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La guerre sur mer au XVIIIe siècle.

Aspects tactiques et stratégiques

Posted on 18 décembre 2012

Hervé Coutau-Bégarie

Table des matières

Chapitre premier : Les batailles navales du XVIIIe siècle

Chapitre Deuxième : Les dimensions de la guerre sur mer

au XVIIIe siècle

Introduction

L’histoire maritime a connu, durant les deux dernières décennies, un renouvellement profond qui a
permis une lecture renouvelée de l’histoire de la marine française1. Le livre de Daniel Dessert2 sur la
marine louis-quatorzienne atteste de l’ampleur de ce renouvellement. Il en montre également les
limites : s’il contient de nombreux aperçus nouveaux sur les aspects économiques ou institutionnels, il
est, en revanche, étonnamment classique sur les aspects militaires pour lesquels rien n’est venu
remplacer la somme de La Roncière. Malgré sa précision et son souci du détail, celle-ci ne constitue pas
pour autant un horizon indépassable. Daniel Dessert aurait peut-être conclu sur une note moins
négative s’il avait disposé de monographies de campagnes plus nombreuses, s’il avait pu apprécier
l’importance parfois décisive de la guerre des communications si curieusement absente de son livre.
Avant d’entrer dans des schémas explicatifs, il paraît donc sage d’aborder l’histoire de la guerre sur mer
au XVIIIe siècle sous son aspect le plus traditionnel, sinon le plus démodé, et de retracer son évolution
d’un point de vue purement militaire, comme aimaient à le faire les historiens positivistes aujourd’hui si
critiqués. L’histoire-bataille est peut-être insuffisante mais elle constitue à coup sûr une bonne base de
départ pour une véritable histoire-problème.

Notes:
1 Hervé Coutau-Bégarie, Histoire maritime en France, Paris, ISC-Économica, 2e éd., 1997.

2 Daniel Dessert, La Royale. Marins et vaisseaux du Roi-Soleil, Paris, Fayard, 1996.

Chapitre Deuxième : Les dimensions de la guerre sur mer au XVIIIe siècle

Il importe de revenir à une appréciation plus nuancée et surtout plus globale de la guerre sur mer au
XVIIIe siècle. Il faut dépasser la fixation sur les batailles navales et sur le nombre de vaisseaux coulés.

Ce qui importe, c’est moins le résultat tactique immédiat que les conséquences stratégiques à plus long
terme. La mer n’a d’intérêt que par les fonctions qu’elle remplit en tant que source de richesses (pêche)
et surtout en tant que voie de communication. Le maître de la mer n’est pas nécessairement celui qui
vient de remporter un succès tactique, mais c’est celui qui fait naviguer librement son commerce et qui
interdit à l’autre de faire passer le sien sans pertes excessives ou qui soutient efficacement ses
opérations terrestres. C’est dans cet esprit qu’il faut évaluer les campagnes du XVIIIe siècle. Le travail est
à faire presque entièrement13. On peut simplement suggérer ici quelques pistes.

Les DIMENSIONS MILITAIRES

De la révolution à la sclérose de la tactique navale

Au XVIIe siècle, s’est produite une révolution navale qui a vu la substitution du vaisseau à la galère
comme instrument privilégié du combat sur mer14. Les galères subsisteront jusqu’au milieu du XVIIIe
siècle en Méditerranée, jusqu’au début du XIXe siècle en Baltique, en raison d’une géographie côtière
faite d’archipels et de petits fonds, mais leur rôle deviendra de plus en plus marginal. Lépante, en 1571,
a été la dernière bataille décisive entre galères, elle marque la fin de plus de deux millénaires d’histoire,
puisque la première vraie bataille navale répertoriée, devant Corcyre, date de 664 avant Jésus-Christ.

L’irruption du vaisseau entraîne un bouleversement tactique fondamental : le feu se substitue au choc


comme modalité principale du combat. La mêlée va progressivement céder la place à la bataille en ligne.
L’apprentissage se fait durant les guerres anglo-hollandaises qui voient de très grandes batailles dont
certaines sont décisives : à Portland en février 1653, les Anglais perdent 2 navires, les Hollandais 9 ; à
Gabbard, en juin 1653, les Hollandais perdent 20 navires ; à Scheveningen, le 31 juillet de la même
année, les Hollandais perdent 30 vaisseaux. M.A.J. Palmer a calculé que les quatre batailles de la
première guerre anglo-hollandaise, en 1652-1653, avaient vu l’engagement de 466 navires, sur lesquels
19 (soit 4 %) avaient été coulés ou capturés. Les deux batailles de Gabbard et de Scheveningen, en 1653,
mettent en ligne 453 navires dont 50 sont perdus (soit 11 %. 22 % pour la partie hollandaise perdante). Il
s’agit là véritablement de batailles décisives. Et cela continue durant la deuxième guerre anglo-
hollandaise : les trois batailles de Lowestoft (1665), des Quatre jours (juin 1666) et du Saint-James Day
(juillet 1666) mettent en ligne 507 unités, dont 75 (soit 14,7 %) sont perdues.

Le système se détraque durant la troisième guerre anglo-hollandaise, celle que les Français appellent la
guerre de Hollande. Les quatre batailles qui se déroulent en 1672-1673 à Solebay, à Schooneveld (I et II)
et au Texel impliquent 684 navires, dont seulement 8 (soit à peine plus de 1 %) sont perdus. Cette
tendance ira en s’aggravant au XVIIIe siècle. Les batailles sur mer ne sont plus décisives. Il se produit une
sclérose, une dégénérescence de l’art de la guerre sur mer qui contraste curieusement avec le
développement de l’art militaire terrestre durant la même période.

Cette stagnation n’a pas manqué d’intriguer et diverses explications en ont été proposées. Au début du
XXe siècle, des commentateurs navals, imprégnés de l’idéologie de l’offensive, ont incriminé le manque
d’esprit offensif, et même la pusillanimité des commandants d’armée navale du XVIIIe siècle. Le livre
célèbre du lieutenant de vaisseau Castex, Les idées militaires de la marine au XVIIIe siècle, est une bonne
illustration de cette tendance qui a persisté jusqu’à nos jours. On en trouve encore l’écho dans l’histoire
de la marine de Philippe Masson, qui se livre a une critique très dure de Tourville et cite le mot célèbre
de Maurepas : " Savez-vous Messieurs ce qu’est une bataille navale ? On se rencontre, on se salue, on se
canonne et la mer n’en reste pas moins salée ".

Le propos est pittoresque, mais il n’est pas sûr qu’il permette d’épuiser la complexité de la tactique et
de la stratégie navales au XVIIIe siècle. Malheureusement, le déclin de l’histoire militaire traditionnelle
n’a pas véritablement permis de dépasser l’explication castexienne. Il semble pourtant possible de dire
que ce blocage, indiscutable, tient moins à des problèmes de personnes, voire à des blocages culturels
ou institutionnels, qu’à des problèmes purement techniques.

Raisons techniques

Le vaisseau de haut bord, on le sait, est pratiquement incoulable. Par ailleurs, la fumée dégagée par
l’artillerie est telle qu’elle interdit le plus souvent toute coordination efficace au cours du combat. Le
dispositif en ligne s’impose, non par paresse intellectuelle mais parce qu’il est le plus apte à garantir
contre les catastrophes. Nous avons du mal aujourd’hui à réaliser véritablement l’importance que
pouvait avoir, pour les deux parties en présence, de bien se positionner au vent. Si les manœuvres,
parfois fort longues, qui précèdent la bataille ont un aspect esthétique indéniable, et Michel Depeyre y
insiste avec raison dans son livre15, elles ont également une finalité tactique indiscutable.

Le constat est identique en matière stratégique. On oublie, là aussi, qu’une flotte en haute mer était
livrée à elle-même, pratiquement indétectable. Cela ne facilitait certes pas l’établissement de plans
stratégiques. Il y a là un facteur d’explication tout simple et pourtant trop souvent oublié de la
différence entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Les batailles dites décisives des guerres anglo-hollandaises se
déroulent sur le théâtre très particulier de la basse mer du Nord, avec ses multiples petits fonds qui
compliquent la manœuvre et qui aggravent considérablement la situation de la partie perdante, comme
en témoigne l’écrasante disproportion des pertes entre le vainqueur et le vaincu au Gabbard (20 à 0) ou
à Scheveningen (30 à 2). En haute mer, il n’y a pas d’obstacles pour gêner la retraite de l’armée navale
vaincue. Et, si ledit vaincu est souvent mal en point, son vainqueur, la plupart du temps, ne vaut guère
mieux. Le fait qu’un vaisseau de haut bord soit rarement coulé n’empêche pas des avaries très graves.
La poursuite est dès lors rendue difficile, d’autant qu’elle risque d’entraîner une dispersion de l’armée
qui est toujours dangereuse.

Raison conjoncturelle : l’égalisation qualitative des forces


À ce facteur géographique qui a joué un certain rôle, il faut ajouter un élément purement historique qui
a bien été mis en lumière par Jaap Bruijn. La vieille marine néerlandaise est composée de navires de
faible tonnage qui ne sont, le plus souvent, que des navires marchands réquisitionnés. Ils sont donc
largement surclassés par leurs adversaires britanniques, tant dans le domaine de l’armement que sur un
plan tactique avec des officiers insuffisamment instruits et indisciplinés. Après la désastreuse campagne
de 1653, les états généraux ordonnent la construction d’une flotte qui n’appartient plus aux armateurs
mais à l’État. L’ordre de bataille anglais est copié et la discipline est mieux respectée16. L’égalisation des
adversaires entraîne inévitablement des batailles moins décisives. Il y a là un phénomène très simple,
semblable à celui que l’on observera durant les guerres de la Révolution et de l’Empire, quand les
défaites françaises et espagnoles seront le résultat logique de la trop écrasante supériorité britannique.

