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Maurice Duhamel

Les 15 modes de la musique bretonne


In: Annales de Bretagne. Tome 26, numéro 4, 1910. pp. 687-740.

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Duhamel Maurice. Les 15 modes de la musique bretonne . In: Annales de Bretagne. Tome 26, numéro 4, 1910. pp. 687-740.

doi : 10.3406/abpo.1910.4225

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0003-391X_1910_num_26_4_4225
MAURICE DDHAMEL

LES 15 MODES DE LA MUSIQUE BRETONNE

modal
I. Les
des Modes
Bretons
antiques.
VI.
; harmonisations.
Origine
— II.desLesgammes
autres
— IV. Modes.
bretonnes.
Mélodies.
— III.
— V.
Le Statistiques.
système

L'originalité capitale de la musique bretonne réside en son


système modal. L'art que ce système nous révèle n'est nul
lement primitif et grossier, comme on pourrait s'y attendre,
mais au contraire extrêmement savant, complet et complexe,
et l'étude en est féconde : car, aidant la linguistique et
l'ethnologie, elle projette quelques lueurs sur les aptitudes
premières d'un rameau de la race celtique; et elle peut, en
outre, nous permettre de préciser les notions que nous pos
sédions déjà, grâce aux manuscrits helléniques, sur les
origines de toute musique.
Dès 1885, Bourgault-Ducoudray, dans la préface de ses
Trente Mélodies populaires de Basse-Bretagne, signalait la
présence, dans les mélodies bretonnes, de modes analogues
à ceux dont les théoriciens grecs nous ont légué la formule,
et dont quelques découvertes archéologiques nous ont pro
curé de précieux échantillons.
Vingt ans après Bourgault-Ducoudray, parcourant à notre
tour la Bretagne pour en recueillir les chansons tradition
nelles,nous avons eu la bonne fortune de découvrir non
plus quelques modes appartenant au système diatonique de
l'antiquité, mais tous les modes de ce système, et quelques
autres par surcroît.
L'analyse de ces modes, la publication des mélodies-types
qui nous les révèlent, les réflexions auxquelles ils donnent
lieu, leur origine probable, tel est l'objet de ces pages.
088 LES 15 MODES

f On a coutume de dire que le mode est « la manière d'être


| d'une gamme ». Cette définition, peu précise, a besoin d'être
■5 étayée d'un exemple. Nous le trouverons dans l'examen
\ rapide des deux seuls modes en usage dans la musique
| moderne : le Majeur et le Mineur. -
tV Le mode majeur est engendré par une série de sept sons,
disposés de manière à former une progression harmonique
; de quintes et de quartes justes :
s* 5*

En prenant Do comme point de départ, c'est-à-dire comme


tonique, en écrivant par mouvement conjoint les notes
fournies par cette succession de quintes, et en redoublant
la tonique à l'octave, nous obtenons la gamme de Do majeur :

DO RÉ MI FA SOL LÀ SI DO

Cette gamme se compose de deux tons consécutifs, d'un


demi-ton, de trois tons consécutifs et d'un demi-ton :

L'ordre dans lequel se succèdent, en mode majeur, les tons


et les demi-tons, est invariable; et c'est précisément cet ordre
qui caractérise le Majeur.
Commençons, en effet, une gamme sur le Ré, et poursui
vons-la sur les touches blanches du piano. Nous aurons une
échelle d'intervalles dont la succession ne sera pas conforme
au précédent exemple :

RE Ml FA SOI LA SL 00 RÉ
i
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 689
Pour rendre aux demi-tons la place qu'ils doivent immua
blement occuper, nous élèverons donc le troisième et le
septième degrés de cette gamme au moyen de deux dièses :

II suffit de comparer cette gamme avec la première pour


se rendre compte que si elle en diffère par la hauteur absolue
de son échelle, elle lui est identique par la composition et
Tordre de ses intervalles. La gamme de Ré, que nous venons
d'écrire, appartient à un autre ton que la gamme d'Ut, mais
non à un autre mode. En d'autres termes, elle n'est qu'une
gamme dVt majeur transposée d'un ton à l'aigu.
Si nous examinons le mode mineur, nous verrons qu'il
obéit à la même loi, et que la disposition des intervalles —
différente de celle qu'elle affecte dans le mode majeur — y
est également invariable, quel que soit le degré dont on fasse
le point de départ de la gamme. Exemples :

La mineur :

Si MINEUR

Ut MINEUR

Les gammes dVt et de Si ne sont que des transpositions


à" l'aigu de la gamme de La mineur. Et ces trois gammes ne
représentent que trois formes tonales différentes d'un même
mode.
En résumé, la musique moderne, telle qu'on l'enseigne
officiellement, possède autant de tons qu'il y a de notes —
naturelles, diésées ou bémolisées — dans la gamme. Mais
elle n'a que deux modes.
690 les 15 MODES
II en allait tout autrement dans la musique des Grecs. Et
puisque nous citons le nom de ce peuple, il convient de dire
que l'étude des thèmes traditionnels, chez les différentes
nations, prouve que l'Hellade n'eut pas le monopole du sys
tème modal que nous allons exposer. Mais comme, seuls,
ses théoriciens en formulèrent les règles, que les seuls noms
sous lesquels nous connaissons les modes antiques sont ceux
que leur donnèrent les Grecs, les auteurs modernes ont été
amenés à parler de ce système comme s'il était effectivement
une création hellénique. Nous les imiterons provisoirement.

La musique grecque — dont le VIe siècle avant notre ère


connut la période classique — comportait autant de modes
principaux qu'il y a de sons dans la série diatonique W. Ces
modes (xp^ovioc) se distinguaient donc par le degré sur lequel
s'effectuait le repos final, et, par suite, en raison de la place
— différente dans chacun d'eux — qu'occupaient les tons et
les demi-tons.
On a coutume, pour la clarté du discours, d'imaginer que
le repos mélodique avait lieu sur l'une des notes de l'échelle-
type (Ut), ce qui nous donne les modes dVt, de Ré, de Mi,
de Fa, de Sol, de La et de Si, représentés par les gammes
suivantes (2) :
.

(1) II ne s'agit ici, bien entendu, que du genre diatonique, le seul qui
nous fournisse un élément de comparaison avec la musique bretonne.
Nous nous abstiendrons, par conséquent, de rechercher si, comme le
croient Westphal et Gevaert — et comme il nous paraît probable, —
tous les modes existèrent réellement sous les trois formes diatonique,
chromatique et enharmonique, ou si, selon l'opinion de critiques plus
récents, — M. Laloy, entre autres, — chaque mode était lié à un genre:
le Dorien, par exemple, n'étant cultivé que dans le genre enharmonique,
le Phrygien dans le genre chromatique, etc.
(2) A la vérité, les gammes grecques étaient descendantes. Nous les
avons représentées montantes, selon les habitudes modernes, afin de
simplifier la compréhension de cet exposé, cette particularité de direction
n'ayant, du reste, dans le sujet qui nous occupe, aucune importance.
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 691
1. Mode Lydien (ajouta hàurci) :

2. Mode Phrygien (â

3. Mode Dorien (xp[xovt<x

4. Mode Hypolydien (&p[iwut v

Q-
jCL

5. Mode Hypophrygien (a

6. Mode Hypodorien (&ppwia. vnoàvptari) :

•n

7. Mode Mixolydien {â

a.

Ces modes ne diffèrent pas seulement des modes actuels


par la variété de leurs finales mélodiques et par la répartition
692 LES 15 MODES
de leurs intervalles. Certains s'en distinguent encore par
leur coupe.
On sait que notre gamme majeure est composée d'une
quinte et d'une quarte :

Majeur : 00 Ré

Au contraire, les gammes lydienne, phrygienne et dorienne


ont une « division arithmétique », c'est-à-dire qu'elles sont
composées d'une quarte et d'une quinte :

Lydien: do RÉ ni n sol la si DO

Phrygien RÉ mi SOL LA SI DO RE

Dorien : m

4S S*
Ces gammes, à première audition, choquent nos habitudes.
Elles commencent et finissent en réalité sur unje dominante,
et pivotent autour de leur tonique réelle, qui est la première
note de la quinte :

l'impression
terminer
Lydien
Les mélodies
: sur de
un ne
engendrées
point
pasMld'interrogation.
conclure,
par
FA cesou,
SOLgammes
si LA
5*
l'on SI
préfère,
nous DOdonnent
de se
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 693
Renversons ces trois modes, c'est-à-dire plaçons la quinte
en tête et la quarte à sa suite, sans modifier l'ordre des notes
qui composent cette ' quinte et cette quarte. La tonique
reprendra la place où nous avons coutume de la voir, et
nous obtiendrons trois gammes — l'hypolydienne, l'hypo-
phrygienne et l'hypodorienne — dont la division est « ha
rmonique », comme celle du Majeur dit moderne :

Hypolydien : fa sol la si do ré mi FA

5* i?

Hypophrygien : sol u si do ré m n soi

5*

HYPODORIEN : LA SI 00 H Ml FA SOL U

Si £

Ces trois derniers modes ne sont, on le voit, qu'une variété,


qu'un renversement des trois premiers. Les uns commencent
par une quarte et sont basés sur une dominante (division
arithmétique); les autres commencent par une quinte et sont
basés sur une tonique (division harmonique).
De prime abord, cette division peut paraître un peu subtile.
On se rendra compte, par les exemples que nous donnons
plus loin, qu'elle correspond à une réalité très nette, et que
le Lydien, par exemple, ne saurait être confondu avec notre
Majeur, qui possède cependant la même échelle. La diff
érence est surtout considérable dès que l'on fait subir à deux
modes d'échelle identique, mais de coupe différente, le tra
itement moderne de l'harmonisation : la gamme d'Ut majeur,
par exemple, demandant un Do à la basse, tandis que la
gamme lydienne exige impérieusement un Fa.

