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Mawu, l'insurpassable chez les Evé du Togo

Author(s): Claude Rivière


Source: Anthropos, Bd. 74, H. 1./2. (1979), pp. 25-39
Published by: Anthropos Institut
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40459951
Accessed: 24-02-2016 19:28 UTC

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chezlesEve du Togo
Mawu,l'insurpassable
Claude Rivière

Sommaire:
1. Etymologieet traditions
2. Le tout-puissant,l'originelet l'omniprésent
3. Mawu et les tro
4. Conclusion

Démarche initiale de la philosophie,l'étonnementse place aussi au


commencement de la religion;moinsl'étonnement faceà l'existencestabledes
êtresqu'à l'égardde leurdynamisme. Acquiseparla voie d'impressions empiri-
ques,l'idéed'unepuissanceanimatrice des personneset des choses,nomméeici
mana,là orendaou wakan,a sembléconstituer pourbeaucoupde sociologuesle
fondementmêmedes croyancesreligieuses.Aussi vulnérablesque soientde
telles spéculationssur l'origine,on reconnaîtracependantque beaucoup de
peuplesconçoiventl'existenced'un centreémetteurde forceoriginelle.Selon
les régions,ce foyerde force,plus ou moinsanthropomorphisé par les mythes,
prendl'aspect de ce la
que philosophie occidentalenomme Dieu, l'êtresuprême
et la cause première, ou biense représente à traversune diversitéde puissances
spirituellesfonctionnellement spécialisées.Les deux attitudesne se contre-
disentpas et la pluralitédes dieux africainsse conçoitla plupartdu temps
commeétant sous la dépendanced'un créateurinitialdes mondesmatériels
et spirituels.
La notiond'un Dieu, sinon unique, du moinssuprême,invisible,peu
anthropomorphisé, sans sexe défini,apparaît chez les Eve, sous des traits
assez semblablesà ceux du Dieu supérieurde leurs voisinsashanti,fon et
yoruba.Mais au lieu de concevoirMawu principalement commele générateur
du cosmosen ce qu'il a de matériel,les Eve ordonnent son existenced'abordà
ce que la vie humainecomportede bonheuret d'aléas. En quête d'un sens à
donnerà leur destin,ils réfèrent les événementsde leur vie couranteà celui
qu'ils prennentpour l'animateur mystiquede toutevie spirituelle et la source
énergétique qui alimente toutun circuitde forces
partant de lui et revenantà
lui. Point besoinde systèmemétaphysiquepourjustifierl'existencede Dieu,

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s'il n'est pointde négateurde cette existence.Néanmoins,tout un corpsde


croyancesse traduità traversle langage et les attitudes.Sans préjugerdu
degréd'intégration logiquede ces croyances,ni supposerqu'elles fontl'objet
d'un consensusabsolument général,il estcependantpossibled'appréhender par
l'observationet l'information ethnologique,les représentations que se fait
l'Eve de Mawu,touten veillantà nousprémunir contrecettenaïvetéqui nous
feraitattribuerà Mawu les notionscommunesque nous avons de Dieu (néan-
moinsnous seronsobligésde traduirecertainesidéespar des motsphilosophi-
ques) et à prévenirles risquesde distorsionde l'information en la recueillant
auprèsdes gardiensdes traditions les moins marquéspar l'influence chrétienne
assez généraleen milieuévé.
Il nousfautdirecombien,dans cetterecherche, nous sommesredevable
au pasteurNomenyo,dontle mémoirede licencede théologie(cf.bibliographie)
nous a été d'un secoursessentiel.Il nous arriverasouventde réexprimer, en
les réorganisantparfois,ses propresinformations, notammentà propos de
l'étymologie et des diversestraditions concernant Mawu. On trouveradans
son travailun intéressantcommentaire du documenttrouvéà Agbetikooù
il a menéses enquêtes,de mêmequ'une critiquepertinente de l'hypothèsed'un
monothéisme primitif émisepar Spieth. Cependant certaines de ses thèsesse
révèlentfortfragiles,notamment l'idée que Mawu auraitété initialement un
tro(divinitésecondaire),qu'il y aurait eu décadencede la religiondu Dieu
créateuren tant que religionde la collectivité, ce qui sembleexact pour la
régiond'Agu mais ne saurait êtreétendu à tous les rameauxévé. En filigrane
est lisible une sorte de recherche(mythique)des originesde la notionde
Mawu dont il semblesupposersans le dire qu'elle viendraitdu terrainde
recherche qu'il a privilégié.

1. Etymologieet traditions

L'analyse étymologique révèlequatrepossibilitésd'interprétation selon


l'accentuationet les différences tonalesdes deux syllabesdu motMawu (No-
menyo1968: 23), la langueévé étantparticulièrement richeen homonymes.
1) Mawu viendraitde la négationma «ne pas», et du verbewu «tuer».
Dieu ne tue pas. Il est celui qui ne faitpas mourirou ne laissepas mourirsa
créature.L'Eve confesseainsi sa foi en un Dieu qui, ayant donnéla vie à
l'hommel'entretient en lui assurantnourriture,boissonet vêtement,et en ne
le laissantpas manquerdu nécessaire.Par cetteinterprétation qui sous-entend
l'idée de providence,de bonté,de soutiende l'existencehumaineappelantla
confiance,est suggéréela différence entreMawu et les autresdieux,les troqui
inspirent la crainteet sont donner
réputés la mortà qui leurmanqued'égards.
A
2) partir de la même on
étymologie, pourraitsupposerque: Mawu est
celui qu'on ne peut pas tuer,l'immortel, l'éternel.Certesl'idée de la mortde
Dieu est inconcevable, maiscetteinterprétationparaîtpeu probablecar aucun
Evé n'a jamais penséqu'on puissetuerDieu, dansla mesureoù sa mortentraî-
neraitl'anéantissement du monde.

