possibles et néanmoins contradictoires
restant toutes dans les limites de ce qu'on pourrait appeler la
théorie classique. C'est certainement la façon dont les techniques
empiriques ont été utilisées en économie monétaire. Même s'il
y a encore beaucoup à faire et s'il est possible que les points de
vue existant à l'heure actuelle soient rejetés à l'avenir par de
nouveaux tests, il semble que des progrès énormes ont été
accomplis dans la distinction entre hypothèses correctes et
hypothèses incorrectes.

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147. LERNER, E. 130, 149.
BRONFENBRENNER, M. 115, 116, 121, MARSHALL, A. 67, 70, 72, 73, 78,
122, 126, 147. 79.
BRUNNER, K. 118, 119, 122-125, 130, MARTY, A. 86.
132, 134, 147. MATTHBWS, R.C. 92, 149.
CAGAN, P. 130, 147. MELTZER, A.H., 104, 117, 119, 122-
Omw, G. 123, 126, 148. 125, 129, 130, 132, 134, 149.
DIAMOND, P.A., 90. MAYER, T. 115, 116, 121, 22, 126.
FEIGE, E. 126, 127, 133, 137, 148. MICHAELSON, J. 106, 149.
FISHER, 1. 63, 64, 67-70, 72, 77, 84, PATINKIN, D. 53, 149.
136, 148. PIGOU, A.C. 67, 70, 72, 73, 78, 79,
FRIEDMAN, M. 78, 80, 84, 104, 108, 149.
119, 120, 122, 127, 131, 148. REIMER, R. 130, 149.
HAMBURGER, M. 118, 148. SCHWARTZ, A.J. 108.
HARBERGER, A.C., 130, 148. SELDEN, R. 131, 149.
HELLER, H.R., 127, 148. SMITH, W.L. 22, 149.
HICKS, Sir J.R. 59, 148. STARLEAF, D.K. 130, 149.
JOHNSON, H.G. 85, 113, 148. TEIGEN, R. 119, 121, 122, 126, 150.
KEYNES, Lord J.M. 72, 74, 76, 77, TOBIN, J. 84-85, 90 ,92, 115, 136,
81, 85, 89, 90, 92, 95, 98, 115, 150.
122, 148. TUCKER, D. 143, 150.
LAIDLER, D. 120, 124, 130, 133, 143, WHALEN, E.L., 85, 132, 150.
149. WICKSELL, dynamique de. 72.

151
index des matières

Actions des caisses d'épargne, 102, permanent-facteur de la consom-


118, 137. mation; patrimoine, facteur de la
Amérique, 103, 114, 137, 139; voir consommation.
Etats-Unis. Consommer, propension marginale à,
22,31.
Biens durables, 25, 59; monnaie en Contrainte budgétaire, 91, 93-95.
tant que, 78; voir Monnaie, la Courbes d'indifférences, 91-98.
demande de - cas particulier de la Courbe IS, 24, 27-31, 33-35, 36, 41-
théorie générale de la demande. 46, 49, 52-54, 141.
Courbe LM, 27-32, 33-35, 39, 40-44,
49, 139, 141.
Capital, 53, 54; rémunération du, 80,
Crédit commercial, 65.
84, 118-122, 124, 141, 142, 144-
145.
Capital humain, voir Patrimoine hu- Demande excédentaire de biens, 33-
main. 35.
Cartes de crédit, 65. Demande globale, 33, 54.
Chili, 114, 131. Demande précautionnelle de mon-
Confédérés (Etats), 130. naie, voir Monnaie, demande de,
Consommation, 22, 52-54, 124, 138. de précaution.
Consommation durable, voir bien Dépenses globales, 22, 29, 30.
durable. Dépenses publiques, 22, 35, 36, 48-
Consommation, fonction de, 22-23, 51, 138, 139; voir Politique fis-
27, 30, 31, 36, 48, 104, 124, 125, cale.
143; voir revenu, facteur de la Dépôts à terme, 102, 103, 113, 114,
fonction de consommation; revenu, 117-119, 120, 131, 132-133, 137.