*♦*
694 LES 15 MODES
Le mode de Si — Mixotydien — mérite une mention parti
culière, en raison de sa composition spéciale. Il ne peut être
divisé en quinte et quarte, puisque l'intervalle Si-Fa n'est
pas une quinte juste. Aussi les théoriciens — à la suite de
Gaudence — lui attribuent-ils communément la division
arithmétique :
§■
Mixolydien

Mais, d'autre part, tous sont d'accord pour admettre que


sa note initiale n'est ni une tonique, ni une dominante, et
qu'elle joue plutôt le rôle de médiante.
Il semble bien qu'il y ait là une contradiction. Si, en effet,
la finale mixolydienne — Si — est une médiante, la tonique
réelle est non un Mi, mais un Sol, et la gamme mixolydienne
se divise, non en quarte et quinte, mais en sixte et tierce :

65? 3*
Le Mixolydien n'est plus ainsi qu'un nouveau renversement
de l'Hypophrygien :

I
i
« LA SI DO RÉ Ml

52 4*
Toute difficulté disparaît si l'on se rappelle que les Grecs
considéraient la sixte et la tierce comme des intervalles
dissonants (5t«©ova) et n'en pouvaient tenir compte. De là,
cette division arithmétique dé l'octave mixolydienne qui
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 695
heurte nos habitudes harmoniques, mais qui s'accordait
avec la théorie antique des intervalles.
Pour nous, qui avons perdu le sens d'une musique pure
ment mélodique, et qui ne pouvons entendre une succession
de notes sans leur imaginer une « basse », le mode mixo-
lydien est bien composé d'une sixte et d'une tierce, puisque
nous ne saurions l'harmoniser autrement qu'en Sol. Tel est
aussi le mode syntono-lydien (<zp[xovi<x

simple variété de l'Hypolydien, sur la composition duquel les


théoriciens omettent prudemment de nous renseigner. Or, la
tonique réelle de ce mode étant Fa, sa finale mélodique est
également une médiante, et son échelle ne peut être harmon
iséeque si nous la considérons comme formée d'une sixte
et d'une tierce :

Syntono-lydien

* *

On voit, par cet exposé rapide, que le système modal des


Grecs comportait, dans le genre diatonique, trois groupes
de modes :
1° Le groupe dorien, formé de deux modes mineurs (dorien,
hypodorien), dont la tonique réelle, sur l'échelle-type, est La.
2° Le groupe phrygien, formé de trois modes majeurs
(phrygien, mixolydien, hypophrygien), dont la tonique est
Sol.
3° Le groupe lydien, formé de trois modes majeurs (lydien,
syntono-lydien, hypolydien), dont la tonique est Fa.
A ces huit modes, il sied d'en ajouter un neuvième, qui
"96 LES 15 MODES
ne se rattache à aucun des trois groupes que nous venons
d'énumérer. C'est le mode locrien Impuni) :

-&- -TL

qui possède la môme finale mélodique que l'Hypodorien et


le Syntono-lydien, mais qui diffère de ces deux modes par
sa coupe arithmétique : -
Locrien : la si do ré

Le Locrien a laissé peu de traces dans la littérature music


ale des Grecs. Oevaert suppose qu'il dut se confondre avec
le Dorien d) et disparaître vers le Ve siècle avant notre ère.

II

Les neuf modes que nous venons de passer brièvement en


revue® se retrouvent tous dans les mélodies populaires de
la presqu'île armoricaine <3). Mais à eux seuls ne se borne
pas le système modal des Bretons.
Tout d'abord, quantité de thèmes bretons sont conçus à

(1) Abstraction faite du second degré de leurs échelles respectives, le


Dorien et le Locrien ont une identique composition d'intervalles :

DORTEN :

Locrien : LA

C'est ce qui explique leur confusion éventuelle.


(2) Pour plus amples détails, v. Gevaert, Histoire et théorie de la Musique
de V Antiquité, t. I (Gand, 1875).
(3) Sauf, peut-être, le Mixolydien, dont nous n'avons rencontré qu'un
exemple douteux.
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 697
l'aide d'un mode auquel on peut assigner l'échelle de Ré
sans accidents :

jLL
o o « ~ —■

Ce mode — qu'on retrouve, d'ailleurs, dans les chansons


de divers peuples, et qui fut peut-être connu des Grecs, bien
qu'inusité par eux, — a la même échelle que le Phrygien,
mais sa division est harmonique :

SI 00 Rf

C'est, en somme, le Locrien renversé.


En outre la musique bretonne fait usage du Majeur et du
Mineur modernes. A quelle époque ces deux modes pénét
rèrent-ils en Bretagne ? C'est ce qu'il est assez difficile de
fixer avec précision.
Dans la musique ecclésiastique — qui précéda, sur ce point,
la musique savante d'Occident — Majeur et Mineur n'appa
rurent qu'au XVIe siècle, et sans doute le dernier de ces
modes ne s'implanta-t-il pas immédiatement en Bretagne,
car la maigre faveur dont il y jouit, la rareté avec laquelle
on l'y rencontre, témoignent apparemment d'une adoption
récente. Quant au Majeur, il est croyable que les Celtes le
connurent avant "l'Eglise. Dans les poèmes gallois du
XIIe siècle, on trouve, en effet, mention de chansons que la
tradition nous a conservées, et qui sont indiscutablement en
Majeur. Tel est l'air célèbre : Ar hyd y nos :

r \
3UB. i% om.
LES 15 MODES

jgg^
«tt . et *t**x' -lty>^«t<w<< ■

On peut objecter, il est vrai, que cette mélodie ne nous est


pas parvenue sans subir les altérations dont la mémoire du
peuple est coutumière; et cette objection vaut qu'on s'y arrête.
Nous avons nous-môme recueilli, dans un petit port du pays
trégorrois, un thème dont les premières mesures paraissent
bien appartenir au mode majeur :
RM. J.- 100

JTCaxr Aon- «m. Vcm, oew* j *

^ J.

autre
Or, région,
dans unesous
autre
la notation
dictée d'une
du même
autre air,
chanteuse,
faite dans
la pré
une

sence d'une note omise dans la première version (Si fcj) révèle,
sans erreur possible, le mode syntono-lydien :

«N1 J' J J. J
J
-fautmf «««tMftlw

^^

y^nos.
de
peuples
Mais
Pareille
l'Occident
iln'attendirent
ne
déformation
n'a
fautconnu
pas point
oublier
le
a Majeur
pu,que
évidemment,
quel'Eglise
qu'au
si la XVIe
musique
catholique
altérer
siècle,religieuse
certains
,4r
le leur
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 699
révélât. Là gamme chinoise qui va de « Hô » à « Woû »
n'est pas autre chose que notre gamme majeure pourvue
d'un ton supplémentaire :

Gamme chinoise : hô sse vï chânc tch'eu koûng fân lou (woû)

Gamme majeure

Et s'il est hasardeux de prétendre, comme l'ont fait


quelques auteurs, que cette gamme fut inventée par la
dynastie des Tcheôu, douze cents ans avant Jésus-Christ, il
est du moins hïfcrs de doute qu'elle est usitée en Chine depuis
que le Mongol Koubilaï khan conquit cet empire, au
XIVe siècle de notre ère W.
Du reste, on peut dire que si le Majeur ne figure pas dans
la nomenclature des gammes helléniques, les Grecs con
nurent pourtant ce mode, et s'en servirent fatalement par
intermittences.
En dehors des gammes que nous avons étudiées, les Grecs
concevaient des échelles fixes qu'ils appelaient « systèmes «W.
Les plus importants étaient le « grand système parfait », ou
« disjoint », le « petit système parfait », ou « conjoint », et
le « système immuable ».
Le « système disjoint » se composait d'un ton et de quatre
tétracordes fê) dont le second et le troisième étaient séparés
par un ton :
l?tétacorde 2-ttetracorde 3-tétracorde fttéhcorde

(1) V. Louis Laloy, La Musique chinoise, Paris. — M. Laloy pense que le


Majeur était le mode national des Mongols.
(2) « Un système est un composé de plusieurs intervalles » (Aristoxène.
Eléments harmoniques).
(3) Le tétracorde est une quarte dont le demi-ton est au grave.
3
700 LES 15 MODES
Lé « système conjoint » se composait d'un ton et de trois
tétracordes :
Wétracorde 2*- kctraconk 3'lébacorde
F
O u o

Pas de Ton
dJsjorictif

Quant au « système immuable », il était formé par la


réunion, sur une même échelle, des deux systèmes conjoint
et -disjoint : / v

.
On voit que la réunion, sur une môme échelle, des deux
tétracordes caractéristiques de chaque « système » permettait
de faire alterner, dans un même air, le Si naturel avec le
Si bémol.
Appliquons cette particularité à l'une des gammes du
genre diatonique que nous avons précédemment étudiées,
l'hypolydienne, par exemple. Nous constaterons que le mode
hypolydien avec Si bémol coïncide exactement avec l'échelle-
type de notre mode majeur :

Hypolydien # w SOL LA SlJ> DO RE Ml FA


'
(avec Si bémol) Va t Va

Majeur do RE Ml FA SOL LA Si DO
' v<
(échelle-type) 1 V*
1 Va 1 1
Certes, il est peu probable que les Grecs aient composé
des 'mélodies, instrumentales ou vocales, construites tout

i-
m-
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 701
entières sur cet hypolydien altéré. Mais il est certain qu'ils
ne possédèrent pas le Si bémol sans en faire parfois usage.
Or, une mélodie hypolydienne, avec Si généralement naturel,
et de temps à autres bémol, ne peut s'analyser autrement
qu'en ces termes : thème en mode hypolydien, avec modul
ations passagères en majeur.
Dans ces conditions, il est permis d'admettre que les Celtes
en général, et les Bretons-Àrmoricains en .particulier, con
nurent le Majeur en des siècles assez reculés. Autrement,
on s'expliquerait mal que, dans leurs mélodies traditionnelles,
ce mode dispute à l'Hypodorien la prépondérance sur tous
les autres. Et cette opinion paraît plus justifiable encore si
l'on songe à la place insignifiante qu'occupe, par contre, dans
leur musique, le mode mineur, qui apparut cependant en
même temps que le majeur dans les chants sacrés du
christianisme européen.
Il ne serait même pas impossible que les peuples celtiques
aient été, sur ce point, les initiateurs de l'Eglise, par l'inte
rmédiaire "de ces monastères celtes dont l'influence, sur la
liturgie médiévale, fut certainement considérable et mériter
ait d'être étudiée, quelque jour, en détail.

