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Un
\f r*i"ola'rsA
DEUXTÈME ÉOITION
OFFICE DE PUBLICITÉ
J. LEBÈGUE & Ci", Éditeurs,
Anciens Ét"bliss.
Société coopérative
36, RUE NEUVE, BRUXELLES
| 92+
TOUS DROITS DE TRADUCTION RESERVÉS
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PREFACE
Stliiïi;Jï,ïtË:i:ïiiJ:î:;i:li-"#iT,:'i,{:,t
et d.* périodes tranquilles
d'organisation, Pendaf
Iesquelles ses institutions se développent, t"ir$fril
s'affinent et sa part contributive à l'épanou
des sciences, des lettres et des arts augmente' Jtai
résumé les faits les plus caractéristiques des périodes
de crise et j'ai essayé de ressusciter,'par des tableaux
aussi compiets, aussi conerets et aussi vivants qu'il
m'était possible, nos milieux économiques et sociaux
de jadis, an* époques de calme et de progrès dp la
civilisation.
Ce but étant donné, j'ai pa,ssé rapidement sur I
premiers siècles de notre histoire, car, jusqu'à l'époq
â"r Croisades, nos annales se confondent singulilr
ment avec eelles des peuples voisins. J'ai agi de mê
lorsque j'ui parlé du fonctionnement de la socié
féodàle, de l'organisation interne des Communes, (
la technique des corporations, bref, lorsque le suj
n'avait rièn de spécifiquement belge ou lorsqu'il n
paraissait relever plutôt du dbmaine d.çt ouvrag
7
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Pirenne est et restera longtemps eneore le plus pré'
cieux des guides.
Le travail que j'ai entrepris était malaisé et je ne
me rends que trop compte de ses imperfections. Si je
parviens cependant à communiquer à mes lecteurs une
part de I'admiration que je profetse à l'égard de nos
pères et de leurs annales, je croirai n'avoir pas fait
æuvre vaine.
Saint-Gilles, le l5 janvier f9p0.
7
PREMIÈRE PARTIE
LA. BELGIQUE DANS L'ANTIQUITÉ
(Des originos au milisu du V" siècle.)
CHAPITRE PREIVTIER
A) Le paléolithique inférieur.
Pendant cette période, la mer recouvre le nord et l'ouest de
notfe pâ)'s. Le climat est doux et l'atmosphère calme. Abrité
<lésrayorrs d'un soleil ardent par <l'épais massifs de verdure,
I'homme se nourrit de baies et de racines. Nu, encore stupide,
iI pousse des grognements iriarticulés et des cris stridents. Ses
grossiers outils de silex ne peuvent le défendre contre le gros
gibier : rhinocéros, hippopotames, éléphants, qui infestent son
volsinage.
,B) Le paléolithique moyen.
Des crucs formidables ont ravagé les forêts de I'Iùurope occi-
dentale. Par suite du relèvement de notre sol, la nler a reculé
et les fleuves forrnent de larges t6nents. La température s'est
refroidie; d'immetrses glaciers se sont constitués, leur bord
méridional recouvre le nord des futurs Pays-Bas.
'L'homme de cette époque (homme de Néanderthal ou
Spyensis) (f ) est du type lapon, c'est-à-dire très petit, trapu,
musclé et brun de coulettr; il marche les jambes arguées. Sa
tête est allongée (dolichocéphale), plate, à front et à menton
fuyants; les mâchoires sont puissantes; les arcades sourcilières
embroussaillées sont proéminentes. Exposés à un froid humide
et rigoureux, les petits et rares groupes d'hommes de ce temps
durent se réfugier dans les, caveranes des vallées calcareuses
(1) Des crônes et tles osseurents de çette race ont été trouvés à Néander'
thal (1856), entre Dusseldorf et Elberfeld, ainsi qu'à Spy, tlans la valléo
de I'Orneau,-d,u nord d.e la provincè de Namur,
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rle la Meuse et de, ses affluents. Les spéléologues (1) sônt par-
venus à reconstituer leur chétive existencen dans ces antres
puants, encombrés d'os et de détritus d'aliments. Habiles à
tailler les silex en forme de coups <le poing, de tranehoirs, de
raeloirs, cle grattoirs, de .perçoirs, ces troglodytes (troglê, :
trou; duein : entrer), quoique atteinbs d'ophtalmies et d'ulcé-
rations, chassaient avec intrépidité I'ours et le mammouth à
toison laineuse. Ils se couvraient des peâux eb mangeaient les
os à moelle de leurs victimes. Ils eonnaissaient I'usa$e
du feu.
C) Le palèolithique supérieur.
Cependant, la période de froid perdurait et avait p"i, '.rr,
earactère très sec. Tous les animaux cle la zone aretique s'éta\ent
acclimatés dans rros régions. f)'autre part,la mer avait de
nouveau envahi I'ouest de la Belgique. C'est alors qu'une race
toute nouvelle, celle de Cro-Magnon (2) (on dit aussi race
rles chasseurs de rennes), remplaça I'homme de Neanderthal.
\renue du pourtour de la Méditerranée, elle présentait déjà
lep caractères de l'intelli$ence : front large et haut, facies
moins simiesque, membrure à Ia fois puissante et souple.
L'homnre de Cro-NIagnon était nomade, grand pêcheur, plus
grand chasseur eneore. Grâce à son outillage perfectionné : silex
taillé en lames, burins, épingles en os, bâtons en bois de
renne, harpons barbelés, etc., il avait su adoucir les rigueurs
rle son existence.
Il recherchait les câvernes spacieuses (Chaleux, Furfooz
[Lesse], Montaigle [Molignée,l) et en peignait les parois d'ocre
brun. II savait y graver des images, parfois admirables, de
rennes, d'aurochs ou de poissons. Enfin, il aimait à se peindre
le corps d'ocre rouge et à se parcr de colliers ou de bracelets
faits de coquillages fossiles et tle dents d'ahimaux
Environ dix ou neuf mille ans avant l'ère chrétienne, un
grand changement s'opéra en Europe occidentale et ouwit Ia
période néolithique. Par suite d'un nouveau soulèvement du
sol les glaciers avaient reculé jusqu'à lertr emplaeement actuel;
(l) Ira spéléologie étudie la formatioD des g:ouffres, des grottes, dee
soufces, etc.
(2) Nom d'un abri sous roche, situé atrx Eyzies, tlans la Dortlogne, où
quatre squelettes furent déeouverts.
-8-
le elimat s'était beaucorp adouei. IJne race d'hommes petits,
mais forts, intelli-
gents,àtête ronde
(brachyeéphales),
à cheveux bruns
et nez court, ve-
nue de I'Arménis-
tan et du Cau-
case, pénétra en
Europe parlaval-
Iée du Danubc et
se mêla auxpopn-
lations autoclrto-
nes. Leurs arnles
llerfectionnées les
rendaient invin-
cihlcs. (l'étaient
<lcs picrrcs hubilt'-
rrrcttt lrolies rlrr'ils
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imssj hlbjté pitr tics ltcttlrlatles tti'olil lritlttcs de I âEtr ttrtions lacustres
rlc la picn'e polie, lirr'1,iiiô ltat le-s ('t'l1cs. k-s I:lotttrtitts,
ct cnlin par lcs lfrùttcs. I l scrrrblc' avoit' été désert(r (palerflttes), nrais
ir, paltir rlcs terttps féodatt-r.
Le tlou du gratrd-tluc sc voit tout 1n'ès <lu sottt- chez nolls elles
rnct, C'était unc galcrie sotrtenaitttt pllttôt clu'ttrlc groupèrent leurs
grottc habit(re.
huttes coniques
sltr des plateaux, le plus solrvent au borrl r1e ravins cscarpés.
-9-.
Dans ces endroits sains et à I'abri des attaques, elles tissaient
des étoffes, creusaient des trones d'arbres en forme de canots et
fabriquaient des 'vases en terre cuite. Elles exploitaient aussi
des gisements souterrains de silex (I), vendaient leurs produits
industriels ou agricoles au loin, bref, participaient déjà de
toutes manières à la civilisation.
Par contre, Ies hommes de la pierre polie ignoraient complè-
tement les arts. fls adoraiertt de groÉsières divinités en pierre.
En I'honneur de leurs morts, ils érigeaient des dolrnens (pierres
plates posées sur deux pierres verticales); en I'honneur de leurs
guerriers, des menhirs (pierres levées ou mégalithes).
,r**.
Avec les â$es des métaux, nous entrons dans la proto-
histoife.
Deux mille ans avant J.-C., le cqirfqe appârut en Europe
occidentale. Peu après, les populations caucasi{ues, entrées en
contaet avec des colporteurs étrangers, se mirent à fabriquer
des haches et des poignards avec un alliage de cuiwe et d'étain.
Des fondeurs ambulants parcoururent toute I'Europe. Ce fut
I'â$e du bronze, qui dura du xu(e au rxe sièele avant
notre ère.
A ce moment, des populations indo-européennes, de hom,
inconnu, de haute taille, pourvues d'armes meilleures encore :'
lances, lourdes épées, vinrent de l'Est, imposant leur d.omi-
nation aux raees plus anciennes. Ce fut l'â$e du fer. Deux
siècles êt demi plus tard, vers 60o av. J.-C., Ies Gaulols ou
Celtes, chassés des bords de Ia mer Noii,e par les Scythes,
établirent leur aristocratie guerrière de l'Europe orientale au
détroit de Gibraltar et à l'océan Atlantique.
Enfin, vers 300 avant l'ère chrétienne, notre pays fut occupé
par les Belges.
'
CHAPITRE II
a
LA GAULE BELGIQUE'
AvANT LA CONQUÊTN ROMAINE
(300-57 av. J.-C.)
Càractère celtique dcs Belges (p. t0). Les trï'bas belgQs, lcur
-
sûtualion géographique (pp.IO et If ).-' Asptect Tthgsùque des
Belgesi leurimuns e't coutumes (pp. 1l et l?\i organisat:ion
soci.ale et religi'on (P. f Z).
u I r orum' *'"iK;
:i'b":ffi"ffi:,f,?tff''
En 59 avant Jésus-Christ, le général romain Jules César
entreprit la conquête des Gaules. Son but était d'acquérir Ie
pouvoir suprême. Profitant des discordes qui séparaient les tri-
' bus gauloises, il fit, en deux ans, la conquête de I'Aquitaine
et <le la Gaule celtique (2).
En 57, il était aux confins de la Gallia Belgica avec une armée
de 80,000 hommes. Les Belges décidèrent en majorité de résis-
ter à outrance. Les Atrébates et les Véromanduens, clients des
Neiviens, avaient, devant le péril, reflué vers le nord. Les
af'ant iéunis à sa puissante infanterie, Boduo$nat, chef des
1 Nerviens, attendit I'ennemi de pied ferme. Le choe eut lieu
'uù; sur les rives de la Sambre (ll). Plusieurs fois les légionnaires
cherchaient à rompre leurs carrés.
Mais la tactique savante de César triompha de I'aveugle impé-
tuosité des Nerviens. Impuissants à vaincre, ils se firent stoT-
quement tailler en pièces. Boduognat et la plupart de ses
compagnons périrent, les armes à la main. A la nouvelle
cle ee désastre, les Aduatiques s'étaient retirés dans une
(l) De tous eeux'là (les Gaulois), les plus vaillants sont les Belgos.
(2) L'Aquitaine était située entre les Py'rénées et Ie Gaxonne; la Gaule
celtique, entre la Garonne et la ligne de la Seine et de la Marne.
(3) Vers Hâumont, Nlaubeuge ou Presles (près cle Charleroi).
__,_,.__:,_: . _ ::v,.,-,.
.if -j: ri 11 1:' nv"r.
--15-
enceinte d,aceès difficile, entourée d'assises faites de gtosses
pierres et d,abatis d'arbres. Les Romains nommaient oppida
ces places fortîfiées (1). Les balistes et les catapultes eurent
tôt fait de rendre la place intenable. Les assiégés capitulèrent
sans conditions. Toute la tribu des Aduatiques -- soit une
cinquantaine de mille âmes fut réduite en esclavage.
guérillas contre -les Morins et les Ménapiens signa-
Quelques
lèrent la fin des hostilités (56 av. J.-C.). fncapables de résister
plus longtemps,les tribus belges durent simuler la soumission.
Cé."r, se croyant maître de la situation, partit sans inquiétude
pour la Germanie et l'île de Bretagne opérer de nouvelles
conquêtes
Ehtre temps, quelques ehefs audacieux complotaient le ren-
versement de la puissance romaine. En 64, Ambiorix, chef
des Ebrfrons, s'entendit secrètement avec Indutiomar, chef
des T!évir€se pour surprendre plusieurs légions occupant leurs
quartiers d'hiver. Feignant un dévouement extrême pour la
cause des vainqueurs, Ambiorix sut attirer les généraux
sabinus et cotta, avec une Iégion et demie, hors de leur camp
d'Eburonie. Pris dans une embuseade, les Romains furent
exterininés presque jusqu'au dernier. Mais, tandis que la
révolte se généralisait entre le Démer et la Meuse' Ambiorix
échouait dâns l,attaque du camp de Quintps Cicéron chez les
Nerviens, Indutiomar était trahi par son gendre cingétorix
et le clan des ralliés à la cause romaine. Repoussé devant le
camp de Labiénus, au sud de la Trévirie, rndutiomar dut fuir;
il fut tué au moment où il allai'b franchir la Meuse.
Sur ces entrefaites César, tloublant les étapes, était revenu
avec des troupes de renfort. Implacable, il lança les tribus
voisines de I'Eburonie sur ce petit canton qui fut systématique'
ment ravagé. Le vaillant peuple éburon disparut sals laisser
de traces. Ambiorix s'échappa à grand'peine â,vec quelques
fidèles vers les pays germains. En 52, le premier gtand diame
de notre histoire était terr,niné. La Belgique était définitivement
conquise, mais elle n'était plus qu'un désert.
(1) Ires a,rahéologues n.; sont Bas d.'a,scord sur I'emplacement de L'oWidu;rn
des Acluatlques. Plusieurs rai$ons militent en faveur du confluent de.la
Sarnbrs et de la Meuso ou du plateau d'Elastedou, près de Saint-Servais, Ou
nord-ouost d.e Namur.
CHAPITRE IV
LA BELGIQUE ROMAINE
(52 av. J.-C. 450.)
-
(1) Ire diocès€ d.e Gaule, par exemple, comprenait dix-sept provinses et
cent treize cités.
(2) Ita Germanle supérleure avait pour rnétropole :, Custell,um Magun-
tioann (Maymce).
_18_
ehefs-lieux de cités, les villes mentionnées ci-dessus nfétaient
que de modestes bourgades entourées de murailles : relais de
courriers, gîtes d'étapes et marchés locaux.
La vie économique et sociale eut donc sous I'Empire'un
caractère essentiellement rural. Les défrichements, la culture
des champs rendue intensive par I'emploi de la marne blanche,
Ies progrès de l'élevage, la naissance des industries agrieoles,
amenèrent une grande prospérité, surtout dans le centre et le
sud du pays.
Cependant, au rrre siè'cle, un grand malaise économique, -dfr
à de multiples aauses, se fit sentir dans I'ouest de I'Empire. La
situation des petitsi propriétaires ruraux, éerasés d'impôts,
devint intenable. Aceulés à la ruine, ils se virent contraints tle
renoncer à leurs droits de propriété. au profit des plus riches
possesseurs du sol et devinrent de simples fermiers. Nommés
colons, ces fermiers jouissaient de I'avantage d'un bail per-
pétuel; personne ne pouvait les chasser de lertr petite terre.
Mais ils étaient astreints au payement de diverses redevances :
loyer en espèces ou part de la récolter'etc.; en outte, ils étaient
soumis aux eorvées, travaux champêtres au profrt de Ieur patron.
Moins favorisés eneore étaient les serfs, anciens esclaves deve-
nus fermiers, dont les conditions d'existence étaient très péni-
bles. Les serfs, en efl'et, ne possédaient pas la libsrté personnelle.
Ils étaient attachés pour la vie au carré de terre dont ils étaient
les exploitants.
Ces modilications profondes du régime rural frxèrent un type
caractéristique d'exploitation agricole : la rilla, grand domaine'
possédé par un propriétaire opulent, souvent noble ou haut
fonctlonnaire, maître de nombreux esclaves. La uilla com-
prenait : Io la demeure du patron, maison de eampâgne
flanquée de multiples dépend&nces; 2o le domaine directement.
cultivé par les esclaves du patron; 8o une ceinture de petites
terres mises en valeur par les colons et les serfs. Les aillae pro-
duisaient toutes les denrées et les objets nécessaires à I'existence
de leurs membres (vêtements, àrmes, outils, meubles, etc.).
Elles réalisaient Ia type de I'industrie domaniale.
Il y avaît cependant, dans nos contrées, un certain mou-
vement d'exportation. LTn commeree actif, par ehariots légers,
animait les routes. La population riche des grands centres de
la vallée du Rhin, de la Gaulende la Cisalpine et même de Rome,
-- l9 --
faisait venir du pays des Atrébates les saies en serge fine, rouges -"
ou violettes, teintées au moyen de la Earance et <le la jaeinthe,
les jambons, Ies oieç f'umées, Ies pains dc savon en cendre de
hêtre et graisse tle chèVre de Ia, Ménapie, les toiles à voile et le
sel tlu pays des Morins.
Iles Romains avaient laissé aux Belges leurs antiques usages
et leurs dialectes locaux. I\Iais peu à peu la civilisation de Rome.
pénétra dahs nos lointaines contrées, progressant par la vallée
du Rhin et la route de Bavai, clans le sillage tles garnisons et
des traflquants. Les idiomes celtiques et le druidisme reculèrent
pas à pas devant les lois.de Rorne, sa langue, sa religion. Les
eoutumes et eroyanees traditionnelles cherchèrent un asile dans
les eanrpagnes, puis disparurent. Les survivants des tribus déci-
mées par César n'avaient pas longtemps gardé rancune au vain-
gueur. Déjà en 48 avant Jésus-Christ. à Pharsale (1), la légion
belge de l'Alauda (l'alouette) déployait un grand courage dans
la lutte de César contre Pompée. PIus tarcl, des cavaliers tré-
vires, des fantassins nerviens, attirés par I'appât des hautes
soldes et des aventures, accompagnèrent les Flaviens et les
Antonins en Bretagne, en Afrique, en Pannonie (2) et flrent
partie de la garde prétorienne. Ils contribuèrent à répandre
la gloire du nom romain. Ainsi disparut des anciennes popu-
lations celtiques I'esprit intlépendant que I'on efit pu croire
indomptable. Devenus Gallo-Rornains ou Celto-Latins, les
descendants de Boduognat et d'Indutiomar perdirent tout sen-
timent national, à moins d'entendre par ce ternre la satisfaction
tranquille qu'ils éprouvaient de faire partie de I'Etat le mieux
ordonné du monde..
***
Les grands événements qui agitèrent I'empire romain eurent
une répercussion directe clans nos conlrées. Le christianisme
y pénétra par la vallée du Rhin au ure siècle. Il y combattit
avec vigueur le culte des Matres (mères), paisibles divinités
champêtres, et des petits dieux l.ocaux (S). Cent ans pluq tard, ' .
DEUXIÈME PARTIE
LA PÉRIODE FRANQUE
CHAPITRE PREMIER
(1) Des recherpheÉ réceutes semblent prouver que l'on a douné à tort le
nom de Forêt charbonnlère à cet ensemble forestier. rra Forôt.charbonnière,
eituée dans le nord.-est de la province de Eainaut actuelle, fut, en réalité,
assez petite et orientée dans un sens nord-sud.
i
-25*
s'établirent fbrtement et presque sans mélange dans la partie
ouest et nord de notre pays, y fondant Ia race flamande, de
type blond, aux yeux bleus et à stature élevée. Plus au sud,
ils firent des eonquête's militaires, mais ne s'assimilèrent
jarnais les masses denses des Gallo-Rornains. Les Celtes se
maintinrent au sud et à I'est de la Belgique, y formant la
race wallonne, la race des Wala (Waelen) romanisés' grands
et blonds eux aussi, mais d'ossature plus massive, de visage
plus anguleux.
Depuis lorsr la chaine forestière, essartée, a presque clisparu,
mais sa direetion générale est restée indiquée par la fron-
tière linguistique, immuable depuis quinze siècles, croisant
perpendiculairement eours d.'eau, hauteurs et autres obstacles
naturels.
Il y a donc en Belgique un dualisrne ethnique fondamental,
deux races et deux langues.
a) Le flamand (dietsche taal) dont les dialectes principaux
sont, sur notre territoire : le limbourgeois, le brabançon, le
flamand oriental et le west-flamand; à I'ouest d'Ypres et au
sud de I'Yser (littus saæonicum) (f ), se parle un idiome franco-
saxon.
bl Le \Mallon, parlé dans les provinces de Liége, de Luxenr'
bourg, de Namur, de Hainaut, le sud du Brabant et en Flandre
wallonne (gallicante). Remarquons que dans le Hainaut occi-
dental et en Flandre wallonne on parle, comme en Artois, un
<lialecte picard (le rottehi); au sud du Luxembourg' on use
d'un dialecte lorrain .
L'invasion d'Attila en Europe occidentale rapprocha momen'
tanément Gallo-Romains et Germains. En 451, les Frsncs du
chef tournaisien Merowech (Mérovée), fils de Chlogio, aidèrent
Aétius à vaincre les Huns dans les Champs Catalauniques
de la Champagne (2). Mais brente ans plus tard la Ilelgique ne
suffisait déjà plus aux appétits de conquête des FrancÉ. Un
petit chef tournaisien, intelligent, rusé, audacieux et sans
scrupules, Chlodovech (Clovis, R. (3) 48f-5f_f), descendant
***
L'histoire politique de la Belgique au vre et au vrre siècle
mânque d'intérêt. Dans la tr'rarùcia, notre pays est un coin
perdu. ses habitants sont eætruni hotninum, c'est-à-dire les
< plus éloignés des hommes >. D'ailleurs, I'histoire dela Francia
(1) L'arlanlsme, hérésie du tliacre d'Alexandrie Arlus, a,u rv€ s., rriait
la divinité de Jéeus-Christ.
_ 27-
cation entre les évêehés de Cambrai et de Tongres la limite
ne conespondant ni à tles frontières naturelles, ni à une sépa-,-
ration ethnique. -_ slrf,rs la Belgique seconde et la Germanie
inférieure. Ce même tracé eonventionnel servit à séparer la
Neustrie et I'Austrasie, laissant donc subsister côte à côte, dans
chacun des deux territoires, d,es Gallo-Rornains et des Germains.
Les guenes interminables et atroees entre Brunehaut, reine'
d'Austrasie, et Frédégonde, reine de Neustrie, à la fin du
vre siècle, synthétisent la sombre et chaotique périorle'dite
mérovingienne, d'après les d5rnasties des rois descendant de
Merowech. Peu à peu, au début du vrre siècle, les rois devinrent.
le jouet de ldurq grands seigneurs. Soumis à I'autorité d'un
premier intendant, chef de la domesticité, le maire du palais'.
ils furent. relégués au fond d'une ailla et ne conservèrent de
Ieurs privilèges royaux que Ie droit de porter la chevelure
longue et la barbe flottanter Ces princes reçurent le surnom
de rois fainéants
En ces siècles de barbarie profonde, la stagnation économique
fut complète. Les villes étaient encore rares et petites.'Les
invasions et les guerres civiles avaient appauwi et dépeuplé le
plat pays. Les eaux de Ia mer, non contenues par des digues,
s'avançaient vers I'intérieur; les marais saumâtres, les tour-
bières au ras desquélles flottaient des brouillards, les forêts
solitaires, recouvraient Ia plus notable partie du territoire.
Après l'établissement des Francs, de grands changements
sociaux se produisirent err Belgique. Les populations indigènes
avaient naturellement beaucoup souffert du fait des invasions.
Les Gallo-Romains étaient, en grande majorité, accablés de
charges très lourdes et traités en catégorie de rang inférieur. ,
Les $uerriers francs avaient reçu des terres conquises
(terres saliques), la plupart vacantes, par voie de tirage au sort.
Beaucoup surent les conserver et jouissaient atrec orgueil de
leurs prérogatives d'hommes libtes, mais d'autres, moins favo-
risés, durent _- vu l'insécurité des temps aliéner partielle-
- lètes ou tenan-
ment leur indépendance et devenir les fermiers,
ciers, de la grande aristocratie terrienne, '
Or, d'otr cette aristocratie nouvelle tirait-elle ses origines?
RIle se composait de leudes (1), guerriers riches et puissants'
(t) Suivant la loi ripuaire' p&r exemple, le taux d'e Ia qomposition était
de 100 sous d'or pour un Romaiu libre, de 200 sous pour un Ifr&nc,
EO-
grandes abbayes : Saint-Martin, à Tournai, Sainte-Gertrude, à
Nivelles, Sainte-Begge, à Andenne. En Thudinie, saint Lan-
\
delin, chef pillard repenti, fonda les célèbres monastères
d'Aulne et de Lobbes. Ces couvents devinrent d'importants
centres de colonisation; les frères convers (subalternes) s'atte-
lèrent à la rude tâche cle défricher Ies 'landes et d'assécher
lcs inarécages. hln rnultipliant le système des bénéfices ou
coneessions via$ères de lopins cle terre cultivable, aeeordées
(dans le cas présent) au prix d'une rnodique redevanee, Ies
abbés attirèrent quantité de colons, dont Ia vie fut encore
rendue plus agréable par des exemptions de péages, d'impôts et
de service militaire. f)ès cette époque le peuple admit eouram-
' {nent I'adage < qu'il faisait bon vivre sous la crosse ).
L'efTlorescence des monastères fut accompagnée d'une réor-
ganisation diocésaine. La vallée de I'Yser fut soumise à l,auto-
rité de l'évêque de Thérouanne (f); Ia région de la mer à
l'Escaut obéit à l'évêque dc Tournai; celle de I'Escaut à la
Dyle, à l'évêque d'Arras-Carnbrai. Ces trois diocèses dépen-
daient de I'archevêché de Reims. De la Dyle à Iâ Meuse s'éten-
dait l'évêché de Tongres, devenu évêché de Liége depuis le
début du vrrre siècle et dépendant de Ia métropole de Cologne.
L'Eglise, grâce à son indépendance, son organisation privi-
légiée et ses traditions latines, fut seule en état de rèagir quelque
peu contre I'anarehie ambiante. Elle sut épurer petit à petit le
rnélange extraordinaire de croyanees celtiques, mythologiques
et germaniques,, obsédant l'esprit des populations sous forme
de superstitions ineptes. Bien que lc niveau intellectuel et moral
de la plupart de ses membres ffit. encore ineroyablement bas,
elle sut inspirer aux classes supérieures Ie désir d'imiter bien
gauchement, il est wai les belles manières des Romains.- En
-
somme, à cette époque d'ignorance totale et de complète absence
de culture. évêques et abbés eurent le mérite de préparer modes-
tement la réconciliation entre les tendances latines et germa-
niques.
È.
Dans la première moitié du vrte siècle, les rois d'Austrasie
Clotaire II (R. 6fS-628) et son frls Dagobert I'er (R. 629-689)
avaient pris pour maire du palaÏs un puissant leude hesbignon,
Pepin de Landen (t 64?). L'énergique Dagobert sut main-
tenir les attributions de son majordome dans de strictes limites,
mais ses Suecesseuls laissèrent les maires du palais se Ùransfor-
mer en chefs d.'armées et en .premiers ministres. Iitant inter-
r,'hTri7r,drfÀ!?ttry{$ry.t;,'.:,".,,..1i, l.',ç
--82-_
médiaires entre les rois et les leudes pour I'oetroi des faveu
et notamment des bénéIïces, les rnaires du palais devinrent les
favoris des Grands, qui rendirent leur charge d'allord inanrovible,
puis héréditaire. Bientôt les mairies furent des vice-royautés,
appuyées sur une large clientèle cle leudes. Elles furent rapide-
ment concentrées entre les mains de Ia riehe et hardie farnille
des Pipinides de Hesbaye.
Petit-fils de Pepin de Landen, par sa rnère sainte Begge,
Pepin de Herstal (R. 687-714) réunit la mairie de Neustrie
à celle d'Austrasie, après la victoire de Te.stry (près de Péronne,
687), et prit le titre de duæ et princeps Francorum (duc et prince
des Franes). Son fils illégitime Charles, surnommé Martel
(R. 715-741), passa son existence à courir d'un champ de'
trataille à I'autre, entre le \Yeser et les Pyrénées, agrandissant
la Francia vers I'est, battant leS F'risons, les Saxons, les AIa-
mâns (l), les Bavarois. Par son. écrasante victoire rernportée
en 782 à Poitiers, sur les Arabes envahisseurs de I'Aquitaine,
il acquit un prestige royal. Déjà aimé des guerriers pour sa belle
prestance et son indomptable courage, il devint. leur idole
Iorsque, pour récompenser leur vaillanee, il eut clécrété la répar-
tition entre eux, moyennant rut Iéger cens, cle vastes biens
tl'Église. Par là il transformait I'octroi des bénéfices en institu-
tion de droit public. De plus, les chefs eurent Ia jouissance d'une
notable partie des revenus de riches monastères, reçus ( en
eommende r. Sans être tenus de séjourner dans leurs abbayes,
ils portaient le titre d'abbés comrnendataires. L'Égfise n'osa
pas trop résister aux volontés de celui qui avait sauvé le ehris-
tianisme des entreprises du Croissant.
Les.Pipinides avaient leurs défauts : ils étaient rudes et dis-
solus. Mais il convient d'admirer, dans ees temps chaotiques,
leur politique ferme et centralisatrice. Cette politique fut cou-
ronnée par Pepin le Bref (R.741-768), fils de Char-les Martel,
guerrier de petite taille, intrépide et volontaire. ùIaître de la
Provenee, de la Neustrie, de I'Austrasie, de la Souabe et de la
Thuringe; Pepin considéra que le monrent était venu de réaliser
les ambitions déjà nourries par ses ascendants. S'étant assuré
I'adhésion du pape Zachafie à ses projets, il convoqua, en 751,
rt
rÉ*
CHAPITRE PREMIER
$ l"t. _ La Flandre.
Baudouirt. Bras de fer (pp. 40 et 4r). Puissance moissante
-
des prcnders comtes de B'Iandre (p. a1).
$ 2. -- La Lotharingie.
Ce.tenitoire est disputé entre la France et Ia Gerrnanic (pp. Al
et 421, Tendances autnnomes de I'aristouat;ie lncak ; Régnier
au Long- Col, Qislebert (p. 4Z).- 959 : Partage de la Lotha-
rùngie (p. 42). Le clergé impérial. Pacification ùt Lothier
(pp. 42 et 43).-
(Ph,ot. Iiels.)
RUINES DE MONTAIGLE
Situé sur Ia X{olignée, au ccntrc d,nn cirque
ritait la Dlrts 1mi-sante demeure seigneuriale-d.c la.boisé, ce château
r(igiort ninsJne,
tlonstnrit arr xuo siècle, il fr.rt clétrrrit par I'anrié", a" ifàr,riJflàË
rle la cinq'ième guerre de charres-euirit contre ia Fratice--^
(1) Per contre, les oblats ou serfs d'Eglise étaient, enviés. Beaucoup de
manants renonçaient volontier's à leur i-ndérrendance porlr passer sous
l'autorité du clorgé.
-5r-
\pateringues (f). Au xe siècle, pâr un travail assidu, elles
commencent à transformer les estuaires de la côte en Ttolders
fertiles. Leurs conditions d'existence s'améliorent; les comtes
de Flandre les protègent et remplacent leurs obligations par
le devoir d'entretenir les digues.
Comme la société du vre siècle, celle du rxe et du xe fut igno-
rante, barbare, féroce. Le clergé lui-même avait perdu toute
influence morale. En quelques années, Ia civilisation caro-
lingienne disparut. Pendant cent cinquante ans, Ia Belgique
resta plongée dans les ténèbres" Vers la fin du xe siècle seulement
s'élevèrent les premières églises romanes du pays de Liége:'
encore étaient-elles nues et d'un appareil plus que grossier (2).
CHAPITRE PREMIER
$ 1"t. La Flandre
-
Polùt:ique eæpansionniste des comtes de Flandre (p. 5Z). Terri-
-
toires'dëpendant d,e la Flandre sous le règne de Baudouin V
de Lille. Règne glorieuæ de' ce prince (pp. 5Z et 58).
Union de la Flandre et du Hainaut; Iutte entre Richilde-et
Robert le Frison; bataùlle de Cassel IIOZU (p. Sa). Puissance
dzs comtes de Flandre Robert le Frùson et Robert- II de Jéru-
salern (p. 5A). Règnes de Baudouin VII à la Hache et de
-
Charl,es de Dansmark, (pp, 54 et 55).
(l)ILocalitê ile la X'lantlre rnar:itinte, Bur llne hauteur isolée, entre Ypres
et Saint-Omer.
-55--
montlentque,déjààcemoment,laFlandreétaitentréedans
le stade du développement communal' Il en sera question dans
la cinquième Partie.
- te duché
$ 2. de Lothier'
(1) I:a plupart cles villes cltéos ne se sont développées qu'à' la ûn clu
xrr'et au Nrrr" sièclo. '
58-
apparence si ondoyante a ceptndant une ligne d'orientation
invariable : elle sert à favoriser. les intérêts immédiats du
duché.
En dire davantage sur Ia politique générale du turbulent
Godefrold Ier le Barbu (R. 1106-1140) et de I'ambitieux et
glorieux Godefroid III (R. 1142-1190), fils de Godefroid II
(R. f140-t142), nous égarerait dans les détails minutieux des
chroniques du temps. Bornons-nous à constater r1u'à la fin du
règne de Godefroid III la querelle successorale avec la maison
de Limbourg était terminée, close par un mariage réconciliant
les deux familles. Le Brabant se trouvait élevé au premier rang
des principautés belges.
II. Lp courÉ on LrMsoune (f ) : s'étend entre la Meuse et la
Vesdre dans la direction de la Roer (Eupen, Montjoie) et de
la Geleen (Sittard). Sa capitale est Limbourg, petite place forte
dominant le cours de la Vesdre. Les plateaux fertiles du pays
de Herve constituent sa plus grande richesse. Il comprend les
seigneuries d'Outre-Meuse : Daelhem, Fauquemont (Valhen-
burg) et Rolduc. L'histoire de ce duché n'a aucune importance
générale; elle s'associera bientôt étroiiement à celle du Brabant.
III. Lp conrrÉ nn I{arNeut (ancier: pagus de Hennegau') :
s'étend du haut Escaut vers les sources de la Sambre et englobe
une partie de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Ce très ancien comté,
constitué en faveur de Régnier fI, fils de Régnier au Long Col
et frère du duc de Lotharingie Gislebert, au début du xe siècle,
comprend notamment le Burbant : Condé, Antoing; le comté
d'Ath, les villes d'Enghien et de Hal; Mons : château recherché
eomme résidence par les comtes de Hainaut depuis qu'ils sont
avoués de I'abbaye de Sainte-Waudru; la châtellenie de Braine-
le-Comte; Binche; puis au delà de la Sambre : Beaumont,
Chimay; au sud : la capitale Valenciennes, Denain, Le Quesnoy,
Bavay, Avesnes et Maubeuge.
IV. Ln corvrrÉ on N.e.uun (2) : ce petit Etat, I'aneien pagus
de'Lomme, érigé en comté en faveur de Béranger, gendre de
Régnier au Long Col, s'anondit dans la vallée de la Meuse, de
Rouvignes, en aval de Dinant, jusqu'en amont de Huy. Dans
Leprototypedrrféod.alduxrresiècleestHent{l'Aveu$le
On pour-
1n. riso-r196), comte de Namur et de Luxembourg'
rait écrire un savoureu>/ roman stll I'histoire de cet écervelé,
Ieplus turbulent des princes du xile siècle. Allié à son beau'frère,
le comte de Hainaut, Baudouin Iv le Bâtisseur, il eut l'honneur
de battre Godefroid III de Brabant, à carnières (à la limite
du Brabant et du Hainaut), en tt70. Il consterna son neveu et
héritier Baudciuin V le Courageux en se remariant, quoique
aveugle. A septante'quatre ans (en 1I8?), le voilà père d'une
-Ermesinde
fille, ! sept ans plus tard, I'intrépide vieillard défend
encore les droits de son enfant, mais vaincu à Neuville-sur-
Mehaigne (1194), il doit définitivement renoncer au comté de
Namur, qui passe à la maison de Hainaut'
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CHAPITRE II
r,A ûrB ÉconqoMreup ET socIALE
DANS LES PAYS-BAS
AU XIe ET DANS LA PREMIÈR.E h{oIItIÉ
DU XIIE SIÈCLE
cotte de mailles.
Les Croisades, expéditions militaires prodigieuses, allaient
bientôt permettre à la noblesse belge de jouer un rôle de premier
plan. Le chef de la première expédition (f 096-f099) fut Gode-
froid de Bouiltone duc de Basse-Lotharingie. Ce prince fort
et généreux fut viaiment la < colonne unique,> de la Croisade.
Au cours d.'une marche terrible, de plus de trois anso à travers
I'Asie Mineure et la Syrie, il fut -- lui qui connaissait les parlers
roman-et germanique médiateur dans, les querelles, trait
-
d'union entre I;otharingiens, Germains et Français, entraîneur
de masses vers les assauts désespérés. En 1100, ce ehrétien
mourut comme Avoué du Saint-Sépulcre (l). Son frère
Baudouin de Lorraine, prince irritable, perfide, mais aventu-
reux, alla fonder la principauté d'Edesse en Haute-Mésopo:
tamie et mourut en 1118, comme second roi de Jérusalem.
