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Grands enjeux politiques internationaux

GRANDS ENJEUX POLITIQUES


I N T E R N AT I O N AU X

Chapitre 1 : Interrogation

Secti on 1 : quel sens donner à l’ordre mondial ?


Définition ordre : un ordre est un ensemble plus ou moins cohérent stable, de principes, de règles et
de pratiques qui sont intériorisés par les acteurs qui dans un ordre international peuvent être des
individus mais aussi des Etats ou des organisations.

Ces ordres sont structures autour de trois éléments :

 Ensemble de valeurs communes : aujourd’hui, celles de la démocratie libérale mais aussi


celle du marché.
 Existence d’une configuration particulière : une configuration de puissance
 Existence d’institutions : pour organiser les échanges, arbitrer les relations entre les acteurs
et les conflits

Il y a plusieurs ordres possibles dans l’histoire :

- Ordre marqué par le caractère unilatéral d’une domination


- La relation bilatérale (ordre westphalien)
- Ordre multilatéral fondé sur des relations multiples

Si le monde d’aujourd’hui et d’après la guerre froide apparait privé de sens, c’est parce que le monde
d’avant 1990-91 avait un certain sens dans la mesure où surtout pendant la guerre froide, il y avait
une sorte de coexistence des trois configurations. On avait une synthèse des trois ordres : l’ordre de
la guerre froide était un ordre bipolaire, fondé sur l’équilibre entre les deux grandes puissances avec
une relation bilatérale au sommet. Au-dessous, on avait des relations bilatérales au sein des deux
espaces Est et Ouest. Enfin, il y avait un 3 ème élément : il existait des zones de multilatéralismes, où
s’élaboraient des formes fédératives. Il y avait une synthèse que l’on pouvait penser comme
harmonieuse, et qui pour certains limitait les guerres mondiales.

Ce sens général serait perdu depuis 1989-91. L’ordre international semblerait travaillé par des forces
contraires qui donneraient de la perturbation (La Grande perturbation) : d’un côté une logique
d’attraction mondiale, et de l’autre celle de la « brutalisation du monde » (La Roche). Son ouvrage
fait le lien entre le retrait des Etats et les progrès de la décivilisation et de la brutalisation du monde.
Cela signifie rendre les hommes plus brutaux. Dans ce monde privé de sens qui apparait à la fin de la
guerre froide, on a voulu néanmoins proposer des scénarios possibles pour redonner du sens au
monde, une cohésion, et reformuler une possibilité d’ordre mondial. Ce sont des scénarios inaboutis,
qui n’ont pas accouché d’un ordre stable ou légitime. Dans les trois possibilités d’ordre, ils ne sont
pas intériorisés par les acteurs et donc non légitimes pour tout le monde sur la planète. Ces trois
scénarios ont été formulés dès le lendemain de la guerre froide, au début des années 90.
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I. L’avènement problématique de la paix démocratique à l’échelle du monde

A. La thèse de Fukuyama
C’est rendre compte d’une thèse célèbre formulée dès 1989, à la veille de la chute du mur de Berlin,
et étoffée au début des années 90 : la thèse de la fin de l’Histoire que représenterait la disparation
des conflits idéologiques. Elle est formulée par Fukuyama. Il avait formulé la question : « the end of
history ? » dès 89 dans une revue américaine National interest, et en a fait un livre en 92 en
supprimant le point d’interrogation. Il ajoute un sous-titre : « La fin de l’Histoire et le dernier
homme ». C’est une interprétation de l’histoire contemporaine : depuis la révolution américaine et
française, le monde est sur la voie du triomphe du libéralisme politique et économique. Cette voie
libérale a été contrariée au XXème par le défi totalitaire. Mais ceux-ci ont été vaincus par deux fois, et
donc le point final sera l’universalisation de la démocratie libérale occidentale. Il serait le seul
modèle crédible car il satisfait les trois grandes demandes de l’homme c'est à dire les besoins
matériels, la liberté et la dignité. C’est une victoire dans le domaine des idées mais pas partout dans
la vie réelle. La démocratie libérale est victorieuse dans le domaine des idées, mais dans la vie réelle,
cela prendra du temps.

Ceux qui partagent ce scénario disent que le monde sera divisé en deux entre d’un côté une zone
« post-historique » où régneront la paix et la démocratie (économie, gestion, technique, bien-être,
consensualiste) et de l’autre une zone « historique » c'est à dire l’espace où règne encore le conflit
ou les conflits, où les nationalismes sont encore actifs, les intégrismes religieux marquants. Le monde
post historique est le monde du « dernier homme » (Nietzsche) marqué par des valeurs utilitaristes et
matérialistes avec des espérances hédoniques. Le monde historique sera traversé par des
extrémismes, par l’idéologie, la pauvreté. C’est le monde des « premiers hommes » (Hobbes, Le
Léviathan).

L’évolution était une évolution optimiste c'est à dire qu’à terme, le monde post-historique absorbera
l’autre pour aboutir à « l’Etat homogène universel » c'est à dire le passage définitif au monde post-
historique. Avant cette absorption, il y aura des interactions entre ces deux mondes. Ces interactions
seront conflictuelles. Les trois interactions conflictuelles que ciblaient Fukuyama en 92 sont
prédictives :

 La question de l’utilisation des réserves énergétiques : notamment la question du pétrole.


Pourquoi une interaction conflictuelle dans ce domaine ? Les principaux utilisateurs sont dans
le monde post-historique, et les réserves les plus importantes sont dans le monde historique.
 La question de l’immigration à l’échelle mondiale : ils seront de plus en plus importants du
monde historique vers le monde post-historique.
 La menace de guerre : que font portés certains Etats se trouvant à la limite entre les deux
mondes (Iran, Corée du Nord). La Corée du Nord inquiète les pays du monde post-historique :
Japon et Corée du Sud (pays du monde post-historique en Asie).

Le scénario de la paix démocratique du fait de l’existence d’interactions conflictuelles nécessite une


coopération des démocraties post-historiques afin de gérer ces interactions et se protéger. On peut
voir ici le rôle de l’OTAN depuis la fin de la guerre froide (cette organisation aurait dû disparaitre car
née du fait de la guerre froide).

Le scénario de la paix démocratique est nouveau dans la mesure où il est adapté au monde de l’après
guerre froide mais s’inscrit dans la longue durée de la tradition libérale. On peut retrouver l’idéal de
la paix démocratique dès le XIXème. Il y aussi la théorie de la paix démocratique en RI : la paix serait
générée par la démocratisation du monde.
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Le scénario se veut optimiste et a été critiqué pour cela, mais aussi dans la mesure où il ne prédit pas
la paix immédiate. Il évoque une transition longue. Les vertus de la démocratisation du monde, de
l’exportation de la démocratie et ce qui l’accompagne c'est à dire l’économie de marché, la
démocratie de marché.

B. La thèse d’Amy Shua


La thèse optimiste de la « mondialisation heureuse » par le biais de la démocratisation a été
contestée par un autre scénario d’un autre auteur américain : Amy Shua, Le monde en feu, violences
sociales. C’est l’anti-Fukuyama. Elle rend compte de phénomènes troublants. Comment l’exportation
de l’économie de marché génère la haine ethnique et l’instabilité globale ?

Cet effet pervers de l’exportation de la démocratie de marché aura lieu dans certaines régions du
monde. Elle serait le catalyseur de la haine ethnique, qui aurait pour conséquence la persécution
d’un certain nombre de minorités. La mondialisation économique capitaliste apporte de la richesse
mais elle concentre surtout la richesse dans certaines régions du monde entre les mains de certaines
minorités qui étaient économiquement dominants. En effet, du fait de l’histoire, des héritages de la
colonisation, dans certaines régions du monde (Asie, Afrique, voire Amérique Latine), la richesse est
souvent dominée par des minorités qui sont parfois ethniques. Ex : en Asie du Sud-Est, en Indonésie,
au Vietnam, une partie de l’économie était tenue par la diaspora chinoise. Ex 2 : en Afrique orientale,
une grande part du commerce était tenu par indiens. Ex 3 : en Afrique occidentale, une grande partie
de l’économie était tenu par les Libanais. Au Nigéria et au Cameron, ce sont les Ibos qui ont souvent
disposé des rouages de l’économie.

Problème : il va, selon Shua, avoir une contradiction. La mondialisation va rendre plus visible
certaines minorités économiques dominantes au moment même où la démocratisation du monde va
accroitre le pouvoir politique de la majorité autochtone pauvre. C’est une contradiction entre une
minorité économiquement dominante et de la majorité politique liée à la démocratie. Le processus
démocratique en vient à être le moteur d’un ethno-nationalisme interne à certaines régions et
certains pays. Il peut aboutir à la haine des minorités économiquement dominante, la volonté de
s’accaparer ses richesses, la volonté de nationaliser ses propriétés et le risque de persécutions
physiques voire de génocides. La démocratisation libérerait des haines à l’encontre des minorités. Ex :
Indiens au Kenya, Ibos, Tutsi au Rwanda. La Démocratie deviendrait la domination politique sans
frein d’une majorité.

 Shua voulait critiquer les apôtres de la « globalisation heureuse ». Elle est d’origine chinoise,
elle appartenait à la diaspora chinoise dominante des Philippines qui a subi des persécutions.
Sa tante a été assassinée à Manilles.

Elle évoque aussi le rôle que pourrait avoir une certaine minorité : elle explique l’antisémitisme de
cette manière à l’égard des juifs d’Israël. Ils seraient la majorité dominante économiquement
dominant les masses arabes pauvres au Proche-Orient. Elle explique l’anti-américanisme de cette
façon : on peut voir l’Amérique du Nord comme la minorité économiquement dominante à l’échelle
planétaire. Elle évoque également le cas des violences de l’ex-Yougoslavie, en considérant que les
Croates étaient la minorité dominante économiquement. Elle voit la résurgence de l’antisémitisme en
Russie sous cet angle.

Dans les commentaires qui ont suivi les attentats de Novembre, certains faisaient partis de cette
thèse. Les jeunes tués au Bataclan incarnaient cette notion de monde post-historique de la
« mondialisation heureuse » et ont été frappés par un autre monde, le monde historique.
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II. La perspective pessimiste et conflictuelle : vers un affrontement de longue


durée entre l’Occident et le reste du monde
Choc entre l’Occident et le reste du monde : « The West and the rest ». Cette vision a été propulsée
largement par un auteur dont le livre a eu un succès international : Samuel Huntington. Il se pose
comme un anti-Fukuyama. Il prend la forme d’un article en 1994 dans la revue Foreign affairs où il
annonce le titre du « Choc des civilisations ? ». L’article a fait débat, il a donc fait un livre qui sort en
1996 sans point d’interrogation : Le choc des civilisations et la refondation d’un ordre mondial.
Volonté de rendre compte d’une nouvelle stabilisation de l’ordre mondial. C’est la réfutation de la
thèse optimiste de l’extension du modèle libéral. C’est la thèse des conflits à venir entre le modèle
occidental et celui du reste du monde. Les conflits du XXIème ne seront plus des conflits étatiques,
idéologiques mais seront des conflits culturels, civilisationnels. Ces conflits se situeront tout au long
des lignes de fractures qui opposent un certain nombre d’entités culturelles. Le conflit majeur affecte
les relations entre l’Occident et le reste du monde, mais il y a des fractures qui peuvent intéresser
d’autres aires culturelles :

 L’entité occidentale
 L’entité slave-orthodoxe
 L’entité musulmane
 Le monde hindou
 Le monde confucéen
 L’aire japonaise
 Le monde latino-américain
 Le monde africain

Il dit que les différences culturelles reprennent de l’importance après la fin du long conflit ayant
opposé le libéralisme et le communisme au XXème. Il avait éclipsé les divergences identitaires. On
assiste donc à la résurgence des identités. Il y voit pour preuve dans les années 90 la multiplication
des conflits sur des « zones de fracture » entre entités culturelles. Ex : en Yougoslavie, il situe cette
ligne entre le monde slave-orthodoxe de la Serbie et les Croates qui appartiendraient au monde
occidental. Ex 2 : le Caucase avec Azerbaïdjan et Arménie. Ex 3 : Proche-Orient avec Israël. Ex 4 :
Cachemire. Le conflit majeur serait entre l’Occident et le reste du monde. Les peuples non-
occidentaux sont soumis à la pression de l’occidentalisation, ce qui occasionnerait des logiques de
repli, de rejet et donc de réaffirmations culturelles face au projet universaliste de l’Occident.

Dans son tableau, Huntington insiste sur la conflictualité entre l’aire musulmane et d’autres aires
culturelles. Un chapitre est intitulé « les Frontières sanglantes de l’Islam » qu’il voit au sud avec
tensions en Afrique entre Musulmans et chrétiens. Mais aussi au nord, dans les Balkans, en Bosnie.
C’est aussi à l’Est, avec le cas du Cachemire. Enfin, au centre du monde avec la question de l’Israël et
du Proche-Orient.

Cette vision pessimiste aboutit à l’idée de la constitution d’un bloc visant à solidifier l’Occident : l’idée
du bloc Europe/Amérique qui aurait pour mission de maintenir une supériorité militaire sur le reste
du monde, l’avenir étant l’avenir lointain de cohabitation avec les autres cultures. L’avenir c’est la
cohabitation avec les autres cultures. Il n’y aura pas d’universalisation du modèle occidental. Lien
avec la politique conservatrice américaine.

Ce schéma est conforté par d’autres auteurs des années 90/2000 comme Jean-Claude Ruffin. Il a été
attaché longtemps aux politiques de développement, et a été ambassadeur. Il écrit au début des
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années 90 un livre qui rend compte de cette réalité de l’Occident et du reste. Il voit plutôt un clivage
nord/sud qui s’approfondirait dans la mesure où après la fin de la guerre froide, il faut « repenser un
ennemi » pour combler le vide de la perte de l’ennemi. L’unification du « nord » et sa cohérence
n’est possible qu’en définissant ses valeurs par leurs opposés, se situant dans le sud où l’on
trouverait les « nouveaux barbares » d’où le titre de son livre : l’Empire et les nouveaux barbares. Le
nord est l’empire, et au-delà on trouverait les « nouveaux barbares » c'est à dire celui qui
n’appartient pas à l’Empire, qui est hors de l’Empire, le conforte et le définit (même façon que dans
l’Antiquité, il servait à définir les grecques mais aussi les romains de l’Empire). Entre les deux, il
existerait une limite identique : le Limès. Cette rupture est politique, économique et culturel. Il dit
que nord et sud ne sont pas dans un rapport d’avance ou de retard comme on pensait auparavant.
Nord et sud prennent des voies opposées. C’est une évolution en sens contraire qui est en train de se
produire avec la mondialisation. Le clivage s’accentue, mais comment vont-ils s’opposer ? Autour du
Limès. Le Limès n’est pas seulement une frontière militaire mais c’est aussi une frontière idéologique,
culturelle. L’idée du Limès est de protéger la civilisation du nord en abandonnant le sud.

Il a des passages prédictifs : le Limès avait une fonction démographique c'est à dire contenir les
masses du sud, éviter qu’elles ne traversent le Limès. Economiquement, on a abandonné les logiques
de développement. Dans cette politique du Limès, le nord aurait tendance à être complaisant à
l’égard de certaines dictatures qui contribuent à la stabilité du Limès. Ex : rôle de la Lybie. La politique
du Limès avait aussi un effet militaire : on intervenait sur le Limès pour maintenir le clivage et la
fermeture. On laisserait de côté les conflits très lointains qui n’intéressent pas cette zone stratégique
du Limès. Ex : les guerres du Congo. Le Limès s’est incarné par les frontières qu’essaie de rendre
imperméable l’UE.

Fergusson a écrit sur cette thématique, Civilizations : The West and the rest. Il dit que l’Occident a
inventé la civilisation. On est dans une posture coloniale. Mais aussi Cooper, un britannique
universitaire qui a été le conseiller politique de Tony Blair : The breaking of nations, order and chaos
in the XXI. Il dit qu’il y a dans le monde une vaste zone où l’Etat a échoué. Elle est redevenue une
zone prémoderne. Il y a donc une légitimité à employer la force pour réinsérer le standard de
civilisation au sein de cette zone. Il parle donc très crument d’un « nouvel impérialisme » afin de
garantir la pérennité d’un ordre humanitaire. Avec Cooper, on a la légitimation des guerres
humanitaires du XXIème c'est à dire de mener des guerres afin de réinstaurer un ordre humanitaire,
de protéger des minorités, des populations, de mettre fin à des dictatures, des Etats faillis, et donc de
reconstruire des Etats. Les vecteurs légitimes de ce nouvel impérialisme seraient l’ONU et surtout
l’OSCE pouvant établir des protectorats. On parle de « libéral impérialisme ».

Ces auteurs mettent en valeur la norme qui légitime ce clivage : la norme du libéralisme
international. C’est l’idée que la démocratie libérale est le nouveau standard de civilisation et que les
US se sont fait, par leur histoire, les promoteurs précoces de ce standard. Il a été réaffirmé en 41 avec
la charte de l’Atlantique (sont exposés les grands principes d’un futur monde fondé sur la démocratie
libérale). Depuis 89, cette tendance de la politique étrangère américaine l’emporte et est prioritaire.
C'est à dire que totalement libéré du fait de la fin de la GF, les US mettent l’accent sur la liberté plutôt
que l’égalité dans le domaine des RI. C’est mettre en valeur le libéralisme international. On est dans
l’affirmation d’un nouveau standard de civilisation. A partir de ce schéma, la société internationale
peut se diviser entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors. On dresse ainsi dans les années
90 des cartes des libertés dans le monde où on emploie des couleurs différentes pour les Etats libres,
partiellement libres, non-libres. Cette division renvoie à un très vieux clivage, un très vieux partage
dans l’histoire de la culture occidentale.
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C’est dans ce cadre qu’il y a une réhabilitation de la guerre préventive comme nouvelle forme de
guerre juste. La notion de guerre juste est un concept du moyen-âge chrétien c'est à dire la défense
de la foi religieuse. Cette notion avait été éclipsé par la vision réaliste des RI, avec des guerres
permettant le réajustement des hiérarchies du monde. La notion de guerre juste est revenue au
XXIème, pour défendre la démocratie et les droits de l’homme. Elle s’est imposée après la fin de la
GF, autorisée par le rapport de forces en faveur des US. Elle s’exerce contre des Etats qui ne
respectent pas les droits de l’homme, de la démocratie ou la protection des minorités. Il y a
indiscutablement une opportunité historique pour les US et leurs suiveurs d’établir un ordre
international fondé sur les valeurs libérales, à partir de la relégitimation du recours à la guerre
préventive vue comme une guerre juste. Le 11 septembre a accéléré ce mouvement, parce qu’il
légitime encore plus la guerre préventive, le terrorisme s’ajoutant aux Etats voyous.

