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UNIVERSITÉ DE NANTES Faculté de Sciences Économiques et de Gestion

______________________________________________________________________

MÉMOIRE DE MASTER 1
« Economie et Gestion du Développement Durable »
Parcours Économie

L’allocation universelle et ses impacts sur le travail

ÁLVARO LA PARRA PEREZ

Nantes, mai 2006

Sous la direction de
DENIS BOUGET
REMERCIEMENTS

Je voudrais commencer par remercier mon directeur de mémoire Denis Bouget


pour ses conseils toujours très opportuns et par l’aide bibliographique et documentaire
fournie qui ont constitué la base à partir de laquelle j’ai pu construire mon analyse.
Je suis très reconnaissant également au professeur Philippe Van Parijs pour
l’extrême amabilité et rapidité avec laquelle il a satisfait ma demande d’articles.
Ce travail doit également beaucoup aux correcteurs. En effet plusieurs amis ont
eu le courage de se battre contre la rédaction, pas toujours facile, d’un espagnol qui
essaie d’écrire en français. Ainsi, Frédéric Gérard a mené à bien un travail impeccable
pour l’introduction et la conclusion du présent travail, en laissant de côté ses multiples
obligations pour avoir le résultat à temps. Denis Lebot a révisé la première et deuxième
partie en me permettant de bénéficier en même temps de son mordant point de vue
sociologique. Ses commentaires m’ont permis d’avoir une vision plus complète de la
problématique tout en contribuant à accroître mon intérêt pour ce sujet d’étude
(l’allocation universelle) pour lequel les voies de recherche me semblent passionnantes
et illimitées. Simon Leduc, quant à lui, a apporté sa méticulosité et sa ténacité pour la
troisième partie du travail. Il est difficile d’imaginer un correcteur si infatigable et
efficace que lui. Enfin, Christophe Lasserre a mis à ma disposition sa logique
implacable pour solutionner les problèmes concernant les annexes. Les imprécisions ou
erreurs qui peuvent malgré tout subsister ne sont que le fruit de mes propres limites.
Je voudrais dédier ce modeste travail à mes parents. En effet, de part leur
constant soutien psychologique et financier j’ai pu comprendre l’importance de la
responsabilité, de la rigueur et de la persévérance comme des vertus étant à la base d’un
bon étudiant et d’un bon chercheur. Dans la mesure où certaines des ces qualités
peuvent se retrouver dans mon travail, je leur dois beaucoup. J’en suis sûr.

Nantes, 15 mai 2006

2
SOMMAIRE

INTRODUCTION 4

PREMIÈRE PARTIE. L’ALLOCATION UNIVERSELLE : CONCEPT ET


SPÉCIFICITÉ

Chapitre 1. L’Allocation Universelle 10

Chapitre 2. L’allocation universelle face à d’autres mécanismes


de revenu minimum et d’aide aux bas salaires 19

DEUXIÈME PARTIE. LE TRAVAIL. CONCEPT DE TRAVAIL ET DROIT AU


TRAVAIL

Chapitre 3. Concept de travail et droit au travail 29

Chapitre 4. Travail et revenu 40

TROISIÈME PARTIE. ALLOCATION UNIVERSELLE ET OFFRE DE


TRAVAIL RÉMUNÉRÉ

Chapitre 5. Allocation universelle et incitations au travail rémunéré 51

Chapitre 6. Allocation universelle, flexibilité et salaires 66

CONCLUSION 79

ANNEXES 84

BIBLIOGRAPHIE 100

3
INTRODUCTION

4
L’idée d’un revenu inconditionnel versé à tous n’est pas nouvelle.
Effectivement, Vanderborght et Van Parijs (2005) soulignent qu’elle est déjà présente
dans les écrits de l’anglais Thomas Paine (1737-1809) qui prône le versement d’une
modeste dotation forfaitaire ainsi qu’une pension de retraite à tous les hommes et
femmes d’âge adulte. L’idée continue à apparaître de manière plus ou moins régulière
tout au long du XVIIIème et XIXème siècle. Pour ne citer que quelques exemples, elle est
défendue par Thomas Spence (1750-1814), Charles Fourier (1772-1837) ou Joseph
Charlier (1816-1896) qui formule la première proposition d’allocation universelle pour
l’Europe.

Au XXème siècle il existe deux moments clé pour le développement de l’idée qui
nous occupe. Premièrement, aux États Unis, le prix Nobel Milton Friedman, un des
pères intellectuels du néolibéralisme, propose en 1962 l’instauration d’un impôt négatif
(mesure qui, nous le verrons, peut être assimilée à l’allocation universelle même si
quelques différences subsistent). L’impôt négatif est vu comme un moyen de rendre
plus simple le système d’aides et transferts sociaux et de réduire l’intervention de
l’État. Toujours aux États-Unis des années 60, James Tobin, aussi prix Nobel mais
éloigné des postulats néolibéraux friedmaniens, défend une véritable allocation
universelle qu’il baptise demogrant. En tout état de cause, ces deux idées tombent dans
l’oubli tout au long des années 70. Ce n’est qu’en 1986 lors de la création du Basic
Income European Network (BIEN) où on a mis en relation tous les défenseurs
européens de l’idée que le débat sur l’allocation universelle fut relancé. C’est ainsi que
l’idée d’allocation universelle se dessine en atteignant un relatif consensus pour la
définir comme « un revenu versé à tous sur base individuelle, sans contrôle des
ressources ni exigence de contrepartie » (définition du BIEN, cf. Bibliographie en fin
d’ouvrage).

L’allocation universelle se définit comme une mesure très ambitieuse quant à ses
objectifs qui, par conséquent, nous ouvre un grand éventail de possibilités en ce qui
concerne son étude et ses répercussions. Cela étant, nous avons décidé de cibler notre
analyse sur la relation entre allocation universelle et travail. Notre but est donc de traiter
les impacts qu’une allocation universelle aurait sur les différentes activités qui
composent le concept de travail et plus particulièrement sur le travail rémunéré -activité
sur laquelle les économistes ciblent le plus souvent leur analyse. Ce choix nous apparaît
pertinent car c’est dans le domaine du travail que l’allocation universelle pose un certain

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nombre d’interrogations qui doivent être élucidées. En effet, l’idée semble contenir
quelques postulats implicites extrêmement provocateurs en ce qui concerne la place du
travail dans notre système économique et de protection sociale. Parfois elle provoque
même une interrogation face aux effets désincitatifs qu’elle pourrait avoir en ce qui
concerne l’offre de travail.

On pourrait nous reprocher qu’il est inutile de traiter une problématique comme
la relation entre allocation universelle et travail si on ne démontre pas la faisabilité
économique de cette mesure. Certes, la question du financement de l’allocation
universelle a une grande importance mais nous sommes aussi d’accord avec
l’économiste espagnol Daniel Raventós qui nous dit que « s’il n’existe pas des bons
fondements normatifs (…) il n’est pas nécessaire de dépasser l’étude technique de sa
viabilité » (Raventós, 2002 : 25-26). Autrement dit, si on montre que l’allocation
universelle peut avoir des effets positifs, on aura intérêt à étudier les moyens de la
mettre en place. Notre tâche sera donc de montrer dans quelle mesure l’allocation
universelle est capable de donner des réponses satisfaisantes aux problèmes qui se
posent concernant le travail ainsi qu’aux critiques qui lui sont adressées dans ce
domaine (non respect du principe de réciprocité, manque d’incitations au travail, etc.).

Nous sommes conscients que notre analyse admet deux limites. Il existe d’abord
le problème de l’instabilité et de la complexité de l’environnement étudié, or cette limite
est inhérente à toutes les recherches dans le domaine des sciences sociales. En effet,
l’analyse des impacts d’une mesure jamais appliquée (sauf pour le cas peu extrapolable
de l’Alaska Permanent Fund) doit prendre en compte une grande quantité d’information
et d’interactions extrêmement complexes. Raventós (2001) nous apprend qu’il est
impossible de traiter des processus qui dépassent un certain plafond d’information qui
est appelé limite de transcomputabilité (ce plafond a été démontré et quantifié par le
physicien allemand H. J. Bremermann). De ce point de vue, on ne peut pas fournir des
réponses définitives pour la plupart des questions posées sans données empiriques
découlant de la mise en place d’une véritable allocation universelle. Telle est la
première limite insurmontable à laquelle on doit faire face. Quoi qu’il en soit, il est clair
que ces questions constituent un des principaux défis auxquels le chercheur en
économie est confronté. En effet, on doit se rapprocher de la réalité avec des outils
d’approximation forcément imparfaits et simplificateurs tout en ayant un objet d’étude
(l’homme et les relations humaines) très complexe et imprévisible. Par conséquent, il

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est au lecteur d’évaluer le degré de pertinence, d’exhaustivité et d’objectivité des
aspects que l’on traitera et des réponses fournies.

La deuxième limite tient à la portée du travail lui-même. En effet, on est


conscient que notre analyse sur le travail et, en particulier, sur le travail rémunéré est
loin d’offrir une vision de l’ensemble des effets d’une allocation universelle sur tous les
mécanismes qui agissent sur ces activités. En ce sens, il serait intéressant d’étendre
l’analyse de ses effets sur des aspects tels que la demande de travail. Ou bien voir son
impact sur des groupes sociaux différents comme les travailleurs qualifiés et non
qualifiés. En tout état de cause, même si il faut garder à l’esprit le caractère
certainement partiel de notre approche, nous espérons donner réponse de la manière la
plus complète et claire possible aux principales interrogations en ce qui concerne la
relation entre allocation universelle et travail.

On a décidé d’aborder notre problématique en divisant le travail en trois parties


qui vont des questions les plus générales aux plus concrètes.

La première partie est une introduction au concept de l’allocation universelle qui


présente ses traits fondamentaux et sa seule application pratique à l’Alaska (Chapitre 1)
ainsi que les différences entre les dispositifs de revenu minimum et d’aide aux travaux à
basse rémunération déjà existants (Chapitre 2).

La deuxième partie est déjà plongée dans la relation allocation universelle et


travail, le travail étant pris dans sa conception la plus large. Ainsi, le Chapitre 3 se
penchera dans un premier temps sur la re-conceptualisation du travail que l’allocation
universelle peut favoriser grâce au développement des activités non marchandes. Dans
un deuxième temps on abordera les impacts d’une telle re-conceptualisation en ce qui
concerne l’apparition d’un nouveau secteur d’activité (secteur quaternaire) et le débat
autour du droit au travail. Le Chapitre 4 traitera ensuite la question de la dissociation
entre travail et revenu provoqué par l’allocation universelle en analysant dans quelle
mesure cette proposition est capable de respecter le principe de réciprocité et en
présentant une possible explication d’une telle dissociation travail/revenu à travers la
théorie du capitalisme cognitif.

Une fois traité la relation entre allocation universelle et le travail dans une
conception large, la troisième partie offrira une analyse des impacts de cette allocation
sur un type de travail bien précis c’est à dire le travail rémunéré (plus concrètement on

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verra l’impact qu’elle aura sur l’offre de travail rémunéré). Ainsi, le chapitre 5 présente
les différentes opinions concernant les effets de l’allocation universelle sur l’incitation
au travail. On verra que la réponse à une telle question est moins intuitive de ce qui peut
paraître quand on prend en compte des facteurs tels que les trappes à chômage.
Finalement, le Chapitre 6 analyse les possibilités de flexibilisation du travail ainsi que
les effets sur les salaires et le pouvoir de négociation des travailleurs qui pourraient
découler de la mise en place d’une allocation universelle.

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PREMIERE PARTIE

L’Allocation Universelle : concept et spécificité

9
« (…) versez chaque mois à chaque citoyen une somme
suffisante pour couvrir les besoins fondamentaux d’un
individu vivant seul. Versez-la lui qu’il travaille ou qu’il
ne travaille pas, qu’il soit pauvre ou qu’il soit riche (…).
Faites tout cela et puis observez ce qui se passe. »
Collectif Charles Fourier (cité dans Vanderborght et Van Parijs, 2005 : 24)

Chapitre 1

L’allocation universelle
Il existe un grand nombre de manières d’appeler l’idée d’un revenu de base
cumulable et inconditionnel versé à tous les membres d’une société. Allocation
universelle, revenu minimum garanti, revenu d’existence, dividende social, revenu de
base, revenu citoyen… sont quelques unes des dénominations existantes selon l’idée
qu’ont à l’esprit les différents défenseurs de cette mesure. Il faut souligner que cette
hétérogénéité conceptuelle est étroitement liée aux différentes caractéristiques
constitutives de ce revenu de base. Dans cette étude, la dénomination utilisée sera celle
la plus répandue en français, c'est-à-dire, « allocation universelle ».

Ce chapitre commence avec une définition de l’allocation universelle qui vise à


décrire les caractéristiques propres au concept qui le rendent original au regard de
l’ensemble des transferts et minima sociaux déjà existants (§1.1). En effet, malgré
l’existence de quelques projets d’allocation universelle au Brésil ou des études dans ce
sens en Catalogne (Espagne), l’originalité d’une telle mesure est évidente quand on
constate que la seule application pratique d’un tel revenu est l’Alaska Permanent Fund
(§1.2). Une fois bien ciblé le concept d’allocation universelle, une brève dérive
philosophique pour présenter un des débats les plus intéressants sur l’idée même
d’allocation universelle, celui concernant l’œcuménisme de cette mesure, sera faite
(§1.3).

1.1. Le concept d’allocation universelle

On prendra comme définition «d’allocation universelle» celle présentée par Van


Parijs (2003, et Vanderborght et Van Parijs, 2005: 6) : l’allocation universelle est un
« revenu versé par une communauté politique à tous ces membres, sur base individuelle,

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sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie ». Cette définition a la vertu de
présenter les traits fondamentaux de l’allocation universelle en restant suffisamment
générale pour traiter des différences qui se posent devant l’étude des propositions plus
concrètes.

Par conséquent, analysons maintenant plus soigneusement les traits constitutifs


ébauchés dans le concept. Cette analyse, largement inspirée du schéma proposé par Van
Parijs (2003), portera successivement sur le revenu en lui-même, l’organisme émetteur
(une communauté politique) et sur les caractéristiques des bénéficiaires.

1.1.a. Un revenu…

L’allocation universelle est un revenu versé en espèce. Malgré, comme le


préconisent certains auteurs, la possibilité de donner un revenu universel en nature ou en
utilisant des numéraires non thésaurisables, qui ne peuvent donc pas être épargnés, ou
encore des coupons alimentaires, on retiendra ici la conception la plus répandue: celle
d’une allocation universelle versée en espèce et sans limitations quant à la date de son
usage.

Ce revenu doit être versé d’une manière périodique (une fois par semaine, une
fois toutes les deux semaines, mensuellement…). A l’opposé de cette conception, on
trouve la proposition de Thomas Paine ou d’Ackerman et Alstott qui proposent une
sorte de dotation universelle; autrement dit, un versement unique fait à la majorité.
Même si on peut envisager des formules qui rapprochent cette dotation universelle de
l’allocation universelle (par exemple en plaçant la dotation de telle manière qu’elle
donne des rentes périodiques avec une valeur actualisée équivalente à celle de
l’allocation), les différences restent suffisamment grandes (cf. Vanderborght et Van
Parijs 2005 ; et Pateman, 2005) et on retiendra ici les versements réguliers comme
caractéristique la plus répandue. On a parfois justifié cette décision en soulignant que de
cette manière on protège l’individu face au risque de gaspillage que pose l’inexpérience
(voire, l’irresponsabilité) des jeunes (Van Parijs, 1996a ; Vanderborght et Van Parijs,
2005). La logique de ce raisonnement est simple : Pourquoi la vieillesse devrait-elle
pâtir de ces folies de jeunesse ? Un revenu versé chaque mois permet donc de s’assurer
contre ce risque.

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Bien évidemment, l’implantation d’un tel revenu pose quelques questions : quel
sera son montant ? Doit-il s’ajouter aux dispositifs sociaux déjà existants ou, par contre,
doit-il les substituer entièrement ? Il n’existe pas d’unanimité pour répondre à ces
questions.

Concernant la question relative au montant, les uns argumentent en faveur d’une


allocation universelle la plus grande possible et compatible avec l’efficience
économique (Van Parijs, 1996a) ou, tout simplement, au-dessus du seuil de pauvreté
(Pateman, 2005). D’autres, comme Yoland Bresson, durant les mouvements de
chômeurs en 1998 en France, conçoivent l’allocation universelle comme un revenu
devant être plus modeste (Bresson parlait de 1.800F par mois) qui se substituerait à
toutes les autres formes d’aide sociale. Il est important de ne pas être obséder avec cette
question. En effet, «en fonction du mode de financement et des autres mesures
d’accompagnement, une allocation universelle de montant plus faible peut améliorer
sensiblement la situation des plus pauvres, tandis qu’une allocation universelle stipulant
un montant plus élevé peut la détériorer» (Vanderborght et Van Parijs, 2005 : 29). Cette
citation nous offre une transition parfaite pour répondre à la deuxième question posée,
concernant l’implantation de l’allocation universelle, la complémentarité ou la
substitution par rapport aux transferts sociaux déjà existants.

L’instauration d’un tel revenu comporte dans la plupart des analyses la


disparition de certains transferts comme les allocation familiales ou celles adressées aux
chômeurs. Les propositions les plus extrêmes, à savoir l’addition de l’allocation
universelle à tous les transferts existants ou sa substitution complète, pèchent par trop
de radicalité (voire par un manque d’adéquation à la réalité) rendant très difficile leurs
faisabilité. Même s’il est vrai qu’à l’origine l’allocation universelle visait à une
complète substitution de toutes les allocations existantes, d’après les propositions qu’on
a eu l’opportunité d’étudier, cette question a été très nuancée jusqu’au point de
reconsidérer complètement la proposition de démanteler tous les transferts de l’état
providence moderne (cf., par exemple: Sanzo et Pinilla, 2004). Ainsi, quelques fois la
solution envisagée passe par la suppression des transferts d’un montant inférieur à celui
de l’allocation universelle. Si l’ancien dispositif était plus élevé, l’allocation universelle
serait complémentée avec le transfert additionnel correspondant (ce fait aura des
implications importantes quand on traitera les conséquences de l’allocation universelle
sur le travail). Van Parijs (1996a: 55-56) écrit à propos de cette question que « ceux qui

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proposent de tels plans de revenus garantis inconditionnellement pourraient, mais en
général ne le font pas, les proposer comme des substituts complets des transferts
conditionnels déjà existants. Par exemple, la plupart d’entre eux veulent maintenir (…)
la sécurité sociale à la charge de l’État et les plans de compensation d’handicapés qui
complémentent le revenu inconditionnel».

1.1.b. …versé par une communauté politique…

« Une allocation universelle est par définition versée par une communauté
politique et donc financée par des ressources publiquement contrôlées » (Vanderborght
et Van Parijs, 2005 : 29). Malgré la possibilité d’une allocation universelle gérée à
l’échelle mondiale, défendue par certains, on considère le plus souvent son implantation
au niveau de l’Etat comme la possibilité la plus faisable et réaliste (cf. Van Parijs,
2002b). Néanmoins, il existe des modèles alternatifs à l’Etat nation comme cadre
d’application de l’allocation universelle. Voyons quelques exemples.

Dans l’Etat fédéral d’Alaska (Etats-Unis) on trouve le seul exemple


d’application d’une véritable allocation universelle (l’Alaska Permanent Fund). Elle est
financée à travers les ressources obtenues avec le pétrole. En effet, on utilise ces
ressources pour élaborer un portefeuille financier dont les revenus constituent le
montant à distribuer à parts égales parmi tous les citoyens de l’état (cf. §1.2).

Il y a d’autres exemples d’initiatives à une échelle plus réduite que celle de


l’Etat nation : en Catalogne, le gouvernement de Pasqual Maragall a demandé l’étude de
la faisabilité d’une allocation universelle qui serait appliquée au niveau de cette région
autonome de l’Espagne. Dernièrement, il y a eu une proposition dans ce sens pour
étudier la proposition au niveau national qui a été débattue au parlement espagnol.

D’autres auteurs se montrent partisans de l’idée d’allocation universelle à


l’échelle d’une entité supranationale comme l’Union Européenne (Ferry, 1996). L’idée
est que l’Union Européenne (UE), étant dotée d’institutions telles que la Banque
Centrale, est à même de minimiser le danger de la création monétaire et les effets
inflationnistes qui pourraient éventuellement découler de l’instauration d’une allocation
universelle. De plus, pour Ferry, il y aurait d’autres effets positifs tels que la relance du
sentiment de la citoyenneté européenne, qui est aujourd’hui un des talons d’Achille le
plus remarquable quant aux projets futurs de l’UE.

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1.1.c. …à tous ces membres, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni
exigence de contrepartie

Les bénéficiaires de l’allocation universelle sont tous les individus de la


communauté politique. Le versement est donc réalisé sur une base individuelle et
inconditionnelle : peu importe que le bénéficiaire soit riche ou pauvre, travailleur ou
chômeur, marié ou célibataire, grand ou petit, supporter du F.C. Barcelone ou du Real
Madrid… La dernière caractéristique énoncée, l’absence d’exigence de contrepartie,
renforce cette idée d’inconditionnalité. Il existe deux types de problèmes liés à
l’inconditionnalité de l’allocation universelle : ceux d’ordre distributif et ceux
concernant le travail. La question du travail étant l’objet des chapitres suivants, on
commentera sommairement les objections dans le domaine distributif. Il est clair qu’au
moins en dehors de l’Espagne, le fait de supporter Madrid ou Barcelone n’est pas trop
important quand on considère l’allocation universelle, mais, par contre, il n’en va pas de
même pour l’inconditionnalité par rapport au statut économique de l’individu. Il ne faut
pas tirer des conclusions trop précipitées : on doit avoir en compte l’importance du
système de financement de l’allocation universelle. En effet, dans tous les modèles que
nous avons étudié -que ce soit en considérant la possibilité d’un impôt négatif ou de
l’impôt sur le revenu-, les personnes les plus riches doivent financer leur allocation
universelle et une partie de celle des autres, leur bilan est donc négatif. Même si les
couches les plus aisées percevront régulièrement leur allocation universelle, elles
devront contribuer dans une plus grande mesure à la financer. Par conséquent, la
proposition ne contredit pas nécessairement les notions de justice les plus basiques
propres aux systèmes de redistribution modernes. Ce fait est très important pour
comprendre pourquoi l’allocation universelle ne comporte pas nécessairement un
maintien de la polarisation d’une société (Noguera et Raventós, 2002 ; pour une vision
critique de cette question cf. Aguiar, 2002). Néanmoins, on verra que la question
normative se heurte à d’autres problèmes comme celui du passager clandestin ou free-
rider (cf. §4.1.c).

Bien évidemment, si on ne prend en compte que l’aspect de la lutte contre la


pauvreté, on peut critiquer la double inefficience d’un tel dispositif universel (Creedy,
1996) : premièrement, il est octroyé à des personnes qui de toutes façons ont des
revenus bruts au-dessus du seuil de pauvreté et, deuxièmement, les personnes qui sont
placées en dessous de ce seuil de pauvreté reçoivent parfois un transfert excessive qui

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les place clairement au dessus (cf. Annexe 1 pour une présentation graphique et plus
formelle qui utilise les concepts présentés au Chapitre 2). Notons que, de ce point de
vue, le mécanisme le plus efficient est celui du revenu minimum [cf. §2.1]). On peut
opposer à ce constat le fait que le transfert universel peut s’avérer être un outil plus
efficace contre les inégalités que le revenu minimum (Creedy, 1996).

Face à ces critiques, on peut souligner d’autres avantages de l’inconditionnalité


du transfert (Van Parijs, 2003) :

- On atteint un plus grand nombre de bénéficiaires : personne ne sera exclue à


cause de la méconnaissance du droit de bénéficier de cette aide ou de l’horreur
provoqué par la complexité des démarches administratives nécessaires pour
l’obtenir. Il ne s’agit pas d’une question banale : d’après une enquête de
l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale une personne sur
cinq parmi celles en situation de précarité ont renoncé à faire valoir ses droits à
une aide à cause de l’extrême complexité du système français (Blais et al, 2001 :
152).

- On élimine la perception des aides sociales comme stigma ou humiliation pour


les plus pauvres.

- Le fait que l’allocation universelle soit complètement cumulative avec les autres
revenus de la personne élimine le problème de la trappe du chômage (cf. §5.2) :
tous les travaux « paient » immédiatement.

Cette inconditionnalité est également en consonance avec le respect d’un des


principes qui, d’après Guy Standing (2005), doit guider le choix des politiques
redistributives : il s’agit du test du principe de paternalisme (« the paternalism test
principle »). Selon ce principe, une politique ou un changement institutionnel n’est pas
juste s’il impose des contrôles sur un certain groupe alors que ces mêmes contrôles ne
sont pas réalisés sur les groupes les plus libres de la société.