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3) Mawu seraitune imagesymboliqueconstruiteà partird'un rite.Ma


(ou ama) est une plante utiliséesoit en macération,soit commegoupillon,
dans les ritesde réconciliationet de purification. Quant au verbewu,il peut
répandre,
signifier: fairepleuvoir, fairetomber par aspersion.Dieu seraitalors
celui qui bénit,qui faitla paix, qui répandune eau dans la-
le réconciliateur,
quellea été plongéeune plante.Les prêtres,qui répètenttousle gestede Dieu,
insistentsur cetteinterprétation. Elle supposecependantune elision,car la
formeparfaiteseraitAmawula,de ama et de wula«répandeur».
4) Wu a aussi le sens de «dépasser,surpasser».Accoléà la négationma
dans Mawuyil indiqueraitl'idée d'un Dieu suprêmeet insurpassable ; celui
à qui rienni personnene peut êtresupérieur.Cettedernièreinterprétation, la
plus communément admise, englobe en fait plus ou moins toutesles autres:
Dieu est au-delàde la mortet disposede tousles biensmatérielset moraux,la
paix y compris,dans leurplénitude.

A consulternonplus les ancienset les prêtresà prétention de linguistes,


maisles gensdu peuple,il apparaîtque l'idée de Mawu est associéeà des tra-
ditionsrelativementdifférentes,susceptibles de recoupements et de confusions,
en
mais qui toutesméritentd'êtreprises compte sans que l'on puissese per-
mettred'en rejeterune au nomd'une orthodoxie qui ne sauraitse référer ni à
un documentécrit,ni à une révélationparticulière.
-
1) TraditionDzito (Père du ciel). II existeune tendanceà identifier
Mawu avec le cielatmosphérique et à le confondre avec Dzia, la divinisation de
ce ciel,ou Dzingbe(de dzi «haut»,nu «face»,gbe«étendue»), face de l'étendue
qui est en haut,ou voûtecéleste.Mais Dzia (le dieu ciel) est seulementun tro
qui a sonprêtredziasi,et pourparèdreAnyia(la déesseterre)tandisque Mawu
commetel n'a ni représentation ni organisationreligieusepropre.En fait,
Dzingben'est pas «à la tête du panthéonpolythéistede la populationEwe»
commele prétendMircea Eliade à partirde documentserronés,mêmesi le
termede Mawu est utilisé parfoispour désignerle firmament et la pluie.
L'erreurde M. Eliade pourraitprovenir de la lecturede J. Spieth,lequelécrit:
«Mawuest utiliséailleurscommetermepour désignerle firmament et la pluie.
L'azur du firmament est le voile dontMawu se couvrele visage; les nuagessont ses
vêtements et sa parure;le bleu et le blancses couleursfavorites. La lumièreest l'huile
avec laquelleMawuointsoncorpsdémesuré. Il envoiela pluieet estomniscient»(Spieth
1911: 519).
La désignationde Mawu dzifovito, Dieu du trèshaut ciel,indiqueseule-
mentune résidencesupposée,non l'identification avec un phénomènede la
nature,commele montrela simultanéité d'existencedes autrestraditions.
2) Tradition Borne. - Comme la précédente, la traditionBorneest géné-
rale chez les Eve. Elle insistedavantage sur la puissancecréatricede Mawu.
L'absencede récitmythiquede la créationglobaledu monde,signaléepar tous
les chercheurs, pourraitsurprendre si l'on n'avait simultanément observéle
caractèrenettement anthropologique de la religionévé,la plupartdes données
cosmologiques ayant été empruntées au monde yoruba à travers
les interpré-
tationsgéomantiquesde l'oracle afa (fa au Dahomey,ifa au Nigéria).Pour

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«créer»,les Eve disentwo«faire»,évocationde l'idée de Dieu auteurdes créa-


tures;ou dada «envoyer»,référant à l'idée d'un déplacementde lieu,de Borne
versla terre;ou dzo«survenir», «venirà exister»,qui suggèrel'idée d'une exis-
tenceà partird'un momentdonné.La croyanceen la préexistence des êtres
et des chosesne rendpas moins mystérieuse la création individuelle, c'est-à-dire
la fécondité de la femme, la conceptionet l'enfantement. D'où vientl'homme?
Mawufe ou M afe = de «chez Dieu», disent les Eve. Les hommes viventcomme
des esprits-enfants à Borne,paysde Bometoet de Bomeno,pèreet mèreà Borne.
On préciseque ces hommes-enfants en attentene sont pas nés de l'uniondu
couple Bometoet Bomeno,sans prêtreni culte,mais seulementfaçonnésdans
l'argilepar Bomeno.Ils quittentBorne,la terrelégendaire,après avoir pris
l'engagementd'accomplirleur propre destin. La conceptionserait donc
l'insertiondirectede l'enfantdans le ventrede la femme,l'acte de copulation
étantune cause nécessairemais non suffisante.
En résumé,le pouvoirdu créateurdétermine par un acte de sa volonté,
associéà une acceptationpar l'hommede son destin,le passage de l'existence
possibleà l'existenceréelle.Pour les créaturesqui n'ont pas, croit-on,d'or-
ganes producteursautonomes,l'interventiondivine suffit.Au besoin, la
femmesolliciteraen cas de stérilité, l'intermédiaire d'un tro,pour infléchir la
volontédivine.
3) TraditionSe. - Cettetraditionse relieen partieà la précédente. Mawu
y apparaît comme le dieu du «destin», Se «loi». Nous venons de signalerque
l'hommeconclutavec Dieu une sorte d'accord prénatalou de contratpar
lequel son existenceest déterminéeà l'avance. Aprèsseulement,il passe du
mondespirituelau mondematériel.Mais d'aucuns pensentque le modelage
de l'argilepour en façonnerun corpshumainselonles techniquesdu potier,
est effectué par Dieu lui-même.Cettetraditionpourraitcependantêtreassez
récenteet influencée par le christianisme. De toutesmanières,Se est associé
à l'idée de prédestination. Dans les patronymes, il représente l'équivalentde
Mawu, mais il est aussi considérécommeun Dieu personnel,lié à l'individu,
représenté commeun ensemblede produitsfétiches dansun récipient recouvert
d'une toileblancheet gardédans la chambreà coucher.Chaque hommeà son
se particuliermatérialisantle destin qu'il s'est assigné devant Dieu. Plus
généralement Mawusetraduitla continuitédu devenir.
4) Tradition So. - Mawu seloncettetraditionseraitassociéau plus puis-
sant de tousles troadorésau Togo: So, le dieu de la foudre,et qu'on nomme
habituellement Heviesso,le So du villagede Hévié. Nous ne nousintéresserons
pas ici au voduHeviesso,mais seulementau couple Sogble(le mâle) et Sodza
(la femelle)dont M. Tsekpo dit (Spieth 1906) qu'il constitueavec Mawu un
dieu trinitaire résidantdans le ciel atmosphérique. Le lien dieu-ciel-foudre se
conçoitaisément, mais la trinitéMawu-Sogble-Sodza semble être l'objet d'une
croyancetrèscirconscrite spatialement, trèsinfluencée par le christianisme et
sans répondantchez le menu peuple. Sogblele justicier,Sodza la médiatrice
diffèrent du puissantMawu en tant qu'on leurprêtela volontéfantasquedes
vodu.Il est vrai que quelques raresprêtresde Mawu plantenttroiscoques
d'œufssur le toit de leurmaisonen les fichantsur des nervuresde palmierà