Cette légitimation a été soumise à de nombreuses critiques, notamment deux auteurs. Nicolas
Guilhot, The democracy makers : c’est un récit de la naissance de la « fabrication de la démocratie »
comme mode de gouvernement du monde. Il nous montre que ce qui s’épanouie après la fin de la
guerre froide était en gestation depuis la fin de la WWII. Dans ce récit, c’est un récit des discours mais
aussi une sociologie de la fabrication de la démocratie. Il montre les centres d’impulsion de ce projet
qu’il situe dans la science politique américaine des années 1940-50, qui concerne aussi des ONG, des
Think Tanks, des fondations américaines, de réseaux, de syndicats. Il montre comment cette
fabrication de la démocratie aboutit à un ordre mondial expansionniste et toujours plus englobant.
Cela aboutit à légitimer un ordre mondial dont la hiérarchie serait fondé sur le positionnement de
chaque Etat sur l’échelle démocratique et sur l’échelle des droits de l’homme. On a un champ
démocratique qui influencerait le contenu des RI. Cela a quelque chose de totalisant car promouvoir
la démocratie libérale, c’est implicitement promouvoir le renoncement à toute action
révolutionnaire, c’est la promotion des stratégies réformistes dans le seul cadre libéral, l’acceptation
implicite du capitalisme, la mise en accusation du communisme (instrument politique de
totalitarisme), la théorie de la cogestion, la promotion de la fin des idéologies. On a un projet global,
totalisant.

Un autre auteur critique, Wallerstein qui est néomarxiste, et a publié en 2006 une critique de
l’universalisme : L’Universalisme européen, de la colonisation au droit d’ingérence. Il rappelle les trois
variantes de l’invocation à l’universalisme :

 La défense des droits de l’homme : humanitaire


 La civilisation occidentale plus avancée que les autres car universaliste : civilisationnelle
 Le marché ayant des vérités et n’offrant aucune autre voie : économique

Ces variantes étaient celles qui justifiaient la colonisation au XIXème. C’est une rhétorique qui
appartient à l’universalisme des puissants.

III. Les limites de la stabilité hégémonique


C’est le schéma impérial, l’idée qu’une puissance hégémonique, par son rôle de gendarme, peut être
pacificatrice. C’est la thèse de la stabilité hégémonique qu’il faut examiner avec ses limites. Ce
scénario apparait au début des années 90. Des auteurs prédisent la définition de l’ordre mondial à
partir d’un « moment unipolaire » c'est à dire qu’un moment de l’histoire sera fondé sur un pole de
puisance qui permettrait une stabilisation et une pacification du monde.

Cette thèse apparait dans un article de Krauthammer, éditorialiste du Washington Post, qui écrit « le
moment unipolaire » dans Foreign Affairs en 1991. C’est un moment unipolaire marqué par la
suprématie américaine. Il dit qu’il y a dans le monde des puissances économiques très dynamiques
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qui peuvent parfois égaler les US comme c’est le cas du Japon, de l’UE centrée sur la puissance
économique allemande. Il dit que seuls les US ont tous les atouts de la puissance : militaires,
diplomatiques, politiques, économiques. La multipolarité reviendra un jour mais pour quelques
décennies, le monde sera unipolaire, à condition que les US sachent gérer les bases économiques de
leur prépondérance et surtout qu’ils assurent une responsabilité dans le maintien de l’ordre. Les US
se comportent en gendarmes impartiaux dans l’ordre public.

Les arguments sont nombreux, des éléments de puissance rendent possible la stabilité
hégémonique :

 Les arguments de nature matérielle : les capacités matérielles concentrées par les US. On
peut relever l’écart de ressources entre les US et leurs principaux suiveurs. Si l’on prend deux
indicateurs c'est à dire le PIB et le part des dépenses militaires dans le budget, dans les
années 2000 le premier s’établissait au tiers du PIB total des 9 plus grandes puissances
économiques et le second était supérieur à la somme des budgets militaires des 9 autres
puissances. A partir de ces deux indicateurs, l’écart de ressources permet aux US de choisir
quelle politique ils adoptent : intervention ou non. Ce sont les seules à avoir ce choix à partir
des années 90. Même si cela conduit à un échec, faire le choix est le critère de la puissance.

 Le comportement des autres Etats : dans les années 90 et la pus grandes partie des années
2000, ils ne cherchent pas à équilibrer la puissance américaine. Pourtant, la logique réaliste
est d’essayer de réaliser l’équilibre. Il peut être réalisé si un Etat augmente ses capacités ou
en s’alliant avec d’autres. Dans les deux cas, cela n’apparait pas dans les années 90. On
observe le contraire : tous les pays secondaires diminuent leur budget militaire (France, GB,
Chine, Russie. De plus, on ne constate pas d’alliances entre les pays. L’UE n’a pas du tout la
volonté d’équilibrer la prédominance américaine. La politique étrangère et de sécurité
commune n’a pas vocation à concurrencer l’OTAN. Des missions sont entreprises en commun
avec l’OTAN et les US. L’UE se réfugie plutôt dans le rôle d’un soft power, et voire même se
comporte en auxiliaire de la puissance américaine. On peut évoquer le livre d’Anderson sur le
« nouveau vieux monde » c'est à dire une analyse critique de l’UE comme un auxiliaire de
l’ordre américain.

Pourquoi les puissances secondaires n’augmentent pas leurs capacités militaires ? Les US ont établi un
ordre hégémonique que les autres ont intériorisé c'est à dire que les Etats acceptent une hégémonie
parce qu’ils y trouvent leurs intérêts mais aussi parce qu’ils perçoivent cette hégémonie comme
reflétant leurs propres convictions, leurs propres valeurs. L’ordre américain serait intériorisé comme
légitime par les pays suiveurs. Cet ordre hégémonique américain ne constitue pas une menace, les US
ne font pas peur aux puissances secondaires. Les US ne procèdent pas à des politiques d’expansion
au détriment des autres. Les US ne sont pas jugés agressifs. On peut évoquer le concept de complexe
de sécurité : la géographie est primordiale pour analyser les menaces. Un Etat soupçonne toujours un
voisin d’être menaçant pour sa sécurité, or les US sont extérieurs au complexe de sécurité européen
alors que ce complexe concerne la Russie, toujours vu comme vaguement menaçante. Le complexe
de sécurité joue aussi entre l’Inde et le Pakistan. Les US échapperaient à cela. Mais aussi parce que
les US sont aussi considérés comme des porteurs de sécurité. Le rôle de l’histoire est important pour
les pays suiveurs. L’histoire contemporaine valorise les interventions américaines venues sauver
l’Europe des dangers. Cela concerne aussi un pays comme la Corée du Sud. Il y a aussi un réflexe
atlantiste existant dans certains pays. Toutes les puissances ont besoin des US, ce qui les décourage
d’établir une coalition contre lui.
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 L’affirmation de valeurs partagées par les autres : la configuration Etats Unis, Europe
occidentale, Japon, Israël est plus qu’une alliance objective. C’est une communauté de
sécurité. Ils partagent les mêmes identités et les mêmes valeurs historiques. L’OTAN se
caractérise également par une « hégémonie consensuelle ». Il y a un multilatéralisme de la
décision, une consensualité. Depuis le 11 septembre 2001, le terrorisme international
menace moins la puissance américaine que l’identité libérale démocratique occidentale. Le
terrorisme international semble menacer les valeurs partagées non seulement par les US
mais aussi tous les autres pays suiveurs occidentaux (« nous sommes tous américains », Le
Monde).

Mais on peut comptabiliser également des échecs : absolue dans le cas de l'Afghanistan, Irak, Libye,
relatif dans le cas du Kosovo et Bosnie (Kosovo fuite des populations). Mais également des réussites
relatives avec le Rwanda, Mozambique et Kurdistan.

• Critique de l’unipolarité :

Ancien conseiller de la maison blanche, Kissinger, va critiquer la thèse de Krauthammer, il dit que la
multipolarité va revenir très vite. Pour lui le système internationale va redevenir celui du XVIII : un
concert de puissance, avec Chine, Inde, Russie, Europe, Japon, USA … Les Etats sont guidés par leur
égoïsmes, même s’ils ont les mêmes valeurs, ils n’auront bientôt plus besoin de la protection des US.
Le régime importe peu, ils ont des intérêts internationaux à défendre (ressources naturelles pour la
Russie par ex).

Quelle solution pour les USA ? Pas d'interventionnisme wilsonisme ni isolationnisme, il faut un
équilibre et une concertation. C’est une critique au nom du réalisme. Donc cela conduit à un retour
du réalisme, avec dans les années 2000, le retour des théories schmitiennes. Analyse du monde,
« Nomos de la Terre. » Ce qui va intéresser toutes les critiques au nom d'un vaste élan libéral, critique
de l’universalisme, défense d'un monde pluriel, fondé sur de grands espaces. Schmitt critiquait
l'universalisation des valeurs, critiquait les structures fédérales et l’utopie de l'uniformisation
culturelle. Il faudrait quelques grands espaces, il faut dépasser l'ordre westphalien. Cette critique
opère un regain d'intérêt après la GF, après le 11 septembre. On a des tentatives de relire le monde à
partir de, critiquer l'uniformisation du monde à partir du libéralisme, critiquer les guerres
humanitaires au nom des droits de l'homme pour accentuer le pluralisme. Ordre mondiale autour de
communautés concrètes, soumise à la direction d'Etats impulseurs. (Là il parlait du III Reich)
aujourd'hui Brésil ou All, par ex.

Aujourd'hui cette théorie est mobilisée à partir de 2 orientations :

 Relativiser l'ennemi, reconnaître l'existence de l'autre, s'attacher à une figure réel. Dans cette
critique on dit que l'uni-polarité produit les guerres et les instabilités alors que la pluralité
c'est reconnaître un ennemi juste et égal.
 Multipolarité mondial, ces schmitiens considèrent que c'est le monde unipolaire qui favorise
le terrorisme, qui a promu un pseudo universalisme, qui a produit des résistances. Il faut en
arriver à ce véritable pluralisme (C.Mouffe, qui verrait la coexistence de blocs internationaux.)
Un ordre mondial susceptible de générer des formes d'extrémismes. (N'en arriverait on pas à
une guerre des Mondes?) Mais en tout cas retour de Schmitt après les échecs des USA

Secti on 2 : la guerre est-elle notre horizon indépassable ?


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C’est une question qui parait tragique, incongrue dans la mesure où à partir de 1989, du début de la
fin de la guerre froide, après la disparation du bloc soviétique, le fait que la fin de la GF ait été
pacifique avait laissé penser à un apaisement de la vie internationale. Cette espérance était présente
dès le milieu des années 80 avec l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev, les limitations d’armement,
l’apaisement de tous les conflits en cours. On avait pu penser que la guerre appartenait au passé. En
1986, un général français écrit La guerre est morte mais on ne le sait pas encore. On repensait au rêve
de Kant de la paix perpétuelle, après un XXème caractérisé par les « guerres en chaîne » (Aron).

Pourtant, dès les années 1990 et 2000, la guerre revient dans le quotidien de l’humanité. Ex : Livre de
Delmas, Le bel avenir de la guerre et ouvrage de Battistela, Retour de l’état de guerre (2006). Depuis
les années 90 et surtout après 2001, les études sur la guerre se sont multipliées, les anthologies de
texte sur la guerre, etc. C’est la polémologie c'est à dire l’étude de la guerre.

Les conflits internes se sont multipliés depuis les années 80 et la montée en puissance de conflits
anciens qui avaient démarrés au début du XXème, mais aussi des formes nouvelles de guerre : les
guerres contre le « terrorisme », les guerres « humanitaires » et aussi des guerres non déclarées, ce
qu’on appellera les « guerres hybrides ». Du fait de cette multiplication d’évènements, de nouvelles
questions apparaissent : la guerre est-elle le meilleur moyen pour libérer un peuple ? Quel peut être le
seuil déclencheur pour une intervention guerrière au nom de l’humanité ? Les Etats voyous sont-ils
dangereux et méritent-ils une intervention militaire ? Mais surtout à partir de quand sommes-nous en
guerre ?

Plusieurs couples d’opposition :

 Guerre et politique : on peut évoquer des formes de continuité. La politique se présente


comme un affrontement. On parle de « guerre des chefs », de « conflit politique ». On a un
vocabulaire guerrier qui touche la politique. c’est un affrontement où il s’agit de contraindre
un adversaire. On est dans le terrain de l’euphémisation, de gestion pacifique du conflit. il ne
faut pas confondre l’ennemi de la guerre et l’adversaire de la politique. Clausewitz a théorisé
cette distinction. Au XXème, on a vu après la WWII, des hommes ont pensé que l’on pouvait
inverser la formule et que la politique était la continuation de la guerre par d’autres moyens,
ce fut la formule des totalitaires du XXème. On a le concept de brutalisation : des esprits, des
comportements, qui fait que la politique peut devenir un affrontement dangereux et le
prélude à des guerres civiles de nature idéologique, tel que certains pays européens ont pu
les connaitre. La frontière entre guerre et politique en arrive à s’estomper.
 Guerre et violence : la guerre est violente mais il peut exister des violences dans le cadre de
révolutions, de conflits internes, qui ne sont pas des guerres. On insiste sur le caractère de
violences organisées à la différence d’autres violences, entre unités politique. La guerre est
une violence organisée entre unités politiques (Bull). Bouthoul : c’est une violence
méthodique et organisée. La guerre ne se résume pas à la violence.
 Guerre et paix : la paix, dans sa définition la plus simple, est l’absence de guerre. Cela laisse
envisager que la paix est une situation d’exception. Cette définition est au cœur de la théorie
réaliste des RI. Aron a titré son livre Paix et guerre entre les nations. La guerre fait alors partie
des moyens des relations internationales. On peut alors parler à certaines époques de « paix
armée », c’est une expression employée dans les années 30 à partir du moment où tous les
protagonistes européens lancent des programmes d’armement ou de réarmement. La guerre
froide est une paix armée.
 Guerre étrangère et guerre civile : la guerre étrangère est celle entre des unités politiques
différentes. La guerre civile étudiée par Marx (La guerre civile en France) : la commune de
Paris qui pourrait être la dictature du prolétariat. Si un pays en arrive à se fragmenter au
Grands enjeux politiques internationaux

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cours d’une guerre civile entre entités politico-idéologiques différentes, même territoriales et
politiques différentes, cela devient alors une guerre tout court. La guerre de Sécession
américaine est-elle une guerre civile ou entre deux types d’Etat ? C’était une guerre étrangère.
La Syrie d’aujourd’hui est une guerre civile au départ, mais maintenant dans un territoire
fragmenté en plusieurs entités avec l’EI et une entité kurde, la guerre civile n’existe plus car 3
entités politiques. Le XXème a été le siècle de conflits idéologiques transnationaux : la guerre
des classes théorisée par Lénine devait avoir une portée mondiale, comme la guerre des
races d’Hitler. Ces conflits idéologiques du XXème, à partir du moment où ils s’étendent à
l’échelle de l’Europe et du monde que l’on considère comme une communauté
internationale, alors ces conflits deviennent « une guerre civile mondiale » (WWII et guerre
froide). La frontière est poreuse entre guerre étrangère et civile.
 Guerre et génocide : la guerre suppose un affrontement symétrique vers deux adversaires
ayant des capacités réciproques de frappes et de nuisances. Il y a guerre si résistance de
l’agressé. Le génocide se caractérise par sa dimension asymétrique : c’est l’inégalité entre
l’agresseur et l’agressé qui ne dispose d’aucun moyen de défense. Le génocide a un caractère
unilatéral. Il se déroule aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre. Les relations
entre les deux notions ne sont pas inexistantes parce que la guerre est le contexte le plus
favorable d’un génocide. L’idéologie du génocide introduit l’idée qu’il s’agit d’une guerre
préventive. Le génocide se présente comme une guerre, c’est une façon de légitimer son
action. On trouve ici des relations.
 Guerre classique et guerre révolutionnaire : la guerre classique est une guerre entre deux
Etats, la guerre révolutionnaire a été théorisée par Lénine puis Mao c'est à dire l’idée que la
révolution peut naitre de la guerre. Il s’agit de transformer le conflit social révolutionnaire en
guerre de classe armée. C’est De la guerre prolongée, de Mao, dans une optique de guerre de
classe.
 Guerre mondiale et guerre régionale : la guerre mondiale concerne la planète alors que la
guerre régionale concerne un continent, un sous-continent, une région, etc. Le terme de
région peut être pris sous ces trois angles. Les guerres mondiales n’ont pas été
immédiatement mondiales : une différence frappe entre la WWI et la WWII. La WWI devient
tout de suite mondial dès aout 1914, en entrainant tous les pays européens, qui entrainent
leurs empires coloniaux, rendant ainsi le conflit mondial. La WWII est d’abord une guerre
régionale, ce n’est qu’en 41 qu’elle devient mondiale avec l’entrée des US, de l’URSS et du
Japon.
 Guerre totale et guerre limitée : la guerre limitée est celle qui voit l’affrontement des seules
armées, des seuls combattants. Les populations civiles sont relativement épargnées. La
population civile n’est pas la cible prioritaire à l’égal des combattants. C’est l’armée ennemie
que l’on veut détruire dans le cas d’une bataille décisive. Il n’y a pas de volonté de détruire
l’adversaire, son Etat, parce que l’objet de la guerre classique est relativement
limitée (question de territoire par exemple). La guerre totale implique une mobilisation totale
de la société de l’Etat en guerre, alors que dans la guerre limitée seule une armée
professionnelle est concernée. Ici, c’est la société en arme mais aussi la société au travail
pour la guerre. C’est l’indistinction entre les combattants et les civils dans la mesure où le civil
travaille pour la guerre, il est mobilisable et est donc une cible à l’égal des combattants. La
guerre totale s’inscrit dans un temps plus long et suppose donc une mobilisation totale de
toutes les ressources. Le but est de détruire l’Etat, toute l’armature social de l’adversaire, afin
d’imposer un ordre nouveau. La notion de guerre totale a été théorisée à la suite de la WWI
(Ludendorff, devient député nazi et écrit un livre en 1935 qui théorise que la politique est au
service de la guerre). Le XXème est considéré comme le siècle de la guerre totale. Géré
rappelle certaines anticipations de la guerre totale dans le temps même de la guerre
Grands enjeux politiques internationaux

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classique : la RF et la période napoléonienne peuvent apparaitre comme un processus de
guerre totale, de même que la guerre de Sécession.

