Sie sind auf Seite 1von 40

FIN DE PARTIE

Pour Roger Blin


Intérieur sans meubles.
Lumière grisâtre.
Aux murs de droite et de gauche, vers le fond,
deux petites fenêtres haut perchées, rideaux fermés.
Porte à Vavant-scène à droite. Accroché au mur,
près de la porte, un tableau retourné.
A Vavant-scène à gauche, recouvertes d'un vieux
drap, deux poubelles Vune contre Vautre.
Au centre, recouvert d'un vieux drap, assis dans
unfauteuil à roulettes, Hamm.
Immobile à côté du fauteuil, Clov le regarde.
Il va se mettre sous la fenêtre à gauche. Démarche
raide et vacillante. Il regarde la fenêtre à gauche,
la tête rejetée en arrière. Il tourne la tête, regarde la
fenêtre à droite. Il va se mettre sous la fenêtre à
Fin de Partie a été créée en fran çais le Ier a v ril 1957 au Royal Court
Theatre, à Londres, avec la distribution suivante : droite. Il regarde la fenêtre à droite, la tête rejetée
en arrière. Il tourne la tête et regarde la fenêtre à
N a g g ..............................................................................Georges Adet.
N e l l ............................................................................. Christine Tsingos.
gauche. Il sort, revient aussitôt avec un escabeau,
H a m m ............................................................................. Roger Blin. Vinstalle sous la fenêtre à gauche, monte dessus, tire
C l o v ..............................................................................Jean Martin.
le rideau. Il descend de Vescabeau, fait six pas vers
La pièce a été reprise le même mois au Studio des Champs Élysées, la fenêtre à droite, retourne prendre Vescabeau, l ’ins­
à Paris, avec la même distribution, à cette seule exception près que le
rôle de N ell était alors tenu par Germaine de France. talle sous la fenêtre à droite, monte dessus, tire le

143
THEATRE I FIN DE PARTIE

rideau. Il descend de Vescabeau, fait trois pas vers mètres sur trois mètres sur trois mètres, attendre
la fenêtre à gauche, retourne prendre l ’escabeau, qu’il me siffle. (Un temps). Ce sont de jolies dimen­
l ’installe sous la fenêtre à gauche, monte dessus, sions, je m’appuierai à la table, je regarderai le mur,
regarde par la fenêtre. Rire bref. Il descend de l ’esca­ en attendant qu’il me siffle.
beau, fait un pas vers la fenêtre à droite, retoune
prendre l’escabeau, l ’installe sous la fenêtre à droite, Il reste un moment immobile. Puis il sort. Il revient
monte dessus, regarde par la fenêtre. Rire bref. Il aussitôt, va prendre l ’escabeau, sort en emportant
descend de l ’escabeau, va vers les poubelles, retourne l’escabeau. Un temps. Hamm bouge. Il bâille sous
prendre l ’escabeau, le prend, se ravise, le lâche, va aux le mouchoir. Il ôte le mouchoir de son visage. Lunettes
poubelles, enlève le drap qui les recouvre, le plie soigneu­ noires.
sement et le met sur le bras. Il soulève un couvercle, se H amm . — A — (bâillements) — à moi. (Un
penche et regarde dans la poubelle. Rire bref. Il rabat le temps.) De jouer. (Il tient à bout de bras le mouchoir,
couvercle. Même jeu avec l ’autre poubelle. Il va vers ouvert devant lui.) Vieux linge! (Il ôte ses lunettes,
Hamm, enlève le drap qui le recouvre, le plie soi­ s’essuie les yeux, le visage, essuie les lunettes, les
gneusement et le met sur le bras. En robe de chambre, remet, plie soigneusement le mouchoir et le met délica­
coiffé d’une calotte en feutre, un grand mouchoir tement dans la poche du haut de sa robe de chambre.
taché de sang étalé sur le visage, un sifflet pendu au Il s’éclaircit la gorge, joint les bouts des doigts.)
cou, un plaid sur les genoux, d’épaisses chaussettes Peut-il y a — (bâillements) — y avoir misère plus...
aux pieds, Hamm semble dormir. Clov le regarde. plus haute que la mienne? Sans doute. Autrefois.
Rire bref. Il va à la porte, s’arrête, se retourne, Mais aujourd’hui? (Un temps.) Mon père? (Un
contemple la scène, se tourne vers la salle. temps.) Ma mère? (Un temps.) Mon... chien?
(Un temps.) Oh je veux bien qu’ils souffrent
C lov (regard fixe, voix blanche). — Fini, c’est autant que de tels êtres peuvent souffrir. Mais
fini, ça va finir, ça va peut-être finir. (Un temps.) est-ce dire que nos souffrances se valent? Sans
Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un doute. (Un temps.) Non, tout est a — (bâille­
jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impos­ ments) — bsolu, (fier) plus on est grand et plus
sible tas. (Un temps.) On ne peut plus me punir. on est plein. (Un temps. Morne.) Et plus on est
(Un temps.) Je m’en vais dans ma cuisine, trois vide. (Il renifle.) Clov! (Un temps.) Non, je suis
144 145
10
THEATRE I FIN DE PARTIE

seul. (Un temps.) Quels rêves — avec un s! Ces H amm . — T u as regardé?


forêts! (Un temps.) Assez, il est temps que cela C lov . — Oui.
finisse, dans le refuge aussi. (Un temps.) Et cepen­ H amm . — Et alors?
dant j’hésite, j’hésite à... à finir. Oui, c’est bien ça, C lov . — Zéro.
il est temps que cela finisse et cependant j’hésite H amm . — Il faudrait qu’il pleuve.
encore à — (bâillements) — à finir. (Bâillements.) C lov . — Il ne pleuvra pas.
Oh là là, qu’est-ce que je tiens, je ferais mieux Un temps.
d’aller me coucher. (Il donne un coup de sifflet. H amm . — A part ça, ça va?
Entre Clov aussitôt. Il s'arrête à côté du fauteuil.) C lov. — Je ne me plains pas.
T u empestes l ’air! (Un temps.) Prépare-moi, je H amm . — T u te sens dans ton état normal?
vais me coucher. C lov (agacé). — Je te dis que je ne me plains
C lov. — Je viens de te lever. pas.
H amm . — Et après? H amm . — Moi je me sens un peu drôle. (Un
C lov . — Je ne peux pas te lever et te coucher temps.) Clov.
toutes les cinq minutes, j’ai à faire. C lov . — Oui.
H amm . — T u n’en as pas assez?
Un temps.
C lov . — Si! (Un temps.) D e quoi?
H amm . — T u n’as jamais vu mes yeux? H amm . — De ce... de cette... chose.
C lov. — N on. C lov. — Mais depuis toujours. (Un temps.)
H amm . — T u n’as jamais eu la curiosité, pen­ Toi non?
dant que je dormais, d’enlever mes lunettes et de H amm (morne). — Alors il n’y a pas de raison
regarder mes yeux? pour que ça change.
C lov. — En soulevant les paupières? (Un C lov . — Ça peut finir. (Un temps.) Toute la vie
temps.) Non. les mêmes questions, les mêmes réponses.
H amm . — Un jour je te les montrerai. (Un H amm . — Prépare-moi. (Clov ne bouge pas.)
temps.) Il paraît qu’ils sont tout blancs. (Un Va chercher le drap. ( Clov ne bouge pas.) Clov.
temps.) Quelle heure est-il? C lov . — Oui.
C lov. — La même que d’habitude. H amm . — Je ne te donnerai plus rien à manger.

146 147
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

C lov. — Alors nous mourrons. temps. Froidement.) Pardon. (Un temps. Plus fort.)
H amm . — Je te donnerai juste assez pour t’em­ J’ai dit, Pardon.
pêcher de mourir. T u auras tout le temps faim. C lov. — Je t’entends. (Un temps.) T u as saigné?
C lov. — Alors nous ne mourrons pas. ( Un H amm . — Moins. (Un temps.) Ce n ’est pas
temps.) Je vais chercher le drap. l’heure de mon calmant?
Il va vers la porte. C lov . — Non.
Un temps.
H amm . — Pas la peine. ( Clov s’arrête.) Je te
donnerai un biscuit par jour. (Un temps.) Un H amm . — Comment vont tes yeux?
biscuit et demi. (Un temps.) Pourquoi restes-tu C lov . — Mal.
avec moi? H amm . — Comment vont tes jambes?
C lov . — Pourquoi me gardes-tu? C lov . — Mal.
H amm . — Il n ’y a personne d’autre. H amm . — Mais tu peux bouger.
C lov. — Il n ’y a pas d’autre place. C lov . — Oui.
Un temps. H amm (avec violence). — Alors bouge! (Clov
va jusqu’au mur du fond, s’y appuie du front et des
H amm . — T u me quittes quand même.
mains.) Où es-tu?
C lov. — J ’essaie.
C lov . — Là.
H amm . — T u ne m’aimes pas.
H amm . — Reviens ! ( Clov retourne à sa place
C lov . — N on.
à côté du fauteuil. ) Où es-tu?
H amm . — Autrefois tu m’aimais.
C lov. — Là.
C lov . — Autrefois !
H amm . — Pourquoi ne me tues-tu pas?
H amm . — Je t’ai trop fait souffrir. (Un temps.)
C lov. — Je ne connais pas la combinaison du
N ’est-ce pas?
buffet.
C lov . — Ce n ’est pas ça.
Un temps.
H amm (outré). — Je ne t ’ai pas trop fait
souffrir? H amm . — Va me chercher deux roues de bicy­
C lov . — Si. clette.
H amm (soulagé). — Ah! Quand même! (Un C lov. — Il n’y a plus de roues de bicyclette.

148 149
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

H amm . — Qu’est-ce que tu as fait de ta bicy­ H amm . — Donne-lui sa bouillie.


clette? C lov . — Il n’y a plus de bouillie.
C lov. — Je n’ai jamais eu de bicyclette. H amm (à Nagg). — Il n’y a plus de bouillie.
H amm . — L a chose est impossible. T u n’auras jamais plus de bouillie.
C lov. — Quand il y avait encore des bicylettes N agg. — Je veux ma bouillie!
j’ai pleuré pour en avoir une. Je me suis traîné H amm . — Donne-lui un biscuit. (Clov sort.)
à tes pieds. T u m’as envoyé promener. Maintenant Maudit fornicateur! Comment vont tes moignons?
il n’y en a plus. N agg. — T ’occupe pas de mes moignons.
H amm . — Et tes courses alors? Quand tu allais Entre Clov, un biscuit à la main.
voir mes pauvres. Toujours à pied?
C lov . — Quelquefois à cheval. (Le couvercle C lov . — Je suis de retour, avec le biscuit.
d’une des poubelles se soulève et les mains de Nagg Il met le biscuit dans la main de Nagg qui le prend,
apparaissent, accrochées au rebord. Puis la tête
le palpe, le renifle.
émerge, coiffée d’un bonnet de nuit. Teint très blanc.
Nagg bâille, puis écoute.) Je te quitte, j’ai à faire. N agg (geignard). — Qu’est-ce que c’est?
H amm . — Dans ta cuisine? C lov. — C ’est le biscuit classique.
C lov . — Oui. N agg (de même). — C ’est dur! Je ne peux pas!
H amm . — Hors d’ici, c’est la mort. (Un temps.) H amm . — Boucle-le !
Bon, va-t’en. ( Clov sort. Un temps.) Ça avance. Clov enfonce Nagg dans la poubelle, rabat le cou­
N agg. — Ma bouillie!
vercle.
H amm . — Maudit progéniteur !
N agg. — Ma bouillie! C lov (retournant à sa place à côté du fauteuil). —
H amm . — Ah il n’y a plus de vieux ! Bouffer, Si vieillesse savait !
bouffer, ils ne pensent qu’à ça! (Il siffle. Entre H amm . — Assieds-toi dessus.
Clov. Il s’arrête à côté du fauteuil.) Tiens ! Je croyais C lov . — Je ne peux pas m’asseoir.
que tu allais me quitter. H amm . — C ’est juste. Et moi je ne peux pas
C lov. — Oh pas encore, pas encore. me tenir debout.
N agg. — Ma bouillie! C lov. — C ’est com m e ça.

