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Auditeur de justice
Master II Droit privé fondamental
SUJET DU MEMOIRE
iii
iv
Remerciements
Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à Monsieur le Professeur Thierry GARE pour
avoir accepté de diriger ce travail de recherche, ainsi que pour m’avoir, il y a cinq ans de cela,
éveillé à la science juridique.
Que Monsieur le Professeur Jérôme JULIEN soit également remercié pour m’avoir permis de
passer au sein de son master une année riche et stimulante.
Que Gilbert C., Marianne D.-B., Roselyne G.-L. et Jean-Pierre V. soient aussi remerciés pour
m’avoir accompagné jusqu’aux portes du corps judiciaire ; qu’ils sachent que je m’efforcerai de
porter ma robe aussi dignement que je les ai vus porter les leurs.
Que Maître Pierrette AUFIERE soit vivement remerciée pour la mise à disposition de sa
documentation, ainsi que pour le partage de son expérience.
Que cette occasion me permette également d’avoir un mot pour mes parents, et de les
remercier pour leur inconditionnel soutien, ainsi que pour m’avoir enseigné que rien n’était
impossible ; que Solène sache que si par vanité je dis parfois que je l’aide à grandir, c’est en fait
elle qui me grandit.
Que Nathanael A., Joseph C. et Laetitia G. soient très chaleureusement remerciés pour leurs
relectures.
Qu’enfin Colin, Lucie, Eddy, Barbara, Anne-Louise, ainsi que tous mes camarades, lisent ici le
témoignage de toute ma reconnaissance pour leurs mots, leurs sourires et leur soutien durant
cette année si particulière pour moi, et parce que c’est un joli nom, camarade.
v
vi
Liste des principales abréviations
vii
viii
SOMMAIRE
SOMMAIRE ........................................................................................................................... ix
INTRODUCTION ..................................................................................................................... 1
............................................................................................................................................ 29
Chapitre I : D’un état civil photographie à un état civil miroir ............................... 121
Bibliographie........................................................................................................................ I
Index ..................................................................................................................................IX
ANNEXES .......................................................................................................................... XV
ix
x
À Vincent, à Sohan et à tou-te-s les autres.
Les mauvais jours finiront !
xi
« Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous. »
MONTESQUIEU
xii
INTRODUCTION
« Au temps jadis, notre nature n'était pas la même qu'aujourd'hui, mais elle
était d'un genre différent. Oui, et premièrement, il y avait trois catégories
d'êtres humains et non pas deux comme maintenant, à savoir le mâle et la
femelle. Mais il en existait encore une troisième qui participait des deux
autres, dont le nom subsiste aujourd'hui, mais qui, elle, a disparu. En ce
temps-là en effet il y avait l'androgyne, un genre distinct qui, pour le nom
comme pour la forme, faisait la synthèse des deux autres, le mâle et la
femelle. Aujourd'hui, cette catégorie n'existe plus, et il n'en reste qu'un nom
tenu pour infamant. Deuxièmement, la forme de chaque être humain était
celle d'une boule, avec un dos et des flancs arrondis. Chacun avait quatre
mains, un nombre de jambes égal à celui des mains, deux visages sur un cou
rond avec, au-dessus de ces deux visages en tout point pareils et situés à
l'opposé l'un de l'autre, une tête unique pourvue de quatre oreilles. En outre,
chacun avait deux sexes et tout le reste à l'avenant, comme on peut se le
représenter à partir de ce qui vient d'être dit. »1
1
PLATON, Le Banquet, (189e – 190a), extrait du mythe de l’androgyne.
2
J. CARBONNIER, Droit civil, Introduction, Vol. I, PUF, 2004, p. 12 et s.
1
fin ; il ne saurait exiger de l’environnement réel et de son évolution qu’ils s’incorporent
sans difficulté dans les schémas abstraits qu’il a dessinés et qu’il croit être les parfaits reflets
de l’organisation sociale.
Appréhender, en juriste, le transsexualisme requiert donc une certaine curiosité,
mais aussi une certaine éthique. Si, à la différence d’un travail juridictionnel, le travail de
recherche n’a pas d’incidence directe sur la vie de ceux qui se trouvent être les objets de
l’étude, cette circonstance ne saurait permettre de se laisser aller à la raillerie ou aux propos
haineux, qui ont pu être lus en doctrine sur ce thème, et qui s’expliquent sans doute par le
fait qu’il provoque, bien au-delà des débats strictement juridiques, des conflits de valeurs
politiques, philosophiques et religieuses. Le Premier avocat général JEOL a exprimé cela
mieux que quiconque, en ouverture de ses conclusions sur le pourvoi qui donnera à
l’Assemblée plénière de la Cour de cassation l’occasion d’effectuer son revirement de
jurisprudence du 11 décembre 1992, en posant que :
« le phénomène – rarissime mais hélas bien réel – du « transsexualisme »
mérite qu’on le traite avec lucidité et humilité.
Avec lucidité d’abord. Comme tout ce qui touche au sexe – donc à la vie, à
la mort, à la nature, à la création, au sacré… – le sujet est inquiétant, son
appréhension toujours subjective, sa résonance souvent religieuse. Il faut
l’aborder sans préjugés d’aucune sorte, examiner les problèmes qu’il
soulève de manière aussi objective que possible, et avancer les solutions qui
paraissent, en l’état, les plus réalistes.
Avec humilité ensuite. La demande du transsexuel soulève des
interrogations fondamentales sur la nature de l’homme et sur l’étendue de
ses droits. Or les réponses qu’on nous propose sur le terrain de la science
comme sur celui des libertés sont bien imparfaites. Savants et juristes nous
disent beaucoup de choses, mais, sur l’essentiel, ils balbutient… Qu’il est
significatif, à cet égard, le vaste débat engagé au cours des dernières
décennies, d’une part avec la médecine, d’autre part devant les instances du
Conseil de l’Europe ! »3.
3
Conclusions de M. Michel JEOL, Premier avocat général près la Cour de cassation, 1992, ANNEXE VI.
2
2. – Il y a donc lieu, à l’abord, de réaliser l’exploration annoncée afin de cerner au
mieux les enjeux humains et sociaux posés par la question transidentitaire (Section 1), avant
de poser les termes du débat juridique y afférent (Section 2).
4
F. HERITIER, Masculin/Féminin, La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996, p. 57.
5
C. CHILAND, Changer de sexe, Illusion et réalité, Odile Jacob, 2011, p. 269.
3
L’importance de la différenciation sexuelle est également sociale. En effet, même
si elle tend à se réduire dans un souci d’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’à
la faveur de la loi du 17 mai 2013 ayant ouvert le mariage et l’adoption aux couples de
même sexe, cette différenciation conserve des incidences pratiques notables en matière de
filiation6, en matière électorale (la loi posant pour de nombreux scrutins l’exigence de listes
paritaires), s’agissant de la gestion de la population carcérale, dans l’organisation de
compétitions sportives, ou encore pour l’accès à un petit nombre de fonctions militaires 7.
Il pourra toutefois être d’ores et déjà relevé que le débat s’élève dès qu’il s’agit
d’apprécier le degré d’importance donné à cette différence sexuelle dans l’appréhension
sociale des personnes. Madame BADINTER est sur ce point particulièrement éclairante
lorsqu’elle soulève qu’« en faisant de la différence biologique le critère ultime de la
classification des êtres humains, on se condamne à les penser par opposition à l’autre.
Deux sexes donc deux façons de voir le monde, deux types de pensée et de psychologie,
deux univers différents qui restent côte à côte sans jamais se mélanger »8.
Or, précisément, ces deux univers se mélangent.
6
Cf. infra, §73 et suivants.
7
Sur les incidences pratiques de la différenciation sexuelle, V. R. SEBAL, L’enfant intersexué, Mémoire de
recherche (sous la direction de S. PARICARD), 2016, Université Toulouse I Capitole, p. 31 et s.
8
E. BADINTER, Fausse route, Odile Jacob, 2003, p. 196.
9
B. SALADIN D’ANGLURE, Du fœtus au chamane : la construction d’un « troisième sexe » inuit, 1986.
4
peut changer de sexe à la naissance, de sorte qu’un enfant porteur d’organes génitaux mâles
peut être déclaré fille à la naissance (et vice-versa), il sera élevé comme une fille jusqu’à
sa puberté où il se verra réintégré dans son sexe biologique. Le choix de déclarer l’enfant
d’un autre sexe que son sexe physiologique apparent revient à la mère, en fonction de ce
qu’elle a vécu pendant la grossesse. Il est aussi à noter que l’unité familiale de base inuit
étant composée d’un homme, d’une femme, d’un fils et d’une fille (il est ainsi important
d’avoir des enfants des deux sexes), le choix de la mère peut aussi être commandé par une
nécessité de compléter une fratrie en respectant l’altérité sexuelle coutumière. Ces enfants
sont socialement considérés comme des « chamanes », intermédiaires entre les forces
terrestres et les forces supérieures.
En Inde, la situation des hijras10 interpelle également. Cette population, qui s’inscrit
dans une culture bouddhiste et fonctionne de façon similaire à une caste, est composée
d’intersexués de naissance comme d’individus physiologiquement hommes. La plupart se
font émasculer, opération illégale, pratiquée par un autre hijra, et qui entraîne pour les
bouddhistes une « libération du cycle des renaissances » tout en constituant une
identification à Shiva (qui s’est coupé le pénis et l’a enterré). Les hijras ont une sexualité
avec des hommes non hijras, le plus souvent dans le cadre de la prostitution. Ils ne
s’inscrivent pas dans une vie familiale. Les hijras se disent « in-between », c’est-à-dire
intermédiaires, ou « ni homme ni femme ».
Un dernier exemple anthropologique peut être pris en Polynésie avec le phénomène
de « liminalité du genre »11 qui reçoit des appellations différentes selon la localité (à titre
d’exemple, à Hawaï et à Tahiti, les liminaux sont appelés des mahu). Les liminaux sont
essentiellement des hommes, qui se comportent comme des femmes, sans toutefois
prétendre être des femmes. Cette liminalité ne se donne pas forcément à voir à chaque
instant de la vie. Les liminaux ont en principe une sexualité passive avec de jeunes hommes
non liminaux. Leur statut est considéré comme inférieur, mais il peut être un vecteur
d’acceptabilité sociale pour un homme préférant les activités perçues comme féminines.
Un mariage hétérosexuel peut permettre de sortir du statut liminal.
L’histoire de la civilisation occidentale porte également les traces d’une certaine
porosité entre les sexes, bien au-delà du mythe du chevalier d’Eon.
10
S. NANDA, « Hijras : An alternative sex and gender role in India », in G. Herdt (éd.), Third Sex, Third
Gender, 1994, Zone Books, p. 373-417.
11
N. BESNIER, « Polynesian gender liminality through time and space », in G. Herdt (éd.), Third Sex, Third
Gender, 1994, Zone Books, p. 285-328, + notes 554 – 566.
5
Une citation de saint Jérôme pourra ouvrir cette escapade historique :
« Aussi longtemps que la femme vit pour la naissance et les enfants, elle
diffère de l’homme comme le corps de l’âme. Mais, quand elle préfèrera
servir le Christ plus que tout le monde, alors elle cessera d’être une femme
et sera appelée homme. »12.
S’il n’y a pas lieu d’approfondir la dimension théologique de cette citation, il pourra
être relevé qu’il en ressort que l’appartenance d’une personne à un sexe est susceptible
d’apparaître comme modifiée en fonction de ses activités ; cette appartenance sexuelle ne
serait donc pas immuable.
Au-delà des discours, il est acquis qu’à travers les époques, des femmes et des
hommes ont vécu, de façon constante, sous les apparences du sexe opposé, ainsi que le
constate le Professeur BULLOUGH :
« Tout ce que nous pouvons conclure, sur la base de faits historiques, c’est
que de nombreux individus dans le passé se sont arrangés pour vivre en tant
que membre d’un sexe biologique différent sans chirurgie et apparemment
de manière heureuse à l’exception de la crainte d’être découverts. »13.
Il ressort nécessairement de ce tour d’horizon anthropologique et historique que, si
la différenciation sexuelle est essentielle à l’humanité, elle n’est pas, et n’a jamais été, une
différenciation hermétique et exclusivement binaire. Aussi, l’évolution des mœurs a
logiquement conduit, à la moitié du XXe siècle, les individus rejetant leur assignation dans
leur sexe biologique à revendiquer appartenir au sexe opposé.
12
Saint Jérôme (IVe siècle), cité par V. L. BULLOUGH, « Transsexualism in history » : Archives of Sexual
Behavior, 1975, p. 561.
13
V. L. BULLOUGH, ibid., p. 568.
14
H. BENJAMIN, « Travestism and Transsexualism » : International Journal of Sexology, 1953, 7, p. 12.
6
tout autant que secondaires (pénis et le reste), sont des difformités
dégoûtantes qui doivent être changées par le bistouri du chirurgien. »15.
Outre la circonstance que n’est ici défini que le transsexualisme MtF 16, deux
éléments de cette définition interpellent l’œil contemporain : l’exigence de bénéficier d’une
opération de réassignation sexuelle, c’est en réalité loin d’être le cas de toutes les personnes
trans17, et la notion de « transsexuel vrai ».
Cette notion de « transsexuel vrai », authentique ou primaire (par opposition au
transsexuel secondaire), a fin son chemin dans les années 60-70 sous la plume de Robert
STOLLER18, psychiatre et psychanalyste américain. Pour lui, le transsexuel vrai correspond
à l’individu qui depuis sa naissance, et sans discontinuer, est convaincu d’appartenir au
sexe opposé et se comporte comme un individu du sexe opposé, ce comportement étant
parfois accompagné de légères transformations morphologiques spontanées. L’intérêt de
cette distinction résidait dans le fait que les traitements hormonaux et chirurgicaux de
réassignation sexuelle ne devaient, selon lui, qu’être accordés aux transsexuels primaires.
A l’époque où elle avait une incidence, cette notion a pu recevoir une autre
définition issue de la jurisprudence des juges du fond, se focalisant sur le rôle de la volonté
de l’individu. Ainsi, le Tribunal de grande instance de Toulouse a retenu qu’« il y a
transsexualisme vrai dans la mesure où cette évolution échappe à la volonté du sujet et
n’est pas le résultat d’une attitude délibérée »19.
Toutefois, cette notion s’est rapidement effacée car très contestée. Il est en effet
rapidement apparu que seul un nombre infime de transsexuels répondaient aux critères
posés par STOLLER20.
Il convient donc de considérer que le transsexualisme peut se définir comme le fait
pour une personne d’être intimement convaincue d’appartenir au sexe opposé à son sexe
biologique de naissance, de sorte que le maintien physiologique et/ou social dans ce sexe
biologique est source d’intenses souffrances.
15
H. BENJAMIN, The Transsexual Phenomenon, Julian Press, 1966, p. 13-14.
16
Male to Female : signifie que la personne est biologiquement et physiologiquement née homme et réalise
une transition vers le sexe féminin (le cas inverse se notera ainsi : FtM, pour Female to Male).
17
Sur ce point, cf. infra, §8.
18
R. STOLLER, Recherches sur l’identité sexuelle à partir du transsexualisme, 1968.
19
TGI Toulouse, 30 mai 1985, RG 83-5760, ANNEXE III.
20
Sur ce point, V. C. CHILAND, op. cit. (note n° 4), p. 151 et s.
7
dernier Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V) de l’Association
américaine de psychiatrie (tout comme l’homosexualité jusqu’en 1973), il n’apparaît
toutefois pas inexact d’affirmer que le transsexualisme n’est pas une pathologie. En effet,
« la classification américaine, le DSM-V, n’est en aucun cas un manuel de
psychopathologie permettant de mieux comprendre les troubles d’un patient, elle est un
manuel descriptif permettant de faire des statistiques »21. Et le DSM-V décrit effectivement
la dysphorie du genre en ces termes :
« Une dysphorie de genre se caractérise par une non concordance de genre
marquée entre le genre assigné et les expériences de genre vécues d’au
moins 6 mois et qui se manifeste par au moins deux des indicateurs
suivants :
- Une non concordance de genre marquée entre les expériences de genre
vécues et les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires,
- Un désir fort de se débarrasser des caractéristiques sexuelles primaires ou
secondaires d’un des deux sexes du fait d’une non concordance marquée
entre l’expérience de genre vécue et le genre assigné,
- Une attirance forte pour les caractéristiques de l’autre sexe,
- Un désir fort d’appartenir à l’autre sexe ou à tout autre genre alternatif
différent du genre assigné,
- Une volonté forte d’être reconnu comme appartenant à l’autre sexe ou à
tout autre genre alternatif différent du genre assigné,
- La conviction d’avoir des réactions et des sentiments appartenant à l’autre
genre ou à tout autre genre alternatif différent du genre assigné. »22.
Or, ces éléments ne permettent, à eux seuls, de mettre à jour ni psychose, ni névrose,
ni perversion23, de sorte qu’il apparaît vain de maintenir le transsexualisme dans le champ
pathologique.
D’ailleurs, la nouvelle version de la Classification internationale des maladies
(ICD-11)24 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), rendue publique en juin 2018,
retire le transsexualisme (appelé troubles de l’identité sexuelle dans l’ancienne version) de
21
C. CHILAND, op. cit. (note n° 4), p. 16.
22
DSM-V, cité par A. ALESSANDRIN, « Du « transsexualisme » à la « dysphorie de genre » : ce que le DSM
fait des variances de genre » : Socio-logos [En ligne], 9 | 2014, mis en ligne le 29 avril 2014, consulté le 05
août 2018. URL : http://journals.openedition.org/socio-logos/2837.
23
H. HUBERT, « Transsexualisme : du syndrome au sinthome » : Cliniques méditerranéennes, 2007/2 (n° 76),
p. 255-270.
24
Consultable en ligne : https://icd.who.int/browse11/ (en anglais).
8
la catégorie des troubles mentaux (chapitre 06), pour l’insérer, sous l’appellation
d’incongruence du genre, dans un nouveau chapitre (chapitre 17) relatif aux
problématiques de santé sexuelle. Ce faisant, l’OMS écarte le transsexualisme du champ
de la pathologie psychiatrique, tout en considérant qu’il doit continuer de relever d’une
prise en charge au titre de la santé sexuelle.
Les autorités nationales françaises ont pris un parti semblable, dans la mesure où,
depuis 201025, le transsexualisme a été retiré de la liste des affections psychiatriques de
longue durée, pour rejoindre les affections longue durée hors liste.
25
Décret n° 2010-125 du 8 février 2010 portant modification de l’annexe figurant à l’article D. 322-1 du
Code de la sécurité sociale relative aux critères médicaux utilisés pour la définition de l’affection de longue
durée « affections psychiatriques de longue durée », article 1er.
26
S. FREUD, Le Délire et les rêves dans la Gradiva de Jensen, Gallimard, 1986, p. 184-185.
27
Décision cadre du Défenseur des droits, en date du 24 juin 2016, n° MLD-MSP-2016-164, relative à la
modification de la mention du sexe à l’état civil, p. 17.
28
European Union Agency for Fundamental Rights, Being Trans in the European Union : Comparative
Analysis of EU LGBT Survey Data, 2014.
9
trans ont déjà envisagé le suicide en lien avec leur transsexualité, 34% ayant déjà fait une
ou plusieurs tentatives29.
Ces derniers chiffres pourraient au contraire laisser penser que davantage de
médicalisation est nécessaire. Toutefois, pour nombre d’associations de défense des droits
des transsexuels, il est erroné de dire que la transsexualité est source de souffrance :
« s’entendre dire que votre vie genrée vous condamne à une vie de souffrance est en soi
inexorablement blessant. C’est une parole qui pathologise et la pathologisation fait
souffrir »30. La souffrance viendrait alors du rejet et de l’exclusion sociale, de ce que l’on
appelle la transphobie.
Reste, et là est tout le paradoxe, que, si une dépsychiatrisation est entendable et
souhaitable, la transsexualité n’étant pas une pathologie mentale, une médicalisation, même
minimale, est nécessaire afin de garantir le remboursement des traitements hormonaux et
des opérations de réassignation sexuelle par la sécurité sociale.
29
C. BERNARD, « La transidentité, un cheminement personnel et social », in J. MATEU, M. REYNIER et F.
VIALLA (dir.), Les assises du corps transformé, Regards croisés sur le genre, Les Etudes Hospitalières, 2010,
p. 293.
30
J. BUTLER, « Le transgenre et les “attitudes de révolte” », in M. DAVID-MENARD (dir.), Sexualités, genre
et mélancolie : s’entretenir avec Judith Butler, Campagne première, 2009.
31
Cf. note n° 24.
32
C. ESTRADA, « Le transsexualisme confronté à la protection sociale », in J. MATEAU, M. REYNIER et F.
VIALLA (dir.), Les assises du corps transformé, Regards croisés sur le genre, Les Etudes Hospitalières, 2010,
p. 257-259.
33
V. en ANNEXE VIII un des premiers protocoles, établi en 1999.
10
Le processus se déroule en quatre étapes34 :
- d’abord, la dysphorie du genre est constatée et évaluée,
- ensuite, a lieu une évaluation de la capacité de la personne à vivre dans le rôle
désiré par une expérience en vie réelle35,
- ce n’est qu’après cette évaluation qu’un traitement d’hormonosubstitution est
proposé, après vérification de l’absence de contre-indication,
- enfin, est réalisée une chirurgie de réassignation.
Il est à noter que le protocole papier, signé par la personne ainsi que par chacun des
intervenants, est transmis à l’Ordre des médecins avant l’opération chirurgicale aux fins de
réassignation sexuelle. L’exemplaire transmis ne laisse apparaître que les initiales du
patient afin de garantir son anonymat. Cette formalité permet au chirurgien d’être en accord
avec sa déontologie, dans la mesure où il s’apprête à procéder à l’ablation d’organes sains,
ce qui, dans d’autres circonstances, relèverait de la mutilation.
Malgré les progrès réalisés par la chirurgie plastique, il demeure impossible de
réaliser, véritablement, un changement de sexe. Si les techniques sont assez perfectionnées
s’agissant des transitions MtF (si ce n’est que le vagin créé par vaginoplastie ne
s’autolubrifie pas, ce qui nécessite de l’entretenir pour éviter toute complication), la
transition FtM pose davantage de difficultés (les allongements de l’urètre ont pu causer des
infections urinaires, et aucun système satisfaisant ne permet de singer une érection
pénienne).
Aussi, de nombreux transsexuels ne sollicitent pas d’opération complète de
réassignation sexuelle. Ils peuvent se borner à un traitement hormonal ou modifier
simplement leur apparence sociale.
34
Rapport de la Haute autorité de santé, « Situation actuelle et perspectives d’évolution de la prise en charge
médicale du transsexualisme en France », 2009.
35
Le Défenseur des droits souligne la vulnérabilité des personnes durant cette phase, en ce qu’elles sont la
cible de nombreuses discriminations ; en effet, à ce stade, leur apparence n’est pas modifiée par la prise
d’hormones et leur état civil n’a pas connu de modification, et il leur est pourtant demandé de se comporter
publiquement comme une personne du sexe revendiqué.
11
n’est plus vraiment au goût du jour (si ce n’est chez les juristes), et qu’il est même banni
par la plupart des militants.
La signification latine de leur préfixe commun, trans, renvoie à l’idée d’une
traversée, d’un passage de l’autre côté. Là se trouve sans doute le seul indice permettant
d’envisager une distinction de ces trois vocables.
Que traverse-t-on ? L’altérité sexuelle ? L’identité ? Le genre ?
Sans doute un peu de chaque : c’est parce que l’individu fait face à des tensions
internes identitaires particulièrement fortes entre son sexe physiologique et son sexe vécu
qu’il entame une traversée, pour être en paix avec son genre.
36
J. MONEY, « Hermaphrodism, gender and precocity in hyper-adrenocorticism : Psychologic findings » :
Bulletin of Johns Hopkins Hospital, 1955, 97, p. 253-264.
12
11. Du genre à l’identité de genre, la question identitaire – Au travers des
diverses lectures préparatoires à ce travail, il a pu être constaté que le vocable genre n’était
souvent qu’un complément du nom venant préciser le terme d’identité. Pour appréhender
sans approximation le groupe nominal identité de genre, il convient de se pencher sur la
question identitaire : qu’est-ce que l’identité ? Si le juriste la rapproche sans difficulté de
l’état civil37, cette notion nécessite un approfondissement linguistique plus poussé.
L’Académie française en propose la définition suivante : « caractère de ce qui, dans
un être, reste identique, permanent, et fonde son individualité »38. Les premiers éléments
de cette définition interrogent : l’identité de genre serait donc un oxymore ; en effet, le
genre est susceptible d’évolution alors que l’identité serait immuable.
Pourtant, en ce que la seconde partie de la définition pointe que l’identité fonde
l’individualité d’un être, il est aisé d’objecter que ce qui constitue l’individualité d’une
personne – si tant est que ce soit appréhendable – ne saurait être dit permanent, insensible
à l’écoulement du temps. Il y aurait donc deux dimensions dans l’identité : une dimension
identificatrice, en ce sens qu’une personne est individualisée parce qu’elle n’est pas
identique aux autres et est ainsi identifiable, et une dimension identitaire, l’identité
recouvrant alors la vision que l’individu a de lui-même, la représentation qu’il se fait de
lui-même ; la première dimension peut donc être dite objective, alors que la seconde peut
être qualifiée de subjective. Assurément, l’identité de genre s’inscrit dans cette seconde
dimension, subjective, dans la mesure où il s’agit de la représentation qu’il se fait de son
genre, de la manière dont il le vit et dont il le donne à voir à autrui.
37
Cf. infra., §13.
38
Identité, Dictionnaire de l’Académie française [en ligne], URL : http://academie.atilf.fr/
13
uniquement en effet à une perception et à un vécu intimes de soi déconnectés des
déterminations physiologiques. »39 (nous soulignons).
La CNCDH fut la première à affirmer le caractère de notion juridique de l’identité
de genre en 2013. Elle avait été saisie pour avis par la Garde des Sceaux d’alors, notamment
s’agissant de « la définition et la place de ‘‘l’identité de genre’’ en droit français »40. Pour
considérer que le droit devait s’ouvrir à l’identité de genre, la CNCDH relevait toute une
série d’éléments, non dénués de pertinence.
Elle relevait d’abord que l’identité de genre était apparue à la faveur des principes
de Jogjakarta, établis en 2007 pour l’ONU par un collège d’experts en droit international.
Ces principes fournissaient une définition particulièrement précise et pertinente de la notion
qui fera date :
« L’identité de genre fait référence à l’expérience intime et personnelle de
son genre profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde ou non au
sexe assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle de son
corps (qui peut impliquer, si librement consentie, une modification de
l’apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux,
chirurgicaux ou autre) et d’autres expressions du genre, y compris
l’habillement, le discours et les manières de se conduire »41 (nous
soulignons).
Cette définition a été reprise dans le rapport 2011 du Haut-Commissaire aux droits
de l’Homme des Nations-Unies.
Le Commissaire aux droits de l’Homme 42 du Conseil de l’Europe a également
utilisé la notion en 2009 à l’occasion de recommandations aux Etats membres.
Aussi, il doit être constaté que la notion était amplement utilisée dans les
instruments dits de soft law, c’est-à-dire n’ayant pas de valeur contraignante.
Ce temps est révolu depuis 2011. En effet, la notion a été utilisée dans la traduction
française de deux directives de l’Union européenne43.
39
CNCDH, Avis sur l’identité de genre et sur le changement de la mention du sexe à l’état civil, 27 juin 2013.