Guerre totale, mondial, civile, génocidaire, peuvent se superposer. Pour certains historiens le modèle
originel de cette superposition ne se trouverait pas dans l’histoire contemporaine mais dans
l’Antiquité, ce qui fait l’intérêt de l’étude de la guerre du Péloponnèse entre Spartes et Athènes,
narré par Thucydide. Victor Davis Hanson a écrit sur cette guerre, Histoire de la guerre du
Péloponnèse : c’est une analyse qui montre la superposition de ces 4 types de guerres. C’est une
guerre civile car elle divise le monde grec, qui est uni par la langue, la religion, il se déchire mais
Spartes et Athènes ont le même ennemi. C’est aussi une guerre mondiale car ce sont les deux super
puissances du temps, l’une dominant la Terre et l’autre plutôt une thalassocratie (domine la mer).
C’est une partie du monde qui est affecté. On a donc une forme de guerre mondiale. On a aussi une
guerre totale dans la mesure où c’est une guerre longue (plus de 20ans), elle suppose la mobilisation
totale des sociétés et vise à la destruction des adversaires avec des massacres visant la population
pouvant ressembler à des génocides contemporains. On essaie de détruire les ressources des
adversaires (oliviers sont rasés).

I. La fin de la guerre ?
On peut repérer trois raisons qui expliquent l’idée que la fin pacifique de la guerre froide allait
conduire à un apaisement des RI :

A. Le vieux rêve de l’humanité de la paix perpétuelle


A plusieurs moments, on édite des anthologies de textes pacifiques qui ont promu les vertus de la
paix depuis l’Antiquité. C’est le cas aujourd’hui encore avec la publication de Quelle connerie que la
guerre, ouvrage paru en janvier 2016. Cela a été théorisé au siècle des Lumières par l’Abbé de Saint
Pierre au début du XVIIIème avec son Traité sur la paix perpétuelle (1713) et à la fin du XVIIIème le
livre de Kant, Vers la paix perpétuelle, qui nourrit ce rêve en faisant de cet espoir le fil rouge du
progrès de l’humanité. Il y a un imaginaire occidental, kantien, qui a été réactivé par le mouvement
pacifique transnationale (années 1870 en Europe). Ce message kantien a été mis au cœur de
l’idéologie des grandes organisations transnationales. L’ONU interdit le recours à la guerre, qui doit
être pris en charge par la communauté internationale.

La théorie de la paix structurelle : les causes qui avaient engendrées le conflit, on a la panoplie du
processus de la paix structurelle qui nourrit les organisations multilatérales.

Depuis le XIXème, on a la croyance dans une « mondialisation heureuse », principalement


économique. Elle sera heureuse car elle mettra fin à l’une des origines de la guerre c'est à dire la
recherche de profit. Une mondialisation heureuse va progressivement éteindre la guerre. Cette
idéologie nait avec Montesquieu, puis développée par Adam Smith et les libre-échangistes du
XIXème. Elle sera reprise au XXème dans le cadre de l’économie libérale et va nourrir les périodes de
mondialisation que l’on voulait voir heureuse (années 20 et après 1945).

A partir de cette imaginaire puissance, les sociétés occidentales du XXème ont toujours été tentées
de refouler l’idée de guerre (dès 1918). On en a une preuve dans la réception de l’œuvre de Norbert
Elias : c’est l’exemple d’une œuvre qui a exclu le phénomène guerrier du champ d’investigation des
sciences sociales. Son livre principal est écrit en 1939 : La dynamique de l’Occident et La civilisation
des mœurs. Il élude le phénomène guerrier du XXème, alors qu’il étudie le processus de pacification
sur le long terme. Or l’histoire du phénomène guerrier du XXème s’oppose à la théorie du processus
de civilisation : comment intégrer 1914 à la dynamique de l’Occident décrite par Elias ? L’été 1914
Grands enjeux politiques internationaux

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voit le consentement à la guerre de la majorité des Etats européens, et voit des individus se
transformer en assassins professionnels. La notion de brutalisation a cherché à rendre compte de ce
phénomène guerrier : comment l’ensauvagement des hommes prenait le contrepied du processus de
civilisation ? L’œuvre d’Elias a été réceptionnée tardivement dans les années 70 mais le succès est
immense en France. Cette réception et ce succès de l’œuvre coïncide avec le blocage de la thèse de la
brutalisation, qui est initiée au même moment par Mosse. Le concept est bloqué par le succès de la
thèse d’Elias. C’est l’introduction de ces thèses qui va permettre une autre lecture de la guerre de
1914.

L’ethnologie du XXème a elle aussi à partir de ce refoulement de l’idée de guerre, pu refuser l’idée de
guerre dans les sociétés primitives ou préhistoriques. Ce qui domine dans l’ethnologie européenne
est la thèse du « sauvage pacifique ». C’est l’œuvre de Lévi-Strauss : la guerre ne serait
qu’accidentelle et pas inhérente à la société. Sahlins a écrit également Age de pierre, âge
d’abondance : dans les sociétés marquées par l’autosuffisance, il n’y pas de recherche de conflit qui
produirait la guerre. Cela reflète le vieux rêve de paix perpétuelle.

B. L’enracinement de la paix au cœur du système internationale : la paix


systémique
Depuis 1945, en dépit de la guerre froide, il y avait un enracinement de la paix entre les grandes
puissances. La paix au cœur du système des RI : c’est la paix systémique. Il y avait une dynamique
pacificatrice, liée à deux choses :

 L’impact pacificateur de l’arme nucléaire : elle semble inaugurer la guerre totale. La bombe
H équivaut à 10 millions de tonnes de bombe classique. Arendt dans un texte sur la violence,
De la violence, décrit l’impact de l’arme nucléaire et son effet dégrisant sur les décideurs
politiques. il ne peut plus y avoir de vision rationnelle de la violence. La guerre pouvait avoir
une vision rationnelle, elle avait une utilité, elle pouvait être conçue comme un moyen de la
politique étrangère. Désormais, la guerre n’est plus rationnelle, le calcul rationnel n’est plus
tenable. « La paix est la progéniture robuste de la terreur » (Churchill). L’arme nucléaire brise
le vieil équilibre entre arme offensive et arme défensive dans la mesure où il y une primauté
de la défense avec les armes de 2 ème frappe. Le territoire peut être détruit, mais il y aura une
2ème frappe qui viendra anéantir l’adversaire. La conquête d’une grande puissance par une
autre devient impossible, donc la paix est favorisée. L’histoire de la guerre froide le
démontre.

Réserve : le paradoxe nucléaire, personne de rationnel ne va recourir à l’arme nucléaire, donc on


peut s’engager sans risque dans une guerre classique. Une guerre infra-nucléaire peut être décidée.
C’est le calcul fait en 69 lorsque les soviétiques ont affronté la Chine. C’est aussi le calcul entre
Indiens et Pakistanais, deux puissances possédant l’armée nucléaire. Il existe des armes nucléaires
tactiques de courte ou moyenne portée qui peuvent préserver les territoires des deux puissances. Si
on était certain du caractère pacifique de l’arme nucléaire, on ne s’inquiéterait pas de sa
prolifération, or l’exemple de l’Iran montre que la crainte n’est pas l’arme nucléaire mais l’usage
qu’on en fait. Les puissances nucléaires violent donc elles-mêmes les traités de non-prolifération, en
augmentant leur potentiel. Elles développent des boucliers anti-missiles.

 Les vertus de l’équilibre : c’est le « balance of power » qui s’est vérifié pendant la guerre
froide. On cherche l’explication de la paix dans la configuration internationale. Ce n’est pas
un hasard si les théoriciens de l’équilibre comme Kissinger a été l’un de deux qui ont voulu
conforté le système de l’équilibre de la guerre froide. En 1957, il écrit Le chemin de la paix,
qui serait cet équilibre des deux grandes puissances nucléaires.
Grands enjeux politiques internationaux

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C. La paix régionale occidentale
Une 2ème sorte de paix s’était progressivement épanouie depuis 1945 : une paix régionale entre les
Etats occidentaux c'est à dire la paix occidentale, européenne pendant la guerre froide. Deux raisons
majeures expliquent l’enracinement et l’approfondissement de cette paix régionale. Dans les années
60, c’était quelque chose de nouveau :

 La paix du fait de l’interdépendance économique : elle s’est approfondie à partir de 1945


 Le résultat de valeurs partagées : une identité de communauté fondée sur des valeurs
démocratiques aurait généré une communauté de sécurité.

La paix régionale liée à l’interdépendance économique : c’est la théorie du « doux-commerce »


(Montesquieu et Hume) qui apaise les mœurs internationales. C’est l’idée que le doux-commerce
permet à l’Etat d’obtenir de façon plus rationnelle, à moindre coût et donc à moindre risque, les
mêmes satisfactions en termes de profit et de richesse que la guerre. « Le commerce n’envahit pas »
est la formule de la pacification des RI (Trade, not invade), avec la croissance des exportations à
l’époque de la première mondialisation. La guerre était une grande illusion, d’acquérir du profit par la
guerre.

Nuance : pourquoi alors les deux guerres mondiales du XXème ? Elles ont été précédées par un retour
au protectionnisme. Plus un Etat est interdépendant économiquement, plus il est dépendant de
l’étranger donc plus il est vulnérable, et donc à un certain moment cet état peut tenter de vouloir
mettre fin à cette dépendance par la force. L’économie peut donc être un facteur de guerre.
L’interdépendance a un coût, et ce serait celui d’une dépendance. Il peut y avoir un calcul rationnel
sur l’utilité d’une guerre. L’Allemagne et le Japon dans les années 30 font ce calcul rationnel : le cout
de leur dépendance est trop élevé. La corrélation n’est pas mécanique entre l’interdépendance et la
paix.

Depuis 1945, la thèse libérale avait retrouvée du crédit. La concurrence accrue qui s’est développée
n’a pas débouché sur des volontés de retour au protectionnisme. Cette interdépendance se réalise
dans le cadre d’un « libéralisme encadré » de deux façons. Il est beaucoup plus multilatéral qu’avant :
il possède des règles, des contraintes. Ce libéralisme est interventionnisme à l’intérieur, il prévient
des effets négatifs de l’interdépendance. On est dans quelque chose qui n’est plus le libre-échange
classique et qui n’est pas le libéralisme économique. Cette gouvernance économique internationale
est un vecteur de pacification.

On parle ici de « paix triangulée » qui unit des organisations internationales, de l’interdépendance
économique, et de la démocratie. D’une certaine façon, cette philo de la paix triangulée retrouve les
trois conditions de la paix énoncée par Kant, les « trois articles définitifs » à savoir le régime
démocratique, les institutions internationales et le commerce ouvert. Depuis 1945, la gouvernance
économique est un facteur de paix qui s’inscrit dans la philo kantienne.

Le facteur démocratique de la paix régionale : les démocraties pratiquent la culture du compromis.


Au sein des démocraties, il y a des contraintes qui empêchent les décisions irrationnelles ou hâtives
en matière internationale. Cette combinaison de la culture du compromis et des contraintes
institutionnelles créerait une attente pacifique réciproque qui dégagerait une marge de manœuvre
pour permettre une solution ou un règlement diplomatique en cas de crise.

La notion de communauté de sécurité : la communauté démocratique est aussi une communauté de


sécurité. On peut prédire le comportement des autres. L’intériorisation de mêmes normes sur une
longue période permettrait cette prédiction et cette connivence à l’échelon internationale. L’alliance
Grands enjeux politiques internationaux

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atlantique créé en 1945 est en fait plus qu’une alliance, c’est une communauté de valeurs
démocratiques, d’où sa pérennité après 1989.

D. L’apaisement des guerres périphériques


Un 3ème facteur joue, il semble qu’à partir du début des années 90, les guerres périphériques étaient
en train de s’apaiser voire de disparaitre. Si la paix régnait, la guerre avait pu continuer à exister
(Vietnam, Moyen-Orient, Inde et Pakistan). Or il semblait que ces conflits étaient en voie
d’apaisement. Côté indo-pakistanais, la croyance était venue du fait que les deux puissances avaient
acquis l’arme nucléaire. Un équilibre entre les deux puissances allait générer une rationalité et limiter
les conflits à des choses frontalières qui allaient se résoudre.

Pour le Moyen-Orient, il y a eu une décennie où on a pu penser que ce conflit était en train de


s’apaiser. En 1981, les accords permettent d’établir un traité entre l’Egypte et Israël. On pouvait alors
imaginer un règlement avec la Syrie sur la question du Golan. On pouvait imaginer alors une paix
triangulaire. Le règlement de la question palestinienne semblait être sur la voie d’un règlement
définitif avec les accords Oslo de 1993. La fin de la guerre froide aidant, on pouvait penser que ces
accords allaient générer une paix globale. Il y avait des raisons idéologiques, des constats factuels et
le constat que les pays occidentaux étaient liés par une sécurité démocratique et que les conflits
périphériques allaient se terminer.

Progressivement, à partir des années 90, il est donné de constater que la guerre semblait avoir un bel
avenir et que l’état de guerre devenait quotidien. Des guerres avec des logiques concurrentes, des
acteurs de plus en plus multiples qui confinaient la guerre classique, et une grande diversification des
pratiques depuis une 20aine d’années.

II. Les multiples visages de la guerre


On peut repérer 4 types de guerre qui constituent l’actualité de la scène internationale depuis une
20aine d’années :

- Les guerres civiles : dans le cadre des Etats faillis


- La perpétuation de guerres régionales interétatiques
- Les guerres occidentales humanitaro-démocratiques : sauvegarde des droits de l’homme
- Les guerres hybrides : périphérie de l’UE

A. Les guerres civiles


Elles s’expliquent largement par la fin des grands conflits idéologiques liés à la guerre froide qui
avaient estompé les vieilles fractures, les vieux conflits, qui avaient existé soit avant 14 ou 45. On
assiste à la résurgence de ces fractures sous la forme de sentiments identitaires qui avaient été
enfouies sous les idéologies du XXème. Elles prennent la forme de revendications nationales ou
ethno-nationalistes. On l’explique souvent par le droit à la reconnaissance. Derrière l’extrémisme
identitaire, il y a une volonté d’être reconnu. Il y a une explication de ces conflits par le primat de la
reconnaissance. Ces conflits se situent sur des zones de fracture culturelle ou civilisationnelle. Ces
formes de conflits sont apparues très tôt dès le début des années 90, dans le Caucase. C’est aussi le
cas des Balkans, en ex-Yougoslavie, qui se situe sur une ligne de fracture culturel (orthodoxe,
musulman, catholique). Mais aussi le Moyen-Orient. Dans des zones multi-ethniques et
multiconfessionnelles, comme l’Afrique des grands lacs, le Congo ou encore le Soudan. Ces zones ont
occasionné des hécatombes (Soudan, et 4 millions de victimes au Congo). Enfin, les guerres civiles en
Irak que l’on retrouve en Syrie.
Grands enjeux politiques internationaux

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Les morts occasionnées par les guerres civiles multiples avaient occasionnées plus de victimes que les
autres conflits. La guerre n’est pas seulement la guerre étrangère mais c’est aussi la guerre civile.

B. La continuation de guerres régionales interétatiques


Ce sont des guerres interétatiques entre voisins. On peut en citer quelques-unes : guerre entre le
Pérou et l’Equateur en 1995, entre l’Ethiopie et l’Erythrée dans les années 2000. Ce sont des
querelles de frontières parfois symboliques, un peu d’enjeux économiques. C’est aussi la guerre civile
du Congo qui a dégénéré en mêlant des Etats voisins : c’est la première « guerre mondiale africaine »,
car elle occupe un certain nombre d’Etats. Mais aussi la Russie et la Géorgie en 2008. Ces deux
guerres tirent leurs origines de guerres civiles qui préexistaient au Congo. Enfin, le conflit entre l’Inde
et le Pakistan et la guerre entre Israël et le Hezbollah, puis la guerre de Gaza contre le Hamas en
2008. Dans ces cas, le territoire est le point de fixation d’un affrontement plus ancien, il n’est pas
l’origine de l’affrontement.

Les historiens de la guerre ont établi une sorte de loi statistique qui montre que le risque de guerres
entre deux Etats est en fonction de leur proximité géographique. Des Etats contigus (frontière
commune) ont 35 fois plus de chance de se faire la guerre que des Etats séparés géographiquement.

Le conflit indo-pakistanais : né de la partition de l’Inde, puis se divise selon une ligne confessionnelle
entre le Pakistan musulman et l’Inde majoritairement hindouiste. La partition a occasionné un conflit
en 1947 pour la question du Cachemire c'est à dire un territoire majoritairement musulman avec une
guerre en 47, puis en 65 puis en 98-99. Une autre guerre se déroule à cause des effets de la création
du Bengladesh, c'est à dire le Pakistan orientale qui proclame son indépendance. C’est une forme de
guerre hybride car des services pakistanais font des attentats.

Le conflit israélo-arabe : 4 guerres qui opposent Israël et Etats arabes, puis deux guerres au Liban, et
3 grands moments de violences que l’on peut considérer comme des formes de guerres
interétatiques : première Intifada, puis deuxième avec une autorité palestinienne donc guerre entre
deux Etats. Enfin, en 2008-2009, guerre de Gaza contre le Hamas. Donc on peut parler d’une guerre
interétatique.

Causes de ces guerres : ce n’est pas l’intérêt économique. On invoque la recherche de sécurité en
posant le dilemme de la sécurité. La sécurité demande de se rendre plus puissant que ses voisins
d’où la progression des défenses militaires de l’un des Etats qui va susciter la crainte des autres et
nourrir un sentiment d’insécurité. La spirale de l’insécurité commande la course aux armements et la
montée des extrêmes. Il suffit d’une crise mal gérée pour produire la guerre. C’est le cas au Moyen-
Orient dans les années 60-70. C’est aussi le cas pour les guerres indo-pakistanaises qui expliquent ce
dilemme de la sécurité et la course au nucléaire des Etats indiens et pakistanais. S’il y a corrélation, ce
qui compte est la perception que l’on a de l’armement de l’autre.

Pour comprendre ces conflits, il faut emprunter l’approche constructiviste des RI c'est à dire que la
réalité sociale, c’est ce que les acteurs concernés en pensent, en disent et en font. La perception de
la réalité a un effet décisif. Dans le cas du Moyen-Orient et de l’Inde, ce sont des cas de perceptions
faussées des actions de l’autre car à l’origine il y a une culture de l’inimitié entre Israéliens et
palestiniens ou entre indiens et musulmans pakistanais. Les deux nationalismes, arabo-palestinien et
juif (sionisme) sont nés en même temps au début du XXème. Il se pose comme des nationalistes
concurrents sur un même territoire. Cela nourrira une négation réciproque des droits de l’autre sur
une terre commune. Il y a donc bien souvent une représentation immédiate de l’autre comme
ennemi. C’est une représentation entretenue, enracinée, développée par les multiples conflits. Les
faits enracinent la représentation.
Grands enjeux politiques internationaux

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Dans le cas indo-pakistanais, il faut évoquer la question du Cachemire, c’est la fixation d’une inimité
liée à deux tempos chronologiques : d’abord au temps court de deux Etats nés en 1947, et en même
temps au temps long des relations ambivalentes et difficiles entre hindous et musulmans dans
l’Histoire et pendant la colonisation britannique. Une culture d’inimitié qui va se cristalliser au
moment de la naissance de l’Inde dans la mesure où l’on voit l’opposition voire le conflit idéologique
entre deux conceptions de l’Etat :

- Conception de Nehru : projet de nation multiculturelle qui rassemblerait dans le cadre d’un
patriotisme fédéral, d’un Etat homogène (une nation, une langue). C’est une conception
laïque, pluri-religieuse de la nation.
- Idéologie du Pakistan moderne : les musulmans doivent avoir leur Etat à eux. Idée d’un Etat
confessionnelle qui va devenir concret en 1947.