150 151
THEATRE I FIN DE PARTIE

H amm . — Chacun sa spécialité. (Un temps.) C lov . — Non. (Un temps.) Je te quitte, j’ai à
Pas de coups de téléphone? (Un temps.) On ne rit faire.
pas? H amm . — Dans ta cuisine?
C lov (ayant réfléchi). — Je n ’y tiens pas. C lov . — Oui.
H amm (ayant réfléchi).— Moi non plus. (Un H amm . — A faire quoi, je me le demande.
temps.) Clov. C lov. — Je regarde le mur.
C lov . — Oui. H amm . — Le mur! Et qu’est-ce que tu y vois,
H amm . — La nature nous a oubliés. sur ton mur? Mané, mané? Des corps nus?
C lov. — Il n ’y a plus de nature. C lov. — Je vois ma lumière qui meurt.
H amm . — Plus de nature! T u vas fort. H amm . — T a lumière qui — ! Qu’est-ce qu’il
C lov . — Dans les environs. faut entendre ! Eh bien, elle mourra tout aussi bien
H amm . — Mais nous respirons, nous changeons ! ici, ta lumière. Regarde-moi un peu et tu m’en -
Nous perdons nos cheveux, nos dents! Notre fraî­ diras des nouvelles, de ta lumière.
cheur! Nos idéaux!
Un temps.
C lov . — Alors elle ne nous a pas oubliés.
H amm . — Mais tu dis qu’il n’y en a plus. C lov. — T u as tort de me parler comme ça.
C lov (tristement).— Personne au monde n’a
Un temps.
jamais pensé aussi tordu que nous.
H amm . — On fait ce qu’on peut. H amm (froidement). — Pardon. (Un temps. Plus
C lov. — On a tort. fort.) J’ai dit, Pardon.
Un temps. C lov. — Je t’entends.
Un temps. Le couvercle de la poubelle de Nagg se
H amm . — T u te crois un morceau, hein?
soulève. Les mains apparaissent, accrochées au rebord.
C lov. — Mille.
Puis la tête émerge. Dans une main le biscuit. Nagg
Un temps. écoute.
Hamm. — Ça ne va pas vite. (Un temps.) Ce H amm . — Tes graines ont levé?
n’est pas l ’heure de mon calmant? C lov. — Non.

152 153
THEATRE I FIN DE PARTIE

H amm . — T u as gratté un peu voir si elles ont H amm . — Ça avance.


germé? Il renverse la tête contre le dossier du fauteuil,
C lov . — Elles n ’ont pas germé. reste immobile. Nagg frappe sur le couvercle de l ’autre
H amm . — C ’est peut-être encore trop tôt. poubelle. Un temps. I l frappe plus fort. Le douvercle
C lov. — Si elles devaient germer elles auraient se soulève, les mains de Nell apparaissent, accrochées
germé. Elles ne germeront jamais. au rebord, puis la tête émerge. Bonnet de dentelle.
Un temps. Teint très blanc.
H amm . — C ’est moins gai que tantôt. (Un N e l l . — Qu’est-ce que c’est, mon gros? (Un
temps.) Mais c’est toujours comme ça en fin de temps.) C ’est pour la bagatelle?
journée, n’est-ce pas, Clov? N agg. — T u dormais?
C lov. — Toujours. N e l l . — Oh non!
H amm . — C ’est une fin de journée comme les N agg. — Embrasse.
autres, n’est-ce pas, Clov? N e l l . — On ne peut pas.
C lov. — On dirait. N agg. — Essayons.
Un temps.
Les têtes avancent péniblement l ’une vers l ’autre,
H amm (avec angoisse). — Mais qu’est-ce qui se n’arrivent pas à se toucher, s’écartent.
passe, qu’est-ce qui se passe?
C lov. — Quelque chose suit son cours. N e l l . — Pourquoi cette comédie, tous les jours?
Un temps.
Un temps.
N agg. — J’ai perdu ma dent.
H amm . — Bon, va-t’en. (Il renverse la tête contre N e l l . — Quand cela?
le dossier du fauteuil, reste immobile. Clov ne bouge N agg. — Je l’avais hier.
pas. Il pousse un grand soupir. Hamm se redresse.) N e ll (élégiaque). — Ah hier!
Je croyais que je t’avais dit de t’en aller.
Ils se tournent péniblement l ’un vers l ’autre.
C lov. — J’essaie. (Il va à la porte, s’arrête.)
Depuis ma naissance. N agg. — T u me vois?
Il sort. N e l l . — Mal. E t toi?

154 155
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

N agg. — Quoi? N agg. — Je gbit. (Un temps.) T u veux rentrer?


N e l l . — T u me vois? N e l l . — Oui.
N agg. — M al. N agg. — Alors rentre. (Nell ne bouge pas.)
N e l l . — T a n t m ieux, tant mieux. Pourquoi ne rentres-tu pas?
N agg. — N e dis pas ça. (Un temps.) N otre vue N e l l . — Je ne sais pas.
a baissé. Un temps.
N e l l . — Oui.
N agg. — On a changé ta sciure?
Un temps. Ils se détournent Vun de Vautre. N e l l . — Ce n ’est pas de la sciure. (Un temps.
Avec lassitude.) T u ne peux pas être un peu pré­
N agg. — T u m ’entends?
cis, N agg?
N e l l . — Oui. Et toi?
N agg. — Ton sable, alors. Quelle importance?
N agg. — Oui. (Un temps.) N otre ouïe n ’a pas
N e l l . — C ’est important.
baissé.
N e l l . — N otre quoi? Un temps.
N agg. — N otre ouïe. N agg. — Autrefois c’était de la sciure.
N e l l . — N on. (Un temps.) A s-tu autre chose à N e l l . — H é oui.
me dire? N agg. — Et maintenant c’est du sable. (Un
N agg. — T u te rappelles... temps.) De la plage. (Un temps. Plus fort.) Mainte­
N e l l . — N on. nant c’est du sable qu’il va chercher à la plage.
N agg. — L ’accident de tandem où nous lais­ N e l l . — H é oui.
sâmes nos guibolles. N agg. — Il te l ’a changé?
Ils rient. N e l l . — N on.
N e l l . — C ’était dans les Ardennes. N agg. — A moi non plus. (Un temps.) Il faut
Ils rient moins fort. gueuler. (Un temps. Montrant le biscuit.) T u veux
un bout?
N agg. — A la sortie de Sedan. (Ils rient encore N e l l . — N on. (Un temps.) D e quoi?
moins fort. Un temps.) T u as froid? N agg. — De biscuit. Je t’en ai gardé la moitié.
N e l l . — Oui, très froid. Et toi? (Il regarde le biscuit. Fier.) Les trois quarts. Pour
156 157
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

toi. Tiens. (Il lui tend le biscuit.) Non? (Un N agg. — N on.
temps.) Ça ne va pas? N e l l . — Réfléchis bien. (Un temps.) Alors je
H amm (avec lassitude).— Mais taisez-vous, vais te laisser.
taisez-vous, vous m’empêchez de dormir. (Un N agg. — T u ne veux pas ton biscuit? (Un
temps.) Parlez plus bas. (Un temps.) Si je dormais temps.) Je te le garde. (Un temps.) Je croyais que
je ferais peut-être l’amour. J’irais dans les bois. Je tu allais me laisser.
verrais... le ciel, la terre. Je courrais. On me pour­ N e l l . — Je vais te laisser.
suivrait. Je m’enfuirais. (Un temps.) Nature! (Un N agg. — T u peux me gratter d’abord?
temps.) Il y a une goutte d’eau dans ma tête. (Un N e l l . — N on. (Un temps.) Où?
temps.) Un cœur, un cœur dans ma tête. N agg. — Dans le dos.
N e l l . — Non. (Un temps.) Frotte-toi contre le
Un temps.
rebord.
N agg (bas). — T u as entendu? Un cœur dans N agg. — C ’est plus bas. Dans le creux.
sa tête! N e l l . — Quel creux?
Il glousse précautionneusement. N agg. — Le creux. (Un temps.) T u ne peux
N e l l . — Il ne faut pas'rire de ces choses, Nagg. pas? (Un temps.) Hier tu m’as gratté là.
Pourquoi en ris-tu toujours? N e l l (élégiaque). — Ah hier!
N agg. — Pas si fort! N agg. — T u ne peux pas? (Un temps.) T u ne
N e l l (sans baisser la voix.). — Rien n’est plus veux pas que je te gratte, toi? (Un temps.) T u
drôle que le malheur, je te l’accorde. Mais — pleures encore?
N agg (scandalisé). — Oh ! N e l l . — J’essayais.
N e l l . — Si, si, c’est la chose la plus comique Un temps.
au monde. Et nous en rions, nous en rions, de bon
cœur, les premiers temps. Mais c’est toujours la H amm (bas). — C ’est peut-être une petite
même chose. Oui, c’est comme la bonne histoire veine.
qu’on nous raconte trop souvent, nous la trouvons Un temps.
toujours bonne, mais nous n’en rions plus. (Un N agg. — Qu’est-ce qu’il a dit?
temps.) As-tu autre chose à me dire? N e l l . — C ’est peut-être une petite veine.

158 159
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

N agg. — Qu’est-ce que ça veut dire? (Un vitesse pour les fêtes du Nouvel An se rend chez
temps.) Ça ne veut rien dire. (Un temps.) Je vais son tailleur qui lui prend ses mesures. (Voix du
te raconter l’histoire du tailleur. tailleur.) « Et voilà qui est fait, revenez dans quatre
N ell. — Pourquoi? jours, il sera prêt. » Bon. Quatre jours plus tard.
N agg. — Pour te dérider. ( Voix du tailleur.) « Sorry, revenez dans huit jours,
N ell. — Elle n’est pas drôle. j’ai raté le fond. » Bon, ça va, le fond, c’est pas
N agg. — Elle t’a toujours fait rire. (Un temps.) commode. Huit jours plus tard. (Voix du tailleur.)
La première fois j’ai cru que tu allais mourir. « Désolé, revenez dans dix jours, j’ai salopé l ’entre-
N e l l . — C ’était sur le lac de Côme. (Un temps.) jambes. » Bon, d’accord, l’entre-jambes, c’est déli­
Une après-midi d’avril. (Un temps.) T u peux le cat. D ix jours plus tard. ( Voix du tailleur.) « Navré,
croire? revenez dans quinze jours, j’ai bousillé la bra­
N agg. — Quoi? guette. » Bon, à la rigueur, une belle braguette,
N e l l . — Que nous nous sommes promenés sur c’est calé. (Un temps. Voix normale.) Je la raconte
le lac de Côme. (Un temps.) Une après-midi mal. (Un temps. Morne.) Je raconte cette histoire
d’avril. de plus en plus mal. (Un temps. Voix de raconteur.)
N agg. — On s’était fiancés la veille. Enfin bref, de faufil en aiguille, voici Pâques
N e l l . — Fiancés ! Fleuries et il loupe les boutonnières. (Visage, puis
N agg. — T u as tellement ri que tu nous as fait voix du client.) « Goddam, sir, non, vraiment, c’est
chavirer. On aurait dû se noyer. indécent, à la fin! En six jours, vous entendez,
N e l l . — C ’était parce que je me sentais heu­ six jours, Dieu fit le monde. Oui monsieur, par­
reuse. faitement monsieur, le m o n d e ! Et vous, vous
N agg. — Mais non, mais non, c’était mon his­ n’êtes pas foutu de me faire un pantalon en trois
toire. La preuve, tu en ris encore. A chaque fois. mois! » (Voix du tailleur, scandalisée.) « Mais
N e l l . — C ’était profond, profond. Et on voyait milord! Mais milord! Regardez— (geste mépri­
le fond. Si blanc. Si net. sant, avec dégoût) — le monde... (un temps)... et
N agg. — Écoute-la encore. (Voix de raconteur.) regardez — (geste amoureux, avec orgueil) — mon
Un Anglais — (il prend un visage d’Anglais, reprend PANTALON ! »
le sien) — ayant besoin d’un pantalon rayé en

