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Densité dansée
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par Georges Didi-Huberman
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Po&sie
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1
ISBN : 9782701175201
aris, le 20 décembre 2013,
DOI : 10.3917/poesi.147.0095
P
2
Éditeur : Belin Chère Maria Kourkouta,
Site de la revue
[1] M. Kourkouta,
[1]
fois . Je l’ai revu souvent. Il garde bien son mystère. Je refais aujourd’hui – alors
Retour à la rue
d’Éole, 2012-2013. même que tu te trouves, ces jours-ci, près des tiens à Thessalonique –, retour à
Film...
lui, retour vers lui, parce que, comme à chaque fois, je le sens faire retour vers
Alertes e-mail
moi. Pourquoi insiste-t-il en moi, telle une musique qui ne voudrait plus me
Sommaire des nouveaux
numéros
lâcher ? Dès le début, il m’est venu à l’esprit que, dans ton film, ce retour à
Votre e-mail quelque chose – une rue populaire d’Athènes où tu as, peut-être, des souvenirs
➜
dont nous, spectateurs, n’aurons pas accès, mais qu’importe – indiquait le
Voir un exemple S'inscrire
que le premier titre imaginé par toi pour ce Retour était justement Exode, comme
si revenir à quelque chose, dans un film qui ne cesse pas de construire des
paradoxes gestuels et temporels, pouvait engager l’acte même d’une sortie, d’une
fuite, d’un exil ou d’une « échappée belle » comme la langue française le dit si
forme pour ton devenir dans la pratique du cinéma, voire dans la conduite de ta
4
Sortir – mais sortir de quoi ? Sortir du temps, me suis-je dit spontanément. Sortir
du temps ? Cela ne se peut pas, bien sûr. On ne « sort » pas du temps sauf, peut-
être, à entrer dans la mort. Sortir du temps, c’est impossible. Je vais pourtant
donnait leur horizon – leur exigence – aux rimes des gestes humains autour
peut-on essayer de sortir du « temps imparti », celui qui murmure contre notre
ff Il d il d
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tempe, affreusement : « Il te reste tant de temps, il ne te reste que tant de
[2] Pour une
[2]
contraintes sociales dont souffrent nos temps, nos âmes autant que nos corps .
critique sociale
des usages du C’est comme lorsqu’on dit, dans ce domaine industriel des images-télé auquel tu
temps, cf....
es, de toute façon, complètement étrangère : « Vous avez cinquante-deux
5
Sortir du temps imparti, serait-ce alors partir à la rencontre d’un temps autre, que
je pourrais appeler un temps départi, un temps pour ainsi dire « anarchiste », délié
J’imagine, devant ton film, ce temps particulier : un temps pour sortir – pour
extraire, pour sauver d’une certaine manière – les images, les mouvements, les
alors, d’en accentuer le rythme selon les exigences souveraines, non calculables,
poétique. Ton Retour à la rue d’Éole ne serait-il pas à regarder comme un retour au
rythme de certaines choses envolées dans le vent du temps ou mises au pas dans
6
*
7
Retour à la rue d’Éole se présente d’abord sous la forme d’un montage de brèves
séquences – retravaillées dans leurs durées, leurs rythmes, comme dans leur
complètement mais duquel les Grecs, d’après ce que tu m’as dit, sont encore très
soixante – d’où, sans doute, le sous-titre que tu donnes à ton film : Six peintures
des metteurs en scène tels que Michalis Cacoyannis et des acteurs tels que
Thanassis Véngos, qui fut une sorte de Raimu grec. Sans compter l’admirable
Elli Lambeti qui s’échappe dans ton film, on ne sait d’où ni de quoi, comme Anna
Magnani pouvait courir dans les rues de Rome, à la même époque, dans les films
[3] Les séquences
[3]
de Rossellini ou de Pasolini . Vers la dixième minute du film, tu as voulu
sont tirées des
[4] Mariage
[4]
documentaires dus à Takis Kanellopoulos, Costas Sfikas et Stavros Tornes
macédonien
(1960) de Takis (dont tu admires particulièrement, m’as-tu dit, le travail). Tu sembles avoir voulu
Kanellopoulos ;...
préciser, dans l’une de tes rarissimes prises de parole publiques, que ces films
anciens ont été tournés dans une période de l’histoire grecque qui se situe entre
[5] M. Kourkouta,
[5]
dictature des colonels de l’autre (qui commence en 1967 ).
« Retour à la rue
d’Éole. Entretien
avec... 8
Si l’on voulait parler de ton film en termes de genre, on n’aurait aucun mal à y
reconnaître la tradition, déjà bien ancrée dans l’histoire du cinéma, des films
dits de found footage. Cela n’a rien d’étonnant puisque tu travailles au sein de
[6] Cf. notamment
[6]
Godard, Chris Marker et Harun Farocki … Je puis seulement témoigner de ton
J. Leyda, Films
Beget Films. A lien d’amitié avec le grand documentariste grec Fotos Lamprinos – lui-même
Study...
proche de Michaïl Romm dont il a été l’élève, de Sergueï Paradjanov et de Theo
Angelopoulos avec qui il a souvent travaillé –, bien que l’enjeu de ton Retour à la
rue d’Éole n’ait rien à voir avec le souci « archivistique » en tant que tel, au sens où
[7] S. Sandusky,
[7]
Sharon Sandusky, en 1992, avait pu en décrire les enjeux principaux .
« The Archaeology
of Redemption
https://www.cairn.info/revue-poesie-2014-1-page-95.htm 2/23
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of Redemption :
Toward... 9
Laisse-moi s’il te plaît, puisque ton film remonte le temps de quelques gestes
moderne : « Il est intéressant de noter que nos maîtres, tels que Kouléchov et
Vertov, se sont formés grâce aux actualités, autrement dit avec un matériau qui
offre peu de prise pour la réalisation. En coupant dans les bandes d’actualités et
[8] V. Chklovski,
[8]
de manière inattendue » .
Leur présent
[1927], trad. V.
Pozner,... 10
Remonter, donc : nager à contre-courant. Remonter vers la source – or la source
n’existe pas « telle quelle », bien sûr, elle n’existe pas comme « source unique » ou
« point d’origine », elle est bien trop ramifiée, multiple, souterraine et complexe
pour qu’on la puisse atteindre… Mais c’est elle qui donne le motif, le mouvement
à ton adresse, chère Maria, c’est ce passage de Chklovski avec un autre de ses
[9] Id., « Poésie et
[9]
textes écrit la même année, intitulé « Poésie et prose au cinéma » .
prose au cinéma »
11
Dans ce texte, en effet, il est question de beaucoup de choses qui t’intéressent
dans ta propre pratique du cinéma : le rythme, bien sûr, mais aussi ce que
exactitude : ce qu’il nomme « la polysémie de l’image poétique et le halo qui lui
simultanées » rendues possibles par un traitement des images qui les empêche
[10] Ibid., p. 59-60.
[10]
« d’acquérir une réalité » tangible ou définissable avec certitude . La
position se forme plutôt dans la lenteur des cadres, quelque chose que tu m’as dit
exactement question de cela dans Retour à la rue d’Éole : des techniques d’extrême
précision pour obtenir des « halos » – des tourbillons, des tempêtes fussent-elles
12
*
13
Or, Chklovski a voulu nommer cela poésie. Accordons-lui qu’il savait assez bien de
quoi il parlait, je pense notamment à son fameux essai de 1917 sur « L’art comme
[11] Id., « L’art
[11]
Jakobson et de Propp d’un autre . Ce qu’il y énonçait de la littérature, j’ai
comme procédé »
Todorov,...
« singularisation » d’un objet pourtant familier – il s’agit plutôt, dans Retour, de
simples gestes, dévaler la rue d’un village, tourner sa tête de droite à gauche,
danser dans une taverne, se heurter à un mur, ouvrir grands les bras, égrener du
blé entre ses doigts – nous le fait découvrir « comme si on le voyait pour la
première fois » et cela, continue Chklovski, pourrait être lié à une « sensation de
dans ton film, le tempo normal se voit bouleversé, profané, « violé » même,
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[12] Ibid., p. 84, 94,
[12]
comme Chklovski ose s’exprimer .
