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Frans VAN KÀ,LKEN


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aux Chembrcs, ,q, aoùt tgt4.\

DEUXTÈME ÉOITION

OFFICE DE PUBLICITÉ
J. LEBÈGUE & Ci", Éditeurs,
Anciens Ét"bliss.
Société coopérative
36, RUE NEUVE, BRUXELLES

| 92+
TOUS DROITS DE TRADUCTION RESERVÉS

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PREFACE

i J'ai écrit la plus grande partie de eet ouvrage alors


f,., ùu'autour'
de moi un peuple fier supportait avec
' stoïcisme les horreurs de l'oceupation étrangère, alors
qu'au loin, par Ies soirs calmes, on entendait gronder
le canon de l'Yser. Pour beaucoup d'étrangers,
et d'ailleurs pour beaueoup de Belger
",r*-*ê*€s, -
$réroïsme des nôtres, de lgl4 à lglg, fut une révé-
lion. N'avait-on pas vu, avant la Grande Guerre,
lrtains de nos compatriotes, aveuglés par le snobisme
I I'esprit de cloeher, prétend*. q*e la Belgique était
lhe simple expression géographique, que le terme de
Belge désignait un être artifieiel ! Comment ,ees igno-
rants, ces s'ceptiques ou ces hommes de mauvaise foi
eussent-ils pu avoir eon-fiance dans les vertus de notre
peuple, alors qu'ils lui déniaient jusqu,à ses droits à
I'existence?
Or, pour quiconque avait suivi de près l'évolution
de la Belgique à travers les âges, l'attitude des Belges
fr.rant la récente crise mondiale ne pouvait provoquer
slrprise. Tout notre, passé, en effet, n'est qu'un
ehaînement de luttes patientes, tenaees, intrépides,
ur la conquête ou le maintien de Ia liberté. Toutes
s dominations se sont succédé dans nos provinees
ns autres résultats que de rendre toujours plus vivace
haine de nos aïeux pour l'oppression, l'injustice, la
iolence et l'hypocrisie. Pendant les siècles les plus
lmbres, il semble parfois que Ie Belge doive succom-
ber; tout espoir de relèvement paraît anéanti en
mais son robuste optimisme le guide à travers
ténèbres et, dès que luit I'aube de jours meilleur
'monde son droi
proclame hardiment à la face du
( vlvre sa vle )).
Aussi ai-je cru faire æuvre utile en cherchan
répandre dans le public la connaissance de nos
rables annales. M'adressant à la jeunesse, &tlx
gers et, en général, à tous auxquelg la pratidtll
""ri*
àe l'histoire n'est point familière, i'ui rédigé un livre,
illustr é, tenant le milieu entre le manuel et I'ou-
- détaillé. Je me suis efforcé de mettre
-vrage historique
en lumière le rôle européen du peuple belge à travers
les âges, de caractériser sa physionomie propre' en
décrivant les phases de son évolution du point de vue

Stliiïi;Jï,ïtË:i:ïiiJ:î:;i:li-"#iT,:'i,{:,t
et d.* périodes tranquilles
d'organisation, Pendaf
Iesquelles ses institutions se développent, t"ir$fril
s'affinent et sa part contributive à l'épanou
des sciences, des lettres et des arts augmente' Jtai
résumé les faits les plus caractéristiques des périodes
de crise et j'ai essayé de ressusciter,'par des tableaux
aussi compiets, aussi conerets et aussi vivants qu'il
m'était possible, nos milieux économiques et sociaux
de jadis, an* époques de calme et de progrès dp la
civilisation.
Ce but étant donné, j'ai pa,ssé rapidement sur I
premiers siècles de notre histoire, car, jusqu'à l'époq
â"r Croisades, nos annales se confondent singulilr
ment avec eelles des peuples voisins. J'ai agi de mê
lorsque j'ui parlé du fonctionnement de la socié
féodàle, de l'organisation interne des Communes, (
la technique des corporations, bref, lorsque le suj
n'avait rièn de spécifiquement belge ou lorsqu'il n
paraissait relever plutôt du dbmaine d.çt ouvrag

7
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spéciaux. D'autre part, je n'ai guère insisté sur l,his-


toire de nos diverses prineipautés à l'époque féodale.
Les interminables querelles entre leurs princes inté-
ressent certes le chroniqueur, mais quoique ayant eu
lieu sur notre territoire, elles n'ont pas assez d'impor-
tance pour trouver place dans un ouvrage à earac-
tère synthétique.
Toutefois le leeteur verra que j'ai donné un déve-
loppement peut-être inusité aux dernières époques de
notre histoire. Je suis en effet profondément con-
vaincu que le xvue sièele et Ie xvrrre ont exercé sur
Ia Belgique d'aujourd'hui une influence ccinsidérable.
Quant au xrxe siècle, je suis d'avis que jamais nous ne
pourrions l'étudier d'une r4anière assez approfondie.
Me plaçant à un point de vue exclusivement belge,
en dehors de toute eonsidération de parti, je me suis
efforcé d'écrire un ouvrage impartial et sincère. J'ai
glané mes données, passées au crible d'une critique
attentive, dans I'abondante littérature que nous pos-
sêdons déjà sur l'histoire de Belgiqn". Srns négfiger
les archivistes et les éerivains de notre première école
historique, les Gaehardo les Juste, les Moke et autres,
artisans conseieneieux, peut-être trop oubliés aujour-
. d'hui, j'ai puisé ma documentation de préférence dans
Ies livres nombreux et sûrs généraux ou spéciaux
-
de notre exeellente pléiade.contemporaine. Parmi
-eux, je citerai surtout les æuvres de ,Léon Vandcr-
kindere, de Guillaume Des Marez, de Paul Fredericq,
d'Ernest Gossart, d'Eugène Hubert, de Henri Lonchay
et de leurs émules. Mais à côté de ces noms iI en est unn
celui de Henri Pirenne,,que je prononce avec un respect
partieulier. Dans son grand traité d'histoire de Bel-
gique, ce maître a développé des théories nouvelles,
sagaces, plefnes d'originalité et dont, beaucoup ont
acquis la force d'argumentations définitives. Pour tous
eeux I'eui s'occupent de notre histoire nationale,
. \-;

-.t--
Pirenne est et restera longtemps eneore le plus pré'
cieux des guides.
Le travail que j'ai entrepris était malaisé et je ne
me rends que trop compte de ses imperfections. Si je
parviens cependant à communiquer à mes lecteurs une
part de I'admiration que je profetse à l'égard de nos
pères et de leurs annales, je croirai n'avoir pas fait
æuvre vaine.
Saint-Gilles, le l5 janvier f9p0.

PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉOTTTOT.T

s, la presse et le public ont bien .rorrftl


réserver à cet ouvrage Ie meilleur accueil. Aussi mel
suis-je borné, dans la seconde édition, à faire les eor-l
rections que m'ont suggérées de bienveillants critiquesn -
à augmenter I'illustration et à'retoucher quelques
points des dernières pages. Le setrl chapitre entière-
ment remanié est celui consaeré à Ia préhistoire. Je
me suis inspiré, pour ces transformations, des travaux
si clairs et si convaincants du baron de Loë.
Saint-Gilles, le 3O décembre 1923.

7
PREMIÈRE PARTIE
LA. BELGIQUE DANS L'ANTIQUITÉ
(Des originos au milisu du V" siècle.)

CHAPITRE PREIVTIER

TEMPS PRÉHTSTORTQUES ET PROTO-


HISTORIQUES
(Des origines à 300 av. J.-C.)

Let temps prélyistoriques. Ages de la pierre ou l;ithiques : Ia pértode


éohthique (p. g); les trois phases du paléol:ithique ou âge dc
Ia pierre taillee (pp. 6 et 7); la période néolithiqu,e ou âge
de Ia pierre polie (pp. 7-9).
Les tunps protnhistnrigtes. Ages du nÉta,I : XIXe s. au. J-C.,
âge ù.r bronze; IXe s. aa. J=C., âge du ler (p.9); 600 du;
J.-C., l'inaasùon celtique (p. g); 300 aa. J.-C., arriaée de:s
Belges (p. g).

Les origines et les premiers stades évolutifs des hommes qui


peuplèrent Ie territoire de la future Belgique pendant les temps
préhi5toriques sont encore fort obscurs. Selon certains paléon-
.tologues,
il y aurait eu, à l'aube des â$es de la pierre (ou
lithiques), une période éolithique (eôs : âuror€ i lithns :
pierre), dès l'époque oligocène, seconde phase de l'ère tertiaire.
En ces temps fabuleusement reculés, I'homme ou son pré-
décesseur, I'effràyant anthropopithèque - utilisé des
aurait
-
éclats de silex,les éollthes, pour déterrer des raeines ou écorcer
des,arbres. En fait, on ne sait rien <le eertain quant à cet â$e
-_6--
de la pierre éclatée et les éolithes sont peut-être dus à des
phénomènes géologiques et météoriques.
Il est donc prudent de ne faire' commencer les âges de la
,piene qu'au début des temps quaternaires. On les divise en
deux périodes : lo le paléolithique (palaios : a.neien) ou âge
de la pierre taillée, contemporain de la première phase du-
quaternaire, phase pléistocène, si longue que I'on ne peut en
évaluer la durée; 20 le néolithique (neos =: lrotlv€âu) ou âge
de la plerre polie, eontemporain de la phase holocène ou
seconde du quaternaire, qui dura sept ou huit mille ans.

Le patéollthïque comprencl à son tour trois subdivisions :

A) Le paléolithique inférieur.
Pendant cette période, la mer recouvre le nord et l'ouest de
notfe pâ)'s. Le climat est doux et l'atmosphère calme. Abrité
<lésrayorrs d'un soleil ardent par <l'épais massifs de verdure,
I'homme se nourrit de baies et de racines. Nu, encore stupide,
iI pousse des grognements iriarticulés et des cris stridents. Ses
grossiers outils de silex ne peuvent le défendre contre le gros
gibier : rhinocéros, hippopotames, éléphants, qui infestent son
volsinage.
,B) Le paléolithique moyen.
Des crucs formidables ont ravagé les forêts de I'Iùurope occi-
dentale. Par suite du relèvement de notre sol, la nler a reculé
et les fleuves forrnent de larges t6nents. La température s'est
refroidie; d'immetrses glaciers se sont constitués, leur bord
méridional recouvre le nord des futurs Pays-Bas.
'L'homme de cette époque (homme de Néanderthal ou
Spyensis) (f ) est du type lapon, c'est-à-dire très petit, trapu,
musclé et brun de coulettr; il marche les jambes arguées. Sa
tête est allongée (dolichocéphale), plate, à front et à menton
fuyants; les mâchoires sont puissantes; les arcades sourcilières
embroussaillées sont proéminentes. Exposés à un froid humide
et rigoureux, les petits et rares groupes d'hommes de ce temps
durent se réfugier dans les, caveranes des vallées calcareuses

(1) Des crônes et tles osseurents de çette race ont été trouvés à Néander'
thal (1856), entre Dusseldorf et Elberfeld, ainsi qu'à Spy, tlans la valléo
de I'Orneau,-d,u nord d.e la provincè de Namur,
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-.

rle la Meuse et de, ses affluents. Les spéléologues (1) sônt par-
venus à reconstituer leur chétive existencen dans ces antres
puants, encombrés d'os et de détritus d'aliments. Habiles à
tailler les silex en forme de coups <le poing, de tranehoirs, de
raeloirs, cle grattoirs, de .perçoirs, ces troglodytes (troglê, :
trou; duein : entrer), quoique atteinbs d'ophtalmies et d'ulcé-
rations, chassaient avec intrépidité I'ours et le mammouth à
toison laineuse. Ils se couvraient des peâux eb mangeaient les
os à moelle de leurs victimes. Ils eonnaissaient I'usa$e
du feu.
C) Le palèolithique supérieur.
Cependant, la période de froid perdurait et avait p"i, '.rr,
earactère très sec. Tous les animaux cle la zone aretique s'éta\ent
acclimatés dans rros régions. f)'autre part,la mer avait de
nouveau envahi I'ouest de la Belgique. C'est alors qu'une race
toute nouvelle, celle de Cro-Magnon (2) (on dit aussi race
rles chasseurs de rennes), remplaça I'homme de Neanderthal.
\renue du pourtour de la Méditerranée, elle présentait déjà
lep caractères de l'intelli$ence : front large et haut, facies
moins simiesque, membrure à Ia fois puissante et souple.
L'homnre de Cro-NIagnon était nomade, grand pêcheur, plus
grand chasseur eneore. Grâce à son outillage perfectionné : silex
taillé en lames, burins, épingles en os, bâtons en bois de
renne, harpons barbelés, etc., il avait su adoucir les rigueurs
rle son existence.
Il recherchait les câvernes spacieuses (Chaleux, Furfooz
[Lesse], Montaigle [Molignée,l) et en peignait les parois d'ocre
brun. II savait y graver des images, parfois admirables, de
rennes, d'aurochs ou de poissons. Enfin, il aimait à se peindre
le corps d'ocre rouge et à se parcr de colliers ou de bracelets
faits de coquillages fossiles et tle dents d'ahimaux
Environ dix ou neuf mille ans avant l'ère chrétienne, un
grand changement s'opéra en Europe occidentale et ouwit Ia
période néolithique. Par suite d'un nouveau soulèvement du
sol les glaciers avaient reculé jusqu'à lertr emplaeement actuel;

(l) Ira spéléologie étudie la formatioD des g:ouffres, des grottes, dee
soufces, etc.
(2) Nom d'un abri sous roche, situé atrx Eyzies, tlans la Dortlogne, où
quatre squelettes furent déeouverts.
-8-
le elimat s'était beaucorp adouei. IJne race d'hommes petits,
mais forts, intelli-
gents,àtête ronde
(brachyeéphales),
à cheveux bruns
et nez court, ve-
nue de I'Arménis-
tan et du Cau-
case, pénétra en
Europe parlaval-
Iée du Danubc et
se mêla auxpopn-
lations autoclrto-
nes. Leurs arnles
llerfectionnées les
rendaient invin-
cihlcs. (l'étaient
<lcs picrrcs hubilt'-
rrrcttt lrolies rlrr'ils
oltrrnarrch:ritnt
rlarts trn lrois rlc
cerf. I)e l:l k' norrr
tl'âgedelapierre
polie tlorrrri' :lrl
niolitlriclre .
hlaît lesses rlc
I'I4utrilrc. t'es lir-
rni llcs de qrrcrricls
s(t c(.)nr-irc,Ièrctrt ir
(1)iril. l'r'ls.) la cult,rrlc' et l
l'élcvage. l)ans
ROCHERS DE FTJRF'OOZ r:crt:rins pa1's elles
.[ROU DTi GRA}{I}.DUC
eonstnrisirent sur
Lr: trtirssif r16 lr'urfooz, dltrr; rlrc lrriucltr tlr: lrr, .l,ussc, pilotis clcs hal-ri-
cst unc st.l{,iotr pr'é}rist'olitlrrc célèlrrt'. Oe lllatctrrt fut
imssj hlbjté pitr tics ltcttlrlatles tti'olil lritlttcs de I âEtr ttrtions lacustres
rlc la picn'e polie, lirr'1,iiiô ltat le-s ('t'l1cs. k-s I:lotttrtitts,
ct cnlin par lcs lfrùttcs. I l scrrrblc' avoit' été désert(r (palerflttes), nrais
ir, paltir rlcs terttps féodatt-r.
Le tlou du gratrd-tluc sc voit tout 1n'ès <lu sottt- chez nolls elles
rnct, C'était unc galcrie sotrtenaitttt pllttôt clu'ttrlc groupèrent leurs
grottc habit(re.
huttes coniques
sltr des plateaux, le plus solrvent au borrl r1e ravins cscarpés.
-9-.
Dans ces endroits sains et à I'abri des attaques, elles tissaient
des étoffes, creusaient des trones d'arbres en forme de canots et
fabriquaient des 'vases en terre cuite. Elles exploitaient aussi
des gisements souterrains de silex (I), vendaient leurs produits
industriels ou agricoles au loin, bref, participaient déjà de
toutes manières à la civilisation.
Par contre, Ies hommes de la pierre polie ignoraient complè-
tement les arts. fls adoraiertt de groÉsières divinités en pierre.
En I'honneur de leurs morts, ils érigeaient des dolrnens (pierres
plates posées sur deux pierres verticales); en I'honneur de leurs
guerriers, des menhirs (pierres levées ou mégalithes).

,r**.
Avec les â$es des métaux, nous entrons dans la proto-
histoife.
Deux mille ans avant J.-C., le cqirfqe appârut en Europe
occidentale. Peu après, les populations caucasi{ues, entrées en
contaet avec des colporteurs étrangers, se mirent à fabriquer
des haches et des poignards avec un alliage de cuiwe et d'étain.
Des fondeurs ambulants parcoururent toute I'Europe. Ce fut
I'â$e du bronze, qui dura du xu(e au rxe sièele avant
notre ère.
A ce moment, des populations indo-européennes, de hom,
inconnu, de haute taille, pourvues d'armes meilleures encore :'
lances, lourdes épées, vinrent de l'Est, imposant leur d.omi-
nation aux raees plus anciennes. Ce fut l'â$e du fer. Deux
siècles êt demi plus tard, vers 60o av. J.-C., Ies Gaulols ou
Celtes, chassés des bords de Ia mer Noii,e par les Scythes,
établirent leur aristocratie guerrière de l'Europe orientale au
détroit de Gibraltar et à l'océan Atlantique.
Enfin, vers 300 avant l'ère chrétienne, notre pays fut occupé
par les Belges.

(1) Le cent're d'extraction de Spionnes, à quatro kilornètres au sud.-eet de


llons, avait une superficie de cinquante hectaree.

'
CHAPITRE II
a

LA GAULE BELGIQUE'
AvANT LA CONQUÊTN ROMAINE
(300-57 av. J.-C.)

Càractère celtique dcs Belges (p. t0). Les trï'bas belgQs, lcur
-
sûtualion géographique (pp.IO et If ).-' Asptect Tthgsùque des
Belgesi leurimuns e't coutumes (pp. 1l et l?\i organisat:ion
soci.ale et religi'on (P. f Z).

Les Belges venaient de la région située entre I'Elbe et le


Rhin, d'où les Germains les avaient chassés. Etaient'ils Celtes
ou Germains eux-mêmes? La controverse à ce sujet est fort
ancienne. Il y a tout lieu, me semble-t-il, de les considérer
eomme Celtes, apparentés aux Gaulois, mais déjà mélangés
d'éléments'germaniques au moment de la conquête romaine,
par suite d'inl'asions violentes ou de relations de bon voi-
sinage.
- Les Belges s'établirent entre le \&aal, le Rhin, les Vosges,
la Matne, la Seine et la mer. Au ter siècle avant Jésus-Christ,
leurs principales tribus étaient réparties eomme suit :
lp Les Morins : le long de la mer du Nord, de I'Yser vers
le Boulonnais;
2o Les Ménapiens : dans les F.landres, de la mer à la rive
gauche de\ I'Escaut et, plus au nord, vers les bouches de la
Meuse;
So Les Nerviens et leurs clients (tribus vassales et proté-.
gées) : entre I'Ilscaut, le Rupel, Ia DyIe et la llleuse, sirr le
territoire actuel du Hainaut et du Brabant;
40 Les Aduadques (ou Aduatuques), tribu entièrement
-- tr __

germanique : dans l?Entre-Sambre-et-Meuse et dans la Hesbaye


namuroise;
5o Les Eburons : dans la Hesbaye brabançonne et liégeoise,
la partie orientale du Limbourg et le pays de lferve.
6o Les Trévires : en .drdenne, au sud de la Vesdre, de la
NIeuse à Ia'basse Moselle. Parnri les clients de cette pirissante
tribu figuraient les Condruses du Condroz et les pémanes
de la Famenne.
Iln tlehors des limites de la Belgique actuelle habitaient, du
sud-ouest au sud-est : les Atrébates de I'Artois, Ies Véro-
;manduens entre Aisne et oise, les suessions du soissonnaiÉ
et les Rérnois de la Champagne.
Par leurs mæurs et usages, les Belges ressemblaient beau-
coup à leurs. voisins du sud, les Gaulois. C'étaient de grands
hommes blonds, à peau très blanôhe et aux yeux bleus. fls
portaient Ia braie, pantalon serré à Ia cheville, Ia tunique de
laine à manches et à ceinture; la saie ou manteau bigarré qua-
drangulaire, retenu aux épaules par de lourdes broehes. Les
hommes libres laissaient flotter leurs cheveux, rougis à r'eau
de ch^aux; parfois ils les nouaient cn touffe au sommet du crâne.
De longues 'moustaches flottantes encadraient leur menton
rasé. Les femmes portaient des robes de lin, décolletées et sans
manehes. Elles aimaient à se parer de colliers et de bracerets
en or, en argent ou en bronze.
Les tribus se subdivisaient en peuplades, en clans, s'isolant
les uns des autres par des zones rle protection, dénu<Iées et ren-
dues désertes.
Leurs cabanes coniques, appuyées sur un pilier central et
entourées de'haies de rânces, Èiaiànt disséminées sur les pentes
des collines ou à la lisiere des bois. La vie, au sein d'un crimat
rude, était simple, primitive, champêtre. Au sud-est du pays,
sur les hauts plateaux sauvages, dans les futaies épaisses de la
forêt d'Ardenne (arduenna silaa),les Trévires chassaient I'ours
et le loup; au centre, sur les molles onclulations proches de
la Forêt charbonnière (silaa carbonaria), les Nerviens exploi.
taient les gisements de fer, cultivaient ,le sol et élevaient
le bétail tandis que leurs femmes,,T ménagères raborieuses, '

salaient les viandes et tissaient la laine; à I'ouest, parmi les


marécages toujours embrumés et les vastes estuaires entre la
mer et I'Eseaut, les Ménapiens et les Morins choisissaient des
- t2-.
îlots comme centres de pêche, construisaient tles barques en
poutres de chêne et aménageaient des salines.
I-,,es tribus belges, versatiles et impressionnables' se com-
battaient pour les motifs les plus futiles. Pour venger une
offense faite à I'un de ses ehefs, pour enlever des prisonniers,
des troupeaux ou dtr grain, sotrvent pour le simple plaisir de se
battre, le guerrier se coiffait cle son casque conique (incrusté
parfois d'argent ou d'or) et s'armait tl'un bouclier quadrangu-
laire, d'un javelot barbelé, cl'un grand sabre, d'une hache.
Parfois des peuplarles s'unissaient pour combattre en commun
Ies Germains : Bataves de la Betuwe (entre Waal et R.hin),
Caninefates des bouches du Rhin et cle la Meuse. Au retour
avaieÀt lieu de gran<les fêtes, au cours desquelles les vainqueurs
s'adonnaient au jeu, tortt en vidant d'innotnbra}Ies cornes de
cervoise (bière d'orge).
' Nous rencontrons chez les Belges une hiérarchie sociale nrar-
quée. Au-dessus des hornmes libres, guerriers et agriculteurs,
cultivant des lots de terrain attribués à Ia collectivité ou répartis
' par des tirages au sort périocliques, se trouvait la classe noble'
, recrutée traditionnellement parmi les familles conquérantes les
plus riches et les plus vaillantes. (lcs hobles faisaient cultiver
le sol par leurs esclaves, appuyaient leur popularité sur leurs
aflianchis et se consacraient tout spécialement à la guerre. rls
fbrmaient autour des roitelets, chef's de tribus, un corps d'élite
parfaitement équipé, oir régnait un esprit de confraternité
poussé, dans les combats, jusqu'à I'abnégation.
La religion des peuplades belges, moins bien connue que celle
des Gaulois, semble s'être identifrée avec le druidisme, mode
cle divinisation des forces naturelles, de Ia lumière, des sources
et <les plantes utiles. Au fond de bois sacrés, palissadés, un eulte
étrange, accompagné.de sacrifices d'animaux et peut-être même
d'êtres humains, était rendu à des arbres ou à de hautes pierres,
résidences de dieux invisibles et farouches. Des bardes réci-
taient des chants rituéliques, des druides barbus, vêtus de
blanc, cgupaient le gui sacré des chênes avec des faucilles d'or.
. Cles druides, à la fois prêtres, médeiins, sorciers et juges, for-
maient une classe très fermée à laquelle les Celtes rendaient de
plus grands hommages encore qu'à leurs rois.
CHAPITRE IIÏ
LA CONQUÊTE ROMAINE
. (57-52 av. 'r.-C.)

,Iules César entreprend. la conquête des Gautes (p.1.3;. Dé\ai'te


rles Neraiens (p. 13).'--- Pri'se dc J'oppidum des - Aùm'
tiqtes (pp. r3-f 51. Soumission du tetritoire (p. f 5). 54 :
-
Rénolte d'Ambioriæ et d'Indutiomar (p. r5).
-
Aésar étnuffe
-
cette insunection et asseoit défi,nitiaement la, domination romaine
$n'la. Gau,le belgique (p. l5). ,

u I r orum' *'"iK;
:i'b":ffi"ffi:,f,?tff''
En 59 avant Jésus-Christ, le général romain Jules César
entreprit la conquête des Gaules. Son but était d'acquérir Ie
pouvoir suprême. Profitant des discordes qui séparaient les tri-
' bus gauloises, il fit, en deux ans, la conquête de I'Aquitaine
et <le la Gaule celtique (2).
En 57, il était aux confins de la Gallia Belgica avec une armée
de 80,000 hommes. Les Belges décidèrent en majorité de résis-
ter à outrance. Les Atrébates et les Véromanduens, clients des
Neiviens, avaient, devant le péril, reflué vers le nord. Les
af'ant iéunis à sa puissante infanterie, Boduo$nat, chef des
1 Nerviens, attendit I'ennemi de pied ferme. Le choe eut lieu
'uù; sur les rives de la Sambre (ll). Plusieurs fois les légionnaires
cherchaient à rompre leurs carrés.
Mais la tactique savante de César triompha de I'aveugle impé-
tuosité des Nerviens. Impuissants à vaincre, ils se firent stoT-
quement tailler en pièces. Boduognat et la plupart de ses
compagnons périrent, les armes à la main. A la nouvelle
cle ee désastre, les Aduatiques s'étaient retirés dans une

(l) De tous eeux'là (les Gaulois), les plus vaillants sont les Belgos.
(2) L'Aquitaine était située entre les Py'rénées et Ie Gaxonne; la Gaule
celtique, entre la Garonne et la ligne de la Seine et de la Marne.
(3) Vers Hâumont, Nlaubeuge ou Presles (près cle Charleroi).
__,_,.__:,_: . _ ::v,.,-,.
.if -j: ri 11 1:' nv"r.

--15-
enceinte d,aceès difficile, entourée d'assises faites de gtosses
pierres et d,abatis d'arbres. Les Romains nommaient oppida
ces places fortîfiées (1). Les balistes et les catapultes eurent
tôt fait de rendre la place intenable. Les assiégés capitulèrent
sans conditions. Toute la tribu des Aduatiques -- soit une
cinquantaine de mille âmes fut réduite en esclavage.
guérillas contre -les Morins et les Ménapiens signa-
Quelques
lèrent la fin des hostilités (56 av. J.-C.). fncapables de résister
plus longtemps,les tribus belges durent simuler la soumission.
Cé."r, se croyant maître de la situation, partit sans inquiétude
pour la Germanie et l'île de Bretagne opérer de nouvelles
conquêtes
Ehtre temps, quelques ehefs audacieux complotaient le ren-
versement de la puissance romaine. En 64, Ambiorix, chef
des Ebrfrons, s'entendit secrètement avec Indutiomar, chef
des T!évir€se pour surprendre plusieurs légions occupant leurs
quartiers d'hiver. Feignant un dévouement extrême pour la
cause des vainqueurs, Ambiorix sut attirer les généraux
sabinus et cotta, avec une Iégion et demie, hors de leur camp
d'Eburonie. Pris dans une embuseade, les Romains furent
exterininés presque jusqu'au dernier. Mais, tandis que la
révolte se généralisait entre le Démer et la Meuse' Ambiorix
échouait dâns l,attaque du camp de Quintps Cicéron chez les
Nerviens, Indutiomar était trahi par son gendre cingétorix
et le clan des ralliés à la cause romaine. Repoussé devant le
camp de Labiénus, au sud de la Trévirie, rndutiomar dut fuir;
il fut tué au moment où il allai'b franchir la Meuse.
Sur ces entrefaites César, tloublant les étapes, était revenu
avec des troupes de renfort. Implacable, il lança les tribus
voisines de I'Eburonie sur ce petit canton qui fut systématique'
ment ravagé. Le vaillant peuple éburon disparut sals laisser
de traces. Ambiorix s'échappa à grand'peine â,vec quelques
fidèles vers les pays germains. En 52, le premier gtand diame
de notre histoire était terr,niné. La Belgique était définitivement
conquise, mais elle n'était plus qu'un désert.

(1) Ires a,rahéologues n.; sont Bas d.'a,scord sur I'emplacement de L'oWidu;rn
des Acluatlques. Plusieurs rai$ons militent en faveur du confluent de.la
Sarnbrs et de la Meuso ou du plateau d'Elastedou, près de Saint-Servais, Ou
nord-ouost d.e Namur.
CHAPITRE IV

LA BELGIQUE ROMAINE
(52 av. J.-C. 450.)
-

Effets dn la conquête romaine (p. f6). La Gaule belgique est


-
répartie entre plusieurs prouinces dc l'Empire ; caractère arbi-
trairq de ce nnrcellemmt (pp. 16 et r?). Les chaussées et les
aillcs (pp. 17 et f8). Ci.oilisation -rurale : la rise d,u
IIIe sùècle; Ies colnns et les serfs ; les villae (p. f e). '- Le
mouoément économique (pp. IB et lg).- Formation de la
mentalùté gallo-romairae (p. f9).
IIII s. : Progrès du christ;ùanisrne (pp. t9 et Z0). Les inoa-
sions des Barbares (p. zo). - erwahi,e
La Gaule betgique.est
-
Ttar les Francs; ils atteignent Ia Somme en 4SO; effondranmt
de l'unpire romain (pp. 20-ZZ).
Pas Ronta,na.

La conquête romaine, eruelle'en soi, eut pour les Belges


d'heureux résultats : elle leur donna la paix extérieure et
intérieure, la prospérité économique et les bienfaits de
Ia civilisation.
Mise à I'abri des invasions des Frisons, des Bataves et d'au-
fres peuples germaniques par la ligne fortifiée du bas Rhin,
gardée pat huit légions, la Gaule belgique connut,les doueeurs
de la longue paæ rornana. rJne administration solide, dure sans
doute, mais assez équitable, fit cesser les discordes régionales.
L'empire romain était partagé en provinces (proainciae\,
-- t7 ---

celles-ci à leur tour en cités (ciaitates) (f ). Les contours.de ces


provinees étaient tracés d'après certains principes généraux
d'équilibre et d'équivalenee. Aussi I'administration impériale
ne tint-elle nullement compte du caractère plus ou moins homo-
gène de I'ancienne Gaule belgique. Vers la fln du ure sièele,
nos contrées dépendaient de trois provinces :
lo La Germanie lnférieure (2), englobant tout le territoire
entre Ie Rhin, la mer, Ies bouches de I'Eseaut, le Rupel, la
Senne, le bonfluent de Ia Sambre et de la Meuse et le eours
supérieur de ce tlernier fleuve..Métrofole : Colnnia Agrtppina
(Cologne);
2o La Belgique première, eomprenant le petit angle de
territoire luxembourgeois et lorrain orienté vgts Augusta Trwû-
rorlcn't, (Tbèves);
3o La Bel$ique se'conde, s'étendant sur tout le sud-ouest
du pays, de la Senne et de la Haute-Meuse à la mer. Métropole :
Cioitas Runorum (Reims).
Le pays soétait, entre temps, rapidement repeuplé. Les
Romains y avaient introduit des colons germaniques : Ubiens
en Eburonie, Ton$res de Thuringe dans le Limbourg, Taxan-
dres dans les bruyères parsemées d'ifs Qaai) de la Campine.
Bientôt un réseau de chaussées admirables, jalonnées de relais,
mit en communications toutes les parties du territoire. De
Bagaciam (Bavai), chef-lieu de la cité des Nerviens, centre
principal des routes, une grande artère, la uia Agrippo, se diri-
geait à I'ouest vers la côte du Boulonnais, à I'est vers le Rhin,
en passant- par Germiniacum (Gembloux), la Ciaitas Tungro-
rum (Toneres), Trajectus ad Mosam (Maastricht), Juliacum
(Juliers) et Cologne. Vers le nord, des voies stratégiques impor-
tantes allaient rejoindre la ligne du Rhin à Lugdunum Bata-
aorltrn (Leiden) et à Trajech,ts ad, Rhenum (Utrecht). De l'ériu-
mération de ces localités, il ne faudrait cependant pas conclure
que le développement urbain aurait pris son essor en Belgique
dès l'époque romaine. De même que Tornacum (Tournai),
Camnacura (Cambrai), Ia Ciuitas Atrebatum (Arras) et d'autres

(1) Ire diocès€ d.e Gaule, par exemple, comprenait dix-sept provinses et
cent treize cités.
(2) Ita Germanle supérleure avait pour rnétropole :, Custell,um Magun-
tioann (Maymce).
_18_
ehefs-lieux de cités, les villes mentionnées ci-dessus nfétaient
que de modestes bourgades entourées de murailles : relais de
courriers, gîtes d'étapes et marchés locaux.
La vie économique et sociale eut donc sous I'Empire'un
caractère essentiellement rural. Les défrichements, la culture
des champs rendue intensive par I'emploi de la marne blanche,
Ies progrès de l'élevage, la naissance des industries agrieoles,
amenèrent une grande prospérité, surtout dans le centre et le
sud du pays.
Cependant, au rrre siè'cle, un grand malaise économique, -dfr
à de multiples aauses, se fit sentir dans I'ouest de I'Empire. La
situation des petitsi propriétaires ruraux, éerasés d'impôts,
devint intenable. Aceulés à la ruine, ils se virent contraints tle
renoncer à leurs droits de propriété. au profit des plus riches
possesseurs du sol et devinrent de simples fermiers. Nommés
colons, ces fermiers jouissaient de I'avantage d'un bail per-
pétuel; personne ne pouvait les chasser de lertr petite terre.
Mais ils étaient astreints au payement de diverses redevances :
loyer en espèces ou part de la récolter'etc.; en outte, ils étaient
soumis aux eorvées, travaux champêtres au profrt de Ieur patron.
Moins favorisés eneore étaient les serfs, anciens esclaves deve-
nus fermiers, dont les conditions d'existence étaient très péni-
bles. Les serfs, en efl'et, ne possédaient pas la libsrté personnelle.
Ils étaient attachés pour la vie au carré de terre dont ils étaient
les exploitants.
Ces modilications profondes du régime rural frxèrent un type
caractéristique d'exploitation agricole : la rilla, grand domaine'
possédé par un propriétaire opulent, souvent noble ou haut
fonctlonnaire, maître de nombreux esclaves. La uilla com-
prenait : Io la demeure du patron, maison de eampâgne
flanquée de multiples dépend&nces; 2o le domaine directement.
cultivé par les esclaves du patron; 8o une ceinture de petites
terres mises en valeur par les colons et les serfs. Les aillae pro-
duisaient toutes les denrées et les objets nécessaires à I'existence
de leurs membres (vêtements, àrmes, outils, meubles, etc.).
Elles réalisaient Ia type de I'industrie domaniale.
Il y avaît cependant, dans nos contrées, un certain mou-
vement d'exportation. LTn commeree actif, par ehariots légers,
animait les routes. La population riche des grands centres de
la vallée du Rhin, de la Gaulende la Cisalpine et même de Rome,
-- l9 --

faisait venir du pays des Atrébates les saies en serge fine, rouges -"
ou violettes, teintées au moyen de la Earance et <le la jaeinthe,
les jambons, Ies oieç f'umées, Ies pains dc savon en cendre de
hêtre et graisse tle chèVre de Ia, Ménapie, les toiles à voile et le
sel tlu pays des Morins.
Iles Romains avaient laissé aux Belges leurs antiques usages
et leurs dialectes locaux. I\Iais peu à peu la civilisation de Rome.
pénétra dahs nos lointaines contrées, progressant par la vallée
du Rhin et la route de Bavai, clans le sillage tles garnisons et
des traflquants. Les idiomes celtiques et le druidisme reculèrent
pas à pas devant les lois.de Rorne, sa langue, sa religion. Les
eoutumes et eroyanees traditionnelles cherchèrent un asile dans
les eanrpagnes, puis disparurent. Les survivants des tribus déci-
mées par César n'avaient pas longtemps gardé rancune au vain-
gueur. Déjà en 48 avant Jésus-Christ. à Pharsale (1), la légion
belge de l'Alauda (l'alouette) déployait un grand courage dans
la lutte de César contre Pompée. PIus tarcl, des cavaliers tré-
vires, des fantassins nerviens, attirés par I'appât des hautes
soldes et des aventures, accompagnèrent les Flaviens et les
Antonins en Bretagne, en Afrique, en Pannonie (2) et flrent
partie de la garde prétorienne. Ils contribuèrent à répandre
la gloire du nom romain. Ainsi disparut des anciennes popu-
lations celtiques I'esprit intlépendant que I'on efit pu croire
indomptable. Devenus Gallo-Rornains ou Celto-Latins, les
descendants de Boduognat et d'Indutiomar perdirent tout sen-
timent national, à moins d'entendre par ce ternre la satisfaction
tranquille qu'ils éprouvaient de faire partie de I'Etat le mieux
ordonné du monde..
***
Les grands événements qui agitèrent I'empire romain eurent
une répercussion directe clans nos conlrées. Le christianisme
y pénétra par la vallée du Rhin au ure siècle. Il y combattit
avec vigueur le culte des Matres (mères), paisibles divinités
champêtres, et des petits dieux l.ocaux (S). Cent ans pluq tard, ' .

(1) ViUe do I'anoierr.e Thessalie.


(2) Résion située entre le Danube et l'Illyrie, sur les rives de la Drave
et d.e la Save.
(3) Not'amment le culte d.e la déesse Nehalennia, dans l,ile de Walcheren
(Zélantte). / ' '
--2$-
lloulogne, Tournai, Arras, Carnbrai et Tongres étaient le siège
de petits dioeèses. f,e paganisme se terra au fond des
eampagnes.
Aussitôt après le règne de I'illustre 'famille des Antonins
(rre s.) I'Empire tomba en décadence, l'ânarchie militaire sévit.
Alors eurent lieu les invasions des Barbares. Ces nations.
germaniques pour Ia plupart, surpeuplaient des territoires
' stériles aux eonfins du monde roùain. Elles commencèrent par
se présenter pacifiquement,' en amies; leurs guerriers s'enrô-
lèrent dans les arrnées impériales comme auxiliaires ou < fétlérés r,,
colonisèrent, avec l'assentiment des autorités, des districts en
friche ou allèrent grossir les masses du prolétariat our.'rier dans
Ies villes. Peu à peu, ils < imbibèrent r I'Itrmpire !
A la fin du nte siècle, voyant les armées plus préoccupées de
nommer des empereurs que de garder'les frontières, apercevant
devant eux des territoires sans défenseurs, les Barbares entre-
prirent leurs invasions arrnées. Des perrples entiers se rnirent
en route, encombrés de bétail et <l'un interminable charroi.
Rome n'eut d'autre ressouree que de les combattre, d'acheter
Ieur départ ou de s'en servir comme barrière eontre de nouvelles
agressions, au prix d'humiliants sacrifices.
En Gaule belgique, Ies Gerrnains (1) apparurent clès lâ
seconde moitié du ure siècle : ies Francs Ripuaires passèrent
le Rhin dans la région de Cologne; les Francs Saliens, verTus
'de la région de I'Yssel (Gueldre), envahirent la Germanie
seconde du eôté d'Utrecht; les Frisons et les Saxons longèrent
'
les côtes de Ia mer du Nord. Les Romains résistèrent avec vail-
lance durant le rve siècle. Obligés d'évacuer la ligne du bas
Rhin, ils sacrifièrent I'avant-pays forestier, mârécageux et peu
habité, s'étendant au nord des coteaux de la moyenne Belgique.
Longtemps, la rottte de Cologne à'Bavai leur servit de seconde
ligne de défense.
Au début du ve siècle, les Wisigoths d'Alaric envahirent
I'ftalie. Rome en péril rappela ses dernières légions. Un chef
franc nommé Chlogio (Clodion), tirant parti de cette situation
critique, osa ouvertement substituer son autorité à la lointaine
suzeraineté de Rome. Il assaillit Aétius, maître des miliees

(1) Les gra,ndes peuBlatles giermaniques rr'avaient guère de cohésion entre


elles, Le nom collectit de Germani leur fut donné par les Romains.
-_21 -
impériales en Gaule, prit Tournai (€f) et força les défenses
de la Chaussée rcimaine à (lambrai. Iln 450, les Saliens attei-

sTilLR t.'t-l-\IllttAltrE rl()N!AINI],


(.\l ttséc rl'.\ l'lltt, )

( lctlt: st'rrlIrt ttt't' t't'1it'Ésrttttc ilt'rt r .it'tttlcs i'Jrt,tll lrrrs dt' sr


sépirrtrt'itu rrrrrttctt{ tltt llt tttrtt'l. l)t's tj.trtrr r'ô11's Iigrtrtlrtl, lt's
Ititrt'ttts. (lc gcltt't'rlc ttttlntttttt'ttts <'rtttlttttttr()l'ittifs it' t'itritt -
ti'rt' sytnboliqtttr é1 irit fort clt ltotltl(rttt'r'lrt'z ics,{ncicrts.

gllaiclrt lil SOmrne, tandis qttt: lcs ltiprraires o(l(lllptrient tottt,


lc 1-ravs entrc le Rlrin, la \{osellc ct la Mettse.
--22 -

Rome ntavait créé, ni dans nos ."*p*gn.s, ni dans nos


bourgades, d'ceuvres architecturales de grande envergure. Lês
dévastations aidant, il ne resta en Belgique rloautres souvenirs
des arts impériaux que des pans de murs (l) et de menus objets.
De même,les vestiges <le Ia vieille civilisation latine, pieusement
respectés par les derniers défenseurs du prindipe d'autorité, les
évêques, durant la période de décadence, s'effacèrent, ainsi que
le christianisme lui-même, devant la poussée des peupres jeunes
et sauvages db Ia Germanie.

(1) Ire camp de }-urfooz (Lesse), la, t:illa de Gerpinnes (Entre-Sambre.et.


l\fetrse), par exemplc.
..Ll

DEUXIÈME PARTIE
LA PÉRIODE FRANQUE

CHAPITRE PREMIER

LES TEMPS TUÉNOVINGIENS


(45o-687.)

Les Germains : aspect Tthgsique, nl,æurs) i'nstitttt:ùôn's, classes


sociales, religion (pp. Zg et 24). Le dualisme ethrvique en
-
Betgique : Flamands et Wallons (pp. 24 et 25). 451 : Inaa'
sion d}Attila (p. 2q.
-
Règne de Chl'odoaechlCloaisl (pp. 25
et 26).
-
Aspect confus d,e I'histoire de Betgique au VIe et au VIIe siècte.
Formation d,e la tr{eustrie et d'e I'Austrasie (pp. 26 et 27)'
Les roi,s (p. 27). Stagnation économique
fainéants
(p. 27). Transformations sociales : Gallo'Romains et
Francs; puissance des leudes (pp. 27 et 28). Mæurs bar'
-
bares de la socùété méroaingienne : la Cour, Ia iustice (pp' 28
et 29). Secon1e ,iuangél,isation de ta Belgiqu" lles rnonas'
tères
-
(pp.29 et S0). Réorganisation des diocèses (p. 30)'
- -
L'EgIise, garùienne des tradit:ions latines (p. 30).

La confédération tles f,'rancs, venue des régions forestiè.res


situées èntre la mer, le Rhin et le ]\Iein, appartenait à cette
imrirense famille germanique répandue, au milieu du rve siècle,
du Rhin ati Dniéper et à la Vistule. Par leur organisation poli-
tique, leurs institutions et leurs mæurs, les Germains présen'
_24_
\
taient des analogies avçi les Hellènes du temps de Yiliad,e ott
avec les Romains primitifs.
c'étaient des guemiers-cultivateurs, grands et robustes,
qui accentuaient leur aspect farouche en laissant croître leurs
moustaches et en nouant en queue de,cheval, au sommet de Ia
tête, leurÀ cheveux d.'un blond roux. Par leurs vêtements
bigarrés, leur armement, leur gofit pour Ia chasse, Ia pêche et
Ia guerre, par leurs habitations aussi, ils rappelaient les celtes
d'avant la conquête romaine, mais, plus qu'eux eneore, ils
étaient orgueilleux, coléreux et buveurs.
Les Germains formaient des tribus indépendantes, gouver-
nées par des roitelets ou des groupes de princes érus à vie.
Chaque tribu eomprenait un certain nombre de clans ou si,ppes,
dont les membres se prêtaient secours en cas de combat et dans ,

Ia pratique du droit de vengean'ce. Au-dessus de la classe des


hommes libres, membres de I'armée et de I'assemblée popu-
laire, il y avait des nobles, reeonnus comme tels à cause de
leur vaillanee âu combat et de leur richesse en terres et en trou-
peaux; sous les hommes libres se plaçait Ia classe des lètes,
sorte de colons à deryi-libres, attachés au sol et privés de droits
politiques. Les esclaves s'occupaient des travaux domestiques.
Les Germains adoraient les forces de la nature et res astres.
Wodan, le plus important des dieux, Thor, dieu de Ia foudre,
ZIu, irnage. du ciel lumineux, la gracieuse Freia, déesse du
printemps, n'étaient adorés ni dans des temples, ni sous forme
de statues; au-dessous du culte principal s'épanouissaient des
superstitions sans nombre, de puériles dévotions locales s'adres-
sant à des arbres, des roehers, des sources ou des lacs sacrés.
Dès le début des invasions franques, la populatioh de la
Belgique romaine s'était en grande partie réfugiée au delà de la
chaine de forêts, s'étendant du sud-est de la lrlandre, par le
sud du Brabant, jusqu'à I'est de la Dyle (l). C'est probable-
ment sur ces ondulations boisées que les Romains avaient
construit les fortins servant d'avant-postes aux ouvrages
défensifs <Ie la route cle Tongres à Bavai. Les Francs

(1) Des recherpheÉ réceutes semblent prouver que l'on a douné à tort le
nom de Forêt charbonnlère à cet ensemble forestier. rra Forôt.charbonnière,
eituée dans le nord.-est de la province de Eainaut actuelle, fut, en réalité,
assez petite et orientée dans un sens nord-sud.
i
-25*
s'établirent fbrtement et presque sans mélange dans la partie
ouest et nord de notre pays, y fondant Ia race flamande, de
type blond, aux yeux bleus et à stature élevée. Plus au sud,
ils firent des eonquête's militaires, mais ne s'assimilèrent
jarnais les masses denses des Gallo-Rornains. Les Celtes se
maintinrent au sud et à I'est de la Belgique, y formant la
race wallonne, la race des Wala (Waelen) romanisés' grands
et blonds eux aussi, mais d'ossature plus massive, de visage
plus anguleux.
Depuis lorsr la chaine forestière, essartée, a presque clisparu,
mais sa direetion générale est restée indiquée par la fron-
tière linguistique, immuable depuis quinze siècles, croisant
perpendiculairement eours d.'eau, hauteurs et autres obstacles
naturels.
Il y a donc en Belgique un dualisrne ethnique fondamental,
deux races et deux langues.
a) Le flamand (dietsche taal) dont les dialectes principaux
sont, sur notre territoire : le limbourgeois, le brabançon, le
flamand oriental et le west-flamand; à I'ouest d'Ypres et au
sud de I'Yser (littus saæonicum) (f ), se parle un idiome franco-
saxon.
bl Le \Mallon, parlé dans les provinces de Liége, de Luxenr'
bourg, de Namur, de Hainaut, le sud du Brabant et en Flandre
wallonne (gallicante). Remarquons que dans le Hainaut occi-
dental et en Flandre wallonne on parle, comme en Artois, un
<lialecte picard (le rottehi); au sud du Luxembourg' on use
d'un dialecte lorrain .
L'invasion d'Attila en Europe occidentale rapprocha momen'
tanément Gallo-Romains et Germains. En 451, les Frsncs du
chef tournaisien Merowech (Mérovée), fils de Chlogio, aidèrent
Aétius à vaincre les Huns dans les Champs Catalauniques
de la Champagne (2). Mais brente ans plus tard la Ilelgique ne
suffisait déjà plus aux appétits de conquête des FrancÉ. Un
petit chef tournaisien, intelligent, rusé, audacieux et sans
scrupules, Chlodovech (Clovis, R. (3) 48f-5f_f), descendant

(1) Ire riva€ie ga,xon.


(2) Dntre Troyes et Sens.
(3) L'abréviation R eig[ifle règne; N : naissance; t : molt; s. p, :
sans postérité; :t : approximativement.
-26-
de Merowech, entreprit la conquête de toute la Gaule. Lrne
petite prmée d'excellente infanterie, stimulée par I'appât du
butin, lui suffit pour subjuguer ce vaste pays en décomposi-
tion. Par des meurtres et d'atroces perfidies, I'eftréné ambi-
tieux se débarrassa de tous ses parents et voisins. Lorsqu'il
mourut, en 5ll, il avait eréé, clu lVeser aux P5rrénées, une mo-
narchie,la Francia, et soumis à son pouvoir les Gallo-Romains,
les Wisigoths ariens (f) d'Aquitaine, les Burgondes de la
vallée du Rhône et les Alamans de la Souaber L'empereur de
Byzance lui avait conféré les titres les plus flatteurs. Enfin,
son mariage avec une princesse eatholique burgonde,, Clo-
tilde, et sa propre conversion,au christianisme (496) lui avaient
valu la sympathie du clergé. rc fl faut beaucoup pardonner à
celui qui s'est fait le propagateur de la foi, r écrivait a\rec eân-
deur saint Remi, archevêque de Reims. Amplifiant ce jugement
indulge.nt d'un contemporain honnête, mais au sens moral
oblitéré par les violences rle l'époque, la postérité erit honoré
en Chlodovech un héros chrétien si I'histoire n'avait ramené sa
valeur morale à de plus justes proportions.

***
L'histoire politique de la Belgique au vre et au vrre siècle
mânque d'intérêt. Dans la tr'rarùcia, notre pays est un coin
perdu. ses habitants sont eætruni hotninum, c'est-à-dire les
< plus éloignés des hommes >. D'ailleurs, I'histoire dela Francia

elle-même est confuse et changeante, le droit franc exigeant


que chaque prince partage ses terres en lots égaux entre tous
ses fils.
Feu après la mort de Chlodovech, la partie nord de son
royâun)e fut çlivisée en deux :
1o Ire ( nouveau D royaume ou Neustrie s'étendit entre la
mero Ia Loire, la haute Meuse, la Dyle et I'Escaut;
2o Le royallme de I'est ou Austrasie, au nord et à I'est du
précé11ent
Sous I'Enrpire, l'Ëglise avait calqué son administration sur
celle de I'Etat. C'est ainsi qu'elle avait pris pour ligne de déniar.

(1) L'arlanlsme, hérésie du tliacre d'Alexandrie Arlus, a,u rv€ s., rriait
la divinité de Jéeus-Christ.
_ 27-
cation entre les évêehés de Cambrai et de Tongres la limite
ne conespondant ni à tles frontières naturelles, ni à une sépa-,-
ration ethnique. -_ slrf,rs la Belgique seconde et la Germanie
inférieure. Ce même tracé eonventionnel servit à séparer la
Neustrie et I'Austrasie, laissant donc subsister côte à côte, dans
chacun des deux territoires, d,es Gallo-Rornains et des Germains.
Les guenes interminables et atroees entre Brunehaut, reine'
d'Austrasie, et Frédégonde, reine de Neustrie, à la fin du
vre siècle, synthétisent la sombre et chaotique périorle'dite
mérovingienne, d'après les d5rnasties des rois descendant de
Merowech. Peu à peu, au début du vrre siècle, les rois devinrent.
le jouet de ldurq grands seigneurs. Soumis à I'autorité d'un
premier intendant, chef de la domesticité, le maire du palais'.
ils furent. relégués au fond d'une ailla et ne conservèrent de
Ieurs privilèges royaux que Ie droit de porter la chevelure
longue et la barbe flottanter Ces princes reçurent le surnom
de rois fainéants
En ces siècles de barbarie profonde, la stagnation économique
fut complète. Les villes étaient encore rares et petites.'Les
invasions et les guerres civiles avaient appauwi et dépeuplé le
plat pays. Les eaux de Ia mer, non contenues par des digues,
s'avançaient vers I'intérieur; les marais saumâtres, les tour-
bières au ras desquélles flottaient des brouillards, les forêts
solitaires, recouvraient Ia plus notable partie du territoire.
Après l'établissement des Francs, de grands changements
sociaux se produisirent err Belgique. Les populations indigènes
avaient naturellement beaucoup souffert du fait des invasions.
Les Gallo-Romains étaient, en grande majorité, accablés de
charges très lourdes et traités en catégorie de rang inférieur. ,
Les $uerriers francs avaient reçu des terres conquises
(terres saliques), la plupart vacantes, par voie de tirage au sort.
Beaucoup surent les conserver et jouissaient atrec orgueil de
leurs prérogatives d'hommes libtes, mais d'autres, moins favo-
risés, durent _- vu l'insécurité des temps aliéner partielle-
- lètes ou tenan-
ment leur indépendance et devenir les fermiers,
ciers, de la grande aristocratie terrienne, '
Or, d'otr cette aristocratie nouvelle tirait-elle ses origines?
RIle se composait de leudes (1), guerriers riches et puissants'

(1) L,euAe vient de leod (peuple).


-28-
Beaueoup d'entre eux avaient reçu iu, ,oi*, à titre de réeom-
. pense ou pour prévenir une défection, des bénéfices, e'est-
à-dire des domaines dont ils avaient I'usufruit viager mais
non la propriété. D'autres étaient devenus puissants à I'eneontre
de la volonté du prince, par de véritables usurpations de pou-
voir. Le pays était divisé en pagi (1) (ou gaus); au cours des
guerres civiles,Ies comtes de ces districts soétaient fréquemment
émancipés, substituant leur propre autorité à celle de leur sou-
verain et formant avec leurs amis de redoutables coteries locales.
Un peu partout, mais spécialement en Ilesbaye, Ia noblesse
foncière construisit de g'randes fermes fbrtifiéeso à Ia fois cita-
delles et centres d'industrie domaniale locale.
S'appuyant sur les hommes libres, I'aristocratie terriennè fut
toute-puissante dans la société mérovingienne. Maîtresse de Ia
plus gmnde partie du sol, jouissant d'amples prérogatives mili-
taires, judiciaires et autres, c'est elle qui dominait dans les
grands placita (placitum,, plaid), assemblées ârmées, tenues à
ciel ouvert, oir les Germains avaient coutume de traiter,
de guerre et de paix, Ies grands
chaQue année, les questions
'crimes et les éleetions de leurs princes (2).
Cette société mércvingienne, essentiellement barbare, nous
représente un groupe de conquérants dans un monde en
décomposition. Rois et leudes ont des mæurs atroces. Le
gofrt des étoffes écarlates, des dalmatiques de soie blanehe,
des manteaux fourrés, des bijoux d'or avec pierres en eabo-
chon, ne les a pas eorrigés de leur sauvagcrie native; au
contraire, en éveillant Ieur cupidité, I'amour des richesses
Ies a transformés en assassins aussi perfides que sangui-
ûaires. Hantés par les souvenirs de Ia gloire de Rome, les
rois cherchent gauchement à imiter les méthodes impériales.
IIs adoptent le latin comme langue offlcielle. Eux aussi, comme
Ies Dioclétien et les Théodose, ont une administration centrale
ou palat:iunt! une ehancellerie, un trésor. A côté des dignitaires
gernrÊniques de la Cour : le sénéchal, commandant du palais,le
maréchal ou chef des écuries, l'échanson et le panetier, ils con-

(1) Itxomples: Ie pagu,s,Je Mempi,sc (Ménapie) entrc l,Escaut et la nrer;


le p. de Lornmn rlans l'Entre-Sambre.ot-Meuse, le p. Hasbaniensi^e (Eesbaye)
entre Io Démer et la Meuse, etc.
(2) Ces plaids sc tenant géuéralernent etr mars portaierrt aussi le nonr cle
r obamps de mars ), '
-29-
lient à des Gallo-Romains les mini,steria au offices de référen-
daires, de conseillers juridiques et financiers. Ainsi figurent
aux mêmes réunions et artx mêmes fêtes les antrustions du
roi, ses fidèles de raee franque. membres de sa t'rustis (eonflance,
fbi) et les convives du roi (conuiaue regt's\ gallo-romains. Mais
toutes ces innovations ne sont qu'un venris; le fond, la menta'
lité reste barbare.
De même, tout I'appareil cles lois et couturnes est fruste et
violent. Au tribunal du pa.gu,s ou de la centaine (subdivision
ctu pagus), présidé par le comte au nom du souverain, devant
les hommes libres et les rachimbour$s, notables dont les
fonctions sont encore mal connues, la partie lésée vient deman-
la ven$eance directe, de la peine du
cler justice. L'idée de
talion, domine toute la procédure; le coupable peut -- le plus
souvent échapper à un châtiment corporel en payant une
-
cornposition' indemnité pécuniaire ou en nature varia,nt
d'après Ie caractère du délit et la qualité- de la victime (1).
Dans les cas douteux, les juges avaient recours aux combats
singuliers et aux épreuves judiciaires (Urtheil, ordalie).
Celles du fer ardent, de I'anneau à retirer d'une cuve bouillante,
tle I'immersion dans un étang, étaient les plus en honneur.
Dans la première moitié du vrre siècle, un facteur de civili-
sation réapparut avec la seconde évan$élisation tle la Bel-
gique. Un essaim de prédicateurs s'étendit dans toutes les
directions. Venu d'frlande, saint Liévin souffrit le martyre
près de Grammont en 655; un riche Gallo-Romain d'Aquitaine,
saint Amand, fonda la célèbre abbaye de Saint-Pierre sur le
mont Blandin, au confluent de l'Itlscaut et de la Lys; saint
Bertin, parent de l'évêque saint Omer, alla convertit les popu'
lations primitives du littoral, tandis que saint Rernacler s'en-
fonçant dans les profondeurs de la forêt d'Ardenne, abattait
les pierres levées et gourmandait ceux qui allumaiçnt des chan-
delles autour des fontaines et des rochers.
Partout se créèrent alors tles rnonastères, rapidement enri-
chis par les donations des grandes familles locales et jouissant
d'immunités, c'est-à-tlire d'exemptions spéciales en matière
de justice, de levées de troupes et d'impôts. Citons parmi les

(t) Suivant la loi ripuaire' p&r exemple, le taux d'e Ia qomposition était
de 100 sous d'or pour un Romaiu libre, de 200 sous pour un Ifr&nc,
EO-
grandes abbayes : Saint-Martin, à Tournai, Sainte-Gertrude, à
Nivelles, Sainte-Begge, à Andenne. En Thudinie, saint Lan-
\
delin, chef pillard repenti, fonda les célèbres monastères
d'Aulne et de Lobbes. Ces couvents devinrent d'importants
centres de colonisation; les frères convers (subalternes) s'atte-
lèrent à la rude tâche cle défricher Ies 'landes et d'assécher
lcs inarécages. hln rnultipliant le système des bénéfices ou
coneessions via$ères de lopins cle terre cultivable, aeeordées
(dans le cas présent) au prix d'une rnodique redevanee, Ies
abbés attirèrent quantité de colons, dont Ia vie fut encore
rendue plus agréable par des exemptions de péages, d'impôts et
de service militaire. f)ès cette époque le peuple admit eouram-
' {nent I'adage < qu'il faisait bon vivre sous la crosse ).
L'efTlorescence des monastères fut accompagnée d'une réor-
ganisation diocésaine. La vallée de I'Yser fut soumise à l,auto-
rité de l'évêque de Thérouanne (f); Ia région de la mer à
l'Escaut obéit à l'évêque dc Tournai; celle de I'Escaut à la
Dyle, à l'évêque d'Arras-Carnbrai. Ces trois diocèses dépen-
daient de I'archevêché de Reims. De la Dyle à Iâ Meuse s'éten-
dait l'évêché de Tongres, devenu évêché de Liége depuis le
début du vrrre siècle et dépendant de Ia métropole de Cologne.
L'Eglise, grâce à son indépendance, son organisation privi-
légiée et ses traditions latines, fut seule en état de rèagir quelque
peu contre I'anarehie ambiante. Elle sut épurer petit à petit le
rnélange extraordinaire de croyanees celtiques, mythologiques
et germaniques,, obsédant l'esprit des populations sous forme
de superstitions ineptes. Bien que lc niveau intellectuel et moral
de la plupart de ses membres ffit. encore ineroyablement bas,
elle sut inspirer aux classes supérieures Ie désir d'imiter bien
gauchement, il est wai les belles manières des Romains.- En
-
somme, à cette époque d'ignorance totale et de complète absence
de culture. évêques et abbés eurent le mérite de préparer modes-
tement la réconciliation entre les tendances latines et germa-
niques.

(1) Petite ville au sld-ouest d.e Saint-Omer.


CHAPITRE II
LES TEMPS CAROLTNGIENS
(687-855.)

Les maires du palais; Pepin de Landen (pp. 3r et 32). Pepï'n


deHerstal (p. 32). Charles Martel (p. 3Z).
- le Bref
PeTtin
(pp. 32 et 33). - -
Chartanagne : sa, naissance (p. SS). Son r6le comme coimqué'
ran! (pp. 33 et Son rôlb- cornnl,e législateur : Iois,
341.
-
capitulaires; diaùsions administratiues, comtes, missi domi-
niei; justice (p. SA). La socùété conserL)e le tApe rural.
-
Épanouissem'ent de I'agriculture et dtt, commerce. RôIe ciui-
Iisateur de Charlenxagne (pp. 34 et 35). Essais de restau.-
-
ration de Ia science et des afis; Ies écoles, les mÔnastères
(pp. 35 et 36). La eiailisation carolingienne (pp. 36
et S7).
Louis le Débonnai,re (p.3?). 843 : Traité de Verdun (p. 3z).
La Lotharùngie (pp. 37 et- 38)."-- Infl,uence des éuénbmmts
-du IXe sièclc sur Le cours ultérieur de I'histoi,re dc Belgtqte
(p. 88).

È.
Dans la première moitié du vrte siècle, les rois d'Austrasie
Clotaire II (R. 6fS-628) et son frls Dagobert I'er (R. 629-689)
avaient pris pour maire du palaÏs un puissant leude hesbignon,
Pepin de Landen (t 64?). L'énergique Dagobert sut main-
tenir les attributions de son majordome dans de strictes limites,
mais ses Suecesseuls laissèrent les maires du palais se Ùransfor-
mer en chefs d.'armées et en .premiers ministres. Iitant inter-
r,'hTri7r,drfÀ!?ttry{$ry.t;,'.:,".,,..1i, l.',ç

--82-_
médiaires entre les rois et les leudes pour I'oetroi des faveu
et notamment des bénéIïces, les rnaires du palais devinrent les
favoris des Grands, qui rendirent leur charge d'allord inanrovible,
puis héréditaire. Bientôt les mairies furent des vice-royautés,
appuyées sur une large clientèle cle leudes. Elles furent rapide-
ment concentrées entre les mains de Ia riehe et hardie farnille
des Pipinides de Hesbaye.
Petit-fils de Pepin de Landen, par sa rnère sainte Begge,
Pepin de Herstal (R. 687-714) réunit la mairie de Neustrie
à celle d'Austrasie, après la victoire de Te.stry (près de Péronne,
687), et prit le titre de duæ et princeps Francorum (duc et prince
des Franes). Son fils illégitime Charles, surnommé Martel
(R. 715-741), passa son existence à courir d'un champ de'
trataille à I'autre, entre le \Yeser et les Pyrénées, agrandissant
la Francia vers I'est, battant leS F'risons, les Saxons, les AIa-
mâns (l), les Bavarois. Par son. écrasante victoire rernportée
en 782 à Poitiers, sur les Arabes envahisseurs de I'Aquitaine,
il acquit un prestige royal. Déjà aimé des guerriers pour sa belle
prestance et son indomptable courage, il devint. leur idole
Iorsque, pour récompenser leur vaillanee, il eut clécrété la répar-
tition entre eux, moyennant rut Iéger cens, cle vastes biens
tl'Église. Par là il transformait I'octroi des bénéfices en institu-
tion de droit public. De plus, les chefs eurent Ia jouissance d'une
notable partie des revenus de riches monastères, reçus ( en
eommende r. Sans être tenus de séjourner dans leurs abbayes,
ils portaient le titre d'abbés comrnendataires. L'Égfise n'osa
pas trop résister aux volontés de celui qui avait sauvé le ehris-
tianisme des entreprises du Croissant.
Les.Pipinides avaient leurs défauts : ils étaient rudes et dis-
solus. Mais il convient d'admirer, dans ees temps chaotiques,
leur politique ferme et centralisatrice. Cette politique fut cou-
ronnée par Pepin le Bref (R.741-768), fils de Char-les Martel,
guerrier de petite taille, intrépide et volontaire. ùIaître de la
Provenee, de la Neustrie, de I'Austrasie, de la Souabe et de la
Thuringe; Pepin considéra que le monrent était venu de réaliser
les ambitions déjà nourries par ses ascendants. S'étant assuré
I'adhésion du pape Zachafie à ses projets, il convoqua, en 751,

(1) Peuple habitant la Sguabo.


__s8_
à Soissons, un collège de leudes puissants, au lieu de ltassemblée
du peuple, tombée en désuetude sous les derniers Mérovingièns.
Là, devant les évêques et les Grands, il se flt élire roi. L'évêque
'de Mayence, cainl Bonitbce, lui donna solennellement la consé-
cration religieuse et fit de lui l'< oint du seigneur n. childé-
ric IIf, dernier roi mérovingien, reçut la tonsure et échangea
de son plein gré un fantôme de royauté contre les douceurs
d'une paisible vie monastique.
Le nouveau souverain eut une existence'mouvementée. En
témoignage de reconnaissance envers la papauté, il alla vaincre
le roi des Lombards Astaulf (Astolphe) et constitua le patri'
m,onium, Petri ou Etats pontifrcaux (756). Après avoir scellé
I'alliance entre I'Eglise et le pouvoir temporel, consolidé les
conquêtes de son père et vaincu plusieurs révoltes, il mourut
en 768, ayant pour successeurs deux flls, dont I'un, Charles,
demeuré trois ans plus tard seul maître de la monarchie, devait
porter à son point culminant la gloire de la dynastie des Pepins.

rt
rÉ*

Magnus belln, malor paru'. lll.


( EcTNEARD, Vita Caroli.l

Charles était né vers ?42, probablement dans un des domaines


que possédait son père au pays de Liége. Ce prince illustre est
connu à la fois comme conquérant et comme législateur'
Nous ne.le suiwons pas dans ses expéditions de conquête :
cinquante-cinq en quarante-six ans! Lorsque' en I'an 800, le
pape Léon III le couronna Ernpereur d'Occident, ses pos-
sessions s'étendaient du Jutland au duché de Naples et de l'Èbret
à I'Oder. Nos èontrées cessaient donc d'être aux confins du
territoire. Elles occupaient une position centrale solidement
abritée, notamrnent du côté de la mer par des bateaux garde-
côtes'construits à Boulogne et à Gand. Après cinq siècles
d'agitations sanglantes, la Belgique retrouvait la r< paix
romaine >!

(1) Gdantt par la g:uerre, plus grand. par la paix.


F. VAN EÂLKE}i. _ EIg.fOIIiE DE B&LGTQTIE. 1924,
-
-84-
Charles avait introduit dans ses États un système ingénieux
et régulier de mobilisation. Les Belges comptèrent au nombre
de ses soldats Ies plus disciplinés. Leudes et hommes libres
le suivirent joyeusement dans les forêts de sa-e, les plainés
de Lombardie et les défiIés des Pyrénées. fls le révéraient
comme héros chrétien et le chérissaient, non sans orgueil,
comme corçpatriote.
Charles tie se borna pas à conquérir un empire, il sut aussi
I'organiser. Sous son règne, plus de révoltes, plus de guerres
civiles. Chaque peuple de I'immense.monarchie est autorisé à
,garder sa loi. Grâce à cette application du droit personnel,
Burgondes, Frisons, Francs, ete., conservent, en matière civile
et pénale, leurs coutumes ancestrales. Chaque sujet de I'Empire
a droit au jugement par ses pairs. Mais le rnonarque ne perd
cependant pas de vue les nécessités centralisatrices de son vaste
gou\rernement. Conformément aux règles du droit territorial,
il édicte des capitulaires, applicables dans tout l,Empire. Ces
règlements, élaborés au sein du conseil du prince, sont, par
déférence envers I'antique assenrblée germanique des hommes
libres, soumis à l'approbation tles plaids (placita) ou assem-
blées $énérales de mai, réunions d'apparat auxquelles n'âssis-
.tent plus que les Grands et les hauts fonctionnaires.
L'Empire est divisé en trois cents pagi, provinces gotrvernées
par des corntes (l), nommés à vie par I'empereur. Ils per-
çoivent les impôts, rendent la justice, lèvent les contingents
militaires et sont responsables du nraintien de Ia sécurité publi-
que. Une surveillanee étroite est exercée sur eux par I'inter-
nrédiaire d'inspecteurs itinérants, les missi domirtici (envoyés
du maître), généralement des ecclésia,stiques. Les comtés sont
partngés en centaines. Dans chaque centaine, il y a une
assernblée, le mallus, et un tribunal, le plaid, présidés par 'le
eomte ou par le eentenier. Charlemagne rem;rlaee par des
échevins (scabini),juges permanents, les àssesseurs ou < rachim-
bourgs u de ees trihunaux, désignés auparavant à titre tempo-
raire.
La structure d'ensemble du milieu social s'est peu modifiée
deptiis les temps mérovingiens. f,a société reste rurale, carae-

(1) Ires comt6s.frofltières étaieut régis par des marÉlraves ou marquls.


35-
aristocratle foncière entou-
térisée par la prédominanee d'trne
rant ses domaines <le nombreux tenanciers. I[ais la sécurité
étant revenue, Ie nombre des hommes libres, cultir.'ant en toute
indépen<lance leurs terres, a une tendance à augmenter. Charles
favorise I'agriculture, exploite lui-même dans la perfection ses
aill,ae, centres d.'une prospère industrie clomaniale. Il crée des
routes et encourage le transit fluvial. Au long des cours d'eau
se forment des étapes (stapelplaatsen), looalités oir les négo.
eiants viennent troquer leurs marchandises : Valenciennes sur
l'Eseaut, f)orestad (Duurstedc) à l'endroit où le bas Rhin perd
la plus grande partie de ses eftux par son effiuent, le Lek.
Maastricht ct l.ltrecht se relèvent de leurs ruines. Sur les
voies eonvergeant vers Aix-la-Chapelle, capitale de I'Ilmpire,
passent les convois de grains, de vins et les troupeaux.
L'Angleterre, la Scandinavie achètent les beaux < draps fri-
sons D de la Flandre maritime. Les bas-pays, situés à I'embou-
chure de I'Escaut, de la Meuse et du Rhin, cleviennent ainsi des
eentres doechange appréciables.
Si les contemporains ont ajouté au nom de Charles I'épithète
de Magnus (le Grand) parce qrr'il avait fait tant de eonquêtes,
la postérité, elle, lui a conservé ee titre surtout à cause de son
rôle civilisateur. IV'idéalisons pa$ inutrlement notre person-
nage. Il ne fut pas le vieillard < à la barbe fleurie > des romans
épiques. fI ne fut ni un ascète, ni un preux sans défauts. Son
biographe sincère, Einhard (Eginltard), abbé de Saint-Bavon, à
Gand, nous dévoile sa politique brutale de réalisations, ses mæurs
dissolues, son caractère souvent impitoyable. Mais tel quel,
combien n'est-il point supérieur encore aux Chilpéric et même
aux Dagobert! Représentons-le-nous, dans sa Cour d'Aix-Ia-
Chapelle ou tlans sa résidence favorite d'Iferistaltùtm (Herstal),
près de Liége, parmi ses courtisans aux tuniques de pourpre et
aux trrodequins couverts de broderies, parmi ses filles rieuses
et folles. aux bras cerclés d'or, aux cheveux retombant en lourdes
nattes. fl est grand, beau, énergique. Son menton rasé, ses
longues moustaches, sa tunique sombre et sa saie de coupe
militaire montrent son attachement âux vieilles rnodes franques.
It dédaigne les souples chlamydes à la byzantine, les agrafes
serties de pierres précieuses; il est sobre dans ses goûts, mais
son regard impérieux révèle Ie souverain tout-puissânt. Son
activité ph.ysique et mentale est ineroyable : toujours en guerre?
-86-
toujours en vo)'age, il n'a qu'un souci. assoeier Ie bien-êl,re de
Ia monarehie à sa gloire. Il croit en sa mission et s'y consacre
tout entier.
-F Chose plus remarquable encore dans cet Austrasien dont
I'enfance fut celle du barbare, iI a eonfiance dans la valeur de
la culture supérieure, il a foi dans la civilisation latine. Se
représente-t-on le maître de I'Europe, se relevant pendant ses
nuits d'insomnie pour s'essayer à tracer, d'une main enfantine,
quglques caractères écrits? Y a-t-il chose plus émouvante que
de voir, en ee vrrre siècle ténébreux. I'Empereur, quelques con-
seillers et quelques moines doctes, parmi Iesquels I'Anglo-Saxon
Alcuin, former une petite académie, où, sous le nom de Salo-
mon, de Pindare, d'I{orace, ils s'essayent à restaurer le culte
du savoir et de Ia beauté, ruiné depuis les Antonins?
N'exg.gérons rien! Charlemagne ne put ébattcher qu'une
tentative. I)epuis Ie vrre siècle, toute la .science tenait dans- les
ringt Orïgi,nntm libri de I'évêque fsidore de Séville, encyclopédie
oir figuraient les glyphes à tête d'aigle et les fabuleux basilics!
La littérature comprenait quelques vieux ehants de guerre ger-
maniques et essais de versification latine. f,es arts florissaient
dans quelques ivoires sculptés, éma,ux byzanlins et naives enlu-
minures. Charles n'en fut pas moins le fondateur de la civili-
sation earolingienne et son époque brille d'un modeste éclat
entre deux longues phases d'obscurité. Prêchant d'exemple,
I'empereur apprit, à I'âge adulte, le latin, le calcul, I'astronomie
élémentaire. Il créa, dans son palais d'Aix-la-Chapelle, une
école palatine. On y enseignait notamment la grammaire.
I'arithmétique et le chant d'église. Il ordonna la création
d'écoles g,ratuites clans les paroisses et dans les monastères
(écoles claustrales). Pour la construction de ses palais et des
églises, il fit venir des architectes lombards et byzantins, habiles
à édifier des rotondes. Les invasions des Normands n'ont, hélas,
presque rien laissé de leurs æurres.
De pareils. efforts devaient stimuler les initiatives. Dans les
monastères de toute I'Europe, Ies moines se mirent à étudier,
qui la grammaire latine, qui la théologie, la rhéiorique ou art
de bien dire, la dialectique ou art de raisonner avec subtilité.
Il y eut parmi eux des poètes, des astronomes, des calligraphes,
des miniaturistes. [Jn cousin germain de I'Empereur, saint
Adalhard, fondateur de I'illustre abbaye de Corvey en West-
-37-
phalie, joua un rôle primordial dans cet éveil de la culture
monastique.
La civitisation carolingietrne, chrétienne dans son essence,
$errnanique dans ses origines et latine dans ses aspirations,
rayonna tout spécialement hors de nos provinccs. Les aieux
de Charlemagne 5r avaient fondé des abtrayes florissantes.
L'Empereur lui-même aimait à se reposer dd ses fatigues dans
ses villas moSanes. Nos régions occupèrent clonc, sous ce règne
bienfaisant, une situation privilégiée très flatteuse pour leur
prestige, une position eentrale qu'elles devaient, hélas, bientôt
perdre.
.'* !t'
*

Charlemagne mourut en 814, à l'âge de septante-deux ans.


