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MÉMOIRE DE MASTER 1
« Economie et Gestion du Développement Durable »
Parcours Économie
Sous la direction de
DENIS BOUGET
REMERCIEMENTS
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION 4
CONCLUSION 79
ANNEXES 84
BIBLIOGRAPHIE 100
3
INTRODUCTION
4
L’idée d’un revenu inconditionnel versé à tous n’est pas nouvelle.
Effectivement, Vanderborght et Van Parijs (2005) soulignent qu’elle est déjà présente
dans les écrits de l’anglais Thomas Paine (1737-1809) qui prône le versement d’une
modeste dotation forfaitaire ainsi qu’une pension de retraite à tous les hommes et
femmes d’âge adulte. L’idée continue à apparaître de manière plus ou moins régulière
tout au long du XVIIIème et XIXème siècle. Pour ne citer que quelques exemples, elle est
défendue par Thomas Spence (1750-1814), Charles Fourier (1772-1837) ou Joseph
Charlier (1816-1896) qui formule la première proposition d’allocation universelle pour
l’Europe.
Au XXème siècle il existe deux moments clé pour le développement de l’idée qui
nous occupe. Premièrement, aux États Unis, le prix Nobel Milton Friedman, un des
pères intellectuels du néolibéralisme, propose en 1962 l’instauration d’un impôt négatif
(mesure qui, nous le verrons, peut être assimilée à l’allocation universelle même si
quelques différences subsistent). L’impôt négatif est vu comme un moyen de rendre
plus simple le système d’aides et transferts sociaux et de réduire l’intervention de
l’État. Toujours aux États-Unis des années 60, James Tobin, aussi prix Nobel mais
éloigné des postulats néolibéraux friedmaniens, défend une véritable allocation
universelle qu’il baptise demogrant. En tout état de cause, ces deux idées tombent dans
l’oubli tout au long des années 70. Ce n’est qu’en 1986 lors de la création du Basic
Income European Network (BIEN) où on a mis en relation tous les défenseurs
européens de l’idée que le débat sur l’allocation universelle fut relancé. C’est ainsi que
l’idée d’allocation universelle se dessine en atteignant un relatif consensus pour la
définir comme « un revenu versé à tous sur base individuelle, sans contrôle des
ressources ni exigence de contrepartie » (définition du BIEN, cf. Bibliographie en fin
d’ouvrage).
L’allocation universelle se définit comme une mesure très ambitieuse quant à ses
objectifs qui, par conséquent, nous ouvre un grand éventail de possibilités en ce qui
concerne son étude et ses répercussions. Cela étant, nous avons décidé de cibler notre
analyse sur la relation entre allocation universelle et travail. Notre but est donc de traiter
les impacts qu’une allocation universelle aurait sur les différentes activités qui
composent le concept de travail et plus particulièrement sur le travail rémunéré -activité
sur laquelle les économistes ciblent le plus souvent leur analyse. Ce choix nous apparaît
pertinent car c’est dans le domaine du travail que l’allocation universelle pose un certain
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nombre d’interrogations qui doivent être élucidées. En effet, l’idée semble contenir
quelques postulats implicites extrêmement provocateurs en ce qui concerne la place du
travail dans notre système économique et de protection sociale. Parfois elle provoque
même une interrogation face aux effets désincitatifs qu’elle pourrait avoir en ce qui
concerne l’offre de travail.
On pourrait nous reprocher qu’il est inutile de traiter une problématique comme
la relation entre allocation universelle et travail si on ne démontre pas la faisabilité
économique de cette mesure. Certes, la question du financement de l’allocation
universelle a une grande importance mais nous sommes aussi d’accord avec
l’économiste espagnol Daniel Raventós qui nous dit que « s’il n’existe pas des bons
fondements normatifs (…) il n’est pas nécessaire de dépasser l’étude technique de sa
viabilité » (Raventós, 2002 : 25-26). Autrement dit, si on montre que l’allocation
universelle peut avoir des effets positifs, on aura intérêt à étudier les moyens de la
mettre en place. Notre tâche sera donc de montrer dans quelle mesure l’allocation
universelle est capable de donner des réponses satisfaisantes aux problèmes qui se
posent concernant le travail ainsi qu’aux critiques qui lui sont adressées dans ce
domaine (non respect du principe de réciprocité, manque d’incitations au travail, etc.).
Nous sommes conscients que notre analyse admet deux limites. Il existe d’abord
le problème de l’instabilité et de la complexité de l’environnement étudié, or cette limite
est inhérente à toutes les recherches dans le domaine des sciences sociales. En effet,
l’analyse des impacts d’une mesure jamais appliquée (sauf pour le cas peu extrapolable
de l’Alaska Permanent Fund) doit prendre en compte une grande quantité d’information
et d’interactions extrêmement complexes. Raventós (2001) nous apprend qu’il est
impossible de traiter des processus qui dépassent un certain plafond d’information qui
est appelé limite de transcomputabilité (ce plafond a été démontré et quantifié par le
physicien allemand H. J. Bremermann). De ce point de vue, on ne peut pas fournir des
réponses définitives pour la plupart des questions posées sans données empiriques
découlant de la mise en place d’une véritable allocation universelle. Telle est la
première limite insurmontable à laquelle on doit faire face. Quoi qu’il en soit, il est clair
que ces questions constituent un des principaux défis auxquels le chercheur en
économie est confronté. En effet, on doit se rapprocher de la réalité avec des outils
d’approximation forcément imparfaits et simplificateurs tout en ayant un objet d’étude
(l’homme et les relations humaines) très complexe et imprévisible. Par conséquent, il
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est au lecteur d’évaluer le degré de pertinence, d’exhaustivité et d’objectivité des
aspects que l’on traitera et des réponses fournies.
Une fois traité la relation entre allocation universelle et le travail dans une
conception large, la troisième partie offrira une analyse des impacts de cette allocation
sur un type de travail bien précis c’est à dire le travail rémunéré (plus concrètement on
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verra l’impact qu’elle aura sur l’offre de travail rémunéré). Ainsi, le chapitre 5 présente
les différentes opinions concernant les effets de l’allocation universelle sur l’incitation
au travail. On verra que la réponse à une telle question est moins intuitive de ce qui peut
paraître quand on prend en compte des facteurs tels que les trappes à chômage.
Finalement, le Chapitre 6 analyse les possibilités de flexibilisation du travail ainsi que
les effets sur les salaires et le pouvoir de négociation des travailleurs qui pourraient
découler de la mise en place d’une allocation universelle.
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PREMIERE PARTIE
9
« (…) versez chaque mois à chaque citoyen une somme
suffisante pour couvrir les besoins fondamentaux d’un
individu vivant seul. Versez-la lui qu’il travaille ou qu’il
ne travaille pas, qu’il soit pauvre ou qu’il soit riche (…).
Faites tout cela et puis observez ce qui se passe. »
Collectif Charles Fourier (cité dans Vanderborght et Van Parijs, 2005 : 24)
Chapitre 1
L’allocation universelle
Il existe un grand nombre de manières d’appeler l’idée d’un revenu de base
cumulable et inconditionnel versé à tous les membres d’une société. Allocation
universelle, revenu minimum garanti, revenu d’existence, dividende social, revenu de
base, revenu citoyen… sont quelques unes des dénominations existantes selon l’idée
qu’ont à l’esprit les différents défenseurs de cette mesure. Il faut souligner que cette
hétérogénéité conceptuelle est étroitement liée aux différentes caractéristiques
constitutives de ce revenu de base. Dans cette étude, la dénomination utilisée sera celle
la plus répandue en français, c'est-à-dire, « allocation universelle ».
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sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie ». Cette définition a la vertu de
présenter les traits fondamentaux de l’allocation universelle en restant suffisamment
générale pour traiter des différences qui se posent devant l’étude des propositions plus
concrètes.
1.1.a. Un revenu…
Ce revenu doit être versé d’une manière périodique (une fois par semaine, une
fois toutes les deux semaines, mensuellement…). A l’opposé de cette conception, on
trouve la proposition de Thomas Paine ou d’Ackerman et Alstott qui proposent une
sorte de dotation universelle; autrement dit, un versement unique fait à la majorité.
Même si on peut envisager des formules qui rapprochent cette dotation universelle de
l’allocation universelle (par exemple en plaçant la dotation de telle manière qu’elle
donne des rentes périodiques avec une valeur actualisée équivalente à celle de
l’allocation), les différences restent suffisamment grandes (cf. Vanderborght et Van
Parijs 2005 ; et Pateman, 2005) et on retiendra ici les versements réguliers comme
caractéristique la plus répandue. On a parfois justifié cette décision en soulignant que de
cette manière on protège l’individu face au risque de gaspillage que pose l’inexpérience
(voire, l’irresponsabilité) des jeunes (Van Parijs, 1996a ; Vanderborght et Van Parijs,
2005). La logique de ce raisonnement est simple : Pourquoi la vieillesse devrait-elle
pâtir de ces folies de jeunesse ? Un revenu versé chaque mois permet donc de s’assurer
contre ce risque.
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Bien évidemment, l’implantation d’un tel revenu pose quelques questions : quel
sera son montant ? Doit-il s’ajouter aux dispositifs sociaux déjà existants ou, par contre,
doit-il les substituer entièrement ? Il n’existe pas d’unanimité pour répondre à ces
questions.
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proposent de tels plans de revenus garantis inconditionnellement pourraient, mais en
général ne le font pas, les proposer comme des substituts complets des transferts
conditionnels déjà existants. Par exemple, la plupart d’entre eux veulent maintenir (…)
la sécurité sociale à la charge de l’État et les plans de compensation d’handicapés qui
complémentent le revenu inconditionnel».
« Une allocation universelle est par définition versée par une communauté
politique et donc financée par des ressources publiquement contrôlées » (Vanderborght
et Van Parijs, 2005 : 29). Malgré la possibilité d’une allocation universelle gérée à
l’échelle mondiale, défendue par certains, on considère le plus souvent son implantation
au niveau de l’Etat comme la possibilité la plus faisable et réaliste (cf. Van Parijs,
2002b). Néanmoins, il existe des modèles alternatifs à l’Etat nation comme cadre
d’application de l’allocation universelle. Voyons quelques exemples.
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1.1.c. …à tous ces membres, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni
exigence de contrepartie
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les place clairement au dessus (cf. Annexe 1 pour une présentation graphique et plus
formelle qui utilise les concepts présentés au Chapitre 2). Notons que, de ce point de
vue, le mécanisme le plus efficient est celui du revenu minimum [cf. §2.1]). On peut
opposer à ce constat le fait que le transfert universel peut s’avérer être un outil plus
efficace contre les inégalités que le revenu minimum (Creedy, 1996).
- Le fait que l’allocation universelle soit complètement cumulative avec les autres
revenus de la personne élimine le problème de la trappe du chômage (cf. §5.2) :
tous les travaux « paient » immédiatement.
Par conséquent il peut être préférable pour les plus démunis que les riches
perçoivent l’allocation universelle.
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à coup sûr supérieur au montant d’une allocation universelle modeste (Van Parijs 2003,
Vanderborght et Van Parijs 2005).
Malgré le fait qu’il s’agisse d’un cas extrêmement particulier, le cas de l’Alaska
Permanent Fund mérite notre attention en tant que seul exemple pratique actuelle
d’allocation universelle d’après notre définition précédente.
Les conditions d’application sont tout à fait singulières : L’état d’Alaska (Etats-
Unis) présente une économie fortement basée sur l’exploitation du pétrole. De plus, le
gouvernement a enlevé en 1980 les impôts sur le revenu et l’impôt sur la vente et tous
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les revenus gouvernementaux proviennent essentiellement des redevances des
compagnies pétrolières.
Les redevances payées par les compagnies pétrolières ont donc deux destins : la
dépense gouvernementale ou l’investissement dans le fond qui rapportera des
dividendes. Le gouvernement de l’Alaska est contraint à placer dans le Permanent Fund
au moins le 25% des recettes des redevances payées par les grandes compagnies
pétrolières installées sur le territoire.
Le calcul pour la répartition des dividendes est très simple : il suffit de prendre
les 10,5% des rendements du Permanent Fund pendant les cinq dernières années et les
diviser par le nombre total de bénéficiaires. Il n’y a aucun type de contrôle de ressources
ou exigence de prestation de travail : les bénéficiaires sont tous les résidents légaux en
permanence sans distinction d’âge ni de temps de résidence. Les personnes incarcérées
pour un crime majeur (viol, meurtre…) perdent leur droit à toucher l’allocation
universelle.