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huile;il est vrai que le chiffre troissymbolisela perfection et la stabilité,mais


l'idée d'un Mawu en troispersonnesn'a jamais été sérieusementétablie et
n'estprouvéepar aucunmythe,ce qui noussemblel'argument le pluspuissant.
Le faitrapportépar Spieth (1906) que l'on adressedes prièresà Mawu par
Sodza particulièrement bonneà l'égarddes hommes,prouveseulementqu'exis-
tentdes intermédiaires entreDieu et l'homme.
Selon les mythes,la foudreest l'arme de Sogble,le justicier,dieu des
travailleursdu feret du feu. On dit qu'il forgedes haches de pierre:sokpe
(pierrede So) dontil se sertpourabattredans sa colère,arbres,bêteset gens.
Maisl'échodu tonnerre qui se prolonges'identifie aux parolesd'apaisementde
Sodza: «Doucement,pas si fort,les filsde So sontsurterre.»Pourrendrejustice
notammentcontreles voleurs,l'hommeen appelleà Sogble,maisil sollicitela
bonne,patienteet douceSodza pourobtenirdes enfants, de la pluieet des biens
matériels. Dans ce mythe, l'élément feu masculin s'unit à l'élémenteau féminin.
-
5) TraditionMa. Bien qu'observéeà Kpengepar Spieth,cettetradition
est fortrépandueau Togo. Elle s'associe à de multiplescultesexprimantla
joie, la fraicheur et la paix. Commela fraîcheur (fafa),la paix (fafa aussi),
élémentd'épanouissement de la vie sociale et individuelle, a pourconditionet
symbolel'eau rafraîchissante et fécondante.Le fait que paix soit pour les
la
cœurs ce que la pluie est à la nature,s'exprimeclairementdans les ritesde
bénédictionpar l'eau (tsi).Le ritetutsiconsisteà prendreun peu d'eau dans
la boucheet à en arroserle sol ou les mains,le visageou le corpsdu solliciteur.
On peut aussi tremperune plante[ama) dans l'eau et en aspergerl'intéressé.
L'amafafaest la plantefraîcheet lénifiante commeYamefafa est l'hommebon,
doux et paisible.Sans le gestede Mawu qui versecontinuellement une décoc-
tion d'herbes (aux vertus médicinales très importantes) sur les égarements des
hommes,on supposequ'il n'y aurait de
point paix dans le monde et que régne-
rait la sécheressedu cœur: dziku(c'est-à-direla colère),et le feu du ventre:
domedzoe «l'animosité».
6) Tradition Mawu. - Exceptionnellement, les gens d'Agbetikoprès du
mont Agu pratiquent(car sont rares les sanctuaires du Dieu suprême),le
culte de Mawu duquel ils sollicitent fécondité et protection.Présentpartout
maisinvisible, leurdieupossèdeun lieusaintet uneorganisation communautai-
re, mais à l'inversedes tro,n'est pas représenté matériellement. CertainsEve
du Ghana le vénèrentparticulièrement le samedi et l'appellentvolontiers
Kuami, nom que l'on attribueaux garçonsnés le samedi.Ils conçoiventleur
dieu commel'êtreinsurpassableévoqué dans le quatrièmesens étymologique
et dontnous allonspréciserles attributs.

2. Le tout-puissant,l'originelet l'omniprésent

Puissanceinitialeet créatrice(traditionBorne), quintessenceénergétique


de l'univers So),
(tradition Mawu est désignépar l'Eve commele Dieu suprême
et insurpassable(traditionMawu) en ce qu'il commande à toutesles divinités,
aux ancêtreset aux hommes.

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Ses caractèresde divinitéprimordiale, invisible,immanente et incrééese


saisissentà traversdes appellationstellesque wola = le faiseur,le créateur
de touteschoses,mot construità partirde la = acteuret de wo = faire,ou
que mela= le modeleurde l'argilehumaine.Créateurde l'homme,Mawu Test
aussi des tro,entitésspirituelles, dontil a faitdes intermédiairesentrel'homme
et lui-même.A traversles adorations,prièreset offrandes adresséesà ces
esprits secondaires, assimilés parfois aux puissances de la nature,l'hommeest
conscientde viserle Dieu suprêmecommeultimedestinataire, mêmesi celui-ci
ne jouit qu'exceptionnellement d'un cultevisibleet direct.
Unique en son genreparce qu'originel,autonomeet immuable(Mawu
kokodabi), d'unegrandeur inégalable(Mawuaditi),placéau sommetd'une pyra-
mided'entitésspirituelles, il n'estpourtantpas un Dieu uniqueni exclusif.Le
polythéisme s'accommode fort biend'unelointainetranscendance. De figureim-
précise,maldessinédansl'imagination le
populaire, «père des dieux» condescend
parfoisà communiquer aux humainssa volontépar l'oracle afa, tout en de-
meurantinvisibleet en agissantpar des délégués.
Possesseurde tousles biensdansleurplénitudepuisquetousproviennent
de lui, Mawu nusè-katato (Dieu tout-puissant) est censé dispensernon seule-
mentla vie individuellemaisla vie collective,réguléepar une conceptionreli-
gieusede l'autorité.Mawu garantità la foisla stabilitédu monde,l'intégration
du systèmesocial, et l'équilibrevital de l'individu.En fait,à traversles tro
et les ancêtres,interprètes de sa volonté,la divinités'ordonneessentiellement
à l'existencehumaineà telpointqu'il seraità peineexagéréde parlerd'unDieu
d'utilitépubliqueet privée.
Aussi fortesque soientles notionsd'omniprésence, de toute-puissance
et de bienveillancede Mawu dans la mentalitétraditionnelle, celle-cidiffère
essentiellement de la mentalitéchrétienne en ce qu'elle n'admetpas l'intimité
de la présencedivinemotivantune prièrecœur à cœur,ni la qualité des
biens,d'abord d'ordrespirituel,que Dieu veut pour l'homme,ni les moyens
tels que l'épreuveet l'ascétismeque le Dieu chrétienproposepour acquérir
ces biens.
Convient-il doncde ne voirdans Mawu qu'un Dieu lointain,ayantlaissé
à ses subalternesla gérancede sa création?Il existebien en effet,dans la
traditionDzito,des mythesd'éloignement de Dieu dès les premiersâges, qui
recoupent tout à fait de semblables traditionschezles Guizigadu nordCame-
rounet les Moside Haute Volta en ce qui concernele cielnourricier à portéede
main, et cellesdes Guiziga, des Bwa de Haute Volta et des Dinka du Soudan
pourl'histoiredu piloncognantla voûtecéleste.Dans les débutsde la création,
pensentles Eve, le ciel était si prochede la terreque le pilon des femmes
le cognaitsans cesse.Les hommesavaientprisl'habituded'essuyerleursmains
sales sur le ciel après avoir mangédes plats huilésou satisfaità leur besoin
naturel.Ils poussaientmêmel'audace jusqu'à découperdes morceauxde ce
cielpourpréparerleursrepas.Irritéde telscomportements, Mawugã (le grand
Dieu) s'éloignaavec sa demeuredansle trèshautciel.En bref,l'éloignement de
Dieu résulterait de l'activitésans gêne des hommes,de leur intolérablegour-
mandiseet de leurmalpropreté.

