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Khalil M’rabet
Mémoire nomade
Nadine Descendre
L’autre et son double
Kacimi l’africain
Kacimi
un artiste, un poète, un humaniste, un homme engagé…
Six années après sa disparition, Kacimi est toujours présent. Son nom
évoque beaucoup d’émotion, de sympathie, de reconnaissance et
d’admiration. Il était en état de créativité permanente, accueillant, rieur,
généreux. Il invitait sans cesse à s’ouvrir à l’autre. Il interrogeait les marges
et déplaçait les normes, inlassablement. Alors que la maladie le guettait, il
travaillait contre le temps, sans relâche.
La Fondation Kacimi
9
Sans titre
1999
Technique mixte sur toile
154 x 130 cm
Collection privée
11
KACIMI
M é m o i r e nomade
13
Sans titre
1989
Acrylique sur toile
73 x 65 cm
Collection Groupe Attijari Wafa Bank
14
15
de l’artiste, situé dans le quartier des préservées, où se tiendraient des
Orangers, à Rabat, fût acquis par le expositions permanentes, où une aile
Ministère de la Culture et devînt un qu’il projetait de construire ferait office
lieu d’exposition « permanente pour la de résidence d’artistes, à condition que
mémoire du peintre », où ses œuvres, ceux-ci s’engagent pendant leur séjour,
« sauvegardées et visibles par tous » 3 à animer des ateliers de peinture en
seraient mises en valeur. Qu’advint-il direction des enfants »4.
de ce vœu ? Si au moins un musée d’art Ce lieu de rencontre et de création qui
moderne et contemporain pouvait enfin devait lui être consacré rencontre-t-
voir le jour, capable de sauvegarder en il toujours des obstacles qualifiés de
la valorisant toute la capacité plastique « techniques » ? Verra-t-il le jour ? A
locale ! Combien d’artistes et de quelle échéance ? Symboliquement,
collectionneurs légueraient volontiers le ministère de tutelle a baptisé du
leurs œuvres pour le bien public et la nom d’artistes défunts certains lieux
mémoire collective. Cependant la lutte d’exposition : Galerie Mohamed Drissi
se prépare contre l’oubli qui menace. à Tanger, installée dans les locaux de
Quelques artistes organisent des l’ancienne Légation britannique, ou
expositions rétrospectives de leurs la salle Mohammed Kacimi à Fès : en
travaux, d’autres créent une fondation, attendant de faire mieux.
d’autres encore s’organisent en Dans ce contexte, s’inscrit cette
associations, collectifs ou créent leur exposition qui veut rendre hommage
propre site. Mohammed Kacimi, né à à Mohammed Kacimi grâce à l’action
Meknès, en 1942, décède le 27 octobre soutenue de la Fondation Kacimi, à
2003 sans avoir pu réaliser son rêve… l’implication de divers collectionneurs
Sans doute voulait-il sauvegarder ses qui, pour la circonstance, prêtent
réalisations mais pour favoriser la volontiers « leurs Kacimi » et au
création et surtout rendre hommage soutien de la Fondation CDG qui
aux ateliers d’initiation plastique de inaugure sa nouvelle galerie d’art
sa jeunesse, ceux qui le révélèrent « Espace Expressions CDG» avec cette
à lui-même et aux autres. Voici les manifestation. Que les choses soient
précisions qu’apporte Abdellatif Lâabi : claires : il ne s’agit point ici de spéculer
« Parmi les papiers retrouvés après sur les œuvres d’un défunt mais
sa mort, il y avait un document dans d’exprimer le respect qu’elles inspirent :
lequel Kacimi émettait le vœu que sa respect de la mémoire d’un collègue,
maison acquière après lui un statut d’un ami, d’un protagoniste lucide
de fondation où ses œuvres seraient dont l’œuvre fait partie intégrante, au
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Disque solaire
1998
Technique mixte sur toile
45 x 45 cm
Collection Fondation ONA
17
Sans titre
Acrylique sur toile
200 x 152
Collection Fondation ONA
18
19
Sans titre
Technique mixte sur papier
32 x 23 cm
Collection Galerie Nadar
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En animateur et médiateur, Kacimi avec une lecture du poète Laâbi. En
réitérera l’expérience à Essaouira, 1995, au Musée de La Villette, à Paris,
Marrakech et Assilah. il entreprend une performance pour
Ce goût pour l’espace public ou le soutenir les intellectuels algériens.
travail réalisé, sur place, devant un Auparavant, en 1994, sur une plage
public, distingue l’artiste qui « n’arrive du Bénin, à Ouidah, il donne à voir
pas à (se) voir en peintre traditionnel Le Corps de la Mémoire. Cette initiative
enfermé dans une production qu’il s’inscrit dans le cadre d’un projet
montre puis (qui) se retranche de l’ONU/UNESCO : La Route de
du monde pour recommencer .»5 l’Esclave. Deux disques verticaux de
Kacimi réalise à deux reprises, une trois mètres de diamètre chacun, l’un
peinture murale à Assilah, une autre à en toile tendue, peinte, l’autre en osier
Berrechid, à Grenoble. A El Harhoura, brut, figurent, sur chaque rame, des
il plantera de nouveau des étendards, visages et ils se dressent dans le sable,
sept étendards bleus face à l’Atlantique. A marquant le lieu du départ forcé, et
Marrakech, il fera flotter dans les ruelles celui du retour fantasmé des Africains
sept haïks, six teints et le septième d’un des Amériques. Des traces de pas
blanc immaculé pour mieux mettre au sol et des percussions du Prince
en évidence les nuances de l’arc-en- Adéoyé accompagnent l’action du
ciel des autres. A Limoges, en France, peintre.
lors du festival international des L’audace entreprenante de Kacimi va
Francophonies, il installe cinquante encore plus loin, jusqu’à transformer
oriflammes, fragments découpés de l’espace ; par exemple, à Anvers, en
peintures réalisées à Rabat, inaugurant 1992, il métamorphose une salle en
une « peinture piétonne » qui créant, in situ, une œuvre qu’il intitule :
implique la déambulation aussi bien La main coupée, Antwerpen. En 1993, à
physique que mentale, la mobilité l’Institut français de Rabat, il crée un
horizontale et verticale du regard que environnement : La grotte des temps
l’on porte sur la ville. futurs où l’espace est rythmé par
C’est aussi une façon de cultiver le l’accumulation hétéroclite d’objets
risque en peinture. Artiste funambule, de récupération ; ils s’intègrent dans
Kacimi travaille sans filet. C’est ainsi cet immense « combine painting »
qu’en 1985, il réalise dans l’urgence, sa où le bleu océanique envahissant
première peinture publique au Théâtre sert de liant, recouvre journaux,
Action de Grenoble, son écriture mannequins et autres reliques éclatées
plastique apparaissant en résonance du vingtième siècle : barils de pétrole,
21
Sans titre
1987
Acrylique sur toile
200 x 193 cm
Collection Ministère de la Culture
22
Sans titre
1987
Acrylique sur toile
200 x 150 cm
Collection Ministère de la Culture
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composants électroniques, bandes ouverte d’un peintre marocain à un
magnétiques, téléviseurs, livres, sable, douanier suisse qui l’avait retenu et
ossements, arbre squelettique, objets contraint à une fouille systématique.