Mais les Bretons ne se contentent pas d'employer Majeur


et Mineur sous la forme où la musique savante use de ces
modes.
Nous avons vu plus haut qu'un mode antique pouvait
revêtir jusqu'à trois formes, selon que la tonique de sa
gamme occupait le premier, le quatrième ou le sixième degré
de cette gamme. C'est-à-dire qu'un mode divisé en quinte et
quarte et basé sur une tonique pouvait donner naissance à
un second mode, divisé en quarte et quinte et basé sur une
dominante, et parfois même à un troisième, divisé en sixte
et tierce et basé sur une médiante.
Les humbles micherourien qui composèrent les mélodies
r
702
bretonnes que nous recueillons
LES 15 MODES
aujourd'hui n'eurent év
idemment pas connaissance de cette loi. Ils durent pourtant
en avoir une obscure conscience, puisque, à côté de la forme
habituelle du mode majeur, divisé en quinte et quarte, et
commençant par une tonique,

K— £- o £2. YS> m

nous trouvons en Bretagne deux autres formes de ce même


mode, Tune divisée en quarte et quinte, commençant par
une dominante, et jouant à l'égard du Majeur ordinaire le
même rôle que le Lydien à l'égard de l'Hypolydien :

l'autre divisée en sixte et tierce, commençant par une mé-


diante, et jouant à l'égard du Majeur ordinaire le même rôle
que le Syntono-lydien à l'égard de l'Hypolydien :

IZ!
6

De même, à. côté du mode mineur, de division harmonique :

nous avons rencontré, en Gornouailles, un Mineur renversé,


de coupe arithmétique :

Cl)
DE LA MUSIQUE BRETONNE.
Et si, par contre, aucun thème populaire ne nous a révélé
trace du troisième renversement possible du mode mineur,
avec échelle divisée en sixte et tierce,

c'est sans doute parce que le Mineur est d'importation trop


récente, en Bretagne, et sa diffusion restreinte encore. Du
reste, de ce que nous n'avons pas rencontré ce mode, il serait
imprudent de conclure qu'il n'existe point, et peut-être la
fortune heureuse de quelque chercheur le fera-t-elle découvrir
un jour.

Quelques-uns des modes que nous venons de signaler,


n'ayant pas encore été étudiés, ont échappé au baptême.
Pour désigner les autres, on a coutume de recourir à la
terminologie ecclésiastique, en raison de l'analogie qu'ils
présentent avec certains « tons » de l'Eglise.
Cette habitude ne va pas sans inconvénients. D'abord, la
coïncidence entre ces « modes » et ces « tons » n'est pas
toujours rigoureuse, et lorsque Bourgault-Ducoudray, par
exemple, assimile le mode de Ré au premier ton grégorien,
il est, pour être précis, obligé d'écrire : premier ton authen
tiquedu plain-chant avec Si naturel, — le premier ton gré
gorien ayant généralement le Si bémol, et n'étant, somme
toute, qu'un Hypodorien transposé à la quinte inférieure. En
outre, en adoptant les modes grecs, l'Eglise en a confondu
arbitrairement les noms, appelant Phrygien le Dorïen antique,
Mixolydien l'Hypophrygien, etc. Enfin l'emploi, dans le cas
qui nous occupe, du vocabulaire ecclésiastique, tendrait à
accréditer la vieille légende que les modes de la musique
bretonne dérivent du plain-chant. Et nous avons vu qu'en ce
qui concerne tout au moins le Majeur et ses renversements,
l'hypothèse contraire est infiniment plus plausible.
704 LES 15 MODES
C'est pourquoi, dans les pages qui vont suivre, désireux
d'employer des termes brefs, logiques, et ne prêtant à nulle
équivoque, nous appellerons :
Hypolocrien, le mode de Ré divisé en quinte et quarte et
commençant sur une tonique, — lequel, nous l'avons vu, est
bien en effet un sous-locrien ;
Majeur-tonique et Mineur-Ionique, les modes majeur et
mineur divisés en quinte et quarte et commençant sur une
tonique, — l'addition de ce dernier mot, toutes les fois que
ce sera nécessaire, permettant de distinguer ces deux modes
de leurs renversements ;
Majeur- dominante et Mineur-dominante, le premier renver
sement du Majeur-tonique et du Mineur-tonique, échelles
divisées en quarte et quinte et commençant sur une
dominante ; -
Majeur-médianle, enfin, le second renversement du Mineur-
tonique, échelle divisée en sixte et tierce et commençant sur
une médiante.

III

Le système modal des Bretons-Armoricains, tel que nous


l'a révélé l'analyse des mélodies recueillies jusqu'à ce jo;ur,
se compose donc de 15 modes, dont 13 sont diatoniques,
c'est-à-dire peuvent être joués sur les seules touches blanches
du piano, et dont 2 seulement — le Mineur-tonique et le
Mineur-dominante — emploient des degrés chromatiques.
Si nous classons ces modes d'après leur tonique réelle, sur
l'échelle-type d'Ut, nous ferons cette constatation :
Trois modes ont pour tonique : Ut. Ce sont le Majeur-
tonique, le Majeur-dominante et le Majeur-médiante.
Deux ont pour tonique : Ré. Ce sont l'Hypolocrien et le
Locrien.
Aucun n'a pour tonique : Mi.
Trois ont pour tonique : Fa. Ce sont l'Hypolydieri, le Lydien
et le Syntono-lydien.
Tableau A. — Les 15 Modes de la Musique
I. Modes basés sur la tonique. II. Modes basés sur la dominant
(Gammes commençant par une quinte), (Gammes commençant par une quart
Tonique : La
1. Hypodorien.
Tonique : Sol & t7
3. Hypophrygien'. 4. Phrygien.
Tonique : Fa O "vZ
6. Hypolydien. 7. Lydien.
Tonique : Ré
Tonique : Ut
11. Majeur-tonique. 12. Majeur-dominante.
Tonique : La
14. Mineur-tonique. 15. Mineur-dominante.
m <&£&{&>,. M* A
706 LES 15 MODES
Trois ont pour tonique : Sol. Ce sont l'Hypophrygien, le
Phrygien et le Mixolydien.
Quatre ont pour tonique : La, Ce sont l'Hypodorien, le
Dorien, le Mineur-tonique et le Mineur-dominante.
Aucun n'a pour tonique : Si.

Que si, au contraire, toujours sur l'échelle-type, nous


classons les modes bretons d'après leur finale mélodique,
indépendamment de leur coupe particulière, nous verrons
que le système modal armoricain comporte :
Deux modes d'Ut : le Lydien' et le Majeur-tonique.
Deux modes de Hé : le Phrygien et l'Hypolocrien.
Trois modes de Mi : le Dorien, le Majeur-médiante et le
Mineur-dominante.
Un mode de Fa :. l'Hypolydien.
B Deux modes de Sol : l'Hypophrygien et le Majeur-domi-
£ nante.
Quatre modes de La : l'Hypodorien, le Syntono-lydien, le
Locrien et le Mineur-tonique.
Un mode de Si : le Mixe4ydien.
L'apparente identité d'échelle de certains de ces modes ne
laisse pas de créer entre eux quelque confusion. Le meilleur-
moyen de la faire disparaître est de les harmoniser.
Dans les harmonisations qui suivent, nous ne nous sommes
privé systématiquement d'aucun accord, voire, à l'occasion,
d'aucune dissonance passagère, guidé que nous sommes par
le souci de montrer le parti que peut tirer la musique mo
derne du système modal des Bretons. Nous avons, par contre,
rigoureusement proscrit toute altération étrangère au mode
harmonisé, et, pour mieux faire sentir combien la division
en quarte et quinte, quinte et quarte ou sixte et tierce modifie
le caractère d'un mode, nous avons groupé nos gammes
d'après leur finale mélodique.

** *

r>
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 707
I. — Finale mélodique : Ut.
i. Lydien (quarte + quinte, tonique : Fa).

^£3

2. Majeur-tonique (quinte + quarte, tonique: Ut).


1 ,
J1 J1 ^
_l M
'
1

i = —e
O

\ U^
1

II. — Finale mélodique : Ré.


1. Phrygien (quarte + quinte, tonique : Soi).

XT
"f
LES 15 MODES
2. Hypolocrien (quinte + quarte, tonique: Ré).