Son flls, Louis le Pieux ou le Débonnaire (R.81{-840), prince
sans énergie, Iaissa s'effondrer en ,quelques annéeq l'æuwe
immensc édifiée par son père. La dernière partie de son rè.gne
fut assombrie par des querelles tèrribles avec ses fils, au sujet
de sa suceession, querelles qui dégénérèrent en guerres civiles.
Enfln, las de se battre, les trois fils de Louis conclurent un aete
de partage, le célèbre traité de,Verdun, de 843.
L'aîné, Lothaire, devait conserver le titïe d'Ilmpereur, Ies
domaines patrimoniaux de lfesbaye, Aix-la-Chapelle et Rome,
villes de couronnement. Il se réserv.a donc un territoire extrê-
mement allongé, s'étendant de la mer du Nord au sud de l'ftalie.
Au sud-ouest, cette bande était séparée de la Franeia, lot de
Charles le Chauve, par l'Escaut jusqu'à Cambrai, une ligne
allant rejoindre la Meuse près de 1\Iézières, les collines de I'Ar-
gonne, le plateau de Langres, les monts du Lyonnais et les
Cévennes. Au nord-est, Louis le Germanique recevait tout
Ie territoire à I'est de I'Ems, d'une ligne atteignant ie Rhin
près de Bonn, du Ilhin, de I'Aar et des Alpes.
Ilabilerrient conçu et mfrrement médité, ce traité n'en mar-
quait pas moins une date fatale pour I'Europe. rl créait deux
Etats. compacts, à frqntières normales : la Ffance (Francia),
la Gerrnanle (Abmannia), et situait entre eux un ( pays
dlentre deux > hétéroclite, impossible à défendre contre les
convoitises de ses voisins. Bientôt I'Etat de Lothaire se disloqua.
En 855, deux de ses fiIs rçcevaient, I'un I'Italie, I'autre la Prq-
-38-
venee et la Bourgogne (royaume d'Arles). Le troisième, Lo'
thaire fI, héritait du tronçon situé entre la mer et le Jura'
surnommé, 'vrr I'absenee d'une terminologie géographique ou
ethnique adéquate, regnurn Lotharii, Lotharin$ie (f ).
Or, I'histoire de I'Europe occidentale, cle 843 à nos jours,
qu'est-ce, sinon en majeure partie le récit des luttes entre la
Germanie et la France pour la possession de ce magnifique
territoire nommé Lotharingie? Ainsi, un anâng:ement familial
approximatif, cote nral taillée élaborée __ d'ailleurs de très
bonne foi -- ( pâr les hommes sages des divers partis rr pour
sortir d'une situation inextricable. condamnait I'Alsace, la
Lorraine, le Luxenrb<lurg et la Belgique à être, rl'âge en âge,
les victimes d'innombrables violations de tenitoire. Pouvait-il
en être autrement? Indéperrclantes, ces régions clevenaient
routed de guepe de leurs voisins; dépenclantes, elles se brans-
forrnaient en < confins militaires )), en marches-frontières. De
toutes fâçons leur.sort devait être tragique et grandiose !

(1) L'ancien mot germaniqve ing : enfarlt', descendant' On le retrouve


rlons les mots Lotlt'arùngen, Merouùrugen, etc, I
TROISIÈME PARTIE
LE HA,UT MOYEN AGE
(Du milieu du IXe à la fin du X" siècle.)

CHAPITRE PREMIER

LES NVÉUNMENTS POLITIQUES


EN F'LANDRE ET EN LOTHARINGIE
AU COURS DU IXC ET DU XE SIÈCLD

Formation des Pays-Ba,s; au IXe siècle, ces régions Ttrcnnent unc


'plagsiortomie disti,ncte (pp. 39 et 40).

FIabité par des tribus bel$es avant l'ère chrétienne, le terri-


toire situé entre la l\{arne et le Rhin a étê désigné, tlans les
chapitres qui précèdent, sous le nom de Belgique, bien que,
pendtrnt les derniers siècles de I'Antiquité et la première partie
du moyen âge, ce terme ne puisse être pris que dans un sens
conventionnel. A cette épor1ue, en efTet, les nationalités ne
sont pas encole constituées en l-Xurope. D'un côté, I'Empire
romar'n confoncl dans son unité les peuples les plus divers; de
I'autre, les Barbares forrnent des hordes sans résidence fixe.
Les invasions plongent I'Europe dans le cluos et, lorsqu'un
organisme comme l'Église ou un prince tel que Charlemagne
possèrlent une autorité, un prestige suflisants pour faire æuvre
de reconstitution, ils reprennent la tradition unitaire de Rome,
dont la gloire a survécu à I'el'fondrernent politique.
Dans nos contrées, quelques facteurs particuliers, venant
s'ajouter à ces catrses générales, retairlèrent l'éclosion cle notre
_40_
nationalité propre. L'obstacle de la forêt Charbonnière créa
un dualisme èthnique et linguistique. D'autre part, I'adminis-.
tration impériale avait réparti notre territoire entre diverses
provinces. La limite purement arbitraire, ttacée de I'Escaut à
ia Meuse et séparant la proviirce de Germanie inférieure'de la
Betgique seconde, fut, dans I'ensemble, reprise par I'Eglise pour
ses délimitations diocésaine8 et par les rois mérovingienS et
carolingiens pour leurs subdivisions politiques. '

Le traité de Verdun créa la France et I'Allemegne; en 855,


la Lotharingie apparaissait entre la mer du Nord et le Jura.
Ces événements esquissèrent notre future positlon $éo$ra-
phique et notre destinée historique. Certes, le traité de
Verclun coupait en deux notre patrie et en attriblait les tron-
çons à deux monarchies distinctes. Mais la Flandre à I'ouest'
les prlncipautés lotharin$iennes à I'est manifestèrent, dès
le *" siècle, des tendances tellement irréductibles à, I'auto-
nomie que, dès cette époque, les régi<rns situées aux embou-
chures de l'Escaut, de la Meuse et du Rhin, prirent une phy-
slonomie spéciale. Certains chroniqueurs du xe siècle, se
piquant d'érudition, emploieront encore, pour les désigner, le
nom de Belgique, mais I'usage se répandra de plus en plus, de
leur appliquer Ie terme, parfaitenrent approprié à leur situation
géographique, de Pays-Bas ou Pays d'Avalois (|iederlanden,
partes adaal[cnses).
L'étude séparée de la Flandre et des Etats de la Lotharingie
s'impose jusqu'au règne des dues de Bourgogne.

$ l"t. _ La Flandre.
Baudouirt. Bras de fer (pp. 40 et 4r). Puissance moissante
-
des prcnders comtes de B'Iandre (p. a1).

Peu aprês Ie traité de \rerdun, Charles le Chauve' roi de


France, eut des démêlés avec un seigneur, riehe et énergique,
du pagus fl,andrensis .' Baudouin Bras de fer. Ce seigneur
avait enlevé Judith, fille de charles le chauve, princesse belle
et romanesque, et I'avait épousée en 863. Peu après' une réeon-
ciliationÏntervint : le rof donna à son gendre, en bénéfice héré-
-4t-
ditaire, le superbe territoire situé entre la mer, la Canche (l),
I'Escaut et I'estuaire du Zwijn; ce fut le rnarquisat, plus tard
le comté de Flandre (2).
. Très rapidement, la Marche de Flandre aequit une physio-
nomie indépendante. Pendant la dernière partie du u(e siècle
et au xe jusqu'en 987 (date de l'avènement de l{ugues Capet),
les derniers rois carolingiens menèrent une existenee précaire,
tourmentée par les guerres civiles. Les descendants de Bau-
douin Iet (-i 879) en profitèrent pour se tailler cle larges parts
dans les domaines ecclésiastiques cle I'Artois. Baudouin II
le Chauve (R. 879-9fS) épousa une fille du roi anglo-saxon
Alfred le Grand, nouant d.e cette manière les premières
relations entre la Flandre et I'Angleterre. Arnould Ier le
Vieux (R. 9f 8-964),le < Grand Marquis D, accentua Ia politique
annexionniste de son père dans la direction des sources de
I'Escaut et du ceurs de la Somme. Il devint très riehe en se
constituant le protecteur ou avoué (adaocatus) de quantité de
grands monastères {ui, en retour, lui assuraient de somptueux
revenus. Bref, à la fin du xe siècle, les comtes de Flandre possé-
daient déjà une puissance formidable. Les rois de Erance
les redoutaient à I'extrême, les ducs de Normandie avaient
besoin de toute leur énergie pour résister, entre la Canche et
la Somme, à la violence de leurs attaques et à la ruse de leurs
procédés.

$ 2. -- La Lotharingie.
Ce.tenitoire est disputé entre la France et Ia Gerrnanic (pp. Al
et 421, Tendances autnnomes de I'aristouat;ie lncak ; Régnier
au Long- Col, Qislebert (p. 4Z).- 959 : Partage de la Lotha-
rùngie (p. 42). Le clergé impérial. Pacification ùt Lothier
(pp. 42 et 43).-

Après'la'mort-de Lothaire II (voir p. Bg),Fen 86g, une lutte


ardente, riche'en péripéties de tous genres, s'engagea entre les

(1) Ffeuve côtier d.e l'Ârtois, au nord de la Somme.


(2) Selon une autre verËion, Baudouin, haut fonctionnaire royal, aura,it
usurp6 à son proflt les pouvoirs qu'il tonait du roi, comm€ marquis, dans lee
euÊdits terrltoires.
-42- t

derniers Carolingiens de France et de Germanie pour la posses-


sion du ( pays d'entre deux ). La bataille d'Andernach (1),
en g?6, fut la première des innombrables mêlées qui jalonnèrent
le duel millénaire entre Français et Allemands'
Il y avait à ce moment en Lotharingie une aristocratie ier-
rienne indigène très batailleuse et décidée à profiter des circon-
stances pour accroître sa plopre puissanee. Son chef était
Ré$nier au Long Col, petit-fiIs, par sa mère Ermengarde, de
I'empereur Lothaire.' Pratiquant une ondoyante politique de
bascule, il ne supportait, de la part du monarque qu'il daignait
momentânément soutenir, qu'une autorité nominale. Lorsque,
en g15, charles III Ie Simple,.roi de France (petit-fils de charles
le Chauve), I'eut, en récompense de sbn appui, nommé duc de
Lotharin$ie, le triomphe de cette_ politique autonorne et
régionale fut assuré. Gislebert, flls de Régnier et duc de
Loiharingie comme lui, passa vingt ans de sa vie à se consti-
tuer une clientèle, à intriguer et à se battre dans I'espoir -
vain d'ailleurs de transformer son duché en royaume indé-
-
pendant. F,n925,nous le voyons se rallier à la cause de Ilenri Ier
àe Saxe, dit I'Oiseleur. Désormais la Lotharingie fera partie du
royaume germanique. Treize ans plus tard nous retrouvons
I'incorrigible brouillon mêlé à une révolte contre son beau-frère,
le roi Othon fer le Grand. Battu à plate couture, après un
combat furieux, Gislebert se noya, en essayant de passer le
Rhin à la nage, à Andernach, en 939.
comprenant I'impossibilité de transformer la Lotharingie en
cluché waiment germanique, othon sut cependant mettre un
flein à la turbulence de la noblesse, âvec l'aide de son frère'
lc sage Brunon, archevêque de Cologne. Nommé duc (F,. 953-
965), Brunon, en 959, partagea son vaste domaine en deux :
' l.o La Basse-Lotharingie, entte Ia mér, llEscaut, la Meuse,
Ia Chiers, la Sûre, la Moselle et le Rhin;
2o La Haute-Lotharin$ie ou Lotharingie rnosellane' à
l'emplacement de la future Lorraine.
Nous ne nous occuperons que de la Basse-Lotharingie ou
duché de Lothier, dont les eontours eneadrent <léjà grosso
modo I'aire de la Belgique future. Brunon y établit un puissant
ctergé, recruté en Germanie. Il I'enrichit par des donations,

(f ) Sur le Rhin, edava,l de Coblence.


-43-
accrut sa puissance par I'octroi de droits régaliens, bref en fit
un instrument redoutable et zélé de la puissance impériale
(Othon fer avait été couronné Empereur romain germanique
en 962, il Rome). C'est en vain que les deseendants de RégnierF l
au Long Col, comtes de Hainaut et de Louvain, cherchèrent à I
secouer lc joug du clergé dynastique, avec I'appui des derniers I
Carolingiens rle France.pe Lothier fut pacifié. Mais I'esprif
d'autonomie, récluit milmentanément à I'impuissance, continua
à sommeiller dans les cæurs de cette noblesse locale aux ( mæurs
indisciplinées > -(indisciplihati mores), guettant toujours I'occa-
sion de se rebeller à nouveau contre la ùiscipli,na Teutnnica.
CHAPITRE II
le vip Bcol.ioMleup
ET socIALE
AUX PÂYS-g'tS
DURANT Lp IXC ET LE )(E STÈCTB

Les innasions d,es Normands (pp. 44 et 45). Naissan ce du,


régime féodal (p. A5). -
Bases de ce régime : la tecamrnan-
dqtion; le bénéfi,ce (pp.- 45 et 46). Farrnat:ion des grands
politiques (pp. 46 et 47).
-
L'aaouerie (p. +Z). Eætqt'
fiefs - -
sian du régime féodal : iI motcelle I'Europte (p. 47). Les
obltigat:ians du, aassal '(pp. 47 et 48).
-
Canclitions d'etistenee
-
de la nablesse du,rant Ic Imut rnoqen âge (Up.48 et 49'1. La
classe des tenanciers au cengitaires (pp. 49 et 5O). .- .ta
-
classe d,es serfs (p, 50). Lamentable état de I'agriculture
(p. S0). Les wateringues - d,e la West-Flandre (pp. 50 et 51).
État-barbare de la société au IXe et au Xe siècle (p. 5r).
-
ffi:f#i,#H"uffi#*,',
(Vieux dioton flamand.)

La période qui suivit la mort de Charlemagne ramen&


I'Europe au chaos des temps mérovingiens. Aux discordes
civiles et aux guerles vinrent s'ajouter de nouvelles et pires
calamités : les invaslons des Norrnands. Les Vikings des
fjords de Norvège étaient d'intrépides écumeurs de mer qui,
sur des nefs allongées, suivaient les côtes de I'Europe oceidentale

(1) Longs bras et larges mains


Ont les seigneurs du Plat-PaYs.
*45-
et rernoitaient le cours des fleuves. Leur gofrt du pillage, joint
à leur haine fanatique du christianisme, en.faisaient des adver-
saires impitoyables. Dès que les populations entendaient.réson-
ner leurs eors d'ivoire, elles désertaient en masse leurs demeures.
En quelques années, nos villes : IJtrecht, Dorestad, Maastricht,
Liége, Louvain, Gand et Tournai furent saccagées, ainsi que
des centaines d'églises et monastères. Nos prelniers d5rnastes,
Baudouin Bras de fer, Régnier au Long Col, combattirent avec
éclat la < terreur normande >, mais en 891 seulement le péril
fut conjuré par la victoire décisive de Louvain, remportée
sur le gros des Vildngs par le roi de Germanie, Arnould de
Carinthie.
Ce rxe siècle, si troublé, vit naître lia célèbre organisation
sociale connue sous le nom de régirne féodal. Les villes,
restées petites, même sous Charlemagne, avaient virtuellement
disparu. La société était exclusivement rurale et militalre.
Secouée jusque dans ses fondements par les agitations de
l'époque, elle se reconstitua tant bien que mal en une organi-
sation basée sur la terre, enchevêtrant les règles du droit privé
et du droit public. Cette réorganisation ne fut pas spontanée.
Elle emprunta ses éléments à la société des derniers siècles de
l'Empire romain et à celle des temps mérovingiens, ees deux
societés âyant vécu dans des conditions sombres et anarchiques,
analogues à,celles du r-xu siècle. Le gouvernement centralisateur
et fort de Charlemagne ralentit pendant cinquante ans l'évo-
lution inéluctable de loEurope vers la féodalité, évolution déjà
'sensible à l'époque de Charles Martel.
Le régime féodal a pour point de départ I'absence de toute
puissance centrale et protectrice. En vue de la défense contre
les dangers résultant d,e I'anarchie endémique se forment
partout, à tous les degres de l'échelle sociale, des groupements
d'hommes, liés.par un contrat personnel : le plus puissant
guerrier du groupe, le sei$ner$ (senior), promet ou impose
- ses vas-
sa protection âux plus faibles; en retour, ceux-ci,
-saux ou fidèles, lui jurent fldélité. Ce contrat se nomme la
recommandation. Ce régime hiérarchique, créant une échelle
fixe et héréditaire de conditions, n'est point nouveau. Le
système de la grande propriété foneière et du colonat chez
les Gallo-Romains, celui des lètes chez les Francs, en annon-
cent l'éclosion. D'autre part, la relation de protection-fldélité
-46-
est très sensible au sein de la sippe germanique et parmi les
antrustions mérovingiens.
Or, le seigneur protecteur est en même telnps grand proprié-
taire foncier. Pour stimuler Ie dévouement de ses protégés, il
leur octroie I'usufruit de < bénéfices > dont il garde la nue
propriété. Ces bénéfices sont tantôt des fiefs (du bas-latin
feodum .' terre de fidélité), tantôt des tenures ou censives.
Par un second contrat réel (f ) celui-ci le seigneur promet
de ne pas enlever le fief- à son vassal, la censive
- à son tenancier,
censitaire ou fidèle; en retour, le vassal jure de ne pas quitter
son flef, de ne pas I'aliéner ni de le morceler, d.e ne pas se marier
ou même de ne pas marier ses enfants sans I'autorisation de son
seigneur. Plus que le vassal encore, le censitaire est soumis à
de multiples obligations. Le régime du bénéfiee aussi est très
ancien. Déjà les riches Romains autorisaient leurs elients à
cultiver une partie de leuis terres à titre précaire, c'est-à-dire
aussi longtemps qu'eux, propriétaires, le jugeaient bon. D'oir
le nom d.e Ttrecaria (2) donné à ces sortes de concessions. Plus
tard, les rois mérovingiens, les abbés des grands monastères,les
maires du palais, généralisèrent le système des precaria, devenus
des bénéfrees à caractère viager. Enfin, Charles l\{artel distribua
d'office des bénéfices à tous seS guerriers.
Ces principes généraux étant posés, voyons-en l'application
dans la société du rxe siècle. Les derniers Carolingiens de France
et de Germanie sont faibles, abâtardis, de mceurs dissolues.
Pour avoir des partisans, ils multiplient la distribution des
bénéfices (3). Ailleurs, ce sont de hauts fonctionnaires régionaux
usurpateurs qui opèrent par eux-mêmes la transformation des
provinces qu'ils gouvernent en bénéflces et deviennent quasi
indépendants. Les grands bénéfiaes, nommés flefs politiques,
donnent à leurs titulaires : dues, comtes, marquis, princes-
évêques, abbés, une richesse et une puissance formidables. Dans
les limites de ces flefs, les nouveaux dynastes, jouissant de plus
en plus d'immunités, finissent par posséder des droits ré$a-
liens : droit de battre monnaie à leurs armes, droit de légiférer,
de déclarer la guerre, de rendre la justice. En 8ZZ, Charles le

(l) Du latin rcs = chose.


(2) Precarùum a pour racine le rnot preces signiliarrt prière.
(3) Les bénéfices sont parfois des exemptions de charg:es ou cle fonctions.
----- ti
-
Chauve édicte le capitulaire de Quierzy-sur-Olse, cette
< Grande charte de la Féodalité ), par laquelle il rend le béné-
fice définitivernent héréditaire. Enfin, pour coulonner leur
puissance, les dynastes se proclament, bon gré mal gré, avoués
des grands monastères de leur voisinage, étendent leur juri-
diction sur la population de ces immunités et se font accorder
par leurs princes I'hérédité de leurs dignités après celle de leurs
terres féodales.
Ayant acquis des quantités de campagnes en friche, de forêts,
de landes, la grande féodalité Jes partage à son tour parmi les
guerriers fidèles de ses terres. Se réservant un dOmaine, c'est-
à-dire une part de terres pour les exploiter directement, chaque
duc ou comte morcelle le reste entre ses barons et sei$neuf5;
ceux-ci agissent de même en faveur de leurs chevaliers ou
écuyers. D'otr un rlémembrement général de l'Europe. Une
<<poussière d'Etats rr gît dans le cadre des ancieris royâume.i;
les subdivisions,les enclaves, parmi lesquelles survivent quelques
alleus (1), donnent aux Btats un aspect de Ttuzzle immense,
dont les pièces seraient continuellement modifiées pâr le
mécanisrne cles héritages et des donâtions ou par les hasards
de la guerre. Et que cle bizarreries dans ce régime : tel seigneur
est vassal de plusieurs suzerains à la fois, tel autre est, pour
un îlot de territoire, suzerain de son propre seigneur !
Nous n'entrerons pas dans des détails techniques au sujet
de I'investiture des fiefs, du serment d'hommage, de la trans-
mission héréditaire des biens, du droit d'aînesse. observons
simplement que la caractéristique du fief est d'être terre noble.
Le fait d'en être investi oblige le vassal, s'il ne veut se rendre
coupable de féloni€, forfaiture qui amène la confiscation
du fref à fournir à -son suzera,in : 10 le service d'ost (host:is
-, ou service militaire à cheval, obligation essentielle-
: €nû€rti)
ment noble; 20 le service de plaid qui consiste à aider le sou- '
verain au Conseil et dans I'exercice des droits de justice; 30 le
service des aides pécuniaires, d.ans des eas nettement spéciflés,
notamment quand le suzerain est fait prisonnier et qu'il faut
payer sa rançon. si le vassal observe cette série de droits
féodaux, le seigneur doit, en retour, lui prêter main-forte

(1) Ir'alleutier, libre gul sa, terre, flépendait directement du eouverain et


n'était soumis à aucune des obligations du vassal.
lorsqu'il est attaqué et ne peut lul refuser Ie jugement par la
Cour des pairs, sous peine de dént de Justice, crime pouvant
entraîner Ia déchéance du seigneur, proclamée par tous ses
vassaux.
Cette noblesse, depuis le duc de Lotharingie jusqu'au dernier
petit seigneur, mène une vie $rossière. Au sommel de la hié-

(Ph,ot. Iiels.)
RUINES DE MONTAIGLE
Situé sur Ia X{olignée, au ccntrc d,nn cirque
ritait la Dlrts 1mi-sante demeure seigneuriale-d.c la.boisé, ce château
r(igiort ninsJne,
tlonstnrit arr xuo siècle, il fr.rt clétrrrit par I'anrié", a" ifàr,riJflàË
rle la cinq'ième guerre de charres-euirit contre ia Fratice--^

rarchie, les dynastes tirent de reurs domaines de quoi nourrir


et entretenir leur maison militaire, leur nombreuse suite de
e ompagnons d'almes et de valets. rrs se déplacent donc de ailla

en ailla, consommant sur place au gré de leurs besoins. Les


grands barons font de même, mais la multitude des chevaliers
besogneux se terre dans de sombres donjons, grosses tours
crénelées, aux murs épais de plus de deux mètres, entourées d'un
fossé et d'une palissade. Pendant les invasions nbrmandes,
I'Ardenne se couwit de ce genre rudimentaire de châteaux-forts.
_49_
Grande et petite noblesse ne vivent que pour la gue'rre. Le
tout petit seigneur ne diffère du paysan ou du chasseur que par
Ie costume : il possède un casque conique, un écu oblong, une
Ianee, une épée et un cheval, bref, de quoi pouvoir remplir son
service d'ost, raison d'être même de sa qualité de noble. Il porte
enoore la tunique de cuir parsemée de têtes de clous, la vieille
broigne mérovingienne, jalousant tel compagnon à qui d'heu-
reuses rapines ont permis d'acheter Ia chemise de mailles fines
ou haubert, tombant jusqu'aux pieds.
Les occasions de se battre ne manquent pas. Le moindre
litige à propos d'une terre < de débats ) ou ( contestée r est
Ie prétexte d'interminables guerres privées. Chaque hobereau
prend parti pour ( son lignage o. Il y a en outre les luttes de
peuple à peuple, les révoltes des grands vassaux. Ces guerres
sont d'ailleurs peu sanglantes. Les eohues de guerriers, nom-
mées improprement armées, se débandent aussi vite qu'elles se
sont constituées. Les opérations consistent en pratiques de
brigandage,en sièges de donjons. Les vraies batailles sont rares :
un corps à corps décide, pârfois en quelques minutes, de ,la
vietoire. Sur Ie champ de combat, on relève cent ou deux cents
morts !
Mais'qui donc nourrit, vêt, entretient cette aristocratie fon-
cière absorbée par les devoirs militaires? Ici nous voyons entrer
en seène Ia classe des fidèIes : tenanciers ou censitaires (t),
généralement d'anciens hommed libres ruinés par la guerre et
devenus, plus ou moirts volontairement, les fermiers héré-
ditaires des seigneurs de leur voisinage. Après la mort de
Charlemagne, la catégorie des hommes libres avait rapidement
diminué. En 847, l'édit de Meersen' (près de Maastricht),
publié par Charles le Chauve, avait môrne prétendu contraindre
tout homme libre à se choisir un seigneur. Tout noble avait donc,
désormais, à son service un nombre plus ou moins considérable
de fidèles, possédant héréditairement la jouissance d'une tenure
ou censive, moyennant quoi ils devaient faire viqre le seigneur
par le payement généralement en nature de redevances
- en travail, les corvées. Indépendamment
et par des prestations -

(1). On les désigxlo aussi sous le nom de marwntes ou m&n&rrte tribu-


taires, de pagerisas ou paysans, de oi,lut;n'*i (aillanus : ca,mpagnard.) ou
vilains.
-50-
des droits féodaux, le suzerain possédait done des droits
sei$neuriaux exereés sur ses censitaires (roturiers).
Les conditions d'existence de ces manants étaient pénibles.
Ils payaient, tantôt au souverain, tantôt à leur seigneur immé'
diat, la taille, impôt sur le revenu, la capitation, impôt par
tête, le cens, impôt sur les immeubles, le champart, impôt
d'une gerbe sur six, sept ou dix, au moment des récoltes. En
outre, Ie seigrieur les obligeait de porter leur grain et leur farine
à son propre moulin et à son propre four : c'étaient les bana-
lités. L'Eglise prélevait la dtrne (l/10) sur leurs récoltes. Et,
malgré tout, ces vilains trouvaient encore leur sort enviable.
Eux, au moins, disposaient librement de leur personne et de
leur héritage'mobilier, ils étaient astreints à fournir des rede-
vances fixes, tandis qu'en dessous d'eux la classe des serfs,
fermiers héréditaires eux aussi, était < taillable et corvéable à
ûr€fci rr.

Les serfs, descendants des esclaves mérovingiens, des popu-


lations vaincues réduites à la servitude par Ies Francs, étaient
'a attachés à la glèbe r. Quand ils'fuyaient, le seigneur avait
contre eux le droit de poursuite. A leur mort, le droit de
mainmorte les privait de la faculté de disposer de leurs biens
mobiliers, exigence tellement exorbitante que Ia noblesse elle-
même transforma ce droit, âu xrlre siècle, en celui de rneilleur
cattel (d'un vieux mot flamand qui signifie rneuble) ou droit
de saisir le meilleur objet de la succession. Parmi les Serfs, les
ouwiers et les domestiques avaient une eondition bien rappro-
chée de celle de I'esclave antique (l).
Jugeons à présent la situation éeonomique et sociale dans son
ensemble. Quel sombre tableau ! Les campâgnes sont dépeu-
plées. Autour des donjonE se terrent les serfs dans leurs humbles
masures. Les marécages et les landes regagnent du tenain sur
les cultures précaires des domaines. Les guerres eonstantes, Ies
hivers rudes et sans frn, amènent les disettes, les famines, les
épidémies. Seule la West-Flandre, de Bergues à Cadzand, offre
un spectacle réconfortant. Les vaillantes populations ftiso-
saxonnes ont su y conserver leur liberté et se sont liguées en

(1) Per contre, les oblats ou serfs d'Eglise étaient, enviés. Beaucoup de
manants renonçaient volontier's à leur i-ndérrendance porlr passer sous
l'autorité du clorgé.
-5r-
\pateringues (f). Au xe siècle, pâr un travail assidu, elles
commencent à transformer les estuaires de la côte en Ttolders
fertiles. Leurs conditions d'existence s'améliorent; les comtes
de Flandre les protègent et remplacent leurs obligations par
le devoir d'entretenir les digues.
Comme la société du vre siècle, celle du rxe et du xe fut igno-
rante, barbare, féroce. Le clergé lui-même avait perdu toute
influence morale. En quelques années, Ia civilisation caro-
lingienne disparut. Pendant cent cinquante ans, Ia Belgique
resta plongée dans les ténèbres" Vers la fin du xe siècle seulement
s'élevèrent les premières églises romanes du pays de Liége:'
encore étaient-elles nues et d'un appareil plus que grossier (2).

(f) Ira rvateringue, surveillée par le diikgraal (comte d.e la digue) ou


moermeester (maître d"e la lagune mise en culture), était une cornmunauté
formée pour rléfendre les polders contre les retours ofiensifs de la mer.
(2) Citons la tour d.e l'église de Saint-Denis, à Liége (987).
QU.A,TRIÈME, P^A,,RTIE
LE
RÉcIME FÉoD^A.L A soN ApoGÉE
(Du rtébut du XI" au mitieu du XIIe sièclo.)

CHAPITRE PREMIER

LES ÉVÉNNMENTS POLITIQUES


EN FLANDRE ET EN I,OTHARINGIE
DU DÉBUT
DU XIC AU MILIEU DU XIIE SIÈCLE

$ 1"t. La Flandre
-
Polùt:ique eæpansionniste des comtes de Flandre (p. 5Z). Terri-
-
toires'dëpendant d,e la Flandre sous le règne de Baudouin V
de Lille. Règne glorieuæ de' ce prince (pp. 5Z et 58).
Union de la Flandre et du Hainaut; Iutte entre Richilde-et
Robert le Frison; bataùlle de Cassel IIOZU (p. Sa). Puissance
dzs comtes de Flandre Robert le Frùson et Robert- II de Jéru-
salern (p. 5A). Règnes de Baudouin VII à la Hache et de
-
Charl,es de Dansmark, (pp, 54 et 55).

( Devise r:":iâif.i' T#'K",yà: !?' *ooa"u. r


Pas plus que les Carolingiens, Ies premiers successeurs cie
Hugues Capet (R. 987-996) ne purent opposer d'obstacles à Ia
politique expansionniste des eomtes de Flandre. Au milieu du

(l) Le premlor après Dleu.


58-
xre siècle, Baudouinv de Lille (R. 1085-1067), frls de Batl-
douin IV à la Belle Barbe (R. 988-1035) (I ), possédalt :
a) La Flandre flamande, compïenant entre autres les châ-
tellenies de Bergues, eassel, Furnes, Ypres, Courtrai, Audenarde,
Bruges et le comté de Gand.
b) La Flandre wallonne ou $allicante' : ehâtellenies de
Lille, Orchies et Douai.
c) Au sud de ces deux régions, nommées Flandre sous la
Couronne (de France) : I'Artois; chef-lieu, Arras; villes
principales : Guines,, Ardres, lSaint-Omer, Aire, Béthune,
Bapaume.
d) Au nord de la Flandre sous la couronne, les cinq îles méri-
dionales de la Zétande (y compris walcheren) et les Quatre-
Métiers : districts de Hulst, Axel, Bouchaute et Assenede,
correspondant à peu près au pays de waes et à la Flandre
zélandaise d'aujourd'hui.
e) Entre I'Escaut et la Dendre : la Flandre impériale'
c'est-à-dire les eomtés d'Eenaeme et d'Alost, les pays de Ter-
monde et de Bornhem.
Baudouin de Lille était un guenier et homme politique r€mal-
quable. Il sut contraindre Henri III, le plus puissant et le plus
altier des Empereurs romains germaniques, à Ie ieconnaître.
comme vassal pour la tr'landre impériale, les Quatre-Métiers
et la zélande, terres que son père avait adjointes à ses domaines.
Il maria son flls aîné Baudouin YI à Richilde, héritière du
comté d.e Hainaut; son second fils Robert à Gertrude de saxe,
veuve de Florent ler, eomte de Hollande; sa fllle Mathilde au
duc Guillaume de Normandie, le.futur vainqueur de Hastings.
En lO6O, le roi de France Henri Iei lui confiait la tutelle de son
héritier, Philippe fer. Six atts plus'tard, la conquête de l'Angle-
terre couronnait I'union normando-flamande. Quantité de
seigneurs flarnands combattirent aux côtés de Guillaume le
conquérant et ne furent pas oubliés dans le partage des terres
des vaincus. L'un d'entre eux devint comte de Northumberland,
un autre, comte de Chester. En 1067, Baudouin de Lille
mourait en pleine gloire, ayant vu, selott le témoignage de ses
contemporains, les rois le craindre et ses pairs < trembler
devant sa puissance >.

(1) Voir le tahloau généalogique à la fln du chap. Iu', p. 61.


-84-
Ltunion des comtés de Flpndre et de Hainaut ne fut pas de
longue durée. Baudouin VI de Mons mourut en 1070, après un
règne calme. Robert le Frison (R. 107f -f098), frère de Bau-
douin de Mons et guerroyeur sans scrupulès, au lieu de protéger
ses neveux Arnould et Baudouin, eneore en bas âge, viola son
serment. fl fomenta un soulèvement parmi les libres paysans
du littoral, d?origine saxonne, barbus, robustes, bien nourris,
dont j'ai parlé à Ia fln du chapitre précédent. Des feux allumés
à la côte donnèrent le signal de la révolte. C'est en vain que
Richilde, veuve de Baudouin VI, appelle à son aide le roi de
France Philippe Ier et la noblesse du Hainaut. Elle est vaincue
à Cassel (l) (22-29 février f OZf ) et son fils aîné, Arnould < le
Malheureux >, périt dans Ia mêIée. Pour continuer la lutte,
Ia vaillante princesse engage partiellement le comté de Hainaut
à Théoduin, prince-évêque de Liége. Constance inutile. Robert
laisse à sa belle-sæur le comté de Hainaut, mais règne sans
conteste sur la Flandre, de 1071 à 1093.
Cet usurpateur, politique aussi habile que son père, gouverna
en véritable roi. Il maria sa fille Adèle au roi Knut (Canut) de
Danemark et associa habilement ses propres intérêts à ceux
du Danemark et de la France, pour enrayer Ia puissance cro_is-
sante du roi d'Angleterre, duc de Normandie. Un pèlerinage
à Jérusalem, organisé en 1086 avec un grand luxe de mise en
scène, lui valut dans toute I'Europe une réputation de héros,
presque fabuleuse.
Enfin, son fils, Robert II de Jérusalern (R,. f0gg-ffff)
couronna le brillant système politique d'annexions et de succès
diplomatiques des comtes de Flandre, par une main-mise sur
I'avouerie de l'évêché de Cambrai. Il prit une part glorieuse
à Ia première Croisade et fut le plus puissant des dynastes
de son époque.
Après lui, son flls, l'ardent Baudouin VII à la Hactre
(R. f f f l-f 119) et son neveu Charles de Danernark (R. lllg-
ll,27), fils d'Adèle et de l(nut, eurent des règnes pleins de dignité,
mais moins éclatants. Leur activité fut surtout orientée vers
les affaires intérieures (voir chap. II). Les événements qui
suivirent la mort dramatique de Charles de Danemark nous

(l)ILocalitê ile la X'lantlre rnar:itinte, Bur llne hauteur isolée, entre Ypres
et Saint-Omer.
-55--
montlentque,déjààcemoment,laFlandreétaitentréedans
le stade du développement communal' Il en sera question dans
la cinquième Partie.

- te duché
$ 2. de Lothier'

Règnes des d,ucs d,e Ia maùswt, d,'ardenne : Godefroid II,


Gothe'
îon I"r, God.efroùd III le Bmbu, Godefroid IV le Bossu (pp' 55

et 56). affaiblissement d.e I'autorité ducale dàns le Lothier.


gueritte- entii tes .maisons d,e Limbourg et de Louaain (p. 56).
d'anarclùe aw début du XIIe siècle (p' 56)'
-Përioile
En 1005, l,empereur llenri II avait confié la direction du
Lothier à un membre de la famille des comtes de verdun,
famille très dévouée aux intérêts du saint-Empire. choix
heurqux : Godefroid II d'Ardenne (R,' Io05-'+I023) fut un
vaillant champion de la cause impériale. Il combattit avec
acharnement une ligue de barons, aux ( mæurs indisciplinées 'r,
dirigée par un descendant de Régnier au Long Col' le sangui'
naiù Larnbert, cornte de Louvain, et la vainquit à Flo-
rennes (Entre-sambre-et-Meuse) en 1015. Lambert de Louvain
resta sur le terrain; le Lothier fut pacifié'
Loyaliste aussi fut le frère de Godefroid II,I'illustre Gothe-
lon I*t le Grand (R. :L tO23-1O44), duc des deux Lotharingies'
Mais déjà nous retrouvons le vieil esprit brouillon, ambitieux
et rebelle de Gislebert, dans le fils de Gothelon, Godefroid III'
dit le Barbu, le coura$eux ou le Grand (It. ro44-r070).
God,efroid
,avait souffert dans son amour-propre de ne pas
avoir reçu' comme son père, I'investiture des deux Lotharin-
gies. Il ligua contre l'empereur Flenri III les eomtes de
Êainaut, à" Namur, de Louvain, de Hollande et' même
Baudouin de Lille, bref, toute la féodalité des Pays-Bas, toujours
prête à braver le suzerain germanique. Ileureusement' pour
ilenri III, le clergé impérial lui resta fidèle. Les évêques de
Metz, de Liége, d'utrecht affrontèrent la coalition. Godefroid III
perdit son Juché en 1048. Pendant près de vingt ans il lutta
à.r"" ,r" sombre ardeur, intrigua, simula le retour à I'obéis-
sancer pour récupérer ses domaines' Ce ne fut qu'en 1065' après
-56-
un long séjour en rtaHe où il avait épousé la comtesse Béa-
trice de Toscane qu'il- obtint Ia restitution du Lothier.
-,
Le fils de.Godefroid le Barbu, Godefroid IV le Bossu
(R. 1070-1076), guerrier vaillant bien que chétif et mal bâti,
renoua la tradition de fidélité des princes de ra maison d.'Ar-
denne envers le saint-Empire. A ce moment I'empereur Henri rv
était en conflit avee Ie pape Grégoire VIf, chacun d'eux pré-
tendant avoir le droit de conférer la double investiture au
-
spirituel par Ia crosse et I'anneau, au temporel par le glaive
aux titulaires de fiefs ecclésiastiques. La querelle des inves--
titures s'était bientôt élargie en une lutte pour Ia suprématie
dans le monde: La société devait-elle être une théocratie,
régie par les ministres de Dieu, ou un organisme caesaro-
papiste' dans lequel I'Empereur serait, par droit divin, maitre
des corps et des âmes?
Godefroid Ie Bossu n'hésita pas. rI défendit avec zèle son
suzerain Henri IV, malgré les revers et bien que sa femme,
'la comtesse Mathilde
de Toscane, ffit la plus ardente prota-
goniste des idées de Grégoire vrr. rl mourut en ro76, assassiné
au cours d'une expédition militaire en Hollande.
A partir de ce moment I'autorité ducale s'affaiblit dans Ie
Lothier. Godefroid de Bouillon (R. 1089-1100), neveu de
Godefroid le Bossu, est absorbé par Ies préparatifs de la
première croisade (voir chap. rr). n meurt sàns hisser'
de postérité. Henri rv confère alors la dignité ducale à Henri,
comte de Limbourg. Mais aussitôt après la mort {u vieil
empereur, réfugié à Liége en 1106, son fils et adversaire,
Henri v, octroie le duché à un descendant de Régnier au Long
col, Godefrold rer, comte de Louvain. Dans la lutte chao-
tique qui s'ensuit entre les partisans de Ia maison de Limbourg
et ceux de la maison de Louvain I'autorité impériale s'effondre.'
Les Empereurs n'osent plus agir en souverains; ils négocient
et marchandent avec cette bande de Ioups qu'esf, la noblesse
Iotharingienne. Le clergé impérial, désarmé devant I'anarehie,
est impuissant à défendre plus longtemps la a discipline teuto-
nique >. Godefroid Ier lui-même, dédaignant Ie titre de duc de
Lothier tombé en discrédit, préfère dorénavant celui de duc
de Brabant.
,g

$ 3. Les dYnasties locales.


-
Le duché de Brabant, Potitique réaÙiste et ondoyante des pte-
miers ducs d.e Brabant (pp. 57 et 58). Le comté de Lfun'
bourg (p. 5e). Le comté d,e Hainaut- (p.58). Le comté
-
deNamur (pp.-58 et 59). comlé de Luæembourg (p'59)'
-Le de ces principautés' Un tgpe
Intérêt relatif de l'histoire
-féod.al : Henri I'Aaeugle (p:59). La pri'nct'pauté épiscopala
de Liége (p. 00).
-

Le Lothier s'effritait définitivement en une série de petites


dynasties locales. Examinons rapidement les diVers terri'
toires situés, au début du xue siècle ou un peu plus tard, sur
I'emplacement de la future Belgique.
I. Lu pucnÉ oe Bna'saNt : s'étend entre I'Escautr la Dendre
et une ligne brisée, traversant le Brabant wallon jusqu'au nord
de la sambre, puis s'infléchissant vers le nord-est, parallèlement
à la Meuse, à travers Ia Hesbaye et la Campine, jusqu'à la basse
Meuse.
ce puissant Etat a pour noyau I'ancien comté de Louvain;
fondé au xe siècle. Il comprend notamment les villes de Lou-
vain (longtemps capitale du duché) et de Bruxelles; dans le
Brabant roman : la principauté abbatiale de Nivelles,'Wavre
et Gembloux; à I'est : Tirlemont-, Léau, Aerschot et Diest.
au nord. : Lierre, Hérenthals, Turnhout, Bergen-op-Zoom,
la baronnie de Bréda, Bois-le-Duc. sur loEscaut se trouve
le rnarquisat d'Anvers, solide boulevard du saint-Empire
contre les attaques par mer (l).
La politique des premiers ducs de Brabant'fut toute loeale.
Désireux d'étendre leurs domaines, jalousés par leurs voisins
cOaliséso ils consumèrent leur existence dans les petites guerres
et les intrigues. fantôt ils tiennent pour Ie Papeo tantôt pour
I'Empereur, dans la querelle entre le Sacerdoce et I'Empire;
tantôt ils sont Gibelins, e'est-à-rlire partisans de la dynastie des
Hohenstaufen, tantôt ils sont Guelfes. Mais cette politique en

(1) I:a plupart cles villes cltéos ne se sont développées qu'à' la ûn clu
xrr'et au Nrrr" sièclo. '
58-
apparence si ondoyante a ceptndant une ligne d'orientation
invariable : elle sert à favoriser. les intérêts immédiats du
duché.
En dire davantage sur Ia politique générale du turbulent
Godefrold Ier le Barbu (R. 1106-1140) et de I'ambitieux et
glorieux Godefroid III (R. 1142-1190), fils de Godefroid II
(R. f140-t142), nous égarerait dans les détails minutieux des
chroniques du temps. Bornons-nous à constater r1u'à la fin du
règne de Godefroid III la querelle successorale avec la maison
de Limbourg était terminée, close par un mariage réconciliant
les deux familles. Le Brabant se trouvait élevé au premier rang
des principautés belges.
II. Lp courÉ on LrMsoune (f ) : s'étend entre la Meuse et la
Vesdre dans la direction de la Roer (Eupen, Montjoie) et de
la Geleen (Sittard). Sa capitale est Limbourg, petite place forte
dominant le cours de la Vesdre. Les plateaux fertiles du pays
de Herve constituent sa plus grande richesse. Il comprend les
seigneuries d'Outre-Meuse : Daelhem, Fauquemont (Valhen-
burg) et Rolduc. L'histoire de ce duché n'a aucune importance
générale; elle s'associera bientôt étroiiement à celle du Brabant.
III. Lp conrrÉ nn I{arNeut (ancier: pagus de Hennegau') :
s'étend du haut Escaut vers les sources de la Sambre et englobe
une partie de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Ce très ancien comté,
constitué en faveur de Régnier fI, fils de Régnier au Long Col
et frère du duc de Lotharingie Gislebert, au début du xe siècle,
comprend notamment le Burbant : Condé, Antoing; le comté
d'Ath, les villes d'Enghien et de Hal; Mons : château recherché
eomme résidence par les comtes de Hainaut depuis qu'ils sont
avoués de I'abbaye de Sainte-Waudru; la châtellenie de Braine-
le-Comte; Binche; puis au delà de la Sambre : Beaumont,
Chimay; au sud : la capitale Valenciennes, Denain, Le Quesnoy,
Bavay, Avesnes et Maubeuge.
IV. Ln corvrrÉ on N.e.uun (2) : ce petit Etat, I'aneien pagus
de'Lomme, érigé en comté en faveur de Béranger, gendre de
Régnier au Long Col, s'anondit dans la vallée de la Meuse, de
Rouvignes, en aval de Dinant, jusqu'en amont de Huy. Dans

(1) Duché depuie la fln du xte siècle.


(2) Marquisat depuis la fln d.u xrre sièele.
_59_
I'Entre-sambre-et-Meuse il s'étend jusqtt'à Walcourt. Sa capi-
tale, Namur, est une puissante forteresse, admirablement située
au point de vue stratégique.'
v. Lr courÉ nn LuxEmBouRG (r) : cet Etat forestier forme
un vaste trapèze entre la Meuse, l'Amblève, la Moselle et la
haute Semois.
On y retrouve, outre la capitale f,uxembout$, prodigieuse
place forte, Echternach, Thionville, Longwy, Montmédy,
St*.ruy, le marquisat d'Arlon, le comté de Chiny, Neufehâteau'
la terre abbatiale de saint-Hubert, Rochefort, les seigneuries
de Durbuy, Laroche et Salm-Houffalize
vI. En dehors du territoire belge, le comté de Hollande'
l'évêché d'Utreçht, les duchés de.Gueldre et de Juliers.
Les comtés de Hainaut, Namur et Luxembourg eurent un
développement essentiellement féodal. Leur histoire, aux xle
et xue siècles, ne peut intéresser que l'érudit régional. ElIe est
subordonnée à celie des grand.s Etats : la Flandre, le Brabant,
la principauté de Liége. Les petits dynastes du Lothier unissent
leurs familles par des mariages, se brouillent, se réconcilient,
se liguent contre <les tiers, le tout avec une divèrtissante versa-
tilita. II s'agitent fiévreusement et consacrent une vie entière
d,activité débordante à I'acquisition de quelques arpents de
territoire. Notons en passant que toute I'Itrurope de ce temps
offre le même sPectacle !

Leprototypedrrféod.alduxrresiècleestHent{l'Aveu$le
On pour-
1n. riso-r196), comte de Namur et de Luxembourg'
rait écrire un savoureu>/ roman stll I'histoire de cet écervelé,
Ieplus turbulent des princes du xile siècle. Allié à son beau'frère,
le comte de Hainaut, Baudouin Iv le Bâtisseur, il eut l'honneur
de battre Godefroid III de Brabant, à carnières (à la limite
du Brabant et du Hainaut), en tt70. Il consterna son neveu et
héritier Baudciuin V le Courageux en se remariant, quoique
aveugle. A septante'quatre ans (en 1I8?), le voilà père d'une
-Ermesinde
fille, ! sept ans plus tard, I'intrépide vieillard défend
encore les droits de son enfant, mais vaincu à Neuville-sur-
Mehaigne (1194), il doit définitivement renoncer au comté de
Namur, qui passe à la maison de Hainaut'

(1) Duché tlepuis le rnilieu du xIYu siècle'


_60_
Il nous reste à mentionner un Etat du Lothier qui eut urr
développemént entièrement indépendant :
VII. La pRrNcrpaurÉ ÉprscopalE o4 LrÉcr. Elle coupe
la Belgique en deux par une bande allongée, dans - Ie sens du
eours de Ia Meuse, de Fumay à Roermond. A I'origine, c'est
I'évêché de Tongres, du début du vre siècle, transféré bientôt à
Maastricht. En 709, saint Hubert, séduit par Ie riant vallon
de la Legia où Ie vénérable saint Monulphe avait bâti une eha-
pelle eent trente ans auparavant, y transfère le siège de son
évêché. Leodiocum, située à proximité des aillae royales câro-
lingiennes, prospère bientôt, grâce à de généreuses donations.
La ville devient Ie centre d'action du clergé impérial othonien.
Sous Notger (R. 974-1008), personnalité droite et rigide, type
du prélat dynastique et loyaliste, les diverses enclâlves du teni-
toire se rattachent déjà par des pédoncules à Ia dcirsale mosane.
Liége, fortifrée, devient la < Cité r. A Ia fin du xre siècle, Théo-
duin (R,. 1048-1075l, puis Henri de Verdun (B,. rO?E-f0gf)
et Otbert (R. 1092-1119) résistent aux attaques des d5rnastes
du Lothier. Si Ieurs successeurs n'ont plus leur autorité, au
moins s'efforcent-ils de garder intaet le domaine qui leur a été
'transmis. A cette époque, la principauté projette une antenne
dans I'Entre-Sambre-et-Meuse et le long de la Sambre, englo-
bant tr'osses, Clrâtelet, tr'lorennes, Couvin et 'fhuin; une autre
atteint, sur Ia Semois, Bouillon, capitale d'un petit duché,
défendue parïn redoutable château; le territoire principal eom-
prend Dinant, Ciney dans le Condroz, Hry, et suit la Meuse
jusqu'à Visé et au delà de Maastricht. A I'ouest un bras ensere
Waremme en Hesbaye et le cornté de Looz avec Saint-Trond,
Tongres, Hasselt et Maaseyck; à I'est un autre bras atteint
Verviers et le MarquiSat de Franchimont (Spa). En tout,
vingt-deux < bonnes villes (f) D, onze wallonnes et onze
flamandes, jalonnent ce curieux territoire.

(1) Au moyen âgc, bon signifie valllant.


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CHAPITRE II
r,A ûrB ÉconqoMreup ET socIALE
DANS LES PAYS-BAS
AU XIe ET DANS LA PREMIÈR.E h{oIItIÉ
DU XIIE SIÈCLE

Le régime féodal à son apogée (pp. eZ et 6B). La cheaalerie


(p. 6e). ,Sorz - tle Bouillon,
rôIe au,æ Croisades : Godefroi.d
-
aaoué du Saint-Sépulcre; Baudouin IX, enxpereur latin de
Constantinople (pp.6'3 et 64). Infl,uence de:s Croisades sur
. -
les mæurs, Jes mode.s et l'ameublement (p. 64). Mesures
- de Dieu
contre I'anarchie féodale : la Paiæ de Dieu, la Trêae
(pp. 64 et 65). -- Le Tribunal de Paiæ du prince-éaêque
Henri de Verdun (p. 65). Baudouin VII ù la Hache
instaure Ia Paiæ du Comte (p. -65). RôIe ciui,Iisateur du clergé
impérial : les écoles du, pays de-Liége (pp. 65* et 66).
Eondation de nombreuæ monastères auæ Pays-Bas sous -
l'infl,uence des abbayes bourguignonnes (p. 66). R6te
u,tile de ces nxonastères (pp. 66 et 6?). Les chroni,Eueuîs
(p. 67). Les arts (pp.67 et 68). -
-
Daris sa structure ginérale, la vie écononrique et soeiale du.
xre siècle <liffère peu de celle du siecle précédent. Elle est tou-
jours rurale'et primitive. Les famines, moins fréquentes, sont
parfois'encore épouvantables. Le régime féodal a atteint son
apo$ée. Les mceurs sont encore rudes, et il est bicn'de son
temps, ce seigneur d'Alost du xne siècle, Baudouin III le
Louche, < Pair des Pairs de Flandre r, qui, un jour, sonna du
-6â-
cor avec tant de fougue < qu'une vieille blessure au front se
rouwit et laissa échapper la cervelle >.
Cependant, la noblesse s'achemine veIS une amélioration
morale. La chevalerie brille d'un vif éclat au milieu du
xre siècle. Sorte d'altière confrérie, unissant ses membres en
un même culte de I'honneur, elle exalte la mission sacrée de
la noblesse : défendre la foi, protéger les faibles (clercs,
femmes, enfants, vieillards, blessés).
Quel imposant spectacle devait-ce être que celui d'une caval-
cade de nobles, se rendant à Ia guene ou à quelque tournoi !
Un haubert en tresses de mailles fines et serrées, tombant jus-
qu'aux talons, recouwe leur vêtement de dessous en cuir rude;
le crâne, enveloppé dans un bonnet rond, est coiffé d'un casque
conique; un < nasal D protège le visage. un bouclier oblong
decoré d'animaux fabuleux, un poignard et une large épée
complètent l'équipement de cette milice littéralement < armée
de pied en cap I et dont les palefrois disparaissent sous une ample .

cotte de mailles.
Les Croisades, expéditions militaires prodigieuses, allaient
bientôt permettre à la noblesse belge de jouer un rôle de premier
plan. Le chef de la première expédition (f 096-f099) fut Gode-
froid de Bouiltone duc de Basse-Lotharingie. Ce prince fort
et généreux fut viaiment la < colonne unique,> de la Croisade.
Au cours d.'une marche terrible, de plus de trois anso à travers
I'Asie Mineure et la Syrie, il fut -- lui qui connaissait les parlers
roman-et germanique médiateur dans, les querelles, trait
-
d'union entre I;otharingiens, Germains et Français, entraîneur
de masses vers les assauts désespérés. En 1100, ce ehrétien
mourut comme Avoué du Saint-Sépulcre (l). Son frère
Baudouin de Lorraine, prince irritable, perfide, mais aventu-
reux, alla fonder la principauté d'Edesse en Haute-Mésopo:
tamie et mourut en 1118, comme second roi de Jérusalem.
A côté d'eux, que de participants belges È la délivrance des
Lieux Saints : Robert If, comte de Flandre,- Baudouin II'
comte de lfainaut, Jean de Namur, Ludolphe cle Tournai,
frère des < bons chevaliers rr Everard et Guillaume, qui
-posa le premier le pied sur les remparts de -
Jérusalem,
les frères Godefroid et Henri d'Assche, hostibus infestissimi (les

(l ) Il avait, par modestie, refusé le titre de roi de Jérusaletlr.


64*
plus redoutables pour I'ennemi), toute la chevalerie du Hainaut
et du Luxembourg, ce a théâtre de la noblesse des pays-Ras ! l
Plus tard, lorsque les croisades furent devenues des entre-
prises purement féodales, la chevalerie belge, toujours en quête
d'aventures, y joua encore un grand rôle; les comtes de Flandre
y furent les émules de I'Empereur et des rois. L'un d'eux,
Baudouin fX, fut, après que la IVe Croisade eut dévié vers le
Bosphore, élu empereur latin de Constantinople (1204).
Etant mort deux ans plus tard, tué par les Bulgares à la bataille
d'Andrinople, ce furent des barons lotharingiens qui lui succé-
dèrent : Henri de Hainaut, son frèie, puis le beau-frère de ce
dernier, le comte de Namur Pierre de Courtenai (tué en l2t7
dans les défilés de I'Albanie). .
Le eontact avee I'orient eut une influence directe sur Ia vie
de société des rudes paladins du Nord. rls prirent le gofrt des
damaso belles soies épaisses brochées de fleurs d'or; ils portèrent
Ia barbe longue et parfumée. Les -femmes eurent des robes à
manches flottant jusqu'à terre, de longues traînes, des < bliauts >
moulant les formes de leur buste. Elles recherchèrent les pom-
mades, les fards, les gazes transparentes, telles que les souples
mousselines (1). Elles ne gardèrent des vieilles modes eâro-
lingiennes, si gracieuses par leur simplicité, que les longs cheveux
nattés.
Les sombres châteaux prirent, à cette.époque aussi, une appa-
renee plus confortable. on dora les poutres des plafonds; le sol
dallé fut eouvert aé tapis persans ou turcs; les murs nus,
autrefois simplemént rehaussés de trophées de chasse, furent
masqués par des tapisseries à personnages. Des tentures gar-
nirent les fenêtres; des baldaquins à rideaux cachèrent au regard
les grands lits; d'énormes ( carreaux D, coussins matelassés,
s'empilèrent sur les bancs de chêne.
Tandis que les m(Eurs de la noblesse s'adoucissaient, I'Eglise
et les princes prenaient des mesures pour annihiler le vice
fondamental entachant la féodalité : le régime des guerres
prlvées. Dès Ia fin du xe siècle, des conciles de prélats français
avaient cherché à réagir contre I'anarchie du temps en orga-
nisant :
'a)
La Paix de Dieu, enjoignant aux belligérants, sous peine

(1) A l'origrner ces tigsus venaisnt de Mossoul, sur le Tigre.


*65-
'd'exeommunication,
de respecter Ia vie et les biens des non.
eombattants : prêtres, femmes, enfants, vieillards et mar-
ehands;
.b) La Trêve de Dleu, interdisant les guerres privées du
mercredi soir au lundi matin et pendant les grandes fêtes du
calendrier. Ce régime laissait eent onze jours disponibles par
an pour les opérations militaires !
Un prince-évêque de Liége, Henri de Verdun (R. 1076-f Ogf )
s'inspirant de ces mesures humanitaires, se risqua, en 1082, à
créer, avec le concours des princes du L$hier, un Tribunal
de Palx, véritable Cour d'arbltrage entre seigneurs. Ce tri-
bunal fonctionna jusqu'au xve siècle, mais son action fut, hélas,
nominale.
Dès le milieu du xre siècle, les grands comtes de Flandre
avaient également introduit chez eux la Trêve de Dieu. Mais ils
en firent le point de départ de tout un régime politique, admi-
nistratif et judiciaire. En ttlt, Baudouin VII à la Hache
(Baudouin Hapken) créait la Paix du Comte : agissant en
$ardien de I'ordre public et en suprêrne Justicier, il orga-
nisait des a armées de la paix r,, nommait des châtelains (com-
mandants de garnisons) pour extirper le brigandage des rtobliaux
pillards, créait des tribunaux et un régime de lois pénales,
homogène mais tout imprégné eneore de la barbarie mérovin-
gienne. Le peuple, heureux de voir Ie prince agir impitoyable-
ment à l'égard des seigneurs, lui voua un véritable culte.
En même temps le service de la perception des impôts était
régularisé par I'intermédiaire de receveurs dits notaires. Ces
institutions furent imitées un siècle plus tard par les dynastes
du Lothier.
Au xre siècle, I'Eglise reprit son rôle civilisateur. Ce fut
d'abord le clergé irnpérial de Liége qui refit de Ia Belgique
le foyer de culture chrétienne qu'elle avait été sous Charle-
magne. De tous les pays, même de Slavie,les étudiants affiuèrent
vers la < fontaine de sapience r, la docte école cathédrale de
Saint-Lambert, ou l'écolâtre (f ) Wazon enseignait la théo-
logie et le poète Adelman les belles-lettfes et la philosophie.
D'excellents professeurs se formèrent dans les écoles collé-
giales et abbatiales de Ia principauté, puis allèrent enseigner

(1) Profeseeur do théologie.


r'. vaN KALKEN. rlrsrolRE DE BærÆrreun. lg24.
- -
-66-
à Tournai, à Cambrai, à Paris et même à Prague, soit les ."ià"",
du triaium (grammaire latine, dialectique, rhétorique), soit
celles da quadritfium (musique, arithmétique, géométrie, astro'
nomie). A Ul,rech{, l'évêque Adelbold, polygraphe aussi versé
en matières militaires qu'en politique ou en musique, écrivait,
au début du xre siècle, un ouvrage sur la manière de trouvgr le
volume de la sphère.
Au xrre siècle, I'effritêment du duché de Lothier en plusieurs
principautés amena la décadence du elergé impérial germa-
nisant. De nouvellesjnfluences, venues'de France, imprégnèrent
l'Eglise. Dès la seconde moitié du xre siècle, les $rands rrronas-
tères de Bour$ogne, soutenus par Grégoire VfI, entrqprirent
une Gs,mpagne réformatride en Europe.
Précédés aux Pays-Bas par Richard de Saint"Vannes
(début clu xre siècle), réformateur ascétique et éloquent, Propa-
gateur des idées de désarmement général, les bénédictins
fondent les monastères de Cortenberg en Brabant et d'AfHighem
près d'Alost. Peu après, les cisterciens, issus de I'oldre de
Saint-Benoît, fondent la Cambre et Villers près de Bruxelles,
les Dunes près de F'urnes, Orval âu sud de X'lorenville.
Soutenus par de puissantes familles locales, les Berthout
à Grimberghe, les comtes de Looz à Averbode, les prémon-'
trés ou norbertins' que le peuple appelle < l'ordre blanc n,
créent les maisons de Parc près de Louvain et de Tongerloo
en Campine.
Ces abbayes riches, protégées par I'aristoeratie et aimées du
populaire, s'imposent outre leur rôIe agrieole une multiple
mission : - -
to Epurer la foi.
La piété était' profonde dans les Pays-Bas, au xre et au
xrre siècle. Le succès immense de la prédication de la première
Croisade en est la preuve. Nonante mille Belges partirent
pour déliwer la Palestine. Mais cette foi était troublée pâr un
mysticisme malaclif et pouvait aisément dévier. Lorsque. le
moine pieard Pierre I'Errnite, agent du pape Urbain II,
vint haranguer les foules de nos contrées, il se produisit sur son
passage des scènes d'un fanatisme extraordinaire. On taillada
sa robe de bure et arracha les poils de son baudet pour avoir
des reliques.
t -67-
Quelques années plus tard, sous Godefroid fer de Brabant,
un hérétique, Tanchelme (Tanchelin), et son ami, le forgeron
anversois Manassès, se rnirent à prêche.r ulle croyqnee rnani-
chéenne (f). Ils obtinrent un grand succès et Tanchelmeo enilné
de gloire, s'entoura d'un luxe ridicule. Les moines, comprenant
le danger, entreprirent une campagne intense d'évangélisation
des masses (2).

2o Adoucir les rnæurs et atténuer les misères sociales.


Grâee aux fondations pieuses, Ie clergé régulier et séeulier
, monopolisa le service de la charité publique : distribution de
vivres et de vêtements, aumônes, direction des hospices, hôpi-
taux et léproserie
Il lutta aussi pour atténuer les rigueurs de la procédure pénale,
fit des effopts pour transformer la vengeance personnelle et
directe en poursuite d'office, au nom de la société, et mena
campagne contre les < jugenrents de Dieù r (duels judiciaires
et ordalies).

3o Développer la science.
Dans presque tous les cloîtres se fonda une école uronas-
tique.
De ces éeoles sortirent les innombr'ables chroniqueurs du
xrre siècle, auteurs secs, prolixes, mafs généralement probes,
d'onnales, de biograplries, de Gesta (actes mémorables) d'évê-
ques, d'abbés, etc. Le meilleur cl'entre eux fut Si$ebert de
Gembloux. IIs écrivaient en latin alors qne la langue popu-
laire était le flarnand (thiois) ou le wallon.
La cir,ilisation chrétienne du xre et du xrre siècle a laissé
quelques magnifiques souvenirs dans nos provinces. Sans parler
ici des ceuvres des émailleurs, orfèl'res, sculpteurs naifs dits
rr ymaigiers r, enlumineurs patients de missels, sans nous arrêter

même aux admirables fonts baptismaux de I'église Saint-Bar-


thélemy, à Llége, æuvre de Regnier de Hry, bornons-nous à
mentionner les vastes églises de style rornan rhénan de la

(1) Manès, londateur d.e.secte perga,n, d.u rrr€ siècle, attribuait I'existence
du Bien et du Mal ù deux principes opposés, l'nn cs:rcntiellernent bon, l'autre
essentiellement mauyais
(2) Un prêtro agsomma Tanchelme en 1115,
--68-
vallée de la Meuse, à Roermond, Laastricht et Liége. Elles
ressemblent à des
forteresses, avec
leurs murs nus,
leur roide profil
et leurs petites
fenêtres en plein
cintre. Les deux
tours qui surmon-
tent le vestibule
d'entrée I'an-
-
cien narthex des
basiliques chré-
tiennes et la
-
haute tour qui
domine la croisée
leur donncnt un
aspect imPosant.
La gigantesque
catiréclrale No-
tre - Darne de
Tournai est tout
à fait indépen-
cllrnte cle l'i:colc
nlosârlte. At'ec scs
cinq clochers
Irauts de B0 rnè-
trurs, elle offre le
(I'hrt. Nt'ls.)
lrlus bcarr spéci-
nlerr de I'urchi-
LA CATIIÉDIIALE DE .IOURNAI tecture romane
Plisc au sud tle ltr c';-rthédrale, la photograllhrt:
norrnande qui se
montre la grantle nt't ct I'absidc tct'rnitlatti ltr puisscvoir cnBel-
trarrsclrt or:ciclcntal, totttcs dtrrtx dlr lrlu-r bctrtr
stvle rornan. I)tr supcrbc cllu:ilt, c1c stl'le ogi- giquc tru cn Picar-
val, on nc voit tlue Ie prcrrrt iel vitlilil. C)n allerçoil die. IJlle réalisc
quatrc dcs cinq clochers <1tti tlornitrclt lii croiséu.
d'une manière
majestueuse le type de la basilique en forme de croix, à
piliers et à voûte d'arête (l).

(1) \roirte formée par I'intersection de deux deuri'cylintlres.


clNeutÈnnn P^A.RTIE,

L^A,. PÉRIODE COMMUN^A.LE


(De la seconde moitié du XIIe à la lln itu XIIIe siècte.)

CHAPITRE PREMIER

I,ES ÉVÉNPNTENTS POLITIQUES


EI{ F''LANDRE ET EN LOTHARINGIE
(Du milieu du xrre à la fin du xrne siècle.)

$ 1.t. La Flandre.
-
ll27 : Assassinat de Charles d.e Danemarlt (p. ZO). Guiilaume
- de Flandre
Cl;iton et Tltiemy d'Alsace reaendirluent la couronne
(p. 70). Règne de Thierrg .rJ'Alsace (p. Z0). Puissance
- Philippe d'Alstrce. II deaient Ie tuteur
drt. comte - du roi de
tr'rance Philiptpe-Awguste (pp. ?0 et Zf ). Confl,it anec cc
,monarçIue; perte de l'Artoùs, du Vermandois - et de I'Amién,ois
(pp. 71 et 72). ll'Iort de Philippe d'Alsace fttgr] (p, 72).
Règne efïacé dc- llaztdou'in, V IVIIII le Courageuæ (p. 7z). -
Règne de Baudouin IX de ConstantinoTtle : il reprend-le
nord de I'Artois.; sa partici,patiott, à Iu IVe Croisade (p. ZZ).
PhiliTtpe-Auguste intcraieint dircctem,ent darts les affaires de
--
la Flandre (p.ZZ).- Auènement de ,Ieanne de Constan,tinopte ;
son mariage a,aec Fercand de Portugal (pp.Z2 et ZS). Ferrand
se tourne contre son suzerain, (p. Zg). Principes -de la pol:i-
-
tique traditionnelle de I'Anglcterre à l'égard de la Flandre et,
en général, des Pays-Bas (p. 7B). -- Bataille de Bouaines
[27 juillet r214] (p. 7g). Le <fauæ Baudotti,n ll (pp. 73 et74).
-
- .!

-?0-
Traité de Melun [1226] (p. 7a). Règne de Marguerite
-de ConstanÛinoPle -
: querelle des d'Aaesnes'et des Dàmpierre
(pp. 74 et 75).

Comme précédemment, la Flandre oecupe' dans la période


de I'histoire des Pays-Bas que nous abordons ici, la première
place. cet Etat avait conservé, sous le règne équitable du sage
charles de Danemark (voir p. 54), lq position prépondérante
qu'il avait acquise grâce z\ la politique vigourcuse de Raudouin
de Lilte ct de Robert le Frison. NIais, en ll2?, le c[lncelier de
Flandre Bertulphe, prévôt dc saint-I)onat, imité cl'être traité
par charles en chevalier de fanille servilc, assttssina celui-ci
àr *orrr"rrt oir il faisait ses dévotions dans une église de Bruges'
Le roi de France Louis vI le Gros (R. 1108-1137) excrça '
contre Bertulphe et ses c'omplices des représailles terribles, avec
I'approbatiorrdes Flamands exaspérés, mais lorsque le suzerain
vouiut remplacer le comte <léfurrt par Guillaufile Cliton' un
Normand descendant de llaudouin cle Lille par sa grand'mère
Mathilde (épouse de Guillaume le conquérant), les villes du
comté se tournèrent contle lui. Ni le roi, ni ce féodal inconnu
entouré de mercenaires, n'inspiraient confiance à la. l:ourgeoisie
naissante ou aux paysanp. Ils choisirent potrr comtc T hierry
d'Alsace, petit-fils rle ilobert Ie lr'rison par s{r mère Ger'
trude (r). D'otr une guerre civilc d'un caraetère tout llouveau :
d,un côté, la .r.r"iu du peuple, fcrrnranb bloe, soutenait
Thieriy, patronné en outre par lc roi r1''Angl.eterre llcnri Ier
Beaucierc (R. 11o0-rl35); de I'autrc, les seigneurs de la
Flandre gallicante défendaient le candiclat tlu roi de F'rance'
Uncoupd'arbalèteayarnt,arrsiègerl'Alost,misfinàlarde
aventureuse de Guillaurne clittlu (1r:18), la Flandre se retrouva
unie et pacifiée sous le règne régénératetrt de Thierry d,'Alsace
ln.rrza-r16s).Ceprinces'étantsurtorrtoccrtpé<lelaréforme
àe h procédure judiciaire, clc l'élaboration d'ttn <lroit municipal
homogène et d.'autres réformes intéricures dont il sera question
au chapitre suivant, passons à l'étud'e clu règne de Philippe
d'AlSace (R. f 168-1191), le plus reclouté de I'orglreilleuse série
-de
des suecesseurs Bautlouin lJras cle Fer'
Agé d,environ trente ans lorsqu'il ceignit la couronne eolIt'-

(1) Voir le tableau généalogique à la p' 61'


-71 -
tale, rompu aux affaires grâee à une collaboration déjà ancienne
avec son père, le comte se considérait comme l'égal de
son suzer4in Louis VII te Jeune (R. ff87-ftg0) et du roi
Henri fI d'Angleterre (R. ft54-rl89). Ayant épousé en 1156
Elisabeth cle Vermandois, il étendait son autorité jusqu'aux
régions entourant Saint-Quentin (le Vermandois), Senlis (f)
(le Valois) et Amiens (l'Arniénois). Il s'était en outre assuré
I'alliance de Baudouin V, comte de Hainaut, en lui donnant en
mariage, cn 1169, sa sæur Marguerite d'Alsace (2). Dix ans
plps tard, Lonis Vff, sentant venir la mort, confiait au comte
de lrlandre le rang de premier conseiller de la Couronne, avec
charge de veiller à l'éducation. de son fils Phitippe-Auguste.
Dès l'année suivante (1I80), le jeune prinee, âgé à ce moment
de quinze ans, épousait lr nièce de son mentor, fsabelle de
Frainaut. si l'on ajoute à ces faits que Philippe d'Alsace s'était
allié, par des unions de farnille, au comte de Gueldre et au âuc
de Rrabant, on jugera du degé de puissance qu'avait acquis la
Flandre à la lin du xue siècle.
lVlalheureusement pour le comteo Philippe-Auguste, tout
jeune, se révéla grand roi, hardi, rusé, tenace. Dans I'intermi-
nable duel que s'étaient liwé jusqu'ici capétiens et comtes de
Flandre, ces derniers avaient toujours pratiqué l,offensive;
désormais les rôles seront changés.
Philippe-Auguste se montra docile envers Philippe d'Alsace
jusqu'au moment or) celui-ci lui eut remis I'Artois, offert en
dot à rsabelle de Hainaut. Aussitôt après il écarta son protec-
teur du pouvoir. Justement froissé, celui-ci rassembla une
grande armée ct alla ravager le nord de la France jusqu'à
Lourtes-en-Parisis, aux portes de la capitale! Philippe d'Alsace
allait triompher lorsque son beau-frère Baudouin, politique
versatile, saisit un prétexte pour abandonner sa cause et prendre
le parti du roi de France, son gendre. Philippe, veuf d'Elisabeth
de Vermandois, qui ne lui avait pas laissé d,enfants, songea
par ressentiment à ruiner les perspectives de succession de son
beau-frère en contraetant un second. mariage avec Mathilde
de Portugal. Baudouin n'en devint que plus hostile. Enfin,
en 1185, Philippe cl'Alsace renotree à la lutte. Il paye par I'aban-

(1) Senllq : au surl-ouest de Compiègne.


(2) Voir le tableau généalogique à ta p. 78.
\
-ï2-
don du Vermandois et de I'Amiénois la faute de noavoir
pas
pénétré à temps le caractère réel de son ex-pupille' Au moins
continue-t-il à pratiquer une politique de contrepoids. Il s'entend
avec les Guelfes du saint-Empire et avee la famille des Plan-
gibelin
tagenets, Philippe-Auguste étant I'allié de l'empereur
fùaeric Barberousse (R. r152-rr90) et poursuivant victo'
rieusement contre les rois d'Angleterre la guelre commencée
par son père, trente ans auparavant (1)' Philippe d'Alsace
mourut en ll9l, devant Saint-Jean d'Acre, au cours de la
IIIe Croisade. Si sa politique extérieùre ne fut pas toujours
heureuse, son rôle intérieur et son action sociale contribuèrent
à
faire de lui une d.es plus remarquables personnalités de son temps.
Après lui paraît bien mesqttine la physionomie de son héritier'
Baudouin v de Hainaut (VIII en Flandre, R. 1191-1194),
rusé compère (2) que nous avons déjà vu aux prises avec Henri
I'Aveugle- pour la possession du comté de Namur (voir
p' 59)'
Baudouin VIII n'eut qu'un souci : viwe en paix avec Philippe.
Auguste. Tout au contraire, son fils, l'énergique Baudouin IX
(R. 1194-1206), comte de Ftandre après ia mort de sa mère
Marguerite d'Alsace, s'allia avec le roi cl'Angleterre Richard Ier
cæur de Lion (R. 1189-1199), attira.l'armée française dans des
marais à I'ouest d'Ypres (119?) et contraignit Philippe-
Auguste à lui rendre, par le traité de Péronne, de 1200, tout
te nord de l,Artois, de Guines à Béthune. Malheureusement,
cet excellent prince abandonna peu après sa politique nationale
podr se lancer à corps perdu dans la chimérique expédition de
bonstantinople (voir p. 64). Philippe-Auguste guettait ce
moment : il s'empare des deux fillettes de Baudouin, Jeanne'
âgéedesixans,Margueriterâgéedequatre,quisontexpédiées
à Paris; en même temps les troupes du roi rentrent dans Aire
et Saint-Omer.
c'en est fait de I'indépendance des souverains de la
Flandre ! Avant d,autoriser Jeanne de constantinople
(R. 12ir2-1244) à régner, Philippe-Auguste lui fait épouser
ùerrand de Portu Sal (7212). Sûr de pouvoir co'duire à sa
guise une enfant et un étranger, le roi de France se considère

(1) Cette guerre, commencée en 1154, se termina en 1259 par I'abandon


d'e la
à la Couronne de X'rance do la Norrnandie, itu }llaine, 4e I'Ànjou'
Touraine et du Poitou'
(2) Son surnom.de n co[ra,geux ) ne trouve pas d'explication raisonnable'

eomme maître du cornté de Flandre; la noblesse, d'ailleurs,


I'appuie. Par contre, le peuple hait Philippe-Auguste et le
nouveau comte, qu'il méprise.
Le despotisme du suzerain exaspéra bientôt F errand de
Portugal. Il rechercha I'appui du roi d'Angleterre Jean sans
Terre (R. 1199-1216). Alors Ie peuple se rapprocha de lui.
En 1214, nous retrouvons Ferrand dans une $rande alliance
avec I'empereur Othon IV (R. f209-1218), Jean sans Terre
et plusieurs princes du Lothier.
i Le souci de plus en plus marqué des rois d'Angleterre d'in!er-
venir dans les affaires des Pays-Bas n'était plus, comme au
siècle précédent, dfi au simple désir de rapprochement de deux
grands vassaux dans le but de tenir'tête au roi de France. Il
commençait à répondre à un profand besoin politique,
éconornique et social : plus l'Angleterre notait d'intimes
relations eommerciales avec nos provinces, moins eIIe devait
tolérer que celles-ci subissent un joug étranger. Le cours naturel
de la politique d'expansion des Capétiens plaça ainsi I'Angle-
terre en face de son ennemie héréditaire,Ia France, spécialement
sur le terrain flamand. Nous nous trouvons ici devant les pre-
mières manifestations d'une politique logique et durable dont
les principes peuvent être résumés eomme suit : les Pays-Bas,
situés à I'embouchure de grands fleuves et dont la côte fait
face au Pas-de-Calais et à I'embouchure de la Tamise, doivent,
autant que faire se peut, être indépendants; aucune barrière
politique ne doit pouvoir interdire les bonnes relations com-
rnerciales entre I'Angleterre et les Pays-Bas;. ceux-ci ne
peuvent servir de base à d'éventuelles opérations contre la
nation britannique.
L'alliance anglo-flrmande, cette fois, ne fut pas heureuse.
Le 27 juillet 1214, à Bouvines, petit village de la châtellenie
de Lille, la chevalerie de Bourgogne et de Champagne rompait,
par des charges répétées, les rangs des vieux routiers braban-
çons et flamands. Ferrand de Portugal, capturé sur Ie champ
de bataille, fut conduit enchaîné à Paris et promené dans les
rues, oit le peuple railla le < Ferrand enferré ! r La coâlition se
disloqua, les princes du Lothier se hâtèrent de complimenter Ie
vainqueur. Jusqu'à sa mort, en 1-22'à, Philippe-Auguste domina
de son écrasante supériorité la molle et dolente comtesseJeanne.
Ce fut cette même année qu'un imposteur, le vieux ménestrel
74 -:-
-
Bertrand de Rays, vivant en ermite dans le bois de Glançon,
entre Valenciennes et Tournai, voulut se faire passer pour Bau-
douin Ix, revenu de Bulgarie après une longue captivité. Tous
les ennemis de Jeanne : Ilenri III d'Angleterre (R. 1216-1272),
Henri 1er, duc de Brabant, montrèrent une surprenante bonne
volonté à honorer cet inconnu commc un mart;rr et à recon-
naître en lui I'empereur latin de constantinople ! L'affaire
tourna d'ailleurs à la confusion du < faux Baudouin u, qui fut
pend,u à Lille peu aPrès.
Quant à Fenand, il ne fut libéré qu'en 1227, après que sa
femme eut accepté le traité de Melun (1) (f226) qui plaçait
la Flandre sous I'autorité judiciaire du Parlement de Paris et
donnait au roi de France le droit d'intervenir dans les affaires
intérieures du comté. Ferrand était à son retour un homme usé,
au physique et au moral. Il mourut en 1233, onze ans avant son
épouse.
La sæur et héritière de Jeanne, Mar$uerite de Constan-
tinople (R. 1244-f280), avait eu une jeunesse très romanesque.
A peine âgée de dix ans, elle avait, après le mariage de Jeanne
et de Ferrand, été conflée à la direction du haut bailli du Hai-
naut, Bouchard d'Avesnes. Une sympathie mutuelle avait
bientôt rapproché la princesse-enfant et l'énergique seigneur,
déjà quadragénaire. Bouchard avait été autrefois sous-diacre
à Laon, mais croyant le mariage permis à eeux qui n'avaient
parcouru que les premiers clegrés de la cléricature, il avait
épousé publiquement Marguerite au Quesnoy.
Or, Bouc[ard apparteriait au elan anglais. Après la défaite
de Bouvines, une campagne systématique s'organisa contre lui.
Excommunié en 1216, il se cacha avec sa femme au plus profond
des forêts de I'Ardenne, au château de Houffalize.
Longtemps Marguerite resta fidèle à son époux, même lorsque
eelui-ei, capturé, eut été enfermé au château de Gand. Puis,
soudain,'en ].g,2]-, un revirement s'opère en elle. Elle abandonne
ses enfants (Jean, né en 1218, et un second fils, né I'année sui-
vante), va résider à la Cour de Flandre, épouse, en 1223, un
seigneur champenois, Guillaurne de Darnpierre, et ne se
soucie plus ni de ses flls, qui sont élevés en France, ni de Bou-
chard, qui s'en va en Itplie (t 1241).