A côté d'eux, que de participants belges È la délivrance des
Lieux Saints : Robert If, comte de Flandre,- Baudouin II'
comte de lfainaut, Jean de Namur, Ludolphe cle Tournai,
frère des < bons chevaliers rr Everard et Guillaume, qui
-posa le premier le pied sur les remparts de -
Jérusalem,
les frères Godefroid et Henri d'Assche, hostibus infestissimi (les
3o Développer la science.
Dans presque tous les cloîtres se fonda une école uronas-
tique.
De ces éeoles sortirent les innombr'ables chroniqueurs du
xrre siècle, auteurs secs, prolixes, mafs généralement probes,
d'onnales, de biograplries, de Gesta (actes mémorables) d'évê-
ques, d'abbés, etc. Le meilleur cl'entre eux fut Si$ebert de
Gembloux. IIs écrivaient en latin alors qne la langue popu-
laire était le flarnand (thiois) ou le wallon.
La cir,ilisation chrétienne du xre et du xrre siècle a laissé
quelques magnifiques souvenirs dans nos provinces. Sans parler
ici des ceuvres des émailleurs, orfèl'res, sculpteurs naifs dits
rr ymaigiers r, enlumineurs patients de missels, sans nous arrêter
(1) Manès, londateur d.e.secte perga,n, d.u rrr€ siècle, attribuait I'existence
du Bien et du Mal ù deux principes opposés, l'nn cs:rcntiellernent bon, l'autre
essentiellement mauyais
(2) Un prêtro agsomma Tanchelme en 1115,
--68-
vallée de la Meuse, à Roermond, Laastricht et Liége. Elles
ressemblent à des
forteresses, avec
leurs murs nus,
leur roide profil
et leurs petites
fenêtres en plein
cintre. Les deux
tours qui surmon-
tent le vestibule
d'entrée I'an-
-
cien narthex des
basiliques chré-
tiennes et la
-
haute tour qui
domine la croisée
leur donncnt un
aspect imPosant.
La gigantesque
catiréclrale No-
tre - Darne de
Tournai est tout
à fait indépen-
cllrnte cle l'i:colc
nlosârlte. At'ec scs
cinq clochers
Irauts de B0 rnè-
trurs, elle offre le
(I'hrt. Nt'ls.)
lrlus bcarr spéci-
nlerr de I'urchi-
LA CATIIÉDIIALE DE .IOURNAI tecture romane
Plisc au sud tle ltr c';-rthédrale, la photograllhrt:
norrnande qui se
montre la grantle nt't ct I'absidc tct'rnitlatti ltr puisscvoir cnBel-
trarrsclrt or:ciclcntal, totttcs dtrrtx dlr lrlu-r bctrtr
stvle rornan. I)tr supcrbc cllu:ilt, c1c stl'le ogi- giquc tru cn Picar-
val, on nc voit tlue Ie prcrrrt iel vitlilil. C)n allerçoil die. IJlle réalisc
quatrc dcs cinq clochers <1tti tlornitrclt lii croiséu.
d'une manière
majestueuse le type de la basilique en forme de croix, à
piliers et à voûte d'arête (l).
CHAPITRE PREMIER
$ 1.t. La Flandre.
-
ll27 : Assassinat de Charles d.e Danemarlt (p. ZO). Guiilaume
- de Flandre
Cl;iton et Tltiemy d'Alsace reaendirluent la couronne
(p. 70). Règne de Thierrg .rJ'Alsace (p. Z0). Puissance
- Philippe d'Alstrce. II deaient Ie tuteur
drt. comte - du roi de
tr'rance Philiptpe-Awguste (pp. ?0 et Zf ). Confl,it anec cc
,monarçIue; perte de l'Artoùs, du Vermandois - et de I'Amién,ois
(pp. 71 et 72). ll'Iort de Philippe d'Alsace fttgr] (p, 72).
Règne efïacé dc- llaztdou'in, V IVIIII le Courageuæ (p. 7z). -
Règne de Baudouin IX de ConstantinoTtle : il reprend-le
nord de I'Artois.; sa partici,patiott, à Iu IVe Croisade (p. ZZ).
PhiliTtpe-Auguste intcraieint dircctem,ent darts les affaires de
--
la Flandre (p.ZZ).- Auènement de ,Ieanne de Constan,tinopte ;
son mariage a,aec Fercand de Portugal (pp.Z2 et ZS). Ferrand
se tourne contre son suzerain, (p. Zg). Principes -de la pol:i-
-
tique traditionnelle de I'Anglcterre à l'égard de la Flandre et,
en général, des Pays-Bas (p. 7B). -- Bataille de Bouaines
[27 juillet r214] (p. 7g). Le <fauæ Baudotti,n ll (pp. 73 et74).
-
- .!
-?0-
Traité de Melun [1226] (p. 7a). Règne de Marguerite
-de ConstanÛinoPle -
: querelle des d'Aaesnes'et des Dàmpierre
(pp. 74 et 75).
A. -* Ls nucuÉ nr Bnenanr.
"",l"o#Jîîii à JË*ffiî:iËili;
(, . î
B. La PRTNcTPAUTÉ DE LrÉcn.
-
L'histoire de cette principauté a, dès le xrrre siècle, un earae-
tère si nettement urbain et populâire que j'ai préféré en reporter
le récit au chapitre III de la VIe partie, consactée au dévelop-
pement démocratique des communes belges au xrve siècle.
-78-
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CHAPITRE II
LA vIE ÉconroMreuE ET socIALE
AUX PAYS.BAS,
DANs LA SECoNDE ntOrrlÉ DU XIIe
ET AU XIIIC STÈCI,B
Crise d,e seigneurie Joncière; les (< Brabançons o (p. 8O). '-
la
Raffermi.ssement de la puissance des dynastes régionauæ (pp. 80
et 8l). Amélioration dcs condi,tions d'eæistence des manants
- (p. 8f ). Etat fl,ordssant de I'agrianlUtre (pp. 81
et des serls
et 82). -
trigi,nedes ui,lles des Pays-Bds (pp. 82 et 83). Emancipation
économique des pilles : les franchises (p. 83).
- Leur ûnan-
cipation polit;ique : les chartes (pp. 83 et 84). - Les gildes ou
serments (pp. 84 et 85). - enaers kurs
Depoirs des ailles
princes (p. S5). -
PrépondéraTtce de la classe des riches mar'
-
chands : ks gildes,Ies priuilèges d'étape (pp. 85 et 86).
Ttot;isme polit:ique des gildes; les lignages (p. 86). Les -Des-
rnét;iers
-
ou corporations.; conùit:ions d'eæistence pénibles des gens de
méûier (pp. Se et S7). Puissant déuelopptement économ.ique
-
des Pags-Bas : Bruges, entrepôt du commerce européerz (pp. 87
et 88); Gand et Ypres, centres de I'ind.ustrie drapùère (pp. 88
et 89) ; Liége'et les autres ailles du pays (p. 89).
R6l,e socùal de Ia noblesse : Ia guerre I ïes tnurnois (pp. 89 et 90);
Ies Cours princùères : les ménestrels (pp. 90 et 9f). Le
ctergé: lës ord,res mendiants, Ies béguinages (p. 9f ). -
Aspect
dcs oillês a,u rnoyen âSe (pp.9l et g2).
-
RôIe de Ia bourgeoisie
en mat:ière scolaire (p. 9Z). -
La l:ittérature urbaine : Jakob
-
-80-
nan Maerlant; Willm (pp.92 et 98).- L'architechne : Ies
grandes églises de slyle ogiaal primaire (pp. 93-95'1; caractère
rel;igieuæ de la peànhtre, de la sculpfure et des arts mineurs
(p. gS); l'architecture ciaile : Ies halles d'Ypres (p. 95).
'-E2-
beaucoup de seigneurs améliorent encore les eonditions d'exis.
tenee de leurs paysans par I'octroi de chartes rurales (l).
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(1) La courte périorte de transltion entre les cleux styles est dite romano-
ogi,ual,e (clébut du xrrr" s.),
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-95-
En Flandre occidentale, I'emploi de la brique donna aux
construetions un caractère bien particulier. De cette époque
datent, à Bmges, l'église du Saint-Sartveur avec son prrissant
donjon roman à clochetons et t\ rébarbatifs contreforts, Notre-
f)ame, avee sa haute flèehe. A Ypres, la vaste cathédrale
Saint-Martin marque la transition romano-ogivale. Parmi les
constructions cn pierre, mentionnons la ravissante église Notre-
Pame de Pamele, à Audenarde; le chæur db la collégiale de
Sainte-Gudule, à Bruxellesl l'énormc eollégiale tle Notre-
Darne, à Tongres, flanquée d'un cloître r.lu plus gracieux stvle
roman du xrre sièele; la cathédrale Saint-Lambert et l'église
, Saint-Paul, à Liége, la plemière stupidement dérnolie pendant
les troubles révolutionnaires de la fin du xvrrre siècle, la seeonde
de nobles et syrnétriqrres proportions.
A cette époque, les arts sont subordonnés à I'idée archi-
tecturale. La peinture enlumine les parois intérieirres des
temples, la sculpture eouvre de sujets religieux ou profanes
leurs rnurs extérieurs. Les arts mineurs s'inspirent exclusi-
vement âux sources chrétiennes. C'est du xrre et du xrne siècle '
qtte datent tant d'ceuvres exqrrises : mitres, crosses abbatiales,
erucifix couverts de pierreries, étuis liturgiclues (custodes) en
émail, encensoirs ciselés, châsses et reliquaires en ivoire scu\rté,
granrles veirières dont les vitraux peints répandent dans les'
nefs des églises des rayons d'une doueeur idéale, rniniatures
enjolivées de délicates arabesques dans les missels et les psalr-
tiers !
A côté de I'art religieux apparaît pour la première fois
I'architecture civile. IJlle se montre dans les façades en bri-
qlres, aux jolis détails, <les maisons de Bruges; elle s'épanouit,
triomphante, dans ces magnifiques halles d'Ypres, aujour-
d'hui détruites, hélas ! Construites de I2OI. à I3O4 par l'orgueil-
Ieux patriciat drapier de la ville, ees halles couvraient une
sttrface de 4,872 mètres carrés. Leur façade rle 140 mètres, de
style ogil-al primaire, était simple et grandiose. Tout dans cette
construction unique : le beffrui central, le toit raide aux grands
blasons, la charpente en.bois du Nôrd, les calmes ogives des
fenêtres innombrables, exprimait la nrajesté, la puissance d'une
bourgeoisie fière de sa force et de ses libertés.
SIXIÈME PARTIE
LA PÉRIODE URBAINE
DÉMOCRATIQUE
(XtV. siècte.)
CHAPITRE PREMIER
c Clauwaert, Clauwaert,
Eoet U van den telyaertt r (1)
(Chanson politique du >nve slècle.)
(1) Par alluslon aux griffes du'Uon, d.ans lee armoiriee de la Flantlre'
(2) Ne eo peut eufile,
-tot-
coût&it d'affronter ce terrible aclversaire ! Il s'y décida cepen-
dant, en ,janr.ier 1297, quand il eut vu se constituer à Gram-
mont une li$ue anglo-belge, dans laqrrelle figur:aient le due
de Brabant iean If, gentlre d'Erlouarti ler, I'ernpereur. roma,in
germanique Adolphe de Nassau (R. 1292-) 298) et pltmierus
dynastes lotharingiens.
Le résrrltat de cette politique fut larnerrtable. L'liabileté de
Philippe Ie Bel disloqrra la fragile ligue de Grammont et le
comté de Flandre fut envahi en juin 1297. Itrn 1299 Edouard fer
seréconciliait avec Ie roi cle F'rance, par le traité de Montreuil-
sur-Mer (1). Guy, ahandonné de tous, vit Gand assiégée (1300),
son fils aîné, le vaillant Robert de Bétbune, eapturé; il dut
capitulet ! Sur les conseils perfides de Charles de \ralois, frère
du roi, il alla se livrer lui-mêmc au roi, à Paris, aceompagné
d'une einquantaine de chevaliers clévoués. Son ,sort n'en fut
que plus rigoureux.
Aeeusant son vassal cle félonie, Philippe le BeI conffsqua
la Flandre. Accompagné de son épouse, Jeanne de Navarre,
il frt
clans le comté un vo_vage triomphal (mai 130f ).Les Leliaerts
le reçurent en sauveur, étalèrent devant lui tout l'éclat rle leur
faste et vantèrent I'affabilité de son abord. Peu leur importait
qu'un roi aux idées absolutistes imposât à Ll Flandrc un gou-
verneur tyrannique, Jacques cle Châtillon, que le rapaee
Chancelier de France Pierre Flotte, acclblât le peuple de contri-
butions, que le palrs se cottvrît de citadelles. Toutes ces mesures
ne potrvaient que favoriser le despotisnre des lignages. Le
combat etratre fois séculaire entrL' Capétiens et comtes de
Flandre semblait terminé : Ià Flandre était vaincue, incor-
porée au domaine royal !
Mais eette défaite que I'oligarchie bourgeoise avait appelée
de tous ses væux, le peuple de Flandre ne put la supporter !
Bientôt l'émeute gronde dans les srandes villes. I-Tn tribun
populaire, Pierre de Coninck, doyen des tisserands de Bruges,
homme chétif mais brave et adoré des masses, devient l'âme
de Ia résistance. Le plus intelligent des fils de Guy, Jean,
comte de Namur, encore tout jeune, Guillaume de Juliers,
petit-fils du comte, chevalier-ecclésiastique d'une belle pres-
tance, s'abouchent secrètement avec les nrécontents. Jacques
de pied ferme ses adversaires, sotrs lcs murs cle courtrai, dans
.la yrlaine cle Groenin$he, position favorable eouverte par les
fondrières de divers ruisseaux. Dirigés par leurs centeniers
(hondertytan'nen) et dizeniers, les communiers, homrnes de tout
âge, depuis les enthnl,s cle qui'ze j*squ'aux vieillards de soi-
xante ans, formaient des successions de canés. compacts autour
des bannières des villes et des paroisses. La grarrde bannière de
F'landre, d'or au lion de sable (r) debout, flottait au centre du
front.
La bataille fut impeceahlement engagée par les arbalétriers
géuois au service de Philippe le Ber, mais la che,valerie.française,
itnpatiente d'entrer en seène, eompromit la sibuation par une
cbarge prénraturée. Ilmbourbée dans un terrain vâserrx, mêlée
aux Italiens qni reculaient en désordre, exaspérés et se disant
trahis, elle ne put rompre les lignes flaman<les et vit bientôt-
déferler sur elle la masse des gens des communes. r,a mêlée
de Groeninghe n'eut aueune analogie avec les batailles féodales
d'autrefois. Les métiers n'y flrent pas de quartier. Avec leurs
piques, leurs massues, leurs haches, eoutelas et goedend.ags
(bâttins à solide pointe ferrée), ils tuèrent au cri de
vlqandren ende Leu (g) I Robert d'Artois, Jacques de châ-
-
tillon, fierre Flotbe, septante-cinq ehet's de gran<Ies maisons
uobles et des centaines de chevaliers. A lui seul, le gigantesque
Guillaume van saeftingen, frère rai de I'abbaye des Dunes de
(1) Ce nom, donné aux i:rsul8és parisiens, sous le règne de Charles YI,
provenait de ce qu'ils s'étaient emparés de maillets de fer à l,Arsenal.
-116- .
Cornte, puis réunit une troupe cl'élite de cinq à six mille hommes
et sé porta inopinément vers Bruges, le jour de la procession
des reliques du Saint-Sang. Les Brugeois, surpris en plcine fête,
aux portes cle leur ville, dans la plaine de Beverhout, le I mai
l:182, se dispersèrent devant une décharge à bout portant de
piemiers (l). un assâ,ut, mené par les valeureux Gantois eontre
des forces six fais supéIieures, conrpléfa la vietcire ! Louis
rle Male réussit à s'échapper de Bruges par une fuite aux
péripéties des plus romanesques. Il n'en perdait pas moins
toute la F-landre.
Pour la troisième ftris. eri ce siècle meurtrier, un roi cle France
venir en personne dispttter r\ ltr démocratie flamdnde
se déeirfla. à
le prix de ses I'ictojres. Charles VI nlaimait pas Louis de Male,
mais il redoutait la répercussion dans son propre pays des
suecès de Philippe van Artevelde, entouré depuis la journée
de Beverhout d'honneurs rovaux. De pltrs, Philippe le Hardi,
oncle du roi et futur eomte de Flandre, le pressait d'intervenir.
Il réunit donc une armée féodale de tout premier choix, pâssa
par surprise la Lys à Comines et se dirigea vers le nord. A I'arri'
vée des Français, Philippe van Artevelde se portâ cle Roulers
vers la colline de West-Roosebeke' arl nord-est tl'Ypres et '
v
CHAPITRE II
LE DUCHÉ DE BRABANT, DE I2g4 A T383
(1) Ireg libertés liégeoises, dont, il sera question &u chapitre suivant,
tendirent arfmême but.
(2) Réeidenoe ducale à mt-chemi:r entre Bruxelles et Louvala.
-tzt-
niaires qu'en échange de la charte wallonne et de la charte
flamande (f4 juillet fS14). Ces deux actes plaçaient le prince
littéralement sous curatelle : il ne pouvait plus disposer de ses
biens sans le consentement des représentants du pays. Ses
receveurs et officiers'de justice étaient responsables de leur
gestion devànt les députés des < bonnes villes r.
Ces mesures n'empêchèrent pas le fougueux et batailleur
Jean III d'avoir un règne brillant.lEn 1384, lui et ses sujets
soutinrent vaillamment Ie choc d'uhe coalition dans laquelle
figuraient Louis de Nevers, Guillaume Ier d'Avesnes, les comtes
de Namur et de Juliers, le duc de Gueldre, Adolphe de La
Marck, prince-évêque de Liége, et I'archevêque de Cologne. Le
chef de cette ligue, qui comptait prendre la revanche de la
bataille de Worringen, était le brouillon duc de Luxembourg,
Jean ltdveu$le, roi de Bohême, fils de I'empereur Henri Vff
(R,. fSOS-fBfB) et de Marguerité, s(Eur de Jean II. Le Brabant
fut assailli de tous les côtés mais sauvé par une médiation
française.
Pendant la guerre de Cent Ans, Jean IiI reprit la pcilitique
de bascule chère à ses prédécesseurs. Dernier descendant mâle
d'une famille illustre depuis le début du xrre siècle, il porta la.
gloire de' sa maison au plus haut point. En l347, il maria
simultanément ses trois filles : I'aînée, Jeanne, alors âgée de
vingt-cinq ans et veuve de Guillaume d'Avesnes, au tout
jeune (r) Weneeslas de Luxemboure, fils de Jean I'Aveugle;
Marguerite à Louis de Male (r,'oir p. 113); Marie au duc Renaud
de Gueldre.
Le règne de Jeanne (R. 1355-1406) et de'Wenceslas (R. 1355-
1383) allait assurer au Brabant la protection de I'empereur
Charles IV (R. f346-f368), frère du nouveau duc. Néanmoins
I'avènement d'un étranger alarma les villes brabançonnes, qui
venaient.d.e former une ligue pour s'opposer à un démembre-
ment éventuel de la principauté et pour garantir leurs privi-
lèges. Elles imposèrent à Wenceslas I'acieptation d'un acte
célèbre entre tous : la Joyeuse-Entrée (Blijde Inkomst), du
I janvier I356.
Cette charte fut le pacte fondamental qui servit de base
au droit public brabançon jusqu'à la fin de I'Ancien Ré$lme.
(1) Sauf cepenclant dans Ia prlncipauté épiscopale de Liége (votr pp. 125
foruait un État inclépendant du reste d.es Pays'Bas.
et ss.), mair celle-ci
-\za-
qui leur donnaient en fait I'administration générale du
duché.
n La Joveuse-Entrée du Brabant, l dit dans un de ses ouvrages
(1) ce titre d'éIu était d.onné au priirce qui n'avait p&s encore reçu la
'
consécration éplscopale.
.: 128
-
Au bout de trois ans de guene civile, les habitants de Liége
assiégée succombèrent aux privations. Ils furent heuretur
d'accepter, en 1251, la paix de Bierset (1), qui sacrifiait le
tribun. Ilenri de f)inant, proserit, se réfugia à la cour de Mar-
guerite de ConstantinoPle.
cinquante ans plus tard, les suecès des communiers flamands
à Groeninghe rendaient coura,ge à la démoeratie liégeoise.
Soutenue par le chapitre de Saint-Lambert, elle obtenait,
en 1302, que le sqnsgntement des corporations ftrt désor'
mais nécessalre pour établir des taxes, engager les revenus
publics, faire cles dons au prince-évêque et lever des milices.
En 130?, la paix de Serain$ lui accordaitgtte I'un des deux
maîtres à temps tùt c|oisi,parmi les genÀ de méticr. Le nombre
des corporations fut porté de d.ouze à r'ingt-einq.
En lBl2, la situation était très tendtie entre les Itetits, r4ffer-
mis par leurs recents suecès et hypnotisés par la Flandre, et
lcs Grands qui, par réa.ction, surnommaient lelrs fils < enfants
de France >. Le prince-évêque Thibaub de Bar venait d'être
tué à Rome, au cours tI'une expédition où il accogPagnait son
suzerain, I'empereur Henri vII de Luxembourg. ff cltiinoit-'
-
avaient nommé un mambour, e'est-à-dire un ai inisti'" -''
provisoire : Arnould de Blankenheirn, grand p ;vôt de r
chapitre. Les Grands tirèrent parti de cet ôtat de choses insta';t
pour trrréparer un eoup d'Etab. Ils s'abouehèrent en ser:ret, à
Huy, avec rles gentilshommes de la faetion des waroux. Il fut
décidé que, dans la nuit, du 3 au 'l aofit, les patriciens s'enrpa-
reraient des portes de la ville et les ouvriraient devant une
almée féoclale eommandée par Arnould, cornte de Looz'
cette conjuration fut dévoilée âtrx métiers. A I'insu <les
Gran<ls et pendant que ceux-ci se réunissaient mystérieusement
à leurs lieux de rendez.-vous, ils tenclirent cles chaînes à travers
les rucs et doublèrent les postes stlr les remparts. Les bouchers
sc eachèrent daps la halle erux viandes, le ntambour et les cha-
noines dans la cathédnrle. Soudain la grande cloche du bel't'roi
se met à sonner; de toutes parts des homrnes al.més se préci-
pitent sur les eonspirateurs patriciens qtti, déconcertés, battent
lentement en retraite vers tlne hauteur nomméô le Publemont.
Jusqu'à I'aube ils y tiennent tête à leurs adversaires, puis
Analogie entre la société n" irrt" et celle ùr, XIVe siècle(p. f 32).
Prospérité économique au XIVI siècle (pp. t32 et IBB).
-Les" Cours; les hisioriographes ; Jean Froissart (p. f æ). -
RôIe ù.c clergé; la décadence des mæurs ; Ies -
sectes nouaelles;
Bloemardine (pp. 133 et 134). -- Les u Frères de la Vie com-
'n'tlr,ne >; Jean aan Huusbroec (p. 134). Rôle social des
-
grandes Communes; laicisation de l'enseignem,ent et de la bien-
faisance (pp. f Ba et 135). La littéroture fl"amande et Ia ques-
tion des langues au XIVe -siècle (p. IB5). f,)sysfuitecture reli.-
gieuse : les grandes églises de style o{ioal- secondaire (.p. lB5
et lit6). La sutlpture (p. 137). L'architecture ciaile : Ies
halles de -Bruges (p. 137). -
(Phrtto Nels-)
LES HALLES DE BRUGES
Occupant un des côtés de la Grand'Place, ces halles
aatent àes xrrr" ct xrv" siècles, mais ellcs ont été trans-
io"ÀÀ"" dans !a secondc rnoitié du xvre siècle' Le bef-
irôi,-pu" contre, &vec scs dcux étag:es carrés à tourelles
;1 aôn couronnement octogonal, est resté entièrement
àans le style de la période urbaine démooratique.
CHAPITRE PREMIER
(l) Je tiens.
(àl fre coMTÉ or BouncoeNp ou f,'n,tNcnn'CoutÉ avait pour capltale
Besangon, sur le Doubs. II s'étendait entre la saÔne et, le Jura. Le nocsÉ
DE ,BouRcooxo avait pour capitale Dlion et s'étendait à I'oueet d'e la
tr'ranche-Comté.
_180_
Matguerite s'unit en seeondes noees, le 19 juin 1369, à Philippe
le Hardi, deuxième fils du roi de France Jean II le Bon (R. f 350-
f364). Philippe avait gagné son surnom à la bataille de Poitiers
(1356) où, âgé seulement de quatorze ans, il avait vaillamment
combattu les Anglais aux côtés de son père. Pour le récom-
penser, Jean II lui avait octroyé, en 1303, le duché de
Bourgogne. D'autre part, Philippe de Rouvre étant petit-
neveu et parent le plus rapproché de Marguerite cle Frattce,
mère de Louis de Male, ce dernier avait fini par hériter
<leIa Franche-Cornté et de I'Artois. En 1384, à la mort
de Louis de Male, I'altière Marguerite de Male entra done
en possession de ces tenitoires, ainsi que de la Flandre
(y compris la Flandre gallicante) et des comtés de Nevers et
de Rethel.
Phtlippe le Hardi (R.. f384-1404) (r) ftrt, depuis ce moment,
un des prinees les plrrs fastueux de I'Europe. Toute son atten-
tion bontinua à se eoncentrer sur les affaires de France, pays
dont il fut régent après Ia mort de son frère Charles V (f380)
et lorsque sdn neveu Charles VI fut devenu fou (f S92). Ignorant
la langue flamande et les mæurs du pays, résidant rarement
en Flandre, le nouveau comte n'entrevit eertes pas eneore la
possibilité d'identifier les destinées de tous les Pays-Bas à celles
de Ia dynastie de Bourgogne. lVlâis étant prince sagace et qui
< véoit au loin r, il se garda bien d'agir en étranger dans ses
nouvelles possessions. Il flatta Ypres et Bruges qui I'avaient
accueilli avec défiance; il sut dominer son orgueil de Valois et
se réconcilier avec Gancl sans'imposer à la fière cité des condi-
tions humiliantes. Il veilla à la défense des intérêts commer-
ciaux de la Flandre, conclut avec I'Angletene une trêve laissant
le comté en dehors du conflit franco-britannique et prit des
mesures.pour réparer les désastres provoqués par une guerre
civile de six ans. De plus, ce diplomate avisé augmenta la
puissancc de sa famille par d'habiles unions matrimoniales.
En 1385, son fils Jean de Nevers, àSé de quatorze ans,
épousait à Cambrai Marguerite de Bavière, fille d'Albert
<le Bavière, régent des comtés de flainaut, de Hollande
'et de Zélande à la placer de son r frère, le dément Guil-
,l *rt
(1) Voir plus loin le chapitre III consacré à la principauté tle Liége.
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CHAPITRE II
LE RÈGNE DE PHILIPPE LE BON
(r419'1467.)
O!lo1 en 1896'
Le nouveau comte de Flandre Philippe' né à
n'était pas un étranger pour ses sujets' Son père lui avait fait
longs séjours à
apprendre Ie flamanà "i l"i fait
avait faire de
jusqu'à son avènement' cet élégant jeune homme'
Gand. Mais,
élancé, glabre, aux oreilles et au nez
pointus' aux lèvres minces'
n,avait rien laissé transparaître ni de son caractère ni-de ses,
que' derrière son
intentions. Ceux qui I'approchaient affrrmaient
masque froitl, et ses manières composées' il eachait un caractère
crins I de ses épais sourcils
impétueux. Lorsqu'il s'irritait, les
<
comme cornes n et parfois sa colère devenait
n se dressoient
reprenait son
convulsive. Mais bientôt sa force de volonté impas-
I'Asseuré > et retournait
empire, il redevenait Philippe
<
(1) Jacqueline avait entre temps lait annuler son ma,ria8le avec Glou-
cester.
-r49-
vâgances de leur duc en le plaçant sous la tutelle d'un
conseil.
Jean, mort sans enfants en 1427, eut pour successeur son
frère Philippe de Saint-Pol, ami des démocrates, esprit
ouvert et enjoué. Son règne fut malheureusement très court.
Dès 1430 le duché de Brabant était sans souverain en lignée
directe et les Etats s'estimaient heureux d'échapper aux entrer
prises de I'empereur Sigismr:nd en désignant eomme < droict
héritier clu pays r le pui,ssant duc de Bourgogne, qui acquérait
d'un seul eoup les duchés de Brabagt et de Lirnbourg'
ainsi que la seigneurie de Malines et Ie rnarquisat
d'Anvers
IV. En 1441, Philippe le Bon eouronnait son æuvre d'unifi-
cation en achetant à Elisabeth de Goerlitz, sotts forme de rem-
boursement d'une engagère, le duché de Luxernbourg.
Comme le duc de Saxe émettait des prél.entions à la possession
de eet Etat, les trotrpes bourguignonnes durent enlever par
escalade la place fbrte de Luxemtrourg, dans la nuit du 2l au
22 novembre 14,4t.
Vers 1450, les Pays-Bas étaient donc réunis sous une mêrne
Couronne, de la Moselle à l'îletde Texel. Philippe, surnommé
le < Grand f)uc d'Occident >, étendait son protectorat à I'est.
sur la principauté de Liége (1465), les duchés de Gueldre
et de Clèves, au sucl-ouest sur I'évêché de Tournai; cleux
bâtards bourguignons étaient évêqueso I'un, frls de Jean sans
Peur, à Carnbrai, I'autre, fils de Philippe lui-même, à
Utrecht.
En 1454, époque oir il projette une Croisacle contre les Turcs,
Philippe est au point culminant de sa puissance. fl se rend à
Ratisbonne pour y avoir une conférence avec I'empereur
Frédéric III (R. 1440-1493) : son voyage est une apothéose,
lcs princes du Saint-Empire se pressent sur son pàssage, il est
l'égal des pluls grands rois !'Ce prestige ne lui vient pas seulement
de sa richesse ni du nombre de ses Etats, il résulte aussi du fait
que sa politique méthodique et clairvoyante a fait refleurir les
parties septentrionale et méridionale de ce f'ameux royaume
interrnédiaire de Lothaire dont le rxe siècle avait transmis
le souvenir à la postérité. Cette reconstitution est dans la logique
des choses et I'empereur'Frédéric III, alchimiste nébuleux, chi-
mérique, mais non sans finesse, le sait si bien que, prévoyant
r50
-
une demande d'érection dq* fie{s lotharingiens du Saint-
Empire en Etats indépendants, il se dérobe à I'entrevue de
Ratisbonne. Mais qu'importe, après'tout, si cette consécration
PHTLTPPE LE BoN
n ft.t
Gravrrre tlc Calartra,tta, cl'trprès Iloser Van derWeyclen. [*Wlû]/h
(Cabinet dcs estampes, Ilrtrxelles.)
(1) Ces collègoe échevinaux ava,ient aouvent dee droits d.e EAUtu, cle
MoYENNg of de eassu Juetdce.
-152-
en usage pour les enquêtes et les plaidoiries. Ce système bilingue
fonctionna jusqu'à la ûn du x\tue sièèle. Le Conseil de Flandre
rajeunit la procéclure tout en respectant les anciennes coutumes.
Dans toutes les autres provinces, il se constitua des organismes
analogues, nommés Hoaen dans les provinces du Nord. (Exem-
ple : Hof aan Holland, aan Zeeland.)
II. Les ducs de Bourgogne avaient de grands besoins d'argent
pour couvrir leurs dépenses de grterre et frais de représentation.
Ils avaient recours à la vente des charges et des emplois, aux
aidds des provinees, à certains impôts, aux subsides des classes
privilégiées et aux emprunts. Philippe le Bon garda à Lille la
Charnbre des Comptes, créée en 1386 par Philippe le Hardi,
sous Ie rtom de < Chambre du Conseil r, et en établit deux nou-
velles, à Bruxelles çt à La llaye. Les souverains d'Europe
enviaient le fonctionnement modèle de ces collèges, qui aidaient
'le prince à conclure avec les nations voisines d'avantageuses
conventions monétaires et veillaient à ce que Philippe trouvât
toujours, dans son Trésor, des bahuts pleins de joyaux et de
beaux écus neufs, ainsi que des dressoirs garnis de vaisselle
d'or et d'argent.
III. Au-dessus cles Conseils de justice et des Chambres des
Comptes, un organisme central était nécessaire. Philippe avait
un Conseil ducal composé de personnâges éminents : ambas-
'sadeurs, hauts dignitaires de sa nraison civile et militaire. A
leur tête figupait le Chancelier de Bourgogne, premier con-
seiller et dépositaire du grancl sceau. Ce Conseil n'avait ni
résidence fixe, ni sessions régulières; le duc le consultait sur
toutes les questions importantes. Pour trancher les problèmes
compliqués, il y introduisit peu à peu des jurisconsultes et des
légistes flamands, picards et bourguignoris, appartenant à la
petite noblesse, au clergé et même à la roture. En même temps,
le Chancelier, entouré de ses secrétaires, devenait une sorte de
premier rninistre, flanqué de secrétaires d'Etat. Après que
Philippe eut, en L44t5, affranchi ses provinces françaises de la
juridiction du Parlement de Paris, il transforma, en 1446, son
Conseil en Grand Conseil arnbulatoire': collège permanent,
à personnel fixe, très dévoué, servant de haute Cour de justice
et d'assemblée chargée de préparer les décrets et les lois du
prince.
IV. Malgré la creation de ees institutions monarchiques,
_r58_
Philippe le Bon respecta nos vénérables coutumes et
chartes provinciales. Imité par tous ses successeurs, jusqu'à
la Révolution française, il prêta, à son avènement, un serment
d'inau$uration solennel, en plein air, dans chacune de nos
provinces : à Bruxelles eomme duc de Brpbant et de Limbourg,
à Gand comme comte de Flandre, à Roermond eomme duc de
Gueld.re, etc. Par ee serment, il jurait cle régner ( comme bon
et léal seigneur D, respectueux des droits et privilèges de la
provinee. En retour les Etats provinciaux lui juraient fidétité.
Cette cérémonie de Joyeuse-Entrée, réglée par une étiquette
minutieuse, était I'occasion cle grandes réjouissances popu-
laires.
comme souverain, Philippe prit soin cle ne jamais décréter
un édit sans qu'il efit été préalablement enre$istré et pro-
mul$ué par les Conseils provinciaux de justice.
.re viens de nommer les Etats provinciaux. c'étaient des
assemblées dont le rôle fut, aux Pays-Bas, consi<lérable et bien-
faisant. Issus, dit-on, des anciênnes assemblées régionales câro-
lingiennes,. politiques et judiciaires : les plaids (placita\, ils
eurent un développement assez identique dans chacune de nos
provinces. Composés des membres des trois ordres : noble,
clerc et tiers (représentants cles villes), on les retrouve tlans
le Hainaut, sous la dénornination de < Parlements l, att xrye siè-
cle; en Brabant, ils portent le nom d'Etats (dti'ie Staten aan
Brabant\ depuis 1420, etc. Généralement ils comprennent les
évêques et les abbés de la province, les barons à trois justices et
à quatre quartiers (l)., les délégués des chefs-villes (les bourg-
mestres, quelques échevins et doyens de rnétiers), mais les
coutumes locales apportent à cette règle <le fréquentes exeep-
tions.
Ces Etats participent au pouvoir souverain. Leur com-
pétence s'étend aux travaux publics, âux emprunts, mais leur
prérogative fondamentale pst le vote annuel de I'impôt (aide
ot bede),*prérogative à laquelle se rattachent directement les
. droits de pétition et de remontrance, exercés avee respect
mais en même temps avee fermeté. Le vote, par ordre, n'est
acquis que par le consentement des trois ordres. En dehors
(1) euartier ': chaque 4egré de rlescendance dans une famille noble.
Justice ; haute, toyenne et basse. ,
-- t64
-
des sessions, les Etats étaient représentés par une députadon
permanente.
Philippe le Bon fit toujours preuve de grande estime envers
les Etats. Il avait, par ailleurs, réduit le rôle de la noblesse
et restreint ltautorité ternporelle du cler$é, intervenant
dans les nominations des évêques et des abbés, remplaçant
'les o dons gratuits n de I'Fglise par des contributions régulières.
Leur influence n'était donc plus à redouter au sein des Etats.
Quant aux villes, nous verrons dans le paragraplie suivant que
le duc entra en lutte avec elles sur un autre terrain.
V. Pour faciliter la perception des'irn-pôts I'action
du régionalisme, Philippe le Bon, suivant "SUterr,r"r
l'àËèmple des rois
de X'rance o crêa en 1463 des Etatq $énéraux, composés de
délégués choisis par les Etats provinciaux. Lui et ses sueees-
seurs ne les réunirent que rarèment, dans des circonstânces
solennelles ou difficiles, ou lorsqu'il y avait des impôts à lever
sur I'ensemble de Ia nation. Les membres des Etats généraux
ne pouvaient prendre de décision sans en référer à leurs eom-
mettants; à leur tour, les délégués des chefs-villes dans les
Etats provinciaux en référaient aux ( membres > de leurs villes.
Dans certaines villes, le refus d'un < membre r et, dans le
membre rles métiers, le refus d'un seul métier pouvait para-
lyser'la levée de I'aide dans tout le'pays !Le prince veillait
à ce que cet individualisme excessif fût enrayé par le droit
de compréhension, moyen de qontrainte, sinon légal, du moins
pratique.