40
Ibid.
41
Principes de Jogjakarta sur l'application de la législation internationale des droits humains en matière
d'orientation sexuelle et d'identité de genre, consultables en ligne (en français) :
https://yogyakartaprinciples.org/principles-fr/
42
T. HAMMARBERG, Document thématique, Droits de l’Homme et identité de Genre, octobre 2009.
43
Directive 2011/95/UE (Directive qualification asile) et Directive 2012/29/UE (Directive sur les droits des
victimes de la criminalité).
14
Puis, c’est à la faveur de la loi du 18 novembre 2016, de modernisation de la justice
du XXIe siècle, que l’identité de genre a acquis son statut de notion juridique, et ce à deux
égards : d’une part, de façon explicite, l’article 86 de la loi la substituant à la notion très
contestée44 d’identité sexuelle au sein de l’article 225-1 du Code pénal réprimant les
discriminations45 ; d’autre part, de façon implicite, la loi l’érigeant en critère déterminant
d’une modification de la mention du sexe à l’état civil, ainsi qu’il le sera démontré ci-après.
44
CNCDH, op. cit., note n° 40, §12.
45
Art. 225-1 C. pén. : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques
sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence
physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son
auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d'autonomie, de leur
handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité
de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s'exprimer
dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée,
à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. […] »
46
J. ROCHFELD, Les grandes notions de droit privé, PUF, 2011, p. 40.
47
F. ZENATI-CASTAING et T. REVET, Manuel de droit des personnes, PUF, 2006, p. 49.
15
L’état des personnes est « d’ordre public », de sorte que « les éléments de l’état civil
sont imposés à la personne sans qu’elle puisse les choisir initialement ou, sans exception
encadrée, les modifier ultérieurement »48.
Ces éléments sont nombreux. Ils comprennent le prénom, le nom, la date et le lieu
de naissance, le domicile, la profession, le sexe, la filiation ainsi que la situation
matrimoniale49.
Si, comme il l’a été indiqué, ces éléments ne sont, en principe, pas susceptibles de
modifications, certains se modifient pourtant par la force des choses (domicile, profession,
situation matrimoniale). D’autres sont classiquement considérés comme particulièrement
stables. Le Doyen CARBONNIER considérait ainsi « la date, le lieu et le sexe de naissance »
comme des « vérités historiques »50 qui ne devraient pas être susceptibles de modifications.
C’est pourtant précisément la demande des transsexuels.
48
J. ROCHFELD, op. cit. (note n° 43).
49
Art. 34, 57, 63, 76 et 79 C. civ.
50
J. CARBONNIER, op. cit. (note n° 2), n° 78.
51
Paris, 18 janv. 1974 : D. 1974, jurispr., p. 196.
52
TGI de la Seine, 18 janv. 1965 : D. 1966. Somm. 14.
16
« principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, au respect duquel l’ordre public est
attaché »53.
Pourtant, moins de deux mois après cet arrêt de la plus haute juridiction de l’ordre
judiciaire, le Tribunal de grande instance de Toulouse, par jugement du 29 janvier 197654,
franchissait le pas en accordant pour la première fois en France, après expertise, une
modification de la mention du sexe à l’état civil. Il rendait plusieurs décisions en ce sens
dans les mois et années qui suivaient, avec cet attendu de principe, remarquable pour
l’époque :
« Attendu qu’un individu qui a subi dans l’évolution de ses caractères
sexuels, soit du fait de sa nature soit du fait d’éléments extérieurs, des
transformations si importantes qu’il ne peut plus sans troubles graves
supporter le statut social correspondant au sexe déclaré lors de sa
naissance, est en droit d’obtenir la modification de son état civil quant à
l’indication de son sexe ; que la modification de son prénom ne sera alors
qu’une conséquence de ce changement de sexe ; »55.
Cette brèche ouverte, un nombre conséquent de juridictions du fond n’ont pas
manqué de s’y engouffrer, et notamment le Tribunal de grande instance de Paris, par un
jugement du 24 novembre 1981, particulièrement motivé, qui retenait :
« qu’il ne s’ensuit pas nécessairement que [le principe de l’indisponibilité
de l’état des personnes] doive en tous les cas faire obstacle à l’admission
d’une demande de « changement de sexe » ; qu’ainsi que le note le
procureur de la République la loi ne définit pas le sexe ; que l’on s’accorde
à reconnaître qu’il s’agit d’une notion complexe aux composantes diverses
– génétique, anatomique, hormonale et psychologique – composantes qui,
dans la très grande majorité des cas, concordent entre elles ; que, dans le
cas très exceptionnel du transsexualisme, la composante psychologique se
révèle, par l’effet progressif d’un déterminisme échappant à la volonté du
sujet, en complète discordance avec les autres composantes, d’ordre
physique, qui avaient permis à sa naissance de le désigner quant au sexe ;
que la requête du transsexuel ne peut être considérée comme une volonté de
changer de sexe, mais comme une demande tendant à faire constater que la
53
Cass., Civ. 1, 16 déc. 1975, J.C.P. 1976.II.18503.
54
TGI Toulouse, 29 janvier 1976, D. 1976. Somm. 61.
55
ANNEXE I.
17
qualification à l’origine donnée à celui-ci ne correspond plus à la réalité
présente, au point qu’il est incapable socialement de l’assumer ; qu’en
présence, chez le transsexuel, de la discordance signalée, et qui est
irréversible, entre les éléments spécifiques du sexe, le principe de
l’indisponibilité de l’état des personnes ne saurait interdire que soit pris
juridiquement en compte le changement intervenu pour que soit substitué,
aux composantes physiques, cet autre élément du sexe, non moins réel et
devenu prépondérant, qu’est sa composante psychologique ; »56 (nous
soulignons).
Cette décision, également remarquable et riche, mériterait de se voir consacrer de
longs développements. Elle est en effet la première à affirmer que le sexe ne comprend pas
qu’une dimension physique, mais qu’il s’agit d’une notion observable par le prisme de
différentes composantes, dont la composante psychologique. Et en faisant triompher la
composante psychologique sur les composantes physiques, elle fait, déjà, triompher le
genre sur le sexe physiologique.
Par ailleurs, cette décision introduit la notion d’irréversibilité, qui sera si importante
par la suite, et rejoint le jugement toulousain, en ce que tous deux considèrent qu’il s’agit
moins d’opérer un changement que de constater un état de fait.
Toutefois, loin de s’inspirer de la richesse des motivations lui remontant des juges
du fond, la Cour de cassation s’est longtemps assise dans une posture de refus systématique
des modifications de l’état civil sollicitées, par des motifs fluctuants et peu didactiques,
traduisant « un certain embarras » 57 sur la question.
Ainsi, par un arrêt du 30 novembre 1983, la Haute juridiction a rejeté le pourvoi
d’un transsexuel au motif que « la cour d’appel avait relevé qu’en dépit des opérations
auxquelles elle s’était soumise [la requérante] n’était pas du sexe masculin »58. De cette
maigre motivation, il faut sans doute comprendre que la Cour ne retenait qu’une définition
chromosomique du sexe.
Par deux arrêts des 3 et 31 mars 1987, la Première chambre civile revenait à sa
motivation de 1975, considérant qu’il n’était pas caractérisé un changement de sexe qui ne
soit pas « l’effet d’une cause étrangère à la volonté »59 de l’intéressé. C’est donc davantage
56
TGI Paris, 1ère Ch., 4e section, 24 nov. 1981, ANNEXE II.
57
Rapport de M. le conseiller MASSIP (ANNEXE V) sur l’arrêt Cass., Civ. 1, 21 mai 1990, P 88-12.829.
58
Cass., Civ. 1, 30 nov. 1983, Bull. 1983, I, n° 284, p. 253.
59
Cass, Civ. 1, 3 et 31 mars 1983, Bull. 1987, I, n° 79, p. 59 et n° 116, p. 87.
18
sur le terrain de l’indisponibilité de l’état des personnes que la Cour s’était alors placée. Il
est à noter qu’une telle cause étrangère, possiblement caractérisable par « un changement
morphologique involontaire consécutif à un traitement pratiqué dans un camp de
concentration »60, aurait donc pu entraîner la modification sollicitée.
Aux termes de deux arrêts des 7 juin 1988 et 10 mai 1989, la Cour indiquait que les
juges avaient « pu estimer que les considérations psychologiques et sociales invoquées
étaient insuffisantes pour justifier un changement de sexe qui serait contraire à la réalité
et qui ne peut être ordonné dans un seul but de thérapie dont les résultats ne sont d'ailleurs
pas garantis »61. Un infléchissement peut être relevé dans ces motifs. En effet, si les juges
du Quai de l’horloge s’obstinent à ne voir dans le sexe qu’une expression chromosomique,
d’une part, ils n’opèrent qu’un contrôle léger – les juges du fond « [ayant] pu estimer » –,
qui s’explique sans doute par la profusion de décisions du fond en sens contraire, d’autre
part, utilisent le vocable « insuffisant », qui tendrait à laisser penser qu’à l’inverse, d’autres
éléments pourraient suffire, enfin, semblent réfléchir à voix haute dans la dernière partie de
leur motivation…
Statuant à nouveau en 199062, la Cour a réaffermi sa position, jugeant « que le
transsexualisme, même lorsqu'il est médicalement reconnu, ne peut s'analyser en un
véritable changement de sexe, le transsexuel, bien qu'ayant perdu certains caractères de
son sexe d'origine, n'ayant pas pour autant acquis ceux du sexe opposé ; » et « que l'article
8, alinéa 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose que toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, n'impose pas d'attribuer au
transsexuel un sexe qui n'est pas en réalité le sien ; ». Retour donc à la case départ : la Cour
ferme toute possibilité de modification de l’état civil, et n’appréhende le sexe que par son
versant chromosomique.
Il doit être relevé que sur l’ensemble de ces arrêts, un seul est un arrêt de cassation,
ce alors qu’il est constant que nombre de cours d’appel63 résistaient à la position de la Cour
de cassation et prononçaient la modification de la mention du sexe à l’état civil. Il faut alors
en conclure que les parquets, bien que souvent appelants, n’estimaient pas opportuns de se
pourvoir en cassation, sans doute également embarrassés par la difficulté de la question.
60
Rapport de M. le conseiller MASSIP, op. cit.
61
Cass., Civ. 1, 7 juin 1988 (Bull. 1988, I, n° 176, p. 122) et 10 mai 1989 (Bull. 1989, I, n° 189, p. 125).
62
Cass., Civ. 1, 21 mai 1990, P 88-12.829.
63
V. par exemple, Toulouse, 28 octobre 1985, RG 2280/85 (confirmation), ANNEXE IV.
19
Il a fallu attendre un arrêt de condamnation de la Cour européenne des droits de
l’homme en date du 25 mars 199264, constatant que le refus des autorités françaises de
rectifier l’état civil d’une personne transsexuelle afin de rendre la mention de son sexe en
adéquation avec son sexe vécu constituait une violation du droit au respect de la vie privée,
dans la mesure où cela lui imposait de révéler son transsexualisme dans tous les aspects de
la vie sociale où l’état civil des personnes doit être exposé, pour que la Cour de cassation
revoie sa position.
Ce fut chose faite par un arrêt d’assemblée plénière en date du 11 décembre 1992 65
aux termes duquel la Haute juridiction posait, au visa de l’article 8 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après
Conv. EDH), des articles 9 et 57 du Code civil et du principe de l’indisponibilité de l’état
des personnes, l’attendu du principe suivant :
« Attendu que lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi
dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du
transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et
a pris une apparence physique le rapprochant de l’autre sexe, auquel
correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie
privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a
l’apparence ; que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne
fait pas obstacle à une telle modification ; »
Ainsi, la Cour de Cassation s’est résolue à admettre la modification de la mention
du sexe à l’état civil à une triple condition :
- que le demandeur soit atteint de ce que l’on appelait alors le « syndrome du
transsexualisme »,
- qu’il ait subi un traitement médico-chirurgical duquel il résulte une apparence
physique le rapprochant irréversiblement de l’autre sexe (notamment quant aux
organes génitaux),
- et que cet autre sexe corresponde à son comportement social.
64
CEDH, 25 mars 1992, n° 13343/87, France ; JCP 1992. II. 21955, note T. GARE.
65
Cass., ass. plén., 11 décembre 1992, P 91-11.900.
20
qui exigeait de fait une opération de réassignation sexuelle (ablation des organes génitaux
de naissance et reconstruction plastique d’organes sexuels correspondant au sexe vécu) et
qui exigeait par la même une stérilisation du demandeur, afin d’être assuré du caractère
irréversible de la conversion sexuelle et d’éviter les difficultés susceptibles d’être
rencontrées sur le terrain de la filiation, s’est rapidement trouvée sous le feu nourri des
tenants d’une libéralisation de la procédure de modification de la mention du sexe à l’état
civil, surtout après qu’il a été acté que le transsexualisme n’était pas une pathologie 66.
Aussi, le Garde des Sceaux, par une circulaire en date du 14 mai 201067, avait incité
les parquets à requérir qu’il soit fait droit aux demandes de changement de sexe à l’état
civil sans exiger d’opération de réassignation sexuelle, ni que soit caractérisé un
quelconque syndrome, mais simplement après avoir constaté le caractère irréversible du
processus de changement de sexe qui peut résulter d’une hormonothérapie. Par ailleurs,
l’exécutif préconisait de n’avoir recours aux expertises, coûteuses, facteurs
d’alourdissement de la procédure et souvent inutiles, que dans le cas où il existe un doute
sérieux sur la réalité du transsexualisme.
Si la Cour de cassation a, par la suite, consenti à abandonner l’exigence d’une
opération chirurgicale de réassignation sexuelle, elle a maintenu l’exigence de la preuve du
caractère irréversible du processus de changement de sexe, et a continué à employer le
terme de « syndrome transsexuel »68. Elle a également semblé ne pas avoir entendu l’appel
à la modération s’agissant du recours à l’expertise médicale69.
Comme le souligne Madame PARICARD, sur cet état de la jurisprudence, « les
rapports émanant des autorités les plus représentatives en matière de droits de l’homme
tant nationales qu’internationales, se [sont multipliés] en faveur d’un assouplissement du
changement de sexe »70. En effet, dès 2008, l’ancienne Haute autorité de lutte contre les
discriminations recommandait l’intervention du législateur et du pouvoir règlementaire afin
que soit mis en place un dispositif « permettant de tenir compte […] de l’adéquation entre
l’apparence physique de la personne […] et l’identité inscrite sur les pièces d’identité […]
en vue d’une harmonisation des pratiques au sein des juridictions »71. En 2009, le
66
Cf. Décret n° 2010-125 du 8 février 2010 retirant le transsexualisme de la liste des affections psychiatriques.
67
Circulaire de la DACS n° CIV/07/10 du 14 mai 2010 relative aux demandes de changement de sexe à l’état
civil, NOR : JUSC1012994C.
68
Cass., Civ. 1ère, 7 juin 2012 (2 arrêts), P 11-22.490 et 10-26.947 ; Civ. 1ère, 13 février 2013 (2 arrêts), P 11-
14.515 et 12-11.949.
69
En ce sens, voir notamment : Cass., Civ. 1ère, 13 février 2013, P 11-14.515.
70
S. PARICARD, « Une libéralisation du changement de sexe qui suscite des interrogations majeures » : AJ
Famille, 2016, p. 585.
71
HALDE, délibération 2008-190 du 15 septembre 2008.
21
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe émettait des réserves sur le
dispositif français72. Enfin, en 2014, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) critiquait
notamment la stérilisation forcée des personnes transsexuelles souhaitant bénéficier d’une
conversion sexuelle apparente et juridique73.
16. Des propositions de réforme – Saisie pour avis en 2013, la CNCDH relevait
les disparités existantes entre les juridictions quant à la preuve du transsexualisme, et
concluait à la nécessité de réformer la procédure tendant à la modification de la mention du
sexe à l’état civil. Elle proposait une démédicalisation complète de la procédure, ainsi
qu’une déjudiciarisation partielle, le juge n’intervenant, dans son office gracieux, que pour
homologuer une déclaration faite auprès d’un officier d’état civil, et ne pouvant refuser son
homologation que si la demande apparaît manifestement frauduleuse ou si le requérant
manque de discernement74.
Plus radical, le Défenseur des droits, tout en rejoignant la CNCDH sur la nécessité
d’une démédicalisation complète, préconisait la mise en œuvre d’une procédure déclarative
de changement de la mention du sexe à l’état civil auprès de l’officier d’état civil, le juge
n’intervenant, en matière gracieuse, qu’en cas de deuxième déclaration en ce sens75.
72
Rapport du Commissaire aux droits de l’homme : « Droit de l’homme et identité de genre », Conseil de
l’Europe, 2009.
73
OMS, Eliminating forced, coercive and otherwise, involuntary sterilization : an interagency statement, p.7,
consultable via : www.who.int/reproductivehealth/publications/gender_rights/eliminating-forced-
sterilization/en/ [consulté le 29/10/17], publié en mai 2014.
74
CNCDH, op. cit., note n° 40.
75
Défenseur des droits, op. cit., note n° 27.
76
CEDH, 10 mars 2015, n° 14793/08, Y. Y. c/ Turquie ; RDSS 2015. 643, note S. PARICARD.
77
Ibid., §119.
22
18. Les nouvelles dispositions – Sur ce, et près que de quarante ans après qu’un
juge a pour la première fois prononcé une modification de la mention du sexe à l’état civil,
le législateur s’est enfin saisi de la question à l’occasion de la discussion parlementaire sur
le projet de loi portant modernisation de la justice du XXIe siècle, brusquant un
gouvernement initialement frileux78 et brisant par la même une jurisprudence établie de la
Cour de cassation en dessinant, pour la première fois, un régime juridique législatif de la
modification de la mention du sexe à l’état civil.
Ces nouvelles dispositions sont les suivantes (extrait du Code civil, tel que modifié
par l’article 56 de la loi du 18 novembre 2016) :
Article 61-5
Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une
réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes
de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans
lequel elle est connue peut en obtenir la modification.
Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous
moyens, peuvent être :
1° Qu'elle se présente publiquement comme appartenant au sexe
revendiqué ;
2° Qu'elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial,
amical ou professionnel ;
3° Qu'elle a obtenu le changement de son prénom afin qu'il corresponde au
sexe revendiqué.
Article 61-6
La demande est présentée devant le tribunal de grande instance.
Le demandeur fait état de son consentement libre et éclairé à la modification
de la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil et produit tous
éléments de preuve au soutien de sa demande.
Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération
chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la
demande.
78
Le gouvernement est d’abord parvenu à faire repousser un amendement (amendement CL89) du député
écologiste Sergio Coronado lors de l’examen du texte en première lecture par la commission des lois de
l’Assemblée nationale (V. Rapport fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale par MM.
Jean-Michel Clément et Jean-Yves Le Bouillonec, Députés, 6 mai 2016, Doc. n° 3726, p. 264).
Il a toutefois fini par accompagner la volonté du législateur en proposant une série de sous-amendements à
un amendement défendu par Mme Pascale Crozon et MM. Erwann Binet et Sergio Coronado, députés
socialistes et écologiste, issu d’une proposition de loi, dont il est résulté le texte en vigueur (V. compte-rendu
des débats, Journal officiel de la République française du vendredi 20 mai 2016, p. 3522 et suivantes).
La circonstance que ces dispositions ont été insérées au texte par voie d’amendement explique qu’elles
n’aient pas fait l’objet d’une étude d’impact et que l’avis du Conseil d’Etat sur le texte ne les aborde
pas.
23
Le tribunal constate que le demandeur satisfait aux conditions fixées à
l'article 61-5 et ordonne la modification de la mention relative au sexe ainsi
que, le cas échéant, des prénoms, dans les actes de l'état civil.
Article 61-7
Mention de la décision de modification du sexe et, le cas échéant, des
prénoms est portée en marge de l'acte de naissance de l'intéressé, à la requête
du procureur de la République, dans les quinze jours suivant la date à
laquelle cette décision est passée en force de chose jugée.
Par dérogation à l'article 61-4, les modifications de prénoms corrélatives à
une décision de modification de sexe ne sont portées en marge des actes de
l'état civil des conjoints et enfants qu'avec le consentement des intéressés ou
de leurs représentants légaux.
Les articles 100 et 101 sont applicables aux modifications de sexe.
Article 61-8
La modification de la mention du sexe dans les actes de l'état civil est sans
effet sur les obligations contractées à l'égard de tiers ni sur les filiations
établies avant cette modification. »
79
Décision du Conseil constitutionnel n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016, point n° 67.
80
S. PARICARD, op. cit., note n° 71.
81
Cf. infra, §174.
24
il conviendra, pour le surplus, de souscrire pleinement à cette analyse. Il apparaît en effet à
la lecture de ces nouvelles dispositions que ce que le requérant a à démontrer n’est pas autre
chose que l’expression publique de son identité de genre, c’est-à-dire, pour reprendre la
définition donnée par les principes de Yogyakarta, l’expression publique de son expérience
intime et personnelle de son genre ; et cette expression publique se matérialise précisément
par les éléments listés par le texte : la façon de se présenter, la manière dont on est connu,
le nom par lequel on se fait appeler.
Le Garde des Sceaux ne s’y est d’ailleurs pas trompé, posant dans sa circulaire
d’application que « le premier critère énoncé par l’article 61-5 du code civil a trait à
l’identité de genre vécue, tandis que le deuxième révèle la dimension sociale de son
appartenance au sexe revendiqué »82 (nous soulignons), c’est-à-dire la reconnaissance
sociale de cette identité de genre.
Il s’ensuit que le législateur a nécessairement considéré que la mention du sexe à
l’état-civil devait correspondre, non au sexe biologique, ni au sexe physiologique, mais à
l’identité de genre, c’est-à-dire au sexe vécu, et a par la même consacré juridiquement la
notion naissante d’identité de genre.
20. Droit comparé – S’agissant des Etats membres du Conseil de l’Europe, ainsi
que l’a récemment relevé la CEDH83, de plus en plus d’Etats cessent d’exiger la condition
de stérilisation pour accorder la modification de la mention du sexe à l’état civil, par une
évolution récente de leurs législations, même s’ils demeurent encore légèrement
minoritaires ; il s’agit de l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Estonie,
l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, Malte, la Moldavie, la
Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède (soit 19 états).
Au contraire, la stérilisation est encore exigée dans les Etats suivants : l’Arménie,
l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Fédération de Russie, la
Finlande, la Géorgie, la Grèce, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, le Monténégro, la
République tchèque, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suisse, la Turquie
et l’Ukraine (soit 21 états). Il faut aussi noter que sept Etats (l’Albanie, Andorre, Chypre,
82
Circulaire du 10 mai 2017 de présentation des dispositions de l’article 56 de la loi n° 2016-1547 du 18
novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle concernant les procédures judiciaires de
changement de prénom et de modification de la mention du sexe à l’état civil, NOR : JUSC1709389C.
83
CEDH, 6 avril 2017, n° 79885/12, 52471/13 et 52596/13, A.P., Garçon et Nicot c/ France, §70 et s.
25
le Liechtenstein, Monaco, la République de Saint-Marin et « L’ex-République yougoslave
de Macédoine ») continuent de ne pas permettre cette modification de l’état civil.
Seule une petite minorité d’Etats permettent cette modification sans exiger la
démonstration d’un diagnostic psycho-médical d’un trouble de l’identité de genre : le
Danemark, l’Islande, Malte, Norvège, ainsi que deux communautés autonomes espagnoles,
la Belgique, le Portugal et la France les ayant très récemment rejoints.
Il est également à noter que les législations les plus récentes, celle de la Belgique84
(loi du 25 juin 2017) et celle du Portugal 85 (loi promulguée le 31 juillet 2018),
déjudiciarisent la procédure, le requérant s’adressant directement aux autorités compétentes
pour la tenue des registres d’état civil, à l’instar – hors Conseil de l’Europe – de la
législation argentine86.
Au bilan, si les Etats qui peuvent être considérés comme les plus proches
juridiquement de la France (membres de l’UE, héritiers du Code napoléonien) ont
quasiment tous, comme la législation française, abandonné l’exigence de stérilisation, seule
une petite minorité d’Etats font de l’identité de genre un critère permettant la modification
de la mention du sexe à l’état civil, dans la mesure où la majorité d’entre eux continuent
d’exiger un diagnostic psycho-médical, qui constitue alors le critère déterminant.
Au demeurant, pour la CEDH87, si exiger la stérilisation est contraire au droit à la
vie privée ainsi qu’au droit au respect de l’intégrité physique, rien n’empêche les Etats de
médicaliser la procédure en exigeant un diagnostic. Choix qui n’a pas été celui du
législateur français, qui ne fait dépendre la modification de l’état civil que des
manifestations publiques de l’identité de genre.
22. Annonce du plan – Ces incidences sont d’abord pratiques, et entre la difficulté
d’appréhender juridiquement le genre et les questions laissées en suspens par le texte en
matière de filiation, le juge va se retrouver en première ligne (PARTIE I). Sa jurisprudence
84
Art. 62 bis et suivants du Code civil belge.
85
Décret législatif portugais n° 228/XIII, promulgué le 31 juillet 2018.
86
Loi argentine n° 26743 du 9 mai 2012.
87
CEDH, 6 avril 2017, op. cit., note n° 83.
26
est attendue. Peut-être permettra-t-elle d’éclaircir l’horizon théorique, amplement affecté
par cet état civil d’un nouveau genre (PARTIE II).
27
28
PARTIE I : ENTRE L’INSAISISSABILITE JURIDIQUE DU GENRE
ET LES INCIDENCES PRATIQUES DE LA MODIFICATION DE LA
23. – Si le juge va devoir composer avec les critères posés par les nouvelles
dispositions, et va ainsi devoir tenter une appréhension juridique du genre (Titre I), il va
également nécessairement faire face à des modèles de filiations inédits (Titre II).
29
30
Titre I : Saisir le genre, un exercice judiciaire périlleux
24. – Saisir le genre commande de sonder les reflets de l’intime. En cela, c’est
nécessairement un exercice périlleux. Sans doute conscient de la difficulté de la tâche ainsi
confiée au juge, le législateur a entendu encadrer son office en posant de prolixes conditions
de fond à la modification de la mention du sexe à l’état civil (Chapitre II), mais aussi en
restreignant le champ des personnes susceptibles d’agir en posant des conditions spéciales
d’admissibilité de la demande (Chapitre I).
88
L. WEILLER, « Action d’état », in Répertoire de procédure civile, Dalloz, 2016, §121.
89
Il existait également une autre voie procédurale afin d’obtenir cette modification de l’état civil, celle de la
rectification des actes de l’état civil, ordonnée, sur requête, par le président du TGI (art. 99 C. civ.). Dans
cette hypothèse, l’instance était gouvernée par la matière gracieuse.
90
Art. 120 C. pr. civ. : « […] Le juge peut relever d'office la nullité pour défaut de capacité d'ester en justice. »
Art. 125 C. pr. civ. : « Les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère
d'ordre public, notamment lorsqu'elles résultent de l'inobservation des délais dans lesquels doivent être
exercées les voies de recours ou de l'absence d'ouverture d'une voie de recours.
Le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose
jugée. »
91
RTD civ. 1981. 212, n° 6, obs. PERROT.
31
Par ailleurs, en vertu des dispositions de l’article 117 du même code, est nul d’une nullité
de fond l’acte de saisine introduit par un demandeur privé de sa capacité d’agir.