(1) Melun : sur la Seine, à 40 kilomèttes au sud"est d'e Paris'


-75-
Jeanne n'ayant pas d'enfants, voici que se pose l'épineux
problème de la succession de Flandre et de Hainaut. Margue-
rite prend odieusement position contre ses premiers enfants, en
faveur de ceux que lui a donnés Guillaume de Dampierre.
L'impie querelle des d'Avesnes et des Dampierre enflamme
, tout le Lothier et s'eneadre bientôt dans la lutte entre I'Empire
et le Sacerdoce. L'empereur Frédérie II (R. 1220-1250) tient
.pour les fils de Bouchard; la papauté, au contraire, les déelare
bâtards. Passons sur les péripéties de ce sâuvage conflit. En
1256, par le ( Dit à Péronne u, le sage roi de Franee Louis IX
(Saint-Louis. R. 1226-1270) arbitrait Ie litige en attribuant
la Flandre aux - Dampierre et le Ilainaut aux d'Avesnes, défi-
nitivement reconnus eomme enfants légitimes.
Le règne de Marguerite de Constantinople fut, à partir de
I 256, absolument incolore.

$ 2. - Le cluché de. Lothier,


A) Lp oucnÉ
Caractère féodal des États du Lothier (p. ?5).
Du Bnanaxr. Politique opportuniste des -ducs de Brabant
(pp. 75 et 76). ltègne de Henri ler le Guenoyeur (pp. ?6
et 77). -
Règnes de Henri II et de Henri, III (p.77). Règne
- - f 288.|
de Jean let Ie Victorieuæ; bataille de Worringerzr[5 juin
(p. 7Z). B) Le pnrxcrpaurÉ nn LrÉen (p. ZZ).
-
La plupart des Etats du Lothier gardèrent jusqu'au xve siècle
un caractère purement féodal, rural et même forestier. Leur
histoire n'offre qu'un intérêt très relatif. Elle est associée à
l'évolution des deux plus grandes principautés de la région
entre l'Escaut et la Moselle : le duché de Brabant, la prinei-
pauté épiscopale de Liége.

A. -* Ls nucuÉ nr Bnenanr.

"",l"o#Jîîii à JË*ffiî:iËili;
(, . î

Tandis qu'en Flandre l'élément urbain eommenee à jouer un


rôle important, en Brabant I'organisation est 'eneore entière-
ment féoclale. L'histoire du pays, clest I'histoire de cette vail-
-76-
lante et matoise maison de l-ouvain clont les princes n'ont,
I'un après I'autre, qu'une ligne de conduite : profiter des événe-
ments pour pratiquer une pdlitique opportuniste, conduisant
à.1'a$randissement-du duché et à I'accroissement de leur
propre puissance. l:.'
A Godefroid* III (voir p. 58) succéda Henri Ier le Guer'
royeur (R. 1r90-1235).rRarement on-vit politique plus com-
plexe et plus ondoyante que la sienne'. Vassal des archevêques'
de Cologne et de Trèves, du prince-évêque de Liége et de
l'évêque d'Utrecht, il
a lui-même parmi ses
vassaux le comte de
Flandre, le marquis
de Namtrr, le comte
de Looz, lc tlttc de
Limbourg, les comtes
DENIER DE HENTTI 1CT, LE GI)ERROYEUR
(Cabinct tlos rnédaillcrs, lirttxt'llt'rr.)
de 'Ilollande et rle
Gueldre !
**T f"Tfiuo5,J;iJÏ.i'"'"i';;iiïiiii'iJl: n cherche àpronter
bert. Il ticnt l'épée do la ilain droitc. Atr rle tOuS leS éVéne-
revers se lc lion dc llralrant
'oit ments européens pour
pratiquer le systèrne
< rle basculc )) en honneur clrcz les
princes rlu Lothier. Guelfe un jour, on le retrouve l'année
d'après partlsan de loenrpereur Frétléric II cle rlohenstaufen.
'Ilaccepte le Namurois de Philippe-Auguste et des rouleaux
d'or de Jean sans Terre. A Bouvines, où il combat dans les
rangs de l,alliance anglo-guelfe, les princes le tiennent à l'écart,
par défiance.
Peut-être desservi par trop d'obstination et par des appétits
territoriaux excessifs, il ne perd cependant jamais de vue les
intérêts réels du cluché : de bonnes relations commerciales
avee la Hollande et I'An$leterre. Ses sujets I'appuient, car
il est populaire.
De ses innombrables querelles avec ses voisins, il ne Se tire
pas toujours indemire : ayant pris par surprise Liége, en 1212,
il est battu à Steppes, près de Montenaeken, en octobre 1213,
par l'évêque Hugues de Pierrepont et une çoâlition de princes
et de villes. Mais, dans I'ensemble, sa tâche a été féconde : au
nord, la prise de Geertruydenberg lui donne la haute main sur
la Meuse inf,érieure et le bas Rhin; à I'est,' le duché s'est
-77 -
âugmehté des terres de Jodoigne, de Tirlemont et de Landen.
Flenri a pris pied sur la Meuse, à Maastricht, d'où il surveille
la grande route cofnmerciale de Cologne à Bruges.
Après Henri II (R. f 235-1248), gui passa sa jeunesse à servir
d'otage en garantie de l'exécution des fragiles promesses pater-
nelles, après Henri III le < Débonnaire r (R. 1248-f261), eui
acquit du prince-évêque Henri de Gueldre la seigneurie de
Malines, se place le règne de Jean fer le Victorieux (R. 126l-
l2g4), qui paracheva I'æuvre de ses prédécesseurs.
Jean était aussi rusé et versatile que ses aieux, mais il
avait une allure plus chevalèresQue. It 'déeida de trancher,
une fois pour toutes, à I'avantage du Brabantl la question
de la la route comrnerciale du Rhin vers
possession de
I'Angleterre (voir p. 89). Ayant acheté ,u Adotphe
de Berg ses droits au duché de Limbourg,"o*t"
il se heurta,
en 1288, à une formidable coalition de princes d'Entre-Meuse-
et-Rhin : Renauld le Belliqueux, eomte de Gueldre; Siegfried
(Siffroi) de Westenberg, archevêque de Cologne; le redouté
Henri IV de Luxembourg. Courageusement, le peuple braban-
çon se plaça aux côtés de son prinee et lui donna un vingtième
de ses biens pour lever des troupes. Avec la. chevalerie et les
milices du duché, Jean alla assiéger le château de \Morringen
sur le Rhin, entre Cologne et Neuss. Il y fut rejoint par les pay-
sans du comté de Berg et la bourgeoisie révoltée de Cologne.
Le 5 juin 1288 s'engagea la célèbre bataille de 'Worringen,
mêlée oir se confondirent nobles, mercenaires, paysans et milices
communales. Après un rude combat, Jean resta vainqueur :
Henri de Luxembourg fut tué; Siffroi et Renauld furent faits
prisonniers. Le duché de Limbourg fut annexé à la cou-
ronne de Brabant et ne s'en sépara plus.

B. La PRTNcTPAUTÉ DE LrÉcn.
-
L'histoire de cette principauté a, dès le xrrre siècle, un earae-
tère si nettement urbain et populâire que j'ai préféré en reporter
le récit au chapitre III de la VIe partie, consactée au dévelop-
pement démocratique des communes belges au xrve siècle.
-78-
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CHAPITRE II
LA vIE ÉconroMreuE ET socIALE
AUX PAYS.BAS,
DANs LA SECoNDE ntOrrlÉ DU XIIe
ET AU XIIIC STÈCI,B

Crise d,e seigneurie Joncière; les (< Brabançons o (p. 8O). '-
la
Raffermi.ssement de la puissance des dynastes régionauæ (pp. 80
et 8l). Amélioration dcs condi,tions d'eæistence des manants
- (p. 8f ). Etat fl,ordssant de I'agrianlUtre (pp. 81
et des serls
et 82). -
trigi,nedes ui,lles des Pays-Bds (pp. 82 et 83). Emancipation
économique des pilles : les franchises (p. 83).
- Leur ûnan-
cipation polit;ique : les chartes (pp. 83 et 84). - Les gildes ou
serments (pp. 84 et 85). - enaers kurs
Depoirs des ailles
princes (p. S5). -
PrépondéraTtce de la classe des riches mar'
-
chands : ks gildes,Ies priuilèges d'étape (pp. 85 et 86).
Ttot;isme polit:ique des gildes; les lignages (p. 86). Les -Des-
rnét;iers
-
ou corporations.; conùit:ions d'eæistence pénibles des gens de
méûier (pp. Se et S7). Puissant déuelopptement économ.ique
-
des Pags-Bas : Bruges, entrepôt du commerce européerz (pp. 87
et 88); Gand et Ypres, centres de I'ind.ustrie drapùère (pp. 88
et 89) ; Liége'et les autres ailles du pays (p. 89).
R6l,e socùal de Ia noblesse : Ia guerre I ïes tnurnois (pp. 89 et 90);
Ies Cours princùères : les ménestrels (pp. 90 et 9f). Le
ctergé: lës ord,res mendiants, Ies béguinages (p. 9f ). -
Aspect
dcs oillês a,u rnoyen âSe (pp.9l et g2).
-
RôIe de Ia bourgeoisie
en mat:ière scolaire (p. 9Z). -
La l:ittérature urbaine : Jakob
-
-80-
nan Maerlant; Willm (pp.92 et 98).- L'architechne : Ies
grandes églises de slyle ogiaal primaire (pp. 93-95'1; caractère
rel;igieuæ de la peànhtre, de la sculpfure et des arts mineurs
(p. gS); l'architecture ciaile : Ies halles d'Ypres (p. 95).

r lra communo a été, pour les Belgies,


l'école primaire d.e la Uberté. r
(Â.. DE Toceû.Evrr,r,r.)

Un effet radical des Croisades fut de diminuer la puissance


des seigneurs, c'est-à-dire de la classe qui s'était précipitée
dans ces exléditions avee le plus d'ardeur. Pour y prendre paÉ,
la féodalité avait aliéné ses domaines; un grand nombre de ses
membres avaient péri au loin. De plus, au xrre siècle, il y eut
une crise de la selgneurie foncière : la multiplication des
échanges, due à I'apparition du grand commerce en Europe occi-
dentale, y avait provoqué un affiux considérable d'espèces son-
nantes et, par suite, une diminution rapide de Ia valeui du numé-
raire. La cherté de Ia vie avait amené Iê déclin de la grande
industrie domaniale laique et ecclésiastique. Beaucoup de petits
chevaliers avaient, de leur côté, dù renoncer à le-ur qualité de
nobles; les uns étaient devenus paysans, Ies autres mercenaires.
C'est à partir de la fin du xue siècle que I'on vit figurer dans
toutes Ies armées les routiers du Hainaut, du Brabant ou de Ia
Flandre, désignés sous le terme général de Brabantùni : Bra-
bançons. Certains de leurs chefs, comme Lupicaire, au service
des Plantagenets, et Cadoc, au service de Philippe-Auguste,
sont restés célèbres dans les annales de la guerre et du
pillage.
Le déclin de la féodalité eut pour corollaire un rafferrnlsse-
ment de la puissance des princes. Affranchis de Ia
tutelle des seigneurs et du clergé, nos d;rnastes, appuyés par
des conseillers judicieusement choisis, firent prévaloir dans leurs
petits Etats des principes d'ordre et de sécurité. Thierry et
Philippe d'Alsace, ce dernier surnommé le premier légis-
lateur de la Flandre, remplacèrent les châtelains (chefs de
district héréditaires) par des baillis amovibles, fonctionnaires
auxquels furent subordonnés des prévôts et des maires; ils
augmentèrent la puissance des tribunaux comtaux en multi-
pliant Ie nombre des cas réservés (c'est-à-dire réservés à la
-81 -
juridiction de ces tribunaux); ils perfectionnèrent leur chan-
cellerie (service central de Ia justice et'de I'administration) et
organisèrent des corps de < prendeurs > (aangers) pour le
service de la police. Enfin Philippe d'Alsace fit codifier les
coutumes et ordonnances territoriales de la Flandre.
Au siècle suivant, Ies ducs de Brabant imitèrent leurs voisins.
En 1292', Jean Ier réunit en un code de procédure et en un code
pénal les coutumes ou landkeuren du duché. Il fut un sévère
gardien de Ia lartdarede, de la < paix brabançonn€ r.
IJne seconde cqnséquence de l'affaiblissement de Ia classe sei-
gneuriale fut I'arnélioration des conditions d'existence des
rnanants et des serfs. Beaucoup rl'entre eux avaient profité
des Croisades pour émigrer ou pour acheter aux nobles leur
affranchissement. Des souverains comme Philippe d'Alsace et
Marguerite de Constantinople donnèrent un généreux exemple
en émancipant Ies serfs de leurs domaines.A la fin du xrrte siècle,
le servage était en voie de complète disparition.
Les campagnes de la Flandre et du Brabant présentent, au
xure siècle, un aspect de damier fertile et riant. Les grands
domaines ont été subdivisés en lots, occupés par des rnétayers,
paysans libres qui partagent les produits de la terre avec leurs
propriétaires. Ce régime enrichit les possesseurs du sol sans trop
accabler les fermiers exploitants. L'élevage, la grande culture
perfectionnée par I'emploi cles engrais, la culture maraîchère
autour des villes naissantes, font des progrès surprenants. Par
la création de polders et I'assèchement de marécages dans
I'ouest, par des essartages et des défrichements au centre, la
superflcie eultivable du sol prend une énorme extension. Grâce
à I'initiative des souverains de Flandre et de Brabant, des
canaux sont ereusés, de's chaussées (heirstraten) ouvrent Ia
voie à la circulation des produits agricoles. Henri Ier et ses
suecesseurs fondent de nombreux villages en Campine : Turn-
hout, Ifoogstraeten, etc. Bref, à la fin du siècle, la population
rurale est devenue très considérable. Elle ne comprend presque
plgq que des hommes libres, robustes et courageux, les uns
pauwes, formant la catégorie des ouwiers agricoles, Ies autres,
' ftéquemment unis en associations de secours mutuel, vivant
dans I'aisance conune cultivateurs (fermiers ou propriétaires),
.éleveurs, meuniers et membres des wateringues. Pour enrayer
I'exode des campagnards Vers les villes en voie de formation,
I

'-E2-
beaucoup de seigneurs améliorent encore les eonditions d'exis.
tenee de leurs paysans par I'octroi de chartes rurales (l).

' **rt

Quelle que soit la prospérité des campagnes, les Pays-Bas


deviennent, à partir du xrre siècle, un pays de villes. Les
petites agglomérations urbaines, romaines et carolingiennes,
avaient disparu dans les flammes, Iors des invasions normandes.
Mais à Ia fin du xre et surtout au début du xrre siècle, sous
I'impulsion des Croisades, I'Europe barbare du haut moyen âge
s'éveille à Ia ôivilisation. L'Orient nous a fait connaître de
nouveaux produits, a fait'naître des besoins ineonnus jusqu'alors.
L'horizon social s'élargit, la prospérité matérielle devient plus
grande, Ie cornmerce international fait son apparition
définitive dans I'ouest de I'Europe.
Dans la société féodale un nouvel élément prend place : Ie
marchand (mercator); Accompagné d'un important personnel
de porteurs, de conducteurs, de mariniers et de scribes, Ie grand
marchand suit les routes avec ses chariots, Ionge les cours d'eau
avec ses lourdes barques. Il lui faut des débarcadères, des centres
d'hivernage, des centres d'échange ou étapes, des entrepôts ou
ports (porhts, poort\.
Or, où se trouvent ces ports, ces centres habités, ces futures
villes? Au fond d'un estuaire (Bruges); au confluent de deux
eours d'eau (Gand); aux endroits otr un cours d'eau cesse d'être
navigable (Ypres, Louvain); à I'emplacement d'un gué, d'un
bac ou d'un pont (Bruxelles). Les marchands de France, qui
descendent I'Escaut, créent des ports. à Cambrai, Valenciennes
et Gand; ceux de Bourgogne, qui longent la Meuse, s'airêtent
à Dinant, Hoy, Liége, Maastricht.
Ces ports ont un accroissement rapide; leurs habitants, Tâp-
prochés d'ailleurs par Ie vieil esprit d'entr'aide des tribus germa-
niques, s'engagent à se défendre mutuellement ( r paix publi-
'liberté, vierrnent
eue u); les serfs des environs, avides de s'y

(1) Ce phénomène Be r€m&rgua, surtout dens leg principautés agricolee.


.Par exemple, pendant tout l'Ancien Réglme, le Namurois et le nord d.u
Lr:xombourg vécurent sous le régime de la lod rl,e Beaumamt, appliquée initia-
lemout à un villago voisin de Met'z.
,. *88-
réfugier (f); à eeÉâins endroits, les ports profitent de la pré-
sence d'une agglomération ecclésiastique. A Liége, par
exemple, iI y avait un évêché; à Gand se trouvaient les grandes
abbayes de Saint-Pierre et de Saint-Bavon. Mais plus souvent
encore, le portus suit immédiatement la fondation ou entraîne
lui-même la création d'un castrunt,, d'un château-citadelle,
occupé par une garnison, établi par Ie prince sur un point stra-
tégique. Le portus prospère -sous Ia protection d'un castrum I
réciproquement'les princes aceordent volontiers aux marchands
I'appui d'une force militaire. Presque toutes nos villes médié-
vales : Bruges, Gand, Ypres, Anvers, eurent un double noyau :
Ie quartier commercial et le bourg (burg) fortifié.
Lorsqu'une bourgade de mercatores a" pris quelque importance,
tout naturellement, des privilè$es
ses habitants réclament,
au point de vue économique et des $aranties de llbre
développement. Aussi, dès la fin du xre siècle, les princes
sont-ils sollicités par les villes naissantes de leur accorder des
franchises : Iiberté des habitants, droit de propriété, suppres-
sion de toute obligation à caractère servile, exemption des
épreuves judiciaires, droit de- libre circulation, exemption de
ces taxes nommées tonlieux (toll.en) qui frappaient l'achat, la
vente ou le transit des marchandises, droit d'entreposer et de
vendre les marchandises dans des halles, droit d'organiser des
marchés et des foires ou grands marchés annuels, ete.
Le moment était favorable pour formuler ces revendications.
Les princes, désireux de participer aux Croisades, devaient
emprunter beaucoup d'argent aux marchands de leurs terri-
toires. De plus, ils étaient bien disposés envers les jeunes agglo-
mérations, en qui ils ne voyaient encore que des élémentÈ paei-
fiques, utiles au T!ésor, des eoopératrices précieuses à la défense
du pays. L'exemple. de Théoduin, prince-évêque de Liége, et
de Baudouin VI de Mons, comte de Flandre, aecordant respec-
tivement des droits aux villes de Huy (1066) et de Grammont
(f068), fut donc fréquemment suivi.
Mais bientôt, spécialement âu xue siècle, Liége et les villes
de la Flandre 'commencent à formuler des revendications
politiques. Les princes-évêques, les princes de la maison

(1) Ils obtiennent généralement I'affranchissement aprèe un séjour d'un


an et d'un Jour.
-- 84*
d'Alsace et leurs sueeesseurs ne craignent point d'étendre et
d'uniformiser les franehises. ils créent même un nouveau
droit urbain.
Dans la seconde moitié du xrre et au xnre siècle, ils sont imités
par les ducs de Brabant. Peu à peu, les grandes communes
belges : Bruges, Ypres, Gand, Louvain, Bmxelles, Liége,
acquièrent des chartes (dont I'ensemble constitue la keure),
documents précieux qu'elles enferment dans des < coffres à
privilèges >, à sept ou huit serrures. Ces chartes leur donnent
les avantages suivants :

lo Droit de s'administrer elles-rnêmes par des collèges


d'échevins élus par les bourgeois de la cité, sans immixtions
étrangères;
2o L'échevinage (d" Wet) a le droit tle faire des lois et
de rendre la justice (f );
8o La Commune détermine elle-même ses impôts : aecises,
octrois, impôts directs, etc.;
4o La Commune a le droit de s'entourer de murailles, de
former des milices, <le conclure.des alliances;
50 Elle peut, comme preuve de sa puissance, avoir un hôtel
de ville, un beffroi, une cloche r< banale , (municipale), un
sceau aux armes de Ia cité.
Ayant acquis de pareils droits, Ies villes ont loautonornie
parfdite. Ce sont des Etats dans I'Etat, ayant elles-mêmes
des vassaux, étendant leurs lois et leur juridiction sur les
petites villes el le plat pays environnant. Les plus grandes
communes obtiennent le droit de surveiller les institutions cha-
ritables, elles nomment les curés de leurs paroisses, elles orga-
nisent un enseignement municipal. Quand leurs bourgeois
voyagent, ils ont le droit de porter des armès, comme les nobles.
Au sein des milices se forment des corps d'élite : les gildes ou
serrnents (2), qui pratiquaient < le noble exercice del arc ou le

(1) Les Cornrnunes abandonnèront définiti.ç'ement les méthodes barbares


de la procédnre ct du droit pénal tles Francs. Elles aclmirent la poursuite
ct la preut;e par tëmoins.
d,'o[ice, la procéùure ptcbl;ique, le serm.e'ttt 'jttdiciaire
Néanmoins, la torture et tles pénalités atroces restèreut en vogue dans
notre droit oritninel jusqu'à la lin de l'Ancien Régime.
(2) Le premier tlo ces termes était d'usage en pays flamand, le second en
'WaIlonnié.
-85r-
jollit jeu del arckbalistre (f ) r. Lorsque les bourgeois voyaient
défiler, précédés de leurs bannières multicolores' ces hardis
compagnons, avec leurs cottes âux couleurs de la ville passées
par-dessus leurs tuniques de mailles, leurs casques ronds sans
visière, leurs gorgerins et leurs pavois oblongs, ils sentaient
vibrer en eux un orgueil qui, pour être loeal, n'en était pas
moins profondément patriotique.
Bien que devenues très puissantes, nos villes n'atteignirent
pourtant pas à I'indépendance complète, comme leurs sæurs de
Lombardie. Le prince garda auprès d'elles un représentant.
On le nommait grand bailli en Flandre, margrave à Anvers,
écoutète à Malines, amman à Bruxelles, chéf-mayeur à Louvain.
fl remplissait l'offrce de ministère public, veillait à I'exécution
des sentences, exerçait par conséquent des pouvoirs de police et
contrôlait le payement des aides que la ville s'engageait à
fournir annuellement au sout'erain, Cette obligation, ainsi que
celle de fournir au prince, dans des conditions défensives déter'
minées, un nombre strictement délimité de soldats, étaient les
seules charges qui pesaient et combien légèrement __ sut
nos triomphantes cités.
Nous avons jusqu'ici parlé des villes belges comme d'entités.
Mais, dans ces agglomérations formées d'éléments divers, qui
d.onc, en réalité, jouait le rôle primordial? C'était la classe des
riches rnarchands, lesquels, dès le début, avaient formé des
groupements d'entr'aide : les gildes, pour accaparer le mono-
pole du cotntnerce en gros.
Au moyen âge, époque de parlicularisrne et d'exclusivisme,
le rêve de toute ville est d'avoir un privilège d'étape, c'est-
à-dire un monopole de vente de I'un ou de I'autre produit.
C'est ainsi que Gand, ayant l'étape des blés pour la Flandre,
obligeait tout bateau naviguant sur la Lys ou sur I'Escaut
à débarquer dans ses murs tout ou' partie de sa cargaison
de blé. De même Bruges possédait l'étape des laines anglaises;
Damme, puis Middelbourg, celle des vins de France I Namur,
celle des chaussures, et Nieuport, celle des harengs. Les
gildes possédaient un important personnel directeur :
$ouverneurs, jurés, greffiers, receveurs. Exerçant sur le

(1) Plus tar<1,'lncguns et ÂRBÀlÉ:tmnns formèrent avec lcs ARQUEBU'


srnns et les EgcRl1flttrns les Quatnn SpmrnNrs de la plupart de nos villes.
-86-
commerce une [véritable tyrannie éeonomique, déterminant
les prix de vente sans concurrenee possible, elles étaient extrê-
mement puissantes. Lerirs entrepôts (stap ethuizen) regot geaient
de marchandises; de leurs assemblées, tenues à la somptueuse
Oi,ldehalle, étaient exclus les artisans et même les détaillants.
Lorsque les Communes aequirent des droits politiques, ce furent
naturellement Ies riches marchands et ex-marchands devenus
propriétaires qui s'emparèrent de la direction des affaires. fls
occupèrent l'échevinage et ajoutèrent à leurs monopoles
commerciaux un rigide despotisme politique, ne tolérant
aucun contrôle, aucune critique!
Au xrue siècle, nous constatons donc dans toutes nos villes
I'existence d'une classe dominante de patriciens nommés
poorters, ensachttige lieden ou ledichga,ngers (f ) en X'landre it en
Brabant, Srands à Liége. Leurs familles formaient des lignages
(geslachtm), ayant blason, s'isolant de la masse du peuple,
habitant des hôtels de pierre fortifiés (les steenen). Leurs flls,
riches << damoiseâ,[X r ou heren, servaient à cheval dans les
milices.
Les patriciens étaient fiers de leur ville. Ils consacraient
des fortunes à construire des rues, des murailles, des
hôpitaux, des églises et des halles. Mais tmp exclusifs et
hautains, trop conscients de leur valeur, ils furent bientôt
détestés du < comrnun > ('t gerneene), e'est-à-dire de Ia masse
du peuple
Le peuple s'était, dans la seconde moitié du xnre siècle,
groupé en corps de métiers. Les corporations (ambachten)
étaient des unions professionnelles, des sociétés de secours
mutuels, très comparables aux syndicats de nos jours. Chacune
d'elles possédait des biens, un local de réunion, une eaisse
conunune, des armes, une chapelle et un saint patron. Chacune
avait ses dirigeants éIus : les doyens (dekerzs) ou chefs, les
jurés ou consaux (gesworene) qui tranchaient les contestations
corporatives. Chacune détenait un monopole de fabrication
ou de vente*Pour devenir rnaitre dans la corporation, il fallait
avoir traversé une période d'apprentissage, avoir été ouvrier
compaEnon (valet) et avoir produit un travail nomrné chef-

(l) Poorter de portus; eruaehtige lied,en est le synonyme de bourgeois


c héritables o; Icdichganger signlfle désæuvré, oisif.
-87-
d'ceuvre. Dans la pratique, les ûts de patrons iouissaient
d'un régime privilégié pour succéder à leur père; le patronat
était en quelque sorte devenu héréditaire.
' Les petits métiers : boulangers, bouchers, selliers' armu-
riers, etc., avaient une existence très supportable. fls vivaient
en contact direct avec le client. Mais les- $rands rnétlers :
ùisserands, foulons et teinturiers en Flandre, houilleurs à Liége'
étaient soumis à des règlements rigoureux. La Gilde leur four-
nissait les matières premières. Ils peuplaient d'immenses fau-
bourgs et travaillaient à domicile ou dans des ateliers' commen-
çant et' finissant leur labeur au son de la cloche. Par leurs
fenêtres, qu'ils devaient laisser ouvertes, des rewards (ou
eswardeu,rs) surveillaient leur activité. Au moindre doute, ces
contrôleurs se liwaient à d'humiliantes perquisitions. La Gilde
flxait les conditions de travail, les procédés de fabrication et le
chiffre des salaires; eUe exigeait un travail parfait et exploi-
tait abominablement ce prolétariat ( âux ongles bleus n, le
criblant de sarcasmes, de menaces et d'amendes. Les ouwiers
étant nornbreux, la gilde pouvait librement maintenir les
salaires à un taux très bas. A partir de la seconde moitié du
xrrre siècle, les oul'riers, mécontents, se mirent fréquemment en
grève et provoquèrent des émeutes, mais les lignages disposaient
des pouvoirs publics. fls réprimèrent les troubles avec sévérité,
bannissant les principaux coupables et formant des ligues inter-
urbaines pour boycotter les meneurs qui avaient émigré.
Le progrès urbain fut, dans les Pays-Bas, à la fois eonsé-
quence et cause d'un puissant développernent économique.
Notre pays était admirablement situé sur la route directe de la
Méditerranée vers I'Angleterre; il occupait un point d'e la côte
occidentale de I'Europe à peu près à égale distance du détroit
de Gibraltar et du golfe de Bothnie. Grâce à eette position
exceptionnelle, Bru$es, qui communiquait avec I'estuaire du
Zwijn par la Reye, devint le $rand entrepôt du commerce
européen, Les villes de Flandre y apportaient leurs draps, les
Anglais leurs laines, les Scandinaves les poissons' fumés et
salés ainsi que des bois flottés, les Russes de I'ambre et des
founures,les Espagnols et les Portugais des vins et des fruits,
Ies Osterlings (1) du blé, les Lombards et les Florentins des

(1) Les Oosterl,ingem, ou gens]de l'Est, étaient les Allema,uds.


_-88-
draps d'or, les Vénitiens et Ies Génois des soieries, des métaux
précieux, des épices, des parfums et des animaux exotiques,
achetés par eux aux Orientaux, Arabes, Indous, Malais et
Chinois.
'Il-rus ees étrangers, Gascons, Biscayens, Languetlociens.
Levantins, jouissaient d'une indépenrlarrce cornplète. Ils for-
maient dix-sept corporations, possédant leurs propres comp-
toirs et leurs celliers.
La constitution, Au xrrre sièele, de la Hanse, ligue puissante
de villes commerçantes entre le Ilhin et le Niémen, aecrut la
prospérité de Bruges qui fi.t bon accueil à ses représentants.
D'autre part, le caractère cosmopolite et, moderne rle notre
grand port (environ 70,000 hatritants au xrrre s.) s'âccentuâ
encore par la création d'nne quantité de banques oir des finan-
ciers cahorsins, lombards, lucquois et siennois esercèrent leur
luerative industrie (1).
It'ait remarquatrle': comrne les Anversois du xxe siècle, les
Brugeois du xrue n'envovèrent guère de navires à l'étranger,
n'allèrent pas lbnder eux-mêmes des comptoirs au loin. fls se
contentèrent de laisser venir à eux la richesse, se réservant la
vente au détail et le courta$e. Il n'y eut rllarrnateurs fla-
mands que dans les petites villes de I'Ilcluse, Aarrdenburg et
autres, ée.helonnées le long des digues puissantes du chenal
conduisant vers la mer.
Autant Bruges était célèbre par son cornmerce, autant
Gand et Ypres l'étaient par leur industrie drapière. I.a
Ilanse flamande de Londres, très aristocratique gilde inter-
nationale, avait le monopole de I'achat des laines anglaises et
de la vente des draps flamands en Anpçleterre, dans les foircs
de Champagne, sur les borcls du Rhin et de l'Iilbe. Nous avons
'vu plus
haut I'organisation rigoureuse du tiavail dans nos cités
industrielles. Grâce à leur technique impeccable, les ouvriers
tl'Ypres et de Gand. centres de .10 à 50,000 habitants
- renommés en tous pays de chrestien-
fabriquaient des n draps, -
neté et mêrne par delà les mers ,, pour leur soliclité, couleur
et finesse. f)ouai était eonnue pour son drap rt vermeyl >, Lille

(1) L'Eglise intertlisait le prêt à intérêt. Il fut lon8temps pratiqué exelu-


sivement, à des taux usur&ires, par les Juifs et les marchands d'argent
lombarde et laugrredociens.
-89-
travaillait les laines espagrroles; d'autres petites villes avaient
dcs spécialités : draps à, couleurs chattgeantes, draps méla,ngés,
draps ra5tés. A la fin du xue siècle, N:[alines, I]ruxelles, Louvain
entrèretrt avec succès clatrs la même voie.
Au xrue siècle, voici LiéSe qui s'éveille à la granrle industrie
for$es, ses fabriques d'armes et ses premières houil-
par: ses
lères. IIuy travaille le mtital en vue de l'crxportation vers
I'Angleterre. f,es a potiers d'airain ;> de Dinant fabriquent
chaudrons, ralÏaîcfuissoirs, bassinoires, mortiers et autres
dinanderies en cuivre martelé. Cependant, nralgré ecs belles
preuves d'activité locale, c'est, au xrfie siècle, la l"lancù:e qui
possède I'hé$érnonie éconornique sur I'ensemble des Pays-
Bas. Par Ia grande route <le .Brrrges à C'ologne, aehevée vers I I50
ei passant par Gand, Alost, Bruxelles, Lout'ain, Léatt, Saint-
Tronrl, ùIaastricht, elle domine le Lothier.

,t*{,

l)ans la societé clu xue et du xrrre siècle, la noblesse eontinue


à jouer un rôle inrportant. Elle puise toujours ses plus grândes
satisfactiorts tlans Ia guerre. f)atts toutes les batailles mention-
nées ci-desstts : j3uttt'ines, Stelrpes, Worringen, elle figure âvec
éclat. Petit i\ petib, son àrmemcnt s'est compliqué. Vers 1200,
le haubert --- tormu,ttt maillot -- est caché par llne cotte
d'armes multicolgre ou mi-pzr,r:tie, casaque sans nlanches,
richement br.oclée allx armoiries du seigneur; le heaume cylin-
drique,barré d'une rainure horizontale,caehe les traits du visage,
mais les éperons d'or révèlent la qualité rlu guerrier; tln
pennon triangulzrite ou une bannière, fixés'au fer cle la lance,
indiquent si I'on se trouve en présence d'un simple chevalier ou
d'uu seigneUr < banneret ), Suzelain de nombreux VASSaux.
A la fin du xrnc siècle, le chevalier colnlnence à porter l'arrnure
complète : easque pointu et empanaché nommé bassinet,
masquant le visage par une visière mobile, cuirasse, épauliètes,
brassards, gantelets, tassettes (couvrant lcs reins), cuissards,
genouillères, jaml:ières et sglerets. Sur son gros cheval bra-
bançon, arlné et caparaçonné, le seigneur esb devenu ptesque
invulnérable. lienâant la masse des hotnmes de piecl, il recherche,
clans le combat,, un adversaire de son r&ng, reconnâissable à sa
cotte d'armes armoriée. Au premier choc, les lances se brisent
-90-
en éclats. Alors lqs comhattants élèvent au-dessus de leur tête
la pesante épée à deux mains, la haehe ou la masse d'arnres,
et frappent jusqu'à ce que I'un d'eux s'effontlre sur le sol.
A l'écuyer du vainqueur incombe la tâche de poignarder le
vaincu s'il refuse chose rare
-
une rançon. Les grandes
- dc se rcndre et de promettre
batailles du moyen âgc ne sont ainsi
que des engâgements confus s'éparpillant en séries de duels
entre chevaliers, duels auxquels les princes et les rois pr"nnent,
pâ,rt en première ligne.
En temps tle paix, le chevalier court les tournois, granrles
|t et coûteuses fêtes ou il combat à armes courtoises. rer'êtu d'une
armure de joute à plaques renftrrcées. Le due de Brabant
Jean Ier, vrai héros féoclal, prit part à, septante passes d'armes
et mourut des suibes d'une blessure reçue clans un toumoi.
Cependant, la vie de la noblcsse n'est plus exclusivement
orientée vers les prouesses physiques. Les Cours princières
sont devenues des rniJieux plus raffinés, oir brillent les hauts
barons parmi lesquels les prinees choisissent leurs < grauds
- de I'hôtel (f ) r et aussi les minister,i,ales,
dignitaires -- hbmmes
riches, dér'oués, cl'origine servile, à qui les dynastes ont clonné
rang de chevaliers. Autrefois satisfaits des grimaces dc leurs
baladins et des jeux habiles de leurs jongleurs, les princes
imités par les grands -- recherchent à présent les jotiissanees
-littéraires. Au cours des fôtes, des rnénestrels ou trouvères
récitent, en s'accompagnant de Ia vir-rle ou du lnth, des poèrnes
héroiques, des chansons d'amour, des odes et des rondeaux (2).
Ce fut de I'Artois que partit, ;) la fin du xrre siècle, cet inté-
ressant rnouvernent provoqué par tlcs trouvères de prot'ession
et pâr des chevaliers-poètes. Notre noblesse fut prise d'un
brusque engouement pour les Quenes de Eéthune, Ies .Adarn
de la Halle et autres K mal,tres en gcti, sçaao.ir r. Les princes rle
la partie flamande du pays et leurs Cours apprirent, dès lors,
le flamand et le français (walsch ende d,ietsclt). Philippe d'Alsace
et son épouse Elisabeth de Vermanclois firent de la Clour de
Flandre un brillant centre de culture française. Avec ses dames
d'honneur, lâ comtesse présidait à de gracieux rr jugements

(f) Le mot uôtrr, désigne ici le palais d"u prince.


(2) L'otle eet un petit poème lyrique divisé en strophes; le rondeau est
un petit poè.me à deux rines, avec des répétitions obligées.
_-91
-
: dialogues rimés par lesquels nobles dames et sei-
d.'amour, >
gneuis donnaient, à tour de rôle, leur avis sur de subtils pro-
blèmes amoureltx. Lorsqu'ils assistaient à tles banquets entre
hommes, les. trouvères abandonnaient la casuistique galante
pour les farees, les barlinages licencietrx et les satires les plus
osées eontre les défauts de la haute noblesse et ceux de Ieurs
ennemis irréductibles, les moittes.
Si nous pâssons en revue les (lours {e Ha,inaut, à Valenciennes,
et cle Brobant, otr le duc Henri III poète lui-nrême -- protège
le célèbre trorrvèrc Adenès, slrnommé- < le Roi ), nous assis-
tons au même spectacle gtt'en Flandre. La culture littéraire
de I'aristocratie est française d'expressiotl et de sentiments.
La poésie épique et courtoise flamande n'est pratiqube avec
honneur que pâr un seigtreur lirnb6urgeois du xrre siècleo IIen-
drik van Velcleke, nri'nenmeister èt, la (jottr tfur landgrave de
Thuringe et trarltrctettr rJu célèbre roman de chevalerie de Benoît
de Sainte-More : loEnéit.
Le clergé tlu xrrre siècle n'a pas la dignité de celui du xre et
du débtrt du xue siècle. Les onciens ordres sont deyenus trop
opulents; leur discipline s'est relâchée; la démora,lisation y fait
tles progrès etfrayants. Les ordres rnendiants : franciscains
et dorninicains, qui habitent les villes, regardent la science avee
r{édain ou cléfiance; ils mènent une existence vagabonde, sou-
vent oisive. Bea,ucoup de eroyants, ehoqués par ces ,abus,
s'or:ientent vem I'hérésie des (lathares, inspirée elle-mênre de
<loctrincs répandues en Slavie. Àussi I'activité scientiflque à
caraetère ec:clésiastique s'est-elle ralentie dans les Pays-Bas.
Nos meilleurs théologiens, tels que Henri de Gand, le < docteur
solennel ), professeur <le philosophie ri la sorbonne (xrrre s.),
élnigrent vers les universitd:s étrangères. Cependant, dans I'en-
semble. le petrple est resté pieux. c'est à la fin du xile siècle
que corïrme.ncent à se fonder partout, des bé$uinages, eommu-
nautés de femmes habitant séparérirent de petites nraisons
dans rle paisibles quartiers. Les béguines rirenaient une vie
simple, eonsacrée.à la piété et aux æuvres charitablesn mais
ne prononçaient pas de v(Eux perpétuels. Elles pouvaient
toujours rentrer dans le monde et se nrarier.
La caractéristique sociale essentielle de l'époqtre qui nous
occr.lpe est I'apparition d.'une brillante civilisation urbaine.
Qu'on ne s'cxagère cependant pas la splendeur du eadre où va
-92-
s'épanouir eette vie nouvelle et frémissante. Jrrsqu'arr xvrre siè-
cle, nos villes ne présernteront a\rcune ordonnlrnce symétiir1ue.
A part la Grand'Place ct quelques églisès et bâtimerrts civils,
d'une beauté parfois procligieuse, on ne rencontre dans les murs
de nos cités, après a\roir par(ouru d'immenses faubourgs habités
par un prolétariat misérable, qu'un entassement cle maisons en
bois ou en torchis, s'accolant au long de nrelles étroites et irré-
gulières. Certes, ce devait être un spectaclc pittoresque que celui
de ees étages en eneorbellement, de ces pignons pointrrs, de ces
toits cle charume parmi lesquels émergeait, de-ei <le-là. la sil-
ùouette massive cl'un steen aux eroisées à earreaux verd.âtres,
séparés. par des rneneaux de pierre. Ttrnseignes eu fer forgé,
perrons forrnant saillie, r'olets à losanges rntrlticolores, que de
détails retenant I'ceil ! i\Iais aussi, qucllc poussière l'été, cluels
bourbiers lohiver dans ccrs nles souvcnt non llar'ée-*, oir les earrs
d'égout eroupissent à ciel ouvert ! Le service de voirie est
insu{lisant; cles tas de ftrmier orr de bois se clressent devant
ctraque porte; des porcs, des oiseaux dc b:rsse-eour s'ébattcnt
en liberté, dans rles venelles à peine nssez largers por.rr laisser
passer cirrcl personnes de front. L,a nuit, eltcur] éclairage !
Qulon se représente,'rlâns ccs conditions, la sittration des habi-
tants d'une ville durant un krng siège ou une épiclémie !
La trourgeoisic drr xrrre siècle attachait clu prix au savoir. Elle
créa cles écolesprirnaires cofirrrrunales, cntra en coircrrrrenee
avec le clergé et, dans plusieurs villcs, cnlei'âr la direètion tles
écolcs <Ies pauvrcs (petites écoles) et rles écoles chapitrales
orr grandes écoles (réservées aux cnfants de la classe aisée)
trux chapiLres des collégiales et t\ leur délégué, l'écolâtre.
La bourgeoisie flamande eb brabançonne rlédaignait la litté-
rature courtoise, avee ses avcntures fnntastiques et scs mièvre-
ries anroureuses. rtrlle recherchait les æuvres solidcs, à earae-
tère didactique ou rnoralisateur, les dislttttacies et les spic-
ghels (déba'ts et descriptions). Sauf dans les centres français de
Ia Flan<lre gallicante, eette littérature fiû flarnande et trouva
son meillerrr interprète dans le poètc Jakob van Maerlant
(+ 1235-1299). Cet honnête scepenclerc, clerc <l'échevinage de
Damme, aimait avec ferverlr son pays nrrtal et professait des
doctrines politico-morales très nobles. rl traita tous les sujets :
l'étude des seienees natrrrelles dans son D?r Naturen Bloerne,
I'histoire dans son Spieghel Hi,storiuel, la religion dans sa
-_93-
Rijntbijbel; etc. A s.rn exemple, plusieurs écrivains abotdèrent
ce genre vul.qarisateur; aujourd'hui ils notrs paraissent mortel-
lenrent ennuyeux.
La société bourgeoise était frondeuse, ennemie naturelle de
la noblesse et du clergé féodal. Elle était friande d'æuvres
satiriques. Aussi peut-on soimaginer le succès qu'obtint le
médecin gantois \ilillem, grâce à son épopée animale empruntée
arrx vieux fabliaux français, le llan den Vos'Rei,naerde, {l.e
petit chet'-d'æuvre, exaltant les mérites du rusé Itenard, image
du faible, triomphant de I'ours Bntyn, du lotrp Isengrim, bref
de tous les Grands, pâr son astuce, répondait exactement aux
sentiments de haine dtt nouveau fiers-Etat pottr les vieilles
classes privilégiées.
L'art la fin du xrre et au xrrre siècle est surtout reli$ieux
à
ct il se eoncentre rte plus en plus dans les villes. Soulevés par
cl'irrésistibles éltns de piété, les tailleurs <le pierre, groupés en
rtres ,loges otï ils se transmettaient les secrets de leur art, osaient
entreprendre la eonstruction d'églises si vastes et si puissantes
qrte leur achèvement réclamait une clurée tle dettx ou trois
siècles ! Les gorits se motlifiant avec le temps, on tetrortve
dans ees églises plusieurs styles, fait qui ne nuit pas à I'har-
monie de leur cnsen:ble.
Au clébut du xrue siècle, I'art o$ival français, impropre-
rnent nommé $othique, pénètre dans nos régions par'I'ournai
cb refcrule peu à peu le stvle roman (f ).
Cet art a pour principe la structure ogivale cles voùtes et
notamment la croisée d'o$ives, ce qui permet d'ap{randir les
églises, de leur donner un caractère plus aérien, plus luminettx.
L'arc en plein cintre des portails et cles fenêtres est remplacé
par I'arc en ogive; les gros piliers rornans s'arrtincissent en
colonnes cylindriques ou se transforment en faisceattx de colon-
nettes I les mrtrs, percés de lar.ges baies et supportant rles pla-
fonds à nervures de plus en plus élevés, clolvent être soutcnus
extérieurement par des contreforts et des arcs-boutants. Att
xrrre siècle, époqrre du gothique primaire, curactérisé par la
très longue ogive à lancette, le dessin cles églises est d'une
simplicité et d'une pureté admirables.

(1) La courte périorte de transltion entre les cleux styles est dite romano-
ogi,ual,e (clébut du xrrr" s.),
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-95-
En Flandre occidentale, I'emploi de la brique donna aux
construetions un caractère bien particulier. De cette époque
datent, à Bmges, l'église du Saint-Sartveur avec son prrissant
donjon roman à clochetons et t\ rébarbatifs contreforts, Notre-
f)ame, avee sa haute flèehe. A Ypres, la vaste cathédrale
Saint-Martin marque la transition romano-ogivale. Parmi les
constructions cn pierre, mentionnons la ravissante église Notre-
Pame de Pamele, à Audenarde; le chæur db la collégiale de
Sainte-Gudule, à Bruxellesl l'énormc eollégiale tle Notre-
Darne, à Tongres, flanquée d'un cloître r.lu plus gracieux stvle
roman du xrre sièele; la cathédrale Saint-Lambert et l'église
, Saint-Paul, à Liége, la plemière stupidement dérnolie pendant
les troubles révolutionnaires de la fin du xvrrre siècle, la seeonde
de nobles et syrnétriqrres proportions.
A cette époque, les arts sont subordonnés à I'idée archi-
tecturale. La peinture enlumine les parois intérieirres des
temples, la sculpture eouvre de sujets religieux ou profanes
leurs rnurs extérieurs. Les arts mineurs s'inspirent exclusi-
vement âux sources chrétiennes. C'est du xrre et du xrne siècle '
qtte datent tant d'ceuvres exqrrises : mitres, crosses abbatiales,
erucifix couverts de pierreries, étuis liturgiclues (custodes) en
émail, encensoirs ciselés, châsses et reliquaires en ivoire scu\rté,
granrles veirières dont les vitraux peints répandent dans les'
nefs des églises des rayons d'une doueeur idéale, rniniatures
enjolivées de délicates arabesques dans les missels et les psalr-
tiers !
A côté de I'art religieux apparaît pour la première fois
I'architecture civile. IJlle se montre dans les façades en bri-
qlres, aux jolis détails, <les maisons de Bruges; elle s'épanouit,
triomphante, dans ces magnifiques halles d'Ypres, aujour-
d'hui détruites, hélas ! Construites de I2OI. à I3O4 par l'orgueil-
Ieux patriciat drapier de la ville, ees halles couvraient une
sttrface de 4,872 mètres carrés. Leur façade rle 140 mètres, de
style ogil-al primaire, était simple et grandiose. Tout dans cette
construction unique : le beffrui central, le toit raide aux grands
blasons, la charpente en.bois du Nôrd, les calmes ogives des
fenêtres innombrables, exprimait la nrajesté, la puissance d'une
bourgeoisie fière de sa force et de ses libertés.
SIXIÈME PARTIE
LA PÉRIODE URBAINE
DÉMOCRATIQUE
(XtV. siècte.)

CHAPITRE PREMIER

LE CoMTÉ DE FLANDRE, DE T28O A T385

Const:itttt'ion des natnnàUtés en EuroTte att, XIII et au, XIIII


siècle (pp. 96 et 9?). Circanstances qrui Ttermettent ù nos
Ttrouinces d'échapgter -à I'absorption par ïes Tteu,ytles aoisins
(p. 97). L'épanouissement des Comntunes donne à nos
proainces-leu,r Tthysi,onomie déJinitiae. Le patriotivne régional
(pp. gZ et 98). Importance d,e Ia Fla.nd.re au 'point de aue
national; Ia n -question belge > au XIIIÙ siècle (p. 98).
Impoûance dtt, XIVo siàcle au ytoint de aue de notre aaenir -
corn?ne nation indëpendctnte (pp.98 et 99). ,

c Owi, here god, hoe macht sijn,


Dat elken minsce int herto sijn,
So soeto dunct sijns selves lant? , (1).
. (JlxOs vell Meunr,aur.)

.Le traité de Verdun avait esquissé grosso ntodo les contours


rles grands Etats de I'Europe centralc et occidentale. Cepen-
dant I'éclosion cles nationalités, qui paraissait si proche, allait

(1) O, seigneur Dieu, commeht se peut-il


Que chaque homme, d.ans Bon cæur,
Trouve si doux son propre pays?
g?_
être retardée de quatre cents ans par I'avènement du régime
féodal. Ce régime, en edïet, moreela le sol à I'infi,ni, accentua la
division de la société en classes et fit de la noblesse une easte
dominante internationale. Puis le mouvemcnt ébauché a,u
rxe siècle reprit de I'ampleur, au fur et à mesure que s'affaiblis-
sait la elasse seigneuriale. L'Angleterre, favorisée par sâ posi-
tion insulaire, prit sa physionomie nationale dès la fin du
xrre siècle, après la fusion des Normand.s et des Anglo-Saxons;
Philippe-Auguste et Saint-f,ouis, au xure sièele, furent les arti-
sans de I'unité française. Seuls le Saint-Empire et I'Italie gar-
clèrent un caractère divisé et chaotique..
L'n enchaînement de circonstanees et de hasards heureux
permit à nos provinces d'échapper à I'absorption par les
peuples voisins. Les grands eomtes de Flandre, Baudouin de
Lilleo Robert le tr'rison, Robert de Jérusalemo Thierry et
Philippe d'Alsace, avaient profité de la faiblesse des premiers
Capétiens pour s'arroger une prrissance r'éritablement royale.
l.es dynastes du Lothier; redevenus eætruni hominunt, dans
le Saint-Empire, suivaient une politiquc'versatile mais, somrne
toute, centrifuge et résolument hostile à la < diseiplihe teuto-
nique D. f,es Henri IV ct les Frédéric Barberousse, trop
absorbés par leurs querelles avec la papauté, ava,ient dû tolérer
que leurs barons d'Itrntre-Escaut-et-Moselle devinssent de facto
indépendants.
Grâce à l'épanouissement des Çommunes, centres de vie
économique, fovers de civilisation, les principaux ltrtats des_
Pays-Ras acquirent, au xure siècle, leur aspect définitif,
différent de celui des contrées voisines. A ce moment
pourtant, aucun efïbrt de rapprochement entre eux ne -q'est
encore dessiné. Au eontraire, les pe'tits Etats tlont I'ensernble
constituera plus tard notre perys, se combattent avec achar-
nement. Avant que naisse I'idée du < bien comrmrn D, une
évolution préalable est nécessaire; il faut que I'iclée de patrie
germe régionalement. Or ce phénomène est, au xure siècle,
en pleine voie d'aecornplissement dans nos provinces. Flamands,
Rrabançons, Liégeois et autres soutiennent en bloc la politique
nationale de leurs souverains respectifs. Les batailles de Steppes
en 1213, de Bouvines en 1214, de Vllorringen en 128t1, furent
des rnêlées oir les sentiments régionaux insuffièrent aux eom-
battants une ardeur aussi virile que eelle qui anime nos
F. V N t Â1.IIEN. ÎÏTSTOII}E DE BELGIqITF. L524. 4
- -
-98-
gran<les armées nationales motlerneç. Jakob van Maerlant, Jan
van }Ieelu, chantre de Jean fer le Victorieux dans sa Riim-
kronielc (1), furent des poètes profondément patriotes et même
un peu chauvins.
Parnri ces petits Etats, la lrlandre, riche, prospère, puissante,
occupe le premier ranE. Elle exeree sllr les Etats du Lothier une
hégémonie économique et une fascination socidle. Si elle perd
son indépendance, c'en est 1'ait de tout le Lothier. Aveuglés par
leurs intérêts particuliers et mornontanés, les rlynastes de Ia
Belgique centrale et orientale ne perçoivent peut-être pas
eneore nettement que Ia question de Flandre, c'est en somme
ce (tue je me permettrai d'appeler la question bel$e. Mais les
grands monarqlres de l'.Europe oecidentale en ont, eux' con-
science. 'Et c'est ainsi qu'au xnre siècle la < question belge rr
naît avant même qu'il y ait une Belgique, tant il est vrai que
nos provinces seront appelées à coexister, à former bloc par la
logique môme des ehoses. PhiliJrpe-Arrgtrste et Saint-Louis asser-
vissent momentânément la Flandre; bientôt les politiciens
contemporains tle Philippe le Bel vourlront que ce roi s'avance
iusqu'au Rhin. f)e leur côté, les Plantagenets cherchent à
faire contrepoids à la puissanee des Cdpéticns, non seulement
en s'alliant avec Ia Flandre, mais eneore en liguant, à grand
rênfort <l'écus d'or, tous les princes lotharin$iens.
La veulerie et la vénalité des prinees et des seigneurs féodaux
au xnre siècle avaient mis en péril I'avenir de notre patrie.
L'ardent patriotisrne des gens de métier, leur amour indomp'
table <le la liberté devaient la sauver. Vingt fois, au xrve siècle,
les Communiers flamands vont opposer aux rois capétiens enl'a-
Irisseurs un front hérissé de piques et de goedendags. En même
ternps, un génie politique, aux conceptions les plus vastes,
Jacques van Artevelde, va poser les bases de notre nationalité
future. A'I'estérietrr, il réalisera I'alliance avec I'Angleterre,
gage de notre sécurité; à I'intérieur, il rattachera les unes aux
autres les principales provinces des Pays-Bas, par les liens de
I'intérêt éeonomigue et rlu progrès social.
Nous continuerons à étudier séparément I'histoire de la
X'landre et celle des Etats du Lothier, mais conune' désorrrais,

(1) Cbronlqug rtne..


99_-
Ies questions de politique générale
et ceiles d'ordre intérieur
vont se pénétrer intimement, nous ne les dissocierons plus
eornme dans les chapitres qui précèdent.

$ 1u". lutte cle la Flandre contre Philippe le BeI


-La (1285-131 9) .

Troubles écono,mirlues au dë.but du, règne, de. Gug de Dcrnpierce


(pp. 99 et f0O). Phil'i.ppe le Bel interuient m faneu,r des
'patriciens ga,ntois -(p. 100). Rnpproclrcment entre Edottard let
d'Angleterce et le cotnte de- Flandre. Pranier emprisonnanent
ae ÇUtlt \awtp'ierre,lràe4 et tzg57 (p. r00). Guerre angto-
-
françaiJc-frùgîF-t{gir,e de Grammont; irwasion de la tr'landre
ï12971; second ernprisonnmtent de Gql [1900] (pp. tOO
et l0l). 1301 z Philippe Ie Bel cortfisque la Ftandre.
- Réaolte démouatique générale (pp. tOt
(p. r0f). -- et tOZ).
Les << lVlatines brugeoises r [nuit du lZ au .18 rnai l3Op]
-(p. 102). ll juillet l30Z : batuill,e des'Eperons d,or (pp. rO2- '
- ao,ût 1.304 : bataille de ilIons-en-pécèIc (p. rOa).
18
f o4). --
Règne- de Robert' de Béthune: trnité il'Atlûs-sur-Orge
ffrrin t805l ;
traùté de Paris [1319] et Tterte de Ia Flandre gallicante; almi-
nistration intérieure (pp. 104 et f 05).

c Clauwaert, Clauwaert,
Eoet U van den telyaertt r (1)
(Chanson politique du >nve slècle.)

Le fils de Guillaume de Dampierre et de Marguerite de Con-


sta.ntinople, Guy de Dampierre (R,. I2S0-I30S), n'était plus
jcune lorsque son règne commença. A ce moment, un mécon-
tentcment très vif, provoqué par la tyrannie des lignages, se
traduisait dans toute la Flandre par des assassinats, des combats
cle rues et même cles émeutes violentes. Il y avait à Gand un
collège de trente-neuf patrieiens, formant trois séries de treizê
rnagistrats qui se succédurient annuellement. Ces XXXIX,
recrutés par cooptation, ne toléraient aucun contrôle de leur
gestion et commettaient d'abominables excès. Guv de Dam-

(1) Clauwaert, Clauwaert, Garde-toi â.u L,eliaertt


-100-
pierre voulut s'interposer en 1285, mais le roi de Franee,
Philippe IV le Bel (R. 1285-rBr4), voyant tout le parti qu'il
pouvait tirer d'une immixtion dans les affaires intéderrres dc
la Flanrlre, se hâta d'intervenir en faveur des patriciens gantois
qui avaient fait appcl à sa justice. Philippe était un prince
intelligent, am'bitieux et sans scrupules. fl donna raison aux
xxxlx, rnalqré leurs rnalversations et leur irnmoralité, nomrna
en Flandre d.es ( gârdiens D roya,ux et imposa à Guy de cruelles
humiliations publiques. En Flanclre, à partir de ce moment'
les <leux classes sociales en cOn{lit reçUrent de neuyeaux noms :
les patriciens ftrrent appelés ( gens du lys n ou Leliaerts, les
démocrates, Clauu)acrfs (l). Ces derniers prirent, Pâr réaction,
le parti cle Guy de DamPierre.
Queiques années plus tard, le roi d'Angleterre Edouard fer
(R. l2?2-I307), monarque rernarqutrble par son énergie et sa
subtilité libre de tout scrupule. entreprit une câmpagne de
rapprochement aux Pays-Bas, en prévision d'une guerre avec
Philippe le Bel, guerre qu'il prévoyait imminente. Par le traité
de Llerre (f294), il amena Guy, père cle très nombreux enfants'
à promettre la main de sa fllte Phitippa au prince de Galles.
Hélas! le pauvre comte de Flandre eut bientôt à se repentir de
sory audacc. Attiré à Paris, il y fut retenu prisonnier, d'octobre
1294 à février 1995, et ne reconquit sa liherté qu'en laissant sa
fille comrne otâge au f,ôut're, résitlence otr cette princesse mourut,
en 1i)06.
Fln 1296 éclatait la $uerre anglo-française. Son théâtre
fut la Guyenne. Guy n'aurait pas demandé mieux que de
pouvoir garder la neutralité. ( Li estaz et Ia soustenance dtt
contée de Flandres, r écrivait-il à son suzerain en 1297, ( qui
de lui ne se puet chevir (2) se d'alleurs ne li vient, est de Ia mar-
chandise, qui acoustumée i est de venir de toutes las parties
<lu motrde, par rner et par terre r. Mais Philippe le Bel n'enten-
dait pas de cette oreille. Il interdit toutes relations cornmerciales
avec I'Angleterre. Par représailles, Edouarcl défendit I'exporta-
tion des laines en Flandre! Que <levait faire le comte? L'intérêt
du pays et son propre ressentiment le poussaient à déclarer la
guerre au roi de France. D'autre part, il savait ce qu'il en

(1) Par alluslon aux griffes du'Uon, d.ans lee armoiriee de la Flantlre'
(2) Ne eo peut eufile,
-tot-
coût&it d'affronter ce terrible aclversaire ! Il s'y décida cepen-
dant, en ,janr.ier 1297, quand il eut vu se constituer à Gram-
mont une li$ue anglo-belge, dans laqrrelle figur:aient le due
de Brabant iean If, gentlre d'Erlouarti ler, I'ernpereur. roma,in
germanique Adolphe de Nassau (R. 1292-) 298) et pltmierus
dynastes lotharingiens.
Le résrrltat de cette politique fut larnerrtable. L'liabileté de
Philippe Ie Bel disloqrra la fragile ligue de Grammont et le
comté de Flandre fut envahi en juin 1297. Itrn 1299 Edouard fer
seréconciliait avec Ie roi cle F'rance, par le traité de Montreuil-
sur-Mer (1). Guy, ahandonné de tous, vit Gand assiégée (1300),
son fils aîné, le vaillant Robert de Bétbune, eapturé; il dut
capitulet ! Sur les conseils perfides de Charles de \ralois, frère
du roi, il alla se livrer lui-mêmc au roi, à Paris, aceompagné
d'une einquantaine de chevaliers clévoués. Son ,sort n'en fut
que plus rigoureux.
Aeeusant son vassal cle félonie, Philippe le BeI conffsqua
la Flandre. Accompagné de son épouse, Jeanne de Navarre,
il frt
clans le comté un vo_vage triomphal (mai 130f ).Les Leliaerts
le reçurent en sauveur, étalèrent devant lui tout l'éclat rle leur
faste et vantèrent I'affabilité de son abord. Peu leur importait
qu'un roi aux idées absolutistes imposât à Ll Flandrc un gou-
verneur tyrannique, Jacques cle Châtillon, que le rapaee
Chancelier de France Pierre Flotte, acclblât le peuple de contri-
butions, que le palrs se cottvrît de citadelles. Toutes ces mesures
ne potrvaient que favoriser le despotisnre des lignages. Le
combat etratre fois séculaire entrL' Capétiens et comtes de
Flandre semblait terminé : Ià Flandre était vaincue, incor-
porée au domaine royal !
Mais eette défaite que I'oligarchie bourgeoise avait appelée
de tous ses væux, le peuple de Flandre ne put la supporter !
Bientôt l'émeute gronde dans les srandes villes. I-Tn tribun
populaire, Pierre de Coninck, doyen des tisserands de Bruges,
homme chétif mais brave et adoré des masses, devient l'âme
de Ia résistance. Le plus intelligent des fils de Guy, Jean,
comte de Namur, encore tout jeune, Guillaume de Juliers,
petit-fils du comte, chevalier-ecclésiastique d'une belle pres-
tance, s'abouchent secrètement avec les nrécontents. Jacques

(1) Au sud-eet de Boulogne.


-102-
tle Châtillon est obligé d'évaeu.er Bruges. Jean Breydel' le
musculetrx doven <lu métier des bouchers, va dévaster, avec ses
bandes, le château comtal de Nlale.
cepend.ant le gouvernellr, a5'ant reçtr des renforts, rentre dans
Bruges. Mais, dans la nuit du 17 att ltl rnai 1302, tles milliers
d'exilés et de réfugiés pénètrent audacieusemcnt dans la ville,
grâce à Ia complicité des clauwaerts. Les sentinclles sont éEor-
gées. tln màssâcre rapide et systématique s'organrse, atteignant
tous eeux qui ne peuvent pninonccr eorrectement lâ formule
scilt ende vrient (bou.elier et ami). Quantité de bannerets, de
chevaliers, de mercenaires périssent ainsi sans gloire. Jacques
de Châtillon pan'ient à fuir, srlls un cléguisement.
f,a répereussion des Matines bru6ieoises fut énorrne. Sauf
à Gand, cité durefnent maintenue sous la férule, cles lignages,
toute la populatipn se souleva clans un élan cle patriotisme
irrésistible, appuy{par le bas elergé et les ortlres rcligieux démo-
cratiques. En mênfe temps, les métiers renversaient partottt
les échevinages etlconfisqttaient les biens de leurs oppresseurs.
l)evant cette forlnidable insurrection, Philippe le Bel ne perdit,
pas un instant. Il lenrôla à prix r1'or des soudards brabançons.
allemands, navarrSis, provençatlx et génois. Il fit appel à
ses vassaux les p{rs dévoués du nord. 6e la France, convia
la fleur de la ctlevalerie de I'Europe entière à 1nc lutte
d'un carACtère nouveau, coltre I'outreeuidante < truandaille n
qui avait osé tenir tête à la noblesse. Bref, la France féodale
Iit le plus grand ef'fort militaire qu'elle efrt jarnais entrepris.
f)ans cette lutte à cartletère social autant que natio-
nal, elle eut pour attxiliaires le comte de Hainaut Jean II
cl'Avesnes (I ), qui obéissait à tle vieilles rancunes, et toute

(1) Jean Ia' d'Âvesnes (voir P. 78),


ép. I'héritière des comtés de Hollancle, de Zélande
et de ta seigineurie de Frise.
Jean II, comte de llollantle, etc., depuis L?99.
(R. 1280-1301).

Guillaume I"" le Bon. (R. 1304-1337.)

Guillaume If. lVlarguerite. Philippine d.e llainaut,


(R. 1337-1345.) (R,. 1345-1356.) ép. Edouard III,
Ep. Louis IY de BaYièro, roi d'Ang:leterre,
ellrperour,
-108-
l'aristoeratie leliaerde de Frandre. sous les ordres de Robert
d'Artois, cette armée superbe traversa Douai et. se dirigea
vers le norcl en commettant strr son passage des déprédatiôns
sans nombre.
Les f-lamanrls étaient vingt millei environ, soit deux fois
moins nonrbreux que leurs adversaires. Ils avaient pris pour
chef un seigneur z,élandais, .rean de Renesse, guerrier colua-
gelrx et habile. Renesse avait à ses côtés une vingtaine de che.
valiers flama'ds et nanrurois; pour le reste, I'armée flamande
ne comprenait q(re des milices communales et des manants
(arijlaeten). Elle a'ait accueilli avec enthousiasme un petit
eorps de Nanrurois et sept eents Gantois révoltés, commandés
par Jean Ilorluut..Au matin du tl juillet 1802, elle attendait ,

de pied ferme ses adversaires, sotrs lcs murs cle courtrai, dans
.la yrlaine cle Groenin$he, position favorable eouverte par les
fondrières de divers ruisseaux. Dirigés par leurs centeniers
(hondertytan'nen) et dizeniers, les communiers, homrnes de tout
âge, depuis les enthnl,s cle qui'ze j*squ'aux vieillards de soi-
xante ans, formaient des successions de canés. compacts autour
des bannières des villes et des paroisses. La grarrde bannière de
F'landre, d'or au lion de sable (r) debout, flottait au centre du
front.
La bataille fut impeceahlement engagée par les arbalétriers
géuois au service de Philippe le Ber, mais la che,valerie.française,
itnpatiente d'entrer en seène, eompromit la sibuation par une
cbarge prénraturée. Ilmbourbée dans un terrain vâserrx, mêlée
aux Italiens qni reculaient en désordre, exaspérés et se disant
trahis, elle ne put rompre les lignes flaman<les et vit bientôt-
déferler sur elle la masse des gens des communes. r,a mêlée
de Groeninghe n'eut aueune analogie avec les batailles féodales
d'autrefois. Les métiers n'y flrent pas de quartier. Avec leurs
piques, leurs massues, leurs haches, eoutelas et goedend.ags
(bâttins à solide pointe ferrée), ils tuèrent au cri de
vlqandren ende Leu (g) I Robert d'Artois, Jacques de châ-
-
tillon, fierre Flotbe, septante-cinq ehet's de gran<Ies maisons
uobles et des centaines de chevaliers. A lui seul, le gigantesque
Guillaume van saeftingen, frère rai de I'abbaye des Dunes de

(1) Sable : noir.


(2) Flandre au Liont
-104-
Ter Doest, près de Lisseweghe, abattit cinquante-quatre adver'
saires ! ceux qrri purent échapper à cet effroyable
massacre
fuirent en déroute. Au soir du 11 juitlet I'armée de Philippe
le Bel n'existait plus. Les vainqueurs recueillirent sur le champ
de bataille lqp éperons d'or (cinq cents, dit-on) des chevaliers
occis et en flrent des trophées de victoire'
L'éclatante < journée des Eperolts d'ot > ne mit pas fin.à la
glrerre. Philippe. le Bel était tenace I les communes étaient
,i.h", et puisaient leurs renforts dans les énormes réserves que
leur fournissait le prolétariat urbain. La lutte fut donc longue
cneore, entrecoupée de trêves et sorrvcnt languissante. Au
dibut, les Flamands reconquircnt la Flandre gallieante. Le
l8 août I30'[, Guillaume de Juliers, Jean de Narnur et son
frère, Philippe fle 'feano (de Thiette), affïontèrent une seconde
fois les Français, entre Lille et Douai, à Mons-en-Pévèle.
La journée fut indécise.
Le malheureux Guy de Dampiene, libéré au cours d'une sus-
pensi0n cl'armes (septembre l30ti), était mOrt dans son comté,
*., *t".1305, à l'â.ge de quatre-r'ingts ans' Son fils, Robert de
Béthune (R. rs05-r322), étâit lui-même fort âgé déjà lors de
son avènement. Vaillant au eom}at, mais timoré dans ses entre-
prises, le nouveau eomte n'était pas ei même de tenir tête à
bf,iUpp" le llel. l^quiet rLes progrès tlu ciomte de Hainaut et
de l-toilande, Guillaume Ier d'Avesnes, qui, I'année précérlente'
avait capturé Guy de Namur (1) à la bataille navale'tle Ziè-
rikzée 12,étande1,Robert eut la faiblesse de conclure avec le
roi de Francc un traité humiliant, à' Athis-sur-or$e' en
juin rg05 (9). Rcfusant d'accepter un traité qui leur irnlrosait
cles amendes énormes et les assrrjetissait virtuellement, les Com-
lnunes déclarèrent vouloir < plutôt mourir >. cette fierté sallva

la Flanrlre. Le traité définitif, signé à Paris en 1319, reconnut


I'indépenclance du cornté, malheureusement au prix d'e toute
la Flandre $allicante, âvee les belles châtellenies dc Lille'
Douai et Béthune (B).

(1) Guy de Namur était un d.es nombreux frères de Robert de Béthune'


(2) Àu sud. de Paris, près d.e Corbeil'
if) ptitippu le Bel était niort en 1314. Son flIs ainé, Lours X r,u Iluttlt,
n'ayant régné que deux ans, la paix de Paris fut signée sous le règne d'e son
second fils, Pnrr,tppn V r,n Loxe (R' 1316-1322)'
-105-
Si néanmoins Ies chroniqueurs du temps ont pu parler du
n.bo.n cornte Robert u, c'est qu'ils le jugeaient d'après son
excellente administration intérieure. (:e prince était un partisan
fervent de la théorie de neutralité, suivant laquelle la Flandre
devait être tenue en dehors cles conflits européens.et rester
accessible aux eommerçants de toutes les nations. Après I802,
la weberie, c'est-à-dire la corporation cles tisserands, avait
supprimé les cruelles réglementations du travail, antérieurement
en vogue, et avait proclamé la liberté des professions et du eom-
lneree. La poorteri,e avait été' exclue des échevinages et nul ne
pouvait désormais avoir accès aux fonctions publiques s'il
n'était inscrit sur les registres d'un métier. Rcibert de
Béthune, fidèle à son rôle de médiateur, flt rentrer un certain
nombre de patriciens dans les échevinages et en revint peu à
peu au réEime d'autrefois. La fin de son règne coîncida en
F landre avec une grande prospérité

$ 2. Le soulèvement de la Flandre maritime


- (1323-r32e) .

Aaènement de Louis de Neuers (pp. tO5 et tOG). -- La rét:olte


des l{erels en 1823 (p. 106).
rnouaernenl (p. f 06).
-- Bruges prenrl la direct:ion du
Les gens de métier capfument Louis
-
tle Neuers [f S25] (p. lOG). htteruention du, roù de France
Philiptlte VI (p. t0Z). - 28 août tB2B, : bataille du mont
Cassel (p. f 0?). -
Eæterrnination, des rebelles (p. tOZ).
-
Sie ui,lil,en il,e ruters dwinghen ! (l').
(Kerelslùed, du Brugeois VaN Eur,ÊT. xrvo s.)

Robert de Béthune s'était uni à Yolande, corntesse de Nevers.


Leur fils Louis ne régna pas, étant mort en I.322, quelques nrois
aviutt son père; il avait épousé une comtesse de Rethel et de
eette union naquit Louis de Nevers (R. 1322-1346), prince

(1) Its voulaient q,ater les eeigaeursl


-106-
âgé de dix-hui{ ans à Ia mort de son aieul (l). Louis avait,
jusqu'alors, vécu surtout dans son comté de Rethel; il s'était
entouré de conseillers français, avait épousé M*rguerite de
Franee, fille rlu roi Philippe V, et se proposait d'être le modèle
du parfait vassal.
J'ai déjà parlé à plusieurs reprises cle la population libre,
d'origine frisonne et saxonne, du littoral, population de con'
dition aisée grâce à son travail opiniâtre. Ces I{uels de }}'est-
F landre étaient rudes et cle mceurs peu eommodes (2). Groupés
en corporation s territoriales autonomes (À'ezar broed er s clt app en),
ils vivaient en mésintelligence avee la noblesse régionale, qui
cherchait à les opprimer au qein cles échevinages.
Le tnr,ité de Paris rte l8l9 eondamnait la Flandre à payer de
Iourdes arnendes. Lorsque les autorités comtales voul'urent
imposer aux Kerels leur quote-part, ceux'ci refusèrent et
esquissèrent un Trtouvemenb de lésistânce qui pdt, pentlant
I'hiver cle l..32ii, le caractère cl'une $uerre sociale contre les
nobles, les ricltes et les Prêtres.
Loannée suivante, Brttges, mécontente de ce qtle Louis de
Nevers eùt donné la seigneurie cle I'Itrcluse à son grand-oncle
Jean rle Na,mur, prit la direction dtr mouvement révolutionnaire.
Ce Jean rle Namur, jadis tréros de la gtterre de délivrance eontre
Philippe le Rel, était devenu, en vieillissant, un adversaire des
Communes. S'il lui prenait fantaisie d'autoriser le débarque;'
ment des cargaisons des navires <le hsrtte nter à I'Ecluse, une
redoutable coneurrenee pottvait ruiner Bruges !
Bientôt la révolution gagna toute la Flandre, sauf Gand,
toujours dominée par son patriciat. En 1325, le comte de
Flandre, capturé par surprise à Courtrai, voyait les gens tle
métier égorger ses conseillers sous ses yellx. Effrayé par ees
excès, Ie roi de France Charles IV le Bel (I:|,. 1322-1828)'
troisième fiIs de Phitippe le Bel, Iança I'interdit sru presque
toute la Flandre (S).

