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Revue d'histoire des sciences

Comment on concevait et on traitait la paralysie en Occident dans le


haut Moyen Age.
M Pierre André Sigal

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Sigal Pierre André. Comment on concevait et on traitait la paralysie en Occident dans le haut Moyen Age.. In: Revue d'histoire
des sciences, tome 24, n°3, 1971. pp. 193-211;

doi : 10.3406/rhs.1971.3210

http://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1971_num_24_3_3210

Document généré le 18/05/2016


Comment on concevait

et on traitait la paralysie en Occident

dans le Haut Moyen Age (Ve-XIIe siècles) n

La période médiévale est l'une des plus mal connues en ce qui


concerne l'histoire de la médecine. La raison principale, évidente
dès le premier abord, en est le manque de documents, mais il s'y
ajoute le fait que beaucoup d'historiens se sont intéressés jusqu'ici
davantage à l'histoire des médecins qu'à celle de la médecine et
des maladies. L'histoire de la médecine médiévale en Occident
reste encore à faire et surtout celle du Haut Moyen Age. En effet,
si l'on est assez bien renseigné sur l'essor des écoles de médecine à
partir du хше siècle, sur l'enseignement qu'on y donnait et sur
les grandes personnalités de la médecine de la fin du Moyen Age, les
siècles qui précèdent forment la période obscure, celle que l'on
caractérise par le terme dédaigneux de « médecine des moines »
et sur laquelle les historiens passent très rapidement (1). Pourtant
les documents ne sont pas entièrement absents et une recherche
attentive permet d'en retrouver au moins deux catégories.
Il y a d'abord les documents proprement médicaux, c'est-à-dire
les manuscrits de médecine dont deux catalogues récents nous
donnent une liste très pratique pour la période antérieure au

(*) Ce texte est le développement d'une communication présentée à la Société


d'Histoire de la Médecine de Montpellier le 20 juin 1970.
(1) Ainsi le Dr David Reisman, auteur d'un ouvrage intitulé pourtant The story
of medicine in the Middle Ages (New York, 1935) ne consacre aux sept siècles du Haut
Moyen Age qu'un court chapitre de 10 pages. Nous disposons heureusement de deux
études plus récentes et mieux documentées sur cette période : Loren С Mac Kinney,
Early Medieval medicine with special reference to France and Chartres, Baltimore, 1937,
et Jacques Tribalet, Histoire médicale de Chartres jusqu'au XIIe siècle, Paris, 1936.
Ces deux ouvrages sont cependant loin d'épuiser le sujet.
T. XXIV. — 1971 13
194 revue d'histoire des sciences

хие siècle (1). Ces manuscrits nous donnent en général des


descriptions anatomiques sommaires, des conseils thérapeutiques et des
listes de remèdes, mais ils ne nous renseignent pas sur la pratique
quotidienne de la médecine et sur les maladies dont souffrait la
population de l'époque.
Sur ces derniers points, une deuxième catégorie de sources
nous apporte des renseignements précieux : il s'agit des très
nombreux recueils de miracles réunis par de pieux hagiographes pour
célébrer la grandeur et les vertus d'un saint. Une bonne partie
de ces miracles sont des guérisons obtenues par l'intervention du
saint et pour bien montrer le caractère miraculeux de ces guérisons,
les pèlerins, et après eux les hagiographes, décrivent les maladies
dont ils souffraient auparavant et souvent aussi la façon dont ils
ont été guéris. L'intérêt de ces documents pour l'histoire de la
médecine est passé à peu près inaperçu jusqu'à ce jour,
probablement à cause du caractère légendaire attribué à ces récits (2).
Il est évident que ces descriptions sont souvent sommaires et faites
en termes bien peu scientifiques. De plus les malades ont tendance
parfois à exagérer leurs maux pour mieux faire ressortir le caractère
surnaturel de la guérison quand ils croient qu'elle a eu lieu et la
valeur de leur témoignage, plus ou moins déformé d'ailleurs par le
caractère oral de la transmission jusqu'à l'auteur du recueil, n'est
pas toujours suffisante. Ces témoignages n'en reflètent pas moins
la conception des maladies que l'on avait à l'époque et constituent

(1) Augusto Beccaria, / codici di medicína del periodo presalernitano (secolo IX,
X, XI), Roma, 1956, et Ernest Wickersheimer, Les manuscrits latins de médecine du
haut Moyen Age dans les bibliothèques de France, Paris, Editions duC.N.R.S., 1966. Ces
manuscrits recopient ou résument la plupart du temps les œuvres des médecins de
l'Antiquité. Au xne siècle, en particulier à Salerne, des traités plus originaux furent
élaborés. L'un des plus connus est la Praclica Brevis attribuée à Johannes Platearius.
L'édition utilisée ici est celle publiée à Lyon en 1525. Il y a eu au xne siècle deux célèbres
médecins salernitains appelés Platearius : Johannes et Matthaeus, probablement de la
même famille. On attribue en général la Pralica Brevis à Johannes, tandis que Matthaeus
est considéré comme l'auteur du Liber de simplici medicína, utilisé également pour cet
article.
(2) II faut pourtant citer deux études pionnières : F. Vercauteren, Les médecins
dans les principautés de Belgique et du nord de la France du vine au xine siècle, Le
Moyen Age, 1951, nos 3-4, pp. 61-92 ; et E. Wickersheimer, Les guérisons
miraculeuses du cardinal Pierre de Luxembourg, 1387-1390, Comptes rendus du IIe Congrès
International de l'Histoire de la Médecine, Evreux, 1922. A noter également le chapitre
plein d'intérêt consacré par Juan Uria à l'aspect médical du pèlerinage à Saint-Jacques-
de-Compostelle dans l'ouvrage collectif de L. Vasquez de Parga, J. M. Laccara et
J. Uria, Las peregrinaciones a Santiago de Compostela, Madrid, 1948, 3 vol.
P. -A. SIGAL. LA PARALYSIE EN OCCIDENT (ve-XIIe S.) 195

à ce titre un document de valeur pour l'étude de la mentalité


médiévale. Certaines descriptions sont, d'autre part, assez précises
et correspondent à des maladies réelles que l'on peut diagnostiquer
aujourd'hui de façon rétrospective. C'est le cas des paralysies qui
reviennent très souvent dans les récits de miracles et qui feront
précisément l'objet de cette étude (1).