153
Dépôts à vue, 102, 103, 118, 133. Masse monétaire; voir Monnaie, offre
Dette de l'Etat, 54. de.
Mécanisme du flux international des
Economies d'échelle pour les encais- espèces, 107.
ses, 88,113,117,132,136. Monnaie, demande de, 25, 27,36-38,
Effet commercial, 4 à 6 mois, 105, 44-47, 49, 57-59, 64-66, 144; de
106 voir Taux d'intérêt, court précaution, 73-76; cas particulier
terme. de la théorie générale de la de-
Effet de substitution, 95-97. mande, 59, 61-62, 68, 78-83, 144;
Effet revenu, 95-98. de spéculation, 75-77, 95, 98, 102,
Effet richesse, 35, 52-54. 106, 130, 137; de transaction,
Encaisses actives, 73, 115; voir Tran- 64-65, 66-68, 76, 77, 84-89, 136;
sactions, demande de monnaie. voir Revenu, facteur de la de-
Encaisses passives, 73, 115, voir mande de monnais, permanent-
Monnaie, demande spéculative. facteur de la demande de monnaie;
Equation d'échange, 64. Prix, niveau des, demande de mon-
Etats-Unis, 105, 114, 115, 122, 130, naie proportionnelle à la, indice de
137; voir Amérique. variation-facteur de la demande de
Exigibilités des banques, 103, 137; monnaie; Risque inhérent aux
voir Dépôts à vue; Dépôts à terme. obligations, facteurs de la demande
Exportations, 35, 54. de monnaie; Transactions, facteur
de la demande de monnaie; Patri-
Federal Reserve System, 107; voir moine, facteur de la demande de
Taux d'escompte. monnaie, définition empirique de,
Frais de courtage, 85-89. 101-103; moyen d'échange, 25, 60,
63, 72, 87, 102; voir Monnaie,
Gain en capital, 68, 74, 81, 91, 98, demande de transaction fonction
106; voir Taux d'intérêt, lié aux d'offre, 108-110, 119, 144; quan-
prix d'obligations. tité de, 33-36, 44-46, 49, 50, 51,
53, 64-65, 67,·89, 107-110, 138-
Hyperinflation, 107, 114, 128, 130. 140, 141-143; valeur prévisible sur
le marché, 60-61.
Impôts, 30-31, 35, 36, 50, 51, 138- Monnaie à « haut pouvoir », 139.
139; voir Politique Fiscale. Motif de spéculation, 73, 84, 89,
Incertitude, 41, 60, 89, 106; voir 102, 137, 144; voir Monnaie, de-
Risque inhérent aux obligations. mande spéculative de.
Inflation; voir Prix, niveau des; In- Multiplicateur d'équilibre budgétaire,
dice de variation du; Hyperinfla- 31.
tion.
Inventaire, approche théorique à la National Banking System, 107.
demande de monnaie, 84-90, 135-
137, 140-141; voir Economie
d'échelle; Monnaie, demande tran- Obligations, 25, 59, 74, 87, 91, 93;
sactionnelle. prévisions sur les prix futurs des,
Investissement, 21-25; fonction d', 92; voir Risque inhérent aux, va-
27, 35-36, 48; voir Taux d'intérêt, leurs à 20 ans, 105-106.
facteur d'investissement.
Patrimoine, 25, 47, 61, 71, 76, 90,
Liquidités, 60; prime, 141; trappe 92-94, 96-98, 101, 103-104, 136-
des, 77, 120-122, 137, 141, 145; 137; voir Revenu, permanent; fac-
voir taux d'intérêt, élasticité infi- teur de la demande de monnaie,
nie de la demande de monnaie par 67-69, 75-76, 79, 84-85, 104, 112-
rapport. 114, 122, 127-128, 130-132, 142;