(l) Neverrs : eur la'Irolre, aapitalo du Nivernais. Rethel : sur I'Alsne'


au sud-ouest de Mézières.
-
(2) Keret - g:&rs, gaillard. selon une autre version, le terme lcerel doit
être prig dans lo sèns 8iénéra,l de plébéien, rustaud'. C'est le n Jacques Bon'
[gm mo , opposé au ruter ,le sei8lour. Ire mot Èere Z n 'aurait alore été employé
qu'au couts des luttÆs sociales de la tn du xlr-o siècle-
(3) C'est-à-alire qu'il v interdit I'exercice d.u culto.
107
-
Les modérés auraient bien voulu tro.*", un aceommodement
avec leur. suzerain. Ils parvinrent à obtenir lrr mise en liberté
du eomte. Mais celui-ci se retira aussitôt en France. Alorà les
extrémistes eurent beau jeu. Conduits par le Bnrgeois Jacques
Peit, ils étatilirent sur tout le comté tur régime de terreur.
Même après I'assassinat de ce chcf, ils osèrent, en I328, toufner
en ritlicule le nouveau roi de France Phitippe YI de Valois
(R. f328-1350), successeur de s<ln corrsin Clrarles fV, clernier
Capétien en ligne directc.
Jeu téméraire ! l'hilippe, dont on contestait le droit de suc-
cession au trône, désirait fortifier sa position par une action
rl'r5clat. Il réunit rrne arnrée de chcvaliers venus joyeuserrient
de partout pour: Iui prêter main-lbrte dans cette nouvelle lutte
tle la nohlesse contre le nrenu peuple.
, f,e souvenir de Groeningtre rlevait être effacé !
A I'arrivée rles Français, seize millc pil,ysans, eomrnandés par
trn riche propriétaire du pays de Furnes, Nicolas Zannekln
(Rlaas Jannehenl, a,llèrr:nt se retrancher sur le rnont Cassel,
hauteur qui .domine toute la partie ocpidentale. cle la plaine
flamande. Les Rrugeois, menacés à I'est par le r:omte et par la
Ttoortari.e rle Gand, ne purent venir r\ Ieur secours. Pour obliger
lcs mutins à qrritter leur posit.ion imprenable, les Trançais se
mirent à ineenclier méthotliquement les fernes et les réeoltes
des régions environnantes. Borrillants de rage, les Flamands
risquèrent une sortie, en colonne massive, le 23 aorit t328.
Commandée par des hooftm,ar?,nen (chefs) braves mais sans
expi'rienee, leur colonne piétina sur place, fut enveloppée et
presque entièrement massacrée après un eourt engagement où
la bourgeoisie de Tournai, très attachée aux rois de F rance,
joua un rôle considérable.
Ce désastre fut suivi d'une répression impitoyable. Guil-
laurne de l)eken, bourElnestre cle Rruges, ful" éeartelé à ltaris,
ses compagnolrs furent rtécapités ou eurent les membres romptrs
à eotrtrls de harrc de fer, sur la roue. Les campagnes perrlirent
leurs franchises et furent écrasées sous le poids rles amendes;
Bruges et Ypres durent dlémolir leurs nrurailles et se ressen-
tirent longtemps de leur défaite.
En juillet 1829, la révolte démagogirlue et trnticléricale des
Kerels agonisait en quelques escarrnouches livrées dans la ban-
lieue d.e Bruges par la bancle de I'irréductible SegherJanssone.
_r08-

$ s. _ L,ép"n"îrl:#iï: "u, Arteverde

Débtr,tde Ia g,uerye tle cent Ans; Edou,nrd. I.II, roi d'angleterre,


interrlit l,eæportation des laines aers la Irlandre (p. ros). ----
'

Réoohttion d.érnocratiqu,e ù Gûnd fclécembre 13371; ,racqu'cs


uan A.rtasetd,e (pp.108 et r09). ProclaLnation de Ia'ncutta'
1838] -
(p. r09). *- Dictaturc de van
tité rle la Flandre [jrrin
Artexeld,c (p. r0g). -- Les Trois Mernbres de lrlandre
(pp. 109
et ll0). Potitiqu,e extér'ieure de van arteael.de : les traité.s
rJelSiig-auec le Rrabant et Ie Hainaut (p, 110); I',alli'ance
unglo-fl,cnnani,ef]l34}] (pp. 110 et f ll)'- Echec du si'ège de
. Tuwnai (p. 111). -. situati}n ffouhlée en Flandre; décl:in de
la popularité de Jucques aan Arteaelde I assassinat du tribun
6uiflet r345l (pp. ltt et, I12). -- IlIort de Louis de Neoets
[1846] (P. rrz).

La F.lanclre connut quelques a,nnées cle caltne, après lesquelles


elle frrt directernent rnêlée à la $uerre de Cent Ans. Iln 1336'
le roi d'Angleterre Edouard III (R. I327'L37il errtra'it ouver-
tement en compétibion avec Phllippe VI. Aussitôt le fidèle
Louis de Nevers ordonna de cesser tout cornmerce avec la
Grande-Bretagne. IJe même que son aïeul, Etlouard IIf inter-
dit, par représailles,l'exportation des laines vers la F landre.
De part et d'autre, on arr:êta, les marchands et eonfrsqua leurs
rithesses. Ilne elïroyable crise économique se dée.haina !
A ce moment, la ville de Gand seule était encore redoutable.
Tenue à l'écart. des luttes antérieures par la poortetie leliaerde,
elle était à I'apogée de sa puissance. Mais le prolétariat y était
très rnalheureux. En déce.mbre 1337, il se révolta et créa, le ,

3 janvier suit,ant, un gouvernement insurrectionnel démocra-


tique.
A la tête des révoltés figurait un homme d'une mâle énergie
et d'une perspicacité extraordinaire : c'était Jacques van
Artevelde. Il était marchancl drapier, de famille riche et
notoire. Agé fle cinquante ahs environ, il séduisait les masses
pâr Son éloquence, les chefs pâr Ses vues supérieures. Les
ôantois décidèrent de confier à celui qu'on appelait partout
*r 100
-
le ( saige homme > Ia direetion des affaires (tt beleet aart
der stede\. fl accepta cette dictature; tuutefois, il ne voulut
d'autre titre que celui de' lnottman des milices de la paroisse
de Saint-Jean, grade qu'il possédait déjà au moment de Ia
révolution.
En quelques rnois, Van Artevelde réconcilia la Flandre avec
I'Angleterre, obtint I'annulation de I'acte interdisant I'expor-
tation des laines et sut amener les denx monarqlres rivaux à
reconnaître la neutralité de la Flandre (juin 1338). Louis
rle Nevers; dont les exactions fiseales et le loyalisme iutempestif
avaient irrité la population, se retira peu après en France.
Alors Jacques van Artevelde se mit à l'æuvre. Reconnaissante
pr.rur les heureux résultats de sa politique, la population lui
avait voué un véritable eulte. ll fit nommer comnte ruutaert dv
comté un riche banquier, Sim<.rn van ffalen, mais en réalité ee
tut lui-même qui exerça la dictature. Sa femrne, Catherine
de Coster, fut sa eollaboratrice dévouée et accoTnplit avee
succès pl'usieurs missions diplomatiques en Angleterre. Son
beau-lïère,le e.hapelain Jean de Coster, fut son eourrier sectet,
cavalier infatigable qui, dans son zèle, erevait les chevaux
à la course.
Considérant la Flarrrlre comme un tout, il enraya le parti-
cularisme, spécialement enclémique rlans ce eomté, en fédérant
les trois grancles villes de Gand, Bruges et Ypres. En dépit
de lerrrs jalousies mutuelles, ees villes eonst'ituèrent les Trois
Mernbres de Flandre, le'triumvirat des drie prinei'pale pilare,
groupés en conrité cl'action, sur lequel reposa Ia prospérité dtt
pays. Ces villes avaient besoin de terrains de culture pour
subsister : elles s'annexèrent les campagnes environnantes.
Bruges prit possession du < Franc de Bruges >, région de polders
située autour de la ville; Gand oceupa le pays de \Taes et les
Quatie-Métiers; Ypres, le secteur de Poperinghe, Ayant créé
tluantité de bourgeois forains (1) (haghe.poorters ou bttiten-
Ttoorters), les villes administrèrent elles-mêmes le plat pays et
les petites villes mises sous letrr tutelle; elles y créèrent des tri-
bunaux. levèrent des miliees, déterminèrent I'assiette des impôts
et interdirent la fabrication tlu drap commercial. Souvent des
expéclitions de contrôle parcouraient les campagnes et brisaient

(f ) De lors .'dehors. Bourgeois forain .= qui n'est pas du Ueu môme.


-llq*
les métiers orr les ctrves des contrevenants. En sotnme, les îrois
IVlembres subjuguèrent Ia noblesse, le clergé, les petites villes
et Ies campagnes; eux-mêmes furent dominés par Gand et Gand
par Van Artevelde
La pol,itique du tritlun ne soanêta pas aux frontières du
comté. Il poursuivait avec clairvoyancte un double but, émi-
nemment profitable atrx intérêts du pays : Io unir éconorni-
quernent les Dtats du Lothler et la Flandre; 20 assocler
la prospérité des Pays-Bas à la prospérité de I'AnÊle-
terre.
Le 3 décembre 1339, il signait avec les duchés trnis de Bra-
bant et de Lirybtiurg une convention stipulant entre les con-
tractants : une alllance défensive, la liberté du commerce,
I'unification monétaire et ttn traité d'arbitra$e pour régler
doéventuels conflits. A ce traité adhérèrent les comtés unis de
Ilainaut, de llollande et de Zélande. I)'une marrière plus
eomplète qu'au cours de quelques tentatives antérieures (l),
la tr'landre et les Etats du Lothier se tendaient la main par-
dessus leurs frontières et formaient une ligue, en dehors de tout
consentement cles princes dont ils étaient virtuellement les
v,lssauri. Jacques van Artevelde fut donc le pretnier à tracer
-- rnais eneore sur Ie sable- l'ébauche de la Belgiqtte
future, -
La réalisation de ces desseins at'ait été facilitée par le fait
qu'Eclouard. III, souverain tlchc, sédrrisant, gendre de Guil-
laume ler d'Alrssnes, dit le Bon, eornte de Hainaut, tle Hollande
et de Zélande (2), avait, en 1338, repris I'idée ehèie à ses prédé'
cesseurs, Jean sans Terre et Edouard ler, de former une ligue
de princes du Lothier et de s'allier au Saint-Empire. Edouard III
était venu à Anvefs et avait été proclamé vicaire de I'Empire
par son beau-frère Louis IV de Bavière (R. l3l4-13a7). Or
Jacques van Artel'elde était partisan fervent d.outte politique
d'entente avec I'Anpleterre. Edotrard III faisait naturelle-
ment grand eas de ee précieux auxiliaire, I'appelait ( son
compère > et autorisait Philippine de Hainaut, sa femme, à
entretenir avee Catherine de Coster des rapports d'amitié

(1) Notamment en 130.1 et en 1337 (traités entre la Flandre et le Brabant),


en 1398 (traité entre la f,'Iandre, le Eainaut et la Eollancle).
(2) Voir p. 102, note l.
-ttl-
intime. En 1840, la reine d'Angleterre tint sur les fonts baptis-
maux Philippe, fils clè Jacques van Artevelcle !
' Le traité de 1339 ayant {té complété par un accord écono-
mique entre les Etats cgntractants et la Grande-Rretagne, Ie
tribun gantois'se décida à faire lln'nottveau pas en avattt,lorsque
les hostilités franeo-anglaises éclatèrent. En 1389, les Anglais
avaient ravagé la Picardie jusqu'aux bords de I'Oise. Jaeques
van Artevelde tlésirait reconqttérir, avec'I'aide dcs Anglais, Ia
Flandre gallicante. Pour aTnener les Flamands à eontraeter
une alliance forrnelle avec Edouard III" il persuada à ce
prince de prendre par anticipation la titre de roi de France.
Le 23 janvier 1S40, les Trois Membres prêtèrent le serment
de fidélité à leur nou\reau souverain, lequel résidait depuis
plusieurs mois au château des Comtes, à Gand. Dans le peuple,
le eri général était : a La Commune et le roi d'Angleterre ! I
Une victoire navale remportée en juin 1340, dans le golfe clu
Zwym, sur la flotte franco-génoise, déci<la les hésitants. Jamais
encore la politique d'alliance anglo'flamande n'avait été aussi
populaire.
Cette entente ne fut pas féconde .néanmoins en résultats
durables. Une grande armée, composée d'Anglais, de Flamands,
d'Ilennu;rers, dei Brabançons, ne réussit pas à prendre Tournai
(f 340). La trêve d'Ilsplechin (I ) (25 septembre) arrêta les hosti-
lités. Le Brabant et le Hainaub se retournèrent vers Philippe VI.
Louis de Nevers ïeeonquit Termonde. D'autre part, Jacques
van Arteveftle était violent de caraelère; il s'abandonnait à
I'orgueil et prenait des allures despotiques. Les Trcis Membres
tyrannisaient Ia Flandre; à Gand, tisserands et fotrlons, coalisés
pour eombattre les patriciens et les petits métiers, s'entre-
cléchiraient au moindre cc1nflit. Rientôt des grèr'es éclatèrent;
poir" nne question tle salaire, il y eut, sur le marché du Vendredi,
une rencontre entre tisserands et fbulons, qui dura toute une
journée (Quaeden Maendagh, le n Mauvais lundi n, nlâi 1345).
Van Artevelde ne savait pltrs comment arrêter les insolents
progrès de la weaerie. Ce fut dans ee milieu que I'on conspira
contre sa vie. Alors qu'il s'était rendu à I'Ecluse' pour y eon-
férer avec Edouard III, probablement pour âmorcer un projet
de mariage entre le prince héritier de Flanclre et une princesse

(1) Près d.e Tournai.


-112-
angla,ise, une faetion composée de tisserands, de chômettrs et
de beaueoup de < méchans gens ) entama contrè I'absent une
virulente eampagne, I'aecusant de tlilapidations, de tyrannie,
et préteridant qu'il voulait livrer sa patrie. aux Anglais. A son
retour, en juillet 1845, le tribun se sentit directement menacé.
fl alla se barricader dans sotr steen au Calanderber{, gardé par
de fidèles arehers gallois. Itrn vain voulut-il haranguer la foule;
elle entoura son hôtel qu'elle prit d'assaut et massacra le génial
homme d'Etat.
Cet aete abominable ne etrangea rien à la politique de la F-lan-
dre qui resta fidèle à I'alliance anglaise et à.son idéal de recon-
t1uérir la Flandre gallicante. Nous ne devons I'envisager que
eomme une ( dommageuse forfaiture >, un crime <lft à la coo-
pération ânonyme de quelques envieux flanqués de cltenapans.
L'année suivante, Louis de Nevers, frdèle jusqu'au bout à son
suzeràin, tombait à la bataille de ('récy, où Edouard III délit
complètement Philippe VI- (r).

$ 4.- Le règne de Louls de Male (1346-1384).


Le jeune contte est retenu u en prison courtoise ù par les Trois
Mcm,bres. Son éoasùon (p. f 18). II abat I,e despotisme de
la weverie (p. r13). -
Lottis de Malc, ptrécurseur des Ttrinces
de Ren,aissance (p.
la - f fB). Su çtolitirlue eætérieure : i,l
-
rëanpère Iu Flandre ga,Ilicante et anneæe le marquisat d'Ancers
et, la seigneurie de Maltnes (pp. ff3 et 114). Agitations
dêmocrat;itlucs en Flnndre; les < Chapeîons Blancs- r (p. f la).
Les incidents de Dey.nze [1879] (p. lf4). La guerre siaile
-en I,-Iandre : les trois sièges de Gand (pp.- fr4 et Ll5.).
-
Phil'ippe aan Artaselde deuicnt ruwaert de la Flandre; bntaille
'de
Bàerhou.t l8 mai 18821; zZ noeembre I btz : bataille d,e
West-Roosebeke (pp. f f 5 et I.f 6). Frans Ackerman; paiæ de
Tournai [385] (pp. lf O et f l7).- Relation étroite entre les
-
sentiments d'antagonisme de classe et de patrioti$ne au sein
d,e la d.unoæatie fl,amande (pp. f f ? et ll8).

(f) Pnès d'Abbeville, dans larégion de la Sorrlme inférieure. Iro conte


Lroule porta, aussl d.oos l'hictoire lo nom de Louls de Créoy.
-u3-
Le premier aete d.es Trois Membres de Flandre, après la mort
rle leur seigneur, fut de retenir n en prison errurtoise u à Gand
son lils, Louis de Male (t), alors âgé de seize ans. Malgré son
extrême jeunesse, le nouveau comte ne manquait pas de sang,
froid. fl se Iaissa fiancer * en apparence d'assez tronne grâce
-* à fsabelle, fille d'Edouar<l fII, mais peu après, en mars 7347,
il profrtait d'une ehasse au faucon pour fuir en Brabant. Là,
il épousaib aussitôt la jolie Marguerite, deuxième fille du âuc
de Rrabant, Jean fII. L'année suivante, il rentrait dans son
comté et as"qiégeait Gand avec I'aide de son beau-père. Le
rlespotisme de la weaer'ie avait provoqué un tel rnécontentement
dans le pays qu'un soulèvement important y avait éclaté contre
les démagogues et qu'il ne fut pas diffrcile à Louis de Male
d'obtenir une soumission générale. Il laissa aux villes leurs
privilèges, mais agit contrc les tisserancls al'ec une si granrle
rigueur que beaucoup d'entrc eux émigrèrent vers les comtés
de Sul'lblk et de Kent, en Angleterre.
Le fait que Louis de llfale menait une vie luxueuse et même
librrrtine, qu'il aimait les baladins et dépensait beaucoup
d'argent pour acheter des animaux exotiques, a fait naître
I'opinion qu'il était frivole et corrompu. En réalité, il fut un
précttrseur de ces souverains eentralisateurs des temps mod.er.nes,
qui. formés à l'école srrtrtile et dépourvue de scrupulcs des
dynastes italiens de la Renaissance, pratiquaierrt une politique
tantôt brutale, tantôt sournoise, cle réalisations immédiates.
Au point de vue extérieur, le comte favorisa les intérêts de
la Flandre. Il ramena le pays à Ia neutralité, prris, menaçant
alternativement la France et I'Angleteme de quitter un terrain
sur lequel ne le retenait aucun engagement précis, il sut obtenir
de chaqtre belligérant des faveurs consiclérables.
Iln 1363 s'ouvrit la deuxième phase de Ia guerre de Cent Ans.
A ce moment, Mar$uerite, fille de f,ouis de Male, était veuve
d'un prince français. I.e madré comte de lr'lantlre feignit cle
vottloir la remarier à un lils d'Edouard III. Le roi de Ilrance
Charles V (R. 1361-f380), déjà âccrrhlé àe soucis, c'ernpressa
de favoriser le mariage de son frère Philippq le Hardi, duc
de Bourgogne, avec MarEuerite de ÙIale (z). De plus, il rendit

(1) Nom d.'un château près do Brug:ee, où naquit lJouis.


(2) Ce marlage eut lieu le 19 jui:r 1369.
114

hu eomte Lorlis la F'landre $alllcante, séparée depuis cin-


quante ans cle la mère patrie. Ainsi, ce clue ni les communes,
ni.Iacques \,&n Artevelde n'avaient pu obtenir malgré un grand
déploiement de.fotees, le comte y avait réussi avec un peu
d'astuee.! D'autre part, il était parvenu, douze ans phrs tôt, à
enlever à son beau-frère \{etteeslas cle Lttxembourg, duc de
Rrahant,le marquisat d'Anvers et la sei$neurie de Malines
(tràité d'Ath, 1357).
La politique monarchique de Louis de l\{ale, orientée vers
les questions éeonomiques, rappelle cclle de Philippe le Bel.
Lui aussi s'entoute de eonseillers hourgeois ou de petite nobleSse;
lui arrssi se monLre, selon les nécessités d1 moment, modéré ou
férOce. Sa tâehe lre tut d'ailleurs pas aisée. Le xrve siècle fut
une époque d'agitations démocratiques et de troubles démago-
giques dans toute I'Ettrope ct spér:ilrlement en Flandre. Le pm-
tétàriat urbain, composé en majorité des membres de I'indôfrp
tcftrle zueaerie, exerçait de nouveau, à la, fin <lu siècle, un pouvoir
arbitfaire. Son outrecuidance et sa nd.esse lli avaient attiré la
hairre des nobles et des prêtres, des paysans et des botrrgeois
des petites eités, des lignages et des petits métiers des Trois
Merntrres. Tous détestaient à I'envi les n horribles tisserands >
et eeux-ei, dejà irrités par les incertitudes tl'un métier livré à
la merci fles crises ticonomiclttes, ne s'en montraient que plus
agressifs. Ils avaient pris pour signe de rallienrent des griffes
tle lion brodées sur leurs vêtements et des capuchons blanes,
d'ori leur surnom de Chaperons Blancs.
I,ln 1379 la crise sociale latentc cclata à la strite tl'un incident
assez secondaire. Louis de l\[ale avait permis aux Brugeois de
creuser un canal rattachant leur ville à l)eynze sur la Lys.
Redoutant le transfert à Bruges de l'étape des blés de I'Artois,
les Chaperons Bltlncs, eondrtits par Jean Yoens, doyen des
trateliers Eantois, allèrent massaerer les terrassiers enrployés
âux premiers travaux <lu canal et profitèrent du tumult'e pro-
voqué par ces événetnents ptrur s'emparer clu gouvernement de
la ville de Gand.
Alors s'engagea, par tottte la Flantlre, un angoissant duel
,entre partisans et adversaireÉ de la démocratie ouvrière urbaine.
Cette guerre civile clura cinq ans et fut caractérisée par trols
sièges successifs de Gand. l,es Chaperons Blancs avaient
des partisanq parmi les lisserands de toutes les .autres villes, en
-115-
.tr'landre, à Bnrxelles, à Louvain. Les démocrates liégeois leur
envol'èrent un jour six cents'charrettes de grain et de farine
et leur écrivirent : < Si vous êtes maintenant clurement assiégés,
ne vous déconfortez pas; eàr Dieu sait et toutes lers bonnes
villes, que vous avez droit en cette guerre. r Les < Nlaillo-
tins r de Paris (1), de Roucn, de Reims et d'Orléans, insurgés
contre I'odieux gouvernement des oncles du nouveau roi de
'Franee Charles VI (R. IBSO-1422), les paysanb anglais eonduits
cn l38l par lVat 'Iyler:, bref, tous les opprimés et tous les
mécontents voytient, dans la résistance de Gand, le symbole
de leur propre cause.
Or, la rtille se cléfendit avee un héroïsme srrrhumain. Yoens
obligea, par des procédés de terreur, les paysâns à cornbattre
dans les rangs des milices. Celles-ci firent des sorti'es con-
tinuelles et brfilèrent méthodiquemcnt tous les châtearux des
c'nvirr)ns de Gan<l et le château comtal de Wondelghenr. Le
ravibaillement de la ville s'opérait par les soins de colonnes
rnobiles de Retsers, chargées d'escorter les convois. Il y avait,
en outre, à I'intérieur des nlurs, de vastes terrains réservés
à la culture. Je n'insisterai pas sur les péripéties dc I:r, lutte :
le 29 mai 1380, les petits métiers de Bruges massaeraient
les tisserands et se replaçaient sous I'autorité courtale; en trBBl,
le chef gantois Rasse de Herzele était tué à Ia bataille tle
Nevele (au nord de I)eynze), échec à la suitc dtrqrrel toutes Ies
petites communes rebelles de Flanclre se sournirent, sauf Gram-
nront qui tirt incencliéc.
En 1382, la famine frt son apparition à Gand. Alors Ie chef
des Chaperons Blancs, Pierre van dell llossche, imagina de
raffermir les courages en faisant appel au coneours rlu fils de
I'illustre Jacques van Artevelde, Philippe. Cet honrme riche,
'déjà rluadragénaire", vivErit <lans un elïacement relatif. Il
cachait, sous une attitude de fière réserve, ees qualités de
tribun qui. avaient fbit le succès de son père, mais il avait
un ternpérament plus ambiticux, plus fougueux encore €t,
lorsque sa eolère se déehaînait, il cédait à I'cntraînement. de
ses passions. rl accepta inrmécliatemcnt la charge dictatoriale
de ruwaert, fit une vaine dérnarr.he cle conciliation auprès du

(1) Ce nom, donné aux i:rsul8és parisiens, sous le règne de Charles YI,
provenait de ce qu'ils s'étaient emparés de maillets de fer à l,Arsenal.
-116- .

Cornte, puis réunit une troupe cl'élite de cinq à six mille hommes
et sé porta inopinément vers Bruges, le jour de la procession
des reliques du Saint-Sang. Les Brugeois, surpris en plcine fête,
aux portes cle leur ville, dans la plaine de Beverhout, le I mai
l:182, se dispersèrent devant une décharge à bout portant de
piemiers (l). un assâ,ut, mené par les valeureux Gantois eontre
des forces six fais supéIieures, conrpléfa la vietcire ! Louis
rle Male réussit à s'échapper de Bruges par une fuite aux
péripéties des plus romanesques. Il n'en perdait pas moins
toute la F-landre.
Pour la troisième ftris. eri ce siècle meurtrier, un roi cle France
venir en personne dispttter r\ ltr démocratie flamdnde
se déeirfla. à
le prix de ses I'ictojres. Charles VI nlaimait pas Louis de Male,
mais il redoutait la répercussion dans son propre pays des
suecès de Philippe van Artevelde, entouré depuis la journée
de Beverhout d'honneurs rovaux. De pltrs, Philippe le Hardi,
oncle du roi et futur eomte de Flandre, le pressait d'intervenir.
Il réunit donc une armée féodale de tout premier choix, pâssa
par surprise la Lys à Comines et se dirigea vers le nord. A I'arri'
vée des Français, Philippe van Artevelde se portâ cle Roulers
vers la colline de West-Roosebeke' arl nord-est tl'Ypres et '

y â,ccepta la bataille, le 27 novembre 1383. La lutte fut, dès


I'abord, clésespérée pour les Gantois. sculs" les tisserands se
montrèrent dignes cle la vieille reputation de bravoure des
Communiers. Formés en un carré cotnpact, d'une quarantaine
de mille hçmmes, ils conrbattirenb metveilleusement, ntais,
cernés par les chevaliers français, ils f'urent taillés en pièces.
.Phitippe van Arteveld.e mourut vaillamment au rpilieu de ses
conrpagnons.
Malgré ce désastre, Gand résista encore. tln capitaine aussi
brave qrre digne, F'rans Ackerrnan, eontinua, la lutte avec le'
secours d'une armée anglaise envoyée en IB83 par le roi Ri-
chard II (rt. rB?7-f399). Flamands et Anglais assiégèrent
.Ypres, nnis ne purent empêcher la haute bourgeoisie de cette
ville d'ineendier clle-même les quatre grandes paroisses ouwrières
situées hors les murs, faubourgs favorables à la cause démo-
cratique. Longtemps encor.e les bancles de mercena.ires français

(1) A cette époque l'emploi.des bouchee à, feu, lançant des boulets


pierro, commençalt à se géuéraliser. 'ls
.-ll7*
du féroce grand bailli Jean rle Jumont ravagèrent, avec I'aide
des Bourgttignon;s, le !'ranc cle Bruges et les Quatre-Métiers.
Mais la lutte avait été trop épuisante pour qu'il pttt y avoir
un réel vainqueur. f,ouis de Male était mort le 30 janvier 1384.
Son gendre, Philippe le Harcli, désireux cle jouir en paix de son

IIONNÀIES D'OR DE LOUIS DE MALE


( Cabinct cles méd.ailles, Br uxcllcs')

À gauche, lrrr u franc à pied u (par oltltosition ù une flgure


équestrc; représcntant Ie comte debortt, Fjous lln dais, couronne
en tôtc et l'éJ.:éc dans la mirirr droitc.
À ùroite, un { lion hear-rmé ", Le lion héralùique r:st, on effet,
coifié d'un hearrmc surmonté d 'un cimier en forrne d c dragon.

bel héritage, accorda arux Gantois, par la paix de Tournal du


I8 décembre I385, une amnistie complète. Il confirma tous leurs
privilôges et fut, eu tetour, reconnu souverain du pays.

Si nous envisageons dans son ensemble I'histoire à la fois


brillante, complexe et heurtée de la F'landre au xrve siècle,
nous err retirons une première impression de particula,risme à
outranee. l'rois républiques, souvent en conflit entre elles,
y oppriment le reste du pays; clans cçs cités mêmes, la classe
des tisserands domine les autres. Comment, au cours de ces
violentes guerres civiles, la notion de < cornmune patrie r efit'
elle pu rester aussi vive que du temps de Robert le Frison ou
1t8 _

de Philippe d'Alsace? A y regarder de plus près eependant, il


semtile inexact de ne yoir dans le Communier, compagnon de
De Coninck, dans le Kerel ott dans le Chaperotr Blanc, qu'tm.
représentant d'une classe sociale luttant contre les membres
d'autres classes sociales. Les gra,nds comtes de F'lanclre du
xue siècle avaient donné à leur pays une trop forte constittttion
pour que, dans la suite, la conception tl'une Flandre une et
puissante, d'un boulevard de tous les Pays-Bas, eitt pu
disparaître r:r,dicalement. Ne perdons pas cle vue qu'au .xure
siècle tléjà lcs comtes et le peuple de li'landre sentaient très
bierr .le danger qui les menaçait du fnit de la politique
annexionniste des Capétiens, Si Ia noblesse, le patriciat, lc's
comtes eux-mênres liniyent par se coaliser étroitement irvec
les rois de France, c'est qu'ils se vol/aient rnenacés dans lettrs
intérêts les plus directs par la démocratie. Mais portr les
Communiers du xrre siècle le vieil pntagonisme. national se
maintint. Et lorsque Philippe le Bel ou Charlcs VI vinrent au
secours des classes supériettres de la Flandre, les gens <Ie métier
superposèrent à leur haine de classe contre les ptrissants leur
antipathie nationale contre les souverains envalrisscttrs. Ces
deux postulats se confondirent done au lieu de s'exclure I'un
I'autre. D'<rù la fureur sacrée des Clauzaaerts cantre les Lelinerts,
tles Chaperons lJlancs à grilïes de lion contre Ics Chaperons
Rouges fleurdelisés. Pour ettx qui sont clcs patritltes, ces adver-
saires sont non seulement dcs exploiteurs, majs aussi des reué-
gats. Iilnfln, lorsque I'hilippe I'e Ilarcli conclut la paix avec les
Gantois, il apparaît netternent que ees derniers ne l'acceptent
que parce qu'il se présente en souverain national et non comme
agent des Valois. ('e point ne peut être perdu cle vue si I'on veut
bien comprendre le suceès prochain de la politique des ducs de
Bourgogne.

v
CHAPITRE II
LE DUCHÉ DE BRABANT, DE I2g4 A T383

Homogénéité et lngali$ne de la popula.tùon brabançonne (pp. f f9


et f 20). Caractère national et constitutionnel de son éaolution
-
démocratique (p. 120). La charte de Cortenbng [f8fz]
(p. 120).'
-'
III : la charte wallonne et la charte
Règne de Jean
-
flamande [1314] (pp. 120 et r2r). La coal:it:ion dE L384
(p. f21). -
1355 : Aaènement de Jeanne de Brabant et de
Wenceslas- de Luæentbourg (p. 121). La Jogeuse-Entrée
[3 janvier f356] (pp. f21-l28).
- entre Ia Flandre et
Gueme
-
le Brabant (p. 123). ---- Troubles démonattques' à Loutain
[360, f Sffi] ;déclin de l'ind,ustrie drapière brabançonne(p1t.lL}
et, r24).
* Iribertés, privilèg:es, bons usages. r
\

Alois que, au xrve siècle, la notion unitaire se pêrdait en


Flandre à cause de I'intensité des luttes sociales et des pous-
sées régionalistes, la population du duché de Brabant conciliait
ses aspirations démocratiques et ses penchants individualistes
avec une saine notion de I'intérêt collectif.
Le mouvement démocratique s'était manifesté plus taidi-
vement en Brabant qu'en Flandre; les villes y étaient encore
petites; leurs intérêts ne s'opposaient pas violemment à ceux
des campagnes, du clergé ou de la noblesse. La société braban-
çonng avait donc un aspect plus homog,ène, plus uni que celle
de la Flandre. De plus, elle était patriote et attachée à la
d.ynastie. EIle comprenait très bien que ses soul'erains mêlaient
étroitement les intérêts du pays à eeux de leur famille.
-120-
L'évolution démocratique fut aussi caraetéristique en Bra-
bant qu'en Flandre, mais tandis que dans le comté elle s'opérait
par la violence, surtout au profit du prolétariat urbain, et
tournait à I'exclusivisme démagogique, dans Ie duché, au con-
traire, elle s'opéra au profit de I'ensemble du pays, visa un
idéal commun de liberté et fortifia I'esprit constitution-
nel (r).
Les résultats aequis par les Brabançons ne furent pas dus à
des conflits épiques. Les ducs de Brabant, aima,nt le faste'et la
guerre, avaient beau aliéner leurs domaines et engager leurs
revenus, ils étaient toujours criblés de dettes. Leurs eréariciers
anglais, italiens et autres trouvaient tout naturel de mettre
sous séquestre les laines ou les draps appartenant à d'hono-
rables marchands du duché, afrn de se dédommager. Cette
situation était intolérable. Plusieurs fois, au eours du xrve siè-
cleo les puissants seigneurs, abbés et opulents patriciens bra-
bançons payèrent les dettes de leurs ducs. Ils obtinrent en
retour, au prix de transactions, de comproi'nis, de marchan-
dages sans grandeur mais pratiques, des actes écrits, protégeant
Ie peuple entier contre I'arbitraire du prince ou de ses
a$ents et accordant aux elasses priviligiées une part de
participation au $ouverrrement.
C'est ainsi que le duc Jean II (R,. Lzgû-LBLz), nature à la
fois faible et violente, dut, à la fin de sa vie, octroyer au duché
la charte de Cortenber$ (2) (27 septembre 1312), qui créait
un conseil de quatre seigneurc (ridderenl et, de dix bourgeois
(goeden nxannen), chargés de veiller au maintien et au respect
des libertés et privilèges du pays.
Malheureusement son flls Jean III (R. t8l2-1355), encore
très jeune et entouré de mauvais conseillers, n'observa pas les
stipulations de I'acte de Cortenberg. Bruxelles et Louvain
commencèrent par se liguer pour la défense mutuelle de leurs
privilèges (13f8). Peu après, comme le duc, accablé par les
dettes de son père et de son grand-père, demandait à ses sujets
des secours extraordinaires, la noblesse, les abbayes et les
a bonnes villes )) ne consentirent à de nouveaux sacrifrces gécu-

(1) Ireg libertés liégeoises, dont, il sera question &u chapitre suivant,
tendirent arfmême but.
(2) Réeidenoe ducale à mt-chemi:r entre Bruxelles et Louvala.
-tzt-
niaires qu'en échange de la charte wallonne et de la charte
flamande (f4 juillet fS14). Ces deux actes plaçaient le prince
littéralement sous curatelle : il ne pouvait plus disposer de ses
biens sans le consentement des représentants du pays. Ses
receveurs et officiers'de justice étaient responsables de leur
gestion devànt les députés des < bonnes villes r.
Ces mesures n'empêchèrent pas le fougueux et batailleur
Jean III d'avoir un règne brillant.lEn 1384, lui et ses sujets
soutinrent vaillamment Ie choc d'uhe coalition dans laquelle
figuraient Louis de Nevers, Guillaume Ier d'Avesnes, les comtes
de Namur et de Juliers, le duc de Gueldre, Adolphe de La
Marck, prince-évêque de Liége, et I'archevêque de Cologne. Le
chef de cette ligue, qui comptait prendre la revanche de la
bataille de Worringen, était le brouillon duc de Luxembourg,
Jean ltdveu$le, roi de Bohême, fils de I'empereur Henri Vff
(R,. fSOS-fBfB) et de Marguerité, s(Eur de Jean II. Le Brabant
fut assailli de tous les côtés mais sauvé par une médiation
française.
Pendant la guerre de Cent Ans, Jean IiI reprit la pcilitique
de bascule chère à ses prédécesseurs. Dernier descendant mâle
d'une famille illustre depuis le début du xrre siècle, il porta la.
gloire de' sa maison au plus haut point. En l347, il maria
simultanément ses trois filles : I'aînée, Jeanne, alors âgée de
vingt-cinq ans et veuve de Guillaume d'Avesnes, au tout
jeune (r) Weneeslas de Luxemboure, fils de Jean I'Aveugle;
Marguerite à Louis de Male (r,'oir p. 113); Marie au duc Renaud
de Gueldre.
Le règne de Jeanne (R. 1355-1406) et de'Wenceslas (R. 1355-
1383) allait assurer au Brabant la protection de I'empereur
Charles IV (R. f346-f368), frère du nouveau duc. Néanmoins
I'avènement d'un étranger alarma les villes brabançonnes, qui
venaient.d.e former une ligue pour s'opposer à un démembre-
ment éventuel de la principauté et pour garantir leurs privi-
lèges. Elles imposèrent à Wenceslas I'acieptation d'un acte
célèbre entre tous : la Joyeuse-Entrée (Blijde Inkomst), du
I janvier I356.
Cette charte fut le pacte fondamental qui servit de base
au droit public brabançon jusqu'à la fin de I'Ancien Ré$lme.

(1) Il n'étalt âeié que de douze ans,


122
- -,.
Elle symbolise l'ensemble des libertés belgiques' car s'il est
vrai que dans chaeune de nos provinces les souverains draient
pris I'habitude de prêter serment de fidélité aux privilè$es,
coutumes et bons usa$es du pays, lors de leur inau$ura-
tlon, dans aucune d'elles pourtant ces diverses lois n'étaient
condensées en ùn seul acte, comme en Brabant (l).
La Joyeuse-Entrée n'avait pas I'ordonnance sobre et majes-
tueuse qu'a,ura lq Déclaration des Droits de I'IIomme de 1789.
De même que Ia Grande Charte anglaise de 1215, c'était un
document long (59 articles), touffu, sans méthode, où il était
question de chàsse, d'énigmatiques chiens < à pieds non rae'
courcis > et d'autres objets seeondaires. Ayant avant tout pour
but d'assurer aux Brabançons cles garanties contre le despo-
tisme du prince ou de ses officiers, rencltis désormais lespoll-
sables de leurs actes,'elle était rédigée Sous forme né$ative et
lirnitative.
La Joyeuse-Entrée, æuvre d'un peuple patriote, stipulait
I'indivisibilité du pays et n'ouvrait qu'aux seuls Brabançons
1i'i'accès
aux emplois publics. De même, âucun Brabançon ne
pouvait être cité devant un tribunal étranger au duché. Pour
toute alliance, déclaration de guerre, cession de .territoire,
traite de commerce, autorisation d'extradition, le d.uc devait
avoir le consentement du < pays > (gemeen land), c'est-à-dire
des trois ordres : noble, clerc, tiers (délégttés des villes),
régulièrenient convoqués. En deltors des sessions, les trois
ordres étaient remplacés par une cornrnission perrnanente.
L'article fer déclarait que les Brabançons seraient traités par
droit et sentence. Aucune arrestation, sauf en cas de flagrant
délit, ne pouvait être opérée sans décret judiciaire. Chactut
avait droit à une justice naturelle, ré$ulière, impartiale.
Tous les sujets étaient égaux devant la loi, mais celle-ci était
appliquée par quantité de tribunaux divers, selon les usages
en cours au moyen âge.
Chacun avait le droit d'employer sa lan$ue maternelle.
Enfin notons, au point de vue intérieur, que les trois ordres
votaient eir toute indépendance les irnpôts, la frappe
'des
-rnonnaies et jouissaient de quelques autres prérogabives

(1) Sauf cepenclant dans Ia prlncipauté épiscopale de Liége (votr pp. 125
foruait un État inclépendant du reste d.es Pays'Bas.
et ss.), mair celle-ci
-\za-
qui leur donnaient en fait I'administration générale du
duché.
n La Joveuse-Entrée du Brabant, l dit dans un de ses ouvrages

I'historien belge Godefroid Kurth, < est un monument de droit


puhlic qui ne le cède sous aucun rapport à la Grantle Charte
d'Angleterrel et quand on voit fonctionner le régime qu'elle
eonsàlcre, on doit se dire qu'il diffère bien peu de celui dont
nous jouissons aujourd'hui >. Ce jugement est un peu excessif.
La Joyeuse-Itrntrôe garantissait certes les grands droits indi-
viduels : liberté personnelle, inviolabilité du domiclle, ete.,
rnais on n'y trouve pas tracc rles libertés soeiales qui sont Ie
fondement des Constitutions démocratitlues contemporaines.
f)e plus,le pouvoir léeislatif intervient aujourd'hui d'une manière
beaucoup plus complète clans les allaires extérieures et inté-
rieures des pays parlementaires que les dignes Etats du temps
cle Wenceslas. Par contre, la Jo5'suse-Entrée se terminâit par
une stipulation que les Constitutions aetuelles rejettent comme
révoltrtionnaire çu toub au moins comme inopportune : le
droit de résistance au prince, rlans le cas ofi il n'observerait
pas ses engagements.
Wenceslas, souverain morr et sans sincérité, eut un règne assez
incolore. Quelques mois après son avènement, Louis de Male
lui chercha chieane au sujet de la suceessiort de sa femme
I\'{arguerite. Le 17 août. 1356, les Brabnnçons, surpris par une
brusqrte invasion, furent complètement ba'ttus au hameau de
Seherrt (Anderlecht) prr)s cle Bnixelles. La capitale ne flt, il est
vrai, pas longtemps occupée par I'ennemi. IJn jeune seigneur,
Everard T' Serclaes, accompagné cle rluelques hardis com-
pagnons, la délivra par un assaut dans la nuit du 24 octobre.
Le tnrité d'Ath (voir p. lf 4) n'en fut pàs moins'désastreux pour
le duché.
Vers 1360, un mollvement démoeratique, eomparable à celui
qui eut pour théâtre la Flandre au siècle précédent, éclata à
Louvain. ltrn Brabant eomme ailleurs les lignages s'étaient
emparés du gouvernement'des villes. Les corporations récla-
mèrent le droit d'oecuper rtne moitié du magistmt, oir jus'
qu'alors I'opnlente gilcle de la draperie (Iakengit'de) avait dominé
sans corrteste. Le maïeur Pierre Coutereel, gardien des préro-
gatives rlueales, prit position contrc les lignages. Soutenu en
secret par lYenceslas, gui haïssait I'brgueil des patriciensr:
124
-
Coutereel fomenta une insurrection des tisserands, et fit arrêter
cent septan{,e-cinq nobles. Mais sa dictature alarma le cluc qui
le força à se rctirer à I'arrière-plan. Après sa mort, les luttes
communales se prolongèrent; .les démocrates de f .ottvain, '
inspirés par I'exemple de leurs frères liégeois, ne cessaient de
réclamer leurs droits. En 1383' une bande de f.orcenés < défe-
nestra r dix-sept patriciens rétirgiés dans I'hôtel de ville, ce qui
ohUgea \\renceslas à venir en personne rétablir I'ordre dans la
cité. LeS hautains patrieiens finirent par tolérer la présence des
gens de métier dans l'échevinage; malheureusement, I'industrie
drapière, minée par ces trouhles .qui avaient eu 1su1 1éper-
cussion à Bruxelles, alïaiblie aussi par la concurrenee anglaise,
entra en décadence. Beaucoup de tisserands partirent pour
I'Angleteue ou pour le norcl des Pays-Bas.
CHAPITR,E III
LA PRINCTPAUTÉ DE LIÉGE,
DE LA FIN DU XIIU A I,ê FIN DU XIVC SIÈCLE
{,.

Histoire eætérieure d.e ta prùncipauté (pp, 125 et 126). Les


princes-érsêques (p. 126). La charte d'Albert de Cuyclt-[f f 98]
(p. 126). - de Ia noblcsse et des oilles dans la
Rôle du clergé,
principaurC - (pp. 126 et 127). -- Caractères fondamentauæ de
l'histoire de la pille de Liége; les Grarids et les Petits (p. f 2?).
f,6 tribun Henri de Dinant; la paiæ de Bierset 251] (pp. f 27
-et I28). Pragyès des Petits au début dr,t XIVI [fci,ècle (p. 128).
La Male- Saint-Martin fnruit du 3 au 4 aofit 13021 (pp. f28
-et r29).
d'Adolpthe de La Murclc : paiæ de Feæhe [I8 juin f8f6]
(pp. f 29 et f 30); nouaeauæ confl,its; 1343 : Lettre de Saint-
Jacques et paiæ des XXII (pp. 130 et f31). Règne
d'Arnould de Hornes; ,le Règlement de 1384; les Qrands
perdent leur puissance gtolitique (p. fSf ).

o Pays de Loi et rle Raieon. ,

L'histoire extérieure de I'Etat liégeois ol'fre, eomme celle


des provinees voisines, un aspect complexe et, assez dénué
d'intérêt. Rien'que bilingue, la principauté prend rapidement
eonscience de son unité temitoriale. A la bataille de Steppeso
en 1213, chevaliers clu eomté de Looz, bourgeois hutois et
dinantais. bouchers liégeois nunis cle leurs terribles couperets,
rivalisent de z.êle patriotique. Dans lcurs interminables conflits
aveç leurs voisins, les princes-évêques se sentent généralement
-126-
soutenus par leurs sujets. Longtemps leurs relations avec les
ducs de Brabant furent marwaises; mais le courant éeonomique
qui tendait à rapprocher les Etats des Pays-Bas, au xrve siècle,
âmena une réeonciliation : le prince-évêque Englebert de La
Marck et le due Jean III conclurent une alliance, Ie 2I sep-
tembre 1347, sur le rnodèle clu grand traité flamand-brabançon
de 1339.
lout.l'intérêt cle I'histoire de la principauté réside dans
son évolution intérieure. Alors qu'aillçurs nous avons vu
se nouer des relations étroites entre les dynastes et leurs
srrjets, ici les souverains sont des étran$ers, sans attaches
dans Ie pâys. Elus par le chapitre de la callégiale de Saint-
Lambert, confirmés par le pape, investis par I'Empereur, ils
n'arrivent au pouvoir <1tt'après bien des brigues et des cabales
dans lesqtrelles Ernpereurs, papes et rois de F-ranee jouent un
rôle actif et conf.us. Les uns sont excellents, lcs autres médiocres
ou exécrables. Après la brillantc série des représentants du clergé
impérial (xre s.), il n'v a pltts à mentionner, atl xrre siècle, gue
I'admirable ér'êque Albert de Cuyck (R. 1f94-1200), lequel
octroya, en 1198 (dix-sept ans avant lar, promulgation de la
Grande Charte !), tme charte à toute la principauté, posant
les principes de la liberté individtrelle, dc I'inviolabilité du
dornicile et du juSernenf t< pâr droit et sentence rt.

Trois elasses sociales jouent, àLt xure siècle, un rôle important


dans la prineipauté : le clerp,é, la noblesse, Ies villes.
Le clergé était dominé par le très riche chapltre des soixante
chanoines de Saint-Lilmbert, composé dc nobles et de bourgeois
opulents, arrogants et bataillcurs.
La noblesse, nombreuse surtout en lfesbaye, était très inrté-
pendante, turbtrlent.e et grossière de mæurs. Beaucotrp de
ses membres devenaicnt routiers. Iille se ruinait et se déci-
mait dans d'interminables guerres privées. Soud le timoré
Jean dlEnghien (R. 1974-1zttl), la $uerre de la Vache, qui
rlébuta par la pendaison tl'un rustaud coupal:le tl'avoir volé
une génisse à'Cinery, mib aux prises lcs seignertrs du Condroz et
eeux du Namurois. Iflle clura trois ans eb rendit nécessaire un
arbitrage dtr roi de France I'hilippc IIL Un peu plus tatd
éclata la < $uerre d'amis r, terrible vendetta surgie pour un
motif futilc entre les familles des Awans eb des \ilaroux. Ellc
dura trente-neuf ans, de 1296 à fBBS !
_127_
Les vingt-deux < bonnes villes ,r suivaient en tout l,irnpulsion
de la capitale : Liége. Celle-ei, rnétropole ecclésiastique peuplée
d'églises et de couvents au début du xrrre siècle, s'industrialisa
peu après. Son hi.stoire. présente deux aspects qui souvent se
pénètrent 2

a) Les conflits entre la ville et le prince à propos cle la


délimitation de leurs pouvoirs respcctifs;
b) Les luttes sociales entrê Grands et Petits. Les Grands
ou Cltains étaient Ies riches et orgueilleux patriciens : rentiers,
drapiers et changeurs, a,uxquels se joignirent bientôt des maîtres
de forges, des fabricants cl'armes, cles propriétaires de houil-
lères; ils dominai&rt ta Cité. Les Petits étaient représentés par
des. eorporations d'artisans indépendants, petite bourgeoisie
que subrnergea plus tarcl la classe prolétaricnne des houilleurs.
Un des buts cle la lutte des Petits contre les Grands était de
réduire la puissance de l'échevinage clont les membres tous
patriciens étaient nornmés conjointement par le -prince-
évêque et le- chapitrê.
Vers Ie rpilieu du .xrue siècle, Ies eorporations prétendirrent
choisir elles-rnêmes I'un cles deux bourgmestres ou rnaîtres à
ternps de la ville. A cette époque l'élu (l) cle la princip:ruté,
le jeune Henrl de Gueldre (R. tà47-t274) était en mauvais
termes avec les lignages. Un politique éloquent, Henri de
Dinant, profita de ces diseordes poru se faire nommer maître
ri temps par le patriciat. Une fois éhr, il s,affrrma ouvertement
partisan de la démocratie et hri donnar, le n-roven de se défendre
en partageant Liége en vingt quartrers ou < vinâves ), chargés
d'armer chacun deux cents bourgeois. De plus, il fbrma une
fédération des a bonnes villes ,. La poprilariLé dc Henri de
r)inant, surnornmé le a père rlu peuple r,, fut au eomble lorsque,
s'appuyant sur une stipulation rle la rùrarte d'Albert de Cuyck,
il rre pt-.rmit pas que Ies milices liégeoises prissent part à une
expédition contre Marguerite de Constantinople. Selon lui, la
querelle des d'Avesnes et des f)ampierre n'intéressait nullement
le peuple liégeois. Alors le elergé, la noblesse, la haute bour-
geoisiè et les princes voisins, alarmés par cette indépendance
cl'allures. se liguèrent contre les Petits.

(1) ce titre d'éIu était d.onné au priirce qui n'avait p&s encore reçu la
'
consécration éplscopale.
.: 128
-
Au bout de trois ans de guene civile, les habitants de Liége
assiégée succombèrent aux privations. Ils furent heuretur
d'accepter, en 1251, la paix de Bierset (1), qui sacrifiait le
tribun. Ilenri de f)inant, proserit, se réfugia à la cour de Mar-
guerite de ConstantinoPle.
cinquante ans plus tard, les suecès des communiers flamands
à Groeninghe rendaient coura,ge à la démoeratie liégeoise.
Soutenue par le chapitre de Saint-Lambert, elle obtenait,
en 1302, que le sqnsgntement des corporations ftrt désor'
mais nécessalre pour établir des taxes, engager les revenus
publics, faire cles dons au prince-évêque et lever des milices.
En 130?, la paix de Serain$ lui accordaitgtte I'un des deux
maîtres à temps tùt c|oisi,parmi les genÀ de méticr. Le nombre
des corporations fut porté de d.ouze à r'ingt-einq.
En lBl2, la situation était très tendtie entre les Itetits, r4ffer-
mis par leurs recents suecès et hypnotisés par la Flandre, et
lcs Grands qui, par réa.ction, surnommaient lelrs fils < enfants
de France >. Le prince-évêque Thibaub de Bar venait d'être
tué à Rome, au cours tI'une expédition où il accogPagnait son
suzerain, I'empereur Henri vII de Luxembourg. ff cltiinoit-'
-
avaient nommé un mambour, e'est-à-dire un ai inisti'" -''
provisoire : Arnould de Blankenheirn, grand p ;vôt de r
chapitre. Les Grands tirèrent parti de cet ôtat de choses insta';t
pour trrréparer un eoup d'Etab. Ils s'abouehèrent en ser:ret, à
Huy, avec rles gentilshommes de la faetion des waroux. Il fut
décidé que, dans la nuit, du 3 au 'l aofit, les patriciens s'enrpa-
reraient des portes de la ville et les ouvriraient devant une
almée féoclale eommandée par Arnould, cornte de Looz'
cette conjuration fut dévoilée âtrx métiers. A I'insu <les
Gran<ls et pendant que ceux-ci se réunissaient mystérieusement
à leurs lieux de rendez.-vous, ils tenclirent cles chaînes à travers
les rucs et doublèrent les postes stlr les remparts. Les bouchers
sc eachèrent daps la halle erux viandes, le ntambour et les cha-
noines dans la cathédnrle. Soudain la grande cloche du bel't'roi
se met à sonner; de toutes parts des homrnes al.més se préci-
pitent sur les eonspirateurs patriciens qtti, déconcertés, battent
lentement en retraite vers tlne hauteur nomméô le Publemont.
Jusqu'à I'aube ils y tiennent tête à leurs adversaires, puis

(f ) Viltage è proximlté de Llége, dans la dtection do Waremme'


-129*
les derniers sttrvivants, deux cents environ, cherchèrent rrn
trbri dans l'église de Saint-Nlartin. Entre-temps, le comte de
Looz, soupçonnant un échec, s'était éloigné avec sa. petite
armée. Au matin, les houilleurs d'Ans, armés de leurs pics, les
paysans du pllteau hesbignon, munis de fourches et de faux,
vinrent fraterniser avec les vainqueurs. Exaspérés pàr le
trépas du vaillant Blanl<enheim, les Iletits incendièrent le
dernier refuge des Grands et massacrèrent ceux qui essayaient
d'éeha.pper aux flamlnes !
Cette sanglante vietoire tle la démocrutie, célôbre dans les
annales liôgeoises sous le nom de Male Saint-Martin, eut une
conséquence irrçédiate. Le 14 {évrier I.313, la paix d'An-
$leur (t) anéantissait la puissance politiquc des Grands.
Conrme en Flandre, la clémocratie exigea I'inscription préa-
lable sur les re$istres d'un rnétier de tout candidat au
Conseil de la Cité lConseil des jurés et eonsaulx). Ce collège
municipal, peu important eneore au xure sièele, s'était petit à
petit rendu indépendant de l'éehevinage et allait désormais
tranehcr hardiment sur toutes les questions publiques.
Cepenfrt la guerue eivile n'titait pas terminée. Le nouveall
prince-ér$ue Adolphe de La Marck (R. 13f.3-r344) avait été
élu sotrs l&patronage de I'hilippc le Rel. C'était un agcnt de la
politique centralisatrice et annexionniste du roi de Franee.
De plus, son caractère batailleur devait le mettre en conflit
avec les métiers triomphants. Craignan't leurs empiétements
sur ses prérogatives souveraines, il les combattit plus ou moins
ouvertement pendant trois ans, rnais dtrt, en fin de compte,
leur octroyer la paix cle Fexhe (2) (18 juin l316).
Il y a beaucoup d'analogies cntre la paix de Fexhe et la
Jcryeuse-F)ntrée. Elle aussi' manrlue d'unitti et de méthode,
exerce sorr aetion sur I'ensembledu temitoire et a pour
but de protéger les franchises, privilèges et coutumes
contre I'arbitraire du souverain. Mais ici les trois ordres :
chapitre, notllesse, bour$eoisie, forment une assemblée
nommée le Sens du Pays, qui joue un important rôle légis-
latif. Elle r.eille à I'observation des coutumes, les modifie sans
Ia collabor'âtion du prince, statue en matière d'impôts, déter-

(f ) Villaee près du confluent de I'Ourthe et de la nfeuse.


(2).Viila€ie Elesbaye, entre Liége et Waremme.
cLe
F. vAN KALKEN. rrrstornn DE BELGreur,. 1924.
- -
-180-
mine le chiffre et la nature des dépenses. Elle peut' se réunir
spontanément et eonserve un cara,etère de continuité, pendant
les intervalles entre les sessions périodiques, par I'intermédiaire
d'une députation Permanente.
Dans Ia paix de tr'exhe' nous retrouvons attssi le prineipe
solennel déjà précisé par la charte d'Albert de Cuyck -- du
jugement- par le iuÉe naturelr n'agissant que ( par loi et sen-
tence l. Si le prince viole ses engagements, ses sujets s'aecordent
le droit de résistance, mais seulement après appel au eollège
des chanoines de Saint-Lamhert. Ilnfin, le princelévêque à son
avènement, Ies chanoines, les officiers goqvernementaux, les
échef ins, les nraîtres à temps, les jurés du ctrseil communal,
Ies ( gouverneurs ) des métiers, totts rentlus responsablesr '

sont obligés, à leur entrée en fonctions, de prêter le serment de


r, tenir et wa,rcler u le pacte de Fexhe, éntanation de la volonté
du pays. Comme la Joyeuse-Flntrée, la Constitution liégpoise
servit de palladium à la démocratie jusqu'à la Révolution
française'!
Les tt bonnes villes > de la principauté, dévottées I Liége et
entretenant entre elles d'exeellent,s rapports, étaient|ien déci-
dées à faire respecter leur Grancle Charte. D'autld part, Ia
capitale voulait préeiser ses droits à l'égard tlu prirfce-évôque.
De là une série tle conflits armés avec Adolphe de La Marck
qui, lui-même cortpable tl'attenta,ts incessants eontre les droits
. de ses sujets, accusa.it non sans motifs Liége et les autres villes
d'empiéter stu ses droits de justice et de coufisquer ses revenus.
Bref, après plusieurs hatailles, paix et amnisties, un tlouble
eompromis râ,menâ, le ealme dons le PaYs, en 1343.
a) A Liége même, la Lettre de Saint-Jacques (r) rédttisit
le rôle des métieis. Ils ne purent désormais élire qu'un <les deux
bourgmestres et la moitié tlu eonseil des jurés et consaulx:
b) Pour la principauté entière, la Paix des XXII créa une
Cour, composée de quatre chanoines, de quatre <lélégués de la .
noblesse et de quatorze représentants des villes, choisis à vie
par le Sens et ehargés de trancher' par la voie de I'arbitrat,e,
les tronflits entre le pays d'une part et, de I'autre, le prince-
évêque ou ses officiers, < de petits jrrsques au plus grand ,r.

(1) C'éteit à |a Salnt-Jacquee que les ]Jtégeots élleaient annuellement


loule deux maitres à tompg.
-t3r-
Ce tribunal devait se réunir tous les mois, faire des enquêtes
approfondies et prononcer des sentences sâns appel.
Adolphe de La Marck ne survécut que d'un an au suecès des
<r gens de boutique >r. Son successeur, le vindicatif et germanisé

En$lebert de L,a Marck (R. fg45-f364), dut,la rage au cceur,


s'incliner devant la puissance communale. Celle-ci ne fit que
croître et, sous le règne du bon Arnould de Hornes (R. 1878-
1390), le peuple reconquit même, par rrn travail de sape con-
stant, ses positions perclues à Liége par la Lettre de Saint-
Jacques. Le Règlenrent de 1384 rétablit les stipulations de
la pa,ix d'Angleur. La caste des Grands disparut de la scène
politique. Les trgnte-cleux rnétiers Iiégeois jouirent d'.r1r* égalité
absolue; ensemble ils nommèrent les tleux maîtres à temps et
les tleux cents jurés et conseillers du collège munieipal. Deux
ans plus tard, l'écheùinage, eantonné strictement dans des
fonctions judiciaires, perdit même le droit de formuler des
arrêts souverains.
CHAPITRE IV

LA VIE ÉCOT.UOMIQUE ET SOCIALE


DANS LES PAYS.BAS AU XIVO SIÈCLN

Analogie entre la société n" irrt" et celle ùr, XIVe siècle(p. f 32).
Prospérité économique au XIVI siècle (pp. t32 et IBB).
-Les" Cours; les hisioriographes ; Jean Froissart (p. f æ). -
RôIe ù.c clergé; la décadence des mæurs ; Ies -
sectes nouaelles;
Bloemardine (pp. 133 et 134). -- Les u Frères de la Vie com-
'n'tlr,ne >; Jean aan Huusbroec (p. 134). Rôle social des
-
grandes Communes; laicisation de l'enseignem,ent et de la bien-
faisance (pp. f Ba et 135). La littéroture fl"amande et Ia ques-
tion des langues au XIVe -siècle (p. IB5). f,)sysfuitecture reli.-
gieuse : les grandes églises de style o{ioal- secondaire (.p. lB5
et lit6). La sutlpture (p. 137). L'architecture ciaile : Ies
halles de -Bruges (p. 137). -

La société belge du xrve sieicle ressemble à celle du xrue.


Aussi pourrai-je me borner à relever, dans ce chapitre, les siml-
litudes et les différences essentielles entre les contemporains
des Van Artevelde et ceux de Ferrand cle Portugal, au point
de vue économique et social. Sauf pendant les périodes de
guerre civile aiguë, I'agrieulture, le conrmerce et I'industrie
jouirent, dans nos grands Etats surtout, d'une prospérité
incomparable. Les Trois Membres de Flandre rivalisaient
d'efforts; dans le Brabant, l',inclustrie draplère prenait une
remarquable extension : Louvain possédait deux mille quatrç
cents métiers à tisser et vendait en France, en Angleterre, dans
le Saint-F)mpire, ses somptueux clraps écarlates. Bnrxellés,
_r38_
Anvers et Malines oecupaient des miliers de tisserands, de
foulons et de teinturiers, sans parler des autres industries,
eomme la tannerie et le brassage de la bière. De riches armateurs
malinois envoyaient leurs galères sur les côtes du Levant et
d'Egypte pour y acheter les produits de luxe de I'orient. Dans
le pays lossain (l), saint-Trond avait des tissages florissants.
Les villes de la Meuse se cléveloppaient et ee fleuve se couvrait
de bateaux et dc trains de bois.
Q'oique jouant un rôle politique plus effacé, la noblesse reste
rtn faeteur de culture intellectuelle. Eile fréquente de plus en
plus les cours ducales et comtales des pays-Bas, qui forment
des milieux délicats, français d'expression. Le gofit pour les
chansons de geste et la poésie amoureuse )r est en déclin, bien
que nous voyions encore Jean III de Brabant composer, en
'flamand, des pièces de vers galants. La mode est aux <r dicts
moraux n, allégories assez ennuyeuses, et aux mémoriaux. Nos
petits d5znastes se piquent d'avoir leurs historiolraphes et,
parmi ces derniers, il en est qtri s'élèvent de beaucoup au-dessus
rles anciens chroniqueurs. citons re chanoine liégeois Jean le
Bel, éerivain original qui fut un des familiers de Guillaume rer
d'Avesnes; citons surtout Jean Froissart (f SSZ + l4l0), de
valenciennes, poète de cour, auteur impartial et éelairé de
chroniques eomposées au cours cle voyages incessants dans
toute I'Europe. < Clerc et f'amilver l de 'la reine d'Angleterre
Philippine de Hainaut, femme d'Erlouard rrr, Froissart fut plus
tard au service de Jeanne de Brabant et de Wenceslas.
Le clergé du xrve siècle n'a pas encore retrouvé re caractère
de haute dignité qu'il a perdu aux siècles précédents. cepen-
dant combien nécessaire serait, èn ees temps troublés, son inter-
vention moralisatrice ! Les mæurs du peuple sont encore vio-
Ientes. Beaucoup de gens ne < songent qu'à la mangeaille ,.
Dans les tavernes, ( on boit tant qu'on en perd la mémoire r;
les jeux frauduleux font fureur; les rixes, les batailles au couteau
y surgissent pour des motifs futiles ! La morale publique subit
Ie contre-coup des événements du siècle. Le contraste entre le
prolétariat ouvrier et Ia ploutocratie urbaine, luxueusement
vêtue, gavée de < pâtés, tartes, flans, bière, vin, gingembre,
épices fines >, devient de plus en plus vif. Ajoutons aux effets

(1) Ire comt6 de IrSoz,


-.184 -
et
des conrmotions sociales ceux de plusieurs grandes famirtes
épidémies, telles que la peste de 1348 et IB49 !Voici que sur-
gissent des sectes étranges : les Bé$ards,qui forment des com-
irunautés d'hommes sur le modèle des groupementsde béguines;
Ies Danseurs, qui tournent frénétiquement.sur eux-mêmes;
les Lollards ou Alexiensr qui susurrent des invocations
incom-
préhensibles en soignant les malades et en enterrant lcs morts;
ies Flagellants, qui, revêtus de robes marquées de' croix''
forment des processions nocturnes et se frappent mutuellement
de fouets à, pointes de fer pour apaiser la colère divine !
La foi
se transforme en un mysticisme fiévleux. A Bruxelles, la femme
Bloernardine exalte I'amour séraphique et s'entoure d'adeptes
extasiés. Ici se forment des comtnunautés dont I'esprit de
fraternité tourne au communisme; ailleurs, les croyances
ébranlées ér,oluent vers le panthéisme ou le nihilisme intellec-
tuel. Dans le Brabant, la foule surexcitée traque et rnassacre
les Juifs !
cependant, quelques flguies nobles et douces surgissent dans
le mônde ecclésiastique. A la fin du xlve sièele, le prédicateur
Gérard de Grooté, de l)eventer, crée le groupement des
Frères de la vie cornmune (bfoeders uan het gemeene lasm),
hommes paisibles, priant et travaillant en eommun' heureux
lorsqu'ils peuvent se retirer in een hoeltslten nxet een boelt'sken
(l)'
Ces Frères, dits encore hiéronymites, créèrent d'excellentes
écoles (enseignement du latin et parfois.du grec et de I'hébreu)
et réformèrent la pédagogie embryonnaire de l'époque' IJn'
chapelain de sainte-Gudule, collégiale de la capitale du Brabant,
Jean van Ruusbroec, le d'octor. eæstat:icus, fonde' en 1343' une
communauté religieuse à Groenêndael, au milieu de la forêt
de
Soignes, près de Bruxelles, et y rédige en flamand plusieurs
ouvrages,enuneproserythméefortbelle'décrivantles
états par lesquels pu*r" l'âme pour atteindre I'extase inex-
primable.
La eivilisation du xrve siècle est, comme celle tle l'âge pré-
eédent,urb4ine,maisdepluselleestdémocratique.Nos
grandescitésdesFlandresétendent<lanstouslesdomainesleur
i".rro' d,action, Elles continuent à laiciser I'enseignement pri-
maire et mettent sur pied un enseignement secondaire esti-

til Daqt-,- petit coin eYec un livre (in' angello eumllbello)'


-135-
mablec Prodtant du désorclre qui règne dans les fondations
charitables, administrées par des religieux, et de la multipli-
cation des mendiants professionnels, elles eréent des a Chambres
des pauvres' r, des hôpitaux, des n tables du Saint-Esprit r
ou listes des indigents à secourir dans chaque paroisse. Cette
ingérence laique dans un domaine 'précédemment ,réservé à
I'Eglise ne se produit pâs sans conflits violents avec cette
dernière.
Les villes de la Flandre et du Brabant sont des,milieux de
culture flamande. Thioises sont les ballades mélancoliques
que ihante le peuple et les idylles que narrent les conteurs de
cârrefbur. llhioises aussi sont les Brabantische Yeesten, chro-
niques rimées patriotiques du clerc d'échevinage brabançon Jean
' Boendale (f280-f365).'Cet auteur, soinspirant des modèles de
Van Maerlant, ne recula pas clevant l'élaboration d'une ency-
clopédie de toutes les connaissances utiles, en vingt-deux mille
vers : le Der Leeken Spieghet (Le miroir du laique).
nt'- ( Ce progrès du flamand est en connexion directe avee l'épa-
5'*lÉ nouissemlnt de la démocratie urbaine. Néanmoins, I'opposition
linguistique entre les classes riches et le peuple (ou entre les
villes wallonnes et flamandes de nos diverses principautés) ne
donna pas lieu à des conflits. L'ernploi dq latin étant tombé
en désuétude, les administrations communales édictèrent des
règlements et ordonnances bilingues. Les relations écono-
miques et sociales entre Flamands et Wallons étaient nom:
breuses. Ils se voyaient fréquemment aux fêtes interurbaines.
Pour se comprendrer les classes aisées apprirent les deux langues,
dès I'enfance. L'habitant des Pays-Bas, au moyen âge, était
rlone essentiellement bilingue (Lotharingius bil:i,nguisJ.
Loart religieux a produit dans les Pays-Bas, au xrve siècle,
quelques æuvres architecturales de premier ordre. Les églises
sont presque toutes de style opival rayonnant orr sècondaire,
style caractérisé par des ogives équilatérales, des vofrtes en
tiers-point (l) ,et de superbes rosaees polylobées. De cette
époque date l'église cle Saint-Bavon, à Gancl, vaisseau puis-
i
sant, à tour massive, où s'allient avee adresse la pierre et la

(1) Iravotte en tierc-point s'obtient en divisant la base en trois partles


ég:ales et en traçant, de chactrn de ces points pris comme centres, des arcs do
'cercle se couPant.
-186-
brique. Mentionnons aussi la plus belle de nos églises ogivales

(Phrtto Nels-)
LES HALLES DE BRUGES
Occupant un des côtés de la Grand'Place, ces halles
aatent àes xrrr" ct xrv" siècles, mais ellcs ont été trans-
io"ÀÀ"" dans !a secondc rnoitié du xvre siècle' Le bef-
irôi,-pu" contre, &vec scs dcux étag:es carrés à tourelles
;1 aôn couronnement octogonal, est resté entièrement
àans le style de la période urbaine démooratique.

secondaires : celle de Notre-Dame, à IIuy, si élégante avec


ses longues fenêtres et sa rosâce épânouie.
-137-
La seulpture reste étroitement unie à I'architecture. Elle
eouvre les portails et les murs des cathédrales d'images, tantôt
purement religieuses, tantôt reproduisant des scènes de Ia vie
ordinaire avec un humour parfois outrancier. Certains < ymai-
giers > ott beeldsniders se spécialisent dans la confection des
plaques tornbales de pierre ou de laiton. Le n maistre ouvrier
de- thombes r Andrieu Beaunepveu, de Valenciennes, eut une
renommée européenne.
Quant à I'architecture civile, elle nous a laissé les halles de
Bru$es, vaste parallélogramme construit de 1284 à 1864,
dominé par une tour géante (102,50 mètres), témoin de la
ferveur civique avee laguelle nos aîeux édifiaient les monu-
ments consacrés à I'immortalisation de letrr puissance.
SEPTIÈUN PARTIE

LES PAYS-BAS SOUS LES DUCS


DE BOURGOGNE
(XVe siècle.)

CHAPITRE PREMIER

LES PREMIERS DTTCS DE BOURGOGNE


(1884-r4re.)

Margunùte d,e Male épouse le duc de Bourgogne Phil'ippe ln,Hardi,


[1369] (pp. 188 et 139). - Règne de Philï'ppe le Hardi
(p. 119). (Jnions matrim,oniales entre les ntaisons de Bour'
- Baaière fl385l (pp. 139 et f40).
gogne et de Antoine de
Bourgogne hiri'te dn, Brabant (p. f40). Mort-de PhùI;ùppe l'e

Hard,i (p. 140).


-
Règne dz Jean sans Peur (pp. r4O et l4l).

(pevisl li 3:i* Lll'


""*.,
' Marguerite de Male, fille du comte de Flandre Louis dq,
Male, avait épousé autrefois Phitippe de Rouvre, duc et comte
de Bourgogne (2), eomte d'Artois. ce prince étant mort en 1361,

(l) Je tiens.
(àl fre coMTÉ or BouncoeNp ou f,'n,tNcnn'CoutÉ avait pour capltale
Besangon, sur le Doubs. II s'étendait entre la saÔne et, le Jura. Le nocsÉ
DE ,BouRcooxo avait pour capitale Dlion et s'étendait à I'oueet d'e la
tr'ranche-Comté.
_180_
Matguerite s'unit en seeondes noees, le 19 juin 1369, à Philippe
le Hardi, deuxième fils du roi de France Jean II le Bon (R. f 350-
f364). Philippe avait gagné son surnom à la bataille de Poitiers
(1356) où, âgé seulement de quatorze ans, il avait vaillamment
combattu les Anglais aux côtés de son père. Pour le récom-
penser, Jean II lui avait octroyé, en 1303, le duché de
Bourgogne. D'autre part, Philippe de Rouvre étant petit-
neveu et parent le plus rapproché de Marguerite cle Frattce,
mère de Louis de Male, ce dernier avait fini par hériter
<leIa Franche-Cornté et de I'Artois. En 1384, à la mort
de Louis de Male, I'altière Marguerite de Male entra done
en possession de ces tenitoires, ainsi que de la Flandre
(y compris la Flandre gallicante) et des comtés de Nevers et
de Rethel.
Phtlippe le Hardi (R.. f384-1404) (r) ftrt, depuis ce moment,
un des prinees les plrrs fastueux de I'Europe. Toute son atten-
tion bontinua à se eoncentrer sur les affaires de France, pays
dont il fut régent après Ia mort de son frère Charles V (f380)
et lorsque sdn neveu Charles VI fut devenu fou (f S92). Ignorant
la langue flamande et les mæurs du pays, résidant rarement
en Flandre, le nouveau comte n'entrevit eertes pas eneore la
possibilité d'identifier les destinées de tous les Pays-Bas à celles
de Ia dynastie de Bourgogne. lVlâis étant prince sagace et qui
< véoit au loin r, il se garda bien d'agir en étranger dans ses
nouvelles possessions. Il flatta Ypres et Bruges qui I'avaient
accueilli avec défiance; il sut dominer son orgueil de Valois et
se réconcilier avec Gancl sans'imposer à la fière cité des condi-
tions humiliantes. Il veilla à la défense des intérêts commer-
ciaux de la Flandre, conclut avec I'Angletene une trêve laissant
le comté en dehors du conflit franco-britannique et prit des
mesures.pour réparer les désastres provoqués par une guerre
civile de six ans. De plus, ce diplomate avisé augmenta la
puissancc de sa famille par d'habiles unions matrimoniales.
En 1385, son fils Jean de Nevers, àSé de quatorze ans,
épousait à Cambrai Marguerite de Bavière, fille d'Albert
<le Bavière, régent des comtés de flainaut, de Hollande
'et de Zélande à la placer de son r frère, le dément Guil-

(1) Voir le tableau généalogique, p. 142.


r-- 140
-
laume même jour, Marguerite de Bourgogne (sæur
III (f). Le
de Jean), fillette de onze ans, épousait le frère de Marguerite
de Bavière, le futur comte de Hainaut Guillaume IV.
Quelques années plus tard, en 1393, I'heureux Philippe pou-
vait désigner son fils puîné, Antoine, comme futur duc de
Brabant. La vieille comtesse Jeanne, veuve de Wenceslas,
n'avait pas d'enfants. Fatiguée par ses querelles avec le duc
de Gueldre et effrayée par la hardiesse croissante des Com-
munes, elle avait pu, non sans soulagement pour elle, amener
les trois ordres du duché à reconnaître sa nièce Marguerite de
Male comrne son héritière (fSgO) (2).
En 1404, Philippe le Hardi mourut inopinément, à Hal,
fl avait
<l'une maladie contagieuse, un an avant son'epouse.
solidement établi sa maison dans noi contrées. Cent ans plus
tôt, pareille mainmise eût été l'équivalent doune annexion de
nos provinces à la France. Nfais, depuis lors, chacune d'elles
avait pris conscience de sa personnalitti.

,l *rt

.fean de Nevers, fils aînÉ de Philippe le Harcli, fut bientôt


célèbre sous le nom de Jean sans Peur (R. f4O5-1419). C'est
une figure énigmatique que celle <le ce petit homme vif,. san-
guin, colérique, au visage glabre et à l'æil perçant. Il domine

(f ) MarEuerite d.'Aveeneg (voir p. 102, note 1),


ép. Louis IY do Bavière,
Empereur romain germanique.
Guillaume III Albert d.e Bavièro,
l'Insensé. régent d.es trois comtés.
t r356. t 1404.

,i:'ilËiT,*',i:, à$ff#H 'iii#Jillï:'


ép. en 1385
Ep. en 1385 élu la d.e
l\{arguerite Jean d.e Nevers princlpauté
d.o Bourgogne. (futur de Liége.
Jean sans Peur), (R. 1390-14f 8.)
Jacqueline duc
--/v----
de Bavière. de Bourgogne.
(9) A cette occasion, Philippe le. Harili restitua Malineg et Auvers au
Brabant.
*
-,1{l
toute l'histoire de Franee du tlébut du xve siècle et, dans la
sombre lutte des Bourguignons contre les Armagnacs, il se
révèle à la fois orgueilleux, vindicatif, sans scrupules, circon-
spect et adroit. Acteur principal dans la plus sanglante des
tragéclies, il ne peut être jugé selon les normes de la morale /,
courante. A tout prendre, il n'est pas franchement antipathiquè.
*"L" due .fean résida presque toujours en France. Néanmoins
il ne considérâ jamais ses Etats des Pays-Bas comme des pos-
sessions lointaines. Son père. lui avait donné .un précepteur
. flamand. 'II se tint soigneusement au courant de ce qui se
passait dans nos provinces. Grâce à sa politique étrangère :
neutralité, puis, en 1418, -.- alliance aveç le glorieux vain-
queur d'Azincourt - (1415), Henri V, roi d'Angleterre (R. f4l8-
1422),Ia Flandre redevint très prospère. Le duc de Bourgogne
respecta les institutions nationales et ménagea les Com-
munes, bien que parfois son orgueil souffrît de leur liberté
cl'allures. S'il intervint dans les affaires de Liége (1408) et s'y
montra impitoyable, ce fut moins par haine de féodal contre
la dénrocratie que par intérêt personnel et dynastique (f).
Lorsque, en l4tl, les milices flamandes refusèrent de le suivre
au delà de lVlontdidier, dans une expédition en Picardie contre
les Armagnacs, il supporta cet affront sans user de représailles.
En 1419 les partisans du futur roi Charles VII assassinèrent
Jean sans Peur au pont de Montereau-sur-Seine. Ainsi finit ce
règne qui laissa aux lrabitants des Pays-Bas des impressions
rnélangées, correspondant bien à une époque indécise et tran-
sitoire.

(1) Voir plus loin le chapitre III consacré à la principauté tle Liége.
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-r42-
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CHAPITRE II
LE RÈGNE DE PHILIPPE LE BON
(r419'1467.)

Atpe ct o* n o" ( p' r 43 )'


ff î,:i,iiï; i ffiyt*;,,y "
s Ctn'd'i'l'or bet'gPn' $)'
(Jusrt'LrPBt')

O!lo1 en 1896'
Le nouveau comte de Flandre Philippe' né à
n'était pas un étranger pour ses sujets' Son père lui avait fait
longs séjours à
apprendre Ie flamanà "i l"i fait
avait faire de
jusqu'à son avènement' cet élégant jeune homme'
Gand. Mais,
élancé, glabre, aux oreilles et au nez
pointus' aux lèvres minces'
n,avait rien laissé transparaître ni de son caractère ni-de ses,
que' derrière son
intentions. Ceux qui I'approchaient affrrmaient
masque froitl, et ses manières composées' il eachait un caractère
crins I de ses épais sourcils
impétueux. Lorsqu'il s'irritait, les
<
comme cornes n et parfois sa colère devenait
n se dressoient
reprenait son
convulsive. Mais bientôt sa force de volonté impas-
I'Asseuré > et retournait
empire, il redevenait Philippe
<

sibie aux plaisirs de son milieu et de son âge'


Enréalité,eejeuneprincenourrissaitdesprojetsambitieux.
tl'une
Energique ,o" père, pratique' opportuniste'
"o**"
habileté retorse, il avait résolu de mettre en æuvre tous ses

(1) X'ondateur tlo la Belgiquo'


_tM_
moyens, ainsi que sa grande capacité de travail, poltr réaliser le
triple but que lui indiquait son génie politique :
a) Devenir le souverain national des Pays-Bas, réunls
sous un même sceptre;
b) Jouer comme souverain desdits pays, un rôle européen;
c) Homogénéiser les institutions de ses Etats dans le
sens d'une atténuation de leur caractère conservateur et
particulàriste.

g 1.". politique extérieure de Philippe le Bon.


