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« d’un côté, une théorie vitaliste des multiplicités intensives dont l’horizon historico-
philosophique revendiqué n’a jamais cessé d’être celui de l’univocité de l’être ; de l’autre, une
ontologie axiomatique du multiple numérique entée sur une théorie des ensembles qui doit et
ne doit pas compter pour un le multiple » E. Alliez.
« c’est dans le même ouvrage - Différence et répétition - que l’on rencontre à la fois la notion
de simulacre et la solennelle mise en garde contre le principe de l’Un, à laquelle renvoie en
revanche toute interprétation du simulacre identifiant le " jeu de la différence individuante [...]
dans l’espace de l’être univoque ouvert par toutes les formes "(388), à l’idée d’une
"différence qui n’a aucun réel " (Badiou, Deleuze. La clameur de l’Être, p. 41). » id : un
" platonisme du virtuel " : " l’Être est l’unique événement où tous les événements
communiquent " " (Logique du Sens, p. 211). Or, " L’Être, l’Un et le Tout [sont] le mythe
d’une fausse philosophie tout imprégnée de théologie " (Logique du sens, p. 323) : l’important
n’est pas l’Être, mais le plan univoque, de pure immanence, transcendantal à toute
différenciation. (Arnaud Villani).
Voudrait-on avancer que la théorie de l’univocité de l’être implique précisément un " concept
renouvelé de l’Un " (p. 20) en excès par rapport à la seule " identité de son principe " (ce qui
est incontestable), qu’il faudrait alors compter avec les trois moments de l’histoire de
l’univocité (Duns Scot - Spinoza - Nietzsche) et sa concrétisation progressive qui aboutit chez
Deleuze (par Riemann et Bergson) au déplacement définitif de toute " dialectique " (fût-elle "
différentielle ") de l’un et du multiple au profit de la notion de multiplicité comme opérateur
d’un empirisme et d’un monisme supérieurs. Indiquant par là que c’est maintenant la "
rigoureuse détermination de l’Être comme Un " qui exige une théorie des multiplicités (Un =
multiplicités). Ce qui le conduit, en ce temps qu’il énonce être celui de la constitution de sa
propre philosophie (après la rencontre avec Guattari, cf. Pourparlers), à renoncer à la notion
même de simulacre en ce qu’elle reste prise dans le travail de déconstruction du platonisme.
Écoutons Deleuze : " Vous voyez très bien l’importance pour moi de la notion de
multiplicité : c’est l’essentiel. Et [...] multiplicité et singularité sont essentiellement liées
("singularité" étant à la fois différent d’ "universel" et d’ "individuel"). "Rhizome" est le
meilleur mot pour désigner les multiplicités. En revanche, il me semble que j’ai tout à fait
abandonné la notion de simulacre, qui ne vaut pas grand chose. Finalement, c’est Mille
plateaux qui est consacré aux multiplicités pour elles-mêmes (devenirs, lignes, etc.). ".
(Alliez)
La philosophie devient comme un " système " pour autant qu’il " ne doit pas seulement être
en perpétuelle hétérogénéité " (niveau du multiple) : " il doit être une hétérogenèse, ce qui, il
me semble n’a jamais été tenté." Ce qui présuppose qu’il soit expérimentation de la
multiplicité comme productrice de singularités selon un procès de différenciation. Voilà " le
point sensible " où " se disjoignent " les " créations conceptuelles différentes " de Badiou et de
Deleuze. C’est aussi, chez ce dernier, le point où convergent, en une politique de l’être ,
métaphysique de l’univocité et théorie des multiplicités. (Alliez.)
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Le mode propre selon lequel "multiplicité" se tient au-delà de l’opposition
catégorielle de l’Un et du Multiple est de type intervallaire. Nous voulons
dire que c’est le jeu en devenir de deux figures disjonctives au moins qui
autorise seul la pensée d’une multiplicité. C’est ainsi qu’on récuse toute
transcendance, en prenant expérimentalement les choses "par le milieu".
Cependant, il est aisé de voir que ce "milieu" est en réalité le milieu de
l’opposition catégorielle elle-même. Car une multiplicité est en réalité ce
qui, pour autant qu’elle est saisie par l’un numérique, sera dite un
ensemble, pour autant qu’elle reste "ouverte" à sa propre puissance, ou
saisie par l’Un vital, sera dite une multiplicité effective. Conceptuellement
reconstruite, la multiplicité est en tension entre deux formes de l’Un : celle
qui relève du compte, du nombre, de l’ensemble ; et celle qui relève de la
vie, de la création, de la différenciation. La norme de cette tension, qui est
le véritable opérateur conceptuel, est empruntée à Bergson : la
multiplicité saisie par l’un numérique sera dite "close", et saisie par l’Un
vital sera dite "ouverte". Toute multiplicité est l’effectuation conjointe du
clos et de l’ouvert, mais son être-multiple "véritable" est du côté de
l’ouvert, tout comme pour Bergson l’être authentique du temps est du
côté de la durée qualitative, ou tout comme l’essence du coup de dés doit
se chercher dans l’unique Lancer primordial, et non dans le résultat
numérique affiché sur les dés immobiles.