La question du Cachemire se situe au carrefour de ces deux conceptions de l’Etat. L’Inde justifie sa
souveraineté sur le Cachemire en fonction de sa conception laïque et pluri-religieuse de la nation. Le
Cachemire appartient à une Inde multi-religieuse. Pour les nationalistes pakistanais, les indiens sont
d’abord des hindous, et donc le Cachemire doit être rattaché au Pakistanais. Les britanniques ont
privilégié les musulmans, ce qui a fait radicaliser les nationalistes hindous.

C. Les guerres occidentales humanitaro-démocratiques


C’est ce que certains ont appelé la « face cachée de la paix démocratique ». C’est l’intervention de
l’Otan au Kosovo, l’Afghanistan, l’Irak, la Lybie, le Mali. Aucune de ces guerres n’était nécessaire en
fonction de l’impératif de sécurité. Aucun de ces pays ne menaçait les intérêts des démocraties
occidentales. C’est une guerre de choix, le choix de reconstruire des zones ou des Etats selon ses
propres normes. C’est une application belliciste du libéralisme international qui vise à conformer le
monde aux normes de la démocratie libérale de marché. Il s’agit d’exercer son emprise politique sur
une zone cible, dans un projet au nom des droits de l’homme et des valeurs de la démocratie. Ce
serait un « impérialisme orientaliste » : c’est une volonté impériale de normer le monde, c’est le
regard que l’Occident pose sur l’Orient avec une vision dépréciative. Il y a un choix idéologique. Ex :
Lybie. On avait un projet idéologique légitimé par la recherche d’un autre totalitarisme pour
promouvoir les droits de l’homme.

A partir de cette invocation, la guerre est redevenue rationnelle et nécessaire aux yeux de l’opinion
occidentale, par rapport à ce qui serait le non-recours à la force. Par rapport aux violations des droits
de l’homme, la guerre devient rationnelle, nécessaire, juste. Cet argumentaire est présent en
Allemagne en 1999. Elle a toujours interdit aux soldats d’intervenir hors du territoire national, mais à
partir de la réunification et de la fin de la guerre froide, l’Allemagne fait partie d’alliances et donc son
armée peut rentrer dans une coalition. Le débat a lieu sur la question du Kosovo : les autorités
allemandes se décident pour une intervention et les opposants au gouvernement brandissent le
thème pacifiste (« plus jamais de guerre, mais plus jamais Auschwitz »). Donc la guerre est juste et
nécessaire. Une majorité d’occidentaux, 60% des français approuvent l’intervention au Mali, les
interventions contre l’EI, au nom de la norme supérieure des droits de l’homme.

Dans cette nouvelle théorie de la guerre juste que l’on trouve au cœur de la rationalité occidentale,
on retrouve les 4 arguments historiques de la guerre juste énoncée depuis Saint-Augustin. Au début
du Vème, il légitime la guerre juste si elle permettait la paix. C’est l’un des argumentaires
d’aujourd’hui. Mais aussi avec Thomas d’Aquin, la guerre est juste si elle est destinée à faire
triompher le bien-commun de l’Humanité (aujourd’hui, la démocratie). Egalement argument comme
quoi la guerre est juste si elle permet d’éviter un mal plus grand. C’est la légitimation des
Grands enjeux politiques internationaux

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interventions actuelles. 4ème argument : Grotius, la guerre juste est la guerre défensive contre
l’agression et aussi la guerre coercitive c'est à dire punir ceux qui violent gravement le droit.

On a des opinions converties à l’idée de guerre par un cadre normatif, du fait d’un discours qui
autorise la guerre contre un autre parce qu’il ne respecte pas les mêmes valeurs. On retrouve
finalement la théorie du XIXème du « double-standard » c'est à dire les normes qui limitent la guerre
au cœur mais au-delà, la force peut être illimitée. Idée que la communauté internationale doit
protéger le droit, c’est la doctrine de la sécurité humaine, la norme de la responsabilité à protéger.
Les Etats sont considérés comme étant au service de leur peuple. La guerre contre ces Etats est alors
juste et nécessaire. On peut se demander si dans cette guerre occidentale, il n’y a pas un modèle
occidental de la guerre qui est porté par ces opérations et se vérifieraient. Victor Davis Handson a
écrit un livre Le modèle occidental de la guerre, il y aurait depuis l’Antiquité un modèle occidental de
la guerre, liée à la démocratie de l’Occident. Cela correspondrait à une dimension démocratique : la
guerre est décidée après un débat, la guerre se fait au nom de ces valeurs et elle doit être courte
pour rentrer au plus vite. Le modèle occidental de la guerre est centré sur la bataille frontale brutale
et rapide. Le modèle occidental de la guerre vise essentiellement le face à face frontal de deux
armées où il pourrait y avoir cette décision du fait de ce face à face. Les grecs auraient laissé à
l’Occident cet héritage. Les occidentaux sont persuadés que ce type de bataille est préférable, les
occidentaux auraient alors une aversion pour le terrorisme, la guérilla c'est à dire les pratiques qui
choisissent de faire la guerre d’une autre façon que l’affrontement face à face. Le modèle grec de la
bataille rangée aurait marqué l’Occident ce qui expliquerait la légitimité de la guerre contre un Etat
terroriste qui ne respecterait pas ces formes de violence et l’échec de l’Occident face à ces formes de
violences car sa conception est inadaptée.

D. La notion de guerre hybride


On a pu voir la montée en puissance de ce type de conflit. Hoffman, Conflict in the 21th century: Il
montre que dans ce type de guerre, on est au Carrefour entre guerre public et guerre privé, guerre
étatique et non étatique, action formelle et action informelle. La frontière entre la paix et la guerre
s’efface, il n’y a pas de déclarations de guerre. L’ennemi véritable est invisible, il n’est pas identifiable
dans un conflit. Les opérations cherchent à déstabiliser, à exfiltrer un Etat. C’est un type de guerre qui
a existé à tous les âges. L’actualité du conflit ukrainien a permis d’identifier ce type de guerre :
question de la Crimée. Il y a une stratégie qui commence par une campagne médiatique, puis des
armes arrivent clandestinement, puis des infiltrations, puis tout dégénère. Nous avons dans le cas
ukrainien un cas emblématique de guerres à venir, hybrides. On aurait les deux violences qui
devraient occuper l’avenir.

 Clausewitz est associé à la guerre classique car il définissait la guerre comme un duel qui doit
permettre de régler un problème. Donc, on a une vision rationalisatrice de ses théories, qui a
été celle d’Aron. René Girard a livré une relecture de Clausewitz, sous le titre Achever
Clausewitz, qui nourrit un pessimisme important. Pour Girard, les nouvelles conflictualités
d’aujourd’hui ne rendent pas obsolètes la conception de la guerre que l’on trouve chez
Clausewitz. Il ne serait pas seulement le penseur du duel décisif, mais aussi celui du
déchainement de la guerre. Il est l’auteur qui a entrevu ce que Girard appelle « la montée aux
extrêmes » à partir de la guerre mimétique. La guerre peut être illimitée parce que chacun
des deux belligérants va accuser l’autre d’avoir commencé. Il y a une victimisation réciproque
de l’agresseur et de l’agressé.

Secti on 3 : vivons-nous dans un monde « postcolonial ? »


Grands enjeux politiques internationaux

18
Il y a un retour du colonial dans nos société européennes (France, Belgique, Angleterre, Pays-Bas)
c'est à dire les pays qui ont exercé une emprise coloniale. Il y a de plus en plus un débat sur les crimes
et sur les massacres de l’ère colonial, avec des repentances des sociétés européenne. Il y a eu
également des débats sur l’éventuel aspect positif de la colonisation. Ex : un projet de loi avait prévu
d’inscrire cette mémoire positive de la colonisation. Il y a également l’héritage colonial dans nos
sociétés en termes de représentation, qui serait issu de l’imaginaire de la colonisation. Dans les pays
d’Europe occidentale, il y a également des tensions identitaires, notamment dans des sociétés
multiculturelles. Elles sont souvent mises en relation par des intellectuels et des penseurs, avec la
colonisation, l’héritage colonial. Enfin, au niveau des Relations Internationales, on a pu évoquer le
terme « d’impérialisme orientaliste » c'est à dire une politique d’impérialisme orientaliste de
l’Occident avec des formes de dominations et de mépris vis-à-vis de ce qui n’est pas l’occident.

A partir de cela, il y a une sensibilité intellectuelle et politique qui pousse à voir dans la situation
coloniale et dans sa reproduction l’origine et la cause de tensions, de rapports sociaux, cela aussi bien
dans les anciennes colonies comme dans les anciennes métropoles d’Europe occidentale. Cette
sensibilité se réclame de la démarche et des postulats d’une discipline, qui s’est affirmée d’abord
dans le monde anglo-saxon, puis récemment en France : les postcolonial studies, qui ne sont
épanouies depuis 1990.

« Postcolonial » est un adjectif signifiant ce qui vient chronologiquement après la colonisation. Ici,
c’est « post-colonial » ce qui veut dire penser le postcolonial, tout ce qui procède du fait colonial,
sans distinction de temporalités, c'est à dire les représentations qui révèleraient la reproduction. Une
société post-coloniale est une société libérée politiquement et économiquement des formes
coloniales de domination, mais qui serait profondément marquée par cette domination en termes de
culture, de représentations culturelles, d’imaginaire, etc. Aussi bien dans les anciens pays colonisés,
que dans les anciennes métropoles coloniales.

Ces études ont connu un essor important, car elles semblaient liées à des thématiques traversant les
sociétés contemporaines. Elles ont nourri l’intérêt public pour le questionnement de ces
universitaires, qui s’engagent et s’introduisent dans le débat public, ils tiennent des tribunes et nous
obligent à réinscrire ces thématiques dans des contextes précis : nos sociétés de ces dernières
années.

I. Les conditions de naissance des post-colonial studies et leur


développement
Le point de départ est l’œuvre d’un intellectuel issu du tiers-monde, qui a fait sa carrière aux US dans
les années 70, E. Saïd, un palestino-américain, avec L’orientalisme (1978) c'est à dire l’Orient créé par
les représentations stigmatisantes de l’Occident. Il a étudié toute la production académique
occidentale sur l’Orient de la fin du XVIII jusqu’au XXème (principalement britannique et française).
L’orientalisme est un système de connaissance c'est à dire l’accumulation d’un savoir sur l’Orient, de
la part de ceux qui ont appelaient les Orientalistes. Mais c’est aussi une représentation de soi,
l’occidentale, et de l’autre, l’orientale, qui va de pair avec l’exercice de la domination occidentale sur
l’Orient. D’où l’expression « l’orient créé par l’occident ». Une partie de la création culturelle
européenne serait imprégnée d’un impérialisme latent. Saïd aborde la domination par la
superstructure, c'est à dire les idées. Il rompait en cela avec les analyses marxistes qui mettait plutôt
en avant les infrastructures.

Il montre également que les cultures des colonisateurs ont été travaillées par la culture de la
domination. Saïd donne ainsi un élément nouveau à l’anticolonialisme. Il pouvait paraitre passé, dans
la mesure où tous les pays avaient acquis l’indépendance. Le livre formulait un programme
Grands enjeux politiques internationaux

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d’anticolonialisme intellectuel, au moment où dans les années 70, tous les espoirs investis dans le
Tiers-monde sont retombés. Ces expériences avaient conduit parfois à des catastrophes. On
retrouvait alors un autre programme permettant de raviver l’anticolonialisme sur le front culturel
aussi bin en Occident qu’à l’extérieur. Un nouvel objet de recherche a été lancé : le discours colonial
et l’étude de ses structures qui perduraient dans le temps. Il donnait un sens politique à ce
programme d’études critiques de la permanence coloniale. Les post-colonial studies vont réaliser ce
programme intellectuel critique lancé par Saïd. Elles ont suivi le travail initié par Saïd.

Dans les années 80, le programme intellectuel critique va être annexé par des spécialistes de
littérature comparée. Ces spécialistes vont déconstruire le discours colonial qu’il pouvait observer ou
déconstruire aussi bien dans les anciens pays colonisés que dans les métropoles. C’est lié à un
contexte qui est celui des années 80 : l’évolution des littératures anglophones d’Afrique. On
s’aperçoit que le projet qui avait existé de construire des littératures nationales qui incarneraient les
indépendances est épuisé, dans la mesure où les écrivains africains revendiquent un double-
enracinement : dans la culture africaine traditionnelle mais aussi dans la culture occidentale. C’est la
critique de ce double-enracinement qui est fait à ce moment-là. On dit alors que ces écrivains
« contre écrivent en anglais ». Donc, en 1989, le terme post-colonial est proposé pour décrire le
caractère hybride de cette littérature anglophone. Le terme est proposé dans un ouvrage de 1989
« The Empire writes back » (Théorie et pratique dans les littératures post-coloniales).

A la suite des littéraires dans le monde anglo-saxon, les historiens vont emprunter cette perspective.
A partir de la fin des années 80 va se développer une nouvelle historiographie « impériale »,
notamment avec la New imperial history, qui aborde ces dimensions culturelles. C’est le chemin qui
sera emprunté par une historiographie indienne qui va se spécialiser dans l’étude des dominés : les
subaltern studies c'est à dire une étude sur les dominés dans les anciens mondes colonisés et les
métropoles. A partir de 90, on a une explosion des post-colonial studies notamment quand des
universitaires du tiers-monde arrivent dans des universités occidentales.

Il y aussi une origine politico-sociale c'est à dire qu’il y a de plus en plus l’habitude de faire une
comparaison entre les colonisés de l’extérieur et ce que l’on repère comme les colonisés de
l’intérieur. C’est la coloniality c'est à dire ce qui serait la face cachée de la modernité occidentale. Ces
colonies de l’intérieur sont les dominés, qui se sont reconnus comme tels (minorités ethniques,
femmes, homosexuels). Dans un contexte intellectuel d’engagement, on s’en prend à l’oppression
métropolitaine. C’est là que se fait la jonction entre post-colonial studies et subaltern studies. Les
premières fournissent un répertoire culturel et idéologique à des mobilisations sociales qui peuvent
être amplifiées par le phénomène des diasporas dans le monde et par l’importance des phénomènes
migratoires. Il y a une tendance à relier l’expérience politique et sociale de la globalisation à son
passé c'est à dire la globalisation qui a été le fait de la colonisation.

A partir de cette convergence que la discipline acquiert vraiment une autonomie académique avec
une ambition pluridisciplinaire. Elle peut en faire aussi sa faiblesse. Lorsqu’elles se constituent en
discipline autonome, ces études affirment leurs objectifs. C’est l’idée de mettre à nue, de dévoiler la
violence de la raison occidentale. C’est la « violence des Lumières » imposée au monde par
l’Occident. Il y a une volonté de remettre en question l’universalisme européen qui a démarré avec
les Lumières. On voit l’évocation de ces objectifs chez des auteurs comme Dipresh Chakrabarty avec
Provincialiser l’Europe en 2000. Ce livre est significatif de cette volonté de déconstruire les catégories
de pensées classiques, marquées par l’universel et notamment l’universalité des droits de l’homme.

Lié à cet objectif, un second est souvent sous-jacent : un objectif prénormatif c'est à dire que l’on
insiste implicitement dans les conclusions de ces ouvrages sur une humanité qui reste à venir c'est à
Grands enjeux politiques internationaux

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dire l’humanité qui va renaitre une fois que toutes les figures coloniales auront disparu de la tête des
hommes (un auteur ougandais, Mahmoud Mamdani).

 Il y a une hétérogénéité de départ au sein de cette discipline qui est revendiquée comme une
richesse mais peut être aussi une faiblesse.

II. « La situation post-coloniale » : une déclinaison internationale et interne


Cette « situation post-coloniale » peut être décryptée sur le plan international mais aussi sur le plan
interne.

A. Sur le plan international


Les historiens ont montré l’importance de la période coloniale (XIXème) dans le processus de
globalisation qui affecte le monde et les liens entre cette globalisation coloniale et l’impérialisme
occidental de l’après guerre froide. Certains travaux montrent cela, où l’on va faire l’inventaire des
racines historiques de la pensée impériale, sur les visions victoriennes de l’ordre global, etc. On va
progressivement rechercher les racines du nouvel impérialisme occidental du début du XXIème siècle
dans l’impérialisme informel du XIXème c'est à dire quand on n’inscrit pas la souveraineté du
colonisateur. L’impérialisme formel implique que le territoire est sous la souveraineté de la
métropole. Des connections sont faites entre l‘impérialisme informel et le mode de gouvernance
global qui se serait progressivement instauré depuis la décolonisation et surtout depuis la fin de la
guerre froide. Comme au XIXème, les grandes puissances et leurs firmes ne gouverneraient plus les
anciennes colonies par des administrations mais par des moyens informels, notamment les aides
économiques, les programmes de gestion de la dette publique, les règles de commerce imposées par
l’OMC, les dépendances militaires, et aussi les interventions ponctuelles. Plus globalement, la
domination du multilatéralisme global mis en place d’abord par l’Occident et à son usage. Il
permettrait de perpétuer des inégalités entre l’Occident et le reste du monde. On a un lien entre
cette gouvernance globale et l’impérialisme formel (impérialisme du libre-échange). Par ce travail de
comparaison, on est dans une histoire engagée.

L’étude comparée des discours de légitimation de l’impérialisme colonial du XIXème et le discours de


la modernisation occidentale de la seconde moitié du XXème et surtout de l’après guerre froide,
c'est à dire un discours universaliste, qui mêle modernisation et émancipation, bon gouvernement et
liberté (démocratie libérale). C’est là que ces historiens introduisent la notion d’impérialisme
civilisationnelle, qui se décline aujourd’hui par la volonté d’apporter le marché, la liberté, et la
démocratie. On veut faire le lien avec celui du XIXème où l’on rappelait les droits et les devoirs du
colonisateur occidental « améliorer, civiliser, développer, constitutionnaliser, démocratiser, libérer » :
ces impératifs ressembleraient à la modernité occidentale dans le discours de la démocratisation
mondiale depuis 1990. En 1914, 85% des populations non-européennes étaient intégrées dans des
empires coloniaux.
Grands enjeux politiques internationaux

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On s’aperçoit que ces droits et ces devoirs légitimant l’impérialisme occidental sont consubstantiels à
la création et aux premiers développements du droit international. Le droit international qui nait à
partir des années 1970 est inséparable de la notion de standard de civilisation.