160 161
11
THEATRE I FIN DE PARTIE

Un temps. Il fixe Nell restée impassible, les yeux C lov . — Elle m’a dit de m’en aller, dans le
vagues, part d’un rire forcé et aigu, le coupe, avance désert.
la tête vers Nell, lance de nouveau son rire. H amm . — De quoi je me mêle? C ’est tout?
H amm . — Assez ! C lov . — Non.
Nagg sursaute, coupe son rire. H amm . — Et quoi encore?
C lov . — Je n’ai pas compris.
N e l l . — On voyait le fond.
H amm . — T u l’as bouclée?
H amm (excédé). — Vous n ’avez pas fini? Vous
C lov. — Oui.
n’allez donc jamais finir? ( Soudain furieux.) Ça H amm . — Ils sont bouclés tous les deux?
ne va donc jamais finir! (Nagg plonge dans la
C lov . — Oui.
poubelle, rabat le couvercle. Nell ne bouge pas.) Mais H amm . — On va condamner les couvercles. '
de quoi peuvent-ils parler, de quoi peut-on parler (Clov va vers la porte.) Ça ne presse pas. ( Clov
encore? (Frénétique.) Mon royaume pour un s’arrête.) Ma colère tombe, j’ai envie de faire pipi.
boueux! (Il siffle. Entre Clov.) Enlève-moi ces C lov . — Je vais chercher le cathéter.
ordures! Fous-les à la mer!
Il va vers la porte.
Clov va aux poubelles, s’arrête.
N e l l . — Si blanc. H amm . — Ça ne presse pas. ( Clov s’arrête.)
H amm . — Quoi? Qu’est-ce qu’elle raconte? Donne-moi mon calmant.
C lo v . — C ’est trop tôt. (Un temps.) C ’est trop
Clov se penche sur Nell, lui tâte le poignet. tôt après ton remontant, il n’agirait pas.
N e ll (bas, à Clov). — Déserte. Hamm. — L e matin on vous stimule et le soir
on vous stupéfie. A moins que ce ne soit l’inverse.
Clov lui lâche le poignet, la fait rentrer dans la
(Un temps.) Il est mort naturellement, ce vieux
poubelle, rabat le couvercle, se redresse.
médecin?
C lov (retournant à sa place à côté du fauteuil). C lov . — Il n’était pas vieux.
— Elle n’a plus de pouls. H amm . — Mais il est mort?
H amm . — Oh pour ça elle est formidable, cette C l o v .— Naturellement. (Un temps.) C ’est toi
poudre. Qu’est-ce qu’elle a baragouiné? qui m e demandes ça?

162 163
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

Un temps. creux! (Un temps. Il se redresse. Avec violence.)


Assez! On rentre.
H amm . — Fais-moi faire un petit tour. ( Clov se
C lov . — On n’a pas fait le tour.
met derrière le fauteuil et le fait avancer.) Pas trop
H amm . — Ramène-moi à ma place. ( Clov
vite! (Clov fait avancer le fauteuil.) Fais-moi faire
ramène le fauteuil à sa place, Varrête.) C ’est là ma
le tour du monde! (Clov fait avancer le fauteuil.)
place?
Rase les murs. Puis ramène-moi au centre. (Clov
C lov . — Oui, ta place est là.
fait avancer le fauteuil.) J’étais bien au centre,
H amm . — Je suis bien au centre?
n’est-ce pas?
C lov. — Je vais mesurer.
C lov. — Oui.
H amm . — A peu près ! A peu près !
H amm . — Il nous faudrait un vrai fauteuil rou­
C lov ( déplaçant insensiblement le fauteuil). — Là.
lant. Avec de grandes roues. Des roues de bicy­
H amm . — Je suis à peu près au centre?
clette. (Un temps.) T u rases?
C lov . — Il me semble.
C lov . — Oui.
H amm . — Il te semble! Mets-moi bien au centre!
H amm (cherchant en tâtonnant le mur). — Ce
C lov. — Je vais chercher la chaîne.
n ’est pas vrai! Pourquoi me m ens-tu?
H amm . — A vue de nez! A vue de nez! (Clov
C lov (serrant davantage le mur). — Là, là.
H amm . — Stop ! ( Clov arrête le fauteuil tout
déplace insensiblement le fauteuil.) Bien au centre!
C lov . — Là.
près du mur du fond. Hamm pose la main contre le
mur. Un temps.) — Vieux mur! (Un temps.) Au- Un temps.
delà c’est... l’autre enfer. (Un temps. Avec violence.) H amm . — Je me sens un peu trop sur la gauche.
Plus près! Plus près! Tout contre! (Clov déplace insensiblement le fauteuil. Un temps.)
C lov . — Enlève ta main. (Hamm retire sa main. Maintenant je me sens un peu trop sur la droite.
Clov colle le fauteuil contre le mur.) Là. (Même jeu.) Je me sens un peu trop en avant.
Hamm se penche vers le mur, y colle Voreille. (Même jeu.) Maintenant je me sens un peu trop
en arrière. (Même jeu.) Ne reste pas là (derrière
H amm . — T u entends? (Il frappe le mur avec
le fauteuil), tu me fais peur.
son doigt replié. Un temps.) T u entends? Des
briques creuses. (Il frappe encore.) Tout ça c’est Clov retourne à sa place à côté du fauteuil.

164 165
THEATRE I FIN DE PARTIE

C lov . — Si je pouvais le tuer je mourrais H amm (avec violence). — Mais tu as la lunette!


content. C lov (s’arrêtant, avec violence). — Mais non, je
Un temps. n’ai pas la lunette!
Il sort.
Ham m . — Quel temps fait-il?
H amm . — C ’est d’un triste.
C lov. — L e même que d’habitude.
H amm . — Regarde la terre. Entre. Clov, la lunette à la main. Il va vers l ’esca­
C lov . — Je l’ai regardée. beau.
H amm . — A la lunette?
C lov . — Ça redevient gai. (Il monte sur l ’esca­
C lov. — Pas besoin de lunette.
beau, braque la lunette sur le dehors. Elle lui échappe
H amm . — Regarde-la à la lunette.
des mains, tombe. Un temps.) J’ai fait exprès. (Il
C lov. — Je vais chercher la lunette.
descend de l ’escabeau, ramasse la lunette, l’examine,
Il sort. la braque sur la salle.) Je vois... une foule en délire.
H amm . — Pas besoin de lunette ! (Un temps.) Ça alors, pour une longue-vue c’est
Entre Clov, la lunette à la main. une longue-vue. (Il baisse la lunette, se tourne vers
Hamm.) Alors? On ne rit pas?
C lov. — Je suis de retour, avec la lunette. (Il
H amm (ayant réfléchi). — Moi non.
va vers la fenêtre à droite, la regarde.) Il me faut
C lov (ayant réfléchi). — Moi non plus. (Il
l ’escabeau.
monte sur l ’escabeau, braque la lunette sur le dehors.)
H amm . — Pourquoi? T u as rapetissé? (Clov
Voyons voir... (Il regarde, en promenant la lunette.)
sort, la lunette à la main.) Je n’aime pas ça, je
Zéro... (il regarde)... zéro... (il regarde)... et zéro.
n’aime pas ça.
(Il baisse la lunette, se tourne vers Hamm.) Alors?
Entre Clov avec Vescabeau, mais sans la lunette. Rassuré?
C lov. — J’apporte l’escabeau. (Il installe /’esca­ H amm . — Rien ne bouge. Tout est...
beau sous la fenêtre à droite, monte dessus, se rend C lov . — Zér —
compte qu'il n’a pas la lunette, descend de Vescabeau.) H amm (avec violence). — Je ne te parle pas!
Il me faut la lunette. (Voix normale.) Tout est... tout est... tout est
Il va vers la porte. quoi? (Avec violence.) Tout est quoi?

166 167
THEATRE I FIN DE PARTIE

C lov. — Ce que tout est? En un mot? C ’est H amm . — Et l’horizon? Rien à l ’horizon?
ça que tu veux savoir? Une seconde. (Il braque C lov (baissant la lunette, se tournant vers Hamm,
la lunette sur le dehors, regarde, baisse la lunette, se exaspéré). — Mais que veux-tu qu’il y ait à
tourne vers Hamm.) Mortibus. (Un temps.) Alors? l’horizon?
Content? Un temps.
H amm . — Regarde la mer.
H amm . — Les flots, comment sont les flots?
C lov. — C ’est pareil.
C lov . — Les flots? (Il braque la lunette.) Du
H amm. — Regarde l’Océan !
plomb.
Clov descend de Vescabeau, fait quelques pas vers H amm . — Et le soleil?
la fenêtre à gauche, retourne prendre l ’escabeau, C lov (regardant toujours). — Néant.
l ’installe sous la fenêtre à gauche, monte dessus, H amm . — Il devrait être en train de se coucher
braque la lunette sur le dehors, regarde longuement. pourtant. Cherche bien.
Il sursaute, baisse la lunette, l ’examine, la braque C lov (ayant cherché). — Je t’en fous.
de nouveau. H amm . — Il fait donc nuit déjà?
C lov (regardant toujours). — Non.
C lov. — Jamais vu une chose comme ça!
H amm . — Alors quoi?
H amm (inquiet). — Quoi? Une voile? Une
nageoire? Une fumée? C lov (de même) . — Il fait gris. (Baissant la
C lov (regardant toujours). — Le fanal est dans
lunette et se tournant vers Hamm, plus fort. ) Gris !
le canal. (Un temps. Encore plus fort.) G rris !
H amm (soulagé). — Pah! Il l ’était déjà. Il descend de l ’escabeau, s’approche de Hamm par
C lov (de même). — Il en restait un bout. derrière et lui parle à l ’oreille.
H amm . — La base.
C lov (de même). — Oui. H amm (sursautant). — Gris! T u as dit gris?
H amm . — Et maintenant? C lov. — Noir clair. Dans tout l ’univers.
C lov (de même). — Plus rien. H amm . — T u vas fort. (Un temps.) Ne reste
H amm . — Pas de mouettes ? pas là, tu me fais peur.
C lov (de même). — Mouettes! Clov retourne à sa place à côté du fauteuil.
168 169
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