Par conséquent il peut être préférable pour les plus démunis que les riches
perçoivent l’allocation universelle.

Il existe néanmoins quelques exceptions au cas général d’inconditionnalité de


l’allocation universelle. Ainsi, on pourrait par exemple justifier aisément l’exclusion des
délinquants emprisonnés. Laissant de côté les arguments d’ordre éthique, on peut
invoquer des raisons économiques pour cela : le coût de l’entretien des emprisonnés est

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à coup sûr supérieur au montant d’une allocation universelle modeste (Van Parijs 2003,
Vanderborght et Van Parijs 2005).

En ce qui concerne l’absence de contrepartie, une des exceptions la plus


remarquable est celle du revenu de participation proposé par Atkinson (1996).
L’économiste anglais développe une idée très proche de celle de l’allocation universelle
mais avec une petite différence : on doit mener à bien une participation sociale pour
devenir bénéficiaire. Cette notion de participation sociale est tellement large chez
Atkinson que presque tout le monde pourrait recevoir ce revenu de participation.

La portée de l’allocation universelle, concernant les bénéficiaires, peut être


également restreinte aux membres ayant atteint la majorité de la population. Une autre
possibilité est de moduler le montant octroyé selon le groupe d’âge auquel appartient le
bénéficiaire.

La dernière remarque porte sur le caractère individuel de l’allocation universelle.


En effet, les dispositifs traditionnels du revenu minimum tels que le Revenu Minimum
d’Insertion (RMI) sont modulés en fonction de la taille du ménage : on considère que la
vie en couple permet de bénéficier d’économies d’échelle grâce au partage des coûts
fixes. C’est pour cela qu’un bénéficiaire du RMI vivant seul touche plus qu’un autre
vivant en couple. En revanche, l’allocation universelle est identique pour tous
indépendamment de sa situation familiale. L’argument le plus convaincant en faveur de
cette attitude est celui exprimé par Rey (2004) qui explique qu’il n’existe pas
d’économies d’échelle pour les aliments. Pourquoi alors pénaliser si fortement les
familles les plus nombreuses comme c’est le cas par exemple pour les Rentes
Minimales d’Insertion mises en place dans certaines régions d’Espagne ?

1.2. La seule application pratique : L’Alaska Permanent Fund

Malgré le fait qu’il s’agisse d’un cas extrêmement particulier, le cas de l’Alaska
Permanent Fund mérite notre attention en tant que seul exemple pratique actuelle
d’allocation universelle d’après notre définition précédente.

Les conditions d’application sont tout à fait singulières : L’état d’Alaska (Etats-
Unis) présente une économie fortement basée sur l’exploitation du pétrole. De plus, le
gouvernement a enlevé en 1980 les impôts sur le revenu et l’impôt sur la vente et tous

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les revenus gouvernementaux proviennent essentiellement des redevances des
compagnies pétrolières.

L’approbation en 1976 par 66% de la population de la création du Permanent


Fund visait à faire en sorte que les revenus obtenus grâce à l’exploitation du pétrole
servent à financer les dépenses publiques tout en bénéficiant également à toute la
population (cela incluait les générations futures qui ne pourront probablement pas jouir
de cette ressource non renouvelable). Le Permanent Fund est un portefeuille
d’investissements géré par une corporation publique formée par les résidents d’Alaska
spécialistes dans la matière. Bien entendu, ils sont redevables devant le pouvoir public
et la population.

Les redevances payées par les compagnies pétrolières ont donc deux destins : la
dépense gouvernementale ou l’investissement dans le fond qui rapportera des
dividendes. Le gouvernement de l’Alaska est contraint à placer dans le Permanent Fund
au moins le 25% des recettes des redevances payées par les grandes compagnies
pétrolières installées sur le territoire.

Le calcul pour la répartition des dividendes est très simple : il suffit de prendre
les 10,5% des rendements du Permanent Fund pendant les cinq dernières années et les
diviser par le nombre total de bénéficiaires. Il n’y a aucun type de contrôle de ressources
ou exigence de prestation de travail : les bénéficiaires sont tous les résidents légaux en
permanence sans distinction d’âge ni de temps de résidence. Les personnes incarcérées
pour un crime majeur (viol, meurtre…) perdent leur droit à toucher l’allocation
universelle.

L’année 2000, chaque habitant d’Alaska a bénéficié d’une allocation universelle


de 1963,86$ (Blais et al. 2001 : 222).

Bien évidemment, un tel modèle d’allocation universelle est difficilement


transposable à d’autres pays étant donné les spécificités de l’économie de l’Alaska et de
sa faible population (environ 630 000 habitants). Néanmoins, cela peut se considérer un
bon exemple de la faisabilité politique de l’allocation universelle étant donné
l’excellente acceptation de cette mesure. En effet, en 1999, 83% s’est prononcé contre la
diminution du montant accordé à l’allocation universelle en faveur des revenus de
l’Etat.

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1.3. Une proposition œcuménique ?

Le dernier aspect du concept d’allocation universelle nous oblige à nous


aventurer sur un terrain parfois gênant chez les économistes : il s’agit de l’œcuménisme
de l’allocation universelle, autrement dit, dans quelle mesure peut-on dire que la
proposition s’inscrit dans une théorie normative concrète ? Est-elle œcuménique, c’est-
à-dire, acceptable indépendamment de l’approche normative qu’on utilise ? La question
mérite d’être posée étant donné que cette mesure pourrait gagner en faisabilité s’il était
prouvé qu’elle était œcuménique

La réponse à cette question n’est pas tranchée. Les défenseurs de l’œcuménisme


essayent de centrer le débat sur la voie déontologique (Domènech, 2002). De ce point de
vue, l’allocation universelle se veut une mesure inscrite dans le cadre des droits des
citoyens (à travers la garantie du « droit à l’existence »). Il est difficile d’imaginer une
théorie normative contraire à un tel principe. Néanmoins, d’autres auteurs prennent un
point de vue conséquentialiste qui efface le caractère œcuménisme d’une telle mesure.
En effet, on considère que la mise en place d’une allocation universelle implique très
probablement un compromis avec une théorie normative en particulier : pour De
Francisco (2002a ; 2002b) il s’agirait plus concrètement d’un compromis avec une
idéologie de gauche. Est-ce que les libertaires réels de Van Parijs seraient d’accord avec
une allocation universelle fixée à un niveau dérisoire et qui substituerait tous les
transferts existants en faisant le régal des studieux de Chicago et une bonne partie de ses
collègues de l’école autrichienne ? Sûrement pas : l’application pratique résulterait donc
d’une incompatibilité avec l’œcuménisme.

En définitive, la problématique tourne autour de l’adoption d’une de ces deux


voies (déontologique ou conséquentialiste) pour traiter la question de l’œcuménisme de
l’allocation universelle. Il revient au lecteur de décider si la mesure est en effet
dissociable des conséquences de sa mise en œuvre pratique tout en restant dans le
terrain des droits de la citoyenneté.

18
Chapitre 2

L’allocation universelle face à d’autres mécanismes de revenu


minimum et d’aide aux bas salaires

Le propos de ce chapitre est de cibler d'une manière plus précise les


particularités de l’allocation universelle face aux dispositifs de revenu minimum les plus
répandus aujourd’hui. Autrement dit, on comparera l’allocation universelle au revenu
minimum (§2.1), à l’impôt négatif (§2.2) et au crédit d’impôt (§2.3).

Quelques remarques préliminaires s’imposent en ce qui concerne l’analyse


qu’on développera à présent. Premièrement, il faut souligner que notre comparaison
utilise quelques hypothèses simplificatrices implicites qui n’affectent pas à la
conclusion finale. Ainsi, on considérera que l’Etat n’a pas d’autres dépenses que le
paiement de ces dispositifs de revenu minimum garanti et qu’il utilise un impôt linéaire
pour les financer.

Deuxièmement, au regard de ce qu’on a déjà abordé précédemment, une des


différences fondamentales de l’allocation universelle par rapport à n’importe quel autre
dispositif est qu’elle agit ex-ante tandis que les mécanismes de revenu minimum
conditionnel, le crédit d’impôt ou l’impôt négatif sont des dispositifs ex-post. En effet,
l’allocation universelle ne présuppose aucun calcul préalable des ressources de
l’individu pour vérifier s’il remplie ou non les conditions de bénéficiaire ou pour fixer
la quantité du transfert. Les autres dispositifs, par contre, impliquent un calcul du
revenu brut des bénéficiaires pour fixer le transfert auquel ils ont droit.

Plongeons nous maintenant sur les différences plus spécifiques relatives à


chacun des minima sociaux considérés.

2.1. Les dispositifs de revenu minimum

Les dispositifs de revenu minimum garanti conventionnel visent à assurer un


niveau minimum de revenu aux bénéficiaires en versant la différence entre le revenu de
l’individu et le seuil fixé par la loi (cf. Figure 1).

19
Figure 1. Revenu minimum garanti conventionnel

Revenu
net
T

B C

a Revenu brut

Source : Creedy (1996 : 63)

On voit que les efforts redistributifs dans notre exemple sont concentrés sur les
revenus au-dessus du seuil a. En effet, tous les individus avec un revenu brut inférieur à
a reçoivent un transfert qui les place au niveau B (droite BC). Les individus au-delà de
a sont contribuables nets. Ainsi, la droite de revenu des contribuables nets (CT) est
placée en dessous de la bissectrice, autrement dit, en dessous de ce qui serait son revenu
en cas d’absence de redistribution (dans ce cas le revenu brut serait égale au revenu net).
On est en mesure d’exprimer de manière générale les revenus nets (z) sous un tel
dispositif (Creedy, 1996) :

zi = yi + (a-yi) si yi < a (1)

zi = yi - t(yi-a) si yi > a (2)

Où :
zi = Revenu net de l’individu i.
yi = Revenu brut de l’individu i.
a = Seuil fiscal (revenu brut à partir duquel on passe de bénéficiaires à contribuables).
t = Taux d’imposition sur le revenu
En France, le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) est un bon exemple du
mécanisme qu’on vient de décrire. Bien évidemment, notre explication utilise un certain
nombre d’hypothèses simplificatrices qui l’écartent légèrement des applications
pratiques. En effet, laissant de côté l’hypothèse plus générale d’absence d’autres
dépenses étatiques, on a considéré qu’il n’existe pas une modulation en fonction de la
taille du ménage. Dans la réalité, comme l’on a déjà vu, les dispositifs tels que le RMI
prennent en compte les économies d’échelle de la vie en couple en réduisant le transfert
par tête pour deux bénéficiaires vivant ensemble. De la même manière, le graphique
suppose le financement de cette mesure à travers un impôt linéaire sur le revenu (avec

20
un taux constant qu’on a appelé t). Dans la réalité, on peut avoir recours à un impôt
progressif mais cela ne changerait pas les conclussions de notre analyse.

D’après cela qu’on a vu, on est en mesure de repérer quelques différences entre
un dispositif de revenu minimum tel que le RMI et l’allocation universelle :

- Tout d’abord, l’allocation universelle ne prend pas en compte les économies


d’échelle de la vie en couple : le transfert est le même pour tous. Premier
problème : pourquoi dépenser plus si les avantages de la vie en couple
permettent un moindre transfert par individu ? Les partisans de l’allocation
universelle considèrent ce fait comme un avantage : on réussit à encourager les
gens à la possibilité de vivre en couple et jouir des économies d’échelle (les
dispositifs actuels pourraient la décourager) tout en s’épargnant les contrôles
pour vérifier qui vit avec qui (cf. Van Parijs, 2003).

- Deuxièmement, la figure 1 expose un problème qui peut passer inaperçu pour les
non initiés aux questions de la fiscalité : il s’agit des taux marginaux
d’imposition. En effet, les dispositifs tels que le RMI sont qualifiés de
différentiels étant donné que leur but n’est que de pourvoir la différence entre le
revenu de l’individu et le revenu minimum. Cela veut dire que toute
augmentation « x » du revenu, impliquera une réduction « x » du transfert dont
on bénéficie. C’est pour cela qu’on dit que la taxation marginale est de 100% :
pour chaque euro qu’on gagne tout en restant au dessous du seuil a, on perd un
euro du RMI. Ce phénomène aura des implications importantes quand on
étudiera les incitations au travail (cf. §5.2.a). L’allocation universelle, de son
côte, n’a pas ce problème : elle est cumulative, autrement dit, chaque euro gagné
ne fait pas diminuer le montant perçu de l’allocation universelle.

- La troisième différence est liée à la conditionnalité du RMI. En effet, la


perception du RMI précise d’avoir plus de 25 ans et oblige un engagement de la
part des individus dans des actions ou activités pertinentes pour son insertion
dans le milieu professionnel. Comme on l’a déjà vu, l’allocation universelle est
complètement dissociée de toute obligation d’insertion ou d’acceptation d’un
emploi. C’est pour cela qu’on peut dire que le RMI, à la différence de
l’allocation universelle, ne respecte pas le principe du test de paternalisme
évoqué par Guy Standing (cf. §1.1.c). Pour la question concernant l’âge, il
existe, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent (cf. §1.1.c), des

21
propositions où l’allocation universelle ne serait perçue qu’à partir de la majorité
tandis que d’autres pensent que même ceux qui n’ont pas atteint la majorité
peuvent la percevoir (dans la plupart de cas d’un moindre montant).

2.2. L’impôt négatif sur le revenu

En général on attribue, de manière erronée, au prix Nobel de l’école de Chicago


Milton Friedman l’idée d’un impôt négatif sur le revenu (cf. Friedman, 1971). Certes,
Friedman conçoit l’impôt négatif comme une combinaison des modalités les plus
simples de prélèvement et transfert pour faire en sorte que la distribution menée à bien
interfère le moins possible dans les mécanismes du marché, mais il n’était pas le
premier à s’être penché sur cette question. Ainsi pendant les années 60, l’économiste
américain James Tobin était un défenseur encore plus enthousiaste que Friedman de
cette mesure, même si il ne partageait pas par ailleurs les postulats néolibéraux de
Friedman. Et ce n’est pas tout : en ce qui concerne la paternité du concept, on retrouve
déjà l’idée dans les écrits de Cournot aux XIXème siècle. Le mépris d’une partie de la
gauche au regard de l’idée d’impôt négatif à cause de ses hypothétiques connotations
idéologiques n’est pas bien fondé. Tout comme l’allocation universelle, l’impact d’un
impôt négatif dépend du contexte économique auquel il est appliqué, le degré de
substitution avec les autres dispositifs sociaux étant un des facteurs clé à prendre en
compte.

Figure 2. Impôt négatif sur le revenu et allocation universelle avec impôt linéaire

Revenu
net
C
A
B

O
a
Revenu brut

Source : Creedy (1996 : 58)

En ce qui concerne l’idée d’impôt négatif, on peut le définir comme une


combinaison d’un transfert égal pour tous en enlevant ultérieurement une quantité

22
proportionnelle à chacun si la différence entre la base imposable et le transfert est
positive. Autrement dit, il s’agit simplement d’un système ou le taux d’imposition sur le
revenu est constant (impôt linéaire) avec un transfert accordé pour chacun: quand les
impôts dus sont inférieurs au transfert accordé, on reçoit la différence, c'est-à-dire, on
bénéficie d’un impôt négatif.

Plus formellement, le revenu net sous un système d’impôt négatif sur le revenu
est donné par l’expression (Creedy, 1996) :

zi = yi – t·(y-a) = yi·(1-t) + a·t (3)

Où :
zi = Revenu net de l’individu i.
yi = Revenu brut de l’individu i.
a = Seuil fiscal (revenu brut à partir duquel on passe de bénéficiaires à contribuables).
t = Taux d’imposition sur le revenu.
On entend souvent que Friedman est un des précurseurs modernes de l’allocation
universelle : cela est dû à la confusion entre l’idée de l’impôt négatif est celle
d’allocation universelle. En effet, les similitudes ne sont pas négligeables : dans un
cadre d’allocation universelle financée à travers un impôt linéaire, la répartition du
revenu serai exactement celle de la Figure 2. Néanmoins, il n’est pas insensé de prendre
l’impôt négatif sur le revenu « à la Friedman » comme une sorte de version libérale
d’allocation universelle. De ce point de vue, la seule différence est l’ampleur de cette
dernière (Piketty, 2004). À l’inverse, Van Parijs (2002a) souligne quelques différences
importantes subsistantes qu’il faut maintenant évoquer.

Premièrement, on a vu que le paiement de l’allocation universelle est réalisé ex-


ante. Tout le monde touche l’allocation même si sa contribution fiscale est nettement
plus onéreuse. L’impôt négatif réalise les transferts ou les prélèvements pertinents après
le calcul des revenus de l’individu ou du ménage pendant la période considéré (cf.
équation (3)). En d’autres termes, les revenus nets avec un système d’allocation
universelle financée à travers un impôt linéaire sur le revenu sont donnés par
l’expression

zi = b + yi – t·yi (4)

Où :
zi = Revenu net de l’individu i.

23
yi = Revenu brut de l’individu i.
b = Allocation universelle.
t = Taux d’imposition sur le revenu.
On note que, quand b = a·t, les équation (3) et (4) sont équivalentes.

Pour les défenseurs de l’allocation universelle le paiement ex-ante n’est pas une
différence banale : un système tel que celui de l’impôt négatif présuppose un lourd
calcul préalable pour transférer à chaque ménage au-dessous du seuil fiscal (a dans la
figure 2) le montant auquel il a le droit. On doit mettre en œuvre un mécanisme
bureaucratique conséquent pour assurer que ces ménages à bas revenu bénéficieront du
transfert. Cela est d’autant plus vrai qu’on peut penser que les bénéficiaires de cet impôt
négatif ont vraiment besoin de ce revenu pour pourvoir à leurs besoins les plus basiques.
Le pari de l’allocation universelle est clair : « donnons à tous et ajustons par l’impôt »
(Van Parijs, 1996b : 10). Pas besoin donc de subir des lourds coûts administratifs de
contrôle des revenus.

La deuxième différence tient au fait que l’impôt négatif est appliqué dans la
plupart des cas en prenant le ménage comme bénéficiaire tandis que l’allocation
universelle est payée sur une base strictement individuelle. Ainsi, même si la
distribution des revenus était identique avec les deux systèmes, le paiement individuel
de l’allocation universelle est censé bénéficier aux femmes dépendantes
économiquement de leur mari. En effet, « [l’impôt négatif sur le revenu] a tendance à
octroyer à celui qui a le revenu le plus élevé au moins une partie du crédit d’impôt de
son copain qui a un revenu moindre ou nul » (Van Parijs, 2002a : 49).

Finalement, l’allocation universelle a l’avantage d’être un flux de revenu stable


et sûr pour le bénéficiaire indépendamment de si on travaille ou pas. On développera
ultérieurement cet aspect pour montrer son importance en ce concernant le problème des
trappes du chômage (cf. §5.2).

On observe donc que, malgré les similitudes quant au résultat redistributif, les
partisans de l’allocation universelle réussissent à mettre en relief la spécificité de l’idée
face à l’impôt négatif.

24
2.3. Le crédit d’impôt

Variante de l’impôt négatif sur le revenu, le crédit d’impôt introduit aux Etats-
Unis en 1975 sous la dénomination d’Earned Income Tax Credit (EITC), est devenu
pendant les dernières décennies « l’élément central du paysage fiscalo-social
américain » (Piketty, 2004 : 104). Même si ce dispositif n’est pas en mesure par lui-
même d’assurer un revenu minimum à tous les travailleurs (cf. figure 3), il a été conçu
pour des raisons similaires à celles qui sont souvent invoquées pour défendre
l’allocation universelle, à savoir renfoncer les incitations d’entrée au marché de travail
pour les bas revenus et améliorer la situation financière des travailleurs les plus
démunis. La France a adopté en 2001 un dispositif très similaire appelé Prime Pour
l’Emploi (PPE). Même si notre analyse est plutôt ciblée sur ce qu’on peut appeler le
dispositif phare dans le domaine des crédits d’impôt (l’EITC), les avantages et
problèmes qu’on va traiter sont tout à fait applicables à la PPE française.

Le mécanisme de l’EITC est illustré par la figure 3 : lors de la phase d’entrée les
bénéficiaires reçoivent un transfert qui augmente proportionnellement avec leur revenu
jusqu'à atteindre un premier seuil nommée y1. Ensuite, lors de la phase de plateau -entre
y1 et y3- le transfert est proportionnel au revenu brut gagné pour décroître entre y3 et y4
et, finalement, s’annuler lors de la phase de sortie quand le revenu brut est supérieur ou
égal à y4. On perçoit de cette manière une première différence entre le crédit d’impôt et
les autres allocations : avec un système comme l’EITC une augmentation du revenu
entraîne une augmentation du transfert, tandis qu’avec le revenu minimum garanti ou
l’impôt négatif la situation est contraire : plus on gagne, plus le transfert se réduit.

Figure 3. Le Crédit d’impôt

Revenu
net

O
y1 y2 y3 y+ y4
Revenu brut
Source : Vanderborght et Van Parijs (2005 : 44)

25
Il est clair que si on veut garantir un revenu minimum B dans la Figure 3, il faut
ajouter un dispositif extra pour tous les travailleurs pour lesquels le revenu brut est
inférieur à y2. Le crédit d’impôt par lui-même n’est pas capable d’assurer ce niveau de
revenu net pour tous. La combinaison d’un tel dispositif de revenu minimum avec le
crédit d’impôt peut être considéré comme un modèle prometteur de transition vers
l’instauration d’une allocation universelle (Vanderborght et Van Parijs, 2005). Il s’agit
de la stratégie adoptée par les Pays-Bas quand, en 2001, on a substitué une « réduction
d’impôt universelle » (algemene heffingstkorting) à l’ancien système du crédit d’impôt
forfaitaire. La nouveauté réside dans le droit « des conjoints sans emploi de personnes
au travail redevables d’impôt (…) au versement du montant du crédit universelle (…)
sans avoir aucunement à prouver qu’ils cherchent un emploi ou exercent une activité
d’utilité sociale » (Vanderborght et Van Parijs, 2005 : 95, nous soulignons ; cf. aussi
Blais et. al., 2001 : 112-114). Cet exemple illustre la faisabilité d’un passage d’un
système régi par le crédit d’impôt à une situation hybride entre l’impôt négatif et
l’allocation universelle.

Il convient toutefois de ne pas oublier que, malgré tout, l’idée du crédit d’impôt
par elle-même diffère de celle de l’allocation universelle. Ainsi, même si tout comme
l’allocation universelle le crédit d’impôt est censé permettre d’améliorer la situation des
travailleurs aux revenus les plus bas, Van Parijs (2003) remarque que l’avantage de
l’allocation universelle consiste à donner accès aux travailleurs aux postes les plus
« précieux ». De son point de vue cela serait possible grâce à la hausse du pouvoir de
négociation (cf. §6.2.b). D’ailleurs, une autre des différences la plus remarquable
concerne l’application restreinte du crédit d’impôt aux foyers dans lesquels au moins
une personne travaille (ceci étant vrai pour l’EITC et pour la PPE) : il s’agit donc d’un
transfert conditionnel. Finalement, tout comme la plupart des propositions d’impôt
négatif, il ne s’agit pas d’un transfert individuel. En général, on prend en compte la
taille du ménage pour moduler l’ampleur du crédit d’impôt auquel ont droit les
bénéficiaires.

Les différences soulignées dans ce chapitre peuvent être synthétisées dans le tableau
suivant

26
TABLEAU 1 : DISPOSITIFS TRADITIONNELS ET ALLOCATION UNIVERSELLE
Revenu Crédit Impôt Allocation Revenu de
Minimum d’impôt négatif universelle participation
conventionnel pour bas sur le [Atkinson]
(RMI, etc. salaires revenu
(PPE, etc.)
Cotisation Non Non Non Non Non
préalable ?
Test de Oui Oui Oui Non Non
revenu ?
Individuel ? Non Non Non Oui Oui
Exigence de Oui Oui (travail Non Non Oui (activité
contrepartie ? (disposition à rémunéré) reconnue)
travailler)
Source : Vanderborght et Van Parijs (2005 : 48)

En conclusion, on constante que l’allocation universelle ne correspond à aucune


des propositions théoriques ou mises en place dans le domaine des dispositifs de revenu
minimum et aide aux travaux à basse rémunération. Néanmoins, l’allocation universelle
n’a pas non plus les caractéristiques d’une proposition remettant fondamentalement en
cause les différents modes de gestion des systèmes de protection sociale. Ainsi, le
maintien d’un engagement de l’Etat dans la lutte contre le chômage peut est préservé
tout comme le maintien de certaines politiques actives ou passives relatives au marché
de travail. L’allocation universelle n’intervient que comme un complément des
dispositifs déjà existants. En effet, « l’introduction d’un tel revenu inconditionnel doit
être vu non comme le démantèlement de l’État providence mais comme son point
culminant » (Van Parijs, 1992).