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1.3. Une proposition œcuménique ?
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Chapitre 2
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Figure 1. Revenu minimum garanti conventionnel
Revenu
net
T
B C
a Revenu brut
On voit que les efforts redistributifs dans notre exemple sont concentrés sur les
revenus au-dessus du seuil a. En effet, tous les individus avec un revenu brut inférieur à
a reçoivent un transfert qui les place au niveau B (droite BC). Les individus au-delà de
a sont contribuables nets. Ainsi, la droite de revenu des contribuables nets (CT) est
placée en dessous de la bissectrice, autrement dit, en dessous de ce qui serait son revenu
en cas d’absence de redistribution (dans ce cas le revenu brut serait égale au revenu net).
On est en mesure d’exprimer de manière générale les revenus nets (z) sous un tel
dispositif (Creedy, 1996) :
Où :
zi = Revenu net de l’individu i.
yi = Revenu brut de l’individu i.
a = Seuil fiscal (revenu brut à partir duquel on passe de bénéficiaires à contribuables).
t = Taux d’imposition sur le revenu
En France, le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) est un bon exemple du
mécanisme qu’on vient de décrire. Bien évidemment, notre explication utilise un certain
nombre d’hypothèses simplificatrices qui l’écartent légèrement des applications
pratiques. En effet, laissant de côté l’hypothèse plus générale d’absence d’autres
dépenses étatiques, on a considéré qu’il n’existe pas une modulation en fonction de la
taille du ménage. Dans la réalité, comme l’on a déjà vu, les dispositifs tels que le RMI
prennent en compte les économies d’échelle de la vie en couple en réduisant le transfert
par tête pour deux bénéficiaires vivant ensemble. De la même manière, le graphique
suppose le financement de cette mesure à travers un impôt linéaire sur le revenu (avec
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un taux constant qu’on a appelé t). Dans la réalité, on peut avoir recours à un impôt
progressif mais cela ne changerait pas les conclussions de notre analyse.
D’après cela qu’on a vu, on est en mesure de repérer quelques différences entre
un dispositif de revenu minimum tel que le RMI et l’allocation universelle :
- Deuxièmement, la figure 1 expose un problème qui peut passer inaperçu pour les
non initiés aux questions de la fiscalité : il s’agit des taux marginaux
d’imposition. En effet, les dispositifs tels que le RMI sont qualifiés de
différentiels étant donné que leur but n’est que de pourvoir la différence entre le
revenu de l’individu et le revenu minimum. Cela veut dire que toute
augmentation « x » du revenu, impliquera une réduction « x » du transfert dont
on bénéficie. C’est pour cela qu’on dit que la taxation marginale est de 100% :
pour chaque euro qu’on gagne tout en restant au dessous du seuil a, on perd un
euro du RMI. Ce phénomène aura des implications importantes quand on
étudiera les incitations au travail (cf. §5.2.a). L’allocation universelle, de son
côte, n’a pas ce problème : elle est cumulative, autrement dit, chaque euro gagné
ne fait pas diminuer le montant perçu de l’allocation universelle.
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propositions où l’allocation universelle ne serait perçue qu’à partir de la majorité
tandis que d’autres pensent que même ceux qui n’ont pas atteint la majorité
peuvent la percevoir (dans la plupart de cas d’un moindre montant).
Figure 2. Impôt négatif sur le revenu et allocation universelle avec impôt linéaire
Revenu
net
C
A
B
O
a
Revenu brut
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proportionnelle à chacun si la différence entre la base imposable et le transfert est
positive. Autrement dit, il s’agit simplement d’un système ou le taux d’imposition sur le
revenu est constant (impôt linéaire) avec un transfert accordé pour chacun: quand les
impôts dus sont inférieurs au transfert accordé, on reçoit la différence, c'est-à-dire, on
bénéficie d’un impôt négatif.
Plus formellement, le revenu net sous un système d’impôt négatif sur le revenu
est donné par l’expression (Creedy, 1996) :
Où :
zi = Revenu net de l’individu i.
yi = Revenu brut de l’individu i.
a = Seuil fiscal (revenu brut à partir duquel on passe de bénéficiaires à contribuables).
t = Taux d’imposition sur le revenu.
On entend souvent que Friedman est un des précurseurs modernes de l’allocation
universelle : cela est dû à la confusion entre l’idée de l’impôt négatif est celle
d’allocation universelle. En effet, les similitudes ne sont pas négligeables : dans un
cadre d’allocation universelle financée à travers un impôt linéaire, la répartition du
revenu serai exactement celle de la Figure 2. Néanmoins, il n’est pas insensé de prendre
l’impôt négatif sur le revenu « à la Friedman » comme une sorte de version libérale
d’allocation universelle. De ce point de vue, la seule différence est l’ampleur de cette
dernière (Piketty, 2004). À l’inverse, Van Parijs (2002a) souligne quelques différences
importantes subsistantes qu’il faut maintenant évoquer.
zi = b + yi – t·yi (4)
Où :
zi = Revenu net de l’individu i.
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yi = Revenu brut de l’individu i.
b = Allocation universelle.
t = Taux d’imposition sur le revenu.
On note que, quand b = a·t, les équation (3) et (4) sont équivalentes.
Pour les défenseurs de l’allocation universelle le paiement ex-ante n’est pas une
différence banale : un système tel que celui de l’impôt négatif présuppose un lourd
calcul préalable pour transférer à chaque ménage au-dessous du seuil fiscal (a dans la
figure 2) le montant auquel il a le droit. On doit mettre en œuvre un mécanisme
bureaucratique conséquent pour assurer que ces ménages à bas revenu bénéficieront du
transfert. Cela est d’autant plus vrai qu’on peut penser que les bénéficiaires de cet impôt
négatif ont vraiment besoin de ce revenu pour pourvoir à leurs besoins les plus basiques.
Le pari de l’allocation universelle est clair : « donnons à tous et ajustons par l’impôt »
(Van Parijs, 1996b : 10). Pas besoin donc de subir des lourds coûts administratifs de
contrôle des revenus.
La deuxième différence tient au fait que l’impôt négatif est appliqué dans la
plupart des cas en prenant le ménage comme bénéficiaire tandis que l’allocation
universelle est payée sur une base strictement individuelle. Ainsi, même si la
distribution des revenus était identique avec les deux systèmes, le paiement individuel
de l’allocation universelle est censé bénéficier aux femmes dépendantes
économiquement de leur mari. En effet, « [l’impôt négatif sur le revenu] a tendance à
octroyer à celui qui a le revenu le plus élevé au moins une partie du crédit d’impôt de
son copain qui a un revenu moindre ou nul » (Van Parijs, 2002a : 49).
On observe donc que, malgré les similitudes quant au résultat redistributif, les
partisans de l’allocation universelle réussissent à mettre en relief la spécificité de l’idée
face à l’impôt négatif.
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2.3. Le crédit d’impôt
Variante de l’impôt négatif sur le revenu, le crédit d’impôt introduit aux Etats-
Unis en 1975 sous la dénomination d’Earned Income Tax Credit (EITC), est devenu
pendant les dernières décennies « l’élément central du paysage fiscalo-social
américain » (Piketty, 2004 : 104). Même si ce dispositif n’est pas en mesure par lui-
même d’assurer un revenu minimum à tous les travailleurs (cf. figure 3), il a été conçu
pour des raisons similaires à celles qui sont souvent invoquées pour défendre
l’allocation universelle, à savoir renfoncer les incitations d’entrée au marché de travail
pour les bas revenus et améliorer la situation financière des travailleurs les plus
démunis. La France a adopté en 2001 un dispositif très similaire appelé Prime Pour
l’Emploi (PPE). Même si notre analyse est plutôt ciblée sur ce qu’on peut appeler le
dispositif phare dans le domaine des crédits d’impôt (l’EITC), les avantages et
problèmes qu’on va traiter sont tout à fait applicables à la PPE française.
Le mécanisme de l’EITC est illustré par la figure 3 : lors de la phase d’entrée les
bénéficiaires reçoivent un transfert qui augmente proportionnellement avec leur revenu
jusqu'à atteindre un premier seuil nommée y1. Ensuite, lors de la phase de plateau -entre
y1 et y3- le transfert est proportionnel au revenu brut gagné pour décroître entre y3 et y4
et, finalement, s’annuler lors de la phase de sortie quand le revenu brut est supérieur ou
égal à y4. On perçoit de cette manière une première différence entre le crédit d’impôt et
les autres allocations : avec un système comme l’EITC une augmentation du revenu
entraîne une augmentation du transfert, tandis qu’avec le revenu minimum garanti ou
l’impôt négatif la situation est contraire : plus on gagne, plus le transfert se réduit.
Revenu
net
O
y1 y2 y3 y+ y4
Revenu brut
Source : Vanderborght et Van Parijs (2005 : 44)
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Il est clair que si on veut garantir un revenu minimum B dans la Figure 3, il faut
ajouter un dispositif extra pour tous les travailleurs pour lesquels le revenu brut est
inférieur à y2. Le crédit d’impôt par lui-même n’est pas capable d’assurer ce niveau de
revenu net pour tous. La combinaison d’un tel dispositif de revenu minimum avec le
crédit d’impôt peut être considéré comme un modèle prometteur de transition vers
l’instauration d’une allocation universelle (Vanderborght et Van Parijs, 2005). Il s’agit
de la stratégie adoptée par les Pays-Bas quand, en 2001, on a substitué une « réduction
d’impôt universelle » (algemene heffingstkorting) à l’ancien système du crédit d’impôt
forfaitaire. La nouveauté réside dans le droit « des conjoints sans emploi de personnes
au travail redevables d’impôt (…) au versement du montant du crédit universelle (…)
sans avoir aucunement à prouver qu’ils cherchent un emploi ou exercent une activité
d’utilité sociale » (Vanderborght et Van Parijs, 2005 : 95, nous soulignons ; cf. aussi
Blais et. al., 2001 : 112-114). Cet exemple illustre la faisabilité d’un passage d’un
système régi par le crédit d’impôt à une situation hybride entre l’impôt négatif et
l’allocation universelle.
Il convient toutefois de ne pas oublier que, malgré tout, l’idée du crédit d’impôt
par elle-même diffère de celle de l’allocation universelle. Ainsi, même si tout comme
l’allocation universelle le crédit d’impôt est censé permettre d’améliorer la situation des
travailleurs aux revenus les plus bas, Van Parijs (2003) remarque que l’avantage de
l’allocation universelle consiste à donner accès aux travailleurs aux postes les plus
« précieux ». De son point de vue cela serait possible grâce à la hausse du pouvoir de
négociation (cf. §6.2.b). D’ailleurs, une autre des différences la plus remarquable
concerne l’application restreinte du crédit d’impôt aux foyers dans lesquels au moins
une personne travaille (ceci étant vrai pour l’EITC et pour la PPE) : il s’agit donc d’un
transfert conditionnel. Finalement, tout comme la plupart des propositions d’impôt
négatif, il ne s’agit pas d’un transfert individuel. En général, on prend en compte la
taille du ménage pour moduler l’ampleur du crédit d’impôt auquel ont droit les
bénéficiaires.
Les différences soulignées dans ce chapitre peuvent être synthétisées dans le tableau
suivant
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TABLEAU 1 : DISPOSITIFS TRADITIONNELS ET ALLOCATION UNIVERSELLE
Revenu Crédit Impôt Allocation Revenu de
Minimum d’impôt négatif universelle participation
conventionnel pour bas sur le [Atkinson]
(RMI, etc. salaires revenu
(PPE, etc.)
Cotisation Non Non Non Non Non
préalable ?
Test de Oui Oui Oui Non Non
revenu ?
Individuel ? Non Non Non Oui Oui
Exigence de Oui Oui (travail Non Non Oui (activité
contrepartie ? (disposition à rémunéré) reconnue)
travailler)
Source : Vanderborght et Van Parijs (2005 : 48)
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DEUXIEME PARTIE
Le travail
28
« Pour beaucoup (…) [le travail est] ce que les êtres humains
doivent faire, et même subir, pour avoir de quoi subsister »
Chapitre 3
Le travail est une activité qui, logiquement, est très attachée au domaine d’étude
de l’économiste. En effet, souvent dans les modèles économiques on trouve la variable
L en représentant le facteur travail. Or, comme d’habitude, derrière cette notation
apparemment neutre se cache une importante hypothèse implicite. En effet, dans ces
mêmes modèles il y a une autre variable w (salaire) qui apparaît systématiquement
reliée à « L ». Autrement dit, quand on parle de travail en économie, on ne fait référence
qu’au travail rémunéré. Cette définition est-elle satisfaisante ? Etant donné que l’objet
de cette étude est de mettre en lumière les liens existants entre l’allocation universelle et
le travail, peut-on se contenter d’une telle définition du travail ?