récupérés, « trouvés » dans toute la L’artiste refuse de tenir pour synonymes
force du terme. L’artiste voudrait-il « différent » et « suspect », donc
nous prémunir contre une nouvelle « à moitié coupable ». La révolte ne
apocalypse ? vibre-t-elle pas quand il affirme : « Je
Si Kacimi aime la matière picturale, il ne suis ni trafiquant de devises, ni
ne fraternise pas avec la « peinture- trafiquant d’armes. Je ne fabrique
objet ». Cet « environnement » reste pas de machines de guerre ; je n’ai
bien une exception et l’artiste de pas non plus d’abris antiatomiques.
déclarer : « C’est une façon de quitter Je n’exploite le travail de personne. Je
le XXe siècle pour m’installer dans désire connaître des hommes et des
l’orbite du prochain »6. Plus que femmes qui, comme moi, veulent
l’accumulation sédentaire, il affectionne connaître d’autres Hommes - éventuel
la sobriété qui s’accorde bien avec le échange d’idées ou d’inquiétudes,
déplacement nomade : « Je suis un mal du siècle - et aussi m’approcher
homme de voyage » prévient-il7. Il se d’une autre pensée. »9Cette profession
veut même le « voyageur elliptique de foi humaniste s’affine quand
dessinant la trajectoire du chaos et le Kacimi se définit comme un de « ces
sens de la dignité. »8 Voilà pourquoi hommes qui, par besoin et aussi
il ne s’encombre pas de châssis pour par générosité, donnent à voir, à
ses peintures. Il s’affranchit de cette déchiffrer le meilleur d’eux-mêmes.
structure trop rigide de ses débuts et Peindre est mon métier. »10 Malgré
privilégie des toiles de récupération de cette mésaventure qui n’est pas un
plus en plus grandes qu’il enroule, ce cas isolé, le peintre donc persiste en
qui facilite leur transport et s’accorde son nomadisme plastique, cultive
bien avec le souci nomade. Traverser les rencontres et leurs résultats
les frontières pour des expositions inattendus ; il sera artiste - résident
individuelles ou collectives n’est plus en France, au Mali, au Sénégal, ce qui
un problème. l’engage à mieux prendre fait et cause
Voilà pour les choses ; pour les êtres, pour les droits de l’Homme, contre
franchir les frontières est souvent plus les guerres et l’injustice, contre aussi
difficile. les pandémies. En un mot, dans son
Mohamed Kacimi en a fait l’amère cheminement personnel, Kacimi place
expérience au point d’écrire la Lettre son art au niveau de la conscience
24
Sans titre
Technique mixte sur panneau bois
78 x 98 cm
Collection privée
25
Sans titre
1980
Technique mixte sur toile
120 x 80 cm
Collection l’Atelier 21
26
Sans titre
1985
Technique mixte sur toile
100 x 70 cm
Collection l’Atelier 21
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sa déambulation ; il y inscrit des de l’inconscient » qui régénère
signes, des mots, des chiffres et l’immédiateté pulsionnelle en gardant
d’autres graphismes fortuits. Ce « présente à l’esprit, cette pensée d’Ibn
mejdoub », ce « madroub » ( frappé), Arabi : « Efface ce que tu as écrit et
ce « maqyous » (touché) « habite oublie ce que tu as appris », pour
ma mémoire » dit-il. Ce mot même découvrir l’insoupçonné. L’homme,
ne place-t-il pas Kacimi à l’ombre centre des préoccupations et de la
tutélaire de Jilali Gharbaoui qui le démarche du peintre, est transfiguré.
fascine par l’audace et la radicalité de Kacimi en privilégie le cri, le regard, et
sa démarche, par le cri assourdissant la présence/absence. Inlassablement,
de ses fulgurances plastiques, ses il sonde l’inquiétude de l’être. Il voit
ratures, reprises ou traces fébriles, dans sa peinture une quête plurielle
ses turbulences qui s’apparentent à la qui rencontre la poésie, « seul art qui
transe. Kacimi accède à un état modifié (puisse) aller réellement derrière les
de la conscience ; l’essentiel dans l‘art apparences. »16 Dans le même esprit,
est « le geste démoniaque, total, libre, Kacimi, en poète et en peintre, demande
qui tourne autour de sa propre folie, « Comment pétrir les mots, les écraser
de sa propre histoire. »14 Par cet état pour qu’ils deviennent matière ou les
extatique, libéré de toute référence, étaler comme on étale le feu, le bleu ou
Kacimi cultive l’oubli et canalise l’invincible dans sa tête. » 17
le jaillissement d’une imprévisible Kacimi veut ces passerelles entre
« intensité nomade ». peinture et poésie : toutes deux sont
On remarque que des thèmes, prétextes langues qui ouvrent l’œuvre, réfractaire à
à peindre, ponctuent l’itinéraire du toute clôture du sens ; celle-ci « existe au
peintre et ouvrent des séries : Les cœur d’un complexe de rapports divers,
Atlassides, Le temps des conteurs, Africa, de données extérieures, de donnes
Traversées, Shéherazade et la guerre. Cette subtiles, discrètes ou hurlantes » 18.
peinture est l’espace d’apparition et de Sur des subjectiles classiques ou de
disparition des êtres ou des choses. récupération, et dans les formats les
Elle dépasse les apparences, défait plus divers, Kacimi, alchimiste du
les genres, investit le réel, interroge médium, prépare ses supports par
« l’imaginaire des profondeurs, du non- collage, accumulation, ou sédimentation
dit, des interdits. »15 matiériste. Traces et gestes fusent sous
Ce faisant, Kacimi transpose le les doigts de l’artiste qui fait vibrer ces
visible par une démarche qui palimpsestes, espaces improbables
privilégie l’intuition. « chevauchée de très haute sensibilité. Corps
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fantomatiques, signifiants orphelins de son geste, de sa parole, et par son
de tout signifié définitif ou évident : charisme, Kacimi s’impose comme
apparition fugace et non finie de la un artiste contemporain des plus
mémoire et de l’oubli. Le vacillement audacieux, sachant affirmer son art et sa
des formes, les figures évanescentes de présence.
l’absence, les signes du dénuement, de En 2001, avait lieu à Madrid, l’exposition
la liquidité et de la densité interfèrent Itinérance au Circulo de Bellas Artes.
pour « l’inquiétude du sens » 19. Kacimi, son épouse et moi en profitâmes
Kacimi écrit et signe en arabe et en pour visiter le Musée de la Reina Sofia. Il
français. Ses textes poétiques et fut, en particulier, subjugué par le nombre
critiques ont une valeur documentaire de Tapies si bien mis en valeur. Un jour,
certaine. Il y affirme des positions verra-t-on au Maroc, dans un musée
plastiques et esthétiques tranchées, national, une aile réservée à la mémoire
soulignant des convictions culturelles et palpitante de Kacimi ?
politiques ouvertes. Par sa production Khalil M’rabet,
en renouvellement, son action, la liberté Université de Provence,
Janvier 2010
Notes
1. Mohamed Ben Ali R’bati, Moulay Ahmed Drissi, Mohamed Ben Allal, Ahmed Louardiri, Ahmed Yacoubi,
Mohamed Hamri, Mohamed Serghini, Abdellah Fakhar, Amine Demnati, Aziz Abou Ali, Omar Afous, Boujema
Lakhdar, Abbès Saladi, Mohamed Drissi, Chaïbia Tallal, Labied Miloud…
2. Mohamed Kacimi, Parole Nomade. L’expérience d’un peintre. Ed. Al Manar, 1999, p.68.
3. Ibid, p.69.
4. Abdellatif Laabi, Cest la mémoire de Mohammed Kacimi qu’on assassine – 22.05.2007 – publié par maghrebarts.
ma, p.1.