-La
L' alliance anglo - bourguignonàe[traité de Troycs, l /lzilf(p. 1 44).
Volte-face de Plai,l:tptpe le Bon; trai,té d'Arras (pp. f aa
-et 145). La guerre anglo-bourguignonne; le [1435] siège de Calais
-
[1486]; les traités d'entrecours (p. f 45). Phil,ippe tient tête
à,I'empereur Sigi,wnond (p. 145\. -

Irrité par l'assassinat de son père, Philippe s'allia à Henri V


d'Angleterre par'le traité de Troyes (21 mai 1420) (f ). Mais
I'alliance anglaise n'avait plus pour la Flandre la signification
d'autrefois. La Grande-Bretagne, depuis peu, tissait elle-même
ses laines; elle avait attiré chez elle beaucoup de tisserands
flamands, victimes des troubles civils de la fin du siècle précé-
dent. Ses draps excellents faisaient, désormais, concurrence aux
nôtres ! D'autre part, la puissance anglaise en France, au début
du règne de Charles VII (R,. 1422-1461), avait alarmé le duc;
les succès de Jeanne d'Arc lui avaient ouvert les yeux sur la
possibilité d'un revirement de fortune en faveur des Valois.
Aussi accomplit-il en 1435 unc volte-face fort dans le gofrt de
la politique de l'époque. Il s'ailia à Charles VII par le traité
d'Arras et déclara la guerre à Henri VI (R. l4Z2-l4ZL). Pour
obtenir un concours si précieux, le roi de France avait consenti
à tous les sacrifices : il avait fait amende honorable pour Ie
crime de Montereau, avait renoncé à son alliance avec I'empe-
reur Sigismond (R. 14ff-1437), avait accordé à son vassal

(1) Troyee sur la haute Seine, en Cha,rrpagne.


-145-
l,exemption complète d'homma$e pour les fiefs de la cou-
ronne de France et avait abandonné à Philippe plusieurs villes
du littoral et de la Picardie, ces dernières surtout dans la région
de la somme. c'étaient Guines, Boulogne, Abbeville, Doullens,
Roye, Montdidier, Péronne et Saint-Quentin.
iuttr les pays-Bas, ces avantages furent salués avec flerté et
allégresse. La population accepta de sang-froid les conséquences
que devait entraîner I'abandon de I'alliance anglaise. A Londres,
en effet, I'irritation était à son comble; le peuple avait massacré
d'infortunés marchands flamands, bien innocents des cyniques
calculs de leur seigneur. Le jeune Henri vr donna le comté de
Flandre à son tuteur, le duc tle Gloucester. Ce dernier vint
ravager la west-Flandre, après l'échec du siège de calais en
1436, échec dû à ta mauvaise volonté têtue et aveugle des Com-
muniers flamands qui, sans souci de I'intérêt général, étaient
rentrés chez eux parce que les opérations leur paraissaient lan-
guissantes. fleureusement, Ia querelle anglo-bourguignonne ne
fut pas très longue. Après trois années d'opérations navales, à la
côte flamande, une réconciliation se produisit en 1439. A défaut
de traité formel, les deux anciens adversaires conclurent des
traités triennaux de commerce, indéfiniment rerrouvelables, dits
traités d'entrecours.
Libre vis-à-vis de la France et de I'Angleterre, Philippe le
Bon avait entre temps complété son æuvre d'émaneipation du
côté de I'est, en tenant tête au dernier des Empereurs de la
maison de Luxembourg, le chimérique Si$isrnond, qui s'était
imaginé faire.rentrer I'ancien Lothier sous I'autorité réelle du
Saint-Empire ! ,

S 2.. - L'unification territoriale des Pays-Bas.

Factnurs faaora,bles à cettp unifi,catian (p. ra6). l42l z Phùkppe


achète Ie marqûsat d'e Na.mur (p,146).
-
Règne de Jacquel;ine
-
d.e Barsî,ère; l,e concordat ite Delft [f428] z PlvùI:ippe deuient
ruwaert du Ha:inaut, d,e Ia Hollande, de la Zélanilc et de la
Erise (pp. ra6-148). Règnes de Jean IV et ile Phikppe
-
itc Saint-Pol; troubles démouatiques da,ns Ie Braban't (pp. 'la8
et f49). t48O : Phil:ippe u'cguiert Ia Brabant et I'e Li'mbowtg
-
-146-
(p. rA9). 1441 : Phil;i,ppe achète le Luæernbourg (p.149).
,
-
Pui,ssmùce de Phil'ippe le Bon, le r &rand Duc toccidutt n,
-
de l45O à sa mort [15 juin 1467] (pp. la9 et r50).

Philippe le Bon s'était rendu compte, dès le début de son


règne, que les circonstances le favoriseraient s'il montrait assez
d'audace et de persévérance dans sa volonté de réùnir les Pays-
Bas en un faisceau. La Franee était affaiblie par la guerre de
Cent Ans. Le souvenir de \Mest-Roosebeke éloignait des Valois
tout courant de sympathie. Personne ne faisait attention &u
Saint-Empire. Sous I'action de divers facteurs, nos provinces
avaient commericé à s'aimanter les nnes vers les autres. Les
unions matrimoniales entre les maisons de Louvain et de
Luxembourg, d'Avesnes et de Bavière, groupaient depuis long-
temps certains de nos Etats. Depuis longtemps aussi, les Etats
du Lothier copiaient les institutions administratives et juri-
diques de Ia Flandre; les cités &imocratiques prenaient modèle
sur Gand, Bruges et Ypres. Enfin, les traités de 1889 (p. f fO)
et de 1847 (p. 126) avaient puissamment contribué à rendre plus
étroites les relations. économiques entre les principaux Etats
des Pays-Bas. L'unification de nos provinces était inéluc-
table, entravée.seulement par des obstacles temporaires.
Philippe se mit à l'æuvre sur-le-champ, décidé, pour réussir,
à user de tous les procédés, même les moins scrupuleux.
I. Le marquisat de Namur, dont I'histoire assez pâle n'a
guère retenu notre attention, appartenait à ce moment à un
prince très endetté, Jean III. En I42L, Philippe le lui acheta.
II. Guillaume IV, eomte de llainaut, de Hollande, de
Zélande, seigneur âe Frise (R,. f404-1417'), et Marguerite de
Bourgogne avaient eu,.en I4Ol, une fille, Jacqueline (Jaltoba),
dite de Bavlère (voir.les tabJeaux généalogiques des pp. t4O
et 142), princesse dont la courte existence eut'un caractère
rom.anesgue et tragique. A l'âge de cinq ans, on I'avait mariée
au Dauphin Jean de Touraine, frls de Charles VI. En 1417,
elle perdait à Ia fois son père et son mari. Sa mère, alors,
lui fit épouser, en 1418, Jean IV de Brabant, son cousin
germain, frls du défunt duc de Brabant Antoine. De ee
moment datent les malheurs de la jeune comtesse. Son oncle
du côté maternel, Jean de Bavière, élu de Ia principauté de
I,iége, avait renoncé à ce titre et avait voulu contraindre sa
*
-14r
nièce à l'épouser. N'y ayant pas réussi, il s'était mis en devoir
de la dépouiller d'une partie de ses domaines, avait envahi la
Hollande et y avait noué des relations avec le parti bourçois
des <r Cabillauds r, parti puissant dans les villes d'Amsterdam,
de Haarlem et de Dordrecht.
Jaequeline aurait dfr trouver un appui naturel auprès de son
mari. Mais Jean IV n'était c1u'un enfant de quinze ans, chétif
et perverti. Jaloux de sa jolie cousine, il haïssait tout en elle :
sa santé, sa belle humeur robuste, son esprit vif et ardent. Après
avoir mollement essayé de prendre Dordrecht, il qe vengea des
humiliations d'un échec en eédant à Jean de Bavière les comtés
de Hollande-Zélande et la Frise, pour une période de douze ans.
En même temps il laissait outrager son épouse par d'abjects
favoris et renvoyait brutalement Ses dames d'honneur hollan-
daises. Jacqueline, excédée, finit par se retirer au châteâu du
Quesnoy, dans le sud du }Iainaut, puis en Angleterre. Elle
avait demandé I'annulation de son mariage au pape. Mais, de
nature impétueuse, elle n'attendit pas le résultat de sa démarche
et elle épousa, en 1422,1'altier Humfred, duc de Gloucester'
frère de Henri V et tuteur du petit Henri VI.
Ce mariage fut une faute politique. Aussi longtemps que les
intérêts de la puissante maison de Bavière avaient pu se con-
eilier avec eeux de sa famille, Philippe le Bon avait feint de
s'absorber complètement dans lâ politique française. Mais dès
que surgit Ie danger de la constitution d'une Angleterre conti-
nentale, le duc de Bourgogne prit le parti de Jean IV et, en sa
qualité de chef de famille, combina les mesures nécessaires pour
contrarier les plans d'Ilumfred. Deux plus tard, Jacqueline
avait perdu ses Etats et était enfermée au château de Gand !
Toujours intrépide, la princesse s'échappa de sa prison, déguisée
en page, et alla réconforter par sa présence ses partisans en
Hollande, les familles nobles de la faction des r llameçons >.
D'Angleterre, Gloucester lui envoya trois mille vétérans. Néan'
moins elle perdit la partie. Le l3 janvier 1428, Philippe le Bon
prenait d'assaut Brnuwershaven, centre d'opérations des
Anglais dans loîle de Schouwen (Zélande). Humfred, paralysé
par son frère le due de Bedford, qui avait toujours blâmé son
équipée, finit par abandonner Jacqueline à son sort. Celle-ci'
délaissée par tous ses partisans, s'était réfugiée
à Gouda. Les
habitants, dans la crainte d'un siège, I'obligèrent à capituler :
i48 _
elle dut signer, le I juillet 1428, le concordat de Delft, par
lequel elle reconnaissait son cousin germain comme ruwaert du
Hainaut, de la Hollande, de la Zêlande et de la Frlse. Ayant
solennellement promis à Philippe de ne pas se remarier (l), elle
:rurait pu finir ses jours en paix au château de Ter Goes, en
Zélande. Mais celui qui était chargé de la surveiller, le grand-
bailli Frank van Borselen, s'éprit d'elle'! Leur mariage secret
(1432) fut bientôt dénoncé. Philippe fit brutalement jeter en
prison son grancl-bailli et ne le libéra qu'en obtenant de sa cou-
sine une renonciation immédiate à la Couronne. La pauwe
Jacqueline de Bavière mourut, phtisique et désenchantée, aux
environs de Leiden, en 1436.
III. Dans le Brabant-Limbourg, Antoine de Bourgogne
(R. 1406-f415) avait eu un règne sans intérêt; il était mort en
preux.à la bataille d'Azincourt. Son fils Jean IV (R. t4t1-1427)
était, comme nous I'avons dit, un incapable qui eut de graves
démêlés avec les Communes brabançonnes. On sait que, dans
le Brabant, les lignages maintinrent leur pouvoir beaucoup plus
Iongtemps qu'en Flandre et que dans le pays de Liége. Vers 1420,
Bruxelles, avec son oligarchie de sept lignages et ses grands
faubourgs peuplés de faméliques tisserands, nous rappelle Gand
ou Liége, eent âns auparavant. Plusieurs fois, au cours du
\ xrve siècle, notarnment de f302 à 1806 (sous Jean II), les
métiers, imitant eeux de Flandre, avaient essayé de renverser
la tyrannie des patri'ciens, maîtres de l'échevinage. Sévèrement
punis, nos aïeux ne s'étaient cependant pas avoués vaineus.
N'était-ce point déjà le duc Godefroid III qui déclarait les
Bruxellois < hommes à la tête dure et obstinés dans leurs senti-
ments >? En 1421, ils s'insurgèrent avec une extrême violence,
enchaînèrent les rirembres des lignages et décapitèrent plusieurs
f'avoris de Jean IV, Par un Règlement de la même année, le
dtrc dut accorder aux quarante-neuf métiers, groupéd en neuf
Nations, le droit de nommer la moitié environ des échevins
et I'un des deux conùnaengenmeesteren ou bourgmestres de la
ville. L'année suivante, les représentants des trois grandes
classes sociales : clergé, noblesse et bourgeoisie, qui venaient de
prendre officiellement le'nom d'Etats, mettaient fin aux extra-

(1) Jacqueline avait entre temps lait annuler son ma,ria8le avec Glou-
cester.
-r49-
vâgances de leur duc en le plaçant sous la tutelle d'un
conseil.
Jean, mort sans enfants en 1427, eut pour successeur son
frère Philippe de Saint-Pol, ami des démocrates, esprit
ouvert et enjoué. Son règne fut malheureusement très court.
Dès 1430 le duché de Brabant était sans souverain en lignée
directe et les Etats s'estimaient heureux d'échapper aux entrer
prises de I'empereur Sigismr:nd en désignant eomme < droict
héritier clu pays r le pui,ssant duc de Bourgogne, qui acquérait
d'un seul eoup les duchés de Brabagt et de Lirnbourg'
ainsi que la seigneurie de Malines et Ie rnarquisat
d'Anvers
IV. En 1441, Philippe le Bon eouronnait son æuvre d'unifi-
cation en achetant à Elisabeth de Goerlitz, sotts forme de rem-
boursement d'une engagère, le duché de Luxernbourg.
Comme le duc de Saxe émettait des prél.entions à la possession
de eet Etat, les trotrpes bourguignonnes durent enlever par
escalade la place fbrte de Luxemtrourg, dans la nuit du 2l au
22 novembre 14,4t.
Vers 1450, les Pays-Bas étaient donc réunis sous une mêrne
Couronne, de la Moselle à l'îletde Texel. Philippe, surnommé
le < Grand f)uc d'Occident >, étendait son protectorat à I'est.
sur la principauté de Liége (1465), les duchés de Gueldre
et de Clèves, au sucl-ouest sur I'évêché de Tournai; cleux
bâtards bourguignons étaient évêqueso I'un, frls de Jean sans
Peur, à Carnbrai, I'autre, fils de Philippe lui-même, à
Utrecht.
En 1454, époque oir il projette une Croisacle contre les Turcs,
Philippe est au point culminant de sa puissance. fl se rend à
Ratisbonne pour y avoir une conférence avec I'empereur
Frédéric III (R. 1440-1493) : son voyage est une apothéose,
lcs princes du Saint-Empire se pressent sur son pàssage, il est
l'égal des pluls grands rois !'Ce prestige ne lui vient pas seulement
de sa richesse ni du nombre de ses Etats, il résulte aussi du fait
que sa politique méthodique et clairvoyante a fait refleurir les
parties septentrionale et méridionale de ce f'ameux royaume
interrnédiaire de Lothaire dont le rxe siècle avait transmis
le souvenir à la postérité. Cette reconstitution est dans la logique
des choses et I'empereur'Frédéric III, alchimiste nébuleux, chi-
mérique, mais non sans finesse, le sait si bien que, prévoyant
r50
-
une demande d'érection dq* fie{s lotharingiens du Saint-
Empire en Etats indépendants, il se dérobe à I'entrevue de
Ratisbonne. Mais qu'importe, après'tout, si cette consécration

PHTLTPPE LE BoN
n ft.t
Gravrrre tlc Calartra,tta, cl'trprès Iloser Van derWeyclen. [*Wlû]/h
(Cabinet dcs estampes, Ilrtrxelles.)

Ce tableau nrotttte Ie n Grand duc rl'Occident , à


I'époque de sa plus grande puissance, Il porte le
collier do I'orclre cle la Toison d'Ol, oldre dont il fut
le forrdal,eur.

théâtrale n'a pas lieu. Aux yeux de I'Europe, Philippe le Bon


est et reste, jusqu'à sa mort, survenue le 15 jttin 1487,le plus
populaire et le plus indépendant des monarques.
r51
-
des institutions.
$ 3: - La centrâlisation
Progra:rnrne centralis'ateur iln Phikppe Ic Bon I caractère mod'êré
de ce proyrarnrne (p. 151). Les Conseils provincùauæ
(pp. l5I et 152). Les Chambres dcs Comptes (p. r52). Le
- -
ChanceLier de Bourgogne; lc Glrand Conseilambulatoire (p. f 52).
Le sermmt de Jogeuse-Entrée (pp. f 52 et 153). Les Etats
-
proaùnciauæ (pp. f53 et f54). - (p. lSa).
Les Etats gënétauæ
-
Répercussùon desméthsdes gouuemærnenktles sur la fonnation
-
de la conscùence national,e (p. 154).

Philippe le Bon partageait les vues politiques de son temps


en vogue en Italie et en France. Il était partisan d'une rnonar-
chie forte, garantissant par ses armées, sa diplomatie, ses lois
et sa justice le respect du < bien commun r, c'est-à-dire des
intérèts de toute la natlon. Il allait ainsi entrer en conflit avec
les cléfenseurs de toutes les traditions médlévales exclusi-
vistes : privilèges, monopoles, exemptions, immunités, etc. Il
allait avoir à soumettre les trois puissantes oligarchies de notre
pays : le cler$é, la noblesse et les Comrnunes. Mais, plein
de bon sens, le duc eomprit que, pour garder I'affection de ses
sujets, il devrait rnaintenir les institutions régionales'et se
borner à leur superposer des institutions centralisatrices
de contrôle. Avec un doigté merveilleux, il réalisa cette tâche
délicate.
I. Déjà Louis de Male et les premiers ducs de Bourgogne
avaient créé des organismes chargés de servir.de Cour suprême
de fusdce, de Cour d'appel pour les tribunaux scabinaux des
Communes et des ( franchises > (arijheden)rbourgs ruraux érigés
en Communes (1). En Flandre, cette Cour se nommait le Con-
seil de Flandre (Raed, uan Vlaenderen). Philippe le Bon
l'établit à Gand. Composé de juges professionnels, inamo-
vibles, nationaux, ee Conseil fonctionna tl'une manière excel-
lente. Dans ses relations avec le pouvoir bentral, il se servait
de la langue française, mais le libre emploi des deux langues était

(1) Ces collègoe échevinaux ava,ient aouvent dee droits d.e EAUtu, cle
MoYENNg of de eassu Juetdce.
-152-
en usage pour les enquêtes et les plaidoiries. Ce système bilingue
fonctionna jusqu'à la ûn du x\tue sièèle. Le Conseil de Flandre
rajeunit la procéclure tout en respectant les anciennes coutumes.
Dans toutes les autres provinces, il se constitua des organismes
analogues, nommés Hoaen dans les provinces du Nord. (Exem-
ple : Hof aan Holland, aan Zeeland.)
II. Les ducs de Bourgogne avaient de grands besoins d'argent
pour couvrir leurs dépenses de grterre et frais de représentation.
Ils avaient recours à la vente des charges et des emplois, aux
aidds des provinees, à certains impôts, aux subsides des classes
privilégiées et aux emprunts. Philippe le Bon garda à Lille la
Charnbre des Comptes, créée en 1386 par Philippe le Hardi,
sous Ie rtom de < Chambre du Conseil r, et en établit deux nou-
velles, à Bruxelles çt à La llaye. Les souverains d'Europe
enviaient le fonctionnement modèle de ces collèges, qui aidaient
'le prince à conclure avec les nations voisines d'avantageuses
conventions monétaires et veillaient à ce que Philippe trouvât
toujours, dans son Trésor, des bahuts pleins de joyaux et de
beaux écus neufs, ainsi que des dressoirs garnis de vaisselle
d'or et d'argent.
III. Au-dessus cles Conseils de justice et des Chambres des
Comptes, un organisme central était nécessaire. Philippe avait
un Conseil ducal composé de personnâges éminents : ambas-
'sadeurs, hauts dignitaires de sa nraison civile et militaire. A
leur tête figupait le Chancelier de Bourgogne, premier con-
seiller et dépositaire du grancl sceau. Ce Conseil n'avait ni
résidence fixe, ni sessions régulières; le duc le consultait sur
toutes les questions importantes. Pour trancher les problèmes
compliqués, il y introduisit peu à peu des jurisconsultes et des
légistes flamands, picards et bourguignoris, appartenant à la
petite noblesse, au clergé et même à la roture. En même temps,
le Chancelier, entouré de ses secrétaires, devenait une sorte de
premier rninistre, flanqué de secrétaires d'Etat. Après que
Philippe eut, en L44t5, affranchi ses provinces françaises de la
juridiction du Parlement de Paris, il transforma, en 1446, son
Conseil en Grand Conseil arnbulatoire': collège permanent,
à personnel fixe, très dévoué, servant de haute Cour de justice
et d'assemblée chargée de préparer les décrets et les lois du
prince.
IV. Malgré la creation de ees institutions monarchiques,
_r58_
Philippe le Bon respecta nos vénérables coutumes et
chartes provinciales. Imité par tous ses successeurs, jusqu'à
la Révolution française, il prêta, à son avènement, un serment
d'inau$uration solennel, en plein air, dans chacune de nos
provinces : à Bruxelles eomme duc de Brpbant et de Limbourg,
à Gand comme comte de Flandre, à Roermond eomme duc de
Gueld.re, etc. Par ee serment, il jurait cle régner ( comme bon
et léal seigneur D, respectueux des droits et privilèges de la
provinee. En retour les Etats provinciaux lui juraient fidétité.
Cette cérémonie de Joyeuse-Entrée, réglée par une étiquette
minutieuse, était I'occasion cle grandes réjouissances popu-
laires.
comme souverain, Philippe prit soin cle ne jamais décréter
un édit sans qu'il efit été préalablement enre$istré et pro-
mul$ué par les Conseils provinciaux de justice.
.re viens de nommer les Etats provinciaux. c'étaient des
assemblées dont le rôle fut, aux Pays-Bas, consi<lérable et bien-
faisant. Issus, dit-on, des anciênnes assemblées régionales câro-
lingiennes,. politiques et judiciaires : les plaids (placita\, ils
eurent un développement assez identique dans chacune de nos
provinces. Composés des membres des trois ordres : noble,
clerc et tiers (représentants cles villes), on les retrouve tlans
le Hainaut, sous la dénornination de < Parlements l, att xrye siè-
cle; en Brabant, ils portent le nom d'Etats (dti'ie Staten aan
Brabant\ depuis 1420, etc. Généralement ils comprennent les
évêques et les abbés de la province, les barons à trois justices et
à quatre quartiers (l)., les délégués des chefs-villes (les bourg-
mestres, quelques échevins et doyens de rnétiers), mais les
coutumes locales apportent à cette règle <le fréquentes exeep-
tions.
Ces Etats participent au pouvoir souverain. Leur com-
pétence s'étend aux travaux publics, âux emprunts, mais leur
prérogative fondamentale pst le vote annuel de I'impôt (aide
ot bede),*prérogative à laquelle se rattachent directement les
. droits de pétition et de remontrance, exercés avee respect
mais en même temps avee fermeté. Le vote, par ordre, n'est
acquis que par le consentement des trois ordres. En dehors

(1) euartier ': chaque 4egré de rlescendance dans une famille noble.
Justice ; haute, toyenne et basse. ,
-- t64
-
des sessions, les Etats étaient représentés par une députadon
permanente.
Philippe le Bon fit toujours preuve de grande estime envers
les Etats. Il avait, par ailleurs, réduit le rôle de la noblesse
et restreint ltautorité ternporelle du cler$é, intervenant
dans les nominations des évêques et des abbés, remplaçant
'les o dons gratuits n de I'Fglise par des contributions régulières.
Leur influence n'était donc plus à redouter au sein des Etats.
Quant aux villes, nous verrons dans le paragraplie suivant que
le duc entra en lutte avec elles sur un autre terrain.
V. Pour faciliter la perception des'irn-pôts I'action
du régionalisme, Philippe le Bon, suivant "SUterr,r"r
l'àËèmple des rois
de X'rance o crêa en 1463 des Etatq $énéraux, composés de
délégués choisis par les Etats provinciaux. Lui et ses sueees-
seurs ne les réunirent que rarèment, dans des circonstânces
solennelles ou difficiles, ou lorsqu'il y avait des impôts à lever
sur I'ensemble de Ia nation. Les membres des Etats généraux
ne pouvaient prendre de décision sans en référer à leurs eom-
mettants; à leur tour, les délégués des chefs-villes dans les
Etats provinciaux en référaient aux ( membres > de leurs villes.
Dans certaines villes, le refus d'un < membre r et, dans le
membre rles métiers, le refus d'un seul métier pouvait para-
lyser'la levée de I'aide dans tout le'pays !Le prince veillait
à ce que cet individualisme excessif fût enrayé par le droit
de compréhension, moyen de qontrainte, sinon légal, du moins
pratique.
Si nous envisageons d'une manière générale le mécanisme
de nos institutions sous les premiers ducs de Bourgogne, nous
ne pouvons manquer d'être frappés par I'habileté avec laquelle
eette famille cl'origine étrangère sut établir chez nous la rno.-
narchie, dans le sens moderne du terme, tout en en tempérant
I'action par le respect des anclens pactes fondarnentaux
et I'appel à la coopération des Conseils et des EtatS. Elle
créa une politique suivie et homogène qui contribua grandement
au développement de Ia conscience nationale du pays.
a tl

$ 4. conflits entre Philippe le Bon


- etLes
les Communes flamandes.

tpposit:ion entre progrannne polit:ique et économique de Phili'ppe


le
k Bon et celui' d,es Communes (p. r55). - Confit dtt' ùt't'c
aoec Bruges [rÆ6-1488] (pp. 155 ct !56).- Confit attec
Gand [1448-1458]; bataitle de Gaare [28 juillet 14581 (pp' f56'
r58).

La potitique centra.Iisatrice de Philippe le Bon d.evait fata-


lement rencontrer au sein des Communes les plus grandes
résistances. Défenseur convaincu du < bien public o, du < droit
eommun u, le duc ne pouvait tolérer l'existence, dans ses Etats.
de véritables républiques, comme les Trois Membres de
Flandre, Bruxelles ou Lolvain, avec leurs < loix, privilèges,
libertés, bonnes costumes et usages l, leur partlcUlarisme
politique, leur exclusivisme économique et leurs querelles
continuelles.
Le-duc ne voulait pas enlever aux villes leur autonomie; il lui
suffisait de prendre part à la nomination de leurs échevins, de
vérifier leur administration frnancière, bref, de les soumettre
à son contrôle. D'autre part, il était aussi très soucieux de leur
prospérité économique, mais n'attendait de salut que d.u prin-
cipe moderne de la liberté comrnerciale, suivant lequel
< chascune personne franche peut et,doibt faire franehement (f )
marchandise et mestier >. cette politique était approuvée par
les campagnes, les petites villes,'l'ordre noble et I'ordre clerc
des Etats provinciaux.
Longtemps, le duc de Bourgogne usa de ménagements envers
les grandes communes. Mais l'échec de eiège de calais, en 1486'
lui laissa une profonde rancune. Il ne pouvait oublier l'acte de
ces Communiers, incendiant de gaîté de cæur leurs tentes' se
débandant et livrant, dans un aicès de mauvaise humeur, les
riantes pampagnes flamandes aux entreprises de I'ennemi. Peu
après, il entrait en conflit avec Bruges. Il voulait faire des

(1) FTa,rreherqeqt : libreme'tt,


_156_
nonante villages et bourgades du Franc de Bnrges ult qua-
trième Membre et eneourageait les gentilshommes et gouver-
nellrs de forteresses de cette région à résister aux ordres de la
ville suzeraine. A Bruges, les nrodérés étaient débordés par la
masse extrémiste du peuple, qui n'avait pas eraint d'insulter
la duchesse et son entourage. Au printemps de I'an 1487,
Philippe voulut imprcssionner les Brugeois par une intervention
personnelle. Il entra dans la ville, le 22 mai, mais étant aeeom-
pagné d'une trop petite escorte, il faillit bien y périr..L'audace
des Brugeois souleva dans le comté une réprobation générale.
Isolés, déeimés parla famine et par la peste, ils durent se sou-
mettre en 1438. Plusieurs tle leurs chefs ftrrent décapités ou
proscrits; Ia ville dut payer une amende et perdit ses droits
de suzeraineté sur le Franc et sur I'Ecluse. Il fut en outre
stipulè qu'à sa proehaine visite, Ie duc serait accueilli par les
autorités communales, les doyens et jurés, à genoux, nu-pieds,
nu-tête et cliant t< merei r !Au prix de cette humiliation la ville
put conserver ses privilèges.
Dix années ne s'étaient pas écoulées qtre Philippe entrait en
lutte avec Gand, sa ehère t ville'souveraine du pays n. Ce
n'était pas sans hésitations qu'il affrontait les orgueilleux
( seigneurs de Gand r, Ies sachant riches et bien armés, mais à
ehaque instant son autorité était battue en brèche par leurs
privilèges, interprétés d'une manière plus ou moins licite.
A I'imitation du roi Charles YfI, il proposa aux Flamands une
$abelle (taxe permanente sur le sel), non. pour augmenter ses
revenus, puisqu'il supprimait en même temps les autres impôts,
mais pour échapper à la nécessibé de devoir demander I'aide
aux Etats, chaque année. Gand refusa et, irritée par les menées
des agents <lu duc, renversa l'échevinage, jugé trop timide.
Aussitôt la population passa, comme à Bruges, aux résolutions
extrêmes. L'assemblée plén!ère des représentants des métiers,
dite < Collace n, appuyée par la vieille faction des Chaperons
Blancs, fit décapiter ou expulser les intrigants à la solde du
due (1451). Prévoyant un duel à mort, elle fit réparer les
murailles, mobiliser les Serments et milices, convoquer les
vassaux et anière-vassaui de la ville. En 1452, tandis que
Philippe réunissait sa pesante cavalerie de Bourgogne, ses
archers picards et la chevalerie de tous ses Etats, les Chaperons
Blanes, ainsi gu'une bande de routiers surnommés < Compa-
-_r57-
gnons de la Verte Tente (l), r prenaient les devants et allaient,
sous les ordres clu sire de Blancstain, piller les petites villes des
borcls de la Dendre et incendier des centaines de châtearrx
et de villages. En
même temps, un ma-
çon, Liévin Boone,
persuadait aux Gan-
tois d'allerprendre
Audenarde, se fàisait
battre par le comte
d'Itrtampes et par
un fils illégitime de
Philippe, le valeu-
reux bâtard Cor-
neille, et payait de
sn têtc (30 avril) la
faute cl'avoir éveillé
de vaines espérances
au sein de la popu-
lace. Peu après, le
l6 juin, Corneille
tornbait alu combat
dc Rupelrnonde.
;\lors I'hilippc or-
donna de ne plus
faire de quartier; la LES NOTABLES GANTOIS DI)MANDENT
guerre devint impi- LA PAIX A PHILIPPE LE BON
tovable .
(Miniature d'nn manuscrit du xvo siècle À la
Cependant, ttn an Bibliothèque royale, Bruxelles.)
s'était écoulé sans
Ce charmant tableautin offre rnoins d.'in'
amener de'solution. térêt au point de vue d u caractère véridique
Les Gantois, assagis, de la scène représentée qu'à celui de la pro-
fusion et du pittoresque des détails concer-
ne quittaient plus rrant lc mobilier et les modes du temps,
leurs murailles. Par
un artifiee, ils furent néanmoins attirés près de Gavre (au sud
de Gand, sur I'Eseaut), le 23 juillet 1453. Ce fut une mémorable
journée : les Gantois formaient un carré tout hérissé de piques,
redoute vivante, flanquée de cavalerie et d'archers anglais

(1) C'egt-ô-dire du plein air,


_r58_
merceneires. Ils étaient protégés par un grand nombre de eou-
leuvrines, longs cânons offerts par les métiers à Ia ville et
portant, gravé <Ians le bronze, le nom de la corporation dona-
taire. Se voyant attaqués par un ennemi supérieur en nombre,
ils résistèrent avec aelnrnement (sur vingt-six éehevins, qua-
torze furent mis bors de combat). Néanmoins, ils perdirent la
bataille. On dit que lorsque Philippe le .Bon parcourut du
regard le champ de carnage couvert dç cadavres, il murmura :
c Qu'ai-je gagné? C'étaient mes sujets ! r
Huit jours après, deux mille bourgeois, en chemise et en braie
(pantalon), durent aller implorer la clémence du vainqueur.
Les Gantois aussi durent payer une formidable amende, Iivrer
les bannières de leurs corporations eb renoncer à la suze-
raineté sur le plat pays (traité de Gavre). Alors seulement
Philippe daigna se montrer bon prince et fit prendre des
mesrlres pour relever la cité vaincue.
CHAPITRE III
LA PRINCIPAUTÉ DE LIÉGE A L'ÉPoQUE
DES DUCS DE BOURGOGNE
(r384-r468.)

Eaolution dérnoc'rat:ique de Liége (p. 160). Violenæ eonflits


entre Jean de Baaière et les Communes - rlu pays d.e Liége
'(pp.
160 et 161). Bataille d'Othée [23 septembre 1408];
règne abso,lutiste de-Jean( sans Pitië > (p. 16f ). Règne de
Jean de Tltallenrode, Ie ,, Restaurateur des libertés- liégeoises >
(p. 16l). Règne de Jean de Heinsberg; le << Ilégiment de
Heinsberg -r ftaÙal (pp. Iôf et 162). Aaànement de Loui,s
de Bourbon; - les Liëgeois (pp. f 63
ses premiers confl,its aoec
et fffi). Alkqnce entre les Liégeois et Louis Xf (p. f 63).
- déclarent la guerre à Philùppe le Bon -
Les Li,égeois [aofit I485l;
bataille de Montenaelwn [f0 oetobre]; pain de Saint-Trond
[22 décembre] : Ie duc de Bourgogne danimt rhambour de la
princùptauV (pp. fffi et f64). Confl,ùt entre Dinant et
Phil:i,ppe le Bon [f466] (p. f61). Capitulation de Dinant
-
[27 août f466]; sa destruction (p. 164), Lutte décisiae entre
les Liëgeois et la maison dn Bourgogne;- bataille de Brustheut
[28 octobre l4B7] (pp. l(.4 et 165). - I)ernùer effort de Ia
démocratie liégeoise; Louis de Bourbon est rantuté de Tongres
à Liége [octobre 1468] (p. f65). L'snfyeau,e dc Péronne
-
[9 octobre]; Charles Le Tém,éraire et Louis XI campent deoant
Liége; héroisrne des siæ cmts Franchimontnis [nuit du 29 au
30 octobrel (pp. 165 et 166). Lùége estrasée (p. 166).
-
-160-
n Oncques ne vit'on gens mierix com'
battre ni tant durer. ' (Lettre do Jean
tIïI.ïto" après la bataille d'othée. -

Bièn qu'ayant un développement indépendant, la principâuté


de Liége ne pouvait éehapper à I'influence directe des événe-
ments dans les Pays-Bas, et ce moins eneore au xve qu'au
xrve siècle. Comme les gpandes villes de Flandre et du Brabant,
Liége était une cité dérnocratique' une véritable républlque,
quasi indépendante. Les éléments les plus démagogiques des
métiers, guidés par des orateurs véhéments, dominaient les
partis bourgeois et avaient, comme les tisserands flamands et
brabançons, une prédilection marquée pour les grèves et les
clésordres à caractère politique.
Ces tendanees avaient tdomphé cornplètement depuis la mise
en vigueur du règlement électoral communâl de 1884 (voir
p. l3l), lorsque, en 1389, les chanoines nommèrent comme
sueeesseur d'Arnould de llornes un frère du comte Guillaume IV
de Hainaut, Jean de Bavière (1) (R. 1390-f a18). Le nouveau
prince avait dix-sept ans et n'était encore qtr'élu. Son caractère'
fougueux, frivole et libertin, l'éloignait doailleurs de toute
intention de s'élever plus haut que le sous-diaconat, dans la
hiérarchie ecclésiastique. Accueilli avec défiance, il fut bientôt
exécré pour sa ctipidité et ses tenclances despotiques, hautai-
nement affichées.
Au bout tle quelques annties d'un règne agité, Jean tlut se
retirer à Maastricht (f402), devant I'attitude menaçante de la
faction plébéienne des < haydroits (2) o qui se refusait à lui
reconnaître d'autres pouvoirs que ceqx d'un directeur spirituel.
La même année, les villes de la principauté formaient une fédé-
ration interurbaine et choisissaient comme mambour (3) le sire
de Perwez, Henri de Hornes. Puis, encouragées par l'inaction
de Jean de Bavière, elles se mirent à persécuter ses partisans.
Des pelotons de eavalerie urbaine allèrent brfiler les fermes et

(1) Yoir tableau généalogique, p. 1i[0, uote 1.


(2) C€ terme énigmatique eigxdfle peut'être que ceux qtti s'en paraient
halseaient les droits (abuslfs) d.u prince.
(3) Sur le sens de ce-torme, voir p. 128.
_161 *
les châteaux de plusieurs nobles et chanoines; il y eut des con-
fiscations de biens, des proscriptions et même quatre condam-
nations à mort. En 1406 les Communes_ du pays de Liége
choisirent elles-mêmes un nouvel évêque, Thierry de Hornes,
fils de leur mambourl enfrn, pendant le rude hiver de
1.407 èL 1408, elles entreprirent le siège de Maastricht avec
40,000 hommes.
Les maisons souveraines unies de Bourgogne et de Bavière
ne pouvaient tolérer plus'longterrips les huiniliations infligées
à I'un dè leurs membres. Guillaume IV de Hainaùt, avec ses
trarrcns hennuyers, Jean sans Peur, avee la fleur de la chevalerie
de Bourgogne, opérèrent leur jonction en Hesbaye et obligèrent
les Liégeois à lever le siège de Maastricht. Le 28 septembre 140g,
dans la plaine d'Othée, près de Tongres, eut lieu le ehoe
décisif.
'Comme de coutume, les corporations, groupées
en masses
trop compactes, manquèrent d'habileté tactique. Elles firent
preuve d'héroTsme, mais ne purent résister aux charges des
masses de cavalerie. Après un ardent combat, le cri de < Notre-
Dame au duc de Bourgogne D étouffa celui de < Saint-Lambert
au seigneurde Perwez >.Le vieux mambour, son fils et huit mille
Liégeois restèrent sur le terrain. Jean, bientôt surnommé ( sans
Pitié ), fit déeapiter ou jeter à la Meuse, liées dos à dos, quantité
de vietimes de ses longues rancunes. Le sire de Jeumont, exécu-
teur de sa vengeance, fit périr, de cette manière ignominieuse,
même la dame de Perwez, veuve du mambour ! Durant neuf
ans,la principauté vécut sous un régime absolutiste, ses libertés
ayant été supprimées par Ia Sentence de Lille. Puis Jean de
Bavière se relâcha de sa rigueur. II ne pensait plus qu'à se marier
avec Jacqueline de Bavière et abdiqua en l4l8,
Sous le règnc trop bref de son successeur Jean de Wallen-
rode (R. f4f8-f419), surnommé le < Restaurateur des libertés
liégeoises )), nous retrouvons Liége et les < bonnes villes r en
possession des privilèges garantissant leur indépendance et leur
rlroit de former des ligues; les corporations sont reconstituées
et récupèrent la prérogative d'élire leurs doyens et de posséder
des bannières.
. Dans la première moitié du xve siècle, Liége était progres-
sivement devenue une puissante cité industrielle. Les houil-
leurs, charbonniers, febwes (forgerons) et armuriers cles popu-
r.. vÂN EArRnN. Ersrornn DE BELererrE. L924. 6
- -
102
-
leux et trépidants faubourgs, les bourgeois << afforains (1) n, les
apprentis au sein des métiers, bref, tous ceux qui se désignaient
eux-mêmes souS le nom de r< Vrais Lié$eois ), eurent bientôt
de nouveaux sujets de mécontentement. Leur prince-évêque,
Jean de Heinsber$ (R. f4f9-1455), chevalier sympathique,
courtois, mais peu adapté aux nécessités de la situation, avait,
en 1424, élaboré un règlement électoral destiné à servir de com'
promis entre les prétentions.des princes et celles des < haydnoitsu.
Ce < Ré$iment de Heinsber$ r, gui, dans I'avenir, devait
rester aussi cher aux partis conservateurs et modérés que le
Règlement de 1384 l'étaib aux groupes avancés, remplaçait les
éleetions municipales direetcs par un système compliqué :
vingt-deux commissâires inamovibles, dbrnt six {ésignés par le
prince et seize élus par les trente-deux paroisses de la Cité'
devaient désigner airnuellement un bourgeois dans chacun des
trente-deux métiers de. la ville, lesquels bourgeois devaient à
leur tour élire les deux bourgmestres !
Les grands métiers se voyaient sacrifiés; en outre, ils s'alar-
maient des progrès de Philippe le Bon qui, devenu successive-
ment comte de Namur et de Hainaut, duc de Brabant, de
Linrbourg et de Luxembourg, menaçait de toutes parts I'indé-
pendance de la principauté. La défaite des Gantois à Gavre
fortifia les sentiments de haine des a Vrais Liégeois > à l'égard
du due de Bourgogne. Heinsberg, sentant venir I'orage, abdiqua
en 1455. Son suecesseur Louis de Bourbon (R. 1456-14821'
petit-fils de Jean sans Peur par sa mère, allait être un agent
de I'expansionnisme bour$ui$non et son règne néfaste allait
marquer la ruine de la liberté l-ié$eoise
Le nouvel élu avait dix-huit ans. Les a Vrais Liégeois r,
mal disposés envers lui dès le premier jour, n'eurent bientôt
que trop à se plaindre de < cet homme de bonne chère et de
plaisir r, nonchalant, vaniteux, bousculant maladroitement les
institutions, drdinant par des procédés malhonnêtes des contri-
butions énormes, au point de mériter le surnom de tt premier
mendiant du pays >! A peine monté sur le'trône, Louis de
Bourbon fut obligé de supprimer le Régiment de Heinsberg;
malgré cette coneession,Ies troubles ne cessèrent plus. En 146l'

(l) Personnes habitâ,nt hore de la vllle et Jouissant des droite de olté.


_168_
un tribun éloquent, d'une hardiesse déconcertante, Raes de
r{eers, profita dtr mécontentement des villes contre les juges
et les procureurs fiscaux de I'élu pour les liguer, au nombre
doune dizaine, sous Ia présidence de Liége. cette rnême année,
Louis Xr devint roi de France (R. t4{ir-r48s). sa haine nais-
sante contre la maison de Bourgogne le poussait à encourager
les Liégeois dans leur attitude irréductible. Marheureu$ement
pour ces derniers, trop prompts à nourrir de vaines illusions, ce
personnage n'avait aucune loyauté et Liége fut victirne de son
astuce.
En 1463, la rupture entre Louis de Bourbon et son peuple
était eomplète. Le prince-évêque se retirait dans la place fortifiée
de Huy; Raes de }feers devenait bourgmestre ! Deux ans plus
tardo les Liégeois nommaient comme mambour le prince Marc
de Bade. rls se plaçaient sous la suzeraineté de Louis xr et
contractaient avee lui une alliance. A cette époque, le roi de
France, souverain centralisateur à tendances modernes, entrait
en guerre avee la < Ligue du Bien Public >, coalition de grands
vassalrx de la Couronne, dans laquelle Ie duc de Bourgogne
et son fils, Charles de Charolais, occupaient la première
place. Bien Que la bataille de Montlhéry (r) (t6 juiltet t46E)
eût été indéeise, Ies démocrates liégeois déclarèrent la
guerre (SO aott) à Philippe le Bon, auprès de qui Louis de
Bourbon était allé chercher aide et protection. Ils pinèrent le
duché de Limbourg et se montrèrenf si outrecuidants que Marc
de Bade, voyant les affaires se gâter, retourna sans bruit dans
sa patrie. Quelques semaines après, les Liégeois apprenaient \
que Louis Xf, les abandonnant à lèur sort, avait signé un traité
de paix à Conflans (Z) (5'octobre). En même temps, un corps
de 4,O00 gens de métier était battu par Ie comte de Nassau à
Montenaeken (s) (19 octobre). Les. < vrais Liégeois r, désorien-
tés, s'effacèrent devant la bourEeoisie modérée et lui laissèrent
Ia tâche ingrate de conclure Ia < piteuse > paix de Saint-
Trond (22 décembre), par laquelle Louis de Bourbon était
rétabli dans ses droits et Philippe le Bon proclamé mambour ou,

(1) Au eud de Paris, d.ans le voisinage do Corbell.


(2) Au confluent do la Soine et de la Marne, à l,oet do paris lprès d9
Charenton).
(3) Eqtre l,aader et W&rernme, à l,ouest de !iége,
-164__
disons mieux, <t souvgfâin advoué et $ardien ,r de la prin-
cipauté de Liége.
Peu de temps après, les rvrais Liégeois ), surnommés
parfois
aussi r couleuvriniers ), reprenaient leurs manières arrogantes.
Raes de lleers, entouré d'une escorte de fldèles, exerçait sur la
ville une dictature démagogique. sur ces entrefaites, les Dinan-
tals, comptant sur I'appui des Liégeois et du roi de Franee'
entraient à leur tour en conflit avec le duc de Bourgogne, moins
pour générales que par rivalité économique séculaire
-avec des raisons
les gens de Bouvignes, habitant sur la rive gauche cl'e la
Meuse dépendant tlu Namurois. Philippe était âgé de sep-
"f
tante ans; ses facultés mentales s'étaient fortement affaiblies'
Les Dinantais n'avaient pas encore appris à connaître le terrible
caractère de son fils, Charles de Charolais, lieutenant-général
des Pays-Bas, alors dans toute la force de sa
jeunesse.Ils gascon-
nèrent, s'illusionnèrent quant a,ux secours extérieurs qu'ils
pourraient reeevoir. un beau jour, ils virent les hauteurs avoi-
sinant la ville se couvrir de soldats ennetnis; une artillerie puis-
sante défonça leurs murailles; ils durènt capituler (27 aoftt
1466)'
Le châtiment imaginé par les deux Bourguignons fut terrifiant'
Philippe, furieux au point qu'il s'était fait traîner en litière
d'accord avêc son fils pour
;usque devant Ia eité rebelle, fut
Lr4ânrr"r des noyades, des pendaisons, le pillage méthodique
de la ville pendant quatre jours et même sa destruction totale'
æuvre hideuse qui dura sePt mois'
La tension des relations entre la Maison cle Bourgogne et les
Liégeois ne pouvait se prolongel. La crise décisive éclata à la
*o"t de Philippe le Bon (15 juin 146?). Raes de lIeers, aussi
audacieux qu'imprévoyant, prit I'offensive : dans la nuit du
16 au t7 septembre, il s'empara de Htry et contraignit Louis
de Bourbon à chercher un refuge auprès de charles le
Téméraire.
certes, à ce moment, quantité de Liégeois modérés, n'osant
'trahison, trem-
ouvrir la bouche par crainte d'être accusés de
blaient au souvenir de Dinant et désapprouvaient l'équipée du
chef de leurs milices. Mais eelui-ci était entouré d'aventuriers,
de Dinantais ruinés et surexcités; il comptait d'ailleurs sur les
nouvelles promesses du roi de X'rance ! Le châtiment ne se fit
pas attenàre. Charles avait juré de mettre le peuple liégeois
< au fouet et au baston >. Avee ses troupes d'élite et un choix
27 oct'o-
de seigneurs hollando-zéIandais, iI cerna Saint-Trond;le
-165-
bre 1467. Trente mille Liégeois accoururent, conduits par le
conrte Guillaume de Berlo, avoué de Hesbaye, portant l'éten-
dard de Saint-Lambert, Le lendemaino 28, Ies milices eommu-
nales donnaient, à Brusthem, une dernière preuve de leur
traditionnelle vaillance, mais aussi de leur non moins cons'tante
insuffisance tactique. Sept mille citoyens furent mis hors de
combat.
Alors se produisit la débandade. Des milliers de démocrates,
abandonnant leurs biens menacés .de confiscation, se disper-
sèrent dans toutes les directions. Raes de lleers se réfugia airprès
de LouisXI, dont il devint le chamtrellan.
Le 17 novembre, Charles, portant Ie manteau ducal par-
dessus son armure étincelante, entrait solennellement dans la
cité vaincue, par une large brèche intentionnellement ouverte
dans la muraille. fl enleva à Liége tous ses privilèges poli-
tiques, aux métiers leurs rnonopoles économiques; toutes
les villes de la principauté durent livrer leurs armes, démolir
leurs murs et payer des amendes excessives. Le a Perron >,
colonne surmontée d'une pomme de pin, qui symbolisait aux
yeux des Liégeois I'ensemble des libertés de la ville, fut transféré
à la Bourse de Bruges.
On ne pouvait lpaginer humiliation plus complète. Et cepen-
dant, I'ardente cité, courbée sous la main de fer du gouverneur
d'Ifumbercourt, ne s'avouâ pas complètemeirt vaincue. Profi-
tant de nouveaux démêlés entre le duc de Bourgogne et Louis XI,
les exilés liégeois rentrèrent par surprise dans leur ville, le g sep-
tembre 1468. Louis de Bourbon, restauré dans ses droits par
Charles le Téméraiqe, n'eût pas dernandé mieux que de vivre
désormais en paix avec ses sujets. L'expérience I'avait assagi.,
mais il tremblait det'ant son inexorable parent. Affolé, il courut
se cacher à Tongres. Les bannis, conduits par Jean de Horne,
allèrent I'y chercher (nuit du l0 au 1I octobre) et le ramenèrent
en triomphe. Une réconciliation, sincère de part et d'autre, mit
Ia joie au eceur du popularre; une amnistie générale semblait
promettre le retour d'une ere de tranquillité.
Hélas, à ce moment Charles avait une entrevue avec Louis XI
à Péronne (9 oct. et jours suiv.). Là, il apprenait de source sfrre
que son mielleux adversaire, au moment même où il pronon-
çait des paroles de paix, poussait secrètement les Liegeois à
redoubler de résistance. Cédant d'abord à une terrible colère,
106
-'
il parvint cependant à se contenir et invita Louis XI à I'accom-
pâgnel devant Liége. Sans sourciller, le roi, doublement traître,
accepta cette humiliation. C'est en vain, dès lors, que Louis de
Bourbon implore pour ses sujets la,clémenCe de son cousin. Le
27 octobre, I'armée bourguignonne domine, des hauteurs de
Sainte-Walburge, la cité démantelée, vouée à I'impuissance.
Dans Ia nuit du 29 au 30, quelques centaines dlhomtrnes du pays
d.e Franchimont, cond.uits par Vincent de Bueren et Goes
de Strailhe, tentent un ultime effort. Profitant de I'obscurité,
ils se portent vers les habitations du duc de Bourgogne et du
roi de France. Une lutte tumultueuse s'engage à la lueur de
quelques flambeaux. Gardes écossais de Louis XI et soldeniers
bourguignons se combattent mutuellement dans la confusion.
Nul doute qu'en abcélérant un peu leur mouvement au début,
les héroiques six cents Franchimontois n'êussent capturé
les deux souverains et même, comme le déclare I'historien
Philippe de Comines, tr déconfit le reste de l'armée >. Mais la
résistance des Bourguignons eroît d'heure en heure; le jour
apparaît, révélant le petit nombre des assaillants. Les derniers
défenseurs de la patrie liégeoise expirent ou sont contraints de'
prendre la fuite.
Ne'nous attardons pas aux lamentables détails de la ven-
geance qu'exerça Charles à l'égard de la cité vaincue. Après un
pilla$e rnéthodique, accompagné de massaeres et d'horreurs
indescriptibles, la ville fut entièrenrent détruite. La canaille
des villes voisines, unie aux rnereenaires du duc, prit part à
eette curée. Quant au duc, sa féroeité glaciale éveilla tant de
réprobation, en rrn siècb pourtant blasé sous le rapport des
actes de cruautéo que le pape flnit par lui infligpr de sévères
censures ecclésiastiques.
CIIAPITRE IV

LA vrn ÉcorçoMreun ET socrALE


DANS LES PAYS-BAS
SOUS LES DUCS DE BOUR.GOGNE

ProsTtéNtë des Pags-Bos au, milieu du XVe siècle (p. t6g).


Décadence de Bruges. Epanouissement d,Anaers (p. f6g). -
Ruine de la draperie urbaine, Appari\ion de la draperie -
rurale (pp. 168 et 169). Multiplication des échanges (p. f 69).
, Colonisat;i.on des î.Ies -Açores (p. 169).
La- cipilîsat'ton au xve siècle (p. 169). B6lc téduit de Ia
noblesse La aie de Cour 1pp. iAO et tZO). - Les fêtes à la
-
cour de Bourgogne (p. rz0). *- Luæe et eætraaagance des modes
(pp. 170 et f?t). Types caractéristiques d,hontmes de Cour
(pp. l7l et 172).- Mæurs de Philippe le Bon; les Croy
-
(p. 172). * La l:ittérature d'eæpression Jrançaise : les ldslorio-
graphes (p. t.72). Les Mémoires > de philippe de Commines
<<

(p. I72). ,- Crise- religieuse (pp. rZ2 et IZB). Fondnt:ùon de


I'Unioersité de Louoain (p. t?S). -
Les milieun urbains
(p. t73). La qu,estion linguistique- au XVe siècte (pp. fZS
et 174). - Les Chambres de rhétoriq?re (pp. t74 et l75).
Les fêtes
-pubtiques (p. t7E).
Epanouissement des arts au, xve siècle (p. lz5). Loarch.itecture :
- l?6; ; tes h1tels
le gtyle ogtaal tertiaire; les églises (pp. f ZS et
de aille: Jean aan Ruysbroeclt, Mathieu de Layens (p. 176).
Les conceptions artistiques du XVe siècle (pp. lZ6 et 177). -
-
La sculptture (p.l7zl.- Les d.erniers miniaturistes. r,es peintret
--168-
piimit:i,fs(pp.1??et1?8).-Lagrandeécolede'peinhne
Hans Mun'ling
no*oid, au XV" siècle : les frères Van Eyck, (p' 179)'
fZS et r?9). Naissance de I'art m'usical
ipp. -
Les pays-Bas.atteignirent ieur plus haut degré de prospérité.
et cle civilisation au xve siècle sous le règne de Philippe le Bon'
Àou"t lui, la Flandre se ressent encore des convulsions civiles
de la fin du siècle précédent; plus tard, charles le Téméraire
ruine nos provinees et de nouveaux tfoubles soeiaux vont
y
éclater. Reportons-nous donc vers 1450, époque oir le < Grand-
Duc d'occident ) a terminé son æuvre d'unification. A ce mo-
ment, les Pays-Bas sont une ( terre de promission r' Deux
millions d'habitants y vivent dans une complète sécurité, coor-
donnant leurs efforts, sous I'intelligente protection du souverain,
pour faire de leur patrie la contrée la plus riche de I'Europe.
L'agrieulture accuse un état merveilleux de prospérité; le com-
se régénèrent sous I'action de formules
-.i"" et I'itdustrie production,
nouvelles : la libre le libre-échange' la libre
circulation.
La rigide routine corporative du moyen âge, protectionniste
et monopolisatrice, est eneore en honneur à Bru$es' la tt Venise
du Nord ), dont l'éclat est incomparable jusqu'en 1450. Mais
àpartirdecemomentle$olfeduZwijns'ensable,les
trJvaux des draguetirs sont inutiles : Bruges est en ra,pide
clécadence
Atteinte déjà par l'établissement des Anglais à Calais' sous
Henri v, Bruges a une jeune rivale : Anvers. Le hasard d'u4e
inondation a élargi I'Escaut occidental; un avenir superbe
s,ouvre aux habitants du port. Ils se mettent à I',ceuvre, mais
selon de nouvelles méthod,es : en 1460, ils fondent une
Rourse
decommerce,lepremierétablissementdecegenreenEurope;
la libert'é commereiale y est observée avec le respect d'un
dogme'
Un phénomène, identique
qê rr'nr dans I'industr ie. Affaiblis
iÂanrinrrp se produit
par leurs luttes eontre Philippe le Bon et par leurs querelles
intérieures, les centres drapiers urbàins, médiévaux et protec-
tionnistes, voient approcher Ia ruine; la concuilence anglaise
les achève. lvlais p",.aur,t que Gand et Ypres s'appauvrissent,
que Bruxelles et Louvain souffrent de troubles civils, de nou-
velles industries rurales, nées dans les petites vllles et les
_169-
campagnes autrefois opprimées, s'épanouissent sous l'égide de
la liberté économique. Nous les. retrouverons en. pleine prospé-
rité au xvre siècle.
Enfin, grâce au régime de la libre circulation, les produits de
la Flandre et du Brabant sont échangés contre la houille, les
métaux travaillés et les armes du pays de Liége, les harengs de
Hollande encaqués dans de grandes barriques, etc. Dans les
provinees du Nord se produit un phénomène analogue à celui
constaté dans le sud. La vénérable Dort (on Dordrecht)
s'efface, malgré ses étapes et ses privilèges, devant les centres
jeunes et libres z Zierikzée ou Arnsterdam.
Cette brève esquisse de notre situation économique ne serait
pas complète si je ne signalais un curieux mouvement d'émi,
gration de nos aieux vers les lles Açores entre l.{50 et 1490.
Mais, à partir de cette dernière date, les Portugais enva-
hirent les < Iles flamandes > et les colons belges se < méridiona-
lisèrent > complètement. Comment retrouver, par exemple, dans
une famille açoréenne d'aujourd'hui, les L)a Silvad, Ie nom de
leur ancêtre Van cler Haegen?

*.**
Corollaire de notre prospérité, notre civilisation exerce,
au xve siècle, '
une influenee faseinatrice dans I'Europe
entière.
Le rôle politique de Ia noblesse est à peu près terminé: son
rôIe militaire se réduit à mesure que les princes emploient
davantage des mercenaires, étrangers ou nationaux, des
bombardes et des couleuvrines. Imitant I'exemple des
Anglais, Ies derniers ducs de Bourgogne n'hésitent pas à faire
combattre à pied les ehevaliers, mêlés à des arehers et à des
arbalétriers d'élite. En revanche, la noblesse jouit d'une pré-
cieuse compensation : la vie de Cour ! Qu'il réside à Gand,
à Bruges ou à Bruxelles, Philippe le Bon tient < grand esta,t
approchant à estat de roy >r. Il veut autour de lui des courtisans
nombreux et zélés, obéissant aux règles d'une étiquette raffinée.
Il s'assure leur dévouement servile par I'octroi <le titres, de
pensions, de fonctions militaires et administratives. Il attire
de grands seigneurs étrangers : les Clèves-Ravenstein, les de
Fiennes, les d'Auxy; il erée des baronnies nouvelles dont la
-170-
riche roture est friande et organise, en 1439, au profit de la
haute aristocratie, I'illustre'fraternité d'armes nommée ordre
de la Toison d'or.
Philippe adorait'les < prorJigalités, despenses, festoyemens et
chères r. Dans ses palais, ornés de tapis, de tentures orientales,
de buffets et de erédences à panneaux sculptés, il donnait des
fêtes éblouissantes. N'assignant attcune limite à ses dépenses,
il accumulait sur les dressoirs la vaisselle d'or et d'argent orfé-
vrie, sur les tables à nappes damassées le cristal, Ies drageoirs
niellés, les immenses nefs : surtouts en forme de navire ou
d'église. Les divers services des .festins étaient interrompus
par des < entremets u : chants, danses et tableaux vivants dont
ies sujets étâient empruqtés à la mythologie grecque. Les con-
temporains ne tarissent pas en détails srrr les grandes fêtes,
notamment sur eelles qui furent données en 145-l.lorsque le duc
prononçâ le célèbre vceu dit t< du Faisan )), væu de se croiser
pour déliwer Constantinople du joug rles Ottomans. On v vit
Bur une tabLe un pâté contenânt vingt-huit musiciens; un élé-
phant, conduit par un géant. fit le tour de la salle et vint pré-
senter au prince Ia Sainte-Eglise, femme d'aspect éploré,
entourée de voiles !
La recherche de la toilette contribuait à rehausser la splen-
deur de ces fêtes. Les classes dominantes avaient renoncé aux
vêtements amples, aux manches flottantes, aux houppelandes
à traînes, introduites en Europe pendant les Croisades, ainsi
qu'aux coiffures d'aspect monacal : guimpes, chaperons et
cuculles (f ). Elles s'étaient prises d'engouement pour des modes
excessives : pourpoints'collants, senés à la taille et descendant
jusqu'à mi-cuisse, épaules rembourées dites <t mahoîtres a,
chausses étroites, allongeant et amincissant les jambes, souliers
à la poulaine (2) (tui"tschoeneæ) dont la pointe efffrlée se re.levait
en virgule et se rattachait au genou par un cordon de soie !
La silhouette funambulesque des élégants s'accentuait eneore par
leur visage glabre, le chapeau pointu à petits bords qu'ils por-
taient sur le sommet tle la tête, le chapeau de réserve qui se
balançait sur leur dos et les couleurs variées de leurs vêtements
mi-partis. Depuis que Philippe le Bon était ehauve, les cour-

(f) La ouculle était un capuchon. à pèlerine d'entelée.


(2) À la poulaine - ù Ie Polonaise.
-171-
tisans avaient renoncé à leur chevelure drueo eachant les oreilles
. et le front; ils se rasaient soigneusement le crâne et le dissi-
mulaient sous un épals chaperon en fbrme de turban.
Les f'emmes aussi visaient à I'idéale sveltesse, à Ia délicateise
des contours et des traits. IJne cotte longue (la cotte hardie)
ou un eourt sureot bordé de fourrures moulait étroitement leurs
formes, un grand décolletage dégageait les épaures et le cou.
ce dernier devait avoir une apparence aussi allongée que pos-
sible par I'assemblage des cheveux dans un réseau, sous de très
hautes coiffures composées de drap, de crin et de laiton : hen-
nins en f<rrme de pain rle suere, truffeaux cornus, atours cerclés
de bourrelets < à la t'açon de Portugal r.
rmaginons-nous maintenant cette société choisie, couverte de
perles et de bijoux, dans le cadre somptueux de la cour. Nous
n'apercevons au premier aspect que toiles et draps brochés d'or,
fourrures de loutre, barbes de linon, revoilages de mousseline.
Puis les physionomies se précisent. voici res damoiseaux, par.
fumés et sautillant avee une grâce suprême; r'oici les grandes
dames minaudântes, suivies de krurs pages; voici les chevaliers
de la Toison d'or, rouges d.es pieds au chaperon, écartant leur'
manteau de velours doublé dè satin branc pour faire valoir leur
grand collier formé fls,briquets de Bourgogne (l).
Dans la foule des courtisans, certaines figures se détachent
avec netteté. r'e jeune Jacques de Lalaing, chevalier de < belle
et large croisure ,, est le héros de tous les < pas d.'armes r et
tournois < à fers tranchants >; il en discutd les rites minutieux
avec les poursuivants d'armes; les seigneurs admirent sa mirnière
de lancer les défis, les dames exaltent son amour idéar pour la
princesse Marie de clèves. En lui mourïa, pendant la guerre
contre Gand, rrn des derniers représentants de la classe des
< bons chevaliers sans peur et sans doubte >.
Remarquons maintenant dans ce groupe de ciTambellans
d'esprit rassis, discutant eollections et ceuvres d'art, Ie célèbre
Nlcolas Rolln (t rs80-r 462), chancelier de Bourgogne. rssu
d'une maison de n petit lieu ,. cet exceilent juriste et diplomate
est, à la fbis, le plus trevailleur et le plus fin des serviteurs du
prince. Aussi < Maistre Nieolle r fut-il pendant quarante ans
le eollaborateur par excellenee de philippe le Bon qui, eu
(1) Ornement héralctique en foùme de 3 adossér.
*172*

égard à ses mérites, lui pardonnait ,son ambition et sa

eupidité.
Èig,rr" culminante de la Cour, Philippe, justement sur-'
nommé l'< Asseuré )), apparaît < droit comme un jonc )), en
imposant à tous par sa politesse étudiée et la noblesse de ses
allures. Dans sa jeunesse, il allie à ses qualités exceptionnelles
des goûts bien appropriés à une époque fort corrompue.
Le luxe
de ses costumes va jusqu'à I'extravagance,ses aventures galantes
sont innombrables, il est fier du nombre de ses bâtards (dix-
huit, disait-on) et les fait élever dans son entourage. PIus tard,
Philippe, atteint de déchéance sénile, se laisse eirconvenir par
une famille ambitieuse : Antoine de croy, seigneur de chièvres
et d.u Rceulx, devient < I'oreiller sur quoi reposait le bon duc
Philippe r. Avec son frère Jean, comte de Chimay, il parviendra
il btouiller le prince avec son fils'
La fastueuse maison de Bourgogne était protectrice naturelle
des littérateurs et des artistes. t-rançaise d'expression, elle
t'avorisa le développement d.'une littérature de Cour, fortenrent
imprégnée de I'esprit de la Renaissance, mais'artificielle et de
.rut"rr" médiocre. Les meilleurs représentants du genre littéraire
furent les < indiciaires I ou historio$raphes. Recevant unc
pensionn ils fournissaient au Mécèn9 qui les faisait vil.re des
travaux de cornmande remplis d'éioges excessifs. Cependant
Geor$es Chastellain, du pays d'Alost, rédigea des < Chro-
niques > sincères; Edmond de Dynter composa sa < Chronique
dJ ducs deBrabant r d'après des pièces d'arehives authentiques.
Quant à Phitippe de cornmines (1445-1509),
intrigant perfide
Ài, hirtorien hors pair, il fut Ie conseiller intime de Çharles
le Téméraire. Il vendit ensuite ses services à Louis XI, dont it
tlevint le meilleur diplomate; il pnrfita de sa situation excep-
tionnelle pour rédiger des Mémoires d'une ampleur de vtles
vraiment euroPéenne-
Durant la première moitié du xve siècle, Ia catholicité tra-
versa une erise. Les doctrines des prècurseurs de la Réforme
:

\{ycliffe en Angleterre, Jean Huss en Bohême, ainsi que les


dissensions religieuses connues sous le nom fls grand
te sehisme
d'Oecident r avaient eu leur répercussion dans les Pays-Bas'
Alors que, d'une part, la foi s'affirmait par des manifestations
publiques ardentes et pat I'augmentation des ordres religieux
ioues-à la méditation, on voyait d'autre part s'accentuer la
-173-
défiance ou le dédain à l'égaicl des papes et des conciles æeu-
méniques. Les classes riehes, peu à peu envahies par I'esprit
paien tle la Renaissance, eommençaient à se montrer sceptiqucs
à l'égard de Ia conception chrétienne de la vie f'uture.; elles
cherchaient leurs satisfactions dans le plaisir du moment. Les
masses pauvres, outrées par l'étalage de richesses des classes
possédantes, ne se laissaient plus consoler par les exemples de
I'Evangile. Notrc clergé se trouva désemparé devant cette crise
d'inquiétude morale. Ni la vieille inquisition épiscopale, ni
celle des dorninicains, instituée au xrrre siècle, ne purent
enruùyer les hérésies naissantes.
Le clergé restait eependant eneore très puissant, dominait
en grande partie I'enseignement et maintenait la scienee dans
ses cadres médiér'aux. Bientôt même, il puisait des forces dans
un nouveau milieu d'orthodoxie : I'Ijniversité de Louvain,
fondée en 1425 par le duc de Brabant Jean IV. Des professeurs
éminents, appelés cle Paris et d'ailleurs, donnèrent à cet établis-
sement scientifrquc une grande renommée; la ville se remplit
de collèges et de fondations. Les papes y avaient autotisé I'ensei-
gnement de la théologie et de plusieurs seiences, mais ce fut
surtout la dialectique, inspirée du génie de saint Thomas
d'Aquin, qui fut pratiquée avec éclat, à la faculté des Arts de
I'Alma Mater (ll.
Devenues plus grandes et plus riehes, les villes des Pays-Bas
sont, vers 1-150, des rnilieux de vie intense et frémissante. Le
donlort rnatériel y a fait des progrès : les fenêtres ont désor-
mais des vitres, les toits des cheminées, les rues principales
un sol pavé. Les places sont ornées de fontaines; les appar-
tements garnis de meubles sculptés, de tapis et de cuirs de
Cordoue. A I'ouest et au nord de la frontière'linguistique, les
villes sont essentiellement flamandes. Bien que le français s'y
soit répandu, le flamand y est resté le langage eourant, le
véhieule économique, scientiflque et littéraire. Au début du
siècle, les ducs cle Bourgogne ont essayé de franciser le régime
administratif et judiciaire. Mais les Gantois ont répondu à
Jean sans Peur : << dat rnen gheenen Walschm mandetttmten
obefileren en zouden (2) ,.Aussi les ducs n'insistent-ils pas; ils

(1) La q mèrenourricière r.
(2) Qtre I'on n'obéirait pas à des mandements dorurée en fra,nçais.
-i74*
rnaintiennent Ie bilinguisme officiel dans les régions thioises.
Seulement, pâr suite de I'emploi de nombreux gallieismes, le
langage administratif flamand devient un jargon. Les relations
avec les milieux français et la pédanterie tles érudits ont
attéré la pureté de la langue flamande. Elle ne produit
plus aucun génie littéraire. C'est l'époque des Charnbres de
rhétorique.
Simples mutuâlités, eréées jadis par des bourgeois pour assurer
des honneurs funèbres à leurs membres, les Chambres de rhé-
torique sont bientôt devenues des milieux de distraction. Assis,
le soir, autour de tables chargées de brocs de bière, les joyeux
compagnons de < I'Alpha et Oméga > d'Ypres ou des < Vio-
lieren r d'Anvers composent des refereinen (pièces de circon-
stance), des chansons, des êuvres lyriques et dramatiques.
Emules du célèbre Anthonis de Roovere, < prinche ttan Rheto-
rijke n, ces bourgeois, artisans modestes ou rentiers cossus,
pratiquent leur < Const > (art) avec un louable enthousiasme,
mais aussi, hélas, avec une incroyable médiocrité de moyens.
Rien n'a survécu de leurs productions interminables.
Les Charnbres de rhétorique n'en ont pas moins eontribué
pour une large part à intensifier le gofrt des cérérnonies
publtques chez nos aïeux. Le xve siècle est l'époque des fêtes
en plein air. L'éciat des processions ou ( ornmegangm >t est
rehaussé par des groupes de figurants : soldats romains, Pro-
phètes, martyrs diubl"., ainsi que par des chars : théâtrâs
"i
roulants oir se représentent des seènes des Ecritures (wagen'
spelen). Les < Iandjuweelen (l) >, coneours publics souvent
bilingues, entre Chambres de rhétorique des diverses vlUes du
paYs, sont I'oecasion de cortèges pompeux. Des hérauts d'armes
ou des eavaliers vôtus de drap écailate portent les bannières et
Ies blasons des différentes chambres (2); les groupes eoneurrents
s'avâncent solennellement, précédés de foub gambadant et <le
valets portant les prix (médailles, eoupes, drageoirs) acquis dans
des joutes antérieures.
. Sur les
places publiques, les représentations théâtrales durent
parfois plusieurs jours. Le mérite des Chambres compétitrices

(1) Joyaux du pays.


(2) Par exemple, la branche d''olivler flgure sur le blason d'e la chambre
rl'OWltapk l d'Ânvers.
-175-
se fait valoir dans les rnystères ou scènes empruntées à Ia
vie du Christ, les miracles ou vied de saints. les moralités
(sinnespelerz) : allégories édifiantes, Les abele spelen: épisodes
courtois empruntés aux romans de chevalerie, les farces
(sottemi,m ou hluchtenl.
Le < bon due r Phitippe adorait, lui aussi, les cérémonies
populaires. Sa visite aux Gantois, en 1458, cinq ans après la
défaite de Gawe, fut accompagnée de fêtes où Souverain et
Commrrne rivalisèrent de somptuosité. Les faça<les des maisons
étaient cachées par des draps d'or, des tapisseries, des plaques
d'argent et des peintures sur châssis; les métiers et Serments,
en habits de fête, faisaient la haie; au coin des rues, sur des
estrades, des acteurs ou des mimes replésentaient des scènes
historiques et mybhologiques. Tournois, concours de tir, lar-
gesses, illuminations et banquets se succédèrent pendant une
couple de semaines.
***
Tout eornme les Grecs célèbrent leur < siècle de Périelès r,
nous pouvons nous glôrifier de notre < siècle de Philippe le
Bon r, époque oir les arts, sous tous leurs aspects, prirent un
essor merveilleux.
Le style ogival çst entré dans le stade tertiaire ou flarn-
boyant, caractérisé par des ogives à grand écartement, parfois
même surbaissées (l), des vitraux ornés de courbes entrelacées
en manière de flammes, des voûtes compliquées et une riehe
ornementation. Au milieu du xrve siècle, Jean Appelmans
avait eommencé l'édification, en style ogival secondaire, de la
collé$iale d'Anvers. Grâce à son fils Pierre, ce chef-d'æuvre
de hardiesse s'épanouit, vers 1450, en un immense vaisseau de
sept nefs, entouré de chapelles. A Malines,l'église métropolitaine
de Salnt-Rombaut est reconstruite dans un style grandiose et
flanquée d'une tour énorme, æuvre de Wauthier Coolrnan.
L'église de Saint-Pierre, à Louvain, due au Diestois Sulpice
van Vorst, présente au regard trois nefs majestueuses séparéès
par des faisceaux de colonnettes. Beaucoup d'autres temples,
à Bruxelles, Alost, Lierre, Tongres, retiennent I'attention de

(1) Arcade dont la mont6e eet moindxs q.ue la moitié de l'ouverture.


_- t76 --
I'artiste et de I'arehéologue par leurs arcs-boutants à plusieurs
étages, leurs hauts gâbles triangulaires, leurs balustrades
ornées de quatre-feuilles, leurs toits hérissés de fleurons et de
croehets.
Les constructions civfles ne le cèdent en rien à l'architecJ,ure
saerée. Les riches Communes veulent avoir des < parloirs aux
bourgeois r dignes de leur rang. D'aucttns, comme le petit hôtel
de ville de Bruges, avec ses tourelles en encorbellement, ou
comme celui d'Alost, au perron en saillie, se bornent à être
charmants. Celui'de Mons a de gracieuses fenêtres, coiffées
d'ares en accolade, mais il a été gâté par de maladroites addi-
tions, au'xvrue sièele. L'art architectural flamand est porté à
tm suprême degré de perfection dans le duché de Brabant.
Commencé en 1402, I'hôtel de ville de Bruxelles ressernble
à une gigantesque pièce d'orfèvrerie, avee sa façade couverte
d'une profusion de statues, de niches et de dais. Il est l'æuvre
des architeetes Jacques van Thienen et iean Yan Ruys-
broeck, mais ee dernier, < maître des maçonneries au duché
de Brabant >, est plus eélèbre que son collègue. Il est, en effet,
I'auteur de I'incomparable tour qui projette, au-dessus de
l'édifice, la silhouette de sa flèche ajourée et de ses cloehetons
en dentelle. Mathleu 9e Layens, t< maître ouvrier des maçon-
neries de la ville de Louvain >, est paré d'une gloire égale.
. De 1448 à 1460, cet artiste érige avec amour un hôtel communal
qul fera la renommée de la seconde capitale du Brabant. Dressé
d'un seul jet, ce palais aux façades couvertes d'une décoration
senée de feuillages et de statues, apparaît eomme une châsse
t"iï
3":[i:H xve siècle avait, de l'arr,.rr," ditré-
"or""ptionde nos
rente de celle d'aujourd.'hui. Le peintre ou Ie sculpteur
jours se sent un intellectuel, il poursuit généralement la réali-
sation cle son idéal dans une æuvre trouvant en soi-rnême
sa raison d'être. Il expose son tableau ou sa composition.
sculpturale dans un Salon et pratique ainsi ( I'Art pour
I'Art )).