Si nous envisageons d'une manière générale le mécanisme
de nos institutions sous les premiers ducs de Bourgogne, nous
ne pouvons manquer d'être frappés par I'habileté avec laquelle
eette famille cl'origine étrangère sut établir chez nous la rno.-
narchie, dans le sens moderne du terme, tout en en tempérant
I'action par le respect des anclens pactes fondarnentaux
et I'appel à la coopération des Conseils et des EtatS. Elle
créa une politique suivie et homogène qui contribua grandement
au développement de Ia conscience nationale du pays.
a tl
*.**
Corollaire de notre prospérité, notre civilisation exerce,
au xve siècle, '
une influenee faseinatrice dans I'Europe
entière.
Le rôle politique de Ia noblesse est à peu près terminé: son
rôIe militaire se réduit à mesure que les princes emploient
davantage des mercenaires, étrangers ou nationaux, des
bombardes et des couleuvrines. Imitant I'exemple des
Anglais, Ies derniers ducs de Bourgogne n'hésitent pas à faire
combattre à pied les ehevaliers, mêlés à des arehers et à des
arbalétriers d'élite. En revanche, la noblesse jouit d'une pré-
cieuse compensation : la vie de Cour ! Qu'il réside à Gand,
à Bruges ou à Bruxelles, Philippe le Bon tient < grand esta,t
approchant à estat de roy >r. Il veut autour de lui des courtisans
nombreux et zélés, obéissant aux règles d'une étiquette raffinée.
Il s'assure leur dévouement servile par I'octroi <le titres, de
pensions, de fonctions militaires et administratives. Il attire
de grands seigneurs étrangers : les Clèves-Ravenstein, les de
Fiennes, les d'Auxy; il erée des baronnies nouvelles dont la
-170-
riche roture est friande et organise, en 1439, au profit de la
haute aristocratie, I'illustre'fraternité d'armes nommée ordre
de la Toison d'or.
Philippe adorait'les < prorJigalités, despenses, festoyemens et
chères r. Dans ses palais, ornés de tapis, de tentures orientales,
de buffets et de erédences à panneaux sculptés, il donnait des
fêtes éblouissantes. N'assignant attcune limite à ses dépenses,
il accumulait sur les dressoirs la vaisselle d'or et d'argent orfé-
vrie, sur les tables à nappes damassées le cristal, Ies drageoirs
niellés, les immenses nefs : surtouts en forme de navire ou
d'église. Les divers services des .festins étaient interrompus
par des < entremets u : chants, danses et tableaux vivants dont
ies sujets étâient empruqtés à la mythologie grecque. Les con-
temporains ne tarissent pas en détails srrr les grandes fêtes,
notamment sur eelles qui furent données en 145-l.lorsque le duc
prononçâ le célèbre vceu dit t< du Faisan )), væu de se croiser
pour déliwer Constantinople du joug rles Ottomans. On v vit
Bur une tabLe un pâté contenânt vingt-huit musiciens; un élé-
phant, conduit par un géant. fit le tour de la salle et vint pré-
senter au prince Ia Sainte-Eglise, femme d'aspect éploré,
entourée de voiles !
La recherche de la toilette contribuait à rehausser la splen-
deur de ces fêtes. Les classes dominantes avaient renoncé aux
vêtements amples, aux manches flottantes, aux houppelandes
à traînes, introduites en Europe pendant les Croisades, ainsi
qu'aux coiffures d'aspect monacal : guimpes, chaperons et
cuculles (f ). Elles s'étaient prises d'engouement pour des modes
excessives : pourpoints'collants, senés à la taille et descendant
jusqu'à mi-cuisse, épaules rembourées dites <t mahoîtres a,
chausses étroites, allongeant et amincissant les jambes, souliers
à la poulaine (2) (tui"tschoeneæ) dont la pointe efffrlée se re.levait
en virgule et se rattachait au genou par un cordon de soie !
La silhouette funambulesque des élégants s'accentuait eneore par
leur visage glabre, le chapeau pointu à petits bords qu'ils por-
taient sur le sommet tle la tête, le chapeau de réserve qui se
balançait sur leur dos et les couleurs variées de leurs vêtements
mi-partis. Depuis que Philippe le Bon était ehauve, les cour-
eupidité.
Èig,rr" culminante de la Cour, Philippe, justement sur-'
nommé l'< Asseuré )), apparaît < droit comme un jonc )), en
imposant à tous par sa politesse étudiée et la noblesse de ses
allures. Dans sa jeunesse, il allie à ses qualités exceptionnelles
des goûts bien appropriés à une époque fort corrompue.
Le luxe
de ses costumes va jusqu'à I'extravagance,ses aventures galantes
sont innombrables, il est fier du nombre de ses bâtards (dix-
huit, disait-on) et les fait élever dans son entourage. PIus tard,
Philippe, atteint de déchéance sénile, se laisse eirconvenir par
une famille ambitieuse : Antoine de croy, seigneur de chièvres
et d.u Rceulx, devient < I'oreiller sur quoi reposait le bon duc
Philippe r. Avec son frère Jean, comte de Chimay, il parviendra
il btouiller le prince avec son fils'
La fastueuse maison de Bourgogne était protectrice naturelle
des littérateurs et des artistes. t-rançaise d'expression, elle
t'avorisa le développement d.'une littérature de Cour, fortenrent
imprégnée de I'esprit de la Renaissance, mais'artificielle et de
.rut"rr" médiocre. Les meilleurs représentants du genre littéraire
furent les < indiciaires I ou historio$raphes. Recevant unc
pensionn ils fournissaient au Mécèn9 qui les faisait vil.re des
travaux de cornmande remplis d'éioges excessifs. Cependant
Geor$es Chastellain, du pays d'Alost, rédigea des < Chro-
niques > sincères; Edmond de Dynter composa sa < Chronique
dJ ducs deBrabant r d'après des pièces d'arehives authentiques.
Quant à Phitippe de cornmines (1445-1509),
intrigant perfide
Ài, hirtorien hors pair, il fut Ie conseiller intime de Çharles
le Téméraire. Il vendit ensuite ses services à Louis XI, dont it
tlevint le meilleur diplomate; il pnrfita de sa situation excep-
tionnelle pour rédiger des Mémoires d'une ampleur de vtles
vraiment euroPéenne-
Durant la première moitié du xve siècle, Ia catholicité tra-
versa une erise. Les doctrines des prècurseurs de la Réforme
:
(1) La q mèrenourricière r.
(2) Qtre I'on n'obéirait pas à des mandements dorurée en fra,nçais.
-i74*
rnaintiennent Ie bilinguisme officiel dans les régions thioises.
Seulement, pâr suite de I'emploi de nombreux gallieismes, le
langage administratif flamand devient un jargon. Les relations
avec les milieux français et la pédanterie tles érudits ont
attéré la pureté de la langue flamande. Elle ne produit
plus aucun génie littéraire. C'est l'époque des Charnbres de
rhétorique.
Simples mutuâlités, eréées jadis par des bourgeois pour assurer
des honneurs funèbres à leurs membres, les Chambres de rhé-
torique sont bientôt devenues des milieux de distraction. Assis,
le soir, autour de tables chargées de brocs de bière, les joyeux
compagnons de < I'Alpha et Oméga > d'Ypres ou des < Vio-
lieren r d'Anvers composent des refereinen (pièces de circon-
stance), des chansons, des êuvres lyriques et dramatiques.
Emules du célèbre Anthonis de Roovere, < prinche ttan Rheto-
rijke n, ces bourgeois, artisans modestes ou rentiers cossus,
pratiquent leur < Const > (art) avec un louable enthousiasme,
mais aussi, hélas, avec une incroyable médiocrité de moyens.
Rien n'a survécu de leurs productions interminables.
Les Charnbres de rhétorique n'en ont pas moins eontribué
pour une large part à intensifier le gofrt des cérérnonies
publtques chez nos aïeux. Le xve siècle est l'époque des fêtes
en plein air. L'éciat des processions ou ( ornmegangm >t est
rehaussé par des groupes de figurants : soldats romains, Pro-
phètes, martyrs diubl"., ainsi que par des chars : théâtrâs
"i
roulants oir se représentent des seènes des Ecritures (wagen'
spelen). Les < Iandjuweelen (l) >, coneours publics souvent
bilingues, entre Chambres de rhétorique des diverses vlUes du
paYs, sont I'oecasion de cortèges pompeux. Des hérauts d'armes
ou des eavaliers vôtus de drap écailate portent les bannières et
Ies blasons des différentes chambres (2); les groupes eoneurrents
s'avâncent solennellement, précédés de foub gambadant et <le
valets portant les prix (médailles, eoupes, drageoirs) acquis dans
des joutes antérieures.
. Sur les
places publiques, les représentations théâtrales durent
parfois plusieurs jours. Le mérite des Chambres compétitrices
l?9-
représentant l'Adoratlon de I'Agneau mystlque (l). Le
cadet, Jean (f 1390-1440), < valet de chanrbre et peintre r de
Philippe le Bon, diplomate comblé d'honneurs, est le génie Ie
plus illustre de la premlère école flamande. Lui et son
frère n'ont pas comme on l'a cru longtemps inventé la
- auxquels
- mais des mélanges onctueux grâce
peinture à I'huile,
leur art a pu évoluer en peu de temps d'une manière complète.
Jean est I'auteur de scènes des Ecritures et de portraits
d'un réalisme méticuleux, cependant plein de grâce et de
noblesse.
Ce même siècle a encore produit Dirk Bouts (+f391-1475),
peintre de Haarlem qui place'ses personnages, impassibles et
Iongs comme des échassiers, dans des paysages d'une finesse
de miniature. Le Tournaisien Roger de la Pasture (van der
\Meyden) (tf 400-1464), K portraituerdere > de 'la ville de
Bruxelles, peint des madones et des anges un peu grêles, d'une
douceur recueillie. T.e Gantois Hugo van der Goes (+1420-
1482), mort dément ag prieuré de Rouge-Cloître (près de
Bruxelles), est l'émule de Jean van Eyck; ses portraits de princes
bourgrlignons sont hors pair. Enfin le Mayençais Hans Mern-
Itng (*r4ii5-1494), fixé aux Pays-Bas depuis 1467, donne à h
mystique et réaliste éeole brugeoise son merveilleux renom.
IJsant de toute Ia gamme des tons pourpres, einabres, ocreux,
il peint des portraits, des Vierges et des saintes aux doigts
effilés, aux attitudes chastes et gracieuses, drapées dans des
robes de féerie. Il est I'auteur de la Châsse de Sainte-IJrsule
(aujourd'hui à I'hôpital Saint-Jean, de Bruges), dont les pan-
neaux situent des personnages nombreux dans des panoramas
d'une exquise délicatesse.
Un dernier art s'impose à notre attention : la muslque.
Exclusivement religieuse, elle est eneore froide et sèche. Mais
déjà un compositeur hennuyer, Jacques Barblreau (deuxième
moitié du xv! siècle), maître de chapelle à l'église Notre-Dame
d'Anvers, et son élève, Jean van Ockeghem, maître de cha-
pelle du roi de Franee Charles Vff, artiste surnommé < Ie vrai
trésor de musique )), annoncent la pléiade des grands musiciens
du xvre siècle.
,r*,n
(1) Déjà dans la deuxième moitié du xv" eiècle, lee termês I'r,.lxnnn et
Fr,e:neNps commeno€nt à s'employer en Europe Jrour désigner I'ENsEwTBLE
d.ee Pays-Bas of la tor.tr,rrÉ de leurs habitantg.
.- 185
-
d'armes. Ils portaient l'armure complète , de plaques d'acier
articulées; un casque rond et léger, I'armet, à crête empana-
chée et à visière en < bee de moineau >, leur enveloppait
la tête.
L'infanterie se composait de mereenaires anglais, rhénans,
italiens, picards et ar!ésiens, hardis gaillards qui marehaient
à la bataille presque sans armement défensif. Un ehapeau de
fer bombé, à lar:ges bords et sans crête,la salade' une camisole
de mailles ou une cuirasse abdominale leur suffisaient. Il y avait
parmi eux des archers, des arbalétriers dont les armes à cric
perfectionp{ss lentes à manier, il est vrai tuaient net un
adversaire à deux- cents pas, des haquehutiers - ou couleuvri-
niers, munis d'ttn petit eanon à nrain qu'ils déchargeaient en
le 'fixant dans une fourchette appuyée sur le sol. Ces mêmes
éléments se retrouvaient dans les troupes montées
Charles s'était aussi créé une artillerie célèbre, de trois
cents canons : couleuvrines sur affûts et bombardes (donder'
bussen); ces pièces étaient servies par un personnel expérimenté,
coiffé de toques et armé de poignards. Le train des équipages
représentait quatorze cents chariots d'artillerie, de munitions
et de subsistanees.
Le caractère décousu cles opérations militaires et des entre-
prises diplomatiques de Charles le Téméraire est frappant.
En 14?3, il arraehe à Adolphe d'Egmont le duché de Gueldre
(avec le comté de Zutphen). En septembre de la même année,
il se rend à Trèves otr I'empereur Frédéric III a promis de le
couronner roi de Bourgogne et de le proclamer vicaire de I'Em-
pire. Mais I'ondoyant Allemand, peut-être instigué par Louis Xf ,
recommence à l'égar<l de Charles le tour qu'il a joué dix-neuf
âns auparavant à Philippe le Bon, à Ratisbonne. Il prend furti-
vernent la fuite dans la soirée précédant la cérémonie, alors que
la couronne et le manteau royal étaient prêts et que le trône
était déjà érigé dans I'attente du nouveau monarque !.
Ridiculisé par cet incident, le Téméraire n'en devient que
plus ombrageux. En 1474, il se trortve en présenee d'une révolte
de la Haute-Alsace, territoire dont il a fait I'acquisition en
7467 afih de jeter un pont entre le Luxembourg et la Franche-
Comté. Il ordonne à son gouverneur, le féroce Pierre de Hagen-
bach, d'exercer une répression cruelle. Mais les cantons helvé-
tiques, alarmés par les entreprises encerclantes du duc de Bour'
*186_
gogne, viennent à la rescousse des Alsaciens. Bâlois, Bernois,
tr'ribourgeois, paysans des cantons forestiers (l), s'unissent aux
Souabes et marchent au nord vers Mulhouse, à I'ouest vers
Montbéliard (2). En même temps les bandes de Louis Xf rava;
gent I'Artois. et le Hainaut.
Qu'entreprend le duc pour parer à ces dangers? Loin de se
consâcrer exclusivement à les combattre, il se mêle aux affaires
de I'archevèché de Cologne, se met à dos tout le Saint-Empire
et perd un an (30 juillet 1474-15 juin 1475) à lbire, sans sueeès
d'ailleurs, le siège de Neuss (3). Entre-temps, Louis XI a si
habilement sù intervenir dans la guerre civile des < Deux Roses l
en Angleteme qu'Edouard IV d'York (rose blanche)o alarmé par
les progrès des partisans des Lancastre (rose rouge), abandonne
I'alliance bourguignonne (août 1475).
Dès lors les événemcnts se précipitent. Charles, encore très
puissant et entouré d'un énorme prestige malgré ses débôires,
enlève Nancy au jeune cluc de Lorraine, René II de Vaudemont.
La jonction néerlando-bourguignonne est chose faite.
Charles, allié à la duchesse de Savoie et au duc de Milan, se
voit déjà maître de la vallée du Rhône, de la Provénce, de
I'Italie ! Mais les Suisses, poussés à bout par sa rigueur, déci-
dent de jouer leur va-tottt. Le 2 mars 1476,leurs épais earrés
de piquiers, eonduits par Nicolas de Scharnachthal, culbutent
I'armée bourluignonne à Grandson (4). Cet échec provoque
dans toute I'Europe une profonde sensation. IJn an aupara-
vant, Charles, entouré de princes et d'ambas-.adeurs, multi-
pliant les réceptions somptueuses dans la grande ville en bois
qu'il avait fait construire autour de Neuss, passait eneore pour
invincible !
(1) Leg quatre cantons forestiers, autour du lac helvétique d.e ce nom
(V ierw ald.staetter see).
(2) Montbéliard, au sud-ouest de Belfort.
(3) Ville à I'ouest de Dusseldorf, aujourd'hui dans la Prusse rhénane
lnférieure.
(4) Dans le eanton cle Vaucl, au eud-ouest ilu lac cle Neuchôtel.
(5) Dans le canton de tr'ribourg, à I'est du lac de Morat.
-187-
toute son artillerie et sbs trésors (22 juin 1476). Cette fois, il
faut battre en retraite. Suisses, Autrichiens, Français, Lorrains,
harcèlent les débris des forees bourguignonnes; le 6 octobre,
René de Lorraine rentre dans sa capitale. Il ne reste à Charles
qu'une issue : la retraite vers le Luxembourg, où., couvert par
une formidable place forte, il pourra reconstituer son armée.
Mais le duc est.dans un état voisin de la démence; il abandonne
les soins extérieurs du corps et de Ia toilette; I'idée fixe de la
revanche I'obsède. En plein hiver, avec des tbrces dérisoires et
la meute de ses ennemis flans Ie dos, il entreprend le siè$ê de
Nancy. Le 5 ja,nvier l4?? a lieu I'engagement final. La trahison
des mercenaires lombards du condottiere Campo Basso hâte le
dénouement. Les Bouiguignons sont dispersés et le duc périt
misérablement, de la main <l'un obscur adversaire. L'annonce
de sa rnort provoqua, dans tous ses Etats, un soulagement
non dissimulé.
HUITIÈnne P^A,RTIE
LES
PAYS-BAS SOUS LES PREMIERS
HA,'BSBOURGS
(1477-1555.)
CHAPITRE PREMIER
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CHAPITRE IV
LA PRINCIPAUTÉ DE LIÉGE,
DE 1468 A 1505
LE RÈGNE DE CHARLES-QUINT
(1506-1555.)
- La minorité
$ 1.'. de Charles de Luxembour$
(1506-1515)
(l) Floriezoon fut pepe sous le nom cl'Âdrien YI, d.o 1522 ù 1523.
---.207
,t
-
de la Sicile, de Naples et du Nouveau-Monde. Il alla séjour-
ner, de f5l? à 1520, en Espagne, et il y établit une sorte de
suprématie flamande. torsque, après Ia mort de Maximilien
(12 janvier l5l9), il entra en compétition avec FranÇois Ier
(R. f 5f 5-154?) pour la possession du trône impérial, Guillaume
de Croy défendit avec acharnement la candidature de son élève.
Après son élection, Charles fit à travers nos provinces une che-
vauchée triomphale, se dirigeant vers Aix-la-Chapelleo où il
fut couronné Ernpereur, le 23 octobre 1520. Ces transports
de joie de la noblesse et t1u peuple étaient spontanés. Loyalistes
par tempérament et par tradition, Ies Belges se sentaient grisés
d'orgueil à I'idée que leur prince naturel, descendant tlirect de
Philippe le.Bon, occupait Ia première place dans le monde. Il
était clair cependant que cette transformation ne pouvait être
que nuisible aux intérêts de nos aïeux et que la politique
a bourguignonne > <tre Charles de Luxembourg allait être rem-
placée par la politique dynastique de Charles-Quint.
Dès ce moment. en effet, I'infatigable empereur parcourt sans
cesse I'Europe et, de 1522 àI-555, ne fait plus que cinq séjours
dans les Pays-Bas. Certes, jamais il ne cessera d'aimer nos pro-
vinees, tl'encourager leur développement et de veiller à leur
défense, mais cette affection ne l'empêchera pas de mettre en
péril leur sécurité en affrontant un gigantesque duel avec la
France. Ce duel est inévitable. Il ne s'agit plus cette fois pour
les Capétiens d'expansion dans la direction du Rhin; ils doivent
se défendre eux-grêmes contre un encerclement par les Habs-
bourgs. Charles-Quint aspire à la monarchie universelle.
Bruxelles, Luxembourg, Besançon, Madrirl sont autant de points
d'oir sa puissance menaceles Valois. Son frère cadet Ferdlnand,
doté en l52l des domaineb héréditaires des Habsbourgs :
Autriche, Styrie, Carinthie et Carniole, lui fournit un appui
inébranlable. François Ier n'a, dans toute I'Europe, que le
secours incertain des protestants et des Turcs.
Entrer dans le détait de ces luttes européennes n'est pas de
notre domaine. La première $uerre (f52f-1526) eut pour
principal théâtre I'Italie. et fut caractérisée par la défaite des
tr'rançais à Pavie (f ) (24 féwier 1525'r. François ler, eapturé
sur le champ de bataille par un seigneur wallon, Charles de
(l) Certains historiene q,flrment gue ces mots ont le sene de a braillard.s r,
_22L_
eh condamnant au suppliee un chef-doyen loyaliste, Liévin
Pijn, septuagénaire débile; leur assemblée délibérante : la
Collace, n'est qu'un houleux pandemonium.
Marie de Hongrie n'a aucune difficulté à rétablir 'l'ordre
(octobre f SSg); mais ceci ne suffit pas à Charles-Quint. Désireux
de punir les mutins de façon que jamais plus une ville des'Pays-
Bas ne soit tentée de suivre leur exemple, il obtient de Fran-
Çois ler aussi hostile que lui à la démocratie rnilitante
- le
droit de- traverser la France. Pendant quelques mois il laisse
les Creesets dans l'incertitude touchant leur sort. Puis, brus-
quemento le 29 avril 1540, une sentenee condamnant vingt-six
révoltés à la peine capitale vient arracher Gand à ses illusions.
Le lbndemain 3O, la Concession caroline enlève à la ville,
tléjà humiliée par une amende, honorable, ses moyens de défense
et ses richesses, réduit le nombre des métiers de cinquante-trois
à vingt et un, confère au souverâin la nomination des magistrats
et ordonne la construction d'une eitadelle sur l"emplacement
de l'ancienne abbaye de Saint-Bavon. Gand doit même livrer
Roeland,la grosse cloche de son beffroi. Les grands soulèvements
urbains des Pays-Bas appartiennent désormais au passé.
Favorisées par le régime de la litrerté économique et de la
libre concurrence, de nouvelles industries,viennent remplacer
celles de jadis et accentuent la prospérité générale. f)ans la
vallée de la Lys s'opère le rouissage du lin; Gand entreprend
avec succès la fabrication des tissus de toile. Dans le surl.
de Ia Flandre, I'extension de la draperie rurale amène le
développement de quantité de bourgades ouvrières popu:
leuses : Bergues, Railleul, Armentières, oir les laines eqpagnoles
sont transformées en étOffes légères nommées serges et
sayettes.
Les besoins de luxe des classes riches exercent de leur côté
une influence heureuse sur les progrès de I'industrie. La taille
du diamant, art inventé. rlit-on, par un Brugeois, Louis van
Berken, à la fin du xve siècle, se généralise. Pour faire face
aux commandes de dentelles, les embaucheurs, en quête d'ou-
vrières, vont recruter des servantes dans les villes et y pro-
voquent une ( crise des gens'de maison r. Les fabriques de
tapis de Tournai. d'Audenarde, de Bruxelles et de Binche se
spécialisent dans divers genres artistigues : ameubl€ment, tapis-
series rnurales et autres.
-222-
Dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, le Namurois et le pays de
Liége, I'industrie houillère et métallur$ique prend de I'exten-
sion. Les charbonnages sont nombreux, mais eneore peu pro-
fonds (40 à 100 mètres). Le long des eours d'eau s'égrènent des
< marteaux à fer )) mus par des moulins hydrauliques; les pre-
miers hauts fourneaux, chauffés au bois, s'édiflent dans le voisi-
nage des forêts. Malines a une fbnderie de canons renommée.
Au nord, la marine maf,chande hollandaise supplante la
marine hanséatique. Devenus les < rouliers de la mer r, Ies
matelots zélandais, hollandais et frisons font du cabotage le
long de toutes les eôtes de I'Europe; les pêcheurs capturent le
hareng, la sardine et vont même chasser la baleine entre la
Norvège et I'Islande. Cette activité a pour corollaire la création,
dans les provinces du Nord, de chantiers cle construction de
navires, de corderies, de tonnelleries et d'ateliers pour la fabri-
cation des gréements. Middelbour$ et Amsterdam devien-
nent des cités importantes, dont la prospérité vaut celle des
villes méridionales.
***
Depuis l'époque des ducs de Bourgogne, la société a considé-
rablement évolué. La noblesse, le clergé, les grancls bourgeois,
les métiers n'orit plus eette physionomie exclusive qui leur
<lonnait, au moyen âge, I'aspect d'autant de castes. Certes, les
Pays-Bas resteront jusqu'à la fin de I'ancien régime la terre
d'élection du particularisme et du conservatisme. Mais le clergé
a perdu de son prestige,la bourgeoisie parvenue s'est rapprochée
de la noblesseo les classes moyennès, perdant leurs privilèges
urbains ou corporatifs, ont formé involontairement corps avec
la masse de la population, les gens des campagnes ne de soni
plus sentis aussi éloignés de ceux des villes, du jour oir ont cessé
Ies tutelles des républiques urbaines. Bref, I'action politique des
souverains et le nouveau régime de liberté économique ont
trânsftrrmé les anciens conglonrérats de classes sociales en une
nation ayant, de I'Artois à la Frise, eertaines aspirations
et intérêts cornmuns, malgré le maintien de statuts organi-
ques provincialistes et d'une quantité de eoutumes locales
mé<liévales.
Quelle sympathique et brillante population que celle deç
-228-
( pays de par-deçà ,r dans la première moitié du xvre siècle!
Elle aime le travail, affropte avec intrépidité les entreprises les
plus aléatoires et se montre endurante en cas d'insuccès. Gaie,
bavarde, gouailleuse, elle â son franc-parler en toutes choses
et place eonstamment au-dessus de ses biens les plus chers
I'amour de la liberté. On peut reprocher aux classes cultivées
Ieur orgueil ostentatoire, leurs appétits exeessifs, leur exubé-
rance un peu vulgaire, on peut critiquer dans la masse du peuple
le matérialisme et la sensualité, se traduisant par une prédi-
Iection naive pour le bruit, les couleurs éclatantes, Ies nourri-
tures abondantes : < fricadelles, tartes, papes au riz > et les
bières fortes. Telle quelle, cette nation, sincèrement démocra-
tique, fait preuve d'un amour magnifique de la vie et reste
dépositaire tle l'étincelante civilisation urbaine que lui a trans-
mise le xve siècle.
La noblesse,-protégée par les Habsbourgs, a reconquis son
rang. Depuis le petit chevalier, gendarme dans les compagnies
d'ordonnance, jusqu'au < grand maître r de I'entourage impé-
rial, tous ont prodigué leurs biens et leur sang dans les guerres
européenpes, au service de Charles-Quint, leur bien-aimé
< prince naturel r. Ultra-loyalistes (ce qui est la forme cour*nte
du patriotisme sous I'ancien régirne), les seigneurs, surtout les
plus grancls, sont eomblés d'honneurs et fbnt de riches
mariages avec des héritières bourguignonnes ou allemandes.
Cette noblesse est hospitalière pour eeux de ses membres
atteints par le malheur, elle a un vif sentiment de la soli-
darité. De plus, elle à quelque ehose d'épique dans ses
allures. Lorsque le vaillant Maximilien d'Egmont, comte de
Buren, stadhouder (I ) cle Frise, sent approcher sa fin, il se
confesse scrupuleusement, ayant été parfois chapitré par ses
pairs de I'Ordre de la Toison d'or pour ses r< excès dans le boire
et le manger )), ses jurons fréquents, ses mæurs faciles et sa
tiédeur en matière religieuse. Puis, revêtu de ses habits les plus
somptueux, il se fait transporter dans la grande salle de son hôtel,
fait appeler ses gens et, devant tous, boit, dans tin énorme
vidrecome, ., le vin de l'étrier et de la mort 1 en I'honneur de
son sou.verain !
Malgré son vernis d'urbanité, emprunté.aux modes italiennes,
227 _
,r*,*
. Deux grands eourants d'idées ont imprégné la société euro-
péenne du'xvre siècle : la Renaissanc'e et Ia Réforrne.
Examinons leur développernent aux Pays-Bas.
, La Renaissance, ér'olution générale, irrésistible, vers l'étude
des monuments littéraires et des ceuvres d'art de I'Antiquité,
libéra les seienees des entraves théologiques du moyen âge et
donna une impulsion nouvelle aux lettres et aux arts. La haute
société des Pays-Bas était riehe, curieuse, pénétrée d'esprit
critique, bien douée au point de vue des travaux de I'esprit.
La Renaissânce y prospéra d'une manière toute particulière.
Chacun sait combien le progrès des idées nouvelles fut, au
xvre siècle, favorisé par la diffusion de I'irnprirnerie. Ce fut
également le cas dans nos provinces. Le premier imprimeur
y fut un Alostois, Thierry Martens (+ f450-15S4) (1). Après'
une période d'apprentissage en ltalie, Martens imprima en t4?3
Q'It'ttto Nc/s')
couR DU pÂLAIs DE JUSTICE, A LrÉcE
L'anr:ien palais épiscopal a été, cle nos iolrrs, transfofrlré en Palais
tleJustice, Dcl,a,ngle ol)rrous nous.trouvous, I'ceuvre si originale tlo
François Borset s'aperçoit daus presque tout son ensernble.
NEuvrÈtvrn. PARTTE
LA DOMIN^A,TIOT\ ESPAGNOLE
ET LA
CHAPITRE PREMIER
mide et craintive,
on doutait mêrrre
de ses capacités in-
tellectuelles, lors-
que, en I554, après
son nrariage avec
nlarieTudor,il
se ré-
véla hommecl'Iltat.
D-.venu souverain
tl'I4spagne et des
Pays-llas à l'àgc rle
vingt-huit ans, iI se
eonsacra clésorn-rais
à sa tâclre écraszrnte
avee lir plus scrupu-
lcuse attetrtion.
l'}hilippe II ne
manquait ni d'in-
telligence ni d'in-
stnrction ct il était
cxtraordinaircrnent
travailleur. NIais PHILTPPE II
ses vues souffraicnt (Cabinct rlcs estarripes, Bruxelles,)
de son indigence Gravurc rJr: Suijclerhoefi, cl'olrrès le tableau
tl'idées. Toute d'Antoinc lloor ou lloro, pr:intre de Cour du
sa roi d'Eslragnc, Cet artistc travaillait dans la
vie fut consacrée à rnanière réaliste ct colorée de son rnaitre. lo
Titien (coniparez p. 214).
la défense opiniâtre,
butée, de quelques principes de gouvernement, désastreux
dans leur application. De plus, il était lent, tatillon, menteur
par système et tellement fourbe que ses ficlèles les plus dévoués
ne parvenaicnt pas eux-mêmes à discerner les mobiles réels de
ses actes. Ses lettres à ses filles nous le montrent bon père,
242 *
aceessible aux sentiments tendres; sa politique Ie conduisit
néanmoins à des actes honteux et à des crimes. Persévérant
dans des systèmes qu'il savait monstrueux, r4ais n'hésitant pas
à les appliquer jusqu'au bout, il devint lui-même un monstre
et fut le premier à en souffrir. II fut en somme un sinistre
maniaque
Présenté une première fois à ses futurs sujets en 1549,.Phi-
lippe n'avait pas plu aux Belges. Après I'abdication'de son
pÈ"", de sincères efforts pour s'attirer I'estime de nos aieux.
il fit
Lui qui venait d'un Etat militaire, f.ortement hiérarchisé, abso-
lutiste, aux usages gourmés, chercha à dissirnuler combien le
choquaient la cordialité franche et la sociabilité familière de nÔs
milieux. Il rr'y réussit point et eut, de plus,le dépit do se voir
reçu avec défrance. Devant ce prince qui savait à,peine quelques
.mots de français et ignorait le flamand, qui s'entourait'de
conseillers espagnols et ne parvenait pas à cagher ses craintes ou
son mépris pour nos institutions et nos mæurs, l'oginion fut
bientôt unanime : Phitippe II ne serait jamais rtr\ fouverain
national.
Les'premières années du nouveau règne furent occupées par
des événements militaires. En dépit de la trêve de Vaucelles,
Henri II rentra en lice et envahit I'Artois en ianvier 1557.
Notre gouveïneur général était à ce r4oment le duc Ernrna-
nuel-Phllibert de Savoie, à qui la France avait enlevé ses
Etats. Emmanuel-Philibert, dit ( Tête-dè-Fer >, éiait un excel-
lent général. A la tête d'une armée .hispano-anglo-belge de soi-
xante mille hommes, il alla assiéger Saint-Quentin. Le conné-
table Anne de Montmorency essaya de porter secours à la ville,
mais sa gendarmerie fut battue, le 10 aofit 1557,par les brillantes
bandes d'ordonnance nationales, commandées par le comte
d'Egmont et la haute aristocratie des Pays-Bas. La route
de Paris s'ouvrait devant Philippe If. Faute d'*1gent, il dut
s'arrêter à Noyon !
L'année suivante, le duc de Guise reprit Calais'(S,janvier) et
I'armée française du maréehal de Termes alla piller l)unkerque
(6 juillet). Termes s'en retournait lentement, le long de la côte,
avec un train de charroi encombré de butin, lorsque Ie comte
d'Egmont le rattrapa à Gravelines' le 13 août, fonça sur lui
avec toute sa cavalerie et dispersa son armée. Le 3 awil 1559,
la France se réconciliait avec I'Espagne, par le traité de Câteau-
248
-
Cambrésts (f). Elle gardait Calais et les Trois-Evêchés
(Metz, Toul et Verdun), c'est-à-dire I'ouest de Ia Lorraine.
Cette,ÉIuerre, quoique glorieuse, n'avait grrère enthousiasmé
les habitants des Pays-Bas. Nos provinces étaient épuisées
par de continqelles demandes de subsides. llles se plai-
gnaient de ce que I'Espagne, le Milanais, Naples et la Sicile
n'avaient pas à coopérer directement aux frais d'une lutte qui,
en' somme, concernait.Ies régions méditerranéennes tout autant
sinon plus que les Pays-Bas. Le gouverneur général ne pouvait
s'empêcher de leur donner raison. Le mécontentement fut
bientôt général et patent.
Après avoir réglé ses affaires avee la tr'rance et épousé, ert
juin 1559,'Elisabeth, fille de Henri Il (Z),le roi philippe avait
hâte de repartir pour I'Espagne. Déçu, froissé, aigri, il prenait
cle plus en plus en haine nos démocratiques populations. fI
réunit une quatrième fois les Etats généraux pour leur flemander
des ôrédits. Quelle ne fut son indignation lorsqu'il vit les repré-
sentants de nos provinces développer hardiment, Ie ? aofrt r55g,
le vieux prograrnme national clu temps de philippe de crèves :
respect des privilèges, aflministration des affaires du pays (.par
advis et conseil des seigneurs de par dechà n, surveillance des
dépenses militaires et autres par des fonctionnaires nationaux,
troupes indigènes, commandées par la noblesse des pays-pas.
fl y avait dans nos provinces, depuis 1568, B,OO0 hommes
de troupes espagnoles, insolentes et pillardes. Les Etats récla-
mèrent leur départ. r Votre Majesté ne nous a sans doute pas
donné la paix, r dit assez impertinemment Borluut, un syndie
de Gand, ( pour que nos villes soient changées en déserts,
comme elles le seraient infailliblement si vous ne les déliwiez
pas.de ces biigands destructeurs r. Scandalisé, philippe II éluda
une réponse nette et partit pour I'Espagne sans esprit de retour,
le 25 aofit 1559.
LA RÉSISTANCE NATIONALE
(r55e-r564.)
(1) Par une lettre du 31 iuillet' 7566, Philippe If avait autorisé la gouver.'
nante à abolir I'Incllisition eÙ à modéter I'application d.es placards. Ces
ooncessions étaient apparentes. Par-devant noùaire, le roi avait juré secrè-
tçmcqt {e ne paq ee tenir compte et de punir fes fouteur+ {e troub}es' .
-255-
xelles. rl se chargea de réconcilier Ie comte d'Egmont avec Ia
gouvernante. Peu après, il suggéra à Marguerite de parme
d'exiger des seigneurs un nouveau serment de < fidélité absolue >
envers le roi. La plupart des signataires du compromis aceep-
tèrent avèc joie cette occasion de manifester leur loyalisme et
leur repentir d?avoir été entraînés au derà de leur volonté. Au
contraire, Ie groupe des <r gueux > calvinistes : Jean de Marnix,
son frère Philippe, Louis de Nassau, Bréderode, Van pallant,
le comte d'Hoogstraeten, resta intransigeant. Le prince d'orange
prévoyait que tout rapprochement avec philippe rr amènerait
fatalement dans nos provinces un régime d'espagnolisation et
dnintolérance. Patriote avant tout, il prit parti pour les calvi-
nistes et refusa le serment d'obéissance.
En janvier 1567, la guerre civile éclatait. Ayant Ievé des
mercenaires dans Ie Saint-Empire, mobilisé la noblesse et orga-
nisé les premiers régiments d'infanterie wailonne, le gouver-
nement était revenu sur ses concessions. Les calvinistes, ample-
ment pourvus d'armes, s'étaient concentrés dane le Tournaisis
et tre sud du Hainaut. Jean de Marnix, débarqué à Austruweel,
dirigea un coup de main sur, Anvers. il échoua et fut tué Ie
l3 mars; Le comte de Noirearmes assiégea valenciennes et
prit'crette citadelle du calvinisme, re 24 mars. cette opération
mit fin à Ia première guerre de religion. Le mois suivant, quan-
tité de nobles et de bourgeois calvinistes émigraient vers I'An-
gletene, Emden et les bords du Rhin. Le prince d,Orange, resté
Treutre au cours de cette lutte qu'il jugeait prématurée, partit
pour ses Etats de Nassau. La gouvernante remit les placards
en vigueur et réimposa la pratique exclusive du culte catho-
Iique (juin 1567).