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Mawu,Unsurpassablechezles Eve du Togo 31

Sans se référerau mythe,S. Nomenyo tenteune explicationlogiquede


cetteimpressiond'un deus remotus, explicationassez peu convaincantedans
la mesureou bien d'autrespeuples,notammentles monothéistes, faisantde
semblablesconstatations n'enontpas tiréles mêmesconclusions. En le résumant,
on peut direque la non proximitéactuellede Dieu s'expliquepar quatrerai-
sons: 1) Un processusde désacralisation traduitun moindrebesoind'interven-
tiondivinepuisqu'ona de plus en plus tendanceà attribuer la fécondité de la
femmeet la fertilité de la terreà des élémentsnaturels;2) La substitution du
cultedes troà celui de Mawu joueraitdans le mêmesens: l'uniondu couple
Ciel (Dzia) etTerre{Anyid) expliqueraitla fertilisation de la terrepar la pluie;
3) La tradition Dzitod'unDieu maîtredu cielse fortifierait parla tradition So qui
localiseMawu dans le ciel atmosphérique. Le sentiment d'éloignement spatial
de la voûte célestecorrespondrait au sentiment d'éloignement de Dieu; 4) Le
de de
mythe l'âge d'or, l'harmonie, de la paix et de la fertilité,auraitété créé
par le constatfréquentet actuelde l'irrégularité des saisons,de la débauche
et de la stérilité.
Mais on sait que bienpeu de religionshésitentà intégrer par un biais de
l'explication, des anomalies apparentes dans l'ancien corpusthéorético-mythi-
que. Il resteraità savoirsi de tellesconstatations n'existaientpas dès l'origine
et pourquoiellesen sontvenuesà se posercommedes thèsescontestataires de
la proximitéde Dieu.
Toujoursest-ilque le Mawu évé perden proximité ce qu'il gagneengran-
deur.Cause première, il sembleactuellement être une cause lointainede toutes
choses.Néanmoins,peut-onsupposeravec exactitudeque la courbe de ses
capacitésqui a culminélorsdes travauxde créationsoitdésormaisdescendante
et que la transcendance divinen'ait plus de rapportavec la vie quotidiennede
l'homme?
Au vrai,le Dieu lointainselonles mythesest un Dieu procheselonles
conduitesquotidiennes,en ce qu'il règlel'éthique vécue et qu'on l'évoque
fréquemment dans le langage courant.Tout prêtrede familleen pays évé
adresseuneprièreà Mawu avantou aprèsun sacrifice poursolliciter sesfaveurs.
La conditiond'exaucementde la prière,le prêtrel'exprime au fidèle:«Tout
réussirapourvuque Mawu jette la main dedans.» Lorsqu'unepersonneest
insatisfaitedu verdictd'un tribunalcoutumier,elle en appelle à Mawu, té-
moinoculaire,juge et avocat des opprimés:«C'est Mawu lui-mêmequi doit
nousjuger.»A l'adressedu voyageur,les derniers conseilsde son pèreou de sa
mèreavantle départseront:Mawu nutonatamole nugowo« QueMawului-même
fraiele cheminpour toi»; Mawu nanokplewo«Que Mawu t'accompagne».Au
termed'un sommeil,c'estMawu qui permetà l'hommede se réveiller:Mayi ...
nudikanyine Mawufom«J'irai... de trèsbonneheure,si Mawu me réveille».
Les événements fastes,à qui les attribuer sinonà Mawu qui remplitde poissons
le filetdu pêcheur,conduitles animauxversles piègesdu chasseur,faitpousser
le champdu cultivateur, éviteà l'hommeun accidentet rendla femmeféconde.
Autantd'événementsqui appellentl'action de grâces: Mawu lolo «Dieu est
grand».Dans la conversationcourante,les références à Mawu foisonnent:
Mawuzâ«GrandDieu !» (étonnement et admiration) ; Mawutowu«Dieu surpasse

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tout»; Mawu be jro «c'est la volontéde Dieu»; Mawu le «Dieu existe(vrai-