Raisons logistiques

Il faut ajouter des raisons logistiques impérieuses qui limitent l’efficacité stratégique des flottes. Après
Béveziers, la flotte de Tourville n’exploite pas la victoire, et cela lui a été maintes fois reproché. Mais
faut-il incriminer un chef timoré ou l’épidémie qui décime la flotte et oblige à débarquer plusieurs
milliers de malades ? Ne faut-il pas également constater l’effet d’une faiblesse structurelle de la marine
française face à l’Angleterre, à savoir l’absence d’un bon port sur la Manche, qui rendait difficile sinon
impossible une campagne prolongée sur ce théâtre ?

Raisons sociologiques ?

On pourrait multiplier les interrogations. Il ne s’agit pas d’exonérer à tout prix les chefs militaires de
toute responsabilité. Par définition, les grands chefs militaires navals sont rares et le XVIIIe siècle en a
peut-être moins produit que d’autres époques. Un esprit plus audacieux que le comte de Toulouse
aurait tiré un meilleur parti de la première journée de combat de Velez-Malaga et un amiral plus
entreprenant que le comte d’Orvilliers n’aurait pas laisser échapper la chance qui s’offrait d’écraser la
flotte britannique inférieure à Torbay en 1781 malgré un vent peu favorable et les hésitations de son
allié espagnol.
Du côté français surtout, à un moindre degré chez les Britanniques, il faut incriminer une gérontocratie
triomphante qui voit servir des amiraux septuagénaires ou même parfois octogénaires. Étienne
Taillemite a insisté avec raison sur ce point en donnant quelques réjouissants (ou consternants)
exemples : "Ravenel, commandant la marine à Port-Louis, âgé de 80 ans, a perdu successivement la vue,
la parole, l’ouïe en partie et l’usage des jambes. On attend à chaque ordinaire la nouvelle de sa mort".
En 1778, sur 11 lieutenants-généraux, 8 sont hors d’état de commander en raison de leur âge17. On
observe le même phénomène, un peu moins fréquent, outre-Manche. Si la bataille du Cap Sicié est
indécise, cela peut-il surprendre alors que les deux adversaires approchent chacun des 80 ans ? John
Norris commande encore la Channel Fleet à 84 ans. Il est vrai que certains vieillards témoignent d’une
énergie intacte (Barham en sera le plus éclatant exemple à la fin du siècle), mais c’est l’exception plutôt
que la règle.

Cet élément d’explication est plus convaincant que l’interprétation sociologique récemment proposée
par Michel Vergé-Franceschi qui lie le caractère indécis des manœuvres du XVIIIe siècle à la fermeture
nobiliaire du grand corps18. Il suffit d’observer que cette fermeture s’observe également dans les
armées de Terre qui ne connaissent pas le même phénomène de blocage.

Les trois dimensions de la guerre sur mer

La dimension proprement militaire de la guerre sur mer revêt plusieurs formes. On peut
schématiquement en retenir trois : la guerre de côtes, les opérations combinées et enfin la guerre
d’escadres qui constitue le couronnement de l’édifice.

La guerre des côtes

c’est une dimension trop souvent sous-estimée dans la mesure où l’on se focalise sur les grands
bâtiments et leurs rencontres en haute mer. La guerre de côtes est l’affaire de bâtiments légers, elle se
caractérise par des opérations de harcèlement qui s’apparentent souvent plus au pillage ou aux coups
d’épingle qu’à des opérations militaires de grand style. Pourtant, elle revêt une importance certaine par
la fixation qu’elle entraîne chez celui qui y est confronté. La France devra immobiliser des moyens non-
négligeables pour faire face aux continuelles incursions britanniques. C’est l’un des objets de la mise sur
pied des régiments de milice. Des sommes considérables sont dépensées dans la construction de
forteresses côtières auxquelles Vauban avait consacré une grande partie de son énergie. Il n’y a
d’ailleurs pas qu’en France - dont l’infériorité face à la Grande-Bretagne est désormais un fait acquis -
que l’on observe le phénomène. Les projets de débarquement français en Angleterre, pour irréalisables
qu’ils soient, n’en déclenchent pas moins des paniques ("scares") dans une population anglaise très
sensibilisée au problème. Même s’il a une vue plus saine de la menace, le gouvernement britannique est
obligé de tenir compte de cet état d’esprit et d’affecter lui aussi des crédits à la fortification côtière.

La stratégie française n’a pas su s’adapter à cette menace. Les côtes françaises ont constamment été
exposées aux entreprises britanniques. Même si elle ne revêt pas l’ampleur et l’intensité qu’elles auront
durant les guerres de la révolution et de l’Empire, elles n’en sont pas moins gênantes.

Cela dit, les moyens que la défense des côtes absorbe ont souvent été surestimés par les chantres de la
puissance maritime qui ont suggéré que les effectifs immobilisés dans les places de côtes, les sommes
englouties dans les fortifications, auraient été plus utilement utilisés dans l’entretien d’une flotte de
haute mer. Durant la guerre de Sept Ans, les seules côtes de la Manche immobilisent 56 escadrons de
cavalerie et 134 bataillons d’infanterie. L’effectif est impressionnant mais le chiffre ne doit pas faire
oublier que les hommes et les crédits ne seront pas nécessairement interchangeables. Les miliciens ou
les garde-côtes ne font pas souvent de bons soldats et encore moins de bons marins. Quant à l’argent
dépensé dans les fortifications côtières, il n’aurait le plus souvent pas été disponible pour une autre
destination, ne serait-ce qu’en raison de la part locale que les populations concernées n’auraient jamais
versée pour une défense, sans doute plus efficace, mais invisible et lointaine.

Les opérations combinées

On a trop souvent tendance à penser que les grands débarquements sont une exclusivité de l’époque
contemporaine. Ce n’est que lors de la Seconde Guerre mondiale que les marines se sont doté de
moyens amphibies permettant de monter des opérations de débarquement de grand style contre un
ennemi fortifié. À l’époque de la marine à voile, les vaisseaux de transport sont pratiquement incapables
de mettre des corps expéditionnaires importants à terre : en dehors des ports, il faut recourir à des
chaloupes dont la capacité est ridicule, le débarquement des chevaux et des pièces d’artillerie pose des
problèmes généralement insurmontables ; le ravitaillement d’une force importante mise à terre est
également problématique.

Néanmoins, on ne manque pas d’exemples d’opérations combinées au XVIIIe siècle, c’est même l’une
des caractéristiques de la période que le lien très fort entre les opérations terrestres et les campagnes
navales. Les Français, malgré leur infériorité, ne cessent de rêver à un débarquement en Angleterre.
Durant la guerre de Succession d’Espagne, la Royal Navy, après la prise de Gibraltar, est capable de
monter une opération sur les côtes de Catalogne qui permet aux impériaux d’aller affronter directement
Philippe V (une victoire nette à Vélez-Malaga aurait évité cela). La marine française va jouer un rôle
décisif dans le sauvetage du jeune roi d’Espagne, non seulement en permettant, comme cela a déjà été
signalé, l’arrivée de l’or d’Amérique, mais aussi en soutenant directement les opérations militaires. Le
succès du cap Lizard en 1707 bloque le ravitaillement des Impériaux en Catalogne et les empêche de
poursuivre les opérations. Cassard assure le passage d’un très important convoi de ravitaillement
destiné à l’armée du duc de Vendôme en 1711. On observera le même phénomène durant la guerre
d’Indépendance américaine avec l’acheminement de convois couverts, non seulement par des divisions
d’escorte, mais parfois la totalité de la flotte. Ce sera l’une des missions essentielles de Guichen et de de
Grasse. Le souci d’assurer la sécurité des convois contribuera d’ailleurs fortement à gêner les chefs de
ces escadres et à les détourner de chercher le contact avec l’ennemi.

L’étage supérieur est constitué par les opérations combinées proprement dites, avec des
débarquements de vive force. Les guerres en Baltique en offrent plusieurs exemples. En novembre 1715,
les Danois et les Prussiens débarquent une armée de près de 20 000 hommes et 5 000 chevaux dans l’île
de Rügen grâce à une flottille de 330 bateaux. Cette opération parfaitement menée aboutit à la chute de
Stralsund au bout d’un mois. En 1719, à Marstrand, pour venir à bout de la flotte danoise réfugiée dans
un port protégé par des batteries côtières, l’amiral Tordenskjold débarque des troupes de marine qui
s’emparent des batteries et les retournent contre le port. Mais on trouve également des opérations
combinées sur les autres théâtres : rappelons simplement l’expédition de Sicile qui aboutit à la bataille
du cap Passaro en 1718 ou l’expédition contre Minorque qui provoque la bataille de Port-Mahon en
1756.

Ces opérations sont cependant relativement rares car elles se heurtent à de très grandes difficultés.
D’ordre technique tout d’abord, vu l’absence de bateaux spécialisés et les difficultés logistiques, mais
aussi d’ordre stratégique : le problème de l’articulation du commandement entre le corps
expéditionnaire terrestre et la marine est continuel. Il provoque très souvent de graves mécomptes,
particulièrement chez les Français durant les campagnes des Indes. L’Angleterre tente plusieurs
opérations de grande envergure contre les côtes françaises à Toulon en 1707, à Lorient en 1746, à Saint-
Cast en 1758. Ces opérations causent une très vive alarme dans l’opinion française mais elles ne
procurent pas de grands avantages stratégiques, tant il est difficile de se maintenir loin de ses bases
dans un pays hostile.

Cela est tellement vrai que les Britanniques n’ont jamais cru que cette stratégie périphérique suffirait à
provoquer des résultats décisifs. Liddell Hart a voulu y voir une "voie britannique de la guerre" fondée
sur le refus de l’engagement sur le continent et la mise en œuvre d’une stratégie indirecte fondée sur
l’exploitation de toutes les potentialités de la puissance maritime : soutien financier aux coalitions,
blocus de l’ennemi, harcèlement côtier. L’amiral Castex, dès les années 30, Michael Howard plus
récemment, on fait justice d’une telle légende : pour la période qui nous intéresse, il suffit de rappeler
que les soldats anglais étaient bien présents à Malplaquet, à Dettingen, à Fontenoy19.