5. Mohamed Kacimi, Editions de la Revue Noire, Editions Le Fennec, Paris, 1996, p.84.
6. Mohamed Kacimi op.cit., p.189.
7. Mohamed Kacimi, Parole Nomade, op.cit., p.39.
8. op.cit., p.174.
9. Mohamed Kacimi, ibid, p.137.
10. Ibid., p.138.
11. Ibid., p.24.
12. Ibid., p. 178.
13. Ibid., p.23.
14. Ibid., p.142.
15. Edouard Glissant, Introduction à une poétique du Divers , Ed. Gallimard, 1996, p.124.
16. Ibid.
17. Ibid.
18. Mohamed Kacimi, Parole Nomade, p.24.
19. Ibid., p.32.
29
Gouache réalisée pour
l’exemplaire II / xx de l’ouvrage
d’Alain Gorius « Ombre Portée »
30
31
L’AUTRE & SON DOUBLE
K a c i m i l ’A f r i c a i n
33
34
35
à partir duquel il s’exprime. « Pourquoi Avec Mohammed Kacimi, tout
subir la tyrannie d’une seule forme commence à l’intérieur même
permanente ? » se plaisait-il à répéter. du tableau. Comment les choses
s’articulent-elles dans chaque peinture
Et certainement, Mohammed Kacimi,
pour tendre vers un dépouillement,
en installant, début 2002, son
de plus en plus efficace, en faveur
ensemble d’expositions à Rabat, aura-
d’une expression « indirecte »,
t-il eu cela présent à l’esprit dans son
équarrie de toute indication illustrative
souci de montrer plus mentalement
mais inéluctablement chargée d’une
que concrètement, un ensemble
inquiétude certaine dans le traitement
discontinu de travaux installés
de la couleur ? Cette instance qu’il aura
en tension les uns par rapport
reconduite inlassablement, comme
aux autres, sans démonstration
une fatalité, est en effet la requête,
chronologique ou formelle.
sorte de prière moderne, inhérente à
Des interrogations sont à l’œuvre l’acte de peindre.
dans un accrochage. C’est céans que La tension de principe qu’elle sous-tendra
réside l’intérêt essentiel (et utile) toujours est la suivante : faut-il ou non
d’une exposition pour un artiste. Il s’opposer à la représentation ? Le débat
ne s’agit pas de présenter des pièces abstraction/figuration a-t-il encore une
dites « d’artiste » comme c’est le plus quelconque validité ? Est-ce compatible
souvent le cas, mais réellement de les avec une dénonciation active de formes
donner à voir, de les « montrer », à plastiques d’aliénation qui soumettent
savoir les faire voir à l’esprit, les révéler, l’artiste aux impératifs d’un certain
les dénuder, en faire découvrir le sens, ordre ? Pour un tel créateur, l’engagement
les « démontrer » et, somme toute, en artistique et moral à assurer consistait
prouver l’impérieuse nécessité… Tout à résoudre une énigme : comment
est alors contenu dans la confrontation se poser des questions de peinture
des œuvres entre elles et, au moins et, simultanément, être au monde ?
autant, dans le fait de les mesurer à C’est-à-dire, comment être un citoyen
l’espace, au public, à travers cet enjeu à part entière, engagé et politique (au
qu’un accrochage doit satisfaire pour sens noble du terme), et s’attacher à
mieux faire émerger leur cohérence et s’exprimer en artiste ? … La promesse de
leur nécessité. l’artiste.
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Ombre portée
Alain Gorius
Mohammed Kacimi
Al Manar
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Disque solaire
1998
Technique mixte sur toile
45 x 45 cm
Collection Fondation ONA
38
Sans titre
1991
Technique mixte sur papier
48 x 68 cm
Collection Ministère de la Culture
39
Sans titre
1986
Acrylique sur panneau
74 x 69 cm
Collection Groupe Attijari Wafa Bank
40
Sans titre
1986
Acrylique sur panneau
74 x 69 cm
Collection Groupe Attijari Wafa Bank
41
L’ensemble des expositions présentées pièges et séductions du marché,
à Rabat5 en donna acte à travers les revendiquer, en toute légitimité,
œuvres présentées, mais en partie une reconnaissance, il faut, certes,
seulement, car c’est dans le réel une véritable exigence et un appétit
que se constitue précisément sur exclusif de créer, mais, d’entrée,
l’expérience prodiguée, ailleurs ou cela aura également engagé la
avec d’autres, l’imaginaire esthétique compréhension et l’identification, par
d’un tel créateur. l’artiste lui-même, des mobiles qui
étaient les siens.6
Or, les composants essentiels
d’une globalité homme-œuvre- La nécessité s’est manifestée très
expérience, sont, dans son cas précis, tôt, pour Mohammed Kacimi, de
indissociables. trouver comment faire précéder la
question de l’autre par la question
Il faudrait un appareillage exemplaire
de soi… et ce, dans une solitude
de films, de vidéos, de rencontres,
de compte rendu d’expériences, de acceptée aiguisant son esprit
spectacles, etc. pour rendre compte critique entre recentrement sur soi
fidèlement de là d’où provient tel objet et vie publique. Dans la phrase,
ou encore de ce qui arbitre la genèse amorcée ci-dessus en titre de ce
de telle peinture. De l’intérêt, par chapitre, Mohammed Kacimi donne
conséquent, de tenter de mettre en acte de son refus d’assumer les
exergue, grâce à un travail documentaire archétypes plaqués sur le rôle de
et à travers la compilation d’écriture, ce « médiateur » qui est couramment
qui fonde la démarche d’un tel artiste. assigné aux artistes : « Nous croyons
pour notre part - répliquait-il –
Comment Mohammed Kacimi a-t-il que les ambitions de l’artiste sont
donc été en mesure de ne pas céder parfaitement inverses, et qu’il aspire
aux facilités, et parfois même de ruiner
à atteindre des objectifs tout autres :
courageusement les clichés faciles - ou
son dessein primordial est de créer
même les schémas sous influence - de
une œuvre personnelle et originale.
tout un pan de la peinture marocaine
La légitimité de l’art ne réside pas
moderne ?