ment!)»; Mawu nyo«Dieu est bon»; Mawu le soji «Dieu est sur son cheval
(pourtout voir)»; Mawu gbe«Dieu défend(de fairele mal)»; WoeniMawua
«Es-tuDieu (Prétends-tu savoirle secretdes choses)?»
Parmiles proverbesévoquantle Dieu providentet prévoyanton peut
citer:Mawu chasseles mouchesà l'animalqui n'a pas de queue; Mawu qui
a enfantéun petitne le tuerapas; s'il estloindes hommes,il n'estpas loindu
regardde Dieu. Les patronymes composésavec la racineMawu (ou Se), inspirés
par les circonstances et les expériencesde la vie quotidienne,exprimentla
confiance que les Eve onten Dieu et mettentl'accentsursa justiceet sa bonté
pourqui a le cœurdroit:Mawusi «Entreles mainsde Dieu»; Mawuko«Dieu
seul» (peutveniren aide); Mawuse«Dieu a exaucé»; Mawulekpo«Dieu voitle
mal» (que les hommesme font,il me délivrera);Mawule «Dieu est» (avec
nous - ou Dieu a assisté, ce qui connoteune interventionmiraculeuse);
Mawuena«Dieu a donné»(cf.Johnson1965).
Pour exprimer la supériorité de Dieu,Miatame(de ta«tête»;tame«dessus
pour exprimer jugement comparaison»)sertde terminologie
un de de respect
par craintede prononcer le nom de Dieu. Miato «Notre père»,inspirédu
christianisme, la
exprimeplutôt confiance, comme le terme «GrandPère» à
l'égardde la divinitéNyigblë:TogbeNyigblë.
Si Dieu accepted'êtrenommé,il excèdede toutesfaçonsles nomsdans
lesquelson voudraitpouvoirle retenir.Quant aux nomsthéophores, qui con-
cernentune grandepartiede l'Afrique,ils véhiculentun messageadresséà la
communautéd'incorporation de l'individuen mêmetempsqu'ils expriment la
réactionde ses parentsaux événements marquantsde leur existence.Comme
souventen Afrique,Mawu est presquetoujoursle sujet de la phraseoù s'ex-
primele nom-proverbe: elonyiko. Le nomthéophoreréfèredonc à Dieu la vie
humaine.Dans les composésde Se, il renvoieà la continuitéou aux avatars
du destinen lequel se perçoitmieuxencorela relationde l'hommeà Dieu.
En fonctionde ce qui vientd'êtredit, on se poserala questionde R.
Luneau :
«Sommes-nous doncen présencede deux traditions parfaitementétrangèresl'une
à l'autre?D'une part,un Dieu affirmé lointainet dontl'éloignement est voulucomme
mêmede la naissancede l'homme.D'autrepartun Dieu donton a toujours
la condition
le nomà la boucheet donton pensespontanément qu'il se souciedes milleet une for-
tuneset infortunes qui fontle lot de la vie des hommes.En fait,il n'y a d'opposition
que formelle et le paradoxeest peut-êtreeffectivement le cheminqui conduitle plus
prèsdu mystère de Dieu à la foisfamilier (Thomaset Luneau 1975: 141).
et inaccessible»

Une comparaisonjudicieusepourraits'opéreravec le dieu suprêmedes


peuples voisins: Buku des Ana d'Atakpamé(au nom semblableà la Nana
Burukudu Nigeria,du Dahomey,du Togoet du Ghana); Uwolowu desAkposso,
déformation de VOlorundes Yoruba,par suppressiondu r inconnudes Akposso
et adjonctionhabituelledu préfixeu à tous les noms (ex: usi «champ»;uti
«terre»;uhe «animal»),mais nous ne disposonspas de suffisamment d'infor-
mationspour pousserl'analogie.Une traditiondes Fon pose cependantpro-
blème: A l'originedu mondeseraitle couple Lisa (élémentmâle solaire)et

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chezles Eve du Togo
Mawu,rinsurpassable 33

Mawu (élémentfemellelunaire)répondantà la dualitédivineObatalaet Odu-


dua chez les Yoruba. A leur sortiede la calebasse mystérieuse sur Tordre
d'Olorun,Obatalase seraitretiréau ciel, tandis qu'Odudua représenterait la
terre«mèrede la calebasse»:Iva Igba. Mais l'idée d'une familledivineengen-
drantle mondesembleétrangèreà la traditionévé du Dieu créateur,quelles
que soientles prétentionsde Mircea Eliade à voir partoutles éléments
solaireset lunairescommeprimordiaux. Le couple créateurdu ciel et de la
terren'est qu'une importation du Dahomey,empruntéeelle-mêmeau monde
yoruba,Lisa n'étant qu'une déformation du mot Orisha,selon Cornevin
(1959: 100). Si les devinsassimilentparfoisMawu à Gbadu,grandegénétrice
de tous les afadu(archétypes caractérielsprimordiaux), il ne fautpas oublier
que la divination par afa a été importéede l'est assez récemment. Lorsqueles
Evé invoquentDieu par les termesde Mawu no (Dieu-mère)il sembles'agir
nond'unesexualisationde Dieu maisd'uneallusionà sa providence maternelle.
Les Aja (souche-mère des Evé) saluentDieu en se tournant versl'orient: Mawu
Lisa (Dieucaméléon)puisversl'occident: Mawuleaveme«Dieuestdansle forêt ».
Quant au terme de il à
Mawu} prête quelque confusion dans la mesure
où existeune tendance,probablement récente,à employerle nom du Dieu
suprêmecommenom génériquedes divinitéssecondaires.Ainsiparle-t-onde
Mawu-Sogble et de Mawu-Sodza,ou encorede Dzi-Mawuet deAnyigba-Mawu,
commeon diraiten français:le dieu-cielou le dieu-terre. Maisla critiqued'une
tellegénéralisation ne suffit à
pas accréditer, comme le fait Spieth,l'idée d'un
monothéisme primitif donton ne trouve nulle part de trace au Togo. D'ailleurs
le problèmedu monothéisme revêtbien moinsd'importanceen Afriqueque
dans les régionsdu mondeinfluencées par les religionsd'originesémitique.

3. Mawu et les tro

Mawu n'est pas une déitéexclusive.Aprèsune créationseméed'erreurs


technologiques (que rapportentles mythesévé de l'hommenoirtropcuit,du
soleiltropprès de la terrerepoussépar un bâton fourchu)et d'imperfections
dues à l'oppositiondes puissancesde désordrereprésentéespar Dzo, l'entité
primordiale a esquissél'organigramme du mondeet s'est effacéede la scène
pourlaisserles soucisde gouvernement divinitéssecondaireset aux génies
aux
parfoisfantasques.Si la penséethéologiquemanqued'unité,aussi bien à pro-
du
pos de l'ordredes quelque 300 divinitésclaniques et individuelles,que
on
typede règnede Mawu surces divinitéset surla légiondes ancêtresmorts,
peutcependantdégagerquelques constantes dans la de
différenciation Mawu et
des tro,quant à leursexigences et à leurrôle respectif.
1) Mawu, de même nature que
spirituelle les tro,se distingued'eux par
le caractèreéthiquedes attitudesreligieusesqu'il réclame,tandisque le culte
des traa un caractèresurtoutrituel.La religionde Mawu exigeuneressemblan-
ce de l'hommeà l'égardde Dieu aux attributsmorauxde pureté,de paix, de
générosité.Mawu se distingueaussi par sa grandepatiencecontrastantavec
la promptitude des tro,notammentSo, à se mettreen colèreet à châtierles
Anthropos74. 1979 3