D’un autre côté, les critiques de l’allocation universelle soulignent que la valeur
travail est une composante fondamentale de la vie, de la réalisation personnelle et de
l’intégration dans la société. D’après ce point de vue, l’allocation universelle oublierait
l’importance de garantir le droit au travail dont doit jouir chaque citoyen.
Quelle est la réponse des partisans de l’allocation universelle face ces attaques ?
Pour tenter de répondre à ces questions le chapitre sera structuré de la manière suivante.
On commence par définir le concept de travail (§3.1) en vérifiant qu’une définition
rigoureuse du concept élargit le travail à des activités en dehors de la sphère marchande,
telles que le bénévolat ou le travail domestique. Dans un deuxième temps on décrit les
caractéristiques d’un hypothétique secteur quaternaire d’activité qui pourrait découler
de ce développement des travaux non rémunérés (§3.2). Finalement, on analyse les
rapports entre l’allocation universelle et le droit au travail. On verra que ces rapports
sont drastiquement modifiés lorsqu’on prend en compte la re-conceptualisation du
travail ébauchée dans les sections précédentes. En effet, face à ceux qui pensent que le
droit au travail est opposé à l’allocation universelle, on verra que cette mesure peut
constituer une importante garantie à ce droit (§3.3).
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3.1. Le concept de travail
Le concept de travail dont on va se servir est celui énoncé par Raventós (2001)
qui, à son tour, l’emprunte à Van Parijs (1996a) en le modifiant légèrement. Ainsi, un
travail est défini comme « une activité qui produit un bénéfice, externe à l’exécution de
l’activité elle-même, dont les autres peuvent jouir » (Raventós, 2001 :2).
Un des avantages concernant notre définition de travail est qu’on laisse de côté
la question de l’utilité sociale du travail réalisé. On ne peut en effet pas assimiler le
travail à une activité socialement utile, par exemple dans le cas des producteurs d’armes
qui perçoivent un salaire tandis que ceux qui soignent des personnes âgées n’en
perçoivent pas toujours. Dans ces conditions et comme Raventós (2001) le souligne, le
fait de ne pas traiter la question de l’utilité sociale dans notre définition constitue plutôt
un avantage qu’un problème.
Même s’il est clair que nos sociétés sont basées sur le travail rémunéré, il n’est
pas difficile de trouver en France quelques partisans comme Gorz, Aznar, Laville ou
Lipietz d’un modèle ciblé sur des activités extra productives. L’allocation universelle
s’inscrit dans un tel courant de pensée entraînant l’idée qu’avec son instauration le
travail rémunéré perdrait une partie de sa prépondérance actuelle. Les individus auraient
donc la possibilité de se dédier aux activités qu’ils désirent même si elles n’ont pas une
rémunération de marché. Notons que cette conception de l’allocation universelle, très en
accord avec la notion de « liberté réelle » de Van Parijs (1996a), présuppose une
allocation universelle fixée au moins à un niveau égal au seuil de pauvreté de telle sorte
que la couverture des besoins les plus basiques pour vivre soit assurée.
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aurait sur chacune de ces activités. On se servira pour cela du classement que Raventós
(2001) utilise pour diviser le travail en trois catégories : travail avec rémunération dans
le marché, travail domestique et bénévolat.
Le premier type de travail -le travail avec rémunération ou emploi- est le type
majoritaire dans nos sociétés. On peut le définir comme une activité qui se réalise en
échange d’un salaire. Il faut préciser que dans cette catégorie on trouve des salariés mais
aussi d’autres travailleurs tels que les indépendants.
Etant donné que l’impact de l’allocation universelle sur ce type de travail fait
l’objet d’une analyse plus détaillée dans notre troisième partie, on se contentera de
commenter ici un des effets les plus notables relatif aux travailleurs indépendants : la
réduction vis-à-vis du risque (Raventós, 2001). En effet, les défenseurs de l’allocation
universelle considèrent qu’un tel revenu favoriserait la prise de risque des entrepreneurs
(en cas d’échec on peut toujours compter sur l’allocation universelle) et rendrait un peu
plus facile le remboursement des crédits contractés pour débuter l’activité. Néanmoins,
les études empiriques qui ont été faites sur les gagnants du Win For Life belge (loterie
qui donne le droit à percevoir un revenu individuel et inconditionnel de 1000€ par mois
à vie et qui, par conséquent, peut ressembler même imparfaitement à une allocation
universelle) mettent au jour un impact nul de ce revenu inconditionnel sur la mise en
route d’activités d’entrepreneur (Marx et Peeters, 2004). En tout état de cause, étant
donné les caractéristiques de cette étude empirique et les différences avec une allocation
universelle (les propositions d’allocation universelle sont toujours inférieures à 1000€
par mois, l’horizon temporel considéré pour évaluer les conséquences d’un tel revenu
est trop court étant donné que le Win For Life n’existe que depuis 1998, l’échantillon
n’est pas représentatif…), on ne peut pas exclure définitivement l’argument d’une plus
grande facilité pour entreprendre, découlant de l’instauration d’une allocation
universelle.
31
membres de la famille. Ces activités peuvent être substituées par des produits
marchands ou des services rémunérés quand des circonstances comme les revenus, la
situation du marché et les préférences permettent de déléguer ces services à une
personne n’appartenant pas à la famille » (Reid, 1934 ; cité dans Raventós, 2001 :13).
On retrouve dans cette définition des activités telles que le soin des personnes, le
ménage, la cuisine et les courses…
- Mesures basées sur les inputs (quantité et qualité du travail utilisé lors de la
production de biens et services). Dans cette catégorie on peut distinguer :
o Les coûts des services (critère déjà utilisé en France pour comptabiliser
dans le PIB des activités qui n’ont pas un prix de marché comme c’est le
cas des services publics).
- Mesures basées sur l’output (valeur du produit obtenu). Dans cette catégorie on
peut trouver les approches basées sur :
32
o La valeur ajoutée (valeur du produit total moins la valeur de tous les
biens intermédiaires utilisés).
Cette vision très optimiste qu’on vient de décrire doit être nuancée. En effet, les
critiques féministes à l’allocation universelle craignent un renforcement de la situation
actuelle dans le mauvais sens : enfermement des femmes dans le travail domestique,
absence d’implication du mari pour le soin des enfants… (Lerner, 2000). Cette critique
perçoit que le fait de recevoir un revenu inconditionnel et de ne pas être engagé dans un
travail rémunéré amènerait les femmes à réaliser davantage de travail domestique. En
effet, les partisans de l’allocation universelle sont obligés de reconnaître qu’il faut éviter
d’assimiler l’allocation universelle à un remède contre tous les maux sociaux (Ferry,
1996 ; Raventós, 2001 ; Pateman, 2005) : un revenu inconditionnel ne peut pas
bouleverser par lui-même les rapports de force et les structures sociales, les
déterminants de ceux-ci allant au-delà de facteurs purement économiques. L’allocation
universelle doit s’accompagner d’un compromis politique pour la mise en place d’autres
mesures qui assurent une effective égalité entre hommes et femmes dans tous le
33
domaines. L’enjeu est d’éviter le renforcement de la division sexiste du travail que
l’allocation universelle pourrait provoquer (Robeyns, 2001)
3.1.c. Le bénévolat
34
En ce qui concerne l’impact attendu d’une allocation universelle sur le travail
bénévole, les partisans de la mesure se montrent convaincus de l’impact positif du
temps consacré à de telles activités. Cela serait possible grâce à la réduction du temps de
travail dont jouiraient les personnes (cf. §6.1.b) et qui pourrait être dédié au bénévolat.
Comme dans le cas du travail indépendant et l’encouragement à la capacité
d’entreprendre, un tel effet reste dans le domaine de l’hypothétique et du probable.
Seule la mise en place d’une allocation universelle à un niveau suffisant permettrait de
vérifier la validité de cet argument. C’est au lecteur de décider du bon sens ou de la
naïveté de telles affirmations.
35
entre progrès technique et chômage est ambiguë : tandis que dans certains postes le
capital doit se substituer au travail pour maintenir la compétitivité, on peut également
envisager un scénario où l’amélioration de la productivité du travail -résultat du progrès
technique- crée des nouveaux postes (Cahuc et Zylberberg, 2001). Quoi qu’il en soit, le
secteur quaternaire vise à offrir des débouchés aux travailleurs qui peuvent être exclus
du circuit productif et à tous ceux qui désirent développer des activités socialisantes,
personnelles et en marge des activités économiquement productives. D’après tout ce que
nous venons de décrire, il est facile de repérer la grande diversité d’activités se
déversant dans le domaine du secteur quaternaire. Ferry (1996) souligne deux
caractéristiques basiques caractérisant ces activités :
- Elles sont des activités autonomes où « les agents de ces activités en sont en
même temps les auteurs » (Ferry, 1996).
C’est pour cela qu’on considère que le secteur quaternaire ne se superpose pas
aux autres trois secteurs de production classiques (il comprend activités intellectuelles et
services mais aussi celles productrices de biens comme l’artisanat). Par contre, ce
secteur est censé devenir une institution qui fait le lien entre la famille et l’Etat
(Lipietz, 1999) et dans lequel les jeunes auraient une opportunité pour développer ses
capacités créatrices et socialisantes telles que, par exemple, la création artistique. En
effet, plutôt que dans la nature industrielle ou immatérielle du travail fourni, on met
l’accent sur le renforcement du lien social, l’autoréalisation, et l’empreinte personnelle
des activités. Il est clair que, tant que ces activités se trouvent en dehors de la sphère
marchande, l’engagement à un tel modèle de société tend logiquement à demander
l’instauration d’un revenu inconditionnel permettant de se consacrer pleinement à de
telles activités si on le souhaite.
36
3.3. Allocation universelle et droit au travail
Le droit au travail prend son essor lors du consensus keynésien des trente
glorieuses où l’État est en mesure de soutenir le plein emploi en protégeant tous ceux
qui se trouvent en dehors du marché de travail. Le gouvernement pouvait, à l’époque,
garantir le plein emploi dans un contexte dominé par le développement industriel et la
production tayloriste. La modération salariale était maintenue grâce à la mise en place
de politiques redistributives et d’une offre de services publics soutenue à travers un
système fiscal progressif très solide (Miravet, 2000). Tels étaient les traits généraux,
certes rapidement énoncés, de l’âge d’or de l’État providence. C’est dans ces
circonstances que le droit au travail prend une force telle allant même jusqu’à sa
reconnaissance dans certaines constitutions comme celle de l’Espagne dans son article
35.1.
37
rémunéré et garanti par un Etat devenant employeur en dernier ressort. Notre analyse ne
traitera pas pour l’instant de la garantie du droit au travail à travers le partage du travail
(on verra ultérieurement que ce partage est en fait facilité par l’allocation universelle,
[cf. §6.1.b]) ni la possibilité d’un « workfare state » où l’État oblige à réaliser certains
travaux puisque l’instauration d’un état autoritaire ne nous apparaît pas comme la
solution la plus souhaitable au problème. Nous ne verrons donc que les raisons
économiques auxquelles se heurte un État qui essaie de garantir le droit au travail
rémunéré pour tous.
Noguera (2001) démontre les difficultés de la viabilité économique d’un tel droit
à travers l’énonciation des conditions devant être remplies par les travaux fournis.
- Tout d’abord l’auteur défend que les travaux devraient garantir plus qu’une rente
(reconnaissance sociale, amour-propre…) étant donné que, si le but n’est que de
fournir une rente, il suffirait de mettre en place une allocation universelle.
L’auteur souligne que tout cela se heurte à un premier problème : la
reconnaissance sociale est difficilement susceptible d’être garantie comme un
droit légalement établi. En effet, il existe le risque que les personnes embauchées
par un Etat devenant employeur, en dernier ressort, soient stigmatisées et
classées comme des travailleurs « de second rang ».
o Le travail fourni par l’État doit être un vrai emploi (par contraposition
aux « emploi faux» ou artificiels qui pouvaient avoir lieu dans les
économies du socialisme réel).