C lov. — Pourquoi cette comédie, tous les jours? ment.) Dire que tout cela n’aura peut-être pas été
H amm . — La routine. On ne sait jamais. (Un pour rien!
temps.) Cette nuit j’ai vu dans ma poitrine. Il y C lov ( avec angoisse, segrattant ). — J’ai une puce !
avait un gros bobo. H amm . — Une puce! Il y a encore des puces?
C lov. — T u as vu ton cœur. C lov (se grattant). — A moins que ce ne soit
H amm . — Non, c’était vivant. (Un temps. Avec un morpion.
angoisse.) Clov! H amm (très inquiet).— Mais à partir de là
C lov. — Oui. l’humanité pourrait se reconstituer! Attrape-la,
H amm . — Qu’est-ce qui se passe? pour l ’amour du ciel !
C lov. — Quelque chose suit son cours. C lov . — Je vais chercher la poudre.
Il sort.
Un temps.
H amm . — Une puce ! C ’est épouvantable. Quelle
H amm . — Clov! journée!
C lov (agacé). — Qu’est-ce que c’est?
Entre Clov, un carton verseur à la main.
H amm . — On n’est pas en train de... de... signi­
fier quelque chose? C lov. — Je suis de retour, avec l’insecticide.
C lov. — Signifier? Nous, signifier! (Rire bref.) H amm . — Flanque-lui en plein la lampe!
Ah elle est bonne!
H amm . — Je me demande. (Un temps.) Une
Clov dégage sa chemise du pantalon, déboutonne le
intelligence, revenue sur terre, ne serait-elle pas haut de celui-ci, récarte de son ventre et verse la
tentée de se faire des idées, à force de nous obser­ poudre dans le trou. Il se penche, regarde, attend,
ver? (Prenant la voix de Vintelligence. ) Ah, bon, tressaille, reverse frénétiquement de la poudre, se
je vois ce que c’est, oui, je vois ce qu’ils font! penche, regarde, attend.
( Clov sursaute, lâche la lunette et commence à se C lov. — La vache !
gratter le bas-ventre des deux mains. Voix normale.) H amm . — T u l’as eue?
Et même sans aller jusque-là, nous-mêmes... (avec C lov. — On dirait. (Il lâche le carton et arrange
émotion)... nous-mêmes... par moments... (Véhé­ ses vêtements.) A moins qu’elle ne se tienne coïte.
170 171
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

H amm . — Coïte ! Coite, tu veux dire. A moins C lov (avec violence). — Non !
qu’elle ne se tienne coite.
C lov. — Ah! On dit coite? On ne dit pas coïte? Il va vers la porte.
H amm . — Mais voyons ! Si elle se tenait coïte H amm . — Attends! (Clov s’arrête.) Comment
nous serions baisés. vont tes yeux?
Un temps. C lov . — Mal.
C lov. — Et ce pipi? H amm . — Mais tu vois.
H amm . — Ça se fait. C lov . — Suffisamment.
C lov. — Ah ça c ’est bien, ça c ’est bien. H amm . — Comment vont tes jambes?
Un temps. C lov . — Mal.
H amm . — Mais tu marches.
H amm (avec élan). — Allons-nous-en tous les
C lov. — Je vais, je viens.
deux, vers le sud! Sur la mer! T u nous feras un
H amm . — Dans ma maison. (Un temps. Prophé­
radeau. Les courants nous emporteront, loin, vers
tique et avec volupté.) Un jour tu seras aveugle.
d’autres... mammifères !
Comme moi. T u seras assis quelque part, petit
C lov. — Parle pas de malheur.
plein perdu dans le vide, pour toujours, dans le
H amm . — Seul, je m’embarquerai seul! Prépare-
noir. Comme moi. (Un temps.) Un jour tu te
moi ce radeau immédiatement. Demain je serai
loin. diras, Je suis fatigué, je vais m’asseoir, et tu iras
t’asseoir. Puis tu te diras, J’ai faim, je vais me
C lov (se précipitant vers la porte). — Je m ’y
mets tout de suite. lever et me faire à manger. Mais tu ne te lèveras
pas. T u te diras, J’ai eu tort de m’asseoir, mais
H amm. — Attends! (Clov s’arrête.) T u crois
qu’il y aura des squales? puisque je me suis assis je vais rester assis encore
un peu, puis je me lèverai et je me ferai à man­
C lov. — Des squales? Je ne sais pas. S’il y en
a il y en aura. der. Mais tu ne te lèveras pas et tu ne te feras pas
manger. (Un temps.) T u regarderas le mur un
Il va vers la porte.
peu, puis tu te diras, Je vais fermer les yeux, peut-
H amm. — Attends! (Clov s’arrête.) Ce n’est être dormir un peu, après ça ira mieux, et tu les
pas encore l ’heure de mon calmant? Ic-rmeras. Et quand tu les rouvriras il n’y aura plus
172 173
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

de mur. (Un temps.) L ’infini du vide sera autour H amm . — T u n’as qu’à nous achever. (Un
de toi, tous les morts de tous les temps ressuscités temps.) Je te donne la combinaison du buffet si tu
ne le combleraient pas, tu y seras comme un petit jures de m’achever.
gravier au milieu de la steppe. (Un temps.) Oui, C lov . — Je ne pourrais pas t’achever.
un jour tu sauras ce que c’est, tu seras comme moi, H amm . — Alors tu ne m’achèveras pas.
sauf que toi tu n ’auras personne, parce que tu
n’auras eu pitié de personne et qu’il n’y aura plus Un temps.
personne de qui avoir pitié. C lov . — Je te quitte, j’ai à faire.
Un temps. H amm . — T u te souviens de ton arrivée ici?
C lov. — Non. Trop petit, tu m’as dit.
C lov . — Ce n’est pas dit. (Un temps.) Et puis H amm . — T u te souviens de ton père?
tu oublies une chose. C lo v (avec lassitude). — Même réplique. (Un
H amm . — Ah. temps.) T u m’as posé ces questions des millions
C lov . — Je ne peux pas m’asseoir. de fois.
H amm (impatient). — Eh bien, tu te coucheras, H amm . — J’aime les vieilles questions. (Avec
tu parles d’une affaire. Ou tu t’arrêteras, tout sim­ élan.) Ah les vieilles questions, les vieilles réponses,
plement, tu resteras debout, comme maintenant. il n’y a que ça! (Un temps.) C ’est moi qui t’ai
Un jour tu te diras, Je suis fatigué, je vais m’arrê­ servi de père.
ter. Qu’importe la posture! C lov . — Oui. (Il le regarde fixement.) C ’est toi
Un temps. qui m ’as servi de cela.
C lov. — Vous voulez donc tous que je vous H amm . — Ma maison qui t’a servi de home.
quitte? C lov. — Oui. (Long regard circulaire.) Ceci m ’a
H amm . — Bien sûr. servi de cela.
C lov. — Alors je vous quitterai. H amm (fièrement). — Sans moi (geste vers soi),
H amm . — T u ne peux pas nous quitter. pas de père. Sans Hamm (geste circulaire), pas de
C lov. — Alors je ne vous quitterai pas. home.
Un temps.
Un temps. C lov . — Je te quitte.

174 175
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

H amm . — As-tu jamais pensé à une chose? H amm . — Comment presque? Il est blanc ou il
C lov . — Jamais. ne l ’est pas?
H amm . — Qu’ici nous sommes dans un trou. C lov . — Il ne l’est pas.
(Un temps.) Mais derrière la montagne? Hein? Si Un temps.
c’était encore vert? Hein? (Un temps.) Flore! H amm . — T u as oublié le sexe.
Pomone! (U n temps. Avec extase.) Cérès! (Un C lov (vexé). — Mais il n’est pas fini. Le sexe
temps.) T u n’auras peut-être pas besoin d’aller se met en dernier.
loin. Un temps.
C lov. — Je ne peux pas aller loin. (Un temps.)
H amm . — T u n’as pas mis son ruban.
Je te quitte.
C lov (avec colère). — Mais il n’est pas fini, je
H amm . — Mon chien est prêt?
C lov. — Il lui manque une patte.
te dis ! On finit son chien d’abord, puis on lui met
H amm . — Il est soyeux? son ruban!
Un temps.
C lov . — C ’est le genre loulou.
H amm . — Va le chercher. H amm . — Est-ce qu’il tient debout?
C lov. — Il lui manque une patte. C lov . — Je ne sais pas.
H amm . — Va le chercher! (Clov sort.) Ça H amm . — Essaie. (Il rend le chien à Clov qui le
avance. pose sur le sol.) Alors?
C lov . — Attends.
Il sort son mouchoir, s’en essuie le visage sans le
déplier, le remet dans sa poche. Entre Clov, tenant Accroupi il essaie de faire tenir le chien debout, n’y
par une de ses trois pattes un chien noir en peluche. arrive pas, le lâche. Le chien tombe sur le flanc.
C lov. — Tes chiens sont là. H amm . — Alors quoi?
C lov . — Il tient.
Il donne le chien à Hamm qui l ’assied sur ses H amm (tâtonnant). — Où? Où est-il?
genoux, le palpe, le caresse.
Clov remet le chien debout et le maintient.
H amm. — Il est blanc, n’est-ce pas?
C lov. — Presque. C lov . — Là.

176 177
12
THEATRE I FIN DE PARTIE

Il prend la main de Hamm et la guide vers la tête C lov . — Enterrée! Qui veux-tu qui l ’enterre?
du chien. H amm . — Toi.
H amm (la main sur la tête du chien). — Il me C lov . — Moi ! Je n’ai pas assez à faire sans
regarde? enterrer les gens?
C lov . — Oui. H amm . — Mais moi tu m’enterreras.
H amm (fier). — Comme s’il me demandait C lov. — Mais non je ne t’enterrerai pas !
d’aller promener. Un temps.
C lov . — Si l’on veut.
H amm . — Elle était jolie, autrefois, comme un
H amm (de même). — Ou comme s’il me deman­
cœur. Et pas farouche pour un liard.
dait un os. (Il retire sa main.) Laisse-le comme ça,
C lov. — Nous aussi on était jolis — autrefois.
en train de m’implorer.
Il est rare qu’on ne soit pas joli — autrefois.
Clov se redresse. Le chien retombe sur le flanc.
Un temps.
C lov. — Je te quitte. H amm . — Va me chercher la gaffe.
H amm . — T u as eu tes visions?
Clov va à la porte, s’arrête.
C lov . — Moins.
H amm . — Il y a de la lumière chez la mère C lov. — Fais ceci, fais cela, et je le fais. Je ne
Pegg? refuse jamais. Pourquoi?
C lov . — De la lumière! Comment veux-tu qu’il H amm . — T u ne peux pas.
y ait de la lumière chez quelqu’un? C lov . — Bientôt je ne le ferai plus.
H amm. — Alors elle s’est éteinte. H amm . — T u ne pourras plus. ( Clov sort.) Ah
C lov. — Mais bien sûr qu’elle s’est éteinte! S’il les gens, les gens, il faut tout leur expliquer.
n’y en a plus c’est qu’elle s’est éteinte. Entre Clov, la gaffe à la main.
H amm . — Non, je veux dire la mère Pegg.
C lov. — Mais bien sûr qu’elle s’est éteinte ! C lov. — Voilà ta gaffe. Avale-la.
Qu’est-ce que tu as aujourd’hui? Il donne la gaffe à Hamm qui s’efforce, en prenant
H amm . — Je suis mon cours. (Un temps.) On appui dessus, à droite, à gauche, devant lui, de
l’a enterrée? déplacer le fauteuil.
178 179
THEATRE I FIN DE PARTIE

H amm . — Est-ce que j’avance? H amm . — Oh c’est loin, loin. T u n’étais pas
C lov. — N on. encore de ce monde.
C lov. — La belle époque !
Hamm jette la gaffe.
Un temps. Hamm soulève sa calotte.
H amm . — Va chercher la burette.
C lov. — Pour quoi faire? H amm . — Je l’aimais bien. (Un temps. Il remet
H amm . — Pour graisser les roulettes. sa calotte. Un temps.) Il faisait de la peinture.
C lov. — Je les ai graissées hier. C lov . — Il y a tant de choses terribles.
H amm . — Hier! Qu’est-ce que ça veut dire? H amm . — Non non, il n’y en a plus tellement.
Hier! (Un temps.) Clov.
C lov (avec violence). — Ça veut dire il y a un C lov . — Oui.
foutu bout de misère. J’emploie les mots que tu H amm . — T u ne penses pas que ça a assez duré?
m’as appris. S’ils ne veulent plus rien dire C lov . — Si! (Un temps.) Quoi?
apprends-m’en d’autres. Ou laisse-moi me taire. H amm . — Ce... cette... chose.
C lov . — Je l’ai toujours pensé. (Un temps.)
Un temps. Pas toi?
H amm . — J’ai connu un fou qui croyait que la H amm (morne). — Alors c’est une journée
fin du monde était arrivée. Il faisait de la peinture. comme les autres.
Je l’aimais bien. J’allais le voir, à l ’asile. Je le C lov . — Tant qu’elle dure. (Un temps.) Toute
prenais par la main et le tramais devant la fenêtre. la vie les mêmes inepties.
Un temps.
Mais regarde! Là! Tout ce blé qui lève! Et là!
Regarde! Les voiles des sardiniers! Toute cette H amm . — Moi je ne peux pas te quitter.
beauté! (Un temps.) Il m’arrachait sa main et C lov . — Je sais. Et tu ne peux pas me suivre.
retournait dans son coin. Épouvanté. Il n’avait vu Un temps.
que des cendres. (Un temps.) Lui seul avait été
épargné. (Un temps.) Oublié. (Un temps.) Il paraît H amm . — Si tu me quittes comment le saurai-
que le cas n’est... n’était pas si... si rare. je? .
C lov. — Un fou? Quand cela? C lov (avec animation). — Eh bien tu me siffles

180 181
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

et si je n’accours pas c’est que je t’aurai quitté. Il s’arrête.