A l'époque des ducs de Bourgogne, I'artiste reste avant tout


un ouvrier d'art, qui cumule divers talents. fl situe ses créa-
tions artistiques dans un milieu : le tableau ou le bas-relief
devient un volet ou un compartiment de retabler la statue orne
un portail. Son exquise et patiente aspiration vers le Beau se
r77 _
rassasie indifféremment en sculptant un marteau de porte ou
le couveicle d'un coffre en bois, en dessinant le modèle d'un
hanap, d'une bague, d'un mouchoir en rlentelle, d'un vitrail
ou d'un panneau de tapisserie. L'artiste du xve siècle recherche
donc I'Idéal dans la vie même et sous tottes ses formes ; il igndre
la notion des a arts inférieurs ). On s'imagine combien il devait
trouver à s'occuper dans une société enrichie, affinée, et acquise
au gotrt des belles choses. La Cour et les < Magistrats r des
grandes villes se disputaient ses ceuvres.
La sculpture au xve siècle a pris un caraetêre très national,
surtout au sein de l'école < bruxelloise r. Cet art a perdu
son aneienne gaucherie; encore un peu raide et naÏf, il est
très réaliste, tantôt gracieux, tantôt grimaçant. Les per-
sonnages des Ecritures qui peuplent les façades des monuments
publics sont, en réalité, des figures contemporaines des n ymai-
giers r qui les sculptent. On s'étonne parfois du caraetère cru
de certains petits groupes ornant les églises ou les hôtels de ville.
Les ecclésiastiques du temps n'en prenaient point ombrage,
ayant ce fonds de jovialité tolérante qui forme un des traits
de notre race et d'ailleurs considérant plutôt ces compositions
eomme édifiantes
Le perfectionnement de la techniqùe multiplie les ouvrages
de sculpture en ronde bosse. Le Zélandais Claus Sluter,
sculpteur'de Philippe le Hardi, se place en tête de ces artistes
qui se spécialisèrent dans l'érectiorr de sarcopha$es magni-
fiques. La Bourgogne possède de lui le < puits de Moise I et
d'autres æuvres de tout premier ordre. Aux Pays-Bas, les beeld'
sniders adaptent leur génie au talent des scrijnwerckere ( < escri-
niers ), menuisiers) pour confectionner ces chaires à prêcher"
confessionnaux, bancs de communion et retables, eouverts
d'une floraison de sculptures, dont on retrouve des spécimens
jusque dans les églises de Scandinavie et d'Espagne.
Représentants d'un genre presque disparu, les frères Van
Lirnbur$ enluminent de miniatures ravissantes un livre de
prières d'un oncle du roi de France Charles VI, livre célèbre
sous le nom de r< Très riches Eleures > du duc de Berry. Les
peintres (pingerers ot beeldeaerwer's) du début du xvê siècle
sont très occupés. C'est à eux que les qutorités ont reeours pour
I'ordonnance des fêtes et des eortèges, la décoration des scènes
théâtrales, des Chambres de rhétorique ou des salles de
-178-
banquet. D'autres consacrent leur existencg à peindre' qoul
les couvents et les églises, des saints et des saintes sur fond
or, selon la manière des peintres rhénans, ou des scènes de
la Passion, ageneées avec toute la raideur des vieilles firrurules
byzantines.
Mais voici que, parmi ces primitifs, une école fait éclosion et
produit, en quelques années, des génies qui feront I'orgueil de

R'ETABLE DE L'EGLISE SAINTE-DYMPHNE' A GHEEL


(D'après le ItecueiL de Van Yscnclijck.)

Ce retable à trois comlrartimcnts relrrésente la Pas.sion


du C].rrist. Il cst en bois scullrté of polychlomé; son exécu-
tion tÔmoigtae d.'un talent de composition et d'une habileté
technique réellemcnt merveilleux.

notre nâtion. Lc précurseur en est un Flamand, Melchior


Broederlain (Broederlarn), peintre et < valet de chambre (1) n
de Philippe le Hardi. Son coloris est encore dur et les têtes de
ses personnages sont triviales. Puis, dans la première moitié
du xve siècle, apparaissent les frères Van Eyck, nés à Eyck'
sur-Meuse (Maaseyck). L'aîné, Hubert (1366?-1426), nature
austère et concentrée, commence, à Gand, |e célèbre retable

(1) Cette gualité reprêseqta,it ulr titre honorlûq.ue.


I

l?9-
représentant l'Adoratlon de I'Agneau mystlque (l). Le
cadet, Jean (f 1390-1440), < valet de chanrbre et peintre r de
Philippe le Bon, diplomate comblé d'honneurs, est le génie Ie
plus illustre de la premlère école flamande. Lui et son
frère n'ont pas comme on l'a cru longtemps inventé la
- auxquels
- mais des mélanges onctueux grâce
peinture à I'huile,
leur art a pu évoluer en peu de temps d'une manière complète.
Jean est I'auteur de scènes des Ecritures et de portraits
d'un réalisme méticuleux, cependant plein de grâce et de
noblesse.
Ce même siècle a encore produit Dirk Bouts (+f391-1475),
peintre de Haarlem qui place'ses personnages, impassibles et
Iongs comme des échassiers, dans des paysages d'une finesse
de miniature. Le Tournaisien Roger de la Pasture (van der
\Meyden) (tf 400-1464), K portraituerdere > de 'la ville de
Bruxelles, peint des madones et des anges un peu grêles, d'une
douceur recueillie. T.e Gantois Hugo van der Goes (+1420-
1482), mort dément ag prieuré de Rouge-Cloître (près de
Bruxelles), est l'émule de Jean van Eyck; ses portraits de princes
bourgrlignons sont hors pair. Enfin le Mayençais Hans Mern-
Itng (*r4ii5-1494), fixé aux Pays-Bas depuis 1467, donne à h
mystique et réaliste éeole brugeoise son merveilleux renom.
IJsant de toute Ia gamme des tons pourpres, einabres, ocreux,
il peint des portraits, des Vierges et des saintes aux doigts
effilés, aux attitudes chastes et gracieuses, drapées dans des
robes de féerie. Il est I'auteur de la Châsse de Sainte-IJrsule
(aujourd'hui à I'hôpital Saint-Jean, de Bruges), dont les pan-
neaux situent des personnages nombreux dans des panoramas
d'une exquise délicatesse.
Un dernier art s'impose à notre attention : la muslque.
Exclusivement religieuse, elle est eneore froide et sèche. Mais
déjà un compositeur hennuyer, Jacques Barblreau (deuxième
moitié du xv! siècle), maître de chapelle à l'église Notre-Dame
d'Anvers, et son élève, Jean van Ockeghem, maître de cha-
pelle du roi de Franee Charles Vff, artiste surnommé < Ie vrai
trésor de musique )), annoncent la pléiade des grands musiciens
du xvre siècle.

(f ) Ce retabte orne l'église ds Salnt-Bavoh, à Gan<l.


CHAPITRE V

LE RÈGNE DE CHARLES LE TÉrIÉNAIRE


(r46?-r4??.)

Education et caractère de charles le Téméraite (pp. r80 et l8l).


,Ses querelles aaec Louis XI et aaec Phi,l'i,ppe le Bon (pp' f 8l
-et 182). Gouaemement de charles conl,næ lieutenant-général
-
11465-14671 (p. r82).
Pol:itiqte intérieure desTtotique tle Charles le Ternéraire (pp. f82
et 183). ,Ses réformes central;isatrices (p. f 8S). Ses confits
rnec Ia -
populaûion des Pays'Bas (pp. t83 et -
184).
Ileureuæ débuts de Ia politiqte eætérieu,re de Charles (p. f8a)' -
Ses aastes projets @. f 84). 1"67'p7(e bourgui'gnonne (pp' f 8a
et f 85). -
Caractère décousu de la politique de Charles (pp. f 85
et 186). - Echec du siège de Neuss [1475] (p. 186). - Le duc
conquiert- te d,uché de Lorraine $. 186). Il est battu par les
'^gufsses
à @andsoel [2 rnars 14?6] et ù -Morat [22 juin 14761
(pp. 186 et f 87). Siège de Nancg et mort de Charles [5 jan-
vier 14771
-
(p. r87).
Il fait
beau voir ces hommes d.'a,tmog
Qnantl ils sont montés et bardés.

i:t *"it"*, a! r'*ot"" àotà


Pour ruer sus Lombard.e Par tene !
Entre nous, ioyeux compa8lrons,
' Suivous la guerre !
(Choneon de g:uerro du xv' etèclo')

A la mort tle Philippe le Bon, son fils, Charles de Charolais


(né à Dijon en 1433), avait trente-quatre ans. Petit de taille,
mais vigoureusement bâti, il avait une chevelure noire, épaisse,
t8l --
urr teint olivâtre, iappetantglcelui de sa mère Isabelle de'
Portugal. Celle-ci, princesse de caractère grave, avait f'ait donner
à son fils une éducation austère et une instruction solide. La
Cour estimait I'héritier de la Couronne eomme bon joutertr et
chasseur intrépide; les lettrés appréciaient son gofrt pour la
musique, les arts, la poésie épique et I'histoire; le peuple des
Flandres lui savait gré d'avoir appris sa langue et de se mêler
parfois aux réjouissances et concours des Serments. Cependant,
son caractère coneentré f'rappait tout le monde. Non seulemetrt
il fuyait les plaisirs d'une Cour liccneiettse, mais il recherchait

cHARLES LE, TÉMÉRAIRE


' lClabinet tlcs rnéilailles, Ilrttxellcs.)

c,1i1h"",of ltfi -i.,ifr :]l:'f,i",lî"iï"',î';'ài:u'.1Ë*"li,,ta$:


Charles, revers, tc bélicr et les briquets de la 'l'oisolr
â11
ù'Or, uvcc la flèrc, devise , Je I'ai ernltritrs (erttrt'Jlris),
bien en aviengne

même la solitude. Ses lèvres rasées avaient un pli glacial, ses


yeux noirs une expression mélancolique, parfois hagarde.
Charles de Charolais avait connu très tôt de cruels désen-
chantements. Le Dauphirr de France Louis, fils de Charles VII,
s'étant querellé avec son père, en 1456, s'était mis sous la pro-
tection de Philippe le Bon. Royalement installé au château de
Genappe, il y avait mené joyeuse vie et était devenu I'ami
intime de Charles de Charolais. Or. dès 146l ,après la mort de
'
Charles VIf, Louis, onzième tlu nom, devenu roi, eommença
Ia longue série de ses attaques contre la Maison de Bourgogne.
Connaissant I'ascendant qu'exerçaient les sires de Croy sur
Philippe le Bon, dont les facultés étaient lbrtement affaiblies,
*r89_
il aèheta le concours seeret de ces seigneurs et parvint, grâce
à eux, à obtenir de Philippe le rachat moyennânt une somme
importante des villes de la Somrne,- cédées aux Pays-Bas
en 14i35, par- le traité d'Arras.
Charles fut écæuré par la perfidie de son ancien compagnon.
Il voulut faire revenir son père sur sa funeste décision, mais
celui-ci, aveuglé, le traita en suspect et le relégua en Ilollande !
En 1464, Charles lança un éloquent appel aux Etats généraux
pour qu'ils le réeonciliassent avec Philippe. Il obtint son pardon,
parvint enfin à provoquer la disgrâce des Croy, mais cette
aventure lui laissa, pour toute I'existence, un esprit soup-
çonneux.
Pendant les deux dernières années de sa vie, Philippe le Bon
fut atteint de plusieurs congestions qui aboutirent flnalement
à I'apoplexie. I)epuis 1465, Charles était lieutenant-général de
ses futurs Etats. Sitôt qu'il fut nanti de ses pleins pouvoirs,
.il dévoila son caractère complexe. Il était follement intrépide
au eombat, comme nous I'indique son épithète de Téméraire;
de mæurs rigirles, il réorganisa sa Cour dans ce sens; il avait un
réel amour de la justice et tenait plusieurs fois par semaine des
audiences publiques, oir chaeun de ses sujets pouvait venir
exposer ses doléances; il travaillait avec acharnement, aidé par
ses généraux et eonseillers les plus fidèlesl enfin, il savait faire
naître autour de sa personne de profonds attachements.
-Malheureusement, Charles n'avait pas le sens des réalitéb
politiques. Obstiné, comme tous ses aïeux, il s'entêtait à pour-
suiwe les projets chimériques otr le poussait son ambition. La
,moindre résistance Ie jetait clans des accès de i^age et nous
' sa\rons, par Ie récit de ses luttcs contre les Dinantais et les Lié-
geois, à quels excès le conduisait sa férocité native.

,r*,n

Charles le Téméraire était despote, par tempérarnent et par


système. Aussi Ie programme paternel à l'égard des provinces
et des eommunes ne lui sufÊt-il plus. Au début dè sôn règne,
il voulut cependant user de modération, mais nos villes se mon-
trèrent imprudentes. A peine Philippe le Bon avait-il fermé les
yeux que Gand réclamait I'abolition du traité de Gavre (voir
p. 158). Venu dans cette ville pour y être inauguré, Charles 1'ut
_183_
Iittéralernent bafoué par les gens de métier (fin juin f46?).
L'agitation gagna les cités du Brabant. Puis vint la révolte de
T.iége (1467-f468) ! Alors Ie duc perdit patience. Vainqueur des
Liégeois, i[ se retourna vers la Flandre. Le 8 janvier 1469, une
cérémonie solennelle d'expiation eut lieu au palais de Bruxelles,
en presence des chevaliers de la Toison d'or, du corps diplo-
matique, des ambassadeurs de Chypre, de Livonie et de Mosco-
vie. Les échevins et doyens de Gand durent ramper, sur les
genoux et les eoudes, vers le prince impassible, qui lacéra lcurs
chartes de ses propres mains. Les autres Communes, courbées
sous un vent de terreur, se soumirent.
Au point de vue des institutions générales, Charles com-
pléta l'æuvre de centralisation de Philippe le tson.
Il réorganisa le Grand Conseil ambulatoire qu'il scinda en
deux groupes (édit de Thionville, 1473) :
a) Le Conseil diEtat, qui fut chargé d'élaborer les décrets
et lois générales du souverain.
b) Le Parlement ou Grand Conseil de Malines, qui
devint une Cour d'appel pour tous les Conseils provinciaux des
Pays-Bas, sauf pour ceux de Brabant, de Hainaut et de Gueldre.
Charles réunit aussi toutes les Cours des Comptes de ses Etats
en une Charnbre des Cornptes, à Malines.
Bien qu'elle se fût attachée à la I\{aison de Bourgogne, la
population des Pavs-Bas finit par abhorrer son souverain,
Charles rudoyait le clergé et la noblesse; il inrposait I'emplo!
exclusif du français comme langue administrative. Quoique
son père lui eût laissé,.en meubles, vaisselle et écus d'or, un
trésor magnifique, il dépensâit, en frais de guerre et de repré-
sentation, bien au delà de ses movens. Pour parer à ses ennuis
pécuniaires, il se mit à vendre au plus offrant les charges judi-
ciaires; puls il accabla de contributions extraordinaires les pro-
vinces'et les villes. Mécontents de voir le pays saigné à blanc
pour des entreprises militaires européennes qui ne les intéres-
saient pas, les Etats généraux osèrent en venir à la résistance
ouverte, lors de la session d'awil 1476. A ce moment, Charles,
qui avait autrefois remplacé les obligations militaires fêodales
et communales par des taxes de rachat, se sentait acculé et
avait fait ordonner une levée en masse de tous Ies hommes
capahles de porter les armes. Son Chancelier, le violent Guil'
laume Hugonet, menaça les Etats, hostiles à ce projet, de
-1E4-
confiscation de corps et de biens. < L'on parlera bien à vos
testes, r dit-il, dans une tentative d'intimidation dernière. Peine
perdue, il ne put amener les < testes flamandes si grosses et si
dures , (f ) à renoneer à I'un de leurs derniers et plus précieux
privilèges : I'indépendance au point de vue militaire. La mort
inopinée de Charles le Téméraire préserva les Etats d'un rigou-
reux châtiment.
,t **,
.
Dans le domaine de la politique extérieure, les débuts du
duc Charles avaient fait augurer d'excellents résultats. La
( guerre du Bien Public l (voir p. 163) s'était terminée, le
5 octobre 1465, par le traité de Conflans, qui rendait à la
Maison de Bourgogne les villes de la Somrne. Le tralté de
Péronne (octobre 1468) avajt consaeré I'humiliation de
Louis Xf. D'autre part. Charles avait, le 3 juillet 1468, épousé
en secondes noces Marguerite d'York, sæur du roi d'Angle-
terre Edouard IV (R. 146l-14,83), et renoué les liens d'alliance
avee la Grande-Bretagne.
Le duc de Rourgogne nourrissait un plan grandiose : unir
ses ( pays de par delà > (Bourgogne, Franche-Comté, Cha-.
rolais) à ses ( pays de par deçà r (Pays-Bas), mais il manquait
de méthode et entremêlait à ses visées raisonnables des projets
insensés de reconstitution du royaume attribué à Lothaire par
le traité de Verdun. Ses rêves Iui faisaient entrevoir une domi-
nation bourguignonne s'étendant de la mer du Norcl à la Sicile,
voire même à I'Etrrope entière !
Pour accomplir ses projets, Charles se créa une rnarine de
$uerre, rivale de celle de I'Angleterre, et une excellente
arrnée. Le noyau en était formé par un corps permanent de
vingt < Compagnies dtordonnâncê r, de cent < lances >

chacune. Chaque ,. lance ) comprenait neuf hommes, diverse-


ment armés, combattant les uns à pied, les autres à cheval, et
dont le chef était nommé gendarrne. C'était la plus redoutable
troupe montée de I'F)urope que cette cavalerie lourde des gens

(1) Déjà dans la deuxième moitié du xv" eiècle, lee termês I'r,.lxnnn et
Fr,e:neNps commeno€nt à s'employer en Europe Jrour désigner I'ENsEwTBLE
d.ee Pays-Bas of la tor.tr,rrÉ de leurs habitantg.
.- 185
-
d'armes. Ils portaient l'armure complète , de plaques d'acier
articulées; un casque rond et léger, I'armet, à crête empana-
chée et à visière en < bee de moineau >, leur enveloppait
la tête.
L'infanterie se composait de mereenaires anglais, rhénans,
italiens, picards et ar!ésiens, hardis gaillards qui marehaient
à la bataille presque sans armement défensif. Un ehapeau de
fer bombé, à lar:ges bords et sans crête,la salade' une camisole
de mailles ou une cuirasse abdominale leur suffisaient. Il y avait
parmi eux des archers, des arbalétriers dont les armes à cric
perfectionp{ss lentes à manier, il est vrai tuaient net un
adversaire à deux- cents pas, des haquehutiers - ou couleuvri-
niers, munis d'ttn petit eanon à nrain qu'ils déchargeaient en
le 'fixant dans une fourchette appuyée sur le sol. Ces mêmes
éléments se retrouvaient dans les troupes montées
Charles s'était aussi créé une artillerie célèbre, de trois
cents canons : couleuvrines sur affûts et bombardes (donder'
bussen); ces pièces étaient servies par un personnel expérimenté,
coiffé de toques et armé de poignards. Le train des équipages
représentait quatorze cents chariots d'artillerie, de munitions
et de subsistanees.
Le caractère décousu cles opérations militaires et des entre-
prises diplomatiques de Charles le Téméraire est frappant.
En 14?3, il arraehe à Adolphe d'Egmont le duché de Gueldre
(avec le comté de Zutphen). En septembre de la même année,
il se rend à Trèves otr I'empereur Frédéric III a promis de le
couronner roi de Bourgogne et de le proclamer vicaire de I'Em-
pire. Mais I'ondoyant Allemand, peut-être instigué par Louis Xf ,
recommence à l'égar<l de Charles le tour qu'il a joué dix-neuf
âns auparavant à Philippe le Bon, à Ratisbonne. Il prend furti-
vernent la fuite dans la soirée précédant la cérémonie, alors que
la couronne et le manteau royal étaient prêts et que le trône
était déjà érigé dans I'attente du nouveau monarque !.
Ridiculisé par cet incident, le Téméraire n'en devient que
plus ombrageux. En 1474, il se trortve en présenee d'une révolte
de la Haute-Alsace, territoire dont il a fait I'acquisition en
7467 afih de jeter un pont entre le Luxembourg et la Franche-
Comté. Il ordonne à son gouverneur, le féroce Pierre de Hagen-
bach, d'exercer une répression cruelle. Mais les cantons helvé-
tiques, alarmés par les entreprises encerclantes du duc de Bour'
*186_
gogne, viennent à la rescousse des Alsaciens. Bâlois, Bernois,
tr'ribourgeois, paysans des cantons forestiers (l), s'unissent aux
Souabes et marchent au nord vers Mulhouse, à I'ouest vers
Montbéliard (2). En même temps les bandes de Louis Xf rava;
gent I'Artois. et le Hainaut.
Qu'entreprend le duc pour parer à ces dangers? Loin de se
consâcrer exclusivement à les combattre, il se mêle aux affaires
de I'archevèché de Cologne, se met à dos tout le Saint-Empire
et perd un an (30 juillet 1474-15 juin 1475) à lbire, sans sueeès
d'ailleurs, le siège de Neuss (3). Entre-temps, Louis XI a si
habilement sù intervenir dans la guerre civile des < Deux Roses l
en Angleteme qu'Edouard IV d'York (rose blanche)o alarmé par
les progrès des partisans des Lancastre (rose rouge), abandonne
I'alliance bourguignonne (août 1475).
Dès lors les événemcnts se précipitent. Charles, encore très
puissant et entouré d'un énorme prestige malgré ses débôires,
enlève Nancy au jeune cluc de Lorraine, René II de Vaudemont.
La jonction néerlando-bourguignonne est chose faite.
Charles, allié à la duchesse de Savoie et au duc de Milan, se
voit déjà maître de la vallée du Rhône, de la Provénce, de
I'Italie ! Mais les Suisses, poussés à bout par sa rigueur, déci-
dent de jouer leur va-tottt. Le 2 mars 1476,leurs épais earrés
de piquiers, eonduits par Nicolas de Scharnachthal, culbutent
I'armée bourluignonne à Grandson (4). Cet échec provoque
dans toute I'Europe une profonde sensation. IJn an aupara-
vant, Charles, entouré de princes et d'ambas-.adeurs, multi-
pliant les réceptions somptueuses dans la grande ville en bois
qu'il avait fait construire autour de Neuss, passait eneore pour
invincible !

Artisan de son propre malheun, Charles s'enrage après la


victoire, brave les fureurs de son armée exténuée et les clameur,s
de ses peuples ruinés. IJn nouvel effort militaire, trop hâtif, le
conduit à la débâcle'de Morat (5), oir les Suisses lui enlèvent

(1) Leg quatre cantons forestiers, autour du lac helvétique d.e ce nom
(V ierw ald.staetter see).
(2) Montbéliard, au sud-ouest de Belfort.
(3) Ville à I'ouest de Dusseldorf, aujourd'hui dans la Prusse rhénane
lnférieure.
(4) Dans le eanton cle Vaucl, au eud-ouest ilu lac cle Neuchôtel.
(5) Dans le canton de tr'ribourg, à I'est du lac de Morat.
-187-
toute son artillerie et sbs trésors (22 juin 1476). Cette fois, il
faut battre en retraite. Suisses, Autrichiens, Français, Lorrains,
harcèlent les débris des forees bourguignonnes; le 6 octobre,
René de Lorraine rentre dans sa capitale. Il ne reste à Charles
qu'une issue : la retraite vers le Luxembourg, où., couvert par
une formidable place forte, il pourra reconstituer son armée.
Mais le duc est.dans un état voisin de la démence; il abandonne
les soins extérieurs du corps et de Ia toilette; I'idée fixe de la
revanche I'obsède. En plein hiver, avec des tbrces dérisoires et
la meute de ses ennemis flans Ie dos, il entreprend le siè$ê de
Nancy. Le 5 ja,nvier l4?? a lieu I'engagement final. La trahison
des mercenaires lombards du condottiere Campo Basso hâte le
dénouement. Les Bouiguignons sont dispersés et le duc périt
misérablement, de la main <l'un obscur adversaire. L'annonce
de sa rnort provoqua, dans tous ses Etats, un soulagement
non dissimulé.
HUITIÈnne P^A,RTIE

LES
PAYS-BAS SOUS LES PREMIERS
HA,'BSBOURGS
(1477-1555.)

CHAPITRE PREMIER

LE nÈCNN DE MARIE DE BOURGOGNE


(r477-1482.)

Détresse des Pays-Bas à l'aaènement de $arie de Bourgogne


(pp. ISS et 189) Grand rnouaentent démocratique régio-
naliste (p. r89). -Le &rand Priailège [r féwier L477) et lns
-
actes comTtlémentaires (pp 189 et 19O). Négoci'aÛions de paiæ
-
uoec Lowis XI; sugtTtl:ice des seigneu,rs Hugonet et d'Humbet-
court f3 awil] (p. r9o). Louis XI enualuit les Pays'Bas;
-
patriativne. des Communes (pp.l90 et lgf ).- Mariage de Marùe
de Bourgogne arsec Maæimil;ien d'Autriche ll8 aofit L4771
(p. fgf). La aictnire de Guinegate et se.s conséqu'ences
-
[7 août 1479] (pp. l9r et r92). - Mort prérnahnée de
Marie dz nrats 14821 (p. f 92).
.Bourgogne 127

La'tragédie de Nancy laissait les Etats bourguignons dans


une situation désespérée. Enfin vainqueur dans sa lutte impla-
cable contre la descendance de Jean sans Peur, Louis XI se
hâtait d'incorporer au royaume de France le duché de
-189--
Bour$op,ne, il envaltissait la Franche-Comté et réoccupait les
villes de la Somme. Par un grand déploiement de forces ainsi
que par de subtiles intrigues, il cherchait à provoquer un mor-
cellement des Pays.Bas, invitait les Wallons à s'unir à la
France et s'apprêtait à annexer tout au moins le Namurois, le
Hainaut et la Flandre. Or, à ce moment, les Pays-Bas n'avaient
plus ni armée, ni argent, ni alliés, et ils n'avaient, poul les
gouverner, qu'une jeune fille de dix-neuf ans, la douce Marie
de Bour$ogne, unique enfant du souverain dét'unt.
Si grand que fût le danger extérieur, il ne prévint cependant
pas Ie déchaînement d'un formidable rnouvement popu-
laire. La révolution éclata à Gand, oir s'étaient réunis les
Etats généraux et otr la duchesse était poliment gardée à vue.
La ville, de nouveau dirigée par les corporations depuis le
30 janvier, annula le traité de Gavre et condamna au dernier
supplice les. échevins de famille patricielne qui s'étaient faits
les instrument,s de la politique despotique du prince.
Dirigés par Gand,les Etats généraux, s'arrogeant les pouvoirs
d'une Assemblée Constituante, échafaudèrent en quelques
jours une charte démocratique, applicable dans tous les
Etats des Pays-Bas, fait qui prouve les progrès du sentiment
national collectif à la ffn du xve siècle. Cette charte, le rr Grand
Privilèpe des pays de par deçà >, im1rcsée à la signature de
la duchesse Marie le 1l février L4'17, supprimait toutes les
institutions centralisatrices modernes des ducs de Bourgogne,
à commencer par le Grand Conseil de Malines, et remettait en
vigueur tous les anciens , < droits, privilè$es, couturnes' .
usages r des provinces, des villes et des rnétiers. LeS Etats,
tant provinciaux que généraux, se donnaient le droit de réunion
spontanée, .imposaient au pouvoir central leur consentement
pour les déclarations de guerre et autres actes imporbants, enfi,n
lui adjoignaient un'collège supérieur de surveillance, le Grand
Conseil (Grooten Raed), cômposé de représentants de tous les
Etats de la Maison de Bourgoene.'Comme les anciennes chartes
régionales ou urbaines d'inspiration populaire, Ie Grand Privi-
lège stipulait I'etnploi de la langue nationale, comme instru-
rnent officiel, da4s chaque partie du pays, et autorisait le droit
de résistance au prince si celui-ci n'obsçrvait pas ses engâ-
gements.
CEuvre d'hommes inexpérimentés et pressés par le temps, le
100 -_

Grand Privilège mânque de préeision et ne détermine pas suffi-


samment les attributions de ehaque organisme qu'il crée. Mais
son earaetère d'ensemble, le retour au régionalisme médié-
val, est encore souligné par une charte speciale que se donna
Ia tr'landre, ce même 11 février. Par cet aete, les Truis Membres
(Gand, Bruges, Ypres) restauraient leurs privilèges économiques,
leurs étapes, leurs pouvoirs politiques et monopoles industriels
sur le plat pays; les métiers en revenaient au protectionnisme
et aux règlements prohibitionnistes du xrve siècle. Presque au
même moment, Ies corporations de Bruges, Ypres, Anvers,
Bruxelles, Mons, renversaient les échevins dynastiques appar-
tenant aux lignages et envoyaient à l'échafaud les magistrats
les plus impopulaires.
Entre temps, des négociations dlplomatiques s'étaient enga-
gées avec Louis XI à Péronne. Marie de Bourgogne y avait
envoyé deux fidèIes serviteurs de son père, le Chancelier Guil-
laurne Hu$onet et un seigneur picard, le sire d'Humber-
court, avec pleins polrvoirs pour entamer des pourparlers
sebrets. La Cour, en effet, redoutait que la bourgeoisie, peu au
courant des finesses de la cliplomatie du temps, ne se laissât
duper par I'astucieux roi de France. Ce fut précisément ce qui
arriva. Les députés des Etats, presque tous Gantois, se défraient
des représentants de la duchesse. A I'insu de ees derniers, ils
discutèrent avec Louis XI et hri laissèrent nalvement voir leur
immense désir de paix. Le roi les amadoua par un projet de
mariage entre son fils, un bambin de sept ans, et la duchesse
Iflarie, puis leur dévoila, preuves en mains, Ies menées des con-
seillers gouvernementaux.
Cet incident provoqua aux Pays-Bas trne confusion voisine
de I'anarchie. Exaspérés,les Etats généraux décidèrent, en mars,
d'obliger leur sottveraine déjà Sept tbis fiancée par son père. .\
-
à aceepter le nouveau candidat de leur choix. f,'éehevinage
-démocratique de Gand flt aux deux négociateurs de Péronne
un abominable procès de tendances. Malgré les plus touchantes
démerches de Ia pauvre Marie, Ilugonet, d'Humbercôurt et leur
amio le chevalier van l\Ielle, condamnés non comme traîtres
à la patrie, mais comme concussionnaires, f'urent décapités le
3 avril.
Ayant réalisé son programme de démoralisation et de zizanie,
LouisXI rejeta délibérément, toute feinte et envahit le sq{ 4*t
-:- 191
-
Pays-Bas. Contrairement à son attente, la démoeratie urbaine
enfin consciente du danger fit une résistanee admirable.
- tinrent bon ou ne succom-
-Saint-Omer, Arrâs, Valenciennes,
bèrent qu'après une eourageuse défense. Furieuses de s'être
laissé duper, les grandes Communes des Flandres flâmande et
gallicante manif'estèrent un patriotisme si belliqueux que
Louis XI jugea prudent de faire dér'ier son plan d'attaque vers
l'est. Il alla prendre quelques petites places fortes sur la haute
Sambre et se borna à faire détruire systématiquement, par des
bantles de a faucheurs ), les récoltes des paysans du Hainaut
méridional.
Le'danger restait grand néanmoins. Les Communes, com-
prenant qu'il leur fallait un ehef, conseillèrent à la duchesse
d'épouser le fils de I'empereur Frédéric III, Maxlmilien
d'Autrichel Marie ne demandait qu'à se laisser persrlader.
L'héritier des Habsbourgs avait été le candidat favori de son
père; il était jeune et de belle mine (f ). n réunissait, dis'ait-on,
I'audace romanesque doun chevalier d'épopée courtoise et la
sagacité érudite doun savant de la Renaissance !
Le mariage de Maximilien et de Marie eut lieu le l8 août 1477.
Il futcélébré en grande pompe. Les Belges se préoccupaient peu
à ce moment du danger que pourrait présenter un jour pour les
PaysBas le gouvernement d'un monarque étranger et ambi-
tieux. fl.leur semblait que son mariage avec I'héritière de leurs
souverains légitimes suffirait pour lui inspirer les sentiments
d'un prince national. En tout cas, iI devait commeneer par
sâuver I'héritage de son épouse. u Gloriosissime princeps, defende
nos ne pereanxus (2) ,, avai!-on inscrit sur les arcs de triomphe
érigés en son honneur.
Comme un héros de ballade, Maximilien arrivait sans argento
sans soldats, mais plein de zèle pour la cause de sa jeune eom-
pagne. Il plut à la noblessej et au peuple par sa grâce enjouée.
La campagne de 14?8 f'ut eonduite avec énergie : le comte de
Chimay et la noblesse du Namurois nettoyèrent d'ennemis le
sud du Luxembourg; Maximilien reprit le Quesnoy, Condé,
Antoing. L'année suivante, le l7 août l4?9, tlne bataille déci-
sive eut liqu à Guinegate (ou Enquinegatte), dans le voisinage

(r) Moxtmilten d'Àutrlche ëtalt té en 1459.


(2) r Prùrcc trèc glorieux, défendc.nous atn quo nous ne pérheions,
-I92-
de Saint-Omer. La noblesse belge et les mercenaires redoutés
du ændotttiere biscayen < Petit Salazar r firent merveille, mais
les honneurs de la victoire revinrent aux milices eommunales
de Flandre. Bien encadrées, conduites par des capitaines célè-
bres : le comte de Romont, maréehal de Bourgogne, le seigneur
de Bréda Engelbert de Nassau,'elles allèrent au combat t aussi
joyeuses que femmes qui t'ont aux noees r. Formant un front
tout hérissé de piques, elles culbutèrent les francs-archers
pillards de Louis XI et rendirent vains les efforts du comman-
dant en chef des Français, un seigneur belge transfuge, Philippe
de Crèvecæur. Ce fut Ia dernière bataille rangée gagnée par
les glorieux Commrtniers belges.
La journée de Guinegate avait restauré le crédit de la Maison
de Bourgogne. Louis XI dut momentanément renoncer à ses
pmjets et Maximilien put recônstituer I'alliance bel$o-
anglaise (148I ). IJne ère de bonheur paraissait s'ouvrir pour
les Pays-Bas lorsque,soudain, un aceident de cheval provoqua,
Ie 2? mars l482,la mort de la duchesse Marie. Elle laissait le
souvenir gracieux d'une épouse aimante et d'une mère pleine
de tendresse.
CHAPITRE II

tA RÉGENCE DE N{AxIMILIEN D'AUTRICHE


0482-r4e4.)

Manimil;ien est nommé ma,mbour de nos prooinces I oTrytositinn


entre ses au.espol:itiques et les intérêts des Pays-Bas (pp. fOB
et f94). Les lansquenet* (p. t9a). La paiæ d'Anras
[f482] (p.- f 9a). Q'21srrs aichorieuse - Maaimùlien contre
de
- de Flandre'[1483-l4S5J (pp. tg4 et tg5).
les Troùs Mernbres
Le mambour est emprisonné par les Brugeois,fîl jan-
vier 14881 $. f95). Lutte décisiae entre Maaùrnilien et les
Communes fl.amandes- [14S8-f 492] (pp. tg5 et 196). La paiæ
de Cadzand [30 juin 1492]; fin des grandes réaoltes - urbaùnes
@p. 196 et 197). Traité de Senl:is [1493] (p. 197).
-
( Plutôt pays gâté que peys perdu. i

''fJ""i: #"1fîifï.i:".$ffj "


A la mort de Marie de Bourgogne, son fils Philippe, héritier
des Pays-Bas, avait quatre ans. Maximilien fut nommé mam-
bour de nos prôvinces, mais ce sans enthousiasme, car nos
aieux avaient perdu toutes leurs illusions à' l'égard de leur
paladin de 1477.Ils le savaient par expérience frivole,
- et indifféient -à l'égard
gaspilleur, colérique, inconstant
de leurs intérêts. Au bout de quelques semaines, la rupture
fut complète. Maximilien, redevenu l'archiduc autrichien,
l'étranger entouré de conseillers allemands, affichait une
politique gui, à tous les pointS de vue, devait irriter les
Belges : à I'intérieur,il manifestait des tendances despotiques;
à I'extérieur, il rêvait d'incorporel les Pays-Bas au Salnt-
r'. YAN KAI,ruN. _ EISTOIRE DE BDLctIQun, T924. 7
-
-194-
Empire et de rehausser la gloire des Habsboutgs par de mul-
tiples conquêtes ! En attendant'la réalisation de ces chimères,
il avait introduit ehez nous des bandes de lansquenets teutons
et suisses. ces soudards barbus, coiffés de bérets empanachés,
vêtus de vestes bariolées, à manches ballonnées et tailladées,
avaient ahuri la population par leur acc.outrement étrange.
Tout en eux était excessif : leurs arquebuses à mèche pesant
plus de vingt kilos, leurs piques longues de 6 mètres, leurs
espadons, épées se maniant à deux mains. Au son des fifres
et d'énormes tambours, ils se dandinaient sttr leurs jambes,
entortillées dans de vastes chausses a à Ia marinière n. Ces
lairsquenets étaient tous extrêmement < adonnés au hutin pour
avoir le butin ! (1) r
Le premier contlit aigu entre l\laximilien et les Etats géné-
raux fut gccasionné par les affaires de France. Gand et les Etats,
séduits par les manières doucereuses de Lguis XI, indifférents
aux intérêts personnels de la d5mastie, imposèrent au mam'
bour la paix d'Arras (23 décembre I'482), qui laissait à la
France le duehé de Bourgogne et à la Flandre les châtellenies
gallieantes. L'Artois et la Franche-Comté seraient donnés en
dot à l\Iarguerite d'Autriche, seconde enfant de Maximilien
et de Marie, promise en mariage au Dauphin Charles. Comme
Marguerite n'avait que deux ans, le traité stipulait qu'elle
serait élevée à la Cour de France. Cet arrangement était désa-
vantageux pour Maximilien qui aurait voulu, une fois pour
toutes, trancher par les armes la question des provinees dispu-
tées. En outre, il avait dû tolérer que Gand lui enlevât son fils
et chargeât de son éducation un eonseil de régence placé sous
le contrôle immédiat des Trois Membres.
Une situation aussi anormale ne potlvâit se prolonger. En
octobre 1483, le mambour cassait Ie conseil de régence et
entrait en guerre eontre lcs Trois Membres qu'il accusait, non
sans Câuse, de vouloir ( mettre leur seigneur en sufujection r.
En 1484, Maximilien s'emparait de Termonde et d'Audenarde.
La France, placée alors sous la régence d'Anne de Beaujeu (2)'

(1) Ilutin :querelle, lutte.


(2) Louis XIétait mort le 30 aott 1483. Son fils, Charles VIII (R. 1483'
1498), n'avait encore que treize ans. II lut placé sous la tutelle de sa sæul
aùrée, Alne de Beauieu, régente énergique et habile, quoique encore fort,
jeune.
-r95-
ne fournit à la Flandre qu'un seeours illusoire. Appauvries par
d'effroyables <lévastations, Brugès et Gand capitulèrent, I'une
le 2l mai, I'autre le 5 juillet f 4Bd. Il y eut, à Gand, trente-trois
exécutions capitales. Principale ennemie de l'autorité eentrale,
cette ville dut accomplir un acte public de réparation solennelle
envers son souverain et ses privilèges furent déchirés. Le jeune
PhiÏippe, libéré, fut envoyé à Matines, ville qui, protégée par
Maximilien, acquérait peu à peu le rang de capitale des
Pa5ls-Bas.
IJne nouvelle. guerre malheureuse contre la France (f4g?),
suivie de lourdes impositions, raviva les rancunes des Flamands.
Les Brugeois, tout particulièrement ulcérés par I'irrémédiable
décadence de leur ville, osèrent retenir prisonnier Maximirien,
qui s'était rendu. panni eux avec une petite eseorte (BI jan-
vier 1488). Ils lui assignèrent poui prison le Cranenburg, une
demeure patricienne, et voulurent lui imposer des mesures
odieuses pour miner le eommeree d'Anvers. N,éeoutant pas Ia
voix de la bourgeoisie modérée, les petits métiers, ruinés, éta-
blirent un régime de terreur et décapitèrent, sous les yeux de
Maximilien, l'écoutète Pierre Lanchals, ainsi que plusieurs
fonetionnaires. Alors Gand, I'fndomptable, rentra en liee. Le
12 mai 1488 elle reconstituait les Trois Membres, réimposait à
tout le pays le régime du Grand Privilège. puis s'alliajt avec
Charles VIII, le nouveau roi de France. Pour reprendre sa
liberté, Maximilien s'empressa de souscrire à tous les engage-
ments qu'on exigeait de lui : iI renonça à la mambournie en
Flandre et promit de replacer son fils sous la tutelle de
Gand !

. Aussitôt libre, Maximilien, considérant comme hulles des


promesses arrachées par la contrainte, se hâta d'aller rejoindre
à Louvain son père. le vieil empereur Frédéric III, qui arrivait
à la rescousse avec 20,000 lansquenets. Il engagea une lutte
décisive avec les Cornmunes. Les portraits du mambour,
peints à eette époque de sa vie, le montrent amaigri, pâle, le
visage tourmenté, la bouche contractée par un pli de ruse et de
sévérité. Il a la volonté de vaincre. Ses auxiliaires sont les
milices des villes libre-échangistes Malines et Anvers, Ies nobles
et les bourgeois des provinces dynastiques : I{ainaut, Namurois,
Luxembourg, plus particulièrement expcsécs à une attaque
française. Dans le nord, le numbour a pour allié Msr David
-196-
de Bourgogne, évêque d'utrecht, un bâtard de Philippe le Bon
soutenu par la faction des Cabillauds >'
u

Les Trois Membres ont loappui de Bruxelles et de Louvain.


des Liégeois, des < Hameçons > de Hollande, de charJes d'Eg-
mont, fils d'Adolphe (voir p. r85) -- qui est rentré dans ses
-
Etats de Gueldre et en a expulsé les soldeniers impériaux. Bien
que ferventes du particularisme, les villes de Flandre, influen-
cees par des facteurs nouveaux, opposent au monarque étranger
rr piogr"mme de revendications collectives susceptibles d'inté-
,**ùr tout le pays : éloignement des troupes étrangères,
réunion fréquente d,es Etats généraux, octroi des fonctions
publiques aux gens dtt paYS: Ce programme patriotique
enflamme le zèle tle beaucoup de nobles. un petit-fils de Jean
sans Peur, Philippe de c!èves et de La Marck, seigneur de
Ravensteyn, très populairê aux Pays-Bas sous le nom de
< philippà Monsieur >o se laisse nommer capitaine-général de
la
Flandré. Agé d'rrne trentaine d'années, il était brave, cheva-
Ieresque et habile. Indigné par le fait que Maximilien avait
trahi ses engagements, il se place à la tête des rebelles, moins
par ambition que pâ.r amour dé la chose publique'
La guerre eivile en Flandre et en Brabant fut longue et san-
glante. Elle se caractérisa par quantité de petits combats et de
*ièg"*, interrompus par des trêves et d.es épidémies de peste.
Le'principal a,dversaire du sire de Ravegrsteyn fut le duc albert
de saxe, landgrave de Thuringe. Maximilien lui-même était
engagé rlans les grandes guerfes européennes de la fin' du
xve siècle dont nos luttes intestines ne furent que le corollaire'
son but suprême était de vaincre charles VIII, roi poul leqgel
sa haine ne connut plus de bornes après 1'490. A cette date,
en effet, le jeune monarque fÏançais I'humilia doublemeûÙ, eil'
renonçant'à Marguerite d'Autriche, sa fiancée, et en épousant
.rrr" p"irr"esse que Maximilien lui-même demandait en mariage :
Anne, héritière du duché de Bretagne!
La paix de Cadzand (r), du 30 juin 1492, termina 'enfin une
guerfe qui avait transformé nos plus riantes provinees en un
àn"*p de ruines. Philippe de clèves et ses vieux routiers furent
autorisés à'se retirer de leur place forte de l'Ecluse avec les

(1) villa,ge situé au borcl de la mer du Nord, un peu au eud'ouegt ale

l'emloouchuTe méridigqale de l'Escg'ut'


r97
-, -
honneurs de.la guerre. Gancl dut subir une humiliation publique
et perdit, ainsi que les autres cités autonomes de la Flandre et
du Brabant, ses privilèges et ses monopoles. PIus complètement
eneore gue Philippe le Bon, Ie mambour soumettait les villes
et les métiers aux règles du (( droit commun r. Désormais, la
Flandre perd sa prépondérance dans les Pays-Bas; l'ère
des $randes révoltes urbaines est virtuellement close.
. Les échevins,'choisis ou surveillés par le gouvernement central.,
appartiennent aux classes aisées de la société et se montrent
dociles. Le particularisme médiéval, <léfendu par nos grandes
Communes jusqu'à épuisemènt total de forces, est frappé à
mort. Nous ne le retrouverons plus, dans les temps modernes
et contemporains, que sous des aspects mitigés et spora-
diques.
traité de Senlis (l) rendait à Maximilien
Le 23 mai 1493, le
I'Artois et la Fianche-Cornté. Charles VIII, hanté par le
désir de eonquérir I'Italie, détournait les yeux des Pays-Bas.
Après vingt-cinq ans de souffranees, nos provinces allaient enfin
jouir d'une période nouvelle de répit et de prospérité.

(1) Petite ville entre Cornpiègne et Pari,s.


CHAPITRE III
LE RÈGNE DE PHILIPPE LE BEAU
(r4e4-1506.)

Phiûippe le Beau, < prince naturel ,, i son caractère (pp. r08 et


199). La politique < bourguùgnonne n ou nationale (p. I99).
-
Ptui,I:ippe épouse Jeanne a la Falle r [18 octobre 1496] :
-carqctères et cunséquences d.e cette union (pp. f99 et 200). _-
Mort de Philtppe le Beu.t, [25 septembte f 506] (p. 2OO).

A la fin de I'année.1493, Maximilien, suceédant à Frédéric III


(t I9 aofrt tagg), était devenu Empereur. tr'orgeant plus'que
jamais des combinaisons mondiales, il ne se so-uciait plus de ces
Pays-Bas qui lui avaient causé tant d'ennuis et il fut heureux
de les remettre à son fils, dès que celui-ci eut seize ans. Grande
fut la joie des Belges, en septernbre 1494, d'avoir de nouveou
pour souverain un < prince naturel u, né et élevé dans le PaYs,
ignorant I'allemand et incarnant la notion de I'indépendance
nationale.
Philippe r le Beau > avait un visage fade et la bouche en
cæur. Comme son père, il portait les cheveux longs, cachant
les joues, ce qui contribuait à lui donner un air efféminé. Il
n'était pas très intelligent et concevait le pouvoir surtout
comme un moyen de donnèr des fêtes luxueuses et de eourir
les aventures galantes. En cela seulement il ressemblait à
Maximilien, car, pour le reste, il était d'un naturel placide,
content de toutes les solutions que lui dictaient les grands sei-
-199-
gneurs indigènes qui I'avaient élevé. r,es esprits malicieux le
surnommèrent bientôt < Philippe croit-conseil ! l
La politique intérieure et extérieure de philippe Ie Beau fut
nettement < bour$ui$nonne u, c'est-à-dire nationale. comme
telle, elle fut approuvée par toutes les classes de la population.
Philippe restaura beaucoup de privilèges, s'entoura de eon-
seillers nationaux et respecta scrupuleusement les prérogatives
dès Etats généraux. Le rétablissement du Grand conseil de
Malines, en 15o4, né marqua aucun retour vers Ie despotisme.
L'idéal belge d'une rnonarchie ternpéiée par I'action des
Etats généraux et provinciaux fut entièrement réalisé.
Malgré tous les efforts que flt Maximilien pour attirer son fils
dans Ie sillage de sa politique d'aventures et pour lui faire épou-
ser ses haines, les Pays-Bas observèrent une attitude digne et
calme. Alors que presque toute I'Europe était en. guerre, nos
provinces concluaient avec le roi d'Angreterre Henri vrr
(R. 1485-1509) un traité de eommeree avantageux. ïrntercursus
Magnus (r) (24 février 1496); lorsque Louis XII (R. r4g8-
r515) monta sur le trône de France, elles renouvelèrent avec lui
les stipulations de la paix cle Senlis.
Le 18 octobre l4go, Philippe avait épousé Juana, fille des
< Rois Catholiques > Ferdinand d'Aragon (R. f46g-f
5f6) et
rsabelle de castille (z). cette nnion n'avait pas été heureuse.
La princesse espagnole,'âgée de dix-sept ans, issue d'un milieu
austère, s'était sentie dépaysée à la cour brilrante et légère des
Pays-Bas. Profondément éprise d'un mari courtois mais volage,
elle s'était bientôt abandonnée à la mérancolie. Neurasthénique
au plus haut point, elle avait rendu infernare la vie de philippe,
le tourmentant par des accès contintrers de colère et de jalousie.
Le peuple, étonné par ses extravagances, sa mise négligée,
son indifférence en matière religieuse, I'avait surnommée
<t la Folle >.
L'union de Philippe et de Juana n'avait été envisagée par les
Ilaisons de Habsbourg et d'Espagne que comme un rappra-
chement de famille, complété par le rnariage de don Juan, frère
de Juana, avec Marguerite, sæur cadette de philippe, ex-fianeée

(1) Le grand (traité d')entrecours.


(2) Yoir le tableau généarogique cle la maison de Habsbour€i, à la fln de
ce chapitre.
-200-
de charles VIII. La mort inattendue dç. don Juan.(1497) ouvrit
à Philippe des perspectives de gloire insoupçonnées. Que pou-
vait représenter encore, dès ce moment, la politique locale et
pondérée, sage et médiocre, des hommes d'Etat belges, âux yeux
h'un prince cle dix-neuf âns, appelé à imposer son hégémonie
au monde? Du coup, il se rapprocha de son père, devint remuant,
querelleur. Les Pays-Bas eussent certes connu bien des déboires,
du fait dc leur,cher < prince naturel > si, au cours d'un itoyage
fait en Itrspagne pour reeueillir la succession d'Isabelle de
castille (t zo novembre 1504), celui-eli ne f.ûb mort inopinément
à Burgos (Vieille-Castille), le 25 septembre 1506'
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CHAPITRE IV

LA PRINCIPAUTÉ DE LIÉGE,
DE 1468 A 1505

Fin du règne de Louis dc Bou,rbon (p. 2021. - Guillantme de


La Marclc, Ie ,, SangÙier des Atdenne.s 0,. fait assassùnet Ie
prùnce-&sê,que fào aoit, f4821 (pp. 2O2 et 208). &terte
-
entre Guillaume ile Lù Marclt, et Jean dc Homes [1482-1485]
(p. 203). Gueme mtre Daerard de La Marck et Jean dn
-
Homls [1485-1492] (p. 203). La neutralite l:iégeoi"se (p. 2OB):
-
-
1ffi,ff-l.:-'ir"*î,"ffiffJîJ
l'échafautl.)

Les terrifiants événements de 1468 avaient profondément


affecté Louis de Bourbon. Quoique àgé de trente ans à peine,
ce prince-évêque, autrefois si frivole, était devenu grave et
soucieux. Il aspirait maintenant avee sincérité à faire le bonheur
de ses infbrtunés sujets. Rentré dans ses Etats en 14?0, il obtint
de Charles le Téméraire I'autorisation de rebâtir Liége (1475),
puis, de Marie de Bourgogne' une renonciation formelle à ses
droits sur la principauté (fg mars 1477). Le 28 avril 1477, Ia
Paix de Saint-Jacques réconciliait'Louis de Bourbon et son
peuple, sur les bases de la paix de Fexhe, : respect par le
pouvoir épiscopat
-
des droits des Etats provinciaux et de la
- mettre un terme aux manceuvres ,de
ville de Liége. Pour
Louis XI, les Etats procla'maient, le 15 février 1478,la neu-
tralité perpétuelle de la principauté.
Tout concourait donc à rendre le bonheur au pays de Liége,
lorsque I'imprudent prince-évôque se laissa circonvenir par
un aventurier brutal, Guillaume de La Marck, seigneur
_203_
de Lummen (ou Lumey), surnommé < le sanglier des Ardennes r.
chef de routiers qui portaient une hure de sanglier brodée sur
l'épaule, le puissant La Marck, adoptant des dehors amicaux,
se fit nommer grand maîeur de Liége et octroyer I'imprenable
forteresse de Franchimont, près de Theux (I ). s'étant alors
assuré de I'appui de Louis xr, il clémasqua ses projets de domi-
' nation, terrorisa la principauté, brava une sentence de bannis-
sement prononcée par les échevins de Liége (l4go) et fit assas-
siner sous ses yeux, Ie 20 aofrt l4gz, aux portes de la capitale,
le pauvre Louis de Bourbon. rrréfléchi jusqu'au bout, celui-ci
s'était porté au-devant de son aneien ami avec une trop faible
escorte.
Le ler septembre 1482, le sanglier des Ardennes se faisait
proclamer marrÎbour et proposait bientôt son fils Jean comme
candidat à l'épiscopat. Maximilien d'Autriche avait conrme
de eoutume -
échafaudé des prans de conquête coneernant la
principauté. -rl opposa à Jean de La Marck son propre candidat :
Jean de Hornes. Momentanément abandonné par Louis Xr,
Guillaume de r,a Marck dut, en juin 14g4, reconnaître Maxi-
milien comme marnbour perpétuer et son protégé comme prince-
évêque. Jean de ÉIornes fit à Guillaume un aecueil gracieux.
Mais étant aussi fourbe et violent que son adversaire, il
attira peu après Guillaume dans un guet-apens et le fit décapiter
à Maastrieht (20 juin t4BE). L" sanglier mourut en vaillant
soudard, proférant de terribles menaees.
Pendant sept ans, une impitoyable guerre eivile désola le
pays de Liége. Everard de La Marck, frère de Guillaume,
s'empara trois lbis de Liége et ne se réconcilia avee Jean de
Ilornes qu'après que _cetui-ci eût, publiquement, demandé
pardon pour le erime judiciaire de l\{aastricht (juill et t49z).
cet aete fut en connexion directe avec les paix de cadzand et de
senlis. En somme, Everarrl de La Marck et Jean de rrornes
s'étaieni peut-être moins combattus par antagonisme personnel
que eomme. agents d'expansion, I'un de charles vrrr, I'autre
de Maximifen d'Autriehe. En eette même année ]r4gz,la France
et le saint-Empire réconciliés tombèrent d'accord pour respecter
le principe de la neutralité riégeoise, tel qu'il avait été énoncé
par la déclaration de l4ZB

(1) Entre Verviers et Spa.


CHAPITRE V

LE RÈGNE DE CHARLES-QUINT
(1506-1555.)

- La minorité
$ 1.'. de Charles de Luxembour$
(1506-1515)

situation troublée des Pags-Bas ù la mort de Phit'iprte le Beau


(p.2t4). -- Seconde régence de Maæinr,ilien d'Autriche (pp. 204
dt zOS;. Qufi)svnement de Marguert'te d'Atr,triche I son cara.c'
tère; sa -politique nationale (p. 205). Education de charles
cle Lunembourg(pp. 205 et 206). 5- ianaier l5l5 z charles
est émanci,Tttf (P. 206).
-

La situation des Pays-Bas était, à la mort de Philippe le Beau,


assez inquiétante. En 1505, ce prince avait envahi la Gueldre,
pris Arnhem et contraint à Ia soumission le duc charles d'Eg-
mont. Mais, proiltant du voyage en Espagne, puis de la mort
de Philippe, charles d'Itrgmont avait reconquis son indépen-
danee. Il recevait, de mêrne que le nouveau prince-évêque de
Liége, Erard dg La Marck, des subsides et des encoura'gements
de Louis XIr. Sans s'intéresser spécialement aux Pays-Bas, le
roi de France y fomentait une sourde agitati<.rn, étant I'adversaire
des Habsbourgs sur tous les grands théâtres militaires et diplo-
matiqttes de I'EuroPe.
charles de Luxembourg, héritier de Philippe et de Juana,
était né. à Gand le 24 février 150o. Les Etats généraux prièrent
Maximilien cl,Autriche d'assumer les charges d'une siconde
régence, Mais se remémorant les tristes expériences d'autrefois,
*2Ô6-
|
ils ehargèrent le Chancelier de Brabant, Jean Hapthem, d'in-
diquer nettement à l'Empereur sous quelles conditions ils
étaient disposés à se replacer sous son autorité. ( Le Belge, I
déclara llauthem, < naturellement généreux, sait mépriser la
vie; mais si on veut le traiter en esclave, il est prompt
à se roidir et à se soulever; si, au conttaire, on le gouverne
selon les lois, avec douceur et modération, il n'est point de
peuple plus fidèlement attaché à ses souverains r.
Troir occupé par sa politique européenne, I\faximilien se fit
représenter aux Pays-Bas par sa fille Mar$,uerite d'Autrlche.
Ce choix était excellent. Mariée à don Juan d'Espagne (voir
p. 199), qui mourut prématurément, puis unie au due de Savoie,
Philibert If, Marguerite, veuve pour la seconde tbis à vingt-six
ans, r<tait décidéc à ne pas se remarier. N'ayant pas d'enfants,
Ia < lieutenante-gouvernante r put se consaerer entièrement à
sa mission. Femme belle, digne, raffinée, généreuse, elle possé-
dait des connaissances extraordina,ires, même pour eette époque
de la Renaissance otr le degré de culture des personnes de qualité
était si élevé. Parmi les subtiles princesses diplomates du
xvre siècle, elle occupait le premier rang.
Etrangère à nos contrées, entourée au début de conseillers
savoyards et bourguignons,. Marguerite s'attacha bientôt aux
Pays-Bas. Elle sut parfaitement allier leurs intérêts à ceux de
son neveu et au souci d'élever la gloire de la maison de Habs-
bourg. C'est ainsi qu'elle amena. son père à entrer dans la
< Sainte Ligue n des grands princes de I'Europe contre Louis XfI
(l5f f ), mais, lorsque'la guerre éclata, elle flt respecter la neu-
tralité des Pays-Bas. Nos provinces, eouvertes par une armée
anglaise envoyée de Calais par Henri VIII (R. 1509-15&7),
assistèrent en spectatrices à la déroute cles Français à la seconde
bataille de Guinegate (Journée des Eperons, f 513) et à la prise
de Tournai par Maximilien et le roi doAngleterre (21 septem-
bre l513). Elles se bornè.rent à ravitailler les belligérants jusqu'à
la fin de la guerre (traité de Londres, 7 aofit f 5f4). Au point
de vue intérieur, Marguerite pratiqua les méthodes conciliantes
de Phitippe Ie Beau et sut acquérir les sympathies de Ia nôblesse
et des Etats.
Entre temps le petit Charles de Luxembourg était devenu un
adolescent pâle. maladif, d'une taciturnité et d'une gravité
incompatibles avec son âge. A le voir,l'air endormir la mâchoire
_206_
inférieure tombante, on I'eût jugé de mentalité médiocre. En
réalité, c'était un enfant surmené par d'écrasantes études et
privé de toutes les joies de son âge. Ses précepteuts étaient
Adrien Floriszoon, prévôt de l'église Saint-Pierre, à Lou-
vain (f ), et Guillaunre de Croy, marquis d'Aerschot,
seigneur de Chièvres, en qui Charles avait une confianee
illimitée.
Guillaume de Croy, politique excellent, et ardent patriote,
voulait faire de Charles un souverain national, préférant, à
toutes ses autres possessions, ses riches et populeux < pays de
par deçà r oir il avait vu le jour et avait été élevé. Dès que son
élève eut quinze ans, il le fit émanciper devant les Etats géné-
raux (5 janvier l5f 5) et inaugurer dans nos diverses provinces.
Instgument doeile, Charles reprit la politique n bourguignonne u
de son père, choisit pour conseillers des nobles ou des juriscon-
sultes flamands et wallons et prit pour Grand Chaneelier un
Belge, Jean le Sauvagc. Ce poste éIevé avait toujours été occupé
par un étranger.

$ 2. -_- La politique extérieure de Charles-Quint


(1515 -1555).

Charles-Quint deuùent roi d'E*pagne [fbl6] et Empereur fliz0f


(pp. 206 et 2O7). poltùlique dynast:ique, nuisi.ble auæ intê-
rêts des Pays-Bas-,Sa
(p. 207). Prernâère guerre eontre la France
-
U52l-1526, traité de Madridl (pp. 2O7 et 208). - Deuæièrne
gaerre 11526-1529, traité de Cambrail (p. 208). Marùe de
Homgrie, gouaewmnte des Pags-Bas (pp. 208 et 2OO). -
-Troi-
sième et quatrième guerres [f æ6-f ffi8; 1542-1544, traité de
Crespyl (p. 209). Cinquième [f55f-f556, trêve de
- des Pags-Ba$Fluerce
Vaucellesl; inuasi,on (pp. 209 et 21O).

A peine Charles était-il devenu souverain des Pa,ys-Bas que


la mort de son grand-père, Ferdinand d'Aragon (23 janvier
1516), fe mettait en possession de I'Espa$ne, de la Sardai$ne,

(l) Floriezoon fut pepe sous le nom cl'Âdrien YI, d.o 1522 ù 1523.
---.207
,t
-
de la Sicile, de Naples et du Nouveau-Monde. Il alla séjour-
ner, de f5l? à 1520, en Espagne, et il y établit une sorte de
suprématie flamande. torsque, après Ia mort de Maximilien
(12 janvier l5l9), il entra en compétition avec FranÇois Ier
(R. f 5f 5-154?) pour la possession du trône impérial, Guillaume
de Croy défendit avec acharnement la candidature de son élève.
Après son élection, Charles fit à travers nos provinces une che-
vauchée triomphale, se dirigeant vers Aix-la-Chapelleo où il
fut couronné Ernpereur, le 23 octobre 1520. Ces transports
de joie de la noblesse et t1u peuple étaient spontanés. Loyalistes
par tempérament et par tradition, Ies Belges se sentaient grisés
d'orgueil à I'idée que leur prince naturel, descendant tlirect de
Philippe le.Bon, occupait Ia première place dans le monde. Il
était clair cependant que cette transformation ne pouvait être
que nuisible aux intérêts de nos aïeux et que la politique
a bourguignonne > <tre Charles de Luxembourg allait être rem-
placée par la politique dynastique de Charles-Quint.
Dès ce moment. en effet, I'infatigable empereur parcourt sans
cesse I'Europe et, de 1522 àI-555, ne fait plus que cinq séjours
dans les Pays-Bas. Certes, jamais il ne cessera d'aimer nos pro-
vinees, tl'encourager leur développement et de veiller à leur
défense, mais cette affection ne l'empêchera pas de mettre en
péril leur sécurité en affrontant un gigantesque duel avec la
France. Ce duel est inévitable. Il ne s'agit plus cette fois pour
les Capétiens d'expansion dans la direction du Rhin; ils doivent
se défendre eux-grêmes contre un encerclement par les Habs-
bourgs. Charles-Quint aspire à la monarchie universelle.
Bruxelles, Luxembourg, Besançon, Madrirl sont autant de points
d'oir sa puissance menaceles Valois. Son frère cadet Ferdlnand,
doté en l52l des domaineb héréditaires des Habsbourgs :
Autriche, Styrie, Carinthie et Carniole, lui fournit un appui
inébranlable. François Ier n'a, dans toute I'Europe, que le
secours incertain des protestants et des Turcs.
Entrer dans le détait de ces luttes européennes n'est pas de
notre domaine. La première $uerre (f52f-1526) eut pour
principal théâtre I'Italie. et fut caractérisée par la défaite des
tr'rançais à Pavie (f ) (24 féwier 1525'r. François ler, eapturé
sur le champ de bataille par un seigneur wallon, Charles de

(1) Vtlle de Lrombard.ie, Êut le Tessin.


_208_
Lannoy, dut accepter I'onéreux traité de Madrid (14 jan-
vier 1526). I)urant toute cette période, Marguerite d'Autriehe,
redevenue depuis 1522 notre lieutenante-gouvetnanteo sut tenir
les Pays-Bas en dehors de la grande lutte. Nous avions à ce
moment pour allie et protecteur le roi d'Angleterre Henri VIII'
époux d'une tante dc Charles-Quint : Catherine doAragon.
Aussi n'eftmes-nous à souffrir, au début, que des déprédations
commises dans le Luxembourg et le Namurois par un allié
de la Franee, Rqbert de La Marck, seigneur de Sedan, flls du
< Sanglier des Ardennes ,. Les incursions françaises dans le
Hainaut et en Artois cessèrent après que le eomte He{rri de
Nassau eût pris Tournai (2 décembre 1521). Le plus difficile
fut de vainere l'éternel ennemi de la maison de Bourgogne, le
féroce Charles d'EgÉont, dont les bandes de rtrutiers commirent
d'épouvantables excès en Hollande et dans la Can/pine bra-
bançonne.
La deuxlème guerre (1526-1529) fut déchaînée par Fran-
Çoisler qui refusait d'exécuter les stipulations d,u traité de
Madrid. Elle fut languissante. Les deux adversaires abandon-
nèrent finalement Ie soin'de négocier la paix à f,ouise
d'Angoulôme, mère de François Ier, et à Marguerite d'Autriche.
D'oir le nom de < paix des Darnes r donné au traité de
Carnbrai du 3 août 1529, Par cet aceord, Charles-Quint
renonçait définitivement à toute prétention sur le duché
de Bourgogne; de son côté, François Ier abandonnait ses
derniers droits de suzeraineté sur la Flandre. I'Artois
et le Tournaisis.
Le ler décembre 1530, Marguerite d'Autriche mourait,
entourée de regrets unânimes. Chafles-Quint la remplaça par
sa sæur cadette, Marie, reine douairière de Hongrie. Elle
aussi était, comme sa tante Marguerite à'son entrée en fonc-
tions, jeune encore, veuve sans enfants et fidèle au souvenir
dÊ son rnari. Elle était mince, élégante, de visage distingué
malgré se ( grande bouche advancée à la mode d'Autriche r;
son caractère était généreux mais autoritaire. Infatigable tra-
vailleuse, elle possédait des connaissances surprenantes dans
tous les domaines. <.C'est une femm€, r fgllvait un eontem-
porain, c qui tient beaucoup de I'homme, car elle pourvoit aux
choses de la guerre et elle en raisonne, ainsi que de la forti-
flcation des places et de toutes les matières d'Etat n.
-209-
Marie de Hongrie n'avait accepté sa difficile mission que
< la corde au col >. Fanatiquement dévouée à son frère, elle
était décidée à lui obéir en toutes chôses. Aussi, bien qu'elle
efit quelque syrnpathie pour nos aïeux et défendît avec habileté
leurs intérêts économiques, ne jorrit-elle jamais de la popularité
de Marguerite. Son gouvernement marqua l'évolution gra-
duelle de la politique natlonâle dans un serili de plus en
pluS dynastlque et européen. Les Belges ne s'en aperçurent
que trop tôt. Lorsque la troisièrne guerre (tffiG-f5g8) éclata
entre la France et I'Espagne, Charles-Quint exigea de nos pro-
vinces un énorme subside. La quatrièrne guerre (IEAZ-1544;
traité de Crespy) (f ) déclancha sur notre territoire les petites
opérations, aussi indécises que 'ruineuses, qui caractérisaient
les guerres de cette époque. Nos aïcux frrent courageusement
faee au double danger qui les menaçait du sud et du nord-est.
Tandis qu'ùne petite armée nationale, commairdée par René
de Nassau, prince d'Orange, tenait tête en l5A2 aux
-
Français entrés en Artois et dans le Luxembourg, -
les bourgeois
et étudiants de Louvain retbulaient les bandes de Martin van
Bossum, envoyées dans le Brabant, par le nouveau duc de
Gueldre, Guillaume le Riche, duc de Clèves et de Juliers (2).
L'année suivante, Charles-Quint accourait à notre secours.
Pour eontenir de nouvelles invasions, il frt
construire une série
de fbrteresses sulveillant les voies d'aecès de Ia Franee vers la
Belgirl ue. Ce f'urent, notamment, dans I'Entre-sambre-et -Meuse,
.Mariernbour$ et Philippeville, ainsi nommées en I'honneur
de Marie de Hongrie et de I'héritier du trône, Philippe.
La cinquièrne guerre enfin (I55f-fS56; trêve de Vau-
celles) (3) aeheva de donner aux Pays-Bas la physionomie
tragique de marche, de route cle guerre, qu'ils allaient avoir
désormais. Henri II (R. 1547-1559), fils de François ler, s'était
allié aux protestants. Il dut, en 1558, reculer devant une
terrible invasion de la Picardie. Les Impériaux s'avancrèrent
en ravageant tout jusqu'à Noyon ( ). Henri jura de se venger.
II était d'ailleurs irrité par le récent mariage de I'inl'ant Philippe

(l) ùeepy-eu-Iraonnols, au nord.est de Pa,rle.


(2) Charles d'Egmont était mort en 1538.
(3) Eameau prÈs do Cambrai.
(4) Potite ville au nord. d.e Paris, près d.e Compiègne.
-210-
d'Espagne avec la reine d'Angleterre Marie Tudor (R. 1553-
f 558). En 1554, il fit envahir les Pays-Bas par I'Artois, loEntre-
Sambre-et-Meuse et Ia vallée de la Meuse. Conçue dans un grand
style, eette campagne finit par n'êtte qu'une vaste entreprise
de destruction. Quantité de donjons des bords de la Meuse
furent renversés par la mine, lbs palais de Binche et cle Marie-
mont, rt"" frt"s précieuses collections, furent incendiés. En
apprenant ce désastre, la fière Marie de Hongrie fut stoique.
< Quant à ce que m'escripvez dudict Binehes, r mandait-elle
à un de ses amis, < je passe facilement le regret, estant cas de
guene, et vouldroye que je fusse seule qui deust souffrir, et
que tant de gentilshommes et aultres subgectz en fussent esté
exemptz r. Ce væu était sincère. La gouvernante voyait monter
comme une marée le mécontentement dans le pays. Les < gen-
tilshommes et aultres subgectz r, lâs d'exposer leur existence
et de perdre leûrs capitaux pour des querelles européennes'qui
ne les intéressaient point, paraissaient décidés à refuser désor-
mais de nouveaux emprunts et subsides. L'abdication soudaine
de Charles-Quint (f555), puis la trêve de. Yaucelles (f556)
vinrent calmer cette effervescenee.

$ 3. La politique intérieure de Charles-Quint.


-
L'Emperern eonquiert Toumai et le Tournaisis [152f] ; il acquiert
la Frise [r5æ], la princùptautl. tUffecht et Ia seigneuri'e ùÛoæ-
ijsse! [f528], les tenitaires dn Drenthe et de Groningm [f586];
il anneæe le duché dn &t'eldre et le comté de Zutphen ll543l
(pp. 2II et 212). Les XVII Proainces (p. 2f Z). Alliance
-
ansec la principau,té ile Lôége [r5r8] @. 212\.
- I-548 t
26 juin
la Transacti,on ùAugsbourg; 4 nooembre -1549 : la Prag-
mat:ique Sanction d'Augsbourg (pp. 212 et Zfg). Rapports
. d,es Pays-Bas aoec I'Esptagne (p. 213). - centralù-
Rélorwes
satrices ile Charles-Quint : les trois- Conseils collatéraua
(pp. 213 et 2L4). L'Emperern resTtecte l'autnnomie dê,
ru)s proui,nces (p. - 2L4\. Abd:ication de Charles-Quint
[25 octobre 1555] (pp. 214 et 215). Sa mnrt fZL sep-
-
2'11
- -
tembre f5581 (p. 2f5). Importance du règne d.e Charles-
Quint au point de aue -de la format:ion de notre nat:ional:ùtë
(pp. 2r5 et 216).
. ( Quant à la manièrc dont jo vous al
gouvernés, j'a,youe m'être trompé plu-
sieurs fois, égaré par I'inexpérience d.e
la jeunesse, par les présomptions de l,âg:e-
yiril, ou pal quelque autre vics de la
faiblesse humaine. J'ose cependant affir-
mer que jamais, de ma connaissance et
&rrec mon assentiment, iI n'a été fait tort
iËrJi'J;ii f" "ËTHJ: i""J"J#'ï,;
sénéraux
ff 3"ài'Hil"1ifiil,'i?'T:i"
En même temps qu'il visait à I'hégémonie en Europe, Charles-
Quint complétait la politique d'annexion des ducs de Bour-
gogne aux Pays-Bas. Nous avons vu qu'en l52l le comte de
Nassau avait pris Tournai. Cette ville de drapiers et sa ban-
lieue, le Tournaisis, avaient toujours appartenu à la France,
y formant une sorte de république exempte d'impôts. Les
belliqueux Tournaisiens étaient très.attachés aux capétiens;
en temps de guerre, ils jouissaient <lu privilège de pouvoir
monter la garde devant la tente royale et ils portaient fièrement
trois fleurs de lis sur leur écu. Mais depuis que François Ier les.
avait, privés du bénéfice de leurs exemptions, leur loyalisme
s'était considérablement refroidi. charles-Quint se les concilia
en leur conservant dans ses Etats une place autonome.
En 1523, loErnpereur acquit définitivement la seigneurie de
Frise, province lointaine otr les ducs de Bourgogne n'avaient
pu inrposer à la classe indomptable des paysans qu'une souve-
raineté relative.
En 1528, Charles se fit céder l'ex-principauté épiscopale
d'Utrecht, séeularisée, ainsi que la seigneurie d'Overiissel,
située à I'est du Zuiderzée.
Charles d'Egmont, le dernier des grands dynastes tenito-
riaux de I'ancienne Lotharingie, s'était taillé, au début du
xvre siècle, un vâ,ste Etat entre le Rhin, le Zluiderzée et le golfe
du Dollard. Rival acharné de la Maison de Habsbourg-Bour.
gogne, il eut la douleur de vofr, en lg36, Ies territoires de
Drenthe et de Groningen, ce dernier avec les Ommelanden
(pays d'alentour), se placer spontanément sous le sceptre de
-2r2_-
Charles-Quint. Le successeur de Charles tl'Egmont, Guillaume
de Clèves, n'était pas de taille à continuer la ltttte contre
I'Empereur. Le traité de Venlo (l) donna à ce dernier le duché
de Gueldre et le comté de Zutphen (1543)..
Depuis cette époque, les Pays-Bas furent désignés sous le
nom de ( XVII Provinces >. Ils comprenâient en effet :
Quatre duchés : Brabant, Limbourg, Luxembourg, Gueldre.
Six corntés : Flandre, Artois, Ifainaut, Hollande, Zélande,
Zutphen.
Deux marquisats : Namur, Anvers.
Cinq seigneuries : Tournai-Tournaisis, IJtrecht, Overijssel,
Frise, Groningen (2).
Ce superbe faisceau d'Etats efit pffert un pgint faible si la
principauté épiscopale de Liége était restée indépendante et
-
neutre. Grâce à Marguerite d'Autriche, le prince-évêque Erard
de La Marck s'allla avec Charles-Quint (traité de Saint-
Trond, I Sf S). Etant a un très dangereux espicier r, FJrard se frt
payer cher sa subordination volontaire, mais Charles-Quint
considéra quoil n'était pas de prix trop élevé pottr acheter le
droit de construire les forteresses de Mariembourg; de Philip-
peville et de Charlemont près de Givet, en plein territoire
épiscopal.
' Ayant réuni tous les Pays-.Bas, Charles-Quint se mit en
devoir d'afferrnir leur situation indépendante en Europe.
Err 1529, il exigeait I'affranchissement de ses. provinces
occidentales de tout lien de vassalité envers la France. Le
26 juin 1548,la Diète impériale (3), réunie à Augsbourg (4)'
s'accomnrodait bon gré mal gré d'un acte, la Transaction
d'Au$sbour$, par lequel les Pays-Bas et la Franche-Comté
devaient former désormais, dans le Saint-Empire, le cercle
de Bour$ogne. Cette union au Saint-Empire était pttrement
honorifique; les Pays-Bas y formaient un Etat indépendant
et souverain; affranchis de toute obligation, sauf un léger

(1) Vile d,u lrlmborrrgi, sur la Meuge, au nord' de Roermond.