Il apparaît que les nouveaux articles 61-5 et 61-6 du Code civil posent deux
conditions spéciales d’admissibilité de la demande : l’action est en principe fermée aux
mineurs (Section 1) et elle nécessite l’expression du consentement libre et éclairé du
demandeur (Section 2).
27. Une classique incapacité d’ester en justice pour les mineurs – En principe,
les mineurs ne peuvent eux-mêmes ester en justice. Il s’agit là d’une incapacité d’exercice
du droit d’agir92, qui résulte des dispositions des articles 388 et 414 du Code civil ; ce n’est
qu’à compter de dix-huit ans accomplis que « chacun peut exercer les droits dont il a la
jouissance »93. En vertu des dispositions de l’article 388-1-1 du Code civil, le mineur, pour
pouvoir agir en justice, doit être représenté par ses administrateurs légaux, qui se trouvent
être ses parents, hors les cas de tutelle ou de désignation d’un administrateur ad hoc94.
92
A. GOUTTENOIRE, « Mineur », in Répertoire de procédure civile, Dalloz, 2017, §150.
93
Art. 414 C. civ.
94
Art. 388-2 C. civ.
95
I. GALLMEISTER, « Etat et capacité des personnes », in Répertoire de droit civil, Dalloz, 2018, §112.
32
29. Une nullité de fond de l’acte de saisine… – Il est constant qu’en application
des dispositions de l’article 117 du Code de procédure civile, la sanction de l’introduction
d’une instance par une personne dont la capacité d’ester en justice fait défaut réside dans
la nullité pour irrégularité de fond. Dès lors, en l’espèce, dans l’hypothèse où un mineur,
seul ou dûment représenté, viendrait demander au tribunal de grande instance la
modification de la mention de son sexe sur son état civil, son acte introductif d’instance –
sa requête – devrait être déclarée nulle pour irrégularité de fond.
Il pourrait aussi être soutenu que cette requête est irrecevable pour défaut de qualité
pour agir, si l’on considère qu’en réservant l’action à « toute personne majeure ou mineure
émancipée », l’article 61-5 du Code civil en fait une action attitrée. Cette hypothèse sera
toutefois écartée, dans la mesure où il apparait manifeste que ces dispositions entendent
bien davantage protéger les mineurs en restreignant leur capacité d’ester en justice que
réduire le champ des titulaires potentiels du droit d’agir sur ce fondement. En effet, les
actions attitrées réduisent le champ des titulaires du droit d’agir à une96 ou plusieurs97
personnes précisément identifiées98, alors que l’article 61-5 du Code civil ménage tout de
même un spectre considérable de titulaires du droit d’agir : tous les majeurs et tous les
mineurs émancipés.
C’est donc bien la nullité de la requête pour irrégularité de fond qui sera utilisée.
30. …d’ordre public – Toutefois, une difficulté se fait jour dans la mesure où
l’article 120 du Code de procédure civile dispose que « les exceptions de nullité fondées
sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être relevées
d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public. / Le juge peut relever d'office la nullité
pour défaut de capacité d'ester en justice. » (nous soulignons). Aussi, il convient de
rechercher si les dispositions de l’article 61-5 du Code civil, en ce qu’elles ferment l’action
aux mineurs non émancipés, ont un caractère d’ordre public. En effet, si le ministère public
a nécessairement communication de ce type d’affaires et peut donc soulever cette nullité,
la réalité de l’exercice de son office, dû à l’engorgement des juridictions, et qui peut se
96
V. par exemple l’action attitrée prévue par l’art. 327 al. 2 C. civ. : « L’action en recherche de paternité est
réservée à l'enfant ».
97
V. par exemple l’action attitrée prévue par l’art. 430 C. civ. relative à la saisine du juge des tutelles aux fins
d’ouverture d’une mesure de protection pour majeur.
98
N. CAYROL, « Action en justice », in Répertoire de procédure civile, Dalloz, 2018, §377 et s.
33
réduire en la matière à un visa formel, commande de s’assurer que le tribunal n’ait pas
d’autre choix que de relever d’office cette nullité.
Deux interprétations des dispositions citées sont envisageables.
Il peut être défendu que le second alinéa, qui prévoit spécialement l’hypothèse du
défaut de capacité d’ester en justice, écarte en pareille hypothèse les dispositions du premier
alinéa, de sorte que le juge peut soulever d’office cette nullité mais n’y est pas tenu.
A l’inverse, il peut être défendu qu’en présence d’une incapacité d’ester en justice
spéciale, revêtant un caractère d’ordre public, le juge est en tout état de cause tenu de
soulever d’office cette nullité.
Cette seconde interprétation aura notre préférence.
En effet, rien ne permet d’affirmer que le second alinéa vient en l’espèce déroger
aux dispositions du premier ; il apparaît au contraire qu’il précise les possibilités pour le
juge de relever d’office la nullité pour vice de fond en présence d’un défaut de capacité
d’ester en justice et lorsque les règles de fond en cause ne sont pas d’ordre public.
Si la définition de l’ordre public est une question délicate99, il peut être retenu, dans
la présente situation, que cette notion renvoie à un caractère assortissant une norme
particulièrement nécessaire dans l’intérêt général et empêchant qu’il y soit dérogé par la
volonté individuelle ou via l’application d’une loi étrangère.
Dès lors, en l’espèce, deux éléments sont de nature à asseoir le caractère d’ordre
public de cette nullité de fond.
D’une part, la circonstance même que le législateur a expressément décidé
d’aggraver l’incapacité judiciaire des mineurs en cette matière ne peut être occultée. Rien
n’apparaît en effet de nature à légitimer une appréciation judiciaire laissant ces dispositions
sans effet.
D’autre part, il apparaît que le législateur a ainsi entendu protéger les mineurs en
les empêchant de mener trop tôt, sans le discernement nécessaire, une action d’état qui n’est
pas sans conséquence. Aussi, le législateur a nécessairement poursuivi un objectif d’intérêt
général.
Il s’ensuit que l’incapacité de jouissance introduite par le texte est bel et bien
sanctionnée d’une nullité de fond d’ordre public, qui doit donc, le cas échéant, être relevée
d’office par la juridiction.
99
Sur ce point, cf. infra., §180 et suivants.
34
Pour autant, en opportunité, cette aggravation de l’incapacité judiciaire des mineurs
n’est pas exempte de critiques.
31. Une demande existante – La demande de voir la mention de son sexe à l’état
civil être corrigée n’est pas le fait que d’adultes. La conviction que son genre ne correspond
pas à son sexe biologique peut en effet apparaître très tôt, et parfois être constante depuis
la petite enfance, de sorte qu’il apparaît manifeste qu’elle n’est pas la simple résultante de
la période de l’adolescence et de son lot de questionnements identitaires 100. Dans ces
situations, le souhait d’obtenir la modification de son état civil peut ainsi naître bien avant
la majorité.
32. Des législations voisines plus permissives – Sans doute conscients de ces
situations, certains législateurs voisins ont adopté des positions plus permissives.
Le Portugal, par une loi très récente101, a en effet rendu la modification de la mention
du sexe à l’état civil possible dès 16 ans alors que la majorité civile y est fixée à 18 ans.
Quant à la loi belge, elle permet également cette modification dès 16 ans, mais à
des conditions plus strictes que celles posées pour les majeurs102. Elle dispose que :
« le mineur non émancipé doué de discernement peut, à partir de l'âge de
seize ans, faire la déclaration prévue par le présent article, en remettant une
attestation établie par un pédopsychiatre qui confirme que l'intéressé
dispose d'une faculté de discernement suffisante pour avoir la conviction
durable que le sexe mentionné dans son acte de naissance ne correspond
pas à son identité de genre vécue intimement. Lors de sa déclaration,
l'intéressé est assisté par ses parents ou son représentant légal. / Si ces
personnes refusent d'assister le mineur non-émancipé, celui-ci peut
demander au tribunal de la famille de l'autoriser à poser cet acte assisté
d'un tuteur ad hoc. »103.
100
C. CHILAND, op. cit. (note n° 4), p. 115 et s.
101
Décret législatif portugais n° 228/XIII, promulgué le 31 juillet 2018.
102
Lesquels se contentent de déclarer la modification à l’officier d’état civil.
103
Art. 62 bis du Code civil belge, §11.
35
Ces dispositions, particulièrement précises, apparaissent constituer un bon compromis
entre l’exigence de protection des mineurs, dans la mesure où un âge plancher de 16 ans
est prévu et où une attestation d’un pédopsychiatre est jointe, et la nécessité de leur
permettre cette modification de leur état civil, qui apparaît être un vecteur
d’épanouissement personnel.
34. La possibilité de tenir à l’écart les parents – Les précautions prises par le
texte afin de protéger les mineurs tranchent avec la possibilité pour l’enfant, au moins sur
le plan théorique, de tenir ses parents à l’écart de sa démarche de réassignation sexuelle.
Les dispositions de l’article L. 1111-5 du Code de la santé publique prévoient en effet que :
« Par dérogation à l'article 371-1 du code civil106, le médecin ou la sage-
femme peut se dispenser d'obtenir le consentement du ou des titulaires de
l'autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque l'action
104
Sur ce point, cf. supra., §8.
105
Ces éléments sont tirés d’un entretien mené le mercredi 1er août 2018 avec Me Pierrette AUFIERE, avocat
honoraire, membre honoraire du comité de pilotage transdisciplinaire de coordination des protocoles
médicaux de réassignation sexuelle au CHU de Toulouse.
106
Art. 371-1 C. civ. :
« L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant.
Elle appartient aux parents jusqu'à la majorité ou l'émancipation de l'enfant pour le protéger dans sa sécurité,
sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa
personne.
Les parents associent l'enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
36
de prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement ou l'intervention
s'impose pour sauvegarder la santé d'une personne mineure, dans le cas où
cette dernière s'oppose expressément à la consultation du ou des titulaires
de l'autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé.
Toutefois, le médecin ou la sage-femme doit dans un premier temps
s'efforcer d'obtenir le consentement du mineur à cette consultation. Dans le
cas où le mineur maintient son opposition, le médecin ou la sage-femme peut
mettre en œuvre l'action de prévention, le dépistage, le diagnostic, le
traitement ou l'intervention. Dans ce cas, le mineur se fait accompagner
d'une personne majeure de son choix. » (nous soulignons).
Ces dispositions, initialement pensées pour permettre l’accès à l’interruption volontaire de
grossesse à une mineure qui ne souhaiterait pas révéler sa grossesse à ses parents, peuvent
recevoir application dans la présente matière. Le profond mal-être qui peut être celui d’un
mineur trans peut en effet imposer que, pour sauvegarder sa santé mentale, un processus de
réassignation sexuelle soit enclenché. Et le souhait de conserver secret son état peut être
motivé par la transphobie perçue chez ses parents. Pour autant, le caractère visible des
modifications corporelles entreprises ne permet pas de maintenir le secret bien longtemps.
107
C. CHILAND, op. cit. (note n° 4), p. 115 et s.
37
mettre en danger sa santé et compromettre gravement son développement ; de sorte qu’en
pareille hypothèse, il y a bien lieu à assistance éducative.
36. Une possible intervention du juge aux affaires familiales – Sans aller jusqu’à
une situation de rejet du mineur, il se peut que les parents soient en désaccord quant à la
manière de réagir à la transition de leur enfant, et notamment quant à l’autorisation à donner
à un éventuel protocole médical aux fins de réassignation sexuelle. Les parents sont alors
en désaccord sur l’exercice de leur autorité parentale.
Conformément aux dispositions de l’article 373-2-6 du Code civil108, l’un d’eux
peut alors saisir le juge aux affaires familiales afin qu’il statue sur ce désaccord. La loi
prévoit alors qu’il doit statuer conformément à l’intérêt de l’enfant, autant dire qu’elle lui
laisse une ample marge d’appréciation.
En pareille hypothèse, et dans la mesure où – ainsi qu’il l’a été exposé supra –
l’autorisation des représentants légaux n’est pas indispensable, il semble que le juge doive
surtout statuer en considération de l’avis de l’équipe pluridisciplinaire constituée aux fins
d’accompagner le protocole médical de réassignation sexuelle, qui apparaît être la mieux à
même pour constater l’incongruence du genre présentée par le mineur et pour évaluer son
degré de discernement.
108
Art. 373-2-6, al. 1, C. civ. : « Le juge du tribunal de grande instance délégué aux affaires familiales règle
les questions qui lui sont soumises dans le cadre du présent chapitre en veillant spécialement à la sauvegarde
des intérêts des enfants mineurs. »
109
Art. 413-2 C. civ. :
« Le mineur, même non marié, pourra être émancipé lorsqu'il aura atteint l'âge de seize ans révolus.
Après audition du mineur, cette émancipation sera prononcée, s'il y a de justes motifs, par le juge des tutelles,
à la demande des père et mère ou de l'un d'eux.
Lorsque la demande sera présentée par un seul des parents, le juge décidera, après avoir entendu l'autre, à
moins que ce dernier soit dans l'impossibilité de manifester sa volonté. »
38
d’apprécier la pertinence d’une émancipation, ce d’autant que ces « justes motifs » sont très
logiquement abandonnés à l’appréciation souveraine des juges du fond 110.
Aussi, rien n’empêche un juge des tutelles d’émanciper un mineur aux fins de lui
permettre d’obtenir la modification de la mention de son sexe sur son état civil.
Toutefois, l’émancipation d’un mineur pour ce seul motif n’apparaît pas opportune
et pourrait même se révéler néfaste pour lui. En effet, l’émancipation rend le mineur
capable de tous les actes de la vie civile111, et cela est de nature à le mettre en danger s’il
n’est pas doté d’une maturité supérieure aux mineurs de son âge. Là est en réalité le critère
déterminant, au-delà du motif avancé pour justifier la demande d’émancipation, le juge se
doit de vérifier que le mineur, une fois émancipé, sera en capacité d’affronter les difficultés
de la vie d’adulte.
110
Cass., Civ. 1, 20 mai 1968, P 66-13.787.
111
Art. 413-6 C. civ.
112
Art. 61-5 3° C. civ.
39
39. – L’action aux fins de modification de la mention du sexe à l’état civil n’est pas
uniquement fermée aux mineurs non émancipés, elle requiert également l’expression d’un
consentement libre et éclairé.
40
42. Une condition proposée par la CNCDH – Le législateur a sans doute été
influencé, en posant cette exigence, par l’avis de la CNCDH 113, qui préconisait de réduire
l’intervention judiciaire dans la procédure de modification de l’état civil à une simple
homologation, qui n’aurait pu être refusée que dans deux hypothèses : la fraude et,
précisément, le défaut de consentement libre et éclairé au changement d’état civil. La
commission s’est toutefois abstenue de définir cette notion.
43. Une notion inadaptée sur le terrain judiciaire – Si l’on comprend aisément
ce que recouvre la notion en matière médicale, il est bien difficile d’imaginer quelle
physionomie elle peut avoir sur le terrain judiciaire.
En effet, en matière médicale, le patient vient se plaindre de symptômes, cela donne
lieu à un diagnostic qu’établit le médecin, qui propose ensuite une thérapeutique. Et c’est
quant à la mise en œuvre de cette thérapeutique que le consentement libre et éclairé du
patient est exigé. De sorte qu’en matière médicale, avant de consulter son médecin, le
patient n’a pas idée de la thérapeutique qui sera envisagée, et c’est précisément pour cela
qu’il lui est demandé d’y consentir, de façon libre et éclairé, c’est-à-dire sans subir aucune
pression et en ayant reçu toute l’information nécessaire pour ce faire.
Or, en l’espèce, lorsqu’il s’agit de la modification de la mention du sexe à l’état
civil, le juge n’est pas saisi de symptômes, mais directement de la thérapeutique, que le
requérant lui demande de prononcer. Aussi, le requérant consent forcément à cette
modification de son état civil, puisque c’est lui qui la sollicite.
Tout au plus peut-on imaginer que le juge doit s’assurer que le requérant est bien au
fait des conséquences, des effets, qu’entraînera la décision disant sa demande bien fondée,
mais, là encore, on peine à penser que le requérant les ignore, puisqu’en saisissant le juge
à cette fin, il souhaite ces effets.
Dès lors, si la mention de l’exigence d’un consentement libre et éclairé n’est pas
une erreur de plume du législateur (ce qui est une hypothèse probable), sa raison d’être
n’est définitivement pas à rechercher dans une transposition de la notion originale régulant,
en matière médicale, la relation entre le soignant et le patient.
113
CNCDH, op. cit., note n° 37, p. 8.
41
§2 : Une protection supplémentaire pour les incapables majeurs
45. La représentation en justice dans le cadre d’une tutelle – Aux termes des
dispositions de l’article 475 du Code civil, « la personne en tutelle est représentée en justice
par le tuteur ». Toutefois, le premier alinéa de l’article 458 du même code précise que
« sous réserve des dispositions particulières prévues par la loi, l'accomplissement des actes
dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu
à assistance ou représentation de la personne protégée ».
Or, précisément, en l’espèce, l’exigence posée par le texte de l’expression d’un
consentement libre et éclairé signifie nécessairement que le consentement attendu doit être
« strictement personnel ».
Une interrogation peut dès lors poindre : faut-il en conclure que le majeur protégé
agit alors seul, ou faut-il comprendre que l’action doit être menée conjointement, le tuteur
ayant le pouvoir d’introduire l’action et le majeur protégé ayant, seul, qualité pour faire état
de son consentement libre et éclairé ?
Pour répondre à cette interrogation, un arrêt récent115 de la Cour de cassation, rendu
au visa de l’article 458 susvisé, peut être d’un grand secours. La question posée aux juges
du Quai de l’Horloge était de savoir si un majeur protégé pouvait seul, sans représentation,
114
Art. 61-6 al. 2 C. civ.
115
Cass., Civ. 1, 6 nov. 2013, P 12-23.766 : RTD civ. 2014. 84, obs. HAUSER.
42
interjeter appel d’une décision du juge des enfants restreignant son exercice de l’autorité
parentale. La réponse a été affirmative, la Haute juridiction considérant dès lors
l’introduction d’une instance en appel en matière d’autorité parentale comme un acte
impliquant un consentement strictement personnel.
Par analogie, il ne pourra qu’être conclu que pour obtenir la modification de la
mention de son sexe dans les actes de l’état civil, action dont l’objet est identitaire, et donc
bien plus intime et personnel qu’une action relative à l’exercice de l’autorité parentale, le
majeur protégé agit seul, sans représentation.
46. L’hypothèse d’une action conjointe – Est-ce dès lors à dire que l’action
conjointe, introduite par le tuteur en présence du majeur protégé qui fait état de son
consentement n’est pas admissible ?
En principe, il faudrait répondre par l’affirmative, dans la mesure où en telle matière
le tuteur n’a donc pas la capacité d’agir. Et sa requête devrait ainsi être annulée pour
irrégularité de fond, conformément à l’article 117 du Code de procédure civile.
Toutefois, dans la mesure où le majeur protégé est bien présent à l’instance et fait
état personnellement de son consentement libre et éclairé, rien ne justifie que cette
irrégularité soit considérée comme d’ordre public et que la nullité doive ainsi être soulevée
d’office par le tribunal. En effet, en pareille hypothèse, les intérêts du majeur protégé sont
bien préservés, et, par ailleurs, il peut se trouver des situations où le majeur protégé lui-
même préfère laisser agir son tuteur. En effet, comme l’a relevé le Professeur HAUSER à
l’occasion de ses observations sur l’arrêt cité, « même si tous les tutélaires ne sont pas
toujours dépourvus de lucidité, les conditions de l'ouverture d'une tutelle ne rendent guère
optimiste quant à la capacité d'exercer une voie de recours »116, et, dans notre hypothèse,
à introduire une action en justice.
Aussi, il semble opportun que l’action conjointe puisse être admise.
116
Ibid.
43
48. L’hypothèse d’un requérant incapable d’exprimer un consentement libre
et éclairé – Reste une dernière difficulté, susceptible de se présenter que le requérant soit
ou non un majeur protégé. Il est en effet envisageable que la juridiction soit saisie par un
requérant incapable d’exprimer un consentement libre et éclairé, du fait d’une insanité
d’esprit.
Face à cette situation, au moins deux approches apparaissent possibles.
Il peut être considéré qu’en dehors des difficultés relatives aux majeurs sous tutelle,
la question du consentement libre et éclairé relève du fond ; de sorte que la requête sera
alors déclarée régulière et recevable, mais que le requérant sera débouté au fond pour défaut
de consentement.
Il peut aussi être considéré que cette notion de consentement libre et éclairé doit être
rapprochée des dispositions de l’article 414-1 du Code civil, aux termes desquelles « pour
faire un acte valable, il faut être sain d'esprit » (nous soulignons).
Cette seconde approche aura notre préférence.
En effet, la saisine d’une juridiction constitue bien un acte juridique, en ce qu’elle
procède d’une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit recherchés
par les parties : ces effets sont d’ailleurs immédiats, dès la saisine de la juridiction la
situation juridique des personnes change, elles deviennent des parties, et, à ce titre,
reçoivent de nouveaux droits et obligations117.
Dès lors, la validité de cet acte de saisine dépend de la sanité d’esprit de son auteur.
Aussi, est irrégulier l’acte de saisine d’un requérant incapable d’exprimer un consentement
libre et éclairé et qui, dès lors, n’est pas sain d’esprit.
Cette irrégularité ne peut être sanctionnée que par une nullité pour vice de fond, sur
le fondement de l’article 117 du Code de procédure civile, dans la mesure où c’est bien en
l’espèce la capacité d’ester en justice qui fait défaut, le requérant n’étant pas en mesure de
comprendre le sens et les enjeux de ses propres prétentions.
Dès lors qu’un impératif de protection des incapables est en jeu, il y a lieu de
considérer que cette irrégularité pour vice de fond revêt un caractère d’ordre public, et doit
donc être soulevée d’office par la juridiction.
En pratique, le juge pourra donc être conduit, en cas de doute apparaissant à la
lecture de la requête, à ordonner, avant dire droit sur la régularité de la requête, une
117
V. par exemple les art. 9 et 11 C. pr. civ.
44
expertise psychiatrique du requérant, sur le fondement de l’article 10 du Code de procédure
civile118. C’est d’ailleurs là un comble pour un texte qui se voulait dépsychiatriser
l’appréhension juridique du transsexualisme.
49. – Au bilan, cette importation osée du droit médical que constitue la notion de
consentement libre et éclairé permet – sans doute d’ailleurs à l’insu du plein gré du
législateur – une meilleure protection des incapables majeurs souhaitant obtenir une
modification de la mention de leur sexe dans les actes de l’état civil en accentuant la
nécessité de leur offrir une totale autonomie lorsqu’il s’agit de questions intimes et
identitaires.
Cette autonomie trouve toutefois ses limites, et ce de façon fort logique, dans leur
aptitude à exprimer un consentement libre et éclairé, et ainsi à démontrer une pleine
compréhension du sens et des enjeux de leur démarche.
Art. 10 C. pr. civ. : « Le juge a le pouvoir d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement
118
admissibles. »
45
46
Chapitre II : D’évanescentes conditions de fond
51. – Aux termes des conditions de fond posées par les nouveaux textes, le requérant
doit démontrer une possession d’état de son identité de genre (Section 2). Ce faisant, le
législateur a brisé une jurisprudence établie de la Cour de cassation (Section 1).
52. Une ferme volonté d’écarter une jurisprudence établie – Non content de
poser de nouvelles conditions de fond à la modification de la mention du sexe dans les actes
de l’état civil, le législateur a tenu à s’assurer que les juges ne tenteraient pas de maintenir
certaines des anciennes conditions par une interprétation extensive des nouvelles
dispositions. Aussi, les parlementaires ont tenu à préciser, via le troisième alinéa de l’article
61-6 du Code civil, que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une
opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la
demande ». Ainsi, ils ont explicitement signifié aux juges que leurs anciennes conditions,
aux termes desquelles « pour justifier une demande de rectification de la mention du sexe
figurant dans un acte de naissance, la personne doit établir, au regard de ce qui est
communément admis par la communauté scientifique, la réalité du syndrome transsexuel
dont elle est atteinte ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son
apparence »119, étaient obsolètes.
Cette défiance à l’égard du juge (§1) s’explique par l’intensité du bris de
jurisprudence auquel s’est livré le législateur : en démédicalisant le changement de la
mention du sexe dans les actes de l’état civil, c’est l’irréversibilité de ce changement, critère
déterminant dès les premières décisions judiciaires, qui est remise en cause (§2).
119
Cass., Civ. 1ère, 13 février 2013, P 11-14.515.
47
En effet, en 1990, M. le conseiller MASSIP justifie la motivation, qu’il considère lui-
même « sibylline », de l’arrêt de 1983 (qui se contentait de relever que la requérante n’était
pas du sexe masculin) par « le souci de ne pas adopter une formule trop tranchée qui eût
pu entraîner le dépôt d’un projet de loi »120. Il en ressort que, très ouvertement, les juges
ne souhaitaient pas l’intervention du législateur sur cette question, ils ne voulaient pas
« risquer une intervention législative ». Ce, pour éviter qu’une « législation permissive ait
un effet d’entraînement et ne multiplie les demandes de changement de sexe », et afin de ne
pas « affronter les problèmes très difficiles que pose la reconnaissance du
transsexualisme » sur le terrain du droit au mariage, ou encore de la filiation. Et M. le
conseiller de conclure, comme pour se donner bonne conscience, qu’« il n’est pas
impossible non plus que […] les progrès de la science médicale permettent de prévenir ou
de guérir le transsexualisme ».
En 1992, le Premier avocat général JEOL abondait dans le même sens, citant le
Doyen CARBONNIER (« il y a peut-être une sagesse législative à ne pas statuer sur des apax,
des cas singuliers »), il avançait que :
« Il ne semble pas davantage souhaitable de renvoyer un dossier aussi
complexe, aussi mouvant et aussi sensible que celui du transsexualisme au
législateur. Comme le montre l’expérience des pays européens – en
particulier l’Italie – qui ont élaboré une loi, le Parlement risquerait d’être
débordé par l’ampleur et le caractère ontologique, sinon passionnel, des
questions soulevées ; ses réponses seraient remises en cause par le progrès
de la science et le mouvement des idées ; enfin la publicité entourant une
consécration légale aurait un effet inflationniste sur un phénomène qui doit
demeurer marginal. »121.
Si l’argument tiré du risque « inflationniste » est inaudible, dans la mesure où il est
bien peu respectueux des personnes trans, et où il est aussi inopérant : le transsexualisme
étant un phénomène normal, sa quantitativité est sans importance ; on peut en revanche
entendre l’argument de la fragilité des connaissances scientifiques sur le sujet à cette
époque (début des années 90). En effet, légiférer demande d’avoir une vision claire sur les
questions à traiter, d’en cerner les contours, afin d’éviter de ne légiférer que partiellement,
d’avoir à revenir sur le sujet.
120
Rapport de M. le conseiller MASSIP, op. cit.
121
Conclusions du Premier avocat général JEOL, op. cit.
48
Pourtant, dès le 9 avril 1982, le sénateur radical Henri CAVAILLET122 déposait une
proposition de loi aux fins de permettre l’autorisation judiciaire de faire pratiquer une
opération de réassignation sexuelle123 et, par la même, d’obtenir la modification de la
mention du sexe dans les actes de l’état civil. Au-delà de l’aspect relatif aux traitements de
réassignation sexuelle – devenu rapidement obsolète –, les dispositions relatives à la
modification de l’état civil (par autorisation judiciaire, après expertise) n’auraient pas
bouleversé l’ordonnancement juridique : au contraire, elles auraient fait gagner dix ans,
puisqu’en 1992, la Cour de cassation posera les mêmes conditions.