La guerre d’escadres

C’est l’étage noble de la guerre sur mer, celui qui retient toujours l’attention. Il a déjà été largement
évoqué dans la discussion sur les causes du blocage tactique et stratégique qui caractérise le XVIIIe
siècle. On se bornera ici, pour conclure, à deux remarques.

1. Le siècle est caractérisé par un réel effort pour tenter de surmonter ce blocage. Comme dans le
domaine terrestre, la pensée navale est active. Elle est principalement le fait des Français. Les Anglais y
répugnent, à la fois par pragmatisme et parce qu’il n’incombe jamais à la puissance dominante de
chercher des solutions nouvelles qui pourraient parfois aboutir à remettre en cause sa suprématie (ce
n’est pas par aveuglement mais bien avec discernement que l’Admiralty rejette le sous-marin proposé
par Fulton). Les traités français de tactique navale sont nombreux. On ne les connaissait jusqu’à présent
que par la présentation qu’en avait faite le lieutenant de vaisseau Castex dans un livre20, méritoire pour
son époque, mais biaisé par son idéologie de l’offensive. Le sujet vient d’être entièrement renouvelé par
Michel Depeyre dans une série de travaux couronnés par un ouvrage magistral auquel on ne peut que
renvoyer. On peut cependant souligner quelques-unes des conclusions nettes qui s’en dégagent.

Le reproche de sclérose et de timidité que l’on adresse à la lignée qui part du Père Hoste (L’Art des
armées navales, 1697) pour continuer par Bigot de Morogues (Tactique navale, 1763), Bourdé de la
Villehuet (Le Manœuvrier, 1765) et arriver enfin aux penseurs de la fin de l’ancien Régime, notamment
Grenier (L’Art de la guerre sur mer et Tactique navale, 1787) et d’Amblimont (Tactique navale, 1788),
n’est pas véritablement fondé : la traversée ou la prise en enfilade de la ligne adverse n’est pas une
invention de Suffren, qui l’aurait tentée sans la réussir, ou de Rodney, qui l’aurait réussie un peu par
hasard à la bataille des Saintes. Elle a été envisagée et même recommandée depuis Hoste, avec
prudence, il est vrai, et tentée à plusieurs reprises : au combat du cap Finisterre en 1747, Hawke essaie
de doubler la ligne française par l’arrière ; la traversée de la ligne adverse est recherchée dans les
instructions de De Grasse.

Le formalisme qui caractérise tous les auteurs - même Grenier, qui substitue à la ligne un dispositif en
losange tout aussi rigide - n’est pas seulement le fait d’une formation trop axée sur la géométrie ; il est
aussi un indice de la difficulté de manier un instrument aussi complexe que les flottes de vaisseaux de
ligne.

Preuve que cet effort n’est pas vain, il est suivi dans toute l’Europe : les auteurs français sont traduits en
anglais, on le savait, mais aussi, et cela on l’ignorait, en hollandais. Hoste sera traduit, au milieu du XVIIIe
siècle, plus de 50 ans après sa parution, en danois et en russe. Il fera encore l’objet d’une traduction
grecque en 1823. L’Écossais Clerk of Eldin, devenu l’auteur du XVIIIe siècle le plus connu car présenté
comme père fondateur par l’ensemble du monde anglo-saxon, s’inspire très largement de ses
devanciers français ; lui aussi a un grand retentissement avec des traductions française, néerlandaise,
portugaise et russe.

Sur tous ces points, Michel Depeyre apporte des informations neuves. Il confirme, comme d’autres
auteurs l’ont fait pour d’autres périodes ou d’autres secteurs de l’appareil militaire, combien la pratique
se nourrit de la théorie qui l’informe et lui suggère des voies nouvelles. Le XVIIe siècle était largement
dominé par l’improvisation, par l’apprentissage d’un instrument nouveau. Le XVIIIe siècle est celui de la
rationalisation. Le problème est que, tout le monde ayant appris en même temps, il devient plus difficile
d’obtenir la décision qui ne sera redécouverte qu’à la faveur d’un bouleversement politique
fondamental.

Le maniement des flottes est incomparablement plus difficile que celui des armées, notamment en
raison de l’impossibilité d’assurer des communications permanentes. L’une des caractéristiques de la
guerre sur mer qui fait alors sentir avec le plus de force ses effets est la dilatation du théâtre
d’opérations : sur terre, on se bat en Europe, rarement dans plusieurs régions à la fois et, durant la
guerre d’Indépendance américaine, dans le coin nord-est des provinces révoltées. Sur mer, au contraire,
on se bat partout : en Méditerranée, en mer du Nord, dans l’Atlantique, en mer des Antilles... les
corsaires français s’attaquent aussi bien à la ville de Rio qu’aux comptoirs anglais de la baie d’Hudson et
Suffren conduit sa campagne des Indes coupé de toute information. Il faudra plusieurs semaines pour
que la nouvelle de la fin des hostilités lui parvienne. Dès lors, il n’y a pas lieu de s’étonner que la
coordination stratégique soit problématique. Ajoutons, en outre, qu’il n’y a pas de véritable état-major
naval. Les forces reçoivent des instructions générales qui sont vite rendues caduques par les
circonstances.

L’absence de contrôle centralisé n’empêche pas les dirigeants d’avoir une réelle perception de la
puissance maritime. La lecture de la littérature navale laisse, de ce point de vue, le lecteur sur sa faim.
L’obsession du problème tactique est telle qu’elle éclipse toute considération stratégique. Cette
dimension supérieure n’apparaît même pas en filigrane dans ces gros ouvrages focalisés sur le problème
de la conduite du combat. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de conscience de la dimension
stratégique, tant sur un plan opérationnel que pour ce que nous appelons aujourd’hui la stratégie
générale ou globale (la grande stratégie des Anglo-Saxons). Cette affirmation nécessiterait d’être étayée
par une étude systématique qui n’a encore pu être entreprise. Signalons quelques pistes : sur un plan
opérationnel, en 1745, Vernon et Anson mettent au point un système de concentration qui montre une
parfaite compréhension de ce principe sur lequel les auteurs ultérieurs insisteront avec tant de force.
Barham et Kempenfeldt entrevoient le système du blocus rapproché permanent qui ne pourra être
effectivement mis en œuvre que durant les guerres de la Révolution et de l’Empire lorsque le système
du ravitaillement à la mer sera maîtrisé. Sur un plan plus général, il existe un mémoire de Choiseul qui
définit très bien les composantes de la puissance maritime britannique et les moyens de la combattre21.
Le XVIIe siècle est véritablement une époque charnière dans laquelle l’art de la guerre cesse d’être une
suite d’expédients et d’improvisations pour devenir systématique. La stratégie terrestre amorce cette
mutation à laquelle la stratégie maritime s’adapte avec plus de retard et de difficulté mais de manière
parfaitement perceptible.

La dimension économique : la guerre des communications

Concernant les communications, on ne peut s’empêcher de remarquer à quel point les campagnes
maritimes du XVIIIe siècle sont dominées par le souci de protéger le commerce : l’énumération des
rencontres franco-britanniques faite dans le premier chapitre montre qu’un certain nombre ont été
commandées par le souci de sauver un convoi. Les convois ne sont pas une invention de Nelson comme
on le contera souvent par la suite : ils existent depuis l’Antiquité et le procédé est parfaitement au point
dans la période qui nous occupe. Simplement, comme à toutes les époques, il est employé plus ou
moins tôt dans la guerre, avec plus ou moins de bonheur. Les armateurs et les capitaines marchands y
répugnent naturellement car les convois impliquent une discipline de navigation, source de lenteur et
donc de surcoûts. Il faut attendre qu’il y ait suffisamment de navires réunis pour former un convoi - d’où
retard à l’appareillage - et il faut ensuite régler sa vitesse sur le plus mauvais marcheur - d’où retard
dans la traversée. Il faut enfin décharger en même temps que les autres, à un moment qui n’est pas
toujours le meilleur - d’où dévalorisation relative de la cargaison. Beaucoup de marchands préfèrent
donc tenter la navigation isolée malgré tous les risques qu’elle comporte. Ils n’acceptent de remettre en
cause leurs habitudes du temps de paix que lorsque les pertes sont devenues insupportables et lorsque
l’État est suffisamment fort pour les y contraindre. Les Britanniques sont, à cet égard, mieux organisés et
plus disciplinés que les Français. Ceux-ci parviennent à organiser un système parfaitement rôdé durant
la guerre de Succession d’Autriche, avec, comme d’habitude, d’excellents résultats. La leçon est oubliée
lors de la guerre de Sept Ans et il s’ensuit des pertes plus lourdes. L’expérience sera utile dans la guerre
d’Indépendance américaine qui verra une organisation rapide des convois avec, là encore, d’excellents
résultats. La courbe des pertes témoigne de cette efficacité des convois : 110 navires marchands perdus
en 1778, 63 en 1779, 11 en 1780, 26 en 1781, 16 en 1782. Le XVIIIe siècle ne fait ici que confirmer une
règle vérifiable à toutes les époques : l’efficacité de la protection directe par navigation groupée et
escortée.

L’impact de cette dimension défensive de la guerre des communications ne saurait être sous-estimé.
Durant la guerre de Succession d’Espagne, ce sont les flottes de l’or qui sauvent véritablement Philippe
V et accessoirement la France en apportant des quantités d’or et d’argent sans lesquelles la
banqueroute aurait été inévitable. Le convoi de 1707 apporte 160 tonnes d’or à Brest. Après le désastre
de Vigo qui coûte 8 millions de livres aux Franco-Espagnols, Philippe V peut verser une indemnité de 4,5
millions à Louis XIV. En ces temps de budget étique, il ne s’agit pas d’une compensation symbolique.