154
voir Revenu, permanent-facteur de Monnaie, demande de; Patrimoine,
la demande de monnaie; facteur facteur de la demande de monnaie;
de la consommation, 53, 142; in- répartition des, 88, 106, 131, 136:
terne, 53, 124; externe, 54, 104; variation du, 21, 45, 107, 143;
hors capital humain, 80, 103, 114, transitoire, 124.
124, 132, facteur de la demande Risque inhérent aux obligations, 90-
de monnaie, 117, 120, 123, 127, 98, 106, 112-114, 130, 136; voir
130, 133-134; avec capital humain, Monnaie, demande spéculative de.
80, 113, 132.
Plein-emploi, 33, 34-35, 43-45, 46, Sous-emploi, 21, 42.
50-51,53,64, 144.
Politique budgétaire, 38, 45, 53, 77, Taux d'actualisation, 104; voir Taux
139, 141, 145; voir Dépenses pu- d'intérêt.
bliques; Impôts. Taux d'intérêt, 23-25, 29, 35, 43,
Politique monétaire, 38, 45, 77, 88- 60, 85, 89, 91, 93-95, 101, 125,
89, 103, 107, 139-145. 136, 139, 141; à court terme, 113,
Portefeuille diversifié, 90, 92, 94, 98, 114, 118, 132, 139; facteur de la
140. demande de monnaie, 118-120,
Prévisions, 68-71; voir Risque inhé- 134, 138, 141; à long terme, 113,
rent aux obligations; Prix, indice 114, 118, 132-133, 139, 141; fac-
de variation. teur de la demande de monnaie,
Prix, niveau des, 32, 33-35, 36, 44, 118, 120, 125, 134; comme coût
46, 49-51, 64, 91, 142; fluctuations d'opportunité de la monnaie, 25,
du, 21, 68; voir hyperinflation; 68, 80, 93, 105; des actions des
incertiture sur le niveau futur, 92; caisses d'épargne, 118; effet retard
indice de variation-facteur de la sur la demande de monnaie, 126;
demande de monnaie, 81-82, 131; élasticité infinie de la demande de
tendance à la baisse, 53. monnaie par rapport aux, 38-41,
Problème d'identification, 108-111, 43-45, 52, 112-113, 138; voir Li-
119-121. quidités, soupape; facteur de la
demande de monnaie, 7, 25, 38-
Régression, 108, 117, 121, 123, 126, 39, 46-47, 49, 51, 57, 67, 69-70,
127, 130, 133. 75, 83, 86, 89-90, 94, 96, 105,
Réserves-facteur de l'offre de mon- 108,112-115,117, 119, 122, 126,
naie, 110; voir Monnaie à «haut 130, 133, 135-139, 144-145; fac-
pouvoir ». teur de l'investissement, 23-24, 30,
Revenu, 106, 136-137, 144; facteur 49, 138-139; voir Investissement,
de la consommation, 22, 30-31, fonction d'offre de monnaie, 107-
49, 138; voir Fonction de consom- 109, 138; indice de variation, 75,
mation; facteur de la demande de 76, 81, 90; voir gain en capital;
monnaie, 25, 57, 67, 73, 89, 109- liés aux prix des obligations, 74;
110, 112-114, 117, 122-124, 126- voir Taux d'intérêt, niveau escomp-
128, 142, 144; voir Monnaie, de- té, indice de variation; Gain en
mande; disponible, 22, 30; effet capital; niveau escompté, 74; voir
retard sur la demande de monnaie, Taux d'intérêt, niveau «normal»
126-127; escompté, 104; voir Re- du; niveau «normal» du, 39, 74-
venu permanent; niveau d'équili- 77,112-113,130; effet commercial
bre, 23-24, 34-37, 43; permanent, à 4-6 mois, 105-106; voir Taux
114, 144; facteur de la consom- d'intérêt, court terme; sur exigi-
mation, 124, 143; voir Fonction bilités des intermédiaires finan-
de consommation; facteur de la ciers, 120; sur obligations à 20
demande de monnaie, 117-124, ans, 105-106, 117; voir Taux d'in-
125-127, 131, 132-134, 143; voir térêt long terme; structure des,

155
144; échéances, 105, 140; tendance transactionnelle de; volume de,
à la baisse, 120. facteur de la demande de mon-
Théorie de Cambridge, 67-72, 78. naie, 64-87.
Théorie quantitative de la monnaie, Travail, courbe d'offre concave, 95.
64, 136; voir Théorie de Cam-
Utilité, 59-61, 92-94, 98, 144; voir
bridge; moderne, 78-83; voir Mon-
Courbe d'indifférence.
naie, demande de, cas particulier
de la théorie générale de la de- Vitesse de circulation des dépôts, 133.
mande. Vitesse de circulation de la monnaie,
Transactions, 41, 60, 63-66, 68-69, revenu, 70, 117, 122-124, 130-
85-86, 88, 106, 131-132, 136-137; 131; transactions, 63-66.
motif des, 72-73,84, 101-102, 136, Vitesse de revenu; voir Vitesse de
138, 144; voir Monnaie, demande circulation de la monnaie, revenu.

Imprimé en France
Dépôt légal: 3" trimestre 1974 D/1974/1498/83

156
la politique monétaire
Jacques Henry DAVID

L'auteur essaie de répondre à deux questions fondamentales que les


événements monétaires ont récemment portés au premier plan, à savoir:
- quelle est l'importance de la monnaie et de la politique moné-
taire dans la détermination du niveau de l'activité économique et dans
la répartition des richesses,
- quels sont les moyens dont les autorités monétaires disposent
pour contrôler l'évolution de la quantité de la monnaie en circulation.
Cette analyse très complète des mécanismes monétaires s'appuie sur
de nombreuses références à l'actualité. Sa compréhension ne nécessite ni
connaissance préalable ni formation particulière.

collection Finance
206 pages. 16 X 25. Dunod. Broché

les instruments de mesure


des échanges internationaux
Georges MossÉ
préface de Valéry GISCARD D'ESTAING

«Le livre de Georges Mossé fournit une analyse claire et simple


d'une question généralement considérée comme complexe et ésotérique.
Il fait apparaître la signification exacte, et parfois les artifices des diverses
présentations des comptes extérieurs des nations ...
... Il suggère enfin diverses voies de recherche pour une amélioration
de la comptabilisation des échanges extérieurs et la mise en place de
nouveaux instruments de mesure ...
... Le livre de Georges Mossé fait honneur à l'école économique
française ». (V. Giscard d'Estaing).
220 pages. 16 X 25. Dunod. Broché

157
la monnaie
Roy HARROD

L'auteur présente une étude originale et complète sur la monnaie.