Le problème qui se pose est évident : quel serait le coût pour l’Etat de la mise en
place d’un programme permettant de créer une quantité suffisante de postes en accord
avec ces caractéristiques ? Le problème dépasse les coûts salariaux étant donné qu’il
38
faut prendre également en compte les coûts liés à la formation des travailleurs, les
installations, les infrastructures… et, en définitive, tous les éléments qui entourent une
relation professionnelle. Il apparaît que cette solution a de fortes chances d’être plus
onéreuse qu’un programme d’allocation universelle (Noguera, 2001).
Bien évidemment, les conditions qui ont été posées ci-dessus pour caractériser le
travail garanti sont critiquables étant donné qu’elles répondent à une approche de la
question éminemment normative. Néanmoins nous pensons que les hypothèses ne sont
pas totalement saugrenues et que, quoi qu’il en soit, le pari est clair : l’allocation
universelle ne nie à personne le droit à l’intégration sociale et à l’autoréalisation
personnelle à travers le travail. Tout simplement face à la douteuse viabilité économique
d’un droit au travail garanti par l’État et face à la difficulté de trouver des travaux
rémunérés « adéquats » pour tous, on propose l’instauration d’une allocation universelle
comme un premier pas pour garantir le droit au travail. C’est ainsi que la notion de droit
au travail est élargie à toutes ces activités qui n’ont pas une rémunération marchande.
Encore une fois, il faut souligner que nous supposons que les personnes ont le choix de
se dédier pleinement à des activités non rémunérées. Cela revient à dire que l’allocation
universelle devrait être fixée à un niveau tel qu’elle permet, au minimum, de couvrir les
besoins les plus basiques.
39
« Si un homme ne travaille pas, il ne doit pas manger »
Chapitre 4
Travail et revenu
40
4.1. La réciprocité
41
attirante pour le lecteur préoccupé par la question de la réciprocité, quelques problèmes
subsistent.
Premièrement, Noguera (2001) souligne que les limites pour fixer la contribution
en travail que chacun devrait fournir sont difficiles à définir. De plus ces limites sont
soumises à un certain caractère arbitraire. Ainsi, en poussant l’argument jusqu'au cas
extrême : pourquoi ne pas considérer que les surfers de Malibu fournissent un service
d’intérêt à la société étant donné le spectacle offert aux touristes ? D’autre part, en
pratiquant leur activité, ils contribuent pleinement à la consommation en acquérant les
biens nécessaires à la pratique de leur activité. L’allocation universelle serait ainsi
réintégrée dans le circuit économique ce qui peut s’apparenter à une relance par la
consommation.
Le deuxième problème porte sur la définition de ceux qui sont aptes pour le
travail et qui, par conséquent, sont censés contribuer à la société à travers son effort. La
réponse n’est pas tranchée étant donné que la distinction entre « aptes » et « non aptes »
pour le travail est une construction sociale soumise à des manipulations politiques
(Standing, 2005). En effet, on vérifie que dans la réalité les critères varient énormément
d’un pays à l’autre. Le cas des Pays-Bas est paradigmatique étant donné sa grande
facilité pour déclarer à une personne non apte pour le travail.
Après le constat des problèmes qui pose le revenu de participation, les partisans
de l’allocation universelle ne restent pas sur la défensive à propos du débat sur la
réciprocité et s’attaquent à démontrer un point de vue surprenant au premier abord :
l’allocation universelle ne fait que garantir le respect du principe de réciprocité. Son
argumentation se fait autour de deux grandes axes : on soulève d’abord quelques
exceptions au principe de réciprocité qui remettent en cause son application
42
systématique dans nos sociétés et, ensuite, on aborde le problème de l’exploitation des
travailleurs par les non travailleurs (cf. §4.1.a).
Une troisième exception porte sur la réalité de l’affirmation de Paul de Tarse cité
au début de cette partie : faut-il travailleur pour manger ? Etant donné que toutes les
rentes n’ont pas leur origine dans le travail rémunéré, on peut s’imaginer aisément le cas
du rentier ou de l’héritier d’une personne extrêmement riche qui peut décider de vivre
sans travailler. Autrement dit, selon Widerquist (1999), le dilemme entre travailler ou ne
pas manger ne se pose pas pour ceux qui ont des ressources externes suffisants.
L’allocation universelle solutionne cette violation du principe de réciprocité : tout le
monde est sûr d’avoir le minimum pour sa subsistance (encore une fois on suppose
implicitement que l’allocation universelle est fixée au moins au niveau du seuil de
pauvreté). Les critiques argumentent que ces ressources externes dont disposent les
rentiers ne sont pas tombées du ciel : elles doivent provenir d’un travail ou d’une
activité de coopération sociale ! Même si ce cas est envisageable, qu’est-ce que se passe
avec ceux qui peuvent vivre seulement avec les intérêts du capital hérité ? Visiblement
ils ne sont pas productifs mais par contre ils ne sont pas soumis à la contrainte de la
43
réciprocité. Cela étant, Widerquist (1999) affirme que l’allocation universelle assure la
réciprocité étant donné que tout le monde est soumis au même choix : le droit de
travailler ou de ne pas travailler. Les bénéficiaires d’une allocation universelle ne
jouissent que d’un droit qui est à la portée de tout ceux qui décident de ne pas travailler.
Dans ces conditions, dans un système avec l’allocation universelle, le fait de travailler
est une option qu’on prend volontairement : ceux qui la choisissent doivent accepter les
conséquences qui en découlent (Van der Veen et Van Parijs, 1986b).
Après avoir constaté les cas où le principe de réciprocité ne se respecte pas dans
nos sociétés, nous porterons notre attention sur la question du préjudice subit par les
travailleurs et dont profitent les non travailleurs. Toujours d’après Widerquist (1999),
pour affirmer que la mise en place d’une allocation universelle implique l’exploitation
des travailleurs par les non travailleurs (au sens ou l’effort des travailleurs finance
l’allocation universelle des non travailleurs sans que les premiers en tirent aucun profit),
quatre conditions doivent être respectées. Il suffirait juste que l’une des conditions ne
soit pas vérifiée pour que l’exploitation n’ait pas lieu :
- Il doit être nécessaire de taxer les revenus des travailleurs étant donné
l’insuffisance de l’impôt sur les ressources externes (rentes de la terre et du
capital), pour fournir les ressources nécessaires maintenant une allocation
universelle au niveau souhaité.
- Les salaires fixés par le marché reflètent parfaitement la valeur totale du travail
fourni.
- Les salaires après taxation sont moins importants dans une économie avec
allocation universelle que dans une économie où il n’y a pas. Ce point sera
44
l’objet de notre analyse quand on traitera les implications de l’allocation
universelle sur le pouvoir de négociation des travailleurs (cf. §6.3).
Widerquist (1999) reconnaît que malgré tout ce qu’on vient de voir, les
travailleurs avec les salaires plus élevés devront financer le transfert vers les non
travailleurs. En effet, il est très difficile de dessiner un système fiscal qui soit capable de
distinguer parfaitement le revenu gagné de celui qui est « tombé du ciel ». L’idéal serait
45
de financer l’allocation universelle avec ces derniers mais, comme Van Parijs (1996a) le
reconnaît, il ne faut pas rêver à une telle possibilité (au moins si on ne veut pas fixer
l’allocation universelle à un niveau dérisoire). Les salariés devraient donc contribuer,
avec le revenu de leur travail, au financement de l’allocation universelle.
D’un autre côté il subsiste d’autres problèmes à résoudre. Ainsi, Groot (1999)
souligne un dernier problème qui contribue au scepticisme concernant la justification
d’une allocation universelle. En effet, un tel revenu peut être vue comme une sorte de
subvention aux travaux non rémunérés et aux activités intensives en loisir au détriment
des activités avec une rémunération dans le marché qui, sont en plus, taxées. Il est
important de se poser la question de si d’un point de vue éthique, il est défendable de
privilégier un mode de vie particulier.
Ce problème n’est pas négligeable : tant que les doutes par rapport au respect du
principe de réciprocité existent et qu’on craint l’existence de free-riders, pouvant vivre
sans rien faire avec une allocation universelle, les défenseurs de celle-ci devront faire
face à une importante méfiance générée par cette mesure. Cette barrière intellectuelle
est un des plus grands obstacles auxquels l’allocation universelle doit faire face.
Selon les tenants de cette théorie, on serait, aujourd’hui, en train d’entrer dans un
stade ultérieur au capitalisme industriel, appelé capitalisme cognitif. Le phénomène est
donc présenté comme un résultat de l’évolution historique du système capitaliste. Cette
évolution pourrait être divisée en trois étapes successives: capitalisme mercantiliste,
capitalisme industriel et capitalisme cognitif.
46
travail devient secondaire dans le processus de production en faveur du travail
intellectuel et du savoir : la science et la technologie sont les facteurs qui jouent les
rôles principaux. C’est de cette manière que le « general intellect » marxien est présenté
comme une « intellectualité diffuse » qui est à la base du nouveau système productif.
Une première limite de la théorie vient du fait que ce concept d’intellectualité diffuse
ainsi que les raisons qui amènent à la prépondérance de la connaissance dans le
processus d’accumulation et de création de richesse restent assez flous (Hoang-Ngoc et
Tinel, 2003). On se limite à remarquer l’importance du savoir et des bien immatériels
dans cette nouvelle économie de la connaissance et de la production de biens
d’information (Boutang, 2005).
47
Tout d’abord, la généralisation de la connaissance et l’éducation contribue à la
fin du modèle familial patriarcal du « white male breadwinner ». En effet, les femmes
sont de moins en moins dépendantes du mari et acquièrent un rôle actif dans le système
productif (Monnier et Vercellone, 2006).
Deuxièmement, et ceci est plus étroitement lié à la question qui nous occupe, le
processus productif n’est pas que le résultat du temps directement dédié au travail mais
il est tributaire d’un processus préalable d’échange de connaissances et d’informations.
Cela étant, le temps de travail réel serait de moins en moins synonyme de temps de
travail productif comme c’était le cas dans le cadre fordiste décrit précédemment. En
reprenant les thèses de Marx sur ce nouveau stade du capitalisme, la différenciation
temps de travail/loisir ne serait plus pertinente étant donné que la prépondérance du
travail immatériel et intellectuel font du temps libre une des forces productives les plus
importantes à travers l’échange de connaissances et d’information (Fumagalli, 2002).
En définitive, on considère que la conception du travail doit sortir du paradigme
tayloriste pour prendre en compte l’aspect immatériel et intellectuel devenant de plus en
plus important.
Étant donné que le marché n’est pas capable de rendre compte des externalités
positives qui découlent de la connaissance comme force de production en dehors du
temps de travail direct, le système salarial traditionnel devient caduc, tout comme la
figure du salarié comme moyen d’insertion dans le marché de travail (Boutang, 2005).
La solution envisagée passe par l’instauration d’une allocation universelle.
48
contraire de celui qu’on a décrit précédemment (cf. §4.1.c). Étant donné la coopération
sociale qui est à la base de la production de connaissances, l’apport au travail de tous les
membres de la société existe déjà via la création de ce substrat commun de savoir. Ce
qui n’existe pas est une rémunération pour une telle « économie non rémunérée
forcée » (Monnier et Vercellone, 2006). Autrement dit, le système productif repose sur
une connaissance qui est le résultat de l’action de tous les membres de la société. Or, il
n’existe pas de contrepartie monétaire reconnaissant un tel apport général.
Après tout ce qu’on vient de voir, l’allocation universelle apparaît comme un
moyen de garantir l’investissement dans le savoir, tout en reconnaissant sa production
sociale ainsi que le découplage entre travail et temps de travail direct.
Bien évidemment, les thèses présentées par les tenants du capitalisme cognitif ne
font pas l’objet d’un consensus général. Pour Michel Husson (2004), l’abandon du
système fordiste en faveur d’un système où l’intelligence humaine joue le rôle principal
est loin d’être vérifié dans la réalité. L’auteur défend l’idée d’un capitalisme de type
néotaylorien « qui intègre le savoir des travailleurs dans sa puissance productive »
(Husson, 2004). On peut de plus argumenter que l’évidence empirique semble
contredire les hypothèses de base du capitalisme cognitif. En effet, la croissance actuelle
est plus intensive en travail que pendant les trente glorieuses (la théorie économie rend
compte de ce phénomène –souligné déjà dans les années 50 par le paradoxe de Leontief-
en divisant le travail en travail qualifié et non qualifié : les pays développés seraient
donc spécialisés en ces activités intensives en travail qualifié). Il existe donc des doutes
raisonnables concernant l’hégémonie de la connaissance prônée par le capitalisme
cognitif dans les économies actuelles.