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34 Claude Rivière 74.1979
Anthropos

hommespar la mort.Mawu gä medzia vi wu na o «Le grandDieu ne peuttuer


son proprefils».Il ne tourmente ni ne trompe.L'Eve identifie la présencede
Mawu à une certainepaix intérieure: «la puretédu ventre»,qu'il éprouvepar
la fidélitéaux riteset prescriptions de la loi ancestrale, et par unevieenharmo-
nie avec son prochain. Tous les préceptes moraux et sociaux se rattachenten
dernièreanalyse à un désir d'imiterMawu dans son respectde la vie de
l'homme,dans son amourde la paix,dans sa générosité, sa véracité.En d'autres
termes, est considéré comme filsde Mawu quiconquerespectela vie du pro-
chainsans nuire à personne,quiconque vit dans la paix,la douceur,la bontéet
entretient d'excellentesrelationsavec tousles hommes,quiconquerespectela
vérité,enfinquiconquese montregénéreux,libéralet hospitalier.
2) Mawu, en tant que créateurde touteschoses,se distinguedes tropar
son ordre de grandeur.Il dépassetous les tropar sa puissanceet se place au
sommetde leurhiérarchie. Sous ses ordresdirects,on place généralement deux
couplesde dieux: Sogbleet Sodza assurentles relationsentreles hommeset
MawuyBometo et Bomenoréglementent le passagedeshommesde l'étatd'esprits
ou d'ombres à celui de créatures incarnées. Viennentensuiteles trotribaux,
claniques,familiauxet personnels. A travers les tro,contrôléspar leurcréateur,
c'est celui-ciqu'on adore et c'est à sa toute-puissance qu'on recourten cas
d'échecdes tro,
3) Mawu possèdeen lui-mêmela plénitudede touteschoseset n'a pas be-
soin de l'hommepour exister,tandis que les trone sauraientsubsistersans
l'assistancedes offrandes et sacrificesqu'on leuradresse.A l'instardes hommes,
ils se nourrissent, notamment par le sangversé,par les libationset les présents
de nourrituredont la consommationdemeurepurementsymbolique.Bien
nourriset choyéspar les humainsqui accroissent leurforcevitale,ils affirment
leurpersonnalité. A l'inverse, un troestimé inefficace voit bientôtdiminuerle
nombrede ses fidèles,la fréquencedes sacrifices imploratoires, jusqu'à ce que
son prêtreesseulédisparaisseavec le culte dont il assuraitla survie.Mawu
par contre,en raisonde son immanence, se dispensedu secoursconstantdes
hommeset n'a pas besoin d'être flatté par des sacrifices cultuels.
4) Mawu s'opposeradicalement aux pratiquesmagiqueset à la sorcellerie
toléréespar les tro.Marc Auge travaillantdans la régionwatchid'Anfouin
signalepar exempleque le vodu(ou tro)Akpasoest un vodud*adze,c'est-à-dire
de sorcellerie qui ne refuseni le bienni le mal et sertaussibienà attaquerqu'à
se défendre.
«QuandAkpasoprotègeunecour(remplacement de son autelnonloinde l'entrée
de la courrendcetteprotection trèsmanifeste),les sorciersqui désirentattaquerdoivent
lui en demanderl'autorisation - autorisationqu'ils sontcensésobtenirplus facilement
s'ils sonteux-mêmes détenteursd'un Akpasoet beaucoupplus difficilement si l'Akpaso
protégeant celuiqu'ils attaquentest plusfort
que le leur.Tout est de
affaire force,d'une
forcequ'il n'estpas questionde qualifiermaisde mesurer» (Auge 1977: 109-110).

Selon une traditiongénérale,les dzositro(de dzo «feu»,«puissancedu


désordre», des trode
et si, pronompossessif)seraientles envoyésou serviteurs
de
la mêmefaçonque les trosontdes envoyés Mawu, qui cependantpeuvent
allerà rencontrede sa volonté.On pensemêmeque, lorsqueles trocherchent

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Mawu,Unsurpassablechezles Eve du Togo 35

à nuireà une personneet que son«angegardien»ou aklama,déléguéde Mawu,


s'y refuse,Yaklamaobtempèreà la longueen recevantun pourboire(aäzo).
Si Mawu abandonnela personneattaquée,les trola tuentsans difficulté. Mawu
produirait-ildonc le mal ? Que non, il le permet seulement.
5) Mawu n'a pas de représentation matérielleà l'inversedes troauxquels
on érigedes sanctuaires,qui sontl'objet de cérémonies et à la base d'institu-
tionsreligieuses.Les troremplacentMawu en tant qu'intermédiaires directs
dans un ou plusieursdomainesprécis: fécondation, fertilité,pluie,protection,
guérison,santé. Néanmoinsdire que Mawu n'a pas d'autel, ni de symbole
visible,ni de célébrationsqui dramatiseraient sa présence,paraît toutefois
exagéré.Sans doutele conçoit-on tropgrandpourêtrelocalisédans une image
grossière,tropéloigné de l'homme et sansbesoinde leursecourspourlui rendre
un culteconstantd'imploration. Pourtantson rôledemeureessentieldu point
de vue idéologique,et aussi fragileque soit son revêtement anthropomorphe
dans l'imagination populaire,il est parfois,quoique rarement, l'objet d'offran-
des. Dans la régiond'Agu au Togo et de Ho au Ghana,on trouveparfois,chez
quelqueschefs,des piquetsà troisfourches surlesquellesest déposéun pot de
terrecontenantde l'eau et des feuilles (ama). Le chef-prêtre s'en faitchaque
matindes ablutions.Cet emblèmeà troisbranches,appelé «arbre de Dieu»
(mawuti),évoquel'immutabilité et la perfection divine:Nu mensamlekpuieto
dzi glenao «Un objet posé surun supportà troisbranchesne tombepas». Par
ailleurs,on trouvebien au Togo, commeau Dahomeyet au Ghana,quelques
sanctuairesde Mawu, commeceluique citeS. Nomenyoà Agbetiko.
Le sanctuairecomportesept cases rondesdontl'une complètement vide
estcellede Mawu,où n'entreque le prêtreet unefoistousles troisans,un fidèle
désignépourprocéderau nettoyagedu sanctuaire.
«Dans une des six autrescases,il y a une meulepourmoudrele maïs.Dans une
autreunejarred'eau. Une troisième sertde cuisinepourles repasrituels.Il y a toujours
du feu,de l'eau et de la nourrituredansla maisonde Mawupoursignifier symboliquement
qu'il y a la vie danscettemaison,maisaussipoursignifier qu'il y aura toujoursce qu'il
fautpourl'entretien de la vie du peuplede Mawu.Tous les symbolesde la présencede
la vie communautaire sontprésentsdans ce sanctuairede Mawu: le lieu saint,signede
la présence de la divinité;la meule,symbolede l'activitéhumaine;l'eau,signedu carac-
tèrehospitalier d'unlieu,d'unpaysou d'unemaison;le feu,signede la présence humaine,
et la nourriture, signe de l'abondance (paroppositionà la famine)» (Nomenyo 1968: 47).