27
DEUXIEME PARTIE

Le travail

28
« Pour beaucoup (…) [le travail est] ce que les êtres humains
doivent faire, et même subir, pour avoir de quoi subsister »

John Kenneth Galbraith (2004 : 33)

Chapitre 3

Concept de travail et droit au travail

Le travail est une activité qui, logiquement, est très attachée au domaine d’étude
de l’économiste. En effet, souvent dans les modèles économiques on trouve la variable
L en représentant le facteur travail. Or, comme d’habitude, derrière cette notation
apparemment neutre se cache une importante hypothèse implicite. En effet, dans ces
mêmes modèles il y a une autre variable w (salaire) qui apparaît systématiquement
reliée à « L ». Autrement dit, quand on parle de travail en économie, on ne fait référence
qu’au travail rémunéré. Cette définition est-elle satisfaisante ? Etant donné que l’objet
de cette étude est de mettre en lumière les liens existants entre l’allocation universelle et
le travail, peut-on se contenter d’une telle définition du travail ?

D’un autre côté, les critiques de l’allocation universelle soulignent que la valeur
travail est une composante fondamentale de la vie, de la réalisation personnelle et de
l’intégration dans la société. D’après ce point de vue, l’allocation universelle oublierait
l’importance de garantir le droit au travail dont doit jouir chaque citoyen.

Quelle est la réponse des partisans de l’allocation universelle face ces attaques ?
Pour tenter de répondre à ces questions le chapitre sera structuré de la manière suivante.
On commence par définir le concept de travail (§3.1) en vérifiant qu’une définition
rigoureuse du concept élargit le travail à des activités en dehors de la sphère marchande,
telles que le bénévolat ou le travail domestique. Dans un deuxième temps on décrit les
caractéristiques d’un hypothétique secteur quaternaire d’activité qui pourrait découler
de ce développement des travaux non rémunérés (§3.2). Finalement, on analyse les
rapports entre l’allocation universelle et le droit au travail. On verra que ces rapports
sont drastiquement modifiés lorsqu’on prend en compte la re-conceptualisation du
travail ébauchée dans les sections précédentes. En effet, face à ceux qui pensent que le
droit au travail est opposé à l’allocation universelle, on verra que cette mesure peut
constituer une importante garantie à ce droit (§3.3).

29
3.1. Le concept de travail

Le concept de travail dont on va se servir est celui énoncé par Raventós (2001)
qui, à son tour, l’emprunte à Van Parijs (1996a) en le modifiant légèrement. Ainsi, un
travail est défini comme « une activité qui produit un bénéfice, externe à l’exécution de
l’activité elle-même, dont les autres peuvent jouir » (Raventós, 2001 :2).

Un des avantages concernant notre définition de travail est qu’on laisse de côté
la question de l’utilité sociale du travail réalisé. On ne peut en effet pas assimiler le
travail à une activité socialement utile, par exemple dans le cas des producteurs d’armes
qui perçoivent un salaire tandis que ceux qui soignent des personnes âgées n’en
perçoivent pas toujours. Dans ces conditions et comme Raventós (2001) le souligne, le
fait de ne pas traiter la question de l’utilité sociale dans notre définition constitue plutôt
un avantage qu’un problème.

Une autre des caractéristiques de notre définition de travail concerne la largeur


du concept de travail. Ainsi il englobe le travail rémunéré mais aussi d’autres activités
telles que le travail domestique ou le bénévolat. Le fait de limiter le concept de travail
aux activités rémunérées soulèverait quelques difficultés rendant le concept peu
opérationnel. Par exemple, selon ce point de vue qui restreint le travail aux activités
avec rémunération, le fait de soigner les enfants d’autrui doit être considéré comme un
travail (on touche un salaire), mais, par contre, si cette même activité est faite avec nos
propres enfants, elle ne le serait pas étant donné l’absence de rémunération.

Même s’il est clair que nos sociétés sont basées sur le travail rémunéré, il n’est
pas difficile de trouver en France quelques partisans comme Gorz, Aznar, Laville ou
Lipietz d’un modèle ciblé sur des activités extra productives. L’allocation universelle
s’inscrit dans un tel courant de pensée entraînant l’idée qu’avec son instauration le
travail rémunéré perdrait une partie de sa prépondérance actuelle. Les individus auraient
donc la possibilité de se dédier aux activités qu’ils désirent même si elles n’ont pas une
rémunération de marché. Notons que cette conception de l’allocation universelle, très en
accord avec la notion de « liberté réelle » de Van Parijs (1996a), présuppose une
allocation universelle fixée au moins à un niveau égal au seuil de pauvreté de telle sorte
que la couverture des besoins les plus basiques pour vivre soit assurée.

Le moment est venu d’approfondir ce qui concerne les activités conformant le


travail tel qu’il a été présenté, ainsi que les éventuels effets qu’une allocation universelle

30
aurait sur chacune de ces activités. On se servira pour cela du classement que Raventós
(2001) utilise pour diviser le travail en trois catégories : travail avec rémunération dans
le marché, travail domestique et bénévolat.

3.1.a. Travail avec rémunération dans le marché

Le premier type de travail -le travail avec rémunération ou emploi- est le type
majoritaire dans nos sociétés. On peut le définir comme une activité qui se réalise en
échange d’un salaire. Il faut préciser que dans cette catégorie on trouve des salariés mais
aussi d’autres travailleurs tels que les indépendants.

Etant donné que l’impact de l’allocation universelle sur ce type de travail fait
l’objet d’une analyse plus détaillée dans notre troisième partie, on se contentera de
commenter ici un des effets les plus notables relatif aux travailleurs indépendants : la
réduction vis-à-vis du risque (Raventós, 2001). En effet, les défenseurs de l’allocation
universelle considèrent qu’un tel revenu favoriserait la prise de risque des entrepreneurs
(en cas d’échec on peut toujours compter sur l’allocation universelle) et rendrait un peu
plus facile le remboursement des crédits contractés pour débuter l’activité. Néanmoins,
les études empiriques qui ont été faites sur les gagnants du Win For Life belge (loterie
qui donne le droit à percevoir un revenu individuel et inconditionnel de 1000€ par mois
à vie et qui, par conséquent, peut ressembler même imparfaitement à une allocation
universelle) mettent au jour un impact nul de ce revenu inconditionnel sur la mise en
route d’activités d’entrepreneur (Marx et Peeters, 2004). En tout état de cause, étant
donné les caractéristiques de cette étude empirique et les différences avec une allocation
universelle (les propositions d’allocation universelle sont toujours inférieures à 1000€
par mois, l’horizon temporel considéré pour évaluer les conséquences d’un tel revenu
est trop court étant donné que le Win For Life n’existe que depuis 1998, l’échantillon
n’est pas représentatif…), on ne peut pas exclure définitivement l’argument d’une plus
grande facilité pour entreprendre, découlant de l’instauration d’une allocation
universelle.

3.1.b. Le travail domestique

La deuxième activité qui intègre le concept de travail est le travail domestique.


On peut le définir comme « les activités non rémunérées, menées à bien par et pour les

31
membres de la famille. Ces activités peuvent être substituées par des produits
marchands ou des services rémunérés quand des circonstances comme les revenus, la
situation du marché et les préférences permettent de déléguer ces services à une
personne n’appartenant pas à la famille » (Reid, 1934 ; cité dans Raventós, 2001 :13).
On retrouve dans cette définition des activités telles que le soin des personnes, le
ménage, la cuisine et les courses…

L’activité domestique échappe à la comptabilité nationale et par conséquent elle


n’est pas prise en compte dans les grands agrégats macroéconomiques. En effet, on
souligne dans bien de cas que le fait de ne pas prendre en compte ce type d’activités est
une des limites les plus importantes du Produit Intérieur Brut (PIB). On retrouve ici le
problème soulevé précédemment : dans la mesure où l’économie ne porte son attention
que sur les activités où il existe une rémunération, on à faire à une conception imparfaite
et réductionniste du travail où on ne prend en compte qu’une des modalités intégrant le
concept. Pourtant, le travail domestique n’est pas une activité mineure. Malgré les
difficultés pour mesurer son poids dans l’économie et l’hétérogénéité des résultats
obtenus, il existe un relatif consensus pour fixer le poids du travail domestique autour
d’un tiers du PIB (Raventós, 2001). Les méthodes employées pour la mesure de ces
activités sont très diverses. On distinguera celles basées sur les inputs et celles basées
sur l’output :

- Mesures basées sur les inputs (quantité et qualité du travail utilisé lors de la
production de biens et services). Dans cette catégorie on peut distinguer :

o Les coûts de remplacements (qu’est-ce qu’on devrait payer si le travail


domestique devrait être fourni par le marché ?).

o Les coûts des services (critère déjà utilisé en France pour comptabiliser
dans le PIB des activités qui n’ont pas un prix de marché comme c’est le
cas des services publics).

o Les coûts d’opportunité (revenu auquel on renonce pour mener à bien le


travail domestique).

- Mesures basées sur l’output (valeur du produit obtenu). Dans cette catégorie on
peut trouver les approches basées sur :

o Le produit total (valeur monétaire des biens et services produits).

32
o La valeur ajoutée (valeur du produit total moins la valeur de tous les
biens intermédiaires utilisés).

L’impact d’une allocation universelle sur le travail domestique est étroitement


lié aux effets d’une telle mesure sur un groupe sociale en particulier : les femmes. En
effet, il est évident que l’organisation des sociétés de nos jours entraîne, dans bien des
cas la réalisation des tâches domestiques par les femmes même si cette tendance semble
actuellement en déclin. L’allocation universelle est vue par ses partisans comme un
moyen de « diminution de la dépendance [des femmes] à l’égard de la sphère de la
reproduction familiale (…) et de l’autorité de l’actif ou du chef de ménage » (Boutang,
2005). Il s’agit de sortir du schéma du white male breadwinner (littéralement, « homme
blanc gagneur du pain ») avec une femme confinée aux tâches domestiques et
subordonnée économiquement au mari. Par conséquent, les femmes seraient les grandes
gagnantes en termes de revenu et d’indépendance (Van Parijs, 2002a). En plus, certains
auteurs soulignent les liens existants, entre contribution à la communauté à travers le
travail, et prépondérance du point de vue productif et politique de l’homme (Pateman,
2005). C’est ainsi que la re-conceptualisation du travail imposé par l’allocation
universelle -en reliant le travail non rémunéré aux notions d’emploi et citoyenneté-
bénéficierait d’une manière spéciale aux femmes à travers le renforcement de leur statut
de citoyennes (Pateman, 2005 ; Robeyns, 2001).

Cette vision très optimiste qu’on vient de décrire doit être nuancée. En effet, les
critiques féministes à l’allocation universelle craignent un renforcement de la situation
actuelle dans le mauvais sens : enfermement des femmes dans le travail domestique,
absence d’implication du mari pour le soin des enfants… (Lerner, 2000). Cette critique
perçoit que le fait de recevoir un revenu inconditionnel et de ne pas être engagé dans un
travail rémunéré amènerait les femmes à réaliser davantage de travail domestique. En
effet, les partisans de l’allocation universelle sont obligés de reconnaître qu’il faut éviter
d’assimiler l’allocation universelle à un remède contre tous les maux sociaux (Ferry,
1996 ; Raventós, 2001 ; Pateman, 2005) : un revenu inconditionnel ne peut pas
bouleverser par lui-même les rapports de force et les structures sociales, les
déterminants de ceux-ci allant au-delà de facteurs purement économiques. L’allocation
universelle doit s’accompagner d’un compromis politique pour la mise en place d’autres
mesures qui assurent une effective égalité entre hommes et femmes dans tous le

33
domaines. L’enjeu est d’éviter le renforcement de la division sexiste du travail que
l’allocation universelle pourrait provoquer (Robeyns, 2001)

Cela étant, les prescriptions du point de vue féministe en ce qui concerne


l’allocation universelle et son rapport avec le travail domestique et l’indépendance
économique des femmes se cristallisent dans deux points fondamentaux (Pateman,
2005):

- L’allocation universelle doit se fixer au-dessus du seuil de pauvreté pour garantir


dans la mesure du possible l’indépendance économique des femmes et éviter un
plus grand enfermement dans le travail domestique.

- Dans un but pragmatique on pourrait envisager une partie de l’allocation


universelle étant proportionnelle à la taille du ménage et qui s’ajouterait à la
partie de l’allocation strictement individuelle (Pinilla, 2002). Néanmoins, le
souci pour assurer l’effective indépendance des femmes impose de mettre
l’accent sur l’importance de l’existence de cette partie totalement individuelle et
égale pour tous. En effet, c’est seulement à travers le partage individuel du
revenu qu’on peut éviter les problèmes de répartition pouvant rendre difficile
l’équité du revenu entre hommes et femmes au sein du ménage.

3.1.c. Le bénévolat

Le troisième type de travail qu’on distingue est le bénévolat. On peut le définir


comme étant « l’occupation du temps propre dans des activités dédiées aux autres sans
rémunération et qui ne font pas partie du travail domestique tel qu’on l’a défini ci-
dessus » (Raventós, 2001 : 16). De la même manière qu’avec le travail domestique, on
retrouve des activités éminemment utiles du point de vue social (services sociaux, aide
sanitaire, soin d’handicapés et de malades…) mais pour lesquelles il n’existe pas une
rémunération –en dehors de la satisfaction interne qu’ils fournissent- ni une prise en
considération dans les agrégats macroéconomiques tels que le PIB. Néanmoins, encore
une fois, on se trouve face à un type de travail d’une importance considérable : en effet,
les études montrent qu’au début des années 90, 51% de la population des États-Unis
avait dédié une partie de son temps au bénévolat (Raventós, 2001 : 17). Les calculs en
heures de travail (20 500 millions) ou en postes de travail à temps complet (9 millions
de postes) rendent compte de l’importance de ce type d’activités.

34
En ce qui concerne l’impact attendu d’une allocation universelle sur le travail
bénévole, les partisans de la mesure se montrent convaincus de l’impact positif du
temps consacré à de telles activités. Cela serait possible grâce à la réduction du temps de
travail dont jouiraient les personnes (cf. §6.1.b) et qui pourrait être dédié au bénévolat.
Comme dans le cas du travail indépendant et l’encouragement à la capacité
d’entreprendre, un tel effet reste dans le domaine de l’hypothétique et du probable.
Seule la mise en place d’une allocation universelle à un niveau suffisant permettrait de
vérifier la validité de cet argument. C’est au lecteur de décider du bon sens ou de la
naïveté de telles affirmations.

3.2. Vers un nouveau secteur d’activité ?

Cet ensemble des considérations sur le développement des activités en dehors du


travail rémunéré, amène certains chercheurs à évoquer sérieusement l’essor d’un
nouveau secteur d’activité qu’on appelle secteur quaternaire (Ferry, 1996; Sue, 1999) -
ou secteur tertiaire pour certaines auteurs (Lipietz, 1999; Gorz, 1999). Dans ce secteur
l’instauration d’un revenu inconditionnel jouerait un rôle primordial : il s’agit d’une des
visions les plus ambitieuses en ce qui concerne le pouvoir de réforme qu’on pourrait
atteindre à travers l’instauration d’une allocation universelle. D’après les théoriciens du
secteur quaternaire, il ne s’agirait ni plus ni moins que du dépassement de la société
salariale à travers l’apparition d’un secteur d’activités non-marchandes. Voyons quelles
sont les caractéristiques générales de ce secteur.

Les activités comprises dans ce secteur quaternaire présenteraient un caractère


personnel et non mécanisable. Ainsi, on rend possible l’intégration sociale à travers
d’autres types de travail que celui rémunéré. En effet, Gorz (1999) considère que
« l'activité citoyenne » ne peut être assujettie à des normes de rendement et de
rentabilité : elle est sociale, politique et/ou culturelle et non "productive" au sens
économique ». Ce souci par le développement d’activités alternatives au travail
rémunéré vient du fait que les auteurs adhèrent à une idée souvent cité parmi les
défenseurs de l’allocation universelle : la rationalisation induite par le progrès technique
conduisant les machines à se substituer de plus en plus au travail humain. Cela rend très
difficile l’accès au travail mais permet en même temps une plus grande production avec
moins de travailleurs. Néanmoins, du point de vue de la théorie économique, il faut
nuancer cette proposition qui, parfois, est trop rapidement acceptée. En effet, la relation

35
entre progrès technique et chômage est ambiguë : tandis que dans certains postes le
capital doit se substituer au travail pour maintenir la compétitivité, on peut également
envisager un scénario où l’amélioration de la productivité du travail -résultat du progrès
technique- crée des nouveaux postes (Cahuc et Zylberberg, 2001). Quoi qu’il en soit, le
secteur quaternaire vise à offrir des débouchés aux travailleurs qui peuvent être exclus
du circuit productif et à tous ceux qui désirent développer des activités socialisantes,
personnelles et en marge des activités économiquement productives. D’après tout ce que
nous venons de décrire, il est facile de repérer la grande diversité d’activités se
déversant dans le domaine du secteur quaternaire. Ferry (1996) souligne deux
caractéristiques basiques caractérisant ces activités :

- Il s’agit d’activités personnelles qui peuvent avoir un caractère manuel (activités


artisanales ou artistiques), relationnel (activités de soutien, d’assistance…) ou
intellectuel (invention, recherche, critique, édition…).

- Elles sont des activités autonomes où « les agents de ces activités en sont en
même temps les auteurs » (Ferry, 1996).

C’est pour cela qu’on considère que le secteur quaternaire ne se superpose pas
aux autres trois secteurs de production classiques (il comprend activités intellectuelles et
services mais aussi celles productrices de biens comme l’artisanat). Par contre, ce
secteur est censé devenir une institution qui fait le lien entre la famille et l’Etat
(Lipietz, 1999) et dans lequel les jeunes auraient une opportunité pour développer ses
capacités créatrices et socialisantes telles que, par exemple, la création artistique. En
effet, plutôt que dans la nature industrielle ou immatérielle du travail fourni, on met
l’accent sur le renforcement du lien social, l’autoréalisation, et l’empreinte personnelle
des activités. Il est clair que, tant que ces activités se trouvent en dehors de la sphère
marchande, l’engagement à un tel modèle de société tend logiquement à demander
l’instauration d’un revenu inconditionnel permettant de se consacrer pleinement à de
telles activités si on le souhaite.

Bien évidemment, le dépassement de la société salariale qu’on vient de décrire


très sommairement à travers l’avènement d’un secteur quaternaire d’activités non-
marchandes correspond à une vision normative de la société qui n’est peut-être pas
partagée par le lecteur. D’accord ou pas avec le désirabilité d’un tel modèle ou d’un tel
changement social, il rend compte des espoirs fondés sur l’allocation universelle comme
levier d’action.

36
3.3. Allocation universelle et droit au travail

Le droit au travail est souvent opposé à l’allocation universelle comme étant


fondés sur des principes opposés : le premier principe essaierait de garantir un travail
pour tous (à partir du partage du travail ou de l’offre de postes par l’État en dernière
instance, voire à travers l’obligation dans le cas du workfare le plus extrême) tandis que
le deuxième renoncerait à l’idée de garantir un travail pour tous.

Le droit au travail prend son essor lors du consensus keynésien des trente
glorieuses où l’État est en mesure de soutenir le plein emploi en protégeant tous ceux
qui se trouvent en dehors du marché de travail. Le gouvernement pouvait, à l’époque,
garantir le plein emploi dans un contexte dominé par le développement industriel et la
production tayloriste. La modération salariale était maintenue grâce à la mise en place
de politiques redistributives et d’une offre de services publics soutenue à travers un
système fiscal progressif très solide (Miravet, 2000). Tels étaient les traits généraux,
certes rapidement énoncés, de l’âge d’or de l’État providence. C’est dans ces
circonstances que le droit au travail prend une force telle allant même jusqu’à sa
reconnaissance dans certaines constitutions comme celle de l’Espagne dans son article
35.1.

D’après ce qu’on a vu jusqu’à présent, peut-on affirmer que l’allocation


universelle va contre le droit au travail ? Ces défenseurs se montrent convaincus qu’elle
n’est pas contraire à ce droit, mais qu’en plus, elle est une condition nécessaire pour le
garantir. En effet, d’après Noguera (2001) la seule incompatibilité qu’on peut repérer est
celle existante entre allocation universelle et obligation de travailler. Cette obligation de
travailler ne serait compatible qu’avec le revenu de participation proposé par Atkinson
(cf. §1.1.c) qui conditionne la perception du revenu à la réalisation d’un travail qui est
défini d’une manière suffisamment large. Or, une fois qu’on a bien défini le concept de
travail (cf. §3.1), le souci « workfariste » pour la recherche d’un travail rémunéré pour
tous apparaît comme un choix normatif trop réductionniste (il ne prend pas en compte
l’existence de travail non rémunéré) et présente quelques problèmes comme le non
respect de l’autonomie des individus ou la conception paternaliste de l’état de laquelle il
relève. Pourquoi doit-on fournir un travail rémunéré pour tous si on veut se dédier à des
activités non rémunérés qui sont également travail ?

Laissant de côté la question du réductionnisme conceptuel concernant le travail,


on s’intéressera du point de vue économique aux problèmes posés par un droit au travail

37
rémunéré et garanti par un Etat devenant employeur en dernier ressort. Notre analyse ne
traitera pas pour l’instant de la garantie du droit au travail à travers le partage du travail
(on verra ultérieurement que ce partage est en fait facilité par l’allocation universelle,
[cf. §6.1.b]) ni la possibilité d’un « workfare state » où l’État oblige à réaliser certains
travaux puisque l’instauration d’un état autoritaire ne nous apparaît pas comme la
solution la plus souhaitable au problème. Nous ne verrons donc que les raisons
économiques auxquelles se heurte un État qui essaie de garantir le droit au travail
rémunéré pour tous.

Noguera (2001) démontre les difficultés de la viabilité économique d’un tel droit
à travers l’énonciation des conditions devant être remplies par les travaux fournis.

- Tout d’abord l’auteur défend que les travaux devraient garantir plus qu’une rente
(reconnaissance sociale, amour-propre…) étant donné que, si le but n’est que de
fournir une rente, il suffirait de mettre en place une allocation universelle.
L’auteur souligne que tout cela se heurte à un premier problème : la
reconnaissance sociale est difficilement susceptible d’être garantie comme un
droit légalement établi. En effet, il existe le risque que les personnes embauchées
par un Etat devenant employeur, en dernier ressort, soient stigmatisées et
classées comme des travailleurs « de second rang ».

- Les travaux doivent, en plus, respecter quelques principes:

o Le travail occupé doit être digne (salaire suffisant, horaires


« décents »…).

o Le travail doit être socialement utile.

o Le travail fourni par l’État doit être un vrai emploi (par contraposition
aux « emploi faux» ou artificiels qui pouvaient avoir lieu dans les
économies du socialisme réel).

- Finalement, ces travaux doivent être rémunérés et fournis à toute la population


apte au travail (pour l’instant on laissera de côte les problèmes posés par la
définition des personnes qui son aptes au travail).

Le problème qui se pose est évident : quel serait le coût pour l’Etat de la mise en
place d’un programme permettant de créer une quantité suffisante de postes en accord
avec ces caractéristiques ? Le problème dépasse les coûts salariaux étant donné qu’il

38
faut prendre également en compte les coûts liés à la formation des travailleurs, les
installations, les infrastructures… et, en définitive, tous les éléments qui entourent une
relation professionnelle. Il apparaît que cette solution a de fortes chances d’être plus
onéreuse qu’un programme d’allocation universelle (Noguera, 2001).

Bien évidemment, les conditions qui ont été posées ci-dessus pour caractériser le
travail garanti sont critiquables étant donné qu’elles répondent à une approche de la
question éminemment normative. Néanmoins nous pensons que les hypothèses ne sont
pas totalement saugrenues et que, quoi qu’il en soit, le pari est clair : l’allocation
universelle ne nie à personne le droit à l’intégration sociale et à l’autoréalisation
personnelle à travers le travail. Tout simplement face à la douteuse viabilité économique
d’un droit au travail garanti par l’État et face à la difficulté de trouver des travaux
rémunérés « adéquats » pour tous, on propose l’instauration d’une allocation universelle
comme un premier pas pour garantir le droit au travail. C’est ainsi que la notion de droit
au travail est élargie à toutes ces activités qui n’ont pas une rémunération marchande.
Encore une fois, il faut souligner que nous supposons que les personnes ont le choix de
se dédier pleinement à des activités non rémunérées. Cela revient à dire que l’allocation
universelle devrait être fixée à un niveau tel qu’elle permet, au minimum, de couvrir les
besoins les plus basiques.

