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Abstract
Literary criticism and psychoanalysis have been rather blind to the eye. And yet, if the unconscious is structured by a "sexual
sight" , the scopic impulse is fundamental to art's attempt to recreate presence beyond representation and knowledge.
Milner Max. L'écrivain et le désir de voir. In: Littérature, n°90, 1993. Littérature et psychanalyse : nouvelles perspectives. pp. 8-
20;
doi : 10.3406/litt.1993.2636
http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1993_num_90_2_2636
L'ÉCRIVAIN
ET LE DÉSIR DE VOIR
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1. Gallimard, 1961.
littérature et psychanalyse
9
J'écrivain et le désir de voir
5. L'expression se trouve dans la notice nécrologique sur Charcot publiée par Freud en
1895- Reproduite dans Cahiers Confrontation, n°8, printemps 1983, pp. 18-19.
6. Cf. Georges Didi-Huberman, Invention de l'hystérie. Charcot et l'Iconographie photographique
de la Salpêtrière, Kd. Macula, 1982.
7. jean-Michel Rey, Pe.\ mois à i'tritrre, Aubier-Moniaigne, !9~*9.
8. 11 s'agit du texte intitulé « Perdre de vue », qui constitue le dernier chapitre de
l'ouvrage portant ce titre général (Perdre de vue, Gallimard, 1988, pp. 2~"S-298).
10
Littérature et psychanalyse
HYPOTHÈSES Tout part, bien entendu, des textes rares, mais essentiels, où
FREUDIENNES Freud parle de ce que nous traduisons bien imparfaitement par la
« pulsion scopique » 13. C'est, d'abord, le texte de la Métapsychologie
9. Devant l'image. Question posée aux fins de l'histoire de l'art, éd. de Minuit, 1990, p. 247.
10. Op. cit., p. 280.
11. Daniel Bougnoux, «L'efficacité iconique », Destins de l'image, Nouvelle Revue de
Psychanalyse, n° 44, automne 1991, p. 269-
12. Parmi lesquels il faut citer au moins ceux de Sami Ali, de Guy Rosolato, tie Piera
Aulagnier.
13. Sur ce problème de traduction, voir Bruno Bettelheim, « Freud trahi par ses
traducteurs », Psychanalyse à /''Université, n° 34, mars 1984, p. 212. Bettelheim s'y élève contre le
« terme monstrueux » de scopophilia inventé par les traducteurs anglais de Freud. « Pulsion
scopique » n'est guère moins monstrueux. La traduction la plus exacte, selon cet auteur, serait
« the sexual pleasure in looking », c'est-à-dire « le plaisir sexuel qu'on trouve à regarder »
11
L'écrivain et le désir de voir
12
Uttérature et psychanalyse
VOIR DANS C'est à partir de cette interrogation que Gérard Bonnet, après
L'INCONSCIENT avoir consacré sa thèse au voyeurisme et à l'exhibitionnisme 19, a
élaboré une théorie originale dont il me semble que l'étude de la
littérature peut tirer profit. 11 l'a développée dans un article de
Psychanalyse à l'Université intitulé « Regarder, contempler, s'abîmer.
Trois conceptions du voir en psychanalyse. » 20 Fidèle à la position
freudienne, Gérard Bonnet considère que le voir inconscient a pour
objet le sexe, ou plus exactement le sexuel, c'est-à-dire « toutes les
représentations inconscientes marquées par la vision de la différence
sexuelle » 2i, la matrice de ces représentations étant le regard de
l'enfant sur le parent du sexe opposé (regard marqué par l'écart
entre ce que voit l'adulte et ce que l'enfant ne voit pas qu'il voit).
Dans une première partie, sur laquelle je ne m'attarderai pas, car elle
concerne exclusivement le regard dans la cure, Gérard Bonnet
étudie comment le couple formé par l'analyste et l'analysant utilise
cet écart pour construire, dans un mouvement dialectique où
intervient également l'œil de la théorie ou de la culture, un regard
moins aveuglé, moins aliéné par la béance qu'il vise sans le savoir.