122
D. POUILLARD, « Henri Caillavet, un législateur hors du commun », Le Monde, 27 février 2013.
123
Ce n’est en effet qu’au début des années 80 que le Conseil de l’Ordre des médecins a autorisé la pratique
de ce type d’intervention chirurgicale.
124
Cass., Civ. 1ère, 7 juin 2012 (2 arrêts), P 11-22.490 et 10-26.947 ; Civ. 1ère, 13 février 2013 (2 arrêts), P
11-14.515 et 12-11.949.
125
Avis de M. l’avocat général Dominique SARCELET, affaire n° Y1122490, p. 13.
126
Avis de Mme la Première avocate générale Cécile PETIT, affaires n° M1211949 et E1114515, p. 4.
49
Prudente, Mme la conseillère référendaire Rachel LE COTTY conclut son rapport sur
les arrêts rendus en 2013 par la question suivante : « Peut-on aller jusqu’à consacrer, dans
ce domaine, la mise en œuvre de la théorie du genre ? »127.
La Cour de cassation a répondu « non ». Trois ans plus tard, le législateur,
intervenant enfin, a au contraire osé répondre « oui ».
Ainsi, si la Cour de cassation n’a pas osé franchir le pas elle-même, rien ne permet
d’avancer qu’elle se montrera hostile aux nouvelles dispositions, quand bien même celles-
ci bouleversent en profondeur son appréhension du transsexualisme.
127
Rapport de Mme la conseillère référendaire Rachel LE COTTY sur les affaires n° M1211949 et E1114515,
p. 12.
128
Cf. supra, §8.
50
Et, d’ailleurs, quand bien même les progrès de la chirurgie permettraient de réaliser
des réassignations sexuelles complètes et fonctionnelles, rien ne permet d’imposer à
quiconque qu’il accepte de se mutiler.
La CEDH129 ne dit pas autre chose lorsqu’elle pose que « l’intégrité physique des
individus est directement en cause dès lors qu’il est question de stérilisation », surtout
qu’« un traitement médical n’est pas véritablement consenti lorsque le fait pour l’intéressé
de ne pas s’y plier a pour conséquence de le priver du plein exercice de son droit à l’identité
sexuelle et à l’épanouissement personnel qui […] est un aspect fondamental de son droit
au respect de sa vie privée ». Ainsi, la Cour considère que la France a rompu le « juste
équilibre que les États parties sont tenus de maintenir entre l’intérêt général et les intérêts
des personnes concernées »130.
Partant, la Cour conclut que « le rejet de la demande des […] requérants tendant à
la modification de leur état civil au motif qu’ils n’avaient pas établi le caractère
irréversible de la transformation de leur apparence, c’est-à-dire démontré avoir subi une
opération stérilisante ou un traitement médical entrainant une très forte probabilité de
stérilité, s’analyse en un manquement par l’État défendeur à son obligation positive de
garantir le droit de ces derniers au respect de leur vie privée ».
129
CEDH, 6 avril 2017, op. cit., note n° 83.
130
Ce, alors que la Cour de cassation (Civ. 1ère, 13 fév. 2013, P 11-14.515) avait considéré que l’application
en l’espèce du droit français (alors applicable) permettait un « juste équilibre entre les impératifs de sécurité
juridique et d’indisponibilité de l’état des personnes d’une part, de protection de la vie privée d’autre part ».
Mme la Première avocate générale C. PETIT avait conclu dans le même sens, considérant que la distinction
faite par le droit français (alors applicable) entre les trans ayant subi une transformation irréversible et ceux
n’ayant pas été opérés se justifie par un « but légitime » : « le principe de l’indisponibilité de l’état des
personnes interdi[sant] que l’existence ou le contenu de l’état civil dépende de la simple volonté d’une
personne ».
51
En effet, l’expertise a un coût131, et elle constitue une intrusion dans l’intimité de la
vie privée du requérant. A titre d’illustration, il pourra être lu en annexe 132 un rapport
d’expertise (réalisée en 1997) anonymisé : la vie sexuelle du sujet est décrite, tout comme
ses organes génitaux, et ce de façon particulièrement (trop) précise.
En principe, comme le relève M. l’avocat général SARCELET, « l’expertise
judiciaire est une simple faculté pour le juge judiciaire, la lecture des textes reproduits
ci-dessus [art. 10, 144, 146, 147 et 263 C. pr. civ.] laissant même à penser qu’elle revêt un
caractère subsidiaire, pour des raisons liées à la bonne administration de la justice, à une
économie de temps et de moyens »133.
Toutefois, ce principe connaît des exceptions, comme en matière de filiation, où
« l’expertise biologique est de droit […], sauf s’il existe un motif légitime de ne pas
l’ordonner »134. Cela s’entend amplement en cette matière, dans la mesure où ce moyen de
preuve est quasi-infaillible et, surtout, où il représente souvent le seul mode de preuve
possible. Cependant, il faut relever qu’une exception à l’exception est prévue, notamment
pour l’hypothèse où il est manifeste que celui dont la paternité est recherchée n’est pas le
père. Ainsi, une juste conciliation est opérée entre le droit à la vie privée et familiale du
requérant, qui a le droit de faire établir sa filiation, et ce même droit au respect de la vie
privée de la personne visée par la demande qui conserve une possibilité de ne pas se
soumettre à l’expertise sans que cela ne lui fasse grief.
En matière de transsexualisme, l’arrêt d’assemblée plénière de 1992 n’avait pas
prévu d’exception à l’exception. Et si certains juges du fond 135 s’affranchissaient à raison
de la rigidité commandée par la Cour de cassation en sachant se passer d’expertise lorsque
le caractère irréversible du changement de sexe était suffisamment démontré (notamment
par des pièces médicales), d’autres136 déboutaient purement et simplement le demandeur
qui refusait de se soumettre à l’expertise.
La Cour de cassation s’est penchée en 2012 sur cette question. Elle était saisie d’un
arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 27 septembre 2009 qui déboutait un trans de sa
demande de modification de son état civil au motif qu’il avait refusé de se soumettre à une
131
En matière médico-légale, la consignation à valoir sur les frais d’expertise, à payer avant le commencement
des opérations d’expertise sous peine de caducité de la décision ordonnant l’expertise, est, en région
toulousaine, d’un montant de 700 €.
Les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle (totale ou partielle) sont toutefois dispensés de consignation.
132
ANNEXE VII ; également, sur ce point, cf. infra, §167.
133
Avis de M. l’avocat général D. SARCELET, op. cit., p. 11.
134
Cass., Civ. 1, 28 mars 2000, P 98-12.806.
135
V. not, Besançon, 14 septembre 2011, RG 10/00111.
136
V. not, Lyon, 14 février 2011, n° 10/01752.
52
quelconque expertise, alors que « la réalité du syndrome transsexuel ne peut être établie
que par une expertise judiciaire » (soit précisément la motivation de l’assemblée plénière
en 1992.
M. l’avocat général SARCELET préconisait la cassation de cet arrêt, au motif que « la
preuve du changement de sexe, compte tenu des évolutions scientifiques et sociologiques
qui l’accompagnent, ne peut plus, aujourd’hui, être assujettie à un mode univoque. Sans
doute l’expertise peut-elle être ordonnée lorsque le juge ne dispose pas d’éléments
suffisants pour statuer, mais elle ne saurait constituer le seul mode de preuve du
changement de sexe »137.
Ce raisonnement fort pertinent n’a toutefois pas été suivi par la Première chambre
civile, qui a rejeté le pourvoi138. Toutefois, il semble que tout en s’abstenant de prononcer
la cassation, la Cour a revu sa position s’agissant de l’exigence d’une expertise puisqu’elle
retient « que le cour d’appel, après avoir examiné, sans les dénaturer, les documents
produits […] tendant à établir […] le syndrome de Benjamin, […] une mastectomie totale
[…] et [le suivi d’] un traitement hormonal, a estimé que le caractère irréversible du
changement de sexe n’en résultait pas ; qu’elle a pu, dès lors, constatant en outre que Mme
L. refusait, par principe, de se prêter à des opérations d’expertise en vue de cette
démonstration, rejeter la demande de celle-ci ; » (nous soulignons).
En statuant en ces termes, la Cour a nécessairement abandonné son exigence d’une
expertise, puisqu’elle ne se borne pas à relever que la demanderesse a refusé l’expertise
pour rejeter son pourvoi, mais se replace dans la logique subsidiaire : les documents
produits ne suffisant pas, et l’expertise ayant été refusée, la demande pouvait être rejetée.
Il eût toutefois été préférable que la Cour explicite la modification de sa
jurisprudence par un nouvel attendu de principe.
Quoi qu’il en soit, en interdisant d’exiger « des traitements médicaux, une opération
chirurgicale ou une stérilisation », le nouvel article 61-6 du Code civil semble avoir vidé
la controverse, dans la mesure où il ne reste plus rien à expertiser. A moins qu’une
juridiction zélée ne requière la démonstration de ce que le demandeur présente une
incongruence du genre139…
137
Avis de M. l’avocat général D. SARCELET, op. cit., p. 12.
138
Cass. Civ. 1, 7 juin 2012, P 11-22.490.
139
Cf. supra : nouvelle appellation du transsexualisme dans la Classification internationale des maladies
(ICD-11) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
53
57. Une démédicalisation incomplète : un interstice laissé à la création
prétorienne – Le nouvel article 61-5 du Code civil pose des conditions de fond positives
que le juge doit caractériser avant de prononcer la modification de la mention du sexe dans
les actes de l’état civil. Il est constant que ces conditions positives sont dénuées de toute
référence médicale.
Toutefois, en insérant le troisième alinéa de l’article 61-6 du Code civil afin
d’expliciter son bris de jurisprudence, le législateur a aussi prévu des conditions de fond
négatives. Il a ainsi dressé la liste de conditions dont le juge a interdiction de faire usage.
Il aurait été logique que ces conditions négatives reprennent, en négatif, chacunes
des conditions posées par la jurisprudence ancienne.
Or, les anciennes conditions étaient au nombre de deux : la preuve de la réalité de
ce qui était appelé le « syndrome transsexuel », ainsi que la preuve de l’irréversibilité de la
transformation de l’apparence (comprenant l’exigence de stérilisation).
S’agissant la preuve de l’irréversibilité de la transformation, l’affaire est entendue,
le juge ne peut plus exiger de « traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une
stérilisation ».
Mais qu’en est-il de la preuve de la réalité de ce qu’il conviendra à présent d’appeler
l’incongruence du genre ?
Certes, il faudrait une certaine dose de mauvaise foi pour venir exiger une telle
preuve, qui reviendrait à médicaliser la nouvelle procédure judiciaire de changement de
sexe, alors qu’il est manifeste que la volonté du législateur – qui se devine du texte autant
qu’elle transparaît des débats parlementaires – a été, précisément, de démédicaliser cette
procédure. Toutefois, une motivation en ce sens, qui prendrait appui à la fois sur la
jurisprudence ancienne et sur les conditions positives et négatives posées par le texte ne
relèverait pas non plus de l’absurde.
Ne souhaitant pas s’exposer dans le débat sur la médicalisation du transsexualisme,
le législateur a laissé un interstice pour la création prétorienne d’une condition venant en
opposition avec la philosophie générale de sa réforme.
Ce risque d’ajout prétorien d’une condition médicale est d’autant plus important,
qu’ainsi que cela a pu être regretté en doctrine140, la CEDH considère que « contrairement
à la condition de stérilité, l’obligation d’un psychodiagnostic préalable ne met pas
140
B. MORON-PUECH, « L'arrêt A. P., Nicot et Garçon contre France ou le maintien problématique d'une
approche biologisante de l'identité sexuée » : D. 2017, p. 994.
54
directement en cause l’intégrité physique des individus », et que, partant, « compte tenu
tout particulièrement de la large marge d’appréciation dont elle disposait, la France, en
retenant, pour rejeter la demande du deuxième requérant tendant à la modification de la
mention du sexe sur son acte de naissance, qu’il n’avait pas démontré la réalité du
syndrome transsexuel dont il est atteint, a maintenu un juste équilibre entre les intérêts
concurrents en présence ». Aussi, l’exigence d’un diagnostic psycho-médical ne
contrevient pas au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Conv. EDH.
Par ailleurs, ainsi que cela a été exposé précédemment141, ce diagnostic psycho-
médical est exigé dans la plupart des Etats européens, même si les pays ayant légiféré ces
dernières années (Belgique, Portugal) ont tous cessé d’en faire une condition.
Si cette maladresse législative est fâcheuse, il convient toutefois de ne pas lui
accorder plus d’importance qu’elle n’en a. En effet, les conditions de fond positives, posées
par le texte, se suffisent à elles-mêmes ; elles sont en effet particulièrement prolixes, et
personne en doctrine n’a à ce jour proposé d’introduire par la voie prétorienne une telle
condition médicale. Les nouvelles dispositions ont d’ailleurs reçu de nombreuses fois
application142, sans difficulté aucune.
141
Cf. supra, §20.
142
V. par exemple, la première application : Montpellier, 15 mars 2017, RG 16/02691.
143
TGI de la Seine, 18 janv. 1965, op. cit.
55
écarter en la matière la possession d’état, non seulement comme moyen
d’acquérir un état, mais aussi comme présomption quelconque de la réalité
de cet état, et à refuser de prendre en considération des modifications
corporelles artificielles, obtenues par des procédés dont certains pourraient
tomber sous le coup de la loi pénale, et qui en tous cas auraient eu pour effet
de dénaturer le sexe normal et primitif d’un individu, sans lui conférer pour
autant véritablement le sexe opposé »144.
Cinquante ans plus tard, exclues par les juges, les voilà réunies par la loi (§1), même
si leur union n’est pas sans poser question (§2).
60. Une possession d’état qui ne dit pas son nom – « La possession désigne la
situation d'une personne qui exerce en fait les prérogatives attachées à un droit et qui a le
comportement du titulaire véritable. La notion de possession d'état a été élaborée dans ce
creuset et en est le prolongement en matière d'état des personnes. »145. La possession d’état
est classiquement définie par les dispositions de l’article 311-1 du Code civil, aux termes
desquelles :
« La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui
révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à
laquelle elle est dite appartenir.
Les principaux de ces faits sont :
1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue
comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ;
2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien
ou à son installation ;
3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et
par la famille ;
4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ;
5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ».
144
Ibid.
145
F. GRANET-LAMBRECHTS, « Possession d’état », in Répertoire de droit civil, Dalloz, 2010, §1.
56
Elle constitue ainsi un mode de preuve en matière de filiation ; mode de preuve
particulièrement efficace puisqu’il peut triompher de la vérité biologique146.
Une simple comparaison de ces dispositions avec celles issues de l’article 61-5 du
Code civil n’est pas dénuée d’intérêt ; pour mémoire, cet article dispose ce qui suit :
« Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une
réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes
de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans
lequel elle est connue peut en obtenir la modification.
Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous
moyens, peuvent être :
1° Qu'elle se présente publiquement comme appartenant au sexe
revendiqué ;
2° Qu'elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial,
amical ou professionnel ;
3° Qu'elle a obtenu le changement de son prénom afin qu'il corresponde au
sexe revendiqué ; ».
Un élément frappe immédiatement : la structure même de ces deux articles est
exactement similaire. Une double technique de définition législative est adoptée dans
chacun de ces deux articles : d’abord une définition abstraite et générale, qui se trouve
complétée par une seconde définition selon la technique de l’énumération.
Les formulations sont également très semblables. Au cœur de la définition générale
et abstraite se trouve dans les deux cas la notion de « réunion suffisante de faits ». Quant à
la définition par énumération, elle est également, dans les deux cas, introduite par des
formules similaires : « les principaux de ces faits sont », dans le premier cas, « les
principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être »,
dans le second.
Aussi, le législateur aurait voulu faire comprendre qu’il s’agissait d’une seule et
même notion qu’il ne s’y serait pas pris autrement.
Par ailleurs, « les éléments qui caractérisent traditionnellement la possession d’état
d’enfant à savoir le nomen, le tractatus, la fama se retrouvent également dans les conditions
du changement de sexe, avec la particularité importante qu’ils dépendent uniquement de
146
Art. 333 C. civ.
57
la volonté de la personne concernée »147. En effet, les trois situations de fait énumérées par
l’article 61-5 peuvent correspondre avec ces trois caractères : le fait d’avoir déjà obtenu un
changement de prénom, le nomen, le fait de se présenter publiquement comme appartenant
à l’autre sexe et d’être ainsi traité, le tractatus, et le fait d’être connu comme appartenant à
cet autre sexe, la fama.
61. Les intérêts d’une assimilation à la possession d’état – Alors qu’il consacre
par incident la notion d’identité de genre, bien peu connue jusqu’alors du droit français, le
législateur avait tout intérêt à se raccrocher à une notion stable et centenaire comme la
possession d’état. Elle est en effet connue des juristes et permet, dans une matière sertie par
l’ordre public comme celle de l’état des personnes, de faire adhérer le droit aux apparences
socialement vécues plutôt qu’aux vérités biologiques, un intérêt que l’on retrouve tant en
droit de la filiation, où la vérité biologique peut créer davantage de désordre qu’une filiation
peut-être erronée génétiquement mais vécue comme réelle par les intéressés, qu’en matière
de transsexualisme où le maintien dans le sexe biologique est insupportable.
Un autre intérêt d’une assimilation à la possession d’état réside dans sa solidité.
Alors qu’elle n’a pour base que des apparences, notre droit lui a peu à peu conféré une
place prépondérante en matière de filiation, ainsi que le relève le Professeur GRANET-
LAMBRECHTS : « l'évolution législative est marquée par une ascension de la possession
d'état et un accroissement de ses effets juridiques »148. Aussi, en matière de
transsexualisme, où les juges149 comme la doctrine150 ont eu si peur des effets de la
libéralisation du régime juridique de la modification de la mention du sexe à l’état civil, il
était pertinent de faire appel à une notion qui a fait ses preuves, et à laquelle on accorde
confiance.
Toutefois, l’assimilation à la possession d’état a ses limites.
147
S. PARICARD, « Une libéralisation du changement de sexe qui suscite des interrogations majeures »,
op. cit., note n° 71.
148
F. GRANET-LAMBRECHTS, op. cit., §77.
149
Cf. supra, §53.
150
J. HAUSER, « Transsexualisme : prouver ou simplement vouloir ? » : RTD civ. 2012. 502.
58
En effet, le requérant doit démontrer que « la mention relative à son sexe dans les
actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel
elle est connue peut en obtenir la modification ».
On lui fait confiance pour parvenir à démontrer qu’il se présente, paisiblement et
sans équivoque, comme étant d’un sexe ne correspondant pas à celui mentionné par son
état civil.
Toutefois, une difficulté risque d’apparaître lorsqu’il s’agira de démontrer qu’il est
connu, paisiblement et sans équivoque, comme étant de l’autre sexe.
Les témoignages produits risquent en effet d’indiquer que le transsexualisme du
requérant est connu, et non simplement qu’il est connu comme étant un homme ou une
femme. Dès lors, il pourrait être considéré que le sexe revendiqué n’est pas possédé
paisiblement et sans équivoque, dans la mesure où les attestants indiqueraient que le
requérant est en transition.
63. Une difficulté quant à l’objet de la fama – Cette difficulté s’explique par la
frilosité du législateur à expliciter la consécration de l’identité de genre, qui procède
pourtant de ce texte, ainsi que cela a été démontré précédemment151.
En effet, l’usage à l’article 61-5 du Code civil du seul terme « sexe » est de nature
à créer une confusion au moment de rapporter la preuve qu’il est connu que le requérant
n’est pas en accord avec le sexe mentionné sur son état civil. Ainsi, de deux choses l’une,
ou le requérant doit démontrer qu’il est connu comme étant d’un sexe biologique différent
de celui mentionné sur son état civil, et alors c’est une preuve quasi-impossible qu’il lui est
demandé de rapporter ; ou il doit démontrer que l’identité de genre dans laquelle il est connu
diffère du sexe mentionné sur son état civil, et dans ce cas la preuve est davantage aisée, le
genre étant le sexe vécu, donc visible.
Il apparaît manifeste, ainsi que cela ressort de l’énumération qui clôture les
dispositions de l’article 61-5 déjà cité, que c’est bien la seconde option qu’il convient de
retenir. Il aurait été toutefois préférable que le législateur assume sa réforme – qui est loin
d’être honteuse – en posant les mots adéquats, ainsi que l’a fait sans rougir le législateur
belge qui exige « que le sexe mentionné dans [l’] acte de naissance ne correspond[e] pas
à [l’]identité de genre vécue intimement »152 (nous soulignons).
151
Cf. supra, §19.
152
Art. 62 bis du Code civil belge.
59
Sous cette réserve, les caractères de la possession d’état apparaissent bien respectés.
65. Les éléments de la démonstration – Ainsi qu’il l’a été dit, la possession d’état
comprend classiquement le tractatus, la fama et le nomen. Il convient dès lors de rechercher
si en l’espèce la présence de ces trois éléments doit être cumulativement démontrée, ou si
la modification de la mention du sexe peut être ordonnée même si seulement un ou deux
sont présents.
C’est le nomen qui pose le plus question. En effet, il n’apparaît que dans
l’énumération (« 3° Qu'elle a obtenu le changement de son prénom afin qu'il corresponde
au sexe revendiqué ; ») et non – en tout cas directement – dans la formulation abstraite des
conditions, qui exige simplement « une réunion suffisante de faits que la mention relative
à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente
[ce qui correspondrait au tractatus] et dans lequel elle est connue », ce qui correspondrait
à la fama. Cette interrogation rejoint celle de savoir si l’énumération posée par le législateur
est exhaustive.
153
Art. 317 C. civ.
60
Si la formulation même des dispositions conduirait quasi-instinctivement à
répondre par la négative, le parquet général près la Cour d’appel de Montpellier avait
pourtant soutenu l’inverse à l’occasion des débats sur l’affaire ayant donné lieu à une
première application des nouvelles dispositions.
En toute logique, la cour154 ne l’a pas suivi. Elle a jugé que « l’emploi, par le
législateur, des termes « Les principaux de ces faits … peuvent être », permet de considérer
que l’énumération de ces faits et circonstances n’est ni exhaustive, ni cumulative ». Et elle
a précisé, reprenant la lettre même des dispositions du premier alinéa de l’article 61-5 du
Code civil, qu’il est suffisant, pour établir « la réalité de la possession d’état du sexe
revendiqué »155, de démontrer que « la mention relative [au] sexe dans les actes de l’état
civil ne correspond pas à celui dans lequel [le requérant] se présente publiquement et dans
lequel il est connu au sein de son entourage familial, amical et social ».
Ne doivent donc être démontrés que le tractatus et la fama, la présence du nomen
ne faisant que faciliter la preuve des deux premiers.
66. – Le requérant doit donc démontrer, via la possession d’état, que son identité de
genre ne correspond pas au sexe inscrit sur son état civil. Pour ce faire, il établit qu’il se
présente et est connu sous une identité de genre en adéquation avec le sexe qu’il revendique
pour son état civil, sans qu’il y ait nécessité pour lui de faire état d’éléments médicaux.
Cela n’est pas sans poser question.
67. Des atteintes aux principes de l’état civil – Un certain nombre de critiques
sont formulées en doctrine quant aux atteintes portées aux principes d’indisponibilité,
d’immutabilité et d’imprescriptibilité de l’état civil. Ces questions feront plus tard l’objet
d’une étude approfondie156.
154
Montpellier, 3e ch. B, 15 mars 2017, RG 16/02691.
155
D. 2017. 816, note F. VIALLA.
156
Cf. infra, PARTIE II, Titre I.
61
68. Une démédicalisation contestée – « Dans la loi nouvelle, le terme de
transsexualisme n’est jamais employé, alors même que ses dispositions ont été présentées
comme ayant vocation à le régir… »157 regrette-t-on en doctrine.
En effet, cela a été dit, la loi nouvelle ne pose aucune condition médicale à la
modification de la mention du sexe dans les actes de l’état civil. Et cela provoque en
doctrine de bien étranges réactions :
« le transsexuel continuera, en application de la loi, à obtenir en justice la
modification de son sexe à l’état civil afin de mettre en concordance son
sexe psychologique avec son comportement social (sic). Mais au-delà, le
changement juridique de sexe sera ouvert à toute personne dont la
modification de l’apparence physique, réalisée par exemple à des fins de
prostitution (sic !), ne correspondra pas nécessairement à son sexe
psychologique. La protection de la personne n’en sort pas forcément
grandie. »158.
En premier lieu, on avouera ne pas bien comprendre en quoi la modification de l’état
civil permettrait de mettre en concordance le « sexe psychologique » et le « comportement
social ». Le trans n’a en général pas attendu le juge pour ce faire, et, au demeurant, si ces
deux éléments ne concordent pas, le requérant sera bien en peine pour faire la
démonstration de ce que son identité de genre est en contradiction avec le sexe mentionné
sur son état civil ! Ce qu’il convient en réalité de faire concorder, c’est davantage la mention
du sexe à l’état civil avec le « sexe psychologique », c’est-à-dire l’identité de genre, du
requérant.
En deuxième lieu, on concèdera aussi ne pas bien saisir ce que la prostitution vient
faire dans cette galère… Il semble que l’auteure confonde, a minima, le transsexualisme et
le travestissement… Quoi qu’il en soit, il est bien regrettable que l’avertissement159 du
Premier avocat général JEOL n’ait manifestement pas été entendu par tous !
En troisième lieu, on rappellera les définitions données par le DSM-V, de la
dysphorie du genre160, et par l’ICD-11, de l’incongruence du genre, pour répondre à
l’auteure que les conditions posées par le texte décrivent exactement le transsexualisme
157
A. MARAIS, « Le sexe si que je veux, quand je veux ! » : JCP G 2016, n° 45, p. 2010 – 2011.
158
Ibid.
159
Cf. supra, §1.
160
Cf. supra, §6.
62
(identité de genre correspondant à l’autre sexe et volonté d’être reconnu comme relevant
de cet autre sexe), de sorte qu’il ne saurait recevoir de fausses applications.
En quatrième lieu, et s’agissant de la « protection de la personne », on se demandera
si l’exigence de stérilisation, atteinte intolérable à l’intégrité du corps, qui était imposée par
la jurisprudence ancienne, était davantage protectrice…
La critique de la démédicalisation entraîne en suivant celle de l’abandon d’une
exigence d’irréversibilité de la modification de l’apparence, avec la crainte de
« changements de sexe successifs, de nature à porter atteinte à la sécurité juridique
attachée à l’état civil »161.
S’il est indéniable, en tout cas au plan théorique, que les nouvelles dispositions
permettent de telles modifications successives, leur survenance en pratique est plus que
douteuse. Ce d’autant que le maintien d’un contrôle judiciaire assure le filtrage
d’éventuelles demandes injustifiées.
Par ailleurs, et même si se présente réellement le cas d’une évolution en sens inverse
de l’identité de genre, entraînant une nouvelle modification de la mention du sexe à l’état,
le risque véritable d’atteinte à la sécurité juridique est mineur. En effet, le passage par une
décision judiciaire et la transcription de cette décision, par les soins du parquet, en marge
de l’acte de naissance de l’intéressé garantissent la stabilité de l’état civil. Et, au demeurant,
cela ne serait pas non plus de nature à perturber gravement l’ordre social, l’importance
sociale de la différenciation sexuelle tendant à se réduire162.