96, 97.
14
Sans compter le remontage des fragments auxquels tu as procédé pour Retour à
[13] B.
[13]
« ciné-périodes » . Mais cette modernité elle-même, d’où vient-elle, à quoi
Eikhenbaum,
« Problèmes de remonte-t-elle ? Je repense à Walter Benjamin, lui qui a si bien compris les
ciné-stylistique »
enjeux, esthétiques et politiques, du montage moderne (qu’il soit littéraire ou
[1927],...
visuel). N’est-il pas intéressant qu’il soit parti du romantisme pour se forger les
outils d’une telle compréhension ? Et qu’il soit parti – dans son premier écrit
[14] W. Benjamin,
[14]
chaos ? Quelque chose que les poètes-philosophes du romantisme
Le Concept de
[15]
nommaient, justement, un art du « fragment expérimental » ?
[15] F. Schlegel,
Fragments (1797-
15
1800), trad. C. Le Remontage n’est donc pas – loin de là – synthèse. Et pourtant tout se passe, dans
Blanc,...
un film comme dans un poème, selon tout autre chose qu’un « agrégat » de pures
par Hölderlin dans ses essais poétiques écrits autour de 1799 : la poésie, disait-il,
[16] F. Hölderlin,
[16]
se situe au « sommet hyperbolique de la contradiction » . Et cependant il crée
« La démarche de
l’esprit – il modèle, il sculpte dans le vent des mots et des rythmes – ce « ton
poétique »...
fondamental » rétif aux définitions, comme tu peux le lire dans ce texte si
Poème énergique. 16
Ton fondamental.
Langage
Effet.
genres poétiques »
17
[vers... Même si ce texte semble tourbillonner autour de lui-même, ne crois pas, chère
Maria, que je m’éloigne tant que cela de ton Retour… Je suis frappé que
[18] Id., « La
[18]
progression » : ce que tes boucles d’images mettent en œuvre dans
démarche de
op. cit.,...
reviendrai, puisque ton film est à la fois argentique et numérique). Hölderlin
« Si l’on doit éprouver, et si l’on éprouve en effet le constant dans la dissolution,
écrivait Hölderlin, alors l’inépuisé, l’inépuisable des relations et des forces, ainsi
[19] Id., « Le
[19]
que leur dissolution, seront ressentis à travers cette fusion [des formes] ».
devenir dans le
périssable » [vers
1799],... 18
Ce fut bien mon impression devant les images de ton film : l’inépuisable d’une
durée où les gestes humains affirmaient leur constance jusque dans leur
h ld li i h b li é i f i i é é à
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hölderliniens, « hyperbolisé » – mis en formes et en intensités, porté à une
séparations dont ton film est entièrement tressé : « Mon idée était de faire un
petit film comme réponse à une amie grecque qui m’avait dit qu’il faut que
j’assume mon choix d’être partie du pays, d’où vient aussi la petite dédicace au
début du film. L’idée de travailler sur des images d’autres cinéastes m’est venue
ainsi que par la fascination que j’ai eue pour ces films populaires. Mais, au fond,
la réalisation de ce film est une longue histoire qui ne m’est pas très claire. Si j’y
pense après coup, je pourrais dire que la naissance du film, tel qu’il est, vient
d’une séparation, ainsi que de la mort d’une personne très proche. Après, il est
devenu comme l’histoire de presque toute ma vie, je veux dire d’une expérience
très profonde et intime, même si le film ne porte aucune matière tournée, écrite
ou prononcée par moi-même. À la fin, ce travail est devenu comme une sorte
[20] M.
[20]
d’expression ou d’acceptation d’un chagrin plus collectif que personnel » .
Kourkouta,
« Retour à la rue
d’Éole. Entretien 19
*
avec...
20
Dans le temps relativement bref de ton Retour, il y a donc beaucoup de choses qui
font retour : qui reviennent de loin ou qui se répètent sous nos yeux. On pourrait
et musicales –, mais force est de constater que la citation, dans ton cas, se
citation, dans ton film (qui modifie profondément les matières d’images alors
voire de tact, bien qu’elle se situe dans l’écart même, dans la distanciation
21
Je ne sais si, en grec moderne, on dit comme en français : « tourner un film ». En
tout cas, le cinéma est né, non seulement comme un art de la reproductibilité – à
même négatif –, mais aussi bien comme le grand art du faire-retour des images : le
train des frères Lumière, si l’on y pense, n’a plus jamais cessé et, sans doute, ne
cessera plus pour très, très longtemps, de refaire son entrée en gare de La Ciotat.
[21] A. Bazin,
[21]
veut, la « mort tous les après-midi » du toro bravo ou du torero Manolete dans
« Mort tous les
[1951], Le
d’intensités répétées – et de la bobine qui dévide ses vingt-quatre photogrammes
Cinéma...
22
Tu as dit toi-même, chère Maria, que tu « n’aurais jamais fait ce travail de collage
[22] M.
[22]
l’intérieur] la phrase de Georges Cheimonas que le monde devienne image . » Or
Kourkouta,
« Retour à la rue c’est justement ainsi que commence ton film. Nous voyons d’abord les images
d’Éole. Entretien
ralenties et très contrastées de femmes qui dévalent la rue d’un village grec ;
avec...
dans le film de Michalis Cacoyannis qui est ta source, elles courent, affolées, vers
le port, car des enfants, leurs propres enfants peut-être, se sont noyés ; là-dessus
s’élève la voix grave, ressentie comme antique – c’est pourtant une archive
est déjà superposé au plan de la course –, une voix qui prononce cette phrase qui
[23] G
[23]
d d i i (fi ) Q l h i l
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[23] G.
[23]
monde devienne image » (fig. 1). Quelque chose qui nous parle
Cheimonas, Les
Bâtisseurs [1979], immédiatement du cinéma en général, fût-ce à travers ton propre désir de
trad. M.
cinéma, quelque part entre – je veux dire par l’entremise de tours et de détours,
Volkovitch,...
23
Je ne te remercierai jamais assez de m’avoir fait connaître – même si je ne le lis
1
m’aura sans doute fasciné d’abord dans tes images, comme il me fascine
virtuosité spéciale de tes procédés visuels ou narratifs, par exemple, mais pour le
« connaissance par les poèmes » que je rencontre ailleurs, chez des amis iraniens
ou andalous, par exemple, mais jamais vraiment dans les pays – comme la
France ou les États-Unis – qui ont refoulé les arts poétiques derrière les arts
visuels (alors qu’ils avaient avancé main dans la main pendant des siècles et, au
24
Tu cites aussi la phrase suivante de Cheimonas dans Les Bâtisseurs : « Ce sera là
l’ultime vie des hommes : être couverts d’une image. » Et pendant que s’élève la
belle voix de jeune femme, c’est un visage de jeune homme qui vient se
homme. Ses yeux fermés. Sa tête qui balance tout doucement. Une souffrance
sur tout cela. Elle me rappelle la façon dont Manuel de Falla et Federico García –
e
du XX siècle, la musique des Gitans andalous, le cante jondo (ici ce serait plutôt,
Georges Séféris (fig. 2), un poème qui ouvre ses Mythistorima (mot qui ajointe le
Le messager 25
[…]
L’été nous nous perdions dans l’agonie du jour qui ne pouvait mourir
Lacarrière...
27
Mais j’ai déjà l’impression d’être allé trop vite. Je reviens au début de ton Retour,
2
je rembobine. Quelque chose n’a pas été dit que j’avais pourtant éprouvé
réentends : « Que le monde devienne image. Ce sera là l’ultime vie des hommes :
être couverts d’une image. » Tout film, pourrait-on se dire, fait du monde un
monde d’images. Mais les phrases de Georges Cheimonas semblent bien plus
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g y q p J g
temps » ? Quand j’ai vu apparaître ces phrases dans ton film, j’ai pensé
lisant Cheimonas, assez proche en cela de Georges Bataille, j’ai bien compris
parlant, d’être centraux – de l’image et de l’incarnation tels que les aura mis en
28
Grégoire de Nazianze ou Grégoire de Nysse, Basile de Césarée ou Nicéphore le
[25] Cf. M.-J.