I. — La conception médiévale de la paralysie

Les idées à ce sujet semblent directement inspirées par les


doctrines de l'Antiquité, essentiellement celles d'Hippocrate, de
Galien, de Soranos d'Ephèse, car les traductions de l'arabe ont été
assez tardives dans le domaine médical (au plus tôt fin du xie siècle)

(1) L'essentiel de la documentation utilisée concerne les xie et xne siècles, période
très riche en recueils de miracles et que j'étudie par ailleurs dans le cadre d'une thèse
de doctorat. Les recueils utilisés sont les suivants : Miracles de saint Benoit à l'abbaye
de Fleury-sur-Loire (du ixe au xiie siècle), édités par E. de Certain, Paris, 1858 ;
Miracles de saint Vulfran à l'abbaye de Saint- Wandrille (deuxième moitié du xie siècle),
édités en partie par Dom J. Laporte, « Société d'Histoire de Normandie », Mélanges,
14e série, 1938, pp. 21-83, et en partie parles Ada Sanctorum, Société des Bollandistes,
Anvers-Bruxelles, depuis 1643 (cet ouvrage sera désigné désormais par le sigle AASS),
mars, t. III, pp. 150-161 ; Miracles de saint Aubert de Cambrai (xie-xne siècles), Ana-
lecta Bollandiana, t. XIX, 1900, pp. 198-212 ; Miracles de saint Onen à Rouen (deuxième
moitié du xie siècle), AASS, août, t. IV, pp. 826-839, et Analecta Bollandiana, t. XX,
1901, pp. 169-176 ; Miracles de saint Adalard de Corbie (deuxième moitié du xie siècle),
Migne, Patrologie latine, t. XLVIII, col. 1064-1074 ; Miracles du Précieux Sang à
l'église de la Trinité de Fécamp (fin du xie et début du xne siècle), publiés par l'abbé
Sauvage, « Société d'Histoire de Normandie », Mélanges, 2e série, 1893, pp. 9-49 ;
Miracles de saint Gilles (premier tiers du xne siècle), Monumenla Germaniae Historica,
Scriptores, t. XII, pp. 316-323, et Analecta Bollandiana, t. IX, 1890, pp. 394-421 ;
Miracles de Notre-Dame de Coutances (première moitié du xne siècle), édités par E.-A.
Pigeon, Histoire de la cathédrale de Coutances, Coutances, 1876, pp. 368-383 ; Miracles
de saint Gibrien en 1145 à l'abbaye Saint- Rémi de Reims, AASS, mai, t. VII, pp. 618-
650 ; Vie de saint Gérard, fondateur de la Sauve-Majeure (vie composée dans la première
moitié du xne siècle), .AAS-S, avril, t. I, pp. 414-430 ; Miracles de saint Angilbert à
l'abbaye de Saint-Riquier (début du xne siècle), Dom J. Mabillon, Ada Sanctorum
ordinis Sancti Benedicti, t. IV, lre partie, pp. 131-145 ; Miracles de saint Aile (ou Agile)
à l'abbaye de Rebais (xne siècle), AASS, août, t. VI, pp. 587-596 ; Miracles de saint
Gilduin à l'abbaye Saint-Père de Chartres (deuxième moitié du xne siècle), Analecta
Bollandiana, t. I, 1882, pp. 154-177 ; Miracles de Notre-Dame de Rocamadour (deuxième
moitié du xne siècle), édités par le chanoine Albe, Paris, 1907 ; Vie de saint Bernard,
pénitent à Saint-Omer (fin du xne siècle), AASS, avril, t. II, pp. 674-691 ; Miracles
de saint Eloi à Noyon (fin du xne siècle), Analecta Bollandiana, t. IX, 1890, pp. 426-434.
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et leur diffusion limitée pour la période qui nous intéresse (1).


Toutefois, si les médecins ont conservé dans l'ensemble les
connaissances antiques, une conception plus simpliste et plus populaire
paraît s'être développée chez les non-spécialistes que sont les
hagiographes qui représentent pourtant le milieu cultivé de
l'époque.
Galien a remarquablement étudié, malgré certaines confusions,
la physiologie du système nerveux (2). Il sait que le cerveau est le
principe du mouvement et de la sensation et que les nerfs
transmettent l'un et l'autre aux diverses parties du corps. Il connaît
bien un certain nombre de nerfs crâniens et il a constaté par ses
expériences sur les animaux que si on sectionne un nerf dans un
membre, les parties situées au-dessous de la section perdent le
mouvement et la sensibilité tandis que celles situées au-dessus les
conservent. Lorsqu'il s'agit d'expliquer le phénomène, il a recours
à l'explication mécaniste qui consiste à faire intervenir les esprits
animaux ; les esprits animaux sont fabriqués et mis en réserve dans
le cerveau, puis sont ensuite envoyés à l'intérieur des nerfs jusqu'à
l'extrémité des membres. Si les esprits animaux ne peuvent plus
circuler dans les nerfs, soit parce que ceux-ci sont bouchés par des
humeurs trop épaisses, soit parce qu'ils sont comprimés par des
corps extérieurs tels qu'une tumeur d'une partie voisine ou des os
brisés, soit enfin parce qu'ils sont resserrés par le froid, il s'ensuit
une torpeur qui se transforme ensuite en paralysie (3).
Nous savons que ces connaissances ont été assez tôt transmises
au Moyen Age, car on retrouve dans plusieurs manuscrits de l'époque
carolingienne des résumés ou des passages entiers d'œuvres de

(1) E. Wickersheimer, op. cit., pp. 8-9. Il ne semble pas d'ailleurs que les Arabes
aient apporté de grandes nouveautés dans l'étude et le traitement de la paralysie.
(2) Sur les idées de Galien, cf. H. Vigouroux, Etude sommaire de la physiologie de
Galien, thèse de médecine de la Faculté de Montpellier, 1878.
(3) Galien, De symptomatum causis, I, édit. G. Kuhn, Galenus, opera omnia,
Leipzig, 1822-1833, vol. VII, pp. 110-111 : « Sic igitur et nervus si crassior et durior
quam pro sua nátura sit redditus, facultatis ipsius delationem oblaedet. Sane crassior
erit si vel glutinosis vel crassis alatur succis, vel violente frigore, sit stipatus. Si autem
a duro aliquo corpore illi extrinsecus occursante comprimatur, ne sic quidem liberum
facultati transitům praebebit. Proinde qui nervi laqueis vel manibus constringuntur et
qui extrinsecus ab alicujus partis vicinae phegmone vel scirrho comprimuntur et
qui aut luxatis aut fractis ossibus angustiores fiunt, omnes primo quidem torpent,
postea vero omnino sensum motumque perdunt : vocaturque ejusmodinervorum vitium
paralysis, nervorum resolutio : quae quum in eodem génère cum torpore sit, magnitudine
ab eo differt. «
P.-A. SIGAL. — LA PARALYSIE EN OCCIDENT (ve-XIIe S.) 197

Galien. En particulier, deux manuscrits du ixe siècle, l'un


provenant de l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon, l'autre de l'abbaye
d'Echternach, donnent d'après Galien la symptomatologie et
l'étiologie de la paralysie (1). Au xne siècle, Johannes Platearius
se fait l'écho, dans sa Practica brevis, des théories antiques sur la
paralysie et il en reprend les principaux aspects (2). Comme les
médecins antiques, il met en relation l'apoplexie et la paralysie et
c'est pourquoi, à la suite de Galien, la paralysie qu'il appelle générale
représente en fait l'hémiplégie (3). Il distingue toutefois des
paralysies dont la cause se trouve dans l'origine des nerfs et des
paralysies dont la cause se trouve dans le membre atteint. Quant aux
circonstances qui favorisent l'apparition de la paralysie, les médecins
antiques et médiévaux s'accordent sur l'effet de l'âge (la paralysie
atteint surtout ceux qui ont plus de 40 ou 50 ans), du froid et
enfin de l'abus de nourriture et de boisson.
Beaucoup plus naïves apparaissent les idées des hagiographes.
Certes, ils connaissent le rôle joué par les nerfs dans le mouvement
et la sensation et, dans la description des paralysies, il est très
souvent question de nerfs « contractés ». En voici un exemple parmi
beaucoup d'autres : un certain Pierre, originaire de Bordeaux, se
présente un jour à l'abbaye de la Sauve-Majeure (4) et son état est
ainsi décrit :
« Qui tibiarum et pedum nervis contractis et emortuis incurvatus, soliis manum
et genuum subsidiis more quadrupedum incedebat » (5).