dans une fonction préalablement
Pour éluder les évidences et les assignée de médiation ou dans un
platitudes artistiques, parer les projet concordiste. »
42
Parce qu’il faut cheminer du entre lui et le monde, entre la pensée
particulier au général. plastique et les instances régulatrices,
politiques ou autres, dont il lui fallait
De soi à l’autre. Ou, comment transgresser les pressions. « De
gérer le souci constant de trouver nouvelles questions sont sans cesse
la coïncidence de soi à soi avant posées aux créateurs – insistait-il –
d’échafauder de quelle nature sera sa même s’il est nécessaire d’élaborer un
corrélation à l’autre.. langage individuel. »
43
obligeant l’artiste à faire des concessions, repensée (pour ne pas dire réinventée)
à participer de leur cynisme confortable. en complicité avec la naissance de
Ils occultent ce qui dérange - pensait-il - l’ethnologie ; décrire comment elle fut
et récupèrent les avantages économiques décortiquée, dépecée, au prisme des
du travail des artistes. pratiques primitives, par Picasso et ses
comparses (tous les grands capitaines
Le décor de ses doutes est ainsi planté.
de la modernité) avant d’être passée
S’y ajoutait la complexité d’une situation
au crible des expériences, des analyses
nationale : toujours se justifier d’être
et d’une recherche visuelle imparables,
marocain, vivre dans la révérence des
par Marcel Duchamp.
ancrages, être lourdement dépendant
de contingences relationnelles, d’une Et, simultanément, étant donné qu’
situation sur place où l’artiste reconnu « au Maghreb on pense l’Art comme
doit assumer une position de notable expression, comme une libération
incompatible avec un parcours critique (le mot libération ici est proche
et avec la nécessité d’éviter les clichés et du comportement soufi : aller vers
les violons sur l’art… l’essentiel - lieu où tout paradoxe est
intégré dans le système méditatif,
Thème insaisissable s’il en fut : l’Autre contemplatif), il est important de
(comme une partie de soi-même, ne jamais perdre de vue qu’un
quoique toujours différent) désigne « créateur maghrébin, arabe, ne peut
l’une des limites de la production être minimal, parce qu’il est issu de
artistique tout en s’annonçant comme l’arabesque, de l’exubérance, du verbe,
l’une des formes de son essentielle du conte, parce que la couleur chez lui
raison d’être. Thème ambigu aussi : prend le sens de l’être. »7
l’autre peut être la raison de l’œuvre
mais également celle de sa destruction, Mais qu’est-ce alors qu’un créateur
nous renvoyer à sa mort comme à son maghrébin lorsqu’il aspire à une
existence. dimension universelle ? Mohammed
Kacimi avait sa réponse. Et elle est
Il faudrait, pour tenter d’en rendre d’actualité : elle imposerait à celui
compte, revenir par exemple sur qui se dit artiste, comme à tout
l’histoire de la peinture. Il faudrait, participant d’un acte de création,
en réalité, montrer comment cette de se mettre en situation de risque,
idée est devenue le défi principal de s’exposer au débat critique, de
de cette aventure après avoir été ne pas être ce « médiateur » de la
44
Sans titre
Technique mixte sur toile
120 x 90 cm
Collection l’Atelier 21
45
Sans titre
1998
Technique mixte sur toile
133 x 115 cm
Collection Société Générale
pensée dominante mais au contraire que sont les expériences menées sur
d’anticiper le devenir d’un irrésistible le terrain.
cheminement vers la modernité.
Toutefois, le pinceau ou tout autre
L’artiste est l’accompagnateur éclairé
médium quelconque n’a, en lui-
du devenir d’un monde libre dont il
même, qu’une importance relative.
se doit de revisiter inlassablement
Seuls comptent :
les acquis : « C’est dans une
esthétique du risque que l’artiste, - le contenu du travail et le cadre
au Maroc, avance ou s’engage de ses pratiques : « Ouvre ton atelier
dans l’aventure de la modernité ; aux visiteurs : ainsi tu ouvres les
ce risque est multiple, à plusieurs portes fermées sur toi-même, sur tes
dimensions, avec des perspectives expériences artistiques ; tu ouvres
variées et des questionnements sur la porte au dialogue, tu ouvres un
le problème identitaire, la tradition, dialogue avorté au début et gelé par
la différence, l’universel, les choses des ambiguïtés qui n’ont rien à voir
bouleversantes, qu’elles soient avec la création. »
politiques ou humaines… A cela
- le contexte qui a forcé la genèse de
s’ajoute le problème de la peur,
l’œuvre : « Où exposer ? … L’idéal serait
l’atteinte aux libertés d’expression, ce
d’être avec les événements de la rue,
va-et-vient permanent entre le passé
dans le cadre quotidien des gens. »
et le présent, avec en tête la recherche
de solutions avec des problèmes
inhérents à la peinture en tant que
telle, qui éclate dans des lieux de
référence : elle se diversifie, cherche
l’effroi du plaisir et du paradoxe -
entre la mémoire et le choc -, elle
est à l’image de l’errance des temps
nouveaux. »
46
47
Ici, ailleurs, et en Afrique provoquera, en son temps, de vives
polémiques dans le milieu artistique
Ou comment Etre au monde par et estudiantin r’bati… jusqu’à devenir
l’entremise des ateliers et autres le sujet d’un cours à l’université.
expériences en laboratoires.
Quand il part pour Saint Louis,
au Sénégal, où il envisage de
Même si le doute fait trébucher ses
« rencontrer » des gens et de faire
initiatives et paralyse parfois l’artiste
son exposition avec ce qu’ils vont lui
(« Je ne sais pas si l’on peut appeler
« donner », Mohammed Kacimi se
l’acte de créer un métier. Ce dont je suis
fraie son itinéraire personnel sous
sûr c’est qu’il n’y a pas de méthode
l’effet conjugué d’un partage de
toute faite »), il faut dire alors le bonheur
pratiques et du désir discrétionnaire
de voir une pensée agile et ouverte
des amateurs de tous horizons.
comme la sienne découvrir, à travers les
Les projets sont rivés à une totale
signes et les gestes mis en évidence par
ouverture au monde. Les Africaines,
les autres, les chemins de sa réflexion
une série, réalisée sur des papiers de
sur le monde. En 1993, Kacimi
récupération de sacs de ciment, y voit
acquiert, sur sa vacance d’alors, la
le jour à l’issue d’ateliers qui lui font
possibilité d’investir la totalité du
rez-de-chaussée de l’Institut français vite prendre conscience que les beaux
de Rabat. Le lieu est plutôt impropre papiers vierges qu’il avait apportés
à la notion même d’exposition. En avec lui n’ont aucun sens dans ce
guise de réponse à cette difficulté, contexte qui privilégie, avec justesse et
l’artiste pirate littéralement l’espace pertinence, la récupération… l’esprit de
en l’investissant jusqu’à le dissoudre reconquête, par l’acte artistique, de la
dans les accumulations d’objets valeur intrinsèque des choses perdues
et d’images. Tous les murs sont ou abandonnées.
badigeonnés au bleu nila, tandis L’objet artistique travaillé, l’échange et
que le volume est saturé du sol au l’acquisition de pratiques participent
plafond d’images et de références
d’une dialectique qui autorise la
de tous ordres au XXe siècle :
construction d’une pensée.