Sans doute, Marguerite de Parme, vicfi,orieuse, espérait en
revenir à I'application modérée des édits.ïais philippe II ep
avait décidé autrement. Après les troubles du mois d'août,
it s'était juré d'appliquer intégralement aux pays-Bas son
programme de guerre à outrance contre notie esprit de tolé-
rance et de hberté. Nos provinees, soumises à un despotisme
rigoureux, deviendraiend le centre de rayonnement du catho-
licisme -européen. ce phn fut mûri de sang,froid et conçu
dans tous ses détails. Aueune considération de sentiment ne
devait arrêter Ie monarque. ( Je tâcherai d'arranger les choses
de Ia religion aux Pays-Bas, r écrivait-il, o si c'est possible,
:11È
,
'.;.
j:-
25C
-
sans recourir à la force, pârce que ce rnoyen entraînerait la
totale destruction du pays; mais je suis déterminé à
I'employer cependant, si je ne puis d'une autre manière
régler le tout comme je le tlésire r.
Pour exécuter ses projets, Philippe II choisit son plus rlévoué
serviteur, le duc d'Albe. Dès le B0 décembre 1566, il lui don-
nait I'ordre de se rendre aux Pays-Bas avee une armée espa-
gnole concentrée en Lombardie.
[,i :
CHAPITRE IV
Arriaée du ùtt'c d'Albe à Bruæeiles [22 aofrt t16r) (pp. z57 et 258).
Ses projets, son caractèrc (p. Z5S). La Teneur eqpa-
-
gnole -
: le conseil des Troubles, les eæécutions (pp. z5g-z6rJ.
LeE Gueuæ des bois (ri. 261)..'_. premiers efrbrts du prince
-d'orange pour
déIiurer les pays-Bas : ta canipagne de ril6g
(pp. 261 et 2BZ). Tùomphe du, duc d, AIbe (p. 262). _ Le
- et le ùiaième
centième, le aingtième denier (pp. 262 et 268).
Les Gueuæ de mer (p. z6s). .- ler aurilt7Tz : prise de La Brielle-
;
soulèaernent de la Holtande et de la zéland.e (pp. 268 et 2641.
seconde inoasion dcs pags-Bas par re prince d.'orange; mas- -
sacre de la saint-Barthélemy (p. zs4). La Hollande et la
- et 265).
zéIan'de continumt seules Ia lutte (pp. z6a L,armée
espagnole (pp. 265 et 266). campagne d'hiaer - de r57z-
1573 (p. 266). - quitte res pays-Bas
Le duc d'albe
- [18 décem-
bre 15731 (p. zc6).
,
ilhelruu,s aan N asso'wren,
Vtt
ben iek aa,n Duytschen bloet,
H et aaderl.a,ndt g etrowwe
bli.il i.ch tot irl,d,er itoet (L1.
(W i,lhel,muslieil., de MaRNrx
DE S.rINrn-AunDGoNDE.)
_
Dès que les rumeurs concernant I'arrivée du duc d'Albe aux
Pays-Bas furent devenues certitude, le départ des protestants
dégénéra en un exode éperdu, qui entraîna prus de cent mille
(1) Guillaume clo Nassau, suls-je do sang tblols, ûdèlo à la patrie, ie reste
luequâ la mort.
d. vers KALKEN. -- ErgTorn,E DE BELGtregn. 1g24. g
-
-258-
personnes. Cependant, le duc d.'Albe arrivait à petites journées,
par le mont Cenis et le duché de Loi'raine. Le 22 aoûtl 1567, il
faisait son entrée à Bruxelles.
Ce jour-là, les Bruxellois consternés virent s'engouffrer dans
leurs murs des bandes insouciantes et rudes de mercenaites
allemands, des reîtres à I'armure noireie, dits o noirs harnois r,
précédés de timbaliers et de trompettes, des régiments de Napo'
Iitains basanés, à collerette plissée, des Siciliens, des Sardes,
des Castillans, ayant dans le regard I'ardeur d'un sombre fana-
tisme. A la tête de ces vétérans chevauchaient des géné-
raux renommés, portant le haut gorgerin et la cuirasse damas-
quinée : Sanche d'Avila, Christophe Mondragon, Julien Romero,
François Verdugo, Ies deux fils du généralissime : don Frédéric
de Tolède et le grand prieur don I'ernand. Le chef lui-même,
'don Ferdinand Alvarez de Tolède, appàrut sous les traits
d'un grand vieillard d'une soixantaine d'années, d'aspect sec
et froid, ag visage tiré s'allongeant encore par une barbe
pointue et une moustache tombante; I'anogance et Ia dureté
brillaient dans ses yeux eaves.
Pour mieux réussir dans I'exécution tle ses machiavéliques
projets, Philippe ff avait imaginé toute une comédie. Il avait
fait demander officiellement au roi de France des passeports
pour aller directement d'Espagne dans ses Etats de par deçà;
en attendant son arrivée, Marguerite de Parme devait rester
à son poste, d'Albe ne serait que le commandant général des
troupes, chargé d'agir ( avec toute humanité, clouceur et voye
de grâce, évitant toute aigreur r! Pendant les jours qui sui-
virent son arrivée, le duc cl'Albe donna des fêtes superbes et
dupa les naïfs par sa politesse raffinée. '
Cette mise en scène dura une quinzaine de jours. Nanti de
pouvoirs illlrnités, d'Albe préparait entre temps la réalisation
de son programme cle terreur. Partisan fanatique du pouvoit'
absolu, catholique fervent, Espagnol de race, il éprouvait une
joie férOce d'avoir été choisi pâr son maître comme exécuteur
d'une tâche < sacrée >. fl avait, de plus, par son caractèr'e glaelal'
hautain, intransigeantr' par son tempérament sobre et reglét
' de multiples raisons pour haïr les Relges. Il était décidé, s'ils
devaient résister, à mettre en æuvle toutes ses capacités mili'
taires et toutes les ressources de sa calme et audacieuSe énergie.
Le 9 septembre 1507, jetant le masque, il fit arrêter les
250 _
comtes d'E$mont et de Hornes et institua, contrairement
aux privilèges du pâys, rm tribunal extraordinaire, Ie Conseil
des Troubles, chargé cle connaître des crimes politiques :
participation au Compromis des Nobles, aux excès des icono-
clastes, etc. Composé d'une dizaine de membres : le vice-pré-
sident don Juan de Vargas, fieffé coquin, Del Rio, Ronda et
(I'h,oto Girattd'on.)
PHILIPPE, ' L^MORAL,
COMTÊ DE HORNES CO]VTTE D'EGMONT
(D'a,près le Recueil tl'Arras.)
(I) FiIs rle X'erdinand 1er, l€ frèro pulné de Charles-Quint (R. 1556'1564).
gaximillen II régna de 1564 à 1576, Voir le tableau généa,logique, p. 201,
-261-
chevaliers de Ia Toison d'Or, justiciables du roi seul!Leur mtrg,
Ieurs serviees, leur mérite, leur innocence surtout, eussent dfi
les préserver d.'un'sort ignominieux, Ils n'étaient ni hérétiques,
ni rebelles. En les frappant, Philippe fI voulut montrer que sa,
colère nlépargnerait personne. Mais il fit de ees deux illustres
victimes, qui moururent avec drgnité, des martyrs, auxquels I'e
clergé osa faire des obSèques solennelles et duxquels Ie peuple
vouâ un culte fen'ont. La postérité doit unir à ces cleux noms
ceux cle deux malheureux seigneurs : le rnarquis de Ber$hes
et Florent de Montmoreney, baron de MontiÉny, dont les
contemporains ignorèrent I'affrcux destin. Enr,'oyés en mission
auprès de Philippe If, lors du Compromis des l{obles, Berghes
et Montigny avaient été gracieusement reçus par le roi. Mais,
retenus sous divers prétextes, ils s'étaient bientôt aperçus que
le perfide monarque les gardait en captivité. Berghes mourut
de maladie en Espagne, en 1567; Montigny, arrêté en sep-
tembre 1567, resta en prison jusqu'en 1570. Alors seulement,
le tG octobre, Philippe II te fit étrangler secrètemcnt dans un
des cachots du château de Simancas, près de Valladolid, et fit
répandre le bruit que le jeune seigneur était mort d'un mal
inguérissable. Pour accréditer cette version, le souverain ne
recula pas devant une sinistre comédie : il fit envoyer un méde-
cin, porteur de médicaments, à la pridon de sa victirne.
Pendant trois ans, de 156? à 1569, les exécutions aux Pays-
Bas firent rage. On évalue à près de huit rnille le nombre
des personnes exécutées et dont les biens furent confisqués sur
les ordres du Conseil des Troubles. Appuyé par une armée
nombreuse, informé de tout par une nuée d'espions, le dûc
d'Albe était maître de la situation dans les villes et les eam-
pagnes. Mais dans les régions les moins habitées, il se forma des
bandes de partisans : exilés, fugitifs, contumaces, calvinistes
sineères, coudoyant des .chômeurs et des aventuriers en hail-
Ions. Ces bandes de Gueux des bois (bos[uillons ; boschgcuzen)
entreprirent contre tes Espagnols une guerilla aceompagnée de
meurtres d'ecclésiastiques et de pillages de petits monastères.
Entre temps, le prince d'Orange s'était mis corps et âme au
service de la plus noble des tâches : I'affranchissernent des
Pays-Bas. Pour lui,nature pratique et opportuniste,la question
religieuse était secondaire; avec un peu de bonne volonté réci-
proque, on pouvait toujours, croyait-il, la résoudre dans Ie
*, 262
-
sens de la liberté et de la (olérance. L'essentiel, pour loinstant,
était de vaincre la tyrannie espa$nole et, pour ce faire, il
ne pouvait rencontrer de meilleurs auxiliaires que parmi les
protestants d'Europe : huguenots de I'amiral Gaspard de
Coligny, princes réfortnés du Saint-Empire, sujets anglieans de
la reine Elisabeth d'Angleterre. Il avait levé des mercenaires
allemands, engâgeant ainsi largement sa fortune personnelle,
avait rassemblé des partisans et tenté, dès.1568, une invasion
des Pays-Bas sur plusieurs points. L'entreprise eut un début
favorable : tout au nord, Louis de Nassau, venu de la Frise
allemande, battit les Espagnols, le 24 mai, à Heyli$erlée'
dans un combat oir périt le jeune Adolphe de Nassau, frère
du Taciturtre. IVIais bientôt le duc d'Albe arrivait avec des
fenforts. Louis, vaincu à Jern$urn (Gemmingen), le 2l juillet'
dut .battre précipitâmment en retraite. Le prince d'Orange
lui-rnême avait esquissé ull mouvement offensif vers le eentre
du pays, par le Limbourg. Ses soldeniers, reerutés trop à la
hâte, se disper!èrent sans combattre.
f,e duc tl'Albe triomphait. Il se fït ériger des stâtues, cou-
vertes d'inscriptions laudatives, à Anvers et à Bruxelles.
L'archevêc1ue de Malines lui remit, au nom du Souverain
Pontife, une toque et une épée, comme défenseur de la Foi.
C'est à cette époque qu'il osa écrire : < Les peuples sont très
contents et il n'y a pas au moride une nation plus facile à gou'
'verner que celle-ci quand on sait la conduire. rr
De pressants besoins d'argent amenèrent le duc d'Albe à
faire, en 1569, un nouvea,u pas dans la voie du despotisme. Il
remplaça les anciennes aides, consenties périodiquement par
les Etats généraux ou provinciaux, par trois irnpôts perma-
nents : le centième deniet (l "/ù prélevé une fois pour toutes
sur la valeur de tous les biens; le vin$tlème denier (5 %) dû
par le vendeur sur la vente de ses immeubles; le dixième
denier (10 %) perçu'sur la vente de tous biens meubles, mar-
chandises et denrées alimentaires. Ces impôts étaient très
onéreux; en les établissant, le gouvernement frustrait nos pro-
vinces de leur droit le plus précieux, le droit de subside,
étroitement uni au drolt de rernontrance, instrument de
contrôle des âctes du souverain. Aussi provoquèrent-ils une
vive opposition. Menacées de saccage, les villes cédèrent les
unes après les autresr mais l'irréductible opposition des Nations
: __269_
de Bruxelles et de Louvain eontraignit le duc d'Albe à retarder
de deux ans I'application intégrale de ses nouvelles mesures
fiscales. Entre temps il essayait, en 1570, de se concilier les
esprits en envoyant à la potence quelques officiers de justice
trop féroces et en proclamant un a pardon r dont les innom-
brables restrietions stimulèrent la verve des satiriques.
A la fin de I'année l57l,les nouveaux impôts entrèrent déd-
nitivement en vigueur. Aussitôt les transactions eommereiales
cessèrent, les boutiques restèrent closes ainsi que les ateliers,
le peuple supporta stoiquement les plus cruelles soirffranoes.
Pour'se donner du courage, il chantait :
( HelTtt nu U zelf , zoo helTrt U God
agt der tyrannen band en slot
Benauwde Nederlanden.
Gij draagt den bast al om uw strot
Rept fl,ults uw ororne handen (t), >
(l) Aidez-vous vous-mêmes, ainsi vous aid.era Dieu Eors des llens et
velrous du tyran Pays-Bas oppressés. - la corde d.,écorce
portez déjà
-
&utour de votre cou Remuez vite vos-Vous
mains pieuees,
-
264 ---
-
immense. Le 6 awil, F'lessingue se souleva, le 8, Rotterdam,
le 10, Gouda. Bientôt tbutc la Zêlande et la Hollande, Pro-
vinces ori le calvinisme avait fortement pris racine, furent en .
ou le refrain guerrier :
LE GOTJVDRNEMENT DE REQUESENS
(r 573-r576.)
LE
GOUVERNEMENT
D'ALEXANDRB FARNÈSE DE 1578 A 1585
_288_
La eampagne de t58t débuta par le siège de Cambral.
Etant accouru au secours de la place âvec quatotze mille
hommes, le duc d'Anjou força Farnèse à la retraire (aorît).
Par Oontre, Ia ville de Tournal, vaillamment défendtre par
Christine de Lalaing (en I'absence rle son époux, le pr.ince
d'Epinoy, gouverneur de la place) ainsi que par Ie seigneur
d'Estrayelles, dut capituler le B0 novembre.
L'année suivante, les opérations languirent. Le duc d'Anjou
en proflta pour essayer de réaliser sournoisement un projet
qu'il caressait depuis peu. Devenu plus populaire depuis son
sueeès de cambrai, ce prince aurait pu songer à mieux asseoir
son autorité dans les Pays-Bas si son gofrt des aventures chimé-
riques ne I'efrt eonduit en Angletene dans le dessein d'y époùser
la reine Elisabeth. Gracieusement reçu, mais tenu en suspens
par des délais répétés, d'Anjou était, de guerre lasse, revenu
dans nos pmvinces. Le'prinee d'Orange lui avait préparé à
Anvers un accueil triomphal (rg février rs82). cette réception
lui communiqua I'irnpression que les Belges se plieraient aisé-
ment à un régime de monarchie absolue. voilà donc le duc qui
se met à recruter des suisses et à distribuer des subsides à ses
affidés. Soudain, dans la nuit du 16 au l? janvier l5gg, les
mercenaires du duc, âu nombre de dix-sept compagnies, se
répandent dans les rues d'Anvers et veulent s'emparer des portes
et des édifrces publics. Mais la bourgeoisie, depuis longtemps
défiante, veillait. Avec une belle ardeur elle s'arme de piques
et de mousquets, tend des chaînes dans les rues obscures et
entame un eorps à corps avec les reîtres français, teutons et
helvétiques. Cette chaude alerte, surnommée la Furie fran-
çaise, se termina par la déconfiture complète du perfide Valois.
ses troupes débandées se jetèrent du haut des remparts dans
les fossés; ses capitaines, qui pendant la même nuit * avaient
pris de force possession de la- plupart des petites,villes de Flan-
dre, durent remettre leurÊ armes aux milices bourgeoises;
d'Anjou, iui-même, devenu aussi ridicule qu'odieux, dut quitter
juin (r).
Ie pays Ie 28
Peu à peu les aeteurs des premières phases de la grande .
révolution du xvre siècle disparaissaient. Les promesses de
Philippe rr avaient déjà armé le bras de plusieurs assassins
+ . -J"f;*1"t".,,Ël"o'?ut"nià"".iffi:: tË
peuple; le pays est ravagé par les
troupes d.u roi aussi bien que par las
"tto"-b',ïtèxandre tr muÈsn, 15g6. )
CHAPITRE PREMIER
stratège calrne et réfléehio bien fait pour jouer un rôle dans les
guerres de sièges, savantes et méthodiques, de l'époque. Après
qu'une intrigue de Cour eut f'ait tornber Spinola. (1628), Fré-
rlérie-Henri reprit I'avantage.Il reconquit Bois-le-Duc (1629)
Venlo, Roermond et Maastricht. (f682). Le roi de France
Louis XIII (R. f6f0-f643) lui fournissait des subsides. Cette
politique était inspirée par un ministre ambitieux,le cardinal
de Richelieu, qui s'était juré d'humilier la Maison cl'Autriche.
La perte de Maastricht irnpressionna beaucoup les Belges.
Pour eux, I'ennemi national, maintenant, c'était la Hollande,
la patrie de ces marchands calvinistes qui avaient ruiné
Anvers. Ils avaient vu, avec colère et dégofit, un ineapable, Ie
marquis de Santa-Cruz, abandonner à son sort le défenseur de
- Maastricht, lc baron de Lède. un vaillant Franc-Comtois. Ce
tnême Santa-Cruz n'avait point bougé alors que Ferdinand fI
lrvait envové au secours de la place Pappenheim, I'un de ses
rneilleurs généraux de cavalerie !
Le mécontentement public se manifesta de plusieurs manières.
Il y eut doabord quelques conjurations de nobles. Ifenri,
cornte de Bergh, neveu du Taciturne. et son ami René de
Renesse, eornte de Warfuzée, aventurier sans scrupules, imagi-
nèrent. de négocier en secret, à La llaye, avec des hommes
d'Etat hollandais et I'ambassadeur français, en vue rl'un partage
rle leur patrie entre les Provinces-(Jnies et Ia France. Le lB juin
1632, ils se trouvaient à Liége, d'oîr ils appelèrent le pays à la
révolte eontre I'Espagne. Leur appel resta sans écho. Ils durent
se réfugier dans les Provinces-Unies.
Plus sympathiques furent le comte d'Egmont, le prinee
d'Ilpinoy,le comte de Hennin et quelques autres, qui formèrent
Ia < Ligue wallonne > et s'abouchèrent confidentiellement avee
le doyen de Cambrai, Phiiippe de Carondelet, pour éIaborer un
plan d'expulsion des Espagnols avec I'aide des Français et poqr
fonder un Etat belge fédératif et indépendant (l). Le manque
de solidarité, de hardiesse et d'appui, fit échouer cette géné-
. l.**
(1) Les u Dunes ), au la,rge des côtes du comté cle Keut (Arrgleterre).
-804-
b) Il cédait aux Provinces.Unies la Flandre zplandaise (t)
(métiers d'Axel et de Hulst); tout le nord du Brabant, e'est-
à-dire le marquisat de Ber$en-op-Zoorn, Ia baronnie de
Bréda, le quartier de Bois-le-Duc, la ville de Grave;
Maastricht et les trois quartlers d'Outre-Meuse : Fauque-
mont, Rolduc (Herzogenrath) et Dalhenr.
c) Il admettait que les bouches de l'Escaut et les canaux
y aboutissant fussent cléffnitivement r< tenus clos du costé
des Seigneurs Estatz )).
. ,r**
Retournons maintenant à quelques années en amière pour
examiner dans son ensemble le eonflit -- de date plus réeente
entre la f,'rance et I'Espagne. Le 15 avril 163{, Richelieu
-
avait conclu avec les Provinces-Unies un aceord suivant lequel
les deux contraetants, reprenant un projet déjà nourri par le
Grand Pensionnaire Oldenbarneveldt en 1602, se proposaient
de créer une république catholique indépendante, formée
des dix provinces des Pays-Bas espagnols, a cantonnées r à la
mode suisse (2). Les Relges auraient dfi accepter Ie protectorat
franco-hollandais et consentir à d'importantes cessions terri-
toriales au profrt de Ieurs deux voisins; en cas de refus, ces
derniers se seraient sans plus de façons partagé nos provinees
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-306-
suivant une ligne allant de Blankenberglte, par Rupelmonde, à
Luxembourg (f )! Bien que tentt secret, ce projet, longuement
prén'rédité, était venu à la connaissanee de I'Angleterre, qtri
s'apprêtait à s'y opposer. r< Le roi (Charles Ier), r écrivait
déjà en 1632 le diplomate hollandais Grotius, < acceptera
tout, sauf la remise entre les mains de la France des ports de
Flandre ,.
Le 8 février 1635, la Frauee s'alliait ouvertement aux Pro-
vinces-IJnies; le Roi Très-Chrétien se prononçait en faveur des
protestants du Saint-Empire contre les deux branches des
Habsboutgs. C'est ainsi que la Belgique fut appelée à jouer un
rôle dans la quatrièrne phase de la guerre de Trente Ans.
Ce fut pour elle un immense malheur, car non seulement le
conflit ne l'intéressait pas directement, mais la guerre avait pris
en outre un caraetère plus berrible que jamais. Sous I'influence
de généraux remarquables, tels que le roi de Suècle Gustave-
Adolphc et son aclversaire Wallenstein,la stratégie était devenue
nrobile et pleine d'imprévus. Les troupes opéraient de conti-
nuelles u passades et repassades >..Les batailles étaient ardentes.
' Piquiers, coiffés de capelines de rnétal coniques de forme polo-
naise, et mousquetaires à culotte bouffante et large baudrier,
garni rl'nn clavier de poires à poudre, fbrmaient -- réunis
-
des sér'ies de carréso disposés en quineonce. Fixant leurs pesants
rnousquets à rouet ou à mèche sur des fourquines (fourches),
les mousquetaires entretenaient un feu nourri, eue venaient
interrompre les charges de eavalerie de I'adversaire.'Alors ils
rentraient préeipitamment dans les carrés et les piquiers
scrrant les rangs -
présentaient le hérissement de letrrs arnres
-
à I'ennemi. La bavalerie, portant la demi-armure et coiffée de
lêgères bourguignottes, chargeait indifféremment I'infanterie,
l:l cavalerie ou les'lourdes pièces d'une artillerie assez peu mf-
niable. Parfois s'engageaient eptre lanciers, pistoliers ou cara-
bins, des mêlées inextrieables datts lesquelles les soldats em-
ployaient l'épée, la dague, la carabine et l'énorme pistolet
d'arçon.
Pour Ia noblesse, qui pratiquait la guene comme un sport,
(1) Le g'ouYerrleur des amtes était un chef militaire dont parfois I'autorité
égala et même srupa,sse celle d.u gouverneur général.
(2) Sur l'Escarrt, entre Cambral et Valeneiennee.
309
-
I'appeler le cæur de la France... r Cette doctrine des u fron-
tières naturelles u filt adoptée par le roi Louis XIV dès que
son âge lui permit d'exercer une aetion politique (I).
PIus menacée que jamais, I'Espalnc s'attaeha avec ténacité
à la possession des Pays-Bas, base stratégique exccllente.
Pefiaranda, négociateur à Munster, déclarait tout net, en 1645,
qu'il préférerait donner aux Fra.nçais Tolède que Camtrrai.
La gueue reprit donc aveé une nollvelle énergie, mais elle
n'amena plus aux Espagnoh que tles défaites. Le 19 mai 1643,
les viêux et redoutables régirnents wallotts du eomte de
Fuentès furent éerasés à Rocroi (2) par 'le jeune Louis de
Condé.
De 1644 à 1646 le gouverneur générur.I rnarquis de Castel-
Rodrigo perdit Dunkerque et beaucotrp de places fortes en
Flandre française et dans la vallée de la Lys. Four en finir, les
armées françaises reçurent I'ordre n d'abaissir le petrple au
rang des animaux par le massacre et I'interdiction de tout
eommerce et de toutes communieations t (27 novembre f 645).
Philippe IV n'en persista pas moins à repousser les prétentions
françaises au congtès de Munster. Il nomma gouverneur général,
le ll avril 1647, un artlent défenseur de la Foi, le valeureux
archiduc Léopold-Guillaurne, lils de tr'erdinand II et frère
de I'empeieur Ferdinand III (R. f ffi7-1657).
Les traités de Westphalie (f643) ne réeoncilièrent pas I'Es-
pagne et la Framce. L'archiduc Léopold fut battu à Lens en
Artois, le 20 aofit 164'8. Le maréehal de câmp Beck, blessé,
mourut du chagrin d'avoir vu détruire ses rlernières bandes
wallonnes. Cependant Pltilippe IV s'entêtait. Réconcilié avec
Ies Prnvinces-IJnies, il était, libre d'irrtervenir en France oir
I'appelaient les intrigues de la haute noblesse coalisée eontre
Mazarin (F'ronde des Princes, 1649-1653). Mais la'Fronde fut
vaineue. Le 4 juin 1658, don Juan d'Autriche, bâtard de
Philippe IV nommé gouverneur général, et le prince de Condé
furent battus par le maréchal de Turenne à la bataille des
Dunes près cle Dunkerque. Cette fois le coup était décisif.
Le 7 novembre 1659, le roi d'Espagrle acceptait Ie traité cles
Pyrénées par lequel il abandonnait à Louis XIY tout I'Ar-
) Louis XIY, né en 16i]8, tnonta sur le trône en 1643 et mourut elr 1715.
("1
t**
Pendant la du xvrre siècle, Louis XIV, le
seconde moitié
<t établir I'hégérnonie de la France en
Roi-Soleil >, voulut
Europe. Pour atteindre ee but, il créa rltexcellentes armées
avec le coneours de son ministre de la Guerre, le nrarquis de
Louvois. Service des transports, munitions, pièces d'arbillerie,
discipline, rien n'échappait à I'attention de ee ministre. Il
irnposa I'unifbrme aux troupes : chapeau rond à larges borcls,
pourpoint bleu ou gris à basques et grands revers rouges,
eulottes eourtes, souliers bas. Cle type nouveau rlu soldat
français f.ut copié par les autres nations européennes. Les armées
rle Louis XIV avaient des génér'aux de tout premier choix :
le grand Condé,les maréchaux Turenne, Luxembourg, Bouffiers,
Oatinat. L'illustre Vauban fit adopter le système des fortifica-
tions à bastions et perfectionna I'usage du tirsil à pien.e par
l'adjonetion d'une baionnette. l,'art de la guerre dcvini
encore plus savant. La stratégie ne laissait rien au hasard;
elle eonsistait en sièges, en mouvement ingénieux des troupes
d'attaque ou de couverture, ell feintès, en démonstrations,
enfin aussi en batailles rangées. Mais ce tlernier câs était
évité le plus possible,'les armées vaineues ne pouvant êtrc
reconstituées qu'à grand'peine. Les lois de la tactique, non
moins minutieuses, voulaient que l'on rangeât I'armée en deux
lignes parallèles, I'infanterie au centre, la cavalerie arrx ailes.
I'artillerie dans les intervalles, les dragons (troupes combattant
à pied et à cheval) aux deux extrémités. Ohaque régiment avait
sa place déterminée, les Gardes flgurant aux postes d,honneur..
ces dispositions ftrrent imitées non seulement par les ailiés rle
Louis XIV, mais même par ses plus aeharnés adversaires.
Que pouvait opposer I'Espagne à pareil cnnemi? Depuis la
(1) Par ce traité l'Ilspa,gne perdit arrssi lc Rous,sillon rlans l,anglc rrold-est
des Pyrénées.
-$lt-
journée tles Dunes, elle n'avait virtuellenrelt plus d'armée !
Les Pays-Bas étaient sans défense, proie facile offerte attx bon-
voitises du Roi-Soleil. Trois fois, de 1662 à 1669, le Grand
Pensionnaire des Provinees-IJnies, Jean de Wit, leur <iffrit,
d'aceord avee la Franee. de se constituer eII lln petit Btat-
tarnpon, étriqué et sans inflépendance réeller, selon la formule
tlc l6il-tr. N'obtenant pas dè succès, il invita Louis XIV à un
lrartage cle nos provinces suivant 1ne ligne d'Ostende à Maas-
tricht. Mais dès le début du règne du stadhouder Guillaurne III
(R. 1672-1702), les Hollantlais. clirectement menacés par .la
Ir'rance, renoncèrent à ccs machinations et résolurent d'aider
vi$oureusernent I'Espa$ne à conserver les Pays-Bas'
< Il v.lut mieux, ) allait bientôt écrir:e le Grand Pensionnaire
hollandais Gaspard Fa$el, < se déffendre à Bruxelles ou à
i\nvers qu't\ Ilrécla ou ir l)ordrccht l. Cette intervention f'roi-
clement intéressée nous sAllva, mais nous la payâme3 cher'
f)'autre part, I'Angletrrrre, fidèle à ses traditions, allait aussi
<:onrbattre les projets de Louis XIV. E,n 167?, I'ambassadeur
rlc F.ranee écrivait au ministre M. de Pomponne : < Les Anglais
rkrnneraient tout, jusques à la chemisc, pour empêcber la
lr'ranee de pénétrer aux Pays-Bas. r Itrt l'année cl'après, le'roi
Llharles II d'Anglebcrre (R. f660-f 635) disait au Parlement : .
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CHAPITRE III
LA PoLITIQUE INTÉRIEURE DE L'ESPAGNE
AUX PAYS-BAS, DE 1633 A I7I5
(l ) " lrtanger àr, la flamanilc, à la uranière cles porcs. , Notons qrie les Dgpa'
Enols rlésignaient par tr'Iundes Ia totali(é des Pays-Bas et par Flo.mencos
totrs les habita,nts, tant \Yallons tluc }'lama,nds.
F. VAN I{ALKEN. III.qTOIRI.) Dli: BnI.(;IQUIC: 1924. ll
- -
'l
322
-
la nomination de Belges aux f<rnctions piovinciales et commu-
nales. Il n'en fallait pas davantage pour clonner satisfaction à
nos aîeux alrattus et deprimés. L'Espagne et les Pays-Bas
étaient toujours d'accortl sur le < faict de la religion r; ils riva-
lisaienf de zèle catholique. Que la guerre sévit dans nos parages,
les Belges ne pouvaietrt en vouloir à I'Espagne, puisque, depuis
1695, celle-ci se tenait sur la défensive. Aussi, chaque fois que
le gouvernement fit preuve de quelque énergie, eut-il nos pères
à ses côtés.
Joignons à ces éléments de rapprochement le fait que les
Belges étaient très sensibles aux u martières douees et gra-
cieuses > et qu'ils se sentaient flattés lorsque les rois leur adres-
saient des éloges hyperboliques, déclaraient nos provinces n el
apoAo g segrtridad de. la Monarchia (l) > ou les plaçaient, en cas
d'extrême danger, sous le patronage de saint Joseph. Quelques
pensions et titres pompeux décernés artx nobles et aux riches,
quelques sermons dynastiques et réjouissances populaires à
I'usage des pauvres, suflirent pour entretenir, au sein de nos
populations anémiées, lrn loyalisme tiède sans doute mais indé-
racinable.
D'ailleurs, la fatalité s'acharnait à tel point sur nos pères,
que le régime espagnol, une fois dispartt, leur parut digne de
regrets. Après I'invasion française de tTOl nos institutions
furent bouleversées, notre pays sounris aux lois du tirage
au sort et nos privilèges annihilés parce que ( établis par le
caprice et.l'insolence des peuples )). La Conférence anglo-
hollandaise n'en agit pas mieux ayec nouso de 1706 t\ 1714.
De là des conflits incessants, car les Belges, quoique tombés atr
bas de l'échelle des lrumiliations, restèrent toujours rebelles
à la force brutale. C'est t\ juste titre que le comte de Valsasine,
maître de camp général des Impériaux, pouvait écrire à Char-
les Vf, en, 1714, à propos de ses nouveaux sujets : < L'aflabilité
et la bienveillance ont des.attraits pour les Flarnands qtti les
lient et les attachent inviolablement au souverain. >
(1) Spire : sru le Rhitr, ert aval cle Strastrourg. Wetzlar; en Prusse, sur
-
la Lahn,
-- ir25 --
avaient des goûts rle potentat; ttès attachés à la religion, ils
soutenaient I'Itrspagne; les jésuites et les earnles.
Le premier d'entre eux, Ernest de Bavière (R. 1580-1612),
fut Ie moins despotique. Courtois, charitable, d'esprit eurieux,
il sut éveiller les sympathies et eut un règne assez lreprenx.
Au clébut du xvne siècle, il vit croître I'agitation populaire
contrc le régime électoral presque toujours en vigueur dans la
calritale depuis 1424. Ce régime transactionnel, connu sous le
nonr de rt Rêgiment cle Heinsberg u (voir p. 162), avait été tota-
lement vieié au cours des temps : les trenteldeux éleetertrs
rnuneipaux éta.ient achetés lrar les agents du prince; un an
d'avance on connaissait en ville les noms <les deux futurs rnaitres
à temps (bourgmestres)! Iirnest de llavière, impressionné lrar
quelques émeutes, clonna aux f,iégeois le Rè$lement de 1603
(f4 avril) qui abanrlonnait aux trente-deux nrétiers l'élection
cles dettx bourgûestres et du C-'onseil des trente jtrrés de Ia'
trité (l).
Le successeur d'IJrnest fut son neveu Ferdinand de Bavière
(R. f6l2'f650). Pas plus que son prédécessettr, ce grand sei-
gneur rnondain n'avait été ordonné prêtre. Pendant les vingt-
trois premières années de son règne, il résida six rnois dans sa
principauté ! Cet étranger s'intagina pouvoir éteindre chez les
Liégeois le gofit de la liberté. Il restaura le Régiment de Heins-
berg en 1613. f,es métiers exigèrent le maintien du Règle'ment
<le 16O3. Il se forma ainsi à Liége tleux partis :
a) Les partisans du prince despote. Ils se recrutaient parmi
les nobles, les membres du clergé, les gens les pltrs dévôts, les
grands bourgeois hispanophiles. Comrne ils formaient des com-
pagnies militaires ltabillées de noir et à bas blanes, le rnenu
peuple les nonrma < hirondelles , : Chiroux.
à) Les <lémocrates. C'etaient les ( gens nrécaniqusn )), les
masses,plébéiennes, ainsi que les bourgeois secrèternent protes-
tants et les politiciens et avocats francophiles, hollandophiles,
hostiles au fanatisme religieux. IIs furent surnommés lcs
<Grognonsr:Gri$noux.
Après de longues querelles, le conflit entre Feràinand et le
(1) Trois rrrern}res devaient être tirés u,u sort ttans chaquc tuétier. Partri
ces Uonatrte-six, trente-tteux électertr,s seraigul, lirés zlu sort et ChargéS de
nolnmer les nraîtres à tetnps.
-- '*r9 __-
-- 32? - --
{
I)échëance rles Pays-Bas (p. 329). Etat de l'agriculture (pp. 329
et 330).
-
Rrilne du. commerce; fermetrure. de l'&scatt't; cntelle
-
politique éronomique des Puissances maritimes ; le corn nerce
aaec l'Dsptegne; défense faite au'nt Belges de fai'rc le commerce
unn Indes(p.3tl0). de I'industrie (pp- 33O et 33f ).
-'Décadence
.Inùtst iss 6liuuses (p. 3:lf ). _-_ Effort économiqrte du comle
--
de BergeAcl{ U697-t-7o0l (pp; :331 et 332).
Cnthol;icisation de Ia société (p. 3:12). Tri'omphe de I'Eglise
-
sous le règne des Arclûdtrcs (pp. 332-3:14). psvs(xution des
sorcie'rs (p. 3S4). La Cott des Atchid:trcs -
(pp. 334 et 335).
-
Les motles dans la première moitié et au mi,lieu du XVIIe siècle
-
(p. 335). La Cour de Maæitnilien-Emmanuel de Bauière;
ks rnodes -à h rtn du XVIIe sièck (pp. 335 et 336). l,tl611vs
rlc la noblesse (pp. 336 et 33?).
- de la
I'énibl'e si'fu'atùon
bourgeoisie (p. 3S7).
- peuple (pp. 337 et 388).
Mæurs.dtr' petit
-
Réaolte.s des mét:iers (p. 3S8). Sou'ffrances de kr, classe
-ru,rale; te banùitisme (pp.338 et 3Sg). - --- Ignorance et supers'
tition des foules (p. S39). Ca'ractèrc persistant de certaines
-
aerhrs des Belges (PP. 839 et 340)-
Clhical:isation complète de la aie i'ntellectuelle (p. S40). L)ensei-
gnement primaire (pp. 34o et 341). Les collèges -de iésaites
(p. 3 r). -
L'erz,seignern'ent supérieu,r (p. Baf ). I'e nw)ur)e'
-
ment scient'ifique; ses caractères générattæ (p. 84f- et 342).
Le bsi,arvism,e et Ie iansénism'e (p.}az). Les hagiographes -
(p. 8aS). .Iustn-Lipse (p. SaB).
-
Les iuristes (pp. 843
- -
-- ;J!9 --
(1) Ires prernières machinee d'exh&ure, utilisées pour pomper l'eau dos
uriDes,lurent mises en actlon yere Ie milieu du xvuu sièclc.
Ql Le eana,l d.e Oand à Ostende avait été creusé de 1613 à 1666.
-- 332
-
-l,'élcclerrr avait txrp <le zt\le ù 1r", ttssez rle sérietrx r; 'les
<
rnétiers lrnrxellois, conservateurs et liarticrrlaristes, firent échec
arr ministre novatetrr et ineompris (25 mai 1699); I'Espagne,
trcuscrrlée rlans'son inertie, vit avec'joie disparaître Bergeyck;
enfin, I'Angleferre et les Provinces-Ilnies firent tomber la jcune
cornpagnie des Indes et dénoncèrent eomrne ttn c(ts?rs lrelJi tout
essai d'aehèr'emerttt cltt eanal vers la nter !