Il s’ensuit que les critiques formulées en raison de la démédicalisation opérée par le
texte n’apparaissent pas d’une grande pertinence.
161
A. MARAIS, op. cit., note n° 157.
162
Cf. supra, §3.
63
suffisamment « femme » ou « homme » sur la base de perceptions relevant de l’ordre des
préjugés. »163.
Ces objections du Défenseur des droits n’apparaissent pas dénuées de fondement.
En effet, le texte, en ne fixant que des conditions de fond évanescentes, laissant une large
part à l’interprétation, confère au juge une ample marge de manœuvre.
Ainsi, au-delà de la crainte d’un jugement basé sur des stéréotypes de genre, que la
déontologie du juge devrait permettre d’éviter, un risque de disparités jurisprudentielles
existe. Et ce risque en entraîne un autre, celui du forum shopping, c’est-à-dire du choix de
son juge, les critères de compétence territoriale pouvant toujours – avec un peu
d’ingéniosité – être contournés. Ce risque est d’autant plus fort que l’open data, et la large
diffusion des décisions judiciaires qu’il permettra, fera aisément connaître les juridictions
les plus libérales.
Ces risques doivent toutefois être nuancés par l’effort d’objectivisation que ne
manqueront pas de faire les juges. C’est en tout cas ce à quoi s’est livrée la Cour d’appel
de Montpellier en son arrêt du 15 mars 2017, faisant une première application des nouvelles
dispositions.
Pour prononcer la modification de la mention du sexe à l’état civil, et, pour ce faire,
pour considérer que le requérant (appelant) satisfaisait aux conditions visées à l’article 61-
5 du Code civil, la cour a retenu que :
« En l’espèce, les pièces mises au débat par l’appelant, tant devant le
premier juge qu’en appel, établissent que celui-ci se présente depuis plus de
cinq ans auprès de l’ensemble de son entourage familial, amical et
professionnel comme une personne de sexe féminin, prénommée Aline, ainsi
qu’en attestent la dizaine d’attestations produites (pièces n° 4 à 13).
La reconnaissance sociale, posée par la loi nouvelle du 18 novembre 2016
comme seule condition à la modification de la mention du sexe à l’état civil,
ressort également d’autres documents démontrant que cette reconnaissance
ne se limite pas à son entourage familial et amical mais va bien au-delà, et
constitue, pour l’intéressée, une présentation publique de sa personne
depuis plusieurs années. En témoigne notamment son inscription à pôle
emploi, ses billets SNCF, ses cartes de fidélité auprès de différentes
163
Décision du Défenseur des droits, op. cit., p. 20.
64
enseignes ou les commandes effectuées par internet sur divers sites
marchands, tous au nom de Y… Aline.
C’est en conséquence à juste titre que le jugement querellé relève que Aline,
Adrien Y… se présente à l’audience comme une personne de sexe féminin et
justifie par les nombreuses attestations de sa famille et de ses proches,
notamment professeurs et ancien compagnon, que son « côté féminin » était
apparu très tôt, que personne n’a été surpris lorsqu’elle a annoncé sa
volonté de transition et que chacun a pu constater combien elle était enfin
épanouie dans une apparence sociale féminine. »164 (nous soulignons).
Cette motivation, très précise et circonstanciée, est particulièrement instructive.
Il pourra être d’abord relevé que certains des motifs (ceux empruntés au jugement)
peuvent relever du stéréotype, à l’instar de la référence au « côté féminin » de la requérante.
Toutefois, cette référence est anecdotique et, au contraire, la cour s’efforce
d’objectiver son raisonnement accueillant la possession d’état de l’identité de genre de
l’intimée. Pour ce faire, elle a recours à un ensemble de supports de données personnelles,
qui tendent à se multiplier dans la société contemporaine, et qui, accumulés, et s’inscrivant
dans une temporalité longue, objectivent l’identité de genre sous laquelle l’intimée se
présente et par laquelle elle est connue.
Aussi, il apparaît tout à fait envisageable de raisonner objectivement sur cette
question, même s’il est nécessaire de demeurer vigilant, dans la mesure où il est fort aisé
de verser, en cette matière, dans les stéréotypes et dans la subjectivité.
164
Montpellier, 3e ch. B, 15 mars 2017, RG 16/02691.
65
Ainsi, le juge gagne en liberté d’appréciation. Mais il doit prendre garde à ne pas
verser dans une trop grande subjectivité, qui confinerait à l’arbitraire. Il doit s’efforcer
d’objectiver son raisonnement, notamment en prenant appui sur des témoignages provenant
de sources diverses, ainsi que sur les divers supports de données personnelles que les
activités économiques et sociales contemporaines produisent à foison.
Au terme de l’étude de ces conditions de fond, la question d’une déjudiciarisation
de la procédure ne peut être évitée. Elle permettrait en effet d’éviter l’aléa judiciaire (même
s’il a été dit qu’il n’apparaît pas considérable), ainsi que d’imposer le passage devant un
juge pour une situation qui tend, enfin, à entrer dans la normalité. Il nous apparaît toutefois
que cette déjudiciarisation serait prématurée. Elle constituerait un bouleversement trop
important par rapport au régime posé par la jurisprudence ancienne. Par ailleurs,
l’intervention d’un juge rend solennelle la modification de l’état civil, ce qui relativise les
craintes – quelque peu surjouées – d’une partie de la doctrine de voir les demandes se
multiplier. De même, le recours à la matière gracieuse et l’absence de recours obligatoire à
l’avocat permet au requérant de saisir la juridiction sans trop de formalités, et en exposant
que peu de frais.
66
question avait une véritable importance avant la fameuse loi du 17 mai 2013. Le Premier
avocat général JEOL l’avait anticipée en 1992 alors qu’il se prononçait en faveur du
revirement de jurisprudence ; il indiquait que « le conjoint, à défaut de divorce amiable,
pourrait faire constater la caducité [du mariage], pour identité de sexe des époux, au
moyen d’une action en nullité spécifique, sans effet rétroactif, qui serait également ouverte
au ministère public ». Malgré cette proposition de solution juridiquement implacable,
certaines juridictions ont cru bon, dans cette situation, de prononcer le divorce aux torts
exclusifs de l’époux transsexuel165. Dans le cas inverse où les époux souhaitaient le
maintien du mariage, il a pu être décidé166 de laisser le mariage survivre, dans la mesure où
le jugement portant modification de l’état civil n’a pas d’effet rétroactif (ayant un effet
constitutif et non déclaratif).
Cette question n’a aujourd’hui que peu d’intérêt, le mariage de personnes de même
sexe étant admis. Reste l’hypothèse où les époux ne souhaiteraient pas demeurer mariés du
fait de la transition de l’un d’eux ; seule la voie du divorce leur est à présent ouverte, étant
précisé que les jurisprudences anciennes prononçant le divorce aux torts exclusifs de
l’époux trans sont manifestement obsolètes, le transsexualisme n’étant pas susceptible de
constituer, à lui seul, une faute au sens de l’article 242 du Code civil.
Les questions pratiques que pose aujourd’hui le changement de la mention du sexe
à l’état civil se trouvent sur le terrain de la filiation. Pourtant amplement prévisibles, le
législateur s’est abstenu de les anticiper.
165
Nîmes, 7 juin 2000, Juris Data n° 2000-148085.
166
Rennes, 16 oct. 2012, n° 11/08743.
67
68
Titre II : Appréhender des filiations d’un nouveau genre
167
Cass., Civ. 1, 18 mai 2005, P 02-16.336.
69
70
Chapitre I : Des incidences considérables sur la filiation
75. – Le problème (§2) se pose dès lors que la filiation tend à être établie à l’égard
de deux parents de même sexe (§1).
76. L’apport modeste de la loi du 17 mai 2013 – Aux termes des dispositions de
la loi du 17 mai 2013 ayant ouvert le mariage aux couples de même, le législateur a ouvert
l’adoption, simple ou plénière, aux couples de même sexe. Ce faisant, il a reconnu
l’établissement de liens de filiation à l’égard de deux parents de même sexe.
Toutefois, ainsi que le relève Mme la conseillère référendaire LE COTTY168, « le
législateur a expressément inséré un article 6-1169 dans le code civil, destiné à écarter toute
possibilité, pour des couples mariés de même sexe, d’établir un double lien de filiation sans
recourir à l’adoption ».
Cette lecture des dispositions de l’article 6-1 du Code civil est confortée par l’étude
des débats parlementaires à laquelle s’est livrée Mme la conseillère référendaire au sein de
son rapport. Il en ressort qu’à plusieurs reprises, à l’Assemblée nationale comme au Sénat,
ont été défendus des amendements visant à permettre l’établissement d’un second lien de
filiation de même sexe par la voie de la possession d’état. Ce mécanisme visait à sécuriser
les familles homoparentales séparées, afin de permettre au parent non biologique, qui, du
fait de la séparation, ne pourrait pas adopter son enfant170, de faire reconnaître sa filiation,
168
Rapport de Mme la conseillère référendaire Rachel LE COTTY sur l’affaire n° F1770039 ;
Cass., Civ. 1, 7 mars 2018, P 17-70.039.
169
Art. 6-1 C. civ. : « Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations
reconnus par les lois, à l’exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code [titre relatif à la
filiation naturelle], que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe. »
170
L’adoption de l’enfant du conjoint (art. 345-1 C. civ) commande en effet que le mariage ne soit pas dissous.
71
qui a socialement existé. Aucun de ces amendements n’a été adopté ; le législateur ayant
exprimé – par les voix des rapporteurs des deux assemblées – sont souhait de n’ouvrir aux
familles homoparentales que la filiation adoptive.
77. Le refus d’un conflit de filiations – Par ailleurs, l’article 320 du Code civil
proscrit explicitement qu’une filiation (paternelle ou maternelle) soit établie
surabondamment à une filiation du même type. Cet article dispose en effet que « tant qu’elle
n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à
l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ».
Statuant a priori sur la constitutionnalité de la loi du 17 mai 2013, et se basant sur
ces dispositions de l’article 320 du Code civil, le Conseil constitutionnel a également jugé
que « les dispositions de cet article font obstacle à ce que deux filiations maternelles ou
deux filiations paternelles soient établies à l'égard d'un même enfant ; »171.
Aussi, saisie d’une demande d’avis d’un tribunal d’instance auquel il était demandé
d’établir un acte de notoriété constatant la filiation maternelle d’une femme séparée de sa
compagne qui avait donné naissance à leur enfant (conçu par assistance médicale à la
procréation à l’étranger), la Cour de cassation a dit « qu’un lien de filiation ne peut être
établi, par la possession d’état, à l’égard du concubin de même sexe que le parent envers
lequel la filiation est déjà établie »172.
171
Décision du Conseil constitutionnel n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, point n° 40.
172
Cass., Civ. 1, 7 mars 2018, P 17-70.039.
72
Fort logiquement, la Cour de cassation a permis l’établissement de ces liens de
filiation par la voie de l’adoption, balayant les critiques173 de ceux qui dénonçaient des
fraudes à la loi.
Par deux avis en date du 22 septembre 2014, elle a en effet jugé que « le recours à
l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec
donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse
de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de
l’adoption sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant. »174.
Le recours à l’adoption afin de régulariser une filiation vécue a également été permis
dans le cadre de la GPA ; la Cour de cassation ayant jugé « qu’ensuite, en considération de
l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus
obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de
l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle ;
qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme
à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur
père ; »175 (nous soulignons).
173
V. notamment TGI Versailles, 29 avril 2014, Dr. fam. 2014, comm. 14.
174
Cass., avis, 22 septembre 2014 (2 arrêts), n° 14-70.006 et 14-70.007.
175
Cass., Civ. 1, 5 juillet 2017, P 16-16.901 et 16-50.025.
176
A. LECLAIR, « PMA : la République en marche presse le pas », Le Figaro, 25 juillet 2018.
177
Conseil d’Etat, « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », Etude à la demande
du Premier ministre, 28 juin 2018, p. 58 – 63.
73
deux auteures du projet parental », et où « le temps écoulé entre la naissance de l’enfant
et le prononcé de l’adoption fait perdurer une situation d’insécurité juridique au cours de
laquelle, notamment en cas de séparation ou de décès, les droits de la mère d’intention,
mais également ceux de l’enfant à son égard, sont inexistants ».
En deuxième lieu, est envisagée l’hypothèse d’une totale application aux couples
de femmes des dispositions aujourd’hui applicables aux couples hétérosexuels
bénéficiaires d’un don de gamètes. Sur cette hypothèse, le Conseil d’Etat a formulé
l’appréciation suivante :
« cette option créerait un mode d’établissement unique de la filiation pour
tous les couples bénéficiaires d’une IAD, reproduirait le système actuel sans
rien modifier pour les couples hétérosexuels et présenterait l’avantage de
l’égalité entre les mères, toutes deux le devenant dès la naissance.
Toutefois, cette solution apparaît en contradiction avec la philosophie des
modes d’établissement classiques de la filiation qui reposent sur la
vraisemblance, le sens de la présomption et de la reconnaissance étant de
refléter une vérité biologique. Le Conseil d’État attire l’attention sur le fait
qu’elle conduirait à une remise en cause des principes fondateurs du droit
de la filiation fixés par le titre VII du livre 1er du code civil qui régit
l’ensemble des situations. »
A ces réserves, il pourra être répliqué que le fait pour un couple de femmes de procréer
ensemble naturellement n’est pas plus « vraisemblable » que le fait pour un couple
hétérosexuel stérile de faire de même.
En troisième lieu, a été pensée la création d’un nouveau mode d’établissement de la
filiation applicable à tous les couples bénéficiaires d’un don de gamètes. Selon le Conseil
d’Etat, « il s’agirait de demander au couple de procéder à une déclaration commune
anticipée de filiation devant le juge ou le notaire, avant la réalisation de l’assistance
médicale à la procréation. Elle aurait pour effet à la fois de recueillir le consentement du
couple à l’AMP avec tiers donneur et de prendre acte de l’engagement de chacun de ses
membres à faire établir son lien de filiation à l’égard de l’enfant. ». La Haute juridiction
administrative reconnaît toutefois elle-même « qu’une telle option pourrait être vécue
comme un recul par les couples hétérosexuels infertiles, voire comme une discrimination
au sein des couples hétérosexuels selon la nature de leur pathologie ».
En quatrième et dernier lieu, est envisagée la création d’un mode d’établissement
de la filiation « ad hoc », c’est-à-dire spécial, pour les seuls couples de femmes. Dans cette
74
hypothèse, l’AMP ne serait donc pas ouverte aux femmes seules. Il s’agirait de soumettre
les couples de femmes à la « déclaration commune anticipée de filiation » décrite ci-dessus,
le mode d’établissement de la filiation suite à AMP applicable aux couples hétérosexuels
demeurant inchangé. Le Conseil d’Etat privilégie cette option. Il considère que :
« Cette solution, qui fait coexister deux modes d’établissement de la filiation
distincts traduit deux philosophies différentes selon que le couple ayant
recours au don est de même sexe ou non, la première reposant sur le rôle
accru de la volonté, la seconde sur le mimétisme avec la procréation
charnelle.
Elle préserve un traitement égal des couples hétérosexuels, qu’ils aient
recours au don ou non, ce qui permet d’éviter d’opérer une distinction selon
les causes médicales de leur infertilité. Elle ménage en outre la possibilité
de préserver le secret sur le mode de conception d’un enfant issu d’un don
au sein d’un couple hétérosexuel, dès lors qu’il est vraisemblable,
conformément au droit au respect de la vie privée des parents.
À l’égard des couples de femmes, cette option permet un établissement
simple et simultané des deux filiations maternelles de l’enfant à la naissance
de ce dernier qui apparaît sécurisé par l’exigence d’un projet parental
antérieur à l’AMP revêtant la forme d’un acte authentique. ».
Ici encore, le Conseil d’Etat s’obstine à marquer une distinction entre les familles, selon
l’orientation sexuelle des parents, qui confine à l’absurde. En effet, il semble peut audible
que d’affirmer qu’il y aurait « deux philosophies différentes selon que le couple ayant
recours au don est de même sexe ou non, la première reposant sur le rôle accru de la
volonté, la seconde sur le mimétisme avec la procréation charnelle » (nous soulignons). Le
« rôle accru de la volonté » existe également, et dans la même proportion, au sein du couple
hétérosexuel ayant recours à l’AMP ; toute personne y ayant recours est animée du même
désir d’enfant, qui n’est pas moins légitime parce que l’orientation sexuelle du couple ne
lui permet pas, même en dehors de toute pathologie, de procréer naturellement.
80. – En attendant que prospère la réforme de la filiation attendue, il faut s’en tenir
à considérer que l’établissement d’une filiation naturelle à l’égard de deux personnes de
même sexe est bel et bien impossible en droit positif, même si la filiation adoptive permet
parfois de régulariser la situation familiale.
75
Reste, et là est toute la difficulté, que dans certaines hypothèses, interdire aux
personnes trans d’établir un lien de filiation naturelle revient à interdire l’établissement
d’un lien de filiation bien réel, que ce soit sur le plan biologique ou sur le plan affectif.
82. Explicitation du problème juridique – Dès lors, les repères classiques sont
brouillés. Alors que l’article 332 du Code civil rappelle que la mère est la personne qui « a
accouché de l’enfant », dans notre hypothèse, la personne qui a accouché de l’enfant est un
homme. A contrario, alors que le père est l’homme qui a conçu l’enfant « avec [son]
sperme »179, dans notre hypothèse, il s’agit d’une femme.
Si la stricte application du droit de la filiation naturelle, telle que décrite plus haut,
devrait conduire à refuser l’établissement de ces liens de filiation, ce refus aurait pour
conséquence de refuser l’établissement d’une filiation pourtant bien réelle.
178
S. PARICARD, « Vers un droit spécial de la filiation ? » : D. 2018. 75.
179
Ibid.
76
objections opposées au texte avaient pour fondement le retentissement à prévoir sur le
terrain de la filiation. De même, le législateur a été averti par le Défenseur des droits, à
l’occasion de sa décision cadre du 24 juin 2016, sur « les éventuelles conséquences en
matière de filiation »180. Mais rien n’y a fait, le législateur est resté taiseux.
La doctrine n’est pas tendre avec cette attitude, affirmant même que « le législateur
s’est placé dans une situation d’« incompétence négative », pour ne pas avoir exercé
pleinement la compétence que lui confie l’article 34 de la Constitution en matière d’état
des personnes »181. Les parlementaires ayant saisi le Conseil constitutionnel de la loi J21
n’ont toutefois pas envisagé ce grief. Le Conseil aurait pu le soulever d’office, ce d’autant
qu’il ne pourra plus l’être par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité 182. Cela
est d’autant plus regrettable que par voie d’observations adressées à l’occasion de la saisine
des parlementaires, une association avait explicitement soumis cette question aux sages 183,
en vain.
85. – Une unique solution jurisprudentielle est venue trancher cette question.
Après l’avoir exposée (§1), il conviendra d’en faire le commentaire (§2).
§1 : Exposé de la solution
86. Exposé du litige – Par jugement rendu en 2011, Mme X, transsexuelle (MtF) a
obtenu la modification de la mention de son sexe à l’état civil sans qu’aucune opération de
réassignation sexuelle n’ait été exigée ni pratiquée. Cette personne a conservé ses organes
génitaux masculins.
Ainsi, elle a eu un enfant avec sa conjointe.
180
Décision du Défenseur des droits, op. cit.
181
A. MARAIS, op. cit.
182
La QPC permet de contester la conformité d'une disposition législative aux « droits et libertés que la
Constitution garantit » ; elle ne permet pas de contester la procédure parlementaire.
183
B. MORON-PUECH, « L’homme enceint et le Conseil constitutionnel : une rencontre manquée (Cons.
Const., 17 nov. 2016, n° 2016-739 DC, Loi de modernisation de la justice du XXIe siècle) » : RDLF 2016,
chron. n°28 (www.revuedlf.com).
77
Elle avait effectué durant la grossesse une reconnaissance prénatale de cet enfant
devant notaire.
L’enfant est né et, à sa naissance, sa filiation n’a été établie qu’à l’égard de sa mère
biologique, la conjointe de Mme X.
Par assignation délivrée au procureur de la République, le Tribunal de grande
instance de Montpellier a été saisi d’une demande de transcription à l’état civil de l’enfant
de l’acte de reconnaissance prénatale effectué.
Au visa des article 316 et suivants du Code civil, et de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Mme X a fait valoir
qu’elle demande au tribunal d’ordonner la transcription de cette reconnaissance sur l’acte
de naissance de son enfant afin que sa filiation soit établie à l’égard de ses deux parentes,
dans la mesure où il n’y a pas d’autre solution juridique : d’une part la présomption de
paternité du mari de la mère ne peut pas trouver application, puisque du fait de son
changement de sexe, elle n’est plus le mari mais la femme de la mère, et d’autre part
l’adoption de l’enfant de son épouse ne peut pas intervenir non plus puisque la mère ne
veut pas consentir à l’adoption de sa fille souhaitant que sa filiation réelle soit établie.
Elle a précisé que l’acte de reconnaissance est régulier en la forme et qu’il est
efficace puisqu’il s’agit d’établir la réalité de la filiation d’un enfant, en dehors de la
conception de la mère gestatrice reprise par le Code civil, dès lors que l’enfant est issu de
l’œuvre de deux femmes, par un processus biologique entièrement naturel, sans
intervention de tiers ni recours à une quelconque assistance médicale, que la maternité est
ici dédoublée et la paternité évincée.
Le ministère public a conclu au rejet de la demande, au motif qu’une double filiation
maternelle n’est permise en droit français qu’en cas d’adoption. Il a d’ailleurs suggéré le
recours à une telle adoption, soulignant que le tribunal peut toujours passer outre au refus
de la mère biologique, dont la filiation est déjà établie, s’il estime ce refus abusif.
78
spermatozoïde (principe masculin) et qu’il est donc impossible que deux
personnes de même sexe soient les parents biologiques d’un enfant.
C’est la raison pour laquelle, hors, bien entendu, le cas de l’adoption qui
est la création d’un lien de filiation fictif, notre droit ne reconnaît pas
l’établissement de deux liens de filiation maternelle ou paternelle, exigeant
que le premier soit contesté avant de pouvoir établir le second, en se fondant
sur la réalité de la filiation.
En ce qui concerne la maternité, cette réalité est biologique et se prouve par
la gestation et l’accouchement.
En ce qui concerne le père, cette réalité est sociale et résulte soit de la
présomption de paternité du mari de la mère, soit de la reconnaissance de
paternité et elle ne devient biologique qu’en cas de contestation de ce lien
de filiation.
Clarisse X… ne peut donc pas établir sa maternité sur A… par
reconnaissance, dès lors qu’elle n’en a pas accouché et que son épouse est
la mère biologique de cette enfant, d’autant plus qu’elle prétend que cette
enfant est biologiquement issue de ses spermatozoïdes, ce qui ne peut
correspondre en droit qu’à une filiation paternelle […].
Il faut cependant noter que ces principes [le droit au respect de sa vie privée
et le droit à l’absence de discrimination fondée notamment sur le sexe, à
raison de sa transidentité] ont été particulièrement respectés puisque le
jugement du 3 février 2011 a fait droit à sa demande de changement de sexe
au motif que son appartenance au sexe féminin était irréversible, en se
fondant sur les éléments médicaux versés aux débats et en tenant compte de
son apparence sociale et que plusieurs possibilités lui sont offertes par le
Code Civil pour parvenir à établir un lien de filiation avec l’enfant.
Par l’acte de procréation masculine qu’elle revendique, Clarisse X… a fait
le choix de revenir de façon unilatérale sur le fait qu’elle est désormais
reconnue comme une personne de sexe féminin, et elle doit en assumer les
conséquences à savoir soit procéder à une reconnaissance de paternité sur
l’enfant et revenir dans son sexe masculin d’origine soit engager une
procédure d’adoption plénière de l’enfant de sa conjointe et rester dans son
sexe féminin, solution que préconise d’ailleurs le Ministère Public dans le
79
respect des principes fondamentaux énoncés ci-dessus ainsi que de l’intérêt
de l’enfant.
Il convient en conséquence de débouter Clarisse X… de sa demande. »184.
89. Une stricte application du droit positif interne – En statuant comme il l’a fait,
le tribunal s’est borné à faire une stricte application du droit positif interne. Il refuse en
effet d’établir une filiation naturelle à l’égard de deux parents de même sexe, et les renvoie
vers l’adoption, seul modèle de filiation ouvert aux parents de même sexe.
Il rappelle par ailleurs que, conformément à l’article 332 du Code civil, la mère est
celle qui accouche de l’enfant, et se borne à constater que la demanderesse n’a pas accouché
de l’enfant.
S’agissant de la paternité, il expose qu’elle résulte de la présomption de paternité,
de la reconnaissance, et ne devient biologique qu’en cas de contestation, mais ne tire aucune
conséquence de cet exposé.
Aussi, le tribunal peut se féliciter d’avoir rendu une décision ne venant contrarier
aucune disposition du droit interne, mais il ne règle véritablement aucune des questions
nouvelles qui lui étaient soumises.
184
TGI Montpellier, 1ère ch. B, chambre de la famille, 22 juillet 2016, RG 15/0019.
80
90. Une dangereuse invitation faite à la demanderesse à revenir dans son sexe
d’origine – Non content de refuser de reconnaître un lien de filiation pourtant véritable, le
tribunal se permet de s’adresser à la demanderesse en ces termes : « par l’acte de
procréation masculine qu’elle revendique, Clarisse X… a fait le choix de revenir de façon
unilatérale sur le fait qu’elle est désormais reconnue comme une personne de sexe féminin,
et elle doit en assumer les conséquences à savoir soit procéder à une reconnaissance de
paternité sur l’enfant et revenir dans son sexe masculin d’origine ».
Sur ce, il sera en premier lieu rappelé que le fait de conserver ses organes génitaux
ne signifie pas renoncer à son identité de genre, et, partant, à la modification de la mention
de son sexe dans les actes de l’état civil. C’est précisément le sens de la législation issue de
la loi du 18 novembre 2016. C’est aussi l’appréciation de la CEDH, qui proscrit l’exigence
de stérilisation pour l’obtention d’une modification de l’état civil185. Dès lors, en raisonnant
ainsi, par des motifs bien plus moraux que juridiques, le tribunal s’autorise une ingérence
injustifiée dans la vie privée de la demanderesse.
En second lieu, ainsi que cela a été relevé en doctrine186, cette position du tribunal
« conduit insidieusement à voir réapparaître la « condition de stérilisation ». La
réassignation n'est plus une condition exigée par le droit, mais l'utilisation des organes
sexuels à des fins de procréation conduirait à remettre en cause la modification de la
mention de sexe à l'état civil. Compte tenu de la position de la CEDH vis-à-vis de la
condition d'irréversibilité et de stérilisation (A. P., Garçon et Nicot c/ France, préc.) 187,
une telle remise en cause conduirait à une stérilisation « sociale » des personnes
transidentitaires en leur interdisant, sinon toute sexualité, du moins la possibilité
d'engendrer. ». Partant, cette stérilisation sociale violant le droit au respect de la vie privée,
elle n’est pas admissible. Là encore, la motivation du tribunal est donc amplement
critiquable.
185
Cf. supra, §55.
186
J-P. VAUTHIER et F. VIALLA, « Matres sem per certae sunt ? Un pluriel bien singulier » : D. 2017. 1373.
187
Cf. supra, §55.
81
D’abord, il convient de rappeler qu’il s’agirait de lui faire adopter son propre enfant,
au sens social, comme au sens biologique. Là n’est pas le but de l’adoption, qui, comme le
relève le tribunal, crée « un lien de filiation fictif » ; or, la filiation de la demanderesse n’est
pas fictive, elle est véritable.