La focalisation sur les batailles, moment paroxystique de la guerre sur mer, commune tant aux
stratégistes qu’aux historiens, a longtemps fait oublier cette réalité. L’impact d’une bataille se mesure
moins en termes de vaisseaux perdus (dimension purement tactique) que dans ses conséquences sur la
liberté de navigation (dimension stratégique). Rappelons simplement l’exemple bien connu de la bataille
de l’océan livrée par Villaret-Joyeuse en 1794. Les Anglais l’appellent le Glorious First June parce qu’ils y
prirent ou y détruisirent 7 vaisseaux de l’escadre de Villaret-Joyeuse. On fit des feux de joie dans les rues
et des services d’action de grâce à Westminster. Il s’agissait là, en fait, d’une opération de propagande
destinée à faire oublier un échec retentissant : la flotte britannique était sortie pour intercepter un
immense convoi de 117 navires parti des États-Unis avec des produits divers (surtout alimentaires) et
dont la France révolutionnaire, étranglée économiquement, avait le plus grand besoin. La Convention a
ordonné à l’escadre de Brest de sortir, malgré son évidente impréparation, parce que l’arrivée de ce
convoi était perçue comme vitale et qu’il fallait accepter le risque d’une bataille. L’escadre britannique
est restée maîtresse du champ de bataille, mais elle a ramené très peu de prisonniers et les vaisseaux
qu’elle a capturés étaient dans un tel état qu’ils étaient tout juste bons à la démolition. Surtout elle avait
été, elle aussi, passablement malmenée et elle dut rentrer au port. Le convoi put ainsi arriver
tranquillement, non seulement sans aucune perte mais encore grossi d’une trentaine de bâtiments
marchands, ennemis ou neutres, capturés durant la traversée. L’avantage stratégique reste à la France.
À côté de cette dimension défensive, il y a une dimension offensive qui est aujourd’hui sous-estimée.
Une mythologie a longtemps entouré les figures des grands corsaires. Elle a entraîné, par un logique
choc en retour, une dévalorisation récente : aujourd’hui, on met plutôt l’accent sur les pourcentages
très faibles de pertes britanniques par rapport au volume total du commerce. C’est indiscutable. Mais la
critique méconnaît la nature de la guerre de course. Certes, celle-ci ne produit (jusqu’à l’époque
contemporaine, avec l’avénement du sous-marin et de l’avion qui entraîne un changement de nature)
pas de résultat décisif. Elle n’en constitue pas moins un appoint particulièrement intéressant pour celui
qui conteste la suprématie de la puissance dominante. La course, par définition, ne coûte pas cher aux
finances royales et les bénéfices qu’elle procure, s’ils sont marginaux, n’en sont pas pour autant
négligeables. Duguay-Trouin rafle 16 vaisseaux et plus de 300 navires marchands. Le chevalier de Saint-
Pol-Hécourt, disciple de Jean Bart, porte quelques coups sévères à la navigation en mer du Nord : en
1704, il capture 150 navires de pêche anglais, un vaisseau et plusieurs marchands en avril, un vaisseau et
6 marchands en mai, 3 vaisseaux et 11 marchands en octobre. Jacques Cassard, figure trop méconnue,
porte les coups les plus rudes à la puissance britannique : sa campagne de 1708 coûte près de 50
millions de livres aux Britanniques ; ses campagnes de 1712 et 1713 causent des dégâts immenses aux
établissements anglais et hollandais des Antilles : plus de 30 millions de livres de dégâts. À la Grenade en
1779, 30 marchands anglais sont pris. En 1782, Lamotte-Picquet s’empare du convoi de Saint-Eustache,
faisant d’un seul coup 22 prises.

Certes, on peut soutenir que les 900 marchands anglais capturés durant la guerre d’Indépendance
américaine ne représentent qu’une infime partie du total. Mais il ne s’agit que d’une évaluation a
posteriori, que nous qualifierions aujourd’hui de "macro-économique". Ces pertes sont d’autant plus
durement ressenties qu’elles ne surviennent pas de manière régulière, à doses homéopathiques. La
perte d’un convoi ou d’un comptoir peut précipiter la ruine d’un ou de plusieurs armateurs, enclenchant
les classiques conséquences financières sur l’ensemble de la City. On a des témoignages sur la panique
qui a saisi plusieurs fois celle-ci au déclenchement des hostilités ou après des coups durs22. En outre, il
faut tenir compte des habituels effets induits : le risque représenté par les corsaires oblige à la
formation de convois, avec les désagréments déjà signalés, il entraîne une hausse des primes
d’assurance, oblige à affecter à la protection des communications des moyens (frégates et vaisseaux
pour l’escorte des convois et la chasse aux corsaires) qui pourraient être utilement employés ailleurs. Il y
a là un système complexe que la théorie stratégique a insuffisamment mis en valeur23 et dont les
historiens ont manifestement du mal à saisir toute la portée.

Daniel Dessert passe complètement à côté de cette réalité : durant les guerres du XVIIIe siècle, il y a eu
une succession de batailles dans l’Atlantique pour les communications maritimes et la marine française
a réussi à remplir honorablement son rôle. Elle a, à maintes reprises, assuré le maintien de
communications vitales. Si son bilan tactique est discutable pour des raisons multiples dont on n’a pas
fini de débattre (insuffisance du commandement, indiscipline des officiers, hésitations ou
inconséquence du gouvernement…), le bilan stratégique est loin d’être négatif.
Patrick Villiers s’est davantage approché de la réalité dans ses travaux sur la guerre d’Indépendance
américaine. Il a mis en lumière une vérité longtemps occultée et qui peut paraître paradoxale : après la
désastreuse bataille des Saintes, la maîtrise de la mer des Antilles devrait être britannique. En fait, la
flotte de Rodney a souffert presque autant que l’escadre française vaincue. Elle doit rentrer en Europe,
laissant le champ libre aux corsaires français qui déploient une activité maximale en 1782-1783. Les
dégâts sont considérables et la City fait pression sur le gouvernement britannique pour qu’il mette fin le
plus vite possible aux hostilités24. Encore un exemple de dissociation entre la dimension tactique et la
dimension stratégique.

La dimension politique

Il faut encore souligner un aspect négligé par les historiens modernistes alors qu’il est, au contraire, très
bien étudié pour la période contemporaine : la dimension politique des flottes. Dimension symbolique
en tant que manifestation de la puissance. Dimension active en tant qu’instrument diplomatique.
Signalons simplement quelques exemples fournis par la Grande-Bretagne25 : en 1735, le soutien au
Portugal contre les velléités espagnoles, manifesté par l’envoi d’une division navale à l’entrée du Tage,
exemple classique de diplomatie coopérative ; en 1742, une démonstration au large de Naples qui
dissuade les souverains napolitains d’abandonner l’alliance britannique, exemple type de diplomatie
coercitive. En 1770, l’affaire des Malouines entre la Grande-Bretagne et l’Espagne donne lieu à des
déploiements d’intimidation, tout comme la crise du Nookta Sound vingt ans plus tard. La diplomatie
navale n’est pas l’exclusivité de la marine de l’époque contemporaine et l’on s’étonne qu’elle n’ait fait
l’objet d’aucune étude systématique (il y aurait là un beau sujet de thèse).

**

Avec les moyens et concepts dont nous disposons aujourd’hui, il est facile de réécrire l’histoire et de
dénoncer le caractère timoré de tel ou tel chef ou de tel ou tel plan et de dire ce qu’il aurait fallu faire.
Nous perdons trop vite de vue les immenses difficultés auxquelles se heurtaient les hommes du temps
avec une information discontinue, des équipages décimés par les épidémies, un ravitaillement qui
n’arrivait pas à suivre, une poudre qui dégageait une telle fumée qu’elle empêchait de suivre
correctement le déroulement du combat... La saine critique ne consiste pas à décrier ceux qui ont
essayé d’agir mais à évaluer dans quelle mesure ils ont su tirer parti des moyens disponibles. Les
blocages que nous discernons trop vite, dans la guerre sur mer au XVIIIe siècle, n’en étaient pas
nécessairement pour les hommes du temps. Mais de longues recherches seront encore nécessaires
avant d’avoir une vision compréhensive, dans tous les sens du terme, de ce système terriblement
complexe dont cette esquisse n’a pu donner qu’un très faible aperçu.

Notes:

13 On doit cependant signaler quelques travaux récents qui marquent un progrès notable en direction
de l’alliance de l’histoire économique et de l’histoire militaire. En France, les travaux de Jean Meyer et
de ses élèves ; en Grande-Bretagne, il faut surtout lire l’extraordinaire synthèse de Paul Kennedy, The
Rise and Fall of British Naval Mastery, Londres, Macmillan, 1976.

14 M.A.J. Palmer, “The “ Military Revolution ” Afloat : the Era of the Anglo-Dutch Wars and the
Transition to Modern Warfare at Sea”, War in History, vol. 4, n° 2, avril 1997, pp. 123-149.

15 Michel Depeyre, Tactique et stratégie navales de la France et de la Grande-Bretagne 1690-1880, à


paraître chez Économica.

16 Jaap R. Bruijin, The Dutch Navy of the Seventeenth and Eighteenth Centuries, University of South
Carolina Press, 1993.

17 Étienne Taillemite, L’histoire ignorée de la marine française, Paris, Perrin, 1988, pp. 165-175.

18 Michel Vergé-Franceschi, La marine au XVIIIe siècle, Paris, Sedes, 1997.


19 Amiral Castex, Théories stratégiques, tome V, 1935, réédition Paris, Économica, 1997 et Michael
Howard, “The British Way of Warfare reconsidered” dans son recueil d’articles, Restraints on War, 1982.

20 Lieutenant de vaisseau Raoul Castex, Les idées militaires de la marine au XVIIIe siècle, Paris, Fournier,
1908.

21 Ce texte ne peut être cité ici puisqu’il m’a été communiqué par Bernard Lutun qui n’a pas encore
soutenu sa thèse sur la marine française à l’époque de Choiseul, thèse qui devrait être riche d’aperçus
nouveaux.