(2) Dane certaines nomenclatureg, le marqutset d'Anvere se confOnd avec
le Brabant ou le comté de Zupthen a,vec la Guelclre; d.ans ce cas, la SEt'
GNEuRIE on l\{er,rwng forme la dix-septième province.
(3) Grande aeeemblée où so dlÊcutaient los afla|1es lee plus imlrortantee
du Saint-Empiro.
(4) Ville du sud de la Bavière, sur le l,ech.
218 _
subside, ils acquéraient, errx, droit au secours militaire du
Saint-Empire en cas de guerre ! Le ,{ novembre 1549, la Pra$-
rnatique Sanction d'Augsbourg déclarait les XVII Pro-
vinees. inséparables (f ).
Les Pays-Bas n'étaicnt rattaehés à l'Ilspagne que par une
simple union personnelle. Percevant mieux que tout autre
I'antagonisme qui devait fata,lement séparer ees deux pays,
Charles-Quint s'était ingénié à trouver un biais diplornatique
devant permettre aux Pays-Bas de se développer indépen-
damment de I'Espagne. Il avait songé plusieurs fois à les
donner en dot à sa fille, en eas de màriagc a\rec un Valois.
Après le mariage de son fils Philippe avec Marie Tudor, il s'était
proposé de céder nos provinees à I'aîné des fils qu'il supposait
devoir naître de eette union. Cette cession eût dfr se faire sous
promesse d'une réunion intime et définitive des Pays-Ras avee
I'Angletene, pays auquel les rattachaient maints liens écono-
miques.
Rien n'advint de tous ces projets. Ils n'en démontreht pas
moins I'idée que I'Empercur se faisait de nos provinces. Il les
considérait comme un bloc, soumis aux rnêmes rè$les de
droit public, ayant une capitale : Malines sous Marguerite
d'Autriche, Bruxelles depuis ,le gouvernement de Marie
de l{ongrie. En 1531, sous prétexte de remédier au léger état
de désordre qui s'était établi pendant les dernières années du
gouvernement de Marguerite d'Autriche malade,et affaiblie,
il opéra une réformê centralisatrice en lllaçant aux côtés du
gouverneur gônéral (ou de la lieutenante-gouvcrnante) Ies
trois Conseils collatéraux, organismes peûrnnents, à voix
consultative :
a) Le Conseil d'Etat devait s'oecuper des affaires de diplo'
matie, de guerre et de pais, de la collation des plus importantes
dignités civiles et ecclésiastiques. Ses mernbres appartenaient à
la haute noblesse.
b) Le Conseil privé rappelait par ses fonctions le Conseil
d'Etat du temps de Charles le Téméraire. Défenseur cles préro-
gatives du souverain, eornité législatif, il s'occupait aussi des
liliges entre provinees et de I'octroi des grâces. Ses membres

(1) Praglmatique sanction : règlement émanant à la fois d'une assemblée.


et d'un souverain.
2t4
-
étaient des juristes de petite noblesse ou bourgeois, des conseil-
lers dits : << de robe longue r.
c) Le Conseil des finances s'occupait de I'administration
des domaines, des impôts
et du contrôle des Cham-
bres des Comptes. Ses
membres étaient des spé-
cialistes, comme eeux du
('onscil privé.
Charlcs-Quint, esprit
eentralisateur. souverain
absolu dans la plupart de
ses possrfssions, ne perdit
iamais <lc \/ue qu'aux
Pays-B'rs il était à la
têtc rl'une fédération
d'Etats autonornes, à
caracti:re constitutionnel.
A l'excnrple de Philippe
le Bon, il rcspeeta I'auto-
trornie de la Flarrdrc, du
Ilrabatrt, etc. C)ltservant
It's privilèg1cs tcrritoriaux,
atrxqucls il avait juré
CHARLES.QUI.NT
{iclélité à son avirnement,
Gravurc par Srrijclerhoelli, t['a1ir,ès un
tablearr du 'I'itictr. il lit
fonctionner réguliè-
(Cattinet des csta,ntpcs, Bmxelles. ) rement les Conseils et les
Lc célèbr,e artiste a rept'r_rtluit d'une lltats provinciaux, ainsi
ruanière très riraliste lcs traits clc son que les Fltats généraux.
illustre nrodèle : ]e visagc est tl'trxpres-
sion mélancoliquc ct fatiguée; lcs yeux Les gouverneurs de pro-
cn saillie, le nez rrrirxrc ct Ia rnâclioir,e irr-
féricure proéminerrte ( carat-.,tétist,iqu e tle vince, les membres des
tous lcs princes rle la nraison d'Àutriche) Conseils, les fonctionnai-
accentuent I'alrparence tlure du monar,-
que. Dans le riche encadr.crnent de style res, furent choisis parrni
Renaissance flguront les aigles cles llabs-
bourgs et ies eolonnes lirnitrophes cle les habitants du pays.
I'Empire, avec l'orgueilleuse tlevise :rPlus L'armée, formée surtout
ultra (Touviours plus oultrel)
de belles < compagnies
d'ordonnance r, était'petite mais nationale.
Ce respect de nos lois, observé par le plus puissant souverain
du monde, assura à Charles-Quint I'ardente sympathie de
nos aÏeux. D'autre pâÉ, la réelle affection que I'Empereur
-215-
leur portait transparut dans bien des aetes de son existence
et s'affrrma hautement lors de son abdication. Arivé à l'âge
de cur-quante-cinq ans, Charles se sentait excédé du pou'
voir. Ses yeux eaves, son air décrépit révélaient l'état de fatigue
de ce piinee accablé par une tâche immense, usé par la violenee
de ses passions, et, de plus, atteint de la goutte. Ce fttt à Bru'
xelles que,le l5 octobre 1555, devant les chevaliers de la Toison
d'or, les ambassadeurs, les membres des Conseils collatéraux
et les Etats généraux, il abdiqua, transmettant ses droits à
son fils Philippe II.
L'attendrissement des assistants fut grand lorsque I'Empereur,
mettant péniblement ses lunettes, entreprit d'ltne voix trem-
blante et mouillée de larmes
- mémoire retra-
la lecturé {'un
-
çant les principaux actes de sa carrière et Ies sogmettant avec
humilité au jugement de là postérité. IJne dernière fois, les
Belges se sentirent en communauté de sentiments avec leur
< prince naturel >. Ils lui pardonnèrent en cette minute solen-
nelle bien des fautes, bien des exigences passées, paree que
malgré tout ils le sentaient des leurs et étaient fiers de son
extraordinaire destinée.
Trois ans plus tard, le 2l septembre 15580 Charles-Quint
mourait de la goutte au couvent de Ytrste en Estramadure,
oir il avait vainement cherehé la santé dans le silence et le
repos (l).
Au point de vue or$anique, le règne de Charles-Quint eut,
pour nos provinces, la même importance que celui de Philippe
le Bon. .Le puissant Habsbourg leur donna leur plus $rande
extension, les affranchit des derniers vestiges de suzeraineté
étrangère et stabilisa leur statut international.
Cette æuvre n'avait rien d'artificièI. Depuis l'époque de
Philippe le Bon les Pays-Bas avaient accentué leur évolution
vers I'indépendance, vers.l'existence en soi et par soi' Habile-
ment gouvernés, célèbres pour leur prospérité et lerCrichesse,
ils étaient devenus un centre de civilisation et les arts y avaient
pris un essor incomparable. Dans toute I'Europe, les Pays-Bas
étaient considérés eomme une entité caractéristique, in-
fluente et attractive.

(1) Marie cle Eongrie avait renoncé à sa cbarge au moment de I'abdi'


cation de son ftère. Ello moulut le 19 ootobre 1558.
-216-
Dans nos contrées mêmes, les habitants des diverses pro-
vinces restaient cer{es encore < atrbains ri, Cest-à-dire étrangers
I'un pour I'aut,re. Le particularisrne régional accentuait les sen-
'timents de jalousiè et même d'hostilité réciproques. Mais ces
sentiments, assez comparables à ceux qui, encore aujourd'hui,
animent les Suisses des divers cantons helvétiques ou les lta-
liens des diverses parties de la Péninsule, n'empêchaient pas
Ies gens des Pays-Bas de prendre de plus en plus conscienee de
Ieur existenee en tant que collectivité autonorne. Les ducs
de Bourgogne avaient rogné les prérogatives médiévales cle la
noblesse et du elergé. Charles le Téméraire, puis Maximilien,
avaient vaineu les grandes villes. Dès lors, la notion du r, ilien
eommun > s'était épanouie et avait pris I'aspect d'une men-
talité nationale ou, si I'on préfère, confédérale. Ce fut sous
I'inspiration de pareils sentiments que lcs Belges (l) résistèrent
en bloc, au nom du principe de neutralité et des intérêts
nationaux, à la politiclue dynastique de corrquêtes de
Maxinrilien; qu'ils se réjouirent de posséder, en Philippe le Beau
et en Charles de'Luxernbourg, des < princes naturels >, nés sur
leur territoire; bref, qu'ils créèrent une politique belge,
parfois désignée sous le nom de < bourguignonne ).
Les grandes convulsions religieuses et politiques des tenrps
modernes précipitèrent bientôt les Pays-Bas dans la décadence.
Mais l'æuvre de Philippe le Bon et de Charles-Quint ne fut pas
entièrement perdue et, jusqu'à la fin de I'ancien régime, nos'
provinces, martyrisées, morcelées, réduites et soumises aux
dominations les plus variées, gardèrent cependant un rudiment
d'autonomie suffisant pour leur permettre de reprendre, à
I'aube de temps meilleurs, leur mouvement irrésistible vers
I'indépendance complète.

(1) Le mot NÉnnr,aNrrÂrs dési8nant lo totalité des habitants d.es Pays-


Bas, serait ici plus approprié. Mals comme il s'emploie aujourd'hui exclugi-
'vement pciur désieiner les habitants du nord des Pays-Bas, il me semble
préférable d'utiliser le vieux terme historique de Brrr,cns.
CHAPITRE VI

LA vrn ÉcoNoMreun ET socrALE


AUX PAYS.BAS,
DANS LA pREurÈnB uoltrÉ DU xvr'slÈcln

Prospërtté des Pays-Bas au, XVII siècle (p. 2lB). Progrès de


lagri,culture (pp. 218 et 2lg). -
Eaolution du connmercel
Anaerso < entrepflt de lluniaers r- (pp. 2lg et 2201. Déca-
dence de I'industrie drapière (p. 22O). -
La rétsolte des
-
< Crcesers > gantois [f539] (pp. 22O et 22I). Les nouaelles
inùtsti'ies; Ia marùne (pp. 22L et 222). -
Caractère plus homogène de la Ttoptulution des Pags-Bas (ru
XVIo siècle (p. 222). ^9es qual;ités (pp. ZZZ et 223). :.- R6le
de la noblesse; son -loyalisme I sa manière de aiare (pp. 228
et224). Les modes (pp.22a et 225l. La Corn de,Charlcs-
- - bourgeoisie (pp.226
Quint (p. 225). -* La bourgeoisie : Ia haute
et 226); la b:ourgeoisie rnoyenne (p. 226); la classe p&uare
(pp,226 et 227).
La Renai,ssance (p. 227). Progrès de I'imptrimerùe (pp. 227
et 228). -
de l'ense'ùgnement (p. 228). Les hum,anistes;
Eramte;-,Etat
Ie déaelnpTtentent des seiences (pp. - 2ZB et 229).
André Vésale (p. 229). Les botanistes (p. 229). -
I)es
géographes (p. 23O). -
Médiouité de Ia littérature (pp. 2BO-
et 231). - artistique ù I'éTtoque de la Renaissance
Le rffinement
(pp. 28I- et 232). L'architecture rel:igieu,se et ciaile (pp. 2S2-
234). La sculphne- (pp. 2S4 et 235). r,s peinture (pp. 285
-
et 236). La musiq,te (p. 230). -
-
La Réfomte a,uæ Pays-Bas; calrses de ses progrès (pp. ZB? et 288).
-2r8-
* Les placa,rds de Charles-Quint; l'Inquisït:ion auæ Pags-Bas
(p. 288). L'anabapt:ism,e (pp. 238 et 289). Le calaùniww
(p. 2S9). - -
L'Inquisit:ion dans la principaufé dc Liége (p. 2BO).
-
n The folks of this country seem
rather to be lords than subJecte (1). ,
(Wrwamnr,o, Yoya,gieur anglais
du xvru s.)

E)n 1560, le négociant florentin Guiceiardini (Guichardin),


ayant visité en détail nos provinces, faisait de ces < tant exeel-
lents et admirables pays )) une description enthousiaste. De fait,
il n'y avait à ce moment en Furope aueune contrée comparable
à cet Etat prospère, oir 3 millions d'habitants étaient répartis
entre deux cent huit villes murées, cent cinquante gios bourgs
et six mille trois cents villages. Anvers, Gand, Bruxelles cornp-
taient plus de 70,000 habitants. Dirigés par un souverain et
des gouvernantes pleins de sollicitude, les Pays-Bas avaient
traversé un demi-siècle de luttes européennes en restant presque
toujours à I'abri des calamités de la guerre. A I'intériepr, Ia
sécurité était grande, les voies de commttnication interpro-
vinciales, pareourues par des voitures publiques, s'étaient mul-
tipliées et quelques grands canaux avaient été creusés (2).
Les progrès de I'agrieulture étaient merveilleux. Les paysans,
pratiquant désormais le bail à ferme (3), avaient acquis une
grande indépendance vis-à-vis de leurs propriétaires. Ils s'adon-
naient à la culture des céréales, du houblon, du lin, des plantes
potagères et intensifiaient le rendement de leurs tenes par le
régime de I'alternance des semailL,es. La beauté des campagnes
était rehaussée par la création de nombreux parcs et jardins,
les bourgeois riches ayant à I'imitation des nobles
-. pris
-
(1) Les habitants de ee pays semblent plutôt être des seigneurs que des
suiets.
(2) En 1531, Charles-Quint, reprenant une promesse de Marie de Bour-
goeine en t477, autorisa le cr€usa,g:e d.'un canal de Bruxelles au Rupel, pan
Vilvorde et Willebroeck. Jean de Locquen$hlen fut charg:é de la direction
des travaux. Ceux-ci durèrent de 1550 à 1561, date à laquelle .d-e grand.es
festivités inaugurales eurent lieu à Bruxelles.
(3) Mode de location laissant au fermier tous les rlsques de l'exBloitation,
mais ne lui imposant que la charg:e d.'un loyer déterminé d'avance.
-219-
I'habitude de résider l'été dans des châteaux ou des maisons
de plaisance.
Les troubles qui signalèrent la première mambournie de
Maxirnilien avaient achevé Ia ruine de Bruges. En 1494 déjà,
plusieurs milliers de maisons y étaient à louer ou à vendre.
C'était vers Anvers, dôtée par l[aximilien de grands avantages,

CAMPAGNE HENNUYÈRE ,d LA IIIN DU xvc sITicLE


(Cabinct cles cstarnpers, Bnrxelles. )

L'aut,crrl rle cette .iolie crrlurrrinure rr'a, pa,s ccrliposé


un pàysàge tle fantaisic, colltlne crr rcprirserrteicnt la
plupart dcs tniniatur.istes rlu xvo sjèelc. \'illa.ges, châ-
tea,ux, nronastères, cirnetièrcs clôturés t['urr mur bas.
g'rosses fermes forti{i(rcs, clrapclles, Bibet,s et boque-
teaux apparaissaient réellemcnt tcls dans tros catrr-
pag:nes, il y a quatre ccuts ans. Cette enlurninur:e con-
stitue donc un docuruent des plus inst,ructifs of des
plus rares.

que s'orientaient désormais toutes les capacités eommerciales.


En vain, Bruges avait-elle interclit à ses marchands de fi.équenter
la foire d'Anvers. Après 1510, les agents des riches comptoirs
anglais et portugais émigrent vers le nouveâu port; leur départ
donne le signal d'un exode en masse. Alors, en quarante années,
Anvers devient < la patrie commune de toutes les nations
çfufifiennes r. Elle abrite plus de mille firmes, réparties entre
-220-
six a Nations > : Portugais, Espagnols, Italiens, Anglais, Alle-
mands, Danois-Hanséates. Ville plus importante que Londres,
Venise ou Gênes, elle devient I'entrepôt de I'univers; ce fait
est en relation directe avec la découverte du Nouveau-Monde
(1492) eb le déplacement de I'activité économique mondiale du
bassin de la Méditerranée vers I'Atlantique. C'est à Anvers
que les lnarchands anglais, allemands et scandinaves achètent
les épiees, ;renues des Indes orientales et occidentales par
I'intermédiaire des facteurs portugais et espagnols. C'est Ià que
s'échangent les soies et les velours d'Italie, les vins de France
contre les blés de la Baltique ou de la Lorraine, les tissus de la
Flandre gallicante et les métaux travaillés du pays de Liége.
C'est là qu'Espagnols et Portugais, soudainement enrichis par
leur expansion colonisatriee, \'iennent acheter tous les objets
nécessaires à I'existence, même leurs batteries de cuisine. En
relation <l'affaires avec Ancône, Palerme, Constantinople, avet:
les nnrchands flamands établis à Séville, avec la Pologne et
I'fslande, Anvers correspond.aussi avec les comptoirs coloniaux
du Brésil, du Pérou, de la Chine et de la côte de Guinée. Les
grandes banqttes de Toscane, de Lombardie, d'I-llm et d'Augs-
bourg y ont d'importantes sucettrsales. Quant aux Anversois
eux-mêmes, ils imitent les Brugeois rlu xve siècle. Se bornant
au rôleo riche en profits, de courticrs et d'entrepositaires, ils
n'ont pas de marine propre et se consaercnt moins au grand
commerce qu'au travail des pierres précicuses ou à I'apprêt et
à la teinture des draps envoyés bnrts d'Angleterre.
La vieille industrie drapière des grandes villes de Flandre
est définitivement motte. A Ypres, un tiers de là population
vit dans les prir.'ations. Le petit perrple de Gand souffre du
renchérissement des denrées et de I'augmentation des impôts.
Une faction démocratique, celle des << Creesers >t ott K crey-
schers o (1), profite de ce malaise économique pour fomenter
un soulèvement. En 1539, elle rend à Gand son régime auto-
nome, ses privilèges éeonomiques et son domaine forain. Comp-
tant sur I'appui de François fer et enhardies par I'absence du
souverain, Courtrai, Audenarde, Grammont, adhèrent à ce
mouvement. Mais les vainqueurs ne savent pas tirer parti de
leurs suceès. Ils écartent d'eux les éléments les plus modérés

(l) Certains historiene q,flrment gue ces mots ont le sene de a braillard.s r,
_22L_
eh condamnant au suppliee un chef-doyen loyaliste, Liévin
Pijn, septuagénaire débile; leur assemblée délibérante : la
Collace, n'est qu'un houleux pandemonium.
Marie de Hongrie n'a aucune difficulté à rétablir 'l'ordre
(octobre f SSg); mais ceci ne suffit pas à Charles-Quint. Désireux
de punir les mutins de façon que jamais plus une ville des'Pays-
Bas ne soit tentée de suivre leur exemple, il obtient de Fran-
Çois ler aussi hostile que lui à la démocratie rnilitante
- le
droit de- traverser la France. Pendant quelques mois il laisse
les Creesets dans l'incertitude touchant leur sort. Puis, brus-
quemento le 29 avril 1540, une sentenee condamnant vingt-six
révoltés à la peine capitale vient arracher Gand à ses illusions.
Le lbndemain 3O, la Concession caroline enlève à la ville,
tléjà humiliée par une amende, honorable, ses moyens de défense
et ses richesses, réduit le nombre des métiers de cinquante-trois
à vingt et un, confère au souverâin la nomination des magistrats
et ordonne la construction d'une eitadelle sur l"emplacement
de l'ancienne abbaye de Saint-Bavon. Gand doit même livrer
Roeland,la grosse cloche de son beffroi. Les grands soulèvements
urbains des Pays-Bas appartiennent désormais au passé.
Favorisées par le régime de la litrerté économique et de la
libre concurrence, de nouvelles industries,viennent remplacer
celles de jadis et accentuent la prospérité générale. f)ans la
vallée de la Lys s'opère le rouissage du lin; Gand entreprend
avec succès la fabrication des tissus de toile. Dans le surl.
de Ia Flandre, I'extension de la draperie rurale amène le
développement de quantité de bourgades ouvrières popu:
leuses : Bergues, Railleul, Armentières, oir les laines eqpagnoles
sont transformées en étOffes légères nommées serges et
sayettes.
Les besoins de luxe des classes riches exercent de leur côté
une influence heureuse sur les progrès de I'industrie. La taille
du diamant, art inventé. rlit-on, par un Brugeois, Louis van
Berken, à la fin du xve siècle, se généralise. Pour faire face
aux commandes de dentelles, les embaucheurs, en quête d'ou-
vrières, vont recruter des servantes dans les villes et y pro-
voquent une ( crise des gens'de maison r. Les fabriques de
tapis de Tournai. d'Audenarde, de Bruxelles et de Binche se
spécialisent dans divers genres artistigues : ameubl€ment, tapis-
series rnurales et autres.
-222-
Dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, le Namurois et le pays de
Liége, I'industrie houillère et métallur$ique prend de I'exten-
sion. Les charbonnages sont nombreux, mais eneore peu pro-
fonds (40 à 100 mètres). Le long des eours d'eau s'égrènent des
< marteaux à fer )) mus par des moulins hydrauliques; les pre-
miers hauts fourneaux, chauffés au bois, s'édiflent dans le voisi-
nage des forêts. Malines a une fbnderie de canons renommée.
Au nord, la marine maf,chande hollandaise supplante la
marine hanséatique. Devenus les < rouliers de la mer r, Ies
matelots zélandais, hollandais et frisons font du cabotage le
long de toutes les eôtes de I'Europe; les pêcheurs capturent le
hareng, la sardine et vont même chasser la baleine entre la
Norvège et I'Islande. Cette activité a pour corollaire la création,
dans les provinces du Nord, de chantiers cle construction de
navires, de corderies, de tonnelleries et d'ateliers pour la fabri-
cation des gréements. Middelbour$ et Amsterdam devien-
nent des cités importantes, dont la prospérité vaut celle des
villes méridionales.
***
Depuis l'époque des ducs de Bourgogne, la société a considé-
rablement évolué. La noblesse, le clergé, les grancls bourgeois,
les métiers n'orit plus eette physionomie exclusive qui leur
<lonnait, au moyen âge, I'aspect d'autant de castes. Certes, les
Pays-Bas resteront jusqu'à la fin de I'ancien régime la terre
d'élection du particularisme et du conservatisme. Mais le clergé
a perdu de son prestige,la bourgeoisie parvenue s'est rapprochée
de la noblesseo les classes moyennès, perdant leurs privilèges
urbains ou corporatifs, ont formé involontairement corps avec
la masse de la population, les gens des campagnes ne de soni
plus sentis aussi éloignés de ceux des villes, du jour oir ont cessé
Ies tutelles des républiques urbaines. Bref, I'action politique des
souverains et le nouveau régime de liberté économique ont
trânsftrrmé les anciens conglonrérats de classes sociales en une
nation ayant, de I'Artois à la Frise, eertaines aspirations
et intérêts cornmuns, malgré le maintien de statuts organi-
ques provincialistes et d'une quantité de eoutumes locales
mé<liévales.
Quelle sympathique et brillante population que celle deç
-228-
( pays de par-deçà ,r dans la première moitié du xvre siècle!
Elle aime le travail, affropte avec intrépidité les entreprises les
plus aléatoires et se montre endurante en cas d'insuccès. Gaie,
bavarde, gouailleuse, elle â son franc-parler en toutes choses
et place eonstamment au-dessus de ses biens les plus chers
I'amour de la liberté. On peut reprocher aux classes cultivées
Ieur orgueil ostentatoire, leurs appétits exeessifs, leur exubé-
rance un peu vulgaire, on peut critiquer dans la masse du peuple
le matérialisme et la sensualité, se traduisant par une prédi-
Iection naive pour le bruit, les couleurs éclatantes, Ies nourri-
tures abondantes : < fricadelles, tartes, papes au riz > et les
bières fortes. Telle quelle, cette nation, sincèrement démocra-
tique, fait preuve d'un amour magnifique de la vie et reste
dépositaire tle l'étincelante civilisation urbaine que lui a trans-
mise le xve siècle.
La noblesse,-protégée par les Habsbourgs, a reconquis son
rang. Depuis le petit chevalier, gendarme dans les compagnies
d'ordonnance, jusqu'au < grand maître r de I'entourage impé-
rial, tous ont prodigué leurs biens et leur sang dans les guerres
européenpes, au service de Charles-Quint, leur bien-aimé
< prince naturel r. Ultra-loyalistes (ce qui est la forme cour*nte
du patriotisme sous I'ancien régirne), les seigneurs, surtout les
plus grancls, sont eomblés d'honneurs et fbnt de riches
mariages avec des héritières bourguignonnes ou allemandes.
Cette noblesse est hospitalière pour eeux de ses membres
atteints par le malheur, elle a un vif sentiment de la soli-
darité. De plus, elle à quelque ehose d'épique dans ses
allures. Lorsque le vaillant Maximilien d'Egmont, comte de
Buren, stadhouder (I ) cle Frise, sent approcher sa fin, il se
confesse scrupuleusement, ayant été parfois chapitré par ses
pairs de I'Ordre de la Toison d'or pour ses r< excès dans le boire
et le manger )), ses jurons fréquents, ses mæurs faciles et sa
tiédeur en matière religieuse. Puis, revêtu de ses habits les plus
somptueux, il se fait transporter dans la grande salle de son hôtel,
fait appeler ses gens et, devant tous, boit, dans tin énorme
vidrecome, ., le vin de l'étrier et de la mort 1 en I'honneur de
son sou.verain !
Malgré son vernis d'urbanité, emprunté.aux modes italiennes,

(1) Gouverneur militaire.


-224-
le grand seigneur belge du rrvre siècle est encore, sous bien des
rapports, grossier et sauvage. Pour lui, point de festin $ans
écæurantes beuveries; ivre, il ne se domine plus. Au eours d'un
banquet, le comte Charles de Mansfelt lance des assiettes à la
tête tl'un seigneur irrespectueux; dans une eirconstanee ana-
logue, il se prend de querelle avec le prince-évêque de Liége,
Maximilien de Berghes, et lève sur lui un poignard. Grisée par
lq vanité, < la noblesse des Pays-Bas > écrit un contemporain
a s'est depuis longtemps déréglée - par usures et deppens
superflus; despendant quasi plus du double qu'elle n'avoit
vaillant en bâtimens, meubles, festins, da,nses, masearades, jeux
de dez et cartes, habits,livrées, suites de valets et généralement
en toutes sortes de délices, luxe et superfluités >. Aussi la
noblesse est-elle t'oujours cousue de dettes. En 1551, trlmmanuel- ,
Philibert, fils du duc de Savoie, se volait contraint de rester
cinq jours à Bruxelles, gardé à vue par ses créaneiers !
Une des câuses principales de dépenses, au xvre siècle, gît
dans un gott immodéré pour la toilette. Pendant quarante
ans environ, les modes nous viennent du Saint-Empire. Les
hommes portent de grands bérets festonnés à plumes d'autruche,
des vestes à manches bouffantes, tailladées de f'açon à laisser
voir le beau linge de corps blanc, le grand luxe du temps,
-
des chausses à boudins, formant des bouillons étagés, zébrés
-
de crevés eomme les nranches. Le visage, encadré de cheveux
demi-longs, est glabre et affecte I'impassibilité. Les femmes
ont des jupes rigides, en forme de cloche, de riches ceintures
brodées, des corsages à manches ouvertes démesurément lon-
gues, des coiffes petites : eseoffions ou béguins s'adaptant
étroitement à une chevelure partagée en bandeaux réguliers.
Comme au siècle précédent, elles portent énormément de
bijoux, spécialement des jaserans et autres colliers; formant
plusieurs rangs qui scintillent par-dessus Ia gaze transparente
des guimpes.
Peu avant l'abdication de Charles-Quint, la mode s'adapte
au goût espagnol. Les hommes rasent leur chevelure, portent
la barbe en pointe et la moustache fournie, d'allure rnartiale;
leur cou s'emprisonne dans une fraise godronnée en roue de
carrosse, collerette d'un pied de rayon, à plusieurs étages et à
mille replis tuyautés. Le pourpoint a en bosse de polichinelle rt
s'adorne à sa partie antérieure d'un busc rigide, rembourré; les
-225-
chausses sont devenues énormes : on les porbe < à la garguesse D,
c'est-à-dire tailladées verticalement, ou < à I'espagnole >, toutes
remboumées de crin. IJne toque et une cape parachèvent
d'une note cavalière l'ensemble de ces accoutrelnents, taillés
dans les étoffes les plus précieuses. Quant aux fernmes, immo-
bilisées déjà par le buse, elles s'emprisonnent le bas du corps
dans des vertugadins, robes s'élargissant en forme de tonneau
autour des hanches grâce à une armature cornpliquée cle demi-
eercles et de bourrelets
Toutes ces élégances s'étalent naturellement de préférence à
la Cour. Philippe le Beau à Gand, 1\[arguerite d'Autriche à
Malines, Marie de lfongrie à Bruxelles, se plaisent à s'entourer
d'une f<rule de courtisans. Quelquefois,l'empereur lui-même fait
dans nos provinces un séjour. Un dér'ouement fanatique y
accueille le monarque.
Esprit sec et défiant, Charles est cependant passé maître dans
I'art de gagner les s;rmpathies. Parfois le regard fatigué cle ses
yeux bleus s'illumine d'une expression de bonhomie charmante,
Ies traits de son visage dur et mélancolique se détendent. Il
sé<luit les érudits par ses eonnaissances étendues, flatte les
patriotes en leur parlant dans leur langue, tourne de graeieux
compliments en I'honneur des dames de la Cour. Comme Phi-
lippe le Bon, Charles-Quint, aux yeux de la haute société belge,
ne pouma, quoi qu'il fasse, jamais mal faire.
Nous résen'ant d'analyser le rôle du cler$é à la fin de ce
chapitre, examinons à présent le rôle de la bour$eoisie.
Englobant désormais sous cette dénomination tous les mern-
bres de I'ordre tiers, tant des villes que des campagnes,
nous pouvons y distinguer trois classes : les riches, la bour-
$eoisie moyenne, les pauvres.
La grande bourgeoisie comprend les opulents drapiers, les
courtiers, les maîtres'de forges, les armateurs, Ies gros proprié-
taires terriens, en un mot, tous ceux que le régime de la liberté
illimitée de production et d'échanges, da,ns tous les domaines
économiques, a rapidement concluits à la fortune (régime capi-
taliste). Cette classe de parvenus ne manque pas d'initiative.
Très dynastique, elle joue de nouveau un rôle important dans
les conseils municipaux, orgânise des fêtes publiques fastueuses
et dispute à I'Eglise ses pouvoirs sur le terrain de l'enseignement
etdelabienfaisânce.Féruedulivreryspagnolhabi.
F. v-{N KALKEN. Hrgrornn nn snr,crerJn. L924, I
- -
-226-
tant Bruges), le De suboentione pau,perurn (l) (f525), elle
propose la centralisation des secours publics aux mains des
autorités communales. ses'défauts : Ia vanité, les excès de
table, les dépenses exagérées, sont eeux de la noblesse. Souvent
généreuse et pleine d'humanité, elle a cependant ce manque
de sensibilité qui caractérise I'homme de l'ancien régime.
Elle accueille avec enthousiasme la Pra,ilis reru'rn crint'inaliurn (2)
(155f ) du jurisconsulte Josse de Damhoudere, code de droit
pénal otr sont longuement justiflés les procédés d'enquête sécrète
et préconisés des tortures, des châtiments affreux, à titre de
< méd.ecine de correction D à I'usage des gens portés vers le
crime.
La bour$eoisie fnoyenne se cantonne dans le commerce de
détait, dans lcs petits métiers sooccupant de I'alimentation et
tlu vêtement. IDlle a gardé en majeure partie son orgânisation
cgrporative. Elle est pieuse, loyaliste, de mæurs honnêtes. Son
goût pour les spectacles publics est resté très vif. Elle recherche
les cortèges des chambres de rhétorique, les kermessesr Ies
collcours de Serrnents otr I'on abat à coups d'arbalète le
( papegay )) empanaehé placé au sommet d'une tour d'église.
Elle recherche aussi les processions ées ducasses (3)
dans le pays wallon les fêtes locales dont un certain nombre
or\t survécu au temps,-, telles les < marches > militaires 'des
petites villes de I'Entre-sambre-et-Meuse, les combats du-sire
Gilles de chin contre le < Doudou I (la fameuse Tarasque de
Mons), tels encore les cortèges de < géants > dans beaucoup de
nos villes. ces fêtes populaires sont presque toujours aecompa'
gnées doexeès et de divertissements cruels (jeux de I'oie, du
coehon, du chat, combats de coqs), surtout dans Ies eam-
pagnes (4).
La classe pauvre mène une existence difficile. La vie est

(1) * Du Becours &ux P&uvreg. D

(2) a Pratique des choses criminellbs. n


(3) n Ducasse o dérive de o déiticace , : fête annuelle commémorant la
consécration d.'une église, c'est-à-dire te fait de la placer sous la protection
de la Vierge ou d'un(e) eaint(e).
(4) ftrité par les excès qui se commettaient pendant les kermesses, Charles-
Quint voulut les flxer touteg au même iour (édit du 7 octobre 1531).'Ma,lgré
sa redoutablo autorité, le monarque ne réussit pas à faire observss sst' impo-
pulaire décret.
.

227 _

devenue chère par suite de la diminution de la valeur de I'argent,


Ie régime capitaliste favorise I'exploitation des travailleur.s.
'Dans les villes, les ouvriers compagnons, menacés par
la trans-
formation des ateliers corporatifs en manufactures, forment des
mutualités, des < Confréries > ou < Boufses comrrtull€s r,
pour résister au patronat et enrayer I'embauchage d'ouwiers
( non francs r (nous dirions aujourd'hui : non syndiqués).
Mais, dans les campagnes, le prolétariat rural : ouvriers dra-
piers, moissonneurs, valets de ferme, masse énorme avilie par
des salaires infimes, n'a aucun,moyen de résistance. Aussi un
éilit de 1531 constate-t-il : < présentement les pauvres affiuent,
en nos pays de par deçà r. En vain punit-on du pilori; des
verges ou même de la mort les < truands, bélîtres, eockins,
sna.phanen r (chenapans) et autres professionnels de la mendi-
cité qui infestent les routes. Parlbis; réunis en bandes, ils
menacent la sécurité publique, I'autorité doit envoyer contre
eux des piquets de cavalerie et condamner les plus dangereux
aux Salères ou au gibet.
\

,r*,*
. Deux grands eourants d'idées ont imprégné la société euro-
péenne du'xvre siècle : la Renaissanc'e et Ia Réforrne.
Examinons leur développernent aux Pays-Bas.
, La Renaissance, ér'olution générale, irrésistible, vers l'étude
des monuments littéraires et des ceuvres d'art de I'Antiquité,
libéra les seienees des entraves théologiques du moyen âge et
donna une impulsion nouvelle aux lettres et aux arts. La haute
société des Pays-Bas était riehe, curieuse, pénétrée d'esprit
critique, bien douée au point de vue des travaux de I'esprit.
La Renaissânce y prospéra d'une manière toute particulière.
Chacun sait combien le progrès des idées nouvelles fut, au
xvre siècle, favorisé par la diffusion de I'irnprirnerie. Ce fut
également le cas dans nos provinces. Le premier imprimeur
y fut un Alostois, Thierry Martens (+ f450-15S4) (1). Après'
une période d'apprentissage en ltalie, Martens imprima en t4?3

(1) On cite également comme introclucteurs de l'imprimerie aux Pays-


Bae Ie Brugeois Jean Bdto (vers 1450) et un certain Jean dç Westpt4lier
Éteb.li à, I+ouvaiu e4 1474,
son premier livre aux Pays-Bas. Il alla s'établir à Louvain, où
il vécut dans I'intimité des plus remalquables professeurs du
temps. Bientôt il eut de nombreux imitateurs. En 1549, un
'Iourangeau, Christophe Plantin, vint se flxer à Anvers'
Etabli dans un ravissant hôtel avec son gendre Moretus et
d'autres membres de sa famille, tous érudits, il édita quantité
d'ouvrages : livres de prières, æuvres scientifiques, classiques
latins, souvent illustrés d'admirables vignettes sur bois. Son
chef-d'æuvre, parfaitement irnprimé au,milieu des troubles du
xvre siècle, ftrt une gigantesque bible polyglotte.
Parallèlement à l'imprimerie se développait I'ensei$nement.
Dans les campagnes, I'instruction primaire, encore rudimen-
taire, se limitait à l'étude du catéchismeo des prières courantes,
des éléments de la lecture, de l'éeriture et du calcul. L'Edit
e,onfirmatif d'Augsbourg,'de 1550, plaçait ces écoles et leurs
dirigeants des maîtres ou nraîtresses faméliques, de médiocres
-
capacités, choisis au petit bonheur -- sous la striete direction
du clergé. Dans les villes, loenseignement élémentaire était .un
peu plus indépendant, mais modeste aussi.
L'enseignement moyen reflétait mieux les tenda,nces de
l,époque. Les classes aisées envoyaient de préférence leurs
enfants dans des écoles françaises (zrtaalsche ou franchoisq
schoolen\ ou dans des a éeoles latines n, spécialement consacrées
à l'étude des classiques grees et latins.
L'IJniversité de Louvain, avec ses cinquante collèges et ses
huit mille étudiants (en f 570) était restée médiévale et scolas-
tique, mais son enseignement philosophique était battu en
brèehe par un groupe de savants, versés dans la connaissanee
des langues et des littératures anciennes : les humanistes.
A leur. tête se trouvait un linguiste,littérateur, motaliste et
exégète (r), renommé dans I'Etrrope entière, Desiderius
Erasrnus (1467-1556), de Rotterdam. Remarquable péda-
gogue, esprit modéré, Erasme avait déclaré la guerre
à tous les moines de l'époque, ignorants et d'une farouche
intolérance. Ayant reçu des fonds d'un riche ecclésias-
tique, enthousiaste des lettres anciennes, le conseiller d'Etat
Jérôme Busleyden, il avait, avant que les attaques de ses

(1) L'exégète interprète grammaticalement, historiquement et juridi-


guement la Bible et d.'s,utres textcs gacrés'
_229_
adversaires I'obligeassent à émigrer à liâle, fondé à Louvain,
en 1517, te Collège des Trois Langues, pépinière de profes-
seurs spécialisés dans la connaissanee du latin, du $rec et de
I'hébreu.
Cette rivalitéientre universitaires et humanistes eut drexcel-
Ients résultats au point de vue du développement scien-
tiÊque. Tandis que nos humanistes : philologues, exégètes,
se répandaient dans toute l'Europe et nouaiCnt d'étroites
relations avec Cornelius Agrippa et d'autres célèbres huma-
nistes du Saint-Empire, l'{Jniversité de Louvain s'enorgueil-
lissait à juste titre de ses jurisconsultes. Il se forma, d'abord
parmi les humanisteso puis dans tout Ie corps des spécia-
listes s'oecupant de' droit, une ( école élégante )) ou ( roma-
niste ,, illustrant l'étude des codes par des c<r'mparâisons
empruntées à I'histoire et à la littérature classique. C'est un
peu avant cette époque que le conseiller Philippe \Mielant
(14.49-1519), le u Père cftr droit national flamand >, publia ses
céIèbres traités de Practijcke criminele (droit criminel) et de
Practijche ciaile (droit eivil).
Devenus centres d'activité de la pensée humaine, les Pays-
Bas donnèrent, au xvre siècle, naissanee à quelques savants
éminents. IJn Bruxellois, André van Wesel (latinisant son
nom à la mode du temps, il se nommait Vesalius, lEl4-15G4),
premier médecin de Chprles-Quint, puis de Philippe II, t'ut Ie
( père de I'anatomie ,. Jusqu'à lui, les médecins n'avaient
fait que ressasser les doctrines contradictoires et surannées iles
deux plus gronds docteurs de I'Antiquitô, les Gbecs Hippocrate
(v" s. av. J.-C.) et Galien (f31-20I). Vésale osa fairê des dis-
sections, à i\Iadrid, en plein foyer rle la terrifiante fnquisition
d'Espagne ! A la longue, dégofrté des cabales de Cour, il fit un
grand voyage au cours duquel il fit naufrage à la côte de llîle
de Zante (f ). L'illustre savant périt ainsi misérablemgnt !
L,a seience botanique eut des représentants célèbres : Jules
de I'Escluse, d'Arras, Mathias de I'Obel, de Lille, surtout
Rembert Dodoens (Dodonoeus, l5t?-t58b), médecin de
Malines, auteur d'un Cruydeboeck ou Ferbier national (1554)
et d'un grand ouvraÉ{e sur I'histoire des plantes (I5BB). Dodoens
finit ses jours comme professeur à I'Université de Leyde.

(1) Zante ; lle à la sôtc ouest de la presqu'lle tle Moréo (Grèce),


-230-
Enfi.n, citons nos meilleurs $éo$raphes : Gérard de cremer
(Mercator, 1512-1594), de Rupelmonde; Abrâham Ortels
(ortelius, 152?-1598), d'Anvers. Mereator avait eommencé par
diriger un établisse-
ment géographique
et une fabrique d'in-
struments de Préci-
sion. Son chef-d'ceu-
vre fut un grand
planisphère i\ I'usage
de la navigatiotr
(1569). C)rtelitts, cn-
ltrrninettr cle eartcs,
v0yagetlr infatiga-
ble, arrti tle l\Iercator,
frrt I'atttcur, etr I 570,
trtl*s, lc ?lten-
<1'tur
trunt orbis tet't'tt'
runL (l), auvrc su-
perbe, qui I\rt réécli-
tée vingb-rilttr,tre fois
crr virtqt-hrtit ans.
' i\rt corrtrairt: tie Ia
scicncc, h littératrtre
du xvre siècle est
rnétliocr:e. Bictr qtte
lc françhis soit l:l
ANONÉ VÉSAI,E languc tl'élection rlcs
(Cn.l,rin et d es csl a.i tt [rtls, I]r'tr xcllr:s. ) classes supérieures,
L'illustr'c anatotriistc est reprirsenté pitr lc n()us ne pouvons
gra,veur Jean rle Ca'lcerr à l'âge rlc vingt-huit mcntionncr qu'ttlt
âts. II tlissèque les tnuselts ct lcs tetrùons
d'urr bras. La physiolronric, rlc type socra- scul écrivain méri-
tiquc, r.ùyonnc tf iutc:lligcrtcc, tl'(:rrcrg:ic ct dc tant d'expression
vcrvo cànstiquc.
fïançaise, l'historio-
graphe Jean Lernaire de Bel$es (Bavay), secrétaire tle Mar-
guerite d'Autriche. llncore ne faut-il pas s'exagérer la valeur
de ses lllustrutions des Grill'lcs, écrits anpoulés, entremêlés de
flatteries.

(1) " Théâtre de l'orbe d.es terlss, D


_2Bl_ ,

La littérature flamande s'est entièrement asservie aux règles


déclamatoires de la const aan Rhetorijclten. son dieu est
Matthijs de Casteleyn, d'Audenarde, un < eæcellmtc poêet
modeme n, qui improvise inlassablement des farces oa esbate-
,nenten, des tafelsTtelen ou fabliaux dialogués récités âu cours
des ba,nquets et d'autres rimailleries. A ia fin du siècle, ee genre
de littérature s'abâtardit encore lorsqu'un seigneur d'Anvers,
le jonher Van der Noot; introcluit, âvec un immense sueeès,
les æuvres des poètes italiens et français de la Renaissance dans
la littérature flamande. Quant au gentilhomme brabançon
Jean-Baptiste Houwagrt, on se demande comment iI à pu
déclarer lui-même son pédant et confus recueil de vers, le
Pegasides, < uyterhtaten playsant (l) D, et surtout comment tant
de gens du xvre siècle ont pu être de son avis.
L'ebprit de la Rend,issance avait introduit chez ses adeptes le
culte du Beau sous ses formes les plus raffinées. c'est ainsi que
Marguerite d'Autriche avait transf,ormé son palais de Malines
cn un magnifique musée oir elle avait grcupé, selon ses goûts
éclectiques, des collections d'ceuvres d'art, des médailles, des
manuscrits anciéns,. des pierres précieuses. La gouvernante
voulait que ses regards pussent toujours se reposer sur des ameu-
blements et tapis somptueux; au cours de ses repas, d'excellentes
'musiques faisaient
entendre des harmonies discrètes; poète et
érudfte, elle s'entourait de gens de lettres, d'humanistes àile-
mands, italiens'et byzantins, d'artistes de tous les .pays. De
même, Marie de Hongrie fit de son palais de Bruxelles et de ses
châteaux deBinche et de Mariemont des milieux d'art cérèbres.
L'opulent prince-évêque de Liége, Erard de La Marck, était
aussi un Mécène. ces grands furent naturellement imités par la
noblesse, les parvenus, les magistrats des villes. Chaque palais,
chaque maison de campagne, chaque hôtel de ville devint, plus
ou moins, un eentre de luxe, lieu de réunion des intellectuels et
des artistes. Pour ces derniers surtout, Ie xvre siècle fut rrn âge
d'or. La mode voulait qu'on les honorât, qu'on leur prodiguÀt
lçs louanges les plus hyperboliques. rls ne pouvaient suffi.re aux
commandes. En 1549, lors des fêtes données en I'honneur du
prince Philippe d'Espagne, fils aîné de Charles-euint, Anvers
employa pour I'ornementation de la ville deux cent trente-trois

(f ) âgréeble au d.elà de toute limite.


-232-
peintres et cent quatorze sculpteurs! Aussi I'artiste en 1enom
du xvre siècle n'est-il plus un modeste ouvrier d'art, un patient,
subtil et presque inconnu créateur de chefs'd'æuvre. Il délaisse
les arts mineurs poul se consacrer à la peinture, à Ia Sculpture
ou à l,architecture. souvent, à I'imitation cles génies de la
Renaissance, il cumule ces grands genres d'activité artistique'
mais la surabondance de sa production nuit à la perfection de sa
technique. Ayant perdu la pieuse humilité de ses clevanciers, il
mène aar que le succès lui sourit -- une vie fougueuse, débri-
- habite
dée, et un hôtel princier. Ainsi se forment des familles
d'artistes en renom (eelle des Floris, par exemple)' qui s'unissent
entre elles pardes mariages et conselvent, au sein de I'opulence,
de savoureuses mæurs bohèmes.
Dans le domaine de I'architecture, le génie religieux produit
encorÊ quelques æuvres superbes. t'art ogival parcourt les
dernières étapes de son étincelant stade tertiaire. Tandis que
I'architecte Louis van Bode$hern (+ f470-1540) va en Bresse
présider les travaux de la basilique de Brou (l), Ilerman
de wa$hernakere et Rornbaut Keldermans (dit van Mans-
dale, -l tbf3) achèvent, au début du xvle siècle, la collégiale
de Notre-Dame d'Anvers. Dorninique de Wa$hernakerê
(+I460-fS42), fils de llerman, en construit la merveilleuse
àa"n" ajourée, hautc de 128 mètres. A Mons s'édifre lentement
I'ceuvre de Jean spiskin : l'églisc de sainte-waudru, allx
colonnes en faisceaux de nobles proportions. Elle ne serâ achevéc
qu'en I5g9. Enfln, le gothique tertiaire à son apogée s'aflirme
en une-æuvre admirable de hardiesse : l'église Saint-Jacgues'
à Liége. Ses immenses fenêtres aux ogives aériennes, sa vofite
formant un ample berceau réticulé, I'elllorescence de ses sculp-
tures, arabesques et rosaees, tradqisent une flernière fois la
splend.eur d.'un genre architectural voué à une fin prochaine.
Avant de quitter le domaine de I'art religieux, mentionnons
deux sortes de eonstruetions secondaires qui atteignirent aux
Pays-Bas un rare degré de perfection : les jubés et les taber-
nacles. Les jubés, tribunes en fbrme de galerie situées au seuil
du chæur, formaient des arcs en pierre d'un-grain serré; ils
(1) Â Brou, près d.e Bourg:, capitale cle la Bresse (vieille province fran-
la Saône), I\{argUerite d'Àutriche flt construirs 11nç rnagni-
goise à I'est de
flque église de style flamboyant, en souYenir de so1 mari Philibert de
Savoie.
-288_
étaient surmontés de niches peuplées de personnages sacrés et
séparées par des enchevêtrements de feuillages et de pampres.
Ajourés comme des treillis de dentelles, les jubés des églises
Saint-Pierre, à Louvain, Saint-Gommaire, à Lierre, etc., appar-
tiennent tous à la période du gothique flamboyant. Les taber-
nacles, contenant les hosties sacrées, affectaient une forme
pyramidale et étaient eouverts de bas-reliefs et de pinacles
deirtelés. Celui de f,éau, dans le Brabant oriental, est haut de
seize mètres et ne comprend pas moins de neuf étages d'élé-
gantes sculptures
Bien que I'architecte le plus en vogue, Pierre Coucke, d'Alost,
efit transféré de Rome et de Florence aux Pa-v-s-Bas la < vraie
pra.tique d'architecture >, selon les règles de la RenaisSance
italienne, notre archi,tecture civile garda .un caractère émi-
nemment national. IJnissant les arcs fleuronnés, dits en anse
de panier, du o gothique bourguignon ) aux lignes sobres et
droites de I'art nouveau, nos architectes surent conserver à
leurs créations I'aspect original que dgnnaient aux (Euvres
antérieures les hauts toits d'ardoises, les balustracles crénelées,
les lucarnes surmontées de dais festonnés et les volets de bois
multicolores. Parmi Ies jovaux clu gothique attardé, associé
aux débuts de la Renaissance flarnande, nentionnons I'hôtel
tle ville de Middelbourg, en Zélande, æuvre d'Antoine
Kelderrnans; eelui de Gand, resté inachevé par suite de la
révblte des Creesers n; le Broodhuis, tribunal des domaines,
<<

à Bruxelles; surtout I'hôtel de ville d'Audenarde (tb2Z-1580),


sorte d'énorme reliquaire, rnerveilleusement sculpté, auquel
s'attaehe le nom de I'immortel t< maître ouvrier cles maçon-
neries di Bruxelles >, Henri van Pede. Le style italien ne
triompha que dans la deuxième moitié du xvre siècle, sous
I'action de Corneille de Vriendt, dit Floris (I5I8-IEZ8). Son
æuvre principale, I'hôtel de ville d'Anvers.. éveille, grâce à
son soubassement rustique et à son avant,corps étageant cinq
ordres d'architecture, I'image d'un palazzo romain.
La place me manque pour décrire ici les æuvres architectu-
rales exquises mais secondaires prodrrites par Ie génie fécond
des artistes clu xvre siècle : la maison des Bateliers, à Gand,
encore en style gothique fleuri; les élégantes maisons des corpo-
rations sur la Grand'Place d'Anvers, à meneaux droits et
pignons à reclans; les hôtelsa à I'italienne D ornés de cartouches,
-284-
de bustes,'de balustrades, et entourés de jardins symétriques.
c'est aussi l'époque des cheminées monumentales, les unes
encore fleuries de rosaces et d'entrelacs, les autres en marbre
gris et noir, ornées cle majestueux bas-reliefs. A Bruges,
Lancelot Blondeel érige I'inimitable < cheminée du Franc r,
consacrée à la gloire de Charles-Quint.

Q'It'ttto Nc/s')
couR DU pÂLAIs DE JUSTICE, A LrÉcE
L'anr:ien palais épiscopal a été, cle nos iolrrs, transfofrlré en Palais
tleJustice, Dcl,a,ngle ol)rrous nous.trouvous, I'ceuvre si originale tlo
François Borset s'aperçoit daus presque tout son ensernble.

Nfais, insensiblernÉ:nt, llotts avons pénétré duns le dortraine


dc la sculpture. Que de glorieux norns eneore ! A Rrttges,
Pierre de Beckere aehève, cn 1501, le tornbeau sculpté dcr
Nlarie fle Rgurgogne: à Liége, François Borset rtéploic une
verve charrnante dans la sculpture dcs colonnes dc la grande
cour d.u palais épiscopal. Il clonne t\ leurs ftits Ia forme de bulbes,
de tulipes, et les cotrvre de grotesques (l), tle masearons, d'ara-
besques, dans la rnanière du Prirnatice (2), mais avec pltts

(1) Le grotcsque est un dessin bizarre fort en vog:ue à }'époque cle la


Renaissance.
(2) Célèbre art'iste de Bologuc, qui-ftrt protégé par I'rançoie I"'.
_235_
d'originalité. Elève du lUontois Jacques Du Broeticq, le par-
fait a tailleur d'images , de lvlarie de Hongrie, le sculpteur-
architicte Jean de Bologne, de Douai (fSZ9-f60g), s'établit
à Florence, y devient chef d'une école célèbre et laisse, parmi
quantité d'ceuvres, deux créations hors pair : la < fontaine de
Neptune r de Bologne et le < IVlercure > de Florence. En même
temps, le Malinois Alexandre Colijns exécute à Innsbriick,
sur commande de I'empereur Ferdinand fer, lqs bas-reliefs
splendides du monument de Maximilien ler.
En peinture plus encore que dans les autres arts I'influence
de la Renaissanee est sensible. Avec Quentin Metsijs (.u
Massijs), de Louvain, et Jean Betleglarnbe, le <.maître des
eouleurs , de Douai, auteur du célèbre retable d'Anchin, dispa-
raissent les derniers adeptes de la peinture suave et mystique
du. xve siècle. Désormais Ia méthodc italienne règne sans
conteste. Même les splendi<les verrières dé nos églises sont de
style Renaissanee. La clientèle réclamant des sujets m5rthoro-
giques, nos peintres vont chercher des inspirations nouvelles à
Florence, venise et Rome. rnstruits par les plus grands maîtres,
ils reviennent experts dans I'att de grouper les personnages
dans des'cadres somptueux, d'observer les règles de la perspec-
tive et de peindre les nus. Mais ils ont une tendance à produire
avec trop de facilité, ils visent à I'effet, au théâtral. Anvers
devient, pour I'Europe entière, un centre d'exportation de
tableaux, de cartons, de dessins brossés avec brio. Les chefs
d'école des Pays-Bas se targuent plus du nombre de leurs
élèves que de leur qualité.
Malgré ces défauts, notre école italianisante de peinture est
supérbe. Jean Gossaert, de Maubeuge, en est le précurseur.
Fernard van orley (* ruez-tlaz),le plus eélèbre des artistes
bruxellois du temps, est un excellent coloriste, mais ses person-
nages un peu emphatiques gesticulent avec excès. L'élégant
Mtchel van Coxcie, de Malines (f499-f Sg2), mérite le surnom
de < Raphaël flamancl ,. Larnbert Lornbàrd fait les délices
de Liége et inspire toute une école. A Anvers, Frans de Vriendt,
dit ( tr'loris I'fncornparable >, chef d'un atelier de cent vingt
disciples, excelle dans tous les genrcs et stupéfie le public tant
par la hardiesse de ses raceourcis que par I'exactitude de ses
connaissanees anatomiques.
A côté de ces peintrcs à la mode, rloautres gardent une puis-
_236-

sante originalité. C'est le cas du Namurois Henri De Bles,


surnommé le < civetta u (la chouette), à cause de son mono-
gramme. Il se spécialise dans de petits tableaux représentant
des diableries déconcertantes. Plus remarquable eneore, est
Pierre Breu$hel (* 1515-1569), le <.vieux )) ou le a Paysan >,
fruste Campinois qui'revient d'un long voyage en Italie sans
avoir rien perdu de son tempérament original et peint des ker-
messes, des paysanneries et des diableries verveuses'
Tandis que les !-lamands excellaient dans la pratique des
arts plastiques, les Wallons se distinguaient dans I'art musi-
cal. La période s'étendant dc 1450 à 1560 fut le < siècle des
contrapuntlstes belges (f ) ,. Presque tous ecclésiastiques, ils
furent très recherchés à l'étranger comme compositeurs de
motets (pièces de musique sacrée) et de messes. Ils formèrent
la plupart des chapelles italiennes : celle de Naples, dirigée
par Johannes de Vaerwere (Tinctoris), de Poperinghe;
celle de Venise, sous AdrienWillaert, de Bruges; celle de
Laurent le Magnifique, à Florence. . A Rome, Josquin
Desprès, de Condé, était proclamé < prince des musiciens r;
Jean Guyot, de Châtelet, avait,l'insigne honneur d'être placé
à la tête de la chapelle impériale de Vienne. Mais toutes ces
gloires sont dépassées par celle du l\{ontois Roland de Lassus
(rffi2-r594). Tour à tour recherché par I'empereur N[aximilien Ir,
le pape Grégoire XIII, le roi de France charles rX,le duc Albert
de Bavière, il devient le ç Lassus qui recreat orbe.nt' (2) n, le grand
riv.al de Palestrina (3). Stimulés par de pareils génies, nos chan-
teurs.s'élèvent au plus haut degré tlu talent. Assistant à une
exécution de la capilla fl,amenca $) de Philippe Ir, un contem-
porain s'éerie ! ,

<< Nam genxit ltalus et Geratmtus aocifetat:ut,

Belga canit, duras Troces ernittit Iberus (5) ,.

(l) Le contrepoint est I'art de composer la musique à plusieurs parties,


chacune tl'elles étant totalemcnt indépenùante cles autres. C'cst donc ule
polyphonie de ( points contre points I (notee contre notes)'
(2) Lossus qui récrée I'orbe terrcstre.
(:l) Gran<l musicien réformateur tle la mrrsique religieuse en ftalie'
(4) Chapelle flamande.
(5) L'Italien gémit, le Germain.vocifère, le Belge chante, l'Ibère émet des
sons rocil,illeux.
_287_
. ***
Tandis que l'esprit de la Renaissanee illuminait notre eivi-
lisation, la Réforme s'introduisait aux Pays-Bas et y préparait
une ère de convulsions civiles. llise en mouvement par Martin
Luther, dans le Saint-Empire, la Réforme était au début une
réaetion rigide eontre le catholicisme mondain et contre I'autorité
des papes-artistes à culture paienne. Mais I'interprétation indi-
viduelle rles Ecritures amena bientôt la critique des do$mes.
Ce furent ees mêmes caractères généraux clue présenta la
Réforme aux Pa,ys-Bas. Introduite à Anvers, en 1518, sous la
forme du luthéranlsme, elle gagna d'abord les classes aisées.
Le clergé n'y put rien empêcher. En soumettanf, les bulles pon-
tificales à son approlation,Ie placet, et en enrayant les progrès
de Ia mainmorte ecclésiastique (I ), Charles-Quint avait indi-
recternent porté un coup au prestige dtt clergé. D'autre part,
les municipalités lui avaient enlevé plusieurs importantes pré-
rogatives. Influencées par Erasme et par son école d'exégètes,
érudits autant que tolérants, la noblesse et la bourgeoisie
cultivée < luxuriaient en curiositez nouvelles r et méprisaient
ouvertement les théologiens ou les moines.
Le gouvernement ne s'alarma pas, dans les.débuts, de ce
mouvement de critique élégante. De fait, la haute société resta
en général dans les cadres du cathplicisme et prit bien garde
de ne pas mécontenter I'Empereur. Mais entre temps le peuple
avait été gagné par les iclées nouvelles. Victime de I'exploita -
tion capitaliste, il avait jusqu'à présent cherché- clu réconfort
dans les eonsolations de la. foi. Or, quel spectacle présentait en
général le clergé au début du xvre siècle!Les ér'êques agissaient
en grands seiEneuts, menaient une existenee débauchée et multi-
pliaient leurs revenus par des cumuls de fonctions. La discipline
des eouvents s'était relâchée; les réguliers vivaient dans le luxe
et I'oisiveté. f,es curés étaient ignorants, gryossiers, faisaient le
eommerce deb bestiaux, s'enivraient et rouaient de coups leurs
ouâilles. Scandalisé par de pareilles mæurs, le peuple se prit à
écouter volontiers les leçons de I'Evangile, données en secret
par des.pasteurs déguisés, surtout des Suisses et des F'rançais.

(l) il[ainmorte : accumulation, par I'Eglise, de biens immeubles, tlésor'


maie soustratts à tout droit de mutatiou au firofit de l'Etat'
-298-
Il lut avec avidité les libelles satiriques imprimés clandestine'
ment, ouit avec joie les couplets frondeurs dits aux carrefours
par des chanteurs ambulants ou composés par les membres des
Chambres de rhétorique. De la critique des agisserhents du
clergé, iI passa à la négation du culte de Marie, des saints et des
reliques, discuta les dogmes de la transsubstantiation et de Ia
grâce, réclama lâ lecture des offices en langue populaire.
Charles-Quint, champion du catholicisme, ne pouvait tolérer
ces attaques contre le eulte. En 1520, il publia le premier de
ses terribles placards, condamnant les réformés à la mort,
< à sçavoir, les hommes par l'épée, les f'emlnes par la fosse et les
relaps (I ) par le feu n. Il avait ordonné que I'application en fùt
faite par les évêques, auxquels incombait d'ailleurs depuis les
temps les plus reculés la tâche d'extirper I'hérésie dans les
limites de leur diocèse. Mais devant l'évidente mollesse de
ceux-ci et I'excessive complaisance des autorités séculières
chargées de les aider, I'Empereur nomma' en 1522, un inqui-
siteur nanti de pleins pouvoirs: le conseiller brabançon Fran'
çois van der Hulst. Or ce haut personnage était un homme taré!
Il fallut le remplaeer I'année suivante par trois inquisiteurs
généraux ecclésiastiques, Belges de naissance. L'Empereur aurait
préféré établir franchement aux Pavs-Bas I'Inquisition espa-
gnole. Ses eonseillers I'en dissuadèrent et il se borna à reeom-
mander aux nouveaux élus d'imiter le plus possible la procédure
du Saint-Office (procédure écrite, secrète; accusé privé d'avocat
et jugé d'après des procès-verbaux de I'enquête et des interro'
gatoires). Les tribunaux ordinaires restèrent ehargés du soin
de punir les coupables, conformément aux sentences des juges
ecclésiastiques.
Le ler juillet 1523 eurent lieu les premières exécutions, eelles
de deux moines augustins d'Anvers. Niplacards, bannissements,
mutilations, ni cnndamnations à mort ne panvinrent à enrayer
les progrès du protestantisme. Vers 1530, I'anabaptisme
apparut aux Pays-Bas. C'était une déviation'libertaire, anar-
chique, du culte réformé, née dans I'évêché de Munster; elle
enflamma I'imagination du prolétariat urbain. Dans nos pro-
vinees, les seetateurs de Jan Matthijs, Ie boulanger de Haarlem,
I'apôtre fanatique de la ( nouvelle Jérusalem >, formèrent des

(r) Celut clui est retombé ilane I'hérésie.


_289_
.petits gxoupes mystiques étranges, désignés communément sous
le ngm de libertins.
La grande masse de la popïhtion, étant restée eatholique,
avait approuvé les rigueurs de Charles-Quint. Le régime inqui-
sitorial était mitigé; les exécutions, encore isolées, n'obsédaient
pas les foules par leur honeur. Bien.plus, lorsque Charles publia
I'édit du ler juin f $5 eontre les anabaptistes, toutes les auto-
rités, tant civiles que religieuses, en appliquèrent farouchement
les stipulations jusqu'à extirpation de la doctrine antisociale
abhorrée.
Mais en 1543 apparut le calvinisrne. Cette croyance intran-
sigeante et militante, propagée par des prédicants intrépides,
seetaires, fit des progrès méthodigues et irrésistibles. Coest en
pure perte que I'institutrice-béguine anversoise Anna Biins
exalte le catholicisme dans ses mystiques Refereiinen' que
Charles-Quint multiplie le nombre des inquisiteurs. Par le pla-
card de 1550, non seulement défense est faite d'imprimer, de
vendre ou d'abheter des ouvrages ou images hérétiques, sous
peine de mort, mais ce même ehâtiment frappe celui qui aura
discuté religion entre amis, solticité le pardon de ses enfants,
gardé un recueil de eantiques, assisté à un conventicule ou
. n'&ura pas dénoncé ceux qu'il soupçonne hérétiques' L'édit
récompensait le clélàteur en lui octroyant la moitié des biens
confisqués de Ia victime, interdisait de modérer les peines et
rejetait toute éventuelle requête en grâce. Même ce règlement
épouvantable ne put amener I'extirpation de I'hérésie. Dans la
principauté épiscopale de Liége, Erard de La Marck, secondé
par le féroce inquisiteur Jamolet, réussit mieux. Bien que les
métiers de Liége, inquiets pour leurs privilèges, ne lui eussent
pas laissé la liberté d'instaurer une inquisition entièrement à
sa guise, I'organisme répressif qu'il créd suffit pour extirper
I'anabaptisme à Hasselt et pour tenir dans I'ombre les sectes
moins militantes du protestarltisme.
I

NEuvrÈtvrn. PARTTE

LA DOMIN^A,TIOT\ ESPAGNOLE
ET LA

RÉVOLUTION DU XVI" SIÈcLE


(1555-15e8.)

CHAPITRE PREMIER

lns'DÉ Nu nÈCNE DE PHILIPPE II


(r555-r55e.)

Phikppe II : son aspect physique.; son earactère (pp. 2AO-2a2\.


Antipathie des Belges pour leur nouoeau souaerain (p.242).
- gueme aaec la France : batailles de Saint-Quentin
-'Siæième
[lO aofrt 15571 et de Graaelines [rB aofrt f558] (p. zLzl.
3 aaril 155S : treité de Câteau,-Caxnbrésis (pp. 242 et 245). -
Difi.ar,lté.s financières auæ Pa31s-Bas (p.2AS). -
Le progrmnrne
national des Etats générauæ de 1559 (p. za8). - La quest:ion
des troupes esptagnoles - : Phikppe II
(p. 2 B). 25 aottt lSSg
s'embarque pour l'Espagne (p. 2 -B).

Né et élevé en Espagne, Philippe II avait eonservé le type


des Habsbourgs. Ses cheveux ras et sa eourte barbe, taillée en
pointe, étaient d'un blond roussâtre, ses yeux saillants étaient
bleus et durs, sa large mâchoire inférieure formait galoche.
-2g-'
Eloignant de lui les sympathies par son aspect chétif, son abord
glacial, ses manières hautaines et compassées, sa taciturnité et
son ingratitude naturelle, ce prinee n'avait joué, dans sa jeu-
nesse, qu'un rôle deÈ plus effacés. son inaptitude aux exercices
physiques, son dégofit pour les passes d'armes, I'avaient fait
considérer comnre
un pleutre. Devant 'l
son apparence ti- ,Ë

mide et craintive,
on doutait mêrrre
de ses capacités in-
tellectuelles, lors-
que, en I554, après
son nrariage avec
nlarieTudor,il
se ré-
véla hommecl'Iltat.
D-.venu souverain
tl'I4spagne et des
Pays-llas à l'àgc rle
vingt-huit ans, iI se
eonsacra clésorn-rais
à sa tâclre écraszrnte
avee lir plus scrupu-
lcuse attetrtion.
l'}hilippe II ne
manquait ni d'in-
telligence ni d'in-
stnrction ct il était
cxtraordinaircrnent
travailleur. NIais PHILTPPE II
ses vues souffraicnt (Cabinct rlcs estarripes, Bruxelles,)
de son indigence Gravurc rJr: Suijclerhoefi, cl'olrrès le tableau
tl'idées. Toute d'Antoinc lloor ou lloro, pr:intre de Cour du
sa roi d'Eslragnc, Cet artistc travaillait dans la
vie fut consacrée à rnanière réaliste ct colorée de son rnaitre. lo
Titien (coniparez p. 214).
la défense opiniâtre,
butée, de quelques principes de gouvernement, désastreux
dans leur application. De plus, il était lent, tatillon, menteur
par système et tellement fourbe que ses ficlèles les plus dévoués
ne parvenaicnt pas eux-mêmes à discerner les mobiles réels de
ses actes. Ses lettres à ses filles nous le montrent bon père,
242 *
aceessible aux sentiments tendres; sa politique Ie conduisit
néanmoins à des actes honteux et à des crimes. Persévérant
dans des systèmes qu'il savait monstrueux, r4ais n'hésitant pas
à les appliquer jusqu'au bout, il devint lui-même un monstre
et fut le premier à en souffrir. II fut en somme un sinistre
maniaque
Présenté une première fois à ses futurs sujets en 1549,.Phi-
lippe n'avait pas plu aux Belges. Après I'abdication'de son
pÈ"", de sincères efforts pour s'attirer I'estime de nos aieux.
il fit
Lui qui venait d'un Etat militaire, f.ortement hiérarchisé, abso-
lutiste, aux usages gourmés, chercha à dissirnuler combien le
choquaient la cordialité franche et la sociabilité familière de nÔs
milieux. Il rr'y réussit point et eut, de plus,le dépit do se voir
reçu avec défrance. Devant ce prince qui savait à,peine quelques
.mots de français et ignorait le flamand, qui s'entourait'de
conseillers espagnols et ne parvenait pas à cagher ses craintes ou
son mépris pour nos institutions et nos mæurs, l'oginion fut
bientôt unanime : Phitippe II ne serait jamais rtr\ fouverain
national.
Les'premières années du nouveau règne furent occupées par
des événements militaires. En dépit de la trêve de Vaucelles,
Henri II rentra en lice et envahit I'Artois en ianvier 1557.
Notre gouveïneur général était à ce r4oment le duc Ernrna-
nuel-Phllibert de Savoie, à qui la France avait enlevé ses
Etats. Emmanuel-Philibert, dit ( Tête-dè-Fer >, éiait un excel-
lent général. A la tête d'une armée .hispano-anglo-belge de soi-
xante mille hommes, il alla assiéger Saint-Quentin. Le conné-
table Anne de Montmorency essaya de porter secours à la ville,
mais sa gendarmerie fut battue, le 10 aofit 1557,par les brillantes
bandes d'ordonnance nationales, commandées par le comte
d'Egmont et la haute aristocratie des Pays-Bas. La route
de Paris s'ouvrait devant Philippe If. Faute d'*1gent, il dut
s'arrêter à Noyon !
L'année suivante, le duc de Guise reprit Calais'(S,janvier) et
I'armée française du maréehal de Termes alla piller l)unkerque
(6 juillet). Termes s'en retournait lentement, le long de la côte,
avec un train de charroi encombré de butin, lorsque Ie comte
d'Egmont le rattrapa à Gravelines' le 13 août, fonça sur lui
avec toute sa cavalerie et dispersa son armée. Le 3 awil 1559,
la France se réconciliait avec I'Espagne, par le traité de Câteau-
248
-
Cambrésts (f). Elle gardait Calais et les Trois-Evêchés
(Metz, Toul et Verdun), c'est-à-dire I'ouest de Ia Lorraine.
Cette,ÉIuerre, quoique glorieuse, n'avait grrère enthousiasmé
les habitants des Pays-Bas. Nos provinces étaient épuisées
par de continqelles demandes de subsides. llles se plai-
gnaient de ce que I'Espagne, le Milanais, Naples et la Sicile
n'avaient pas à coopérer directement aux frais d'une lutte qui,
en' somme, concernait.Ies régions méditerranéennes tout autant
sinon plus que les Pays-Bas. Le gouverneur général ne pouvait
s'empêcher de leur donner raison. Le mécontentement fut
bientôt général et patent.
Après avoir réglé ses affaires avee la tr'rance et épousé, ert
juin 1559,'Elisabeth, fille de Henri Il (Z),le roi philippe avait
hâte de repartir pour I'Espagne. Déçu, froissé, aigri, il prenait
cle plus en plus en haine nos démocratiques populations. fI
réunit une quatrième fois les Etats généraux pour leur flemander
des ôrédits. Quelle ne fut son indignation lorsqu'il vit les repré-
sentants de nos provinces développer hardiment, Ie ? aofrt r55g,
le vieux prograrnme national clu temps de philippe de crèves :
respect des privilèges, aflministration des affaires du pays (.par
advis et conseil des seigneurs de par dechà n, surveillance des
dépenses militaires et autres par des fonctionnaires nationaux,
troupes indigènes, commandées par la noblesse des pays-pas.
fl y avait dans nos provinces, depuis 1568, B,OO0 hommes
de troupes espagnoles, insolentes et pillardes. Les Etats récla-
mèrent leur départ. r Votre Majesté ne nous a sans doute pas
donné la paix, r dit assez impertinemment Borluut, un syndie
de Gand, ( pour que nos villes soient changées en déserts,
comme elles le seraient infailliblement si vous ne les déliwiez
pas.de ces biigands destructeurs r. Scandalisé, philippe II éluda
une réponse nette et partit pour I'Espagne sans esprit de retour,
le 25 aofit 1559.

(f) Au sud d.e Valenciennes.


(?) Marie Tudor était morte le 17 novembre 155g.
CHAPITRE I1

LA RÉSISTANCE NATIONALE
(r55e-r564.)

Princ$tes.fandamentauæ de Ia politiEt'e de P'hilippe II (p. z+4)-


Marguerite de Parme, lieutenante'gouaerna,nte (pp. 244 et
-245). -- La Consulta (p. 2A5), L'oprytosition nationale au
Conseil il'Etat (pp. 245'247).
- Catn'pagne de la noblesse
-
belgle contre'le cardinal Granaelle (p. 247). Opposition ùt'
ctnrgé; les quatorze éoêchés (pp. 247'et 248).
- Dépa'rt des
trouptes espagnoles [f561] (p. za8). - Rappel- de &ranaelle
11564l (p.2a8).
ahail qui tieut aux
Ë:îË:ffi' ::"t "
'*;i (Paroles d.u consoiller Morulr,oN, ami
de Granvelle.)

Deux idées fontlamentales dirigèrent la politique de Phi-


fI, dans tous ses Etats :
lippe
1o RéÉner en souverain absolu, ( espag,nollser ar les
institutions;
20 Ne souffrir aucune hérésie.
Pour hâter dans les Pays-Bas la réalisation de ee progràmme,
le roi prit, avant son départ, certaines mesu1es seèrètes et
choisit eomme lieutenante-gouvernante Mar$uerite, duchesse
de Parme, princesse née d'une liaison passagère de Charles'
Quint avec la fille d'un petit bourgeois des environs d'Aude-
narde.
Elevée en Italie avec le plus grand soin, graeieuse, intelli-
gente, Marguerite âgée err 1559 de ttente-sept ans con-
- -
.-245_.
venait fort pour ses nollvelles fonctions, Ëans avoir cependant
l'éclatant' mérite des gouvernantes générales qui I'avaient
précédée. Philippe appréciait son aptitude aux travaux régu-
liers et sérieux, ses manières courtoises, sa foi rigide, son
extrême .dissimulation et son entier dévouement à la cause
royale. Il avait d'ailleurs pris soin de paralyser en e le toute
initiative contrairé à ses propres projets par des instructions
confidentielles.
La principale de ces instructions stipulait que la gouvernante
ne pouvait prendre aucune résolution irnportante sans avoir
rectieilli I'avis de la Consulta, collèSe secret, composé de
trois hommes entièrement inféo<lés à la politique absolutistè
du monarque.
Ces trois horfimes étaient :
Antoine Perrenot de Granvelle (I5t?-1586) : Franc-
Comtois, flls d'un des meilleurs ministres de Charles-Quint.
Erudit aux connaissanees les plus vastes, eourtisan aecompli et
politique perspicace, Granvelle avait tôt joui de la protection
de son souverain. Nommé évêque d'Arras à vingt et un ans,
comblé de faveurs, il était en fait à la tête du pouvoir et
conespondait presque quotidiennement avec Philippe II. Son
penchant naturel pour les solutions modérées eût pu lui réserver
un rôle excellent dans les alÏaires du pays s'il n'efit été d'une
eomplaisance servile envers son haut protecteur.
Viglius d'Aytta de Zuichem (1507-1577) : chef-président
ddConseil privé et président du Conseil d'Etat. C'était un juris-'
eonsult'e frison, vrai puits de science, travailleur infatigàble,
rigide et sec,
Le eomte Charles de Berlaymont : présiclent du Conseil des
finanees, homme de Cour rapace, phrs suffisant que bien doué.
Subordonnés à ces agents principaux de la politique espa-
gnole, figuraient encoïe quelques monarchistes dévoués, de
moindre envergure, tels le diplomate-espion artésien Chris-
tophe d'Assonleville, employé aux besognes louches, et, le
garde des sceaux Hopperus (Hopper), Frison protégé par
Viglius, si complaisant qu'on I'avait surnomme ,r Monsieur.
Oui-Madame )).
L'existence de la Consulta rendait les travaux du Conseil
d'Etat illusoires. L'action de eelle-ci n'ayant pu être tenue.
secrète, il se forma, au sein dudit Conseil, uùe oppositlon très
246 *.
-
vive eontre eeux de ses membres qui jouaient un double rôle.
Cette opposition comprit également trois dirigeants : '
Gulllaume de Nassauo prince d'Oran$e (1538-1584) :
fils du comte Guillaume de Nassau-Dillenbourg, ce prince avait
hérité des dornaines immenses, éparpillés dans toute I'Europe,
d'un de ses cousins germains. Elevé catholiquement à la Cour
de Marie de Hongrie, il était devenu cher à charles-Quint. Son
influence aux Pays-Bas était considérable. Membre du Conseil
d.'Etat, il était aussi gouverneur des provinces de Hollande, de
zélande et d'utrecht. Prince du saint-Empire, il se sentait
indépendant vis-à-vis de Philippe II. Sa richesse le plaçait à la
tâte de notre aristocratie. Habile dans I'art de se créer des
sympathies, il savait chasser et boire avee ses pairs, émerveiller
les humanistes par son éruflition linguistique, plaire aux Eras-.
miens par sa tolérance indulgente. Son caractère ambitieux et
ses aptitudes en fbisaient un adversaire redoutable. Il était
robuste, fier et tenace. Son visage grave et calme ne décelait rien
de Ia puissance de ses sentiments intérieurs. Naturellement élo-
quent, il préférait réserver ses jugements; de là peut-être
- -
son surnom un peu déroutant de r< Taiseux > ou de a Taci-
turne n (Wiltun de Zwiiger). Très maître de soi, prompt à
s'adâpter aux exigences du moment, psychologue d'esprit net
et perspicace, Guillaume le Taciturne fut peut-être le seul à
voir d.'avance oir le conflit entre la Couronne et Ie Conseil
dlEtat allait conduire les Pays-Bas.
' Lamoral, comte d'Egrnont, $rince de Gavre (1522'
1568) : issu de I'illustre maison hollandaise d'Egmont, ce
<grand maître n, né &u château de La Hamaide, près d'Ath,
était, Iui aussi, très riche.II avait épousé sabine de Bavière,
eomtesse palatine du Rhin. Brillarlt général de eavalerie, gou-
verneur de la Flandre et tle I'Artois, père de treize enfants, il
menait une existence supeïbe, dépensait sans compter et tirait
vanité, avec une franchise iriLgénue, de sa réputation et de son
credit. sincère, impulsif, honnête, le comte d'Egmont manquait
de culture.générale et d'esprit politique. Il était colérique et
maladroit.
'(1518'
Phitippe de Montmorency' comte de Hornes
rSqg) (r) : capitaine des arshers de la garde flamande-bourgui-

(1) EÉmond (Egmont) et Hoorn(Eornes) sont de Betites localités alela


Eollaarle septentr{onale. (Voir le.portrait, tle ceg tleu: seigneurs p. 260.)
-247-
'gnonne à Madrid, grand-amiral des mers de fflandre, Ifornes
était suspect à Philippe II qui le ruinait machiavéliquement en
lui confiant des cha.rges trop lourdes pour ses mûyens. Nulle-
ment dupe de cette manæuvre, Ilornes doté au reste doun
tempérament violent avait accumulé de- pmfondes rancunes.
Entré au Conseil d'Etat- en 1561, il s'associa immédiatement à
ses collègues protestataires.
La fière attitude de ces trois grands seigneurs était presque
unanimement approuvée par la noblesse des Pays-Bas.
Patriote, attachée aux privilèges, elle craignait qu'une espa-
gnolisation de nos institutions ne l'ècartât de la direction des
affaires publiques et militaires. EIle qui s'était iuinée au service
de ses sôuverains ne pardonnait pas à Philippe fI sa froideur.
Entourée d'une importante clientèle de petits nobles pauvres,
elle se lança dans la lutte avec ardeur.
Le loyalisme empêchait que I'on touchât à la personne du
roi. Ses agents n'en furent que plus violemment attaqués. Une
pluie de pasquilles, pamphlets et caricatures s'abattit sur I'avare
Viglius et I'arrogant Granvelle. Peureux, le premier s'aplatit
devant I'attaque, mais le bel évêque d'Anas, nature orgueilleuse
et brutale, brava ses adversaires. Son Iuxe insolent redoubla;
sa cupidité, sa'luxure, sa mauvâise fbi ne connurent plus de
limites, Il devint le point de mire de I'opposition. < A vendre
suis, > allait-on crier sous ses fenêtres. La noblesse habilla sa
valetaille de livrées grises, à manches pendantes brodées dt
têtes rouges encapuchonnées. Pierre-Ernest de Mansfelt, gou-
verneur du Luxembourg, fit représenter dans son palais une
scène burlesque, otr un diable à queue de renard poursuivait un
cardinal éperdu !
Moins véhément que la noblesse, le clergé était cependant
aussi entré dans I'opposition. Les Pays-Bas avaient jusqu'alors
conservé leur organisation religieuse médiévale, subdivisant Ie
territoire en quatre évêchés : Arras, Cambrai,'Tournai et
Utrecht. Ces diocèses, ainsi que la principauté de Liége (indé-
pendante des Pays-Bas), relevaient des archevêchés de Reims
et de Cologne. En 1559; Philippe ff créa quatorze nouveaux
diocèses : Ypres, Bruges, Gand, Anvers, Namur, Roermond, ete.
Les diocèsep de Cambrai, d'Utrecht et de Malines fufent élevés
au rang d'archevêchés; tous les Pays-Bas furent placés sous la
dépendance de I'archevêque-primat de Malines.
-248__
A première vue, cette réforme, déjà caressée par Philippe le
Bon, ne paraissait pas inquiétante pour les catholiques. puis-
qu'elle avait pour but de raffermir la défense de la foi. Mais
alors que les anciens évêques étaient nommés par leurs chapitres,
les nouveaux l'étaient par le roi. Plusieurs d'entre eux étaient
d'anciens inquisiieurs, des agents du despotisme. Ils frustraient
les grands abbés de leur représentation privilégiée dans les Etats;
Ies abbayes devaient leur fournir de royales prébendes. Le pire
grief du clergé était encore que Granvelle avait été désigné
comme primat des Pays-Bas et avai{ reçu la barrette cardi-
nalice (1561)t
Le peuple restait en dehors de ces querelles. Un malaise
pesait cependant sur lui, d'abord parce que Philippe II lui était
antipathique, ensuite à cause des délais apportés au départ des
troupes espagnoles. Des bagarres , continuelles éclataient dans
les cabarets entre ces soldeniers et la foule. En autorisant enfin
leur départ, le t0 janvier 1561, Philippe II crut faire au pays
une irnmense concession.
Il devait bientôt en faire une autre, plus cruelle pour son
amour-propre. Le riche et populeux Brabant, centre des Pays-
Bas, avait, âu xvre siècle, assumé le rôle de dirigeant de I'opi-
nion publique joué au moyen âge par Ia Flandre. Les F)tats
de Brabant, influencés par les discours de Guillaume d'Orange,
prirent ouvertement fait et cause pour le Conseil d'Etat. Alors
la masse du peuple commença à s'agiter. Au nom des privilèges
menacés, Orange, Egmont et llornes, soutenus par I'opinion,
refusèrent de siéger au Conseil d'Etat (ll mars 1563), jusou'à
c'e que Philippe II efrt rappelé Granvelle. Marguerite de
Parme, excédée par la vanité de son premier ministre qui,
depuis son accession au cardinalat, était devenu intolérable,
envoya son seerétaire Tomas Armenteros auprès de Philippe II
pour le prier de céder aux væux du Conseil d'Etat. Après
de; longuest hésitations, le roi invita son fidèle Granvelle à
< s'absenter quelques jours pour aller voir sa vieille mère n. Le
prélat quitta nos provinces le l3 mars 1564' croyant revenir
bientôt. Mais Philippe II préféra l'élever à d'autres fonetions.
Granvelle véeut encore une vingtaine d'années en ftalie, sans
jàmais cesser de prendre intérêt aux affaires compliquées des
( pays de par deçà r. Son départ avait porté un premier et rude
coup à la doctrine monarchiste espagnolisante.
CHAPITRE III
LA RÉSIsTANCE RELIGIEUSE
(r564-1567.)