Ensuite, comme cela a été pointé en doctrine188, il s’agit là d’un mode
d’établissement de la filiation particulièrement « aléatoire ». « Pour adopter l'enfant, il
faut, en effet, que la personne soit mariée avec l'autre parent, ce qui suppose le
consentement de ce dernier »189, or, un divorce peut rapidement intervenir, et même sans
aller jusqu’au prononcé du divorce, « une simple assignation en divorce suspendrait
certainement la procédure »190 d’adoption. De même, le mariage est dissous par le décès
d’un des époux.
Par ailleurs, « tant que l'adoption n'est pas prononcée, un tiers de l'autre sexe que
le parent peut venir établir par reconnaissance un lien de filiation avec l'enfant, bloquer
ainsi la procédure, et même, au-delà, tout établissement de filiation à terme »191.
Il résulte nécessairement de tout ce qui précède que l’adoption ne saurait constituer
une solution pérenne.
188
S. PARICARD, « Vers un droit spécial de la filiation ? » : D. 2018. 75.
189
Ibid.
190
Ibid.
191
Ibid.
192
Ibid.
193
CEDH, 2 juin 2015, n° 22037/13, Canonne c/ France.
82
Si « la Cour de Strasbourg a déjà pu juger, à propos d'une personne
transidentitaire, que « l'article 8 ne saurait passer pour impliquer que l'État défendeur est
dans l'obligation de reconnaître officiellement comme le père de l'enfant une personne qui
n'en est pas le père biologique »194 […] l'espèce en cause soulève la question du refus de
l'établissement de la filiation malgré la réalité biologique »195 (nous soulignons).
Aussi, la reconnaissance du lien de filiation, bien réel, entre la personne trans et son
enfant est inévitable, quand bien même cela doit bouleverser quelques conceptions
classiques du droit de la filiation.
194
CEDH, 22 avr. 1997, n° 21830/93, X, Y et Z c/ Royaume-Uni, §52.
195
J-P. VAUTHIER et F. VIALLA, op. cit., note n° 186.
196
Conclusions du Premier avocat général JEOL, op. cit.
83
84
Chapitre II : Propositions de solutions
94. Avant-propos – « Il faut donc faire quelque chose. Mais quoi ? »197
Deux axes de réflexion peuvent être mis à jour ; l’un consiste à aménager autant que
de besoin le droit commun, l’autre à dessiner un « droit spécial de la filiation »198.
L’un comme l’autre présente son lot d’avantages et d’inconvénients.
Madame PARICARD penche pour un « droit spécial de la filiation ». Elle considère
que cela « éviterait de modifier le droit commun » et permettrait « de conserver un droit de
la filiation genré »199.
L’auteure rejoint ainsi le Conseil d’Etat en son avis sur les incidences quant au droit
de la filiation de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes200. La haute juridiction
administrative propose en effet de créer un mode d’établissement de la filiation particulier,
dit ad hoc, pour les couples de femmes.
Trois séries d’objections à cette tentation de la spécialisation du droit de la filiation
peuvent être envisagées.
En premier lieu, il n’apparaît pas être le rôle du juge que de créer des régimes
spéciaux autonomes lorsque l’objectif poursuivi peut être atteint par un aménagement du
droit commun. Si le juge doit savoir créer lorsque se présente une impérieuse nécessité
sociale, il souffre d’un déficit de légitimité l’empêchant d’écouter trop amplement son
imagination, pourtant débordante.
En deuxième lieu, il semble curieux qu’alors que les avancées sociétales (ouverture
du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, facilitation du changement de sexe
à l’état civil, AMP tolérée pour les couples de femmes et en voie d’introduction en droit
interne), qui posent précisément par incident les difficultés à présent envisagées, ont été
conduites aux fins d’assurer davantage d’égalité, et en tout cas moins de marginalisation,
les réponses proposées aux difficultés pratiques qu’elles causent aient en commun d’opérer
davantage de distinctions et, partant, de risques de discriminations.
En troisième lieu, il sera dit que la nécessité « de conserver un droit de la filiation
genré » – si tant est qu’elle soit effectivement indispensable, question qu’il ne nous
197
Ibid.
198
S. PARICARD, op. cit., note n° 188.
199
Ibid.
200
Cf. supra, §79.
85
appartient de trancher – n’est pas nécessairement contredite par l’ouverture de la filiation
naturelle aux filiations homoparentales. En effet, la circonstance qu’une minorité de
familles soient composées de parents de même sexe n’est pas de nature à faire cesser
l’appréhension par le droit de la filiation de pères et de mères, selon le genre des parents.
Dès lors, les solutions qui seront proposées ne consisteront qu’en des aménagements
du droit commun de la filiation.
Deux hypothèses semblent pouvoir être dégagées : l’hypothèse consistant à
considérer la modification de la mention du sexe à l’état civil comme inopposable sur le
terrain de la filiation (Section 1) et l’hypothèse d’un aménagement du régime juridique de
la filiation naturelle (Section 2).
96. Une solution basée sur la vérité biologique – L’homme trans qui accouche de
l’enfant, tout comme la femme trans qui le conçoit avec son sperme, sont ses véritables
géniteurs. Il suffit alors d’en tirer toutes les conséquences.
97. Une stricte application du droit commun de la filiation – Dès lors, il s’agit
de faire une stricte application du droit commun de la filiation, simplement aménagé par le
fait que l’on occulte la modification de la mention du sexe obtenue pour les besoins de
l’établissement de la filiation.
Ainsi, la personne qui accouche de l’enfant est considérée comme sa mère, et est
inscrite comme telle sur l’acte de naissance de l’enfant, quand bien même il s’agit d’un
homme à l’état civil.
Et la personne qui a conçu l’enfant par le truchement d’un appareil reproducteur
masculin est considérée comme son père, et, de même, est inscrite comme tel sur l’acte de
naissance de l’enfant, quand bien même il s’agit d’une femme à l’état civil.
86
§2 : Critique de cette proposition de solution
201
Ce qui est une conséquence du caractère constitutif du jugement portant modification d’état.
202
Cf. supra, §92.
203
Cour d’appel de Cologne, 30 nov. 2009, et Cour fédérale de justice allemande, 25 septembre 2017, citées
par S. PARICARD in « Vers un droit spécial de la filiation ? » : D. 2018. 75.
204
Art. 11 de la loi relative aux personnes transsexuelles, cité par S. PARICARD in « Vers un droit spécial de
la filiation ? » : D. 2018. 75.
87
101. Un premier écueil : le maintien du trans dans son sexe de naissance –
Rendre inopposable la modification de la mention du sexe sur le terrain de la filiation, c’est
lui faire perdre de l’efficacité. Ainsi, alors que la personne trans est identifiée par son état
civil conformément à son genre, elle demeure considérée, à travers son rôle parental,
comme relevant de son sexe de naissance.
Par ailleurs, les personnes trans s’investissent généralement dans un rôle parental
conforme à leur identité de genre205, de sorte qu’un homme trans (FtM) est socialement
reconnu comme un père, et une femme trans (MtF) est considérée comme une mère. Dès
lors, rendre la modification de leur état civil inopposable sur le terrain de la filiation est
source de confusions, et, partant, de nature à rendre plus ardue leur intégration sociale.
205
P. JOUANNET, « Quand les hommes transsexuels souhaitent devenir pères par don de sperme », in La
parenté transgenre, L. Hérault (dir.), PU Provence, 2014, p. 83.
206
Même si cette solution n’est pas optimale, cf. supra, §91.
88
Section 2 : L’hypothèse d’un aménagement jurisprudentiel du régime
juridique de la filiation naturelle
105. Une solution motivée par un souci de cohérence – L’idée maîtresse de cette
proposition de solution est de considérer le parent trans conformément au rôle parental
congruent avec son identité de genre. Ainsi, l’homme trans (FtM) serait considéré comme
un père, et la femme trans (MtF) comme une mère.
Cette solution est susceptible de se décliner sur deux niveaux.
89
L’idée serait alors d’étendre les modes d’établissements classiques de la paternité,
que sont la présomption de paternité et la reconnaissance, en les dégenrant. Ainsi, dans la
mesure où l’enfant n’a pas déjà deux liens de filiation, toute personne, quelque soit son
sexe, verrait un lien de filiation établi entre elle et l’enfant par le seul fait du mariage ou de
sa reconnaissance de l’enfant. La nature de ce lien de filiation (paternel ou maternel)
dépendrait de l’identité de genre du parent.
207
Cf. supra, §76 et 77.
208
CEDH, 22 avr. 1997, n° 21830/93, X, Y et Z c/ Royaume-Uni, §52.
209
Sur ce point, V. infra, §185 et suivants.
210
Cf. supra, §101.
90
110. Un précédent en droit comparé – Le premier niveau de cette proposition se
trouve conforté par un précédent en droit comparé. En effet, le droit belge a choisi une
position similaire. Hors les cas d’AMP, ainsi que les hypothèses dans lesquelles un homme
accouche de l’enfant211, le législateur belge a en effet décidé que la filiation « est fondée
sur le nouveau sexe »212.
211
Auquel cas, la filiation est établie sur le modèle maternel, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’un homme
(art. 62 bis/1 §2 al. 1 du Code civil belge).
212
Art. 62 bis/1 §2 al. 4 du Code civil belge.
91
112. Conclusion du Titre II – Après avoir proposé cette solution de résolution des
difficultés posées par ces filiations d’un nouveau genre, un grand nombre d’interrogations
demeure.
En premier lieu, on peut rechercher ce qu’il convient de faire à l’égard du parent
non biologique, même si cela dépasse le strict cadre des filiations établies par des personnes
trans. Il l’a été dit, le régime de la filiation naturelle n’a rien à leur proposer. Seule
l’adoption de l’enfant du conjoint leur est ouverte, avec les difficultés supplémentaires
qu’elle pose. La seule chose que l’on peut tenter de leur assurer, c’est qu’il ne devrait pas
perdre tout droit sur l’enfant qu’ils ont élevé et chéri. En effet, l’article 371-4, second alinéa,
du Code civil prévoit que « si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe
les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque
ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation,
à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables ».
En second lieu, il convient de concéder que la complexité des schémas familiaux
auxquels il est possible d’être confronté peut donner une sensation de vertige, et, partant,
induire le sentiment d’un effondrement de la stabilité qui doit être celle des familles. Il y a
lieu de se prémunir de cela, en ne perdant pas de vue qu’il s’agit là de cas marginaux, sans
que ce terme revête une quelconque signification morale, et, qu’au demeurant, si ces
modèles familiaux peuvent surprendre, aucune donnée objective ne permet d’indiquer
qu’ils ne soient pas conformes à l’intérêt de l’enfant, notion fondamentale213, qui seule doit
guider toute réflexion en matière familiale.
A présent, aux juges, au législateur, de s’assurer de la primauté de cet intérêt.
213
Art. 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (dite convention de New-York) du
26 janvier 1990. Cet article dispose d’une pleine juridicité en droit interne (V. not. : Cass., Civ. 1, 18 mai
2005, P 02-16.336).
92
genre, en première ligne, enfin, pour résoudre les difficultés posées par les demandes de
transsexuels de faire établir leur filiation sur les enfants qu’ils ont naturellement conçus.
Gageons qu’il se montrera à la hauteur.
114. – Si elles ont les incidences pratiques qui ont été décrites, les dispositions des
articles 61-5 à 61-8 du Code civil, issues de la loi J21 du 18 novembre 2016, ont également
un retentissement théorique notable.
De nombreuses dispositions du Code civil en matière d’état civil sont issues du code
napoléonien de 1804. Et si de nombreuses lois sont venues modifier les autres, souvent
simplement à la marge, il est constant que cela fait fort longtemps que le législateur ne s’est
pas attelé à une réflexion de fond sur l’état des personnes. Il n’est toutefois pas resté
imperméable au passage du temps et à l’évolution des mœurs.
Puisque la consécration de la notion d’identité de genre bouleverse en profondeur
les principes et caractères de l’état des personnes, autant saisir l’occasion pour analyser les
mutations de cet état.
93
94
PARTIE II : VERS UNE THEORIE RENOUVELEE DE
L’ETAT CIVIL
115. – Traditionnellement, il est conféré à l’état civil une finalité identificatrice afin
d’assurer l’effectivité, ainsi que la fonctionnalité, de la personnalité juridique (Titre I).
En cela, il est attendu une stabilité de l’état civil, qui confine au pléonasme.
Toutefois, à la faveur d’un souci grandissant pour l’individu et ses droits, il peut
être observée une mutation de cet état civil, au terme de laquelle sa dimension identitaire
prend le pas sur sa finalité identificatrice (Titre II).
95
96
Titre I : La fragilisation de l’état civil d’identification
116. – Si l’on considère classiquement que l’état civil assume la nécessité pour la
société d’identifier les individus, force est de constater que cet état civil d’identification se
trouve aujourd’hui grandement fragilisé. Cette fragilisation s’opère par une remise en cause
des caractères de l’état civil (Chapitre I). Elle pose la question de la sécurité juridique
(Chapitre II).
117. – La doctrine, suivie par la jurisprudence, ont dégagé des principes régissant
l’état des personnes, et permettant de garantir son intégrité. Aux termes des nouvelles
dispositions relatives au régime juridique du changement de la mention du sexe dans les
actes de l’état civil, ces principes se trouvent bouleversés. En effet, l’état civil semble
désormais tant à portée de volonté (Section 1) que prescriptible (Section 2).
119. Des notions proches – Parce qu’elles ont toutes deux pour objet la stabilité de
l’état civil, l’indisponibilité, comme l’immutabilité, de l’état des personnes sont des notions
proches, si proches que même parfois la doctrine se montre confuse. Il lui arrive en effet
de « lie[r] les deux qualités sans les distinguer l’une de l’autre »214, et, souvent « cet
214
C. NEIRINCK, « Les caractères de l’état civil », in L’Etat civil dans tous ses états, LGDJ, 2008, p. 49.
97
amalgame revient à ne reconnaître à l’état civil qu’un caractère, l’indisponibilité, ce qui
permet d’évacuer la difficulté [de leur distinction] sans la résoudre »215.
120. Des notions à distinguer – Pourtant, ces notions sont à distinguer. C’est
d’ailleurs sur la base de leur distinction, parce que la jurisprudence reconnaît
l’indisponibilité mais exclut l’immutabilité, que les premières modifications de la mention
du sexe à l’état civil ont été ordonnées. Ainsi, dès 1981, le Tribunal de grande instance de
Paris jugeait que :
« l’état des personnes n’est pas immuable puisque, par l’effet soit d’actes
juridiques, tels la reconnaissance ou le mariage, soit de jugements
déclaratifs ou constitutifs d’état, il peut au cours de la vie se trouver
modifié ; qu’il faut observer que les modifications de l’état impliquent
toujours, plus ou moins, l’intervention de la volonté, mais que même dans
les cas où la part de celle-ci est prépondérante, ainsi du mariage, de la
reconnaissance ou de l’adoption, le changement de l’état est soumis à des
conditions posées par la loi ; que le titulaire de l’état ne peut donc à son
seul gré le modifier et que de ce point de vue le principe de l’indisponibilité
régit l’état des personnes ; »216 (nous soulignons).
Aussi, l’immutabilité viserait l’impossibilité de modifier l’état civil, tandis que
l’indisponibilité aurait trait au seul rôle de la volonté dans cette modification.
Une fois cette distinction grossièrement posée, il convient d’affiner le périmètre,
comme la juridicité, de chacune de ces notions.
215
Ibid.
216
TGI Paris, 1ère Ch. 4e section, 24 novembre 1981. ANNEXE II.
217
C. NEIRINCK, op. cit., p. 42.
98
Cette conception patrimoniale de l’indisponibilité a peu à peu laissé place, en la
matière, à une conception que l’on pourra qualifiée de morale.
En effet, en matière de transsexualisme, ce n’est pas la patrimonialité de l’état civil
qui est en jeu, mais la stabilité de cet état. Toutefois, la notion d’indisponibilité est toujours
pertinente, puisqu’elle vient neutraliser le pouvoir de la volonté. Et si la volonté permet
d’établir un acte juridique à des fins patrimoniales, elle peut aussi revêtir une finalité
extrapatrimoniale, comme en l’espèce, lorsqu’il s’agit de la modification de l’état civil.
218
Cass., Civ. 1, 16 déc. 1975, J.C.P. 1976.II.18503.
219
Cass., ass. plén., 11 décembre 1992, P 91-11.900.
220
C. NEIRINCK, op. cit., p. 42 – 43.
99
d’indisponibilité. Mme le Professeur NEIRINCK retient en effet que « l’atteinte au principe
de l’indisponibilité […] de l’état des personnes est sur ce point[, s’agissant de la
modification de la mention du sexe à l’état civil,] consommée »221.
221
C. NEIRINCK, op. cit., p. 45.
222
Cass., ass. plén., 11 décembre 1992, P 91-11.900.
223
Conclusions du Premier avocat général JEOL, op. cit., ANNEXE VI
224
TGI Paris, 1ère Ch., 4e section, 24 nov. 1981, ANNEXE II.
100
considèrent que c’est le sexe apparent socialement, vécu psychologiquement – en d’autres
termes, l’identité de genre avant l’heure – qui doit être pris en compte lorsqu’il est assorti
de modifications physiques irréversibles, et, partant, constitue l’élément déterminant dont
dépend l’accueil de la demande de modification de la mention du sexe à l’état civil. Or,
précisément, cet élément est effectivement modifié au jour où la juridiction statue ;
l’apparence sociale du sexe du trans est alors d’ores et déjà contraire à la mention de son
sexe sur les actes de son état civil. Dès lors, la personne trans n’a pas la volonté de changer
de sexe, ce qui serait contraire au principe de l’indisponibilité, mais sollicite la constatation
par les juges de ce que ce changement a été opéré.
Ainsi, cette acception pragmatique du principe de l’indisponibilité recherche la part
de volonté de l’individu dans le processus de changement de sexe, et considère que cette
part individuelle n’est pas déterminante lorsque la modification irréversible de l’apparence
est effective.
Cette conception se justifie également par la pleine pathologisation du
transsexualisme qui régnait alors. Ainsi, il ne peut être fait grief à une personne trans de
solliciter la modification de son état civil, dans la mesure où cette modification n’est pas la
résultante de sa volonté, mais une nécessité objective, justifiée par la caractérisation d’un
syndrome ; syndrome qui, par définition, échappe à la volonté du sujet.
225
F. TERRE et D. FENOUILLET, Droit civil, Les personnes, Précis, Dalloz, 2012, p. 146, §132.
101
domicile »226. Il est en effet difficile de contredire ce point de vue : que ce soit par la force
des choses, ou par le truchement de procédures judiciaires et/ou administratives de
changement, l’état civil n’est pas intangible. D’ailleurs, même les tenants de la
reconnaissance de l’immutabilité comme caractère de l’état civil partagent cette analyse.
226
Ibid.
227
C. NEIRINCK, op. cit., p. 50.
228
J. CARBONNIER, op. cit. (note n° 2), n° 78.
229
C. NEIRINCK, op. cit., p. 50.
230
Ibid., p. 50 – 51.
102
En effet, en application des dispositions de l’article 49 du Code civil, les actes
antérieurs à l’acte dressé reçoivent en marge mention de la modification qui a été apportée.
Ainsi, le dispositif du jugement prononçant le divorce est retranscrit en marge de l’acte de
mariage231. L’acte de naissance constitue dès lors le réceptacle des étapes civiles franchies
par la personne tout le long de son existence : modification d’un élément de l’état,
conclusion d’un pacte de civil de solidarité, d’un mariage, survenance d’un divorce, d’une
adoption, et enfin du décès sont ainsi toutes mentionnées en marge de cet acte premier.
Seule l’adoption plénière échappe à cette mémoire de l’état civil, dans la mesure où
elle efface la filiation originale232.
231
Art. 262 C. civ.
232
Art. 354 C. civ.
233
Cass., Civ. 1, 14 nov. 2006, P 04-10.058.
234
Ibid.
103
Quant à l’immutabilité, la réforme lui est quasiment indifférente ; à peine est-elle
atteinte par incident s’agissant de la transcription sur les actes d’état civil des enfants et du
conjoint des conséquences du changement d’état du parent trans (B).
235
Sur ce point, cf. infra, §174 et 175.
104
Toutefois, en ne posant comme condition, aux termes de l’article 61-5 du Code civil,
que de constater la possession d’état d’une identité de genre contraire au sexe mentionné à
l’état civil, la loi ne demande pas au juge de constater le phénomène d’incongruence du
genre236 permettant d’être assuré que la demande est motivée par ce phénomène et non par
la seule volonté du requérant. Aussi, lorsqu’il statue, le juge se borne à constater une
apparence sociale du requérant déterminée par sa volonté, sans savoir si cette volonté est
elle-même influencée par un phénomène d’incongruence du genre.
Dès lors qu’une modification de l’état intervient par la volonté de l’individu, une
atteinte au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes est ainsi caractérisée.
132. – Il convient toutefois de rappeler, ainsi que l’a fait le Défenseur des droits,
que « le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes […] n’est pas un principe
absolu auquel le législateur ne peut déroger »237. Il s’agit donc d’un principe infralégislatif,
de sorte que le législateur avait tout loisir d’y porter atteinte, et il a été dit que nous
considérions cette atteinte justifiée par des impératifs de respect des droits de l’individu.
La constatation de l’atteinte portée au principe de l’indisponibilité n’a donc nullement pour
objet de quereller le législateur sur ce point. Elle permet simplement de mettre en évidence
un bouleversement dans l’appréhension de l’état des personnes, et d’en tirer toute
conclusion utile sur la place laissée par le législateur à l’individu dans la détermination de
son propre état.
236
Sur ce point, cf. supra, §6.
237
Décision du défenseur des droits, op. cit., p. 21.
238
Cf. supra, §127.
105
134. Une atteinte incidente à peine décelable – Une atteinte à l’immutabilité peut
toutefois être décelée, mais de façon incidente, puisqu’elle se donne à connaître au travers
des transcriptions incidentes de la modification d’état, qui sont opérées sur les actes d’état
civil du conjoint du requérant et de ses enfants.
Avant d’exposer davantage cette atteinte, il convient de relever une incohérence
dans le texte de la loi J21 du 18 novembre 2016.
En effet, ce texte réforme les modalités du changement de prénom239, qui devient
déclaratif, sauf opposition du procureur de la République. Il permet également au
transsexuel qui saisit le tribunal d’une modification de la mention de son sexe sur les actes
de son état civil d’obtenir par la même le changement de son (ou ses) prénom(s) 240.
La personne trans a donc deux possibilités, ainsi que le rappelle Mme AUFIERE241.
Elle peut d’abord obtenir son changement de prénom par déclaration faite devant
l’officier d’état civil, afin de choisir un nouveau prénom conforme à son identité de genre ;
puis, dans un second temps, saisir le tribunal aux fins de modification de la mention de son
sexe sur son état civil. Cette première possibilité commande d’effectuer deux formalités
distinctes au lieu d’une, mais renforce les chances de voir la demande présentée devant le
tribunal aux fins de changement de sexe être accueillie. En effet, le fait d’avoir obtenu la
modification de son prénom est un des critères visé par l’énumération présente au second
alinéa de l’article 61-5 du Code civil. Au demeurant, le fait d’avoir fait mettre son prénom
en conformité avec son identité de genre renforce également la possession d’état de cette
identité de genre, dans la mesure où cela amplifie la reconnaissance sociale de cette identité.
Par ailleurs, la personne trans peut également obtenir son changement de prénom
par le jugement ordonnant la modification de son sexe sur les actes de son état civil.
L’incohérence annoncée réside en ce que, si dans le premier cas la transcription du
changement de prénom est faite automatiquement en marge des actes de l’état civil du
conjoint et des enfants du requérant, dans le second cas, l’inscription en marge des actes de
l’état civil est soumise au consentement des intéressés ou de leurs représentants légaux242.
Le législateur a en effet entendu permettre au conjoint et aux enfants du requérant
de faire en sorte que le transsexualisme de celui-ci ne transparaisse pas nécessairement à la
239
Art. 60 C. civ.
240
Art. 61-6 C. civ.
241
P. AUFIERE, « Les prénoms changent, les lois aussi… Le choix des transsexuels » : AJ Famille, Juillet-
Août 2017, p. 388 – 389.
242
Art. 61-7 al. 2 C. civ.
106
lecture de leur état civil ; si ce choix est critiquable sur le plan des principes, il a également
une résonnance théorique.
En effet, alors que la lecture des actes de l’état civil peut permettre de reconstituer
les liens de filiation oubliés en remontant, ramifications par ramifications, dans l’arbre
généalogique, est dès lors encouru le risque de ne pouvoir parvenir à identifier un parent
ou un conjoint, dans la mesure où la modification de son prénom n’aura pas suivi sur les
actes de l’état civil de ses proches.
Aussi, une atteinte à l’immutabilité se trouve caractérisée par incident, faute pour le
texte de garantir, sur les actes de l’état civil des proches, la mémoire des modifications
opérées de l’état.
Au-delà de cette atteinte à l’immutabilité, il pourrait également y être vu une atteinte
à une autre notion, qu’une doctrine qui semble minoritaire tient également pour un caractère
de l’état civil : l’indivisibilité de cet état, en vertu de laquelle « les éléments qui le
composent forment un ensemble cohérent dont une pièce essentielle […] ne peut être
modifiée sans que, de proche en proche, la plupart de ses composants ne subissent quelque
transformation »243.
135. – Ainsi sont caractérisées des atteintes aux principes protégeant l’état des
personnes de modifications issues de la volonté des individus. Au-delà de ces modifications
de l’état, les nouvelles dispositions consacrent un mode d’acquisition de l’état en principe
proscrit en la matière : la prescription acquisitive.
136. – L’imprescriptibilité est un autre caractère de l’état des personnes (§1), qui
souffre également d’une atteinte aux termes des dispositions envisagées (§2).
243
B. TEYSSIE, Droit des personnes, 19e éd., Lexis Nexis, 2017, p. 12, §11.
107
l’immutabilité, aucun auteur ne semble le rejeter, certains l’omettent 244, se concentrant
essentiellement sur le seul principe de l’indisponibilité ; d’autres le mentionnent245, lui
accordant même un certain intérêt.
244
En ce sens : F. ZENATI-CASTAING et T. REVET, Manuel de droit des personnes, op. cit. ;
C. NEIRINCK, L’Etat civil dans tous ses états, op. cit.
245
En ce sens : B. TEYSSIE, Droit des personnes, op. cit. ;
F. TERRE et D. FENOUILLET, Droit civil, Les personnes, op. cit.
246
B. TEYSSIE, Droit des personnes, op. cit.
247
Ibid.
108
140. La prescription acquisitive et l’état des personnes – La prescription
acquisitive est initialement un moyen par lequel on acquiert la propriété ; le titre qui y est
consacré dans le Code civil est d’ailleurs placé au sein du livre afférent aux modes par
lesquels la propriété peut être acquise.
La prescription acquisitive se base sur la notion de possession, que constitue, en
vertu des dispositions de l’article 2255 du Code civil, « la détention ou la jouissance d'une
chose ou d'un droit » tenue ou exercée pour soi-même. En d’autres termes, « la possession
désigne la situation d'une personne qui exerce en fait les prérogatives attachées à un droit
et qui a le comportement du titulaire véritable. »248.
Transposée à l’état des personnes, la notion se mue en possession d’état, mode
classique de preuve de l’état, déjà envisagé 249.