Martii Koskenniemi a écrit Le gentil civilisateur des nations, l’affirmation et le déclin du droit
international 1870-1960 (2001). Son livre commence avec la fondation de l’Institut de droit
international en 1873. L’auteur montre que cette création est contemporaine de l’atmosphère et de
l’idéologie du « scramble for Africa » c'est à dire le moment où l’Afrique passe sous la coupe des
Etats colonisateurs. Il analyse les différents empires formels et informels de l’époque, en relation avec
cet universalisme juridique qui nait avec les « hommes de 1873 », ceux qui fondent l’Institut de droit
international. Il voit la colonisation comme normal et nécessaire, bienfaitrice pour les colonisés. Il
montre que ces hommes développent une forme de « conception paternaliste des droits de
l’homme ». Il existe un débat à ce moment-là entre universalisme contre particularisme (ou
relativisme). L’histoire de ce débat est le thème central d’une partie du livre. Dans le contexte du
colonialisme, c’est un débat entre exclusion et inclusion des hommes. L’auteur évoque
l’argumentaire tenu sur la différence des non-européens, qui rend impossible l’extension des droits
européens aux indigènes (thèse de l’exclusion). Face à cela, la thèse de l’inclusion qui est majoritaire
est l’idée de la similarité des indigènes et européens. C’est la disparition de la différence aux moyes
d’un humanitarisme universel. Ces institutions universelles doivent laisser la place à la souveraineté
européenne. Ce débat resterait tout à fait typique du discours actuel sur les droits de l’homme. C’est
un questionnement qui a été nourri par les échecs de la démocratisation et de l’humanitaire imposé.
C’est un ouvrage troublant qui donne une consistance à cette notion. Il montre comment le droit
international ne peut pas se comprendre si on l’isole de cette période de la globalisation coloniale.

Un autre ouvrage pose ce même questionnement, celui de Brett Bowden, The Empire of civilisation,
the evolution of an imperial idea. C’est une étude sur le standard de la civilisation qui doit s’étendre
au monde par le biais de la colonisation. Un autre ouvrage sur cette question, celui de Mamdani,
centré sur l’Afrique, Citoyens et sujets : l’Afrique contemporaine et l’héritage du colonialisme tardif. Il
montre que l’occident appliquerait le modèle colonial depuis l’après guerre froide à partir de trois
composantes que l’on retrouve dans l’impérialisme civilisationnel du XIXème. Cet impérialisme, au
nom de la mission civilisatrice, il fait une comparaison troublante entre un discours tenu par Tony
Blair qui dit qu’il faut faire la guerre et les discours tenus entre 1885 et 1898 à propos du Soudan.
C’est une grande crise internationale de la fin du XIXème. C’était une dépendance de l’Egypte, elle-
même un protectorat de l’Empire britannique. Dans les années 1880, le Soudan est animé par une
révolte sociale et nationale qui prend une coloration religieuse. La révolte est menée au nom de
l’Islam, sous la direction d’un homme qui se dit être une sorte de messie. Cette révolution est
victorieuse. Une mobilisation occidentale se créé pour reconquérir le Soudan au nom d’une mission
civilisatrice face à un Etat islamique. Mamdani a comparé les justifications de Blair et les justifications
des Premiers Ministres britanniques à cette époque.

Certaines méthodes de la pacification coloniale ont pour argumentaire principal au XIXème de mettre
certains peuples à l’abri des menaces des autres, et en même temps en aidant leur développement
économique. L’argumentaire occidental vis-à-vis des kurdes d’Irak est le même. Autre méthode : les
méthodes de gouvernement indirect c'est à dire céder responsabilités à des indigènes en politisant
des divisions ethniques. C’est le cas en Irak, avec l’accentuation la division entre Chiite et Sunnite.

B. Sur le plan des sociétés internes


• En Angleterre
Grands enjeux politiques internationaux

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C’est d’abord en Angleterre que ce débat s’est installé, dès les années 80, avec notamment un
ouvrage de Mackenzie en 1986, Imperalism and popular culture. Il parle de la culture ouvrière
britannique qui montrait sa relative autonomie par rapport à l’élite aristocratique et bourgeoise. Il
montre qu’elle n’est pas tant autonome car elle est imprégnée par l’héritage colonial. Elle rend cette
culture ouvrière moins autonome. C’était un premier ouvrage qui rentrait dans ce sujet dès 1986.

Depuis, les affaires se sont accélérées surtout dans les années 2000 avec une série d’ouvrages qui
relancent le débat et se répondent parfois l’un l’autre. Un livre a relancé le débat, celui de l’historien
Niall Fergusson, Empire, how Britain made the modern world. Pour Fergusson, il faut voir le monde
colonial aussi à travers l’idéalisme, la coopération des peuples, la rationalité administrative, etc. Il dit
qu’il faut rappeler le contexte, et d’autres Empires étaient surement pires que l’Empire britannique.
C’est une thèse d’un historien très conservateur. Le mérite du livre de Fergusson était de produire des
effets contraires. Des auteurs lui ont répondu dans le cadre des post-colonial studies, en montrant
comme des comportements britanniques actuels sont façonnés par la culture coloniale.

C’est le cas de Hall qui écrit en 2006 L’Empire à la maison : représentations de la femme, sexualité,
consommations, elle décrypte le poids de la culture impériale. Les anglais penseraient impérialement
dans leur vie quotidienne. Ce n’est pas dans le sens d’une prise de partie politique mais tout
simplement en étant ce qu’ils étaient. Thompson a également écrit sur le sujet avec The Empire
strikes back (l’impact de l’impérialisme sur la GB depuis le milieu du XIXème). Il souligne le fait que
cette façon d’être ou de penser impérialement qui se perpétue toujours à la fin du XVIIIème se
conjugue avec l’importance accrue d’anciens sujets de l’Empire britannique sur le sol britannique. Ce
débat a été lancé plus tôt en GB. La mémoire de la colonisation est revenue sur des zones d’ombre
(décolonisations pas si pacifiques au Kenya, catastrophes humanitaires).

• En France

Un débat a vu s’épanouir un programme d’études post-coloniales. Cet intérêt intellectuel mais aussi
public pour la question post-coloniale doit être replacé dans un contexte très précis, très récent. C’est
le contexte des années 2000 qui se resserrent autour des années 2005-2007. Le premier élément est
la visibilité de plus en plus grande d’une société multiculturelle.

En Janvier 2005, on assiste à la naissance d’un mouvement : le mouvement des Indigènes de la


République qui lance un appel public qui parle d’une République post-coloniale. Cette fracture serait
liée à cet héritage colonial. En Février 2005, un projet de loi vise à affirmer le rôle positif de la
colonisation française, porté par des députés influencés par le lobby pied-noir. Il sera retiré sous la
pression des contestations. En novembre 2005, pendant le mois d’émeutes qui affectent les quartiers
populaires, on va analyser cette fracture sociale comme une fracture d’origine coloniale. En juillet
2007, un discours maladroit et provocateur de Sarkozy à Dakar qui dit que « l’homme noir est entré
tardivement dans l’histoire » ce qui illustrait le poids de l’imaginaire colonial.

Trois démarches sont construites par les tenants des études post-coloniales sont symbolisées par
trois livres. La première démarche est d’identifier la fracture sociale comme une fracture coloniale
avec une continuité des représentations de l’époque coloniale jusqu’à notre époque. La deuxième est
l’œuvre d’historiens, c’est de relire l’histoire de la République à la lumière de la colonisation en
insistant sur l’osmose des deux projets historiques c'est à dire le projet républicain et le projet
colonisateur par les mêmes hommes, au nom des mêmes valeurs, à la même époque. Ce couple
république/empire engendrerait toujours des situations de crise au début du XXIème. La troisième
démarche est de voir dans l’état colonial du XIXème, dans sa violence, dans sa dimension sécuritaire,
son racisme, la matrice de Vichy. Au-delà, la matrice de toutes les formes sécuritaires de notre Etat
contemporain dont les lois sur l’état d’urgence sont l’expression.
Grands enjeux politiques internationaux

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Bancel et Blanchard ont écrit La fracture coloniale : la société française au prisme de l’héritage
colonial ce qui reflète la première démarche. Ils ont écrit également avec Vergès La république
coloniale. Enfin, Olivier Lecour-grandmaison écrit Coloniser, exterminer : sur la guerre et l’Etat
colonial.

 La République coloniale

C’est le livre de Bancel, Blanchard et Vergès. Ces auteurs rappellent que les républicains sont les seuls
à soutenir l’expansion coloniale au XIXème. La colonisation est conçue comme un champ
d’expérimentation politique pour la République avec un discours civilisationnel, conquérir pour
sauver, avec une légitimation de l’ingérence civilisationnel. La colonisation est un champ
d’expérimentation pour les idées des Lumières que les Républicains entendent porter. Ces
républicains, même s’ils s’affirment de gauche, sont des représentants d’une bourgeoisie moyenne,
qui ont peur des « classes dangereuses » (prolétariat). La pacification sécuritaire des indigènes sert
de modèle à la pacification des classes dangereuses à l’intérieur de la métropole. C’est la naissance
d’un particularisme nouveau, républicain-impérial, c'est à dire que l’empire colonial permettrait une
renationalisation de l’espace français, en donnant une nouvelle vigueur, un nouveau vitalisme à
l’identité nationale, qui serait menacée par des mouvements sociaux révolutionnaires (Commune de
Paris) et déclin démographique. Ils étudient également la législation coloniale qui instaure une
séparation nette entre colons et colonisés. Il y a une contradiction totale. Les principes républicains
assimilationnistes coexistent avec l’idée de hiérarchie des races qui fonde la séparation entre
colonisés et colons. Ces auteurs voient dans la grande exposition coloniale de 1931 une métaphore
de cette République coloniale, le but étant de faire aimer aux français leur empire. Il y avait une leçon
de nationalisme dans le discours de l’exposition : l’acte colonial s’inscrivait dans les valeurs de la
République, avec la mission humanitaire et civilisatrice. C’est un livre qui a beaucoup ébranlé, et qui
montrerait la continuité.

 La fracture sociale comme fracture coloniale

A partir de cet héritage, c’est l’explication de la fracture sociale comme une fracture coloniale. La
société française se comprendrait à partir de cet héritage.

« Nous, descendants d’esclave et de déportés africains, filles et fils de colonisés


et d’immigrés, nous, français et non français vivant en France, militants et
militantes engagés dans les luttes contre l’oppression et les discriminations
produites par la République post-coloniale, lançons un appel … ».

Il y a un amalgame qui est fait entre trois situations historiques, trois statuts qui ne sont pas
forcément assimilable c'est à dire l’esclavage, le colonisé et l’immigré. L’immigration s’est faite dans
le cadre des années 50 et 60, par le biais du regroupement familial ensuite. C’est symbolique d’un
certain engagement des études post-coloniales. On peut souligner également le mot indigène, qui
renvoie précisément à la situation coloniale du XIXème où l’on avait coutume d’opposer dans le
vocabulaire commun les indigènes et les européens. Un autre mot peut choquer : le mot déporté. Il a
une résonnance particulière, il renvoie à la déportation nazie. C’est un mot fort et chargé qui vise à
connecter deux situations qui peuvent apparaitre très différentes : celle de la traite et celle de l’Etat
nazi. Le mot oppression est fort, il renvoie à un système répressif, à un Etat autoritaire voire
totalitaire. Le mot discrimination peut être inscrit dans la loi, comme celle de l’apartheid. Ce mot fort
suggère un état juridique. La république post-coloniale signifie que la République aurait intégré les
méthodes coloniales du XIXème. C’est un texte chargé qui a suscité un débat et des critiques
Grands enjeux politiques internationaux

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 La pacification des « classes dangereuses »

C’est le livre de Lecour-Grandmaison, qui se concentre surtout sur l’Algérie. Les faits ont trait à l’Etat
colonial qui s’instaure en Algérie. Il met en valeur la violence de la conquête dans son livre Coloniser,
Exterminer. C’est une violence exterminatrice. Il met en valeur le fait que règne un état d’exception
où l’armée a souvent les pleins pouvoirs sur les espaces et les territoires. Il insiste sur la fixation par le
droit de la situation d’exception que vivrait l’Algérie avec le code de l’Indigénat, élaboré dans les
années 1880, figeant une situation de différence absolue entre européen et indigènes. Il revient
également sur les méthodes et pratiques de la pacification et parle de programmation de
l’extermination. Il montre à partir de ce savoir-faire des militaires, qu’il y aurait un transfert des
méthodes de pacification et de répression vers la métropole pour traiter un ennemi intérieur sur le
territoire. Il le montre dans deux répressions menées par des officiers ayant été formés sur le terrain
algérien : la répression de 1848 des ouvriers, et la commune de Paris. Il insiste sur le racialisme, la
sous-citoyenneté, sur l’existence de camps, qui ferait comprendre Vichy. Il dit que le système que va
mettre en place Vichy est déjà banalisé dans cette expérimentation coloniale algérienne, par des
juristes, des militaires, des administrateurs, des voyageurs, etc.

L’une des conséquences de cet Etat sécuritaire colonial qui pèserait sur l’Etat sécuritaire du XXème se
vérifierait à partir de 1955 dans l’instauration de l’état d’urgence. Il montre la continuité, que l’Etat
d’urgence est un état d’urgence colonial. La première loi est prise dans le cadre de la guerre en
Algérie, contre le FNL. Ensuite en 1985 avec la Nouvelle-Calédonie, et la répression du mouvement
indépendantiste. La 3ème étape de l’état d’urgence colonial se déroule en 2005 lors des émeutes des
banlieues. Il s’agit de la répression des indigènes de la République, la « racaille » des banlieues
(sarko). Lecour-Grandmaison interviendra sur l’état d’urgence dans une conférence en février, on
serait toujours en 2015 dans la situation post-coloniale avec un ennemi intérieur. Il y aurait toujours
un ennemi intérieur qu’on inventerait pour justifier l’état d’urgence. Il y aurait une continuité dans la
justification de l’état d’urgence par un ennemi intérieur.

C’est l’objet du livre de Rigouste, L’Ennemi intérieur : la généalogie coloniale et militaire de l’ordre
sécuritaire dans la France contemporaine. Il montre que depuis la guerre d’Algérie, c’est la doctrine
militaire française qui aurait imprégné la loi de 1955 inaugurant une politique sécuritaire en
criminalisant les mouvements sociaux avec une indistinction entre les « terroristes » et la population
au sein de laquelle vivent les terroristes. Il y a cette construction de l’ennemi intérieur. La question
post-coloniale est réactivée en permanence dans notre actualité.

Il n’est pas faux de dire que l’état d’urgence s’enracine dans l’état colonial, mais cela ne suffit pas
pour l’expliquer. D’autres sources sont à repérer dans l’histoire de la répression politique en France,
pas seulement lié à la colonisation. On la trouverait aux sources mêmes du régime républicain,
certains voient la source de la légitimation de l’état d’urgence dans un décret du 19 mars 1793 ayant
pour objet de « mise hors de la loi ». Tout n’est pas réductible à l’état d’urgence colonial (ex : contre
l’extrême droite entre 58 et 62)

III. Les critiques des post-colonial studies


Elles ont été formulées par différents intellectuels notamment Bayart, spécialiste de l’Afrique. Ils
rappellent qu’il ne faudrait pas exagérer le caractère inédit des questionnements de ces études. Dans
le traitement de la question coloniale en France dans les années 50-60, si on pense à des gens
comme Aimée Césaire (discours sur le colonialisme), ou Albert Menni, ou encore Fanon (Les damnés
de la terre). On peut rajouter les préfaces écrites par Sartre. On retrouve dans ces textes des
positions qui sont celles des tenants des études post-coloniales d’aujourd’hui. La République
française ne peut pas se permettre d’être républicaine selon Menni, un autre parle du « strip-
Grands enjeux politiques internationaux

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tease de notre humanisme ». L’idée de la République coloniale était déjà clairement énoncée par ces
auteurs. L’audience de ces auteurs et notamment Fanon et Menni, a été déjà universelle à cette
époque. Fanon a été traduit et introduit en Inde par exemple. De nombreux intellectuels indiens ont
été des lecteurs de Fanon. Il y a une audience universelle de ces auteurs.

De la même façon, on dit souvent que l’une des originalités des postcolonial studies est de connecter
la critique du colonialisme de la critique d’autres formes de domination. (à rattraper) Critique du
projet colonial, sans attarder sur l’exercice de la domination. Glissement culturaliste assez net, qui
vient de deux erreurs de méthodes.

3ème critique : la simplification du fait colonial. Les postcolonial studies simplifieraient la singularité du
fait colonial, sans bien comprendre l’historicité du fait colonial. Les Empires coloniaux auraient été
des empires comme les autres. On doit donc aussi les étudier à partir des questionnements
classiques qui ont été fait concernant d’autres empires. Comparaison à faire avec les autres empires
(antique, napoléonien, austro-hongrois). On a eu une réévaluation historique de l’histoire des
empires. Fred Cooper, dans Empires, et revue Monde(s) qui a consacré un numéro aux empires. On
intègre les empires coloniaux au même titre que les autres empires. Les comparaisons se font entre
situations impériales. Comment conjuguer l’intégration et la différenciation ? Que signifie se penser
comme un Empire ? Comment résoudre les problèmes liés à l’expansion démographique ? Les empires
coloniaux sont d’abord des empires comme les autres.

Concernant les situations coloniales, on peut insister sur la diversité des situations coloniales (colonie
d’exploitation, colonie de peuplement). On n’est pas colonisé de la même façon. A partir de là, on
n’est pas post-colonisé de la même façon. Mais aussi différenciation entre l’Etat de conquête et l’Etat
colonial stricto sensu, qui possède beaucoup plus de rationalité bureaucratique et beaucoup moins
de violences. On peut aussi faire des différenciations entre certains espaces coloniaux qui
possédaient une gouvernementalité moderne, comme en Inde et d’autres espaces qui ne possèdent
pas cela, comme au Kenya. Ex : dans l’Union française de 46, il y a 6 entités juridiques différentes. On
ne peut pas oser comme postulat une sorte de structure binaire qui opposerait la métropole d’un
côté et la colonie de l’autre. Il y a une grande hétérogénéité de statut au sein de l’Union française. Si
on prend la définition la plus stricte d’une colonie c'est à dire une situation de peuplements
allogènes, qui dépendraient totalement de la métropole, avec une appropriation coercitive de la terre
(vol de la terre indigènes). Ex : en Afrique, il n’y aurait alors que 4 vraies colonies selon cette
définition. On ne peut donc pas être post-colonisé de la même façon.