coupures de presse, barils de pétrole,
postes de télévision. L’ensemble, En 1995, à Ouidha, au Bénin,
véritable entropie concertée par concomitamment à un congrès sur
l’artiste, génère un chaos visuel qui l’esclavage (La Route de l’esclavage)
48
Technique mixte sur papier de récupération
2001
Format 65 x 50 cm
Travaux réalisés au Mali
49
Technique mixte sur sac de ciment
2001
Format 65 x 50 cm
Travaux réalisés à Saint-Louis du Sénégal
50
51
Technique mixte sur papier de récupération
2001
Format 65 x 50 cm
Travaux réalisés au Mali
52
d’un besoin d’expression recouvré et que producteur de fiction, il ménagera
réactivé : « Tous ces autres qui nous d’abord, puis garantira, une part de
habitent et façonnent notre identité secret à l’œuvre. Il peint des hommes
mouvante »8. sans visage : mystère de l’homme qu’il
faut préserver, mystère qui contraint
Il lui fallut ensuite se donner les
l’universalité, qui donne sa place à des
moyens d’éprouver son propre style
destins qui intègrent les risques car ne
sans le trahir en le mettant à l’épreuve
pas en prendre c’est se condamner ;
d’autres visions, d’autres procédés,
car aller plus loin dans le danger est
d’autres usages… qu’il n’annexait
ce qui nous forme en tant qu’individu
qu’avec beaucoup de prudence et de
moderne. « Potentialiser les risques »…
circonspection.
qu’est-ce d’autre que trouver une
La spécificité de ces ateliers - ressource de développement de soi-
rencontres, définie comme alternative même : aller toujours de l’avant, se
à l’expérience solitaire, a réellement découvrir, se former, savoir ce que
favorisé l’émergence d’une œuvre issue l’on met en perspective au sein même
d’un rapport inédit au réel. Travaillé par d’un projet, ne pas subir cette inégalité
l’histoire de l’art, et notamment par des sociale qui isole ceux qui subissent
siècles de peinture, un artiste tel que les aléas de tous genres parce qu’ils
Mohammed Kacimi se risque mieux n’ont pas accès à la connaissance,
ainsi à ourdir la meilleure des intrigues ne peuvent s’exposer, se mettre à
entre la connaissance et l’expérience. l’épreuve ?
53
54
Sans titre
Technique mixte sur panneau bois
130 x 102 cm
Collection privée
55
Sans titre
2000
Technique mixte sur toile
160 x 130 cm
Collection Société Générale
56
Sans titre
2000 / 2001
Technique mixte sur toile
91 x 106 cm
Collection Société Générale
57
aussitôt, les reconvertir en visions de s’effacer, parfois même jusqu’à
mythiques susceptibles de produire disparaître.
des alchimies quasi magiques parfois
En 1988, il travaille dans le même
même quasi religieuses.
esprit sur des haïks à Marrakech.
Le réel (ou l’expérience du réel) peut À chaque fois, il est aidé par des
produire une œuvre parce qu’il est bénévoles attentifs. Sans recruter, ni
(re)mis en mouvement par la mise faire un quelconque prosélytisme, il
en scène, le geste et le regard de se voit accompagné, au fil du temps,
l’artiste professionnel qui impose sa dans l’installation de ces exercices
présence et sa pensée, une manière de création publique par un public
visuelle et formelle d’être au monde actif. Mais sans doute ces actions ne
et le nécessaire courage d’explorer les sont-elles pas encore suffisamment
limites de la pensée. collectives ou inscrites dans des
processus d’échanges chargeant
L’esprit, comme la création, ne sont
l’œuvre jusqu’à son ultime capacité de
jamais aussi nus que lorsqu’ils signification.
s’efforcent de se saisir l’un l’autre.
En 1992, dans un petit théâtre grec
L’homme n’éprouve jamais autant antique au bord de la Méditerranée, en
sa finitude que quand il s’épuise à Turquie, à Antalia, il convie une jeune
déchiffrer le sens d’un matériau ou danseuse, invitée en même temps
d’un objet quelconque. que lui pour un festival, à investir cet
Mohammed Kacimi a tout cela en tête espace. Un artiste allemand installe
quand, en 1986, il décide de peindre des lumières au sol. Kacimi improvise
des tissus sur une barre rocheuse à un texte en arabe, la jeune femme
Harhoura et monte ensuite ces tissus conçoit une danse sur le texte. De cette
sur des mâts. Ils s’offrent ainsi comme première rencontre naît une installation
des drapeaux au vent. Étendards de la vivante, éphémère. L’échange de
couleur ou oriflammes de la peinture, pratiques dont elle a procédé lui a
ils assignent le spectateur à opérer donné un tel plaisir qu’il sait désormais
de nécessaires regards croisés entre vouloir en rétablir le concept.
la nature et la peinture. Et telles les Faire l’effort d’agencer, avec des
couleurs des bannières de diverses moyens de travail relativement
confréries, celles-ci défilent avant modestes, l’esthétique et le didactique,
58
Haïk
1988. Medina de Marrakech
Teinture sur tissu
Collection privée
59
Détail
Disque solaire
1998
Technique mixte sur toile
45 x 45 cm
Collection Fondation ONA
60
61
au cœur même d’une construction irrésistiblement, l’importance stratégique
du visible et de l’invisible et en marge de la place du spectateur comme
des conceptions esthétiques du instrument esthétique et politique du
monde occidental, est une gageure transfert du rôle de l’œuvre d’art.
que « l’africanité » de Mohammed
Inversement à ce qui est habituel en
Kacimi autorise. Cette coïncidence,
maïeutique, ici, c’est l’élève, l’adepte, le
entre l’imaginaire pictural et le travail
participant, qui entraîne l’artiste sur les
de la raison qu’il recouvre, nourrit
chemins de la pensée dont son œuvre
ses œuvres et donne des clefs pour
lui a ouvert la voie.
chacune d’entre elles. Elles deviennent
alors la voie vers ces strates de vérités Chez Mohammed Kacimi, la peinture
qui, selon lui, n’en font qu’une. devient ainsi le plan d’épreuve
d’une telle capacité à « présenter
Loin d’être un simple espace
l’irreprésentable »11 ou l’infini, par-delà
d’application d’une quelconque
les vieilles querelles académiques entre
doctrine préétablie, la peinture est,
réalisme et refus du réalisme.
pour Mohammed Kacimi, un des lieux
privilégié d’élaboration de l’échange. L’enjeu contemporain et universel
La peinture est ce tangible de l’art à d’un travail d’artiste se place bien
partir de quoi se trouve menée, chez au cœur de ce double défi : d’une
lui, la critique de la pratique au profit part, forger et savoir apprécier la
de l’expérience et de ce qu’il a nommé distance qui sépare l’œuvre de son
« … l’histoire du foisonnement des spectateur. Et, d’autre part, trouver
expériences enfouies dans nos corps, dans une cartographie de l’œil12 et de
dans nos têtes, dans nos yeux. »9 la pensée, les bases d’une rencontre
fortuite et contingente. Cette rencontre
L’un des aspects les plus intéressants de
est alors éprouvée comme une sorte
cette forme de création est précisément
de champ magnétique, celui d’une
– si l’on se réfère à ce qui a été dit plus
prise de conscience qui conjugue
haut - qu’elle est une aventure à risque
des champs de connaissances et
qui tient à ses propres faux - pas, au sein
d’expériences qui s’organisent entre
même des images ainsi produites.