Parfois, on parle de nerfs desséchés, noués ou retenus par des


liens mais plus rarement. Pourquoi les nerfs sont-ils contractés ?
Un passage des Miracles de saint Benoit nous donne une inter-

(1) Bibliothèque Nationale, Manuscrits latins n° 11218, f° 112 et v° et n° 11219,


f°« 225 v° et 226.
(2) « Paralisis est lesio partis : non tamen quelibet lesio sed ea que fit cum dimi-
nutione vel privatione sensus vel motus vel diminutione utriusque. Fit autem quan-
doque ex frigiditate constringente, quandoque ex humore opilante, vel etiam ex incisione
nervi, ex quibus causis denegatur alteri spiritui transitus ad instrumentum, et siquidem
nervi sensibiles vel motivi ex toto šunt constricti vel opilati vel incisi, ita quod nullus
spiritus dirigatur ad instrumenta fit paralisis cum privatione sensus et motus, unde
membrum fit stupidum et insensibile », Practica brevis, éd. de 1525, p. 207.
(3) « Notandum quod paralisis alia universalis, alia particularis. Universalie est,
que recte medium corporis occupât partem, particularis est que unam partem tantum
occupât ut manum, pedem, linguam vel aliud membrorum », Practica brevis, p. 207.
(4) La Sauve, arr. de Bordeaux, Gironde.
(5) Vie de saint Gérard, fondateur de la Sauve-Majeure, AASS, avril, I, p. 430,
III, § 35.
198 revue d'histoire des sciences

prétation qui diffère sensiblement de celle de Galien : à propos de


la maladie d'un paysan nommé Belin, l'auteur, le moine de l'abbaye
de Fleury-sur-Loire, Raoul Tortaire, écrit :
« Nimia membrorum vexatione fatigatus, in lectum decidit. In quo prolixioris
recubans spatio temporis, nimia vi aegritudinis arctatis venis, meatumque suum
sanguine perdente, exsiccati sunt nervi ejus, humorem irrigatione amissa » (1).

La cause de la paralysie serait donc à l'origine le retrait du


sang dans les veines entraînant une dessiccation des nerfs privés
d'irrigation.
Ici le retrait du sang est attribué à « la force de la maladie »,
mais on croyait aussi que les humeurs et le sang pouvaient se
répandre presque complètement par une plaie suintante et qui
restait longtemps ouverte. On l'appelait de façon générale fistula
ou gutta fistula et on la considérait comme une des causes de la
paralysie. C'est ce qu'indique le moine Baudoin, l'auteur des
Miracles de saint Gibrien à propos d'un jeune homme contracté :
« Qui juvenis acerbo morbo quae gutta fistula dicitur, in sinistro pede percussus
est : sed ut humorem venarum atque nervorum, foramina sedulo stillantia exhau-
serant, unde tribus annis contractus incesserat » (2).

Toute plaie suintante était plus ou moins assimilée à cette


maladie assez vaguement définie et qu'on appelait gulta. La goutte
moderne n'en est qu'un des aspects : on l'appelait gutta arthritica
ou podagra. Le lien entre la goutte et la paralysie apparaît non
seulement dans les recueils de miracles, mais aussi dans les écrits
médicaux, ce qui montre une certaine osmose entre la conception
savante et la conception populaire. Non seulement les mêmes
remèdes sont indiqués contre la goutte et la paralysie (3), mais les
deux maladies sont parfois confondues : un manuscrit du xie siècle,
provenant de l'abbaye de Saint-Ouen de Rouen, propose une potion
ad guttam sive paralisim. Le même manuscrit, un peu plus loin,
adopte carrément la conception populaire et décrit un médicament
ad gutta quae in coxa solet nervos contrahere (4).

(1) Miracles de saint Benoit, VIII, § 39, p. 342.


(2) Miracles de saint Gibrien, III, chap. 3, § 29. Dans le même recueil, on trouve
l'exemple suivant, tout aussi significatif, à propos d'une femme de la région de Châlons :
« In sinistra coxa quinque foramina habebat que jam репе totum corpus ejus exicca-
verant et omnia membra venis nervis retractis debilitaverant sed et uno crure quinque
annis contracta baculo sustenta ta incesserat », II, 1, § 11.
(3) Cf. le manuscrit 1711 de la Bibliothèque Mazarine, Paris, f° 10 v°.
(4) Manuscrit 1407 de la Bibliothèque de Rouen, f°» 124 et 12G.
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Si la cause de la paralysie est le retrait du sang dans les veines,


il est normal de penser que la guérison se produira lorsque les nerfs
desséchés seront de nouveau irrigués.
Un des témoignages les plus précis à ce sujet nous est fourni
par Grégoire de Tours, dans les Miracles de saint Martin : un enfant
originaire de la région de Sens était venu au tombeau du saint
implorer la guérison d'une main desséchée. Le quatrième jour, ses doigts
se redressent à la vue de la foule des pèlerins :
« Viditque omnis conventus plebis magnalia Dei, qualiter inficiebatur manus a
sanguine, ascendebatque gradatim per arentes venas, et ita erat manus bibula,
ut putares spongiam diu aridam lymphis injectam, sitienter haurire liquorem.
Repletis ergo venis, roboratisque nervis, ac rubescente cute pallidam manum
extulit sanatam » (1).
Non seulement le sang afflue dans les veines, mais il se répand
parfois au-dehors et cette effusion de sang, signalée dans certains
récits, est considérée comme un signe de guérison (2). Elle est
souvent attribuée au fait que les membres repliés s'étendent
brusquement, provoquant un éclatement de la peau aux jointures.
D'où peut provenir cette conception populaire de la paralysie,
évidemment très éloignée de la réalité scientifique ? Il est
vraisemblable qu'il s'agit tout simplement d'une assimilation à des
phénomènes végétaux. Tout le monde a pu constater que des
plantes privées d'eau se dessèchent, se racornissent et meurent. Si
on les coupe, on constate que la sève n'y circule plus, mais, dans
certains cas, il suffît de les arroser pour que la vie revienne et que
la sève se remette à irriguer la plante. Toujours dans le domaine
végétal, le froid et surtout le gel sont aussi des agents destructeurs.
On retrouve là la théorie galénique et il faut noter que certains
textes hagiographiques reprennent aussi cette idée. En voici un
exemple : un jeune homme est guéri à l'abbaye de Saint-Père de
Chartres de la façon suivante :
« Sequente post nocte, ita sunt languidi membra omnia calefacta prius et post
solidata » (3).