[25]
comment produire une image qui ne fût pas idole, et ils nommaient cela eikôn
Mondzain, Image,
icône, économie. (en grec ancien). À rebours de cette théologie dont il maintient pourtant le
Les sources...
vocabulaire – pour en prolonger la teneur apocalyptique –, Georges Cheimonas
semble plutôt se demander comment faire une image, une eikôna (en grec
moderne) qui ne soit pas icône, c’est-à-dire qui soit capable de reposer à
phrases citées dans ton film sont immédiatement suivies, dans le texte des
byzantins » au sens strict de la ronde-bosse, il n’y a donc que fort peu de grands
29
L’horizon s’est éloigné. La vie est apparue d’abord aux murs. Un mur enduit
d’une matière comme du sens. Ailleurs les murs gonflaient saillaient comme s’ils
travers qui lentement se dénouant tombaient que l’on sache à nouveau combien
[26] G.
[26]
la lumière est bonne .
Cheimonas, Les
Bâtisseurs, op.
cit., p. 73.
30
Je ne peux pas, lisant ces lignes, ne pas penser au rêve que tu m’as raconté une
fois, un rêve que tu as fait la veille d’un jour où Retour à la rue d’Éole devait être
images du film, dans ce rêve, devenaient sous tes yeux des statues – l’écran
jouant dans cet accouchement monstrueux le rôle que le mur jouait dans le texte
mais encore sur ta façon, analogue à celle du poète, de produire des images
31
Ton film est « anachronique » en ceci, déjà, qu’il utilise des techniques
numériques pour créer des mouvements d’images – des boucles comme je n’en ai
tempi très finement calculés –, des images pour faire retour. Il faut l’entendre selon
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cinématographique pas minable du tout). C’est ainsi que ton film commence
vraiment avec un écran noir que constellent les petites étoiles blanches – ou les
lucioles – qui signalent les poussières inévitables sur la pellicule ; c’est ainsi que
esthétique ; c’est ainsi que la surface filmique possède son « aura de bord », ne se
détachant pas sur l’écran avec la précision cruelle des images numériques ; et
c’est ainsi, surtout, que l’image retrouve cette pulsation typique du film celluloïd,
cette danse du temps que ton film veut justement mettre en scène.
32
Deuxièmement, tes images font retour à une culture visuelle qui serait celle de
tes grands-parents, ceux qui ont connu toutes les guerres, plutôt que de ta
mourir. Alors le calme s’est fait. Posant la tête contre le tronc du pistachier j’ai
[27] Id., Roman
[27]
penché la tête apaisé. […] Quelques jours plus tard je suis parti pour Paris . » Il
[1966], trad. M.
Volkovitch, Paris, y a aussi la danse du zeibekiko si lente, si lourde de drames, dans la taverne du
Sillages-Noël...
film L’Ogre d’Athènes de Nikos Koundouros (fig. 5-6). Il y a encore la façon dont tu
cosmiques (fig. 7-8)… Troisièmement, enfin, ce à quoi tout cela fait retour me
semble plonger dans une matière visuelle et temporelle bien plus ancienne
encore : une matière quasiment homérique, celle qui m’a fait si fortement
33
*
3
34
C’est en cela d’abord, et par-delà toutes ses citations visuelles ou textuelles, que
parce qu’il retourne-à et intériorise ce retour, lui donnant forme pourtant, c’est-à-
dire une extériorité, une visualité accessible, partageable par tout le monde et
4
ressentie comme un horizon, un geste qui se tourne-vers. Ossip Mandelstam disait
de la poésie qu’elle est « la charrue qui affouille le temps afin d’en faire émerger
[28]
les couches profondes, le tchernoziom » , c’est-à-dire la « terre noire », riche
en humus, qu’il faut aller chercher profond pour que la surface – notre présent –
s’en trouve fécondée. Maldelstam parlait de cette profondeur comme d’un « hier
5 [29]
[qui] n’est pas encore venu, qui n’a pas réellement existé » et n’existera que
film, chère Maria, est sans aucun doute liée à quelque chose de l’ordre de la
mémoire. Emil Staiger ne voyait-il pas, dans le « style lyrique » des Grecs
[30]
anciens, une composante fondamentalement mémorielle ? Mais la phrase de
6 Mandelstam nous enseigne, plus finement, que retourner, ce n’est justement pas
aller en arrière – et c’est ici la psychanalyse qui nous aura aidés à comprendre
que la mémoire est, avant tout, affaire de désir, c’est-à-dire de futur aussi.
7 surface, ou du passé vers le présent, quelque chose que l’on ne voyait pas ou que
l’on croyait perdu. Retourner, ce serait donc donner forme à notre présent, le
35
*
8 36
Il fallait donc bien que ton film s’intitulât Retour. J’ai pu lire, dès le début, en
lettres capitales sur le fond noir de l’écran, le mot EPISTROFH. Je ressors mon
vieux dictionnaire de grec ancien, qui ne m’a pas quitté depuis l’adolescence et
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se trouve aujourd’hui presque en lambeaux. J’y trouve quatre grands paradigmes
pour ce seul mot épistrophè, quatre vecteurs de sens qui montrent à quel point le
[28] O.
Mandelstam, geste du retour n’est en rien la réinstauration de ce qui a été. Le premier est le
[29] Ibid., p. 46. combat, l’action de se retourner contre quelque chose ou quelqu’un ; le deuxième
est le souci pour autrui, l’action de se diriger, fût-ce en esprit, vers quelqu’un pour
[30] E. Staiger, Les
Concepts
lui manifester soin, attention, sollicitude ; le troisième est la modification, lorsque
fondamentaux de
l’action de tordre, de faire tourner les choses sur elles-mêmes, comme une tresse
poétique).
37
Ton « épistrophe » poétique, chère Maria, plonge bien dans la « terre noire » de la
quelque chose, y faire bouger quelque chose dans le monde même où tu as évolué
constituent, c’est le cas de le dire, des figures récurrentes. P. Adams Sitney a bien
position légèrement avancée du zoom, du prochain plan sur celui que l’on est en
[31] P.A. Sitney, Le
[31]
processus temporel . » C’est ainsi que le personnage qui tourne sur lui-même
Cinéma
visionnaire : dans ton film (fig. 7-8) donne à la fois l’impression de fuir l’espace ou, même, de
l’avant-garde...
se dissoudre complètement, alors qu’il persiste, qu’il ne cesse pas de fuir sous nos
yeux – « il ne cesse pas de cesser », comme disait à peu près Samuel Beckett –,
quelque part entre la vitesse immobile d’une toupie, une métope grecque et un
météorologique.
38
Est-ce cela que, par ailleurs, tu admires tant dans les paradoxes temporels du
[32] A. Tarkovski,
[32]
nommait « le flux du temps à l’intérieur du plan » et dont tu sembles offrir,
Le Temps scellé,
trad. A. Kichilov avec cet homme-tornade (mais une tornade si lente), comme une radiographie
et...
ou une image de « résonance magnétique » à l’échelle d’un seul geste corporel ? Je
ne sais pas. Ce serait à toi de me répondre là-dessus. Mais ton amie Niki
Giannari – qui a écrit sur ton film un très beau texte, malheureusement inédit –
a bien vu, dans ces paradoxes temporels et gestuels, la marque même d’un
interminable – d’Hector par Achille à cette course arrêtée de celui qui « dans un
rêve n’arrive pas à poursuivre un fuyard et que celui-ci à son tour ne peut pas
[33] Homère,
[33]
plus fuir que l’autre le poursuivre … »
Iliade, XXII, 200-
201, trad. P.