39
« Si un homme ne travaille pas, il ne doit pas manger »

Paul de Tarse, seconde épître aux thessaliens, chapitre 3, vers 10

Chapitre 4

Travail et revenu

Quand on étudie la proposition de l’allocation universelle une des question


principales est celle qui est posée par la phrase de Paul de Tarse citée au début de ce
chapitre : est-ce qu’il est juste que ceux qui ne travaillent pas perçoivent une allocation
universelle ? Il s’agit en définitive du problème du respect du principe de réciprocité
(§4.1). Le souci du respect de la réciprocité a amené John Rawls à modifier sa liste de
biens premiers pour inclure le loisir et nier le droit des personnes oisives à recevoir un
revenu inconditionnel. Pas question pour le philosophe anglais que sa pensée puisse être
utilisée pour justifier le financement du loisir de ceux qui se dédient à faire du surf sur
les plages de Malibu ! C’est pour éviter le problème des free-riders (§4.1.a) que certains
défendent une conception plus modérée de l’allocation universelle qui prendrait la
forme d’un revenu de participation avec un certain degré de conditionnalité liée à la
perception du revenu. Néanmoins, nous verrons que cette idée n’est pas exempte de
problèmes en ce qui concerne sa mise en œuvre (§4.1.b). Cela étant, nous analyserons la
manière dont les partisans du revenu inconditionnel abordent la question de l’allocation
universelle et de la réciprocité. Nous montrerons que la réciprocité n’est pas toujours un
principe respecté dans nos sociétés et que, d’ailleurs, l’allocation universelle ne le remet
pas forcément en cause (§4.1.c). Le chapitre se conclue avec la présentation d’une des
théories qui essaie de rendre compte des changements actuelles bouleversant la relation
entre revenu et temps de travail : le capitalisme cognitif (§4.2). D’après cette théorie,
l’évolution capitaliste tend vers un stade ou la connaissance serait un des déterminants
fondamentaux de la production en modifiant drastiquement les schémas fordistes du
capitalisme industriel précèdent (§4.2.a). Ces mutations du système amèneraient
naturellement l’instauration d’un revenu naturel de type allocation universelle et
permettraient de donner une nouvelle approche à la question de la réciprocité et des
rapports entre travail et revenu (§4.2.b).

40
4.1. La réciprocité

4.1.a. Le problème des free-riders

Le problème de la réciprocité face à la mise en place d’un revenu inconditionnel


relève d’une nature presque intuitive : est-ce qu’il est juste que certains puissent vivre
sans rien faire grâce à l’effort fourni par d’autres finançant l’allocation universelle ?
Pourquoi des personnes aptes au travail doivent-elles vivre grâce au travail d’autrui ? Ce
problème se pose d’une manière d’autant plus manifeste que, souvent, l’impôt sur le
revenu est considéré comme la voie de financement de l’allocation universelle la plus
souhaitable. Cela étant, une grande partie de la base imposable pour son financement est
constituée par les salaires provenant du travail rémunéré, autrement dit, les bénéficiaires
de l’allocation universelle qui ne réalisent aucun type de travail vivent grâce à un revenu
obtenu du travail d’autrui. Il s’agit de l’exploitation des travailleurs par les non
travailleurs. De plus, le fait de donner le revenu à toutes les personnes, même si elles ne
réalisent pas une activité socialement utile, pourrait mettre en question la
reconnaissance et la réévaluation du travail non rémunéré que l’allocation universelle
est censée de favoriser (Robeyns, 2001).

D’après notre définition précédente du travail (cf. §3.1), le problème de la


réciprocité se réduit à l’existence d’une catégorie bien cernée de free-riders : il s’agit de
ces personnes qui décident de ne se dédier qu’aux activités purement récréatives qui
sont en dehors du travail rémunéré, du travail domestique et du bénévolat. En définitive,
il s’agit de ces personnes qui ne réalisent pas d’activité pouvant être considérée comme
du travail. Même si la plupart des auteurs s’accordent à ce que ces free-riders ne
seraient pas très nombreux, tant que cette possibilité existe la barrière intellectuelle à
l’allocation universelle, relative au problème de la réciprocité, reste intacte.

4.1.b. Revenu de participation et réciprocité

Le souci pour le respect du principe de réciprocité est à l’origine de propositions


comme le revenu de participation d’Atkinson (1996). Cette idée prône la réalisation
d’un travail – qui est défini de manière suffisamment large- pour avoir le droit de
toucher le revenu. De cette manière on conjugue une réciprocité nommée « faible » (du
fait qu’on n’exige qu’un minimum de participation pour bénéficier de l’intégralité du
revenu) avec un égal respect de tous les types de travaux. Même si l’idée peut se révéler

41
attirante pour le lecteur préoccupé par la question de la réciprocité, quelques problèmes
subsistent.

Premièrement, Noguera (2001) souligne que les limites pour fixer la contribution
en travail que chacun devrait fournir sont difficiles à définir. De plus ces limites sont
soumises à un certain caractère arbitraire. Ainsi, en poussant l’argument jusqu'au cas
extrême : pourquoi ne pas considérer que les surfers de Malibu fournissent un service
d’intérêt à la société étant donné le spectacle offert aux touristes ? D’autre part, en
pratiquant leur activité, ils contribuent pleinement à la consommation en acquérant les
biens nécessaires à la pratique de leur activité. L’allocation universelle serait ainsi
réintégrée dans le circuit économique ce qui peut s’apparenter à une relance par la
consommation.

Le deuxième problème porte sur la définition de ceux qui sont aptes pour le
travail et qui, par conséquent, sont censés contribuer à la société à travers son effort. La
réponse n’est pas tranchée étant donné que la distinction entre « aptes » et « non aptes »
pour le travail est une construction sociale soumise à des manipulations politiques
(Standing, 2005). En effet, on vérifie que dans la réalité les critères varient énormément
d’un pays à l’autre. Le cas des Pays-Bas est paradigmatique étant donné sa grande
facilité pour déclarer à une personne non apte pour le travail.

Finalement, Vanderborght et Van Parijs (2005) se préoccupent par les problèmes


de contrôle que le revenu de participation présuppose. En effet, les auteurs soulignent
que la vérification des activités domestiques ou du travail fourni par les bénévoles aurait
des coûts administratifs considérables du point de vue économique. Ils remarquent
également l’inacceptable intromission dans la vie privée qui pourrait découler d’une
telle mesure.

4.1.c. Allocation universelle et réciprocité

Après le constat des problèmes qui pose le revenu de participation, les partisans
de l’allocation universelle ne restent pas sur la défensive à propos du débat sur la
réciprocité et s’attaquent à démontrer un point de vue surprenant au premier abord :
l’allocation universelle ne fait que garantir le respect du principe de réciprocité. Son
argumentation se fait autour de deux grandes axes : on soulève d’abord quelques
exceptions au principe de réciprocité qui remettent en cause son application

42
systématique dans nos sociétés et, ensuite, on aborde le problème de l’exploitation des
travailleurs par les non travailleurs (cf. §4.1.a).

4.1.c.1. Les exceptions au principe de réciprocité

Le raisonnement commence par mettre en question la réciprocité comme un des


principes guidant nos sociétés. On a déjà présenté un premier argument dans ce sens en
remarquant le problème du point de vue économique sur le concept de travail: si cette
approche ne prend en compte que le travail rémunéré, on risque de biaiser le problème
de la réciprocité en concluant que seules les personnes qui mènent à bien un travail
rémunéré apportent quelque chose à la société. Il faut prendre en compte également les
personnes qui réalisent un travail domestique ou de bénévolat sans aucune
contreprestation. On a montré que l’allocation universelle garanti une véritable
réciprocité en assurant une contreprestation à tous ceux qui réalisent un travail non
rémunéré dont l’importance n’est pas à négliger (cf. §3.1.b. et §3.1.c).

Deuxièmement, il est évident que -dans un contexte d’inégalité des chances, de


talents et des ressources- nos transferts sociaux remettent en cause un tel principe de
réciprocité proportionnelle en redistribuant en faveur de ceux qui sont dans une pire
situation. Dans le cas contraire, les transferts ne feraient que prolonger les inégalités de
départ (Noguera, 2001). Dans la mesure où nous optons par un tel modèle de
redistribution, on ne peut pas s’attacher à un principe de réciprocité forte.

Une troisième exception porte sur la réalité de l’affirmation de Paul de Tarse cité
au début de cette partie : faut-il travailleur pour manger ? Etant donné que toutes les
rentes n’ont pas leur origine dans le travail rémunéré, on peut s’imaginer aisément le cas
du rentier ou de l’héritier d’une personne extrêmement riche qui peut décider de vivre
sans travailler. Autrement dit, selon Widerquist (1999), le dilemme entre travailler ou ne
pas manger ne se pose pas pour ceux qui ont des ressources externes suffisants.
L’allocation universelle solutionne cette violation du principe de réciprocité : tout le
monde est sûr d’avoir le minimum pour sa subsistance (encore une fois on suppose
implicitement que l’allocation universelle est fixée au moins au niveau du seuil de
pauvreté). Les critiques argumentent que ces ressources externes dont disposent les
rentiers ne sont pas tombées du ciel : elles doivent provenir d’un travail ou d’une
activité de coopération sociale ! Même si ce cas est envisageable, qu’est-ce que se passe
avec ceux qui peuvent vivre seulement avec les intérêts du capital hérité ? Visiblement
ils ne sont pas productifs mais par contre ils ne sont pas soumis à la contrainte de la

43
réciprocité. Cela étant, Widerquist (1999) affirme que l’allocation universelle assure la
réciprocité étant donné que tout le monde est soumis au même choix : le droit de
travailler ou de ne pas travailler. Les bénéficiaires d’une allocation universelle ne
jouissent que d’un droit qui est à la portée de tout ceux qui décident de ne pas travailler.
Dans ces conditions, dans un système avec l’allocation universelle, le fait de travailler
est une option qu’on prend volontairement : ceux qui la choisissent doivent accepter les
conséquences qui en découlent (Van der Veen et Van Parijs, 1986b).

La dernière réserve sur l’universalité du principe de réciprocité porte sur sa


validité comme un principe qui guide toujours le comportement humain. En effet, les
études menés à bien par des chercheurs comme Polanyi, Axelrod ou Frölich, &
Oppenheimer montrent que les personnes ont une tendance à la coopération -au moins
en ce qui concerne la satisfaction des besoins les plus basiques- beaucoup plus forte de
ce que le paradigme de l’homo oeconomicus laisserait penser (cf. Ramos, 2003).

4.1.c.1. L’allocation universelle implique-t-elle une exploitation des travailleurs ?

Après avoir constaté les cas où le principe de réciprocité ne se respecte pas dans
nos sociétés, nous porterons notre attention sur la question du préjudice subit par les
travailleurs et dont profitent les non travailleurs. Toujours d’après Widerquist (1999),
pour affirmer que la mise en place d’une allocation universelle implique l’exploitation
des travailleurs par les non travailleurs (au sens ou l’effort des travailleurs finance
l’allocation universelle des non travailleurs sans que les premiers en tirent aucun profit),
quatre conditions doivent être respectées. Il suffirait juste que l’une des conditions ne
soit pas vérifiée pour que l’exploitation n’ait pas lieu :

- Il doit être nécessaire de taxer les revenus des travailleurs étant donné
l’insuffisance de l’impôt sur les ressources externes (rentes de la terre et du
capital), pour fournir les ressources nécessaires maintenant une allocation
universelle au niveau souhaité.

- Les travailleurs ont le droit de détenir le produit total de son travail.

- Les salaires fixés par le marché reflètent parfaitement la valeur totale du travail
fourni.

- Les salaires après taxation sont moins importants dans une économie avec
allocation universelle que dans une économie où il n’y a pas. Ce point sera

44
l’objet de notre analyse quand on traitera les implications de l’allocation
universelle sur le pouvoir de négociation des travailleurs (cf. §6.3).

En ce qui concerne le premier point, Widerquist (1999 : 12-13) fournit quelques


données qui montrent que pour les Etats-Unis il serait possible de financer un projet
d’impôt négatif avec une imposition sur les actifs externes ne provenant pas du travail.
En tout état de cause, c’est le troisième point (les salaires de marché reflètent-ils la
valeur totale du travail fourni ?) qu’on traitera de remettre en cause dans cette section à
travers la théorie du salaire d’efficience.

Ainsi, concernant la formation des salaires, Van Parijs (1996a), souligne


l’existence des salaires d’efficience qui placent les salaires au-dessus du niveau que
fixerait l’équilibre entre l’offre et la demande. En effet, même restant dans un cadre
néoclassique, on peut montrer que la prise en compte de l’incertitude sur l’effort fourni
par le travailleur peut amener l’entreprise à offrir des salaires au-dessus du niveau
d’équilibre du marché (cf. modèle de salaire d’efficience de Solow formalisé dans
l’Annexe 2 ou modèle du tire au flanc de Shapiro et Stiglitz [Cahuc et Zylberberg,
2001 : 276]). Cela étant, l’existence des salaires d’efficience nous amène à une situation
avec du chômage involontaire. Cet ajustement imparfait du marché est une des raisons
pour laquelle Van Parijs soutient que les travailleurs embauchés s’approprient une rente
découlant de la rareté de la ressource travail. Autrement dit, dans les sociétés
capitalistes actuelles, l’accès à un travail rémunéré peut être considéré comme un
privilège (Van der Veen et Van Parijs, 1986b). Ce phénomène offre une justification
pour la taxation du travail ayant pour but de financer une allocation universelle de haut
niveau.

L’argument qui prône la taxation du travail en soulignant la rente dont


bénéficient les travailleurs n’est pas exempt de critiques. En effet, on pourrait constater
avec White, que ces salaires soumis à imposition -même s’ils sont rares- découlent de la
réalisation d’un travail (cité dans Widerquist [1999]). De ce point de vue, les
bénéficiaires de l’allocation universelle ne devraient pas échapper à ce besoin de
contribution à la société.

Widerquist (1999) reconnaît que malgré tout ce qu’on vient de voir, les
travailleurs avec les salaires plus élevés devront financer le transfert vers les non
travailleurs. En effet, il est très difficile de dessiner un système fiscal qui soit capable de
distinguer parfaitement le revenu gagné de celui qui est « tombé du ciel ». L’idéal serait

45
de financer l’allocation universelle avec ces derniers mais, comme Van Parijs (1996a) le
reconnaît, il ne faut pas rêver à une telle possibilité (au moins si on ne veut pas fixer
l’allocation universelle à un niveau dérisoire). Les salariés devraient donc contribuer,
avec le revenu de leur travail, au financement de l’allocation universelle.

D’un autre côté il subsiste d’autres problèmes à résoudre. Ainsi, Groot (1999)
souligne un dernier problème qui contribue au scepticisme concernant la justification
d’une allocation universelle. En effet, un tel revenu peut être vue comme une sorte de
subvention aux travaux non rémunérés et aux activités intensives en loisir au détriment
des activités avec une rémunération dans le marché qui, sont en plus, taxées. Il est
important de se poser la question de si d’un point de vue éthique, il est défendable de
privilégier un mode de vie particulier.

Ce problème n’est pas négligeable : tant que les doutes par rapport au respect du
principe de réciprocité existent et qu’on craint l’existence de free-riders, pouvant vivre
sans rien faire avec une allocation universelle, les défenseurs de celle-ci devront faire
face à une importante méfiance générée par cette mesure. Cette barrière intellectuelle
est un des plus grands obstacles auxquels l’allocation universelle doit faire face.

4.2. Le capitalisme cognitif comme justification théorique de la dissociation


travail-revenu

4.2.a. Un nouveau stade du capitalisme ?


Le capitalisme cognitif offre un cadre théorique intéressant pour justifier la
dissociation entre travail direct et revenu et offrir quelques réponses aux questions
posées par le problème de la réciprocité.

Selon les tenants de cette théorie, on serait, aujourd’hui, en train d’entrer dans un
stade ultérieur au capitalisme industriel, appelé capitalisme cognitif. Le phénomène est
donc présenté comme un résultat de l’évolution historique du système capitaliste. Cette
évolution pourrait être divisée en trois étapes successives: capitalisme mercantiliste,
capitalisme industriel et capitalisme cognitif.

Le point clé de la théorie du capitalisme cognitif est la prise en compte de la


connaissance comme force productive fondamentale dans le système économique de
nos jours. En reprenant un argument de Karl Marx, on souligne que la force humaine de

46
travail devient secondaire dans le processus de production en faveur du travail
intellectuel et du savoir : la science et la technologie sont les facteurs qui jouent les
rôles principaux. C’est de cette manière que le « general intellect » marxien est présenté
comme une « intellectualité diffuse » qui est à la base du nouveau système productif.
Une première limite de la théorie vient du fait que ce concept d’intellectualité diffuse
ainsi que les raisons qui amènent à la prépondérance de la connaissance dans le
processus d’accumulation et de création de richesse restent assez flous (Hoang-Ngoc et
Tinel, 2003). On se limite à remarquer l’importance du savoir et des bien immatériels
dans cette nouvelle économie de la connaissance et de la production de biens
d’information (Boutang, 2005).

Cette prépondérance de la connaissance sert aux défenseurs du capitalisme


cognitif à remettre en cause le consensus fordiste qui a dominé nos sociétés pendant les
dernières décennies. En effet, certaines caractéristiques de notre système de protection
sociale étant basées sur le paradigme fordiste sont mises en question (Monnier et
Vercellone, 2006). Voyons dans un premier temps ces traits reposant sur des bases
fordistes pour, ensuite, montrer de quelle manière ils pourraient être remis en cause.
- Premièrement, le système de protection sociale français reposait initialement sur
le modèle de l’homme, chef de famille, avec un emploi stable et qui bénéficiait
d’un certain nombre de droits assurant la protection de l’ensemble de la famille.
- Deuxièmement, dans un cadre fordiste le temps de travail est censé répondre à
des critères nettement productivistes : le travailleur mène à bien sa formation et
fournit ensuite un travail qui est parfaitement identifié et classé selon une grille
de qualifications fixant des rémunérations pertinentes. En définitive, le modèle
est basé sur une organisation scientifique du travail qui vise à rendre l’activité la
plus objective possible.
- La troisième caractéristique découle de tout ce qu’on vient de voir : il s’agit du
clivage entre temps de travail et temps de loisir. Le seul temps véritablement
productif est celui dédié au travail direct, toutes les autres activités étant
considérés comme du loisir. Autrement dit, on ne considère comme temps de
travail que celui passé dans l’usine, le bureau, l’atelier…
La question maintenant est de savoir de quelle manière cette prise d’importance
du capital immatériel (connaissance, santé, information) modifie les bases sur lesquelles
reposaient les sociétés fordistes.

47
Tout d’abord, la généralisation de la connaissance et l’éducation contribue à la
fin du modèle familial patriarcal du « white male breadwinner ». En effet, les femmes
sont de moins en moins dépendantes du mari et acquièrent un rôle actif dans le système
productif (Monnier et Vercellone, 2006).
Deuxièmement, et ceci est plus étroitement lié à la question qui nous occupe, le
processus productif n’est pas que le résultat du temps directement dédié au travail mais
il est tributaire d’un processus préalable d’échange de connaissances et d’informations.
Cela étant, le temps de travail réel serait de moins en moins synonyme de temps de
travail productif comme c’était le cas dans le cadre fordiste décrit précédemment. En
reprenant les thèses de Marx sur ce nouveau stade du capitalisme, la différenciation
temps de travail/loisir ne serait plus pertinente étant donné que la prépondérance du
travail immatériel et intellectuel font du temps libre une des forces productives les plus
importantes à travers l’échange de connaissances et d’information (Fumagalli, 2002).
En définitive, on considère que la conception du travail doit sortir du paradigme
tayloriste pour prendre en compte l’aspect immatériel et intellectuel devenant de plus en
plus important.
Étant donné que le marché n’est pas capable de rendre compte des externalités
positives qui découlent de la connaissance comme force de production en dehors du
temps de travail direct, le système salarial traditionnel devient caduc, tout comme la
figure du salarié comme moyen d’insertion dans le marché de travail (Boutang, 2005).
La solution envisagée passe par l’instauration d’une allocation universelle.

4.2.b. Capitalisme cognitif et allocation universelle


La mise en place d’un revenu inconditionnel s’inscrit donc dans la logique de la
rémunération de l’intelligence humaine : ainsi, « un tel revenu [garanti] rémunère la
coopération cognitive et le vivant comme vivant » (Boutang, 2005).
Les traits qu’on vient d’énoncer font de l’allocation universelle un revenu
primaire qui va au-delà de considérations purement redistributives. Du point de vue du
capitalisme cognitif, l’enjeu est la conservation de la production de connaissances, le
nouvel élément clé du système économique. C’est pour cela que le niveau du revenu
inconditionnel est censé être fixé à un niveau proche de celui du salaire minimum
(Boutang, 2005 ; Monnier et Vercellone, 2006).
Cette conception du revenu inconditionnel offre une réponse intéressante aux
problèmes de réciprocité qui nous occupent. En effet, le problème serait exactement le

48
contraire de celui qu’on a décrit précédemment (cf. §4.1.c). Étant donné la coopération
sociale qui est à la base de la production de connaissances, l’apport au travail de tous les
membres de la société existe déjà via la création de ce substrat commun de savoir. Ce
qui n’existe pas est une rémunération pour une telle « économie non rémunérée
forcée » (Monnier et Vercellone, 2006). Autrement dit, le système productif repose sur
une connaissance qui est le résultat de l’action de tous les membres de la société. Or, il
n’existe pas de contrepartie monétaire reconnaissant un tel apport général.
Après tout ce qu’on vient de voir, l’allocation universelle apparaît comme un
moyen de garantir l’investissement dans le savoir, tout en reconnaissant sa production
sociale ainsi que le découplage entre travail et temps de travail direct.
Bien évidemment, les thèses présentées par les tenants du capitalisme cognitif ne
font pas l’objet d’un consensus général. Pour Michel Husson (2004), l’abandon du
système fordiste en faveur d’un système où l’intelligence humaine joue le rôle principal
est loin d’être vérifié dans la réalité. L’auteur défend l’idée d’un capitalisme de type
néotaylorien « qui intègre le savoir des travailleurs dans sa puissance productive »
(Husson, 2004). On peut de plus argumenter que l’évidence empirique semble
contredire les hypothèses de base du capitalisme cognitif. En effet, la croissance actuelle
est plus intensive en travail que pendant les trente glorieuses (la théorie économie rend
compte de ce phénomène –souligné déjà dans les années 50 par le paradoxe de Leontief-
en divisant le travail en travail qualifié et non qualifié : les pays développés seraient
donc spécialisés en ces activités intensives en travail qualifié). Il existe donc des doutes
raisonnables concernant l’hégémonie de la connaissance prônée par le capitalisme
cognitif dans les économies actuelles.

49
TROISIEME PARTIE

Allocation universelle et offre de travail rémunéré

50
« Rien, en vérité, ne pouvais être plus évident : le système
salarial exigeait impérativement l’abolition du "droit de
vivre" (…) : car, dans le nouveau régime de l’homme
économique, personne ne travaillerait pour un salaire s’il
pouvait gagner sa vie sans rien faire. »
Karl Polanyi, (1983 : 115 pour l’édition française)

Chapitre 5

Allocation universelle et incitations au travail rémunéré

« Mais, alors… qui va travailler ?! ». Invariablement, les défenseurs de


l’allocation universelle doivent faire face à une telle question du public quand ils
défendent un revenu inconditionnel pour tous. L’économie nous offre des outils pour
répondre plus précisément à cette intuition souvent exprimée par des « non
économistes » (§5.1). Loin de rester sur la défensive, les partisans de l’allocation
universelle essayent de convaincre du contraire : l’allocation universelle aurait des
effets positifs sur l’offre de travail étant donné qu’elle réduit les effets des trappes du
chômage (§5.2). De plus, en adoptant un point de vue plus provocateur, ils mettent en
doute le caractère de bien normal du loisir (§5.3). Le résultat est surprenant : au lieu de
décourager l’offre de travail, l’allocation universelle constituerait une mesure incitative
pour travailler !

Bien évidemment, le lecteur doit garder à l’esprit que, tout au long de cette
partie, l’analyse est ciblé sur le type de travail qui fait l’objet d’étude dans la plupart des
cas : le travail rémunéré. Par commodité, on parlera de « travail » pour faire référence
au travail de type rémunéré en laissant de côte les travaux domestiques ou bénévoles.

5.1. L’allocation universelle comme désincitation au travail

Comme on l’a déjà dit, l’économie est en mesure de nous fournir une élégante
démonstration au souci exprimé au début de ce chapitre : qui travaillera si on instaure
une allocation universelle ? Autrement dit, n’est-il pas vrai qu’avec une allocation
universelle on assisterait à une diminution de l’offre de travail ?

51
Pour aborder cette question on doit analyser les deux effets auxquels l’analyse
économique traditionnelle fait référence pour évaluer l’impact des politiques sociales
sur l’offre de travail : l’effet substitution et l’effet revenu.