*
J J

3SÉ

III. — Finale mélodique : Mi.


1. Dorien (quarte + quinte, tonique : La).

L-

2. Majeur-médiante (sixte + tierce, tonique: t/ï).

_CL

7TT
*■?

DE LA MUSIQUE BRETONNE. 709


3. Mineur-dominante (quarte + quinte, tonique

p* J t J »4zz J
J *
J *l
1 ^'

""jgi" * * ■■ ■ ■

IV. — . Finale mélodique : Fa.


1. Hypolydien (quinte + quarte, tonique : Fa).

Finale mélodique : So/.


1. Hypophrygien (quinte + quarte, tonique : -Soi).

i j J

J. -s-

(1) Dans le Mineur moderne, le fa est tantôt dièse et tantôt naturel.


C'est pourquoi nous l'avons fait successivement entendre, à la basse, sous
ces deux formes.
^
!■#'
710 LES 15 MODES
2. Majeur-dominante (quarte + quinte, tonique : Ut).

'!)'•
^ J

VI. — i.
Finale
Hypodorien
mélodique
(quinte
: La.+ quarte, tonique: La).

2. Syntono-lydien (sixte + tierce, tonique: Fa).

y j...x. ^— il
[i «i

h' i
\
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 711
3. Locrien (quarte + quinte, tonique : Ré).
J[/l
m M
VM y III' o I1

Hs — "^ "^* '^


U-3 1 >3
1 f

l
®1
II1 ^1 J
M ^~^ 1
,-J Ci?

4. Mineur-tonique (quinte + quarte, tonique : La).

J2L
o

\
VII. — Finale mélodique : SU».
1. Mixolydien (sixte + tierce, tonique : Sol).

=f

$ -j. J ' j

grecque
(1) Dans(Imprimerie
son intéressante
nationale),
conférence
faite ausur
Trocadéro,
la Modalité
le 7dans
septembre
la Musique
1878,
7d2 LES 15 MODES

IV

L'orchestre breton, qui est exclusivement un orchestre de


danse, ne se compose que de deux instruments : le biniou,
qui est une cornemuse, et la bombarde, qui est un hautbois.
En dépit de leur fabrication rudimentaire, ces instruments
— le second surtout — ont une sonorité pathétique et pre
nante ; mais leur mécanisme primitif, leur registre limité
leur interdisent l'exécution d'un grand nombre de modes, et
l'octave de la gamme majeure demeure leur échelle favorite.
Aussi n'est-ce pas à la musique instrumentale, mais un
iquement aux mélodies vocales, que nous demanderons de
nous révéler les richesses du système modal des Bretons. —
Ajoutons que les exemples qui suivent ont tous été recueillis
par nous w, soit directement, sous la dictée des chanteurs
ou des chanteuses, soit par l'intermédiaire de phonogrammes

sous la présidence de Gounod, Bourgault-Ducoudray propose des harmon


isations pour le Lydien, l'Hypodorien, l'Hypolydien, l'Hypophrygien, le
Dorien, le Phrygien et le Mixolydien. Les trois premières nous paraissent
excellentes. Mais quelle que soit notre déférence pour la mémoire et pour
l'œuvre de réminent musicographe, nous devons faire nos réserves, en
ce qui concerne les quatre autres. Sous le sol final de la gamme hypo-
phrygienne, Bourgault-Ducoudray fait entendre raccord : solrré-fa-si. La
présence de ce fa superflu fait que l'auditeur attend, pour conclure, un
accord parfait d'ut majeur, et l'Hypophrygien prend l'aspect d'un mode
divisé en quarte et quinte. Par contre, l'auteur de Thamara traite le Dorien
comme s'il était de division harmonique, et il terminé son harmonisation
par l'accord : mi-si-mi, alors qu'un la (tonique réelle) est évidemment
nécessaire à la basse. Enfin l'harmonisation des modes Phrygien et Mixo
lydien se termine par un accord de « septième de dominante » tout à fait
hors de propos.
Ges erreurs, du reste, ne diminuent en rien le très grand mérite de
l'homme qui, le premier, songea à enrichir la musique de nouveaux
moyens d'expression, par l'adoption des modes diatoniques de l'antiquité,
et qui, le premier encore, eut l'idée de venir chercher ces modes en
Bretagne.

(1) A trois exceptions près, tous ces exemples sont extraits de nos deux
recueils actuellement sous presse : Guerzenneu ha Sonnenneu Bro-Guéned
(chansons populaires du pays de Vannes; en collab. avec Loeiz Herrieu)
et Musiques bretonnes (airs et variantes mélodiques des Gwerziou Breiz-
Izel et des Soniou Breiz-Izel). — Rouart, Lerolle et Cie, éditeurs, Paris.
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 713
qu'enregistrèrent des Bretons dévoués aux souvenirs de leur
race, — tels M. Vallée, de Saint-Brieuc ; M. Le Moal, de
Goadout ; M. Even, de Tréguier, — lesquels eurent l'obl
igeance de nous les confier.

Le mode le plus répandu en Bretagne est le Majeur-tonique,


et l'on n'a que l'embarras du choix pour citer une mélodie
composée dans ce mode. En voici une, originaire de Gor-
nouailles, d'un sentiment particulièrement noble :

M.M. J e 80

Traduction. — La Fontenelle a proclamé — que jamais, en Bre


tagne, il ne mettrait le pied; — et cependant il a menti : — il

est à Plounevez-du-Faou...

Presque aussi nombreux sont lès thèmes en mode hypo-


dorien. Le suivant a été noté au pays trégorrois :
M. H. J -100

} <w

- oueiuk O
"c
^'-'v-»sÇv

714 LES 15 MODES

vi. it i, h i
Si-

Traduction. — Entre la chapelle de Saint-Efflam et le Méné-Bré


— est un jeune capitaine qui lève une armée, — est un jeune capi
taine qui lève une armée; — j'ai un fils, Silvestric, qui dit qu'il
ira aussi...

Les mélodies hypolocriennes, bien qu'assez fréquentes


aussi, sont pourtant un peu plus rares. Celle-ci vient du pays
de Vannes :
M. M. J = 100

_ \4S *- HUUMSMt, J twK,

J' J'
J.l J

mère
ma
Traduction.
petite
m'élevait
a douce
—mignonne
Quand
» — quand
j'étais
(me gâtait),
petite,
j'étais toute
petite,
— mapetite,
toute
mère—petite,
m'élevait
assurément,
— mi
ma

gnonne..

Citons encore ce thème de Haute-Cornouaille, basé sur le


même mode, en raison de son beau caractère mélodique :
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 715

MM. J «80

i ii -u

J s

la Traduction.
plus belle jeune
— Jeannette
fille qui Le
soitRoux,
sous de
le soleil...
Saint-Pol-de-Léon, — [est]

Le mode Majeur-dominante se rencontre assez fréquem


ment dans le Trégor, et plus souvent encore dans le Vanne-
tais. C'est à cette dernière région que nous empruntons cet
air de danse :
M.M. J _

idoy J- wc ta c&oiyX- «t

s
VMVkMTucftT. 1J^\J^ AtKxL • àouàc+L" U« OlohlaMpaukha. MÙ
Traduction. — J'ai choisi une maîtresse (bis) — une fillette jolie
et mineure — rouie laridondon ! — une fillette jolie et mineure, —
roulé laridongué!...

Le Phrygien domine dans les mêmes régions, encore qu'on


le trouve parfois aussi en Cornouailles, comme l'exemple
ci-après en fait foi :
M.M. j:.S8

,m CL
716 LES 15 MODES

Traduction. — Le seigneur comte et son épouse — se sont


mariés de bien bonne heure, — Ho; — se sont mariés de bien
bonne heure...

A première vue, les mélodies hypophrygiennes semblent


nombreuses dans les quatre cantons de Basse-Bretagne. A la
vérité, dans la plupart des thèmes comportant un Fa naturel
et finissant sur un Sol que l'on rencontre dans nos cam
pagnes, la répétition constante de YUt, qui révèle une division
arithmétique, indique que l'on se trouve en présence, non
de l'Hypophrygien, mais du Majeur-dominante. Tel n'est
évidemment pas le cas dans la mélodie que voici :

MM. J.92

Qpt. JJ * — *• V IJ J
Xt*v

J-ilJ*LU
CL-

s J- J> 1 J J IJ_.
«lUUl'

Traduction. — Seigneur saint Mathurin de Moncontour, —


maître du vent et de l'eau, — vous ferez un miracle en ma faveur
— et mon enfant sera sauvé...

La modalité hypophrygienne est également nette dans le


thème suivant, originaire, comme le précédent, de Trégon-
neau, en Trégor :
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 717

MM. J.138

Ma, jl. - <D t ..'V-*)H


Traduction. — Je suis natif du canton; — mon nom est Olivier
Hamon...

Le Mineur-tonique, quoi qu'on en pense généralement, est


assez rare en Bretagne, et les mélodies mineures qu'on y
recueille ne sont, la plupart du temps, que des mélodies
primitivement hypodoriennes, auxquelles la fantaisie de
quelque chanteur a jouxté une sensible. Parmi la vingtaine
de chansons en Mineur que nous avons notées, — sur un
total d'un millier environ, — nous choisissons celle-ci, qui
ne nous semble pas le résultat d'une déformation arbi
traire d) :

\, 1,
/tb<^\

cnauôotts-1 HVC -*V< -

(1) Nous devons remarquer, toutefois, que le même thème nous a été
chanté aussi en Majeur-tonique. Peut-être était-ce là sa forme primitive.
718 LES 15 MODES
Traduction. — Malédiction de ma vielle ! disaient les « sonneurs »,
— il va falloir lever une chanson au sujet d'un arbre (bis).