Les post-colonial studies négligent la diversité des acteurs coloniaux. Il y a des intérêts, des valeurs,
des projets très différents. Il y a des contradictions, des conflits de personnes, etc. Certains veulent
préserver la culture des indigènes, d’autres veulent supprimer la différence. Ex : courant de
l’indigénisme, visant à rééxumer le passé indigène. La colonisation se présentait comme une
conquête morale, avec une administration qui se voulait juste. Cette colonisation a bénéficié de la
collaboration de nombreux colonisés. Il serait historiquement anachronique de voir dans cette
collaboration de nombreux colonisés à ce discours de justice ou de moralité, d’y voir une traitrise ou
une aliénation. Les colonial studies concluent parfois à une certaine autonomie des colonisés, qui
investissent la scène de l’Etat colonial, qui s’approprient les règles de l’Etat colonial, qui s’approprient
la modernité politique, dans la perspective de réfléchir à la forme future de l’Etat nation, qui serait
créé après la décolonisation. C’est la « transaction hégémonique impériale » c'est à dire l’idée que
les Empires coloniaux reposaient autant sur la cooptation que sur l’occupation. Ils reposaient autant
sur l’adhésion que sur la soumission. Il y avait une forme de gouvernementalité fondée sur des
formes de consensus, sur une « servitude volontaire ». Tout cela était fondé sur un « langage tiers »
c'est à dire un discours qui n’était ni celui du colonisateur, ni celui du colonisé. Beaucoup d’historiens
Grands enjeux politiques internationaux

26
travaillent aujourd’hui sur ces groupes qui ont porté ce langage tiers, c'est à dire des hommes qui
étaient des intermédiaires politiques, culturels et administratifs entre le colonisateur et le colonisé.
On les trouvait dans le cadre de l’armée, dans le secteur hospitalier, dans le système scolaire, dans les
missions, dans le système économique des plantations. Il faut quitter la vision statique et binaire du
tête-à-tête entre colonisateur et colonisé.

Caractère contingent du fait colonial : le concept de situation coloniale a tendance a occulté


l’historicité du fait colonial. Il faudrait parler d’un « moment colonial » qui est parfois très bref. Pour
la plupart des situations envisagées, c’est moins d’un siècle. Ex : indépendance en 56 au Maroc, mais
22 ans de situations coloniales. Il y a une contradiction majeure entre le pouvoir de surdétermination
que les post-colonial studies attribuent au fait colonial, mais finalement quand on fait l’inventaire des
situations, on a une brièveté, une fragilité de la situation coloniale. La colonisation a été un épisode
de l’histoire de l’Afrique, c’est une césure qui peut être relative : le risque seraient d’en exagérer
l’importance.

4ème critique : les problèmes des continuités entre le colonial et le post-colonial. Les PCS postulent une
reproduction mécanique du colonial. Comment se ferait cet héritage ? Comment analyser le rapport
entre la diversité et l’hétérogénéité ? Le problème qui a été posé est les questions de l’enchainement.
Fred Cooper parle « d’héritages saute-mouton » c'est à dire comment passe-t-on d’une situation A
(situation coloniale) à la situation C (post-colonial). On oublie l’étape B du développement historique
qui devrait avoir une importance. Ex : Mamdani, Citoyens et sujets : l’Afrique contemporaine et
l’héritage du colonialisme tardif. Il fait un lien causal direct entre la politique coloniale des années
1920-30 qui se faisait par l’intermédiaire d’une autorité déléguée à des chefferies africaines fondées
souvent sur une ethnicité et la politique d’autoritarisme et d’ethnicité qui serait conduite en Afrique
dans les années 80-90. L’autoritarisme africain serait lié à cette pratique des années 20-30. Son
analyse ne disait rien sur le temps B, c'est à dire les années 50-60. Or, dans ces années, on a eu affaire
à la fin de la période coloniale et au début des indépendances avec une mobilisation socio-politique
souvent très efficace qui avait su transcendé les divisions ethniques, la distinction urbain/rural. Elles
avaient permis aux africains de revendiquer la citoyenneté. On avait vu un certain nombre de leaders
de ces années piéger les régimes coloniaux avec leur propre vocabulaire (citoyenneté, émancipation,
droit d l’homme). Mais une fois au pouvoir, les leaders ont compris les dangers de ce type de
mobilisation et c’est par rapport à ce danger qu’ils établirent des modes de gouvernement
autoritaires. La théorie postcoloniale serait passée à côté de ce moment B, de cette explosion de
citoyenneté dans les dernières années de la domination coloniale et serait passé à côté de la
fermeture de tous ces espoirs civiques.

Le sens des mots et des concepts : les catégories employées au XIXème et certains auteurs suggèrent
qu’ils nous introduisent à des mots et concepts du XXème. Il en est ainsi de la notion de « race » qui
n’a pas toujours le même sens du XIXème au XXème. Ce mot au XIXème a une grande extensivité,
qu’il ne faut pas toujours analysé à partir de notre grille d’interprétation qui se réfère aux idéologies
racistes du XXème et du nazisme. Le mot race est employé dans le sens de peuple ou de nation, c’est
un sens pas toujours rigoureux, pas toujours appartenant au dispositif raciste. Cette notion a pu servir
à inclure des sujets comme les « métisses » pour leur faire rejoindre le monde civique. Alors qu’au
XXème, le mot race a souvent servi à exclure des citoyens. Ex : Vichy. On a fortement critiqué la thèse
de la continuité qui aurait été de la colonisation jusqu’au régime de Vichy.

Le terme « exterminer » très fréquent au XIXème, nous renvoie au génocide de la WWII. Mais ce mot
n’a pas le même sens, c’est plutôt le sens d’évacuer, d’exclure mais pas de tuer physiquement. La
suggestion de cette continuité s’est faite à partir de la mise en valeur de l’institution des camps. Le
camp de concentration a été expérimenté dans un cadre colonial (Afrique du sud britannique de la fin
Grands enjeux politiques internationaux

27
du XIXème). Il faut être précis sur les termes employés. Aganben considère que les démocraties ont
parfois été amenées à gérer des états d’exception. Le camp est lié à certains états d’exception
décrétés par les démocraties. La différence est que les régimes totalitaires considèrent que l’état
d’exception devient la norme.

 Certains ont parlé à propos des PCS d’un « grand carnaval académique ». Les critiques ont été
vives car des auteurs des PCS se font engagés en liant leurs études à leur combat contre
l’exclusion, la justice sociale et le racisme ordinaire de nos sociétés. L’inventaire de la nation
ne nous dit pas toujours ce que fut exactement le moment colonial. Les PCS doivent peut-
être céder la place au colonial studies, qui se concentrent sur le moment colonial. Les colonial
studies ont-elles-mêmes connu des étapes nouvelles sous l’effet des questionnements des
post-colonial studies.

Secti on 4 : l’Europe est-elle menacée par une vague populiste ?


Les années que nous vivons sont marquées par le développement de formations de parti populistes,
depuis les années 1990. Il y a une visibilité médiatique qui semble s’être accrue ces dernières années.
Les élections européennes ont été des sismographes de cette tentation populiste qui affecterait
l’Europe. Le terme de populiste a reçu une tonalité nouvelle pour désigner tous ces mouvements
politiques. Il désigne toute forme de démagogie et de gouvernement autoritaire. Populiste est
devenu populaire et est devenu à la mode. Ces 15 dernières années, on a vu une multiplication
d’études sur le phénomène populiste (Taguieff, Reynié, Mény, Hermet, Birnbaum) au fur et à mesure
que le phénomène politique semblait s’accentuer.

En France, il a pris une résonnance particulière depuis les élections de 2002 avec Le Pen, puis à partir
des sondages qui donnent la présence de Marine Le Pen au second tour des élections de 2017. Les
élections internes ou européennes ont montré la vitalité du phénomène. Les élections européennes
de 2009 ont vu les mouvements populistes atteindre 10% dans 7 pays européens. Cela se constatait
dans les élections internes, comme en 2010 qui fut une année de grande visibilité. On avait pu
observer la progression de ces mouvements (élection régionale en Italie, élection présidentielle en
Autriche, législative en Hongrie, au Pays-Bas et en Suède). On a pu comptabiliser près de 60
mouvements et de partis de ce type au sein de l’UE.

La notion de populiste est très imprécise. Son utilisation est inflationniste par les médias et les
politiques. On peut donc être sceptique sur ce terme. Malgré tout, on a besoin d’un concept
englobant pour nommer quelque chose.

I. La définition et les origines du « populisme »


Populiste : courant littéraire russe dans les années 1850-80, courant qui idéalisait et exaltait le peuple
paysan russe et qui l’opposait aux élites modernes occidentalisées. C’est l’opposition entre élites et
peuples. En France, l’utilisation du mot est bien postérieur : à partir de 1929 pour décrire un courant
littéraire en réaction à l’élitisme dominant du romain français. Mais il n’est pas utilisé pour des
phénomènes politiques. On parlait de nationalisme ou de bonapartisme. Les premières analyses
académiques qui vont utiliser ce terme sera à partir des années 50-60 au US, pour interpréter le
Grands enjeux politiques internationaux

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maccarthysme, mais aussi les régimes autoritaires sud-américains. On parle alors de national-
populisme.

Depuis ces années, on compte beaucoup d’études sur le phénomène :

- 1969 avec Ernst Gellner, grand spécialiste du nationalisme


- 1981 avec Margaret Canovan, Populism

A partir de là, on a affaire à deux types de discours qu’il faut différencier : il y a un discours politico-
médiatique qui est polémique et péjoratif. Personne ne se qualifie de populiste. Il y a aussi un
discours académique, avec des auteurs qui ont qualifié le terme par rapport à l’extrême droite.

On peut trouver trois éléments de caractérisation du phénomène populiste contemporain :

A. Une expression de la politique démocratique de masse


C’est l’appel au peuple, le culte du peuple. Inévitablement, on va appeler populiste une conséquence
de l’intégration des masses avec une politique moderne qui se met en place qui est une politique de
masse. Les élites doivent ressembler aux gouvernés, pour légitimer cette démocratie représentative.
L’une des premières opérations de la politique de masse est d’unifier la masse des gouvernés dans
une seule entité qui est le Peuple. Le phénomène populiste sera une conséquence de ce changement
historique. Pour Canovan, c’est le noyau dur du populisme, l’exaltation du Peuple.

Le régime démocratie peut recevoir deux interprétations différentes :

 La démocratie directe : le Peuple se gouverne lui-même


 La démocratie représentative : la seule possible dans les faits.

Il y aura toujours dans la politique démocratique de masse un écart permanent entre l’idée
démocratique d’un peuple qui se gouverne lui-même et le fait démocratique où un peuple est
gouverné par ses représentants. La critique de la démocratie représentative apparait comme le
premier populisme historique. Il peut y avoir un appel au peuple chez ceux qui dénoncent la
représentation, qui voient la représentation comme une supercherie. Cet appel au peuple peut être
trouvé aux extrêmes, l’extrême gauche (démocratie formelle accaparée par les élites) mais aussi
l’extrême droite (peuple qui s’incarne dans un monarque, un empereur, un homme fort). A partir des
années 1880-90, on a vu en France des mouvements qui ont joué sur ce fossé entre l’idée du peuple
qui se gouverne lui-même et la supercherie de la représentation. Ex : boulangisme, nationalisme de
l’affaire Dreyfus mais aussi aux US puis les premiers mouvements fascistes, mais aussi avec Perón et
Nasser. Il y a un populisme originel lié à la politique démocratique de masse de notre modernité. Betz
a écrit La droite populiste en Europe : extrême et démocrate ?

Canovan nous dit que cet appel au peuple a deux faces :

 Un clivage horizontal : une face idéalisant le peuple par rapport aux élites, c’est le clivage
horizontal, mis en valeur par le discours populiste. Populisme aussi bien d’extrême gauche
que droite.
 Un clivage vertical : suggère que le peuple est menacé par un autre peuple étranger,
immigré. On aura alors un discours xénophobe. Le Peuple imaginaire a ici une dimension
ethnique voire quasi-raciale. Particulier à l’extrême droite.
Grands enjeux politiques internationaux

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Le populisme peut emprunter à une thématique de gauche comme à une thématique de droite, d’où
l’opportunisme des mouvements populistes. Cette caractérisation est liée à l’émergence de la
politique de masse.

B. Le développement du populisme dans les pays européens depuis les années


90
Le populisme essaie de caractériser ce nouveau populisme à partir de l’examen d’une transition
historique qui serait la nôtre et affecterait le monde, mais plus particulièrement l’Europe. Ce serait
une combinaison de la globalisation, du vieillissement démographique européen et une population
vieillie. C’est une sensibilité plus grande aux thèmes sécuritaires, une inquiétude générale par rapport
à tout ce qui est nouveau et différent. Elle affecte une population faible. Cette transition historique va
générer un clivage, mis en valeur par Kriesi qui a réalisé une étude comparative sur 6 démocraties de
l’UE et met en place le clivage démarcation/intégration. Le néo-populisme utiliserait ce clivage
(discours récent de Marine Le Pen avec d’un côté les patriotes et les mondialistes de l’autre).

Concept d’insécurité culturelle : concept de Bouvet. Cette transition génère une insécurité culturelle
chez des populations dans le clivage démarcation et qui soulignerait cet état d’impréparation
psychologique et culturel. Tout cela dans un moment où l’Etat ne pourrait plus jouer le rôle
d’accompagnateur dans la mesure où il serait en crise (crise de l’Etat-providence). Elle pousserait à
l’émergence d’un chauvinisme social. Cette montée en puissance, dans le cas de cette transition
historique serait favorisée, avec les formules de l’antiparlementariste, les référendums d’initiative
populaire, thématique du contrôle et de la surveillance des élites.

Après 89-91, on assiste à l’effondrement du communisme : l’Europe est dans une situation nouvelle,
la contestation du capitalisme et de la société libérale n’a plus de point d’appui idéologique et
politique. C’était les partis communistes qui s’arrogeaient cette critique et cette contestation avec
une fonction de protestation (partis tribunitiens). Cette fonction tribunitienne a été progressivement
prise par les partis populistes à partir des années 90. L’idée d’un monde sans alternative peut
favoriser une radicalité nouvelle de la critique. Nombre de ces formations vont cultiver leur posture
hors système.

Une 2ème inquiétude concerne le patrimoine culturel, l’identité, le mode de vie.

C. Le « populisme patrimonial »
Caractérise ces mouvements qui veulent tirer profit de cette double inquiétude en termes de
patrimoine matériel et culturel. Les travaux comparatifs montrent même que la 2 ème inquiétude sur le
patrimoine culturel jouerait un rôle plus important que l’inquiétude matérielle, dans les pays
prospères où la mobilisation se fait sur des enjeux cultures autour de l’identité et du mode de vie. Il
serait parfois difficile de faire appel au peuple national parce que la nation d’aujourd’hui n’est plus
exactement les identités nationales d’avant : le risque de guerres internes a disparu, l’individualisme
matérialiste s’est beaucoup développé. Ce que viserait à défendre les populistes sera moins uns
culture nationale qu’une mode de vie. Ce serait l’expression d’une Europe nouvelle d’après 45,
d’après 89 c'est à dire une Europe où régnerait la paix, fondée sur le développement des classes
moyennes. Le néo-populisme intégrerait ces nouvelles données sociales qui seraient riches, âgées et
inquiètes. D’où le potentiel électoral de ce nouveau populisme pouvant jouer sur la double
inquiétude : matérielle et culturelle, avec deux types de craintes qui peuvent lui permettre d’obtenir
une sociologie très diversifiée (classes moyennes et classes populaires).
Grands enjeux politiques internationaux

30
Cette puissante combinaison a longtemps été occultée par le monde politique alors qu’elle était en
germe depuis en longtemps. Ex : réception faussée d’un discours prononcé par un député
conservateur britannique E. Powell le 20 avril 1968, « Le discours des fleuves de sang ». Il s’effrayait
des phénomènes migratoires, il s’inquiétait des conséquences des migrations, trop différentes
culturellement. Il augurait des guerres ethniques. Il manifestait une simple inquiétude, il essayait de
prendre en charge un thème politique. Cela va ouvrir un espace politique à de futurs mouvements
qui vont mobiliser autour de cette inquiétude culturelle. Ils tireront profit plus tard de cette
inquiétude culturelle (question de la religion, du droit des femmes par rapport à la religion
musulmane).

La nouveauté du phénomène est que cette xénophobie se fait au nom des valeurs de la société
libérale européenne (liberté, laïcité, égalité homme/femme). Les partis populistes vont s’avoir
traduire ce rejet en un combat pour la démocratie et la liberté, notamment en Europe du Nord.

II. Exemples du nouveau populisme européen


On peut évoquer des cas de populisme patrimonial.

A. Les Pays-Bas
Modèle de populisme patrimonial. Lié à la personnalité de Fortuyn, qui venait de la gauche et passé
par un mouvement politique « Pays-Bas vivable » (« 16 millions de hollandais, c’est assez, le pays est
saturé ». Ils ont initié cette thématique culturelle comme quoi l’Islam n’était pas compatible avec la
culture libérale néerlandaise. Ce mouvement voulait se démarquer de l’extrême droite, en disant que
les immigrés avaient toute leur place. Autour de 2002, à la mort de Fortuyn, le mouvement recueillait
17% aux élections législatives. Le mouvement renait en 2006 avec la fondation du Parti pour la
liberté qui va intégrer et réunir tous les ingrédients du populisme patrimonial c'est à dire la rupture
avec les partis de gouvernement (antisystème) considérés comme laxistes, l’éloge des valeurs de la
société libérale présentées comme consubstantielle à l’identité des Pays-Bas, la mise à distance de
l’extrême droite classique et traditionnelle. Le parti pour la liberté montre de façon très bruyante un
anti antisémitisme (soutien à Israël, à l’histoire de la Shoah, aux lois pénalisant l’antisémitisme), et
enfin l’argument culturel de l’incompatibilité entre la culture occidentale et l’Islam. C’est une
focalisation sur l’Islam, schématisé et présenté comme source d’autoritarisme, d’oppression, etc.
C’est l’expression de nazislamisme pour dénoncer et stigmatiser l’Islam. On met l’accent sur le
sexisme et l’homophobie et l’Islam traditionnel. Cela explique la prise de distance de l’extrême droite
classique, qui brouille les cartes.

 Un populisme patrimonial mais aussi identitaire et libéral

Ce qui peut expliquer le succès aux élections européennes de 2009 (17%), aux élections législatives
de 2010 (15%) et aux élections européennes de 2014 (12%). Le parti entretient de bonnes relations
avec le FN français, dans la mesure où il considère qu’il a évolué vers une posture de populisme
patrimonial. Le cas des Pays-Bas est un phénomène inédit : il a brouillé les cartes en associant le
libéralisme à l’identité nationale.