Un temps. H amm . — Quel penseur! (Un temps.) Alors?


C lov . — Attends. (Il se concentre. Pas très
H amm . — T u ne viendras pas me dire adieu? convaincu.) Oui... (Un temps. Plus convaincu.)
C lov. — Oh je ne pense pas. Oui. (Il relève la tête.) Voilà. Je mets le réveil.
Un temps. Un temps.
H amm . — Mais tu pourrais être seulement mort H amm . — Je ne suis peut-être pas dans un de
dans ta cuisine. mes bons jours, mais —
C lov. — Ça reviendrait au même. C lov . — T u me siffles. Je ne viens pas. Le
H amm . — Oui, mais comment le saurais-je, si réveil sonne. Je suis loin. Il ne sonne pas. Je suis
tu étais seulement mort dans ta cuisine? mort.
C lov. — E h bien... je finirais bien par puer. Un temps.
H amm . — T u pues déjà. Toute la maison pue le
cadavre. H amm . — Est-ce qu’il marche? (Un temps.
C lov. — Tout l’univers. Impatient.) Le réveil, est-ce qu’il marche?
H amm (avec colère). — Je m’en fous de l ’univers ! C lov . — Pourquoi ne marcherait-il pas?
(Un temps.) Trouve quelque chose. H amm . — D ’avoir trop marché.
C lov . — Com m ent? C lov. — Mais il n’a presque pas marché.
H amm . — Un truc, trouve un truc. (Un temps. H amm (avec colère). — Alors d’avoir trop peu
Avec colère.) Une combine! marché !
C lov . — Ah bon. (Il commence à marcher de C lov. — Je vais voir. (Il sort. Jeu de mouchoir.
long en large, les yeux rivés au sol, les mains derrière Brève sonnerie du réveil en coulisse. Entre Clov, le
le dos. Il s’arrête.) J’ai mal aux jambes, c’est pas réveil à la main. Il l ’approche de l ’oreille de Hamm,
croyable. Je ne pourrai bientôt plus penser. déclenche la sonnerie. Ils l ’écoutent sonner jusqu’au
H amm . — T u ne pourras pas me quitter. ( Clov bout. Un temps.) Digne du jugement dernier! T u
repart.) Qu’est-ce que tu fais? as entendu?
C lov. — Je combine. (Il marche.) A h! H amm . — Vaguement.

182 183
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

C lov. — La fin est inouïe. mains de Nagg apparaissent, accrochées au rebord,


H amm . — Je préfère le milieu. (Un temps.) Ce rnis la tête émerge. Clov ouvre la porte, se retourne.)
n’est pas l’heure de mon calmant? T u crois à la vie future?
C lov. — N on. (Il va à la porte, se retourne.) I Iamm. — La mienne l ’a toujours été. ( Clov sort
Je te quitte. ni claquant la porte.) Pan! Dans les gencives.
H amm . — C ’est l’heure de mon histoire. T u N agg. — J’écoute.
veux écouter mon histoire? H amm . — Salopard! Pourquoi m’as-tu fait?
C lov . — Non. N agg. — Je ne pouvais pas savoir.
H amm . — Demande à mon père s’il veut écouter II amm . — Quoi? Qu’est-ce que tu ne pouvais
mon histoire. pas savoir?
Clov va aux poubelles, soulève le couvercle de celle N agg. — Que ce serait toi. (Un temps.) T u me
de Nagg, regarde dedans, se penche dessus. Un temps. donneras une dragée?
Il se redresse. 1 Iamm . — Après l’écoute.
Nagg. — Juré?
C lov. — Il dort. II amm. — Oui.
H amm . — Réveille-le. N agg. — Sur quoi?
Clov se penche, réveille Nagg en faisant sonner le II amm . — L ’honneur.
réveil. Mots confus. Clov se redresse. Un temps. Ils rient.
N agg. — Deux?
C lov. — Il ne veut pas écouter ton histoire. II amm. — Une.
H amm . — Je lui donnerai un bonbon. Nagg. — Une pour moi et une —
Clov se penche. Mots confus. Clov se redresse. H amm . — Une! Silence! (Un temps.) Où en
1 la i s - j e ? (Un temps. Morne.) C ’est cassé, nous
C lov . — Il veut une dragée. sommes cassés. (Un temps.) Ça va casser. (Un
H amm . — Il aura une dragée. temps.) Il n’y aura plus de voix. (Un temps.) Une
Clov se penche. Mots confus. Clov se redresse. l'.outte d’eau dans la tête, depuis les fontanelles.
( Hilarité étouffée de Nagg.) Elle s’écrase toujours
C lov. — Il marche. ( Clov va vers la porte. Les au ineme endroit. (Un temps.) C ’est peut-être une

184 185
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

petite veine. (Un temps.) Une petite artère. (Un la... chez les morts. (Ton normal.) Joli ça. (Ton
temps. Plus animé.) Allons, c’est l ’heure, où en de narrateur.) Allons, allons, présentez votre sup­
étais-je? (Un temps. Ton de narrateur.) L ’homme plique, mille soins m’appellent. (Ton normal.) Ça
s’approcha lentement, en se traînant sur le ventre. c’est du français! Enfin. (Ton de narrateur.) Ce fut
D ’une pâleur et d’une maigreur admirables il alors qu’il prit sa résolution. C ’est mon enfant,
paraissait sur le point d e — (Un temps. Ton nor­ dit-il. Aïeaïeaïe, un enfant, voilà qui est fââcheux.
mal.) Non, ça je l ’ai fait. (Un temps. Ton de narra­ Mon petit, dit-il, comme si le sexe avait de l’impor­
teur.) Un long silence se fit entendre. (Ton tance. D ’où sortait-il? Il me nomma le trou. Une
normal.) Joli ça. (Ton de narrateur.) Je bourrai bonne demi-journée, à cheval. N ’allez pas me
tranquillement ma pipe — en magnésite, l ’allumai raconter qu’il y a encore de la population là-bas.
avec une... mettons une suédoise, en tirai quelques Tout de même! Non, non, personne, sauf lui, et
bouffées. Aah! (Un temps.) Allons, je vous écoute. l’enfant — en supposant qu’il existât. Bon bon. Je
(Un temps.) Il faisait ce jour-là, je m’en souviens, m’enquis de la situation à Kov, de l’autre côté du
un froid extraordinairement vif, zéro au thermo­ détroit. Plus un chat. Bon bon. Et vous voulez me
mètre. Mais comme nous étions la veille de Noël faire croire que vous avez laissé votre enfant là-bas,
cela n’avait rien de... d’extraordinaire. Un temps tout seul, et vivant par-dessus le marché? Allons!
de saison, comme cela vous arrive. (Un temps.) (Un temps.) Il faisait ce jour-là, je m’en souviens,
Allons, quel sale vent vous amène? Il leva vers un vent cinglant, cent à l’anémomètre. Il arrachait
moi son visage tout noir de saleté et de larmes les pins morts et les emportait... au loin. (Ton
mêlées. (Un temps. Ton normal.) Ça va aller. (Ton normal.) Un peu faible ça. (Ton de narrateur.)
de narrateur.) Non, non, ne me regardez pas, ne Allons, allons, qu’est-ce que vous me voulez à la
me regardez pas! Il baissa les yeux, en marmottant, fin, je dois allumer mon sapin. (Un temps.) Enfin
des excuses sans doute. (Un temps.) Je suis assez bref je finis par comprendre qu’il me voulait du
occupé, vous savez, les préparatifs de fête. (Un pain pour son enfant. D u pain ! Un gueux, comme
temps. Avec force.) Mais quel est donc l’objet de d’habitude. Du pain? Mais je n’ai pas de pain, je
cette invasion? (Un temps.) Il faisait ce jour-là, ne le digère pas. Bon. Alors du blé? (Un temps.
je me rappelle, un soleil vraiment splendide, cin­ Ton normal.) Ça va aller. (Ton de narrateur.) Du
quante à l’héliomètre, mais il plongeait déjà, dans blé, j’en ai, il est vrai, dans mes greniers. Mais
186 187
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

réfléchissez, réfléchissez. Je vous donne du blé, un — s’il vivait encore. (Un temps.) C ’était l’instant
kilo, un kilo et demi, vous le rapportez à votre que j’attendais. (Un temps.) Si je consentirais à
enfant et vous lui en faites — s’il vit encore — une recueillir l’enfant. (Un temps.) Je le revois, à
bonne bouillie (Nagg réagit), une bonne bouillie genoux, les mains appuyées au sol, me fixant de
et demie, bien nourrissante. Bon. Il reprend ses ses yeux déments, malgré ce que je venais de lui
couleurs — peut-être. Et puis? (Un temps.) Je me signifier à ce propos. (Un temps. Ton normal.)
fââchai. Mais réfléchissez, réfléchissez, vous êtes Suffit pour aujourd’hui. (Un temps.) Je n’en ai
sur terre, c’est sans remède! (Un temps.) Il faisait plus pour longtemps avec cette histoire. (Un
ce jour-là, je me rappelle, un temps excessivement temps.) A moins d’introduire d’autres personnages.
sec, zéro à l’hygromètre. L e rêve, pour mes rhuma­ (Un temps.) Mais où les trouver? (Un temps.)
tismes. (Un temps. Avec emportement.) Mais enfin Où les chercher? (Un temps. Il siffle. Entre Clov.)
quel est votre espoir? Que la terre renaisse au Prions Dieu.
printemps? Que la mer et les rivières redeviennent N agg. — Ma dragée!
poissonneuses? Qu’il y ait encore de la manne au C lov. — Il y a un rat dans la cuisine.
ciel pour des imbéciles comme vous? (Un temps.) H amm . — Un rat! Il y a encore des rats?
Peu à peu je m’apaisai, enfin suffisamment pour C lov . — Dans la cuisine il y en a un.
lui demander combien de temps il avait mis pour H amm . — Et tu ne l’as pas exterminé?
venir. Trois jours pleins. Dans quel état il avait C lov. — A moitié. T u nous as dérangés.
laissé l’enfant. Plongé dans le sommeil. (Avec H amm . — Il ne peut pas se sauver?
force.) Mais dans quel sommeil, dans quel sommeil C lov. — Non.
déjà? (Un temps.) Enfin bref je lui proposai H amm . — T u l ’achèveras tout à l’heure. Prions
d’entrer à mon service. Il m’avait remué. Et puis Dieu.
je m’imaginais déjà n’en avoir plus pour longtemps. C lov . — Encore?
(Il rit. Un temps.) Alors? (Un temps.) Alors? N agg. — Ma dragée!
(Un temps.) Ici en faisant attention vous pourriez H amm . — Dieu d’abord! (Un temps.) Vous y
mourir de votre belle mort, les pieds au sec. (Un êtes?
temps.) Alors? (Un temps.) Il finit par me deman­ C lov ( résigné). — Allons-y.
der si je consentirais à recueillir l ’enfant aussi H amm (à Nagg). — Et toi?