Il expose les différentes formes de la monnaie et ses fonctions dans une
économie libérale et présente un bref rappel sur les théories monétaires.
Après avoir analysé le cadre institutionnel et les politiques moné-
taires actuelles, R. Harrod aborde les principes de la politique monétaire,
fondée sur la théorie de la croissance, dans un cadre libéral.
Cet ouvrage traite de l'économie politique positive, c'est-à-dire de
ce qui est, et non de ce qui devrait être.

Collection Finance et Economie appliquée


352 pages. 16 X 25. Dunod. Relié.

théorie monétaire
Contribution à la pensée contemporaine
Richard S. THORN

Ce livre se présente comme un véritable manuel de la pensée


monétaire actuel. Il est constitué des études marquantes publiées ces
dernières années par les plus grands économistes: H.G. Johnson,
M. Friedman, W. Baumol, J. Tobin, G. Gurley et E. Shaw ...
Il traite de la demande de monnaie, de la théorie de la préférence
pour les actifs, de l'offre de monnaie et du taux d'intérêt.
R. S. Thorn a su, par le choix et la présentation des textes, mettre
en yaleur les positions r~spectives des keynésiens et des néo-classiques.

collection Cournot
368 pages. 16 X 25. Dunod. Broché.

158
l'équilibre et la croissance économiques
principe de macroéconomie
Lionnel STOLERU

L'ouvrage englobe l'analyse de la conjoncture, décrivant les équi-


libres de l'épargne, de l'emploi, de la monnaie et leurs relations mutuelles;
l'analyse de la croissance en démontant les rouages des mécanismes du
développement à moyen terme et l'analyse prospective du progrès écono-
mique à long terme.
Il s'adresse à tous ceux qui s'intéressent à l'essence de la vie
économique, depuis les chefs d'entreprise et hautes personnalités jusqu'aux
étudiants, notamment en sciences économiques. Ce livre est accessible
aussi bien aux littéraires qu'aux scientifiques.

collection Finance et Economie appliquée.


688 pages 16 X 25. 3 e édition mise à jour en 1973. Dunod. Broché.

monnaie et financement
essai de théorie dans un cadre de comptabilité économique
Jean DENIZET
préface de Valéry GISCARD D'ESTAING

L'auteur montre qu'une analyse keynésienne est un instrument


d'enrichissement des approches monétaires néo-classiques du type walva-
sien et que ces deux analyses se complètent mutuellement, aboutissant
sans difficulté à une synthèse à partir de laquelle l'action à mener
commence à se dessiner clairement. .
Cet ouvrage s'adresse aux administrateurs, financiers, économistes,
banquiers, hommes d'affaires ainsi qu'aux professeurs et aux étudiants
des Facultés de sciences économiques.

272 pages. 16 X 25. ]e édition. Dunod. Broché.

159
pouvoir et économie
François PERROUX

ce qu'en dit la presse

« La théorie traditionnelle de l'équilibre économique néglige


complètement les problèmes de « pouvoir». Le grand mérite
du dernier livre du professeur François Perroux est de nous le
rappeler en proposant une reconstruction des schémas tradi-
tionnels.: .
... un livre à lire et à méditer ... »
Le Monde Diplomatique

« ... on pourrait qualifier l'un des traits fondamentaux de


l'œuvre de F. Perroux en mettant l'accent sur son rôle de
critique de la science économique ... »
Le Figaro

« ... beaucoup de clarté, de rigueur, d'encyclopédisme ... »


Le Monde

« En France ... la première étude directe et analytique des


rapports entre pouvoir et économie ... »
La Nation

« ... le fruit des analyses les plus récentes des faits écono-
miq ues et sociaux de notre temps effectuées par F. Perroux ... »
La Croix

collection Etudes économiques


144 pages. 16 X 25. Dunod. Broché.

IMPRIMERIE LOUIS-JEAN
Publications scientifiques et litt~raires

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Dépôt légal JJ6 . 1974

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