B. Les pays nordiques


Il s’agit de défendre l’Etat-providence, l’un des attributs de la culture scandinave, en leur réservant au
peuple d’origine. Ce populisme est caractérisé par le terme de « welfare nationalisme » défendant
l’Etat-Providence. Le nouveau populisme n’est pas toujours lié à la pauvreté. C’est pour cela que les
pays scandinaves apparaissent comme un laboratoire pour étudier ce phénomène. Ce sont des pays
Grands enjeux politiques internationaux

31
prospères voire riches, avec des systèmes éducatifs performants, un Etat-Providence développé,
profondément démocratique avec une démocratie locale, où il y a très peu de corruptions. Ces
paramètres ne portent pas à l’extrémisme.

Ils ont un rapport variable à l’UE : la Norvège n’est pas un pays de l’UE, la Suède et le Danemark ne
sont pas dans la zone euro. Dans ces pays, l’opinion ne semble pas être en conflit avec la globalisation
économique. C’est très différent de la France. Pour beaucoup de politistes, c’est le facteur culturel lié
à l’immigration qui primerait dans le développement de ce populisme. On aurait un multiculturalisme
vu comme conflictuel dans des pays qui sont en fort déclin démographique donc ouvert aux flux
migratoires.

Des partis jouent un rôle de plus en plus central à partir de cette thématique : le Parti du progrès en
Norvège, le Parti du Peuple danois, les Vrais finlandais et les Démocrates de Suède. Le nom de ces
partis nous apprend beaucoup : le peuple danois c'est à dire du vrai peuple, il suggère le clivage
vertical avec un peuple pas authentiquement danois, de même que les Vrais finlandais. Les
démocrates de Suède représentent le clivage horizontal.

Ce succès est lié à un contexte : depuis les années 90, la crise du welfare nordique. C’est une crise qui
affecte profondément l’identité et la psychologie sociale de ces populations dans la mesure où la
fondation de l’Etat-providence a participé à l’identité nationale depuis les années 30. Il y a eu tout un
discours sur la supériorité du modèle scandinave. C’est une fierté nationale. Cela explique qu’avec
l’évolution des modèles économiques, l’Etat-providence a du subir une cure d’amaigrissement. Il y a
moins de ressources à affecter, d’où la thématique de réserver les ressources sociales aux seuls
« vrais » nationaux. Les partis s’inscrivent dans cette défense de l’Etat-Providence réservée aux vrais
citoyens.

 Le parti du peuple au Danemark :

Né dans les années 90, a imposé son thème de la lutte anti-immigration. Il est marqué par une
idéalisation de l’identité nationale que l’on confond avec une identité culturelle libérale. « La liberté
d’expression est danoise, la censure ne l’est pas » (caricature de Mahomet par un journal danois).
C’est un parti qui connait un grand succès à partir de 2005 mais dont la stratégie est habile : en dépit
de ses succès aux élections législatives, il ne rentre pas dans les gouvernements. Il peut soutenir une
coalition mais ne rentre pas au gouvernement pour pouvoir continuer à critiquer le système. Il
obtient 26,7% aux élections européennes de 2014, c’est un record. Il reste en dehors du système,
mais ses idées sont diffusées à l’intérieur du système où elles ont une influence et imposent l’agenda
politique au parti libéral voire même au parti social-démocrate.

 Le parti des vrais finlandais :

Créé en 1995, succès qui s’explique par le caractère singulier de la situation de la Finlande depuis le
début des années 90. Après la fin de la guerre froide, les trois grands partis (centre gauche, gauche,
centre droit) vont gérer le pays. Deux forment le gouvernement, le 3 ème dans l’opposition et
inversement. Il gère le pays à trois. Toutes les combinaisons étant possibles, on a un brouillage du
clivage droite/gauche. Le parti des vrais finlandais va apparaitre comme le seul capable de remettre
en cause le système, à partir du clivage horizontal. A cette situation de rentabilité politique, va
s’ajouter une 2ème chose qui explique son succès : les difficultés du modèle social finlandais, avec une
crise sociale. Sa montée en puissance se fait à partir de ce socle qui va lui permettre de combiner
l’hostilité au système, la critique de la baisse des ressources, par rapport à l’UE mais aussi l’hostilité à
l’immigration, au multiculturalisme connecté à la critique de l’UE et à la crise de l’Etat-providence. Les
dépenses publiques générées par l’immigration empêchent d’affecter ces sommes à la préservation
Grands enjeux politiques internationaux

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de l’Etat providence. On a eu là aussi pendant longtemps une posture hors système. Ils ont fait 12 et
13% aux élections présidentielles.

 Les Démocrates de Suède :

On est à 9,7% aux élections européennes de 2014. C’est la première fois que deux députés populistes
sont envoyés au parlement européen. On trouve toujours la date de 1995 dans la fondation du parti
avec le refus du multiculturalisme. Le manifeste électoral des démocrates de Suède est « la défense
de l’héritage culturel suédois, fondé sur le respect des valeurs de l’Etat-providence et du droit des
suédois à vivre leur culture ». On est dans le domaine de l’inquiétude culturel et de la défense de
l’Etat-Providence

C. Les pays de l’Est


On a une dimension ethnique plus forte avec un nationalisme plus traditionnel. Ils se sont épanouis
sur les ruines du communisme. C’est une transition difficile dans le domaine économique et social
avec une ouverture libérale brutale. Enfin, l’adhésion à l’UE va s’accompagner de déceptions car ces
populations avaient investi dans l’histoire de l’adhésion et donc un retour du refoulé nationaliste.
Nombre de ces partis populistes ont une dimension anti-UE qui sert à cristalliser toutes les
inquiétudes.

On pourrait évoquer depuis les années 90 de nombreux mouvements et des partis au cœur de
l’actualité de ces politiques. Ex : le parti de la grande Roumanie, en déclin depuis le début des années
2010. Le parti Ataka en Bulgarie, qui a accédé au parlement en 2005, puis au parlement européen en
2009. Il est axé sur une thématique raciste anti-Rome et islamophobe contre les turcs de Bulgarie. Le
parti Smer en Croatie, un cas de gauche populiste avec Fico issu du parti social-démocrate slovaque, il
a compris que l’insécurité culturelle pouvait être mobilisatrice.

Le cas le plus intéressant est celui de la Hongrie avec le parti Jobbik (mouvement pour une meilleure
Hongrie) qui se veut comme un parti de rénovation totale du système. Il a été fondé en 2003 et créé
sur le coup de la déception liée à la victoire de la gauche libérale en 2002. Ce parti se positionne sur
un programme anti-libéral, xénophobe, et antisémite. Dès les premières élections, slogans « La
Hongrie est seulement pour les hongrois ». C’est un parti qui va se montrer de plus en plus offensif en
cultivant la critique du système.

Jobbik apporte d’autres choses : l’antisémitisme déguisé en antisionisme. Jobbik a listé les députés
d’origine juive en précisant qu’il représente un risque pour la sécurité nationale de la Hongrie. Cette
spécificité est liée au fait que cela peut rallier des voix car il y a une histoire de la Hongrie où
l’antisémitisme a longtemps été cultivé. Une tradition de longue durée a dé

D. La Grande-Bretagne
(à rattraper)

III. Le thème fédérateur du populisme : le rejet de l’UE


Le rejet de l’UE n’est pas simplement circonstanciel mais s’intègre parfaitement à la logique de ce néo
populisme européen. On peut prendre en compte trois raisons :

A. La thématique populiste s’accordant à certaines réalités du fonctionnement


des institutions européennes : une raison idéologique
Grands enjeux politiques internationaux

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En effet, depuis les années 80 court une critique de l’UE comme étant marquée par un déficit
démocratique. Cette thématique est apparue dans la presse britannique des années 1970 et s’est
généralisée dans les années 80-90 pour évoquer le monopole technocratique qui caractériserait le
fonctionnement de l’UE.

Arguments : manque de légitimité du parlement européen, manque de pouvoir, commissions


européennes composées de membres non élus. Les partis qui soutenaient l’Europe, qu’il s’agisse des
socio-démocrates ou des libéraux, ne proposaient pas d’alternative et avaient le même discours vis-à-
vis de l’Europe. On avait un monopole des partis de l’Europe sur la question européenne. Enfin,
depuis Maastricht, on a un fonctionnement de l’UE qui est de plus en plus marqué par la consultation
et la participation des groupes d’intérêts à la définition des politiques publiques européennes. Donc,
il y a à partir de ce fait une critique de plus en plus radicale d’un UE qui serait aux mains des lobbys.
Cela confisquerait la voix des peuples.

Certaines réalités sont exacerbées pour en faire un point focal de critique et de dénonciation de l’UE.
Certaines réalités du déficit démocratique vont se transformer en mythe politique. On a une
confiscation du pouvoir populaire, donc le thème de l’appel au peuple est très efficace du fait du
fonctionnement de l’UE. Les partis populistes proposent alors de revenir à la liberté des peuples et
des nations. La critique fait se croiser une critique souverainiste et une critique démocratique de l’UE.
L’appel au peuple est celui contre les « élites de Bruxelles » mais aussi contre les élites nationales
pro-européennes et cosmopolites. La critique de l’UE permet de critique Bruxelles et les élites
intérieures des Etats participant à ce fonctionnement technocratique. Cette thématique s’accorde
idéalement à certaines réalités de l’UE, car il y a un embryon de réalité.

B. Une affaire de stratégie politique


En effet, la critique de l’UE est un thème commode pour se positionner dans les jeux politiques
nationaux contre le « système » des partis établis (c'est à dire système partisan, entre soi des partis
de gauche ou de droite). Les grands partis établis sont inévitablement pro-européens, avec des
nuances entre droite et gauche car tous sont des partis gestionnaires qui auront à faire fonctionner
les institutions européennes, à s’impliquer dans les politiques de l’UE. Ces grands partis ont un
pouvoir de critique limité sur la question des institutions européennes. C’est une stratégie payante à
coût sûr car ces partis pourront affirmer leur différence par rapport au système central droite/gauche.
Ils peuvent alors perturber le système partisan en essayant d’introduire un nouveau clivage dans les
systèmes politiques nationaux : non plus vertical entre droite et gauche mais un clivage horizontal
qui essaierait de fragmenter les partis selon une opposition pro-européen/eurosceptique. Ex : le cas
britannique, où la moitié du parti conservateur britannique de David Cameron est favorable à une
sortie de l’UE. C’est le résultat du travail d’UKIP depuis les années 90, ils ont coupé en deux une
partie du parti conservateur. C’est une réussite maximale de cette stratégie politique.

C. Une connexion avec le thème de l’insécurité identitaire


L’UE est accusée de favoriser le multiculturalisme, de laisser la porte ouverte à l’immigration. Il y a
des embryons de réalité car il y a eu des assertions de fonctionnaires européens comme quoi
l’Europe était en déclin démographique qui devait être comblé. Cela s’est fait en lien depuis 2009
avec la question de la candidature de la Turquie dans l’UE. Ex : Orban en Hongrie, UE vecteur de
l’immigration et insécurité identitaire.
Grands enjeux politiques internationaux

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On critique l’UE sur son impuissance à gérer les frontières extérieures, et l’atteinte à la souveraineté
des Etats. L’UE est toujours accusée, quoi qu’elle fasse. Peut se mêler une critique de l’UE comme
relai de la globalisation. On peut retrouver le clivage intégration/démarcation. Les mouvements
populistes se revendiquent de ce clivage.

UKIP est né de la critique du traité de Maastricht, mais progressivement il a dévié vers la thématique
anti-immigrée. On a vu cette connexion se faire entre UE et danger de l’immigration, en rappelant la
figure de Roy Jenkins, qui comme ministre autour de 1970 avait été promoteur du Race Act,
introduisant des propositions de nature communautariste, avec une discrimination positive. Or, UKIP
a rappelé que cet homme qui avait intégré le communautarisme est devenu plus tard commissaire
européen.

La question européenne, au nom de ces trois raisons, a contribué à enraciner et a développé le


phénomène du populisme.

 Les mouvements populistes ne peuvent pas être assimilés au fascisme des années 30.
L’antifascisme obscurcit plus le phénomène qu’il ne cherche à l’expliquer. Il y a des
dimensions plus complexes et surtout une époque différente. Il est très difficile de comparer
le contexte des années 2000 et celui de l’après WWI. Il y a des logiques très différentes.
Certains de ces mouvements populistes invoquent parfois sincèrement la démocratie réelle
fondée sur le peuple alors que les partis fascistes niaient la notion même de démocratie. Ces
partis sont fondés sur une conception hiérarchique de la société.
 L’investigation à partir des phénomènes économiques et sociaux a ses limites : ce n’est pas
qu’un phénomène conjoncturel économique ; le culturel apparait comme le paramètre
dominant de l’élan populiste.
 Des éléments pourraient limiter l’impact de ces partis et de ces mouvements. On peut
trouver quatre types de raisonnement : un raisonnement optimiste où l’on peut voir que ces
partis sont divers et en fonction de leur diversité, ils ont une difficulté à se rassembler. Il y a
peut-être des différences plus que conséquentes entre un populisme danois et un membre
du parti Jobbik en Hongrie. Les partis populistes se sont présentés comme des partis
antisystème, il faut donc à tout prix réanimer les clivages idéologiques nationaux car rien
n’est plus dommageable pour les démocraties que les fausses alternatives entre droite et
gauche. Réanimer les clivages idéologiques nationaux fait partie de la revitalisation de la
Démocratie.

De grandes convergences libèrent un espace aux extrêmes (ex : Italie et Allemagne avec terrorisme
d’extrême gauche). Les grands partis devraient modifier leur critique de l’UE comme l’exigence de
démocratie interne et aussi une exigence économique en matière de relance d’une politique de
croissance. Il y a aussi la thèse de l’intégration partielle de ces partis au système politique voire au
gouvernement avec deux effets souhaités : confronter aux réalités ces partis se déradicaliseraient, et
ils feraient une démonstration d’irréalisme et d’incompétence. Mais parfois ce raisonnement ne
marche pas (Hitler a été appelé par les élites allemandes en janvier 33). Une dernière solution peut
être envisagée : si on considère que ces mouvements sont un danger pour la vie démocratique,
interdire ces partis au nom de la défense de la Démocratie (ex : professeur de droit de la République
de Weimar qui avait théorisé cela avec le concept de « démocratie militante »). L’Allemagne va
ensuite interdire les partis extrémistes par une décision constitutionnelle dans les années 50.
Aujourd’hui, cette possibilité est évoquée en Allemagne (Pegida).

On peut parler aussi de populisme de gauche, certains refusent ce terme mais d’autres l’assument.
Ex : Podemos, né dans un département de science politique à Madrid.
Grands enjeux politiques internationaux

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Secti on 5 : vivons-nous un ordre humanitaire internati onal ?
L’ordre humanitaire est l’ordre qui va avoir le référent des droits de l’homme comme mesure de la vie
politique international. C’est un référent qui a vécu une longue ascension dans les consciences
internationales. C’est au XIXème que l’on a pris en compte la question des droits de l’homme. Ex :
Congrès de Berlin de 1878. Une prise en compte diplomatique se fait en écho à des droits humains
dans des populations asservies et réprimées (empire Ottoman ou Empire Russe et même situations
coloniales). Il y a alors une nouvelle conscience juridique qui commence à apparaitre et à s’épanouir
à partir de la fin du XIXème mettant en valeur la notion de droits humains que l’on oppose à la
souveraineté des Etats. On a tout un courant juridique qui évoque les droits humains et les lois de
l’humanité et qui débouchent sur l’idée que lorsque ces droits humains sont violés, les Etats civilisés
sont en devoir d’intervenir. On a les premiers balbutiements de la théorie de l’intervention de
l’humanité. Une deuxième étape importante est l’après WWI, où le mot de « crime contre
l’humanité » apparait. On met en valeur la protection des minorités puisque ce sont les droits des
membres des minorités qui ont été violées (arméniens, juifs d’Europe orientales).

Les minorités sont au cœur de la conférence de la paix mais également la question des réfugiés.
L’Europe du début des années 20 est un continent envahi par les réfugiés qui sont le résultat de la
dislocation des grands Empires, de la guerre civile en Russie. On a des millions de réfugiés en Europe,
qui n’ont plus d’Etat de référence. La question des droits humains a été posée par la Société des
Nations au début des années 20 qui a donné un passeport à ces hommes avant qu’ils ne retrouvent
un Etat. La conférence de Versailles inaugure la diplomatie humanitaire. Il y a un énorme optimiste.
On peut penser qu’une politique des droits de l’homme va coexister avec le droit international
classique fondée sur la souveraineté des Etats. Ex : en octobre 1929, la publication d’une déclaration
des droits internationaux de l’homme proclamée à New-York par un réseau de juristes
internationaux qui peut apparaitre légitimement comme le brouillon de la future déclaration
universelle des droits de l’homme. Il faut attendre l’après WWII qui va constituer une étape
fondamentale par rapport à la « grande nuit de la WWII ». C’est l’idée que des millions d’êtres sont
morts pour que vivent les droits de l’homme. Il faut symboliser cette victoire sur la barbarie avec la
déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Elle est universelle et non pas seulement
internationale car tous les hommes sont concernés et non pas que les Etats. Elle est en résonnance
avec le procès de Nuremberg. L’Etat n’est pas un maitre sans limite chez lui, au nom des droits de
l’homme les dirigeants d’un Etat peuvent être condamnés et exécutés. A partir de là, on peut se
poser la question en quoi l’ordre humanitaire est un engagement de substitution pour les Etats ? Est-
ce que la diplomatie des Etats s’efface totalement ? Cet ordre humanitaire n’est-il pas un voile qui
resterait une réalité impérialiste de l’occident ?

I. La mise en place de l’ordre humanitaire international

A. Une mise en place dans le cadre du cosmopolitisme institutionnel


Le cosmopolitisme institutionnel s’appuie sur une série de textes de références :

1er texte : la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 présentée comme l’idéal
commun à atteindre pour tous les peuples et toutes les nations. Cette déclaration est une résolution
et non un traité, elle a donc une valeur de recommandation qui peut paraitre impérative mais elle ne
lie pas les Etats à tout prix. Au début, dans le contexte de sa rédaction, elle s’est voulue comme un
universalisme de compromis entre l’Est et l’Ouest. Elle vise à réconcilier les valeurs occidentales et
les valeurs du communisme. Elle vise à réunir les « droits formels » (liberté par exemple) et les
« droits réels » mis en avant pas les pays communistes (travail, nourriture, éducation). Très
Grands enjeux politiques internationaux

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rapidement, dès le début des années 50, on passe d’un universalisme de compromis à un
universalisme de combat. La déclaration sera une arme brandie contre l’URSS.

2ème texte : C’est la première convention régionale des droits de l’homme de 1950, la convention
européenne des droits de l’homme contient des valeurs antitotalitaires très claires, c'est à dire contre
le totalitarisme soviétique (droit de propriété mis en valeur).

3ème texte : on a également le préambule de la charte de l’ONU, avec une expression « la foi dans les
droits fondamentaux de l’homme ». L’article 2 de la charte évoque la résolution des problèmes
internationaux d’ordre humanitaire.