49
TROISIEME PARTIE
50
« Rien, en vérité, ne pouvais être plus évident : le système
salarial exigeait impérativement l’abolition du "droit de
vivre" (…) : car, dans le nouveau régime de l’homme
économique, personne ne travaillerait pour un salaire s’il
pouvait gagner sa vie sans rien faire. »
Karl Polanyi, (1983 : 115 pour l’édition française)
Chapitre 5
Bien évidemment, le lecteur doit garder à l’esprit que, tout au long de cette
partie, l’analyse est ciblé sur le type de travail qui fait l’objet d’étude dans la plupart des
cas : le travail rémunéré. Par commodité, on parlera de « travail » pour faire référence
au travail de type rémunéré en laissant de côte les travaux domestiques ou bénévoles.
Comme on l’a déjà dit, l’économie est en mesure de nous fournir une élégante
démonstration au souci exprimé au début de ce chapitre : qui travaillera si on instaure
une allocation universelle ? Autrement dit, n’est-il pas vrai qu’avec une allocation
universelle on assisterait à une diminution de l’offre de travail ?
51
Pour aborder cette question on doit analyser les deux effets auxquels l’analyse
économique traditionnelle fait référence pour évaluer l’impact des politiques sociales
sur l’offre de travail : l’effet substitution et l’effet revenu.
L’effet revenu, par contre, nous dit que, toutes choses égales par ailleurs, une
augmentation du revenu entraîne une augmentation de la consommation des biens
normaux. Le loisir étant pris comme un bien normal, face à l’augmentation du revenu
qui découlera de la mise en place d’une allocation universelle, notre consommateur
décidera de consommer plus de loisir et, donc, de travailler moins.
52
Figure 4: Augmentation du loisir à cause de l’effet revenu
y
U2
E’
O’ U1
y1
y0
E
L L0 L1 O
Les problèmes posés par cette désincitation au travail ne passent pas inaperçus
aux détracteurs de l’allocation universelle. Ainsi l’économiste de l’école autrichienne
53
Murray N. Rothbard (1978) dénonce plusieurs problèmes en relation avec la
désincitation. Malgré qu’il analyse le cas de l’impôt négatif sur le revenu, les
conclussions qu’il tire sont applicables au cas qui nous occupe. Le problème pour
Rothbard doit être abordé non seulement d’un point de vue statique (réduction de l’offre
de travail à un moment donné) mais aussi à travers une perspective dynamique
(conséquences ultérieures de cette réduction d’offre de travail). Si beaucoup de gens, la
plupart d’entre eux appartiendront vraisemblablement aux revenus les plus bas, décident
d’arrêter de travailler ou de réduire très sensiblement leur offre de travail, le
gouvernement devra taxer plus fortement aux riches pour être en mesure de continuer à
financer les dépenses sociales (dont l’allocation universelle). Cette augmentation de la
taxation sur les riches peut à son tour amener ce segment de la population à réduire
encore plus fortement leur offre de travail. On rentre dans une dynamique perverse où, à
la limite, personne ne travaille et, donc, le système de protection sociale n’est plus
soutenable.
54
différentielle -tel que le RMI- qu’on perçoit sans travailler : le travail « ne paie pas » et
par conséquent il n’est pas attirant. Les études qui ont été réalisées montrent une
corrélation positive entre cette explication des conséquences des trappes du chômage et
le développement de mesures telles que la Prime Pour l’Emploi française ou l’EITC
américain pour favoriser le développement du travail à temps partiel (Gamel et al.,
2002). Le problème des allocations différentielles est dû aux taux d’imposition
marginaux effectifs élevés pour ceux qui passent du chômage à l’emploi. Expliquons-
nous à travers un exemple : Margot est une chômeuse qui perçoit un RMI de 500€
chaque mois. Un jour, Margot trouve un emploi à temps partiel avec un salaire de 350€
par mois. Le problème vient du fait que son RMI est une allocation différentielle que ne
vise qu’à assurer un revenu minimum (500€ dans notre exemple) et donc, quand Margot
commence à travailler, le RMI diminue de 350 €. Par conséquent, Margot continue à
gagner 500€ (350€ de son salaire et 150€ de son RMI). On dit que Margot a été soumise
à un taux marginal d’imposition de 100% étant donné que chaque euro gagné grâce à
son travail a provoqué un euro de diminution de l’aide à laquelle elle avait droit. Cela
étant, Margot a de fortes chances de faire le raisonnement suivant : « pourquoi
travailler si de toute façon mon revenu ne varie pas ? ».
Revenu
net
T
B C
a Revenu brut
55
Les personnes ont souvent des motivations différentes que celles d’ordre économique
pour décider d’accepter un travail (Ilkka, 2004). D’ailleurs, même le fait d’accepter un
travail qui ne paie pas dans un premier moment peut répondre à une logique purement
économique si l’individu pense que le fait de l’accepter peut lui donner dans le futur la
possibilité d’atteindre des postes avec une meilleure rémunération. C’est le modèle des
trappes de chômage dynamiques présenté par Laurent et L’Horty (2003).
56
équivalent de travailler que de percevoir les minima sociaux. C’est à cause de
cela que l’entreprise n’escomptera qu’une faible rentabilité en offrant le poste.
Historiquement, on trouve un exemple de baisse de la productivité du travail
comme conséquence de la mise en place de transferts différentiels lors de
l’instauration au XVIIIème siècle de la dernière législation anglaise sur la loi des
pauvres à Speenhamland (Polanyi, 2003 ; cf. §6.2.b)
57
Le deuxième facteur qui agit dans le temps et qui rend plus difficile la sortie de
la trappe du chômage est l’orientation progressive vers d’autres activités que la
recherche d’un travail rémunéré. Ce processus est le résultat du découragement
provoqué par un échec continu dans cette recherche. Dans ce sens, Van Parijs
(1996b :7) affirme que « ne fût-ce que pour survivre psychologiquement, ceux qui sont
coincés dans la trappe doivent réorienter leur conception de ce qui importe dans la vie
vers autre chose que le travail salarié déclaré ».
Faible ou nulle différence entre Insécurité et incertitude Pas d’offre des postes à faible
travail et minima sociaux rémunération
TRAPPE DU CHÔMAGE
Passage du temps
58
La figure 5 résume les mécanismes de la trappe du chômage présentés ci-dessus en
mettant en relief un aspect très important : la rétroaction entre tous les mécanismes qui
explique pourquoi au fur et à mesure que le temps passe, la trappe du chômage devient
un obstacle difficilement surmontable.
Tout d’abord le travail salarié dans ce cas paie immédiatement étant donné qu’il
n’existe aucun coût d’opportunité entre le travail choisi et l’allocation universelle.
Néanmoins, comme Piketty (2004) le souligne, si ce qu’on veut est diminuer le taux
marginal d’imposition pesant sur les bas revenus pour que les travaux « paient »
immédiatement, il suffit de permettre que des dispositifs déjà existants comme le RMI
deviennent partiellement cumulables. Il n’y a donc pas besoin de mettre en place un
dispositif qui verse un revenu aux plus riches pour ensuite prélever une quantité
supérieure à travers les impôts.
59
C’est ainsi que les défenseurs de l’allocation universelle développent leur
premier argument. En effet, avec une telle mesure, les individus qui autrement refusent
les travaux insuffisamment rémunérés dans le cas des transferts différentiels, ont de plus
fortes chances de les accepter. Donc, cet argument n’est que partiellement contrebalancé
par la possibilité de rendre le dispositif de revenu minimum partiellement cumulable tel
que Piketty le suggère. Cependant, il existe d’autres types de considérations qui
nuancent l’intérêt d’une telle diminution des taux marginaux d’imposition sur les bas
revenus. C’est le cas de la théorie de l’imposition optimale.
60
En prenant le cas d’un impôt progressif non linéaire -plus adéquat pour décrire la
réalité des systèmes fiscaux actuels dans la plupart des pays- Stiglitz (2000) signale les
trois principes basiques qui caractérisent les impôts progressifs et efficients :
1. On utilise des taux moyens d’imposition élevés face à des taux marginaux
effectifs peu élevés.
2. Le nombre de personnes soumises à des taux marginaux élevés doit être le plus
faible possible pour éviter les effets négatifs sur les incitations au travail.
D’un autre côté, l’augmentation des taux marginaux à partir d’un certain niveau
de revenu se traduit par une hausse des impôts pour les couches qui ont un revenu
supérieur à ce niveau et par une désincitation au travail pour les personnes qui sont en
dessous de ce niveau (l’accès à ce niveau « paie » moins du fait de l’élévation du taux
marginal d’imposition [Piketty, 1997]). C’est pour cela qu’on a intérêt à réduire la
quantité de personnes soumises à des taux marginaux d’imposition élevés (premier et
deuxième point ci-dessus). La mise en pratique de ce principe exigera donc que les taux
marginaux les plus élevés s’appliquent sur une couche de la population telle que la
quantité d’individus avec un revenu inférieur à celui des individus de cette couche soit
la plus réduite possible.
A partir de ces constats, on peut fournir une justification de la structure des taux
marginaux française qui est caractérisée par une forme en « U » (Piketty, 1997), c'est-à-
dire, les taux marginaux les plus élevés retombent sur les bas et les hauts revenus.
D’après ce qu’on vient de voir, ce choix est tout à fait justifié. En effet, à moins qu’on
fasse des hypothèses extrêmement optimistes sur les incitations au travail de l’allocation
universelle, la maximisation de la recette fiscale justifie un taux marginal d’imposition
61
élevé lors du passage de l’inactivité à l’emploi étant donné que la densité d’agents est
moindre chez les chômeurs que chez les actifs (cf. Piketty, 1997 et Annexe 3). Cela
étant, la forme en « U » des taux marginaux d’imposition apparaît comme la forme la
moins coûteuse à fin d’aboutir à notre objectif rawlsien : la maximisation des recettes
fiscales (on suppose que l’élasticité de l’offre de travail ne varie pas avec le revenu).
Vanderborght et Van Parijs (2005 : 96) semblent adhérer à cette idée quand ils nous
disent que « les mesures imaginées pour éviter le coût prohibitif de l’instauration d’une
allocation universelle « complète » impliquent nécessairement un profil régressif des
taux marginaux effectifs d’imposition ».
Le problème qui se pose par rapport à notre explication précédente des trappes
du chômage est manifeste. En effet, on a constaté que les taux marginaux régressifs
posaient des problèmes en ce qui concerne l’incitation au travail des individus et qu’ils
contribuaient à l’apparition des trappes du chômage ! Il apparaît que la recherche de la
maximisation au moindre coût du montant de l’allocation universelle n’est pas
compatible avec le taux marginal d’imposition libératoire pour le passage du chômage à
l’emploi. Il existerait donc une contradiction entre l’optimalité pour le financement du
transfert et l’élimination d’un des mécanismes les plus importants à la base des trappes
du chômage.
62
peut être fournie si on abandonne le principe guide rawlsien de maximisation des
transferts en faveur d’une recherche de la création du plus grand nombre d’emplois
(Piketty, 1997).
Etant donné que l’allocation universelle n’a pas d’effet de substitution (cf. §5.1),
le fait de diminuer ou non l’offre de travail dépend entièrement de l’effet revenu. Cela
étant, l’indétermination habituelle entre les effets contraires de l’effet substitution et
l’effet revenu ne se pose pas pour le cas qui nous occupe. Autrement dit, si le loisir est
un bien normal, on est sûr que l’augmentation du revenu qui découle de la mise en place
d’une allocation universelle provoque ensuite une augmentation de la consommation du
loisir, c'est-à-dire, une baisse de l’offre de travail.
63
fait que les jeunes à faible qualification présentent des difficultés d’insertion
professionnelle (on présume, donc, que les effets désincitatifs pour le travail de
l’allocation universelle se feraient sentir plus fortement chez ce type d’individus). Pour
évaluer leur comportement en termes d’offre de travail, les interrogés sont placés dans
une situation où une allocation universelle de 2000 francs par mois (environ 300€ par
mois) leur serait versée.