Pourtant, en principe, la prescription acquisitive est de même proscrite en matière
d’état des personnes, de sorte que « le temps ne saurait donner régularité à une usurpation
d’état »250.
Il semble toutefois que cela ne soit pas incompatible.
En effet, si la prescription acquisitive est proscrite en ce qu’elle ne saurait permettre
l’acquisition irrégulière d’un état, la possession d’état est accueillie – dans certaines
hypothèses – pour venir apporter la preuve d’un état qui, lui, est régulier.
Cela dit, il convient toutefois de relever, à titre d’exception, que la prescription
acquisitive a pu se voir reconnaître un rôle en matière d’état des personnes, s’agissant de la
possession prolongée d’un nom. Ainsi, il a pu être jugé que « le principe de l’immutabilité
du nom patronymique, inscrit dans l’édit d’Ambroise et réaffirmé dans la loi du 6 fructidor
an II, ne fait pas obstacle à ce que la possession prolongée d’un nom puisse en permettre
l’acquisition, dès lors que cette possession n’a pas été déloyale ; qu[‘]une usurpation
entachant la possession de déloyauté suppose que le caractère frauduleux de l’altération
du nom originaire soit établi ; »251 (nous soulignons).
Aussi, sous réserve que la possession ne soit pas viciée, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas
eu l’intention dolosive d’usurper le nom, la possession peut être efficace.
Là encore, les principes de l’état des personnes se retrouvent en conflit avec eux-
mêmes. En effet, si ces principes ont pour raison d’être d’assurer la stabilité de l’état, en
248
F. GRANET-LAMBRECHTS, « Possession d’état », op. cit.
249
Cf. supra, §59 et suivants.
250
B. TEYSSIE, Droit des personnes, op. cit.
251
Cass., Civ. 1, 31 janvier 1978, P 75-13.011.
109
pareille situation, l’état serait davantage fragilisé par la modification du nom du défendeur
(qui ne serait dès lors plus concordant avec celui de ses aïeux) que par l’efficacité donnée
en l’espèce à la possession prolongée de ce nom.
141. – Les dispositions de la loi J21 du 18 novembre 2016 ayant instauré un régime
légal de la modification de la mention du sexe à l’état civil ont eu une incidence limitée sur
le principe de l’imprescriptibilité de l’état des personnes qui, à l’instar des principes
d’immutabilité et d’indivisibilité, ne bénéficie d’aucune juridicité.
Si la réforme n’a pas impacté le principe d’imprescriptibilité en son versant extinctif,
elle l’a atteint en son acception acquisitive, dans une proportion qui reste à déterminer.
252
Cf. supra, §59 et suivants.
110
Dans la seconde, il s’agit d’acquérir un nouvel état, davantage conforme à la réalité
vécue par l’individu.
Cette seconde hypothèse sera privilégiée. Il n’est en effet pas contestable que le
sexe tel qu’il est mentionné à l’état civil a d’abord vocation à correspondre au sexe
physiologique, dans la mesure où il est constaté à la naissance de l’enfant, soit à un moment
où l’identité de genre de l’individu est vierge, puisqu’elle se façonnera avec les années.
Il y aurait donc bien atteinte au principe d’imprescriptibilité.
Toutefois, la gravité de cette atteinte peut être relativisée, dès lors qu’ainsi qu’il l’a
été dit, la jurisprudence a déjà avalisé des atteintes de ce type en matière de possession
prolongée de nom patronymique, sous réserve qu’il n’y ait pas eu d’intention frauduleuse.
Or, en l’espèce, il est manifeste qu’il ne saurait y avoir d’intention frauduleuse – exceptée
l’hypothèse où le changement de sexe s’inscrirait dans une opération d’ensemble de
dissimulation de l’identité – ce d’autant qu’en matière de modification de la mention du
sexe à l’état civil, et contrairement à l’espèce jugée en matière de possession prolongée
d’un nom patronymique, aucun tiers ne voit son propre état civil préempté par le requérant.
111
112
Chapitre II : Les incidences d’un bouleversement théorique
253
Conseil d’Etat, Rapport annuel 2006, p. 281.
254
F. TERRE et D. FENOUILLET, Droit civil, Les personnes, op. cit., p. 144, §129.
113
147. Les dangers des atteintes à la stabilité de l’état – En considération du rôle
fondamental conféré à l’état des personnes, en ce qu’il constitue le support leur permettant
d’exercer leurs droits, toute atteinte à sa stabilité est dommageable.
Toutefois, l’atteinte apparaît d’autant plus dommageable qu’elle porte sur un des
éléments de l’état que le Doyen CARBONNIER appelait des « vérités historiques »255, c’est-
à-dire qui n’ont pas, en eux-mêmes, vocation à évoluer durant l’existence de la personne, à
savoir la date et le lieu de naissance et, précisément, le sexe, auquel il est classiquement
accordé un « fort pouvoir discriminant »256.
Dès lors, en l’espèce, la seule possibilité d’obtenir la modification de cet élément
n’est pas sans risque, ce d’autant qu’ainsi qu’il l’a été dit, cette modification est accordée
sur la base d’éléments peu objectifs.
255
J. CARBONNIER, op. cit.
256
F. ZENATI-CASTAING et T. REVET, op. cit.
114
Au demeurant, il pourra être noté que ces torsions juridiques ont des répercussions
plus globales sur l’exigence de sécurité juridique, qui en ressort nécessairement affaiblie.
257
J. ROCHFELD, Les grandes notions de droit privé, op. cit., p 40.
258
J. HAUSER, « Transsexualisme : prouver ou simplement vouloir ? » : RTD Civ. 2012. 502.
115
152. Une incidence inattendue – Il est enfin une dernière incidence, assez
inattendue, des nouvelles dispositions relatives au changement de sexe sur le terrain de
l’exigence d’identification des personnes.
Au préalable de l’exposé de cette incidence, il y a lieu de rappeler que l’action aux
fins de modification de la mention du sexe à l’état civil n’est, en vertu des dispositions des
articles 61-5 et 61-6 du Code civil, ouverte qu’à la personne présentant une identité de
genre non conforme au sexe mentionné sur son état civil, et à personne d’autre 259.
Or, il peut être fait la fiction d’un individu se trouvant dans cette situation, et
exposant à la société les manifestations d’une identité de genre contraire au sexe mentionné
sur son état civil, mais qui, pour des raisons diverses, ne souhaiterait pas agir aux fins de
faire modifier son état.
Dans la mesure où, avec le temps, la société va nécessairement s’habituer à ce que
ce soit l’identité de genre qui commande le sexe mentionné à l’état civil, cet individu serait
ainsi forcément considéré comme d’un sexe civil conforme à son identité de genre, ce qui
serait faux, et vecteur d’erreurs et de difficultés d’identification.
Aussi, en ne permettant pas, en pareil cas, au ministère public d’agir, le législateur
a également fragilisé la possibilité d’identification des personnes par le truchement de l’état
civil.
153. – Il est donc constant que les atteintes portées aux principes gouvernant l’état
des personnes entraînent des répercussions pratiques d’une importance non négligeable.
C’est en effet la raison d’être de l’état civil elle-même qui est atteinte, l’identification des
individus étant rendue plus ardue.
Il convient néanmoins de nuancer l’ampleur de ces répercussions.
154. – S’il convient de relativiser l’ampleur des incidences décrites sur l’exigence
d’identification des personnes, c’est parce que la modification de l’état est particulièrement
encadrée (§1).
Par ailleurs, à l’aube du troisième millénaire, l’identification des individus est bien
plus efficacement permise par d’autres moyens que les éléments de l’état civil (§2).
259
Cf. supra, §44.
116
§1 : Une modification de l’état sertie de garanties
260
Cf. supra, §16.
261
Art. 61-7 C. civ.
117
mémoire de la modification opérée, ainsi que du sexe de naissance du requérant, par le jeu
des inscriptions en marge.
Il doit toutefois être rappelé que la conservation de la mémoire du changement de
l’état est susceptible de s’étioler sur les actes de l’état civil du conjoint, ainsi que sur ceux
des enfants, la loi permettant que la modification de l’état du requérant n’y apparaisse
pas262.
158. – Les nouvelles dispositions ont ainsi prévu des garanties permettant de limiter
amplement les risques réels de fragilisation de l’identification des personnes.
Au demeurant, cette identification peut aujourd’hui procéder d’autres moyens.
§2 : L’identification 3.0
262
Sur ce point, cf. supra, §134.
263
J. ROCHFELD, Les grandes notions de droit privé, op. cit., p 45.
264
Sur ce point, V. M. SZTULMAN, « La biométrie saisie par le droit public. Etude sur l’identification et la
localisation des personnes physiques », Thèse de doctorat en droit, sous la direction de X. BIOY, Université
Toulouse I Capitole, 2015.
118
160. Le Petit Poucet et les données personnelles – Par ailleurs, lorsque ce ne sont
pas des traces physiques (empreintes palmaires, traces ADN, etc.) que laisse l’homo sapiens
dans sa version 2018, celui-ci sème inexorablement des traces numériques comportant des
données personnelles permettant de l’identifier. Ce phénomène est si important que le
législateur européen s’est emparé de la question afin de dessiner une protection minimale
de ses données265.
La vie numérique des individus étant de plus en plus importante, ce mode
d’identification a de beaux jours devant lui.
Il doit être à ce propos noté qu’afin de faciliter les démarches officielles en ligne,
l’Etat s’est doté d’une plateforme unique d’identification numérique des personnes 266,
intitulé France Connect. Ainsi, les identifiants numériques utilisés sur la plateforme
numérique des finances publiques, tout comme ceux utilisés afin d’accéder à l’espace
dématérialisé de l’assurance maladie, permettent de s’identifier sur toute une série de
plateformes officielles afin d’effectuer diverses démarches.
Il doit en être nécessairement conclu que les éléments classiques de l’état civil sont
rudement concurrencés en leur dimension identificatrice.
162. Conclusion du Chapitre II – Les atteintes portées aux caractères de l’état des
personnes par les nouvelles dispositions régissant la modification de la mention du sexe à
l’état civil n’apparaissent pas neutres ; elles contribuent à affecter la stabilité de l’état civil.
Néanmoins, il ne peut être occulté que le législateur a tenté de préserver au mieux
l’intégrité de cet état, en assortissant sa modification de garanties notables.
Par ailleurs, si ces dispositions sont de nature à altérer l’identification des personnes,
tant du fait même du changement d’état qu’elles accompagnent que des conditions à
satisfaire pour l’obtenir, cela apparaît compensé par l’avènement de nouveaux modes
265
V. Règlement UE 2016/679, dit règlement général sur la protection des données (RGPD).
266
V. http://franceconnect.gouv.fr/
119
d’identification fiables, et insensibles aux apparences, que constituent les identifications
biométrique et numérique.
120
Titre II : L’essor d’un état civil identitaire
165. – Une subjectivisation de l’état civil s’est opérée à la faveur d’une déprise de
l’Etat sur le corps de l’individu (Section 1). En l’absence de prise sur le corps, c’est donc
la volonté qui se retrouve à dicter les contours de l’appréhension des personnes par l’état
civil. Néanmoins, la nature de cette volonté interroge. Il semble qu’elle ne soit souvent que
façade (Section 2).
267
M. FOUCAULT, Surveiller et punir, 1975.
121
Cet enfermement symbolique du corps se donne particulièrement à voir en matière
de transsexualisme, où, ainsi qu’il l’a été dit, on a pendant longtemps enfermé les
transsexuels dans la photographie originelle faite par l’état civil de leur corps, sous le
prétexte qu’ils se trouvaient eux-mêmes prisonniers de leurs propres corps, et qu’il ne
revenait pas au juge de corriger cela.
La consécration de l’identité de genre (§1), emportant la fin de l’exigence de
stérilisation (§2), signent ainsi une déprise attendue de l’Etat sur les corps des individus.
167. Le temps révolu du corps élément du débat judiciaire – Comme il l’a été
exposé268, pendant longtemps, la modification de la mention du sexe à l’état civil était
subordonnée, notamment, au diagnostic du syndrome transsexuel, qui ne pouvait être
effectué que par voie d’expertise. Ainsi, étaient balayés les documents médicaux produits
par le demandeur, les juges exigeant que des constatations soient faites par un tiers neutre.
Dès lors, le corps se trouvait être un élément du débat judiciaire, susceptible d’être
décrit, analysé, commenté.
Ainsi, étaient précisés à la juridiction269 : la vêture du sujet, sa coiffure, sa taille, sa
corpulence, son port de lunettes, sa pilosité, son « infiltration graisseuse », les données de
son bilan cardio-vasculaire, la physionomie de ses mamelons, l’état de l’appareil génital
externe (taille de la verge, aspect du gland, résultat de la palpation des scroti) et l’aspect de
sa marge anale.
Si pour répondre aux transsexuels qui se plaignaient de l’atteinte à leur intégrité
résultant de telles expertises, M. l’avocat général SARCELET a pu répondre que ce serait « le
cas de toute expertise judiciaire exigée pour déterminer l’existence d’un dommage corporel
et son évaluation, dès lors qu’elles font devoir à l’expert commis d’un examen
corporel »270, force est toutefois de constater que le commun des rapports d’expertise
médicale ne comporte pas – et c’est heureux ! – ce lot de détails, au demeurant inutiles pour
la plupart (autant de précisions n’est pas nécessaire pour conclure à l’irréversibilité ou non
de la modification corporelle, et, en tout état de cause, la nature de la masse graisseuse
présentée par le demandeur ne sera pas au juge d’une grande aide pour statuer !).
268
Cf. supra, §56.
269
Exemple de rapport d’expertise, ANNEXE VII.
270
Avis de M. l’avocat général SARCELET, op. cit.
122
En réalité, ces précisions indécentes illustrent l’idée que l’Etat détient un pouvoir
sur le corps de l’individu, et que, si celui-ci souhaite obtenir une modification d’un des
éléments de son état, la société est en droit de porter atteinte à son intégrité corporelle aux
fins de constater cette modification.
169. La fin d’une mutilation imposée – Non content d’attenter à l’intimité du sujet,
l’ancien régime jurisprudentiel de la modification de la mention du sexe à l’état civil portait
une atteinte plus grave encore à l’intégrité du corps en imposant aux personnes trans
souhaitant obtenir ce changement de subir une mutilation.
En effet, en exigeant l’irréversibilité du processus de changement de l’apparence,
les juges souhaitaient pouvoir constater une stérilisation de la personne, afin d’être assurés
qu’elle ne puisse plus procréer dans son sexe de naissance. Si la mutilation pouvait être
physique, par l’ablation des organes génitaux au terme d’une opération de réassignation
sexuelle, elle pouvait être aussi chimique, en étant la résultante d’un traitement hormonal
prolongé.
Il a été vu à quel point la cessation de cette exigence d’irréversibilité était
problématique sur le terrain de la filiation ; elle pose des questions fondamentales,
soigneusement évitées par le législateur.
Toutefois, si ce-dernier s’est abstenu de les traiter, il est manifeste qu’il en avait
bien connaissance, ainsi qu’en attestent les débats parlementaires.
271
Art. 61-6 al. 3 C. civ.
123
Dès lors, il a sciemment, et malgré les incidences considérables que cela est
susceptible d’avoir, fait le choix de privilégier le respect des droits des individus sur une
impérativité, certes attentatoire aux corps, mais qui aurait eu le mérite d’éviter un
bouleversement en profondeur du régime de la filiation naturelle. C’est alors dire à quel
point la déprise de l’Etat sur le corps des individus est en marche !
272
« Volonté ». Dictionnaire Larousse, 2018.
124
dimension rationnelle est nécessairement caractérisée dans l’acte de revendication qu’il
pose, et ce quand bien même sa demande s’avèrerait mal-fondée.
273
Cf. supra, §40 et suivants.
274
Cf. supra, §11.
275
A. ANDRONIKOF-SANGLADE, « La représentation de soi : un concept fécond pour la psychologie clinique
et projective », in Bulletin de la Société française du Rorschach et des méthodes projectives, La représentation
de soi, n° 34, 1990, p. 12.
125
En premier lieu, il apparaît que la représentation de soi passe par un « sentiment »,
soit un concept aux antipodes de l’attitude rationnelle.
En deuxième lieu, il en ressort qu’elle se nourrit d’expériences vécues, ainsi que des
perceptions que l’on en a eues.
En troisième lieu, il semble que ces perceptions, qui provoquent chez le sujet des
sentiments, sont comparées à des éléments tant extérieurs aux sujets (les attentes de la
société), qu’intérieurs à lui-même (ses propres idéaux, sans doute façonnés de façon
semblable).
Aussi, s’il y a une place pour la volonté, c’est seulement à la fin du processus que
l’on peut l’entrapercevoir : elle se situe au stade où le sujet analyse ses perceptions et
sentiments au regard des attentes de l’extérieur comme de ses propres idéaux. L’individu
doit donc décider où il place le curseur entre le conformisme et la singularité. Ce faisant, il
est déjà passé dans l’étape d’après, celle de la revendication, puisque de cette équation va
dépendre l’identité qu’il souhaite opposer à autrui.
Au bilan, il semble que la volonté n’intervienne qu’à l’issue du processus psychique
d’élaboration de l’identité, au moment où elle est extériorisée et revendiquée, mais pas
avant. Il apparaît en effet que l’individu n’a pas la maîtrise de grand-chose dans la phase
antérieure ; il est guidé par ses sens.
276
J. HAUSER, « Transsexualisme : prouver ou simplement vouloir ? », op. cit.
126
identificateur de l’état civil décroît que cette déprise de l’Etat sur le corps des individus est
rendue possible.
Partant, les éléments objectifs de l’état civil, descriptifs de la personne, tendent à
s’effacer au profit d’éléments subjectifs, correspondant à la représentation que la personne
se fait d’elle-même, dans une logique identitaire.
Dans cette situation, la détermination du degré d’influence laissé à la volonté de
l’individu dans ce processus conduisant à l’auto-détermination est particulièrement
importante ; il s’agit en effet de rechercher jusqu’où l’individu à la main mise sur son
identité.
Il semble que le mécanisme conduisant l’individu à se faire une représentation de
lui-même, correspondant à l’identité dont il est convaincu de relever, laisse peu, voire pas,
de place au libre arbitre, à la volonté de l’individu.
En revanche, la volonté retrouve toute sa place dès qu’il s’agit d’extérioriser cette
identité, en la revendiquant.
Il convient donc de rechercher jusqu’à quel point l’individu est admis à opposer à
la société son autonomie personnelle.
127
128
Chapitre II : L’ordre public face à l’autonomie personnelle
177. – La rencontre de deux cultures juridiques – Il a été souvent dit que les
évolutions qu’ont connues les droits des transsexuels ont eu pour prémices une
jurisprudence de la CEDH, devant laquelle soit le juge interne, soit le législateur, ont lâché
du lest.
Le droit national et le droit issu de la Conv. EDH relèvent de deux cultures
juridiques différentes, même si le second influence de plus en plus le premier.
Le droit national a longtemps été légicentré et descendant, à croire qu’il a, comme
toutes les institutions françaises, subi les influences du jacobinisme. Cette descendance du
droit national s’illustre par le fait qu’il est fortement teinté d’impérativité : la loi édictée par
l’Etat descend vers les citoyens auxquels elle s’applique. Et lorsqu’il y a une ascendance,
des citoyens vers l’Etat, elle prend rarement une autre forme qu’une forme revendicatrice,
afin que l’Etat, par l’outil normatif, concède une réforme du droit positif.
Quant aux normes, elles s’inscrivent dans une structure verticale, pyramidale, chère
à Hans KELSEN. Elles ne sont pas en compétition entre elles, elles sont ordonnées,
hiérarchisées.
S’agissant du système juridique dans lequel évolue la CEDH, s’il s’abreuve des
traditions juridiques dites civiles, latino-romaines, dans lesquelles le droit national s’inscrit,
il est également influencé par la common law. Or, le rapport aux normes apparaît différent
en common law, « pour les juristes de tradition anglo-saxonne, la législation est perçue
comme étant une précision de la toile de fond préexistante qu’est la common law et doit
donc être interprétée restrictivement. En droit civil, les codes et textes de loi doivent plutôt
recevoir une interprétation large qui permette l’accomplissement du dessein du
législateur. »277 (nous soulignons). C’est ainsi surtout le rapport à l’impérativité de la loi
qui diffère, étant bien moins forte en common law.
Ce métissage de traditions juridiques a conduit la CEDH à dégager des méthodes
de vérification juridictionnelle qui peuvent apparaître singulières au juriste classique
français.
277
J. CHARBONNEAU-DUFRESNE, « La common law est-elle ordre ou désordre ? », Publication de
l’Association du Barreau canadien, division du Québec, 18 avril 2017, [en ligne] URL :
https://www.abcqc.qc.ca/Publications-Resources/Articles/2017-(1)/2017-04/La-common-law-est-elle-ordre-
ou-desordre#_ftn5.
129
En effet, si le juge français opère selon un syllogisme, en rappelant la règle de droit,
qui est interprétée si besoin est, en la confrontant à la situation de l’espèce, puis en
tranchant, le juge du Conseil de l’Europe raisonne différemment.
Le syllogisme ne lui est pas inconnu, puisqu’il commence, après avoir examiné si
nécessaire la recevabilité de la requête, par rechercher si la situation qui lui est déférée entre
dans le champ d’un droit protégé par la convention. Ce faisant, il raisonne de façon
syllogistique puisqu’il confronte le champ matériel de la disposition invoquée avec la
situation de fait, avant de trancher. C’est toutefois sur l’étape d’après que l’approche
diffère.
En effet, il ne s’agit pas simplement pour la CEDH de constater l’atteinte à un droit,
mais de rechercher si l’ingérence des autorités publiques dans l’exercice de ce droit apparaît
comme justifiée, parce qu’elle se trouve, s’agissant par exemple du droit au respect de la
vie privée et familiale, être « prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales,
à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d'autrui »278 (nous soulignons).
C’est là le fameux contrôle de proportionnalité, qui fait couler beaucoup d’encre
dans la doctrine interne, quelles que soient les positions279. Quoi que l’on en pense, il
semble peu contestable que l’on ne puisse raisonner de la même manière lorsque l’on
applique une norme précise, immédiatement effective, et lorsque l’on apprécie la violation
d’un droit fondamental, qui consacre en réalité une valeur, donc nécessairement
évanescente, et ainsi impossible à transposer directement, sauf à considérer que toute
entorse à cette valeur constitue une violation des droits fondamentaux, auquel cas, à peu
près tous les textes normatifs internes devraient être considérés comme inconventionnels.
Le contrôle de proportionnalité conduit en effet à un affrontement de valeurs, arbitré
par le juge, dont l’office est ainsi amplement transformé.
278
Art. 8 al. 2 Conv. EDH
279
V. pro : H. FULCHIRON, « La Cour de cassation, juge des droits de l'homme ? » : D. 2014. 153 ;
contra : F. CHENEDE, « Des dangers de l'équité au nom des droits de l'homme (à propos de la validation
judiciaire d'un mariage illégal) » : D. 2014. 179.
V. aussi, le point de vue judiciaire : B. LOUVEL, « Réflexions à la Cour de cassation » : Dalloz actualité [en
ligne], 25 juin 2015.
130
178. – Dès lors, en l’espèce, il convient d’arbitrer le conflit sous-jacent, sur
l’ensemble des questions qui ont été traitées, entre l’ordre public et l’autonomie personnelle
(Section 1). De cet arbitrage dépendront à n’en point douter de nouvelles revendications en
matière d’état des personnes (Section 2).
179. – Ainsi s’opposent ordre public et autonomie personnelle. Deux notions dont
l’approche s’avère périlleuse (§1), mais qui ont pourtant tant à se dire (§2).
A) L’ordre public
182. L’impérativité – C’est parce qu’est en jeu l’intérêt général que la norme,
assortie d’un caractère d’ordre public, est impérative, de sorte que l’on ne doit pas pouvoir
y déroger par la volonté individuelle. En effet, ainsi que l’expose le Vocabulaire juridique
280
J. HAUSER, « Ordre public et bonnes mœurs », in Répertoire de droit civil, Dalloz, 2015, §1.
281
J. CARBONNIER, Droit civil : les biens, les obligations, PUF, 2004, n° 984, p. 2037.
131
de l’association Henri CAPITANT, l’ordre public recouvre un « ensemble de principes, écrits
ou non, qui sont au moment même où l’on raisonne considérés dans un ordre juridique
comme fondamentaux et qui, pour cette raison, impose d’écarter l’effet, dans cet ordre
juridique, non seulement de la volonté privée mais aussi des lois étrangères »282.
Par cette définition, est introduite la notion dérivée de conception française de
l’ordre public international qui permet, dans les hypothèses où, en application des règles
de droit international privé, une loi étrangère doit être appliquée ou une décision de justice
reconnue, d’écarter ces manifestations du droit étranger, du fait d’une incompatibilité forte
de valeurs. La loi française reçoit alors application, dans une manifestation de l’impérativité
inhérente à l’ordre public.
Toutefois, ainsi que le relève le Professeur HAUSER283, si l’impérativité est inhérente
à l’ordre public, toute loi impérative ne relève pas de l’ordre public. En effet, le législateur,
manifestant son dirigisme, peut décider du caractère impératif d’une norme, à laquelle il ne
pourra donc être dérogé, sans pour autant qu’elle s’inscrive nécessairement dans les valeurs
fondamentales entraînant, per se, la qualification d’ordre public ; en résumé, si la loi
impérative ne résiste pas toujours aux changements de majorités parlementaires, l’ordre
public, lui, y survit en principe, sauf bris de jurisprudence, ainsi que notre objet d’étude en
donne une illustration.
282
G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 2018.
283
J. HAUSER, « Ordre public et bonnes mœurs », op. cit., §4.
132
Par ailleurs, quelle que soit la nuance que l’on donne à l’intérêt général, avec
l’impérativité, on protège en dirigeant, et on dirige pour protéger.
Au demeurant, s’agissant de notre objet d’étude, c’est l’ordre public classique, de
protection, qu’il convient de retenir ; aucune action positive n’est en effet classiquement
attendue de la personne, si ce n’est qu’elle est priée de vivre paisiblement avec son état
civil, qui, naturellement, est impératif, ainsi que cela a été décrit au travers du principe de
l’indisponibilité284.
184. – L’ordre public confère donc à la norme qu’il accompagne une sorte
d’inamovibilité normative, dans la mesure où celle-ci n’est pas susceptible de dérogations,
et ce, en raison de valeurs, considérées comme fondamentales.
L’importance conférée aux valeurs ; là est sans doute un des rares points communs
existant entre l’ordre public et l’autonomie personnelle.
B) L’autonomie personnelle
284
Cf. supra, §121 et suivants.
285
D. ROMAN, « “Le corps a-t-il des droits que le droit ne connaît pas” ? La liberté sexuelle et ses juges :
étude de droit français et comparé » : D. 2005. 1509.
286
M. FABRE-MAGNAN, « Le sadisme n’est pas un droit de l’homme (CEDH, 17 février 2005, K. A. et A. D.
c/ Belgique) » : D. 2005. 2974.
287
M. LEVINET, « La notion d’autonomie personnelle dans la jurisprudence de la cour européenne des droits
de l’homme » : Droits 2009/1 (n° 49), p. 3-18.
133
de l’identité physique et sociale d’un individu, notamment le droit à
l’autonomie personnelle, le droit au développement personnel et le droit
d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde
extérieur (Pretty, arrêt précité, § 61), recouvre également le droit au respect
des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent. »288 (nous soulignons).