4ème texte : la déclaration d’Helsinki du 1 aout 1975, c’est le triomphe de l’universalisme de combat,
auguré en 1950, notamment le chapitre 7 sur le respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. On insiste sur la liberté de conscience et de religion. Une partie des Etats de l’Europe
de l’Est ne respectent pas la liberté de pensée, de conscience, de religion et de conviction. Cette
déclaration est conçue pour piéger l’URSS. Le piège a parfaitement fonctionné dans la mesure où l’on
fait référence à Helsinki pour dénoncer les violations des droits de l’homme.

Ces textes sont utilisés par des structures spécifiques au sein des organisations internationales. Au
sein de l’ONU, c’est pendant longtemps le rôle de la Commission des droits de l’homme mais
dont l’image s’est ternie car les conditions d’appartenance n’étaient pas strictes et certains pays ont
voulu redorer leur image en se faisant élire à sa tête. Ex : représentant libyen dans les années 90.
Depuis 2006, on a instauré un Conseil des droits de l’homme des Nations Unis dont le monde
d’élections a été réformé : ses membres sont élus par l’assemblée générale pour 3 ans à la majorité
absolue. Ce conseil met en place un agenda périodique universel.

On a une deuxième structure au sein d’une organisation plus régionale : l’OSCE qui est devenue
permanente depuis 1994. Elle a pris une dimension nouvelle car elle a profité d’un certain vide
politico-institutionnel lié à la fin de la Guerre Froide. L’OTAN n’avait plus de missions du jour au
lendemain, il y a eu une sorte de transition. Elle mène des opérations dans le domaine de la gestion
de crise et de la prévention de conflit. On peut retenir une structure : le Bureau des institutions
démocratiques et des droits de l’homme. Il a été créé en 1996 et est en charge de donner une
dimension humaine de la sécurité. Il y a également le Haut-Commissariat pour les minorités
nationales, lointain héritage de la SDN de 1920 qui avait mis en place des traités de minorités, et un
représentant de la liberté des médias qui fait une sorte de rapport annuel. Ces agences publient des
rapports et des recueils d’engagement relatifs à la dimension humaine et à la sécurité. Cela engage la
60aine de pays qui appartiennent à l’OSCE (Russie et Turquie) d’où la légitimité d’un questionnement
sur les dérives autoritaires de ces pays.

B. Les étapes de cette mise en place depuis la WWII


Le grand tournant s’est effectué dans les années 70. Les années 50-60 sont une parenthèse voire une
régression dans la mesure où la problématique des droits de l’homme est refoulée par
l’environnement international : la Guerre Froide où la vision soviétique des droits de l’homme
apparait comme différente, mais aussi les Etats occidentaux qui privilégient la real politique, parfois
engagés dans des guerres de colonisation, et enfin par les Etats du Tiers-monde issus de la
décolonisation. Le tiers-mondiste a considéré les droits de l’homme comme un discours occidental et
bourgeois qui masquait les vrais enjeux du développement économique. Il y a eu une parenthèse des
années 50-60.
Grands enjeux politiques internationaux

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Le tournant des années 70 se fait par l’affaire du Biafra, région du Nigéria (catastrophe humanitaire
avec 2 millions de morts). Mais aussi cela se fait suite à Helsinki en 75, suivi par d’autres conférences.
Se créent des comités Helsinki rassemblant les gens qui opposent ces valeurs à la réalité des pays de
l’Est. Ex : Vaclav Havel sera un grand animateur de ces comités. Le personnage du dissident de l’Est
connait une forte résonnance à cette époque (Soljenitsyne). A la fin des années 70, se pose la
question des catastrophes humanitaires d’Asie du Sud-Est et le phénomène des Boat people. C’est le
moment de bascule en Europe occidentale, où l’on voit des intellectuels passer dans l’idéologie des
droits de l’homme.

Le deuxième tournant s’effectue après 1989 : c’est la fin de l’histoire démocratique, la célébration de
la fin de la guerre idéologique, qui s’est traduit par une third way policy qui serait morale et
humanitaire. L’humanitaire devient alors une composante du dispositif international de gestion des
crises. C’est ce que l’on appelle le principe de cohérence : le militaire, le politique et l’humanitaire.
On voit une multiplication des textes régionaux des droits de l’homme en Afrique, en Asie, au Moyen-
Orient. A partir de ce moment-là, on voit la multiplication de cours régionales visant à juger les
manquements aux droits de l’homme. C’est le moment où semble apparaitre une nouvelle
conception des relations internationales. La scène internationale est d’abord l’espace international
des droits de l’homme. Les Etats ont alors des obligations spécifiques envers des hommes et envers la
communauté d’humanité. On a une nouvelle conscience juridique : l’Etat n’est qu’un mandataire des
intérêts de l’humanité, donc sa souveraineté est limitée. Il a des obligations envers les hommes et
leurs droits. La violation de ces obligation devient un crime au regard du droit international. On
semble passer d’un ordre international fondé sur la souveraineté, où l’on parlait « du droit », à un
ordre humanitaire international où l’on parle « des droits ».

La crise Yougoslave dans les années 90 a été importante pour faire sauter le verrou de la
souveraineté des Etats. Avec l’instauration du tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, pour la
première fois depuis 46, des responsables de crimes doivent répondre de leurs actes devant une
justice internationale.

II. L’ordre humanitaire en pratique

A. Les opérations du maintien de la paix : un volet humanitaire à part entière


On voit le basculement dès 1992 où trois interventions de l’ONU ont un mandat humanitaire
spécifique : c’est pour la Yougoslavie, la Somalie (ONUSOM) et enfin le Mozambique (ONUMOZ). On
verra ensuite des opérations en Angola, au Libéria, en Côte d’Ivoire, à Haïti, etc. Les droits de
l’homme sont une composante du concept global de sécurité qui est mis en œuvre par l’ONU et aussi
par l’OSCE. A partir d’un postulat : la sécurité doit être plus que l’absence de guerre, qui est
seulement la paix négative. Il faut dépasser cela pour créer un cadre d’ensemble pour la paix et la
stabilité c'est à dire agir sur les causes de la violence structurelles dans certaines régions qui
permettra paix et stabilité sur le long terme. A partir de ce postulat, l’humanitaire devient l’une des
dimensions principales de la sécurité mais aussi un autre volet : la dimension environnementale. La
paix présuppose qu’une résolution a été apportée aux causes profondes, structurelles, qui ont généré
le conflit. Cela permet d’envisager une résolution entre les belligérants et leurs descendants. Tout
processus de reconstruction et réconciliation repose toujours sur quatre types d’action :

- Un droit à la sécurité : c'est à dire en désarmant et démobilisant les milices, en réformant les
institutions de nature violente, en destituant certaines personnalités, en mettant en place un
contrôle démocratique de la sécurité.
Grands enjeux politiques internationaux

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- Un droit à la justice
- Un droit à la réparation pour les victimes : réhabilitation morale ou politique de certaines
personnalités, compensations financières, mais aussi réparation symbolique avec par
exemple la fondation de mémoriaux pour le souvenir des victimes.
- Un droit à la vérité : commissions d’investigation, exhumation, dévoilement des archives
secrètes, nouveau manuels scolaires.

B. L’action humanitaire proprement dite


C’est toute l’action humanitaire engagée par les ONG spécialisées. On compte au moins 2500 ONG
qui travaillent dans l’humanitaire. Certaines livrent des rapports très attendus comme Human Rights
Watch. Au-delà de ces ONG, on a des agences spécialisées au sein de certaines organisations
internationales. Ex : au sein de l’UE, European Community Humanitarian Office, créée en 1991. On a
eu sein de l’ONU le département des affaires humanitaires, créées en 1991, qui deviendra le Bureau
de Coordination de l’aide humanitaire.

C’est sous la pression des ONG et aussi pour donner un travail à ces agences nouvelles que le droit
d’ingérence humanitaire se légitime à partir de 1991. On peut acter sa naissance en juillet 1991 lors
qu’une déclaration du G7 sur le renforcement du nouvel ordre mondial. On précise que la
communauté internationale ne peut rester inactive face aux souffrances ayant une ampleur
considérable.

Cela débouche en 2005 sur une autre étape : la nouvelle doctrine de l’ONU. Les Etats prennent
l’engagement d’intervenir dans les cas où les gouvernements seraient incapables et ne voudraient
pas empêcher la violation des droits de l’homme sur son territoire. La doctrine sera assez vite
invoquée à propos du Kenya mais aussi en Côte d’Ivoire, en Libye en 2011 et en République
Centrafricaine en 2013 où le conseil des Nations Unis a agi avec l’Union africaine.

C. La justice internationale
C’est une idée qui apparait en 1919 et qui court dans l’entre-deux guerres, et puis après avec le
tribunal de Nuremberg qui est ad hoc. A partir des années 80, l’idée revient avec des soutiens
juridico-politiques et qui aboutit à dégager une solution consensuelle.

• La Cour Pénale Internationale

La Cour Pénale Internationale qui reçoit son statut le 17 juillet 1998 (Statut de Rome) est un
compromis acceptable par tous, entre la nécessité de poursuivre efficacement ceux qui ont violé les
droits de l’homme et la prise en considération de la souveraineté des Etats et de leurs intérêts. C’est
une institution permanente liée aux Nations Unis car les 18 juges sont élus pour une durée de 9 ans,
et la Cour est financée par les contributions des Etats membres de la Convention et de l’ONU. La cour
peut être saisie de trois façons : par les Etats membres de la Convention (123), par le Conseil de
sécurité des Nations-Unis, ou par la décision du procureur de la Cour. Actuellement, on a des
exemples de ces trois types de saisine :

- Saisine des Etats membres Mali, République Centrafricaine, Congo et Ouganda (saisine par les
Etats membres). Il s’agit soit de djihadistes, soit de chefs de guerre.
Grands enjeux politiques internationaux

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- Saisine du conseil de sécurité : Libye pour un des fils de Kadhafi toujours détenu, et Darfour
(conseil de sécurité)
- Saisine du procureur : Côte d’Ivoire (Gbagbo) et Kenya.

Une fois la cour saisie, une enquête est ouverte qui peut déboucher sur un mandat d’arrêt et une
citation à comparaitre. Ensuite, le prévenu est convoqué : soit il se rend librement, soit il est arrêté et
livré à la CPI, soit il s’enfuit, soit il est arrêté mais pas livré par les autorités locales pour des raisons
de souveraineté. Ensuite, la cour pénale possède une chambre préliminaire qui met en accusation et
peut décider d’un non-lieu, ou alors le procès pouvant aboutir à une condamnation ou un
acquittement.

Malgré tout, sa compétence est limitée puisque 123 pays ont ratifié la convention, c'est à dire que
plus de 70 ne l’ont pas fait et pas les moindres (Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, pays du Moyen-Orient
et Afrique). 5 pays peuvent mettre leur véto à un projet de saisine de la cour par le Conseil de
sécurité : c’est le cas de la Russie pour la Syrie. Les puissances majeures ont signé des accords
bilatéraux d’immunité avec 37 pays c'est à dire que les deux signataires (US et autre pays) s’engagent
à ne pas livrer leur ressortissants.

En fonction de ces limites, les résultats peuvent apparaitre mitigés. On constate son incapacité à
intervenir lors de crise majeure où un dictateur exerce des violences massives contre ses populations.
Ex : Syrie, mais aussi l’Irak avec le chef de l’EI responsable de la persécution de minorités religieuses
ou ethniques et de l’exécution massive de civils. La CPI est absente dans le cas de la Corée du Nord.
Enfin, le cas de l’Afghanistan, cas gênant car après l’intervention américaine, cela a donné un régime
corrompu et des chefs de guerre talibans. Le gouvernement mis en place par les US a intégré les
seigneurs de guerre dans les réseaux du pouvoir avec une forte corruption. Un rapport a été émis en
2004 à l’assemblée générale de l’ONU d’un expert indépendant, qui est accablant. La seule
conséquence concrète de ce rapport est que le mandat de ce rapporteur s’est achevé brutalement.

Là où la CPI est la plus attaquée est que son bilan est essentiellement africain. Le 27 janvier 2016,
pour la première fois, la CPI mène une enquête sur un pays non-africain (Géorgie). Ce bilan a
provoqué une fronde des chefs d’Etats africains à partir de 2009, quand le président soudanais a été
inquiété pour le Darfour (Omar Al Bachir). Cette fronde s’est radicalisée depuis 2013 puisque l’Union
Africaine a précisé que les pays africains souhaitaient quitter la convention. Ils ont parlé d’une « cour
raciste et impérialiste ».

• Justice avant ou après la paix ?

Le cas de la Yougoslavie : justice au moment du processus de paix. Il y avait eu l’idée que la justice
n’était pas un frein à la paix. Certains considèrent que la justice doit se faire après la paix. Le
massacre de juillet 1995 en Bosnie a permis d’inculper les chefs serbes.

Deux autres cas de figures suscitent des débats sur la question de la justice avant ou pendant la paix :

La question du Soudan (justice avant la paix) : C’est une guerre contre les rebelles du sud-Soudan et
ensuite la question du Darfour où des violations massives des droits de l’homme s’observent. La
justice internationale va intervenir alors que le processus de paix n’a pas commencé, elle commence
en 2005 avec le Conseil de sécurité qui saisit la CPI en demandant des enquêtes sur les violations des
droits de l’homme au Darfour. Des poursuites sont engagées contre le président soudanais, et de
l’exclure des processus de paix. Le mandat d’arrêt est pour crime de guerre, crime contre l’humanité
et génocide. On retire génocide ensuite à cause de rapports contradictoires sur la question. Il y a eu
de nombreuses réactions : les organisations de défense des droits de l’homme ont approuvé en
Grands enjeux politiques internationaux

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disant que le procureur participait à la protection des droits de l’homme (l’ONG Save Darfour) et d’un
autre côté les pays africains, arabo-musulmans et de l’ex Tiers-monde considéraient que la cour avait
violé la souveraineté soudanaise et avec son mandat d’arrêt, elle avait menacé les chances d’un
accord de paix en excluant le président des négociations. Elle perpétuait l’état de guerre et cela
rendait plus difficile l’accès des humanitaires aux zones de guerres. Ils avaient parlé d’un « néo-
impérialisme judiciaire ». Cela a radicalisé le conflit et les positions du gouvernement qui pouvait
appuyer sur le fait que les preuves de génocide n’étaient pas évidentes, et même de crime contre
l’humanité. Cette accusation a soudé l’opinion soudanaise derrière son président et a renforcé le
régime avec un soutien arabo-africain qui s’est vu conforté sur la scène internationale.

Un clivage nord/sud se révèle dans cette affaire : pour le Nord c’est un criminel illégitime et pour le
Sud, l’Occident est hypocrite, c’est une justice à géométrie variable (pas de mandat d’arrêt contre
Poutine pour la Tchétchénie). La critique la plus cinglante est celle d’un juriste italien Cassese. Il avait
présidé la commission d’enquête pour le Darfour ayant conclu à l’absence de génocide. Il avait parlé
d’une « justice spectacle » qui avait renforcé la position de l’accusé sans renforcer la paix.

La question du Liban (la justice après la paix) : engendré par l’assassinat du Premier Ministre libanais
Rakif Hariri en 2005. A la suite de cet assassinat, le Conseil de sécurité va décider de créer un tribunal
spécial pour le Liban, un tribunal hybride c'est à dire moitié internationale et moitié libanais. La
création de ce tribunal est importante car c’est une rupture avec les politiques d’amnistie du passé.
Dans l’histoire libanaise, on avait toujours privilégié les politiques d’amnistie, ce qui devait garantir la
pacification au Liban. L’accord de paix de 1989 qui sanctionnait la fin de la guerre civile qui avait
commencé en 1975 (145 000 morts) avait été fondée sur le principe de l’amnistie. A partir de là, il y
avait eu un pacte de silence, entériné par l’ONU en dépit de tous les crimes commis pendant cette
guerre civile. A partir de 2001, des associations libanaises ont commencé à vouloir revenir sur le
passé. Les associations n’étaient pas soutenues par les autorités et donc l’assassinat du Premier
Ministre va cristalliser ce travail de mémoire et cette volonté de faire justice pour que le deuil soit
accompli. C’est l’évènement déclencheur qui rompt la politique du silence. La création de ce tribunal
spécial a été entrainée par la France et les US. Cette création va diviser le Liban, sur ce problème de la
paix civile. Pour certains (pro-occidentaux libanais), la justice peut stabiliser le Liban en luttant contre
l’impunité et c’est aussi une façon de mettre en accusation la Syrie (services secrets syriens qui
s’opposaient à Hariri). Face à eux, on a tous ceux qui considèrent que la justice politique va menacer
la paix de 1989 et qu’elle viole la souveraineté et que c’est une façon d’attaquer Damas à travers la
mise en place de ce tribunal. Est-ce un instrument de stabilisation du pays ou une menace pour la
paix ?

C’est à partir des critiques de la CPI que l’on peut poser la question de savoir si finalement, depuis la
WWII, depuis la Guerre froide, ce n’est pas un ordre humanitaire occidental qui est mis en place.

III. Un ordre humanitaire occidental plus qu’universelle ?


Les interventions se sont multipliées, liées à une victoire de l’Occident depuis la Guerre Froide. Il y a
eu 38 interventions humanitaires, alors qu’auparavant il n’y en a eu que 13. Il y a deux façons de lire
la charte des Nations-Unis : celle qui implique la primauté nationale des Etats et celle du préambule
avec la foi dans les droits fondamentaux de l’homme. La notion de guerre humanitaire serait liée à
cette 2ème lecture occidentale de la charte. Derrière la norme de la responsabilité de protéger, pour
certains on retrouverait l’idée de mission civilisatrice, cette idée d’un néo-impérialisme. A travers le
peace building, qui se combine avec le state building, on imposerait des standards dominants de
gouvernance démocratique à l’occidental, qui impose de punir les Etats voyous. Cet ordre
humanitaire ressemblerait à des ordres humanitaires anciens, où l’on parlait des « Etats de
barbarie ». Il y a une continuité de ces Etats du XIXème aux Etats voyous d’aujourd’hui. La
Grands enjeux politiques internationaux

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caractéristique de ces Etats est de violer les droits de l’homme, de soutenir le terrorisme, de posséder
des armes de destruction massive, etc.

Certains posent la question de l’universalité des droits de l’homme : les droits de l’homme que nous
célébrons doivent-ils être aménagés selon les régions du monde ? Joseph Yacoub a écrit en 2005 Les
droits de l’homme sont-ils exportables ? Géopolitique d’un universalisme. Il prenait acte qu’à partir
des années 80 et 90, on a vu se multiplier des textes régionaux des droits de l’homme. C’est le
moment à

Chapitre 2 : Enjeux

Secti on 2 : le « nouvel anti sémiti sme » est-il vraiment nouveau ?

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