Or l’assignation de l’ensemble au clos, et donc à l’unité numérique, relève
d’une pensée courte de l’ensemble, qui seule permet sa prétendue
"relève" par l’ouverture différenciante de la vie. Car intuitionné, depuis
Cantor, comme multiple de multiples, sans autre point d’arrêt que le vide,
égalisant en lui-même l’infini au fini, assurant que toute multiplicité est
immanente et homogène, l’ensemble ne saurait être assigné, ni au
nombre, ni au clos.
Nous avons consacré tout un livre (le Nombre et les nombres ) à établir
que, loin que l’ensemble soit réductible au nombre, c’est à l’inverse le
nombre, et même une innombrable infinité d’espèces de nombres (pour la
plupart encore inétudiés), qui supposaient, pour en appréhender le
concept, la donation préliminaire de l’ontologie des ensembles. Le nombre
est une petite section particulière de l’être-multiple tel qu’il se donne à
penser dans l’axiomatique ensembliste, qui est, en réalité, l’ontologie
rationnelle elle-même. C’est de ne pas vouloir assumer ce point, et de
maintenir à tout prix, contre l’évidence, que tout ensemble est un nombre,
que résulte le très étrange texte [1]consacré, dans Qu’est-ce que la
philosophie ? à notre livre l’Être et l’événement. Rien ne montre mieux
qu’à vouloir se servir comme d’un filtre, à propos d’une philosophie qui
assume Cantor dans ses conditions, de la logique normative du clos et de
l’ouvert, on ne produit que de l’opacité.
Car l’ensemble est exemplairement ce qui n’est pensable qu’à mettre
entièrement de côté l’opposition du clos et de l’ouvert, pour la raison
majeure que ce n’est qu’à partir du concept indéterminé d’ensemble que
cette opposition prend un sens acceptable. On peut même dire que
l’ensemble est cette neutralité-multiple originairement soustraite tant à
l’ouverture qu’à la clôture, mais qui est aussi bien capable de soutenir leur
opposition.
On sait en effet que sur un ensemble quelconque, il est possible de définir
de très nombreuses topologies. Or, qu’est-ce qu’une topologie ? C’est très
précisément la fixation d’un concept de l’ouvert (ou du clos). Mais au lieu
que cette fixation se fie empiriquement à l’intuition dynamique, comme le
fait, avec les conséquences paradoxales que nous avons relevées dans
notre Deleuze, l’orientation vitaliste, elle opère, comme il le faut dans
toute démarche fidèle à un principe d’immanence, par la déterminations
des effets relationnels de l’ouverture (ou de la clôture). En substance, un
concept de l’Ouvert est fixé dès lors qu’on a un multiple tel qu’on y
demeure en prenant l’intersection de deux éléments, ou l’union d’autant
d’éléments que l’on veut (y compris une infinité). Ou encore : l’intersection
de deux ouverts est un ouvert, et une union quelconque d’ouverts reste
ouverte. Quant au clos, il n’est jamais que le dual de l’ouvert, son
complément, son revers. Ses propriétés relationnelles symétrisent celles
de l’ouvert : l’union de deux ensembles clos est close, et l’intersection
d’autant de clos que l’on veut reste close. Le clos aussi demeure, selon
d’autres voies immanentes que l’ouvert.
C’est du seul point de ce "demeurer", de cette persistance du "là" d’un
être-là multiple à soutenir opératoirement son immanence, que s’éclaire
une propriété majeure des ensembles ouverts, que Deleuze identifie (à
tort) à leur "absence de parties", et donc à leur singularité qualitative, ou
intensive. A savoir que les "points" d’un ouvert sont partiellement
inséparés, ou inassignables, parce que l’ouvert est voisinage de chacun de
ses points. Par quoi un ensemble ouvert provoque topologiquement une
sorte de coalescence de ce qui le constitue.
Que l’ouvert renvoie à un "demeurer" n’est aucunement paradoxal (il y a
sur ce renvoi de fortes intuitions de Heidegger). Si l’ouverture effectue,
dans sa construction même, une localisation sans dehors (ce que redit que
l’ouvert "localise", en tant que voisinage, tous ses points) c’est parce que
"ouvert" est une détermination intrinsèque du multiple, qu’il s’agit bien
d’une construction immanente. Il ne saurait en aller de même pour
Deleuze, car c’est toujours à autre chose que son effectivité que l’ouvert
est ouvert, nommément à la puissance inorganique dont il est une
actualisation mobile. Sinon, renvoyé à sa pure puissance interne de
localisation, il serait, pour Deleuze, un ensemble clos. C’est du reste parce
qu’il faut qu’il soit ouvert à son propre être que l’ouvert vitaliste n’est
pensable, ultimement, que comme virtualité. L’ouvert ensembliste, ou
ontologique, est, lui, tout entier dans l’actualité de sa détermination
propre, et l’épuise univoquement.
En définitive, la construction topologique des ouverts sur fond d’ontologie
ensembliste démontre que l’ensemble pris comme tel n’est aucunement
une image du clos, étant indifférent à la dualité du clos et de l’ouvert ; et
qu’ainsi conçue, la pensée de l’ouvert est entièrement fidèle à un principe
d’immanence et d’univocité auquel déroge la multiplicité vitaliste,
astreinte, si close soit-elle, à faire signe équivoquement vers l’ouverture
dont elle est un mode.