Les résultats de l’étude sont assez concluants : pour deux tiers de l’échantillon
(68,4%) le loisir n’est pas un bien normal au sens strict étant donné que, même avec
l’instauration d’une allocation universelle, ils continueraient à travailler (55% ne
changeraient rien et 13% différerait leur offre de travail pour améliorer leur niveau de
formation). On observe que les personnes ayant le niveau de formation le plus élevé (en
l’occurrence le baccalauréat) et travaillant à temps plein sont les moins enclines à
modifier leur comportement. Par contre, les travailleurs moins qualifiés et ceux
embauchés à temps partiel ont une plus grande tendance à diminuer leur offre de travail
avec la mise en place d’une allocation universelle. Les auteurs expliquent ce fait en
remarquant que pour le cas des travailleurs à temps partiel « la situation risque d’être
plus souvent “subie” que “choisie” » (Gamel et al., 2002 : 19). Les jeunes avec le
baccalauréat, en revanche, auraient accès à des emplois plus satisfaisants et motivants
sur le marché primaire.
64
seulement une personne a arrêté de travailler. Les auteurs soulignent que parmi le cas
des couples, les résultats sont moins transposables au cas de l’allocation universelle
étant donné les hypothèses qui sont à la base de leur étude.
65
« Les bas salaires sont pour ceux qui effectuent des tâches
pénibles, répétitives et monotones ».
John Kenneth Galbraith (2004 : 35)
Chapitre 6
66
6.1. Allocation universelle et flexibilité
67
l’allocation universelle rend plus facile le développement du partage volontaire du
travail. Cette possibilité fait l’objet d’étude dans le paragraphe suivant.
68
à réduire son offre de travail en raison de l’effet revenu qui découle de la mise en place
d’une allocation universelle. Notons que cela ne veut pas dire que les individus décident
de ne plus travailler : tout simplement ils réduisent leur journée de travail en permettant
de cette manière le partage du travail. Les défenseurs de l’allocation universelle sont
convaincus que ce mécanisme est plus efficace que les mesures coercitives qui visent à
imposer le partage du travail.
Quand on parle des effets de l’allocation universelle sur les salaires il est
habituel de se rapporter à l’article fondateur de Van der Veen et Van Parijs (1986). Dans
cet article, les auteurs prévoient que la mise en place d’un tel revenu inconditionnel
entraîne l’augmentation de la rémunération des travaux les plus désagréables tandis que
les salaires des travaux gratifiants diminuent. Cela étant, le maintien de la réalisation
des tâches les plus déplaisantes est rendu possible grâce à l’augmentation de leur
rémunération. Effectivement, sans cette augmentation, on peut penser que l’introduction
d’une allocation universelle inciterait les individus à ne plus effectuer les travaux les
plus ingrats et les moins rémunérateurs. Quant aux tâches excessivement désagréables
qui ne sont pas réalisées même si leur rémunération augmente, certains auteurs
suggèrent comme solution des options plus élaborées et empruntées aux démocraties de
la Grèce classique. On propose ainsi d’avoir recours au tirage au sort pour décider des
personnes qui réaliseront ces travaux (Raventós, 2001).
69
produits qui résultent d’activités désagréables, provoquant ainsi une réduction de sa
valeur réelle et une perte de pouvoir d’achat chez le consommateur. Encore une fois, il
est clair que nous raisonnons dans l’abstrait. Néanmoins, sans résultats empiriques sur
les effets inflationnistes de l’allocation universelle, on ne peut pas évaluer la pertinence
de cette critique. De plus les produits peuvent être le résultat de plusieurs travaux
(agréables et désagréables) dont les salaires sont intégrés dans leur prix. Étant donné
que l’allocation universelle a des effets contraires sur les salaires (augmentation de la
rémunération pour les travaux désagréables et diminution pour ceux qui sont agréables),
l’effet final sur le prix est indéterminé.
70
2. Le montant de l’allocation universelle est nettement inférieur à celui du salaire
minimum à temps complet. Dans ce cas nous considérons trois voies d’action :
Bien évidemment, pour bien cibler les « gagnants » et les « perdants », notre
analyse devrait considérer les effets après transfert du financement de l’allocation
universelle sur les travailleurs pour prendre en compte les contribuables nets et les
bénéficiaires nets. Néanmoins, étant donné qu’on raisonne à moyen de financement
indéterminé, on ne peut pas rendre compte de ce fait. Notons qu’on peut, d’ailleurs,
faire l’hypothèse que l’allocation universelle est financée avec les ressources externes
au travail comme, par exemple, le capital. En formulant une telle hypothèse on n’a plus
besoin de différencier travailleurs contribuables et travailleurs bénéficiaires.
71
Les options 2.1 et 2.2 s’inscrivent dans une vision libérale qui considère que le
salaire minimum est une entrave au jeu du marché empêchant l’offre de certains postes
dont la rémunération serait inférieure. C’est pour cela que l’allocation universelle en
baissant le salaire minimum est vue comme une opportunité à fin de flexibiliser le
marché du travail. On argumente que ces mesures vont en faveur des travailleurs les
moins qualifiés étant donné qu’elles permettent l’offre de travaux attractifs mais à faible
rémunération qui avec un salaire minimum ne pouvaient pas être offerts. La troisième
voie qui préconise un maintien du salaire minimum au même niveau, craint par contre
que la suppression du SMIC ait des effets néfastes pour les travailleurs. Analysons plus
en détail chacune des ces trois possibilités.
La position la plus radicale parmi le courant libéral est celle qui prône la
complète disparition du salaire minimum. Cela paraît être le point de vue auquel adhère
Groot quand il nous dit que « dans le cadre d’une allocation universelle il n’y a pas
besoin d’avoir une législation de salaire minimum pour protéger les travailleurs parce
que tout le monde a accès à l’alternative réelle de ne vivre qu’avec l’allocation
universelle » (Groot, 1999). Néanmoins, il ne faut pas négliger la possibilité que Groot
puisse considérer que l’allocation universelle doit se fixer au moins au niveau du salaire
minimum. Si bien que cette dernière proposition, même si on a vu qu’elle est peu
réaliste (au moins sur le court et le moyen terme), ferait de Groot un partisan du premier
scénario envisagé ci-dessus.1
Quoi qu’il en soit, dans la plupart des cas le salaire minimum est censé coexister
avec l’allocation universelle. En effet, d’après Vanderborght et Van Parijs (2005 :61)
« pour tout niveau d’allocation universelle sensiblement inférieur au salaire minimum
(…) personne ne songe sérieusement à abroger celui-ci en corollaire de l’instauration de
celle-là ». Ainsi, à travers le maintien d’un salaire minimum réduit du montant de
l’allocation universelle, les auteurs développent une proposition moins radicale que
1
L’impossibilité rencontrée de trouver le texte intégral de Groot auquel on fait référence (Groot, 1999)
nous oblige à prendre de telles précautions en ce qui concerne la pensée de l’auteur.
72
l’élimination du SMIC tout en permettant de donner plus de flexibilité au marché du
travail. Hélas, Vanderborght et Van Parijs (2005) soulignent que le financement à
travers l’impôt sur le revenu peut rendre impossible l’offre de travaux intéressants à
faible rémunération. En effet, même si on peut envisager une baisse du salaire minimum
net équivalente au montant de l’allocation universelle, l’augmentation de l’imposition
sur les premières tranches de revenus ne permet pas une réduction substantielle des
salaires bruts versés par l’entreprise. Par conséquent, étant donné que le coût du travail
ne varie pas pour l’employeur, il ne sera pas incité à demander davantage de ce type de
travail.
Le maintien du salaire minimum à son niveau initial est soutenu par les auteurs
pour lesquels le salaire minimum doit se maintenir au même niveau lors de
l’introduction d’une allocation universelle. Effectivement, ils craignent que cela
préfigure un désengagement progressif de l’Etat-Providence dans la lutte contre le
chômage, un affaiblissement de ses politiques sociales ainsi qu’une substitution des
transferts existants par un transfert unique (d’un montant soupçonné d’être, par ailleurs,
peu élevé).
L’effet Speenhamland prend son nom de la dernière poor law (loi des pauvres)
anglaise (1795-1836). Dans son essence, la législation de Speenhamland visait à assurer
aux travailleurs un minimum vital pour couvrir les besoins les plus basiques en
complétant les revenus du travail pour atteindre un seuil fixé. Le transfert était indexé
sur le prix du pain et fonction de la taille de la famille. Polanyi (2003) remarque que
cette mesure, en devenant une sorte de subvention aux employeurs, leur a permis de
diminuer les salaires versés. De plus, l’auteur remarque que ce caractère différentiel du
revenu s’est conjugué avec l’obligation pour les pauvres de travailler stipulée par les
lois élisabéthaines pour donner un résultat bien connu de nous tous (cf. §5.2.a): les
73
travailleurs les moins productifs sont faiblement incités au travail étant donné que la
différence de revenu entre le fait de travailler ou de chômer est faible ou nulle. Polanyi
(2003) constate effectivement une baisse de la productivité des travailleurs anglais
résultat de leur démotivation qui a provoqué à son tour une nouvelle baisse des salaires.
Tel a été le cercle vicieux de Speenhamland. Or, l’analogie entre ce système et
l’allocation universelle n’est pas pertinente : en tant que transfert différentiel,
Speenhamland est plus proche du RMI actuel que de notre transfert inconditionnel et
cumulatif. En effet, nous avons vu qu’un des avantages de l’allocation universelle est de
réduire les désincitations au travail provoquées par les transferts différentiels (cf.
§5.2.a). De plus, Polanyi (2003) reconnaît que si les travailleurs anglais avaient pu
s’associer (possibilité niée par les lois anti-association de 1799-1800) il y a de fortes
chances pour que le résultat ait été une hausse des salaires. À ce stade, on retiendra que
l’exemple de Speenhamland ne semble pas très adéquat pour critiquer les éventuels
effets négatifs d’une diminution, voire d’une élimination, du SMIC lorsqu’on met en
place une allocation universelle.
74
sans pour autant être stigmatisé. Néanmoins, il ne faut pas oublier que le développement
de conditions de travail de plus en plus flexibles oblige à repenser le principe contributif
de certaines prestations comme les retraites, l’allocation universelle n’étant qu’un
revenu qui vise à couvrir les besoins les plus basiques. Mais, certaines propositions
d’alternative au principe contributif tel que le financement du système de protection
sociale à travers l’impôt suscitent déjà de vives résistances au sein des syndicats étant
donné leur rôle actif dans la gestion des pensions de retraite et des assurances chômage
(cf. Vanderborght, 2004).
75
refuser les travaux trop indignes ou précaires : les employeurs sont donc obligés
d’améliorer les conditions de travail de ces postes.
Quelle est donc la justification économique pour fonder cette capacité de refus
de la part des travailleurs des postes peu attirants ? Dans le cadre d’une négociation
salariale entre travailleur et employeur, la réponse à une telle question passe par la
diminution de l’« impatience » du travailleur qui découle de la mise en place une
allocation universelle (cf. Annexe 4 pour une présentation plus complète et formalisée
des mécanismes microéconomiques qui affectent l’issue d’un jeu de négociation de
Nash). En effet, un des résultats basiques des jeux de négociation dynamiques montre
que les joueurs les plus impatients (ceux avec un taux d’escompte psychologique plus
élevé) sortent perdants de la négociation étant donné qu’ils ont tendance à conclure
précipitamment et prématurément la négociation. Il n’y a rien de surprenant à cela : plus
on est impatients, plus on veut conclure rapidement l’accord étant donné que le fait de le
prolonger dans le temps nous coûte davantage. Dans le cas de la négociation entre
travailleur et employeur, il est réaliste de penser que le travailleur sera plus impatient
que l’employeur. En effet, il est très probable que le travailleur ne disposera pas d’un
revenu qui lui assurera indéfiniment dans le temps sa subsistance (Casassas et Loewe,
2002). Cela étant, le revenu certain fourni par l’allocation universelle peut réduire
l’impatience du travailleur lors des négociations. Autrement dit, le travailleur est en
mesure de refuser les offres qui ne le satisfont pas et de prolonger la négociation. On
pourrait cependant argumenter qu’avec les dispositifs existants le travailleur n’est pas
sans défense quand il négocie avec l’employeur. Il peut toujours se replier sur un salaire
de réservation formé par les allocations chômage, le RMI ou d’autres aides prévues pour
les chômeurs. De ce point de vue, l’allocation universelle ne renforce le travailleur dans
la négociation que si son montant est fixé à un niveau supérieur à celui des allocations
dont les chômeurs bénéficient actuellement. Cet argument n’est pas complètement
valable. En effet, les Etats Providence modernes prévoient des aides pour les personnes
qui ne disposent pas d’emploi, mais, souvent, ces aides sont limitées dans le temps ou
obligent les bénéficiaires à accepter les offres qui leurs sont faites. Cela est
particulièrement vrai pour les pays anglo-saxons. Ainsi, en Grande Bretagne, à partir
d’un certain temps durant lequel les individus ont bénéficié de l’aide sociale (allocation
de recherche d’emploi), celle-ci ne leur est plus versée si ils n’acceptent pas les offres
qu’ils reçoivent (Clément, 1999). D’un autre côté, aux États-Unis chaque individu ne
76
peut pas disposer pendant plus de cinq ans de sa vie de l’allocation chômage (Clément,
1999.). Étant donné que l’allocation universelle ne présente ni contraintes temporelles,
ni obligations d’acceptation des offres et qu’elle n’entraîne pas non plus de signature
d’un contrat d’insertion (comme c’est le cas du RMI français), elle permet d’accroître la
sécurité du travailleur et de diminuer son impatience lors des négociations. Or, encore
une fois, notre raisonnement suppose implicitement que le montant de l’allocation
universelle est fixé, au moins, à un niveau tel que les besoins les plus basiques sont
couverts.