Mazon, Paris,... 39
Il suffit d’un saut de quelques siècles – ils se franchissent si facilement dans
chaque recoin de nos bibliothèques – pour retrouver ces mêmes paradoxes dans
la poésie d’Odysseus Elytis. Tu ne la cites pas dans ton film, peut-être justement
parce qu’elle te serait trop proche (le fragment de Constantin Cavafis intitulé
Reviens et prends-moi, que l’on entend sur les images de la jeune femme en fuite,
dans un livre extraordinaire, Maria Nepheli ou Marie des Brumes, dont je peux
m’imaginer que tu l’auras lu comme s’il s’adressait à toi). Dans cette poésie,
retours homériques :
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40
disais « bah tu t’y feras ! » Autour de moi, c’était un vrai carrousel. Les choses et
les gens couraient, couraient – jusqu’à ce que je m’y mette, moi aussi, à cavaler
comme une folle. Mais on dirait que je suis allée trop loin. Alors – je ne sais plus –
il s’est passé un truc bizarre sur la fin. D’abord j’ai vu le type mort puis il y a eu le
[34] O. Elytis,
[34]
crime. D’abord une pluie de sang, puis le coup et le cri .
Marie des Brumes
[1978], trad. X.
Bordes...
41
Quelques lignes plus loin, Marie des Brumes dira, à l’adresse du poète : « Nous
[35] Ibid., p. 24.
[35]
nous sommes regardés au travers de la pierre . » Quelques pages plus loin, elle
s’écriera pour elle-même : « Inscris-toi quelque part peu importe comment / puis
[36] Ibid., p. 32.
[36]
efface-toi de grand cœur » . Puis elle constatera : « Nous sommes le négatif du
les perforations sauteraient, qui se brise ou se brûle en pleine vie, je veux dire en
pleine séance de projection. Lorsque Marie des Brumes voit « d’abord une pluie
de sang, puis le coup et le cri », elle délivre une vision poétique qui n’est pas retour
42
*
43
Ce serait justement là une caractéristique cruciale de ce que, depuis Viktor
scénario de cinéma à partir d’un de ses poèmes L’Étoile de mer, « un poème simple
[38] R. Desnos,
[38]
comme l’amour, simple comme le bonjour, simple et terrible comme l’adieu » .
« L’étoile de mer »
[1928], Les Rayons Je ne m’étonne pas que le film éponyme de Man Ray, tourné la même année, ait
et...
mis en œuvre, avec ses moyens propres, des textures et des mouvements
verre dépoli – que l’on retrouve dans la poésie visuelle de ton Retour à la rue d’Éole
(fig. 7-8). En 1937, Desnos avait fini par revendiquer le cinéma comme partie
intégrante et, même, cruciale, de son activité poétique : « Le cinéma parlant est
[39] Id., « Réponse
[39]
moment » . Histoire de laisser se manifester la « puissance des fantômes […]
à une enquête sur
[40]
par la grâce de la lumière et du celluloïd » , comme elle l’est, dans un poème
[40] Id.,
« Puissance des écrit, par la grâce des phrases et de leurs scansions rythmiques. Histoire de faire
fantômes » [1928],
du cinéma une poésie des revenances, s’il est vrai que rien n’est plus salutaire à
ibid., p. ...
puissance des fantômes, qui n’est rien d’autre que l’énergie même de leurs
retours :
44
Heureux l’homme soumis à ses fantômes. Certes, il connaîtra des nuits désertes,
l’homme parmi les créatures. Jamais l’or ne le détournera de son chemin. Jamais
terrible de ses rêves, est-il quelque chose sur terre qui pourrait l’épouvanter ? Ce
qui vaudra pour lui d’être vécu, c’est l’amour d’une femme, c’est le mystère des
[41] Ibid., p. 116.
[41]
nuits, c’est la jalouse défense de la liberté …
https://www.cairn.info/revue-poesie-2014-1-page-95.htm 10/23
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45
Comme dans ton Retour à la rue d’Éole, il y avait dans L’Étoile de mer des gestes
humains extrêmement simples. Or, ce sont les gestes qui font d’abord de nous
ces fantômes, ces revenants. Chère Maria, tu sais sans doute, comme tout le
monde, de qui, dans ta généalogie, te viennent ton nom et ton prénom. Tu dois
savoir aussi que tes gestes – tes gestes présents –, tu les tiens d’un temps très
long, d’une généalogie à la fois plus large et moins évidente. Et c’est pourquoi
femme qui s’enfuit autrefois (fig. 3-4) vient en quelque sorte se superposer, se
fait de nous tous, pour peu que nous y réfléchissions, nos fantômes : nos propres
gestes. Presque tout ton film me parle de cela : courir d’angoisse vers la mer (fig.
1), balancer la tête dans l’abandon à la douleur (fig. 2), danser en société juste
avant d’en mourir (fig. 5-6), sauter tous les obstacles pour une seule bonne action
[42] Les
[42]
(fig. 7-8) …
photogrammes
figurant dans ce
texte sont 46
(À suivre)
extraits...
suite)
47
Paris, le 28 décembre 2013,
48
Chère Maria Kourkouta,
49
Dans la seconde partie de ton film, tu as utilisé des séquences documentaires –
dont l’une, m’as-tu dit, se déroule dans ton propre village – à travers lesquelles
nous parviennent d’autres gestes simples, ceux des tavernes, des fêtes et des
marchés (fig. 9-11) ou bien, pour finir, cette admirable danse rituelle du jeune
homme avant son mariage (fig. 12) qui m’a si fortement rappelé, soit dit en
cette dimension plus anthropologique que narrative : à part les poètes, en effet –
par exemple Rilke disant de nos gestes qu’ils existent en tant que « surgis des
[43] R.M. Rilke,
[43]
profondeurs du temps » –, ce sont bien les anthropologues qui nous
Lettres à un jeune
poète [1903-1908], enseignent la longue durée des gestes humains : Aby Warburg avec ses
trad....
« formules de pathos », Marcel Mauss avec ses « techniques du corps » ou encore
André Leroi-Gourhan avec sa « mémoire des rythmes »… En sorte que ton film
m’aura fait revenir à certaines émotions éprouvées dans le passé à découvrir les
[44] L.M.
[44]
rurale .
Danforth, The
Death Rituals of 50
Lorsque Pasolini a voulu exprimer, en 1965, ce qu’il entendait par « cinéma de
Rural Greece,
poésie », il a explicitement dédoublé son point de vue de cinéaste, de façon à
Princeton,...
[45]
un « patrimoine commun de signes mimiques » que Pasolini aura voulu faire
[46]
lamentation et sur l’imaginaire apocalyptique dans le bassin méditerranéen .
Non par hasard, les travaux de ce grand anthropologue auront suscité des chefs-
51
Côté poésie, l’argument du cinéaste consistait, comme chez Desnos, à rappeler
https://www.cairn.info/revue-poesie-2014-1-page-95.htm 11/23
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p , g , , pp
que les images défilant sur l’écran sont inséparables du « monde de la mémoire
[47]
[45] P.P. Pasolini, fondamentalement une “langue de poésie” » – même si Pasolini constate que,
« Le cinéma de
de manière massive, c’est la prose narrative qui aura pris le pouvoir, via
[46] E. De
Hollywood, sur l’histoire du septième art. Or, dans cette défense du « cinéma de
Martino, Morte e
poésie », l’argument pasolinien prenait appui, cette fois-ci, sur… Dante, tout
[47] P.P. Pasolini,
« Le cinéma de simplement (mais Dante lu avec sa « profanisation », une fois la Divine Comédie
[48] Cf. E.
[48]
révérait, une affaire de « monde terrestre »).
Auerbach, « Dante
poète du monde
terrestre »... 52
Pourquoi Dante ? Parce que Pasolini y voyait tout autre chose qu’un « sommet de
pureté » auquel, grâce à lui, serait parvenue la langue italienne. C’est le contraire
[49] P.P. Pasolini,
[49]
jargons, niveaux de langage, citations ou mots étrangers (comme on le trouve
« La volonté de
e
Dante d’être d’ailleurs, au XX siècle, chez James Joyce ou chez ce grand contemporain de
poète »...