.'***
Dcux grands phénornènes sociaux caraetérisèrent I'histoire
tles Pays-Bas art xvrre siècle :
10 La catholicisation de la société;
20 L'abaissement du niveau social par suite des malheurs
du temps.
Les victôires d'Algxandre Fartrirse et le clépart génértrl des
lxotestants à la lin rlu xvre sièele avaient totalement transfornté
la société belge. A I'avètrernent des Archiducs, elle ne compre-
nait plus que des catholiques. A partir de ce moment les
placards eontre Ies hérétiques tombèrent done en désuétude.
Certes, il y eut toujottrs dans nos contrées, surtout après la
paix avec les Provinees-tlnies, - comrntlnautés
de minusculcs
pr<ltestantes, tolérées parce quc-ne eausant ( atlcun scandale r.
l\{ais en fait la pratique du catholieisme romain rtevint la con-
rlition primordiale de tortte existenee tolératrle. A la rnère qui
rre se fut pas engagée à faire baptiser son enfant la sage-femnle
devait refuser tout secours; all patrvre dont I'enfant négligeait
cle fréquenter le cours cle catéchisme le clergé interdisait les
secours de bienfaisance. Nulle fbnction publique n'était acces-
sible à celui qui ne suivait pas régulièrement les offices. Tel
r;ui repoussait le sacrement de I'extrême-onction se voyait
refuser une sépulture convenable.
Vint le règne des Archiducs sotrs leqtrel I'Eglise, toujours si
frrrte <lans nos provinces, atteignit une puissance incompa-
rable. Véritables < apôtres de la tr'oi r, Albert et Isabelle veil-
lèrcnt ù ee qrte les tléfinitions dogmatiques et les réformes
disciplinaires du concile de Trente (r545-r563) fussent stric-
tement observées. La bas clergé avait souverlt fait, preuvc
d'ignorance, de grossièreté, rle mæurs blânrables. Désorntais,
jji-l:J
-. -
élevés sévèrernent clans rles séruinait'es rénovés,
nner: les rneillertrs 'excmples :\ Ieurs otrailles' Ils
t la sout'ane noirc, se rasèretrt le visage, s'im1ro-
sèrent une trontenartee gravo et résert'éc' Le haut clergé
f.ut recnrté avcc soin partni les prêtres les plus intelligents'
Il fut intertlit aux fidèles cle se téunir rlans les églises pour y
câuser rle plaisirs ou d'a{Taires, d'y amener des chiens'
<1'y
(1)L,expreseionostdel'hlstoriencorrtemporairr(joss&rt.
.* 336
-
sages à manehes courtes et à taille de guêpe des favorites
Louis XIV, ntais les unes préférèrent les eoiffures à lon
boucles et les décolletages ronds chers à Madanre de Moptespan,
les atttres choisirent le
décxrlletage en ea,rré de
I\ladnme de Mainterron
ainsi rlttr: sa coiffnre célè-
lrre : la ftlntange, srirtc
d'aigletlr: corrrl-loséc <lcr
ttrrttrls ct cle ltt-ruclels su-
lrerposés, r'érrrris llal rrrr Iil
r['urr:hal.
Lt ltirtrtc rrolllesst, rlrr
xvn u sièr:le ilva it ('n -
r.olt' lrlillante allrrtt'l lcs
r, gnr rrrls-]Irilîtlt,s r, étuit'nl
adftÀ
* :JB-,j _
(1) r Les paysans s'égaudissent dans <te telles fêtes, A dùneer, sauter et
e'enivrer commo des bêtes. Ils doivent maiutenir les kermesses, Quancl bien
même ils d.evraient jetner et mourir de froid. ,
(2) . Jacco , devint plur tard. général au service de l'Autriche.
iJ40
- -
Belges.'I\lrjotrrs ils cortsen'aietrt Ia foi dans rlcs temps meillertrs
r:t, en les attendant, ils raillaiertt lettrs nraÎtres du ttrotnent par
des pamphlets, rles pasquilles circttlant'sotts le mantéatt. C'est
de l'époque rle f,ouis ,\IV que clate la narqttoise chauson fla-
nian<le de u Pierlala r, aux interminables couplets faisa,nt
allusion ii totts les événements pottt'caux. Dès <p'il se produisait
une acealmie, uos labottrettrs, nos marchands se remettaient
eour:àgeusement au travail, I)l'otr\rant que les rt:vers n'avaient
pas énervé lettr capacité productrice. Enfin. quoi cltt'il arrivât,
nos aïeux restèrent fiers. Il y a miettx qtte de la vanité froissée
rlans le refus des Ehrts provineiattx de reconnaître comnle gou-
verneur général définitif tttt connétable de Castille, parce qu'il.
n'est pas prinee clu sang (milieu drt -xvrre siècle). Même aux
jours les.pltts noirs, le Conseil cl'IJtat tient tête à la Conf'érenee
anglo-hollandaise (f 7ll-17f 2). Alors qtte I'arnrée espagnole aux
Pays'Ras n'existe plus qu'à l'état de fântôme, le feld-maréchal
eornte de Mérode-Westerloo en thit âprement respecter les
vieilles prérogatives parce qtt'elle est l'< armée du roi r. En I709,
il,u cours d'une tevue, il lui f'ait garder < la clroite et les honrieurs
sur plus de IOO,0OO honrnres >, Anglo-I{ollandais et Impériaux.
Ce souci cle la dignitdr sauva nos pères de I'eflbndrement nrtlral.
**r,
(1) Evêque d'Hippone, en Afrique. Le plus oéIèbro des Pèroc cle I'Dgllle
latine (354-430). Auteur de La CiU ilp Diat et d,es Qonfeesinrû.
-_ 843 ---
n\atrqtla,ient Certes llas <le cotlrag() cll ()es tclrlps rlcr tet'ribles
épidémies. Culottés et gantés <le pcatt. la tête en\reloppée dans
une sphère de cuir aux yeux tlg cristal ct au ncz en fornle cle
bec, n rempli de rnatières balsamiqtres rr, ils yisitaient les pesti-
férés. l\fais leur incornpétence'tlevant ces fléatrx était notoirc.
Pour les combattre, ils s'ingértiaient à inveuter tles retnèdes sau-
grenus : infection rle I'air en brûlant cles < choses puantes ));
remèdes contenant dc I'ail, fles,tronçlons tle vipère, tles seorpions,
bref des choses innrlnrntables, cztr < tant plus le goût en est
désagréable, tant plls est-il salutrrire l; eilplâtres cl'araigné'es,
ces bestiolcs ayant ( verttl Ina,gnétiqtte D polrr attiret rc ttlttt
le venin cle I'air irr{'ecté >. Lcs clnpiriques et les charlata'ns,
plus ignares eneore qtle les médeeins de earrièrc, rellcontraient
grânde f'aveur a11près d1 pu}lic qtt'ils dtrpaieni'par ltrrtrs itrcan-
.tations magiques et leurs charmes. I
LE RÉGIME AUTRICHIEN
(r7r5.r7s2.)
CHAPITRE PREMIER
LE RÈGNE DE CHARLES VI
(r 7r5-1740.)
(1) Polr la branche autrichienne des HaTrsbourgo alr xvIII' siècle, voir le
t,abkra,rt généalogitlue r\ la' fln dc ce chanit're'
,u^ur* période de répit. ;;-j","'r,n.avait q*,un bur : faire
pragrnatique sanc-
accepter par ses sujets et par l'Europe la
tion (r9 avril l?18), acte par Ieqrrel sa suecessio. restait, à
défaut de postérité mâle, assurée à Marie-Thérêse" sa fllle ainée.
Il ménagea donc ses anciens adversaires et flatta les puissances
maritimes, même au détriment de nos intérêts économiques.
Lors de la guerre de la succession de pologne (Izss-tt38),
épisode peu sanglant de la lutte séculaire entre la France et
l':\utriche, une convention entre Louis XV (R. lZlE-lZZ4) d'une
part, George rr, roi d:Angleterre (R. l.7r7-tz6o) et res provinces-
unies de I'autre, Iaissa heureusernent les pavs-Ras hors dtr
conflit.
Au point de vtre intérieur, charles vr poursrrivit une politique
assez lour.'oyante. ses hauts fonctionnaires, ignorants d.e la
mentalité belge, Iui conseillaient la sévérite. Le lieutenant feld-
maréchal eomte Lothaire de Koenigsegg, atlministrateur inté-
rimaire du pays en l?16, lui écrivait : < Le. gouvernement
tléftnitif que votre Majesté étabtira da.ns ee pays doit être
revêtu de beaucoup d'autorité et de pouvoir, afin qu'il soit
en état de se faire respecter et craindre. ;r L'Empereur, prince
sans grand génie, rnais doué d'assez de bon sens, trouva qu'une
( sage politique r devait faire preuve de mansuétude. < chaque
nationo r disait-il, <r doit être dirigée d'une rrunière appropriée
à son caractère et à I'esprit tlui I'anime ,. or, notre histoire
prouvait que nos aïeux avaient toujours été rebelles dux
< remèdes violents >.
. Tout comme charles rr, le.nouveau souverain, à son avène-
ment, fit prêter par ses représentants Ie serment de fidélité aux
chartes du pays; il respecta nos privilèges mais en eontourna
parfois I'application; il ne réunit point res Etats généraux; il se
défiâ moins cles rlelges mhis évita de les nommer on'grand
ttombre aux postes influents. Le conseil suprême des pays-
,Bas, à'vienne, dont relevait en dernier ressort I'administration
de nos prov-inees, fut, entrc ses mains, un instrument docile.
charles ne vint jamais dans les pays-Ras, Il y fut représenté
par un < $ouvemeur et capitaine $énéral )); en cas d'absenee,
le gouverneur était remplacé par un agent permanent du prince,
rappelant le secrétaire d'Etat et de Guerre : le Ministre pIé-
nipotentiaire. l)n 1718, I'Empereur créa un conseil d'Etat,
çomposé d9 nobles et de bourgeois éminents; il < ne s'y traii,a
- 1156 --
que des bagatelles u! En f725 déià I'Empereur rétablissait les
trois Conseils colla,tétaux.
Ce règne aux allures débonnaires eut cependant un début
sanglant. Notre gouverneur général, I'illustre prince Eu$ène,
occupé en Hongrie par la gr4ene contre les Turcs, s'était f'ait
représenter aux Pays-Bas par le Nlinistre Plénipotentiaire
Hercule Turinetti, marquis de Prié. Ce Piémontais arrit'a
en novembre l?16. Agé de près de soixante ans, fort intelligent
et habile, Prié était un ambitieux sans scruprtles. Pour satisf'aire
ses goûts fastueux, son arûour du jeu et toutes les passions
d'une vie déréglée, il se perdait de dettes et usait des procédtls
les plus sournois. I)e plus, il était nonehalant, se levait à midi
et indisposait son entourage par ses airs fiautains- Vénal, acri-
rnonietrx et despotique, il reçut bientôt du peuple le surnom
de r< Vilain TransalPin n.
Irritées déjà par I'hunriliant traité de la llarrière, mal conte-
nues pâr le Règlement additionnel de l?o0 (voir p. 388), les
Nations dc Rruxelles, craignant que Prié ne leur fib perdre lettrs
flerniers privilèges, entrèrent en corrflit avec lttio flès son arrivée,
pour une cause fUtile. Comrrtc d'habitude en câs rl'opposition,
ies Nations refusèrent clc payer le < gigot D. Prié décréta que le
gouvernement se passerait tlésorrnais {es Nations pour lcycr des
subsides. Un fabricant tle ehaises, doyen du métier des Quatre
Couronnés, François Anneessens' prit Ia tléfense des nrétiers.
C'était un homme pieux et simple, ennenri de la violence; il
connaissait dans le détail tous nos anciens privilèges et le peuple
l'écoutait comme un oracle.
Le conflit fut très long. En 1718, il y eut des troubles sérieux I
à lSruxelles la maison du bourgmestre fut saccagêe (24 mai), à
Malines la populace prit d'assaut I'arsenal (juin). Prié dut tolérer
que le service d'ordre fût fait par la garde bourgeoise' en rem-
plaeement de la garnison. Le l9 juillet, le bas peuple bruxellois
pilla la chancellerie de Brabant et, le lcnrlemain, pourstiivit ses
excès. F'urieux, Prié sollicita le gouvernement cle ltti envoyer tles
troupes, de lui permettre <le eonstruire une cil;adelle clans la
capiiale, de transférer le siège clu gouvernement à Gand, de
supprimer les Nations, les compagnies bourgeoises, et de punir
rigoureusement les principaux coupables. Atr débtrt de 1779'
qùatre régiments allemands arrivèrent de Hongrie avec mission
d'< employer le fer et le feu avec persét'érance D. Par une ruse
-- 357
-
odieuse, Anneesse's et quelques synrlics furent arrêtés
en ,lars.
cinqua'te doyens prirent la fuite. prié vourait faire un exemple.
Anneessens représentait à ses yeux I'opposition
communale et
tlémocratique. rl le fit accuser crevant Ie conseir de Braba't
cl'avoir fomenté des troubres et conspiré co'tre fa sfireté
de
I'rEtat. La procédure fïrt rongue et inique. on refusa un
avocat
PORTRAIT D'ANNEESSENS
pur Yan rlcr ]Jolcltt,,
(Calrinct tles crst:rnrties, Bruxeile;:.)
-. 359
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CIIAPITRE II
LE RÈGNE DE MARIE-THÉRÈSE
(r740-r780.)
(
En 1?23 le haut négoce belge fonda une compagnie Générale
Impériale des Indes pour trafiquer dans le Bengale et en
Extrême-orie4l. (s) >. Dn sept heures de temps, tout le capital
fut souscrit. Ilne flottille mit en relation Ostende
de onze navires
avec ulle série de comptoirs échelonnés du golfe tlu Bengale à
Canton. Cette courageuse'entreprise éveilla les défiances de nos
VOILE DE tsENI'DI(J'II0N
l)r.rrlellt rlc ISl.rrxtrllts it tt-r ftlscittt-x tlc lit 1tl'ttrliet t
(llr xYIIIe sièclc.
(-\l Lrsi't' tlrr ('irrrltl:tttlr'ttitit't', []r'lr-rt'lles')
-s69-
toiles de coton blanc teintes ou imprimées; courtrai fabriquait
les toiles écrues, c'est-à-rlire non préparées, et Audenarde les
nâppes à fleurages. ces industries provoquèrent le dévelop-
pdment parallèle de la bonneterie et de Ia blanehisserie.
Au xvrre siècre, nos ouvriers et ouvrières dentelliers,
'attirés en France
par colbert, v avaient mis à Ia mode le a point
d'Alençon r; de même nbs compatriotes énrigrés en êrinde-
Bretagne y avaient créé le < point d'Anglete*" o. Malgré cette
concurrence, le délicat < point de Bruxelles , et les jolies dentelles
aq earreau de Malines et de Ilruges furent rechLrchés par les
cl{sses supérieures, surtout par les cours princières des nom-
br'leuses fllles de Marie-Thérèse. Dans la capitale cette
industrie
tuxl occupait une quinzaine de mille ouvrières. En,revanche,
$!
Ia tapisserie <le haute rice, atteinte par la concur""r"" d",
coltols imprimés, des toiles peintes et des papiers dessinés, était
tofinbée en décadehce. La famille Brandt, d'Audenarde, per-
serera presque seule dans la confection des tapisseries à sujets
saprés, mythologiques ou rustiques.
porcelainier lilois peterinck fondait, à Tournai,
Pl 17f0' le
urfe fabrique de porcelaine en pâte tendre, bien.tôt célèbre dans
tofrte I'Europe. ses productions gracieuses en bla'c émaillé
ri$alisaient avec les figurines de sare et de sèvres. Trois simples
of"i"T' les frères Boch, fondèrent une mar'rfacture renom-
Tf" i sept-Fontaines, près de Luxembourg. ils se spécialisèrent
dahrs la fabrication des statuettes en biscuit et des fines
faiences
enlémail blanc à peinture bleue.
pans insister sur nombre d'industries nouvellês : extraction
dep minerais de fer et de promb, ardoisières et verreries dans
le
ya[s.wal.ton, notons aussi la brilante situation économique de
la principauté de Liége.
_ f-'3-ffiux des ouvriers flamands émigrés déveroppa Ïindustrie
Iafnière dans la vallée de la vesdre. En r7zs,u nùisort Biolley,
de Savoie, était le centre de la production drapière à
l:Tt":
v$rviers. EIIe exportait ses tissus jusqu'en Russie et en orient.
E4 1757 I'industrie verviétoise produisait annuellement sep-
tafte *i11: pièces de tissus de laine. A ra mort de Marie-Thérèse,
trÇnte mille ouvriers flleurs et tisserands, travaillant à domicile,
s'éprenaient dans vi'gt-cinq de verviers à Eupen.
troignons à ces éléments de'illages,
prospérité Ies tanneries, Ies quin-
cai]lleries et les clouteries. l)ans les charbonnages, I'exploitation
'qlFr ., '
-870-
des veines profondes était devenue possible depuis que I'on
avait remplacé les tonnelets servant à épuiser I'eau des galeries
par des pompes à feu, machines à vapeur imaginées en 1705
par le serrurier anglais Newcomen. Enfln, la vogue des eaux
' rninérales de Spa attira dans cette localité une brillante société
cosmoPolite.
***
La structure générale de la société fut à peu près la même
au xvûe qu'au xv[e siècle. Par suite de la décadence économique
qui accompagna les guerres de Louis xlv, l'argent était devenu
ùre et la propriété foncière avait augmenté de valeur. La
noblesse et le cl.er$é, maîtres de la plus gr4nde partie du sol,
reprirent leur prestile. Leur prédominanee, fortifiée par Ia
prédilection naturelle du catholicisme pour une société fortement
hiérarchisée, eut un earactère aimable, patriarcal. Dans toutes
les classes de la société les mæurs étaient simples, douces, le
niveau intellectuel médiocre; la vie avait un aspect réduit et
provineial'
Très attachée à ses souverâins, I'aristocratie cherche à main'
tenir ses vieilles traditions d'honneur et d'indépendance dans
les allures. Sous la gouvernante Marie-Elisabeth son a'mour-
propre fut très éprouvé. La rigide archiduchesse, qui avait fait
de la Cour < un eouvent de plus r, interdit les visites en car-
rosses à six chevau5 et défendit aux grandes dames de s'asseoir
en sa présence. son successeur, charles de Lorralne, avait
épou*é,rtt" sæur de Marie-Thérèse, I'archiduchesse Marie-Anne,
mais cette douce princesse était morte dès l7M. Itentré aux
Pays-Bas en 1749, charles avait alors trente-sept ans. Gran$,
fori, le visage couturé par la petite vérole, Ia voix rauque, le
nouvea,u goot""r"rr avait dans ses allures quelque chose de
fruste et de bourru. Mais ses manières étaient cordiales et
pleines de 'bonhomie. Il transforma son milieu en une < jolie
-co11",
g.aie, sûre, agrcable..., buvante, déjeunante et chassante >.
Deux compagnies de gardes du corps, la présence d'un nonÆe
et de plusieurs ministres plénipotentiaires donnèrent satiSfac-
tion aux esprits les plus ambitieux'
Dans Ie cadre verdoyant des parcs de Mariemont, de Ter-
vueren (ou de l,aeken, après 1784'), ou dans Ies salOns coquets'
':
.l
* szr -*
ornés de commodes, de bergères et de glu""r,t on vit alors se
mciuvoir une société pimpante de seigneurs çt de dames vêtus
à lp dernière mode de Paris : marquis et vidames à perruque
poudrée, petit tricorne, frac brodé, jabot de deirtelre, gilet et
culotte en casimir couleur ehair, bas brancs et souliers bas. à
haut talon; dames
àcorsageen pointe,
de taffetas rose tru
puce,largement dé-
colleté en càrré,
grand panier à t'al-
balas,irtrmense eoif-
fure poudrée s'éeha-
l'audant ( à Ia
Victoire ) oll r, ii
Ia Mappemondr: ,o
ttrouche ( assa;-
sitrc D Au coin de
l'æil. De grands
seigneurs rivalisir-
rent avec la, Corrr.
I,e rligne Léopold-
l)hilippe ri'Aren-
llerg, anri rle l-ré-
tléric II, le cer':rit
sonrlltueusentent
tla,ns son châteatr CHARLES-JOSEPH DE LIGNE
d'I)nghien. llIais (Cabinet des estar.rrpes, Bruxelles.)
nul n'était eapable Coiffure e t costume sont ceux deg
rl'égaler en luxe gens de qualité dans Ia seconcle moi.
tié drr xl'rrre siècle,
lc prince Charles-
Joseph de Li$ne, homme à la rnode, spirituel,léger, qui avait,
autour de sa résidence de Belæil (l), un parc dessiné par Le
Nôtre, tout à Ia fois mag.ifique et champêtre >. D'Are.berg,
<r
jésui o par
hn' quinze /r^ttÀa r.. .,i,, it r{r-
^',:^-^ Collèges dits < thérésiens D, inspectés pn*.i,', .,'.'^?.t1,
^^ 't/t.-
cles iastiques et des magistrats eorlmunaux
isiastiques (IZZE) a
eornmlrnarrx
rqu:\ (lZZ5).
\L,.{1. "i.Qt\nt,'<
i. -,,,.,,:.,(.tCw
PI routinière
r(,ur,rrrcre er
et peoanï,e
pédante que jamais,
Jamars, négligeant. de tenir'7I.ytt
tenir{;,4.i;,-f-*" L
co des progrès <Ie la chirurgie et cl'a,.tres sciences nou'elles,
ilfurîî
l'{J té de Louvain
r"sitÂrlrif r
se signalait par des
^".,^ln^^^:--^r-Ja--- rncrurs cilun a'tre dr!,Ityt "'i'u, I
i
age : de cruelles brimades, les < physications >, v accueillaient
les é rdiants nouveaux; les professeurs frappaient leurs élèr,es
et x-ci se mutinaient. Les Facultés rivalisaient en turbulence,
(1
D èreté et ivrognerie. En r7s4, Marie-rhérèse nomr'il rcr /
com de Nény eommissaire royal des études et tit relever,
par t homme éminent, le niveau de la discipline et des
leço
Ita, création par Marie-Thérèse d'une Académie rmpériale
et ryale des Sciences et des Belles-Lettres û6 rtécem-
bre I ) ne doit pas nous ill.sion'er. Le mo.vement seienti-
fique rsta nul. Au début du siècle, le cardinal-archevêqtre dc
Mal , Thomas de lloussu, srlr'nomnré n lg marteatr au lan_
senl e >, avait repris la lutte contre les partisans des doc_
trin de l'< Augustinus'. Irn lz2g, I'ilrustre eanoniste van
Esp , dit ( le docteur de toute la Flandre >, âgé de quatre-
vingt de.x ans et prof'essant à Louvain depuis cinqrrante ans,
avait été rér'oqué et moralenrent eondamné r\ l'exir (r). prtrs
' -875-
(Val-Dieu dans le pays de l{erve, Flo,reffe dans l'Entre-sambre-
et-Meuse, Orval au sud de Florenville), des fontaines gra-
cieuses couronnées de décorations allégoriques. Dans le pays
de Liége fleurit une coquette adaptation du gofit français aux
nécéssités régionales : ce fut le style Louis XV ( liégeots (f ) o.
Enfln certaines constructions subirent avant tout des influences
italijennes, témoin la cathédrale Saint-Aubain, à Namur,
con$truite sur les plans du Milanais Pizzoni. On y getpouve la
eoupole, Ies colonnes composites et Ies parois intérieures pIâ-
trées de stuc des églises romaines ou napolitaines de la période
de d8cadence.
Lb plus harmonieuse et vaste bonception architecturale du
régiine autpichien fut I'aménagement du quartier du parc,
à Bfuxelles, de l?74 à 1780. Un architecte français, Barnabé
Gulmard, ayant pour eollaborateurs Montoyer et fe Viennois
Ziniaer (ce dernier particulièrement pour Ie dessin du parc),
en fut I'auteur. C)n a eru retrouver dans le groupement des
pavfllons eubiques et des portes triomphales de la place Royale
une imitation de Ia célèbre place Stanislas, de Nancy. euoi qu'il
en goitr eet ensemble'de constructions_ classiques à frontons
triahgulaires, entourant un parc parfâitement dessiné et ouvrânt
verd Ia ville basse des perspectives inattendues, est d'une sobre
distlnction.
Pprmi les sculpteurs, certains perpétuent les traditions de
virtposité de leurs devanciers, dans le domaine de la décoratioh
eccfésiastique. Le Gantois Laurent Delvaux (t6gS-t?ZS)
sculpte un chef-d'æuvre : la chaire de vérité de l'église de
Sairlt-Bavon, à Gand (1748). Doautres s'orientent vers l'étude
de ['antique, mais tel que le conrprenàit I'ItaHen Canova,
Pou,bke (t 1809), de Dixmude, Gilles Godecharle (t?Er-
183f,), de Bruxelles. Ils font cles bustes, des groupes nrytholo-
giques pour Ies pares prives et des compositions allégoriques
pouf les frontons des bâtiments publics.
Lp, peinture se résume eir un nom : André Lens, d'Anvers
(f7q9-1822). Après un long séjour en Italie, Lens mit à la mode
ees grandes compositions pourléchées, de couleur fade et de
-
(p. S95). -- L'affaire de Fahnugne [22 septembre] (p. S95).
Effondrement de la réTtubtique des Etats-Belgiques [octobre-
-décembrel (pp. ii95 et 396). La restaurat:ion au,trichienne
(p. 396).
-
,fugentent sur la réaolution brabançonne; Ie senti-
-
ment patriotique ù cette époque (pp. 396:ljt98). tr.'in drt' régime
-
uutrichien [r79r-r792] (P. a9s).
lFn..:r"-"'-':'
I
I
302 --
-
à1x àfl1ées. Van tler I'{oot devint premier ministre; Van
Eupen dirigea les Affaires Etrangères'
ies Vonc,kistes ou Pro$ressifs ne pouvaient, comme nous
l,avons vu, compter qlte sur I'appui d'une élite. surtout poptt-
cle Van
laires en Flandre, ils possédaient aussi les sympathies
officiers, de Ia garrle bourgeoise de Bruxelles
der Mersch et de ses
et des membres des Loges. Parmi les rares nobles *onckiàtes
le grand-baitli du Hainaut Louis-Englebert, duc
figuraient
depuis l'âge de vinet-quatre ans, son t'rère
dT,renberg, aveugle
le comte àe La Marck, maréchal de camp dans I'armée fran-
beau-frère le duc d'I]rsel. Les
çaise et ami de Mirabeau, son
ûonckistes, clont le elub était la u Société patriotiqlle ))' se
scindaient en rarlicaux, dits tt or$anisateufs l, et etl évolu.
pour pro-
tionnistes ou < Intérimistes n. Les prentiers avaient
gramme celui des rlemocrates américains, anglais et de l'As.
en France : Unité des provinces' Droits
lernblée constitqante
de l,F{omrne, souveraineté du peuple, é$alité civile'
libertés individuelles, droits sociaux. IIs réclamaient uno
constitution ct une assemblée représentânt toute la
tration. Les < Tntérimistes >, atl nombre desquels flgurait
Vonck, se bornaient à réclamer lc doublement du chiffre
desdéputésduTiers,sansvou|birsttpprimerlestroisordres.
Rien au contraire, ils prétendaient renforcer le régime <les
troisor.dresenintrorluisantdansleslJtatsdesreptésentants
de toute la noblesse, rle tout le clergé, de toutes les
ville.s,
même les plus petites, et du plat pays'
LalutteentreStatistesetProgressifsfirttrèsâpre.El|e
commençapardesdiscours,rles|ibellesdiffus,despamphlets
4u jésuiie Feller, <les chansons, des caricatures et des polé-
miqires d,une grossièreté inouie du journal Brieaen aan (n
Hee,rKeurernenne(l).Danssonmandementdecarême,l'arche.
vêqrre de Maline* àé"lrm les \ronckistes ennemis d.e
la religion.
Le 17 février ]r7go, un comité ecclésiastique remit solennelle-
ment aux fltats fle Brabant rtne adresse, couverte de quatre
mille signatures, en fâveurl du màintien de I'ancien régime'
eent
Lel5mars,Voncketsespartisansripostèrentpa1unepétition
la modernisation de la
réclamant, en termes trt\'s pnt<lents,
_-394-
radicales. -Vingt mitle p&ysans, conduits par leurs curés à
cheval, envahirent Bru:(elles. Un capucin prêeha du haut de
la chaire : t< Tuer un Vonckiste, c'est thire æuvre agréable
à Dieu. n Le gouvernement se hâta cl'arrêter tous les signa-
taires de I'adresse du l5 mars et de proscrire du Brabant
deux mille Vonckistes. La foule porta des bustes de n Vader
Heintje ,r dans les cabarets, les entoura de cierges et les
fit baiser à genoux par les étrangers et les sceptiques.
Le StatiSme, appuyé par la u Terreur rurale >, fut toui-
puissant.
Mais tandis qu'il cherchait à consolirler par la violence
sa situation intérieure, Van, der Noot compromettait irrémé- '
diablement la cause de I'Etat belge à I'extérieur. Le nou-
vel empereur Léopold II (R. t?90-r?92) était un frère de
Joseph II. Comme grand-duc tle Toscane, il avait fait le
bonheur de ses sujets. Par un manifeste du 2 mars, il avait
promis aux Belges une amnistie complèle, la suppression
cles réformes de Joseph II contraires aux Constitutions
nationales, la. nomination cle Belges à tous les emploi3,
même à ceux de Plénipotentiaire et de commandant général
des troupes. Van der Noot avait repoussé ces offres avec
superbe, mais n'avait rien fait pour parer aux mgnaces qui
devaient y fairc suite. Pour leurrer le public, iI pretendit
effrontément avoir conclu des traités d'alliance avec la Prusse
et les Provinces-Unies; il rédigea même de faux rapports !
Au point de vue militaire, son impéritie fut plus criminelle
'aux environs
encore. Les Etats-Belgiques avaient rassemblé
de Namur une petite armée pleine de bonne volonté mais fort
bigarrée. En général, chaque régiment d'infanteùie, chaquq
tégion de troupes légères avait un uniforme aux couleurs de sa
province. Telle compagnie portait Ie tricorne Louis XV, telle
autre le bicorne Louis XVI, posé en travers, ou !e chapeau
haut de forme entouré cle rubans. Les hussards équipés par
I'abbaye de Tongerloo se coiffaient d'énormes t mirlitons >,
cylindres de t'eutre ornés de ganses tressées en cha,înette;
il y avait aussi des dragons, des chasseurs, des canonniers.
Laissés par le gouvernement dans un dénuement incroyable,
mal armés, mal équipés et peu exercés, les volontaires belges
n'étaient pas en état d'affronter le feu. Ils avaient pour mission
de < tenir Luxembourg bloqué dans Ie Iointain I (Venr Eurru).
-*395-
Le 28 mai, schoenfeldt esq'issa un mouvement offensif vers
Marche. rl reneontra I'ennemi près cl'Assbsse. < Au premier
eoup de eânon tous nos gens étaient à terre, r dut-il eonfesser
lui-même.
La révolution brabânçonne avait intéressé I'FJurope, le sta-
tisme I'éeæura. Louis xvl refusa de s'occuper des Etats-
Beleiques. Par Ia convention de Reichenbach (r), du 27 jrrillet,
I'Angleterre, les Provinces-unies et la prusse s'engagèrent à
garantir à Léopold rr'le rétablissement de son autorité. Les
statistes, se sentant perdus, eurent reeours à ra levée en masse.
La < Croisade de septernbre )) amena vingt mille paysans
sous les drapeaux. Leurs chefs étaient des capucins aux bau-
driers en cuir se eroisant sur leur robe de bure. ces volontaires
achevèrent de démoraliser I'armée. cependant schoenfeldt et
I'Anglais Koehler, chef de I'artillerie, avaient déjà entrepris
une nouvelle offensive, sur un très larg,e front, vers le sud-est.
cette fois I'armée des Etats avait été plus crâne. a on ne doit
plus se figurer I'ennemi comme des vauriens... > écrivait a.
conseil aulique (z) le général austro-berge de Baillet-Latour,
rt je n'ai rien.vu de plus beau que leur charge exécutée
dans
un alignement irréprochable... , La bravoure des volon-
taires rlamurois, les fameux < Canaris > ,de Dumonceau,
aux uniformes jaunes, ne put empêcher I'offensive trelge
-- dite I'affaire de Falmagne -_ de se terminer par un éehec
(22 septembre).
Le mois dloctobre nous rrrontre les Etats-Belgiques en pleine
clissolution. A Bruxelles, les paysans licenciés et les moines
font régner la terreur. un aclolescent, van Kriecken, accusé
d'al'oir raillé un capucin au cours d'une proeession, est rnis en
prison, puis lynché par la foule. La populace promène au bout
d'une pique sa tête seiée, ce que Feller lui-même confesse être .
une ( irrégularité , (6 octobre). presque au même temps, la
foule brûle une offre d'armistice émanant de Léopold rl (14 oc-
tobre); les Etats généraux, divisés juseu'au bout par cle mes-
quines discussioirs, persistent à réclamer l' < aneienne et légale
constitutiorr ,. A Ia fin de novembre se produit I'effondre-
ment. Le 25,Ie maréehal Bender entre dans Namur; Baiilet-
(1) VIN pnn Noo'r nlouprt clans I'o1bli en 1827, âgé tle nonante-gix ans'
y
à Strornbeek, au nord de llmxelles. - Voxcx refus& cle quitter Lille et
rnounrt en 1792. VAI\' Dr;n l\{nnson, détenu à Ath, puis libéré à la veille
-
rle l,arrivée des autriclûens, se réfwia à Lille, rentra triomphalement à
Bruxelles en février 1791 et y urounrt I'année suivante. SçH6SN1II':'LDT
-
rentra dans I'armée Prussienne.
se? __
llenlent du duc <l'Albe avait uni en trn I'aisceau tous les habitants
des Pays-Bas; la Furie espagnole avait eu pour conséquence
la Paeification de Gand! lVlais les progrès du calvinisme, son
esprit de prosélytisrne avaient plaeé les eatholiques des pro-
vinees clu Sud devant la cruelle alternative de rester patriotes r
<r
LA RÉvoLUTIow r,rÉcEoISE
(r789-rzer.)
i,TffiHî;:'Îii:''
CIIAPITRE PREMIER
LA PREMTÈRE oCcUPATIoN FRANÇAISE
(r7s2-r7ss.\
< tué la poule aux æufs d'or !r'fl désavoua publiquement, sur
la Grand'Place de Bruxelles, les < briga'nds >, promit leur châti-
ment, fit libérer les otages et rendre les objets sacrés aux églises.
Il n'en fallut pas davantage pour calmer les esprits. Les mutins
de Grammont se dispersèrent. Dumouriez se porta à la rencontre
des Autriehiens, mais auparavant, le 12 mârs, il plaida une
<lernière fois la cause des Belges. n Parcourez I'histoire des
Pays-Bas, ,r écrivit-il à la Clonvention, ( vous trouverez que le
penple be'lge est bon, trane, brave et impatient du joug l.
i:ir
,1!
i1
CHAPITRE II
LA RESTAURATION AUTRICHIENNE
(r?eB-r7e4.)
(f ) Au sud-ouost de tr'unres.
(2) Au sud.-est tte Maubeuge. '
IIs étaient donc rentiés pour la seconde fois dans les Pays-
Bas, ces républicains aux habits bleus râpés, artx épauiettes
de grosse laine et aux pantalons tle toile à rayures rouges.
Hussards aux eheveux tressés en cadenettes sous I'amrrsanf
, \
-4r5*
( mirliton r, artilleurs au
bicorne posé en bataille, défilaient
de nouveau dans nos rues, verbeux, pét'lants, fredonnant les
plus récents eouplets cle la < carmagnole >, superbes margré
Ieurs uniforrnes en Iambeaux
Tul*- quels, ces hommes allaient introduire dans res pa;rs-Bas
-
les principés de la vie poritique et sociale contemporaine.
suppression des distinctions d'ordre, du régime sei-
Éneurial, des privilèges, des corporations, des anciennes
juridictions compliquées et obscures; égalité civile;
Iiberté du travail', du commerce et de |industrie; préro-
gatives constitutionnelles dérnocratiques; organisation
judiciaire nette et centralisée; adrninistration cornrnu-
nale et laique des services de l'état civil et des secours
publics; libre navigation sur I'Escaut, telles allaient'être
Ies principales réformes dont I'esprit de liberté et d'égalité
<Ies Français allait nous pénétrer. r ,
(1) À Bruxelles, par cxemple, la rue des Bfisit,tines devint la, rue du
Contrat-Social.
. (2) Il resta en vlgrreur jusqrr'en 1ii05.
(it) Jeux de fous.
F. vaN K^LKnN. nlsToIRE Dn Rr,'lLatQUE. -. 19'J4. 14
-
- - +lr,t -
*
{r*
' if) p"O" de L'raunes (département des ÀlpeË-Mâr.itinres)- Groupe d.es îles
tLériæ.
._ t3! _.
{.
*/
Plâcé dans de telles conditions d'existenc", l* *ouvement
intellectuel de notre pays ne pouvait que croupir dans le
rnârasme. Sous le Directoire, I'enseignement avait virtuellement
clisparu, à c-ruse de I'anarchie générale. La loi du ler mai 1802
réorganisa I'instruetion p.ublique, dans un sens étadste et cen-
tralisateur. En 1808, cette reorganisation, destinée à intensi-
fier'le culte de la gloire impériale, fut complète. L'Université
de France se subdivisait en Acadérnies ou centres d'enseigne-
ment supérieur; les Aeadémies, en arrondissements, centres
d'enseignement moyen; les arrondissements, en cotnmunes,
eentres d'enseignement primaire. La liberté de I'enseignement
fut entièrement annihtlée..