Or, cet allongement n’est pas forcément négatif. Effectivement, du point de vue
de l’optimum social le but est de fixer un temps de recherche qui mette en mesure les
individus de trouver des emplois qui correspondent à leurs qualifications. Autrement dit,
à fin de définir l’optimum social il faut comparer les coûts induits par la période de
recherche d’emploi (principalement le versement des allocations chômage) avec les
bénéfices qui découlent du fait de profiter pleinement de la capacité productive des
travailleurs de l’économie. Pour comprendre cette idée il suffit d’imaginer une
économie où les ingénieurs au chômage doivent travailler comme livreur de pizzas
parce que les aides aux chômeurs sont si faibles qu’elles ne leur permettent pas de
chercher un poste adapté à leurs capacités. Loin de nous l’idée de déprécier le travail
des livreurs de pizza, mais il est clair néanmoins que cette économie n’utilise pas de
manière optimale le potentiel productif de ses travailleurs. L’évidence empirique semble
77
corroborer les effets positifs sur la stabilité de l’emploi qui découle d’une aide élevée
permettant une recherche du travail adéquat (Ilkka, 2004).
78
CONCLUSION
79
L’hétérogénéité des conceptions qui se cachent derrière la notion d’allocation
universelle ainsi que l’absence d’application réelles de cette mesure (avec l’exception,
hélas trop particulière, de l’Alaska Permanent Fund) rendent très difficile un bilan
unique de l’idée et de ses effets. Néanmoins, nous pouvons tirer quelques leçons de tout
ce que nous avons vu jusqu’à maintenant.
D’un autre côté, il est clair que la faisabilité politique de l’allocation universelle
serait nulle si les bénéficiaires de cette mesure -les citoyens- ne la prennent pas comme
un but vers lequel on doit tendre. C’est pour cela que les barrières intellectuelles qui
empêchent l’acceptation de l’allocation universelle apparaissent comme l’obstacle le
80
plus important pour la mise en place de cette mesure. Dans ce sens, Groot (1999) fournit
quelques données empiriques qui montrent la méfiance du public vis-à-vis de l’idée
d’une allocation universelle et la préférence pour des dispositifs de type « workfariste »
qui exigent une contrepartie en termes de travail ou insertion dans le marché du travail.
Il est clair qu’après plus de cinquante ans d’Etat Providence basé sur la recherche du
plein emploi et la conséquente conditionnalité des transferts, il est difficile de changer
les représentations collectives en ce qui concerne le travail. La question de la réciprocité
constitue l’un des principaux problèmes dans ce sens. La même question d’acceptabilité
se pose concernant les bases philosophiques (le libéralisme réel) sur lesquelles se fonde
l’allocation universelle telle qu’elle est conçue aujourd’hui de manière majoritaire. En
effet, les postulats du libéralisme réel de Van Parijs justifiant l’instauration d’une
allocation universelle maximale ne seront pas acceptés du jour au lendemain et ils
précisent d’une explication et une discussion préalable. Or, il faut éviter la superbe
intellectuelle qui consisterait à nous faire penser que les résistances à l’allocation
universelle sont le fruit de l’ignorance des autres. Tout d’abord il est évident que les
fondements philosophiques ne sont pas être forcément partagés. Deuxièmement, même
en acceptant une conception large du travail qui nuance le problème de la réciprocité, on
a vu que l’allocation universelle pose des sérieux problèmes en ce qui concerne un tel
principe (par exemple la persistance d’un certain degré d’exploitation des travailleurs
par les non travailleurs). Finalement, on doit rappeler l’existence de dispositifs déjà en
place permettant d’atteindre des résultats similaires et parfois plus efficients que ceux
qui sont propres à l’allocation universelle (par exemple concernant la lutte contre la
pauvreté ou les incitations aux emplois à basse rémunération). Certes, nous avons
montré que les tenants de l’allocation universelle ne restent pas sur la défensive et sont
en mesure de fournir quelques réponses à ces problèmes. Cela étant, nous sommes
convaincus que seul un débat ouvert et libre de tous préjugés peut faire sortir
l’allocation universelle de son enfermement dans les cercles académiques et
intellectuels. Alors elle pourrait enfin faire connaître ses réelles possibilités pour gagner
un plus grand soutient.
81
de respecter la condition d’ « abondance faible » (weak abundance) qui d’après Van der
Veen et Van Parijs (1986a ; cf. aussi Van Parijs, 1996a) doit être remplie pour garantir
une allocation universelle à un niveau suffisamment élevé pour couvrir les besoins
basiques de tous. La faiblesse des gouvernements d’une grande partie de ces pays ainsi
que le manque de conditions démocratiques rend la mise en place effective de
l’allocation universelle encore plus difficile. On pourrait ajouter à ce problème d’autres
questions d’ordre macroéconomique comme le risque de désincitation à l’épargne ou la
question de son financement. Paradoxalement ce dernier point concernant le
financement apparaît comme le moins préoccupant étant donné le grand nombre de
travaux qui montrent la faisabilité économique de l’allocation universelle à coûts
raisonnables. Quoi qu’il en soit, cette énumération non exhaustive de certaines critiques
et limites attribuées à l’allocation universelle montrent la diversité des voies de
recherche qui restent ouvertes.
- Le chômage volontaire n’est pas pris en compte dans les statistiques officielles
et par conséquent les effets sur les chiffres du chômage, au moins d’un point de
vue technique, seraient nuls. Quoi qu’il en soit, l’allocation universelle est
censée augmenter ce type de « chômage » si les personnes décident de se dédier
à des activités telles que le bénévolat ou le travail domestique, autrement dit, si
le travail non rémunéré se substitue à celui rémunéré. Bien évidemment, ce fait
ne serait pas préoccupant en soi (il ne serait pas du chômage proprement dit
étant donné qu’on réaliserait un autre type de travail) sauf dans le cas extrême où
la réalisation de travail rémunéré diminue de telle sorte que le financement de
l’allocation universelle à travers l’impôt sur le revenu est compromis. Dans ce
sens on a vu que, même si l’introduction d’un tel revenu inconditionnel joue
négativement sur les incitations au travail rémunéré à travers l’effet revenu, la
réduction des trappes du chômage et la possibilité de considérer le loisir comme
82
un bien inférieur agissent dans le sens contraire. Les effets sur les incitations au
travail restent donc indéterminés.
En conclusion, nous repérons que les effets sur les statistiques du chômage sont
indéterminés à cause des effets contraires que l’allocation universelle présente sur le
chômage frictionnel et sur le chômage involontaire non frictionnel. En ce qui concerne
le travail pris dans un sens large, on pourrait atteindre un élargissement des opportunités
des individus étant donné la possibilité réelle de se dédier aux activités non rémunérées.
83
ANNEXES
84
ANNEXE 1: DISPOSITIFS DE REVENU MINIMUM, TRANSFERTS
UNIVERSELS ET EFFICIENCE DANS LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ
______________________________________________________________________
Dans cette annexe nous démontrons que, si le but du transfert ne consiste qu’à
faire atteindre à tous les individus un revenu net au moins égal à la ligne de pauvreté, les
dispositifs de revenu minimum sont plus efficients que les transferts universels. Ce
résultat est tout à fait intuitif : si on veut faire atteindre à tous les individus un revenu
net (après impôts et transferts) au moins égal à B (niveau de la ligne de pauvreté) il
suffira de ne transférer qu’à ceux qui ont un revenu brut y au-dessous de B une quantité
égale à B − y . Telle est la logique des dispositifs de revenu minimum comme le RMI
(cf. §2.1).
Pour mieux saisir les inefficiences propres aux transferts universels, on reprend
la figure 2 qui montre la distribution de revenus avec une allocation universelle financée
à travers un impôt linéaire sur le revenu (rappelons que cette distribution est identique à
celle qu’on aurait avec un impôt négatif linéaire). Nous supposons que le montant de
l’allocation universelle est fixé au niveau du seuil de pauvreté. Cette hypothèse est
spécialement pertinente étant donné qu’elle reflète l’opinion la plus répandue parmi les
défenseurs de l’allocation universelle en ce qui concerne son montant et, en plus,
simplifie notre analyse ultérieure.
Revenu
net
A
D a3
a2
B E
a1
45º
O
yp yu Revenu brut
Source: Creedy (1996)
85
- a1 (triangle OBE) correspond au transfert qui assure à ceux qui avaient un
revenu brut inférieur au seuil de pauvreté qu’ils atteignent ce niveau (B). A
priori, un système qui ne vise qu’assurer que tous les individus aient un revenu
au moins égal à B (seuil de pauvreté) devrait se limiter à transférer un montant
égal à l’aire a1, or, dans le graphique on trouve également les aires a2 et a3.
- L’aire a3 (triangle ADE) montre le transfert net fait à ceux qui, même en ayant
un revenu brut supérieur à B, deviennent bénéficiaires nets de la mise en place
du transfert universel. Un mécanisme efficient de lutte contre la pauvreté
n’aurait rien transféré à ces individus.
yp
a1 = ∫ ( B − y )dF ( y ) (2)
0
yp
a1 + a2 = ∫ ( B − ty )dF ( y ) (3)
0
86
- « Vertical expenditure efficiency » (efficience de dépense verticale) =
= (a1+a2)/(a1+a2+a3). Cet indicateur mesure la quantité de transferts adressée à
des personnes qui étaient pauvres avant de recevoir le transfert par rapport à la
quantité total de transferts qui a été versée. On aura intérêt à qu’il soit le plus
élevé possible. Dans le cas optimal il est égal à 1 (les transferts ne s’adressent
qu’aux personnes avec un revenu brut inférieur au seuil de pauvreté). Pour le cas
de l’allocation universelle qu’on vient de voir il sera inférieur à 1 puisque on
peut vérifier aisément que a1, a2 et a3 sont supérieurs à zéro.
Revenu
net
T
B C
a1
O
yu Revenu brut
87
a2 = a3 = 0
a1 + a 2 a1 a
= = 1 =1
a1 + a 2 + a3 a1 + a 2 + a3 a1
88
ANNEXE 2 : SALAIRE D’EFFICIENCE (Relation de Solow)
______________________________________________________________________
Dans ce modèle, l’employeur fait face à un problème d’aléa moral qui découle de
l’incertitude en ce qui concerne l’effort fourni par l’employé. L’enjeu pour l’employeur
est de fixer un salaire tel que le travailleur soit amené à fournir l’effort optimal. Pour
cela, on supposera que l’employeur connaît la fonction d’effort du travailleur qui est
égale à :
de
e = e( w) (1) Avec >0
dw
Où :
e = Effort fourni.
w= Salaire.
∂π ∂F ∂π ∂F de( w)
= × e( w) − w = 0 (4) et = ×L −L=0 (5)
∂L ∂L ∂w ∂w dw
89
En utilisant les équations (4) et (6) on obtient
de( w) w
× =1
dw e( w)
Notons que
de( w) w
εe/ w ≡ × =1 (7)
dw e( w)
C’est comme cela que nous obtenons la relation de Solow. La firme maximise son
profit avec un salaire tel que l’élasticité de l’effort par rapport au salaire est unitaire.