22 Témoignage de Burke cité dans H.W. Richmond, Seapower in the Modern World, Londres, Bell, 1934,
p. 152.

23 Pour une première approche, largement insuffisante, cf. Hervé Coutau-Bégarie, La puissance
maritime, Paris, Fayard, 1985.

24 Patrick Villiers, “Convois et corsaires dans l’Atlantique pendant la guerre d’Indépendance des États-
Unis d’Amérique”, Revue historique, janvier-mars 1976. Cf. aussi la très intéressante réévaluation de
Geoffrey Symcox, The Crisis of French Seapower, 1688-1697, from the “guerre d’escadre” to the “guerre
de course”, La Haye, Martinus Nijhoff, 1974.

25 Jeremy Black et Philip Woodfine (ed.), The British Navy and the Use of Naval Power in the Eighteenth
Century, Leicester University Press, 1988, passim.

Chapitre Deuxième : Les dimensions de la guerre sur mer au XVIIIe siècle

Il importe de revenir à une appréciation plus nuancée et surtout plus globale de la guerre sur mer au
XVIIIe siècle. Il faut dépasser la fixation sur les batailles navales et sur le nombre de vaisseaux coulés.
Ce qui importe, c’est moins le résultat tactique immédiat que les conséquences stratégiques à plus long
terme. La mer n’a d’intérêt que par les fonctions qu’elle remplit en tant que source de richesses (pêche)
et surtout en tant que voie de communication. Le maître de la mer n’est pas nécessairement celui qui
vient de remporter un succès tactique, mais c’est celui qui fait naviguer librement son commerce et qui
interdit à l’autre de faire passer le sien sans pertes excessives ou qui soutient efficacement ses
opérations terrestres. C’est dans cet esprit qu’il faut évaluer les campagnes du XVIIIe siècle. Le travail est
à faire presque entièrement13. On peut simplement suggérer ici quelques pistes.

Les DIMENSIONS MILITAIRES

De la révolution à la sclérose de la tactique navale

Au XVIIe siècle, s’est produite une révolution navale qui a vu la substitution du vaisseau à la galère
comme instrument privilégié du combat sur mer14. Les galères subsisteront jusqu’au milieu du XVIIIe
siècle en Méditerranée, jusqu’au début du XIXe siècle en Baltique, en raison d’une géographie côtière
faite d’archipels et de petits fonds, mais leur rôle deviendra de plus en plus marginal. Lépante, en 1571,
a été la dernière bataille décisive entre galères, elle marque la fin de plus de deux millénaires d’histoire,
puisque la première vraie bataille navale répertoriée, devant Corcyre, date de 664 avant Jésus-Christ.

L’irruption du vaisseau entraîne un bouleversement tactique fondamental : le feu se substitue au choc


comme modalité principale du combat. La mêlée va progressivement céder la place à la bataille en ligne.
L’apprentissage se fait durant les guerres anglo-hollandaises qui voient de très grandes batailles dont
certaines sont décisives : à Portland en février 1653, les Anglais perdent 2 navires, les Hollandais 9 ; à
Gabbard, en juin 1653, les Hollandais perdent 20 navires ; à Scheveningen, le 31 juillet de la même
année, les Hollandais perdent 30 vaisseaux. M.A.J. Palmer a calculé que les quatre batailles de la
première guerre anglo-hollandaise, en 1652-1653, avaient vu l’engagement de 466 navires, sur lesquels
19 (soit 4 %) avaient été coulés ou capturés. Les deux batailles de Gabbard et de Scheveningen, en 1653,
mettent en ligne 453 navires dont 50 sont perdus (soit 11 %. 22 % pour la partie hollandaise perdante). Il
s’agit là véritablement de batailles décisives. Et cela continue durant la deuxième guerre anglo-
hollandaise : les trois batailles de Lowestoft (1665), des Quatre jours (juin 1666) et du Saint-James Day
(juillet 1666) mettent en ligne 507 unités, dont 75 (soit 14,7 %) sont perdues.

Le système se détraque durant la troisième guerre anglo-hollandaise, celle que les Français appellent la
guerre de Hollande. Les quatre batailles qui se déroulent en 1672-1673 à Solebay, à Schooneveld (I et II)
et au Texel impliquent 684 navires, dont seulement 8 (soit à peine plus de 1 %) sont perdus. Cette
tendance ira en s’aggravant au XVIIIe siècle. Les batailles sur mer ne sont plus décisives. Il se produit une
sclérose, une dégénérescence de l’art de la guerre sur mer qui contraste curieusement avec le
développement de l’art militaire terrestre durant la même période.

Cette stagnation n’a pas manqué d’intriguer et diverses explications en ont été proposées. Au début du
XXe siècle, des commentateurs navals, imprégnés de l’idéologie de l’offensive, ont incriminé le manque
d’esprit offensif, et même la pusillanimité des commandants d’armée navale du XVIIIe siècle. Le livre
célèbre du lieutenant de vaisseau Castex, Les idées militaires de la marine au XVIIIe siècle, est une bonne
illustration de cette tendance qui a persisté jusqu’à nos jours. On en trouve encore l’écho dans l’histoire
de la marine de Philippe Masson, qui se livre a une critique très dure de Tourville et cite le mot célèbre
de Maurepas : " Savez-vous Messieurs ce qu’est une bataille navale ? On se rencontre, on se salue, on se
canonne et la mer n’en reste pas moins salée ".

Le propos est pittoresque, mais il n’est pas sûr qu’il permette d’épuiser la complexité de la tactique et
de la stratégie navales au XVIIIe siècle. Malheureusement, le déclin de l’histoire militaire traditionnelle
n’a pas véritablement permis de dépasser l’explication castexienne. Il semble pourtant possible de dire
que ce blocage, indiscutable, tient moins à des problèmes de personnes, voire à des blocages culturels
ou institutionnels, qu’à des problèmes purement techniques.

Raisons techniques

Le vaisseau de haut bord, on le sait, est pratiquement incoulable. Par ailleurs, la fumée dégagée par
l’artillerie est telle qu’elle interdit le plus souvent toute coordination efficace au cours du combat. Le
dispositif en ligne s’impose, non par paresse intellectuelle mais parce qu’il est le plus apte à garantir
contre les catastrophes. Nous avons du mal aujourd’hui à réaliser véritablement l’importance que
pouvait avoir, pour les deux parties en présence, de bien se positionner au vent. Si les manœuvres,
parfois fort longues, qui précèdent la bataille ont un aspect esthétique indéniable, et Michel Depeyre y
insiste avec raison dans son livre15, elles ont également une finalité tactique indiscutable.

Le constat est identique en matière stratégique. On oublie, là aussi, qu’une flotte en haute mer était
livrée à elle-même, pratiquement indétectable. Cela ne facilitait certes pas l’établissement de plans
stratégiques. Il y a là un facteur d’explication tout simple et pourtant trop souvent oublié de la
différence entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Les batailles dites décisives des guerres anglo-hollandaises se
déroulent sur le théâtre très particulier de la basse mer du Nord, avec ses multiples petits fonds qui
compliquent la manœuvre et qui aggravent considérablement la situation de la partie perdante, comme
en témoigne l’écrasante disproportion des pertes entre le vainqueur et le vaincu au Gabbard (20 à 0) ou
à Scheveningen (30 à 2). En haute mer, il n’y a pas d’obstacles pour gêner la retraite de l’armée navale
vaincue. Et, si ledit vaincu est souvent mal en point, son vainqueur, la plupart du temps, ne vaut guère
mieux. Le fait qu’un vaisseau de haut bord soit rarement coulé n’empêche pas des avaries très graves.
La poursuite est dès lors rendue difficile, d’autant qu’elle risque d’entraîner une dispersion de l’armée
qui est toujours dangereuse.

Raison conjoncturelle : l’égalisation qualitative des forces

À ce facteur géographique qui a joué un certain rôle, il faut ajouter un élément purement historique qui
a bien été mis en lumière par Jaap Bruijn. La vieille marine néerlandaise est composée de navires de
faible tonnage qui ne sont, le plus souvent, que des navires marchands réquisitionnés. Ils sont donc
largement surclassés par leurs adversaires britanniques, tant dans le domaine de l’armement que sur un
plan tactique avec des officiers insuffisamment instruits et indisciplinés. Après la désastreuse campagne
de 1653, les états généraux ordonnent la construction d’une flotte qui n’appartient plus aux armateurs
mais à l’État. L’ordre de bataille anglais est copié et la discipline est mieux respectée16. L’égalisation des
adversaires entraîne inévitablement des batailles moins décisives. Il y a là un phénomène très simple,
semblable à celui que l’on observera durant les guerres de la Révolution et de l’Empire, quand les
défaites françaises et espagnoles seront le résultat logique de la trop écrasante supériorité britannique.

Raisons logistiques
Il faut ajouter des raisons logistiques impérieuses qui limitent l’efficacité stratégique des flottes. Après
Béveziers, la flotte de Tourville n’exploite pas la victoire, et cela lui a été maintes fois reproché. Mais
faut-il incriminer un chef timoré ou l’épidémie qui décime la flotte et oblige à débarquer plusieurs
milliers de malades ? Ne faut-il pas également constater l’effet d’une faiblesse structurelle de la marine
française face à l’Angleterre, à savoir l’absence d’un bon port sur la Manche, qui rendait difficile sinon
impossible une campagne prolongée sur ce théâtre ?

Raisons sociologiques ?

On pourrait multiplier les interrogations. Il ne s’agit pas d’exonérer à tout prix les chefs militaires de
toute responsabilité. Par définition, les grands chefs militaires navals sont rares et le XVIIIe siècle en a
peut-être moins produit que d’autres époques. Un esprit plus audacieux que le comte de Toulouse
aurait tiré un meilleur parti de la première journée de combat de Velez-Malaga et un amiral plus
entreprenant que le comte d’Orvilliers n’aurait pas laisser échapper la chance qui s’offrait d’écraser la
flotte britannique inférieure à Torbay en 1781 malgré un vent peu favorable et les hésitations de son
allié espagnol.