Pasolini que fut Carlo Emilio Gadda). Ne t’imagine pas, chère Maria, que je
m’éloigne à nouveau de ton Retour, au contraire j’y reviens par les mots mêmes
du retour que Dante s’est employé à mettre en avant pour parler de la poésie.
qui t’importe tant, les mots désignant l’élément poétique par excellence, le vers,
53
Le poète parle d’abord de la dièse – mot grec qui désigne à la fois un intervalle
d’un liquide dans un autre qui le délaye. Ou d’un son et, pourquoi pas, d’une
image : comme celle qui, dans ton film, se substitue à une autre et y « passe »
dans l’intervalle minime que révèle la surimpression. Et puis Dante explique que
ce qu’il appelle ainsi d’un mot savant (dièsis, en grec ancien) peut être nommé en
[50] Dante
[50]
langue vulgaire (italienne) volta . C’est-à-dire une volte, un tour, une virevolte,
Alighieri, De
l’éloquence en un geste, une danse qui tourne : une valse ou un zeibekiko. Dans un commentaire
vulgaire [1304-
de ce passage, Roman Jakobson écrit que « Dante était parfaitement conscient
1305],...
du sens étymologique du mot versus, tel qu’il se manifeste, en toute clarté, dans
[51] R. Jakobson et
[51]
son équivalent italien volta, “retour” » . Versus désigne, en latin, le sillon d’un
P. Valesio,
« Vocabularum champ cultivé, donc une ligne ; donc la ligne d’écriture ; et, donc, le vers
constructio...
poétique. Mais aussi un pas de danse qui tourne et retourne sur lui-même, selon
le sens même du verbe vertere. Le latin ménage une ambiguïté – que gardera le
français – entre le vers poétique, qui suppose le retour d’une rime, et l’adverbe
vers qui suggère, au contraire, une échappée hors de toute répétition. Détours
compliqués pour te dire, simplement, que ton film Retour, avec ses gestes en
boucles et ses folles échappées – comme cette femme qui n’en finit pas de fuir
54
*
55
Et voilà que Thanassis Véngos s’élance, court comme un fou, le « lièvre fou » du
[52] M. Sachtouris,
[52]
magnifique poème de Miltos Sachtouris qui scande les images de ton film .
Poèmes, I (1945-
1958), trad. M. Mais le temps et l’espace sont peut-être encore bien plus fous que lui : Thanassis
Volkovitch,...
Véngos revient au point de départ de chacun de ses gestes. Et le voilà suspendu
dans l’espace et dans le temps, sorti du temps de sa propre course dans les rues
d’Athènes ou d’ailleurs. Le voilà qui se dissout presque dans l’air qui tourbillonne
(fig. 7-8), alors qu’une voix d’homme, très douce, prononce les derniers mots d’un
https://www.cairn.info/revue-poesie-2014-1-page-95.htm 12/23
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f g
Moi 56
héritier d’oiseaux
il faut
[53] Ibid., p. 42 [53]
que je vole .
(trad. modifiée
par M.
57
Kourkouta). Thanassis Véngos recommencera plusieurs fois son geste inutile mais si beau.
qu’il dure, qu’il existe, qu’il insiste dans mon regard et dans ma mémoire. Son
d’autres poèmes, par exemple ceux de Georges Séféris quand il écrivait : « Rien
[54] G. Séféris,
[54]
que le très profond désir / De faire halte dans notre fuite » (« chagrin » plutôt
« Cahier d’études »
[1928-1937], in que « désir », m’as-tu précisé quand je t’ai interrogée sur ce poème ; « nous tenir
Poèmes...
dans la fuite », as-tu préféré traduire). Ou bien cette façon, chez Séféris, de
[55] Ibid., p. 102.
[55]
contempler « deux yeux / immobiles et mobiles comme l’espace » .
58
La langue de Dante approchait l’élément poétique à travers le mot volta. Celle de
nommait Verdichtung, quelque chose que l’on pourrait se risquer à traduire par
la rue d’Éole, il me place donc à la fois devant une question de danse et devant une
[56] P.P. Pasolini,
[56]
double » . Je commence à comprendre qu’il doit être fait, au moins, de ces
« Le cinéma de
poésie », op. cit., deux choses en même temps : un cinéma qui saurait retourner (retourner aux
p....
gestes, mais aussi retourner les gestes dans tous les sens) et une poésie qui
cinéma de poésie serait donc un cinéma, comme dans ton Retour, capable de faire
danser la densité.
[57] M. Deguy, La
[57] 59
Et je comprends un peu mieux pourquoi « la poésie n’est pas seule » ;
Poésie n’est pas
[58]
pourquoi, en elle, répétition et figuration vont de pair ; pourquoi toute « idée
[58] J.-M. Gleize,
[59]
Poésie et fixe » y est « la fugitive » par excellence ; pourquoi elle s’emploie à « demeurer
[60]
dans l’intense » pour trouver la forme de sa propre « matière-émotion » ;
[59] P. Loraux, Le
Tempo de la
pourquoi elle vise un « geste » qui serait en même temps « imagination et
[61] D. Rabaté,
[63]
en quoi le lieu commun de l’ut pictura poesis – supposant, dans l’esthétique
Gestes lyriques,
Vie esthétique. – demanderait, comme tous les lieux communs, à être revisité, réévalué par-delà
[63] Cf. R.W. Lee, tous les conformismes que sa tradition a pu engendrer. Tu vois, chère Maria, ton
Ut pictura poesis.
film de quatorze minutes est en passe de me donner du travail pour les quatorze
Humanisme et
théorie...
prochaines années… Laisse-moi, pour aujourd’hui (et je m’aperçois que cela va
bientôt faire une semaine que je t’écris cette lettre), esquisser quelques questions
susceptible de soulever.
60
Je pense d’abord à la notion de résonance. Elle apparaît à un moment intéressant
du texte consacré, en 1932, par Paul Valéry à la peinture de Corot. Je t’en parle
parce qu’il y est d’abord question du noir et blanc, ou plutôt de la grisaille dont
Corot utilise – après Rembrandt ou Goya, mais dans un registre plus lyrique que
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le noir et blanc vont parfois plus avant dans l’âme que la peinture, et comment,
aux ombres nous touche, nous rend pensifs, plus profondément que ne fait tout
[64] P. Valéry,
[64]
le registre de couleurs, je ne sais trop me l’expliquer » . C’est alors qu’il avance
« Autour de
Corot » [1932], le mot de « Poésie », avec un grand P… Une lecture critique dirait : voilà un mot
Œuvres, II,...
magique, donc vide de sens, pour expliquer d’un coup l’inexplicable. Une lecture
plus généreuse remarquerait qu’il s’agit en fait, pour Valéry, de mettre en avant
dans un état de sensibilité confuse mais intense, « comme si toutes nos facultés
devenaient tout à coup commensurables entre elles » – et, non par hasard, c’est à
la « volte », je veux dire à la danse, que Valéry se référera pour finir, la danse en
[65] Ibid., p. 1317.
[65]
tant que Poésie faite geste ou geste fait Poésie .
61
Il y a encore cet autre mot : ressassement. Parce que, dans ton film, tout avance,
mais par incessant ressac, par ressassement. Je ne sais pas en Grèce, mais je
peux te dire qu’en France nul n’a mieux dit les puissances du ressassement que
Maurice Blanchot. Quand je pense à son livre L’Espace littéraire, je vois Orphée
non pas l’Orphée qui a vaincu la mort, mais celui qui toujours meurt, qui est
angoisse qui se fait chant, parole qui est le pur mouvement de mourir. Orphée
meurt un peu plus que nous, il est nous-mêmes, portant le savoir anticipé de
[66] M. Blanchot,
[66]
notre mort, celui qui est l’intimité de la dispersion. Il est poème … » Et c’est
L’Espace littéraire,
[67]
l’incessant ». Or, ce qui peut nous toucher directement tous deux, nous qui
[67] Ibid., p. 21.
nous interrogeons sans cesse, dans nos pratiques respectives, sur ce que sont ou
ce que font les images, c’est lorsque Blanchot nomme image – mais il dit aussi :
[68] Ibid., p. 22.
