INFORMATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
ET LEXICOGRAPHIQUES
BIBLIOGRAPHICAL AND LEXICOGRAPHICAL
INFORMATION
JEAN DELISLE : L'analyse du Discours comme Méthode
de Traduction, Initiation à la traduction française de
textes pragmatiques anglais. Théorie et pratique.
Ottawa 1980. Éditions de l'Université d'Ottawa.
282 p.
Je m'étonne que cet ouvrage, paru en 1980, n'ait
pas reçu plus d'attention en Europe.
Tous ceux, et ils sont nombreux, qui enseignent la
traduction professionnelle, au niveau de l'initiation
mais également au-delà, ont beaucoup à tirer de ce
livre à la fois modeste et ambitieux. Modeste parce
qu'il se présente comme le travail de réflexion d'un
traducteur qui enseigne à des apprentis-traducteurs et
est à la recherche d'« une organisation plus méthodique
de la formation ». « Nous sommes, dit-il, de ceux qui
croient que dans le cadre d'un programme deformation
universitaire digne de ce nom, l'enseignement (... ) ne
doit pas prendre invariablement la forme d'un exercice
de traduction collective ou d'une séance de correction
d'un texte traduit. (...) A cette forme d'enseignement
'sans plan de cours' dans laquelle les difficultés de
traduction sont abordées au hasard des textes étudiés, il
importe de substituer une stratégie pédagogique plus
méthodique correspondant mieux aux exigences d'un
cours universitaire» (p. 14).
Mais aussi ouvrage ambitieux car, loin de rester au
simple plan de la pratique didactique, la méthode
d'enseignement qu'il présente est fondée sur des bases
théoriques s'écartant résolument des conceptions
linguistiques qui avaient jusqu'alors droit de cité dans
la plupart des écoles d'interprètes et de traducteurs, et
qui tendaient à confondre enseignement des langues et
pédagogie de la traduction.
Universitaire mais aussi véritable traducteur pro-
fessionnel, J. DELISLE sait que, dans son premier stade,
« la traduction est un exercice interprétatif, une analyse
intelligente du discours» (p. 65), c'est à dire une
explication de texte. « L'analyse du discours à laquelle
procède le traducteur ne se ramène pas à une simple
analyse lexicale ou phrastique (. . . ) : la saisie du sens
consiste à définir plus précisément le contour conceptuel
d'un énoncé en l'enrichissant du contexte réfèrent icl
dans lequel il baigne» (p. 70). A ce premier stade du
travail du traducteur, succède celui de la reformula-
tion qui «consiste à reverbaliser les concepts en les
revétant de signifiants pris à une autre langue. (Cette
réexpression ) n est pas un banal étiquetage de concepts.
Babel 31:3 (1985), 173-174. DOI 10.1075/babel.31.3.171ea
ISSN 0521-9744 / E-ISSN 1569-9668 © Fédération Internationale des Traducteurs (FIT) Revue Babel
Elle est fondamentalement un acte d'intelligence ». A
fort juste titre, J. DELISLE s'étend sur la reverbalisa-
tion, «démarche de l'esprit sans doute encore la plus
mal connue, la plus mystérieuse et la plus complexe à
analyser» (p. 77). Mais «une fois le sens saisi, sa
restitution (qui) se fait en fonction des idées et non en
fonction des mots» de la langue originale (p. 82) se
fonde sur « les disponibilités de la langue d'arrivée » (p.
110). Le troisième stade est celui de l'analyse justifica-
tive, ou vérification par le traducteur de la pertinence
de sa traduction : « En procédant à cette justification, le
traducteur cherche à vérifier dans quelle mesure la
formulation retenue est conforme au sens du passage
original ou, plus exactement, à son interprétation
personnelle du vouloir-dire de l'auteur du texte»
(p. 83).
Ne perdant jamais de vue son objectif principal,
l'application pédagogique, J. DELISLE consacre une
grande partie de son étude au «maniement du
langage» dans lequel il voit le modèle de la traduction
: «le maniement du langage exige une double
compétence : 'une compétence de compréhension ' pour
évaluer le vouloir-dire de l'auteur du texte original
(l'exégèse) et une 'compétence de réexpression' pour
recomposer ce texte dans une autre langue (les
techniques de rédaction) » (p. 98). Il y distingue 4
paliers qu'il développe longuement :
« / — les conventions de l'écriture
2 l'exégèse lexicale
a, le report des vocables monosémiques
b, la réactivation des formes consignées dans les
systèmes linguistiques
c, la recréation contextuelle
3 l'interprétation de la charge stylistique
4 — l'organicité textuelle» ou cohérence logique
du texte traduit (p. 98).
La deuxième partie de l'ouvrage est tout entière
consacrée à des exercices d'application, fort
ingénieux, qui visent à faire toucher du doigt aux
étudiants la différence entre traduction de mots ou de
phrases et traduction de textes, qui les entraînent à
l'explication de texte et à l'application des 4 paliers
mentionnés ci-dessus. J. DELISLE estime, et on ne peut
que lui donner raison là-dessus, que le traducteur doit
être à même d'utiliser toutes les ressources de sa
langue maternelle; il insiste donc sur l'importance,
pour la formation des traducteurs, d'un apprentissage
de la rédaction en langue maternelle.
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 L'auteur doit être félicité de la rigueur de sa
démarche. Il définit son sujet : l'initiation à la
traduction française (langue maternelle) de textes
anglais (langue étrangère); il délimite également le
genre de textes : il ne traitera que de textes qu'il appelle
«pragmatiques» et que l'on pourrait aussi appeler
textes «grand public», généralement tirés de jour-
naux ou de magazines de grande diffusion. On
souhaiterait trouver ce souci de définition chez
d'autres auteurs qui écrivent à propos de traduction
sans prendre la peine de préciser s'il s'agit de
traduction de langues ou de traduction de textes, de
traduction-machine ou de traduction humaine, de
traduction en langue maternelle ou en langue
étrangère, indications qui faciliteraient pourtant la
compréhension du lecteur!
Seul le titre de l'ouvrage, et c'est dommage, peut
prêter à confusion. Alors que J. DELISLE renvoie à
l'explication de texte, le terme « Analyse du Discours »
a pris récemment un sens technique qui n'est pas celui
que laisse supposer l'énoncé français. Calqué sur
l'anglais « Discourse analysis », il vise essentiellement
l'identification des référents des déictiques (pronoms,
articles, etc) pour la traduction automatique...
Tel qu'il est, ce livre est novateur et on ne peut
qu'en recommander vivement non seulement la
lecture à tous les traducteurs, mais encore
l'utilisation pédagogique à tous ceux qui ensei-
gnent la traduction professionnelle.
MARIANNE LEDERER

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