En Belgique, les eommunes, négligentes et généralement sans
ressources, Iaissèrent les écoles primaires à I'abandon. Les
locaux.furent des granges, des ateliers ou cles coins de cabaret;
les maîtres dt les maîtresses cl'éeole ne faisaient pas d'études
sérieuses.
Les lycées d'arrondissement furent mieux dirigés; mais en
butte à I'hostilité du public. Dans Ies deux Académies de
Bruxelles et de Liége, il y eut deb écoles spéciales de droit, de
médeeine et de chirurgie, meilleures que les aneiens collèges
spéciaux communaux et que les facultés, tombées en déeadence,
de I'Université de Louvain (supprimée le 25 octobre L7g7).
Quoique amélioré, cet enseignement unilatéral et tendancieux
ne pouvait former que des fonctionnaires ou des agenfs de pro-
pagande. fl ne produisit pas de vrais savants. On éprouve
quelque atteqdrissement devant la sérénité d'esprit du curé
Amand qui publia un mémoire sur la querelle des d'Avesnes
et des Dampierre, en pleine année l'Ig4 | Le ehirurgien Anslaux,
de Liége, releva dans cette ville la science chirurgicale de
I'incroyable état d'abaissement dans lequel elle était tombée;
le Namurois Louis Dewê2, sous-préfet impérial, écrivit une
< Histoire générale de la Belgique r, travail patient, très esti-
mable, qui fut le premier essai de reconstitution d'ensemble de
riotre passé.
Napoléon 1er, complétant l'æuvre de francisation de la Con-
vention, ût disparaitre le flamand des administrations, de's
t38 --
tribtrnaux, des écoles, de la presse, des théâtres, de Ia rue.
Les classes inférieures flamandes s'abêtirent complètement. La
suppression des libertes de.Ia parole et de la presse empêcha
d'ailleurs aussi tout effort dans le domaine de Ia littérature
française. Au théâtre, on jouait, sous la Républiqu€, <t Ia Prise
de Toulon ), avee exécution à grand orchestre du fameux
<
Ça ira ! r Sous le Consulat, on mit à la scène a le Bouquet de
Bonaparte r. Les ehroniques dtr temps regrettent que le public
consacrât moins d'attention au jeu des acteurs qu'aux toilettes
des spectatrices, coiffées < à la Titus rr et vêtues à la grecque.
Le public n'avait probablenrent pas tort, vn la nullité des
spectacles. Nulle aussi épait la presse, abonrinablement servile.
Le meilleur journal de Bruxelles, <, I'Oracle u, était un simple
officieux. En 1802, la n Lorgnette de Bruxelles rr reçut une verte
réprimande du préfet pour avoir osé eritiquer le service d'errlè-
vement des boues !
Au point de vue artistique, stagnation complète. Archi-
tectes, sculpteurs et peintres se complaisent dans de fausses
reconstitutions de I'antique. En I803,l'architecte Pisson remanie
en style gréco-romain les salles intérieures de I'hôtel de ville cle
Gand, bouchant la partie supérieure des fenêtres ogivales, plâ-
trant des niches d'un travail gothique délicat! Il faut cependant
reconnaître qu'en matière d'ameublements, le solennel < style
Ernpire n eréa des ensembles décoratifs d'une bclle tenue.
Le directeur de l'Académie de dessin de'Gand, le bibliophile
Van Hulthem, avait orgairisé en 1792 un premier concours
de peinture et un salon d'expositlon à Gand. Ces concours
devinrent pétiodiques et furent imités dans d'autres villes.
Mais on imposait aux candidats des sujets allégoriques ou
historiques sans originalité. Les vainqueurs de' ces concouis
restèrent des artistes froids, dogmatiques, travaillant dans la
manière de [ens. D'autrts peintres se spécialisèrent dans les
paysages pour lambris d'appartement, les < ports turcs omés
de ruines d'architectur€ ))r les dessus de portes en camaieu et
Ies devants de cheminées gouachés (l). Parmi tous ces peintres,
I'animalier Balthasar Ommeganc"k (l?55-f826), le < Racine
CHAPITRE PREMIER
t
LA RÉUNION DE LA BELGIQUE
ET DE LA HOLLANDE. LES CENT-JOURS
-
(r8r4-r8r5.)
sqË
li''
= {
CHAPITRE II
LES DÉBUTS DU RÈGNE DE GUILLAUME IET
(r815-182r.)
'flHfii"""f i:"f;ii?,Ë"i:L'j
!)n 1815, Guillaume fer avait dépassé la quarantaine (1). Il
était grand, robuste, de visage régulier et grave. Doué d'exeel-
lentes qualités, affable dans son accueil, très simple dans son
vêtement et ses manières, intelligent et érudit, il avait profon-
tlément constience des responsabilités que lui imposait sa mis-
sion royale. Par contre, il était suffisant, se croyait infaillible,
prenait toutes ses résolutions sans consulter personne. Lorsqu'il
s'apercevait qu'il avait fait fausse route, il s'entêtait dans sa
manière de voir, ou bien il tergiversait et se râceroetrait à des
demi-mesures.
Au point de vue extérleur, le roi suivit une politique excel-
lente. refusa d'entrer dans la Confédération germanique.
Il
Plutôt que de devenir < I'avant-mur de la Germanie r, il préféra,
selon ses propres termes, être la < sentinelle de la Grande'
(1) Broche : org:anc d.'utr rnétier ù, fller, cornposé d'une tige cle fer recevant
la bobine et sur laquelle le fll vient s'enrouler'.
* .1,17
-
qu'au grand marché de Tombouctou, en 1828, il trouva un seul
produit européen : un coupon de drap de la maison Biolley !
L'emploi dans les houillères cles nraehines de Newcomen
et des lampes de f)avy multiplia le rendement de l'industrie
extractive. Dans le pays de Liége, le bassin de Charleroi et le
Rorinage, les charbonnages occupèrent trente mille ouvriers,
extrayant annuellement 2 millions 500,000 tonnes de gros char-
bon et de gaillettes. L'industriel De Gor$e fonda, en 1816, un
établissement modèle au Grand-Hornu (Borinage).
A Seraing, John Cockerill (1790-1840), fiIs ele William,
<levint le plus grantl producteur de mécaniques du continent.
En 1815 il avait enlevé aux Anglais Ie monopole de construc-
tion de machines à vapeur perfectionnées. C'était un homme
taciturne et tenace, très aimé tle Guillaurne Ier pour son carac-
tère ferme et positif. Grâce i\ s<ln impulsion, rles forges, des
laminoirs, des lrauts fourneaux perfectionnés élevèrent notre
industrie rnétallur$ique à'ttn rang remarquable pour l'épo-
que. Les cristalleries du Val-Saint-Larnbert, près rle Liege,
clatent de la mênre périorle.
Vers la fin clu règne rle Guillaurne Ier, I'itrdustrie belge
employait déjà 185 rnachines à vapeur à ltaute pression, la
pltts forte étant de 80 ehevattx. Le professeur Minkelers, tl<r
Maastricht, ayant peu auparavant, décotn'ert le laz d'éclai'
rage, ct mode tle luminaire comtnença à se répanrlre. Dans
totrs les domaines éconontirlues, la période hollancler,ibe marqua
une date..De nombreuses expositions, à Ganrl (1820)' :\
Ifaarlem (f825), à Bruxelles (l8BO), permirent aux dix-sept
provinces de rivaliser pacifiquement pour les productions les
plus diverses. Le roi, promoteur de cette magnifique ceuvre de
fénovation, devint l'idole de la haute bourgeoisie commerçantc
et industrièlle, surtout à Anvers et à Gand.
{.
t {c
Les gri,efs dns Belges (pp. 45f -45S). Le u blnc > belge à la Seconde
Chambre (p. 458). Optposition -de plus m pfu,s marqtée entre
- fu. a5S).
Belges et Hollandais
Les catlnliques et l,es libérauæ (p. 45S). La politique reli-
gùeuse et scol.aire de Guillaume let; le Collège philnsoythique ;
la guene scolaire (pp. as8 eI 454). Le concordat de 182'l
(p. 454). - @. 4551. La presse
Euolut;ion du lùbérslisrne
belge (pp.-455-457). Campagne en laaeur de la- liberté de la
presse (p. 457). -Rapprochernent mtre les ltùbéraun et les
- des OpTtositions [1828] (pp. 45? et 458).
cathnl;iqtee. L'Union
Le pét:it:ionnenxent 1828 (pp. 458 et 459). Incohérence
-dc la poltitique royale de(p.459). -
RôIe dn Libry (p. a50).
Le pétit:iorinahmt de L829 (pp.- a59 et 460). Le Message-
roEal [l décembre 1829] (p. 460). -
La situatùon durant Ia
-
prem,ière moitié de Pannée f83O (p. 460).
***
Depuis 1815, il s'était formé en Belgique deux grands partis :
Ies catholiques et les libéraux. Les premiers englobaient Ia
grande majorité de la nation, ils étaient dirigés par un élergé
actif et solidaire; les seconds comprenaient beaucoup de bour-
geois des villes, des avocats et des journalistes. Jusqu'en lgz4
le gouvernement sut louvoyer entre les deux groupes, en se
bornant à pratiquer une politique d'affaires.
En 1824, cette situation changea. Guillaume ler, voyant son
æuvre scolaire mise en péril par un enseignement confessionnel
csneurrent, s'était imaginé pouvoir créer un catholicisme
national, comme Joseph rr autrefois, il vourut consaerer la
-454-
suprématie du pouvolr civil sur ltautorité reli$ieuse.
Son principal collaborateur fut un BeEe jle ministre de I'fnstruc-
tion publique Van Gobbelschroy. La lutte commença par }a
publication de deux ordonnances dirigées contre les associations
religieuses se vouant à I'enseignement ller et 1l fevrier 1824).
Ces mesures provoquèrent la disparition de toutes les éeoles
primaires fondées par les < Frères de la Doctrine chrétienne >,
religieux venus de f,'rance pour catéchiser la Belgique.
Encore placé sur un terrain <léfensif en 1824, Guillaume Ier
passa à I'attaqùe I'année suivante. Il conçut le projet téméraire
de décléribaliser l'enseignement moyen. Le 14 juin 1825, il
supprimait tous les petits séminaires, instituts ecclésiastiques
orl les jeunes gens se préparaient au sacerdoce ef oir beaucoup
de fils de la bourgeoisie faisaient leurs études, tous les collè$es
épiscopaux et écoles latines confessionnelles. Désormais,
le gouvernement élaborerait les programmes de I'enseignement
moyen, nommerait les professeurs, exereerait un vrai mono-
pole gouvernemental. IJn second arrêté de la même date
créa à Louvain un Collè$e philosophique, < établissement
d'instruction préparatoire pour les jeunes eatholiques romains
se destinant à la Prêtrise n.
Ces mesures étaient contraires à I'esprit de la Loi fondamen-
tale et plus encore à la mentalité de notre peuple, féru ti[es droits
du père de famille en matière d'enseignement.-Elles provoquèrent
une violente réaction de la part du clergé et de la bourgeoisie
.catholique contre le roi n calviniste impie )), ses écoles a diatro-
liques > et son personnel d'instituteurs et de professeurs, dit
( bétail scolaire de Van Gobbelschroy ! I De 1825 à 1827 une
guerre scolaire, appuyée par Rome, agita les esprits et eut sa
répereussion dans les discussions à Ia Seconde Chambre.
IJn moment I'on put croire le conflit apaisé. Guillaume Ier
signa avec Léon XII (1828-1829), le l8 juin 1827' un con-
cordat rappelant en substance celui de 1801. Le chapitre de
chaque évêché présenterait au roi une liste de candidats à
l'épiscopat. Le roi raturerait les noms de ceux qui ne lui con-
viendraient point. Parmi leÈ noms restants, le pontife choi'
sirait Ie nouvel évêque. Mais les stipulations de ce concordat
ne furent pas appliquées avec sincérité par Guillaume. Les
catholiques, déçus et aigris, se lancèrent. définitivement dans
t'opposition la plus viblente,
_-455_
Jusqu'alors Guillaume rer avait été considéré avec faveur
par les libéraux helges. Voltairiens sceptiques, Encyclopédistes
impénitents, ces bourgeois cultivés, peu nombreux, avaient
suivi avec un plaisir de dilettante les progrès de la politique
antieléricale du roi. Dotrenge et Reyphins I'avaient soutenue
au Parlement.
Mais, vers 182?, le libéralisme subit une évolution provoquée
par les groupements universitaires et les milieux de presse.
Grâce à I'enseignement affranchi de toutes entraves qui se
donnait dans nos rJniversités, une élite de jeunes gens impé-
tueux avait appris à connaîtrp les doctrines du libéralisrne
européen, à ce moment en plein épanouissement. Elle avait
discuté les théories économiques de I'Anglais libre-échangiste
Huskisson, les formules politiques du ministre Canning,
.les
philippiques dirigées en France eontre le.cabinet viilèle par
Royer-collard et Benjamin constant. ces promotions de jeuncs
gens vinrent remplir les carrières libérales. Les chet's de file
occupèrent au Parlement la place laissée ouverte par les
Dotrenge et, les Reyphins, fatigués des luttes oratoires; les
autres devinrent avocats ou journalistes.
Depuis t814,la presqe belge, affranchig de I'intolérable censure
impériale, n'avait profrté de sa liberté relative que pour attaquer
avee passion les Bourbons de France. Elle était. en effet, tombée
aux mains d'obscurs réfugiés politiques, Iibéraux . proscrits,
carbonarù (l), Polonais, Russes persécutés, Napoléoniens et
républicains exilés, auxquels Guillaume I:r avait offert un
généreux asile, malgré les admonestations de la sainte-Allianae.
Peu à peu, eette situation absurde se modifia. A ra rédaction
du < Courrier des Pays-Bas r, journal libéral fondé à Bru-
xelles en 1821, entrèrent des publicistes belges éminents.
C'étaient Philippe Lesbroussart (Gand, l7gt-tg55), profes-
seur cultivé au tempérament enthousiaste, Sylvain van de
Weyer (Lou'ain, 1802-fg74), lettré d'une culture et d'une
éducation supérieures, surnommé plus tard l'n Anacreon de la
révolution belge r, I'avocat Edouard Ducpétiaux (Rruxelles,
f804-1868), Jean-Baptiste Nothomb (de Messancy [Luxem-
bgotgJ, 1805-1881), futur diplomate, modéré et perspicace,
LOTIIS DE POTTER
(D'irl)l'èq I,'out'tnois. Cabinet tlcs t'statnpcs, I3nrxcllcs.)
LA RÉVOI,UTION DE 1830
@. a75\. -
n C'en est fait! oui, Belges, tout change :
. Àvec Nassau Blus d.'indigne traité;
La mitraille a brisé l'orangi'e
Sur l'arbre de la Liborté... ,
'"iiâ$,i"f'iTii-xi:Ï:i"""
Le 27 juillet 1830. lc penple de Paris, rendu furieux par les
ordonnanees du ministre de Polignac, se soulevait contre
Charles X (R. f 824-t83O) et, après trois journe4:s de combat,
462
-
les a Tmis Glorieusss r, le ctgssait du trône. La génération
libérale belge de 1880 vivait trop de la vie des Français
pour ne pas être impressionnée par des événements quir'somme
toute, instauraient en France un régirne conforme à ses propres
aspirations. Cependant I'Union des oppositions ne songea pas
à imiter directement les Français. < Ileureux les peuples qui
n'en sont pas réduits à une aussi terrible nécessité ! Nous
sommes de ce nombre; la,voie légale nous est ouverte..... rr
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h
I
.!
Ê
:
a
dJ
J
_478_
Composé d'hommes jeunes et sans expérience, le Gourier-
nement Provisolre agit avec unq audace et une promptitude
admirables (1). ses membres les plus aetifs formèrent un
comité central, qui se mit à l'æuvre autour d.'une table cre
bois blane, avec une encaisse de 10.46 florins ! Le 4 octobre [e
Gouvernement Provisoire proelamait I'indépendance des pro -
vinces belges.
***
Voyant les progrès de la révolution, Guillaume Ier tenta de la
maîtriser par des mesures tardives et insuffisantes. Le 4 octobre,
il chargeait son flls aîné d'aller provisoirement gouverner, en
son nom, Ies parties de la Belgique restées fidéles à sa Maison.
Etabli à Anvers, le prince Guillaume sientoura de quelques
ministres, députés et hauts fonetionnaires belges. Tentative
inutile ! La masse du peuple se détourna de lui tandis que,
. d'autre pafr, ses concessions, jugées excessives par Guillaume rer,
lui attirèrent le mécontentement paternel. Finalement,Ie groupe
belge qui avait espéré faire du prinee d'Orange le roi d'une
Relgique indépendante I'abandonna.
sur ces entrefaites, nos volontaires s'étaient juré de libérer
complètement le sol de la patrie. Ils avaient pris pour uni-
fbrme Ia blouse bleue des paysans, le pantalon branc, le bonnet
noir à flamme rouge. Leur armement étair disparate; beaucoup
n'avaient qu'une pique ou leurs instruments de travail ! Mais
ils avaient le cæur intrépide et des chefs résolus' : le vieux
général Mellinet; charles Niellon, aneien soldat français de
I'Empire, né à Strasbourg, qui dirigeait, en lBB0, un théâtre
d'enfants; Ie Bruxellois Herman Kessels, ancien marin, puis
sous-lieutenant d'artillerie, eui avait successivement occupé
un commandement dans I'armée colombienne de Bolivar, rempli
des emplois civils et exhibé en Europe une careasse de bareine
échouée à Ostende. Le général Nypels, vétéran de I'Empire,
devenu commandant en chef des forces mobiles belges, risqua
une attaque contre les Hollandais
hommes
-- vingt-cinq à trente mille
campés le lons du Rupel et de la Nèthe, de Boom à
-
(r) De Potter v était entré le 2T soptembre. il espérait d.evenir présidont
d'une république belge. N"y étant polnt parvenu, il démispionna lo 1g no-
vembre et tomba immédiatement d,ans I'oubli.
-474-
Lierre. fl chargea Niellon d'entreprendre un mouvement tour-
nant à I'aile gauche de I'ennemi. Avec deux mille cent hommes,
un co{ps de cavalerie de cinq transftiges et une batterie d'artil-
lerie de deux pièees et d'un obusier, Niellon se mit en mârche.
Le 16 octobre, il fut rejoint, à Heysf-op-den-Berg, Par le comte
Frédérlc de Mérode, frère du membre dtt Gouvernement
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(1) C'est gous lee murs d.'Anvers que' le 24, fut bleseé ù mort X'réd'ério
ile Mêrode, gentllhomme héroïque ot généreux.
CHAPITRE VI
LA CONSTITUTION DU ROYAUME
DE BELGIQUE
(18s0-ræt.)
(1) Notons que trente nille électeur.s soulement pr,irent part au vote, Iee
Ora,ngistes et lee indifféreuts s'étant a,bstenus de se rend.re au scrutfut.
-!78-_
assignait > ni privé du bénéfrce des $aranties iudiciatres; la
Constitution mentionna aussi la responsabilité de tous les
fonctionnaircs et le llbre emplol des lan$ues. En vertu de
Ia règle : a Tous les pouvoirs émanint de la Nation,.> elle établit
la prépondérance du pouvoir lé$islatlf, assurant ainsi le
régime de la monarchie parlementaire avec responsabllité
ministérielle. Le pouvoir législatif appartint au Sénat et à la
Chambre des Représentants. Chaque année, les ministres
durent présenter à ces tleux assemblées leurs comptes et' le
budget. Le Sénat était composé de membres âgés de quarante
ans au moins et payant un minimum de 1,000 florins d'impôts'
directs. La Chambre se composait de membres âgés de viltgt-
cinq ans au moins, éligibles sans conditions de cens (l).
Enfin la Constitution respecta les droits des provinc€s et des
cg{r_uounes. Chef-d'êtivie dê bon sens et de lucidité, elle servit
de modèle à la pluparb des pays de I'Europe : royaume de Pié-
mont-Sardaigne, Grèce, Roumanie, Espagne, Portugal. Les
Hollandais eux-mêmes, lors de leur revision constitutionnelle
de 1848, vinrent y puiser leurs inspirations (2).
Le 16 novembre,le Gouvernement Provisoire avait nommé un
Comité diplomatique pour cliriger les affaires étrangères du
jeune Etat. Aucun rouagg politique n'était à ee moment d'une
nécessité plus urgente. Dès le début d'octobre, Guillaume Ier
(1) Eugène rlo Beauharnais, flls rlu général do ce noru et rle Jos'éphine,
future irnDératrice des Français, avait, été viee-roi d'Itatie et s'était dévoué
aux intérêts de Napoléon Jcr.
*481_
trncien gouvernerrr général, l'arehiduc ( llrarles d'Autriche. I_'ne
députation fut immédiatement envoyée à paris. Mais I'Angle-
terre était décidée à déclarer la guerrc plutôt qu'à tolérer la
présence d'un prince de la Maison d'orléans sur le trône de
Belgique. Le l7 février enfin, Louis-philippe dut avouer, d'une
voix hésitante, à ta délégation belge, qu'il se voyait dans la
nécessité de sacriffer ses ambitions de famille à Ia sécurité de
la France !
***
Pendant la semaine qui suivit, le désa*oi en Belgique fut
absolu. Le congrès national persistait dans son refus d'accepter
les protocoles de janvier et ses rapports avec les puissances
devenaient de plus en plus tendus. puillaume rer entretenait
sur le pied de guerre une armée à la frontière. Dans nos pro-
vinces mêmes, tout était encore à organiser; I'indiscipline était
grande; Ia vie économique était nulle; I'opinion publique vivait
<lans un état de surexcitation continuelle. Le congrès décida
de nommer temporairement u' ré$ent et, le p4 février, confëra
eette dignité à son président, le baron Erasme-Louis surlet
de chokter (r?69-1880). c'était un Liégeois, déjà connu par sa
participation à la Rér'olution brabançonne et par son attitude
oppositionnelle à Ia seconde chambre des Etats généraux. rl
était intègre et clésintéressé. scs longs cheveux gris, son air
<loux, Iui donnaient un aspect sympathique. En vérité, il était
trop timide pour joue' un rôle efficace en un moment où une
fermeté inébranlable était indispensable.
Le regent {ùt appel au'eoneours d'un officier supérieur du
génie, Goblet (1790-1g73), pour constituer le premier de nos
ministères (26 février). Goblet et lui eurent Ie tort de placer
dans Ie cabinet plusieurs hommes politiques qui s'étaient
employés de tout cceur à faire érire le duc de Nemours. cette
candidature ayanf échoué, ses défenseurs avaient naturellement
perdu de leur prestige. or, en ce morlent. le presti ge était néces- r
-484-
prince subor-
du prince Léopold, pour lui offrir la couronne. Le
donna son acceptation à la reconnaissance par les Belges des
protocoles de janvier. Ceux-ci s'y refusèrent mais n'en choisirent
pas moins Léàpold pour souverain, le 4 juin. Le vote du Congrès
se nt par 152 voirsur 195. Impressionnée par la ténacité des
(1) Sur la questlon rle treutralité, voir XIV' partiet chùp. Ief, PP' 491
et 492,
.185 _*
-
'* *:F
JOSEPH LEBEAU
( Gra vure de Bauen ioL d.es esta,mpeg,
"*Silt""a
armée de plus de quarante mille hommes, avec septante-deux
bouches à feu. cette armée était bieri équipée et bien discipiinée;
elle brùlait du désir d'effacer ses revers de I'année précédente.
Fantassins, grenadiers et chasseurs au shako volumineux, dra-
gons et hussards à silhouette de l'époque impériale, schutters
(gardes civiques), étudiants volontaires, tous étaient. pleins
d'enthousiasme. A I'aube d.u 2 août, quat.re divisions franehirent
notre frontière.
-d8û-
La situation de l'armée belge était dramatique. Les succès
trop faciles de.septembre 1880 avaient grisé nos soldats et nos
chefs. Les volontaires cor{sidéraient les Hollandais comme
< la nation la plus lâche de I'Europe >! Ils méprisaient les troupes
';'1:
CHAPITRE PREMIER
LA POLITIQUE DXTÉRIEURE
DE LA BELGIQUE, DE 1831 A r9l4
LE PROBLÈME DE LA DÉFENSE NATIONALE
.- +'ez
-
veraineté. Itrlle pouvait notamment ucquérir des colonies et
veiller sans ôontrôle à ses mesutes de cléfense. Les hommes poli-
tiques du temps, très ombrageux, se montrèrent d'autant plus
susceptibles sur ce point qu'ils n'avaient pas dernandé à
devenir neutres.
Notre neutralité devait être < sineère, loyale et forte >. Elle
nous imposait le devoir de veiller à notre propre défense-
f,'honneur autant que la prudence nous co.tltmandaient de ne
pas compter uniquement sur le secours des Etats garants. Fré-
quemment, d'ailleurs, eeux-ci nous rappelèrent ee devoir,lorsque
leurs relations mutuelles devenaient tendues ou lorsqu'en Bel-
gique même se révélait quelq'ue tendance à la mollesse.
Car il v eut, en effet, toujours un double courant en Relgique'
depuis l8$l. Dans chaque parti, il se reneontra tl'ardent pa-
triotes, des esprits défiants prétendant que, dans le eas d'une
conflagration europégnne, aucune considération ne pourrait em-
pêcher un ou plusieurs Etats voisins de violer notte intégrité
tenitoriale. Mais clans chacun de ces mêmes partis il y eut
aussi des hommes politiques qui ne comprirent point combien
lourd et complexe était notre devoir cle neutralité. N'V voyant
qu'un régime commode et douillet, un idéal de vie prospère,
sans charges ni aventures, décidés à nourrir une confiance
aveugle dans la < foi des traités >, même en dépit des plus
terrifiants indiees, ils invbntèrent la formule absrrrde que nous
avions ( la voeation d'un peuple pouf la neutralité r. Qu'ils
fussent animés de sentiments humanitaires, antimilitaristes ou
d'ordre économique, qu'ils fussent simplement trop optimistes
ou qu'ils saerifrassent les intérêts du pays à des manæuvres
électorales, ees homrhes paralysèrênt considérallement l'æu-
vre de la défense nationale.
***
De 1831 à 1839 nous traversâmes une période critique et le
pa,triotisrne fut très intense. Le pértl hollandais dominait
torrtes les autres questions. De phts, lq. Prusse prétendait
sous men&ce d'invasion
-
nous interdire de fortifrer Diest ainsi
-
que notre.frontière septentrionale. L'armée,belge fut réorga-
nisée avec I'aide d'officiers français d'élite'
En 1840, un conflit entre le vice'roi d'Egypte Méhémet'Ali
-- d$B
-
et le sultan de Turquie Abdul-Medjid faillit provoquer une
guerre européenne. La France, amie de Méhémet-Ali, vit se
dresser contre elle une coalition des grandes,Puissances, y com-
pri,s I'Angleteme (traité de Londres, f 5 juillet f840). Pour la
première fois depuis 1881 la question du maintien de la neutra-
lité se présentait d'une manière effeetive pour la Belgiqtre.
t
_406-.
n'en imposèrent pas aux Belges. Se raidissant dane leur patrio-
tisme, ils accentuèrent Ie caractère solennel des fôtes nationales
de 1856 et de 1860; à la Chambreo Joseph Lebeau mit ses conci-
toyens eq garde contre une neutralité simplement garantic par
traité, c'est-à-dirs ( p&r ee qu'on appelle quelquefois un mor-
ceau de papièr r (16 février 1855); Rogier publia une nou-
velle < BÈaneNçoNNE D,
celle que I'on chante en-
core aujourd'hui. Entre
temps,le cabinet Rogier-
Frère 'de 1857, dans
lequel le poste de mi-
nistre de Ia Guerre était
occupé pâr Ie barof
C.ll;azal (un hércs de
1830, d'origine fran-
çaise), travaillait active-
rnent, à renforcer la
défense nationale. On
ayait renoncé à la théo-
rie des cordons de for-
teresses pour se rallier
r\ I'idée d'un vaste camp
retranché à Anvers,
centre de refuge en cas
t
<f invasion (f859). Ce
projet se heurta à une
LÉoPOLD II opposition violente : les
Gravé par'Waruote. députés d'Anvers pro-
(Cabinet d,os estanDes, Bruxelles.) testèrent contre l'( ern-
bastillement r de leur
ville ; la Droite et les Flamands militants s'élgvèrent, par tactiqu e
électorale, contre les a exagérations militaristes > d'un ministère
Iibéral et francisant. Les protestataires organisèrent de grandes
réunions publiques ou meetings, surtout en 1862-1868. Ce
mouvement a meetinguiste > n'empêcha pas le cabinet et la
majorité des Chambres de faire tout .leur devoir. Cinquante
rnillions furent affectés aux travaux de fortifications; la direc-
tion de ce va,ste ouvrage fut confiée au général Brialmont
(1821-f9æ), le plus génial ingénieur militaire des Temps.
_497*
Modernes (r). De l'avis même du général rotleben, déf'enseur
de sébastopol, Anvers devint. < ra première forteresse du rnonde.
t1u'on aimerait mieux avoir à défendre qu'à attaquer l.
Léopold ler, Ie < Nestor de Ia polibique moderne o, le con-
seiller sâgace de Ia céIèbre reine d'Angleterre victoria, mourut
le l0 décembre 1865, profbnclémeni regretté. son fils aîné,
r-éopold
'études, rr,'monta sur le trône à l'âge de trente ans. De fortes
de grands voyages en Afrique et en Asie avaient mfrri
son caractère. Lors de son inauguration, Ie l7 décembre, il
promit, d'une voix grave et f'erme, d'être <t un roi bel$e de
c(Eur et d'âme >r, dont Ia vie entière appartiendrait à son pays.
Ces paroles impressionnèrent favora!,Iement notre peuple,
rnenacé à ce moment d'une manièrc assez directe. Depuis que
le jeune royaume de Prusse avait pris en Allemagne une posi-
tion prépondérante, après les guerres ôontre'le Danemark
(1864) et loAutriche (1866), Napoléon rrr avait conçu le projet
doacquérir des compensations. rtrn Belgique, on croyait qu'il
ne s'agissait que de Philippeville et de Mariembourg ou de
Iignes de ehemin de fer dans le Luxembourg. Mais le 2b juil-
let 187o, tout au début de la guerre franeo-allemande, Ie grand
journal anglais le Times révéla, à la suite de communications
faites par le çomte de Bismarck, premier ministre de prusse,
qu'err 1866 Napoléon rrr avait vainement proposé au roi de
Prusse Guillaurne ler (R. tg6t-l8gg) [ZJ, par I'intermédiaire
de M. rlenedetti, ministre cle France à Berlin, un accord suivant
Iequel Ia Prusse se serait attribué ra Hollande et la France la
Be[ique et le Luxembourg.
Quelle qu'erït été pour nous l'éteudue du tlanger, l,Angle-
terre ne nous aurait certes point abandonnés. Déjà en lg86,
le roi Guillaume IV avait promis à Léopold Ier son appui
inconditionnel en cas d'invasion de Ia Belgique. sa nièce,
la reine victoria (R. l8s?-rgol), unie par d.es liens de parenté
étroits à notre.roi et à Louis-philippe, avait espéré que la
Belgique deviendrait désormais ,< un lien réciproque )r entre
(1) Brialnont appliqua pour la preruière fois, à auvers, les prinoipes d.e
Ia roREtrrca.rroN poLrrcoNALE. Il fut chargé plus tard d,orga,nisor, eelou les
mômes prùrcipes, la d.éfense d.e Bùcarest, de sofla, du Bosphoro et dos Dar-
danelles. II fut aussi un 6crivain mititaire très apprécié
(2) En 1871, Guillaume Iu. prit le titre d'slrpnhnûB p'dr:r.pu4ç1gp.
-498-
la France et l'Angleterre. L'attitude de Napoléon III déçut
les vceux de loAngleterre. En 1866, elle souligna d'une manière
signifrcative I'importance d'ttne visite de ses rifl,anen (1) à
Bruxelles. En juiltet 187O aussi, son âttitude fut noble. Le
Premier Gladstone écrivit : tt Il nous serait impossible de
ne pas bou$,er, alors que s'accomplirait devant nous le
sacrifice de la liberté et de I'indépendance. I Admirant
Ies Belges, < aussi sfirement et chaudement imprégnés du sen-
timent de nationalité, de I'esprit d'indépendance, que la plus
fière et la plus puissante nation >, il ajoutait : < Le jour qui
se lèverait sur I'anéantissernent de la Bel$ique enten-
drait sonner le $las funèbre du drolt des $ens et des lois
internationales en Europe... ) Ne voulant pas se rendre
complice < d'un {.es plus abominables forfaits dont I'histoire
aurait été témoin r, il fit immédiatement demander aux deux
adversaires de respecter la neutralité de notre pays. Le I août,
Bismarck lui répondit que sa demande était superflue, a êu
é$ard aux traités existaûts r.
Le ll, la France adhéra sans grânds commentaires aux pr.o-
positions anglaises. Entre temps, Ie cabinet catholique dnAne-
thrt mobilisait en toute hâte 88,000 hommes. Le général Chazal
observa attentivement les opérations des belligérants à notre
frontière sud. Lors de la batâille de Sedan (2 septembre),
I'inquiétude fut grande. L'état-major allemand avait ordonné
à ses généraux de poursuivre sur le tenitoire belge les troupes
françaises en déroute, si elles n'y étaient immédiatement désar-
mées. cette menace était bien, inutile, Ies Belges étant décidés
à concilier les lois de I'humanité avec les devoirs de la neutralite
la plus rigoureuse.
**t
I
(l ) Personne soldc.t pâlr contr.{iinte I
-502-
eu ( à cæur de servir la Belgique, de contribuer à sa richesse
et de grandir sa réputation dans le monde (f) n.
Son successeur fut son neveu, le prince Albert de Bel-
gique (2). Né le I avril 1875, Albert avait reçu une trrillante
éducation; il avait fait ses études d'officier à I'EcoIe militaire de
Bruxelles. Ennemi du faste, simple dans ses manières, il témoi-
gnait d'un gofit très vif pour les sports, les questions écono-
miques et les sciences sociales. Le 2 oetobre 1900, il avair épousé,
à Munich, ELisabeth, duchesse en Bavière, fille du duc Charles-
Théodore (t 1909) et de la princesse Marie-Josèphe, intante
de Portugal. Le père de la princesse éta,it un oeuliste de renom
et consaerait une grande partie de son temps à soulager des
infortunes. Née à Possenhof'en (Bavière méridionale), le 25 juil-
let 1876, le gracieuse et bonne princesse Blisabeth avait été
élevée dans un rnilieu éclairé. Son union avec le prince Albert
fut considérée avee la plus grande faveur par le peuple belge
et I'arrivée des jeunes époux dans nos provinces etrt un carae-
tère réellement triomphal. I)ésormais notre peuple témoigna
doun intérêt constant pour ce couple princier, si affable et si
sympathique. En 1907 Léopold II avait nommé le prince
Albert lieutenant-général; il I'initia aux affaires du royaume et
I'envoya visiter notre colonie du Congo. Le prince et la prin-
cesse Albert ont.trois enfants : Léopold, duc de Brabant
(Bruxelles, 190r); Charles-Théodore, comte de Flandre
(Bruxelles, 1903); Marie-José, princesse de Belgiqup (Ostende,
re06).
Le28 décembre 1909, au lendemain des obsèques majestueuses
(1) Ires membres de la Oharubre étaieub élus pour quatre aus; la Oharnbre
était renouvelée par moitié tous les deux ans. Ire Sénat était élu pour huit
ang et renouvelé par moitié tous les qnat:re ans, It en est oncore ainsi
d'hui, ",ffi.tr-
-_510_
imparfait et un personnel non diplômé, avaient envahi le
domaine .de I'enseignement inférieur. par endroits, on voyait
des travailleurs manuels ou des cabaretiers usurper le nom
d'instituteurs!
En 1842, le cabinet mixte dirigé par un libéral ultra-modéré,
Jean-Baptiste Nothomb, avait voté une loi organique sur
l'enseignement primaire. cette loi obligeait chaque com-
mune à entretenir au moins une école primaire, publique ou
privée. L'enseignement de la religion catholique (catéchisme
et histoire sainte), considérée comme inséparable de Ia morale,
était obligatoire, sauf pour res élèves professant un autre eulte
reconnu. cet enseignement devait être donné et inspecté par
le clergé. La loi de l84z avait donc un caractère confes-
sionnel.
Encore indécis au point de vue scoraire, Ies libéraux réagirent
activement contre un projet du cabinet De L)ecker, en lg5?,
tendant à rendre les fondations particulières indépendantes des
administrations légales. Les conseils communaux de toutes les
grandes villes protestèrent contre la r. loi des couvents u! Les
manifestations à Bruxelles, Anvers et Liége contre la a main-
morte monacale , furent si violentes que le projet fut retiré.
Aux approches de I'année rB?0, le catholicisme s'était gran-
dement affermi en Europe, par crainte du socialisme et aussi
gràee à la puissante personnalité du pape pie rx (rg46-rBzg).
En 1864, celui-ci avait repris la politique de Grégoire Xvr, con-
damnant les libertés moclernes, et avait publié la célèbre bulle
Quanta cura ainsi que Ie < syllabus renfermant les principales
erreurs de notre temps >. De partout,'des volontaires aceou-
raient à Rome pour s'enrôler dans les zouaves pontiflcaux et
pour défendre Ie pouvoir temporel de I'Eglise. En lg70, le
' concile æcuménique du vatican proelamait re dogme de I'infail-
Iibilité du pape. En Belgique même, les pratiques publiques de
dévotion se multipliaient et I'opposition catholique bénéficiait
des rancunes des meetinguistes (voir p. 4g6) et de la coopé-
ration des adeptes catholiques du mouvement flamand (l).