[68]
imaginaire et profondeur parlante » . J’ai cru voir dans Retour à la rue d’Éole
beaucoup de ce dont parle Blanchot – ai-je trop vu ? sans doute pas, puisque tout
cela, c’est aussi ce que Cheimonas, qui t’est si proche, n’a pas cessé de mettre en
62
éternel. C’est passer du Je au Il, de sorte que ce qui m’arrive n’arrive à personne,
est anonyme par le fait que cela me concerne, se répète dans un éparpillement
infini. Écrire, c’est disposer le langage sous la fascination et, par lui, en lui,
[69] Ibid., p. 31.
[69]
demeurer en contact avec le milieu absolu, là où la chose devient image .
63
*
64
« Demeurer en contact avec le milieu absolu, là où la chose devient image »… Ce
que dit Blanchot, dans cette phrase, me sera – une fois encore, car je la relis
rue d’Éole. D’abord, il est dit qu’on ne saurait parler de l’image que sous l’angle du
devenir : une image n’a pas d’« être » fondé une fois pour toutes, elle ne serait, à
i t t ib ti d l lli l i t
https://www.cairn.info/revue-poesie-2014-1-page-95.htm 14/23
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par son grain, ses contrastes, sa vibration propres – de la pellicule en noir et
blanc développée puis tirée manuellement, ce qui donne au film, en effet, son
65
Enfin il est question de « contact » : ce mot qui, avec « chose », « milieu » et
« image », est avancé par Blanchot dans un souci pour penser ce qu’« écriture » et
poésie veulent dire. Ce mot me suggère qu’un cinéma comme le tien s’attache en
effet à créer, via l’attention extrême portée aux gestes humains, quelque chose
comme un contact à distance avec ce qui nous serait le plus intime, le plus
profond. Il me suggère qu’une image n’est féconde qu’à nous faire sortir de son
Alors une image – la première image, qui sait – pourrait n’être, au milieu même
qui, sortant du temps, laisse advenir une image, c’est-à-dire une forme de
passage d’un livre de David Grossman que je lisais récemment et qui s’intitule,
L’enfant : 66
Il y a
Une respiration il y a
La douleur il y a
68
Battements de cœur ou respiration : il y aura donc un troisième mot, immense,
le mot rythme. J’ai cru comprendre que tu avais connaissance de l’esthétique des
[71] H. Maldiney,
[71]
rythmes développée par Henri Maldiney . Connais-tu de lui ce texte plus
« L’esthétique des
[72]
récent intitulé « Espace et poésie » ? Il me semble toucher de près aux
[72] Id., « Espace
et poésie » [1987], questions qui traversent ton film : « Le rythme révèle l’espace. Non pas un espace
Retour à la rue d’Éole, combien l’usage conjugué des ralentis et des surimpressions
ouvrait un espace dans le rythme même des boucles d’images, rythme hors-mesure –
non régulier, comme les battements de ton cœur cette nuit-là d’émotion solitaire
[74] Ibid., p. 151.
[74]
– créant ce que Maldiney nomme bien un « espace diffusif » . Le rythme fait
apparaître. Mais ce qu’il fait apparaître n’est pas la « forme formée », la forme
identifiable et localisable avec certitude. Ce qu’il fait apparaître est une « forme
commencer, plutôt –, appelle tout cela poésie en tant qu’elle serait puissance,
[75] Ibid., p. 141.
[75]
dans le langage, d’ouvrir de tels espaces .
69
Tes étranges boucles d’images, dans Retour à la rue d’Éole, instaurent donc un
rythme (mais pas une mesure, justement) : une respiration des corps et de
répété dans l’image. À l’époque où Henri Maldiney écrivait sur le rythme – c’était
à Lyon, dans les années 1965-1968 –, son proche collègue Gilles Deleuze, qui lui a
est le rôle de l’imagination ou de l’esprit qui contemple dans ses états multiples
[76] G. Deleuze,
[76]
et morcelés » . États multiples et morcelés de l’esprit ? États multiples et
Différence et
répétition, Paris, remontés de l’image. Les surimpressions de Retour à la rue d’Éole ne cessent de
PUF, 1968,...
dissoudre et de « remonter » les formes qui y « reviennent » en boucle. Voilà
https://www.cairn.info/revue-poesie-2014-1-page-95.htm 15/23
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q y
« monstre » : « Pour produire un monstre, […] il vaut mieux faire monter le fond,
[77] Ibid., p. 44.
[77]
et dissoudre la forme » . Comme lorsque Thannassis Véngos, ce beau monstre
70
Une esthétique des rythmes commencerait donc par une philosophie des
divergence et leur décentrement, de les emboîter les unes dans les autres et, de
l’une à l’autre, de les envelopper dans des illusions dont “l’effet” varie dans
[78] Ibid., p. 374-
[78]
chaque cas » . Plus tard, Gilles Deleuze – avec Félix Guattari – fera du rythme
375.
« la riposte des milieux au chaos », développant une notion de rythme critique à
[79] Id. et F.
[79]
travers celle, fameuse, de « ritournelle » . Enfin, il comprendra vers où tendait
Guattari, Mille
Capitalisme et...
vers l’image-temps. Comme on le sait, la différence établie par Deleuze entre
[80] G. Deleuze,
[80]
écrit Deleuze, « on dirait que l’action flotte dans la situation ». Comme
L’Image-temps.
Cinéma 1, Paris, lorsque la poursuite comique engagée comme action par Thanassis Véngos se
Les Éditions...
met, dans ton film, à flotter – et à faire ressac, retour, ressassement – dans la
71
À ce moment, écrit Deleuze, « l’imaginaire et le réel deviennent
[81] Ibid., p. 15.
[81]
indiscernables » , comme dans ce que Pasolini avait exigé de tout « cinéma de
beaucoup plus complexes entre des images optiques et sonores pures d’une part,
d’autre part des images venues du temps ou de la pensée, sur des plans qui
[82] Ibid., p. 66.
[82]
coexistent tous » … Et Deleuze de constater, dans un tel processus, quelque
chose comme l’enchaînement d’une image virtuelle sur l’image actuelle d’où elle
prend son départ : « La situation purement optique et sonore (description) est
[83] Ibid., p. 66.
[83]
avec une image virtuelle et forme avec elle un circuit » . Or, dans cette boucle
du mouvement réel avec son prolongement virtuel – exactement ce que l’on voit
dans Retour à la rue d’Éole –, le mouvement devient quelque chose de plus : « faux
[84] Ibid., p. 186-
[84]
mouvement » ou « mouvement décentré » aimera dire Deleuze , mais il serait
187.
celui que le philosophe observe lui-même dans les « gestes infiniment étirés qui
[85] Ibid., p. 81 et
[85]
« répétitions-variations » chères à Buñuel et à Resnais . Quand Thanassis
134.
[86] Ibid., p. 208.
[86]
exprime » de façon si délibérément lyrique.
72
*
73
Ayant vu tes films précédents – beaucoup plus « structurels » au sens où P.A.
[87] P.A. Sitney, Le
[87]
Sitney en parlait dans son esthétique du cinéma expérimental –, je peux
Cinéma
visionnaire : imaginer, chère Maria, que cette « décision lyrique » n’ait pas été facile pour toi.
l’avant-garde...
Quelque chose comme une épreuve, un risque. Il t’aura sans doute fallu le
« impudeur émotive », sauf que ce n’était pas de l’impudeur puisque les émotions
qui traversent ton film sont entièrement partagées, existent très bien hors de toi.