Du côté français surtout, à un moindre degré chez les Britanniques, il faut incriminer une gérontocratie
triomphante qui voit servir des amiraux septuagénaires ou même parfois octogénaires. Étienne
Taillemite a insisté avec raison sur ce point en donnant quelques réjouissants (ou consternants)
exemples : "Ravenel, commandant la marine à Port-Louis, âgé de 80 ans, a perdu successivement la vue,
la parole, l’ouïe en partie et l’usage des jambes. On attend à chaque ordinaire la nouvelle de sa mort".
En 1778, sur 11 lieutenants-généraux, 8 sont hors d’état de commander en raison de leur âge17. On
observe le même phénomène, un peu moins fréquent, outre-Manche. Si la bataille du Cap Sicié est
indécise, cela peut-il surprendre alors que les deux adversaires approchent chacun des 80 ans ? John
Norris commande encore la Channel Fleet à 84 ans. Il est vrai que certains vieillards témoignent d’une
énergie intacte (Barham en sera le plus éclatant exemple à la fin du siècle), mais c’est l’exception plutôt
que la règle.
Cet élément d’explication est plus convaincant que l’interprétation sociologique récemment proposée
par Michel Vergé-Franceschi qui lie le caractère indécis des manœuvres du XVIIIe siècle à la fermeture
nobiliaire du grand corps18. Il suffit d’observer que cette fermeture s’observe également dans les
armées de Terre qui ne connaissent pas le même phénomène de blocage.

Les trois dimensions de la guerre sur mer

La dimension proprement militaire de la guerre sur mer revêt plusieurs formes. On peut
schématiquement en retenir trois : la guerre de côtes, les opérations combinées et enfin la guerre
d’escadres qui constitue le couronnement de l’édifice.

La guerre des côtes

c’est une dimension trop souvent sous-estimée dans la mesure où l’on se focalise sur les grands
bâtiments et leurs rencontres en haute mer. La guerre de côtes est l’affaire de bâtiments légers, elle se
caractérise par des opérations de harcèlement qui s’apparentent souvent plus au pillage ou aux coups
d’épingle qu’à des opérations militaires de grand style. Pourtant, elle revêt une importance certaine par
la fixation qu’elle entraîne chez celui qui y est confronté. La France devra immobiliser des moyens non-
négligeables pour faire face aux continuelles incursions britanniques. C’est l’un des objets de la mise sur
pied des régiments de milice. Des sommes considérables sont dépensées dans la construction de
forteresses côtières auxquelles Vauban avait consacré une grande partie de son énergie. Il n’y a
d’ailleurs pas qu’en France - dont l’infériorité face à la Grande-Bretagne est désormais un fait acquis -
que l’on observe le phénomène. Les projets de débarquement français en Angleterre, pour irréalisables
qu’ils soient, n’en déclenchent pas moins des paniques ("scares") dans une population anglaise très
sensibilisée au problème. Même s’il a une vue plus saine de la menace, le gouvernement britannique est
obligé de tenir compte de cet état d’esprit et d’affecter lui aussi des crédits à la fortification côtière.
La stratégie française n’a pas su s’adapter à cette menace. Les côtes françaises ont constamment été
exposées aux entreprises britanniques. Même si elle ne revêt pas l’ampleur et l’intensité qu’elles auront
durant les guerres de la révolution et de l’Empire, elles n’en sont pas moins gênantes.

Cela dit, les moyens que la défense des côtes absorbe ont souvent été surestimés par les chantres de la
puissance maritime qui ont suggéré que les effectifs immobilisés dans les places de côtes, les sommes
englouties dans les fortifications, auraient été plus utilement utilisés dans l’entretien d’une flotte de
haute mer. Durant la guerre de Sept Ans, les seules côtes de la Manche immobilisent 56 escadrons de
cavalerie et 134 bataillons d’infanterie. L’effectif est impressionnant mais le chiffre ne doit pas faire
oublier que les hommes et les crédits ne seront pas nécessairement interchangeables. Les miliciens ou
les garde-côtes ne font pas souvent de bons soldats et encore moins de bons marins. Quant à l’argent
dépensé dans les fortifications côtières, il n’aurait le plus souvent pas été disponible pour une autre
destination, ne serait-ce qu’en raison de la part locale que les populations concernées n’auraient jamais
versée pour une défense, sans doute plus efficace, mais invisible et lointaine.

Les opérations combinées

On a trop souvent tendance à penser que les grands débarquements sont une exclusivité de l’époque
contemporaine. Ce n’est que lors de la Seconde Guerre mondiale que les marines se sont doté de
moyens amphibies permettant de monter des opérations de débarquement de grand style contre un
ennemi fortifié. À l’époque de la marine à voile, les vaisseaux de transport sont pratiquement incapables
de mettre des corps expéditionnaires importants à terre : en dehors des ports, il faut recourir à des
chaloupes dont la capacité est ridicule, le débarquement des chevaux et des pièces d’artillerie pose des
problèmes généralement insurmontables ; le ravitaillement d’une force importante mise à terre est
également problématique.

Néanmoins, on ne manque pas d’exemples d’opérations combinées au XVIIIe siècle, c’est même l’une
des caractéristiques de la période que le lien très fort entre les opérations terrestres et les campagnes
navales. Les Français, malgré leur infériorité, ne cessent de rêver à un débarquement en Angleterre.
Durant la guerre de Succession d’Espagne, la Royal Navy, après la prise de Gibraltar, est capable de
monter une opération sur les côtes de Catalogne qui permet aux impériaux d’aller affronter directement
Philippe V (une victoire nette à Vélez-Malaga aurait évité cela). La marine française va jouer un rôle
décisif dans le sauvetage du jeune roi d’Espagne, non seulement en permettant, comme cela a déjà été
signalé, l’arrivée de l’or d’Amérique, mais aussi en soutenant directement les opérations militaires. Le
succès du cap Lizard en 1707 bloque le ravitaillement des Impériaux en Catalogne et les empêche de
poursuivre les opérations. Cassard assure le passage d’un très important convoi de ravitaillement
destiné à l’armée du duc de Vendôme en 1711. On observera le même phénomène durant la guerre
d’Indépendance américaine avec l’acheminement de convois couverts, non seulement par des divisions
d’escorte, mais parfois la totalité de la flotte. Ce sera l’une des missions essentielles de Guichen et de de
Grasse. Le souci d’assurer la sécurité des convois contribuera d’ailleurs fortement à gêner les chefs de
ces escadres et à les détourner de chercher le contact avec l’ennemi.

L’étage supérieur est constitué par les opérations combinées proprement dites, avec des
débarquements de vive force. Les guerres en Baltique en offrent plusieurs exemples. En novembre 1715,
les Danois et les Prussiens débarquent une armée de près de 20 000 hommes et 5 000 chevaux dans l’île
de Rügen grâce à une flottille de 330 bateaux. Cette opération parfaitement menée aboutit à la chute de
Stralsund au bout d’un mois. En 1719, à Marstrand, pour venir à bout de la flotte danoise réfugiée dans
un port protégé par des batteries côtières, l’amiral Tordenskjold débarque des troupes de marine qui
s’emparent des batteries et les retournent contre le port. Mais on trouve également des opérations
combinées sur les autres théâtres : rappelons simplement l’expédition de Sicile qui aboutit à la bataille
du cap Passaro en 1718 ou l’expédition contre Minorque qui provoque la bataille de Port-Mahon en
1756.

Ces opérations sont cependant relativement rares car elles se heurtent à de très grandes difficultés.
D’ordre technique tout d’abord, vu l’absence de bateaux spécialisés et les difficultés logistiques, mais
aussi d’ordre stratégique : le problème de l’articulation du commandement entre le corps
expéditionnaire terrestre et la marine est continuel. Il provoque très souvent de graves mécomptes,
particulièrement chez les Français durant les campagnes des Indes. L’Angleterre tente plusieurs
opérations de grande envergure contre les côtes françaises à Toulon en 1707, à Lorient en 1746, à Saint-
Cast en 1758. Ces opérations causent une très vive alarme dans l’opinion française mais elles ne
procurent pas de grands avantages stratégiques, tant il est difficile de se maintenir loin de ses bases
dans un pays hostile.

Cela est tellement vrai que les Britanniques n’ont jamais cru que cette stratégie périphérique suffirait à
provoquer des résultats décisifs. Liddell Hart a voulu y voir une "voie britannique de la guerre" fondée
sur le refus de l’engagement sur le continent et la mise en œuvre d’une stratégie indirecte fondée sur
l’exploitation de toutes les potentialités de la puissance maritime : soutien financier aux coalitions,
blocus de l’ennemi, harcèlement côtier. L’amiral Castex, dès les années 30, Michael Howard plus
récemment, on fait justice d’une telle légende : pour la période qui nous intéresse, il suffit de rappeler
que les soldats anglais étaient bien présents à Malplaquet, à Dettingen, à Fontenoy19.
La guerre d’escadres

C’est l’étage noble de la guerre sur mer, celui qui retient toujours l’attention. Il a déjà été largement
évoqué dans la discussion sur les causes du blocage tactique et stratégique qui caractérise le XVIIIe
siècle. On se bornera ici, pour conclure, à deux remarques.