D'autre paf,, au sein du libéralisme, il s,était formé une
fraction démocratique, inspirée par les théories des proscrits
(l) Par la loi <1o 1882, le nornbre cles sénateurs avait été porté ù 69 et
celui <leg déPutés ù 138.
-515-.
âccroissait I'inquiétude latente. chacun sentait une crise iné-
vitable.
Pas à pas, la eause ttu S. U. gagnait du temain. Le 2? no-
vembre 1890, Paul Janson fit une quatrième proposition de
revision constitutionnelle. cette fois, la section centrale de la
Chambre, intimidée par une formidable grève générale, la
I .. l"I':.rtl ln lll:|.{.tl
. i
. ()t,, t.1;..;rr {r.,, f,rr .,r!j|r,, ,rr..r
r.l f!, trr.,[.tr .r ,,-'!
, LE MUR BELGE
(Cabinet des esta,rnpes, Bruxelles.)
_ Cette spirituelle caricaturc fut inspiréc au fin humoriste Cara,n
d'Ache par les t,roublos tle 18g3, lorg de. la campague en fa,veur
du sufirage universel.
_ 5r7*
démocratie à prédominance de l,éIément rural. Si la
Gauche et la Droite ont fait parfois trêve à Ieurs querelles pour
voter des lois militaires, sociales, coloniares ou linguistiques,
elles ont, en général, mené I'une contre I'autre une lutte de tous
Ies instants. Les catholiques ou cléiicaux surent maintenir vic-
torieusement leur bloc, malgré une opposition Iatente entre
vieille et Jeune-Droite. Les libéraux, socialistes et démo-
crates-chrétiens scellèrent parfois des unions nommées cartels,
rnais plus généralernent, ils s*ivirent une tactique d'action
parallèIe, faite pour lassurer les doctrinaires, les libéraux de
Ia province, terriliés à I'idée d'un rapproehement avec les socia-
listes. Les partis d'opposition affirmaient, avec chiffres à I'appui,
qtte le s. u. pur et sirnple suflirait pour ameter automatique-
ment la chute du gouverrrernent clérical. Aussi tous leurs efforts
portèrent-ils sur la réalisation de cetl,e réforme. ils agirent avec
d'autant plus d'âpreté que les catholiques, rassurés par les
résultats des élections cle l8g4, se rnettaient en devoir de
détruire les derniers vestiges rltr régime scolaire de tg?g. En tgg5,
M. François schollaert, ministre <ie l'rntérieur et de I'rnstruc-
'tion publique dans le cabinet De Burlet (1894-1896), fit voter
une nouvelle loi_ organique de I'enseignement primaire
(l* quatrième), d'un caractère ouvertement confessionnel.
Toute école libre obéissant à _ certaines mcidestes conditions
Iégales devenait adoptable et recevait {es subsides gouverne-
mentaux, au même titre [tre les écoles oflicielles et adoptées.
L'enseignement de la religion devenait obligatoire; le père de
famille désirant en dispenser ses enfants devait remplir un
formulaire spécial. Bien qu'il y eût à ce moment encore sz o/o
d'analphabètes en Belgique, la nouvelle Ioi n'envisageait pas
I'enseignement obligatôire !
La loi de l8g5 contribua à aigrir les rapports entre Ie
gouvernement et les grandes villes démocratiques, ces dernières
jouissant , d'une puissante autonornie et n'étant nullement
disposées à capituler devant l'Etat. Dans I'espoir de conjurer
une crise, certains hommes poliLiques M. Beernaert notam-
ment avaient défendu la théorie- d.'une représentation
-:
des partis proportionnelre au chiffre des suffrages (la
R. P.). Le principe en avait été adrnis porrr les élections corrunu-
nales dès 1895, mais jusqu'en tggg le ministère po smet de
Naeyer (1896-1899) maintint, pour les élections générales, Ie
5r8 --
-
scrutin de llste majoritaire (par arrondissement) et le sys-
tème des ball.otta$es (f ). Nommé chef de cabinet, le 23 ian-
vier 1g99, un homme politique courtraisien ultra-clérical, vété-
ran des luttes parlementaires, Jules Vandenpeefeboom (f S4S-
l9l7), proposa la R. P., mais pour les grands auondissements
seulement. C'était là une manæuvre inique, car, loin de rétablir
une juste proportion entre le nombre des électeurs et celui de
leurs manclataires,. elle vlsait à entamer Ia posit'ion, jusqu'ici
inébranlable, des libéraux dans les grandes villes. Aussi les
Gauches réclamèrent-elles I'ajournement du projet (12 mai).
En juin, il y eut de I'obstruction au Parlement et des manifes-
tations clans les rues. Bref. le 5 août t899, M. Vandenpee-
reboom tombait et rentrait peu après dans la vie privée. En
novembre, le second cabinet De Smet de Naeyer (1899-1907)
acceptait la R. P. pour toutes les circonscriptions électorales
du pays.
Alors que les éléctions générales de 1898 ava.ient introduit à
la Chambre 112 députés catholiques, 12 progressistes et 28 socia-
listes, celles de 19oo, faites selon le nouveau système, élirent
g6 catholiques, 33 libéraux et 33 socialistes. c'était un beau
rédultat pour les Gauches. Mais le régime de la R. P. cristalllsa
les positions des divers partis. L'opposition dut se cantonner
dans le domaine ingrat de la résistance à outrance' sans grandes
perspectives d'amener un large revirement dans I'opinion. Elle
eut cependant des leaders éminents : Paul frymans, chef de la
fraction libérale doctrinaire, héritier des élégantes traditions par-
Iementairers de l'époque de Frère-Orban; Ful$ence Masson et
Louis Franck, l'un Wallon, l'autre Flamand, libéraux défen-
clant avec chaieur et talent leurs conceptions; le vieux chef
progressiste Paul Janson, tribtrn à face léonine, éveillant une
impression de tbrce et de ténacité; Geor$es Lorand, polémiste
ardent et convaincu; Emile Vandervelde, chef de la fraction
socialiste, orateur au geste sûr, au regard fascinateur; HeCtOr
Denis, sociologue spécialisé dans l'étude du positivisme;
Jules Destrée, qui répandit le gofrt de la science, des arts et
des lettres parmi la population ouvrière du pays de Charleroi;
(1) Ire ballottage est un tour d-e scrûtin complémeutaÛe opéré lorsque la
première électlon n'a donné la maiorité absolue à aucune liste ou à aucun
' oantlidat'
__ 519 ---
'
"'T'iiiJ""*;,""" 1 :3'I"il
tallations marjtimee de ",l3:'
*:
Gand, le
. 4 septembro 1991.)
de grands navires jusqu'à ses rit'es, elle était, comme au xvre siè-
cle, <t l'étape I du rnonde ciyilise. Toutes les routes naturelles
du continent : d'Italie, par la Suisse et les bords du Rhin,
d'Alsace, de la France et clu Nord aboutissaient à ses quais.
C'est par ses entrepôts que passaient les marchandises angla,ises,
I
___ 528 _
américaines, égyptiennes et hindoues. Aussi, que de soins con-
sacrés à ce port ! En tB5B, le bourgmestre Loos fait creuser
les bassins du r(attendijk. Dix ans plus tard, Rogier, aidé par
le baron Larnbermont (t lg05), secrétaire général au ddpar-
tement des Affaires Etrangères, obtient du gouvernement hol-
Iandais le rachat du péage sur I'Eseaut' (l florin et demi par
tonne), pour la somme de 86 millions de francs. Léopotd rr suit
attentivement les discussions précédant le vote en 1906
-
de Ia loi associant au perfectionnement de Ia défense -
de notre
< réduit national >, I'extension de ses installations mari-
times. ces travaux, en pleine voie d'exécution lorsque com-
mença Ia guerre, devaient allonger de plus de g kilomètres Ie
quai actuel,longeant I'Escaut sur une étendue de 5,800 mètres.
Au lieu de 2t kilomètres et demi d'accostages à quai, nous
devions en avoir soixante !
Mais déjà sans ees améliorations, quel traffc qué celui de
notre opulente carthage à Ia veille du conflit mondial ! Alors
que' vers l840,environ quinze cents navires, jaugeant au total
deux cent quarante mille tonnes, y rerâchaient ànnuellement,
le tonnage d'Anvers était monté à près de six millions et
demi de tonnes en rBgS et à prus de quatorze millions de tonnes
en l9r8 (r).
Escale des plus puissantes lignes de navigation du monde,
dotée d'environ cent cinquante services réguliers de bateaux à
vapeur' centre d'émigration, Anvers exportait la houille, Ies
maehines, les produits industriels, Ies sueres du pays et de
l'étranger. Illle importait les céréares de Boumanie, le chanvre
et les rgrains de Russie, les bois de scandinavie, Ies blés et, le
coton des Etats-unis, Ies cafés du Brésil, les laines et les peaux
de Ia République Argentine,l'ivoire et le caoutchouc du congo,
Ies cotonnades de Ia vallée du Nil ! comme au temps de charles-
Quint, Ies Anversois étaient, courtiers, entrepositaires, partbis
industriels, mais rarement chefs de firmes commereiales. Ils
étaient largement, loyalement, insoueiammènt accueillantq pour
Ies étrangers. ce fut Anvers en particulier qui fut pour les Alle-
mands le champ d'action de Ieur < infiltration pacifique >, phase
première de toutes les invasions germaniques!
L'EXPANSION COLONIÂLE
DE LA BELGIQUE, DE 187'6 A 1918
(1) La formetê d.'â,me et le zèle des missionnaires n'ont pas seulemont ét6
remarquables au Congo. Leur a,postolat s'est étendu à la Chine, à la Nouvelle-
Guinée, aux montagnes Rocheueee. Le Père Du Dnxbw e'est rend.u célèbre
par Bes voy&ges au Tlûbet, en l\Iongolie et en Âfrique. Le P. Dn Sunr, d.o
Termond.o r(180 1 -187 3), fut le grand. évangélisateur des peaux-Rougies. Ire
P. Daurnu, de Tromeloo, près dâe.rschot (1840-1889), soigna les ind$ènee
des llee €and.rvich (Polynésie), atteints de la lèpre, jusqu,à be gu't mourtt
luj-même, viotlme d.e I'horrible malad-ie.
-5*2-
La guerre elle-même n'enraya nullement le développement
du Congo. Tout au contraire, grâce à I'activité de IVI. Renkin,
ministre des Colonies, qui sut tirer pan i des circonstances favo-
rables (la guerre coloniale, Ies besoins pressants de la Belgique
et de ses alliés), les progrès réalisés de l9l4 à f gf B dans totts les
domaines furent eonsidérables. -En 1915, la Compagnie des
Grands Lacs achevait la construction cle la ligne Kabalé
(Lualaba)-Albertvllle, le long de la Lukuga. Cette voie de
270 kilomètres allqit pernrettre de coneentrer sur les rive's du
Tanganika un rirratériel suffisant pour commencer I'invasion de
I'Afrique orientale allemande. En 1918, une Iigne de 400 kilo-
mètres réunissait Bukama sur le haut-Lualaba à Elisabeth-
ville. On plaça deux mille kilornètres de nouvelles lignes télé-
graphiques et le nombre des établissements eommerciaux ou
industriels s'éleva à près de dix-huit cents.
Entre temps les exportations atteignaient, en 1916, le chiffre
.de 129,000,000' de francs (22,390 tonnes de noix palmistes,
3,017 tonnes de caoutchouc, etc.). En quatre ans, de t9l4
à I917, la production des mines de cuivre du Katanga montait
de 10,700 à 35,000 tonnes; le rendement des mines d'or du
Kilo (Ituri), dans la Province Orientale, était doublé et celui
des mines de diamants, découvertes dans le district du I(asai
en l9l3,,s'élevait au triple (100,000 carats en 1918). Par cette
activité pacifique autant que par sa vaillanee militaire, la
Belgique se montrait digne de son rôle de grande puissance
coloniale (I ).
(1) Il n'en reste pas rnoins beaucoup à faire fiour diminuer la rnortalité
des intligènes, pour perfcctionner I'outillage de notre colonie et pour sous-
traire ees provinces d1 nord.-est et du sutl-es| à tles inflltrations et à des
infl uences étran8Ères, notammenf sud-afrlcaines'
Parmi les voies ferrées dont la construction, quoique coûteuge, s'impose
d'urgience, il faut signaler la ligne d.e Stanleyville vers les mines d'or do l{ilo
et Wad.elai, sur Ie Nil, et plus encore la grande voie de Léopoldville-I(ins-
hasa à Bukarna" par le l{rvarrgio eb le Kasaï. Ce dernier chemin d-e fer ramè-
nerait vers l'embouchure du Congo et l'Àtlantique le trafic d'u Katanga,
aujourcl'hui orienté vers le Transvaal et Ie Cap.
, CHAPITRE V
4 nrillions cl'habi-
t;rnts en 1831,6 mil-
lions en 1893. no-
549
-
rJne enquête oflicielle, faite par la commission du Travail,
eut pour résultat l'élaboration d'une importante lé$islatton
sociale, de 1887 jusqu'à la veille de la guerre. Loi organisant
des conseils de I'rndustrie et du Travail chargés de eoncilier
les différends entre chef's d'industrie et salariés (rggr), Ioi sut
la construction d'habitations ouvrières (rgg9), loi réglant le
travail des femmes et des enfants (rs8g), tels furent les premiers
pas dans la voie de I'amélioration du sort des travailleurs. Je
n'entrerai pas dans le détail des lois concernant le paiement
des salaires et la salubrité des ateliers, accordant réparation pour
les accidents du travail (Ig0B), réglementant le repos dominicpl
(1905), fixant la durée'du labeur dans les mines ou interdisant
Ie travail de nuit des femmes dans I'industrie. Grâce à la loi sur
les pensions de vieillesse (rg0o), on remédia dans une certaine
mesure à I'instabilité du sort des salariés. En lgg5, le gouver-
nement créa un ministère de I'fndustrie et du Travail.
Ces mesures avaient contribué à diminuer le paupérisme. La
Ioi de 1898, octroyant Ia personnatité civile aux unions
professionnelles, renforça les moyens d'action des syndicats
et diminua encore les possibilités d'exploitation des salariés par
le patronat. Belles entre toutes furent nos organisations t1e
secours mutuels et d'épargne.-De lgg5 à 1904, le nombre
des sociétés mutuallstes monta de z5g à 6,760 et celui de leurs'
membres de l0O,O00 à ZOO,OO0. L'Etat favorisait par des
subventions tout un système d'assurances ouvrières facul-
tatives. Depuis 1865, la Caisse générale d'Epargne et de
Retraite stimulait, au sein des classes inférieures et moyennes,
I'esprit de prévoyance. A'la veille de la guerre, le pubric avait
en dépôt à la caisse cl'Epargne onze eents milrions de franes,
répartis sur plus de trois millions de livrets.
En dehors de I'action de I'Etat, le régime de la coopération '
avait été prôné vers l8B5 par les soeialistes césar de paepe et
Jean'volders. ce fut en novembre tSgo que fut fondée à Gand
dne boulangerie coopérative, le Vooruit. Souq la direction
d'Edouard Anseele, cette société qui avait débutil avec
274 membres prit une extension -colossare. sur son modèle,
les <Maisons du - Peuple > de Bruxelles et de vvallonnie créèrent.
des rayons d'épicerie, de lingerie, de conf'ection, etc. En 1g05,
il y avait en Belgique plus de 2,400 organisations coopératives,
les unes à caractère politique, leÉ autres neutres et fondées par
-550-
des mutualistes ou des employés. Presque toutes étaient des
boulangeries, des brasseries, bref des coopératives de con-
sommation. Dâns les campagnes se rencontraient des co-
opératives a$ricoles cle production : associations laitières,
associations pour I'achat des machines agricoles ou la
vente des produits champêtres. Ces boerenbonden avaient été
fortement organisées par I'abbé Pottier, le député Arthur
-en général, par tous les leaders du parti
Verhae$en et,
catholique.
Je mentionnerai enfin, parmi les traits saillants de notre vie
sociale, I'lntensité de la participation à la vie publique et
extérieure. Ce goût était dfr en bonne partie à I'extension clu
journalisme. Alors qu'en f840 la Belgique ne possédait que
vingt-huit quotidiens, elle avait, en 1905, environ onze cents
journaux, parmi lesquels cent cinq quotidiens (quatre-r'ingt-six
feuilles politiques). Le prix modique de ces feuilles fbvorisait
la vente au numéro. Notre presse s'était beaucoup modernisée
et avait suivi I'exemple de l'< Indépendance belge r, feuille
bruxelloise qui avail inauguré le système des bulletins poli-
tiques en vedette et des correspondances de l'étranger. Cepen-
dant nos journaux manquaient d'ampleur. L'cxtrême vogue des
feuilles françaises en était cause, le public ayant pds I'habitude
de ne rechercher dans les feuilles locales que le récit des événe-
ments de portée restreinte.
L'esprit de sociabilité, inné chez les Belges, se manifestait par
I'existence d'innornbrables sociétés. A côté des groupements
politiques et économiques, il y avait des sociétés scientiflques,
littéraires et artistiques, des sociétés sportives (jeux de balle,
concours de pigeons), des sociétés d'agrément, depuis la
classique < Granrle Ilarmbnie I de Bruxelles jusquoau plus
modeste cercleTe joueurs de quilles au village. ftrt comme beau-
coup de ces associations populaires tenaient en granfl honneur
I'art de la musique et profitaient de toutes les kernresses pour
déambuler.de cpbaret en cabaret, comrne d'autre part chaqug
société s'ingéniait à organiser des réunions, sous forme de
congrès, de concours, d'épreuves sportives, il en résultait que
notre population donnait aux étrangers I'impression de viwre
perpétuellement au milieu des flonflons, des illuminations,
des feux d'artifice. comme ja<lis, nos riches municipalités orga-
nisaient de $randes fêtes publiguesr des cortèges somptueux.
I
-551-
Cette vie extériç1rre atteignit son paroxysme lors des dernières
expositions internationales. La prestigieuse World''s-fair de
Bruxelles, en l9l0, colvrit 250,000 mètres earrés et enregistra
à ses guichets 12,908,000 entrées ! Pour fixer par une dernière
impression cette image de la < trop beureuse )) Belgique d'al'ant
la guerrc, je rappellerai les principales,éphémerides de I'année
l9l3 : exposition internationale à Gand, reconstitution du tour-
noi de Henri VIII à'fournai, fêtes du cinquantenaire de l,affran-
chissement de I'Escaut à Anvers, inauguration du monument
Van Eyck à Gand, cortège jubilaire de Notre-Dame cl'Ilanswijck
à Malines, Joyeuse-Entrée de nos souverains à Mons !
'rÈ
{.*
Placée sous l'égide de la liberté de I'enseignemeàt, notte
armature seolaire, à totrs les degrés, dependait de I'Etat, des
provinccs, des communes, et très souvent d'organismes privés :
d'oir manque d'unité. D'une part, la politique y jouait un trop
grand rôle; d'autre part, le grand public ne s'en occupait pas.
âssez. Le dualisme linguistique venait encore accfoître les diffi-
cultés en matière de programmes.
Néanmoins notre enseignement faisait bonne figure. J'ai déjà
esquissé l'évolution de notre enseignement primaire (f ). L'en-
seignement rnoyen fut organisé en 1850, par le cabinet Rogier
(dix athénées, cinquante écoles moyennes de garçons), et plu-
sieurs fois trandfbrmé dans la suite, En thèse générale, notre
enseignement était resté longternps trop théorique. En lB8O,
il noy avait encore que 30 écoles techniques clans toui le pays,
mais en 1914, nous possédions déjà plus de 600 écoïes pro:
fessionnelles, cornmerciales, industrielles, y compris celles
du quatrièrne degré primaire.
Après la fbndation, en 1884, des deux universités privées de
Bruxelles et de (Malines) Louvain, I'Etat avait rcconstitué son
enseignement supérieur en rétablissant les universités de
Liége et de Gand (1835). La loi de 1876 oetroya aux quatre
universités Ie drort de conférer des $rades légaux. Ces
établissements durent en bonne partie leur outillage perfec-
l**
(1) Son tle Ênoueno Veu Buxnnnu (1846-1910), profegseur à Liége' fut
également un biologiste remarqua,ble. Il répandit les théoriee d.u nenwt'
NrsltE en Belgique.
En 1g20, le prix Nobel pour la méilecine a été attribué au professeur
Jp-LES BOnDI:r, d.e I'Université de Bruxelles, pour ses admirables travaux.
-555-
Il en fut de même pendant les premières années de notre indé-.
pendance. D'honnêtes patriotcs tirèrent de nos annales de
mr(diocres romans hi;toriques, prétentieuses imitations des
æuvres de Walter Scott. Des romanciers insipides échafau-
dèrent de mornes études de mæurs. Weustenraad, honrme
exeellent, Belge enthousiaste mais poète 'laborieux, laissa un'
poème épique : < Le I-lemor{ueur r, glorifiant la locomotive; il
s'y trouve quelqucrs beaux vers. Charles Potvin ne se lassa
point d'écrire des drames historiques, que I'Etat ne se lassa
point de couronner.
L'influence des lettres françaises en général, de Victor Hugo
et des proscrits de 1851 en particulier, arraeha nos lettres à leur
marasme. Quelqtres grands talents s'afiÊrmèrent. L'fxeilois
Charles de Coster publia en 1868'la < Légende d'Ulen-
spiegel r, épopée en prose exaltant lâme du peuple flamand
sous la domination espagnolc. Dans un style original et puis-
sant, il déerivit cette mentalité indomptable, associant la gogue-
nardise et la sensualité débridée au patriotisme le plus pur.
André van Hasselt (Maastricht, 1806-1874), lettré érudit,
poète se jouant des diflieultés rythmiques avec une incroyable
aisance, écrivit, en 1872, un poème de haute portée philoso-
phique : r< Les Quatre Incarnations du Christ r. Le poète
Octave Pirmez (t ISSB), de Châtelet, virant en solitaire à
Aeoz (Entre-Sambre-et-Nleusc), eomposa des æuvres lyriqtres
cllinspiration chrétienne que scul un public restreint et délicat
apprécia à leur valeur. -* - ' r1
Peu après 1880, un jeune et spirituel littérateur, Max \il'aller
(Maurice \4tarlomont), fonda une revue mensuelle, lâ o Jeune
Belgique o. Il y déclarait la guerre à la criiique offieielle, à la
littérature banale, didactique et moralisatrice. Il voulait pra-
tiquer < I'Art por.rr I'Art >. Cette intéressante revue disparut
en 1897, après avoir compté parmi ses eollaborateurs Ies meil-
leurs écrivains de Relgique. Son plus bearr titre de glpire f'ut
d'al'oir donné naissanee à notre école littéraire rnoderne.
Cette école resta longtenrps méeonnue du grand public belge,
d'une part parce que ce dernier manquait de culture générale,
doautre part.à cause de l'écrasante concurrence de la littérature
française. Nos littérateurs : romanciers, poètes et critiques, ne
purent donc vivqe de leur seul talent. Très individrralistes, ils
se développèrent chaèun à sa manière. Le particularismé belge
aiclant, leurs admirateurs fonnèrent des cénacles et cles rédac-
tions de revuettes littéraires, minuscules, éphémères et souvent
en conflit. S'adressant à un milieu ra{finé, nos éqrivains furent
subtils, élégants, parfois apprêtés. Ce furent avant tout des
lyriques.
Le maître de nos prosateurs fut Carnille Lemonnier (fxe[es,
t84l-1913). Le prix quinquennal lui ayant été refusé pour son
magnifique ouvrage : a La Belgique r, la < Jeune Belgique >
lui offrit un banquet, le 27 mai 1883, et le proclama ( maréchal
des lettres belges r! Nos jeunes littérateurs avaient été subju-
gués par le talent de cet écrivain robuste, fgugueux, truculent,
exprimant -- en termes rares et ph,rfois étranges des idées
'profondément poétiques. Ces æuvres furent nombreuses, presque
toujours consâcrées à la peinture des hommes et des milieux
du pays natal. Demême I'Anversois Geor$es Eekhoud évoqua,
en des nouvelles et des romans âpres et rugueux, les ruraux et
les chemineaux de chez nous. Ce furent atrssi des romans d'obser-
vation et corrlbien délicieux qu'écrivit Léopold Cou-
rouble,- mais il choisit son terrain - d'études dans la moyenne
bourgeoisie bruxelloise. Quant à Eu$ène Dernolder (t l9l9),
il écrivit de préférence des æuvres d'imagination, mettant en
seène des milieux d'artistes tle la grande époque hollandaise.
' La distinction est le trait essentiel <le nos poètes lyririues :
Albert Giraud, ciselant des vers héroîques; Ivan Gilkin,
auteur du noble poème < Prométhée >; Valère Gille, qui com-
posa I'exquis < Collier d'opale r; Fernand Séverin, poète au
talent harmonieux; Charles van Lerber$he, auteur d'un
splendide poème symbolique, < Pân >; Geor$es Rodenbach
(t 1898), le vaqoreux a poète de I'ennui u, l'évocateur de
< Bruges la Morte >. Ces deux derniers littérateurs étaient fort
réputés à Paris oir ils avaient fixé leur résidence. Ce fut en
. France aussi que devinrent célèbres deux de nos plus puissants
. lyriques : Maurice Maeterlinck et Emile Verhaeren. Le
prenriêr (Gand, 1862) eemmença par éerire de courts drames
'doépouvante.
Puis il composa plusieurs ceu\/res théâtrales de
'earactère mystique, serutant Ia vie inconsciente de l'âme.
Plus tard, il se révéla moraliste, philosophe métaphysicien,
, obsen'ateur savant, dans le r< Trésor des humbles > (1896), la
< Sagesse et Ia Destinée > (f 898), Ia < Vie des Abeilles > (1901),
' le < Double Jardin r (1904). Doué d'une eénialité souple et
* 55'i
-
multiforme, sorr succès fut immense; il reçut le prix l.[obel
pour la littérature en l9ll. Emile Verhaeren (Saint.Amand
près de Malines, I855-19f 6), enthousiasma les générations nou-
velles pâr ses poèmes symbolistes : Ies < Campagnes hallu-
cinées r (1894), les n Yilles tentaculaires ,, (1896), les < Ifeures
claires u (1896); ses vers libres, écrits en une Iangue réa-
liste, tourmentée, rude, pleine de néologismes, chantaient la
Science et la Nature créatrices, I'amour exubérant de la vie.
Loindignation lui clicta pendant la guerre ses créations les
plus pathétiques (uLa Belgique sanglante D, l9I5; < Parrni
les cendres r, 1916).
l,e public belge a toujàurs beaueoup aimé le théâtre et, les
sociétés d'art dramatique étaient légion. Néanmoins I'art dra-
mntique nationa,l fut relativement peu soutenu. Le succès a
couronné à bon droit les æuvres de Maeterlinck (r, Pelléas et
Mélisande o, la n Mort de Tintagiles r), Ies drames idéalistes
de G. van Zype,les déliciellses créations de Fonson et Wieheler
(le < Mariage de Mademoiselle Beulemans r), les spirituelles
revues de Théo llânnon, de Luc Malpertuis et de Georges
Garnir. Les plus belles procluctions de notre art dranratique
sont indiscutablement le < Cloitre >, de Verhaeren (1899), et
< Monna Vanna >r, rle Maeterlinck, drames d'une perfection
sobre et pathétique.
La fraîcheur, la sincérité, le don d'observation, telles sont les
qualités les plus marquantes de nos littérateurs v/allons.
A Namur,le groupe humoristique connu sous le nom de < Soclété
de Moncrabeau r composa de malicieuses chansonnettes en un
piquant patois. A I-iége,les auteurs de < pâsqueyes r (chansons)
et de < cramignons r (rondes) sont innombrables. Sortis des rangs
du peuple, artistes par tempérament, ils ont la facilité de produc-
tion des aèdes d'autrefois.Yers l860,le boulanger-poète Nicolas
Defrecheux, doué d'un talent délicab, créa l'élégie wallonne.
Parmi les multiples vaudevilles populaires, pleins'de < spots ))
ou traits mordants,le <Tâti I'Perriqui(t),,, d'Ddouard Rernou-
champs (t f900), occupe la première place.
IJn même temps que la littérature belge d'expression néer-
landaise, il convient d'étudier le développement du mouve-
ment flamand. Par réaction contre Ia < hollandisation > du
(f ) Tâti le perruquier,
_558-
roi Guillaume, le gouvernement belge - après la révolution -
flt du français la seule langue ofTicielle. L'administration géné-
rale, la justice, I'armée, I'enseignernent furent francisés. Tous
les conseils commtrnaux du pays, satrf trois, délibérèrent en
français. Dans les classes supérieures et mo;'ennes, un penchant
natlrel pour la langue française chez les uns, la halnc de I'oran-
gisme ehez les attttes, ainSi que elrez les botrrgeois de laRel-
gique flamande
-
le dé<lain pour les patois régionaux et pour
-
les classes Sociales qui s'en servatent, provoquèrent une réaction
violente contre la langue flàmande. Certes, sotts I'atrcien régime,
les classes aisées des Flanclres et du Bratrant avaient marqué
.
une grande prédilection pour la langue française. Mais jamais,
comme en 1831, leur éloignement n'Avait tourné à I'aversion;
jamais il n'arait été de mode d'exécrer systématiquemcnt la
langue du peuple. D'autre pâÉ, jusqu'à la fin du régime autri-
chien, le gouvernemcnt avait toujours respecté le bilinguisme
administratif.
Nos populations flamandes avaient subi un grand préjudice
du fait de la séparation des provinces septentrionales, au
xvre siècle. Autretbis en tête de tous les mouvements émanci-
pâteu1s, elles étaient tombées dans le marasme sous les régimes
àspagnol, autrichien et français. Minées par I'analphabétisme,
les voici qui perdaient après le court répit de la période
hollandaise - avec les milieux cultivés. Les pre-
tout contact
-
miers quj s'alarmèrenb tle cet état de choses furent quelques
philologues érudits : Snellaert, le chanoine David, surtottt le
iavant campinois Jan-Frans \ilillems (1?93-1846), le < père
du mouvement flamand >. Vers f840 il organisa un pétitionne-
ment réclamant une place offlcielle pour le flamand en Belgique.
Beaucoup de jeunes gens adhérèrent à son plogramme trvec une
fougue romantique. Comme I'antagonisme entre catholiques et
libéraux paralysait les efforts collectifs, un éloquent publiciste,
Julius Vuylsteke, réconcilia le u Klauraaert > et ls ( Geus )t -
du moins sur le terrain des revendications linguistiques.
Les hommes politiques catholiques étaient moins hypnotisés
par la culture française que les libéraux doctrinaires. Aussi
M. De Decker, ministre de I'Intérieur de 1855 à 1857, profiba-
t-il de son passage au pouvoir pour créer une cornmission
des griefs flamands (1856), composée de personnalitês impar-
tiales. Elle était surtout chargée d'étudier la question de
-559-
I'emploi public de la langue néerlandaise. Le retour de Rogier
au pouvoir fut défavorable à la cause flamande. Ce ministre se {
borna à adopter définitivement I'orthographe hollando-fla-
manrle, malgré la vive résistance des catholiques de la Flandre
oecidentale, partisans d'une orthographe désuète. D'autre PaÉ'
dans le public, I'action du fougueux tribun populaire Jan
van Rijswijck, associant en l8ô2-I863 les revendications fla-
mandes au meetinguisme, était loin d'entraîner.une approbation
unanime.
A partir de I873, de premiers succès eouronnèrent les efforts
des Flamands (leurs adversaires les nommaient < flamingants I
avec une nuance de mépris; les Flaman<ls niilitants ripostaicnt
en employant le voeable de a f'ransquillons I à I'adresse de leurs
antagonistes). Leur littérattrre devenait estimable. leur action
coordonné€. Le ministre Malou fit voter, en 1873 et au cours
cles années suivantes, nos prcmières lois linguistiques. Peu après,
le mouvemcnt comptait parnri'ses adeptes beâucoup de jeunes
intellectuels catholiques, émus par læ chaucle parole d'Altrrecht
Rodenbach (Roulers, I856-1880), lcader du rrotrvement
néo-flamand (1877 et années suivantes). Les masses popu-
laires, jupqu'alors incapables de comprenclre'la portée de s.
questions qtti se discltaient atttottr d'elles, finilent par se sentir
entraînées. Ce révcil éiait dfi à la purssante prcpagande des
jottrnaux flamands à 2 eentimes, d'Anvers, de Gand et de
Brrrxelles, ainsi qu'à I'action fle sociétés telles que le WiIIem,s-
Ilon,rls (libéral) et le Da,cid.s-Itonds (cathoiiclut'), fonrlatrtecs cle
bibliotttèques et organisertrices de conférenees. Après I'instau-
ration du Strffrage ttniversel, Ies hommes politiques catholiques
et socialisteà, srtivis de fort loin par les libéraux,\'ocettpèrent
assidfiment cle la question lingtristique.. Aucun parti d'trillettrs
ne parvitrt à mettre tous ses membres d'accord sur ce problème
complexe et délicat.
En 1898, la loi De \rriendt-Coremans pTaça le flamand au
rang de seconde lan$ue officielle. Le texte des lois, les inscrip-
tions sttr les timbres, les monnaies, les bâtiments publics furent
désormais bilin$ues (I ). Petit à petit, une législation très
complète régla d'utte manière équitable la question des langues
(1) En 1910 le roi -a.lbert prêta le serment cl'inauguration dans les deux
lang:ues.
-560-
en matière de délibérations parlementaires, d,enseigne-"rt, d*
justice et d'administration. Le gouvernement veilla à ee qu'il
n'y eût virtuellement plus dans les F landres de juges, de fonc-
tionnaires, de gendarmes ou de douaniers ignorant la langue
du peuple. En somme, dans les dernières années avant la guerre
la question flamande était rnoins aiguë qu'il n'y paraissait
au premier abord. r,es pgrtisans de la séparation administra-
tive étaient.peu nombreux. L'idée que les Flamands pussent
serVir d'avant-garde au gernanisme n'avait germé que dans Ie
eerveau d'une minorité 'de frénétiques. I)e part et <l'autre,
journalistes et publicistes se criblaient de sarcasmes et de
brocards, mais sans prendre trop au tragique I'emploi de ces
arnres de guetre. Ce qui préoccupait avant tout I'opinion,
c'était la création d'une université flamande. En lgl0-lgll,
trois députés : Louis Franck (liberal), Camille Huysmarfs
(socialiste) et Frans van Cauwelaert (catholique), avaient
organisé un pétitior."me.ï monstre à ce sujetl ils avaient
réuni plus de cent mifle signatures et I'adhésion de einq cents
conseils eommunaux. Ces chiffres n'avaient rien de surpre-
nant. Le mouvement scientifique et littéraire flamand était,
en effet, devenu très intense. En lgl4, chacun se rendait
compte que I'université flamande était devenue une néeessité.
La cliscussion ne portait que sur Ie fait de savoir si celle-ei
devait remplaeer I'université d'expreésion française de Gand
ou coexister avec elle (1).
Contrairement aux lettres belges d'expression f'rançaise, qui
captivaient une élite, la littérature flarnande s'adressa au
'peuple. Après un sommeil d'environ trois cents ans, elle se
réveilla, fraîche, saine, réaliste, dans les æuvres en prose,
sincèrement lyrique'en poésie. La série des grands écrivains
flamands s'ouwit avec I{enri Conscience (Anvers, f g12-lggg)
qui a apprit à lire à son peuple r. Auteur fécond, Conscience
enthousiasma les foules, en 1838, par son Leeuw aan Vlaanderm
(le Lion de Flandre), romanesque et généreuse évocation de Ia
,t **
Plus encore que les scienees et les lettres, les arts ont fleuri
dans la Belgique indépendante; en cela, nos con[emporains sont
restés fidèles aux caractéristiques aneestrales. A l'époque de Ia
rér'olution, I'architecture était aveulie par I'imitation con stante
du style néo-romain classique. C'était l'époque où Suys
père (1783-1861), architecte de mérite, construisait la grande
église Saint-Joseph au quartier Léopo.ld (Bruxelles),'où Roe-
landt, élève des architectes français Percier et Fontaine,
édifiait le Grand Théâtre et le Palais de Jusfice de Gand,'
construation de majestueuse allure.
Yers 1845,le gofit public se fatigua des répertoires d'académie.
L'éclectisrne dqvint de mode. Les progrès sociaux attirèrent
I'attention des architectes vers des construetions d'un genre
nouveau : halleso gares, bureaux, grands magasins. Cluysenaer
construisit, en 1846-1847, les galeries Saint-Hubert, à Bruxelles,
promenades couvertes qui furent imitées un peu partout. Le
Namurois Balat (t 1895) fit un retour vers l'art grec et
érigea, en 1880, le Palais des Beaux-Arts (musée de peinture
ancienne), à Bruxelles. Suys fils modernisa et enjoliva I'archi-
tecture gréco-romaine. Il fut I'auteur de la Bourse de Bruxelles.