188 189
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

N agg (joignant les mains, fermant les yeux, débit Ce n’était pas indispensable, tu n’avais pas vrai­
précipité). — Notre père qui êtes aux... ment besoin que je t’écoute. D ’ailleurs je ne t’ai
H amm . — Silence! En silence! Un peu de tenue! pas écouté. (Un temps.) J’espère que le jour viendra
Allons-y. (Attitudes de prière. Silence. Se découra­ où tu auras vraiment besoin que je t ’écoute, et
geant le premier.) Alors? besoin d’entendre ma voix, une voix. (Un temps.)
C lov (rouvrant les yeux). Je t’en fous! Et toi? Oui, j’espère que je vivrai jusque-là, pour t’en­
H amm . — Bernique! (A Nagg.) Et toi? tendre m’appeler comme lorsque tu étais tout petit,
N agg. — Attends. (Un temps. Rouvrant les et avais peur, dans la nuit, et que j’étais ton seul
yeux.) Macache! espoir. ( Un temps. Nagg frappe sur le couvercle de
H amm . — Le salaud! Il n’existe pas ! la poubelle de Nell. Un temps.) Nell! (Un temps.
C lov. — Pas encore. Il frappe plus fort.) Nell !
N agg. — Ma dragée! Un temps. Nagg rentre dans sa poubelle, rabat
H amm . — Il n ’y a plus de dragées. le couvercle. Un temps.
H amm . — Finie la rigolade. (Il cherche en tâton­
Un temps. nant le chien.) L e chien est parti.
N agg. — C ’est normal. Après tout je suis ton C lov. — Ce n ’est pas un vrai chien, il ne peut
père. Il est vrai que si ce n’avait pas été moi pas partir.
ç’aurait été un autre. Mais ce n’est pas une excuse. H amm (tâtonnant). — Il n’est pas là.
(Un temps.) Le rahat-loukoum, par exemple, qui C lov . — Il s’est couché.
n’existe plus, nous le savons bien, je l ’aime plus H amm . — Donne-le. ( Clov ramasse le chien et
que tout au monde. Et un jour je t’en demanderai, le donne à Hamm. Hamm le tient dans ses bras. Un
en contrepartie d’une complaisance, et tu m’en temps. Hamm jette le chien.) Sale bête! (Clov
promettras. Il faut vivre avec son temps. (Un commence à ramasser les objets par terre.) Qu’est-ce
temps.) Qui appelais-tu, quand tu étais tout petit que tu fais?
et avais peur, dans la nuit? T a mère? Non. Moi. C lov. — De l ’ordre. (Il se redresse. Avec élan.)
On te laissait crier. Puis on t’éloigna, pour pouvoir Je vais tout débarrasser!
dormir. (Un temps.) Je dormais, j’étais comme un Il se remet à ramasser.
roi, et tu m’as fait réveiller pour que je t ’écoute. H amm . — De l ’ordre !

190 191
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

C lov (se redressant). — J’aime l ’ordre. C ’est avancée. (Un temps.) Demande-moi où j’en suis.
mon rêve. Un monde où tout serait silencieux et C lov. — Oh, à propos, ton histoire?
immobile et chaque chose à sa place dernière, sous H amm (très surpris). — Quelle histoire?
la dernière poussière. C lov. — Celle que tu te racontes depuis tou­
Il se remet à ramasser. jours.
H amm . — Ah tu veux dire mon roman?
H amm (exaspéré). — Mais qu’est-ce que tu C lov. — Voilà.
fabriques?
C lov (se redressant, doucement). — J’essaie de
Un temps.
fabriquer un peu d’ordre. H amm (avec colère). — Mais pousse plus loin,
H amm. — Laisse tomber. bon sang, pousse plus loin!
Clov laisse tomber les objets qu’il vient de ramasser. C lov. — T u l ’as bien avancée, j’espère.
H amm (modeste). — Oh pas de beaucoup, pas
C lov. — Après tout, là ou ailleurs. de beaucoup. (Il soupire.) Il y a des jours comme
Il va vers la porte. ça, on n’est pas en verve. (Un temps.) Il faut
attendre que ça vienne. (Un temps.) Jamais forcer,
H amm (agacé). — Qu’est-ce qu’ils ont, tes jamais forcer, c’est fatal. (Un temps.) Je l ’ai
pieds? néanmoins avancée un peu. (Un temps.) Lorsqu’on
C lov. — Mes pieds? a du métier, n’est-ce pas? (Un temps. Avec
H amm . — On dirait un régiment de dragons. force.) Je dis que je l’ai néanmoins avancée un peu.
C lov. — J’ai dû mettre mes brodequins. C lov (admiratif). — Ça alors! T u as quand
H amm . — Tes babouches te faisaient mal? même pu l ’avancer !
Un temps. H amm (modeste). — Oh tu sais, pas de beau­
C lov . — Je te quitte. coup, pas de beaucoup, mais tout de même, mieux
H amm . — Non ! que rien.
C lov. — A quoi est-ce que je sers? C lov . — Mieux que rien! Ça alors tu m’épates.
H amm . — A me donner la réplique. (Un temps.) H amm . — Je vais te raconter. Il vient à plat
J’ai avancé mon histoire. (Un temps.) Je l ’ai bien ventre —

192 193
13
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

C lov. — Qui ça? H amm . — Probablement.


H amm . — Com m ent? Un temps.
C lov . — Qui, il?
H amm . — Mais voyons ! Encore un. C lov. — Mais pousse plus loin, bon sang,
C lov. — Ah celui-là! Je n ’étais pas sûr. pousse plus loin!
H amm . — A plat ventre pleurer du pain pour H amm . — C ’est tout, je me suis arrêté là.
son petit. On lui offre une place de jardinier. Un temps.
Avant d’a... ( Clov rit.) Qu’est-ce qu’il y a là de si C lov. — T u vois la suite?
drôle? H amm . — A peu près.
C lov. — Une place de jardinier! C lov . — Ce n ’est pas bientôt la fin?
H amm . — C ’est ça qui te fait rire? H amm . — J’en ai peur.
C lov. — Ça doit être ça. C lov. — Bah, tu en feras une autre.
H amm . — Ce ne serait pas plutôt le pain? H amm . — Je ne sais pas. (Un temps.) Je me
C lov . — Ou le petit. sens un peu vidé. (Un temps.) L ’effort créateur
Un temps. prolongé. (Un temps.) Si je pouvais me tramer
jusqu’à la mer! Je me ferais un oreiller de sable
H amm . — Tout cela est plaisant en effet. Veux- et la marée viendrait.
tu que nous pouffions un bon coup ensemble? C lov. — Il n ’y a plus de marée.
C lov (ayant réfléchi). — Je ne pourrais plus Un temps.
pouffer aujourd’hui. H amm . — Va voir si elle est morte.
H amm (ayant réfléchi). — M oi non plus. (Un
temps.) Alors je continue. Avant d ’accepter avec gra­ Clov va à la poubelle de Nell, soulève le couvercle,
titude il demande s’il peut avoir son petit avec lui.
se penche. Un temps.
C lov . — Quel âge? C lov . — On dirait que oui.
H amm . — Oh tout petit.
Il rabat le couvercle, se redresse. Hamm soulève
C lov . — Il aurait grimpé aux arbres.
H amm . — Tous les petits travaux.
sa calotte. Un temps. Il la remet.
C lov. — Et puis il aurait grandi. H amm (sans lâcher sa calotte).— Et Nagg?
194 195
THÉÂTRE I
FIN DE PARTIE
Clov soulève le couvercle de la poubelle de Nagg, se
C lov. — Il ne fait pas nuit.
penche. Un temps.
H amm (avec colère). — Je te demande s’il fait
C lov. — On dirait que non. jour!
Il rabat le couvercle, se redresse. C lov . — Oui.
Un temps.
H amm (lâchant sa calotte).— Qu’est-ce qu’il
fait? H amm . — Le rideau n’est pas fermé?
C lov . — Non.
Clov soulève le couvercle de la poubelle de Nagg,
Un temps.
se penche. Un temps. H amm . — Quelle fenêtre c’est?
C lov. — Il pleure. C lov. — La terre.
Clov rabat le couvercle, se redresse. H amm . — Je le savais! (Avec colère.) Mais il
n’y a pas de lumière par là! L ’autre! (Clovpousse
H amm . — Donc il vit. (Un temps.) As-tu
le fauteuil vers Vautre fenêtre.) La terre! (Clov
jamais eu un instant de bonheur?
arrête le fauteuil sous Vautre fenêtre. Hamm ren­
C lov . — Pas à ma connaissance.
verse la tête.) Ça c’est de la lumière! (Un temps.)
Un temps.
On dirait un rayon de soleil. (Un temps.) Non?
H amm . — Amène-moi sous la fenêtre. ( Clov va C lov. — Non.
vers le fauteuil.) Je veux sentir la lumière sur mon H amm . — Ce n’est pas un rayon de soleil que
visage. ( Clov fait avancer le fauteuil.) T u te rap­ je sens sur mon visage?
pelles, au début, quand tu me faisais faire ma pro­ C lov. — Non.
menade, comme tu t’y prenais mal? T u appuyais Un temps.
trop haut. A chaque pas tu manquais de me ver­
H amm . — Je suis très blanc? (Un temps. Avec
ser! ( Chevrotant.) Héhé, on s’est bien amusés tous
les deux, bien amusés! (Morne.) Puis on a pris violence.) Je te demande si je suis très blanc!
l’habitude. ( Clov arrête le fauteuil face à la fenêtre C lov. — Pas plus que d’habitude.
à droite.) Déjà? (Un temps. Il renverse la tête. Un Un temps.
temps.) Il fait jour? H amm . — Ouvre la fenêtre.
C lov. — Pour quoi faire?
196
197
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

H amm . — Je veux entendre la mer. là, tu me fais peur. ( Clov retourne à sa place à
C lov. — T u ne l’entendrais pas. côté du fauteuil. ) Père! (Un temps. Plus fort.) Père!
H amm . — Même si tu ouvrais la fenêtre? (Un temps.) Va voir s’il a entendu.
C lov . — N on.
Clov va à la poubelle de Nagg, soulève le cou­
H amm . — Alors ce n’est pas la peine de l ’ouvrir? vercle, se penche dessus. Mots confus. Clov se redresse.
C lov . — N on.
H amm (avec violence). — Alors ouvre-là! (Clov C lov. — Oui.
monte sur Vescabeau, ouvre la fenêtre. Un temps.) H amm . — Les deux fois?
T u l ’as ouverte? Clov se penche. Mots confus. Clov se redresse.
C lov . — Oui.
Un temps. C lov. — Une seule.
H amm . — La première ou la seconde?
H amm . — T u me jures que tu l ’as ouverte?
C lov . — Oui. Clov se penche. Mots confus. Clov se redresse.
Un temps. C lov. — D ne sait pas.
H amm . — Eh ben... (Un temps.) Elle doit être H amm . — Ça doit être la seconde.
très calme. (Un temps. Avec violence.) Je te C lov. — On ne peut pas savoir.
demande si elle est très calme! Clov rabat le couvercle.
C lov. — Oui.
H amm . — C ’est parce qu’il n ’y a plus de navi­ H amm . — Il pleure toujours?
gateurs. (Un temps.) T u n ’as plus beaucoup de C lov . — N on.
conversation tout à coup. (Un temps.) Ça ne va H amm . — Pauvres morts! (Un temps.) Qu’est-ce
pas? qu’il fait?
C lov . — J’ai froid. C lov. — Il suce son biscuit.
H amm . — On est quel mois? (Un temps.) H amm . — La vie continue. (Clov retourne à sa
Ferme la fenêtre, on rentre. ( Clov ferme la fenêtre, place à côté du fauteuil.) Donne-moi un plaid, je
descend de Vescabeau, ramène le fauteuil à sa place, gèle.
reste derrière le fauteuil, tête baissée.) Ne reste pas C lov . — Il n’y a plus de plaids.