l’artiste et des circonstances prévues
Par définition, et surtout, par expérience, ou imprévues qui s’offrent à lui dans
l’image10 est le territoire privilégié un contexte donné, à diverses étapes
de l’invisible. Elle fait émerger, de sa profession (invitations à exposer,
62
ateliers, séminaires, participation à devenir de l’art. Quand l’artifice imite
des événements, etc.). la nature et la diversifie à l’infini pour
permettre la construction d’un espace
L’accident est un non-événement
à la fois clos et aérien, sans oublier le
qui hante les artistes. De celui-ci
déroulement prégnant de la vie et de
peut émerger, comme une ombre
ses contingences sociales.
surgie de la nuit, une présence qui
éclairera un projet lancé sans avoir été En peinture, la parega de Kant consiste
arraisonné par une logique palpable en « tout ce qui ne fait pas partie de
et circonscrite, un guide qui sera la représentation de l’objet. » Au-delà
d’autant plus réel qu’il n’existe pas. de toutes contradictions, elle pose
les bases d’un art d’une autre nature
De tout cela, Mohammed Kacimi a fait
où l’idée de l’homme, l’allusion à un
son miel. Il n’a pas hésité à se risquer,
élément de nature… sont autant de
autant que cela lui a paru nécessaire,
fenêtres, de vedutas, ouvertes sur un
en marge de la peinture telle qu’elle
espace cosmique illimité. Le grand
constituait encore par elle-même, pour
rêve de Matisse quand la ligne courbe
les puristes, un univers qu’il était interdit
retrouve la « respiration de la mer »
de transgresser en se prononçant
comme dans sa Vague de 1952 ? »
sur des réalités hors peinture ou en
supposant une « métapeinture », Plus que jamais, pendant la dernière
illusion angélique constitant à se situer décennie de son existence, sa réflexion
au-dessus de la peinture pour mieux et son œuvre se sont mesurées à l’aune
parler d’elle. Se placer, en marge, lui des passerelles qu’il perfectionnait,
suffit très tôt. Il n’en méconnaissait au propre et au figuré, avec l’art
pas les protocoles, mais calait son africain. Dans un jeu de miroir
expérience d’artiste à un autre niveau, infaillible, il a bâti, à partir de son
celui du croisement des cultures. expérience africaine, une pensée sur
l’état actuel de la fonction de l’art au
Il lui fallait établir une esthétique Maroc : échapper aux protocoles de
transversale, qui serait la réalisation normalisation propres aux sociétés
de la « beauté libre » dont parle capitalistes modernes et leur opposer
Kant. Sa créativité se nourrissait de les singularités désirantes, à l’œuvre
ses voyages réels ou imaginés. Ces dans la peinture, la sculpture, le poème
expériences vécues n’ont fait que ou dans l’insoumission politique, un
renforcer sa conviction concernant le geste dont les Européens ne mesurent
63
Sans titre
1999
Technique mixte sur toile
154 x 130 cm
Collection privée
64
65
Sans titre
Technique mixte sur pâte à papier
65 x 50 cm
Collection privée
66
Sans titre
Technique mixte sur pâte à papier
65 x 50 cm
Collection privée
67
pas toujours l’ampleur et l’intérêt sur la de la haine de l’autre, l’art peut-il aider
scène intellectuelle marocaine. à la décontamination de ces germes
d’abomination ?
Depuis la fin des années soixante,
toutes les images du monde ont été À ce point ultime de l’analyse, il
recensées mettant en évidence la s’avère que la véritable dimension
diversité du champ de la création. de Mohammed Kacimi est d’ordre
L’Occident a pris conscience qu’il politique. Elle s’énonce et se dévoile,
n’était pas le seul détenteur d’un avec ses mots, dans nombre de
inventaire des styles possibles aptes passages, ici cités, qui composent son
à accompagner, exclusivement, recueil « Parole nomade » sous-titré
la modernité. D’autres contextes, « L’expérience d’un peintre. »
d’autres histoires, engageaient des
Certes, tout est à repenser et la
passerelles de plus en plus pertinentes « démocratie » n’échappera pas à cet
entre les pratiques dites traditionnelles exercice critique, si bien que lorsqu’un
- ou ritualisations - et les avant-gardes artiste tente de concilier l’exigence d’une
occidentales, dans un tourbillon réflexion artistique avec celle de l’esprit
universaliste qui vit poindre son point démocratique et d’instaurer quelques
d’orgue avec l’exposition manifeste procédures de vérité compatibles avec
Les Magiciens de la terre13, à la toute sa démarche de créateurs, il y a tout
fin des années 80. Les mythologies lieu de se pencher attentivement sur les
individuelles de Mohammed Kacimi expériences qu’il suscite.
ont tout naturellement pris leur place
dans cette mouvance « entre deux » Seul l’événement (en tant
cultures. qu’accumulation des expériences) est
producteur de vérité.
Héritier en cela du geste platonicien,
Un artiste « africain » engagé Mohammed Kacimi a (démarche rare
alors, pour ne pas dire absente, chez
Or, alors même que s’embrasent les peintres marocains) œuvré entre
un peu partout dans le monde, de les champs ouverts par la poésie,
pseudo révolutions nourries par de l’échange amoureux, la science et
monstrueux fantasmes associés à l’idée l’expérience politique. Il a tenté, à
d’identité nationale, du repli sur la l’éclairage des œuvres qu’il produisait
brûlante « communauté » du sang et et des expériences qu’elles suscitaient,
68
Sans titre
1991
Technique mixte sur papier
31 x 22 cm
Collection Assia Faraoui
non pas de produire une vérité mais humains), subi par le professionnel
d’en dégager la conjonction des vérités comme par l’amateur, est dû à la
et des dominantes qui lui étaient transformation effective de notre
propres à un instant, léguées par une relation de regard avec les œuvres…
époque donnée. transformation mise en lumière par
Marcel Duchamp. Leur condition
L’histoire de l’art et ses nouvelles
d’analyse matérielle grâce aux
conditions de présentation (telles que
nouvelles techniques scientifiques
les pratiques contemporaines des
et leur condition de présentation
théoriciens de l’art en ont transformé
(enrichissement des systèmes de
la perception) s’offrent aujourd’hui
productibilité, nouveaux accrochages
à enrichir et renouveler notre
dans les musées) apportent des
compréhension des modalités selon
informations fouillées sur leur
lesquelles s’est construite la conscience
signification et leur genèse.
du rôle joué par l’artiste.