L’effet substitution est provoqué par la diminution de l’offre de travail qui


découle de la baisse de la rémunération du travail. Expliquons-le. Avec les minima
sociaux tels que le RMI, le taux marginal d’imposition sur l’aide par heure travaillé est
de 100%. Cela veut dire que pour chaque euro qu’on gagne en travaillant, le RMI
auquel on a droit tant qu’on reste au-dessous du seuil de revenu fixé, diminue d’un euro
aussi. En définitive, les rendements qu’on obtient grâce à une heure marginale de travail
diminuent (dans le cas extrême qu’on vient de décrire ces rendements sont nuls). On
analysera plus profondément cette question quand on traitera la question des trappes du
chômage (§5.2). Pour l’instant il suffit de comprendre que, face à une telle situation,
l’individu est amené à offrir moins de travail. Cela est dû au fait que le travail « paie
moins » et que par conséquent le loisir est moins cher (on considère que le prix du loisir
est égale à son coût d’opportunité, c'est-à-dire, aux rendements du travail). Tel est
l’effet substitution.

L’effet revenu, par contre, nous dit que, toutes choses égales par ailleurs, une
augmentation du revenu entraîne une augmentation de la consommation des biens
normaux. Le loisir étant pris comme un bien normal, face à l’augmentation du revenu
qui découlera de la mise en place d’une allocation universelle, notre consommateur
décidera de consommer plus de loisir et, donc, de travailler moins.

Néanmoins, l’allocation universelle présente un avantage par rapport aux


dispositifs traditionnels : elle n’a qu’un effet revenu. En effet, l’allocation universelle ne
diminue pas son montant au fur et à mesure que nos revenus du travail augmentent du
fait qu’elle a un caractère cumulatif avec tous les autres revenus. Par conséquent l’effet
substitution est nul. Cela étant, on peut démontrer à travers un exemple graphique le
mécanisme qui amène à une offre inférieure de travail à cause de l’effet revenu (Figure
4).

La Figure 4 représente le temps de travail choisit par l’individu sur l’axe


horizontale et la quantité de biens y sur l’axe verticale. Le temps qui n’est pas dédié au
travail est consacré au loisir. Notons que y peut être considéré comme l’ensemble de
biens privés que le consommateur peut acheter étant donné le salaire perçu pour le
temps dédié au travail.

52
Figure 4: Augmentation du loisir à cause de l’effet revenu

y
U2
E’

O’ U1

y1
y0
E

L L0 L1 O

Avant de la mise en place de l’allocation universelle, notre consommateur


maximise sa fonction d’utilité U1 pour une contrainte budgétaire OO’. Il est facile de
comprendre la nature de cette contrainte : si on ne travaille pas, notre revenu est nul
(point O) et donc on ne peut acheter aucun bien. Au fur et à mesure qu’on dédie plus
d’heures au travail, notre revenu augmente. Bien évidemment, si on prend l’heure
comme unité de mesure du temps dédié au travail, la pente de la contrainte budgétaire
sera le salaire par heure de travail. Le résultat de la maximisation de l’utilité (point de
tangence entre la fonction d’utilité et la contrainte budgétaire) prend la forme d’un
temps de travail L0 qui donne accès à un panier de biens y0.

L’introduction d’une allocation universelle modifie la contrainte budgétaire. En


effet, même si l’individu décide de ne pas travailler, il aura un revenu OE (montant de
l’allocation universelle). Pour chaque heure travaillée son revenu augmentera d’une
quantité égale au salaire horaire. Le résultat est donc un déplacement vers le haut de la
contrainte budgétaire. La maximisation de l’utilité ne se fait plus par rapport à OO’ mais
par rapport à EE’. On est arrivé au résultat annoncé : notre individu maximise son utilité
avec la courbe U2 en choisissant la quantité de travail L1 (avec L1 < L0) qui donne accès
a une quantité de biens y1 (avec y1>y0). Par conséquent, l’offre de travail diminue du
fait de l’introduction d’une allocation universelle à cause de l’effet revenu qui en
découle. Le consommateur est en mesure de consommer plus en travaillant moins.

Les problèmes posés par cette désincitation au travail ne passent pas inaperçus
aux détracteurs de l’allocation universelle. Ainsi l’économiste de l’école autrichienne

53
Murray N. Rothbard (1978) dénonce plusieurs problèmes en relation avec la
désincitation. Malgré qu’il analyse le cas de l’impôt négatif sur le revenu, les
conclussions qu’il tire sont applicables au cas qui nous occupe. Le problème pour
Rothbard doit être abordé non seulement d’un point de vue statique (réduction de l’offre
de travail à un moment donné) mais aussi à travers une perspective dynamique
(conséquences ultérieures de cette réduction d’offre de travail). Si beaucoup de gens, la
plupart d’entre eux appartiendront vraisemblablement aux revenus les plus bas, décident
d’arrêter de travailler ou de réduire très sensiblement leur offre de travail, le
gouvernement devra taxer plus fortement aux riches pour être en mesure de continuer à
financer les dépenses sociales (dont l’allocation universelle). Cette augmentation de la
taxation sur les riches peut à son tour amener ce segment de la population à réduire
encore plus fortement leur offre de travail. On rentre dans une dynamique perverse où, à
la limite, personne ne travaille et, donc, le système de protection sociale n’est plus
soutenable.

L’évidence de cette critique ne la rend pas moins importante. Les défenseurs de


l’allocation universelle doivent essayer de démontrer qu’elle n’est pas une voie vers la
fainéantise généralisée et la destruction des bases du système économique. Les sections
suivantes sont dédiées aux arguments présentés en faveur de l’allocation universelle
comme outil d’incitation au travail.

5.2. Allocation universelle et trappes du chômage

5.2.a. Les mécanismes de la trappe du chômage

On peut définir les trappes du chômage comme un « mécanisme


multidimensionnel qui maintien les bénéficiaires d’allocations (…) dans une situation
d’exclusion de toute activité rémunérée déclarée » (Van Parijs, 1996b :5). Quels sont les
mécanismes qui provoquent cette exclusion ? Van Parijs (1996b) souligne deux sources
de chômage volontaire et une source de chômage involontaire qui sont à la base des
trappes du chômage. Il prend en compte également l’action de trois mécanismes qui
provoquent l’aggravation de cette trappe au fil du temps.

La première des sources de chômage volontaire vient de la faible (voire nulle)


différence de revenu existant entre le salaire obtenu avec le travail et l’allocation

54
différentielle -tel que le RMI- qu’on perçoit sans travailler : le travail « ne paie pas » et
par conséquent il n’est pas attirant. Les études qui ont été réalisées montrent une
corrélation positive entre cette explication des conséquences des trappes du chômage et
le développement de mesures telles que la Prime Pour l’Emploi française ou l’EITC
américain pour favoriser le développement du travail à temps partiel (Gamel et al.,
2002). Le problème des allocations différentielles est dû aux taux d’imposition
marginaux effectifs élevés pour ceux qui passent du chômage à l’emploi. Expliquons-
nous à travers un exemple : Margot est une chômeuse qui perçoit un RMI de 500€
chaque mois. Un jour, Margot trouve un emploi à temps partiel avec un salaire de 350€
par mois. Le problème vient du fait que son RMI est une allocation différentielle que ne
vise qu’à assurer un revenu minimum (500€ dans notre exemple) et donc, quand Margot
commence à travailler, le RMI diminue de 350 €. Par conséquent, Margot continue à
gagner 500€ (350€ de son salaire et 150€ de son RMI). On dit que Margot a été soumise
à un taux marginal d’imposition de 100% étant donné que chaque euro gagné grâce à
son travail a provoqué un euro de diminution de l’aide à laquelle elle avait droit. Cela
étant, Margot a de fortes chances de faire le raisonnement suivant : « pourquoi
travailler si de toute façon mon revenu ne varie pas ? ».

On peut représenter graphiquement la situation qu’on vient de décrire en


reprenant la figure 1 présentée à la section 2.1.: toutes les personnes qui ont un revenu
brut inférieur à a subissent un taux marginal d’imposition de 100% sur son revenu. Ils
auront donc de fortes incitations à refuser le travail et à continuer à percevoir l’aide
publique (rappelons que dans notre exemple le revenu minimum est fixé à un niveau B).

Figure 1. Revenu minimum garanti conventionnel

Revenu
net
T

B C

a Revenu brut

Source : Creedy (1996 : 63)

Certes, les personnes ne répondent pas toujours à la logique de l’homo


oeconomicus rationnel et calculateur des revenus du travail et de l’allocation chômage.

55
Les personnes ont souvent des motivations différentes que celles d’ordre économique
pour décider d’accepter un travail (Ilkka, 2004). D’ailleurs, même le fait d’accepter un
travail qui ne paie pas dans un premier moment peut répondre à une logique purement
économique si l’individu pense que le fait de l’accepter peut lui donner dans le futur la
possibilité d’atteindre des postes avec une meilleure rémunération. C’est le modèle des
trappes de chômage dynamiques présenté par Laurent et L’Horty (2003).

La deuxième source de chômage volontaire, souvent négligée par les


économistes, est plus subtile et fait référence aux notions de sécurité et d’incertitude
(Van Parijs, 1996b : 5-6 ; Raventós, 2002). En effet, les personnes qui passent du statut
de chômeur à celui de travailleur subissent un changement drastique dans la structure
des revenus. On passe de la perception d’un revenu assuré par une organisation très
fiable comme l’est l’Etat à la dépendance vis-à-vis d’un patron qui peut retarder le
paiement du salaire ou, dans le pire des cas, ne pas payer. D’un autre côté, il est possible
que le salarié ne soit pas à la hauteur du travail et donc qu’il soit licencié. Le processus
pour retrouver alors à nouveau la condition de bénéficiaire des aides sociales peut
apparaître comme pénible, dénigrant ou trop difficile à suivre. L’arrêt du flux de revenu
qui pourrait en découler devient dramatique pour ceux qui ne disposent pas
d’économies suffisantes pour subsister. L’insécurité dans le cas de la dépendance vis-à-
vis d’un patron qui peut être un parfait irresponsable et l’incertitude (« Serai-je à
l’hauteur des exigences du poste ? ») se conjuguent pour inciter les personnes à se
maintenir sous la protection des minima sociaux. Cette décision est particulièrement
rationnelle pour ces personnes dans des situations très défavorables (ceux qui n’ont ni
les réserves financières suffisantes ni l’aide de proches) : dans ce cas l’interruption du
revenu peut provoquer une spirale fatale d’endettement. Impossible pour eux de jouer à
l’homo oeconomicus qui calcule les probabilités plus ou moins fortes de subir un
contretemps comme celui qu’on vient de décrire.

Le dernier des mécanismes qui nourrit la trappe du chômage est un facteur de


chômage involontaire. En effet, on considère que les entreprises auront peu d’incitations
à offrir des postes dont la rémunération diffère peu ou pas du tout du niveau des revenus
de remplacement (celui assuré par les minima sociaux). Ce fait est dû à deux raisons :

- D’un côté on peut s’attendre à ce que le travailleur ne soit pas suffisamment


motivé pour la réalisation du travail à cause du premier mécanisme des trappes
du chômage qu’on a commenté : pour le travailleur il est pratiquement

56
équivalent de travailler que de percevoir les minima sociaux. C’est à cause de
cela que l’entreprise n’escomptera qu’une faible rentabilité en offrant le poste.
Historiquement, on trouve un exemple de baisse de la productivité du travail
comme conséquence de la mise en place de transferts différentiels lors de
l’instauration au XVIIIème siècle de la dernière législation anglaise sur la loi des
pauvres à Speenhamland (Polanyi, 2003 ; cf. §6.2.b)

- Le deuxième facteur qui rend compliquée l’offre de postes à faible rémunération


vient s’ajouter à l’escompte d’une faible rentabilité : il s’agit des coûts de
transaction. En effet, l’embauche exige un effort en termes de recherche et de
sélection de la personne adéquate. Ces coûts diminuent encore plus la rentabilité
attendue. En économie du travail on décrit ce fait comme l’opposition entre
insiders (personnes qui travaillent) et outsiders (personnes qui sont à la
recherche de travail). Les coûts d’embauche et de licenciement se conjuguent
avec la moindre productivité des outsiders par rapport à celle des insiders pour
rendre sans intérêt l’embauche des outsiders même à un salaire inférieur à celui
des insiders.

Que ce soit à cause du manque de motivation du travailleur, des coûts de


transaction ou de ces deux facteurs combinés, les résultats vont toujours dans la même
direction : on a de fortes chances que l’entreprise décide de ne pas offrir le poste. Par
conséquent, le travailleur, même s’il était disposé à accepter le poste, doit rester chez
lui : il devient donc chômeur involontaire.

Un des principaux problèmes de la trappe du chômage est son aggravation au fil


du temps : plus on y est confronté, plus il est difficile d’en sortir. On soulignera trois
facteurs pour expliquer ceci : la perte de savoir-faire, la recherche d’autres motivations,
et la discrimination vis-à-vis des chômeurs de longue durée.

D’abord la trappe s’aggrave avec le temps à cause de la dégénérescence des


capacités productives du travailleur. Effectivement, le travailleur reste plus longtemps
inactif ce qui provoque la perte de son savoir faire, ce fait pouvant être expliqué par la
faible incitation à accepter les travaux à faible rémunération (cf. ci-dessus). Cela étant,
le travailleur fait face à une situation où, de plus en plus, il n’aura le choix que parmi
des travaux à faible productivité qui lui apparaîtront moins attirants. On rentre dans un
cercle vicieux (refus de travail, perte de savoir faire, offres moins attirantes) auquel il
est très difficile d’échapper.

57
Le deuxième facteur qui agit dans le temps et qui rend plus difficile la sortie de
la trappe du chômage est l’orientation progressive vers d’autres activités que la
recherche d’un travail rémunéré. Ce processus est le résultat du découragement
provoqué par un échec continu dans cette recherche. Dans ce sens, Van Parijs
(1996b :7) affirme que « ne fût-ce que pour survivre psychologiquement, ceux qui sont
coincés dans la trappe doivent réorienter leur conception de ce qui importe dans la vie
vers autre chose que le travail salarié déclaré ».

Finalement, on doit prendre en compte un troisième facteur qui peut être


considéré comme une conséquence de la diminution du savoir-faire et de la
démotivation pour le travail : les employeurs auront intérêt à mener à bien une
discrimination vis-à-vis des chômeurs de longue durée étant donné que c’est dans cette
catégorie de chômeurs que les effets négatifs sur les capacités productives et la
motivation sont les plus profonds. La longueur de la période de chômage devient alors
pour l’entreprise un indicateur assez confortable du degré d’employabilité du
travailleur.

Figure 5 : Mécanismes et permanence de la trappe du chômage

Faible ou nulle différence entre Insécurité et incertitude Pas d’offre des postes à faible
travail et minima sociaux rémunération

TRAPPE DU CHÔMAGE
Passage du temps

Dégénérescence Recherche Discrimination


des habilités d’autres vis-à-vis les
productives motivations chômeurs de
longue durée

Maintien permanent au sein de


la trappe
Source : Elaboration propre.

58
La figure 5 résume les mécanismes de la trappe du chômage présentés ci-dessus en
mettant en relief un aspect très important : la rétroaction entre tous les mécanismes qui
explique pourquoi au fur et à mesure que le temps passe, la trappe du chômage devient
un obstacle difficilement surmontable.

5.2.b. L’allocation universelle comme outil contre la trappe du chômage

Quelle est l’avantage de l’allocation universelle face aux dispositifs


traditionnels de revenu minimum ? La réponse vient de son caractère cumulable. En
effet, chaque euro gagné grâce au travail n’implique aucune diminution de l’allocation
universelle perçue. Techniquement, l’allocation universelle offre un taux marginal
libératoire, c'est-à-dire, un taux marginal de 0%. L’action sur les trois mécanismes qui
sont à la base des trappes du chômage est manifeste : avec une allocation universelle ils
tendent à disparaître.

Tout d’abord le travail salarié dans ce cas paie immédiatement étant donné qu’il
n’existe aucun coût d’opportunité entre le travail choisi et l’allocation universelle.
Néanmoins, comme Piketty (2004) le souligne, si ce qu’on veut est diminuer le taux
marginal d’imposition pesant sur les bas revenus pour que les travaux « paient »
immédiatement, il suffit de permettre que des dispositifs déjà existants comme le RMI
deviennent partiellement cumulables. Il n’y a donc pas besoin de mettre en place un
dispositif qui verse un revenu aux plus riches pour ensuite prélever une quantité
supérieure à travers les impôts.

Ensuite, en ce qui concerne le deuxième mécanisme des trappes du chômage,


l’argument en faveur de l’allocation universelle est plus solide : l’insécurité et
l’incertitude face à des contingences telles qu’un patron particulièrement incompétent
ou l’incapacité d’être à la hauteur des exigences du poste, perdent en intensité. En effet,
tant que l’allocation universelle est au moins fixée au seuil de pauvreté, le retard dans
les paiements n’implique pas la privation des besoins les plus élémentaires et le fait
d’être licencié n’engendre pas le début d’interminables et pénibles démarches
administratives.

Finalement, en ce qui concerne les entreprises, la flexibilité qui peut découler de


la mise en place d’une allocation universelle rend possible l’offre de travail à plus faible
productivité (cf. §6.2.b).

59
C’est ainsi que les défenseurs de l’allocation universelle développent leur
premier argument. En effet, avec une telle mesure, les individus qui autrement refusent
les travaux insuffisamment rémunérés dans le cas des transferts différentiels, ont de plus
fortes chances de les accepter. Donc, cet argument n’est que partiellement contrebalancé
par la possibilité de rendre le dispositif de revenu minimum partiellement cumulable tel
que Piketty le suggère. Cependant, il existe d’autres types de considérations qui
nuancent l’intérêt d’une telle diminution des taux marginaux d’imposition sur les bas
revenus. C’est le cas de la théorie de l’imposition optimale.

5.2.c. Systèmes fiscaux optimaux et trappes du chômage

La théorie de la taxation optimale vise à définir les caractéristiques du système


fiscal en essayant de rendre compatibles les critères de justice et d’efficience. Souvent,
en adoptant un critère rawlsien, on considère que le but doit être la maximisation des
recettes fiscales pour être en mesure de fournir le revenu le plus élevé possible aux plus
démunis (Piketty, 1997 ; Van der Veen et Van Parijs, 1986). Cette idée semble être à la
base de l’argumentation de Van Parijs (1996a) lorsqu’il défend une allocation
universelle la plus élevée possible et qui soit compatible avec l’efficience. Le but est de
maximiser le montant qui serait distribué parmi les citoyens.

La théorie de la taxation optimale exige une différenciation claire entre des


concepts de base tels que taux marginal d’imposition et taux moyen d’imposition. On a
déjà eu l’opportunité de se familiariser avec le concept de taux marginal d’imposition
quand on a traité les problèmes concernant l’incitation au travail à travers les transferts
différentiels (§5.2.a). Ainsi, on peut définir le taux marginal d’imposition entre deux
niveaux de revenu comme « la somme de tous les prélèvements et transferts
supplémentaires qu’un individu devra payer ou recevoir s’il passe de l’un à l’autre de
ces niveaux de revenu, exprimée en pourcentage de la différence de revenu brut »
(Piketty, 2004 : 96). Le taux moyen d’imposition, quant à lui, représente le pourcentage
du revenu brut qui est dédiée au paiement d’impôts et transferts. Une fois qu’on a
défini ces concepts, il faut se demander quelles sont les caractéristiques qui, d’après la
théorie économique, devraient être remplies par le système fiscal pour atteindre les
objectifs d’efficience et de justice.

60
En prenant le cas d’un impôt progressif non linéaire -plus adéquat pour décrire la
réalité des systèmes fiscaux actuels dans la plupart des pays- Stiglitz (2000) signale les
trois principes basiques qui caractérisent les impôts progressifs et efficients :

1. On utilise des taux moyens d’imposition élevés face à des taux marginaux
effectifs peu élevés.

2. Le nombre de personnes soumises à des taux marginaux élevés doit être le plus
faible possible pour éviter les effets négatifs sur les incitations au travail.

3. Les taux marginaux effectifs élevés doivent s’appliquer sur la catégorie de


personnes pour lesquelles l’impôt crée moins d’inefficiences.

Ces recommandations sont assez intuitives (cf. Annexe 3 pour une


démonstration théorique des résultats). Tout d’abord la troisième caractéristique
implique une relation inverse entre le taux marginal d’imposition optimal et l’élasticité
de l’offre de travail (Piketty, 1997) : plus l’offre sera élastique, moins le taux marginal
d’imposition devra être élevé. Le but est d’éviter qu’une plus grande pression fiscale
décourage la recherche d’un emploi ou le passage à une tranche supérieur de revenu à
travers l’obtention d’un meilleur emploi.

D’un autre côté, l’augmentation des taux marginaux à partir d’un certain niveau
de revenu se traduit par une hausse des impôts pour les couches qui ont un revenu
supérieur à ce niveau et par une désincitation au travail pour les personnes qui sont en
dessous de ce niveau (l’accès à ce niveau « paie » moins du fait de l’élévation du taux
marginal d’imposition [Piketty, 1997]). C’est pour cela qu’on a intérêt à réduire la
quantité de personnes soumises à des taux marginaux d’imposition élevés (premier et
deuxième point ci-dessus). La mise en pratique de ce principe exigera donc que les taux
marginaux les plus élevés s’appliquent sur une couche de la population telle que la
quantité d’individus avec un revenu inférieur à celui des individus de cette couche soit
la plus réduite possible.

A partir de ces constats, on peut fournir une justification de la structure des taux
marginaux française qui est caractérisée par une forme en « U » (Piketty, 1997), c'est-à-
dire, les taux marginaux les plus élevés retombent sur les bas et les hauts revenus.
D’après ce qu’on vient de voir, ce choix est tout à fait justifié. En effet, à moins qu’on
fasse des hypothèses extrêmement optimistes sur les incitations au travail de l’allocation
universelle, la maximisation de la recette fiscale justifie un taux marginal d’imposition

61
élevé lors du passage de l’inactivité à l’emploi étant donné que la densité d’agents est
moindre chez les chômeurs que chez les actifs (cf. Piketty, 1997 et Annexe 3). Cela
étant, la forme en « U » des taux marginaux d’imposition apparaît comme la forme la
moins coûteuse à fin d’aboutir à notre objectif rawlsien : la maximisation des recettes
fiscales (on suppose que l’élasticité de l’offre de travail ne varie pas avec le revenu).
Vanderborght et Van Parijs (2005 : 96) semblent adhérer à cette idée quand ils nous
disent que « les mesures imaginées pour éviter le coût prohibitif de l’instauration d’une
allocation universelle « complète » impliquent nécessairement un profil régressif des
taux marginaux effectifs d’imposition ».

Le problème qui se pose par rapport à notre explication précédente des trappes
du chômage est manifeste. En effet, on a constaté que les taux marginaux régressifs
posaient des problèmes en ce qui concerne l’incitation au travail des individus et qu’ils
contribuaient à l’apparition des trappes du chômage ! Il apparaît que la recherche de la
maximisation au moindre coût du montant de l’allocation universelle n’est pas
compatible avec le taux marginal d’imposition libératoire pour le passage du chômage à
l’emploi. Il existerait donc une contradiction entre l’optimalité pour le financement du
transfert et l’élimination d’un des mécanismes les plus importants à la base des trappes
du chômage.

Cependant, la réalité montre que l’hypothèse d’une élasticité d’offre du travail


indépendant du revenu n’est pas réaliste. En effet, Piketty (2004) remarque que
l’introduction de l’EITC aux États-Unis a permis de mettre en évidence une importante
incitation au travail des personnes à bas revenus du fait que les emplois « paient plus »
(l’EITC octroie un crédit d’impôt de 40% du salaire pour ceux qui touchent moins de
9000 dollars). L’élasticité de l’offre de travail des personnes à bas revenu s’est avérée
comme étant légèrement supérieure à 1 alors que les élasticités pour les niveaux de
revenu moyens et élevés étaient nettement plus faibles. Cela étant, l’aplatissement de la
première partie de la courbe en « U » des taux marginaux d’imposition retrouverait sa
légitimité grâce à la plus grande élasticité de l’offre de travail des bas revenus. En effet,
une forte élasticité de l’offre de travail rend peu désirable pour la puissance publique
l’application de taux marginaux d’imposition élevés du fait de la forte désincitation au
travail qui en découle. Cela étant, l’allocation universelle apparaît à nouveau comme un
outil effectif contre les trappes du chômage. Finalement, une dernière justification pour
éliminer les taux marginaux d’imposition élevés sur le passage du chômage à l’emploi

62
peut être fournie si on abandonne le principe guide rawlsien de maximisation des
transferts en faveur d’une recherche de la création du plus grand nombre d’emplois
(Piketty, 1997).