1. Le siècle est caractérisé par un réel effort pour tenter de surmonter ce blocage. Comme dans le
domaine terrestre, la pensée navale est active. Elle est principalement le fait des Français. Les Anglais y
répugnent, à la fois par pragmatisme et parce qu’il n’incombe jamais à la puissance dominante de
chercher des solutions nouvelles qui pourraient parfois aboutir à remettre en cause sa suprématie (ce
n’est pas par aveuglement mais bien avec discernement que l’Admiralty rejette le sous-marin proposé
par Fulton). Les traités français de tactique navale sont nombreux. On ne les connaissait jusqu’à présent
que par la présentation qu’en avait faite le lieutenant de vaisseau Castex dans un livre20, méritoire pour
son époque, mais biaisé par son idéologie de l’offensive. Le sujet vient d’être entièrement renouvelé par
Michel Depeyre dans une série de travaux couronnés par un ouvrage magistral auquel on ne peut que
renvoyer. On peut cependant souligner quelques-unes des conclusions nettes qui s’en dégagent.

Le reproche de sclérose et de timidité que l’on adresse à la lignée qui part du Père Hoste (L’Art des
armées navales, 1697) pour continuer par Bigot de Morogues (Tactique navale, 1763), Bourdé de la
Villehuet (Le Manœuvrier, 1765) et arriver enfin aux penseurs de la fin de l’ancien Régime, notamment
Grenier (L’Art de la guerre sur mer et Tactique navale, 1787) et d’Amblimont (Tactique navale, 1788),
n’est pas véritablement fondé : la traversée ou la prise en enfilade de la ligne adverse n’est pas une
invention de Suffren, qui l’aurait tentée sans la réussir, ou de Rodney, qui l’aurait réussie un peu par
hasard à la bataille des Saintes. Elle a été envisagée et même recommandée depuis Hoste, avec
prudence, il est vrai, et tentée à plusieurs reprises : au combat du cap Finisterre en 1747, Hawke essaie
de doubler la ligne française par l’arrière ; la traversée de la ligne adverse est recherchée dans les
instructions de De Grasse.

Le formalisme qui caractérise tous les auteurs - même Grenier, qui substitue à la ligne un dispositif en
losange tout aussi rigide - n’est pas seulement le fait d’une formation trop axée sur la géométrie ; il est
aussi un indice de la difficulté de manier un instrument aussi complexe que les flottes de vaisseaux de
ligne.

Preuve que cet effort n’est pas vain, il est suivi dans toute l’Europe : les auteurs français sont traduits en
anglais, on le savait, mais aussi, et cela on l’ignorait, en hollandais. Hoste sera traduit, au milieu du XVIIIe
siècle, plus de 50 ans après sa parution, en danois et en russe. Il fera encore l’objet d’une traduction
grecque en 1823. L’Écossais Clerk of Eldin, devenu l’auteur du XVIIIe siècle le plus connu car présenté
comme père fondateur par l’ensemble du monde anglo-saxon, s’inspire très largement de ses
devanciers français ; lui aussi a un grand retentissement avec des traductions française, néerlandaise,
portugaise et russe.

Sur tous ces points, Michel Depeyre apporte des informations neuves. Il confirme, comme d’autres
auteurs l’ont fait pour d’autres périodes ou d’autres secteurs de l’appareil militaire, combien la pratique
se nourrit de la théorie qui l’informe et lui suggère des voies nouvelles. Le XVIIe siècle était largement
dominé par l’improvisation, par l’apprentissage d’un instrument nouveau. Le XVIIIe siècle est celui de la
rationalisation. Le problème est que, tout le monde ayant appris en même temps, il devient plus difficile
d’obtenir la décision qui ne sera redécouverte qu’à la faveur d’un bouleversement politique
fondamental.

Le maniement des flottes est incomparablement plus difficile que celui des armées, notamment en
raison de l’impossibilité d’assurer des communications permanentes. L’une des caractéristiques de la
guerre sur mer qui fait alors sentir avec le plus de force ses effets est la dilatation du théâtre
d’opérations : sur terre, on se bat en Europe, rarement dans plusieurs régions à la fois et, durant la
guerre d’Indépendance américaine, dans le coin nord-est des provinces révoltées. Sur mer, au contraire,
on se bat partout : en Méditerranée, en mer du Nord, dans l’Atlantique, en mer des Antilles... les
corsaires français s’attaquent aussi bien à la ville de Rio qu’aux comptoirs anglais de la baie d’Hudson et
Suffren conduit sa campagne des Indes coupé de toute information. Il faudra plusieurs semaines pour
que la nouvelle de la fin des hostilités lui parvienne. Dès lors, il n’y a pas lieu de s’étonner que la
coordination stratégique soit problématique. Ajoutons, en outre, qu’il n’y a pas de véritable état-major
naval. Les forces reçoivent des instructions générales qui sont vite rendues caduques par les
circonstances.

L’absence de contrôle centralisé n’empêche pas les dirigeants d’avoir une réelle perception de la
puissance maritime. La lecture de la littérature navale laisse, de ce point de vue, le lecteur sur sa faim.
L’obsession du problème tactique est telle qu’elle éclipse toute considération stratégique. Cette
dimension supérieure n’apparaît même pas en filigrane dans ces gros ouvrages focalisés sur le problème
de la conduite du combat. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de conscience de la dimension
stratégique, tant sur un plan opérationnel que pour ce que nous appelons aujourd’hui la stratégie
générale ou globale (la grande stratégie des Anglo-Saxons). Cette affirmation nécessiterait d’être étayée
par une étude systématique qui n’a encore pu être entreprise. Signalons quelques pistes : sur un plan
opérationnel, en 1745, Vernon et Anson mettent au point un système de concentration qui montre une
parfaite compréhension de ce principe sur lequel les auteurs ultérieurs insisteront avec tant de force.
Barham et Kempenfeldt entrevoient le système du blocus rapproché permanent qui ne pourra être
effectivement mis en œuvre que durant les guerres de la Révolution et de l’Empire lorsque le système
du ravitaillement à la mer sera maîtrisé. Sur un plan plus général, il existe un mémoire de Choiseul qui
définit très bien les composantes de la puissance maritime britannique et les moyens de la combattre21.
Le XVIIe siècle est véritablement une époque charnière dans laquelle l’art de la guerre cesse d’être une
suite d’expédients et d’improvisations pour devenir systématique. La stratégie terrestre amorce cette
mutation à laquelle la stratégie maritime s’adapte avec plus de retard et de difficulté mais de manière
parfaitement perceptible.

La dimension économique : la guerre des communications

Concernant les communications, on ne peut s’empêcher de remarquer à quel point les campagnes
maritimes du XVIIIe siècle sont dominées par le souci de protéger le commerce : l’énumération des
rencontres franco-britanniques faite dans le premier chapitre montre qu’un certain nombre ont été
commandées par le souci de sauver un convoi. Les convois ne sont pas une invention de Nelson comme
on le contera souvent par la suite : ils existent depuis l’Antiquité et le procédé est parfaitement au point
dans la période qui nous occupe. Simplement, comme à toutes les époques, il est employé plus ou
moins tôt dans la guerre, avec plus ou moins de bonheur. Les armateurs et les capitaines marchands y
répugnent naturellement car les convois impliquent une discipline de navigation, source de lenteur et
donc de surcoûts. Il faut attendre qu’il y ait suffisamment de navires réunis pour former un convoi - d’où
retard à l’appareillage - et il faut ensuite régler sa vitesse sur le plus mauvais marcheur - d’où retard
dans la traversée. Il faut enfin décharger en même temps que les autres, à un moment qui n’est pas
toujours le meilleur - d’où dévalorisation relative de la cargaison. Beaucoup de marchands préfèrent
donc tenter la navigation isolée malgré tous les risques qu’elle comporte. Ils n’acceptent de remettre en
cause leurs habitudes du temps de paix que lorsque les pertes sont devenues insupportables et lorsque
l’État est suffisamment fort pour les y contraindre. Les Britanniques sont, à cet égard, mieux organisés et
plus disciplinés que les Français. Ceux-ci parviennent à organiser un système parfaitement rôdé durant
la guerre de Succession d’Autriche, avec, comme d’habitude, d’excellents résultats. La leçon est oubliée
lors de la guerre de Sept Ans et il s’ensuit des pertes plus lourdes. L’expérience sera utile dans la guerre
d’Indépendance américaine qui verra une organisation rapide des convois avec, là encore, d’excellents
résultats. La courbe des pertes témoigne de cette efficacité des convois : 110 navires marchands perdus
en 1778, 63 en 1779, 11 en 1780, 26 en 1781, 16 en 1782. Le XVIIIe siècle ne fait ici que confirmer une
règle vérifiable à toutes les époques : l’efficacité de la protection directe par navigation groupée et
escortée.

L’impact de cette dimension défensive de la guerre des communications ne saurait être sous-estimé.
Durant la guerre de Succession d’Espagne, ce sont les flottes de l’or qui sauvent véritablement Philippe
V et accessoirement la France en apportant des quantités d’or et d’argent sans lesquelles la
banqueroute aurait été inévitable. Le convoi de 1707 apporte 160 tonnes d’or à Brest. Après le désastre
de Vigo qui coûte 8 millions de livres aux Franco-Espagnols, Philippe V peut verser une indemnité de 4,5
millions à Louis XIV. En ces temps de budget étique, il ne s’agit pas d’une compensation symbolique.

La focalisation sur les batailles, moment paroxystique de la guerre sur mer, commune tant aux
stratégistes qu’aux historiens, a longtemps fait oublier cette réalité. L’impact d’une bataille se mesure
moins en termes de vaisseaux perdus (dimension purement tactique) que dans ses conséquences sur la
liberté de navigation (dimension stratégique). Rappelons simplement l’exemple bien connu de la bataille
de l’océan livrée par Villaret-Joyeuse en 1794. Les Anglais l’appellent le Glorious First June parce qu’ils y
prirent ou y détruisirent 7 vaisseaux de l’escadre de Villaret-Joyeuse. On fit des feux de joie dans les rues
et des services d’action de grâce à Westminster. Il s’agissait là, en fait, d’une opération de propagande
destinée à faire oublier un échec retentissant : la flotte britannique était sortie pour intercepter un
immense convoi de 117 navires parti des États-Unis avec des produits divers (surtout alimentaires) et
dont la France révolutionnaire, étranglée économiquement, avait le plus grand besoin. La Convention a
ordonné à l’escadre de Brest de sortir, malgré son évidente impréparation, parce que l’arrivée de ce
convoi était perçue comme vitale et qu’il fallait accepter le risque d’une bataille. L’escadre britannique
est restée maîtresse du champ de bataille, mais elle a ramené très peu de prisonniers et les vaisseaux
qu’elle a capturés étaient dans un tel état qu’ils étaient tout juste bons à la démolition. Surtout elle avait
été, elle aussi, passablement malmenée et elle dut rentrer au port. Le convoi put ainsi arriver
tranquillement, non seulement sans aucune perte mais encore grossi d’une trentaine de bâtiments
marchands, ennemis ou neutres, capturés durant la traversée. L’avantage stratégique reste à la France.