L'Hypolydien ne florit guère qu'en Trégor, — et encore,


dans une maigre proportion. Ce mode n'avait été rencontré,
jusqu'à ce jour, que dans des' mélodies hybrides, c'est-à-dire
construites à l'aide de deux ou plusieurs modes. Nous devons
à la même chanteuse qui nous fournit les deux exemples
d'Hypophrygien cités plus haut de connaître un thème enti
èrement en Hypolydien. Le voici :

M.M.J = 92

1
dowcnt* KomoMj tu* ' c'houXtu. ■side.xil***' ; JIû- \ïboulCMsJKlcty<*i- y Wi-

J*
£t J^'JI ^ J'

aot a^ Jp*r<^
J
.

Traduction. — Avant que je commence à chanter, je demande


lumière (aide), — je demande lumière — à TEsprit-Saint et au
Père Eternel...

Le Dorien n'est pas plus fréquent que l'Hypolydien. Nous


ne l'avons rencontré qu'en Haute-Gornouaille et en Trégor.
L'exemple que nous donnons ici vient de cette dernière
région :
M.M.J* 1£0

JJ J

I* J J J'i J i

- Traduction.
je vous dirai—sans
Approchez,
y rien changer
jeunesses,
en sur-le-champ,
quel état vousjevivez...
vous prie,
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 719
Le Lydien est extrêmement rare, — si rare, même, qu'avant
nos recherches, on n'en possédait aucun échantillon. Nous
avons eu le bonheur de rencontrer deux mélodies basées sur
ce mode. La première nous a été chantée par une vieille
chercheuse de lichen du Port-Blanc, « conteuse » attitrée de
M. Anatole Le Braz :
M. M. J.« 110

U'^N J i J
ion ,_

Ko*t~
Traduction. — Débouchez vos oreilles, et vous entendrez une
sône, — et vous entendrez une sône — qui a été levée, — treï
tra la la, etc. — qui a été levée, ce n'est pas sans raison...

Le second exemple est vannetais, et nous le devons au#


barde Loeiz Herrieu :
M. M. J s 132

vH>

j Iji J'i
t »■*■ î**- - -v^ : « 1*4, - C-buw p-Ux. OO*- -et v*ux-1Lm4.

j,
(3<^! ui&tA*ÀC Xna JijM. oui et hux, Xto^M^b .
720 LES 15 MODES
Traduction. — Une jeune bergère, gai! en gardant ses moutons,
gai ! — en gardant ses moutons : — « Vous avez bien déjeuné,
fillette, puisque si gaîment vous chantez? »

Le Majeur-médiante nous semble propre au Trégor. Du


moins ne l'avons-nous rencontré que dans cette région, et
seulement dans des airs à danser :
M.M.J-152

tu». La Uv- '


Traduction. — Chez Louis Padel se trouve — le plus beau petit
coq qui soit dans ce pays-ci...

Nous n'avons recueilli que deux mélodies en Syntono-


lydien, et encore — comme celle que Bourgault-Ducoudray
avait recueillie avant nous M — toutes deux sont-elles
hybrides. On reconnaîtra le Syntono-lydien dans les cinq
premières mesures de cette chanson trégorroise, qui se ter-*
mine en Hypodorien (transposé à la quinte inférieure) :
M.M.J. *100

^ J«-

i> i j è r; i J

la. fa», u» *c <£*»&<.,

(1) V. Trente méi. pop. recueiHies en Basse-Bretagne, p. 12-


FTOg^çf9pgw*^

DE LA MUSIQUE BRETONNE. 721


Traduction. — Si je vais à l'armée, comme je dis y aller, —
où mettrai-je ma femme à garder? — Envoyez-la chez moi, mon
cher frère, — je la mettrai dans la chambre, avec mes demoiselles...

Le Mineur-dominante est familier à la bombarde et au


biniou. Mais, dans les chansons, nous n'en avons trouvé
qu'un exemple.. C'est le couplet d'une de ces sônes de Haute-
Cornouaille, dont le refrain, surchargé de notes et de syl
labes, et d'un rythme endiablé, est destiné à faire valoir la
virtuosité vocale de l'interprète. Voici la chanson, amputée
de son refrain, qui est, du reste, dans un autre mode :
M. M 104-

>CAa-w-e*^ —

Traduction. — Salut à vous, ma maîtresse gentille, avec honneur


et respect,— je suis venu vous saluer avec un cœur parfait— comme
lit autrefois le prophète Daniel, — jusqu'à la porte du Paradis,
parlant à un ange...

Le Locrien, nous l'avons dit plus haut, disparut assez tôt


de la musique grecque, où, selon Gevaert, il dut se confondre
avec le Dorien. Ce mode ne semble pas jouir d'une popularité
722 LES 15 MODES
plus grande en Bretagne, et c'est dommage; car on verra par
l'admirable chanl ci-après — un appel des pâtres de Cor-
nôuailles — combien il peut prêter de grandeur, de noblesse
:*
et de poésie à une ligne mélodique

M.M.-U72,
-If
/k-*=
m**— j _pfc— . <t—_ i î.—. .j S
~*^ tf —J1 — i —N:— Nr~st —Jt — k~~~h —
_pkr ~~~3
-— ^1 — \ «

.
-4,
(9 ù L V -t*. j Xo -te

£3P
■Xû AAs >\4/ O

On connaît le Mixolydien par quelques hymnes ecclésias


tiques — d'ailleurs douteux — et par une chanson suédoise
d'une modalité infiniment plus nette W. Moins privilégiée
sous ce rapport que la Suède, la Bretagne ne nous a offert
qu'un exemple discutable de ce mode. Dans cet exemple, en
effet, l'absence du Fa — que nous pouvons* ad libitum ima
giner dièse ou naturel —• est un obstacle à une identification
précise. Si ce Fa sous-entendu est naturel, nous sommes bien
en Mixolydien. S'il est dièse, nous n'avons sous les yeux
qu'un spécimen de Majeur-médiante transposé à la quarte
inférieure.
Il est donc à souhaiter que la Bretagne fournisse, à quelque
chercheur, une mélodie plus probante que celle-ci :

(1) Gevaert, op. cit., I, 150.


DE LA MUSIQUE BRETONNE. 723

M.M.J* 110

Traduction. — En revenant d'une aire-neuve, — j'avais fait une


promesse, — une fillette jolie j'avais rencontré, — et elle m'avait
plu à souhait...

Tels sont les exemples les plus caractéristiques que nous


ayons trouvé des quinze modes de la musique bretonne.
Enfin nous avons exposé que, grâce à la réunion, sur une
même échelle, des deux systèmes conjoint et disjoint, les
Grecs pouvaient, dans un même air, faire entendre alterna
tivement un Si bémol et un Si naturel. Quantité d'airs bretons
comportent celte irrégularité apparente. Mais dans aucun,
peut-être, cette altération ne donne à la mélodie une allure
plus particulière que dans ce thème trégorrois :
M. M. J = 100

\ \
-ue+tbturzî' } — — h XtoueXuX-, _

•vue. «t tatt- HCHufcc


Traduction. ■— Chaque jour, chaque nuit, dans mon lit, tout
seul, — au lieu de dormir, je ne fais que pleurer.

Cette brusque entrée du Si bémol détruit, de prime abord,


toute impression de tonalité ; et il faut un gosier familiarisé
avec la musique bretonne pour entonner avec sûreté cette
étrange sône< d'amour...
724 T,ES 15 MODES

Les Bretons n'aiment pas galvauder leurs mélodies devant


des oreilles étrangères, et ils ne' consentent guère à chanter
que pour qui les en sollicite dans leur langue.
Il peut arriver, toutefois, qu'à un pardon, une fête d'épous
ailles ou d'aire-neuve, un touriste entende interpréter sônes
et gwerzes. Demandez-lui ce qui le frappe en elles. Qu'il soit
ou non musicien, il vous répondra en premier lieu que beau
coup des thèmes qu'il vient d'écouter « n'ont pas l'air de
finir ». Et s'il a, de la musique, les connaissances élément
airesqu'on puise dans un traité de solfège, il ne manquera
pas d'ajouter que « les Bretons chantent toujours en mineur ».
La première remarque, sous sa forme naïve, exprime une
évidente vérité. Nous la formulerons différemment en disant
que les airs bretons se terminent assez souvent sur une
dominante ou sur une médiante. Quant à la seconde obser
vation, nous avons vu qu'elle ne correspond en rien à !a
réalité, le Mineur moderne étant précisément l'un des modes
les moins usités des Bretons.
Il n'empêche que l'opinion contraire est profondément
ancrée dans l'esprit du public. Qu'on regarde les œuvres de
ces poètes montmartrois qui, frappés du pittoresque facile
que leur fournit notre pays, se sont avisés de le mettre en
chansons. C'est toujours en une complainte mineure que sont
■f enveloppés les poncifs habituels : les ajoncs d'or, la lande
; % triste, les menhirs, les korrigans et le bon cidre, et le
« cloarec » amoureux, et la « douce » en coiffe de lin... Ainsi
s'est créé, en France, artificiel et factice, un genre musical
« breton », que les Bretons sont précisément les seuls à
ignorer.
Bourgault-Ducoudray a fort bien expliqué comment cette
erreur put naître et se propager. « Pour une oreille, écrit-il,
qui n'est pas familiarisée avec les modes autres que le maieur
et le mineur, il est évident que tout ce qui n'est pas du majeur
est du mineur. » On ne saurait mieux dire.
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 725
Pourtant, si les auditeurs modernes confondent aisément
les modes antiques entre eux, et en reçoivent des impressions
identiques, il n'en était pas de même en Grèce. Les théoriciens
helléniques attachaient une grande importance au choix des
modes, non seulement au point de vue artistique, mais encore
au point de vue moral. Et l'on connaît le passage célèbre
de la République, où Platon proscrit l'Hypolydien, mode
orgiaque et contraire aux bonnes mœurs, pour recommander
au contraire l'étude de l'Hypodorien, du Dorien et du
Phrygien, comme éthiques par excellence W.
11 serait intéressant de savoir si les Bretons — qui ont pu
garder le sens de la mélodie pure, puisqu'ils ont échappé aux
influences de l'harmonie, — sont également sensibles à ces
caractères, et s'ils ressentent VèBog des modes de la même-
façon que les Grecs, par exemple.
Pour le rechercher, un moyen fort simple paraît s'offrir à
nous tout d'abord. Il est évident que si les Grecs considéraient
le Dorien comme propre à inspirer le stoïcisme, les pensées
viriles, les résolutions héroïques, ce n'était pas seulement
parce que la place des demi-tons y est différente de celle
qu'elle occupe dans le Lydien, et que ce mode a pour finale -f*
mélodique une dominante; mais bien plutôt parce qu'on avait <.
coutume, à Athènes comme à Sparte, de composer en Dorien
des mélodies sévères et mâles, adaptées à des poèmes adé- .^
quats. Pour savoir si les Bretons ont le même- tempérament J
modal que les Grecs, il semble donc qu'il suffise d'étudier \
la façon dont ils se sont servi des modes antiques et les £
paroles à l'illustration desquelles ils les ont employas. Si 4
leurs mélodies doriennes sont traitées dans un style large et $
sobre, si elles chantent des sujets élevés, nobles, énergiques, ?
c'est que la conception que se faisaient les Grecs du Dorien
persiste chez les Bretons. Si, au contraire, ils emploient ce "V*■
mode à des chansons libertines ou bachiques, c'est qu'ils lui -\
attribuent un autre caractère que Platon et ses émules, — à .':
moins qu'ils ne lui en attribuent précisément aucun. v H