(1) Grégoire de Tours, De Virlutibus Sancti Martini, II, chap. 56, édit.
H.-L. Bordier, « Société de l'Histoire de France », Paris, 1860.
(2) Un adolescent élevé au monastère de Saint-Nicolas d'Angers guérit de la façon
suivante : « Nam nervorum quibus antea constrictus fuerat vinculis dissolutis, sangui-
nem erupisse conspeximus, qui ad terram usque per ejus suras defluens, cunctis quod
factum erat in eo sanitatis signum propalabat », Miracles de saint Nicolas ď Angers,
§ 4, Catalogue codicum hagiographicorum... in Bibliotheca Nationali Parisiensi, 1889-
1893, t. III, pp. 161-162.
(3) Miracles de saint Gilduin, § 18-19.
200 revue d'histoire des sciences

II ressort de ces quelques remarques que le haut Moyen Age


plus encore que l'Antiquité a eu des idées fort inexactes sur les
maladies du système nerveux. Cependant, quelle que soit l'origine
attribuée à la paralysie, on a essayé de la guérir et pour cela les
malades avaient recours soit à la médecine humaine, soit à la
médecine divine.

II. — Le traitement de la paralysie

La première question que l'on peut se poser est de savoir ce


que recouvrent en réalité ces mots de paralysie, de nerfs contractés,
desséchés, liés, etc. S'agit-il de paralysies réelles ou d'autres
affections ? Les ouvrages médicaux ne nous donnent que des
renseignements généraux à ce sujet, mis à part le diagnostic de
l'hémiplégie, mais heureusement les textes hagiographiques nous
fournissent des descriptions assez précises de l'état de certains malades,
ce qui permet d'établir un diagnostic.
Il faut reconnaître, dès le départ, que ce diagnostic n'est
possible que pour une minorité de cas, présentant des symptômes
précis d'atteinte du système nerveux. Sur un ensemble de seize
recueils de miracles du xie et du xne siècle recensés pour cette
étude (1), 188 cas de paralysie ont été relevés. Sur ce total, on
trouve d'abord 58 cas où le malade est simplement dit contracté
ou paralysé, mais qui peuvent très bien représenter tout autre
chose qu'une paralysie. On trouve ensuite 45 cas de monoplégie
dont l'origine n'est en général pas précisée mais où les membres
supérieurs semblent plus fréquemment touchés que les membres
inférieurs. Lorsque la main est paralysée, les doigts sont le plus
souvent repliés dans la paume à tel point que parfois les ongles,
qui continuent à pousser, pénètrent dans la chair et provoquent
une infection locale (2). A peu près aussi nombreuses sont les
paraplégies (44 cas), tandis que les tétraplégies (25 cas) et les

(1) Voir la liste au début de cet article.


(2) Exemple : Grégoire de Tours, Miracles de saint Martin, II, 56 ; il s'agit d'une
femme originaire du Poitou : « Nam haec contractis in volam digitis, unguibusque
defixis in ipsis, ut ita dicam, ossibus, tota jam manu putrefacta, venit ad sancti festi-
vitatem devota. » Cette description du vie siècle est valable aussi pour les siècles
suivants. On peut remarquer que l'hypertonie des muscles de la main se retrouve aussi
dans l'hémiplégie. Etant donné que dans cette affection le membre supérieur est toujours
plus atteint que le membre inférieur, il est possible que certaines monoplégies soient
des hémiplégies mal décrites.
P.-A. SIGAL. LA PARALYSIE EN OCCIDENT (ve-XIIe S.) 201

hémiplégies (16 cas) sont nettement plus rares. Pour ces trois
derniers cas on ne peut douter qu'il s'agisse vraiment de paralysies
à cause de la concordance de plusieurs symptômes.
C'est peut-être pour l'hémiplégie que les descriptions sont les
plus intéressantes. Voici d'abord un cas d'hémiplégie droite ; il
s'agit d'une femme adulte, ainsi caractérisée :
« Dextrum latus emortuum, bracchium cum manu aridum, coxam cum pede
uno anno et amplius contractam habebat » (1).

Parfois la paralysie des membres s'accompagne de paralysie


faciale et d'aphasie, donnant le tableau classique d'une atteinte
des voies pyramidales. Voici la description d'une jeune fille amenée
devant les reliques de saint Benoît :
«... cui malignus spiritus loquendi facultatem abstulerat et totum insuper
corpus ejus ita debilitaverat, ut nec incedere aut manum propriam ad os suum
porrigere praevalebat. Habebat etiam digitos palmae quasi conglutinatos et os
distortum et faciem totam ita deformam ut si earn videres, monstrum te non
feminam videre putares » (2).

Un autre exemple montre la position caractéristique du membre


supérieur en flexion : un tout jeune homme est amené à l'église
Notre-Dame de Coutances. Il est paralysé depuis deux ans.
« In tantum paralysi dissolutus ut sinistra manus pectori recurva haberet,
vultumque posterius et occiput in anterius gestaret » (3).

Quant à la démarche « en fauchant » de l'hémiplégique, on la


retrouve dans la description suivante (il s'agit ici d'une jeune fille
ou d'une fillette) :
« Manum aridam gestabat, pedemque habens reflexům et curvo vestigio ince-
dens, obliquos gradus formabat » (4).

Les atteintes de paraplégie sont également assez bien


caractérisées. Voici le cas d'un enfant d'environ 14 ans :
« Apud Resbacum morbo correptus, nervorum in genibus contractionem incur-
rerat, adeo ut tibiis et calcibus ad nates inflexis, toto fere corpore glomerato non
nisi scabellulis innitendo, per humum reptans, promovere se posset » (5).

(1) Miracles de saint Gibrien, I, 5, § 47.