187. – Ainsi, il est peu de dire qu’ordre public et autonomie personnelle répondent
de logiques distinctes et semblent difficilement conciliables. Pour autant, c’est à quoi doit
s’employer toute « société démocratique »293.
288
CEDH, 7 mars 2006, Evans c. Royaume-Uni, n° 6339/05, §71.
289
CEDH, Pretty c/ Royaume-Uni, 29 avril 2002, req. n° 2346/02, §62.
290
CEDH [GC], I. c/ Royaume-Uni, 11 juillet 2002, req. n° 25680/94, §70 ; CEDH [GC], Christine Goodwin
c/ Royaume-Uni, 11 juillet 2002, req. n° 28957/95, §90.
291
Arrêt Christine Goodwin, préc., §82.
292
H. HURPY, « L’identité et le corps » : La Revue des droits de l’homme [En ligne], 8 | 2015, mis en ligne
le 18 novembre 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://revdh.revues.org/1601
293
Cf. art. 8 §2 de la Conv. EDH : pour être proportionnelle, et ainsi convenable, l’ingérence de l’autorité
publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale de l’individu doit paraître justifiée « dans une
société démocratique » par l’un des objectifs listés par la disposition.
134
notions répondent – en tout cas en surface – de deux logiques distinctes : à l’ordre public
l’intérêt général, à l’autonomie personnelle l’intérêt particulier.
Par ailleurs, ils semblent également avoir des objectifs totalement opposés : pour
l’ordre public l’impérativité de la règle, pour l’autonomie personnelle la dérogation à cette
même règle lorsqu’elle contrarie les projets de développement de l’individu.
Il faut donc que l’une ou l’autre de ces notions fasse un pas vers l’autre, voire que
chacune cède du terrain, sous peine d’entrer dans une stérile guerre des tranchées entre,
d’un côté, les défenseurs de la légalité, et de l’autre, les amoureux des libertés.
294
P.-L. REY, « Le pari démocratique d'Albert Camus » : Revue d'histoire littéraire de la France, 2006/2
(Vol. 106), p. 271-284.
135
elle-même est contestable, parce qu’enserrée dans une hiérarchie de normes venant garantir
le respect de principes absolus.
Partant, ordre public et autonomie personnelle sont tous deux indispensables à la
société démocratique.
En effet, si, sans ordre public, la norme édictée par la majorité n’est pas assurée de
recevoir application, sans autonomie personnelle, la minorité n’est pas assurée d’être
protégée de tout risque d’oppression de la majorité.
Il faut donc concilier l’un et l’autre, et dès lors, s’en tenir aux atteintes aux libertés
proportionnellement acceptables.
136
Or, précisément, le fait que la norme soit « nécessaire à la sécurité nationale, à la
sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention
des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d'autrui » est de nature à lui conférer un caractère d’ordre public.
Dès lors, l’autonomie personnelle fait un pas vers l’ordre public.
Toutefois, ce caractère d’ordre public doit, en l’espèce, apparaître nécessaire « dans
une société démocratique » ; c’est-à-dire qu’il ne doit pas constituer une oppression inutile
de la minorité.
Cette fois-ci, c’est l’ordre public qui fait un pas vers l’autonomie personnelle.
295
Cass. Civ. 1, 4 décembre 2013, P 12-26.066.
137
193. – En matière d’état des personnes, l’autonomie personnelle sera sûrement
encore souvent opposée à l’ordre public, pour de nouvelles revendications.
194. – Les âpres controverses auxquelles conduit la mention du sexe à l’état civil
peuvent interroger sur la nécessité de conserver une telle mention (§1). Sans aller jusqu’à
sa suppression, il est revendiqué la reconnaissance d’un sexe neutre (§2).
296
T. HOQUET, Sexus nullus, ou l’égalité, éd. iXe, 2015.
297
Ph. GUEZ, « Faut-il supprimer la mention du sexe de la personne à l’état civil ? » : La Revue des droits de
l’homme [En ligne], 8 | 2015, mis en ligne le 21 novembre 2015, consulté le 11 décembre 2015. URL :
http://revdh.revues.org/1660
138
Cette idée est toutefois défendue298, notamment, par une frange très minoritaire de
la société que constitue le mouvement queer299, émanation du mouvement LGBT.
197. La disparition du sexe comme facteur identifiant – Par ailleurs, ainsi qu’il
l’a été exposé s’agissant des incidences, en matière d’identification des personnes, des
atteintes portées par la réforme au principe de l’indisponibilité300, du fait de la consécration
de l’identité de genre, le sexe perd son rôle de facteur identifiant de la personne, n’étant
plus nécessairement en phase avec la réalité biologique.
Par ailleurs, le sexe dépendant dès lors de l’identité de genre, donc relevant d’une
question identitaire intime, il est légitime de s’interroger sur la nécessité de son maintien à
l’état civil, à la vue de tous.
198. Une fausse bonne idée – Toutefois, nous sommes défavorable à cette idée de
suppression de la mention du sexe à l’état civil.
En effet, il y a lieu de rappeler en premier lieu, que la différenciation sexuelle a une
importance symbolique forte301, et même structurante au plan psychique.
En deuxième lieu, il a été vu l’importance de la sexuation sur le terrain de la filiation
naturelle ; notre droit n’est manifestement pas prêt à appréhender cette filiation de façon
neutre, et c’est un euphémisme que le dire !
En troisième lieu, il convient de ne pas surestimer le pouvoir performatif du langage,
de sorte qu’il ne semble pas que ce soit en supprimant la différenciation sexuelle dans le
298
V. le « Manifeste du 3e Forum international Intersexe du 1er décembre 2013 », ou « Manifeste de Malte »,
http://oiifrancophonie.org
299
Queer vient de l’anglais étrange ; il s’agit plutôt d’un terme péjoratif, d’une insulte, mais qui est détournée
par les militants qui revendiquent le terme afin de désamorcer l’insulte et, partant, l’oppression sociale.
300
Cf. supra, §150 et suivants.
301
Cf. supra, §3.
139
langage juridique que disparaîtront le sexisme et les discriminations. En effet, les
différences existent biologiquement, physiquement ; il est inutile de les nier. Il faut savoir
les regarder en face, appréhender sans tabou les discriminations et, comme tous les maux,
les attaquer à la racine.
199. – Ainsi, s’il ne semble pas qu’il faille supprimer la mention du sexe à l’état
civil, une autre revendication en la matière, plus sérieuse, nécessite une réflexion bien plus
nuancée.
201. Exposé du litige – Une personne intersexe, c’est-à-dire née avec des
caractéristiques morphologiques des deux sexes, et connue à l’état civil comme un homme,
a saisi le président du Tribunal de grande instance de Tours aux fins d’obtenir la
rectification de son état civil par la substitution de la mention « sexe neutre », ou, à titre
subsidiaire, de la mention « intersexe », à la mention « sexe masculin » figurant sur son état
civil.
302
TGI Tours, 2ème ch., 20 août 2015, RG 2015-022399 ; note J. HAUSER, « Le mystère du chevalier
d’Eon » : JCP G, n° 44, 26 octobre 2015, 1157.
140
Il précisait aussi que « la demande […] ne se heurte à aucun obstacle juridique
afférent à l’ordre public, dans la mesure où la rareté avérée de la situation dans laquelle
il se trouve ne remet pas en cause la notion ancestrale de binarité des sexes, ne s’agissant
aucunement dans l’esprit du juge de voir reconnaître l’existence d’un quelconque
« troisième sexe », ce qui dépasserait sa compétence, mais de prendre simplement acte de
l’impossibilité de rattacher en l’espèce l’intéressé à tel ou tel sexe et de constater que la
mention qui figure sur son acte de naissance est simplement erronée. » (nous soulignons).
203. L’arrêt d’appel – Ce jugement, pourtant sage, a été frappé d’appel par le
ministère public, et infirmé par arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du 22 mars 2016303, la
cour étant composée de façon mixte (présidence du premier président, présence de
magistrats de la chambre de la famille et de la première chambre civile de cette cour).
Partant, la demande de rectification a été rejetée, aux motifs :
« qu’en considération de la marge d’appréciation reconnue aux autorités
nationales dans la mise en œuvre des obligations qui leur incombent au titre
de l’article 8 de la [Conv. EDH], il doit être recherché un juste équilibre
entre la protection de l’état des personnes qui est d’ordre public et le respect
de la vie privée des personnes présentant une variation du développement
sexuel,
Que ce juste équilibre conduit à leur permettre d’obtenir, soit que leur état
civil ne mentionne aucune catégorie sexuelle, soit que soit modifié le sexe
qui leur a été assigné, dès lors qu’il n’est pas en correspondance avec leur
apparence physique et leur comportement social » (nous soulignons).
La cour en conclut, dans la mesure où l’apparence physique du requérant ainsi que son
comportement social correspond, factuellement, au sexe masculin qui lui a été assigné à la
naissance, que sa demande doit être rejetée.
303
Orléans, 22 mars 2016, RG 15/03281.
304
Cass., Civ. 1, 4 mai 2017, P 16-17.189 ;
V. commentaire pro : J. HAUSER, « Un sexe que je veux et quand je veux… mais un sexe quand même, selon
la loi » : RTD civ. 2017. 607 ;
contra : B. MORON-PUECH, « Rejet du sexe neutre : une ‘mutilation juridique’ ? » : D. 2017. 1404.
141
Pour statuer ainsi, la Cour a retenu :
« que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état
civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ;
Et attendu que, si l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par
l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans
les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire
à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément
fondateur ; que la reconnaissance par le juge d’un “sexe neutre” aurait des
répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir
de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications
législatives de coordination ;
Que la cour d’appel, qui a constaté que M. D. avait, aux yeux des tiers,
l’apparence et le comportement social d’une personne de sexe masculin,
conformément à l’indication portée dans son acte de naissance, a pu en
déduire, sans être tenue de le suivre dans le détail de son argumentation,
que l’atteinte au droit au respect de sa vie privée n’était pas
disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ; » (nous soulignons).
305
J. HAUSER, « Intersexuation : pas de sexe neutre pour l’instant... ! » : RTD civ. 2016. 318.
142
possible, afin de garantir le droit au respect de la vie privée des personnes intersexuées de
s’abstenir, exceptionnellement, de faire figurer une mention du sexe à l’état civil, si
l’identité de genre de la personne n’est ni féminine ni masculine. Toutefois, elle a jugé
qu’en l’espèce l’intimé avait bien une identité genre masculine, ayant une attitude et un
comportement social masculins, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de procéder, dans son cas,
à un tel effacement exceptionnel de la mention du sexe sur son état civil.
Quant à la Cour de cassation, à dire vrai, on a du mal à saisir sa position.
En effet, elle commence par dire que l’on ne peut pas faire figurer l’indication à
l’état civil d’un autre sexe que masculin ou féminin, censurant ainsi la position de première
instance, mais laissant planer un doute sur la validité de la motivation d’appel : peut-on ne
pas mentionner de sexe à l’état civil ?
Le doute est d’autant plus fort que les juges du Quai de l’Horloge concluent à la
proportionnalité de l’atteinte au droit au respect de la vie privée, dans la mesure où les juges
d’appel ont « constaté que M. D. avait, aux yeux des tiers, l’apparence et le comportement
social d’une personne de sexe masculin, conformément à l’indication portée dans son acte
de naissance ». Qu’en aurait-il été s’il en avait été autrement ?
143
se trouvant dans aucun cas d'incapacité ou d'incompatibilité énumérés par les deux articles
suivants”. […] »306.
Toutefois, il apparaît tomber sous le sens que dans la mesure où l’on introduirait,
afin de garantir le droit au respect de la vie privée, un « sexe neutre », il devrait être jugé
que les personnes présentant ce « sexe neutre » ont les mêmes droits que les personnes
présentant un sexe masculin ou féminin. Au demeurant, la même difficulté se montre si
l’on efface, pour les personnes intersexuées, la mention du sexe à l’état civil.
207. Des précédents en droit comparé – Il doit être par ailleurs noté qu’un sexe
neutre a pu être reconnu dans des pays non lointains du nôtre. C’est en effet le cas en
Allemagne où, à la suite d’une décision de la Cour constitutionnelle ayant fait modifier en
ce sens l’acte de naissance d’un requérant, le gouvernement est en passe de faire adopter
par le Bundestag un texte de loi reconnaissant le sexe neutre307.
De même, aux Pays-Bas, une décision judiciaire a accédé à une demande du même
type d’une personne intersexuée308.
208. – Il y a fort à parier que l’arrêt de rejet de la Cour de cassation ait donné lieu à
une saisine de la CEDH. Toutefois, au regard de l’absence de consensus sur cette question
entre les Etats européens, il est très douteux que les juges strasbourgeois osent trancher la
question dans le vif, sans doute renverront-ils à la marge nationale d’appréciation.
Ce serait reculer pour mieux sauter, car la question se reposera.
Sans doute qu’en s’abstenant de se positionner clairement sur la position adoptée
par la Cour d’appel d’Orléans d’effacer exceptionnellement la mention du sexe à l’état
civil, la Cour de cassation a également souhaité ne pas brusquer les choses, et se laisser du
temps, tout en espérant peut-être que le législateur viendrait légiférer sur la question ; le
projet de loi annoncé sur l’AMP, qui traitera ainsi nécessairement de questions relevant de
l’état des personnes, pourrait être une occasion.
Pour ce qui nous concerne, nous ne serions pas défavorable à la reconnaissance, y
compris par voie prétorienne, d’un « sexe neutre ». En effet, la solution des juges orléanais
de préférer un sexe effacé nous apparaît en contradiction avec la nécessité sociale de
présenter une sexuation, fût-elle neutre.
306
Rapport de Mme la conseillère référendaire Rachel LE COTTY, affaire n° Q1617189.
307
« Nouvelle étape pour la reconnaissance d’un ‘troisième genre’ en Allemagne », Le Monde, 15 août 2018.
308
« Les Pays-Bas font un pas vers la reconnaissance d’un ‘troisième sexe’ », Le Monde, 28 mai 2018.
144
Quant aux répercussions pratiques avancées par la Cour de cassation, elles
n’apparaissent pas insurmontables, surtout eu égard à la nécessité pour les personnes
intersexuées d’être reconnues comme elles sont.
Nous rejoindrons par ailleurs le premier juge en ce qu’il considérait que « la rareté
avérée de la situation dans laquelle [se trouvent les personnes intersexuées] ne remet pas
en cause la notion ancestrale de binarité des sexes ».
« Nous sommes, sans doute, plus raisonnables (...) que nos pères ;
mais le sommes-nous tout à fait ? Ne nous reste-t-il pas encore un
peu de barbarie, quand nous condamnons un hermaphrodite à opter
entre les deux sexes : ainsi que dirions-nous d'une Nation de
cyclopes, qui ferait crever un œil à tous ceux de notre espèce qui
tomberaient entre leurs mains ? »309
309
G. ARNAUD DE RONSIL, « Dissertation sur les hermaphrodites », in Mémoires de chirurgie, avec quelques
remarques historiques sur l'état de la médecine et de la chirurgie en France et en Angleterre, J. Nourse,
Londres, 1768, p. 318, cité par P. Graille, Les hermaphrodites au XVIIe et XVIIIe siècles, Les belles lettres,
2001, p. 129.
145
En effet, les revendications identitaires de l’individu, qui découlent d’une
manifestation de sa volonté individuelle, sont prises en compte par l’Etat, qui recule, et
lâche prise sur le corps du sujet.
Autre signe de l’essor de l’état civil identitaire, la transformation de l’ordre public,
vieille, mais fonctionnelle, institution, qui apprend à partager la ligne de front avec les
droits fondamentaux garantis, notamment, par les conventions internationales, et, en cette
matière, avec la notion d’autonomie personnelle. La place, considérable, prise par cette
notion prétorienne, allégorie de l’individualisme, en ce qu’elle consacre le droit à l’auto-
détermination, termine de convaincre de ce qu’est bien survenue une identitarisation de
l’état des personnes.
211. Conclusion de la PARTIE II – L’état des personnes n’a pas été épargné par les
réformes législatives qui se sont succédé depuis qu’est perceptible l’aube du troisième
millénaire. A chaque fois, la doctrine s’affole, brandissant les caractères classiques de cet
état, et regrettant les atteintes qui y sont systématiquement portées.
Dès lors, et au regard des débats incandescents qui s’annoncent, tant sur le cœur de
l’état civil, où la question de l’intersexualité ne tardera pas à ressurgir, qu’à sa périphérie,
où l’on aperçoit déjà pointer la question d’une réforme de la filiation naturelle, n’est-il pas
venu le temps, non des rires et des chants, mais d’une profonde et renouvelée réflexion sur
la théorie de l’état civil ?
A l’heure de la biométrie, du numérique et des revendications identitaires et
individualistes, que signifie pour l’Etat identifier les personnes et les recenser, et comment
doit-il y procéder ?
Le juge va-t-il pouvoir longtemps colmater les brèches, ajuster à la marge et jongler
avec les principes ? Qu’il le fasse avec les cas marginaux, cela s’entend, c’est précisément
sa mission, mais ne sommes-nous pas face à une remise en question systématique et globale
de l’ancestrale institution de l’état des personnes ?
146
CONCLUSION GENERALE
147
Cette preuve est rapportée par le truchement d’une possession d’état, le requérant
établissant se faire connaître et être connu conformément à ce qu’il prétend être.
Ainsi, le législateur a mis l’état civil à la disposition de la personne.
215. Des interrogations – Quoi que l’on pense de cette nouvelle et inédite
appréhension législative du transsexualisme, il est particulièrement regrettable – et c’est un
euphémisme que de le dire – que le législateur se soit abstenu d’anticiper les difficultés tant
pratiques que théoriques posées par les nouvelles dispositions.
Ainsi, les transsexuels pouvant procréer dans leur sexe de naissance après avoir
obtenu la modification de leur état civil, de sérieuses difficultés vont se présenter sur le
terrain de la filiation, la filiation naturelle étant construite sur un schéma parental
biologique et, partant, exclusivement hétérosexuel.
Au-delà du modèle de la filiation adoptive, qui n’apparaît pas optimal, le juge va
donc devoir innover pour permettre tant aux parents qu’aux enfants de voir leur filiation
établie.
Il nous apparaît que les règles régissant la filiation naturelle doivent être aménagées,
au besoin par le juge, au moyen d’un contrôle de proportionnalité effectué sur le fondement
de l’article 8 de la Conv. EDH, afin que puissent être établies les filiations biologiquement
réelles des parents trans, et ce dans le rôle parental – paternel ou maternel – conforme à
leur identité de genre, telle que mentionnée, après modification, sur les actes de leur état
civil.
S’agissant des retentissements théoriques, pas un des caractères régissant l’état des
personnes ne ressort indemne du passage de la loi. A bien y regarder, cette réforme amplifie
un mouvement théorique déjà amorcé : si l’état civil d’identification s’affaiblit, on assiste
à l’essor d’un état civil identitaire, porté par la notion d’autonomie personnelle.
Quel(s) rapport(s) l’Etat entretiendra-t-il demain avec les personnes physiques ?
Si une évolution en faveur de l’individualisme se dessine, quelle place sera faite à
l’espace commun ?
Gageons que demain saura nous surprendre.
148
Bibliographie
I. Ouvrages généraux
B) Ouvrages juridiques
I
III. Encyclopédies
A) Chroniques
a. Chroniques juridiques
P. AUFIERE, « Les prénoms changent, les lois aussi… Le choix des transsexuels » : AJ
Famille, Juillet-Août 2017, p. 388 – 389.
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REYNIER et F. VIALLA (dir.), Les assises du corps transformé, Regards croisés sur le genre,
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des droits de l’homme [En ligne], 8 | 2015, mis en ligne le 21 novembre 2015, consulté le
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M. LEVINET, « La notion d’autonomie personnelle dans la jurisprudence de la cour
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2011.
C. NEIRINCK, « Les caractères de l’état civil », in L’Etat civil dans tous ses états, LGDJ,
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S. PARICARD, « Une libéralisation du changement de sexe qui suscite des interrogations
majeures » : AJ Famille, 2016, p. 585.
S. PARICARD, « Vers un droit spécial de la filiation ? » : D. 2018. 75.
II
D. ROMAN, « “Le corps a-t-il des droits que le droit ne connaît pas” ? La liberté sexuelle et
ses juges : étude de droit français et comparé » : D. 2005. 1509.
B) Notes de jurisprudence
V. Jurisprudence
A) Cour de cassation
IV
Cass., Civ. 1, 5 juillet 2017, P 16-16.901 et 16-50.025.
Cass., Civ. 1, 7 mars 2018, P 17-70.039.
B) Cour d’appel
C) Première instance
CEDH, 25 mars 1992, n° 13343/87, France ; JCP 1992. II. 21955, note T. GARE.
CEDH, 22 avr. 1997, n° 21830/93, X, Y et Z c/ Royaume-Uni.
CEDH, Pretty c/ Royaume-Uni, 29 avril 2002, req. n° 2346/02.
CEDH [GC], I. c/ Royaume-Uni, 11 juillet 2002, req. n° 25680/94.
CEDH [GC], Christine Goodwin c/ Royaume-Uni, 11 juillet 2002, req. n° 28957/95.
CEDH, 7 mars 2006, Evans c. Royaume-Uni, n° 6339/05.
CEDH, 10 mars 2015, n° 14793/08, Y. Y. c/ Turquie ; RDSS 2015. 643, note S. PARICARD.
CEDH, 2 juin 2015, n° 22037/13, Canonne c/ France.
CEDH, 6 avril 2017, n° 79885/12, 52471/13 et 52596/13, A.P., Garçon et Nicot c/ France.
E) Conseil constitutionnel
V
Décision du Conseil constitutionnel n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016.
F) Juridictions étrangères
VI. Législation
B) Droit français
a. Lois
Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe.
Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
b. Décrets et règlements
c. Circulaires
C) Conventions internationales
VI
Convention internationale relative aux droits de l’enfant (dite convention de New-York) du
26 janvier 1990.
D) Droit étranger
A) Documentation judiciaire
Rapport de M. le conseiller MASSIP (ANNEXE V), sur l’arrêt Cass., Civ. 1, 21 mai 1990, P
88-12.829.
Conclusions de M. Michel JEOL, Premier avocat général près la Cour de cassation, 1992,
(ANNEXE VI), sur l’arrêt Cass., ass. plén., 11 décembre 1992, P 91-11.900.
Avis de M. l’avocat général Dominique SARCELET, affaire n° Y1122490 (arrêt Cass., Civ.
1ère, 7 juin 2012, P 11-22.490).
Avis de Mme la Première avocate générale Cécile PETIT sur les affaires n° M1211949 et
E1114515 (arrêts Cass., Civ. 1ère, 13 février 2013 (2 arrêts), P 11-14.515 et 12-11.949).
Rapports de Mme la conseillère référendaire Rachel LE COTTY sur les affaires n°
M1211949 et E1114515 (arrêts Cass., Civ. 1ère, 13 février 2013 (2 arrêts), P 11-14.515 et
12-11.949).
Rapport de Mme la conseillère référendaire Rachel LE COTTY sur l’affaire n° Q1617189
(arrêt Cass., Civ. 1, 4 mai 2017, P 16-17.189).
Rapport de Mme la conseillère référendaire Rachel LE COTTY sur l’affaire n° F1770039
(arrêt Cass., Civ. 1, 7 mars 2018, P 17-70.039).
B) Autre documentation
CNCDH, Avis sur l’identité de genre et sur le changement de la mention du sexe à l’état
civil, 27 juin 2013.
Rapport du Commissaire aux droits de l’homme : « Droit de l’homme et identité de genre »,
Conseil de l’Europe, 2009.
Conseil d’Etat, Rapport annuel 2006.
Conseil d’Etat, « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », Etude
à la demande du Premier ministre, 28 juin 2018.
Décision cadre du Défenseur des droits, en date du 24 juin 2016, n° MLD-MSP-2016-164,
relative à la modification de la mention du sexe à l’état civil, p. 17.
European Union Agency for Fundamental Rights, Being Trans in the European Union :
Comparative Analysis of EU LGBT Survey Data, 2014.
VII
Rapport de la Haute autorité de santé, « Situation actuelle et perspectives d’évolution de la
prise en charge médicale du transsexualisme en France », 2009.
HALDE, délibération 2008-190 du 15 septembre 2008.
OMS, Eliminating forced, coercive and otherwise, involuntary sterilization : an
interagency statement, p.7, consultable via :
www.who.int/reproductivehealth/publications/gender_rights/eliminating-forced-
sterilization/en/ [consulté le 29/10/17], publié en mai 2014.
VIII
Index
A G
Altérité sexuelle, §3 Genre, définition, §10
Altérité sexuelle, porosité, §4
AMP, §79 I
Apparences, §69 Identification, §159 s.
Assistance éducative, §35 Identité de genre :
Autonomie personnelle, §185 s. - définition, §11
- consécration, §19, 131
B - notion juridique, §12
Biométrie, §159.
J
C J21, §18, 25
Capacité, §48 JAF, §36
CEDH, §17, 177 Jurisprudence, §14, 15, 52 s., 85 s.
CNCDH, §16, 42
Consentement libre et éclairé, §40 s., 173 L
Contrôle de proportionnalité, §188 s. Loi du 17 mai 2013, §76
Corps, §166 s.
M
D Mariage, §72
Défenseur des droits, §16 Mineurs, §26 s.
Droit comparé, §20, 32, 100, 110, 207
N
E Nullité de fond, §29
Emancipation, §37
Etat civil : O
- définition, §13 Ordre public, §180 s.
- caractères, §117 s.
- identification, §150 s. P
- immutabilité, §120, 125 s., 133 s. Possession d’état, §59 s., 140, 142
- imprescriptibilité, §136 s. Prénom, §38
- indisponibilité, §120, 121 s., 130 s.
- indivisibilité, §134 R
- stabilité, §146 s. Réassignation sexuelle, §8
- suppression de la mention du sexe,
§195 s. S
Etat des personnes (V. « Etat civil ») Sécurité juridique, §145
Expertise judiciaire, §56, 167 Sexe neutre, §200 s.
Stérilisation, §55, 169
F
Filiation adoptive, §78 T
Filiation et transsexualisme : Transgénérisme, §9
- données du problème, §73, 81 s. Transidentité, §9
- propositions de solution, §94 s. Transsexualisme
- conflit de filiations, §77 - définition, §5
IX
- médicalisation, §7, 57, 68, 130
- pathologisation, §6
Tutelle, §45
V
Volonté, §174
X
Table des matières
SOMMAIRE ........................................................................................................................... ix
INTRODUCTION ..................................................................................................................... 1
............................................................................................................................................ 29
XI
Section 1 : Les données du problème .................................................................... 71
Chapitre I : D’un état civil photographie à un état civil miroir ............................... 121
Bibliographie........................................................................................................................ I
Index ..................................................................................................................................IX
ANNEXES .......................................................................................................................... XV
XIV
ANNEXES
Les documents, anonymisés, annexés ci-après sont issus des archives personnelles de
Maître Pierrette AUFIERE ; ils sont joints à ce travail avec son autorisation.
XV
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
XXIII
XXIV
XXV
XXVI
XXVII
XXVIII
XXIX
XXX
XXXI
XXXII
XXXIII
XXXIV
XXXV
XXXVI
XXXVII
XXXVIII
XXXIX
XL
XLI
XLII
XLIII
XLIV
XLV
XLVI
XLVII
XLVIII
XLIX
L
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LII
Fait à Toulouse, le 23 août 2018.
LIII