La deuxième partie, intitulée « Voir à partir de l'inconscient, c'est
créer », envisage directement l'activité artistique, et considère
comment l'artiste peut, à partir de ce voir inconscient orienté sans le
savoir sur le sexuel, et par là-même équivoque, répétitif, partiel,
engendrer des œuvres qui nous séduisent par leur nouveauté et par
la richesse inépuisable de leur contenu. Ce qu'il importe à mon sens
de souligner, pour éviter tout malentendu, c'est que le statut du
visuel n'est pas du tout le même dans le « voir inconscient » et dans
ce que l'œuvre artistique, qu'elle soit picturale, plastique ou
littéraire « donne à voir ». Le « voir inconscient » ne fonctionne
13
L'écrivain et le désir de voir
AYANCKKS Une autre voie, différente à bien des égards, que nous propose
l.ACANIKNNKS la psychanalyse pour comprendre ce qu'il en est du désir de voir, a
été ouverte par Jacques Lacan. Différente, et, du moins à mon sens,
moins directement rentable, car elle exige le détour par une théorie
du psychisme où l'aspect « indiciel », au sens de Daniel Bougnoux,
de ce qui relève de la vue est rejeté du côté de l'imaginaire, au sens
lacanien du terme, ce qui n'implique pas forcément, d'ailleurs,
que l'importance en soit déniée. Deux points de la théorie laca-
nienne iettent une lumière particulièrement intéressante sur les
phénomènes relatifs à la vue tels qu'on les rencontre dans les œuvres
littéraires.
Le premier est le stade du miroir. Si l'étape originelle de la
constitution du je de l'enfant est la vision tie son corps, retotalisé
dans l'image mobile que lui en offre le miroir -', et saisi dans le
même mouvement comme objet possible du regard de l'Autre, il est
naturel de se demander si certaines aberrations visuelles,
représentées notamment dans la littérature fantastique, ne constituent pas
11. On aura une idée de cette différence en lisant Les ) eux de I uiiire, de |uan David Nasio
(Aubier, 1987).
2.1 (iallimaid, 199!.
24. Ktape qui faut-il le préciser ? n'est pas exactement une étape dans le sens de la
psychologie génétique, de même c|ue la rencontre avec un miroir matériel n'est pas
iriuispeiis.i'jlL pour que l'évolution décrite se produise, surtout si l'on admet, avec \\ innicwit,
que le premier miroir offert à l'entant est le visage de sa mère (et. 1).\\ Winnicott, « Le rôle
de miroir de la mère », in jeu el réalité, Gallimard, 1975).
.
14
Littérature et psychanalyse
25. Cf. les Aventures de la nuit de la Saint-Sylvestre d'Hoffmann, le film L 'Étudiant de Prague,
Onuphrius de Gautier, et l'ensemble des textes que j'ai étudiés au chapitre III de ha
Fantasmagorie.
26. Cf. Eric Blumel, « L'hallucination du double », Ornicar ? Analytica, 22, 1980,
pp. 48-49.
27. « Le double fantôme. À propos du Coin plaisant d'Henry James », in Corps Création.
Entre lettres et psychanalyse, publié sous la direction de Jean Guillaumin, Presses Universitaires
de Lyon, 1980, pp. 139-154.
28. Ibid., p. Ii2.
29. Solution qui, comme le montre Jean Perrot (Henry James. Une écriture énigmatique,
Aubier, 1982, pp. 304-305), ne résout pas le problème fondamental de James, qui est de
concilier l'exhibition obscène de son « soi caché », pour employer l'expression de Masud Khan,
avec les exigences, en un sens protectrices, d'un surmoi victorien. Seule l'écriture de la
nouvelle, avec les effets d'« anamorphose » qu'elle autorise, réalise cette conciliation.
15
U écrivain et le désir de voir
30. Cf. d'autres exemples de cette fonction leurrante de l'oeil dans le dernier chapitre de
] m fantasmagorie, intitulé « Amours optiques ». Ajoutons que le regard trop transparent de la
bourgeoise Clara ne réussit pas plus à préserver Nathanaëi de cette phobie du manque, qui
l'empêche de se constituer comme sujet.