(2) Miracles de saint Benoit, IX, § 3.
(3) Miracles de Notre-Dame de Coutances, § 5.
(4) Miracles de saint Gibrien, I, 4, § 29.
(5) Miracles de saint Aile, II, chap. 5, § 33-34.
202 revue d'histoire des sciences

Enfin les textes nous montrent aussi des cas de tétraplégie


comme le suivant qui concerne un homme adulte :
« Paralysi percussus, totoque corpore pessimo morbo infectus, omnibus mem-
bris impotens et contractus, tribus hebdomadis mansit » (1).
Ce cas présente deux caractères relativement rares : l'origine de
la paralysie est indiquée comme étant une maladie et, d'autre part,
le malade n'est atteint que depuis peu de temps. En effet, la plupart
des paralysies décrites dans les recueils de miracles sont anciennes et
remontent en général à plusieurs années. Il n'est donc pas étonnant
de constater que la forme la plus fréquente de la paralysie est la forme
spasmodique qui s'installe en général après une période de paralysie
flasque. Cette dernière forme n'est pourtant pas absente, comme le
montre l'exemple suivant qui concerne un enfant de 7 à 8 ans :
« Qui puer adeo paralysi erat dissolutus ut tremula facta essent omnia ejus
membra et velut juncturis suis non haererent, pendula prorsus et inutilia. Nam
et linguam ipsam et totam oris formám eadem passione habebat adeo occupatam
ut neque loqui posset et ipso esset horridus aspectu » (2).
Il semble donc que parmi les pèlerins qui affluaient vers les
sanctuaires médiévaux, un assez grand nombre de paralytiques se
présentaient et constataient parfois une amélioration de leur état
puisqu'ils faisaient le récit de ce qu'ils considéraient comme un
miracle. Pourtant avant de confier leur sort à la miséricorde divine,
les paralytiques pouvaient espérer guérir grâce à la médecine
humaine. Si on examine les listes de remèdes fournies par les
manuscrits de médecine du haut Moyen Age, on y trouve un
certain nombre de prescriptions contre la paralysie, mais on est
forcé de constater que ces prescriptions sont dans l'ensemble peu
nombreuses si on les compare aux remèdes concernant les affections
des voies digestives, de la peau ou de la gorge (3). On ne peut en

(1) Miracles de saint Gibrien, II, 1, § 11.


(2) Miracles de saint Gilduin, § 28.
(3) Le manuscrit de l'abbaye de Saint-Ouen de Rouen déjà cité (Bibl. de Rouen,
n° 1407) contient une liste de 481 remèdes et préparations dont la plupart sont
spécifiques contre une maladie déterminée. Si on élimine les thériaques et antidotes dont
l'usage n'est pas précisé nettement, il reste 415 remèdes. Sur ce total, les affections du
tube digestif apparaissent au premier plan dans les préoccupations thérapeutiques :
63 remèdes, puis la goutte (gutta) avec 34 remèdes. Fort bien représentés sont aussi
les remèdes contre les maladies des yeux (31 remèdes), les maladies de la peau, en
particulier la gale (28 remèdes), les affections du nez, de la gorge et des oreilles (27 remèdes).
Quant à la paralysie, elle n'est concernée que par 7 remèdes (ou 9 si on y ajoute deux
préparations pour calmer ou relâcher les nerfs). Sur ce manuscrit, voir E. Wicker-
sheimer, op. cit., pp. 159-171.
P. -A. SIGAL. LA PARALYSIE EN OCCIDENT (ve-XIIe S.) 203

conclure que les paralytiques étaient peu nombreux au Moyen Age


puisqu'on les voit au contraire affluer auprès des saints, mais il
faut plutôt supposer que la paralysie était considérée comme très
difficile à guérir si ce n'est incurable et que les médecins cherchaient
assez peu à entreprendre des cures dont le succès était très
problématique. Johannes Platearius le reconnaît d'ailleurs dans la Prac-
tica Brevis (1). Un autre indice enfin vient renforcer cette hypothèse,
c'est le fait que les hôpitaux qui se multiplient au xne siècle dans
le cadre de l'essor des mouvements charitables rejettent parfois
les paralytiques et d'autres malades contagieux ou considérés
comme incurables. Ainsi l'hôpital Saint-Jean d'Angers fondé par
le roi d'Angleterre Henri II et dont les statuts sont promulgués
vers 1200, n'admet ni les lépreux, ni les paralytiques, ni les ardents,
ni les aveugles (2).
Pourtant les médecins du haut Moyen Age proposent un
traitement à la fois interne et externe. Il faut en général commencer
par saigner le malade, puis on lui donne un purgatif après l'avoir
mis dans un lit ou un endroit chaud. On lui fait absorber à plusieurs
reprises des potions ou des pilules et il est recommandé parfois
de faire vomir le malade grâce à des vomitifs. Si les membres sont
enflés, il faut faire des scarifications, mais l'essentiel du traitement
externe consiste, après avoir réchauffé et frictionné les membres
malades, à appliquer des cataplasmes à base surtout de moutarde
et des onguents dont la composition sera étudiée un peu plus loin.
Ce traitement, inspiré de Galien, est complété dans le De Morbis
acutis et chronicis de Caelius Aurelianus par deux prescriptions
très intéressantes : d'une part des bains chauds, d'autre part la
rééducation des muscles atteints (3). Au xne siècle, Johannes

(1) « Notandum quod paralisim ex incisione nervi ex transverso factum impossibile


est curari quemadmodum et nervům impossibile est consolidait. Paralisis etiam de
qua membrum ex toto privatur sensu et motu, unde ipsum dicitur cancrinum incura-
bilis est. In sene vix curatur, in juvene adolescente curabilis est », Practica Brevis,
éd. 1525, p. 207 v°.
(2) J.-M. Bienvenu, Pauvreté, misère et charité en Anjou aux xie et xne siècles,
Le Moyen Age, 1967, n° 2, p. 212.
(3) « Oportet praeterea singulas partes in passione constitutas suis ac naturalibus
motibus admonere, ut supercilium, levando ac deponendo, palpebram concludendo ac
distinguendo, linguam producendo atque conducendo. Haec sunt aegrotantibus impe-
randa », De morbis acutis et chronicis, édition d'Amsterdam de 1709, p. 358. Pour la
paralysie de la bouche, Caelius Aurelianus recommande de donner de la cire à mastiquer,
puis des fèves, des noix et des glands ; si les doigts sont paralysés, il faut donner de la
cire à pétrir; si toute la main est prise, on donnera des haltères au malade ; enfin en cas
204 revue d'histoire des sciences

Platearius reprend la plupart de ces prescriptions : potions


purgatives, cataplasmes et onguents, bains salés et soufrés, mais il
précise le nom de certains antidotes dont l'usage est recommandé
contre la paralysie et dont on retrouve la composition dans UAnli-
dotaire Nicolas (1), le plus célèbre recueil de remèdes du xne siècle
et peut-être même de tout le Moyen Age.
Quelle était donc la composition de ces remèdes, parfois
spécialisés dans le traitement de la paralysie, mais assez souvent
polyvalents et destinés à guérir une demi-douzaine de maladies au moins,
l'idéal étant de trouver le remède universel, c'est-à-dire la panacée ?
Le point commun de ces maladies semble être leur origine : à savoir
le froid ou la trop grande abondance d'humeurs. Les médecins de
l'Antiquité et du Moyen Age rassemblent pêle-mêle dans cette
catégorie la paralysie, l'épilepsie, la goutte, la sciatique, etc.
Des recherches dans les manuscrits de médecine de l'époque
carolingienne et dans U Anlidolaire Nicolas m'ont permis de
retrouver 23 préparations pour traiter la paralysie (2). Cette recherche
ne prétend pas être exhaustive et il est possible de trouver beaucoup
d'autres recettes du même genre dans d'autres manuscrits.
Toutefois, étant donné qu'on y retrouve souvent les mêmes produits,
on peut déjà se faire une idée de leur composition et de leur action.