(1) Platon, R&puU., III. Voir aussi Aristote, Pol, VIII, 7. £

M
y,
£ 726 LES 15 MODES
|. Une telle analyse est très simple. Le malheur est qu'elle
est impossible.
Il est hors de doute, en effet, que les thèmes très anciens
que nous notons aujourd'hui, dans les campagnes bretonnes,
et qui ne se sont conservés que par la tradition vocale, ont
subi des altérations, en passant de bouche en bouche, sinon
toujours dans leur ligne mélodique, du moins dans leur
mouvement et dans leur rythme. Par suite, rien n'est moins
r certain pour nous que leur style primitif. — En outre, les
ï(' chanteurs sous la dictée de qui nous les écrivons, mendiants,
, pêcheurs côtiers, chercheuses d'épaves, vieilles gens pour la
| plupart, ont souvent la mémoire capricieuse. Si l'air d'une
jk chanson leur fait momentanément faute, ils n'hésitent nulle-
I ment à le remplacer par l'air d'une autre cantilène, aux vers
|v de mètre identique, mais d'inspiration parfois totalement
'y opposée. Et voici une nouvelle source d'erreurs ! — Enfin,
le temps est loin où les « bardes » populaires composaient
l' eux-mêmes la musique de leurs poèmes. Dans un grand
'
[.; / nombre de chansons qu'on peut entendre à cette heure, en
Bretagne, les paroles sont beaucoup moins vénérables que
^ la musique. Ces paroles, en effet, furent presque toujours
b composées sur des airs existant antérieurement (*>, et dont
l'
les poèmes primitifs sont peu à peu tombés dans l'oubli. De
iû telle sorte que maintes mélodies bretonnes sont comparables
% . à ces parchemins d'autrefois, dont on grattait le premier
texte pour y substituer des écritures nouvelles. Mais nulle
réaction chimique ne peut nous rendre la version perdue de
ces palimpsestes oraux.
Gomment, dès lors, étudier le sentiment que dégagent ces
i

ib,' *(
i(
|.
g.^"£.' auteurs
on
feuille,
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ton
qu'on
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qui
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d'acquérir.
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en
fait.
de : ton
tête
déterminé
chercher,
volantes,
celui
war
Certains
diver-
deeun
qui
la
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 727
thèmes, s'ils se sont modifiés au cours des âges ? Et comment
vérifier la concordance d'une mélodie et d'un poème, quand
le poème que nous avons sous les yeux n'est pas celui pour
qui la mélodie lut faite ?
Une seule ressource nous reste donc : classer les airs que
nous possédons d'après la région où nous les avons recueillis,
— Trégor, Léon, Gornouailles, Vannetais, — en supposant
que c'est là leur région d'origine; voir quels modes sont em
ployés dans chaque « pays », et dans quelle proportion ils s'y
trouvent; eti chercher ensuite, en nous référant aux classif
ications d'Aristote et de Platon, si le caractère de ces modes
coïncide avec le caractère particulier des habitants de ces
diverses contrées.
C'est ce que nous avons fait, sans nous illusionner, d'ail
leurs, sur la portée de ce travail. Nous avons d'abord éliminé,
pour les raisons déjà dites, tous les airs de musique instru
mentale, ainsi que toutes les variantes d'un même air, ce qui,
de 1.000 environ, a fait tomber notre total de mélodies à 543.
Relevant ensuite le nom de toutes les localités où nous avons
recueilli ces mélodies, nous les avons classées en quatre
catégories, selon les divisions traditionnelles de la Basse-
Bretagne. Enfin, nous avons compté tous les spécimens d'un
même ^mode, et nous en avons établi le pourcentage par
rapport à l'ensemble des thèmes de chaque région, et au total
général. On verra, sur le tableau B, ci-contre, le résultat de
ces calculs.
Nous en tenant aux seuls modes dont les Grecs nous aient
signalé Yéthos, — c'est-à-dire négligeant le Locrien et le
Syntono-lydien, ainsi que les groupes majeur et mineur, —
nous constatons l'importance de l'Hypodorien- dans chaque
contrée, et, par suite, la prédominance des sentiments de
franchise, d'élévation et de gravité. Le pourcentage nous
révèle ensuite que ces sentiments, extrêmement puissants
chez les Vannetais, — par ailleurs très passionnés, très
enthousiastes, mais de tempérament plus gracieux que viril,
- le sont peut-être davantage encore chez les Gornouaillais,
— aussi rêveurs et plus mâles, mais moins doux, moins
Tableau B. — Répartition modale de 543 Chanso
Chansons Chansons Chansons Léonnais
MODES Trégorroises Cornouaillaises
NOMBRE PROPORTION NOMBRE PROPORTION NOMRRE PROPORTION
, Hypodorien 81 30,45 p. 400 54 34,00 p. 400 5 47,24 p. 4
Toniqu
Dorien 2 0,74 » 4 0,66 »
Hypophrygien 7 2,60 » 3 2,00 » 2 6,89 »
Phrvffien . 10 3,74 » 4 2,66 »
§.
M Mixolydien 1 0,37 »
Fa Hypolydien 5 4,85 »
Tonique:
Lydien 4 0,37 »
Syntono-lydien 4 0,37 » 4 0,66 »
y Hypolocrien 9 3,34 » 47 44,33 » 1 3,44 »
niqu
Lotrien 4 0,66 »
Ut Majeur-tonique 433 49,44 » 63 42,00 » 20 68,96 »
Tonique: 4,08 » '
Majeur-dominante 44 5 3,33 » 4 3,44 »
Majeur-médiante 2 0,74 » •
es Mineur-tonique 6 2,23 » 3 2,00 »
1 Mineur-dominante .... 4 0,66 »
Totaux. 269 [environs de Penvé- 450 [recueillies surtout 29 [presque toutes
nan, Guingamp, Pontrieux, en Haute-Cornouaille] . Bas-Léon].
Ploëzal, Pluzunet].
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 729
distingués, moins exaltés et moins mobiles, — tandis qu'ils
•faiblissent un peu chez le Trégorrois, — passionné, rêveur,
un peu voluptueux, assez doux et parfois efféminé, — et dimi
nuent de moitié chez le Léonard, — qui n'a ni enthousiasme,
ni finesse, ni sensibilité, ni tendance à la rêverie. Enfin
l'extrême variété des modes, chez les Trégorrois, dénote
l'éclectisme de ce peuple, et justifie assez bien l'appellation
d'Attique bretonne que Quellien décernait à sa région. Par-
contre, le petit nombre de modes employés en Léon semble
indiquer le médiocre sens artistique des Léonards, et con
firmer la réputation de béotisme qu'on leur a faite.

Les résultats de cette statistique sont, à première vue, assez


impressionnants, parce qu'ils correspondent, à quelques
détails près, à ce que nous savions déjà des Trégorrois, des
Léonards, des Cornouaillais et des Vannetais. Mais ne nous
hâtons pas de conclure. Diverses causes ont pu fausser nos
calculs.
D'abord, les théoriciens ne sont pas d'accord sur Yéthos
de tous les modes. L'Hypophrygien, par exemple, si l'on s'en
rapporte à Héraclide, n'est ni tendre, ni gracieux, ni gai,
tandis qu'Apulée le qualifie simplement de « changeant »,
et que, pour Lucien, il exprime l'élégance et la politesse. Il
se peut qu'ayant ainsi à choisir entre des termes différents
et presque contradictoires, nous nous soyons parfois, à notre
insu, arrêté à celui dont nous avions le sens dans l'esprit,
et qui concordait avec nos opinions propres. Puis, nos calculs
n'ont pas porté sur un nombre de thèmes assez grand pour
assumer une rigueur absolue, et il est fort possible que si
nous avions eu 5.000 mélodies à analyser, au lieu d'un millier,
les proportions se fussent trouvées modifiées. Enfin on a pu
remarquer que plus une région nous offrait de thèmes, plus
nous y avons découvert de modes différents :

■ .1
'30 LES 15 MODES
Trégor : 269 thèmes, fournissant 13 modes.
Gornouailles : 150 — — 11 —
Vannetais : 95 — — 9 —
Léon : 29 — — 5 —

ce qui expliquerait la richesse modale du Trégor et la pau


vreté du Léon, autrement que par l'électisme du premier
et l'insuffisance artistique du second.
t II est aisé, il est vrai, d'opposer à cet argument que si nous
.