À côté de cette dimension défensive, il y a une dimension offensive qui est aujourd’hui sous-estimée.
Une mythologie a longtemps entouré les figures des grands corsaires. Elle a entraîné, par un logique
choc en retour, une dévalorisation récente : aujourd’hui, on met plutôt l’accent sur les pourcentages
très faibles de pertes britanniques par rapport au volume total du commerce. C’est indiscutable. Mais la
critique méconnaît la nature de la guerre de course. Certes, celle-ci ne produit (jusqu’à l’époque
contemporaine, avec l’avénement du sous-marin et de l’avion qui entraîne un changement de nature)
pas de résultat décisif. Elle n’en constitue pas moins un appoint particulièrement intéressant pour celui
qui conteste la suprématie de la puissance dominante. La course, par définition, ne coûte pas cher aux
finances royales et les bénéfices qu’elle procure, s’ils sont marginaux, n’en sont pas pour autant
négligeables. Duguay-Trouin rafle 16 vaisseaux et plus de 300 navires marchands. Le chevalier de Saint-
Pol-Hécourt, disciple de Jean Bart, porte quelques coups sévères à la navigation en mer du Nord : en
1704, il capture 150 navires de pêche anglais, un vaisseau et plusieurs marchands en avril, un vaisseau et
6 marchands en mai, 3 vaisseaux et 11 marchands en octobre. Jacques Cassard, figure trop méconnue,
porte les coups les plus rudes à la puissance britannique : sa campagne de 1708 coûte près de 50
millions de livres aux Britanniques ; ses campagnes de 1712 et 1713 causent des dégâts immenses aux
établissements anglais et hollandais des Antilles : plus de 30 millions de livres de dégâts. À la Grenade en
1779, 30 marchands anglais sont pris. En 1782, Lamotte-Picquet s’empare du convoi de Saint-Eustache,
faisant d’un seul coup 22 prises.

Certes, on peut soutenir que les 900 marchands anglais capturés durant la guerre d’Indépendance
américaine ne représentent qu’une infime partie du total. Mais il ne s’agit que d’une évaluation a
posteriori, que nous qualifierions aujourd’hui de "macro-économique". Ces pertes sont d’autant plus
durement ressenties qu’elles ne surviennent pas de manière régulière, à doses homéopathiques. La
perte d’un convoi ou d’un comptoir peut précipiter la ruine d’un ou de plusieurs armateurs, enclenchant
les classiques conséquences financières sur l’ensemble de la City. On a des témoignages sur la panique
qui a saisi plusieurs fois celle-ci au déclenchement des hostilités ou après des coups durs22. En outre, il
faut tenir compte des habituels effets induits : le risque représenté par les corsaires oblige à la
formation de convois, avec les désagréments déjà signalés, il entraîne une hausse des primes
d’assurance, oblige à affecter à la protection des communications des moyens (frégates et vaisseaux
pour l’escorte des convois et la chasse aux corsaires) qui pourraient être utilement employés ailleurs. Il y
a là un système complexe que la théorie stratégique a insuffisamment mis en valeur23 et dont les
historiens ont manifestement du mal à saisir toute la portée.

Daniel Dessert passe complètement à côté de cette réalité : durant les guerres du XVIIIe siècle, il y a eu
une succession de batailles dans l’Atlantique pour les communications maritimes et la marine française
a réussi à remplir honorablement son rôle. Elle a, à maintes reprises, assuré le maintien de
communications vitales. Si son bilan tactique est discutable pour des raisons multiples dont on n’a pas
fini de débattre (insuffisance du commandement, indiscipline des officiers, hésitations ou
inconséquence du gouvernement…), le bilan stratégique est loin d’être négatif.

Patrick Villiers s’est davantage approché de la réalité dans ses travaux sur la guerre d’Indépendance
américaine. Il a mis en lumière une vérité longtemps occultée et qui peut paraître paradoxale : après la
désastreuse bataille des Saintes, la maîtrise de la mer des Antilles devrait être britannique. En fait, la
flotte de Rodney a souffert presque autant que l’escadre française vaincue. Elle doit rentrer en Europe,
laissant le champ libre aux corsaires français qui déploient une activité maximale en 1782-1783. Les
dégâts sont considérables et la City fait pression sur le gouvernement britannique pour qu’il mette fin le
plus vite possible aux hostilités24. Encore un exemple de dissociation entre la dimension tactique et la
dimension stratégique.
La dimension politique

Il faut encore souligner un aspect négligé par les historiens modernistes alors qu’il est, au contraire, très
bien étudié pour la période contemporaine : la dimension politique des flottes. Dimension symbolique
en tant que manifestation de la puissance. Dimension active en tant qu’instrument diplomatique.
Signalons simplement quelques exemples fournis par la Grande-Bretagne25 : en 1735, le soutien au
Portugal contre les velléités espagnoles, manifesté par l’envoi d’une division navale à l’entrée du Tage,
exemple classique de diplomatie coopérative ; en 1742, une démonstration au large de Naples qui
dissuade les souverains napolitains d’abandonner l’alliance britannique, exemple type de diplomatie
coercitive. En 1770, l’affaire des Malouines entre la Grande-Bretagne et l’Espagne donne lieu à des
déploiements d’intimidation, tout comme la crise du Nookta Sound vingt ans plus tard. La diplomatie
navale n’est pas l’exclusivité de la marine de l’époque contemporaine et l’on s’étonne qu’elle n’ait fait
l’objet d’aucune étude systématique (il y aurait là un beau sujet de thèse).

**

Avec les moyens et concepts dont nous disposons aujourd’hui, il est facile de réécrire l’histoire et de
dénoncer le caractère timoré de tel ou tel chef ou de tel ou tel plan et de dire ce qu’il aurait fallu faire.
Nous perdons trop vite de vue les immenses difficultés auxquelles se heurtaient les hommes du temps
avec une information discontinue, des équipages décimés par les épidémies, un ravitaillement qui
n’arrivait pas à suivre, une poudre qui dégageait une telle fumée qu’elle empêchait de suivre
correctement le déroulement du combat... La saine critique ne consiste pas à décrier ceux qui ont
essayé d’agir mais à évaluer dans quelle mesure ils ont su tirer parti des moyens disponibles. Les
blocages que nous discernons trop vite, dans la guerre sur mer au XVIIIe siècle, n’en étaient pas
nécessairement pour les hommes du temps. Mais de longues recherches seront encore nécessaires
avant d’avoir une vision compréhensive, dans tous les sens du terme, de ce système terriblement
complexe dont cette esquisse n’a pu donner qu’un très faible aperçu.
Notes:

13 On doit cependant signaler quelques travaux récents qui marquent un progrès notable en direction
de l’alliance de l’histoire économique et de l’histoire militaire. En France, les travaux de Jean Meyer et
de ses élèves ; en Grande-Bretagne, il faut surtout lire l’extraordinaire synthèse de Paul Kennedy, The
Rise and Fall of British Naval Mastery, Londres, Macmillan, 1976.

14 M.A.J. Palmer, “The “ Military Revolution ” Afloat : the Era of the Anglo-Dutch Wars and the
Transition to Modern Warfare at Sea”, War in History, vol. 4, n° 2, avril 1997, pp. 123-149.

15 Michel Depeyre, Tactique et stratégie navales de la France et de la Grande-Bretagne 1690-1880, à


paraître chez Économica.

16 Jaap R. Bruijin, The Dutch Navy of the Seventeenth and Eighteenth Centuries, University of South
Carolina Press, 1993.

17 Étienne Taillemite, L’histoire ignorée de la marine française, Paris, Perrin, 1988, pp. 165-175.

18 Michel Vergé-Franceschi, La marine au XVIIIe siècle, Paris, Sedes, 1997.

19 Amiral Castex, Théories stratégiques, tome V, 1935, réédition Paris, Économica, 1997 et Michael
Howard, “The British Way of Warfare reconsidered” dans son recueil d’articles, Restraints on War, 1982.

20 Lieutenant de vaisseau Raoul Castex, Les idées militaires de la marine au XVIIIe siècle, Paris, Fournier,
1908.
21 Ce texte ne peut être cité ici puisqu’il m’a été communiqué par Bernard Lutun qui n’a pas encore
soutenu sa thèse sur la marine française à l’époque de Choiseul, thèse qui devrait être riche d’aperçus
nouveaux.

22 Témoignage de Burke cité dans H.W. Richmond, Seapower in the Modern World, Londres, Bell, 1934,
p. 152.

23 Pour une première approche, largement insuffisante, cf. Hervé Coutau-Bégarie, La puissance
maritime, Paris, Fayard, 1985.

24 Patrick Villiers, “Convois et corsaires dans l’Atlantique pendant la guerre d’Indépendance des États-
Unis d’Amérique”, Revue historique, janvier-mars 1976. Cf. aussi la très intéressante réévaluation de
Geoffrey Symcox, The Crisis of French Seapower, 1688-1697, from the “guerre d’escadre” to the “guerre
de course”, La Haye, Martinus Nijhoff, 1974.

25 Jeremy Black et Philip Woodfine (ed.), The British Navy and the Use of Naval Power in the Eighteenth
Century, Leicester University Press, 1988, passim.

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