69
Sans titre
2001
Acrylique sur toile
150 x 140 cm
Collection Ministère de la Culture
Nombreux sont ceux qui, par parfois, dont il est difficile d’admettre
conservatisme (et/ou par confort !), ont l’emphase et la surcharge symbolique.
eu peur de ces pétards à retardement Mohammed Kacimi se donne beaucoup
(contenus dans tout geste artistique plus comme un homme qui pense,
authentique) et cherchent encore à entre l’Afrique et l’Occident, entre ce
préserver l’aura de l’œuvre d’art et son que ces territoires ont d’empirique.
caractère sacralisé et sacralisant. Il est Imprégné d’une méthode, éprouvée
intéressant de savoir que Mohammed depuis le XVIIe siècle et réactivée
Kacimi écrivait ce qui suit en reprenant par l’ethnologie, il a accédé à la
ce qu’il disait il y a plus de vingt ans : connaissance des esprits par l’analyse
« Je n’ai presque jamais conçu une des pratiques. A « l’infigurable »,
exposition sans que ma démarche ne trop déliquescent, à « l’infini »,
se prolonge par une idée, une relation trop démesuré, à « l’errance »,
avec le corps de la ville, les gens ; c’est trop incontrôlée, il préférait, selon
ma façon d’être à l’écoute ou peut-être ses propres termes, être « en prise
d’être écouté ; dans chaque écoute il y directe » avec les événements.
a un message artistique, humaniste, Cela lui a aussi permis :
culturel, en Afrique, en Europe, en
- De construire un lien possible entre
Orient […] Cela m’a permis d’être au
l’espace des idées et l’espace public.
cœur du rapport spiral qui nous guide
et nous entraîne vers le centre des - De pratiquer l’art comme lieu de
choses. Son tracé met les sensibilités médiation et de confrontation d’idées.
en relation ; les gestes qu’il fait naître, - D’organiser des rendez-vous avec
poussent à poser des questions. »14 l’imaginaire.
- D’être l’acteur de sa propre histoire
Cette dimension articulait son travail
et charpentait sa vie d’artiste. Et, on - De donner forme à un lieu de
peinture et de réflexion qui articule
ne manquera pas d’être stupéfaits à la
sa propre vision du monde, loin de
lecture des textes qui ont été imprimés
tout sectarisme.
sur lui, a fortiori par ceux d’auteurs
européens dont on aurait pu imaginer - D’abolir la révérence au passé.
qu’ils allaient faire preuve d’un exercice - D’échapper aux intégrismes de la
scientifique et cartésien d’écriture. En marchandisation du monde et de
effet, tous semblent transportés par l’exaltation des religions
une dimension lyrique, quasi extatique - De maîtriser l’ivresse du futur.
70
71
- Et, de découvrir enfin ses propres nous parlons. Et, l’acte du langage
limites en tant qu’artiste œuvrant au et de l’échange nous a conduit
nom de l’art. directement au champ de l’éthique.
72
Shéhérazade et la guerre
1991
Acrylique sur pâte de papier
80 x 60 cm
Collection Dounia Benqassem
73
Sans titre
Technique mixte sur plaque de goudron
59 x 46 cm
Collection Marie Redonnet / Bernard Prince
74
Sans titre
Technique mixte sur plaque de goudron
59 x 46 cm
Collection Marie Redonnet / Bernard Prince
75
Sans titre
Technique mixte sur plaque de goudron
59 x 46 cm
Collection Marie Redonnet / Bernard Prince
76
77
connaissance de soi, de l’autre et Maroc, au Bénin, au Sénégal, mais
de l’échange… Un exercice spirituel aussi en France, en de nombreuses
d’abord destiné à former et forger circonstances différentes, à
les esprits, qui apprend à vivre et à « documenter » son activité artistique
métamorphoser nos rapports avec le et en faire le modèle de sa propre
monde et les choses. pensée sur l’art. Simultanément,
par l’entremise d’ateliers, ouvert
Dans cette optique, Michel Foucault
à toutes les expériences publiques
ouvrait la première des perspectives :
ou collectives, il s’est offert à la
« Voilà ce que j’ai essayé de pratique de l’altérité, passeur des
reconstituer : la formation et le autres cultures, brassant les sens
développement d’une pratique de soi diversifiés et hétérogènes, négociant
qui a pour objectif de se constituer soi- infatigablement multi culturalités et
même comme l’ouvrier de la beauté de transdisciplinarités… comme Les Sept
sa propre vie. »15 conteurs de Tulle qui s’acheminent,
entre jubilation et retenue, vers la
Synchroniquement, la radicale force d’un art maîtrisé de la fragilité et
critique de la totalité par Emmanuel de l‘inquiétude.
Levinas, assujettie à l’expérience
de la transcendance-telle qu’elle Nadine Descendre,
inspire la pensée éthique et donc, Rabat, juin 2001/septembre 2009
notre action dans le temps-élargit
l’expérience structuraliste à la
proximité de l‘Autre, associé à l’idée
de l‘infini.
78
Notes
1. Extrait cité sous le titre Le sujet de la peinture dans l’ouvrage Parole nomade, l’expérience d’un peintre
qui rassemble des textes de Mohammed Kacimi ; ed. Al Manar ; coll. Approches et Rencontres, p. 35
2. Extrait cité sous le titre de la liberté en art : être et faire dans l’ouvrage Parole nomade, l’expérience
d’un peintre qui rassemble des textes de Mohammed Kacimi ; éd. Al Manar ; coll. Approches et
Rencontres, p. 53. Par cette formule Kacimi s’oppose au poète et critique d’art irakien, Haydari, qui
semble soutenir que le rôle de l’artiste se résume essentiellement à être un vecteur des « idées et
des croyances », médiateur entre le public et une pensée une vision consensuelle du monde.
3. « On ne peut parler de mouvement (d’école) ni au Maroc ni dans le monde arabe, vu la diversité
qu’on y découvre et l’indépendance du traitement des formes, du monde, de l’espace. » In Parole
nomade, l’expérience d’un peintre, p. 41.
4. « Nous sommes ici (dans le champ contemporain de l’art) face à la multiplicité, non à l’unité ; à
la différence, non à l’identité ; à l’hétérogénéité, non à l’homogénéité. Si unité il y a, ce n’est pas
celle inapaisable, de l’inquiétude, cette masse de nuit dont la trame entretient l’angoisse, engendre
le désarroi. Unité essentiellement négative, elle transforme la sensibilité, le ‘goût’, perturbe la
représentation et imprime une mutation irréversible à la représentation de l’espace. A tel point que
la pratique plastique à notre époque, apparaît comme un viol quotidien du goût commun… » In :
Parole nomade, l’expérience d’un peintre p. 35
5. A Bab Rouah : au mur, des œuvres réalisées en France et encore (pour la plupart d’entres elles)
jamais montrées au Maroc avant 2002. Et au sol, des volumes métalliques peints récupérés auprès
des ouvriers ayant travaillé dans les lieux mêmes.
A Bab El Kebir : évocation et témoignages à travers divers spécimen des interventions hors atelier.
A la Galerie Mohamed El Fasi : un accrochage des photographies réalisées en Afrique.