de paralysie des jambes : « Extensione atque conclusione exerceant eas partes, non
tamen sine suasione, qua non solum aliorum motibus exerceantur, verum etiam suis
ipsi connitantur. » Caelius Aurelianus est un médecin romain assez mal connu. On pense
généralement qu'il a vécu au ve siècle et il est surtout connu comme traducteur du
célèbre médecin grec du ne siècle Soranos d'Ephèse. Plusieurs de ses traductions ou
adaptations figurent dans un manuscrit du ixe siècle actuellement à Chartres, mais qui
proviendrait, selon certains historiens, de l'abbaye de Fleury-sur-Loire, cf. J. Tribalet,
op. cit.
(1) Ainsi l'antidote blanca (le mot semble féminin à cette époque), ainsi appelé,
car il purge les humeurs blanches, c'est-à-dire le flegme, l'antidote benedicta car il est
béni par ceux qui l'utilisent, l'antidote hierapicra dont le nom provient de sa saveur
amère. V Antidotaire Nicolas dont l'auteur serait, d'après Ludwig Choulant, le
médecin salernitain Nicolaus, aurait été écrit dans la première moitié du xne siècle. Il a été
imprimé pour la première fois à Venise en 1471. Une traduction française du xive siècle,
malheureusement incomplète, a été éditée par le Dr Paul Dorveaux, V Anlidolaire
Nicolas. Deux traductions françaises de V Anlidotarium Nicolai, l'une du XIVe siècle...
Vautre du XVe siècle..., Paris, 1896.
(2) Les manuscrits utilisés sont les suivants : Bibliothèque Nationale, manuscrits
latins n°s 7021, 11218 et 11219; Bibliothèque de la Faculté de Médecine de Montpellier,
manuscrits n° 185 (provenant de l'abbaye Saint-André de Villeneuve) et n° 382.
Egalement deux antidotaires publiés par H. Sigerist, Studien und Texte zur fruhmiltelatter-
lichen Rezeptliteratur, Leipzig, 1923, pp. 36 et 119 : l'Antidotaire de Glasgow,
probablement d'origine italienne et l'Antidotaire de Bamberg.
P. -A. SIGAL. LA PARALYSIE EN OCCIDENT (ve-XIIe S.) 205

La forme buccale semble la plus courante (15 potions et une


préparation sous forme de pilules), mais elle est le plus souvent
complétée par des applications d'onguents (7 préparations).
Toutefois, mis à part l'excipient et quelques détails de préparation
(les potions sont bues dans du vin et du miel alors que les onguents
sont mélangés avec de la graisse et de la cire), les mêmes produits
se retrouvent dans les remèdes internes et externes. Ces produits
sont dans leur très grande majorité d'origine végétale (90 %
environ). Les produits d'origine animale ne représentent que 5 % et
les substances minérales à peu près autant. Il s'agit donc
essentiellement d'une phytothérapie.
Selon les idées médicales de l'époque, les substances médicinales
étaient réparties en quatre grandes catégories : chaudes ou froides,
sèches ou humides, chacune de ces propriétés pouvant être possédée
à un degré plus ou moins grand. Or la première constatation que
l'on peut faire à propos des remèdes contre la paralysie, c'est
qu'ils appartiennent dans leur quasi-totalité à la catégorie des
substances chaudes et sèches (1). La raison de ce choix est assez
évidente : on traitait au Moyen Age chaque maladie par son
contraire. Comme la paralysie était censée provenir du froid ou
d'une surabondance d'humeurs, les substances échauffantes et
desséchantes étaient tout indiquées pour en obtenir la guérison.
Parmi les substances qui reviennent le plus souvent, il n'y en
a qu'une qui ne soit pas d'origine végétale ; c'est ce qu'on appelle
le castoreum. Il s'agit de l'extrait de la glande à musc du castor
que l'on réduisait ensuite en poudre. L'efficacité de ce castoreum
est signalée dès l'Antiquité par Dioscoride contre les maladies de
nerfs, les convulsions et la paralysie. Le Moyen Age a hérité de cette
croyance et le Liber de simplici medicína s'en fait l'écho. De même
U Anlidolaire Nicolas propose un antidote diacastoreum et des
pilulae diacastoreae, souverains entre autres contre la paralysie.
On reste sceptique aujourd'hui sur l'efficacité réelle de ce produit.
En ce qui concerne les plantes ou les substances d'origine végétale,

(1) Ces substances figurent presque toutes, avec l'indication de leurs propriétés,
dans le Liber de simplici medicína appelé aussi Circa instans et plus tard le Grand
herbier de Salerne, attribué au médecin salernitain Matthaeus Platearius. Cette
pharmacopée, l'une des plus célèbres du Moyen Age, a été rédigée au xne siècle. C'est en
fait une édition revue et très augmentée du De gradibus simplicium de Constantin
l'Africain. L'ouvrage a été imprimé dès 1488, mais l'édition utilisée ici est celle de 1525.
Une traduction française du хше siècle a été publiée par le Dr Paul Dorveaux avec un
glossaire très pratique : Le livre des simples médecines, Paris, 1913.
206 REVUE D'HISTOIRE DES SCIENCES

au premier rang vient la sauge (1), puis les euphorbes, surtout


l'euphorbe du Maroc dont on utilisait la gomme-résine, la german-
drée petit-chêne, la bétoine, le cresson, l'aristoloche longue ou
ronde, la primevère (2), le pyrèthre, le persil, l'agaric, la centaurée,
la gentiane, le laurier, la roquette, la myrrhe, l'armoniac (3), le
pavot ou l'opium, le dictame de Crète, sans compter le poivre,
présent dans presque toutes les préparations pour leur donner
du goût.
Quelle est l'action réelle de ces plantes dont on utilisait soit la
racine, soit la graine, les feuilles ou la gomme-résine ? Certaines
ont une action diurétique : la primevère, le cresson, le persil, le
laurier-rose, l'aristoloche. D'autres sont des purgatifs dont l'effet
est parfois violent : l'euphorbe, l'agaric, le pyrèthre. D'autres
enfin sont des stimulants ou des toniques : la sauge (qui possède
aussi des propriétés antisudorales et emménagogues), le dictame,
la myrrhe, la germandrée, la bétoine, la gentiane, la centaurée (le
cresson et le laurier ont aussi un effet tonique) (4). Puisqu'on
croyait qu'il s'agissait d'éliminer des humeurs superflues, il n'est
pas étonnant de retrouver ici des diurétiques et des purgatifs,
mais il faut bien reconnaître que ces remèdes étaient à peu près
inefficaces, mis à part l'effet placebo, pour guérir réellement la
paralysie. Seules deux plantes pouvaient avoir un certain effet dans
le cas d'affections cérébrales : le pavot dont l'extrait, la papavérine,
est toujours utilisé aujourd'hui, et le persil, à cause de ses propriétés
vasodilatatrices (5). Pourtant la réputation de certaines de ces