Tu es en elles plutôt qu’elle en toi. Elles sont dans le il de cet homme qui danse
tristement, dans le elle de cette femme qui fuit, dans le eux ou bien le nous de ce
village grec que tu regardes avec les yeux d’un temps qui précède celui où tu y
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g g g y y
74
Il y a un cri dans ton film. Un seul cri. Tu le confies à une femme du peuple qui
ouvre grands les bras, ouvre grands les yeux – dans la scène du film comique qui
te sert de source, l’actrice Sapfo Notara découvre, sur le lit en face d’elle, des tas,
« Feu ! » (fig. 13). En grec c’est encore mieux, c’est comme si l’on criait :
Niki Giannari voit dans ton film, qui pourtant « ne parle pas de politique », un
un an environ, avoir reçu de toi une lettre écrite depuis Thessalonique, et dans
l’hystérie ou du désespoir, c’est comme cet état juste avant de pleurer, mais
75
La lenteur intense de tes images me semble en rapport avec cette situation
historique : des femmes qui courent, affolées, vers le port où menace un destin
fatal ; un homme triste qui danse avec ceux qui vont bientôt le tuer. La musique
de ton film, très présente et prégnante, innocente comme les chants andalous
recueillis par García Lorca, recèle tout comme eux, par-delà même sa référence
paroles de Manos Hadjidakis, qui n’a cessé – comme García Lorca en Espagne,
devient protestation, imprécation, appel à ce que justice soit faite. Il a les mêmes
caractères que celui dont parlait Odysseus Elytis dans Marie des Brumes : « Un cri
[88] O. Elytis,
[88]
dont on peut estimer qu’il a des siècles d’actualité » . La guerre civile – tes
Marie des Brumes
amis grecs le voient bien mieux que moi – traverse tes images et tes sons comme
[89] G.
[89]
elle avait pu traverser, sans doute, la prose fiévreuse de Georges Cheimonas .
Cheimonas, Les
Bâtisseurs [1979], 76
*
trad. M.
Volkovitch,...
77
Un « cinéma de poésie » ? Pour quoi faire ? Pasolini a répondu deux fois au
[90]
il l’emploie poétiquement] : c’est-à-dire un élargissement du sens » . Et cela
vaut tout autant, sinon plus, pour les images qui forment un « patrimoine
[90] P.P. Pasolini,
commun » sans pour autant être asservies, dit-il, à une grammaire ou à un
« Le cinéma de
[91]
dictionnaire . On comprend alors que la poésie sort du temps bien ailleurs que
[91] Ibid., p. 139.
dans l’intemporalité. Elle sort du rang, plutôt. Elle survient comme acte de
résistance dans l’histoire, ce que Pasolini dira dans un poème admirable intitulé,
[…]
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Vint le jour de la mort
lumière » [1961],
79
trad.... Il y a des conditions où le lyrisme est une facilité. Il y en a d’autres où il
Lettres du voyant, on le sait bien, c’est Arthur Rimbaud dans la Commune : quand
[93] A. Rimbaud,
[93]
« le poète est vraiment voleur de feu » . Les Feuillets d’Hypnos, c’est René Char
« Lettres dites du
[94]
dans la Résistance : quand « l’image scintille » malgré tout . Ou bien tout
[94] R. Char,
Feuillets d’Hypnos Victor Hugo. Ou encore Shelley, pour qui l’homme lui-même serait une « lyre »
[1943-1944], in
accordée aux « mouvements de ce qui [la] frappe » – puisque, à ce qui la frappe,
Œuvres...
ses cordes répondent par de la musique –, et pour qui, également, « tous les
[95] P.B. Shelley,
[95]
auteurs de révolutions dans la pensée sont nécessairement poètes » . Avant
Défense de la
poésie [1821], trad. eux, une fois encore : les Romantiques allemands, ces contemporains de la
F....
Révolution française. Dans son texte de 1792 « Sur le fondement du plaisir pris
aux objets tragiques », Friedrich Schiller écrivit que « seule la résistance peut
nature morale ne peut s’obtenir que dans un état violent, dans le combat, et que
[96] F. Schiller,
[96]
le plaisir moral le plus élevé sera toujours accompagné de douleur » . Puis, il
« Sur le
fondement du écrivit ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, dans lesquelles il prend le
considérer d’abord le problème esthétique ; car c’est par la beauté que l’on
[97] Id., Lettres
[97]
s’achemine à la liberté » .
sur l’éducation
esthétique de
l’homme... 80
Chère Maria, ton film est si respectueux de tout ce que tu y cites – images, sons,
poèmes d’une Grèce à laquelle tu es fortement liée, fût-ce dans la distance – qu’il
semble d’une grande modestie. Et c’est pourtant là son courage même. Entre les
[98] W. Benjamin,
[98]
et « Courage de poète » . Quant à moi, j’aurai essayé, dans cette lettre trop
« Deux poèmes de
Friedrich longue ou trop brève, je ne sais, d’envisager Retour à la rue d’Éole selon cette autre
Hölderlin :...
leçon de Benjamin : ne pas seulement regarder l’œuvre, mais fouiller dans son
terreau d’associations, aller chercher dans une région de cette œuvre où « se
[99] Id.,
[99]
découvrent des relations cachées dans l’œuvre même » . Je crois bien, quant à
Fragments
moi, avoir vu dans ce film une certaine relation cachée entre lyrisme et courage
[100] Cf. K. Stierle,
[100]
politique .
« Identité du
discours et
transgression... 81
Il ne s’agit pas d’histoire de l’art. Il s’agit d’aujourd’hui. Nous qui lisons Pindare
pensée des Grecs anciens, leur « miracle » fondateur, que nous ne savons plus
très bien regarder simplement, sous nos yeux, les Grecs d’aujourd’hui. Quand
Heidegger a fait sa fameuse croisière en Grèce, il n’a rien vu, d’abord parce qu’il
ne voulait rien voir de l’impur aujourd’hui. La Grèce pure qu’il aimait tant, il
[101] M.
[101]
l’aimait passée, morte pour de bon . C’est une attitude métaphysique par
Heidegger,
Séjours [1962], excellence. Même mon ami Jean-Christophe Bailly présente sa Fin de l’hymne en
trad. F. Vezin,
écrivant que nous sommes aujourd’hui « loin des Grecs, et loin des dieux par
Monaco,...
[102]
conséquent » . Or, pour sortir des temps passés, il faut savoir faire retour – et
[102] J.-C. Bailly,
Paris, Christian
Bourgois... survivances. L’hymne n’est pas mort. Il peut survivre là où on l’attend le moins,
sommes pas loin des Grecs, même si nous ne croyons plus aux dieux du
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paganisme. Il suffit de les regarder au travail, d’ouvrir grands les yeux – c’est
[103] Les
[103]
« sortir du temps » .
photogrammes
figurant dans ce
texte sont
extraits...
Notes
[1] M. Kourkouta, Retour à la rue d’Éole, 2012-2013. Film 16 mm en noir et blanc, 14 min ;
[2] Pour une critique sociale des usages du temps, cf. notamment H. Rosa, Accélération.
Une critique sociale du temps [2005], trad. D. Renault, Paris, La Découverte, 2013 [2010].
[3] Les séquences sont tirées des films de fiction suivants : Le réveil du dimanche (1953) de
Michalis Cacoyannis, avec Elli Lambeti ; La fille en noir (1956) de Michalis Cacoyannis,
avec Dimitris Horn ; L’Ogre d’Athènes (1956) de Nikos Koundouros, avec Dinos
[4] Mariage macédonien (1960) de Takis Kanellopoulos ; Matins sur l’île de Thera (1968) de
[5] M. Kourkouta, « Retour à la rue d’Éole. Entretien avec Théo Deliyannis », Le Chronophage
[Collectif Jeune Cinéma-Festival des Cinémas différents de Paris, 15-20 octobre 2013],
n° 3, 2013, p. 3-4.