Mais la plupart de nos architebtes se complurent â faire renaître
I'art < national u. Ils retrouvèrent dans nos anciens monuments
gothiques ou de la Renaissance des éléments permettant indiffé-
remment de pasticher des églises d'autrefois otr de construire
des bâtiments civils modenres, publics ou privés. Ils furent
atrssi d'excellents restaurateurs. Parmi eux, les meilleurs adeptes
du gothique furent I'Anversois Joseph Schadde qui agrementa
de pignons, de tohrelles et de verrières en oqive la Bourse
d'Anvers et la gare de Bruges; Van YsendijcË 1f rerr), qui
édifia le ravissant I{ôtel de Ville de Schaerbeek et opéra d'élé-
gantes restaurations d'églises. Du côté des admirateurs' de la
-564-
Renaissance flamande, praçons en premier rieu re courtraisien
Beyaert, de la gare de Tournai (rgzg)et de Ia Banque
Nationale "réutu.r"
d'Anvers (lgz5). Louis van overstraeren eut un
talent assez indépendant; on lui doit Ia grande église sainte-
Marie à schaerbeek, en style roman-byzantin. une prace plus
originale encore est occrrpée par Joseph poelaert (Bruxelles,
l8l7-I879), talent hant6 de rêves grandioses. son æuvre prin-
cipdle, le Palais de Justice de Bruxelles (1s66-lggg), unit
Ies styles de I'rnde, de lEgypte et de Ia Babyronie à ceux
' de Ia Grèce et de Rome. construction couvrant 26,ooo mètres
carrés et dont la salle des pas-perdus occupe à elle seule une
aire de 3,600 mètres earrés, ee tempre de ra Loi est d,une
majesté extraordinaire.
A partir de lBSo s'ouwit un âge d'or pour nos architectes.
Nos villes s'étendaient dans toutes res directions, le.< gens riches
rivalisaient de luxe pour I'aménagernent de leurs hôtels et
châteaux. Léo4iold rr rêvait de rendre sa capitale de plus en'
plus belle et la dotait de tdut u' système d'avenues concen-
triques et rayonnantes, flanquées de grands parcs (avenues
Louise, de Tervueren, de lUeysse). En cette netgique prospère,
pimpante et luxueuse, tous les styres se coudoyérànt. De rggo
à 1890, I'engouement pour ra Renaissance flamande muttiplia
Ies maisons à pignons en escarierso à façades unissant Ia brique
rouge à Ia pierre blanche. plus tard, ir y eut un retour vers re
elassique, le Louis XVr (notamment le gracieux T.ouis XVr
liégeois) et le style georgien, d'une élégancà sobre, à la manière
britannique, rl y eut dans tout cela des défauts : trop de pas-
tiches, trop de fausses reconstitutions'archéologiques, trop de
surclrarges et d'ornements. Mais I'ensemble de nos construc-
tions contemporaiqes eut beile allure. certains architectes
brillèrent par leur'science du <lécoratif, tels Henri Maquet
$ roos;, q'i transforma re parais Royal de Bruxelles, et
Drnest Acker (t rgr2), eréateur de l'Exposition de Bruxelres
(f S10), ehef de I'éIéganbe école belge classique.
vers l89o naquit en Belgique un ert nouveau dri aux archi-
tectes Hankar (t rgol) et Horta (né à Gantt, I g6t). ce amodern
style > ne voulait rien devoir à des traditions a'térieures. utili-
sant le fer, le v'erre et le ciment, pour la construction de grands ,
magasiris, de gares, cle maisons et de villas, ce style était clair,
précis, élégant et see. L'abus de la ligne courbe permit aux
-565- t
__ 568 _-
pers (rBoS-rS?4) er Nicotas de Keyser (r8rB-fSB4). l,
< gra'de peinture r fut aussi pratiquée -à eettà
époque par l
Tournaisien Louis Galrait et p"" iu
lisro-tsaz) Dinantair
Antoine \{'iertz (rs06-rg65).Le genre de ce dernier
fut cepen
dant tout personnel. Lyrique jusqu,à l,extravagance,
peignit des sujets ffune philosàphie confuse Wiertz
*rr":d*, toiles dr
15 mètres. Ses grnupements de personnages ont
de l,ampleur
mais sa peinture mate, s.r grosse toile éeùe,
est deplaisante.
cependant te public se lassait des ceuvres âe
musée à surrbce
exagérée. certains peintres flrent retour
at < paysage national n
ou furent animariers, tels Eu$ène verbo""Lt
' o"*" (r7gg-rggr),
dont les petits rnoutons bien peignés firent fureur.
D,autres se
consacrèrent âux tableaux de genre. Le
Bruxetois
Baptiste Madou (rz96-Igzz),'dessinateur et ilIustrateurJean-
ver-
veux' composa des scènes intimes, rustiques
ou urbaines, d,une
adorable finesse d'observalion. Ferdinand
fignola de gracieuses seènes populaires.
de n.aelet"ai
A son exemple, beaucoup
de peintres ne firent plus quc des cortèges d:arbarét{ers,
des
seènes de rac.rage, des jeux de boule dans
les cabarets et autres
genres de < ehromos ,. . ,'
vers lB5o, notr,e école de peinture, inlruencée par
Ies Minet,
les corot,les courbet, devint réaliste,
naturalisie, *ooe"n".
Dix ans plus târd se fondait à Bruxenes ra < société ribre
des
Beaux-Arts )), avec irn journal : < I'Art libre >.
Au nom de la
sincérité d'observation, de l'interpÉtation inaiJJueue,
affran-
chie. de toute règre préétablie, e[e réagissait contre les genres
antérieurs. Lq premier de nos réalistes fut charres
Degroux
(comines, t8z5-rg?o), gui évoqua, en tons
sombres, Ia vie hrim-
ble et désolée des ouvriers et àes petits paysans,
Joseph ste-
vens (r8r9-r80r) peignit Ia misère des chiens e*ants;
son
tableau < Bruxeiles à I'aube r re plaça au rang
de nos maitres.
La grande peinture décorative et re g"r"" historique
ou
légendaire ne furent cependant pas complètement
abandon-
nés. Jean Portaels (rgr8-rggs), direct"ù
a" tlecaaemie de.
Bruxeiles. des scènes uintiq.r"". Joséph
:omposa van
Lerius
(Boom, 1828-1826), exarta Ia femme. dans ses puissantes
toiles : lady Godiva, cendriilon, Esméralda. L,Anversois
Leys (rst6-rs69) fy! un prodigieux arrish. fI
Henri
manières, chacune d'elles révérant ra richesse ";; Ol*_r"";;
de son pirrc"r,r.
Après un voyage en Allemagne (rg5z), il s'éprit
de Ia manière
-. 569
-
des Holbein et des Cranach. Il peignit alors des scènes du
xvre siècle, âvec un serupuleux souei de l'exactitude archéolo-
gique, un dessin d'une maîtrise admirable, un ehoix surprenant
de tons veloutés, riches et sourds. Ses plus belles ceuvres furent
des panneaux, décorant les salles de I'hôtel de ville d'Anverq
(f 86S-f869). IIs font pleinement apprécier son talent, associant
le réalisme des physionomies contemporaines à I'archaisme du
cadre. Leys souleva I'enthousiasnre de toute une école histo'
rique, mais, si nous plaçons hors pair Ooms et Henri de
Braekeleer, ses fidèles tomtrèrent bientôt dans le genre < bric-
à-brae >.
L'école réaliste de 1850-1885 comprit surtout des paysa-
gistes. La série en débute par le probe Fourmois. Hippolyte
Boulen$er dirige < l'école de Tervueren D, à côté de laquelle
se retrouvent une < école du noir r et une < école du gris.r.
Artan brosse avec brio des marines; I'Anversois Stobbaerts
donne un coloris cha.toyant à ses seènes câmpagnârdes. Peut-
être supérieur à tous s'affirme Alfred Verwée (Bruxelles'
1838-1894), campant un magnifique trétail dans les plaines des
Flandres, sous un ciel vaste et tourmenté.
Pendant cette période féconde, nous efimes aussi des isolés,
cultivant leur propre genre : les < orientalistes'> Verlat, d'An-
vers, et Ernlle 'lVauters, de Bruxelles; Alfred Stevens
(Bruxelles, 1828-1906), frère de Joseph Stevens, peintre des
milieux aristocratiques. Habitant Paris, habitué du boulevard,
cet artiste élégant eut une vogue marquée. Nul mieux que lui
ne peighit les jolies femmes, les étoffes de prix et les bibelots
exotiques
La fin du xrxe'et le début du xxe siècle furent caractérisés
par le nombre et la qualité de nos peintres. La foule s'intéressait
à leurs travaux et se pressait vers leurs innombrables exposi-
tionnettes qu'elle préférait aux ( Salons triennaux r officiels,
eouvrant une trop vaste puperficie. Eux-mêmes entraient en
contact avee le public par leurs eercles : < I'Essor, les Vingt,
Pour I'Art, Ia Libre Esthétique, la Société royale d'eneou-
ra,gement des Reaux-Arts r. Ifostiles. au conventionnel, à la
composition savante, nos peintres s'attachaient de préférence
aux sujets contemporains, traVaillaient à pleine pâte, sans
artifices. Le réalisme impressionniste, le style de la < pleine
lumière ,).'âux tons violents et heurtés, se retrouvent chez les
570 _-
LA BELGIQUE
ET LA GUERRE MONDIALE
(1914.1918.)
CHAPITRE PREMIER
LA GUERRE MONDTALE
ET.LA CAMPAGNE DE JgT+ EN BEI.,GIQUE
l**
(l) Littéralement: rur ga€ie que I'on gerre dans son poing.
(2) * Par commun langage , sig:nifie a Far 4a.Dière de parler ',
583
-
*.**
Le mardi 4 aofit marque la date la plus tragique et la plus
grandiose de notre histoire. Ce jour-là, à 6 heures du matin,
M. von Below informait notre ministre des Affaires .Etrangères
que ( par suite du refus opposé par le gouvernement rle S. M. Ie
Roi aux propositions bien intentionnées que lui avait sou-
mises le gouvernement impérial, belui-ci se verrait, à son plus
vif regreto foreé d'exéeuter, au besoin par la foree des armes.
les mesures de sécurité exposées comme indispensables vis-à-vis
des menaces françaises >.
A l0 heures du matin,le roi Albert'se rendrt au sein des Cham-.
bres législatives, réunies pour < s'associer à l'élan du peuple
clans un mêrne sentiment de sacrifics u. Le temps était magni-
fique; Ia foule, difficilement contenue par des cordons de gardes
civiques, se pressait sur le passage du Souverain; à toutes les
fenêtres flottaient les couleurs nationales. La Reine et les enfants
royaux, se rendant à la séance solennelle en voiture découverte,
furent salués d'ovations sans fin. Le roi était à cheval, en tenue
de campagne. Lorsqu'il passa, grave, calme et digne, suivi de
son état-major et de I'escadron Marie-Ilenriette, de la milice
citoyenne, I'enthousiasme devint du délire. Les cris de : < Vive
le Roi! ) couvrirent les accents de la < Brabançonn€ D, jouée par
les musiques militaires.
Dans un discours coneis, prononcé d'une voix émue mais
fière, notre héroique Souverain attira I'attention âes manda-
taires du peuple sur la gra,vité des circonstanees. Il adressa un
<r fraternel salut > à la < vaillante jeunesse fermement résolue.
(1) A ce chifire vinrent s'ajoutor plus tard 18,500 volonta,ires enrôlés pa,r
le gouvernement.
_ 587 __
(f) La plaÆo me ma,nque pour décrire ici les ma'ssa'creÊ opérée dane le
Luxemborrrg: à Ètbe, Latolr, Rossl$lo|, dang le Bfabant à Sempst et à
Eppegbom, et tlane quantité d'a,utros villages.
594- '
soldatsdugénie,plongésdansl'eaujusqrr'àlaceinture'sous
Ies rafales d'obus.
Cepend.ant,aueentredelaligne,lasituationdeslle,Ireet
IVe ài'isions était devenue particulièrement tragique' Après
maint eorps à corps et des alternatives {e' suecès et de
revers'
elles avaient dfr accablées par le feu de quatre cents pièces
d'artillerie
-
flzsstlsr les villages de la lignc at'ancée' I'e 22'
-
-598-
les Allemands passaient l'Yser dans la boucle de Tervaete.
Le2er le 4e of le 8e de ligne, ainsi que lesgrenadiers et les cara-
binierso cherchèrent à enrayer leurs progrès par des eontre-
attaques sublimes, mais les renforts ennemis augmentaient
d'heure en heure. Enfin, le 24, la XLIIe division française,
commandée par le général Grossetti, vint se placer en première
ligne du côté de Nieuport. Cet appoint procura aux nôtres
quelque soulagement. Ils en avaient d'ailleurs bien besoin, ear
les Allemands, décidés à en finir, étaient parvenus, à force de
saerifices, à atteindre le remlrlai du chemin de fei de Dixmude
à Nieuport. Dans la nuit opaque et funèbre du 24 au 25 octobre,
les tmupes de Meiser et les u demoiselles au pompon rouge > de
I'amiral Ronarch repoussèrent encore onze assauts à la baîon-
nette dans le secteur au nord-est de Dixmude et quinze dans
le secteur sud-est.
' Mais cette fois les Belges étaient à bout, décimés, sans
réserves. Les batteries n'avaient plus qu'une centaine de coups
à tirer par pièce et la moitié des canons étaient hors d'usage.
Ifeureusement, Ies Allemands aussi étaient épuisés par cette
lutte titanesque. Le 25, ils se montrèrent moins ardents à
I'attaque. Clest alors que le Roi, ayant recours à un sacrifice
héroîque, frt ouvrir les écluses de Nieuport (f). Peu à peu
la vallée de I'Yser se transforma en un marécage d.e boue, puis
en un lac immense. Les Allemands, qui venaient de forcer le
rempart du chemin de fer vers Ramscappelle, furent terriflés
par la montée sournoise des eaux. Abandonnant canons et
matériel, ils se retirèrent sur la rive droite de I'Yser. Le 31, la
sanglante bataille de I'Yser était terminée. Sept divisions
allemandes (soit plus de IOO,OO0 hommes) y avaient été, les
unes décimées, les autres détruites. Mais, de leur côté, les Belges
avaient perdu 16,000 tués et blessés, c'est-à-dire-plus du quart
de leurs effectifs.
De la fin d'octobre à la première moitié de novembre, les
Allemands, saisis de vertige et ne, comptant plus leurs morts,
firent un nouvel essai de percée vers Calais dans le secteur
d'Ypres. Cette fois, ce fut la < méprisable petite armée du
FJo, tr l
lL-4:
(Photo'llels')
LES R'TNES DES HALLES D'ypRES
Le bcfiroi, vu dc l'arcadtt d.u Nitrrrwerk, à I'extrémit6
les halles.
Durantcesquatreinterminablesannées,laBelgiqueocctrpée
avait subi un lon$ rnartyre. Toutes les libertés qui faisaient
Des
atrtrefois l'orgueii des Belges avaient êté supprimées'
amendes ou des châtiments grotesques étaient infligés aux
par des mani-
communes ou aux quarbiers qui s'étaient honorés
festations patriotiques. La censure avait tué la liberté de la
presse. Au point dle vue économique, la Belgique.f.ut complè-
iement dépàuillée. Une série de < Zentrale r, où siégeaient
les
qu'autrefois nous avions béné-
eornmis, employés et vendeurs,
volement introduits dans nbs milieux eommereiaux et bancaires,
vidèrent à fond magasins et fabriques. cuil'res,laincs, bétail,
che-
Le matériel de nos usines partit pour
vaux, furent requisitionnés.
l,Allemagne.Chaquemoisnosinfclrtunéesprovincesdevaient
payer d'énormes àontributions, prétendument pour I'entretien
< Cornité National
des troupes d'occupation. Sans I'appui d'un
de Secours et dlAlimentation , organisé par des citoyens
énergiques (Ernest Solvay, Emile Francqui)r sans
le con-
leur
. direct des Etats-Unis et le dévouement infatigable de
"o.r'I population
ministre à Bruxelles, M. Brand-\ilhitlock, notre
hiver de
eût été décimée par la famine (l)' Pendant le cruel
mirent le comble à leurs infamies en
inru_rnrr,'les Allemands
déportantenAllemâgnenosouvriers,sousprétextetleréagir
contre le chômage. :
(1) On ignore généralement, que, déjà au milieu drr xrxe siècle, la presee
a.llernande essayait tlc rniner l'unité belge en excitant l'un contre I'auùre
I'lamands et Wallons, Ire chansonnicr Cr,nssn corrlpos& à ce propos une
n Réponse rl'un Bclgc aux journaux allomancls o où figirire ce couplet :
***
r
Aucoursdelalongtrepérioded'immobilitédanslaquellese
figea le front occidental, I'armée belge se distingua par deux
tâches : la $uerre dans les colonies et la $arde de I'Yser.
Le 7 aofit 1gr4, le roi des Belges avait proposé la neutrali-
sationdubassinduCongo,maisbuitjoursplustarddes
patrouilles allemandes venaient couper des fils télégraphiques
Fur lp rive oecicleptale du lac Ta'nganika' Dès lors' rien
n'en'
-606-
pêchait les forees coroniales belges de coopérer avec Ieurs alliés
à Ia conquête du domaine colonial allernand. ces opérations
se développèrent dans trris directions :
lo En septembre Igr4, une petite colonne remonta la san$a
sur un parcours de trois eents kilomètres et aida les Français à
supprimei une tles deux antennes que les Allemands avaient,
quelques années auparavant, projetées du cameroun au congo
belge, à travers Ie Congo français;
20 En 1915, une colonne berge participa à la, campagne du
cameroun et entra, en janvier rg16, à yaunde, dernier centre
de résistance des Allemands dans ces parages;
3o La troisième opération, Ia conquête de I'Afrique orien-
tale allemande, demanda de Iongs préparatifs, l'envoi de
matériel d'Europe et la transformation de nos forces coloniales
en une véritable armee. ce fut l'æuvre du général rombeur
et du gouverneur général Henry. En avril 1916, deux brigacles
de deux régiments ehacune, sous les ordres, I'une du colonel
Molitor, I'autre du lieutenant-colonel Olsen, envahirent _
par le nord et par I'ouest
-- Ie Ruanda, riche proûince située
dans I'angle nord-ouest de I'Afrique orientale allemande. Fran-
chissant montagnes, marécages et rivières, elles prirent Kigali,
chef-lieu du Ruanda, puis r]sumbura et la rive orientale arirac
,Tanganika.
Entre temps, ce lac immense était entièrement tombé aux
mains des Belges et des Angrais, grâce arrx opérations d.'unc
flottille mixte et d'hydro-avions. En pleine saison sèche, dans
un pays monotone et sans eau, so's un soleil ardent, nos
braves soldats noiis, conduits par des ofliciers de choix, mar-
chèrent ensuite vers Tabora. Après une bataille de dix-huit
jours, ils prirent cette ville (le rg septembre rg16), la seeonde
en importance de I'Afrique allemande. 200,000 kilomètres
carrés, habités par plus de 4 millions d'indigènes,. étaient
conquis et soumis à l'autorité du eommissaire royal l\ralfeyt.
Les Anglais croyaient en avoir fini. l\rais Ie coronel von
Lettow-vorbeck, chef des dernières forces allemandes en Afrique,
était aussi brave qu'ingénieux. rl cléjoua les efforts de ses enne-
mis; aussi, en 19I7, nos alliés durent-ils faire un nouvel appel
au concours des Belges. L'alerte colonel Huyghé concentra ses
troupes à Dodoma et à r{ilossa, dans re sud-est de |Afrique
orientale. A travers un terrain hérissé dç difficultés, il pour.
-607-
chassa le major Tafel, prit Mahenge,le I octobre 1917, et traqua
son adversaire jusqu'à ce que celui-ci allât se jeter au milieu
d'une'colonne anglaise, postée près de Newala, dans I'angle
sud-est du pays, aux confins du 1\Iozambiq.ue. L'héroisme tle
nos troupes en Afrique nous valut, lors dtt partage des anciennes
colonies allemandes. la gestion de deux riches provinces : le
Ruanda et I'Urundi.
I'"rmée betse'
LA BA.'ArLLE DE MER.KEN{ÏÏïï :':::"i,':T::,i:;::'
Lignes d'irrf&nterio altcndarit, cllrrrs dcs trarrchées cle fortune,
lc signal ilt' I'assaut.
609 --
-
FrançaisetlesAnglaisàreprend'retoutleterrainperdu.Ce
fut une rude bataille de huit iours'
. zo pendant l'été de lgl?, làs Belges appuyèrent faile gauche
destroupesfrancro.britanniquesquiessayaientdeperceren
Flandre.
3o Le I awil 1918, les Allemands, arrêtés devant
Amiens,
déclanchaient une terrible ôffensive sur la haute Lys' Ils mena-
de communication de I'armée belge. Le 17 avril,
çaient les lignes
lla IIIe D. 4., sous le général Jacques, et la IVe
D'A" sous le
général Michel, arrêtèrent quatre divisions dans la région de
irrrg"rrr""ck. Le 9e de ligne et le ler chasseurs à pied reçurent
la eroix de I'ordre de Lèopold. Ce fut la glorieuse bataille de
Merckern-KiPPe.
***
AlafindeseptembrelglS,lemomentétaitvenuoùl'armée
rôle actif dans le $rand mouvernent
belge allait jouer un
offensif du $énéral Foch. Le roi en informa ses l,roupes'
Ie 27, par cette courte et énergique proclamation :
< Soldats,
, > vous allez liwer un puissant assaut aux positions ennemies.
> Aux côtés de vos héroiilues camarades britanniques et
français, il vous appartient de refouler I'enva.hisseur qui trpprime
vos frères depuis plus de quatre ans' t
> L'heure est décisive.
, ,, Partout I'Allemand recule.
r Soldats,
lMontrez-vousdignesdelacausesacréedenotreindépen.
danee, dignes de nos traditions et de notre race'
r En avpnt pour le Droit, pour la Liberté, pour la Belgiquç
glorieuse et immortclle.
r ALBERT. P
- Le roi avait sous ses ordres, outre I'armée belge, clirigee par
le général Gilain, chif d'état'major g&réral, tà VI-e armée fran-
çaiie (général Desgouttes) et la IIe armée anglaise
(général
itr"*"*1. Son but était de chasser les Allemands du littoral par
une percée foudroyante, opérée ( en secret, avec audaee et
F. vaN KÂLKEN. Ersrornn DE Bnr'clraun' 1924' 20
- -
-610_
surprise o, o"r, Thourout et Bruges. pour cela, il échelonna
trois D. A. : la 1re (général Bernheim), Ia rrJe (général Jacques)
et la vre (général Biebuyck), du fort de la r(nâcke (au sud de
Dixmude) jusqu'au wieltje, au nord d'ypres. plus au nord, le
génûal Micbel, avec Ia 4edivision d'infanterie, devait fâire une
démonstration vers 'wournen et Dixmude (r). L'attaque fut
txée au samedi 28 septembre.
L'effort à fournir par les nôtres était terrible. rs devaient
traverser un terrain découvert, criblé de milliers de trous d'obus
jointifs, dus aux c pilonnages r de rglz-lgrg. chaque cratère
était transformé en mare. Devant le centre du front d'attaque
se dressait Ie rempart de Ia forêt de Houthurst, le sinistre
vrijbosch des aneiens détrousseurs de la 'west-Flandre. c'est
devant eette forêt, avec ses abris bétonnés, ses rideaux de fiIs
de fer barbelés et ses nids à mitmilleuses que la grande offen-
sive franco-anglaise de l9l? avait échoué. bechi{uetée par le
tbu de I'artillerie, elle apparaissait comme une ( lande piquée
de manehes à balai r. Les Allemands étaient protégés par six
systèines de tranchées : la Bayemstellung,la preussenstelhmg,
la Frankenstellung, etc.
Mais nos soldats savaient que derrière ees remparts les atten-
daient Ieurs familles frémissantes d'espoir, ils savaient que la
Patrie martyre comptait les minutes qui ra séparaient de Ia
libération. Animés du plus pur patriotisme, ils furent sublimes.
A 2 heures et demie du matin commença un tir préparatoire
foudroyant qui dura trois heures. puis, à 5 heures et demie, dans
I'aube livide, ce fut I'assaut, sur un sol glissant et couvert
d'obstacles, sous une pluie torrentielle. En un instant, trois
Iignes furent enlcvées. LaTe D. r. (générar van Acker) prit d'un
seul effort Ies deux tiers du bois de Houthulst. En tout, les
neuf D. r. avancèrent de plus de six kilomètres sur un fmnt de
dix-huit kilomètres. Le général Foeh se fit plusieurs fois confir-
mer par téléphone I'annonce de ces incroyables succès.
Le lendemain, I'armée belge conquérait, malgré la présence '
de quatre divisions allemancles de renfort, toute la crête des
Flandres, d'Eessen à Passchendaele, avec les villages de
clercken et de Z'arren. ce magnifique fait d'armes amena l'éva-
612 _
-
libérée. Bo,00o prisonniers, 500 canons, r,200
mitrailreuses
étaient restés aux mains des vairiqueurs !
Entre temps,I'écroulement de ra puissânee germanique
avait
atteint des proportions gigantesques. Le to àctobre,
les Alle-
mands avaient perdu < I'imprenable r ligne
Hindenburg qui,.
s'étendait d'Arras à saint-euentin et ils avaient
évacué Ie
massif de saint-Gobain-Laon. A partir du 20
octobre,la retraite
de I'ennemi f.t générale, de la mer à ta tueuse.( - -"**^"-
Dès le 4 octobre, au'soir, re nouveau chancelier
de l,Empire,
le prince Max de Bâde, avait térégraphié au président
'pour le < prier de se charger du rétabrissement wilson
de la paix ,.
Tandis que wilson subordonnait son infslvention
à r,accepta-
tion, par les Alremânds, de certaines conditions préalables,
la
révolution éetatait à r'intérieur de l'Empire. Enfin,
au moment
oir les Allemands acceptaient la négociation d,un
-n'importe armistice, à
quel les conditions, t' empi rL,r"* Hori"n
rotr"rr, s,effon -
drait : le g'.ovembre, Guilaume rr abdiquait et fuyait
en Hol_
landè; à I'arrière du front, res troupes formaient des <
conseirs
de soldats > et arrachaient à rerrrs oflieiers lcs insignes
dq leur
grade.
Le lundi rl novembre, à lr heures d.. niatin, l,armistice
mit
fin à la plus grande guerre que le monde ait jamais connue.
, t ." moment les alliés avaient atteint Ie canal de Gand à
Terneuzen, sotte$em, Grarnmont, Mons et les
confins
de I'Entre-sambre-et-Meuse. La participation dc notre
armée à la carnpagne de ribération lui avait lotrte B,E0o
tués
(dont 258 ofliciers) et 81,000 blessés, mais elle s'était
couverte
d'trne gloire impérissable.
L'armée allemande quitta notre pays par étapes cre
rE kilo-
mètres par jo.r. Beaucoup de régiments étaient pr"irr"-dil;_-
'lution, vendaient ou abandonnaient "" i"r". muni-
leurs arm".,
tions et leurs vivres.
Le roi rentra suceessivement dans ses < bonnes vites r,,
lrccueilli par des démonstrations de joie indesuiptibles
lr même, il était à Gand, le rg à Anvers. r,a veille, il avait : le
adressé à ses troupes u.e proelamation otr ir le*r disait
: < vous
avez bien mérité de.la patrie! r
' Le vendrcdi zz novembre la rentrée triomphare
'souverains de nos
à Bruxelles eut un caractère upoihéotiqrr". Le
temps était splendide, une fbure immense remplissait
res rues
-_ 613 _
pavoisées. Le roi, la reine et leurs enfants firent leur tr Joyeuse-
Rentrée r à cheval,à la tête d'imoosants détachements allié.
et de la glorieuse Vfe D. A.
Dans un cliscours du Trône enrprein0 de Ia plus grande éléva-
tion de sentiments, le Roi-Soldat exposa aux représentants drr
penple Ia tâche accomplie en quafre ans par lui et par ses
(Plwto Nels.)
L'ENTRÉE TRIoMPHALE DE Nos soUvERAINs A BRUXELLES.
LE 22 NOVEMBRE 1918
***
Le samedi 28 juin tgrg, la palx a été signée à versailles
entre I'Allemagne d'une paf,, les puissances alliées et associées
(1) Ayant été à la poine, I'am.ée belg:e fut auesi appelée ou légitime hon-
neur d'occuper une partie do l'Àllemagne cisrhén&ne, ce territoiro dovant
servir de ga€ie pour l'accomplissement des promesses du vaincu. au d.ébut
de décembre, lorrque les Belges pénétrèrent sur le territoire allemand, le
Rol leur adlessa la proclamation euivante :
n Oflciers, Sous-Ofrciers et Soeats,
o En 1914, l'amée befu:e s'est levéo contre l,envahibseur pour d.éfend.re
l'hon.eur de la nation. Pendant plus de quatre années, yous avez combattu
loyalemeut un adversaire qut, se basant sur sa, force, a commis tous les abug.
La victoire a récompeusé vos eflorts. vous alloz rnaintenant pénétrer sur
lo territoire ennemi non pa,B pour y procéder à des représailles, mais pour
assurer I'exécution d.es clauseg d.e l,arrnistice.
I Sold.ats de I'honneur, lrous ne ternir.ez pas I'éclat de votre gloire. Vous
coD.tinuerez ù remplir vos devoirs aveo fermeté, mai:s aussi aveo la même
loyauté.
' En respectant lee populatioùs, en sa,uyeg:&rclant les propriétés, voue
achèverez de confond.re I'ad.versairo et d.e vous élevor d.ang l,estime de nos.
alliés.
, officiers, sous-oflciers et sold.ats, ie compte que vous resterez dignes
de la Belgique. o
-615-
d'autre part. Le traité et les accords qui lui servent de
eorollaires, ont établi en notre favepr les stipulations sui-
vantes (l) :
_ 6t6 _-
déIégués français et anglais, afin de Éaliser les desiderata belges
en ce qui concerne I'Escaut et la Meuse.
Ces négociations o4t, en effet, eu lieu, mais elles ont profon-
dément déçu beaueoup de Belges, tant au point de vue terri-
torial qu'économique. Sans doute, Ia convention hollando-belge
nous a réservé des avantages économiques mais, par contre, le
gouvernement hollaudàis a prétendu eonserver la souveraineté
sur toutes les passes de I'Bscaut, y compris celle des
\ilielingen, située en face de Heyst et de Zeebrugge !
5o Dans I'Est africain, Ia Société des Nations a conféré à Ia
Belgique, placée au rang des grandes Puissanees alliées, un
mandat de gestion coloniale pour le Ruanda et I'IJrundi,
territoires peuplés par trois millions d'habitants et très iiches
en bétail.
***.
_618_-
personnelles. Mais, rentrés dans l,opposition, ils observent
vis-à-vis des ministres catholiques et libéraux une attitude
d'expectative en somme bienveillante.
Pour le moment d'ailleurs, les préoccupations poritiques et
sociales sont subordonnées aux questions éeonomiques et finan-
cières. Réparations, budgets, emprunts,lois le com-
merce' les loyers, la vie chère, le change "or""*arrt
déprécié, tels sont
les points principaux figurant au programme du ministère et
des Chambres.
' Entre temps, nos dirigeants ont néanmoins aecompli, ou
commencé à accomplir les promesses eontenues soit ouver-
tement, soit implicitement, dans Ie discours du Trône du
22 novembre lgt8 : suffrage *niversel à vingt et un ans (y
compris le suffrage férninin pour les élections communales),
impôt sur le revenu, loi des huit heures, assurance obligatoire
eontre les maladies et les accidents du travail, loi contre la
consommâtion abusive de I'alcool, abrogation de I'artiele glo
du code pénal, qui entravait la liberté syndicale, université
flamande, à Gand, égalité des subsides en matière seolaire.
Au point de vue extérieur, la Bergique s'est efforcée de con-
tinuer à mériter, dans la Paix,la confiance et I'estime qu'avaient
placées en elle les peuples pendant Ia Grande Gueire. souvent,
au cours des négociations difficiles de ces dernières années entre
la France et la Grande-Bretagne ces fières nations que tant
-
d'affinités unissent et que tant d'intérêts séparent nos diplo-
mates ont joué un rôle actif et syrnpathique. En- cela ils ont
repris une des plus grandes traditions des doctrinaires de lggo,
cles Lebeau, des Devaux, des Nothomb, qui rêvaient d'édifier .
-619-
par sa conduite aussi noble que sage'
la loi suprême du devoir!
ce contraste grandiotg-d"- la sublimité
il réalise singulièrement
moraledansl'exiguitématériellequ'avaitcélébre.Aristoteen
doctrine classique
un passâge immoiel; et il d.onne raison à cette
desnationalitésqui,faisantabstractiondesdifférencesd'éten-
toutes les nations
due et de puissanË*, p"o*lrrrre égales entre elles
vraimentdignesde-""nom,conformémentaupremierarticle
de la Déclaration des Droits'de I'Homme
: c Tous les hommes
> (Cest-à-dire tous Ies êtres marqués du caractère de la per-
, àonnalité) naissent libres et égaux en'droits' D
i'h,.
PAOES
I
PREMIÈNP PARTIE
La Belgique daps l,antiquité.
Cserrrnr Irt. Temps préhlstorlques et protohlstorlqu6.
CEerrznn II. - L,a Gaule Belgtque avaat . 5
la ....
C'a-LprrnnIII.-Loconquêteromalne conquête --"1o"
-
.;.....
l0
Che-prrnn IY. La Belgtque roûalne lB
- . 16
DEUXIÈME PARTIE
La pérlode, franque.
CErfrrnn 1"r.-_ Les t€mpE mérovlngleae
CErrrrn,n II. 23
L€s temps carollnglens
- 3l
TROISIÈME PARTIE
Le haut moyen âge.
oa1.lrnn J*. Leeié"éoemente polrttques en Flûrdre
- du D;o et du Xc stècte.
rlnÉte au cours et e,, tatha-
30
40.
S 2. La Lotharingie
CErgrrnp II.
- tl
La vle économlque et soclale aux pays-Bas durant
le IJ(€ et le - Xr alècle
QUATRIÈME PARTIE
Le ré$irne féodal à son aPo$ée.
PÀGEg
CINQUIÈÙIE PARTIE
La Période cornrnunale'
La Flandre. 69.
S 1.r.
$ 2,- Le duché do Lothier. TO
- aÛs Pays-Bast dans la
Oreprrnn II. La vle éconornlque et soclale
-
seconde moltté du XIIo et au XIIIg slècle '
79
SIXIÈME PARTIE
La période urbaine dérnocratique'
I
-622-
SEPTIÈME PARTIE
Les Pays-Bas sous les ducs de Bourgogne.
P.|OES
CEevrrnu Jû'. Lee premlers ducs de Bour$o$ne .... 138
CErPrxat II. - Le règne de Phlltppe le Bon, . . . J. .
-
$l.'. La polltlque extérieure tle Philippo le Bon. 111
! 2. -- L'unlflcetion territoriale dos Paye-Bae .. 1t5
$ 3. - La coutralisation d.ee institutlous 161
$ 4. - I/es aonflits entre Philppe lti Bon et les Communes fla.
mandeg. 155
QEenrnu III. Lo prlnctpauté de LléÉe à l'époque dee duce de
Bouttogre- 159
CEerrrnp IV. La vle économlque et soclale dans les Payc-Bar
rons lea ducs- de Bourgogne 187
CEe.prrnn V. ;- I2e rèlne de Chartes le Téméralre
HUITIÈTIE PARTIE
Les Pays-Bas sous les premiers Habsbour$s. t
NEIiVIÈME PARTIE
La domination èspa$nole et la révolution
du XVIe slècle.
CErFrrtsE I.r. -Iæs débuts du rè$nedePhlltppe II.......1.... 240
Canprrg,p II. La réslstance natloaale 211
CErprrtn III. - La réoletance relllleuse ....:..... 249
-
nrxrÈun PARTIn
espagnol'
La fin du ré$ime 90+
i: il^prrnn
"'Ëï;; 1y"- .,.:
:h cse.prrns rv' - :"
t,l il;;il;';; ;A;
et
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......
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...
F CsÀPrTR,n T: f
le XVJIe tlède ' '
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I
I ONZIÈME PARTIE
l
t Le ré$ime autrlèhien' 354
385
o"iJ#T liL;,ï
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ÏrePrrns - --
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ltégeolse'
CEaPTTRE
VI' - La t,i""f"U"n
nouzrÈur PARTilT
Le.ré$irne français'
; i:
ffiffi"'{:-â*ffi
-Âô16ê lrançgls ' '
-illEi'?:',Ë'
t''.".qh
-624- ')
TREIZIÈME PARTIE
Le régime hollandais et la révolution de f830.
PÀCE8
Cgeprrnu I.r. La, réualon de la Belgtque et de la Hollande.
À
L€û
Cent-Jours- - 495
CsAPrrer II. Les début8 du règne de Gulllaume I.r.. LLI
CEeprtnr III. - l,a vle économlque et soclale en Belglque sous le
-
réglme bolaodals {.Ll
Oneprrnr IY. Les Erlets des Belges et I'Unlon des opposltloûa... 451
-
Oneptrnr Y. La révolutlon de l83O
Cseprrnp VI. - La constltutton du royaume dc Belglque 4?0
-
QUATORZIÈÛIE PARTIE $
La Belgique indépendante. {
CEÂPIT'II,E Iê.. Ia potltlque extérleure de la Belglque, de tggt
à 1914. Le- probtèr4e de la défense natlonale 490
Cslrrrnr - II. _- La pottttque lntérleure'de Ia Belglque, de tgSl
à l9r4
Cs.lprrnn III. L'évolutlon économlque de la Belglque, de lESt
à t9r4. - 52L
Cnaprtnn IY. -- L'expaaslon colonlale de la BelÉlque, de lg?6
à 1918.
Cueprtnr: \t. La vle soclalp en BelÉliquer de lSgl à f914. 613
-
QUINZIÈME PARTIE
La Belgique et la guerre rnondiale.
Cru:rrnp fcr. La guerre mondlale et la campagne dc lgl4 en
'Belgtque - 5?3
CnnPtrnu IL Les années d'occupatlon. La vlctolre. 600
- -