5.3. Le loisir comme bien inférieur

Etant donné que l’allocation universelle n’a pas d’effet de substitution (cf. §5.1),
le fait de diminuer ou non l’offre de travail dépend entièrement de l’effet revenu. Cela
étant, l’indétermination habituelle entre les effets contraires de l’effet substitution et
l’effet revenu ne se pose pas pour le cas qui nous occupe. Autrement dit, si le loisir est
un bien normal, on est sûr que l’augmentation du revenu qui découle de la mise en place
d’une allocation universelle provoque ensuite une augmentation de la consommation du
loisir, c'est-à-dire, une baisse de l’offre de travail.

L’étude menée par Gamel, Balsan et Vero (2002) s’attaque à vérifier


empiriquement l’hypothèse contraire : peut-on dire que le loisir est un bien inférieur ?
La confirmation d’une telle supposition démontrerait que l’introduction d’une allocation
universelle n’aurait pas d’effets négatifs sur les incitations au travail étant donné que le
fait d’avoir plus de revenu se traduirait par une moindre consommation de loisir.

Les auteurs mettent en évidence quatre arguments qui expliquent pourquoi le


loisir peut être considéré comme un bien inférieur. Premièrement, le travail peut en lui-
même constituer une source de satisfaction pour l’individu. Un deuxième argument
souligne que l’inactivité peut être vécue difficilement étant donné le rôle prépondérant
et valorisant du travail dans nos sociétés. Dans un troisième temps on remarque
également que le travail peut devenir le principal moyen d’insertion sociale au détriment
du loisir quand d’autres institutions comme la famille ou les associations font défaut. En
fin, le travail peut être vu comme une opportunité pour accéder à des responsabilités
plus importantes dans le futur même si initialement il n’est pas très attirant (cette idée
est également présente dans la théorie des trappes du chômage dynamiques de Laurent
et L’Horty [2003]).

L’étude microéconométrique réalisée par Gamel, Balsan et Vero porte sur un


échantillon de jeunes de moins de 25 ans en 1994 avec une formation équivalente ou
inférieure au baccalauréat. Cet échantillon est jugé comme particulièrement pertinent du

63
fait que les jeunes à faible qualification présentent des difficultés d’insertion
professionnelle (on présume, donc, que les effets désincitatifs pour le travail de
l’allocation universelle se feraient sentir plus fortement chez ce type d’individus). Pour
évaluer leur comportement en termes d’offre de travail, les interrogés sont placés dans
une situation où une allocation universelle de 2000 francs par mois (environ 300€ par
mois) leur serait versée.

Les résultats de l’étude sont assez concluants : pour deux tiers de l’échantillon
(68,4%) le loisir n’est pas un bien normal au sens strict étant donné que, même avec
l’instauration d’une allocation universelle, ils continueraient à travailler (55% ne
changeraient rien et 13% différerait leur offre de travail pour améliorer leur niveau de
formation). On observe que les personnes ayant le niveau de formation le plus élevé (en
l’occurrence le baccalauréat) et travaillant à temps plein sont les moins enclines à
modifier leur comportement. Par contre, les travailleurs moins qualifiés et ceux
embauchés à temps partiel ont une plus grande tendance à diminuer leur offre de travail
avec la mise en place d’une allocation universelle. Les auteurs expliquent ce fait en
remarquant que pour le cas des travailleurs à temps partiel « la situation risque d’être
plus souvent “subie” que “choisie” » (Gamel et al., 2002 : 19). Les jeunes avec le
baccalauréat, en revanche, auraient accès à des emplois plus satisfaisants et motivants
sur le marché primaire.

Si on cible les personnes qui choisissent de réduire leur offre de travail, on


trouve un comportement tout à fait logique : les personnes avec un emploi satisfaisant
décident de consommer plus de loisir tandis que celles qui jugent leur insertion mal
assurée décident d’investir dans une amélioration de leur capital humain ou d’opter pour
un changement d’emploi.

D’après ce qu’on vient de voir, il apparaît que l’identification du loisir comme


étant un bien normal n’est pas justifiée du point de vue empirique (au moins pour le cas
des personnes à moyenne ou faible qualification). Certes, il faut être prudent quand on
interprète les résultats des enquêtes portant sur des situations hypothétiques. En effet, le
comportement des agents face à une allocation universelle effective de 300€ pourrait
être bien différent de ce qu’ils déclarent a priori. Tels sont les limites des outils
d’analyse dont on dispose. En tout état de cause, la recherche de Marx et Peeters (2004)
sur les gagnants du W4L belge (cf. §3.1.a) offre des résultats semblables : parmi les 14
personnes gagnants du W4L vivant seules et travaillant avant de gagner le prix,

64
seulement une personne a arrêté de travailler. Les auteurs soulignent que parmi le cas
des couples, les résultats sont moins transposables au cas de l’allocation universelle
étant donné les hypothèses qui sont à la base de leur étude.

En conclusion, on a introduit un certain nombre d’éléments –élimination des


trappes du chômage et mise en question du loisir comme bien normal- permettant de
nuancer le redoutable effet négatif de l’allocation universelle sur l’offre de travail.
D’ailleurs, nous avons souligné que le fait de travailler ne répond pas qu’à des
motivations économiques. Effectivement, la réalisation d’un travail peut également
répondre à une recherche d’un plus grand degré de reconnaissance sociale, à un désir
d’insertion dans un certain milieu, au besoin d’autoréalisation personnelle… Cela étant
on parvient à démontrer que la question de la relation entre allocation universelle et
incitations au travail n’est pas du tout tranchée. On devrait attendre la mise en place
effective de ce revenu inconditionnel pour connaître d’une manière précise ses impacts.

65
« Les bas salaires sont pour ceux qui effectuent des tâches
pénibles, répétitives et monotones ».
John Kenneth Galbraith (2004 : 35)

Chapitre 6

Allocation universelle, flexibilité et salaires

Une des recettes préférées des économistes pour résoudre le problème du


chômage est la flexibilité du marché du travail. Pour aborder ce sujet nous nous
pencherons dans un premier temps sur les mutations du système économique qui
poussent vers un besoin croissant d’augmentation de la flexibilité du marché du travail
(§6.1.a). On analysera également les raisons selon lesquelles l’allocation universelle
serait un outil parfaitement adapté à ce nouveau besoin de flexibilité (§6.1.b). Nous
avons affirmé dans notre argumentaire sur le droit au travail que l’allocation universelle
n’était pas incompatible avec le partage du travail : ce chapitre y apporte une
justification. Ensuite, on étudiera les effets attendus d’une allocation universelle sur les
salaires (§6.2.a) en portant une attention particulière sur une éventuelle suppression ou
réduction du salaire minimum (§6.2.b). Ce dernier élément pourrait rendre possible
l’offre de travaux à faible rémunération intéressants. En fin, nous discuterons d’une
possible hausse du pouvoir de négociation du travailleur (§6.3) qui aurait un impact sur
les deux facteurs traités précédemment. D’un côté elle pourrait constituer un
contrepoids à la flexibilisation croissante du temps de travail puisque les travailleurs
seraient en mesure d’exiger de meilleures conditions. Le danger de précarisation du
travail serait donc réduit. D’ailleurs, l’augmentation du pouvoir de négociation pourrait
entraîner une hausse du salaire obtenu par les travailleurs lors des négociations
salariales. Dans la mesure où nous serons capables de montrer que l’allocation
universelle peut faire augmenter les salaires, nous appuierons donc une des conclusions
de nos chapitres précédents, à savoir que l’allocation universelle ne suppose pas une
exploitation des travailleurs par les non travailleurs puisque la situation des travailleurs
eux-mêmes s’améliore.

66
6.1. Allocation universelle et flexibilité

6.1.a. Un nouveau contexte économique


La flexibilisation du temps de travail est souvent présentée comme une nécessité
face aux changement d’environnement économique et aux mutations dans les structures
sociales que nous vivons actuellement. Ainsi, on a déjà souligné que les conditions du
consensus keynésien dont on a bénéficié lors des trente glorieuses (le white male
breadwinner, CDI à temps complet…) sont de plus en plus remises en question. Même
si notre présentation risque d’être schématique, on peut rendre compte des principaux
mécanismes qui vont dans ce sens. Tout d’abord, les entreprises cherchent une plus
grande flexibilité dans leur production pour s’adapter à des marchés et à des flux de
demande très instables. Ainsi, la nouvelle organisation de la production postfordiste
cherche à éliminer les stocks et à optimiser les délais de livraison des produits à travers
le développement de méthodes comme le « just in time » (Miravet, 2000). Enfin, la
mondialisation, de son côté, intensifie la compétition entre les pays. Tous ces facteurs se
conjuguent pour faire du travail un coût variable dans le processus productif. Le résultat
est le développement des formes atypiques ou flexibles de travail (Vielle et Walthery,
2002) et l’apparition d’un chômage structurel et non conjoncturel (Rey, 2004).

Cette croissance du besoin de flexibilité du travail pose quelques problèmes


étant donné la structure des systèmes de protection sociale actuels. En effet,
« l'encouragement d'emplois assortis de salaires inférieurs aux minimums garantis, par
la création de statuts hybrides ensuite, à mi chemin entre chômage et emploi, qui ne
donnent pas lieu à cotisations, n’ouvrent pas nécessairement les droits à certaines
prestations sociales et sont privés de tout ou partie de la protection traditionnellement
assurée par le droit du travail » (Vielle et Walthery, 2002 : 6-7). Par conséquent, une
flexibilisation croissante présente le danger de détériorer la situation de certains
travailleurs qui ne bénéficient plus du système de protection sociale ce qui provoque des
résistances tout à fait compréhensibles de leur part. Il semble donc nécessaire de
maintenir un système de protection sociale minimum pour tous face aux transformations
économiques contemporaines.

Dans quelle mesure l’allocation universelle est-elle un outil qui permettrait un


accroissement de la flexibilité dans le travail tout en assurant une protection à travers la
couverture des besoins les plus basiques ? Une première réponse souligne que

67
l’allocation universelle rend plus facile le développement du partage volontaire du
travail. Cette possibilité fait l’objet d’étude dans le paragraphe suivant.

6.1.b. Allocation universelle et développement du travail à temps partiel

L’allocation universelle tend à favoriser le développement du travail à temps


partiel, autrement dit, le partage du travail et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, la
forte réduction de la trappe du chômage dans sa double conception (aversion au risque
et taxation marginal à 100% des dispositifs de revenu garanti) permet d’après Van Parijs
(2003) de rendre possible l’apparition de travaux à faible rémunération comme ceux à
temps partiel. Néanmoins, cette possibilité ne devient envisageable que si l’allocation
universelle comporte une réduction –voire une suppression- du salaire minimum [cf.
§6.2.b.]. Or, Van der Veen et Van Parijs (1986b) soulignent que l’allocation universelle
pourrait être victime de son propre succès. En effet, face à l’augmentation des taux
d’imposition que peut provoquer la mise en place d’un tel revenu inconditionnel, les
individus ont de fortes chances de choisir les travaux plus agréables mais plus
faiblement rémunérés qui sont désormais offerts. Le résultat est une érosion des recettes
fiscales mettant en échec le financement des transferts.

Deuxièmement, on peut donner un exemple démontrant la logique de la


substitution de la part des individus du travail à temps partiel au travail à temps
complet. Imaginons que Yann travaille comme serveur pendant 7 heures par jour. Le
salaire horaire net étant de 10 euros, notre serveur touche 1400 euros nets par mois si il
travaille 35 heures par semaine. Imaginons qu’une allocation universelle de 500 euros
soit mise en place. Bien évidemment, le fait de disposer de 1900 euros par mois (1400
euros du travail et 500 euros de l’allocation universelle) provoquera alors
l’augmentation des impôts de Yann. Cela étant, il est possible qu’il opte pour un travail
de serveur à temps partiel avec, par exemple, 30 heures de travail par semaine et un
salaire net mensuel de 1000 euros (le salaire horaire est réduit à 8,33 euros). Par
conséquent, en prenant en compte le scénario avec l’allocation universelle, Yann peut
consommer 5 heures de loisir en plus par semaine tout en bénéficiant d’un revenu net
supérieur à ce qu’il avait précédemment (il gagne effectivement 1500 euros : 1000 du
travail et 500 de l’allocation universelle). Bien évidement, cet exemple est extrêmement
simple et dépend fortement du montant accordé à l’allocation universelle. Néanmoins, il
sert à exprimer une intuition qui a déjà été approuvée par la figure 4 : l’individu a intérêt

68
à réduire son offre de travail en raison de l’effet revenu qui découle de la mise en place
d’une allocation universelle. Notons que cela ne veut pas dire que les individus décident
de ne plus travailler : tout simplement ils réduisent leur journée de travail en permettant
de cette manière le partage du travail. Les défenseurs de l’allocation universelle sont
convaincus que ce mécanisme est plus efficace que les mesures coercitives qui visent à
imposer le partage du travail.

6.2. Allocation universelle et salaires

6.2.a. Evolution des salaires avec allocation universelle

Quand on parle des effets de l’allocation universelle sur les salaires il est
habituel de se rapporter à l’article fondateur de Van der Veen et Van Parijs (1986). Dans
cet article, les auteurs prévoient que la mise en place d’un tel revenu inconditionnel
entraîne l’augmentation de la rémunération des travaux les plus désagréables tandis que
les salaires des travaux gratifiants diminuent. Cela étant, le maintien de la réalisation
des tâches les plus déplaisantes est rendu possible grâce à l’augmentation de leur
rémunération. Effectivement, sans cette augmentation, on peut penser que l’introduction
d’une allocation universelle inciterait les individus à ne plus effectuer les travaux les
plus ingrats et les moins rémunérateurs. Quant aux tâches excessivement désagréables
qui ne sont pas réalisées même si leur rémunération augmente, certains auteurs
suggèrent comme solution des options plus élaborées et empruntées aux démocraties de
la Grèce classique. On propose ainsi d’avoir recours au tirage au sort pour décider des
personnes qui réaliseront ces travaux (Raventós, 2001).

Or, en adoptant un point de vue critique, on peut soutenir que ce rééquilibrage


des salaires comporte un biais inflationniste. Imaginons qu’avec une allocation
universelle personne ne veuille décharger à l’aube les camions de fruits qui fournissent
les supermarchés parce qu’on préfère dormir. Alors, le salaire, initialement faible, des
personnes qui réalisent cette tâche augmentera du fait du manque d’offre de travail. Cela
étant, il y aura certainement des individus qui décideront de reprendre l’activité.
Néanmoins, la hausse du salaire sera répercutée sur le prix final du produit en le rendant
plus cher. L’allocation universelle risque donc d’engendrer une hausse des prix des

69
produits qui résultent d’activités désagréables, provoquant ainsi une réduction de sa
valeur réelle et une perte de pouvoir d’achat chez le consommateur. Encore une fois, il
est clair que nous raisonnons dans l’abstrait. Néanmoins, sans résultats empiriques sur
les effets inflationnistes de l’allocation universelle, on ne peut pas évaluer la pertinence
de cette critique. De plus les produits peuvent être le résultat de plusieurs travaux
(agréables et désagréables) dont les salaires sont intégrés dans leur prix. Étant donné
que l’allocation universelle a des effets contraires sur les salaires (augmentation de la
rémunération pour les travaux désagréables et diminution pour ceux qui sont agréables),
l’effet final sur le prix est indéterminé.

D’autres opinions plus pessimistes considèrent que l’instauration d’une


allocation universelle provoquera une baisse générale des salaires puisque les
entreprises sauront que les besoins les plus basiques sont déjà couverts par un tel revenu
inconditionnel (Vanderborght, 2004). Le risque de baisse général des salaires nous fait
rentrer dans un des domaines où les tensions entre les différentes conceptions de
l’allocation universelle sont davantage manifestes, à savoir la relation entre allocation
universelle et salaire minimum. En effet, ce danger de baisse générale des salaires sera,
pour les bas salaires, plus évident si l’allocation universelle comporte une élimination
ou une réduction du salaire minimum. Le paragraphe suivant et la dernière section de ce
chapitre analysent le bien fondé de ces craintes. Commençons par traiter les différents
regards concernant le tandem allocation universelle/salaire minimum.

6.2.b. Allocation universelle et salaire minimum


Certains partisans de l’allocation universelle pensent que la mise en place d’une
telle mesure permettrait l’abrogation du salaire minimum. Bien évidemment, les effets
d’une telle suppression dépendent du montant accordé à l’allocation universelle. Deux
scénarios sont envisageables :

1. Le montant de l’allocation universelle est fixé au-dessus ou équivalent au niveau


du salaire minimum à temps complet (1286 euros en janvier 2005 pour la France
d’après l’INSEE). C’est l’option défendue par Boutang quand il réclame une
allocation universelle proche du salaire minimum, « nettement au-dessus du
niveau de pauvreté » (Boutang, 2005). Dans ce cas la suppression du salaire
minimum ne poserait aucun problème : la situation des travailleurs les moins
productifs ne se dégraderait pas.

70
2. Le montant de l’allocation universelle est nettement inférieur à celui du salaire
minimum à temps complet. Dans ce cas nous considérons trois voies d’action :

2.1. Le salaire minimum est abrogé : certains travailleurs y perdent (dans un


cadre de concurrence pure et parfaite il s’agit des travailleurs à temps
complet dont la productivité marginale –désormais égale à leur salaire-
est tellement faible que le fait d’ajouter le montant de l’allocation
universelle ne leur permet pas d’atteindre les 1286 euros du SMIC
actuel) tandis que les autres travailleurs y gagnent financièrement avec ce
changement.

2.2. Le salaire minimum est diminué du montant de l’allocation universelle :


la situation des travailleurs reste, dans le pire des cas, inchangée.

2.3. Le salaire minimum reste au même niveau : La situation de tous les


travailleurs à faible productivité s’améliore.

Bien évidemment, pour bien cibler les « gagnants » et les « perdants », notre
analyse devrait considérer les effets après transfert du financement de l’allocation
universelle sur les travailleurs pour prendre en compte les contribuables nets et les
bénéficiaires nets. Néanmoins, étant donné qu’on raisonne à moyen de financement
indéterminé, on ne peut pas rendre compte de ce fait. Notons qu’on peut, d’ailleurs,
faire l’hypothèse que l’allocation universelle est financée avec les ressources externes
au travail comme, par exemple, le capital. En formulant une telle hypothèse on n’a plus
besoin de différencier travailleurs contribuables et travailleurs bénéficiaires.

En reprenant les impacts de l’allocation universelle sur le salaire minimum, la


plupart de propositions considèrent que par pragmatisme -et quelque part par réalisme-
le montant de l’allocation universelle doit se fixer au niveau du seuil de pauvreté (50%
du revenu équivalent médian national pour le cas de la France). Étant donné que,
d’après l’Observatoire des Inégalités en France, le seuil de pauvreté est égal à 645 euros
par mois pour un individu vivant seul en 2003, il est clair que le SMIC (1286 euros) est
bien au-dessus de ce niveau. Par conséquent, le scénario 1 (allocation universelle d’un
montant égal à celui du SMIC) apparaît comme peu envisageable et donc il faut se
concentrer sur les différentes opinions qui se développent au sein du scénario 2
(allocation universelle d’un montant inférieur à celui du SMIC).

71
Les options 2.1 et 2.2 s’inscrivent dans une vision libérale qui considère que le
salaire minimum est une entrave au jeu du marché empêchant l’offre de certains postes
dont la rémunération serait inférieure. C’est pour cela que l’allocation universelle en
baissant le salaire minimum est vue comme une opportunité à fin de flexibiliser le
marché du travail. On argumente que ces mesures vont en faveur des travailleurs les
moins qualifiés étant donné qu’elles permettent l’offre de travaux attractifs mais à faible
rémunération qui avec un salaire minimum ne pouvaient pas être offerts. La troisième
voie qui préconise un maintien du salaire minimum au même niveau, craint par contre
que la suppression du SMIC ait des effets néfastes pour les travailleurs. Analysons plus
en détail chacune des ces trois possibilités.

6.2.b.1. Suppression du salaire minimum

La position la plus radicale parmi le courant libéral est celle qui prône la
complète disparition du salaire minimum. Cela paraît être le point de vue auquel adhère
Groot quand il nous dit que « dans le cadre d’une allocation universelle il n’y a pas
besoin d’avoir une législation de salaire minimum pour protéger les travailleurs parce
que tout le monde a accès à l’alternative réelle de ne vivre qu’avec l’allocation
universelle » (Groot, 1999). Néanmoins, il ne faut pas négliger la possibilité que Groot
puisse considérer que l’allocation universelle doit se fixer au moins au niveau du salaire
minimum. Si bien que cette dernière proposition, même si on a vu qu’elle est peu
réaliste (au moins sur le court et le moyen terme), ferait de Groot un partisan du premier
scénario envisagé ci-dessus.1

6.2.b.2. Réduction du salaire minimum du montant de l’allocation universelle

Quoi qu’il en soit, dans la plupart des cas le salaire minimum est censé coexister
avec l’allocation universelle. En effet, d’après Vanderborght et Van Parijs (2005 :61)
« pour tout niveau d’allocation universelle sensiblement inférieur au salaire minimum
(…) personne ne songe sérieusement à abroger celui-ci en corollaire de l’instauration de
celle-là ». Ainsi, à travers le maintien d’un salaire minimum réduit du montant de
l’allocation universelle, les auteurs développent une proposition moins radicale que

1
L’impossibilité rencontrée de trouver le texte intégral de Groot auquel on fait référence (Groot, 1999)
nous oblige à prendre de telles précautions en ce qui concerne la pensée de l’auteur.

72
l’élimination du SMIC tout en permettant de donner plus de flexibilité au marché du
travail. Hélas, Vanderborght et Van Parijs (2005) soulignent que le financement à
travers l’impôt sur le revenu peut rendre impossible l’offre de travaux intéressants à
faible rémunération. En effet, même si on peut envisager une baisse du salaire minimum
net équivalente au montant de l’allocation universelle, l’augmentation de l’imposition
sur les premières tranches de revenus ne permet pas une réduction substantielle des
salaires bruts versés par l’entreprise. Par conséquent, étant donné que le coût du travail
ne varie pas pour l’employeur, il ne sera pas incité à demander davantage de ce type de
travail.

6.2.b.3. Maintien du salaire minimum au même niveau

Le maintien du salaire minimum à son niveau initial est soutenu par les auteurs
pour lesquels le salaire minimum doit se maintenir au même niveau lors de
l’introduction d’une allocation universelle. Effectivement, ils craignent que cela
préfigure un désengagement progressif de l’Etat-Providence dans la lutte contre le
chômage, un affaiblissement de ses politiques sociales ainsi qu’une substitution des
transferts existants par un transfert unique (d’un montant soupçonné d’être, par ailleurs,
peu élevé).

Aussi, en ce qui concerne la flexibilisation extrême du marché du travail à


travers l’élimination du salaire minimum, il existe deux effets négatifs qui sont souvent
cités : la dualisation croissante du marché du travail et l’effet Speenhamland. Voyons
dans quelle mesure ces deux effets peuvent avoir lieu lors de la mise en place d’une
allocation universelle.

L’effet Speenhamland prend son nom de la dernière poor law (loi des pauvres)
anglaise (1795-1836). Dans son essence, la législation de Speenhamland visait à assurer
aux travailleurs un minimum vital pour couvrir les besoins les plus basiques en
complétant les revenus du travail pour atteindre un seuil fixé. Le transfert était indexé
sur le prix du pain et fonction de la taille de la famille. Polanyi (2003) remarque que
cette mesure, en devenant une sorte de subvention aux employeurs, leur a permis de
diminuer les salaires versés. De plus, l’auteur remarque que ce caractère différentiel du
revenu s’est conjugué avec l’obligation pour les pauvres de travailler stipulée par les
lois élisabéthaines pour donner un résultat bien connu de nous tous (cf. §5.2.a): les

73
travailleurs les moins productifs sont faiblement incités au travail étant donné que la
différence de revenu entre le fait de travailler ou de chômer est faible ou nulle. Polanyi
(2003) constate effectivement une baisse de la productivité des travailleurs anglais
résultat de leur démotivation qui a provoqué à son tour une nouvelle baisse des salaires.
Tel a été le cercle vicieux de Speenhamland. Or, l’analogie entre ce système et
l’allocation universelle n’est pas pertinente : en tant que transfert différentiel,
Speenhamland est plus proche du RMI actuel que de notre transfert inconditionnel et
cumulatif. En effet, nous avons vu qu’un des avantages de l’allocation universelle est de
réduire les désincitations au travail provoquées par les transferts différentiels (cf.
§5.2.a). De plus, Polanyi (2003) reconnaît que si les travailleurs anglais avaient pu
s’associer (possibilité niée par les lois anti-association de 1799-1800) il y a de fortes
chances pour que le résultat ait été une hausse des salaires. À ce stade, on retiendra que
l’exemple de Speenhamland ne semble pas très adéquat pour critiquer les éventuels
effets négatifs d’une diminution, voire d’une élimination, du SMIC lorsqu’on met en
place une allocation universelle.