198 199
THEATRE I FIN DE PARTIE

Un temps. gagne. (Il replie son mouchoir, le remet dans sa


poche, relève un peu la tête.) Tous ceux que j’au­
H amm . — Embrasse-moi. (Un temps.) T u ne
rais pu aider. (Un temps.) Aider! (Un temps.)
veux pas m’embrasser? Sauver. (Un temps.) Sauver! (Un temps.) Ils sor­
C lov. — N on.
taient de tous les coins. (Un temps. Avec violence.)
H amm . — Sur le front.
Mais réfléchissez, réfléchissez, vous êtes sur terre,
C lov. — Je ne veux t’embrasser nulle part.
c’est sans remède! (Un temps.) Allez-vous-en et
Un temps. aimez-vous! Léchez-vous les uns les autres! (Un
temps. Plus calme.) Quand ce n’était pas du pain
H amm (tendant la main). — Donne-moi la main
c’était du mille-feuille. (Un temps. Avec violence.)
au moins. (Un temps.) T u ne veux pas me don­
Foutez-moi le camp, retournez à vos partouzes!
ner la main?
(Un temps. Bas.) Tout ça, tout ça! (Un temps.)
C lov. — Je ne veux pas te toucher.
Même pas un vrai chien! (Plus calme.) La fin est
Un temps.
dans le commencement et cependant on continue.
H amm . — Donne-moi le chien. ( Clov cherche le (Un temps.) Je pourrais peut-être continuer mon
chien.) Non, pas la peine. histoire, la finir et en commencer une autre. (Un
C lov . — T u ne veux pas ton chien? temps.) Je pourrais peut-être me jeter par terre. (Il
H amm . — Non. se soulève péniblement, se laisse retomber.) Enfoncer
C lov. — Alors je te quitte. mes ongles dans les rainures et me traîner en avant,
H amm ( tête baissée, distraitement). — C ’est ça. à la force du poignet. (Un temps.) Ce sera la fin
et je me demanderai ce qui a bien pu l ’amener et
Clov va à la porte, se retourne.
je me demanderai ce qui a bien pu... (il hésite)...
C lov . — Si je ne tue pas ce rat il va mourir. pourquoi elle a tant tardé. (Un temps.) Je serai là,
H amm (de même). — C ’est ça. (Clov sort. Un dans le vieux refuge, seul contre le silence et... (il
temps.) A moi. (Il sort son mouchoir, le déplie, le hésite)... l’inertie. Si je peux me taire, et rester
tient à bout de bras ouvert devant lui.) Ça avance. tranquille, c’en sera fait, du son, et du mouvement.
(Un temps.) On pleure, on pleure, pour rien, pour (Un temps.) J’aurai appelé mon père et j’aurai
ne pas rire, et peu à peu... une vraie tristesse vous appelé mon... (il hésite)... mon fils. Et même deux
200 201
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

fois, trois fois, au cas où ils n’auraient pas entendu, C lov . — Il n’a pas besoin d’aller loin.
à la première, ou à la seconde. (Un temps.) Je me
dirai, Il reviendra. (Un temps.) Et puis? (Un Un temps.
temps.) Et puis? (Un temps.) Il n’a pas pu, il est H amm . — Ce n’est pas l ’heure de mon calmant?
allé trop loin. (Un temps.) Et puis? (Un temps. C lov. — Si.
Très agité.) Toutes sortes de fantaisies! Qu’on me H amm . — Ah! Enfin! Donne vite!
surveille! Un rat! Des pas! Des yeux! L e souffle C lov . — Il n’y a plus de calmant.
qu’on retient et puis... (il expire). Puis parler, vite, Un temps.
des mots, comme l ’enfant solitaire qui se met en
H amm (épouvanté). — Mon... ! (Un temps.)
plusieurs, deux, trois, pour être ensemble, et par­
Plus de calmant!
ler ensemble, dans la nuit. (Un temps.) Instants
C lov. — Plus de calmant. T u n’auras jamais
sur instants, plouff, ploufF, comme les grains de
plus de calmant.
mil de... (il cherche)... ce vieux Grec, et toute la
vie on attend que ça vous fasse une vie. (Un Un temps.
temps. Il veut reprendre, y renonce. Un temps.) Ah H amm . — Mais la petite boîte ronde. Elle était
y être, y être! (Il siffle. Entre Clov, le réveil à la pleine !
main. Il s’arrête à côté du fauteuil.) Tiens! Ni C lov . — Oui, mais maintenant elle est vide.
loin ni mort?
C lov. — En esprit seulement.
Un temps. Clov commence à tourner dans la pièce.
H amm . — Lequel?
Il cherche un endroit où poser le réveil.
C lov. — Les deux. H amm (bas). — Qu’est-ce que je vais faire. (Un
H amm . — Loin tu serais mort. temps. Hurlant.) Qu’est-ce que je vais faire? ( Clov
C lov. — Et inversement. avise le tableau, le décroche, l ’appuie par terre tou­
H amm (fièrement). — Loin de moi c’est la mort. jours retourné contre le mur, accroche le réveil à sa
(Un temps.) Et ce rat? place.) Qu’est-ce que tu fais?
C lov . — Il s’est sauvé. C lov . — Trois petits tours.
H amm . — Il n ’ira pas loin. (Un temps. Inquiet.) Un temps.
H ein? H amm . — Regarde la terre.

202 203
FIN DE PARTIE
THEATRE I

suis bête! Je me suis trompé de côté! (Il descend


C lov . — Encore?
de l ’escabeau,fait quelques pas vers lafenêtre à droite.)
H amm . — Puisqu’elle t’appelle.
Sous l’eau! (Il retourne prendre l’escabeau.) Que je
C lov. — T u as mal à la gorge? (Un temps.) T u
suis bête! (Il traîne l ’escabeau vers la fenêtre à
veux une pâte de guimauve? (Un temps.) Non?
droite.) Des fois je me demande si j’ai tous mes
(Un temps.) Dommage.
esprits. Puis ça passe, je redeviens intelligent. (Il
Il va en chantonnant vers la fenêtre à droite, s’ar­ installe l ’escabeau sous la fenêtre à droite, monte des­
rête devant, la regarde, la tête rejetée en arrière. sus, regarde par la fenêtre. Il se tourne vers Hamm.)
Y a-t-il des secteurs qui t’intéressent particulière­
H amm . — Ne chante pas !
ment. (Un temps.) Ou rien que le tout?
C lov (se tournant vers Hamm). — On n’a plus
H amm (faiblement). — Tout.
le droit de chanter?
C lov . — L ’effet général? (Un temps. Il se
H amm . — Non.
retourne vers la fenêtre.) Voyons ça.
C lov. — Alors comment veux-tu que ça finisse?
Il regarde.
H amm . — T u as envie que ça finisse?
H amm . — Clov!
C lov. — J’ai envie de chanter.
C lov (absorbé). — Mmm.
H amm . — Je ne pourrais pas t’en empêcher.
H amm . — T u sais une chose?
Un temps. Clov se retourne vers la fenêtre. C lov (de même). — Mmm.
H amm . — Je n’ai jamais été là. (Un temps.)
C lov . — Qu’est-ce que j’ai fait de cet escabeau?
Clov!
(Il le cherche des yeux.) T u n’as pas vu cet esca­
C lov (se tournant vers Hamm, exaspéré) . —
beau? (Il cherche, le voit.) Ah tout de même! (Il
va vers la fenêtre à gauche.) Des fois je me demande Qu’est-ce que c’est?
H amm . — Je n’ai jamais été là.
si j’ai toute ma tête. Puis ça passe, je redeviens
C lov . — T u as eu de la veine.
lucide. (Il monte sur l ’escabeau, regarde par la
fenêtre.) Putain! Elle est sous l’eau! (Il regarde.) Il se retourne vers la fenêtre.
Comment ça se fait? (Il avance la tête, la main en
H amm . — Absent, toujours. Tout s’est fait sans
visière.) Il n’a pourtant pas plu. (Il essuie la vitre,
moi. Je ne sais pas ce qui s’est passé. (Un temps.)
regarde. Un temps. Il se frappe le front.) Que je
205
204
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

T u sais ce qui s’est passé, toi? (Un temps.) Clov! en l ’air, les poings fermés. Il perd l ’équilibre, s’accroche
C lov (se tournant vers Hamm, exaspéré). — T u à l ’escabeau. Il descend quelques marches, s’arrête.
veux que je regarde cette ordure, oui ou non?
C lov . — Il y a une chose qui me dépasse. (Il
H amm . — Réponds d’abord.
descend jusqu’au sol, s’arrête.) Pourquoi je t ’obéis
C lov. — Quoi?
toujours. Peux-tu m’expliquer ça?
H amm . — T u sais ce qui s’est passé?
H amm . — Non... C ’est peut-être de la pitié.
C lov. — Où? Quand?
(Un temps.) Une sorte de grande pitié. (Un temps.)
H amm (avec violence). — Quand! Ce qui s’est
Oh tu auras du mal, tu auras du mal.
passé! T u ne comprends pas? Qu’est-ce qui s’est
passé? Un temps. Clov commence à tourner dans la pièce.
C lov. — Qu’est-ce que ça peut foutre? Il cherche la lunette.
Il se retourne vers la fenêtre. C lov . — Je suis las de nos histoires, très las.
H amm . — Moi je ne sais pas. (Il cherche.) T u n’es pas assis dessus?
Un temps. Clov se tourne vers Hamm.
Il déplace le fauteuil, regarde à l ’endroit qui était
C lov (durement). — Quand la mère Pegg te caché, se remet à chercher.
demandait de l ’huile pour sa lampe et que tu l ’en­
voyais paître, à ce moment-là tu savais ce qui se H amm (angoissé). — Ne me laisse pas là! ( Clov
passait, non? (Un temps.) T u sais de quoi elle est remet rageusement le fauteuil à sa place, se remet à
morte, la mère Pegg? D ’obscurité. chercher. Faiblement.) Je suis bien au centre?
H amm (faiblement). — Je n’en avais pas. C lov . — Il faudrait un microscope pour trouver
C lov (de même). — Si, tu en avais ! ce — (Il voit la lunette.) Ah tout de même!
Un temps. Il ramasse la lunette, va à l ’escabeau, monte dessus,
H amm . — T u as la lunette? braque la lunette sur le dehors.
C lov. — N on. C ’est assez gros com m e ça.
H amm . — Donne-moi le chien.
H amm . — Va la chercher.
C lov (regardant). — Tais-toi.
Un temps. Clov lève les yeux au ciel et les bras H amm (plus fort). — Donne-moi le chien!