L ' avons recueilli beaucoup de chansons en Trégor et très peu


u en Léon, cela tient sans doute à. ce que l'on ne chante guère
l en ce dernier pays, tandis que celui-là est la terre bénie du
I folk-lore. Et l'on peut dire encore que si le Trégor nous a
montré plus de modes que le Léon, cette augmentation n'est
cependant pas proportionnelle au nombre des mélodies ana
lysées. — Et tout ceci prouve seulement qu'on trouve toujours
une objection à opposer à une autre, et que seule la certitude
est impossible en pareille matière.,.
Méfions-nous donc d'une affirmation prématurée. N'accep
tons la statistique qui précède, et surtout les conclusions qui
semblent en découler, qu'à titre d'indication provisoire et
révocable. Et avouons simplement qu'en l'état de la question,
l'imprudence serait pareille, de prétendre que tout sentiment
modal a disparu en Bretagne, ou de proclamer, au contraire,
qu'il y est demeuré tel qu'en la Grèce d'autrefois.

Si la musique bretonne fait un insignifiant usage du


Mineur chromatique moderne, elle ne dédaigne nullement
les Mineurs diatoniques de l'antiquité. On se souvient que
nous avons classé comme tels le Dorien et l'Hypodorien —
fy auxquels il convient d'ajouter le Locrien et l'Hypolocrien —
dont la tierce de la tonique réelle est mineure. Majeurs sont,
au contraire, les autres modes diatoniques.
\,- II n'est pas sans intérêt d'examiner dans quelle proportion
DE LA MUSIQTJE BRETONNE. '31
ces deux groupes de modes coexistent en Bretagne, et c'est
ce que nous avons recherché dans le tableau ci-dessous :

Mélodies Mélodies Mélodies Mélodies Total général


Léonnaises Trégorroises Cornouailses Vannetaises
MODES
Noakre Proportion ««libre Proportion Sombre Proportion !l»nbre Proportion Sombra Proportion

Majeurs . . 23 79,31 171 63,56 76 50,66 47 49,47 317 58,37

Mineurs . . 20,68 36,43 74 49,33 48 50,52 226 41,62

Totaux. . . 29 269 150 95 543

Les modes majeurs, qui s'avèrent ainsi les plus nombreux


dans la Bretagne entière, dominent impérieusement en Léon,
où ils revendiquent plus des trois quarts des mélodies. Ils
l'emportent aussi en Trégor, mais à deux contre un, à peine.
Enfin, les deux groupes semblent jouir d'une faveur égale
en Gornouailles, où les Majeurs triomphent sans éclat, et en
Vannetais, où les Mineurs prennent une faible revanche.
Selon le sentiment moderne des modes, la musique des
Léonards ej des Trégorrois révélerait donc une race extr
êmement joyeuse ; celle des Gornouaillais impliquerait une
tendance à la gaîté, et celle des Vannetais un penchant à la
tristesse. Or, un simple voyage circulaire en Bretagne suffit
à contredire ces observations.
Mais il faut se rappeler que les peuples n'ont pas toujours
eu, du caractère des modes majeurs et mineurs, la concept
ion à laquelle nous habitua la musique moderne. Chez les
Grecs, les modes mineurs, loin d'induire l'auditeur en tris
tesse, étaient regardés comme grandioses, virils, joyeux
même. Tandis que c'est à l'aide des modes majeurs que
s'exprimaient les lamentations et les plaintes.
Il n'est pas impossible qu'il en soit de même chez les Bre-
5
732 LES 15 MODES
tons. Dans ce cas, la prédominence énorme des mélodies
majeures, chez les Léonards, dénoterait des gens sombres,
et, suivant la gradation des pourcentages ci-dessus, les
't, Trégorrois nous apparaîtraient comme assez tristes, les Gor-
nouaillais comme possédant une tendance légère à la mélan-
colie d) et les Vannetais comme amis d'une gaîté discrète.
Ainsi, les déductions modales concorderaient assez bien
avec les données de l'observation directe.
Du reste, alors que, dans les chaumières bretonnes, nous
notions les airs qui nous ont fourni les éléments de la pré-
sente étude, nous avons souvent fait cette remarque : les
chanteurs qui interprétaient de préférence les gwerzes les
plus sombres, ou qui aimaient à conter des histoires aux
péripéties funèbres, semblaient avoir également une prédi-
lection pour les mélodies majeures.
Soucieux, de compléter cette observation, nous avons, plus
d'une fois, essayé de savoir de ces chanteurs eux-mêmes,
quelle impression, gaie ou triste, ils ressentaient de tel ou
tel air. Mais jamais notre curiosité n'obtint satisfaction. A
nos questions concernant l'air, on nous répondait au sujet
des paroles. Et il nous parut que nos interlocuteurs ne con-
cevaient pas qu'une mélodie pût avoir un caractère émotif,
abstraction faite des paroles qui l'accompagnent.
Ceci ne prouve nullement qu'ils ne sentaient pas, obscu-
rément et à leur insu, quelle différence de caractère existe
entre les modes majeurs et mineurs. Un paysan breton
ignore les lois phonétiques qui, dans sa conversation, le font
tout à coup remplacer, le k initial d'un mot pour un c'h ou
un g; ou le p par un b ou un /.Si nul ne lui apprit à lire
sa langue, il ne sait môme pas l'existence de ces « mutat
ions ». Il ne les pratique pas moins, instinctivement, selon
toutes les règles de la grammaire bretonne.
Sans doute le môme phénomène se produit-il en musique.
Le Breton ignore le caractère spécial des modes majeurs et

(1) II s'agit surtout ici des habitants de l'Argoat, les thèmes que nous
avons recueillis en Basse-Cornouaille étant en très petit nombre,
DE LA MUSIQUE BRETONNE. '33
des modes mineurs. Il le subit pourtant, inconsciemment.
Et s'il compose des chansons, il s'y conforme, sans y prendre
garde, dans le choix de ses sujets et de ses thèmes.
Pour nous résumer, nous croyons que les Bretons res
sentent, des modes majeurs ou mineurs, des impressions
plus conformes à celles des Grecs qu'à celles des musiciens
occidentaux d'aujourd'hui. Mais ce sentiment s'altère et dis
paraîtra, par l'influence de la musique moderne, qui ne
pénètre en Bretagne que sous de pauvres habits. Les refrains
imbéciles ou graveleux des music-halls n'ont qu'une influence
restreinte, leur action ne s'exerçant guère au delà des* ports
où les matelots les débarquent. Plus pernicieuses sont les
« bretonneries » montmartroises dont nous avons déjà parlé,
et dont les patronages et les cercles chrétiens se font souvent
les déplorables propagateurs. Etrangères au génie breton,
elles en faussent les traditions et corrompent ou remplacent
les productions autochtones.
Ainsi, dans le domaine économique, à l'œuvre conscien
cieuse de l'artisan local se substitue l'article de bazar...

VI

Les origines du système modal des Bretons ont été l'objet


d'hypothèses diverses.
Lorsque, pour la première fois, on découvrit, dans les
chants populaires de certaines provinces, des mélodies qui
n'étaient, au sens moderne de ces deux mois, ni majeures,
ni mineures, — elles étaient généralement hypodoriennes, —
on crut en expliquer l'existence par l'influence naturelle du
plain-chant sur des hommes qui, effectivement, n'entendaient
point d'autre musique.
Bourgault-Ducoudray n'a pas eu de peine à démontrer, en
ce qui concerne la Bretagne, l'invraisemblance d'une telle
supposition W. 11 suffit, pour la ruiner, d'en appeler à l'or
iginalité rythmique de la musique bretonne. Et s'il était

(1) BounGAur/r-DucouDRAY, Trente mél. pop., préface, p. 15.


LÉS 15 MODES
besoin d'un autre argument, nous invoquerions la présence,
en notre pays, de modes que — tel le Syntono-lydien — la
musique ecclésiastique ne posséda jamais.
Il n'y a pas à s'arrêter davantage à l'hypothèse d'après
laquelle les Bretons auraient emprunté leurs modes aux
Grecs. Si un peuple peut emprunter à un autre une coutume,
une conception, une gamme, il parait difficile, en effet, qu'il
lui emprunte un système musical fort complexe, surtout
lorsqu'entre ces deux peuples les occasions de contact sont
rares. De plus, les principaux modes pseudo-grecs se ren
contrent non seulement en Bretagne et chez les Celtes insu
laires, mais encore en Flandre, en Scandinavie, en Serbie,
en Russie, etc. De quel rayonnement eût-il fallu que fût douée
la musique grecque, pour conquérir tant de pays, et qui
semblent s'être médiocrement souciés des autres arts
helléniques !
La découverte de garnîmes hypodoriennes, hypolocriennes,
hypophrygiennës et phrygiennes en tant de lieux divers
avaient précisément conduit Bourgault-Ducoudray à une
troisième hypothèse. Considérant comme « démontré » que
« des caractères identiques se retrouvent dans la musique
primitive de tous les peuples qui composent le groupe indo
européen, c'est-à-dire de race aryenne », l'éminent musicien
nantais demandait : « N'est-on pas amené à conclure qu'un
fonds de connaissances musicales existait déjà dans le ber
ceau commun à toutes les branches de cette race, et qu'il
leur a été transmis avant leur dispersion ? » D'où, plus loin,
l'hypothèse d'une « musique aryenne », nettement posée W.
Déduction séduisante, et d'apparence fort logique, mais
qui n'en réalise pas moins ce qu'on appelle, en philosophie,
le sophisme du « dénombrement imparfait ». Car non seu
lement il n'est pas « démontré » que tous les peuples issus
de cette race primitive — qu'on n'appelle d'ailleurs plus la
« race aryenne » — possèdent, ou ont possédé, le même sys
tème musical ; mais il semble bien que les Indous, par

(1) B.-D., op. cit., préface, p. 15.