A lirela suite du document,il apparaîtque le prêtre(mawunua)a des


fonctionsdifférentes de celles des tronua(bouche du tro)en ce qu'il n'offre
pas de sacrificeà Mawu, qu'il ne participepas au culte des trodes environs
à l'inversede ce qui se passe habituellement et qu'il se singularisepar sa
saintetéde vie. Trois ritescollectifsjustifiéspar des mythes(symboleinvisible
de Dieu portésur le dos d'une vieillefemme,cases de sept jeunes gens,vase
remplid'eau, chutedu cield'un balai et d'unecuvettede nourriture) dominent
l'année des Agbetikod'Agu,fidèlesde Mawu: le ritede communication de la
paix auprès d'une source d'eau le
fangeuse; repas rituelavec des mets de farine
de maïs et d'herbesapprêtéspar un garçonet une fillevierges;le balayage
ritueldu villagepar le prêtrequi aspergeensuiteles habitantset priepoureux.

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36 Claude Rivière 74.1979
Anthropos

Que Mawu apparaissecommele Dieu suprêmeen mêmetempsque le


trotribaldes Agbetikone semblefaireaucun doute.Quantà direqu'il étaitla
divinitépremièredans le temps,de tous les Eve, rienne l'assurepuisqu'on
ignoretout à faitl'âge d'installationdu sanctuaire.CependantDebrunner
(1965:53-62)pensequ'il y auraiteu une confusion, aprèsl'exil de Notse,entre
M angu,filsde Kpaya et pèrede M angute{trod'Agu Nyogbo),et Mawu, divi-
nité suprêmedes Eve. Il sembleaussi que le Mawu évé ait été emprunté, à
l'instard'un tropar les Fon, si l'on en croitParrinder pour qui le cultede
Mawu et de Lissa futintroduitau Dahomeypar la mèredu roi Tegbesu,et
que ce roi aurait«acheté»pourAbomeySo, le dieu-tonnerre des Evé. Mais le
témoignage a été fortdiscuté.
Une certitudedemeure:Mawu n'est jamais représenté commeun vodu,
son sanctuairen'indiquepas le lieu où il réside.On le localisesans précisionou
bien au-delàde la voûtecéleste,ou bien dans un lieu de repos(gbodemefe) où
viventavec lui les ancêtres: Mawu xomde gbowo, ne magbode eme le wo atifafa
go me «Mawu reçois-moiauprès de toi pour que je me repose sous ton arbre
la
ombragé(dans fraîcheur) ». Certes poursignifier que Mawu est intervenu en
faveurde quelqu'un, on dit bien: Mawu di «Mawu a descendu», mais le mot
di appliquéaux dieuxsignifie seulement : se révélercommeexistant,se mani-
festerconcrètement et non descendredes cieux.
6) Enfin Mawu se situe hors des hiérarchiesde troet sa primautéest
indépendante des relations politiquesinterclaniques. Le trosupérieurest le
le
dieu de la tribuou du clan qui s'installe premier dans une région.Le «dieu-
seigneur»du «village-mère» s'imposepar l'étenduede ses pouvoirs,protège
son peuple et lui assurela prospérité.La primautéreligieused'un dieu par
rapportaux autrescórreleavec la primautépolitique,et quelquefoisécono-
mique,du clan qui l'adore.La subordination des dieux suit doncles lignesde
subordination des clans. Aussi lorsqu'unclan ou une tribusubalternereven-
dique ou acquiertson indépendance, un renversement des primautéss'opère,
entraînantune désubordination du dieu inférieur et son accessionau rangde
trõtribal.Les hiérarchies de dieuxse bouleversent ainsipar des prisesd'autono-
et
mie de tribus par des scissions intra-claniques. Or quelles qu'aient été les
péripétiesdu peupleévé,Mawu demeuretoujoursà sa place de Dieu suprême.
Cependanton noterapourle Mawu-Mangudes gensd'Agu,une régression du
ce
culte, qui tendrait à accréditer l'idée de deux divinités: Dieu suprêmeet
trõ,confondues en une seule. Se sentant humiliées d'être vassaux des gens
d'Agu,les tribusenvironnantes, issuespourtant de la souche initialedes Agua-
wo,ontcesséde venirannuellement rendrehommageau prêtredu dieuMawu,
Mais généralement on considèreque Mawu se situehorsdes luttesd'influence
socio-politique,et de ce faitne subitpas le sortaléatoiredes trõdont fluctue
le nombredes adeptes,selonl'efficacité attribuéeau dieu et selonles lignesde
clivagedu politique.

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chez les Eve du Togo
Mawu,rinsurpassable 37

4. Conclusion

S. Nomenyosupposesans preuvesolideque la religionde Mawu aurait


étéle culteoriginelet généralisédes Eve, affectépeu à peu parles circonstances
la pertedu sentimentde solidaritécausé par la dispersion
politico-sociales:
géographique entraînant le déclinde l'hégémoniereligieusedu sacerdocedu
Dieu créateuret la substitution des pratiquesmagiquesà une moralefonda-
mentalede puretédu cœur.
Sans nousprononcer surces hypothèses (assezgratuitescar Agun'estpas
le foyerinitial de dispersiondes Eve) de l'origineet du déclind'un culte,
nous reconnaîtrons au moinsplus de plausibilitéà l'assertionsuivantecon-
formeà notreanalyseantérieure:
que la contempla-
«La notionévé de Dieu créateurvient,nonpas de l'impression
tiondu cosmosa produitesurl'âme des hommesmaisde toutun ensemblede constata-
et de sentiments
tions,d'impressions ayantpourobjet l'amouret qui a reçuune inter-
prétationreligieuse»
(Nomenyo 1968: 65).