206 207
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

Clov laisse tomber la lunette, se prend la tête entre C lov (baissant la lunette, se tournant vers Hamm).
les mains. Un temps. Il descend précipitamment de — Quoi? (Un temps.) C ’est pour moi que tu dis
Vescabeau, cherche le chien, le trouve, le ramasse, se ça?
précipite vers Hamm et lui en assène un grand coup H amm (avec colère). — Un aparté! Con! C ’est
sur le crâne. la première fois que tu entends un aparté? (Un
temps.) J’amorce mon dernier soliloque.
C lov . — Voilà ton chien! C lov . — Je te préviens. Je vais regarder cette
Le chien tombe par terre. Un temps. dégoûtation puisque tu l’ordonnes. Mais c’est
bien la dernière fois. (Il braque la lunette.) Voyons
H amm . — Il m’a frappé. voir... (Ilpromène la lunette.) Rien... rien... bien...
C lov . — T u me rends enragé, je suis enragé! très bien... rien... p a rf— (Il sursaute, baisse la
H amm . — Si tu dois me frapper, frappe-moi lunette, l ’examine, la braque de nouveau. Un temps.)
avec la masse. (Un temps.) Ou avec la gaffe, tiens, Aïeaïeaïe !
frappe-moi avec la gaffe. Pas avec le chien. Avec H amm . — Encore des complications ! ( Clov des­
la gaffe. Ou avec la masse. cend de Vescabeau.) Pourvu que ça ne rebondisse
pas!
Clov ramasse le chien et le donne à Hamm qui le
prend dans ses bras. Clov rapproche Vescabeau de la fenêtre, monte
dessus, braque la lunette. Un temps.
C lov (implorant). — Cessons de jouer!
H amm . — Jamais! (Un temps.) Mets-moi dans C lov . — Aïeaïeaïe !
mon cercueil. H amm . — C ’est une feuille? Une fleur? Une
C lov. — Il n’y a plus de cercueils. toma — (il bâille) — te?
H amm . — Alors que ça finisse ! ( Clov va vers C lov (regardant). — Je t’en foutrai des tomates !
Vescabeau. Avec violence.) Et que ça saute! (Clov Quelqu’un ! C ’est quelqu’un !
monte sur Vescabeau, s’arrête, descend, cherche la H amm . — Eh bien, va l’exterminer. ( Clov des­
lunette, la ramasse, remonte sur Vescabeau, lève la cend de Vescabeau.) Quelqu’un! (Vibrant.) Fais
lunette.) D ’obscurité! Et moi? Est-ce qu’on m’a ton devoir! (Clov se précipite vers la porte.)
jamais pardonné, à moi? Non, pas la peine. (Clov s’arrête.) Quelle distance?

208 209
14
THEATRE I FIN DE PARTIE

Clov retourne à Vescabeau, monte dessus, braque H amm . — Il est peut-être mort.
la lunette. C lov . — Je vais y aller. (Il descend de Vescabeau,
C lov . — Soixante... quatorze mètres. jette la lunette, va vers la porte, s’arrête.) Je prends
H amm . — Approchant? S’éloignant? la gaffe.
C lov (regardant toujours). — Immobile. Il cherche la gaffe, la ramasse, va vers la porte.
H amm . — Sexe?
H amm . — Pas la peine.
C lov. — Quelle importance? (Il ouvre la fenêtre,
se penche dehors. Un temps. Il se redresse, baisse Clov s’arrête.
la lunette, se tourne vers Hamm. Avec effroi.) On C lov . — Pas la peine? Un procréateur en puis­
dirait un môme. sance?
H amm . — Occupation? H amm . — S’il existe il viendra ici ou il mourra
C lov . — Quoi? là. Et s’il n’existe pas ce n’est pas la peine.
H amm (avec violence). — Qu’est-ce qu’il fait?
Un temps.
C lov (de même). — Je ne sais pas ce qu’il fait!
Ce que faisaient les mômes. (Il braque la lunette. C lov . — T u ne me crois pas? T u crois que
Un temps. Il baisse la lunette, se tourne vers Hamm.) j’invente?
Il a l’air assis par terre, adossé à quelque chose. Un temps.
H amm . — La pierre levée. (Un temps.) T a vue H amm . — C ’est fini, Clov, nous avons fini. Je
s’améliore. (Un temps.) Il regarde la maison sans n’ai plus besoin de toi.
doute, avec les yeux de Moïse mourant.
Un temps.
C lov . — N on.
C lov . — Ça tombe bien.
H amm . — Qu’est-ce qu’il regarde?
I l va vers la porte.
C lov (avec violence). — Je ne sais pas ce qu’il
regarde! (Il braque la lunette. Un temps. Il baisse H amm . — Laisse-moi la gaffe.
la lunette, se tourne vers Hamm.) Son nombril. Clov lui donne la gaffe, va vers la porte, s’arrête,
Enfin par là. (Un temps.) Pourquoi tout cet inter­ regarde le réveil, le décroche, cherche des yeux une
rogatoire? meilleure place, va à l ’escabeau, pose le réveil sur
210 211
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

l ’escabeau, retourne à sa place près du fauteuil. Un H amm (amèrement). ■


— Un crachat !
temps. Un temps.
C lov . — Je te quitte. C lov (regard fixe, voix blanche). — On m’a dit,
Un temps. Mais c’est ça, l’amour, mais si, mais si, crois-
H amm . — Avant de partir, dis quelque chose. moi, tu vois bien que —
C lov . — Il n ’y a rien à dire. H amm . — Articule !
H amm . — Quelques mots... que je puisse repas­ C lov (de même). — que c’est facile. On m’a dit,
ser... dans mon cœur. Mais c’est ça, l ’amitié, mais si, mais si, je t’assure,
C lov . — T o n cœ ur! tu n’as pas besoin de chercher plus loin. On m’a
H amm . — Oui. (Un temps. Avec force.) Oui! dit, C ’est là, arrête-toi, relève la tête et regarde
(Un temps.) Avec le reste, à la fin, les ombres, les cette splendeur. Cet ordre! On m’a dit, Allons,
murmures, tout le mal, pour terminer. (Un temps.) tu n’es pas une bête, pense à ces choses-là et tu
Clov... (Un temps.) Il ne m’a jamais parlé. Puis, à verras comme tout devient clair. Et simple! On
la fin, avant de partir, sans que je lui demande rien, m’a dit, Tous ces blessés à mort, avec quelle science
il m’a parlé. Il m’a dit... on les soigne.
C lov (accablé). — A h ...! H amm . — Assez!
H amm . — Quelque chose... de ton cœur. C lov (de même). — Je me dis — quelquefois,
C lov. — M on cœur! Clov, il faut que tu arrives à souffrir mieux que
H amm . — Quelques mots... de ton cœur. ça, si tu veux qu’on se lasse de te punir — un jour.
C lov (chante). Je me dis — quelquefois, Clov, il faut que tu sois
là mieux que ça, si tu veux qu’on te laisse partir —
Joli oiseau, quitte ta cage, un jour. Mais je me sens trop vieux, et trop loin,
Vole vers ma bien-aimée, pour pouvoir former de nouvelles habitudes. Bon,
Niche-toi dans son corsage, ça ne finira donc jamais, je ne partirai donc jamais.
Dis-lui combien je suis emmerdé. (Un temps.) Puis un jour, soudain, ça finit, ça
Un temps. change, je ne comprends pas, ça meurt, ou c’est
Assez? moi, je ne comprends pas, ça non plus. Je le

212 213
THÉÂTRE I FIN DE PARTIE

demande aux mots qui restent — sommeil, réveil, entre Clov. Panama, veston de tweed, imperméable
soir, matin. Ils ne savent rien dire. (Un temps.) sur le bras, parapluie, valise. Près de la porte, impas­
J’ouvre la porte du cabanon et m ’en vais. Je suis sible, les yeux fixés sur Hamm, Clov reste immobile
si voûté que je ne vois que mes pieds, si j’ouvre jusqu’à la fin. Hamm renonce.) Bon. (Un temps.)
les yeux, et entre mes jambes un peu de poussière Jeter. (Il jette la gaffe, veut jeter le chien, se ravise.)
noirâtre. Je me dis que la terre s’est éteinte, quoique Pas plus haut que le cul. (Un temps.) Et puis?
je ne l ’aie jamais vue allumée. (Un temps.) Ça va (Un temps.) Enlever. (Il enlève sa calotte.) Paix
tout seul. (Un temps.) Quand je tomberai je pleure­ à nos... fesses. (Un temps.) Et remettre. (Il remet
rai de bonheur. sa calotte.) Égalité. ( Un temps. Il enlève ses lunettes.)
Un temps. Il va vers la porte. Essuyer. (Il sort son mouchoir et, sans le déplier,
H amm . — Clov ! (Clov s’arrête sans se retour­
essuie ses lunettes.) Et remettre. (Il remet le mou­
ner. Un temps.) Rien. (Clov repart.) Clov! choir dans sa poche, remet ses lunettes.) On arrive.
Encore quelques conneries comme ça et j’appelle.
Clov s’arrête sans se retourner. (Un temps.) Un peu de poésie. (Un temps.) T u
C lov. — C ’est ce que nous appelons gagner la appelais — (Un temps. Il se corrige.) T u récla­
sortie. mais le soir; il vient — (Un temps. Il se corrige.)
H amm . — Je te remercie, Clov. Il descend : le voici. (Il reprend, très chantant.) T u
C lov (se retournant, vivement). — Ah pardon, réclamais le soir; il descend : le voici. (Un temps.)
c’est moi qui te remercie. Joli ça. (Un temps.) Et puis? (Un temps.) Ins­
H amm . — C ’est nous qui nous remercions. (Un tants nuls, toujours nuls, mais qui font le compte,
temps. Clov va à la porte.) Encore une chose. ( Clov que le compte y est, et l ’histoire close. (Un temps.
s’arrête.) Une dernière grââce. (Clov sort.) Cache- Ton de narrateur.) S’il pouvait avoir son petit avec
moi sous le drap. (Un temps long.) Non? Bon. lui... (Un temps.) C ’était l ’instant que j’attendais.
(Un temps.) A moi. (Un temps.) De jouer. (Un (Un temps.) Vous ne voulez pas l ’abandonner?
temps. Avec lassitude.) Vieille fin de partie perdue, Vous voulez qu’il grandisse pendant que vous,
finir de perdre. (Un temps. Plus animé.) Voyons. vous rapetissez? (Un temps.) Qu’il vous adoucisse
(Un temps.) Ah oui! (Il essaie de déplacer le fau­ les cent mille derniers quarts d’heure? (Un temps.)
teuil en prenant appui sur la gaffe. Pendant ce temps Lui ne se rend pas compte, il ne connaît que la

214 215
THÉÂTRE I

faim, le froid et la mort au bout. Mais vous ! Vous


devez savoir ce que c’est, la terre, à présent. (Un
temps.) Oh je l’ai mis devant ses responsabilités!
(Un temps. Ton normal.) Eh bien ça y est, j’y
suis, ça suffit. (Il lève le sifflet, hésite, le lâche. Un
temps.) Oui, vraiment! (Il siffle. Un temps. Plus
fort. Un temps.) Bon. (Un temps.) Père! (Un
temps. Plus fort.) Père! (Un temps.) Bon. (Un
temps.) On arrive. (Un temps.) Et pour terminer?
(Un temps.) Jeter. (Il jette le chien. Il arrache le
sifflet.) Tenez! (Il jette le sifflet devant lui. Un
temps. Il renifle. Bas.) Clov! (Un temps long.) Non?
Bon. (Il sort son mouchoir.) Puisque ça se joue
comme ça... (il déplie le mouchoir)... jouons ça
comme ça... (il déplie)... et n’en parlons plus... (il
finit de déplier)... ne parlons plus. (Il tient à bout
de bras le mouchoir ouvert devant lui.) Vieux linge!
(Un temps.) Toi — je te garde.
Un temps. Il ramène le mouchoir vers lui, s’en
couvre le visage, laisse retomber les bras sur les accou­
doirs et ne bouge plus.

RIDEAU

Das könnte Ihnen auch gefallen