DE LA MUSIQUE BRETONNE. 735
exemple, — qui sont cependant des Indo-Européens, — ont
une musique beaucoup moins proche de celle des Celtes, ou
des Grecs, que la musique des Basques — qui ont sans doute
une origine raciale différente.
Bourgault-Ducoudray, avec sa profonde et vive intelligence,
dut saisir lé péril d'une affirmation trop hâtive, car il ajouta,
en note : « Cette hypothèse fera peut-être place à une autre
hypothèse, d'une base plus large, le jour où les mélodies
populaires des autres parties du monde seront mieux
connues. »
L'hypothèse d'une « musique aryenne » doit être, en effet,
considérablement élargie. Car si les débris du système dia
tonique que nous avons étudié ne se retrouvent aujourd'hui
que chez quelques peuples de langue indo, ou mieux, asiatico-
européenne — et non pas même chez tous ces peuples —
nous allons voir que le substratum de ce système dut être
le Ijien commun de toute l'humanité primitive.

La plus ancienne gamme que l'on connaisse est la gamme


pentaphone — c'est-à-dire composée de cinq notes — dont
les intervalles sont respectivement d'un ton, d'un autre ton,
d'un toir et demi (tierce mineure) et d'un ton :

FA SOL LA DO RÉ

l l \V% 1
Cette échelle, qui fut employée jadis en Grèce, et qui est
encore usitée chez les Gaëls d'Ecosse et d'Irlande, ne fut
certainement le privilège d'aucune race; car on l'a retrouvée
dans les cinq parties du monde, chez les peuples les plus
divers d'origine : Scandinaves, Slaves, Egyptiens, Pellatas,
Kalmouks, Indous, Malais, Siamois, Chinois, Japonais, Java
nais, Papous, Indiens d'Amérique, etc. d).

(1) Cf. références dans Gevaert, op. cit., I, 4.


736 LES 15 MODES
Jusqu'ici, à part Kretzschmer, auteur d'hypothèses inac
ceptables W, les théoriciens se sont contentés de signaler
l'existence de cette gamme, sans essayer de ia rattacher à
aucun autre système musical, comme s'il s'agissait là d'une
création isolée, indépendante, que certains peuples conser
vèrent, et qui disparut chez les autres, sans laisser de pos
térité artistique. Nous pensons au contraire que, puisque
cette gamme semble avoir été d'un emploi général, il doit
être possible d'en faire dériver les systèmes musicaux qui
lifi succédèrent, l'humanité abandonnant rarement les maté
riaux qu'elle possède, et mettant, au contraire, tous ses
efforts à les perfectionner à mesure qu'elle évolue.
Pour ce qui est de la musique bretonne, nous avons vu
que ses modes diatoniques ont pour toniques réelles respect
ives,sur l'échelle-type :

DO FA SOL LA

Or, il suffît de modifier l'ordre de ces cinq notes pour


obtenir la gamme pentaphone :

FA SOL LA DO RÉ

L'identité est donc complète, entre les notes toniques des


gammes bretonnes et les degrés de l'échelle primitive.
Il est permis de voir en cette identité autre chose qu'une
coïncidence, et de considérer la gamme pentaphone comme
génératrice du système modal des Bretons.
Renversons, en effet, Tordre des degrés de cette gamme,
en prenant successivement comme point de départ chacune
des cinq notes qui la composent :

Forme initiale : FA SOL LA DO RÊ


1er RENVERSEMENT : SOL LA DO RÊ FA
2e RENVERSEMENT : LA DO RÉ FA SOL
3e RENVERSEMENT : DO RÉ FA SOL LA
4e RENVERSEMENT : RÉ FA SOL LA DO

(l)ldeen zu einer théorie, etc. (d'après Gevaert, op. cit.).


DE LA MUSIQUE BRETONNE. 737
Nous obtenons ainsi les formes embryonnaires des cinq ;
modes hypolydien, hypophrygien, hypodorien, majeur- x
tonique et hypolocrien M. Il suffit de compléter chacune de • ^



ces gammes au moyen de deux degrés supplémentaires Si et *
Mi (2) pour avoir la forme définitive et classique de ces
modes :

Hypolydien : FA SOL LA (SI) DO RÉ (MI) FA


Hypophhygien : SOL LA (SI) DO RÈ (MI) FA SOL
Hypodorien : LA (SI) DO RÉ (MI) FA SOL LA
Majeur-tonique : DO RÉ (MI) FA SOL LA (SI) DO
Hypolocrien : RÉ (MI) FA SOL LA (SI) DO RÉ
■*!
II ne reste plus qu'à renverser chacun de ces modes, en '.
prenant la dominante de chacun d'eux comme point de départ _•
d'une nouvelle gamme — et la médiante de quelques-uns — ;i
pour obtenir le système modal complet des Bretons. Et nous
voyons ainsi que ce système dérive tout entier de la gamme * ^
pentaphone, le premier degré de cette gamme donnant nais
sance aux modes du groupe lydien, le second à ceux du
groupe phrygien, le troisième à ceux du groupe dorien, le
quatrième à ceux du groupe majeur et le cinquième à ceux
du groupe locrien.

* **

Le lien dont nous venons d'établir l'existence, entre les


gammes bretonnes et l'échelle pentaphone, unit également
cette dernière aux gammes grecques. Mais il est, ici, plus
difficile à saisir, et c'est pourquoi, sans doute, nul ne
l'aperçut jusqu'à présent. Tandis que la Bretagne, en effet,
offre à des chercheurs qui la dédaignent une musique où
nous retrouvons très probablement les modes, diatoniques de

(1) Ces formes défectives se rencontrent dans nombre de mélodies


gaéliques.
(2) Qui peut-être, comme en Chine, ne furent employés d'abord que
comme notes de passage.

^
H
$

73» LES 15 MODES


l'antiquité dans toute leur pureté première, les manuels
grecs, même ceux de la période classique, ne nous présentent
qu'une nomenclature d'apparence défective, où quatre degrés
seulement, dans l'échelle-type, semblent jouer le rôle de
tonique :

Fa, tonique du groupe lydien (3 modes).


|} Sol, tonique du groupe phrygien (3 modes).
La, tonique du groupe dorien (2 modes).
Ré, tonique du mode locrien (reste probable d'un groupe
de 2 modes).

Pour obtenir la gamme pentaphone, il nous manque donc


un mode ayant pour tonique Ut, autrement dit le mode
majeur.
Or, nous avons vu que ce mode, omis par les théoriciens,
fut pourtant fatalement employé chez les Grecs, grâce au
« système immuable » qui permettait, dans la gamme hypo-
lydienne, de faire entendre à volonté le Si naturel ou bémol :

Mode majeur.

RE Ml FA

Mode hypolydien.

Seulement, chez les Grecs, le Majeur, qui n'apparaissait


sans doute que par intermittences, qui ne vivait sans doute
que « l'espace d'une modulation », s'exécutait sur l'octave de
l'Hypolydien et se confondait avec lui. Il n'était considéré —
du moins à l'époque classique — que comme un Hypolydien
altéré.
II n'en est pas moins vrai que la place idéale et logique
de sa finale mélodique, sur l'échelle-type, est non au Fa,
mais à VUt.
i v
f
DE LA MUSIQUE BRETONNE. 739

Tableau G

Génération du système modal des Bretons


par l'échelle pentaphone

s Hypolydien.
FA §h § g 3 formes modales. Lydien.
Syntono-lydien.

Hypophrygien.

SOL §h § >S 3 formes modales. Phrygien.


"g 6b ë
E"1 Mixolydien.

Hypodorien.
Oh ( LÀ p « 2 formes modales.
Dorien.

/ s Majeur-tonique.

no 5h o S 3 formes modales. Majeur-dominante.


e5 S Maj eur-médiante .

Hypolocrien.
RÉ o< § « 2 formes modales.
'3 6Ô O Locrien.

N.-B. — On a exclu de ce tableau le groupe mineur moderne, importé


en Bretagne par la musique savante.
740 LES 15 MODES DE LA MUSIQUE BRETONNE.
Grâce à ce degré, absent en apparence, et que le raiso
nnement le plus simple nous fait retrouver, nous découvrons
l'échelle pentaphone dans la série des toniques grecques
* comme dans la série des toniques bretonnes. Et la conclusion
,

**• s'impose d'elle-même : les modes bretons ne dérivent pas des


modes^ grecs, ni les modes grecs des modes bretons, ce qui
est! également impossible. Mais les uns et les autres prirent
leur source dans la môme gamme, primitive et lointaine,
mère vénérable de la musique universelle.

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