(1) Matthaeus Platearius la considère comme aussi efficace que le Casloreum,


op. cit., p. 250 v°. On la trouve employée dans 9 préparations sur 23.
(2) La primevère était tellement renommée contre la paralysie qu'on l'appelait
« l'herbe à la paralysie ». Sainte Hildegarde de Bingen qui, à côté de ses ouvrages
théologiques, a écrit deux traités médicaux, la recommande contre la paralysie, l'apoplexie,
la mélancolie.
(3) II s'agit de la gomme-résine ammoniaque tirée d'une plante de Perse, le Dorema
Ammoniacum.
(4) Sur les propriétés thérapeutiques des plantes, voir G. Garnier, L. Bezanger-
Beauquesne et G. Debraux, Ressources médicales de la flore française, Paris, 1961,
2 vol. ; Dr Henri Leclerc, Précis de phytothérapie, Paris, 4e éd., 1954 ; P. Fournier,
Le livre des plantes médicinales et vénéneuses de France, Paris, 1947-1948, 3 vol.
(5) Beaucoup d'autres plantes entraient dans la confection de l'une ou l'autre de
ces préparations, mais leurs effets sont à peu près semblables à ceux des plantes déjà
citées : la Sabine purgative et diurétique, la sarriette stomachique et stimulante, la
menthe diurétique, carminative et stomachique, la casse laxative, la scammonée,
purgatif violent, etc. Il faut y ajouter quelques ingrédients bizarres tels que les
grenouilles, les serpents ou la graisse d'ours.
P.-A. SIGAL. LA PARALYSIE EN OCCIDENT (ve-XIIe S.) 207

plantes s'est maintenue très longtemps, non seulement au Moyen


Age, mais jusqu'à nos jours dans la médecine populaire de certaines
campagnes françaises (1).
Les recettes médicales et les indications thérapeutiques
contenues dans les ouvrages de médecine nous donnent ainsi un aspect
théorique du traitement de la paralysie ; mais qu'en était-il dans
la pratique ? Ce traitement était-il appliqué, et comment ? Nous
n'avons malheureusement que très peu de documents à ce sujet.
Pourtant dans un recueil de miracles du xne siècle, Les miracles
de sainte Rictrude, rédigé à l'abbaye de Marchiennes (2), se trouve
un passage qui nous éclaire à ce sujet. En effet, l'auteur du recueil,
le moine Gualbert, a été lui-même atteint de paralysie et il décrit
sa maladie et sa guérison. Bien qu'il en attribue le mérite à sainte
Rictrude, Gualbert a consulté auparavant un médecin dont il a
suivi le traitement pendant quelque temps. Nous avons donc ici
un témoignage personnel dont l'authenticité ne peut être mise en
doute.
Le moine Gualbert était lui-même apprenti médecin -et c'est
au retour d'un séjour à l'abbaye voisine d'Anchin où il avait
appris à faire des saignées qu'il est frappé par la paralysie. Ses
membres sont atteints, dit-il, de « dissolution » et il doit s'aliter.
Même lorsqu'il veut satisfaire ses besoins naturels, on est obligé de
le porter. En même temps sa bouche est déformée et tordue et il ne
peut émettre qu'un murmure confus. Ces symptômes et, en
particulier, la liaison entre la paralysie des membres et ce qui semble
être une paralysie faciale et une aphasie motrice font penser à une
atteinte du système nerveux central. L'abbé de Marchiennes fait

(1) Au début du xive siècle, un médecin de Montpellier, Pierre de Capestang, donne


des conseils pour éviter la paralysie. Il recommande, entre autres, une diététique assez
curieuse : ni légumes secs, ni fruits, pas de produits lactés, pas de poisson et surtout pas
de vinaigre. Au contraire absorber autant que possible de la sauge, du persil, de la
marjolaine, de la sarriette, du serpolet, du fenouil, du chou, des asperges. Eviter de
monter à cheval et de travailler après le repas, ne pas dormir non plus à ce moment,
éviter les veilles excessives et les trop profondes cogitations... Le texte a été publié
par E. Wickersheimer, Pour éviter la paralysie, Conseils de maître Pierre de Capes-
tang, médecin de Montpellier, Bulletin de la Société française ď Histoire de la Médecine,
1924, noe 3-4. Pour la période moderne, les traditions recueillies par Marcelle Bouteiller
indiquent qu'on recommande contre l'hémiplégie et la paraplégie des tisanes de sauge
ou de gui, des décoctés de bétoine, de sauge, de thym, cf. Marcelle Bouteiller,
Médecine populaire ďhier et d'aujourd'hui, Paris, 1966, p. 288.
(2) Miracles de sainte Rictrude, AASS, mai, III, pp. 131-132, chap. IV, § 34. Le
monastère de Marchiennes se trouve près de Douai.
208 • revue d'histoire des sciences

alors transporter Gualbert à l'abbaye d'Anchin où résidait un moine


médecin, originaire d'Arras, un certain Bononius, probablement
celui qui avait enseigné à Gualbert la pratique de la saignée et
qui est qualifié de monachus bonus et benignus medicus.
Bononius emploie toutes les ressources de son art et pendant
huit jours ne quitte le chevet de son client ni le jour ni la nuit.
Il lui fait absorber du diacode, c'est-à-dire du sirop à base d'opium,
ainsi que des potions et des préparations diverses parmi lesquelles
certainement des vomitifs, car Gualbert indique qu'il ne peut
garder aucune nourriture. En même temps, Bononius applique un
traitement externe : du matin jusqu'au soir, le malade est plongé
dans des bains d'eau chaude dans laquelle on a versé de la
moutarde broyée et réduite en poudre. Quant à la paralysie faciale, le
médecin essaie de la guérir par la rééducation : il place une grosse
noix dans la bouche du malade et le fait souffler sur un tison
incandescent tenu dans la main, de façon à faire revenir la bouche à sa
position normale. Ce traitement est maintenu semble-t-il pendant
neuf jours, mais sans beaucoup de succès, car au bout de sept
semaines Gualbert est toujours paralysé et, dans son entourage,
beaucoup lui disent que sa maladie est incurable. Toutefois, déçu
par la médecine humaine, il ne perd pas espoir dans la médecine
divine et chaque jour, il va prier devant les reliques de sainte
Rictrude. La position dans laquelle il prie, prosterné à terre, les
bras étendus, montre cependant que son état s'était déjà amélioré
et, un jour, il se trouve guéri, grâce, dit-il, à Dieu et à sainte
Rictrude. Il lui reste cependant un vestige de sa maladie : de
temps en temps il profère des mots inversés et hésitants (reste
d'aphasie).
Nous constatons ainsi que, dans l'arsenal des prescriptions
anciennes, Bononius a choisi les plus efficaces : potion à base
d'opium, bains chauds et une certaine rééducation. Toutes les
guérisons miraculeuses ne sont malheureusement pas aussi claires
et un dernier problème se pose, problème dont la solution n'a guère
de chance d'être trouvée pour l'instant : c'est celui de la guérison
des paralytiques venus implorer les saints. Les textes nous
montrent ces guérisons comme manifestes et évidentes pour tous les
assistants et sans croire que tous ces malades ont été vraiment
guéris, il paraît difficile de nier en bloc toute amélioration de
leur état, car si les hagiographes ont correctement décrit les
symptômes de la paralysie, il est vraisemblable que la suite de leur récit
P.-A. SIGAL. LA PARALYSIE EN OCCIDENT (ve-XIIe S.) 209