La deuxième crainte concerne la polarisation de la société entre les salariés d’un


côté et les personnes sans emploi (chômeurs, jeunes et retraités) de l’autre. On souligne
l’importance du statut de salarié comme moyen d’intégration sociale et d’accès au
système de protection sociale. Au sein des travailleurs eux-mêmes, on redoute
l’aggravation des différences entre ceux qui bénéficient de « bons emplois » et ceux qui
se voient soumis aux nouvelles formes atypiques et précaires d’embauche qui peuvent
subir une baisse de ses salaires d’autant plus grande que la contraient du salaire
minimum est assouplie. Vanderborght (2004) semble être conscient de ce problème
quand il commente que l’allocation universelle peut amortir les effets d’une imposition
par les entreprises de travaux à temps partiel avec des horaires très flexibles. Encore une
fois, l’allocation universelle résiste assez bien à la critique concernant les effets négatifs
de la flexibilisation sur les travailleurs à bas revenus : Noguera et Raventós (2002)
montrent que la polarisation, au moins en termes de revenu, peut être évitée avec une
redistribution opérée soit à travers la combinaison d’une allocation universelle et d’un
impôt progressif sur le revenu soit à travers un impôt linéaire dont les bas revenus
seraient exemptés. De plus, l’allocation universelle viserait en principe à éviter ce type
de polarisation entre les personnes qui bénéficient des droits qui découlent de leur
travail et les personnes qui n’ont pas d’emploi : tout le monde aurait un revenu assuré

74
sans pour autant être stigmatisé. Néanmoins, il ne faut pas oublier que le développement
de conditions de travail de plus en plus flexibles oblige à repenser le principe contributif
de certaines prestations comme les retraites, l’allocation universelle n’étant qu’un
revenu qui vise à couvrir les besoins les plus basiques. Mais, certaines propositions
d’alternative au principe contributif tel que le financement du système de protection
sociale à travers l’impôt suscitent déjà de vives résistances au sein des syndicats étant
donné leur rôle actif dans la gestion des pensions de retraite et des assurances chômage
(cf. Vanderborght, 2004).

Un dernier aspect concernant les effets de l’allocation universelle sur l’offre de


travail est celui du pouvoir de négociation des travailleurs. En effet, la prochaine section
analyse ce phénomène en soulignant les liens avec la question de la flexibilité et celle
l’évolution des salaires traités ci-dessus.

6.3. Pouvoir de négociation des travailleurs.

L’augmentation du pouvoir de négociation du travailleur est vu comme le


contrepoids aux tendances du marché du travail qui provoqueraient une diminution des
salaires et une détérioration des conditions de travail. Outre les besoins croissants de
flexibilité perçus par certains comme des facteurs de précarité, d’autres auteurs proches
de la théorie du capitalisme cognitif soulignent que la montée en puissance de la
connaissance (cf. §4.2.a) peut nuire au pouvoir de négociation du travailleur. En effet,
les technologies informatiques et de la communication permettent une diffusion de
qualité et à faible coût des compétences des travailleurs. Dès lors, dans la mesure où ces
compétences peuvent être efficacement répandues parmi un large segment de la
population, la substitution d’un travailleur par un autre peut se faire sans avoir à subir
une grande perte de savoir-faire (Fumagalli, 2002). Dans un contexte de chômage
structurel assez élevé comme c’est le cas des pays européens, ce fait se traduit par une
perte du pouvoir de négociation des travailleurs.

Face à ces constats, l’augmentation de certains salaires ou la possibilité de ne


pas travailler rendues possibles par l’allocation universelle sont perçues comme des
facteurs clé pour contrebalancer les problèmes posés ci-dessus. De ce point de vue, il
n’y a rien à craindre d’une plus grande flexibilité si les travailleurs sont en mesure de

75
refuser les travaux trop indignes ou précaires : les employeurs sont donc obligés
d’améliorer les conditions de travail de ces postes.

Quelle est donc la justification économique pour fonder cette capacité de refus
de la part des travailleurs des postes peu attirants ? Dans le cadre d’une négociation
salariale entre travailleur et employeur, la réponse à une telle question passe par la
diminution de l’« impatience » du travailleur qui découle de la mise en place une
allocation universelle (cf. Annexe 4 pour une présentation plus complète et formalisée
des mécanismes microéconomiques qui affectent l’issue d’un jeu de négociation de
Nash). En effet, un des résultats basiques des jeux de négociation dynamiques montre
que les joueurs les plus impatients (ceux avec un taux d’escompte psychologique plus
élevé) sortent perdants de la négociation étant donné qu’ils ont tendance à conclure
précipitamment et prématurément la négociation. Il n’y a rien de surprenant à cela : plus
on est impatients, plus on veut conclure rapidement l’accord étant donné que le fait de le
prolonger dans le temps nous coûte davantage. Dans le cas de la négociation entre
travailleur et employeur, il est réaliste de penser que le travailleur sera plus impatient
que l’employeur. En effet, il est très probable que le travailleur ne disposera pas d’un
revenu qui lui assurera indéfiniment dans le temps sa subsistance (Casassas et Loewe,
2002). Cela étant, le revenu certain fourni par l’allocation universelle peut réduire
l’impatience du travailleur lors des négociations. Autrement dit, le travailleur est en
mesure de refuser les offres qui ne le satisfont pas et de prolonger la négociation. On
pourrait cependant argumenter qu’avec les dispositifs existants le travailleur n’est pas
sans défense quand il négocie avec l’employeur. Il peut toujours se replier sur un salaire
de réservation formé par les allocations chômage, le RMI ou d’autres aides prévues pour
les chômeurs. De ce point de vue, l’allocation universelle ne renforce le travailleur dans
la négociation que si son montant est fixé à un niveau supérieur à celui des allocations
dont les chômeurs bénéficient actuellement. Cet argument n’est pas complètement
valable. En effet, les Etats Providence modernes prévoient des aides pour les personnes
qui ne disposent pas d’emploi, mais, souvent, ces aides sont limitées dans le temps ou
obligent les bénéficiaires à accepter les offres qui leurs sont faites. Cela est
particulièrement vrai pour les pays anglo-saxons. Ainsi, en Grande Bretagne, à partir
d’un certain temps durant lequel les individus ont bénéficié de l’aide sociale (allocation
de recherche d’emploi), celle-ci ne leur est plus versée si ils n’acceptent pas les offres
qu’ils reçoivent (Clément, 1999). D’un autre côté, aux États-Unis chaque individu ne

76
peut pas disposer pendant plus de cinq ans de sa vie de l’allocation chômage (Clément,
1999.). Étant donné que l’allocation universelle ne présente ni contraintes temporelles,
ni obligations d’acceptation des offres et qu’elle n’entraîne pas non plus de signature
d’un contrat d’insertion (comme c’est le cas du RMI français), elle permet d’accroître la
sécurité du travailleur et de diminuer son impatience lors des négociations. Or, encore
une fois, notre raisonnement suppose implicitement que le montant de l’allocation
universelle est fixé, au moins, à un niveau tel que les besoins les plus basiques sont
couverts.

Néanmoins, il existe un certain nombre d’éléments négatifs qui méritent d’être


considérés a fin de nuancer ces derniers effets de l’allocation en faveur du travailleur.
Tout d’abord il faut considérer la possible augmentation du chômage frictionnel (temps
nécessaire pour qu’un chômeur à la recherche d’un emploi trouve un emploi). Cela
pourrait avoir deux causes principales :

- Le montant de l’allocation universelle est fixé au-dessus du montant des


allocations chômage auxquelles elle pourrait se substituer. En effet, les modèles
dits de Search montrent que la période de recherche d’emploi présente une
relation positive avec le montant des allocations chômage.

- Même si la condition précédente n’est pas remplie, on a vu que l’existence d’un


revenu inconditionnel accroît la liberté des travailleurs pour refuser les emplois,
ce qui pourrait se traduire par l’allongement de la période de recherche
d’emploi.

Or, cet allongement n’est pas forcément négatif. Effectivement, du point de vue
de l’optimum social le but est de fixer un temps de recherche qui mette en mesure les
individus de trouver des emplois qui correspondent à leurs qualifications. Autrement dit,
à fin de définir l’optimum social il faut comparer les coûts induits par la période de
recherche d’emploi (principalement le versement des allocations chômage) avec les
bénéfices qui découlent du fait de profiter pleinement de la capacité productive des
travailleurs de l’économie. Pour comprendre cette idée il suffit d’imaginer une
économie où les ingénieurs au chômage doivent travailler comme livreur de pizzas
parce que les aides aux chômeurs sont si faibles qu’elles ne leur permettent pas de
chercher un poste adapté à leurs capacités. Loin de nous l’idée de déprécier le travail
des livreurs de pizza, mais il est clair néanmoins que cette économie n’utilise pas de
manière optimale le potentiel productif de ses travailleurs. L’évidence empirique semble

77
corroborer les effets positifs sur la stabilité de l’emploi qui découle d’une aide élevée
permettant une recherche du travail adéquat (Ilkka, 2004).

Ensuite, la seconde critique concernant les effets de l’allocation universelle sur


le pouvoir de négociation du travailleur est soulevé par les syndicats. En effet, ils
craignent, non sans raison, que l’allocation universelle rende plus difficile pour le
travailleur la négociation salariale. Ils argumentent pour justifier cela que les
employeurs pourraient refuser toute augmentation des salaires en reportant sur l’Etat la
responsabilité d’accroître le pouvoir d’achat par l’augmentation de la valeur réelle de
l’allocation. Ainsi, ils contraindraient les syndicats à adresser leurs revendications aux
pouvoirs publics (Vanderborght, 2004). Face à cela, l’auteur répond qu’une allocation
universelle rend plus facile le financement des grèves lancées par les syndicats en
direction des employeurs. En effet, on assure un flux de revenu illimité dans le temps
aux travailleurs lors du conflit. Il y aurait donc des raisons pour que les syndicats ne
soient pas si hostiles à l’allocation universelle comme outil permettant d’améliorer le
pouvoir de négociation des travailleurs.

78
CONCLUSION

79
L’hétérogénéité des conceptions qui se cachent derrière la notion d’allocation
universelle ainsi que l’absence d’application réelles de cette mesure (avec l’exception,
hélas trop particulière, de l’Alaska Permanent Fund) rendent très difficile un bilan
unique de l’idée et de ses effets. Néanmoins, nous pouvons tirer quelques leçons de tout
ce que nous avons vu jusqu’à maintenant.

D’abord, en ce qui concerne le montant de l’allocation universelle, il apparaît


que l’option la plus souhaitable est de le fixer au moins au niveau du seuil de pauvreté.
Seulement en assurant la couverture des besoins les plus basiques, la mesure peut
parvenir à atteindre certains objectifs comme la re-conceptualisation du travail (à travers
l’option réelle de se dédier à des activités sans rémunération de marché et l’éventuelle
apparition d’un nouveau secteur d’activité quaternaires ou l’augmentation du pouvoir de
négociation des travailleurs pour contrebalancer les problèmes que pourrait poser la
hausse de la flexibilité dans le travail.

Bien évidemment les défenseurs de l’allocation universelle sont conscients dans


la plupart des cas que cette mesure ne peut pas se substituer à tous les transferts et
prestations publiques déjà existantes. En ce sens, l’option la plus plausible prône la
suppression des transferts de montant inférieur à celui de l’allocation universelle en
complétant celle-ci avec la différence par rapport aux transferts de montant plus élevé
qui pourraient exister. Il est clair qu’une allocation universelle qui impliquerait la
suppression des tous les services et prestations publiques en rendant pire la situation des
plus démunis provoquerait des réserves et des résistances tout à fait compréhensibles.
Une correcte articulation de l’allocation universelle avec tous ces transferts et services
apparaît donc comme un des points clés du débat contemporain concernant cette
proposition. De plus, nous avons rappelé à plusieurs reprises que l’allocation universelle
ne doit pas être considérée comme la solution à tous les maux de nos sociétés. Ainsi, par
exemple, l’instauration d’un tel revenu ne peut pas assurer par lui-même l’égalité des
sexes dans tous les domaines (par exemple dans la répartition du travail non rémunéré).
Par conséquent, l’État ne doit pas assumer un rôle passif comme simple fournisseur de
l’allocation universelle.

D’un autre côté, il est clair que la faisabilité politique de l’allocation universelle
serait nulle si les bénéficiaires de cette mesure -les citoyens- ne la prennent pas comme
un but vers lequel on doit tendre. C’est pour cela que les barrières intellectuelles qui
empêchent l’acceptation de l’allocation universelle apparaissent comme l’obstacle le

80
plus important pour la mise en place de cette mesure. Dans ce sens, Groot (1999) fournit
quelques données empiriques qui montrent la méfiance du public vis-à-vis de l’idée
d’une allocation universelle et la préférence pour des dispositifs de type « workfariste »
qui exigent une contrepartie en termes de travail ou insertion dans le marché du travail.
Il est clair qu’après plus de cinquante ans d’Etat Providence basé sur la recherche du
plein emploi et la conséquente conditionnalité des transferts, il est difficile de changer
les représentations collectives en ce qui concerne le travail. La question de la réciprocité
constitue l’un des principaux problèmes dans ce sens. La même question d’acceptabilité
se pose concernant les bases philosophiques (le libéralisme réel) sur lesquelles se fonde
l’allocation universelle telle qu’elle est conçue aujourd’hui de manière majoritaire. En
effet, les postulats du libéralisme réel de Van Parijs justifiant l’instauration d’une
allocation universelle maximale ne seront pas acceptés du jour au lendemain et ils
précisent d’une explication et une discussion préalable. Or, il faut éviter la superbe
intellectuelle qui consisterait à nous faire penser que les résistances à l’allocation
universelle sont le fruit de l’ignorance des autres. Tout d’abord il est évident que les
fondements philosophiques ne sont pas être forcément partagés. Deuxièmement, même
en acceptant une conception large du travail qui nuance le problème de la réciprocité, on
a vu que l’allocation universelle pose des sérieux problèmes en ce qui concerne un tel
principe (par exemple la persistance d’un certain degré d’exploitation des travailleurs
par les non travailleurs). Finalement, on doit rappeler l’existence de dispositifs déjà en
place permettant d’atteindre des résultats similaires et parfois plus efficients que ceux
qui sont propres à l’allocation universelle (par exemple concernant la lutte contre la
pauvreté ou les incitations aux emplois à basse rémunération). Certes, nous avons
montré que les tenants de l’allocation universelle ne restent pas sur la défensive et sont
en mesure de fournir quelques réponses à ces problèmes. Cela étant, nous sommes
convaincus que seul un débat ouvert et libre de tous préjugés peut faire sortir
l’allocation universelle de son enfermement dans les cercles académiques et
intellectuels. Alors elle pourrait enfin faire connaître ses réelles possibilités pour gagner
un plus grand soutient.

L’acceptation de l’allocation universelle est menacée par d’autres problèmes


allant au-delà de la sphère du travail. Ainsi, une première critique porte sur
l’impossibilité d’appliquer l’allocation universelle en dehors des pays développés. En
effet, il est difficile de penser que les pays en voie de développement soient en mesure

81
de respecter la condition d’ « abondance faible » (weak abundance) qui d’après Van der
Veen et Van Parijs (1986a ; cf. aussi Van Parijs, 1996a) doit être remplie pour garantir
une allocation universelle à un niveau suffisamment élevé pour couvrir les besoins
basiques de tous. La faiblesse des gouvernements d’une grande partie de ces pays ainsi
que le manque de conditions démocratiques rend la mise en place effective de
l’allocation universelle encore plus difficile. On pourrait ajouter à ce problème d’autres
questions d’ordre macroéconomique comme le risque de désincitation à l’épargne ou la
question de son financement. Paradoxalement ce dernier point concernant le
financement apparaît comme le moins préoccupant étant donné le grand nombre de
travaux qui montrent la faisabilité économique de l’allocation universelle à coûts
raisonnables. Quoi qu’il en soit, cette énumération non exhaustive de certaines critiques
et limites attribuées à l’allocation universelle montrent la diversité des voies de
recherche qui restent ouvertes.

Après les remarques générales sur l’allocation universelle et sa faisabilité, nous


sommes en mesure de réaliser quelques commentaires finaux plus spécifiques
concernant les impacts sur le travail. Ainsi, nous avons vu que d’un point de vue
économique les effets sur le chômage ne sont pas clairs. Pour synthétiser nos résultats il
est intéressant de rappeler que le chômage peut être divisé en trois catégories : le
chômage volontaire, le chômage frictionnel et le chômage involontaire non frictionnel :

- Le chômage volontaire n’est pas pris en compte dans les statistiques officielles
et par conséquent les effets sur les chiffres du chômage, au moins d’un point de
vue technique, seraient nuls. Quoi qu’il en soit, l’allocation universelle est
censée augmenter ce type de « chômage » si les personnes décident de se dédier
à des activités telles que le bénévolat ou le travail domestique, autrement dit, si
le travail non rémunéré se substitue à celui rémunéré. Bien évidemment, ce fait
ne serait pas préoccupant en soi (il ne serait pas du chômage proprement dit
étant donné qu’on réaliserait un autre type de travail) sauf dans le cas extrême où
la réalisation de travail rémunéré diminue de telle sorte que le financement de
l’allocation universelle à travers l’impôt sur le revenu est compromis. Dans ce
sens on a vu que, même si l’introduction d’un tel revenu inconditionnel joue
négativement sur les incitations au travail rémunéré à travers l’effet revenu, la
réduction des trappes du chômage et la possibilité de considérer le loisir comme

82
un bien inférieur agissent dans le sens contraire. Les effets sur les incitations au
travail restent donc indéterminés.

- Le chômage frictionnel pourrait augmenter comme conséquence du flux de


revenu dont les chômeurs bénéficieraient avec une allocation universelle et qui
leur permettrait d’allonger la période de recherche d’emploi. De ce point de vue,
la mesure pourrait être porteuse d’une hausse du chômage même si cet
allongement de recherche d’emploi peut également comporter des retombées
positives.

- Finalement il existe le chômage involontaire non frictionnel. Étant donne que la


mise en place d’une allocation universelle pourrait favoriser l’offre d’emplois à
basse rémunération grâce à la baisse du salaire minimum et à la réduction des
trappes à chômage, le chômage involontaire pourrait diminuer tout en rendant
possible une plus grande flexibilité du marché du travail.

En conclusion, nous repérons que les effets sur les statistiques du chômage sont
indéterminés à cause des effets contraires que l’allocation universelle présente sur le
chômage frictionnel et sur le chômage involontaire non frictionnel. En ce qui concerne
le travail pris dans un sens large, on pourrait atteindre un élargissement des opportunités
des individus étant donné la possibilité réelle de se dédier aux activités non rémunérées.

Dans la mesure où l’allocation universelle pouvait se montrer capable de fournir


des réponses adéquates aux questions qui se posent dans le domaine du travail mais
aussi dans un cadre macroéconomique ou politique plus général, elle serait en mesure de
dépasser le stade d’utopie provocatrice et suggestive pour devenir une des voies de
réforme la plus intéressante pour l’État Providence du XXIème siècle.

83
ANNEXES

84
ANNEXE 1: DISPOSITIFS DE REVENU MINIMUM, TRANSFERTS
UNIVERSELS ET EFFICIENCE DANS LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ
______________________________________________________________________

Dans cette annexe nous démontrons que, si le but du transfert ne consiste qu’à
faire atteindre à tous les individus un revenu net au moins égal à la ligne de pauvreté, les
dispositifs de revenu minimum sont plus efficients que les transferts universels. Ce
résultat est tout à fait intuitif : si on veut faire atteindre à tous les individus un revenu
net (après impôts et transferts) au moins égal à B (niveau de la ligne de pauvreté) il
suffira de ne transférer qu’à ceux qui ont un revenu brut y au-dessous de B une quantité
égale à B − y . Telle est la logique des dispositifs de revenu minimum comme le RMI
(cf. §2.1).

Pour mieux saisir les inefficiences propres aux transferts universels, on reprend
la figure 2 qui montre la distribution de revenus avec une allocation universelle financée
à travers un impôt linéaire sur le revenu (rappelons que cette distribution est identique à
celle qu’on aurait avec un impôt négatif linéaire). Nous supposons que le montant de
l’allocation universelle est fixé au niveau du seuil de pauvreté. Cette hypothèse est
spécialement pertinente étant donné qu’elle reflète l’opinion la plus répandue parmi les
défenseurs de l’allocation universelle en ce qui concerne son montant et, en plus,
simplifie notre analyse ultérieure.

Allocation universelle avec impôt linéaire

Revenu
net

A
D a3
a2
B E
a1

45º
O
yp yu Revenu brut
Source: Creedy (1996)

On se ciblera sur l’étude des aires a1, a2 et a3.

85
- a1 (triangle OBE) correspond au transfert qui assure à ceux qui avaient un
revenu brut inférieur au seuil de pauvreté qu’ils atteignent ce niveau (B). A
priori, un système qui ne vise qu’assurer que tous les individus aient un revenu
au moins égal à B (seuil de pauvreté) devrait se limiter à transférer un montant
égal à l’aire a1, or, dans le graphique on trouve également les aires a2 et a3.

- L’aire a2 (triangle BDE) montre la première inefficience du transfert universel. Il


s’agit du montant transféré aux individus qui avaient un revenu brut inférieur à
B mais qui fait que son revenu net après transferts soit supérieur au seuil de
pauvreté.

- L’aire a3 (triangle ADE) montre le transfert net fait à ceux qui, même en ayant
un revenu brut supérieur à B, deviennent bénéficiaires nets de la mise en place
du transfert universel. Un mécanisme efficient de lutte contre la pauvreté
n’aurait rien transféré à ces individus.

Mathématiquement, en notant F(y) la fonction de distribution du revenu brut y et


t le taux d’imposition on trouve :
yu
a1 + a2 + a3 = ∫ ( B − ty )dF ( y ) (1)
0

yp
a1 = ∫ ( B − y )dF ( y ) (2)
0

yp
a1 + a2 = ∫ ( B − ty )dF ( y ) (3)
0

Notons que a2 peut être trouvé en soustraient (2) de (3) :


yp yp yp yp
a2 = (3) − (2) = ∫ ( B − ty )dF ( y ) − ∫ ( B − y )dF ( y ) = ∫ ( B − ty − B + y )dF ( y ) = ∫ y (1 − t )dF ( y )
0 0 0 0
De la même manière on peut déduire a3 grâce aux expressions (1) et (3). En
effet :
yu yp yu
a3 = (1) − (3) = ∫ ( B − ty )dF ( y ) − ∫ ( B − ty )dF ( y ) = ∫ ( B − ty )dF ( y )
0 0 yp

Cela étant, on est en mesure de présenter les indicateurs de mesure de


l’efficience décrits par Creedy (1996). Il faut rappeler que l’efficience dans ce cas est
mesurée par rapport à la sélection des bénéficiaires et des transferts versés dans le but
de réduire la pauvreté :

86
- « Vertical expenditure efficiency » (efficience de dépense verticale) =
= (a1+a2)/(a1+a2+a3). Cet indicateur mesure la quantité de transferts adressée à
des personnes qui étaient pauvres avant de recevoir le transfert par rapport à la
quantité total de transferts qui a été versée. On aura intérêt à qu’il soit le plus
élevé possible. Dans le cas optimal il est égal à 1 (les transferts ne s’adressent
qu’aux personnes avec un revenu brut inférieur au seuil de pauvreté). Pour le cas
de l’allocation universelle qu’on vient de voir il sera inférieur à 1 puisque on
peut vérifier aisément que a1, a2 et a3 sont supérieurs à zéro.

- « Poverty reduction efficiency » (efficience de réduction de la pauvreté) =


=a1/(a1+a2+a3). Cet indicateur montre la quantité des transferts qui va aux
personnes avec un revenu brut inférieur au seuil de pauvreté et qui ne font
qu’augmenter leurs revenus bruts jusqu’au seuil de pauvreté par rapport aux
transferts totaux versés. Encore une fois, on aura intérêt à qu’il soit le plus élevé
possible (dans le cas optimal il est égal à 1 : on ne fait qu’augmenter le revenu
brut des individus pauvres jusqu’à B) et on peut vérifier que pour l’allocation
universelle il est inférieur à 1 (puisque a1>0, a2>0 et a3>0).