31 Cf. On est prié de fermer les yeux, pp. 1 35-164.
32. l.t Sémmuire, livre XI, Seuil, 1973, p. 69.
.
16
Littérature et psychanalyse
35. Un rêve fait à Mantoue, Mercure de France, 1967, p. 19. Cité par Michel Collot,
1 .'Horizon fabuleux, Corti, 1988, t. II, p. 159.
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l, 'écrivain et le désir de voir
36. Cf. surtout « Le fétichisme dont se dérobe l'objet », Objets du fétichisme, Nouvelle Kerue
de Psychanalyse, n° 2, 1970, pp. 31-39 ; « L'objet de perspective dans ses assises visuelles », Le
Champ visuel, Nouvelle Kerue de Psychanalyse, n° 3^, 19H7, pp. 143-164, et « Fitude des perversions
sexuelles à partir du fétichisme », in Le Désir et la perversion, Seuil, 1967, pp. 9— *0.
37. Cf. On 0/ prié de je) mer les ytux, pp. î OS- ï 33-
38. «Faire dériver la sublimation», Psychanalyse à /'Université, n°8, septembre 1977,
p. 609.
18
littérature et psychanalyse
39- Cf. notamment L'Horizon fabuleux et La Poésie moderne et la structure d'horizon, P.U.F.,
40. L'Horizon fabuleux, t. I, p. 120.
19
/ - 'écrivain et le désir de voir
tion, des clefs sont à notre disposition, dans le trousseau déjà bien
fourni que nous otfre la psychanalyse. Mais n'est-il pas possible de
remonter plus haut ? Comment expliquer l'attrait du visible, non
pas en fonction de ce qu'il représente, mais du seul fait de son
apparaître ? Comment rendre compte de cet enivrement de la forme
et de la couleur dont Baudelaire crédite le jeune enfant, et auquel se
rattache son propre «culte des images»"? Freud a effleuré la
question à propos de Léonard de Vinci : « Léonard, écrit-il, émerge
pour nous, hors la pénombre lointaine de ses premières années, déjà
artiste, peintre et sculpteur, grâce à un don inné, que le précoce éveil
en lui, dès la première enfance, des tendances visuelles, dut venir
renforcer » '-. Mais comment imaginer un « don inné » pour la
peinture et la sculpture qui n'ait rien à démêler avec l'attrait du
visible ? Peut-être faut-il, pour expliquer cet attrait, penser au jeu du
fort-da, à ce cacher-montrer (dont la littérature constitue un
prolongement plus direct que la peinture), à la peur du noir ; ce qui nous
renvoie, en fin de compte, au premier voir gratifiant, au premier
« voir sexuel » de l'enfant : celui du visage de sa mère --- et, du
coup, les deux étapes distinguées par Freud n'en font plus qu'une.
Mais, si tel est le cas, pouvons-nous oublier que ce visage est avant
tout, pour l'enfant, un visage qui s'offre ? Peut-être est-ce en
réponse à cette toute première offre de spectacle que les enfants et les
artistes scrutent les formes et les couleurs, non pour s'en rassasier,
mais pour y retrouver une présence, pour substituer à la fascination
régressive par le visible l'exploration prospective du visuel, pour
répondre par leurs questions, comme le montre Merleau-Ponty, aux
questions que le monde leur pose.
■li. «Rien ne ressemble plus à ee qu'on appelle l'inspiration que la joie avec laquelle
l'enfant absorbe la forme et la couleur » (Le Peintre de la rie moderne, in Oeuvres completes, Pléiade,
t. II, p. 690)- )'ai posé le problème, sans aboutir à une solution qui me satisfasse pleinement,
dans « Baudeiaiic et le plaisir ut voir >>, SULuges Simon Jeune, Bordeaux, Société des Bibliophiles
de Cuvenne, 1990, pp. 293-308.
■\1. l 'n souvenir d'enfance de Léonard de I 'inci, p. 203.
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