6. « De quelle esthétique relèvent ces bouquets de roses en plastique que l’on trouve actuellement dans
nombre de maisons marocaines ? La confection de ces fleurs ressort-elle à quelque semblance/
simulacre ?
Comment penser le problème du redoublement en notre société ? Son rapport à la question
esthétique ? Il est une catégorie contemporaine de gens riches, nouveaux ou anciens, qui, lorsqu’elle
meuble ses appartements – ce n’est qu’un exemple – installe simultanément ce qu’on appelle
communément salon européen moderne et salon typiquement marocain (entendez : traditionnel). Où
s’arrêtera cette tragi-comédie schizophrène ? » In Parole nomade, l’expérience d’un peintre p. 36
7. Extrait cité sous le titre Le voyage des signes dans l’ouvrage Parole nomade qui rassemble des textes
de Mohammed Kacimi ; ed. Al Manar ; coll. Approches et Rencontres, p. 90
8. Métissages de François Laplantine et Alexis Nouss, J.J. Pauvert, 2001.
9. In Vingt-deux peintres marocains pour les droits de l’homme, extrait cité sous le titre Imaginaire et liberté
dans l’ouvrage Parole nomade qui rassemble des textes de Mohammed Kacimi ; éd. Al Manar, coll.
Approches et Rencontres, p. 90.
10. Sous réserve, évidemment, que l’artiste ait su lui trouver sa forme la plus pertinente.
11. Jean-François Lyotard : Que peindre ? éd. La Différence, 1987.
12. Se référer à l’ouvrage de Christine Buci-Glucksmann « L’œil cartographique de l’art » édité
en 1996 par les Éditions Galilée.
13. L’Exposition « Les Magiciens de la terre » - mai 1989, Centre Georges Pompidou et Grande Halle de
la Villette, Paris, dont le commissaire était Jean-Hubert Martin, a généré alors beaucoup de critiques
et soulevé de bouillants débats en son temps. Aujourd’hui, on sait combien (malgré ses défauts de
jeunesse) elle a totalement changé la vision que se font le public, les gens de musée ou même les
galeristes. « L’art contemporain » n’était plus qu’occidental, européano-américain, mais s’ouvrait
enfin au monde, en transgressant les catégories muséographiques et commerciales…
14. In Parole Nomade, p. 127.
15. Entretien avec M. Foucault, Magazine littéraire, numéro 2071.
79
Sans titre
1989
Acrylique sur toile
73 x 65 cm
Collection Groupe Attijari Wafa Bank
80
Sans titre
2000
Acrylique sur toile
167 x 136 cm
Collection privée
81
Parole nomade
Mohammed Kacimi
Approche et rencontre
Al Manar
82
83
84
Le creux du corps
Poèmes de Mohammed Kacimi
85
Je se souvient
de sa tombée
du ventre de l’Atlas
La nuit spirale
pourpre
bleue
noué à la crinière sombre
Je lèche la lumière
le cèdre émerge
de mon corps
l’eau de tes yeux
86
Je
présent
nu
saisi par l’absence
des mots
La foule brûlée
par
des années de noir
le cri
rauque
l’errance affective
par la peur prise
au ventre
le mot liberté
sort
de ma bouche
saignant
je te prends
87
… mon pays
entre songes et dérives
galaxie embryonnaire
faite de fleurs
d’or
de bleu
des pierres dissoutes par le feu
et d’avortement
88
par la peur
je couvre mes rêves
d’ombres
pour plus tard les explorer
et voir ton visage
à l’éclat mortel
un ordre qui émerge du chaos,
fibres dorsales du temps
des chemins d’arcatures
entrelacs
d’éternité
mon pays
comme absence, l’abîme
ou le soleil
un trait d’azur
mordant dans les os
d’un vieux cimetière
couvert de limon, d’argile
et de quelques iris sauvages
89
les strates
vocales nostalgiques
le regard revient
des images d’ombre
les doigts font vibrer le oud
le tête appuie
sur le bois tressé
finement ciselé pour
écouter
le vent
le son
venant du creux du corps
de cette zone concave où le mystère se fait
Editions Al Manar
1996
91
Orage, Zéphyr
Tahar Bekri, Mohammed Kacimi
Corps Ecrit
Al Manar
92
93
Orage, Zéphyr
Tahar Bekri, Mohammed Kacimi
Corps Ecrit
Al Manar
94
95
Repères biographiques
97
Principales expositions personnelles
98
Publications
Collections Publiques
99
Principales expositions collectives
100
1991 : Galerie nationale Bab Rouah, Rabat : Présences pour les Droits de l’Homme
Institut du Monde Arabe, Paris : Peintres du Maroc
1992 : Biennale de Dakar
Biennale du Caire
Musée Muhka d’Anvers
Galerie Ipso, St. Gilles, Belgique : La Peinture contemporaine au Maroc
Galerie Al Manar, Casablanca : Dessins écrits et propos
1993 : Exposition itinérante : Peinture du Maghreb, en Espagne et à Gand
Galerie Al Wacety, Casablanca
1995 : Institut du Monde Arabe, Paris : Tapis volants
B.M.C.E., Paris : Peinture marocaine dans les collections françaises
1996 : Les artistes africains et le Sida, Cotonou, Dakar, Abidjan
1997 : Couvent des Cordeliers, Paris : Suites africaines
Medersa Ibn Youssef, Marrakech : Méditations
Galerie Nikki Diana Marquard, Paris : Algérie, je n’oublierai jamais mes amis
1998 : Galerie Skoto, New-York
Musée d’art moderne de la ville de Paris : Hommage à Marie Odile Briot
Exposition internationale à l’occasion du 50ème anniversaire de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, Paris
2000 : Institut du Monde Arabe, Paris : Hommage à Adonis
Galerie Delacroix, Tanger : Hommage à Adonis
Exposition itinérante : Tawassul, Nouvelles rencontres d’arts plastiques entre
l’Espagne et le Maroc, Rabat, Casablanca, Séville, Madrid et Barcelone
Borj Bab Marrakech, Essaouira : La cinquième saison
Espace d’art Actua, Casablanca : La cinquième saison
2001 : Villa des Arts, Casablanca : Les artistes et l’eau
Galerie Atassi, Beyrouth et Damas
2002 : Villa des Arts, Casablanca : Jean Genet et le monde arabe
2003 : Galerie Brunei, Londres : Beyond the Myth Art contemporain marocain
101
Interventions hors atelier
102
103
Khalil M’rabet
Nadine Descendre
105
Remerciements
Les institutions et les collectionneurs qui ont consenti au prêt des œuvres exposées :
2M
107
Kacimi : un hommage
Ce livre est édité à l’occasion de l’exposition des œuvres de
Kacimi à l’« Espace Expressions » CDG, nouvelle galerie de
la Fondation Caisse de Dépôt et de Gestion, du 27 janvier au
13 mars 2010.
Conception et coordination :
Sylvia Belhassan
Jalil Bennani
Bernard Prince
Hassan Slaoui
ISBN
978-9954-501-05-4
Dépôt légal
2010 MO 0158
110
Kacimi à l’église Saint-Pierre
Musée du Cloître
Tulle. France 1997
111
112