Si on analyse maintenant les dispositifs de revenu minimum, on peut reprendre


la figure 1 pour montrer la distribution des revenus sous des telles mesures :

Dispositifs de revenu minimum garanti

Revenu
net
T

B C
a1

O
yu Revenu brut

Source : Creedy (1996 :63)

On vérifie aisément que les caractéristiques sont telles que :

87
a2 = a3 = 0

En effet, seulement les personnes avec un revenu brut inférieur à B reçoivent un


transfert qui leur permet d’atteindre exactement le seuil de pauvreté. Cela étant,

a1 + a 2 a1 a
= = 1 =1
a1 + a 2 + a3 a1 + a 2 + a3 a1

Autrement dit, les deux indicateurs d’efficience présentés ci-dessus sont


maximisés avec le dispositif de revenu minimum garanti. On parvient à démontrer ainsi
la supériorité de ce dispositif sur les transferts universels pour réduire la pauvreté d’une
manière plus efficiente.

88
ANNEXE 2 : SALAIRE D’EFFICIENCE (Relation de Solow)
______________________________________________________________________

Pour présenter la théorie du salaire d’efficience on présente un modèle très simple


basé sur un des articles de Robert Solow (1979).

Dans ce modèle, l’employeur fait face à un problème d’aléa moral qui découle de
l’incertitude en ce qui concerne l’effort fourni par l’employé. L’enjeu pour l’employeur
est de fixer un salaire tel que le travailleur soit amené à fournir l’effort optimal. Pour
cela, on supposera que l’employeur connaît la fonction d’effort du travailleur qui est
égale à :

de
e = e( w) (1) Avec >0
dw
Où :
e = Effort fourni.
w= Salaire.

En se donnant une fonction de production générale pour l’entreprise du type


∂Y ∂Y
Y = F (eL) (2) Avec > 0 et >0
∂e ∂L
Où :
Y= Production.
L= Employés.

La firme fait face au programme de maximisation suivant

max π = F (e( w) L) − wL (3)


w, L

Par conséquent les conditions du premier ordre sont:

∂π ∂F ∂π ∂F de( w)
= × e( w) − w = 0 (4) et = ×L −L=0 (5)
∂L ∂L ∂w ∂w dw

En divisant (5) par L :


∂F de( w)
× −1 = 0 (6)
∂w dw

89
En utilisant les équations (4) et (6) on obtient
de( w) w
× =1
dw e( w)

Notons que
de( w) w
εe/ w ≡ × =1 (7)
dw e( w)

C’est comme cela que nous obtenons la relation de Solow. La firme maximise son
profit avec un salaire tel que l’élasticité de l’effort par rapport au salaire est unitaire.

Par conséquent la firme détermine un salaire ŵ qui respecte la relation (7). Pour
obtenir la demande de travail on dérive l’expression (3) par rapport à L :

∂F
(e( ŵ) × L) × e(ŵ) - ŵ = 0 (8)
∂L

En dégageant par rapport à L on obtient la demande de travail de la firme à


l’optimum ( lˆ − ). Cela étant, si on considère que dans notre économie il y a N firmes
identiques, la demande totale de travail ( L̂− ) est égale à :

Lˆ− = N × lˆ − (9)

On a vu que dans notre raisonnement ŵ et L̂− ont été fixés par les firmes sans
prendre en compte l’équilibre entre l’offre et la demande. Ce fait peut avoir deux
résultats :

1. La demande ( L̂− ) est supérieure à l’offre de travail pour le salaire ŵ. Le salaire


doit se fixer à un niveau supérieur à sa valeur d’efficience. Le salaire résultant
de l’équilibre offre-demande s’impose.

2. La demande ( L̂− ) est inférieure à l’offre de travail pour le salaire ŵ : le salaire


d’efficience s’impose et il existe du chômage involontaire. On vérifie que la
prise en compte de l’effort peut amener la firme à fixer le salaire au-dessus du
niveau exigé par le marché étant donné que baisser le salaire n’est pas optimal
pour la firme.

90
ANNEXE 3 : IMPOSITION OPTIMALE ET TAUX MARGINAUX
D’IMPOSITION
______________________________________________________________________

Piketty (1997) présente un modèle d’imposition optimale qui obtient des


résultats similaires au modèle classique de Mirrlees mais qui est ciblé sur « le choix de
la quantité d’effort et d’investissement personnel pour trouver un emploi ou pour être
promu à un taux de salaire plus élevé » (Piketty, 1997 : 166). Autrement dit, dans ce
modèle les agents feront varier l’effort et l’investissement personnel qui est réalisé pour
trouver un emploi ou pour passer à un groupe de revenu supérieur à travers la recherche
d’un emploi meilleur.

Dans le modèle il existe trois groupes de revenu (wi représente les salaires
bruts) : personnes sans emploi (sans revenu brut), personnes à bas salaire (w1) et
personnes à haut salaire (w2). Les revenus nets pour les trois groupes après imposition et
transferts seront représentés par y0, y1 et y2. On notera Ti le taux marginal d’imposition
pour le passage du niveau i de revenu au niveau i+1, et mi la quantité d’individus dans
le groupe de revenu i. Rappelons que i peut prendre les valeurs 0, 1 ou 2 selon le groupe
auquel on appartient. Finalement, e0 (resp. e1) représente l’élasticité de la probabilité de
transition de m0 vers m1 (resp. de m1 vers m2).

Notre modèle assume une élasticité de substitution infinie entre les deux types
d’emploi (1 et 2) et l’existence d’un marché de travail parfaitement compétitif.

Cela étant, les revenus nets de notre économie seront :

y1 = y0 + (1 − T0 ) w1 (1)

y 2 = y0 + (1 − T1 ) w2 (2)

Les recettes brutes de l’Etat (R) viennent données par l’expression :

R = T0 (m1 + m2) w1 + T 1m2( w2 − w1) (3)

Si on assume que l’Etat n’a comme dépense que le transfert forfaitaire (qui par
conséquent équivaut au revenu net des personnes sans emploi) :

R
y0 = (4)
m0 + m1 + m2

91
On supposera que l’Etat se fixe un objectif rawlsien de maximisation de ce
transfert y0 à travers la maximisation de ses recettes fiscales R. Quels seront les niveaux
optimaux d’imposition marginal (T0* et T1*) qui devront être choisis pour chaque
tranche de revenu brut ?

Tout d’abord on peut vérifier que l’impact sur les recettes fiscales (dR) d’une
augmentation dTo du taux marginal d’imposition sur le passage du chômage à w1 sera

 dT0 
dR = (m1 + m2 ) ⋅ w1 ⋅ dT0 − T0 ⋅ w1 ⋅ m0 ⋅ e0 ⋅   (5)
 1 − T0 

Où :

- (m1 + m2 ) ⋅ w1 ⋅ dT = augmentation de recettes fiscales comme résultat de


l’augmentation des impôts dus par ceux qui restent avec un revenu brut égal à
w1 ou w2.

 dT0 
- T0 ⋅ w1 ⋅ m0 ⋅ e0 ⋅   = Diminution des recettes fiscales comme conséquence
 1 − T0 
des désincitations à occuper un travail rémunéré à w1. Pour comprendre cette
expression il suffit de repérer que le pourcentage de personnes qui décident de
 dT0 
rester au chômage est donné par e0 ⋅   par définition du concept
 1 − T0 

d’élasticité.

Cela étant, les recettes seront maximisées quand dR= 0 : la hausse des recettes
fiscales comme résultat de l’augmentation de T0 est égale à la perte des recettes qui
découle. Autrement dit, il s’agit d’atteindre le sommet de la courbe de Laffer :

 dT * 0 
dR = 0 ⇔ (m1 + m2 ) ⋅ w1 ⋅ dT * 0 = T * 0 ⋅ w1 ⋅ m0 ⋅ e0 ⋅  * 

1− T 0 
En simplifiant pour obtenir T0*

 1 
(m1 + m2) = T * 0 ⋅ m0 ⋅ e0 ⋅  * 
1−T 0 

m1 + m2 T*
= 0 *
m0 ⋅ e0 1 − T0

92
1
Soit T0* = (6)
m0 e0
1+
m1 + m2

En raisonnant de la même manière, l’impact sur les recettes fiscales d’une


augmentation dT1* du taux marginal d’imposition T1 est

dT1
dR = m2 ⋅ ( w2 − w1 ) ⋅ dT1 − T1 ⋅ ( w2 − w1 ) ⋅ m1 ⋅ e1 ⋅ (7)
1 − T1

La seule différence est que l’augmentation du taux marginal T1 n’affecte que la


tranche de la population avec des salaires bruts supérieurs à w1.

La maximisation des recettes fiscales exige que

dT *1
dR= 0 → m2 ⋅ ( w2 − w1 ) ⋅ dT *1 = T *1 ⋅ ( w2 − w1 ) ⋅ m1 ⋅ e1 ⋅
1 − T *1

En simplifiant pour trouver T*1

1
m2 ⋅ = T *1 ⋅ m1 ⋅ e1 ⋅
1 − T *1

m2 T *1
=
m1 ⋅ e1 1 − T *1

* 1
Soit T1 = (8)
m ⋅e
1+ 1 1
m2

En supposant que e0 = e1 et que m0 est inférieur à m1 et m2 (Piketty [1997] donne


les valeurs suivantes en millions de personnes pour le cas de la France : m0= 3, m1=6,
m2=6) et en les substituant dans les expressions (6) et (8), on démontre que la
maximisation des recettes fiscales à moindre coût justifie une plus grande imposition
marginale sur les bas revenus. En effet, pour les données de la France citées ci-dessus :

1 1 1 1 1 1
T0* = = = > = = = T1*
m0 e0 3 ⋅ e 1 + 0,25 ⋅ e 1 + 1 ⋅ e 6⋅e m ⋅e
1+ 1+ 1+ 1+ 1 1
m1 + m2 6+6 6 m2

93
ANNEXE 4 : MODÈLE DE NÉGOCIATION DE NASH ET ALLOCATION
UNIVERSELLE
______________________________________________________________________

Nous allons montrer les impacts de la mise en place d’une allocation universelle
sur le pouvoir de négociation des travailleurs à travers le modèle de négociation
développé par Nash. Cet auteur a démontré à travers une approche axiomatique que
l’issue d’une négociation entre deux agents rationnels a une solution unique qui peut
être calculée (Nash, 1950). Dans notre cas, on supposera que les négociations se font
entre un employeur et un travailleur qui doivent se repartir une quantité fixe d’unités
monétaires. On peut démontrer que la solution unique (un) de la négociation est définie
par (Cahuc et Zylberberg, 2001) :

u n = ArgMax(u1 − d1 )γ (u2 − d 2 )1−γ (1)

s.c. ui ≥ di i = 1,2

Où :

u1 = Utilité du joueur 1 (en l’occurrence l’employeur).

u2 = Utilité du joueur 2 (en l’occurrence le travailleur).

d1= Situation de statu quo du joueur 1 (employeur). Utilité de l’employeur si les


négociations échouent.

d2= Situation de statu quo du joueur 2 (travailleur). Utilité du travailleur si les


négociations échouent.

γ = Pouvoir de négociation.

La formule montre que la solution du jeu maximise le produit des utilités en


prenant en compte la situation de statu quo de chaque joueur et leur pouvoir de
négociation.

La Figure 1 représente graphiquement la solution du jeu (u1*, u2*).

On étudiera l’impact de l’allocation universelle sur le pouvoir de négociation du


travailleur à travers les trois éléments qui déterminent l’issue de la négociation : la
situation de statu quo, la fonction d’utilité et le pouvoir de négociation du travailleur.

94
Figure 1. Représentation graphique de l’issue de la négociation

Utilité de
l’employeur

u1*

d1

d2 u2* Utilité du
travailleur

Source : Casassas et Loewe (2002 : 214)


La situation de statu quo

La situation de statu quo représente les revenus des joueurs quand le processus
de négociation n’aboutit pas à un résultat, autrement dit, il s’agit du revenu des agents
lors des tours de négociation. On supposera que :

- d1 > d2

du ( x)
- λ ⋅ u (a) + (1 − λ ) ⋅ u (b) < u (λa + (1 − λ )b) ce qui implique = u ' ( x) > 0 et
dx
du ' ( x)
= u ' ' ( x) < 0
dx

On suppose donc que l’employeur bénéficie d’une situation de statu quo


supérieur à celle de l’employé et que les individus ont des fonction d’utilité de Von
Neumann et Morgenstern avec aversion vis-à-vis du risque (cf. Nash [1950] pour une
présentation sommaire des propriétés de ces fonctions d’utilité). Cela étant, on assumera
pour l’instant que les individus ont la même fonction d’utilité. Si on introduit une
allocation universelle d’un montant A, les utilités du statu quo deviennent

u(d1 + A) > u(d2 +A) avec u’(d1+A) < u’(d2+A) étant donné que u’’(x) < 0

Autrement dit, étant donné l’utilité marginale décroissante modélisée par


l’aversion vis-à-vis du risque, l’introduction d’une allocation universelle qui donne un
même montant A au travailleur et à l’employeur provoque une augmentation plus forte
de l’utilité du travailleur que de celle de l’employeur (u’(d1+A) < u’(d2+A)) même si
l’utilité de l’employeur reste supérieure. Cela revient à dire que, dans la Figure 1, d2

95
augmente plus que d1 grâce à l’introduction d’une allocation universelle. Etant donné
que le résultat de la négociation de Nash est limité aux résultats Pareto-efficients
(ui ≥ di), le résultat du travailleur à l’issue de la négociation est amélioré. Tel est le
premier effet positif de l’allocation universelle sur le pouvoir de négociation du
travailleur.

Aversion vis-à-vis du risque

En ce qui concerne les fonctions d’utilité des deux agents, on a supposé jusqu’à
maintenant qu’elles étaient identiques. Or, Casassas et Loewe (2002) suggèrent une
hypothèse plus réaliste selon laquelle le travailleur aurait une aversion vis-à-vis du
risque supérieur à celle de l’employeur. En effet, sans rester très précis sur ce point, les
auteurs considèrent qu’il est raisonnable de penser qu’il existe une relation négative
entre la situation de statu quo et la disposition à prendre des risques : plus la situation de
statu quo dont on bénéficie est élevée, plus on sera prêt à prendre des risques.

Pour montrer d’une manière graphique les implications de ces différences


d’aversion vis-à-vis du risque on a décidé de représenter une situation où le travailleur
(courbe rouge) est avers au risque tandis que l’employeur (courbe bleue) est neutre vis-
à-vis du risque. Cette hypothèse rend plus facile la démonstration graphique. Les
résultats ne seraient pas qualitativement différents si on aurait pris une courbe moins
concave pour l’employeur représentant une moindre aversion au risque.

Figure 2. Courbes d’utilité des agents

Utilité du
revenu
Travailleur
ut(x1)
ue(x2)
Employeur
ut(x1)

ue(x1)

x1 x2 Revenu

Source: Elaboration propre


En effet, même si on ne fournit pas la démonstration mathématique, on vérifie
graphiquement que :

96
ue(x2) - ue(x1) > ut(x2) - ut(x1)
Autrement dit, face un passage du revenu de x1 à x2 l’utilité de l’employeur
augmente davantage que celle du travailleur du fait de la concavité de la fonction
d’utilité de ce dernier. Etant donné que la solution de la négociation de Nash vise à
maximiser le produit des utilités, on aura intérêt à transférer des unités monétaires du
travailleur à l’employeur étant donné la moindre décroissance de l’utilité marginale du
revenu pour l’employeur (Casassas et Loewe, 2002). Dans la mesure où l’allocation
universelle est censée réduire l’aversion au risque des travailleurs, le résultat de la
négociation s’améliorerait pour les employés.

Le pouvoir de négociation

Les coefficients γ de l’expression (1) représentant le pouvoir de négociation du


travailleur sont interprétés par Rubinstein comme étant l’inverse des taux d’escompte
(ri) des individus (Casassas et Loewe, 2002). En effet, si δ représente le facteur
d’escompte,

1
δ = (1 + ri ) −t = i = 1,2 (2)
(1 + ri ) t

Par conséquent le pouvoir de négociation peut être représenté par

r2
γ= (3)
r1 + r2

On parvient ainsi à formaliser l’intuition présentée dans la section 6.3 : le joueur


le plus impatient (ri plus élevé, et, par conséquent, δ plus faible) aura un pouvoir de
négociation réduit. L’approche stratégique des processus de négociation à horizon infini
de Rubinstein s’avère très utile pour fournir une démonstration rigoureuse d’une telle
intuition. De plus, l’utilisation d’un jeu avec ces caractéristiques n’est pas déconnecté de
notre raisonnement précèdent : en effet, la solution du jeu donnée par (1) peut être
assimilée à une telle négociation à horizon infini où le délai entre deux offres
successives tend vers zéro (Cahuc et Zylberberg, 2001). Voyons donc le résultat d’un
jeu de négociation avec horizon infini où deux joueurs rationnels se répartissent une
quantité fixe de ressources qui sera considérée comme étant égale à 1. Notre analyse a
comme référence le modèle développé par Cahuc et Zylberberg (2001 : 318-320).

97
Imaginons que le joueur 1 propose la partition (x, 1-x) au joueur 2 lors des dates
paires (le joueur 2 peut accepter ou refuser cette offre de répartition) et le joueur 2
propose une partition (y, 1-y) qui peut être acceptée ou refusée par 1 lors des dates
impaires. Etant donné que l’horizon du jeu est infini, on ne peut pas réaliser un
raisonnement à rebours pour trouver l’équilibre du jeu, mais on sait que les propositions
des joueurs seront toujours identiques. On supposera que le joueur 1 décide de proposer
(x*, 1-x*) à chaque date paire et que le joueur 2 décide de proposer une répartition (y*,
1-y*) à chaque date impaire. Cela étant, l’utilité de 1 s’il accepte l’offre y* à une date
quelconque sera donnée par l’expression

∑ δ u ( y*)
t =0
t
1 1 (4)

S’il refuse, il obtient



u1 (d1 ) + ∑ δ 1t u1 ( x*) (5)
t =1

Par conséquent, un équilibre parfait en sous jeu exigerait que la plus petite
valeur pour y* que le joueur 2 pourra offrir sera donnée par l’égalité entre (4) et (5),
autrement dit
∞ ∞

∑ δ1t u1 ( y*) = u1 (d1 ) + ∑ δ1t u1 ( x*)


t =0 t =1

En développant et en résolvant pour y*

u1 ( y*) u ( x*)
= u ( d1 ) + 1 ⋅ δ1
1 − δ1 1 − δ1

u1 ( y*) = u1 (d1 ) ⋅ (1 − δ 1 ) + u1 ( x*) ⋅ δ 1

u1 ( y*) = u1 (d1 ) − u1 (d1 ) ⋅ δ 1 + u1 ( x*) ⋅ δ 1

u1 ( y*) = u1 (d1 ) + δ 1 [u1 ( x*) − u1 (d1 ))]

Si on se donne une fonction d’utilité du type u1(x) = x on obtient


y* = d1 + δ 1 ( x * −u1 (d1 )) = u1 (d1 ) + δ 1 ·x * −δ 1 ·u1 (d1 )

y* = δ 1 ·x * +u1 (d1 )(1 − δ 1 ) (6)


En raisonnant de manière analogue pour le joueur 2 et en se donnant un fonction
d’utilité du type u2(1-x) = 1-x on obtient

98
u 2 (1 − x*) = u 2 (d 2 ) + δ 2 [u 2 (1 − y*) − u 2 (d 2 )]

1 − x* = u 2 (d 2 ) + δ 2 [1 − y * −u 2 (d 2 )]

x* = 1 − u 2 (d 2 ) + δ 2 [ y * +u 2 (d 2 ) − 1] (7)

En supposant que u1(d1) = u2(d2) = 0 (hypothèse simplificatrice qui n’affecte pas


l’essence de notre résultat final), les expressions (6) et (7) forment un système
d’équations qui fournit les résultats suivants

1− δ 2 δ 1 (1 − δ 2 )
x* = (8) y* = (9)
1 − δ 1δ 2 1 − δ 1δ 2

On trouve aisément que quand δ1 et δ2 sont inférieurs à 1 (les agents ont une
certaine préférence pour le présent)

∂x * 1− δ2
= > 0 (10)
∂δ 1 (1 − δ 1δ 2 )2

∂x * − (1 − δ1δ 2 ) − (1 − δ 2 )(−δ 1 ) − (1 − δ 1δ 2 ) + (δ 1 − δ 1δ 2 )
= = < 0 (11)
∂δ 2 (1 − δ1δ 2 )2 (1 − δ1δ 2 )2
∂y * (1 − δ 2 )(1 − δ 1δ 2 ) + (δ 2 )(δ 1 − δ 1δ 2 )
= > 0 (12)
∂δ 1 (1 − δ1δ 2 )2
∂y * (−δ 1 )(1 − δ 1δ 2 ) + (δ 1 )(δ 1 − δ 1δ 2 )
= < 0 (13)
∂δ 2 (1 − δ 1δ 2 )2
Rappelons que, d’après (2), l’augmentation de δ équivaut à une diminution du
taux d’escompte psychologique (ri), ce qui revient à dire que l’individu devient moins
impatient. Cela étant, les expressions (10) et (13) montrent que la part du joueur 1 croit
lorsqu’il devient moins impatient (sa préférence pour le présent diminue à travers
l’augmentation de δ1). Etant donné que l’issue du jeu pour le joueur 2 est la différence
entre l’unité et x* ou y*, les dérivées négatives des expressions (11) et (13) vérifient
qu’une diminution de l’impatience du joueur 2 améliore son résultat.

99
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- INSEE: www.insee.fr
- Observatoire des inégalités: www.inegalites.fr

104
TABLE DE MATIÈRES

SOMMAIRE 3

INTRODUCTION 4

PREMIERE PARTIE. L’Allocation Universelle : concept et spécificité

Chapitre 1. L’allocation universelle 10

1.1. Le concept d’allocation universelle 10


1.1.a. Un revenu… 11
1.1.b. …versé par une communauté politique… 13
1.1.c. …à tous ces membres, sur base individuelle, sans
contrôle des ressources ni exigence de contrepartie 14
1.2. La seule application pratique : L’Alaska Permanent Fund 16

1.3. Une proposition œcuménique ? 18

Chapitre 2. L’allocation universelle face à d’autres mécanismes de

revenu minimum et d’aide aux bas salaires 19

2.1. Les dispositifs de revenu minimum 19


2.2. L’impôt négatif sur le revenu 22
2.3. Le crédit d’impôt 25

DEUXIEME PARTIE. Le travail.

Chapitre 3. Concept de travail et droit au travail 29

3.1. Le concept de travail 30


3.1.a. Travail avec rémunération dans le marché 31
3.1.b. Le travail domestique 31
3.1.c. Le bénévolat 34
3.2. Vers un nouveau secteur d’activité ? 35
3.3. Allocation universelle et droit au travail 37

Chapitre 4. Travail et revenu 40

105
4.1. La réciprocité 40
4.1.a. Le problème des free-riders 40
4.1.b. Revenu de participation et réciprocité ? 41
4.1.c. Allocation universelle et réciprocité 42
4.1.c.1. Les exceptions au principe de réciprocité 43
4.1.c.1. L’allocation universelle implique-t-elle
une exploitation des travailleurs ? 44
4.2. Le capitalisme cognitif comme justification théorique
de la dissociation travail-revenu 46
4.2.a. Un nouveau stade du capitalisme ? 46
4.2.b. Capitalisme cognitif et allocation universelle 48

TROISIEME PARTIE. Allocation universelle et offre de travail rémunéré

Chapitre 5. Allocation universelle et incitations au travail rémunéré 51

5.1. L’allocation universelle comme désincitation au travail 51


5.2. Allocation universelle et trappes du chômage 54
5.2.a. Les mécanismes de la trappe du chômage 54
5.2.b. L’allocation universelle comme outil contre la
trappe du chômage 59
5.2.c. Systèmes fiscaux optimaux et trappes du chômage 60
5.3. Le loisir comme bien inférieur 63

Chapitre 6. Allocation universelle, flexibilité et salaires 66

6.1. Allocation universelle et flexibilité 67


6.1.a. Un nouveau contexte économique 67
6.1.b. Allocation universelle et développement
du travail à temps partiel 68
6.2. Allocation universelle et salaires 69
6.2.a. Evolution des salaires avec allocation universelle 69
6.2.b. Allocation universelle et salaire minimum 70
6.2.b.1. Suppression du salaire minimum 72

6.2.b.2. Réduction du salaire minimum


du montant de l’allocation universelle 72
6.2.b.3. Maintien du salaire minimum
au même niveau 73
6.3. Pouvoir de négociation des travailleurs 75

CONCLUSION 79

106
ANNEXES 84
ANNEXE 1: DISPOSITIFS DE REVENU MINIMUM,
TRANSFERTS UNIVERSELS ET EFFICIENCE DANS
LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ 85

ANNEXE 2 : SALAIRE D’EFFICIENCE (Relation de Solow) 89

ANNEXE 3 : IMPOSITION OPTIMALE ET TAUX MARGINAUX


D’IMPOSITION 91

ANNEXE 4 : MODÈLE DE NÉGOCIATION DE NASH ET


ALLOCATION UNIVERSELLE 94

BIBLIOGRAPHIE 100

107

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