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Ali Farid Belkadi est archéologue et historien. En 2011, il a lancé une pétition pour
le rapatriement des crânes de résistants algériens, tués par l’armée coloniale, dans
les années 1840 et 1850, qu’il venait de retrouver au Musée de l’Homme à Paris.
Début décembre, le président français Emmanuel Macron, en visite à Alger, s’est
engagé à restituer ces crânes à l’Algérie.
C’est au cours d’un travail de recherche documentaire lié à mon domaine que j’ai
découvert l’existence d’un personnage qui allait me mener vers le Muséum
d’Histoire Naturelle de Paris. Il s’agit de Victor Reboud, un médecin-major dans
les bataillons de Tirailleurs algériens, qui s’est beaucoup investi dans
l’antiquité. Outre sa profession de botaniste, il se forma à l’étude des stèles
libyques, en faisant de l’ombre à d’autres savants de l’époque dont l’abbé Jean-
Baptiste Chabot.
À l’époque, l’Algérie était une école de guerre pour les soldats français. C’est vers
cette époque que V. Reboud deviendra collectionneur d’ossements algériens. Il était
en contact avec un autre amateur de têtes décapitées, le docteur Edmond Vital, qui
était le directeur de l’hôpital de Constantine. C’est Victor-Constant Reboud qui fit
parvenir au muséum de Paris les restes mortuaires des principaux chefs de la
résistance. Il le dit dans une lettre publiée dans la Revue Africaine. Le Dr Reboud
qui s’affairait à clouer la caisse contenant les têtes de résistants algériens, avant leur
l’envoi au Muséum de Paris, demanda au frère du Dr Vital qui venait de décéder : «
S’il pouvait enrichir l’envoi de quelques crânes intéressants ». René Vital répondit :
« Prenez donc tout ce que mon frère a laissé, vous y trouverez des têtes de gueux
célèbres, et vous ferez le bonheur de mes servantes, qui n’osent monter au galetas,
parce que l’une de ces têtes a conservé ses chairs fraîches, et que malgré la poudre
de charbon dans laquelle elle est depuis de nombreuses années, elle répand une
odeur sui generis… ».
C’est ainsi que les travaux sur l’antiquité m’ont mené jusqu’au Muséum de Paris.
Tous les chemins mènent à Rome. C’est à partir de ce moment-là que j’ai décidé de
faire des recherches sur ces restes, une vingtaine d’entre eux sont envoyés par
Reboud au Muséum de Paris. Sur cette vingtaine de crânes, appartenant à la
collection Vital, seul six parmi eux ont été retrouvés au Muséum de Paris, ce sont
les ossements des principaux chefs de la résistance.
C’est ainsi que les ossements des résistants algériens à la colonisation, furent
envoyés en France, où ils sont considérés jusqu’à nos jours comme faisant partie
du patrimoine culturel inaliénable français.
On retrouve parmi ces crânes algériens, qui s’élèvent au nombre de 68, ceux des
principaux chefs de la résistance, Boubaghla, Al-Titraoui, Al-Hamadi, cheikh
Bouziane des Zaatcha, Moussa Al-Darkaoui, Boukedida de Tébessa, d’autres
encore. Parfois de simples anonymes. Un fœtus dans un bocal. La tête d’une jolie
petite fille de 7 à 8 ans, selon une lettre de l’époque, fut expédiée au Muséum de
Paris dans du formol. Parmi les têtes figure celle d’un jeune guerrier de la tribu des
Hadjout, des environs d’Alger, tué le 7 mars 1839. Il était âgé de 17 ans.
Dès le début, au mois de mars 2011, les responsables du Muséum m’ont informé
des conduites à suivre pour le rapatriement des ossements. Cela me fut confirmé
quelques mois plus tard par la sénatrice Catherine Morin-Desailly qui s’était
occupé de la restitution des têtes Maoris à la Nouvelle-Zélande.
J’ai rencontré à Paris Mme Catherine Morin-Desailly, qui est par ailleurs l’auteure
avec plusieurs de ses collègues, d’un texte déposé au Sénat le 22 février 2008, qui
visait à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-
Zélande.
Forte de son expérience, elle m’a affirmé qu’il ne servirait à rien de lancer des
pétitions. Que les choses devaient se faire autrement. Il y a trois solutions pour
rapatrier en Algérie les têtes algériennes : 1) Faire une demande de restitution des
restes mortuaires sous couvert d’une association genre 1901, comme le firent les
Maoris. 2) La famille, c’est-à-dire la descendance dûment reconnue et identifiée
peut également faire la demande de restitution aux autorités françaises. Et enfin 3)
ce sont les autorités algériennes qui doivent se charger officiellement de cette
demande. Il n’y a pas d’autre solution.
C’est la raison pour laquelle j’ai renoncé à ma pétition de 2012, alors que je venais
de la lancer quelques jours auparavant. Ce n’est pas un manque de signataires qui
m’a fait abandonner cette solution, contrairement à ce qui est affabulé ici et là.
C’est la marche à suivre qui n’était pas la bonne, suivant les recommandations de la
sénatrice Catherine Morin-Desailly.
Les pétitions, cela ne marche pas. Il s’agit d’une démarche décousue et naïve,
sachant qu’en France qui est un état de droit, il y a la force des lois. En Algérie, un
homme politique peut offrir sur un coup de tête un bien national, comme ce fut le
cas de la pierre de l’Oued Djerrat qui se trouve actuellement dans le même muséum
à Paris. Cette pierre à laquelle les Touaregs tenaient beaucoup par superstition,
selon eux, elle était censée amener la pluie, fut gracieusement cédée par Ahmed
Taleb Al-Ibrahimi à Henri Lhotte, comme s’il s’agissait de son bien personnel.
L’histoire aura d’autres grands hommes pour vedettes et non plus l’émir
Abdelkader seul. Le récit véridique de notre histoire doit s’écrire humblement et
objectivement et non plus seulement à l’aide de la plume des lobbyistes, des
panégyristes et des flatteurs. Il y a d’autres émirs, d’autres sultans et d’autres
princes.
Une simple image est toujours plus efficace qu’un texte ou un long discours. C’est
la raison pour laquelle j’ai rendu publiques les photographies que j’avais prises au
Muséum de Paris, en les diffusant sur tous les supports que la technologie a mis à
ma disposition, Facebook, Twitter, mon blog (effacé depuis quelques semaines)
ainsi qu’une série d’articles que j’ai écrits dans les journaux.
Mes photos publiées sans crédit photo ont été reprises, généralement sans mon
accord, j’ai laissé faire pour la bonne cause. C’est ainsi que j’ai pu toucher le plus
grand nombre. Mais ce n’est pas encore fini, l’avilissement et la honte ne cesseront
pas de planer sur les épaules des décideurs tant qu’il restera un seul crâne algérien
au Muséum de Paris.