correspond aussi à quelque chose de réel. Comment donc expliquer


ces guérisons ou ces améliorations ?
On peut d'abord penser que certaines de ces paralysies étaient
d'origine hystérique et que le principal facteur de la maladie était
donc d'ordre psychologique. C'est pourquoi, dans certains cas, la
croyance du malade à sa prochaine guérison, croyance parfois
précisée par des rêves considérés comme prémonitoires, l'arrivée
au sanctuaire, les cérémonies en l'honneur du saint et surtout
d'autres miracles survenus dans la foule des pèlerins et colportés
et grossis par la rumeur publique ont pu produire un choc
psychologique salutaire et provoquer une guérison inexplicable pour les
assistants autrement que par l'intervention divine.
On peut penser aussi à certaines formes de paralysie qui
évoluent spontanément vers une régression provisoire ou définitive.
C'est le cas par exemple du syndrome de Guillain-Barré (1). Il
s'agit d'un syndrome de polyradiculonévrite qui se traduit par une
paralysie flasque, grossièrement symétrique, étendue mais souvent
incomplète. Elle atteint les membres (surtout les membres
inférieurs), le tronc et la face. Dans ce dernier cas, elle est parfois
associée à une paralysie du pharynx et des cordes vocales. L'évolution
est spontanément favorable dans la majorité des cas : dès le 10e
ou le 15e jour, mais parfois après plusieurs mois. Le terme de cette
évolution régressive est la guérison totale. La même évolution se
présente dans un autre type de paralysie, les paralysies hypokalié-
miques (2), provenant d'une carence en potassium dans
l'organisme. Il s'agit de paralysies survenant par accès. La racine des
membres est d'abord atteinte, puis les extrémités. Dans les cas
les plus graves, l'accès peut aboutir à une quadriplégie flasque,
mais les muscles respiratoires sont rarement atteints. Non traité,
l'accès paralytique dure de quelques heures à quelques jours.
Lorsque la kaliémie s'élève, la guérison est véritablement explosive.
D'autres paralysies évoluent par poussées et peuvent régresser
sans laisser de traces pour réapparaître plus tard. A l'issue d'une
de ces régressions, le malade non averti peut se croire guéri. C'est
le cas de la sclérose en plaques qui se traduit parfois par une mono-

(1) Cf. J. Cambier, Le syndrome de Guillain-Barré, Revue du praticien, t. XIV,


n° 27, 21 octobre 1964, pp. 3355-3365.
(2) Cf. P. Mollaret, M. Goulon et F. Nouailhat, Le syndrome d'hypokaliémie.
Schéma sémiologique et biologique d'ensemble, Revue du praticien, t. XV, n° 28,
1er novembre 1964, pp. 3661, 3672.
T. XXIV. — 1971 14
210 REVUE D'HISTOIRE DES SCIENCES

plégie mais le plus souvent par une paraplégie. La paralysie


apparaît en quelques jours, accompagnée de signes cérébelleux et
pyramidaux, puis les phénomènes rétrocèdent et tout rentre dans
l'ordre en quelques semaines (1).
Par contre, en ce qui concerne les hémiplégies et les paraplégies
spasmodiques anciennes, caractérisées par une forte hypertonie,
les possibilités de régression spontanée sont beaucoup plus faibles
et le problème de la guérison reste entier, surtout lorsque la guérison
est présentée comme instantanée (2). Il est certain que, grâce à la
rééducation, une bonne partie de l'activité motrice peut être
récupérée (3), mais il s'agit d'une action très progressive et non
pas instantanée. On peut peut-être penser que les paralytiques
prétendus guéris n'ont fait en réalité que des progrès partiels qui
amorcent seulement une guérison, réalisée ensuite progressivement.
Certains textes tendraient à confirmer cette hypothèse en nous
montrant que le miracle n'était que partiel. Ainsi l'enfant déjà
cité à propos de la description de la paraplégie ne guérit pas d'un
coup. D'abord une de ses jambes s'étend, puis l'autre, et il peut
faire le tour du tombeau du saint, mais il continue à marcher avec
ses béquilles jusqu'à ce qu'il se plonge dans une fontaine voisine
consacrée au saint (4).
Malgré tout, beaucoup de ces guérisons nous paraissent encore
mystérieuses et il faut espérer que d'autres textes nous
apporteront des détails plus précis sur ces phénomènes thaumaturgiques.

Conclusion

Les médecins du haut Moyen Age semblent s'être trouvés dans


une assez grande impuissance en face des nombreuses formes de
paralysie dont la population était atteinte. Certes, les traditions
antiques ont dans l'ensemble subsisté et certaines tentatives de
rééducation ont pu se révéler efficaces bien qu'elles ne semblent

(1) Cf. L. Rimbaud, Précis de neurologie, Paris, 6e éd., 1957, p. 645.


(2) Non seulement les membres contractés se redressent, disent les hagiographes,
mais il se produit souvent à ce moment un grand craquement, comme le bruit d'une
haie que l'on brise, craquement qui est attribué aux nerfs qui s'étendent. Etant donné
qu'on trouve très souvent cette remarque, on se demande à quoi ce phénomène peut
correspondre.
(3) Cf. le numéro spécial de la revue Réadaptation, novembre 1969, n° 164, La
réadaptation des hémiplégiques.
(4) Miracles de saint Aile, II, 5, § 33-34.
P.-A. SIGAL. LA PARALYSIE EN OCCIDENT (ve-XIIe S.) 211

pas être connues et pratiquées partout. Au contraire, les


nombreuses drogues savamment confectionnées ne pouvaient guère
avoir une action véritable. Quant à l'étiologie de la paralysie, non
seulement elle n'a fait aucun progrès depuis l'Antiquité, mais une
conception naïve et simpliste de la « contraction des nerfs » s'est
répandue jusque dans certains milieux médicaux.
Face à la médecine humaine, la médecine divine peut avoir réussi
dans certains cas de paralysie d'origine psychologique et peut avoir
fait illusion dans d'autres cas de guérison spontanée, mais son
extraordinaire popularité au Moyen Age montre une humanité
très impressionnable et particulièrement désarmée devant la
maladie.
Pierre- André Sigal.

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