[6] Cf. notamment J. Leyda, Films Beget Films. A Study of the Compilation Film, New York,
Hill and Wang, 1964 ; P. Sjöberg, The World in Pieces. A Study of Compilation Film,
Stokholm, Aura Forläg, 2001 ; M.A. Doane, The Emergence of Cinematic Time. Modernity,
C. Blümlinger, Cinéma de seconde main. Esthétique du remploi dans l’art du film et des
[8] V. Chklovski, Leur présent [1927], trad. V. Pozner, Textes sur le cinéma, Lausanne, L’Âge
[9] Id., « Poésie et prose au cinéma » [1927], trad. V. Pozner, ibid., p. 58-60.
[11] Id., « L’art comme procédé » [1917], trad. T. Todorov, Théorie de la littérature. Textes des
Formalistes russes et le cinéma. Poétique du film, F. Albera (dir.), Paris, Nathan, 1996, p. 56-
59.
[14] W. Benjamin, Le Concept de critique esthétique dans le romantisme allemand [1920], trad. P.
l’ouvrage lui-même] : « Avant toute chose […] l’analyste devrait rechercher, ou plutôt
s’occupe n’est qu’un agrégat, une juxtaposition, […] ou bien comment il serait possible
[15] F. Schlegel, Fragments (1797-1800), trad. C. Le Blanc, Paris, Librairie José Corti, 1996, p.
130-131, 161, etc. Cf. P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, L’Absolu littéraire. Théorie de la
[16] F. Hölderlin, « La démarche de l’esprit poétique » [vers 1799], trad. D. Naville, Œuvres,
[17] Id., « Sur la différence des genres poétiques » [vers 1799], trad. D. Naville, ibid., p. 637.
[19] Id., « Le devenir dans le périssable » [vers 1799], trad. D. Naville, ibid., p. 651.
É
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[20] M. Kourkouta, « Retour à la rue d’Éole. Entretien avec Théo Deliyannis », op. cit., p. 3-4.
[21] A. Bazin, « Mort tous les après-midi » [1951], Le Cinéma français de la Libération à la
Nouvelle Vague (1945-1958), J. Narboni (éd.), Paris, Cahiers du cinéma, 1998, p. 367-373.
[22] M. Kourkouta, « Retour à la rue d’Éole. Entretien avec Théo Deliyannis », op. cit., p. 4.
[23] G. Cheimonas, Les Bâtisseurs [1979], trad. M. Volkovitch, Paris, Maurice Nadeau, 1990,
p. 73.
[25] Cf. M.-J. Mondzain, Image, icône, économie. Les sources byzantines de l’imaginaire
contemporain, Paris, Éditions du Seuil, 1996. A. Vasiliu, Eikôn. L’image dans le discours des
[27] Id., Roman [1966], trad. M. Volkovitch, Paris, Sillages-Noël Blandin, 1990, p. 7.
[30] E. Staiger, Les Concepts fondamentaux de la poétique [1946], trad. R. Célis, M. Gennart et
[31] P.A. Sitney, Le Cinéma visionnaire : l’avant-garde américaine, 1943-2000 [1974-2001], trad.
[32] A. Tarkovski, Le Temps scellé, trad. A. Kichilov et C.H. de Brantes, Paris, Éditions de
[33] Homère, Iliade, XXII, 200-201, trad. P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 2007 [1938], p.
231.
[34] O. Elytis, Marie des Brumes [1978], trad. X. Bordes et R. Longueville, Paris, Librairie
[38] R. Desnos, « L’étoile de mer » [1928], Les Rayons et les ombres. Cinéma, M.-C. Dumas et
[39] Id., « Réponse à une enquête sur la poésie et le cinéma parlant » [1937], ibid., p. 195.
[42] Les photogrammes figurant dans ce texte sont extraits de Retour à la rue d’Éole (2012-
[43] R.M. Rilke, Lettres à un jeune poète [1903-1908], trad. C. David, Œuvres en prose. Récits et
[44] L.M. Danforth, The Death Rituals of Rural Greece, Princeton, Princeton University Press,
1982.
[45] P.P. Pasolini, « Le cinéma de poésie » [1965], trad. A. Rocchi Pullberg, L’Expérience
[46] E. De Martino, Morte e pianto rituale. Dal lamento funebre antico al pianto di Maria, Turin,
Bollati Boringhieri, 1975 [1958] ; Id., La fine del mondo. Contributo all’analisi delle apocalissi
[47] P.P. Pasolini, « Le cinéma de poésie », op. cit., p. 136-137 et 140.
[48] Cf. E. Auerbach, « Dante poète du monde terrestre » [1929], in Écrits sur Dante, trad. D.
[49] P.P. Pasolini, « La volonté de Dante d’être poète » [1965], in L’Expérience hérétique, trad.
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Imbach et I. Rosier-Catach, Paris, Fayard, 2011, p. 232-233.
occhi miei » [1966], in Questions de poétique, trad. A. Jarry, Paris, Éditions du Seuil, 1973,
p. 299.
1995, p. 39.
[57] M. Deguy, La Poésie n’est pas seule. Court traité de poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1987,
p. 142-152.
[58] J.-M. Gleize, Poésie et figuration, Paris, Éditions du Seuil, 1983, p. 298-299.
[60] M. Collot, La Matière-émotion, Paris, PUF, 1997, p. 3 et 330 (citant et commentant des
[62] L. Jenny, La Vie esthétique. Stases et flux, Lagrasse-Paris, Éditions Verdier, 2013, p. 121 et
131-138.
e e
[63] Cf. R.W. Lee, Ut pictura poesis. Humanisme et théorie de la peinture : XV -XVIII siècles [1967],
[64] P. Valéry, « Autour de Corot » [1932], Œuvres, II, éd. J. Hytier, Paris, Gallimard, 1960, p.
1316.
[70] D. Grossman, Tombé hors du temps [2011], trad. E. Moses, Paris, Éditions du Seuil, 2013
[2012], p. 198.
[71] H. Maldiney, « L’esthétique des rythmes » [1967], Regard, parole, espace, Lausanne, L’Âge
[72] Id., « Espace et poésie » [1987], L’Art, l’éclair de l’être, Seyssel, Éditions Comp’Act, 1993, p.
139-167.
[79] Id. et F. Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie, Paris, Les Éditions de
[80] G. Deleuze, L’Image-temps. Cinéma 1, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, p. 11.
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[87] P.A. Sitney, Le Cinéma visionnaire : l’avant-garde américaine, 1943-2000 [1974-2001], trad.
[88] O. Elytis, Marie des Brumes [1978], trad. X. Bordes et R. Longueville, Paris, Librairie
[89] G. Cheimonas, Les Bâtisseurs [1979], trad. M. Volkovitch, Paris, Maurice Nadeau, 1990,
[92] Id., « La Résistance et sa lumière » [1961], trad. J. Guidi, in Poésies 1943-1970, R. de
[93] A. Rimbaud, « Lettres dites du voyant » [1871], Poésies. Une saison en enfer. Illuminations,
[94] R. Char, Feuillets d’Hypnos [1943-1944], in Œuvres complètes, J. Roudaut et al. (éd.), Paris,
[95] P.B. Shelley, Défense de la poésie [1821], trad. F. Lemonde, Paris, Payot & Rivages, 2011,
p. 27 et 41.
[96] F. Schiller, « Sur le fondement du plaisir pris aux objets tragiques » [1792], in Textes
esthétiques. Grâce et dignité et autres textes, trad. N. Briand, Paris, Vrin, 1998, p. 104.
[97] Id., Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme [1795], trad. R. Leroux mise à jour par M.
[100] Cf. K. Stierle, « Identité du discours et transgression lyrique », trad. J.-P. Colin,
in Heidegger. La politique du poème, Paris, Éditions Galilée, 2002, p. 117-155 ; J.-L. Nancy,
Résistance de la poésie, Bordeaux, William Blake & Co., 2004 ; J.-M. Maulpoix, Pour un
[101] M. Heidegger, Séjours [1962], trad. F. Vezin, Monaco, Éditions du Rocher, 1992.
[102] J.-C. Bailly, La Fin de l’hymne, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1991, p. 166.
[103] Les photogrammes figurant dans ce texte sont extraits de Retour à la rue d’Éole (2012-
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