Par conséquent la firme détermine un salaire ŵ qui respecte la relation (7). Pour
obtenir la demande de travail on dérive l’expression (3) par rapport à L :
∂F
(e( ŵ) × L) × e(ŵ) - ŵ = 0 (8)
∂L
Lˆ− = N × lˆ − (9)
On a vu que dans notre raisonnement ŵ et L̂− ont été fixés par les firmes sans
prendre en compte l’équilibre entre l’offre et la demande. Ce fait peut avoir deux
résultats :
90
ANNEXE 3 : IMPOSITION OPTIMALE ET TAUX MARGINAUX
D’IMPOSITION
______________________________________________________________________
Dans le modèle il existe trois groupes de revenu (wi représente les salaires
bruts) : personnes sans emploi (sans revenu brut), personnes à bas salaire (w1) et
personnes à haut salaire (w2). Les revenus nets pour les trois groupes après imposition et
transferts seront représentés par y0, y1 et y2. On notera Ti le taux marginal d’imposition
pour le passage du niveau i de revenu au niveau i+1, et mi la quantité d’individus dans
le groupe de revenu i. Rappelons que i peut prendre les valeurs 0, 1 ou 2 selon le groupe
auquel on appartient. Finalement, e0 (resp. e1) représente l’élasticité de la probabilité de
transition de m0 vers m1 (resp. de m1 vers m2).
Notre modèle assume une élasticité de substitution infinie entre les deux types
d’emploi (1 et 2) et l’existence d’un marché de travail parfaitement compétitif.
y1 = y0 + (1 − T0 ) w1 (1)
y 2 = y0 + (1 − T1 ) w2 (2)
Si on assume que l’Etat n’a comme dépense que le transfert forfaitaire (qui par
conséquent équivaut au revenu net des personnes sans emploi) :
R
y0 = (4)
m0 + m1 + m2
91
On supposera que l’Etat se fixe un objectif rawlsien de maximisation de ce
transfert y0 à travers la maximisation de ses recettes fiscales R. Quels seront les niveaux
optimaux d’imposition marginal (T0* et T1*) qui devront être choisis pour chaque
tranche de revenu brut ?
Tout d’abord on peut vérifier que l’impact sur les recettes fiscales (dR) d’une
augmentation dTo du taux marginal d’imposition sur le passage du chômage à w1 sera
dT0
dR = (m1 + m2 ) ⋅ w1 ⋅ dT0 − T0 ⋅ w1 ⋅ m0 ⋅ e0 ⋅ (5)
1 − T0
Où :
dT0
- T0 ⋅ w1 ⋅ m0 ⋅ e0 ⋅ = Diminution des recettes fiscales comme conséquence
1 − T0
des désincitations à occuper un travail rémunéré à w1. Pour comprendre cette
expression il suffit de repérer que le pourcentage de personnes qui décident de
dT0
rester au chômage est donné par e0 ⋅ par définition du concept
1 − T0
d’élasticité.
Cela étant, les recettes seront maximisées quand dR= 0 : la hausse des recettes
fiscales comme résultat de l’augmentation de T0 est égale à la perte des recettes qui
découle. Autrement dit, il s’agit d’atteindre le sommet de la courbe de Laffer :
dT * 0
dR = 0 ⇔ (m1 + m2 ) ⋅ w1 ⋅ dT * 0 = T * 0 ⋅ w1 ⋅ m0 ⋅ e0 ⋅ *
1− T 0
En simplifiant pour obtenir T0*
1
(m1 + m2) = T * 0 ⋅ m0 ⋅ e0 ⋅ *
1−T 0
m1 + m2 T*
= 0 *
m0 ⋅ e0 1 − T0
92
1
Soit T0* = (6)
m0 e0
1+
m1 + m2
dT1
dR = m2 ⋅ ( w2 − w1 ) ⋅ dT1 − T1 ⋅ ( w2 − w1 ) ⋅ m1 ⋅ e1 ⋅ (7)
1 − T1
dT *1
dR= 0 → m2 ⋅ ( w2 − w1 ) ⋅ dT *1 = T *1 ⋅ ( w2 − w1 ) ⋅ m1 ⋅ e1 ⋅
1 − T *1
1
m2 ⋅ = T *1 ⋅ m1 ⋅ e1 ⋅
1 − T *1
m2 T *1
=
m1 ⋅ e1 1 − T *1
* 1
Soit T1 = (8)
m ⋅e
1+ 1 1
m2
1 1 1 1 1 1
T0* = = = > = = = T1*
m0 e0 3 ⋅ e 1 + 0,25 ⋅ e 1 + 1 ⋅ e 6⋅e m ⋅e
1+ 1+ 1+ 1+ 1 1
m1 + m2 6+6 6 m2
93
ANNEXE 4 : MODÈLE DE NÉGOCIATION DE NASH ET ALLOCATION
UNIVERSELLE
______________________________________________________________________
Nous allons montrer les impacts de la mise en place d’une allocation universelle
sur le pouvoir de négociation des travailleurs à travers le modèle de négociation
développé par Nash. Cet auteur a démontré à travers une approche axiomatique que
l’issue d’une négociation entre deux agents rationnels a une solution unique qui peut
être calculée (Nash, 1950). Dans notre cas, on supposera que les négociations se font
entre un employeur et un travailleur qui doivent se repartir une quantité fixe d’unités
monétaires. On peut démontrer que la solution unique (un) de la négociation est définie
par (Cahuc et Zylberberg, 2001) :
s.c. ui ≥ di i = 1,2
Où :
γ = Pouvoir de négociation.
94
Figure 1. Représentation graphique de l’issue de la négociation
Utilité de
l’employeur
u1*
d1
d2 u2* Utilité du
travailleur
La situation de statu quo représente les revenus des joueurs quand le processus
de négociation n’aboutit pas à un résultat, autrement dit, il s’agit du revenu des agents
lors des tours de négociation. On supposera que :
- d1 > d2
du ( x)
- λ ⋅ u (a) + (1 − λ ) ⋅ u (b) < u (λa + (1 − λ )b) ce qui implique = u ' ( x) > 0 et
dx
du ' ( x)
= u ' ' ( x) < 0
dx
u(d1 + A) > u(d2 +A) avec u’(d1+A) < u’(d2+A) étant donné que u’’(x) < 0
95
augmente plus que d1 grâce à l’introduction d’une allocation universelle. Etant donné
que le résultat de la négociation de Nash est limité aux résultats Pareto-efficients
(ui ≥ di), le résultat du travailleur à l’issue de la négociation est amélioré. Tel est le
premier effet positif de l’allocation universelle sur le pouvoir de négociation du
travailleur.
En ce qui concerne les fonctions d’utilité des deux agents, on a supposé jusqu’à
maintenant qu’elles étaient identiques. Or, Casassas et Loewe (2002) suggèrent une
hypothèse plus réaliste selon laquelle le travailleur aurait une aversion vis-à-vis du
risque supérieur à celle de l’employeur. En effet, sans rester très précis sur ce point, les
auteurs considèrent qu’il est raisonnable de penser qu’il existe une relation négative
entre la situation de statu quo et la disposition à prendre des risques : plus la situation de
statu quo dont on bénéficie est élevée, plus on sera prêt à prendre des risques.
Utilité du
revenu
Travailleur
ut(x1)
ue(x2)
Employeur
ut(x1)
ue(x1)
x1 x2 Revenu
96
ue(x2) - ue(x1) > ut(x2) - ut(x1)
Autrement dit, face un passage du revenu de x1 à x2 l’utilité de l’employeur
augmente davantage que celle du travailleur du fait de la concavité de la fonction
d’utilité de ce dernier. Etant donné que la solution de la négociation de Nash vise à
maximiser le produit des utilités, on aura intérêt à transférer des unités monétaires du
travailleur à l’employeur étant donné la moindre décroissance de l’utilité marginale du
revenu pour l’employeur (Casassas et Loewe, 2002). Dans la mesure où l’allocation
universelle est censée réduire l’aversion au risque des travailleurs, le résultat de la
négociation s’améliorerait pour les employés.
Le pouvoir de négociation
1
δ = (1 + ri ) −t = i = 1,2 (2)
(1 + ri ) t
r2
γ= (3)
r1 + r2
97
Imaginons que le joueur 1 propose la partition (x, 1-x) au joueur 2 lors des dates
paires (le joueur 2 peut accepter ou refuser cette offre de répartition) et le joueur 2
propose une partition (y, 1-y) qui peut être acceptée ou refusée par 1 lors des dates
impaires. Etant donné que l’horizon du jeu est infini, on ne peut pas réaliser un
raisonnement à rebours pour trouver l’équilibre du jeu, mais on sait que les propositions
des joueurs seront toujours identiques. On supposera que le joueur 1 décide de proposer
(x*, 1-x*) à chaque date paire et que le joueur 2 décide de proposer une répartition (y*,
1-y*) à chaque date impaire. Cela étant, l’utilité de 1 s’il accepte l’offre y* à une date
quelconque sera donnée par l’expression
∞
∑ δ u ( y*)
t =0
t
1 1 (4)
Par conséquent, un équilibre parfait en sous jeu exigerait que la plus petite
valeur pour y* que le joueur 2 pourra offrir sera donnée par l’égalité entre (4) et (5),
autrement dit
∞ ∞
u1 ( y*) u ( x*)
= u ( d1 ) + 1 ⋅ δ1
1 − δ1 1 − δ1
98
u 2 (1 − x*) = u 2 (d 2 ) + δ 2 [u 2 (1 − y*) − u 2 (d 2 )]
1 − x* = u 2 (d 2 ) + δ 2 [1 − y * −u 2 (d 2 )]
x* = 1 − u 2 (d 2 ) + δ 2 [ y * +u 2 (d 2 ) − 1] (7)
1− δ 2 δ 1 (1 − δ 2 )
x* = (8) y* = (9)
1 − δ 1δ 2 1 − δ 1δ 2
On trouve aisément que quand δ1 et δ2 sont inférieurs à 1 (les agents ont une
certaine préférence pour le présent)
∂x * 1− δ2
= > 0 (10)
∂δ 1 (1 − δ 1δ 2 )2
∂x * − (1 − δ1δ 2 ) − (1 − δ 2 )(−δ 1 ) − (1 − δ 1δ 2 ) + (δ 1 − δ 1δ 2 )
= = < 0 (11)
∂δ 2 (1 − δ1δ 2 )2 (1 − δ1δ 2 )2
∂y * (1 − δ 2 )(1 − δ 1δ 2 ) + (δ 2 )(δ 1 − δ 1δ 2 )
= > 0 (12)
∂δ 1 (1 − δ1δ 2 )2
∂y * (−δ 1 )(1 − δ 1δ 2 ) + (δ 1 )(δ 1 − δ 1δ 2 )
= < 0 (13)
∂δ 2 (1 − δ 1δ 2 )2
Rappelons que, d’après (2), l’augmentation de δ équivaut à une diminution du
taux d’escompte psychologique (ri), ce qui revient à dire que l’individu devient moins
impatient. Cela étant, les expressions (10) et (13) montrent que la part du joueur 1 croit
lorsqu’il devient moins impatient (sa préférence pour le présent diminue à travers
l’augmentation de δ1). Etant donné que l’issue du jeu pour le joueur 2 est la différence
entre l’unité et x* ou y*, les dérivées négatives des expressions (11) et (13) vérifient
qu’une diminution de l’impatience du joueur 2 améliore son résultat.
99
BIBLIOGRAPHIE
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project ? », discours de clôture du IX Congrès du BIEN, Genève, septembre,
http://www.globalincome.org/VanParijs-WordlwideBI.html
104
TABLE DE MATIÈRES
SOMMAIRE 3
INTRODUCTION 4
105
4.1. La réciprocité 40
4.1.a. Le problème des free-riders 40
4.1.b. Revenu de participation et réciprocité ? 41
4.1.c. Allocation universelle et réciprocité 42
4.1.c.1. Les exceptions au principe de réciprocité 43
4.1.c.1. L’allocation universelle implique-t-elle
une exploitation des travailleurs ? 44
4.2. Le capitalisme cognitif comme justification théorique
de la dissociation travail-revenu 46
4.2.a. Un nouveau stade du capitalisme ? 46
4.2.b. Capitalisme cognitif et allocation universelle 48
CONCLUSION 79
106
ANNEXES 84
ANNEXE 1: DISPOSITIFS DE REVENU MINIMUM,
TRANSFERTS UNIVERSELS ET EFFICIENCE DANS
LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ 85
BIBLIOGRAPHIE 100
107