C'est beaucoupmoinsnoussemble-t-il le problèmede l'explicationde la


natureque celui de la vie humainequi se place au centrede la penséeévé,
commele révèlel'importancedu culte des ancêtres.La vie, non seulement
physiquemaisaussisocialeet morale,représente ce qu'il y a de plusimportant
pourl'homme.Aussivoyons-nous apparaîtreDieu sous des anglesessentielle-
ment relatifsau phénomènevital. Force suprême,Mawu intervientdans
l'apparitionde la vie, dans la maintenance 'de la pleinecapacitévitaleet dans
l'orientation moralede la sociétéqui permetune vie collectiveintégrée.Notre
explicationde Dieu se réfèredonc à sa fonctionnalité pourl'Eve. En bref,la
communication aux hommesde la vie du Dieu créateurs'opèrede troisma-
nières: parle miracle parl'entretien
de la fécondité, permanent de la viephysique
et par la transmission d'une éthique.
La notionde Dieu créateurrépondraitinitialement à une interrogation
sur la présencede la vie et sur le phénomènede procréation. Le créateurest
celui qui rendles femmesfécondes.Selon Nomenyo,la croyanceen Mawu
seraitmême«une interprétation religieusedes effetspsychiquesde l'amour
sexuel»(Nomenyo1968:53), ce qu'il étayeen se référant au mythelunairedu
Mawu dahoméen,au mythede l'eau pacifianteet fécondante dansla tradition
ma et aux mythesdes rapportsmâle-femelle de Sogble et Sodza dans la
traditionso.
Mawu qui possèdela vie dans sa plénitudene sauraitque dispenseraux
hommesla santé et la prospéritématérielle.Commele soleilet la pluie sont
sousses ordres,de mêmeviennentde lui la nourriture et la boissonqui rendent
l'hommeheureux.Cetteidée à été signaléeà proposdu sens du repas rituel
dans le cultede Mawu des gensd'Agbetiko.
De mêmele ritede communication de la paix symbolise-t-il le souhaitde
fraternitéqu'exprimepourles hommesle Dieu de justiceet de vérité,de joie
et de sérénité.La religionde Mawu, avons-nousdit, vise à une reproduction

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38 Claude Rivière 74.1979
Anthropos

moralede la divinitépar les hommesqui doiventêtrele lieu de manifestation


de sa paix et de sa pureté,celle-ciprovenantdavantagedu cœur que de la
seuleobservationdes interditsédictéspar les prêtresdes trõ.
Situéhorsdu systèmedes tro,le Dieu lointainmaistoutprochedu cœur
des hommesest nécessaireà l'intelligibilitédu cosmoset de la vie humaine;
il demeurel'ultimepossibilitéde sens lorsquel'événementinsolitefaitpeser
une menacesurle groupeet que l'explicationse dérobe.

Summarium.- The notion of the Ewe of their god Mawu who is not their only
but their supreme deity, invisible, little anthropomorphized,and sexually indifferen-
tiated, nearlyreflectsthe notion which theirneighbours,the Ashanti and Yoruba, have
of their higherdeity. In comparisonto the Mawu of the Fon, the Mawu of the Ewe
assumes but in a few tales the traits of a lunar deity, wherebyhe would be contrasted
to the solar deityLisa. The beliefin the existenceof Mawu relatesitselfadvantageously
to the happiness of human life,as well as to the generationof the cosmos as far as its
material aspect is involved. The analysis of the etymologywhich the people themselves
propose reveals fourpossibilitiesof interpretation, if the accentuation and tonal differ-
ences of the two syllables of the word Mawu are considered.Relatively different tradi-
tions, which are susceptible of recoupments,reduce themselves to six fundamental
traditionsas far as Mawu*s associations are concerned.He is related: 1. to the creation
of the celestialvault; 2. to the procreationof everyhuman being; 3. to man's individual
destiny; 4. to the justificatorygod of lightning;5. to the medicinalvirtueof plants; 6. to
the idea ofan unsurpassedbeing,lord ofthe secondarydeities who are called troor vodu.
The remoteGod is, accordingto the myths,a near God in relationto man's daily behav-
iour in his moral life; he is frequentlyinvoked in the currentlanguage. Of the same
spiritual nature as the tro and vodu, Mawu differsfrom them 1. through the ethical
charactersof the religiousattitudes which he demands fromman; 2. throughhis great-
ness and power; 3. through his possessing the fullness of everything;4. through his
radical oppositionto magical practices; 5. throughhis not being presentedby material
things; 6. throughthe independenceof his primacyon inter-clannishpolitical relations.
With regardto the bestowing,to men, participationin the lifeof the Creator-God,this
participationasserts itselfessentiallythroughthe miracle of fecundity,the permanent
sustenance of physical life,and the transmissionof ethical norms.

Bibliographie
Auge, Marc
1977 Pouvoirs de vie, pouvoirs de mort. Paris. Flammarion.

Cornevin, Robert
1959 Histoire du Togo. Paris. Berger-Levrault.

Debrunner, H. W.
1965 A Church Between Colonial Powers. London. LutterworthPress.

Eliade, Mircea
1953 Traité d'histoiredes religions.Paris. Payot.

Johnson, Gabriel K.
1965 Notion de «Mawu» ou Dieu chez les Gê-Mina du Bas Togo par le patronyme.
Etudes Togolaises 1 : 74-87.

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chezles Eve du Togo
Mawu,rinsurpassable 39

NOMENYO, SeTH
des E we du
1968 La notionde Dieu créateurdans les croyancestraditionnelles
Sud Togo. Lomé. CERK [ronéoté].
Spieth, Jakob
1906 Die Ewé-Stamme.Berlin.DietrichReimer.
sehe Verlagsbuch-
1911 Die Religionder Eweer in Süd-Togo.Leipzig.Dieterich'
handlung.
Thomas,Louis -Vincentet René Luneau
Paris.Larousse.
1975 La terreafricaineet ses religions.

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