Intransigeance de Plail,i.ppe II en m,atière religi,eu,se (pp. 2 9 et


25O). Progrès du cahsinisme (p.250). Horrcur des Belge:
-
Ttour les persécutions rel:igieu.ses (p. ZSO). Mission du comte
d'tr)gmont en Es'pagne (pp. 250 et ZSI). - Le Compromis des
Nobles (pp. 251 et 252). La joumée du-E aaril1566 (p. Z5Zl.
Le banquet des < Gueuæ - ) (pp. ZEZ et ZES). Les cal,ainistes
-eaigent la l;iberté des cultes (pp. 25S et ZEA). - Les .eæcès des
iconoclastes [aofit-septerirbre tE66] (p. ZS4).- Le Conseil
d'Etat obttent Ia suppression de l'rnquisition et-rétabrit I'ordre
(pi. zsa,)..- Réaction catholitlue (pp. ZEA et zEE). première
gucrre religieuse fianvier-mars lE6Z,] (p. ZES). - Eæode des
protestants I restauration cathokque (p. ZSSI. - phi@pe II ,

se FtréFtare ù instaurer auæ Pays-Bas un régime - de despotùsrne


et de temeur (pp. 255 et 286).

n Noug verrons bientôt le commenoement


u'Ë:
ili""*" jlôi:ili ï ses tamiuers, 1565.)

Depuis Ie début du nouveau règne, ra question rerigieuse était ',


entréé dans une phase onitique. Philippe rr ntavait pas créé
de nouveaux plâcards, mais il avait otdonné d'appliquer inté-
$ralement et impitoyablement eeux qu'avait édictés son
père.Vrai < Roi catholique >, iI considérait non seulement
'ij;
-250-
l,hérésie. comme un attentat contre la majesté divine, mais
aussi comme une atteinte à I'ordre social. a Le changement de
religion, I disait-il en 1559, dans son messâge d'adieu aux
Etats généraux,, ( ne se fait sans que joinctement se face chan-
gement en la républiqueo et que souvent les pauvres et gens
àyseulx et vagabonds prennent ceste eouleur pour envahir les
biens des riches u.
or, malgré les rigueurs de la répression, le calvinisme avait
fait des progrès énormes depuis f 560. Les propagateurs de cette
confession, forts de leurs succès obtenus surtout dans les milieux
ouvriers, surinenés et mécontents, de Ia F'landre gallicante et
du Hainaut, ne Se seraient pas contentés seulement d'une dis-
crète tolérance, mais, combatifs comme ils l'étaient, ils voulaient
faire Guvre de prosélytisme et prétendaient publiquement
subordonner la société laique à leur action religieuse'
En 1561 déjà, les calvinistes de Tournai, après un seunon
public sur la.place du Marché, parcouraient les rues, huit de
iront, en chantairt les Psaumes de.David. IJn ancien peintre
verrier de Mons, devenu pasteur, Guy de Brès, allait surexciter
les esprits à valenciennes et lon voyait, dans cette ville, la
foule s'enhardir jusqu'à délivrer deux hérétiques conduits au
supplice (2,7 avfil1562). 'I

Sàr. le règne de Charles-Quint, l'application des édits avait


été possible àu égard au chiffre restreint des protestants. Mais,
d'année en année leur nombre augmentait. Les faire périr tous
équivalait à une décirnation de la population ! Les Belges,
-néanrnoins
catholiques en grande majorité, avaient
"."o"u
I'fnquisition en horreur. De I'aveu même de Marguerite de
Parme et de viglius, les exécutions eontinuelles tendaient la
nervosité du public au {elà de ce que < I'estat et humeur de ees
pays pouvaient comporter >. comme le faisait observer le
p"i."" d'Orange : < La religion se perd par l'Inquisition, bar
voir brfrler un homme parce que celui-ci pense avoir bien agi,
cela fait mal aux gens, eela les exaspère. tr La haute noblesse,
pénétrée des idées d'Erasme et de l'écrivain brugeois Geor$es
-cassander,
étâit tolérante. Avant,les troubles de valenciennes,
le gouverneur ile la ville, marquis de.Berghes, avait écrit à Ia
gouvernante < qu'il n'entrait ni dans ses fonctions, ni'dans son
caractère, de livrer à la mort des hé,(tiques D'
rnquiet de l'émigration des ouvriers rélbrmés vers I'Angle-
_251_
terre, oir régnait la reine protestante Elisabeth (R. f 558-1603)'
fille de Henri VIII, le Conseil d'Etat, devenu tout-puissant
depuis le départ de Granvelle, prit en mains la questioh reli-
-
gieuse. D'accord avec Marguerite de Parme et Viglius, il envoya,
au mois de février 1565, le comte d'Egmont en Espagne pour
supplier Ie roi de ne plus appliquer les placards que dans des
cas restreints et avee rnodération. Après avoir été reçu avee
les plus grands égards, d'Egmont revint énchanté. En fait, le
roi s'était joué de lui. Aueun argument, âucun appel à la sen-
sibilité ne pouvait modifler la convietion de ce monarque
aveugle et obstiné, qui préférait < perdre cent vies r plutôt que
de rester < seigneur d'hérétiques r. Encouragé dans son intran'
sigeance par des moines espagnols, i[ envoya à la gouvernante
, deux lettres, datées de son pavillon de chasse du bois de
Ségovie, le 17 et le 20 octobre, par lesquelles il exigeait la
plus stricte applicatlon des édits, menaçait de destitution
les magistrats trop clémenfs et préconisait les exécutions. à
huis clos, pour endormir I'opinion publique. A la réception
de ces missives, eondarnnant en bloc à la mort une soixan-
taine de mille sujets, Marguerite de Parme fut consternée
et le Conseil d'Etat Egmont en tête exaspéré. Provi-
-
soirement il fallait cependant
- d'hérétiques se
obéir. Les exodes
multiplièrent.
Profitant de l%moi causé par I'intolérance royale, un petit
groupe de seigneurs calvinistes entreprit une action qui, dans
loesprit de ses promoteurÉ, devait amener le pays à une révo-
lution religieuse, mais qui fut commencée avec grande pru-
dence pour ne pas alarmer I'opinion. Réunis âux eaux de Spa,
en août 1585, Jean de Marnix, seigneur de Thoulôuze, Louis
de Nassau, frère du Taciturne, Nicolas de l{ames, héraut de
la Toison d'or, I'avocat tournaisien Gilles Le Clercq, secrétaire
de Louis de Nassau, se proposèrent de fonder une ligue, à I'imi-
tation des huguenots de France. Le Clercq et Jean de Marnix
rédigèrent une formule d'union, de u compromis r susceptible
d'être admise aussi par les catholiques : les signataires jureraient
par un serment solennel, de défendre les privilè$es du pays
et de repousser ltlnquisition-. Pour le reste, ils ne réelame-
raient ou n'entreprendraient rien. qui ffrt < au déshonneur de
Dieu et du Roy u.
Profitant de toutes Ieç'fêtes et réunions, le groupe lVlarnix
-252-
se mit à recueillir secrètement des signatures. Au début de 1566,
il avait rassemblé deux mille adhérents : nobles, ofÏïciers,
riches négociants, même quelques abbés et ecclésiastiques.
Le prince d'Orange avait surveillé attentivement Ia marche
des événements. Les jugeant orientés dans un sens favo-
rable, il réunit à Bréda, puis à lloogstraeten, les chefs du
mouvement (mars 1566) et leur conseilla de se borner momen-
tanément à présenter à Marguerite de Parme une respectueuse
pétition.
En conséquence, ls5 awil 1566, le Compromis des Nobles
entra solennellement en seène. Environ trois cents gentils-
hommes, cheminant à pied, deux à deux, se rendirent proces-
sionnellement, entourés d'une foule sympatbique, au palais de
Ia gouvernante. Au nom de tous les signataires, le jeune comte
de Vianen, Henri de Bréderode, remit à la princesse une
requête demandant outre la suppression de I'Inquisition, la
suppression des placards, des iouveaux évêehés, et récla-
mant la convocation des Etats généraux alin d'adopter,
d'accord avee le roi, de nouveaux édits coneernant les
hérétiques.
La démarche était hardie, mais les pétitionnaires se savaient
appuyés par les < grands maîtres > du Conseil d'Etat. Aussi
ne furent-ils nullement surpris d'apprendre de la bouche de la
gouvernante gu'en attendant les ordres du roi, informé des
événements dans le plus bref délai, les édits seraient appliqués
avec modération. En retour, la noblesse se porta garante du
maintien de I'ordre public.
Dans la soirée du 8 avril, Floris van Pallant, comte de
Culembourg (Kuilenburg), réunit.dans soR hôtel les trois cents
gentilshommes qui s'étaient présentés au palais de Bruxelles.
Bien que I'amphitryon ffit franc calviniste, nul ne manqua à
la fête. Ce fut un banquet joyeux et animé, au cours duquel se
produisit un incident qui a donné lieu à maint commentaire.
Au moment de boire au suceès du Compromis, le hardi Bréde-
rode fit distribuer aux assistants des besaces de frères mendiants
et des'écuelles de bois, puis il vida sa propre écuelle de vin en
I'honneur des Gueux ! La salle de fête retentit d'une acclama-
tion formidable : < Vive le Gueux ! > Le mot fit fureur. tn
quelques jours, on ne vit plus que seigneurs en costume
de serge grise, gue nobles et bourgeois ornés de jetons et
----*253-
de médailles d'or, d'argent ou de plomb portant à I'avers
I'image du roi, au revers deux mains jointes sui un sac ,de
mendiant avec I'inseription : < Fidelz au Roy jusques à porter
Ia besace. n

' L'origine du terme de <r guetrx r est due, semble-t-il, à une'


boutade du comte de Berlaymont, frappé par I'analogie entre
Ie costume des truands <l'alors et celui des anticardinalistes
(queues de renard au chapeau, étoffes grossières). Une idée de
déû ennoblit le terme : les signataires du Compromis, tout en
restant dévoués à leur souverain, lutteraient jusqu'à Ia ruine,
jupqu'à la gueuserie, en s'entr'aidant comme des frères, pour
réaliser leur but patriotique et désintéressé.
Le compromis des Nobles eut dans les Pays-Ba,s un retentis-
sement considérable. son premier effet fut d'amener un régime
de tolérance discrète envers les réformés qui consentiraient'
à ne pas faire de < seandale ))r ce qui éqïivalait à une
intronisation modeste du régime de la liberté de consclence.
Mais comme I'avaient prévu les promoteurs du. mouvement,
cette coneession ne suffit pas aux calvinistes qui prétendirent,
les uns de bonne foi, Ies arrtres par calculn avoir acquis ra
liberté des cultes. rls se mirent, à I'exemple cles huguenots,
à eonstruire des temples et des écoles. Beaucoup d'émigrés
revinrent d'Angleterre. Un dominicain défroqué, François
Algoet, avait inauguré, près de Warneton, Ie premier prêche
en pleine câmpagne. De tous côtés surgirent des < preelters
in 't groen (t) ,, qui, dédaignant désormâis les masques et
Ies barbes postiches, se mirent à Ia tête des cortèges de fidèIes
armés et lurent I'Evangile au sein d'< assemblées embaston-
nées >, vrais camps retranchés entourés de chariots et de postes
de sentinelles.
Devant pareil .déchaînement, Marguerite de parme et les
catholiques modérés furent eonsternés. otr leur-condescendance
les avait-elle entraînés et qu'allait dire Philippe II? D'autre
patr, comment enrayer Ie mouvement? Au sein même du
compromis, I'élément calviniste prenait le dessus. r]ne seconde
réunion des confédérés, tenue à saint-Trond, Ie IE juillet, fit
clairement apparaître eette progression. Dans les masses, sur-

(1) Ltttéralemeqt ; pré4icateurr dans lq, verdure.


254
- --
excitéês par une crise économique et travaillées par unti multi-
tude d'aventuriers français, l'état d'esprit devenait franchement
révolutionnaire. Soudain, le ll août 1566, des bandes de fana'
tiques, hostiles à ce qu'elles appelaient dans le catholicisme :
le culte des images, envahirent les églises de la région de
Hondschoote et d'Armentières. Composées de Ia lie de la
population, elles brisèrent à coups de hache et de bâton les
autels, les ciboires,les statues de saints, Iacérèrent les tableaux
et les manuscrits précieux, brtrlèrent les ehaires à prêcher et
les confessionnaux. Odieuse explosion d'hystérie religieuse, Ia
crise se propage avee une rapidité foudroyante. Elle gagne
Ypres et Gand, dévaste comme un cyclone la somptueuse église
Notre-Dame d'Anvers, se répand en Zélande, Hollande et Frise,
incendiant sur son passage les églises et les monastères ! Le
6 septembre, elle s'arrête à Leeuwarden,
Les excès des iconoclastes (briseurs d'images) exigeaient
iles décisions immédiates. Les < grands maîlres l du Conseil
d'Etat, profitant du désespoir de Ia gouvernanie affolée, Iitté-
ralement prisonnière dans son palais de Bruxelles, lui arra-
chèrent, le 25 aofit, I'abolition de I'Inquisition (1) et I'auto-
risation provisoire, pour les réformés, de tenir des prêches.
publics, paisiblement et sans armes, Ià ou il s'en était déjà
tenu précédemment. Considérant dès lors leur but comme
atteint, Ies nobles déclarèrent leur confédérabion dissoute et,
voulant enlevdr à Philippe II tout prétexte d'intervention,
mirent une énergie sauvage à rétablir l'ordre et à châtier Ies
nttiiiiJ;"
retour du catme n'amena pas le dénouement de la
crise. Marguerite de Parme avait, dans sa crainte d'une guene
de religion, fait aux calvinistes des eoncessions dépassant de
beaucoup ses intentions premières et elle redoutait le ressen-
timent de Philippe II. Elle vit bientôt se grouper autour d'elle
les catholiques modérés, hostiles à la liberté des cultes autant
qu'à I'fnquisition. Le gouverneur du Luxembourg, Pierre-
Ernest, comte de Mansfelt, fut nommé gouverneur à Bru-

(1) Par une lettre du 31 iuillet' 7566, Philippe If avait autorisé la gouver.'
nante à abolir I'Incllisition eÙ à modéter I'application d.es placards. Ces
ooncessions étaient apparentes. Par-devant noùaire, le roi avait juré secrè-
tçmcqt {e ne paq ee tenir compte et de punir fes fouteur+ {e troub}es' .
-255-
xelles. rl se chargea de réconcilier Ie comte d'Egmont avec Ia
gouvernante. Peu après, il suggéra à Marguerite de parme
d'exiger des seigneurs un nouveau serment de < fidélité absolue >
envers le roi. La plupart des signataires du compromis aceep-
tèrent avèc joie cette occasion de manifester leur loyalisme et
leur repentir d?avoir été entraînés au derà de leur volonté. Au
contraire, Ie groupe des <r gueux > calvinistes : Jean de Marnix,
son frère Philippe, Louis de Nassau, Bréderode, Van pallant,
le comte d'Hoogstraeten, resta intransigeant. Le prince d'orange
prévoyait que tout rapprochement avec philippe rr amènerait
fatalement dans nos provinces un régime d'espagnolisation et
dnintolérance. Patriote avant tout, il prit parti pour les calvi-
nistes et refusa le serment d'obéissance.
En janvier 1567, la guerre civile éclatait. Ayant Ievé des
mercenaires dans Ie Saint-Empire, mobilisé la noblesse et orga-
nisé les premiers régiments d'infanterie wailonne, le gouver-
nement était revenu sur ses concessions. Les calvinistes, ample-
ment pourvus d'armes, s'étaient concentrés dane le Tournaisis
et tre sud du Hainaut. Jean de Marnix, débarqué à Austruweel,
dirigea un coup de main sur, Anvers. il échoua et fut tué Ie
l3 mars; Le comte de Noirearmes assiégea valenciennes et
prit'crette citadelle du calvinisme, re 24 mars. cette opération
mit fin à Ia première guerre de religion. Le mois suivant, quan-
tité de nobles et de bourgeois calvinistes émigraient vers I'An-
gletene, Emden et les bords du Rhin. Le prince d,Orange, resté
Treutre au cours de cette lutte qu'il jugeait prématurée, partit
pour ses Etats de Nassau. La gouvernante remit les placards
en vigueur et réimposa la pratique exclusive du culte catho-
Iique (juin 1567).
Sans doute, Marguerite de Parme, vicfi,orieuse, espérait en
revenir à I'application modérée des édits.ïais philippe II ep
avait décidé autrement. Après les troubles du mois d'août,
it s'était juré d'appliquer intégralement aux pays-Bas son
programme de guerre à outrance contre notie esprit de tolé-
rance et de hberté. Nos provinees, soumises à un despotisme
rigoureux, deviendraiend le centre de rayonnement du catho-
licisme -européen. ce phn fut mûri de sang,froid et conçu
dans tous ses détails. Aueune considération de sentiment ne
devait arrêter Ie monarque. ( Je tâcherai d'arranger les choses
de Ia religion aux Pays-Bas, r écrivait-il, o si c'est possible,

:11È
,
'.;.
j:-
25C
-
sans recourir à la force, pârce que ce rnoyen entraînerait la
totale destruction du pays; mais je suis déterminé à
I'employer cependant, si je ne puis d'une autre manière
régler le tout comme je le tlésire r.
Pour exécuter ses projets, Philippe II choisit son plus rlévoué
serviteur, le duc d'Albe. Dès le B0 décembre 1566, il lui don-
nait I'ordre de se rendre aux Pays-Bas avee une armée espa-
gnole concentrée en Lombardie.

[,i :
CHAPITRE IV

LE GOUVERNBI\{ENT DU DUC D'ALBE


(r567-t57S.)

Arriaée du ùtt'c d'Albe à Bruæeiles [22 aofrt t16r) (pp. z57 et 258).
Ses projets, son caractèrc (p. Z5S). La Teneur eqpa-
-
gnole -
: le conseil des Troubles, les eæécutions (pp. z5g-z6rJ.
LeE Gueuæ des bois (ri. 261)..'_. premiers efrbrts du prince
-d'orange pour
déIiurer les pays-Bas : ta canipagne de ril6g
(pp. 261 et 2BZ). Tùomphe du, duc d, AIbe (p. 262). _ Le
- et le ùiaième
centième, le aingtième denier (pp. 262 et 268).
Les Gueuæ de mer (p. z6s). .- ler aurilt7Tz : prise de La Brielle-
;
soulèaernent de la Holtande et de la zéland.e (pp. 268 et 2641.
seconde inoasion dcs pags-Bas par re prince d.'orange; mas- -
sacre de la saint-Barthélemy (p. zs4). La Hollande et la
- et 265).
zéIan'de continumt seules Ia lutte (pp. z6a L,armée
espagnole (pp. 265 et 266). campagne d'hiaer - de r57z-
1573 (p. 266). - quitte res pays-Bas
Le duc d'albe
- [18 décem-
bre 15731 (p. zc6).
,
ilhelruu,s aan N asso'wren,
Vtt
ben iek aa,n Duytschen bloet,
H et aaderl.a,ndt g etrowwe
bli.il i.ch tot irl,d,er itoet (L1.
(W i,lhel,muslieil., de MaRNrx
DE S.rINrn-AunDGoNDE.)
_
Dès que les rumeurs concernant I'arrivée du duc d'Albe aux
Pays-Bas furent devenues certitude, le départ des protestants
dégénéra en un exode éperdu, qui entraîna prus de cent mille

(1) Guillaume clo Nassau, suls-je do sang tblols, ûdèlo à la patrie, ie reste
luequâ la mort.
d. vers KALKEN. -- ErgTorn,E DE BELGtregn. 1g24. g
-
-258-
personnes. Cependant, le duc d.'Albe arrivait à petites journées,
par le mont Cenis et le duché de Loi'raine. Le 22 aoûtl 1567, il
faisait son entrée à Bruxelles.
Ce jour-là, les Bruxellois consternés virent s'engouffrer dans
leurs murs des bandes insouciantes et rudes de mercenaites
allemands, des reîtres à I'armure noireie, dits o noirs harnois r,
précédés de timbaliers et de trompettes, des régiments de Napo'
Iitains basanés, à collerette plissée, des Siciliens, des Sardes,
des Castillans, ayant dans le regard I'ardeur d'un sombre fana-
tisme. A la tête de ces vétérans chevauchaient des géné-
raux renommés, portant le haut gorgerin et la cuirasse damas-
quinée : Sanche d'Avila, Christophe Mondragon, Julien Romero,
François Verdugo, Ies deux fils du généralissime : don Frédéric
de Tolède et le grand prieur don I'ernand. Le chef lui-même,
'don Ferdinand Alvarez de Tolède, appàrut sous les traits
d'un grand vieillard d'une soixantaine d'années, d'aspect sec
et froid, ag visage tiré s'allongeant encore par une barbe
pointue et une moustache tombante; I'anogance et Ia dureté
brillaient dans ses yeux eaves.
Pour mieux réussir dans I'exécution tle ses machiavéliques
projets, Philippe ff avait imaginé toute une comédie. Il avait
fait demander officiellement au roi de France des passeports
pour aller directement d'Espagne dans ses Etats de par deçà;
en attendant son arrivée, Marguerite de Parme devait rester
à son poste, d'Albe ne serait que le commandant général des
troupes, chargé d'agir ( avec toute humanité, clouceur et voye
de grâce, évitant toute aigreur r! Pendant les jours qui sui-
virent son arrivée, le duc cl'Albe donna des fêtes superbes et
dupa les naïfs par sa politesse raffinée. '
Cette mise en scène dura une quinzaine de jours. Nanti de
pouvoirs illlrnités, d'Albe préparait entre temps la réalisation
de son programme cle terreur. Partisan fanatique du pouvoit'
absolu, catholique fervent, Espagnol de race, il éprouvait une
joie férOce d'avoir été choisi pâr son maître comme exécuteur
d'une tâche < sacrée >. fl avait, de plus, par son caractèr'e glaelal'
hautain, intransigeantr' par son tempérament sobre et reglét
' de multiples raisons pour haïr les Relges. Il était décidé, s'ils
devaient résister, à mettre en æuvle toutes ses capacités mili'
taires et toutes les ressources de sa calme et audacieuSe énergie.
Le 9 septembre 1507, jetant le masque, il fit arrêter les
250 _
comtes d'E$mont et de Hornes et institua, contrairement
aux privilèges du pâys, rm tribunal extraordinaire, Ie Conseil
des Troubles, chargé cle connaître des crimes politiques :
participation au Compromis des Nobles, aux excès des icono-
clastes, etc. Composé d'une dizaine de membres : le vice-pré-
sident don Juan de Vargas, fieffé coquin, Del Rio, Ronda et

LES PÂYS.B,dS SOUMIS A LA TYRANNIE DU DUC D'ÂLBE


(Ca,binet rlcs cstarnpes, llnrxellcs.)
Cctte l;clle grirvure allégoriqtrc reprirsente les
dix-sept lrrovirrccs des Pa,5's.llas encha,lnôcs auï
pieds du duc d'llbe. Des dénrons. tles nrôtres
espagnols ct tlcs corrrLisurrsfirrsu{llcrrt a,u vieux
gouvctneur, g(rnéral tles idées cle rncurtre et rle
veng:e&nce. f,os rclrr(:scnt,a,nts clcs Etats généraux,
contraints a,u silcnce, ont le doigt posé devant
dcs scènes de ra
ItlÏ"fii;,*-l.lr'"::r"-pran'
quelques Espagnols fanatiques, Jakob llessels, hideux éner-
gumène, ce tribunal pouvait condamner sans preuves, pâr
raison d'Itrtat. Le duc cl'Albe se réservait la décision finale de
toutes les causes.
Alors commença le Terreur espagnole. Rien ne poutait
plus I'endiguer. Marguerite cle Parme, nawée autant qu'in-
dignée, avâit demandé son ral.rpel dès le 29 aofrt (f ). Les catho.

(1) EUe quitta les Pays-Bas on février 1568.


i :,i
260
-
liques tolérants : Mansfelt, Viglius, Berlaymont se tenaient à
loécart ou étaient en disgrâee. Le Conseil d'Etat n'était plus
eonvoqué. Les conseils de rnodération du pape, Pie V, de I'em-
pereur Maximilien II (I), du cardinal Granvelle, fnrent inutiles.
Les édits furent appliqtrés impitoyablement, l'émigration fut
interditè, les nobles partis volontairement fbrent bannis à
perpétuité, de grandes citadelles-prisons furent construites à
Anvers et à Flessingue, I'hôtel de Cutrenbourg fut rasé. Le

-' ï;; Jii


: '.j:

(I'h,oto Girattd'on.)
PHILIPPE, ' L^MORAL,
COMTÊ DE HORNES CO]VTTE D'EGMONT
(D'a,près le Recueil tl'Arras.)

Conseil des Troubles, bientôt surnommé Bloet-Rar:dt (Conseil


du sang), fonctionnaib sans trêve. Le 4 janvier 1568, il fit
exécuter quatre-vingt-quatre personnes; le 20 février, il jugea
nonante-cinq inculpés; le 3 mars, il fit opérer quinze cents arres-
tations; le ler juin, il {it décapiter dix-neuf gentilshommes; le 5,
il fit périr sur l'échafaud les comtes d'Ilgmont et de }Iqrnes.
Cette exécution, entourée d'un éclat pro!-oquant, frappa de
stnpeur les Pays-Bas et I'Ettrope. D'Egmont et Hor:nes étaient

(I) FiIs rle X'erdinand 1er, l€ frèro pulné de Charles-Quint (R. 1556'1564).
gaximillen II régna de 1564 à 1576, Voir le tableau généa,logique, p. 201,
-261-
chevaliers de Ia Toison d'Or, justiciables du roi seul!Leur mtrg,
Ieurs serviees, leur mérite, leur innocence surtout, eussent dfi
les préserver d.'un'sort ignominieux, Ils n'étaient ni hérétiques,
ni rebelles. En les frappant, Philippe fI voulut montrer que sa,
colère nlépargnerait personne. Mais il fit de ees deux illustres
victimes, qui moururent avec drgnité, des martyrs, auxquels I'e
clergé osa faire des obSèques solennelles et duxquels Ie peuple
vouâ un culte fen'ont. La postérité doit unir à ces cleux noms
ceux cle deux malheureux seigneurs : le rnarquis de Ber$hes
et Florent de Montmoreney, baron de MontiÉny, dont les
contemporains ignorèrent I'affrcux destin. Enr,'oyés en mission
auprès de Philippe If, lors du Compromis des l{obles, Berghes
et Montigny avaient été gracieusement reçus par le roi. Mais,
retenus sous divers prétextes, ils s'étaient bientôt aperçus que
le perfide monarque les gardait en captivité. Berghes mourut
de maladie en Espagne, en 1567; Montigny, arrêté en sep-
tembre 1567, resta en prison jusqu'en 1570. Alors seulement,
le tG octobre, Philippe II te fit étrangler secrètemcnt dans un
des cachots du château de Simancas, près de Valladolid, et fit
répandre le bruit que le jeune seigneur était mort d'un mal
inguérissable. Pour accréditer cette version, le souverain ne
recula pas devant une sinistre comédie : il fit envoyer un méde-
cin, porteur de médicaments, à la pridon de sa victirne.
Pendant trois ans, de 156? à 1569, les exécutions aux Pays-
Bas firent rage. On évalue à près de huit rnille le nombre
des personnes exécutées et dont les biens furent confisqués sur
les ordres du Conseil des Troubles. Appuyé par une armée
nombreuse, informé de tout par une nuée d'espions, le dûc
d'Albe était maître de la situation dans les villes et les eam-
pagnes. Mais dans les régions les moins habitées, il se forma des
bandes de partisans : exilés, fugitifs, contumaces, calvinistes
sineères, coudoyant des .chômeurs et des aventuriers en hail-
Ions. Ces bandes de Gueux des bois (bos[uillons ; boschgcuzen)
entreprirent contre tes Espagnols une guerilla aceompagnée de
meurtres d'ecclésiastiques et de pillages de petits monastères.
Entre temps, le prince d'Orange s'était mis corps et âme au
service de la plus noble des tâches : I'affranchissernent des
Pays-Bas. Pour lui,nature pratique et opportuniste,la question
religieuse était secondaire; avec un peu de bonne volonté réci-
proque, on pouvait toujours, croyait-il, la résoudre dans Ie
*, 262
-
sens de la liberté et de la (olérance. L'essentiel, pour loinstant,
était de vaincre la tyrannie espa$nole et, pour ce faire, il
ne pouvait rencontrer de meilleurs auxiliaires que parmi les
protestants d'Europe : huguenots de I'amiral Gaspard de
Coligny, princes réfortnés du Saint-Empire, sujets anglieans de
la reine Elisabeth d'Angleterre. Il avait levé des mercenaires
allemands, engâgeant ainsi largement sa fortune personnelle,
avait rassemblé des partisans et tenté, dès.1568, une invasion
des Pays-Bas sur plusieurs points. L'entreprise eut un début
favorable : tout au nord, Louis de Nassau, venu de la Frise
allemande, battit les Espagnols, le 24 mai, à Heyli$erlée'
dans un combat oir périt le jeune Adolphe de Nassau, frère
du Taciturtre. IVIais bientôt le duc d'Albe arrivait avec des
fenforts. Louis, vaincu à Jern$urn (Gemmingen), le 2l juillet'
dut .battre précipitâmment en retraite. Le prince d'Orange
lui-rnême avait esquissé ull mouvement offensif vers le eentre
du pays, par le Limbourg. Ses soldeniers, reerutés trop à la
hâte, se disper!èrent sans combattre.
f,e duc tl'Albe triomphait. Il se fït ériger des stâtues, cou-
vertes d'inscriptions laudatives, à Anvers et à Bruxelles.
L'archevêc1ue de Malines lui remit, au nom du Souverain
Pontife, une toque et une épée, comme défenseur de la Foi.
C'est à cette époque qu'il osa écrire : < Les peuples sont très
contents et il n'y a pas au moride une nation plus facile à gou'
'verner que celle-ci quand on sait la conduire. rr
De pressants besoins d'argent amenèrent le duc d'Albe à
faire, en 1569, un nouvea,u pas dans la voie du despotisme. Il
remplaça les anciennes aides, consenties périodiquement par
les Etats généraux ou provinciaux, par trois irnpôts perma-
nents : le centième deniet (l "/ù prélevé une fois pour toutes
sur la valeur de tous les biens; le vin$tlème denier (5 %) dû
par le vendeur sur la vente de ses immeubles; le dixième
denier (10 %) perçu'sur la vente de tous biens meubles, mar-
chandises et denrées alimentaires. Ces impôts étaient très
onéreux; en les établissant, le gouvernement frustrait nos pro-
vinces de leur droit le plus précieux, le droit de subside,
étroitement uni au drolt de rernontrance, instrument de
contrôle des âctes du souverain. Aussi provoquèrent-ils une
vive opposition. Menacées de saccage, les villes cédèrent les
unes après les autresr mais l'irréductible opposition des Nations
: __269_
de Bruxelles et de Louvain eontraignit le duc d'Albe à retarder
de deux ans I'application intégrale de ses nouvelles mesures
fiscales. Entre temps il essayait, en 1570, de se concilier les
esprits en envoyant à la potence quelques officiers de justice
trop féroces et en proclamant un a pardon r dont les innom-
brables restrietions stimulèrent la verve des satiriques.
A la fin de I'année l57l,les nouveaux impôts entrèrent déd-
nitivement en vigueur. Aussitôt les transactions eommereiales
cessèrent, les boutiques restèrent closes ainsi que les ateliers,
le peuple supporta stoiquement les plus cruelles soirffranoes.
Pour'se donner du courage, il chantait :
( HelTtt nu U zelf , zoo helTrt U God
agt der tyrannen band en slot
Benauwde Nederlanden.
Gij draagt den bast al om uw strot
Rept fl,ults uw ororne handen (t), >

Outré par cette résistance passive, le duc d'Albe se a tuait


de colère r et menaçait de faire pendre les doyens des métiers
au seuil de leurs maisons. Tout I'hiver fut rempli par une ter-
rible crise. Cependant, cette lutte inégale paraissait devoir se
terminer par l'épuisement des protestataires lorsquoun incident
inattendu vint ranimer les courages. Depuis 1568, des marini
et pêcheurs insoumis, les Gueux de mer, jouaient, le long de
nos côtes, le rôle meurtrier des Gueux des bois dans nos eam-
pagnes. Le prince d'Orange, résidant à ce moment auprès des
huguenots de Flanee, leur donnait des patentes de corsairesl
Iorsque Ie comte Maximilien de Boussu, gouvemeur de la Hol-
lande, les serrait de trop près, ils se réfugiaient en Angleterre.
Or, Ia reine Elisabeth a;rant, le ler mars 1572,'momentanément
dû interdire I'aecès des ports anglais aux Gueux de mer, deux
de leurs chefs,. le téméraire Guillaume de La Marck, sire de
Lummen (ou Lumey), et le seigneur de Treslong, imaginèrent
de s'emparer par Surprise du petit port de La Brielle, sur un
des bras de la Meuse, au nord de I'ile de Voorne. Risquée avec
six cents hommes, Liégeois en grande partie, I'opération réussit
parfaitement, le ler awil. Elle, provoqua un enthousiasme

(l) Aidez-vous vous-mêmes, ainsi vous aid.era Dieu Eors des llens et
velrous du tyran Pays-Bas oppressés. - la corde d.,écorce
portez déjà
-
&utour de votre cou Remuez vite vos-Vous
mains pieuees,
-
264 ---
-
immense. Le 6 awil, F'lessingue se souleva, le 8, Rotterdam,
le 10, Gouda. Bientôt tbutc la Zêlande et la Hollande, Pro-
vinces ori le calvinisme avait fortement pris racine, furent en .

complet état d'insurrection.


Dans le Sud aussi I'efferveseence était grande. Au nez 'des
soldats espagnols, la foule fredonnait le chant railleur :
eersten dagh adn APril
" Op dm
Verloor duc d'Alaa siinen bril (L)... t '

ou le refrain guerrier :

< Slaet otr)ten trommele pan ùi'rre'dorndeyne... , (2).


Le prince d'Orange crut le moment venu d'envahir une
seconde fois les Pays-Bas. Mieux appuyé par les huguenots
qu'il ne I'avait été par les princes protestants du Saint-IJmpire,
ilcombina un projet d'opérations concentriques. Le 28 mai, le
Français La Noue occupà Valenciennes; deux jouts plus tard,
Louis de Nassau entrait dans Mons. Avec 24,000 hommes,
Guillaume d,'Orange pénétra de la Gueldre jusqu'au cceur du
Brabant. paraissait perdu. Les catholiques,
Le duc d'Albe
impressionnés par les excès de la soldatesque calviniste, sur-
tout pàr le massacre de dix-neuf rnoines de êorcum (9 juillet),
ne savaient quelle contenance adopter lorsque, tout à coup,
I'on apprit le grand massacre de la Saint-Barthélerny en
tr'rance (2a aotrt). Louis reperdit lVlons et Guillaume dut se
retirer en toute hâte vers la Hollande (S).
, Alors la lutte prit un caractère tout nouveau. La Hollande
et la Zélande continuèrent seules à combattre. Sauf Amster-
dam, Schoonhoven et Middelbourg, qui tenaient pour Ie roi,
les villes de ces provinces étaient unanimes dans leur volonté
de lutter jusqu'au bout. 'fous'les bourgeois s'armèrent d'arque-
buses et de piques, s'organisèrent en milices, éIurent des offi'
ciers et s'exercèrent au son du fifre et du tambour. Ils équipèrent

(f ) Au premier Jour cl'avril, le duc d'Albe perd'it ses lunettes.


(2) X''rappez sur Ie tambour d.e dirre-tlom'deyne...
(3) La Saint-Barthélemy eut, entre autres résqltats, celui de prévenir
un conflit imminent entre I'Angleterre et la x'rance. L'amiral colig:ny, chef
dee h11gpenots d.e X'rance, aurait voulu placer sous I'autorité des Yalois les
calvinistee belges libérés. La reine Elisabeth flt informer Coligny qu'elle
ne tolérerait jamais l'occupation des tr'lantlres par la tr'rance. :
265 --
aussi des navires de course. Les premières dépenses furent cou-
vertes par les biens ecclésiastiques confisqués et les captures de
navires de commerce. Bientôt les prouesses des corsaires trans-
formèrent'la guerre en une opération lucrative. placées dans urre
excellente situation stratégique à I'embouchure de trois fleuves,
protégées par un climat humide et froid, ainsi que par des bras
de mer, canaux et marécages, inondables en cas d'extrême péril,
la Hollande et la Zélande formaiet i d"u* citadelles presque
inaccessibles et dont les défenseurs, relativement peu nombreux,
pouvaienf suffire à tous leurs besoins. Depuis le l5 juillet elles
avaient pris pour chef militaire ou stadhouder Ie prince
d'orange. calviniste à présent, entouré de huguenots déter-
minés, ce prince tenaee était devenu I'âme même de ra résis-
tance à I'Espagne, I'inearnation de Ia patrie en péril.
Irn face de cette bourgeoisie, armée à Ia hâte, se trouvait
I'armée espagnole, la meilleure du temps. Elle comprenait :
a) Des arquebusiers, coiffés d'un chapeau de feutre emplumé
ou d'un easque à haute crête et à bords relevés : lé morion;
Ieur buste était protégé par un corseret comprenant plastron
et dossière; d'un baudrier de cuir, porté en sautoir, pendaient,
comme des breloques, de nombreuses poires à poudre; Ieur arme
principale, I'arquebuse (à mèche ou à rouet), avait une crosse
bombée, inerûstée de nacre ou d'ivoire.
à) Des plcquenaires, dont le corps de cuirasse se prolongeait
par un court jupon de métal, protégeant les hanches : les tas-
settes. Au combat, arquebusiers et picquenaires étaient insé-
parables. Les premiers couvraient le flanc des seconds et amor-
çaient I'engagement; les seconds, rangés autour de grands dra-
peaux bariolés à hampe courte, supportaient le choc des masses
de cavalerie. Ensemble ils formaient des régiments, nommés
tercios chez les Espagnols.
cl La cavalerie, encore revêtue de I'armure de toutes pièces,
noircie (noirs harnois) ou polie au clair (harnois blancs); elle
comprenait des lanciers, des chevau-lê$ers, des pistoliers.
Les lanciers, sueeesseurs des gendarrnes, chargeaient au trot
en escadrons épais; les autres pratiquaient une manæuvre,
< la caracole r, empruntée aux reîtres allemands. La caracore
consistait en une charge en colonne qui s'ouvrait en éventail
et permettait ainsi à chaque rang de décharger à bout portant,
sur l'adversaire, une bruyante pistoletade.
266
-
d) L'artillerie, bien pourvue, eomprenait surtout des pièces
de siège.
Cette armée comptait une soixantaine de mille hommès :
environ 8,000 Espagnols, Italiens et Irlandais; 16,000 Alle-
mands; l0,O0O Flamands ou Bas-Allemands; 3O,O0O Wallons.
La campagne d'hiver de l5?2 à 1573 fut terrible. Philippe II
avait enjoint au duè d'Albe d'en finir. En quelques annéeg, les
Pays-Bas avaient cofité plus de 25,OO0,O00 de florins !
L'armée espagnole se mit en route au début d'octobre, mar-
quant son passa,ge à travers le Brabant et la Gueldre par d'hor-
ribles dévastations : le 2, Malines fut saccagée, pour avoir,
quelques mois auparavant, fait bon accueil au prinee d'Orange;
à Ia fin de novembre, Zutphen subit le même sôrt; Frédéric de
Tolède fit, en novembre aussi, massâcrer toute la population
de Naarden, petite ville au sud-ouest du Zuyderzée, qui avait
osé se défendre. Le siège de Haarlern dura sept mois ! La
vaillante cité capitula le l3 juillet f573.
, T,a lrollande semblait vaincue. Pénétrant jusqu'à I'extrême
nord de la provinee, don Frédéric (ou Fadrique) avait entre-
pris le siège d'Alkmaar. Mais à partir de ce moment la forttme
des armes change de camp. Reculant devant les inondations.
artificielles, les Espagnols doivent lever le siège d'Alkmaar, le
8 oetobre l5?3. << Van Alkmaar begirtt de aietorie (1), > clame
un dieton populaire. Dès le ll,la flotte du comte de Boussu est
battue à Enkhuizen. Les Pays-Bas exultent de joie patriotique.
Depuis quelque temps, le duc d'Albe sentait sa position chan-
celante. cédant à des conseils de modération, Philippe II avait
envoyé aux Pays-Bas, dès 1572, un nouveau gouverneur général,
le duc de Medlna-Celi, sans enlever cependant au duc d'Albe
aucun de ses pouvoirs discrétionnaires. D'Albe avait poliment
laissé le nouveau venu se débattre au milieu des pires difficultés
et I'incapable Medina avait dû retourner en Espagne, < malade
de eceur et dégoùté r (novembre 15?8). D'Albe n'en avait pas
moins compris I'avertissement. Vieilli, usé, découmgé, conscient
de son échee total, il ne se sentait plus capable de vaincre.
il demanda lui-même humblenreut sa retraite et rentra en
Espagne, le 18 déeembre 15?3. Son nom maudit resta attaché
aux pires souvenirs de notre histoire.

(1) D'Alhaor contrmenc€ I'a viotoire.


CHAPITRE V

LE GOTJVDRNEMENT DE REQUESENS
(r 573-r576.)

Philippe II en reaiettt à une potitique plus madérée (p. 26?).


Le gouaerneur Requesens (pp. 267 et 26g). La situation-
miktaire à son anùsëe (p. 268). - z bataillc d,e
t4 aaril LETA
Moolt (p. 268). Concessions de- Requesens
génërauæ de 1574- (p. 263). Valdès lèae le(p.268). -
Etalæ
sf,ège d,e Leùden
(p. 268). - (p. 269). Siège de Zierùttzée
Le congrès de Bréda
(p. 269). - - (p. 269).
Mort de Requesems [E mars rEZ6l
-
u Dieu nous garde de pareils Etats! r
tïâ"i"i:ï;1r?Tlï'- des Etars gé-

La politique d'espagnolisation avait totalement échoué. Les


catholiques des Pays-Bas en étaient arrivés comme les rebelles
à exécrer I'Espagne. lioujours décidé à I'inflexibilite en matière
religieuse, Ie roi se résigna à faire des eoneessions au point de
vue de I'absolutisme monarchique et de la rigueur des méthodes.
répressives. Encore n'agit-il qu'avee son indéeision et son hypo-
crisie coutumières.
Le successeur du duc d'Albe était un Grand d'Espagne, àgé
d'une cinquantaine d'années, don Louis de Zunlga y Reque-
sens. X'ormé par les jésuites, entièrement dévoué au roi, il
avait occupé des postes éminents. Mais il ne convertait pas pour
sa nouvelle mission, acceptée d'ailleurs à contre-cæur. Malhabile
et de nature maladive, il ne pouvait en imposer aux rebelle$;
orgueilleuxr iraseible, méprisant et castillan jusqu'au bout des
; 268-
bout des ongles, il ne pouvait non plus leur inspirer con{iance.
Enfin, les ordres qu'il reçirt manquaient de précision.
Pour commencer, il dut guerroyer. LIn gentilhomme bru-
xellois, I'iirtrépide amiral Louis de Boisot, avait dispersi,
en janvier 1574, 'l'eseadre de Bergen-op-Zoom et nettoyé les
bouches de I'Escaut; le 18 février, les insurgés avaient amêné
à la capitulation la. princil ale ville de la zêlande, Middel-
bourg, après un siège de dertx ans. Ils étaient maîtres de toutes
les îles zélandaises, des bras de mer et des côtes. A I'autre
extrémité du territoire, Louis <le Nassau envahissait la Gueldre
avec 10,000 soldeniers de H:rute-Allemagne. Requesens lui
opposa un de ses meilleurs'généraux, don Sanche d'Avila.
Le 14 awril, il.y eut une batai;le violente sur la bruyère de
Mook, au sud de Nimègue. Les rebelles y furent complètement
défaits. L'héroique Louis de Nasslu et son frère llenri restèrent
parmi les morts. La maison de N*ssatl avait déjà perdu trois de
ses membres pour la cause de l+r liberté.
Une mutinerie des troupes ei:pagnoles, auxquelles le gouver-
nement devait vingt-huit mois de solde, ne permit pas à
Requesens de tirer de la victoire de Mook fe parti qu'il erit pu.
Néanmoins, son prestige était sufffrsâmment rehaussé pour qu'il
pût entrer dans la voie de Ia clémence sans paraître faiblir.
Le 6 juin, il proclama un < pardon général > et, vers la même
époque, supprima les impôts du dixième et du vingtième denier.
Le Conseil des Troubles subsista mais ùe prononça plus de sen-
tenees de mort ni de conliscations de biens.
Ces concessions venaient beaucoup trop tard. Les Etats
généraux de 1574, concilants quant au maintien du catho-
licisme, présentèrent au gouverneur général le pro$ramme
national de 1559, encore anrplifié. Ils réclamèrent avec
véhémence la répression des < mangeries et pilleries > de la sol-
datesque, qui traitait la nation en ( paqvres esclaves et infr-
dèles r. Quant aux insurgés, ils ne voulurent même pas entrer
en pourparlers !
La guerre continua donc avec fureur. Depuis près d'un an
d.on Francisco de Valdès assiégeait Leiden. Les Hollandais
rompirent les digues de la Meuse et de I'Yssel entre Delft,
Rotterdam, Gouda et Leiden. Boisot et ses Gueux de mer
vinrent ravitailler Ia eité indomptable. Dans la nuit du 3 au
4 octobre, Valdès dut renoncer à son entreprise.
-260*
Alors I'empereur Maximilien II offrit sa médiation. Reque-
sens I'aecepta avec joie. a Le peuple,. > écrivait-il, < voyant qu'on
négocie la paix, il y a lieu de eroire qu'il différera de se révolter
tout à fait; car, en vérité, ses souffrances sont telles qu'il lui
serait impossible de les endurer s'il n'avait I'espoir qu'elles
finiront bientôt r. Quant au résultat en soi du Con$rès de
Bréda (mars 1575),le gouverneur général ne pouvait en douter.
PhilippefI exigea la restauration du catholicisme dans toutes
les provinces; le prinee d'Orange, au nom des Etats de Hollande-
Zélande, réclama des garanties < tant au regard de la liberté
que pour le fait de la conscience >.
Il fbllut en revenir à la décision par les armes. Dans la nuit'
du 28 au 29 septembre 7575, don Juan Osorio d'Ulloa aecom-
plit.une étonnante prouesse. Avec moins de deux mille vété.
ranÀ, il franchit à gué le bras de mer séparant les îles de Sint-
Philipsland et de Duiveland,schouwen. Sous le feu des Gueux
de mer, le gros de la colonne réussit le passage; I'arrière-garde
disparut dans les flots, balayée par le flux montant. Les Espa-
nols parvinrent à se frayer un chemin jusqu'à ZLefiJrzêq poÉ
sur I'Escaut oriental, dont ils entreprirent le siège. La chute
de cette place (29 juin f 576) sépara la Zélande de la Hollande !
Nlais entre temps I'Espagne avait dû suspendre tout paye-
ment. Requesens n'avait plus de ressources. Ecceuré par I'in-
suceès de ses diverses tentatives, atteint dç nostalgie, il mourut
d'une < fièvre pestillenci€use )), le 5 mars 1576.
CHAPITRE VI

LEs ETATS cÉ,rqÉnAux DE rs76

Intérim du Conseil d'Etat (p. z?0). Matinerie des troupes espa-


et 271).
gnoles 1pp. 270 Les -Etah de Brabant éIiminent le
- (p. 271).
Conseil tUtat du pornoir Réunion des Etats
générauæ (pp. 27f et 272). 4 noaembre - 1576 z la Furie e$ra-
gnole (p.272). -
I nooentbre : la Pacifi,cation de Gond(pp.272
et 273). -
Relgium læileratum.

En attendant la nomination d'un nouveâu gouverneur géné-


ral, le Conseil d'Etat prit Ia direction des affaires. Sauf un
Espagnol intolérant, De Roda, il se composait de catholiques
modérés, anciens fidèles de Marguerite de Parme : les comtes
de Mansfelt et de Berlaymont, le vieux Viglius, Philippe de
Croy duc d'Aerschot, Christophe d'Assonleville et Quelques
autres. Ils étaient, ou bien hardis mais sans esprit de suite,
comme le due d'Aerschot, ou bien expéririrentés mais timorés,
eomme Viglius. IIs supprimèrent le Conseil des Troubles et
s'efforcèrent de se concilier les sympathies populaires.
Mais ils n'étaient plus adaptés aux nécessités de I'époque.
Ni le roi, ni la nation n'avaient eonfiance en eux. Ils se trou-
vaient en outre devant un formidable problème. L'armée espa-
gnole n'avait plus été payée depuis près de deux ans ! EIle lnena-
çait le pays d'un pillage général aussitôt qu'elle aurait pris
Zierikzée ! Les Etats de Brabant se réunirent et réclamèrent,
le 17 awil, le renvoi des soldats étrangers et Ia convocation des
Etats généraux. Cet énergique exemple fht imité par les Etats
-_271
-
de Hainaut, de Flandre et de Gueldre. Hélas ! leur voix ne fut
pas écoutée. Au début de juillet, la catastrophe attendue
éclatait. Les tercios mutinés s'emparaient d'Alost et entre-
prenaient de là des opérations de pillage dans le Brabant et la
Flandre !
Aiguillonnés par le péril, les Etats de Brabant soarrogèrent
en fait le pouvoir. Sur leur demande, Ie Conçeil d'Iltat pro-
scrivit les soldats espagnols (27 juillet) et ordonna artx provinces
de prendre les armes (? aofrt). Profitant des eirconstances, les
patriotes des provinces du Sud entreprirent une active prope'
gande en faveur d'un rapprochement avec le prince doOrange
et les deux provinces mutinées. L'oceasion était unique : les
débordements de Ia soldatesque poussaient iittéralement les
catholiques'dans les bras des calvinistes et leur faisaient oublier
jusqu'aux excès des iconoclastes, jusqu'au martyre des moines
de Gorcum. Entre le danger de déplaire a,u roi et celui de rester
sans secours devant les mutins, il n'y avait pas à hésiter.
Lorsque le prince d'Orange connut les dispositions favorables
des provinees méridionales, sa joie fut immense. Son rêve d'une
( commune patrie r, déjà caressé lors dp Compromis des Nobles,
parpissait près de se réaliser.
il fallait d'abord se débar-
Pour opérer I'union patriotique,
rasserdu Conseil d'Etat, trop dyriastique. Guillaume de
Ilornes, seigneur de Hèze, nommé gouverneur de Bruxelles
par les Etats de Brabant, s'aboueha avec plusieurs notables et
ordonna,le 4 septembre, à son lieutenant Jacques' seigneur de
Glymes, d'épurer le Conseil d'Etat. Glymes,. accompdgné de
mousquetaires brabançons, arrêta quelques conseillers, dont
Viglius, bégayant d'épouvante. Après ce crime de lèse-majesté'
les provinces de Brabant, de Flandre et de Hainaut convoquèrent
les Etats $énéraux. Tous les Etats encore soumis à I'Espagne,
sauf le Luxembourg, s'empressèrent de réunir leurs délégués.
En octobre, les Etats généraux se constituèrent en organisme
gouvernemental. Tout en proclamant hautement qu'ils main'
tenaient Philippe fI comme a souverain seigneur et prince
naturel >, ils trànsformèrent Ie Conseil d'Etat en simple comité
exécutif, levèrent des troupes wallonnes et flamandesr cott'
frèrent des commandements à la haute aristocratie, obtinrent
du prince d'Orange des secours en infanterie et en artillerie
et entreprirent le siège des citadelles de Gand et d'Anvers.
272
-
Leur action était illégale, mais leur but si louable qu'ils furent
presque partout appuyés et encouragés.
ces mesures étaient eneore insuffisantes. Le.temps pressait,
car les soldeniers espagnols menacés se coneentraient aux envi-
rons d'Alost. Le l9 octobre, des négociations s'ouvrirent à
Gand entre les délégués des Etats généraux, eeux des Etats
de Hollande-Zélande et ceux du stadhouder. Les travaux
venaient à peine de commencer qu'une nouvelle terrifiante vint
glacer d'horreur les habitants de toutes nos provinces. Le 4 no-
vembre, Ies tercios de Sanche d'Avila, de Romero, de Navarese
et les cavaliers d'Alphonse'de Vargas, venus d'Alost ou sortis
de la citadelle d'Anvers assiéuée, avaierit envahi Anvers, écrasé
Ies troupes des Etats, chassé de I'hôtel de ville, après une eou-
rageuse résistance, Ies derniers bourgeois armés et commencé
Ie pillage de la ville. Ce saccage gigantesque, la Furie espa-
gnole, cqtlta la vie à plus de sept mille personnes des deux
sexes; il y eut cinq cents maisons brûlées et les dégâts, les
pillages, vols de bijoux, d'or, de marchandises, de valeurs de
toute espèee, furent'évaltrés à une somme représentant atrjour-
d'hui environ 50 millions de francs.
Quatre jours après le début de ce drame, le g novembre,Ies
dix-sept provinces des Pays-Bas se fédéraient par un
traité nommé la Pacifrcation de Gand. Leur union s'opérait
çur des bases très simples, conformes au vieil ldéal national
exprimé notamment dans le programme des Etats généraux
de 1559 et dans le compromis des Nobles. Les contractants
juraient de maintenir la paix entre eux et de se prêter assis-
tance mutuellè. rls décrétaient I'expulsion des soldats espa.-
gnols, Ia suspension des placards contre les hérétiques et des
ordonnances du duc d'Albe. l]ne amnistie générale Iibérait les
prisonniers, annihilait les sentences de conûscation de biens
depuis 1566 et biffait des registres les jugements en matière de
religion.
Restait Ia question religieuse ! Dans leur hâte à se récpn-
cilier, les parties contracl.antes cherchèrent à la résoudre par
une eombinaison provisoire. Le prinee d'Orange nous I'avons
dit - des cultes.
était tolérant, partisan de la eomplète liberté
Son-entourage, et, en général, les gens cultivés des pays-Bas :
avocats, savants, hommes de plume, partageaient son point
de vue. fls étaient avant tout patriotes démocrates. Mal-
273 _
heureusement, leur nombre était restreint. D,une paft, Ies
ealvinistes de Hollande et de Zélande avaient tout sacrifié à la
cause de la liberté, mais étaient de farouches sectalres d'autre
I
paÉ, les catholiques des autres provinces : nobles, prêtres,
membres de Ia haute bourgeoisie, petits négociants, étaient aussi
d'excellents patriotes, mais voulaient le rnaintien exclusif du
cathollcisme romain, quitte à tolérer, en matière de conces-
sion suprême, la présence de réformés ne ( provoquant pas de
seandale ,, c'est-à-dire s'abstenant dc toute pratique extérieure
de leur croyance.
comme les catholiqueà couraient le danger le plus immédiat,
ils flrent aussi Ie plus de coneessions. La pacifreation de Gand
décréta que, jusqu'à décision ultérieure des Etats généraux, le
principe <le la liberté de conscience serait de règle dans quinze
provinces des Pays-Bas. Le catholicisme garderait une place
prééminente; Ies dissidents jouiraient de garanties sérieuses,
mais ne poumalent professer publiquement leur foi. Au
contrâire, en Hollande et en zélande, provinces indépendantes
dans la < Généralité (r) >, le culte protestant régnerait publi-
quement et seul. ce modus aiuendi peu éQuitable avait rendu
la conclusion de la Pacification possibre, mais il la mettait
irnmédiatement en péril.

(1) C'eet-à.dire l'ensemble d.es dix-sopt provinces.


CHAPITRE VII
LE GOUVERNEMENT DE
DON JUAN D'AUTRICHE
(1576-1578.)

Don Juan d'Autriche, ses instructi'ons, se.s proiets (pp. 274 et


2T q. il arrùue à Luæembourg l8 novembre 15761 (p. 275).
-
Les cq!ftçtiques se rapprochent de lui (pp. 275 et 276).
-L'Union iiè Bruæelles [9 janvier 15771; I'Edit Perpéhtel -de
Marche}en-Fmnenne [f2 féwier] (pp. 276 et 217). Sàtua-
-
t:ion ùifi,cùIe d,e don Juan; il s'enfertne au chdteau de Namur
[2a juillet] (p. 2771. Les Nations ile Bruæelles raTtTtellent
- réceptt:ùon f23 septembrel (p. 278).
ln prince d'Orange; sa -
Intemmtion d,e l'archidttc Mathias; la seconde Union de Bru'
æelles [lO décembre]; Mathi,as inauguré comme souaerain des
Pa41s-Bas [8 janvier 15?8] (pp. 278 et' 279). - La républï'ry'e
cahtiniste proclamée à Gand (pp. 279 et 280). Marche en
-
arsant d,es Espagnots; bataille de Gunbloun [8r janvier]
(p.2SO). Irutensent:ùon d'u dtttc d'Aniou (p. 28O et 281)' :
Bataitle - RgmmamlLB juilletl (p.281).
de Mort d,e don Juan
-
1ler octobre 15781 (p. 28r).
n Madame, i'ai ici une Peine terrible
",'lH"ï.Ë"fi ii'Ëi11':à de Porme,
le 20 ianvier 1577.)

lpresà,interminables hésitations, Philippe II s'était décidé


à donnef pour gouverneur général aux Belges un piince du
Sangr son demi-frère, don Juan d'Autriche. Sans doute, don
Juan était un bâtarcl, né en ld4z des relations de charles-euint
avec Barbara Blombergh, frivole petite bourgeoise de Ratis-
bonne. Mais I'empereur lui avait fait donner en secret une
instruction soignée. Don Juan, bien accueiili à la cour, avait
acquis beaucoup de gloire en combattant avee suceès les Maures
du sud de I'Espagne et en remportant sur les Turcs une grpnde.
victoire navale à Lépante (r). Espagnols et rtaliens raffolaient
de cet élégant héros de trente ans, aux yeux breus, aux che-
veux bouclés et à la soyeuse moustache blonde. philippe rr,
plus que jamais désireux d'en finir, supposait que Ies Belges
seraient flattés d'avoir pour gouverneur un héros de roman de
chevalerie, dont I'Europe citait les exploits et les aventures
galantes. rl comptait aussi sur son intelligence et son esprit
déIié pour vaincre les difficultés de Ia situation. Dans ses instruc-
tions détaillées, le roi reeommandait à son dêmi-frère de se
montrer conciliant, patient, affable, de parler ftançais et de
respecter les usages. Le < faict de la religion r seul devait Ie
trouver irréductible.
Ileureux dans ses apparences, le choix de philippe If, en
réalitf, était malhabile. Don Juan ne s'intéressait nullement aux
Pays-Bas. D'une ambition démesurée, il rêvait de faire la
conquête de I'Angletert'e et d'épouser Marie stuart, la belle
et romanesque reine d'Ecosse, captive d'Elisabeth. euelle
distance entre ces chimères et la tâche rebutante qui I'attendait
dans nos provinces !
L'entreprise commença d'une manière assez arerte. Déguisé
en laquais, don Juan traversa la France à franc étrier et fit
inopinément son entrée à Luxembourg, le g novembre 1578,
à la veille de la grande < Furie ,r. Là, les nouvelles les plus
graves vinrent coup sur coup I'assaillir et il n'eut, dès Ie
premier jour, plus le loisir de songer à renouveler les prouesses
de Guillaume de Nornrandie !
Cependant, Ia situation n,était pas si.mauvaise pour lui. La
Pacification de Gand n'avait pas mis un terme au conflit entre
catholiques et réformés, qui s'appliquaient mutuellement les
épithètes de Papen et Geunen, a iclolâtres r et < icono-
ciastes r!
Dans toutes les provinces, sauf en Hollande et en zélande,

(1) Ville d'Acarnanie (Grèce), sur le golfe de patras.


276
-
il y avait opposition entre les riches, tant nobles que bourgeois,
et la masse du peuple, flanquée des intellectuels. Les pre-
miers, catholiques modérés, ne demandaient qu'à se récon-
cilier avec Philippe II, poup'u que celui-ci promit de respecter
les privilèges et d'appliquer les placards avec modération; les
seconds exécraient loEspagne et ne juraient que par le prince
d'orange. Lorsque les Etats généraux entrèrent en pourparlers
avec don Juan, les catholiques flrent naturellement tous leurs
efforts pour amener une entente. ce ne fut pas chose facile !
Les Etats prenaient une attitude de commandement qui
déplaisait souverainement au nouveau gouverneur. Travaillés
par les orangistes, ils manquaient de franchise. < ce qu'ils disent
aujourd'hui, d.emain ils le contredisent, n écrivait, dépité, don
Juan à Marguerite de Parme. Mais lui-même, bien que plein
de bonnes intentions, restait fidèle aux procédés machiavéliques
hispano-italiens de la Renaissance. Alors qu'il promettait aux
Etats le départ des troupes espagnoles, il entretenait avec
celles-ci une correspondance secrète et ayant été démasqué
-
5'af,f,i1ait de la part du conseil d'Etat la réprimande bourme :
-< Ils ne sont si enfans ny si simples par deça qu'ilz se laissent
rnener pai le nez comlne buffies, quoique les Espagnolz en
pensent!l
En fin de eompte, un anangement intervint. Les Etats
généraux,infl uencés par la noblesse catholique,votèrent l' ÏJnion
de Bruxelles (9 janvier 1577), interprétation catholique de
la Pacification de Gand, stipulant I'obéissance au roi et le mai-
tien exclusif, dans toutes les provinees, de la religion catholique.
Le prince d'orange ef les Etats de Hollande-zélande refusèrent
de souscrire à cette déformation si rapide de I'acte solennel
qu'ils avaient cru devoir être le point de départ d'une évolution
vers I'indépendance de la commune patrie.
Philippe II obtenait satisfaction sur le point qui lui tenait
I'Edit
le plus à eæur. En retour, don Juan publia, le 12 février,
perpétuel de Marche-en-Farnenne (r), qui réalisait. en
bonne partie le programme national du compromis : les privi-
Iègesterritoriaux seraient scrupuleusement respectés, les Etats
généraux seraient réunis, les troupes espagnoles quitteraient
nos provinces. Les protestants ne seraient plus soumis à un

(1) Boursade luxembourgeolse entre la Lesee et l'Ôurthe.


-.277 -
régime de terreur, mais il n'apparaissait pas clairement si le
gouvernement allait tolérer leur présence sous condition de ne
point causer de rc scandale > ou si, par diverses mesures, il allait
les éloigner du pays. De toutes façons, le catholicisrnc seul
devait régner publiquement aux Pays-Bas, même dans les pro-
vinces dissidentes.
Don Juan, au fond, noétait pas satisfait de cette paix de con-
cessions dans'laquelle il ne voulait voir qu'un simille < expé-
dient )), propre à préserver le pays d'une nouvelle guene civile.
Non sans dépit, il dut renvoyer (mars-ayril) les tereios qui,
dans sa, pensée, auraient dfi servir à lui f'rayer un passage
jùsqu'à la prison de Marie Stuart. Le pis fut qu'après son
entrée sole.nnelle à Bruxelles (mai 15771, il s'aperçut que
toute sa diplomatie n'avait pâs servi à grand'chose. Il eut
beau déploye, .auprès de ces Belges qu'il jugeait suffisarrts
et détestables, toutes les ressourees de Ia plus courtoise
séduction, il eut beau prenclre part à leurs conôours de tir
et s'essayer à boire leur bière, toujours il sentait autour de lui
Ia défiance ou I'esprit de bravade. Demandait-il des troupes
pour conlbattre les provinces schismatiques, on les lui refusait.
Cherehait-il, par des conférences tenues à Geertruydenberg
(mai-juin) (l), à préparer un tenain d'entente avec les rebelles,
la subtile diplomatie du prince d'Orange renversait ses projets,
Parfois, Ias d'être traîné d'atermoiements en aterrnoiements, il
donnait libre cours à sa fougue naturelle. Mais aussitôt il per-
cevait gue ses rnenaces, impossibles à réaliser puisqu'il ri'avait
presque plus de soldats, ne faisaient que provoquer des objec-
tions goguenardes ou d'aigres répliques. Finalcment, se sentant
mourir à petit feu, horrifié à la perspecti'rre de'finir ses jours'
dans ces contrées brurneuses, il perdit la tête. Ayant vainernent
supplié le roi de le rappeler, ayarit foruré le projet chimêrique
d'une fuite subreptice si Philippe ne l'écoutait pas, il flnit par
se croire réellement en danger. Partout il s'imaginait voir les
traces de complots anti-juanistes, fomentés par des membres
de la noblesse oir des Etats de Brabant. Tirant parti d'un
voyage tle Marguerite de Valois aux eaux de Spa, il prit soudain
possession du château de Namur, s'y claquemura et rappela
d'urgence les troupes espagnoles (24 juillet).

(1) Petite ville à I'ouest d,e Boie-le-Duc.


_278_
Du coup le pacte entre le gouvernement espagnol et les.
catholiques des Pays-Bas était rompu. 'Ipndis que la bourgeoisie
modérée perdait son temps en stériles regrets, le petit:peuple
s'attachait délibérément à la cause des démoerates patriotes.
Dès les premiers jours d'août, un comité de dix-huit délégués
des Nations de Bruxelles s'emparait de la direction de la ville
et s'unissait à la minorité des Etats généraux pout rappeler
dans Ia capitale le prinee d'Orange,
Le 23 septembre, une foule enthousiaste reeevait dans les
murs de Bruxelles Guillaume de Nassau, radieux de voir son
idéal de concorde patriotique virtuellement réalisé. Le peuple
attendait le héros national comme ( un ange venu du ciel r.
Mais quand il le vit si simple dans ses manières, si accueillant,
si enjoué, alors seulement il comprit qu'il avait réellement
retrouvé un < père r, et son âtne, endurcie autant par le terro-
risme du duc d'Albe que par les faux-fuyants de ses succes-
seurs, s'attendrit en un superbe élan de confiance vers son
< libérateur r.
- A peine nommé ruwaert du Brabant, Guillaume le Taciturne
voulut mettre en pratique sa formule de gouvernement : vers
I'union, par la tolérance. Il eut aussitôt des difficultés avec
les catholiques, redoutant en lui le calviniste, et avec les pro-
testants, irrités par sa modération.
Ce fut la haute noblesse qui entra la première en action. Le
duc d'Aerschot, gouverneur dè la Flandre, jaloux du prince
d'Orange, réussit à attirer dans les Pays-Bas I'archiduc
Mattrias, fils de Maximilien II et frère de I'empereur Ro-
dolphe II (1) (R. f576-f 6f2). Il voulait faire de lui Ie souverain
des Pays-Bas et eonsidérait que le fait de remplacer Philippe II
pâr un Habsbourg d'Allemagne ne constituait qu'une demi-
félonie, rassurante pour les catholiques timorés.
Le prince d'Orange reçut avee bonhomie la nouvelle de
I'arrivée de I'archiduc à Maastricht (28 octobre). C'était un
naif jouveneeau de dix-neuf ans, venu en cachette, tout glo-
rieux de son,équipée, mais sans expérience, sans crédit, sans
argent. Qu'importait au Taciturne que ce nouveau venu portât
le titre de souverain? Si cette solution pouvait plaire aux catho-
liques et cimenter I'union patriotique, il ne pouvaii, qu'y

(1) Voir le tableau généalog:ique, p. 201.


-- 279
-
applaudir. Trop fin et trop désintéressé pot" ooorir après les
honneurs suprêmes, il était prêt à se eontenter d'un rôle de
maire du palais, le laissant en fait mâître du pouvoir.
Cependant, pour montrer à la noblesse qu'il n'était pas sa
dupe, il laissa arrêter le duc d'Aerschot et quelques seigneurs,
dans la nuit du 28 au 29 octobre. Puis il entra en pour'
parlers directs avec
Mathias. Il lui impo-
sa, le 1O décembre,
la seconde Union de
Bruxelles, acte pa-
raphrasant la Pacifi-
cation cle Gand dans
It: senste la liberté
de conscience. Ler
liberté des cultes
y figurait nussi, en
toutes lettres pnur
les catholirlucs, irn-
pliciternent potrl lcs '
réfirrrnés. Le l8 jarr-
vicr I 578, l'arcltichrcr !i :"- a$L,!f,.xt!. rBla1st r{!tf r:h

lirt inatrguré souvc- :* ÀUg(111..*

nrin tlcs Pays-Ilas;


k, llrincc rt'Orangc,
r)t.'rrrrntl lierrtt'nirttl-
gi:néral, coutiuuil rr
GUII,LAUN'IE LETACITURNE
excrcer srrr les Etats Grzrr.é lrit t' S ui.j rLerrhocfl .

généraux une auto- ((-raLrinct dcs cstanrpes, Bruxclles.)


r:ité sans limites.
Penclant que lcs altaires ,'o.ruttgè*icnL irtrec lcs catholiqucs,
clles sc compliquaient du côté protcstant. La Hollande et la
Zélande bourlaient visiblenrent leur stadhouder et sc consa-
craicnt dc plus en plus cxclusivement à leurs propres affaires.
A Gand, un < aventureux gentilhomme r, F'rançois de la
Kéthulle, seigneur de Rijhove, et son ami, lc sire Jean
d'Hembyze, fondèrent une république calviniste sur le modèle
de Genève, dirigée par une commission de clix-huit membres
(ler novembre 1577). Aussitôt beaucoup de protestants émigrés
rentrèrent en Flandre. En dépit des efforts du Taciturne, les
_290_-
. i

calvinistes gantois se mirent à persécuter les catholiques, tra-


quant les prêtres, démolissant les églises et eonfisquant les biens
des monastères.
, Travaillées par des influenees diverses, les provinces du Sud
ne parvenaient pas à s'organiser. Loarmée des Etats généraux,
comprenant une vingtaine de mille Wallons, Bas-Allemands et
Ecossais, manquait d'argent, de vivres et de pièces d'équipe-
ment.)Ses officiers, presque tous catholiques, ne montraient nul
enthousiasme. Son chef, le comte de Lalain$, rrianquait de
sérieux. Entre temps, les Espagnols, rappelés pa,r don Juan, se
concentraient dans le Luxembourg. Charles de Mansfelt, fils
de Pierre-Ernest, accourait de France avec des Ligueurs (1).
Le brillant Alexandre Farnèse, fils du duc de Parme Octave
X'arnèse et de Marguerite, notre ex-gouvernante, arrivait d'ftaHe
avec des renforts. En décembre, don Juan prit inopinément
I'offensive, , .

Sa marche fut d'abord triomphale. Surprise alors que son


chef assistait à un i.nariage à Bruxelles, l'armée des Etats s'était
précipitamment repliée du Namurois vers Bruxelles. Rattrapée
à Gembloux par quelques eseadrons dè chevau-légers et de
pistoliers, le 31 janvier 1578, elle fut saisie de panique, et se
dispersa, perdant trente-quatre drapeaux, son artillerie, son
charroi et une dizaine de mille tués ou prisonniers. Cet échec
livra aux Espagnols le Namurois, I'est du Hainaut et du Bra-
bant ainsi que le duché de Limbourg. Le 5 février, le prince
d'Orange, Mathias et les Etats se repliaient sur Anvers.
Les revers ne décourageaient jamâis le persévérant Taciturne.
Sans appui extérieur, contrarié par mille intrigues à l'intérieur,
il se remit à chertcher une armée pour sauver Ia cause nationale.
L'argent et les secours nationaux lui manquant, il dut tourner
,ses regards vers un étranger, plus riche, plus puissant, plus
énergique que I'insipide archiduc Mathias, mais hélas
homme au ( cæur double et malin et au corps mal - basti u,-le
duc d'Anjou, François d'Alençon. Ce frère cadet du roi de
France Henri III (R. 1574-1589), difforme, perûde et corrompu,
é.tait ambitieux; il avait une bonne armée et était prêt à se
soumettre aux conditions que le prince d'Orange lui impo-

(1) Membres d'une confédération catholique fondée en Franceipar le


duo de Guiee.
_-: zgt _
serâit. Catholique modéré, il avait été appelé, en juillet l5?8,
par le comte de Lalaing, < faiseur de rois r au petit pied, à la
manière du duc d'Aerschot. Pour la seconde fois, en moins de
dix mois, le subtil Taciturne sut transformer en un tour de main
le rival que voulait lui suseiter la noblesse catholique en un
coopérateur. Le l3 aofrt, il fit.conférer au duc d'Anjou, par les
Etats généraux, le titre de r Défenseur de la liberté des
Pays-Bas r; lui-même garda sa situation prépondérante.
L'appoint militaire fourni par le duc d'Anjou permit aux
trcupes des Etats, couvrant Anvers, de se ressaisir. Déjà Ie
l3 juillet, le comte de Boussu avait'repoussé brillamment une
vive attaque des Espagnols'à Ryrnenam, sur la Dyle, près
de Malines. Don Juan donna à ses soldats I'ordre de se replier
vers Namur.
Ce fut sous les murs de cette place, au camp de Bouges, gtre
don Juan finit ses jours de façon misérable. Malade, découragé,
il avait en vain supplié Philippe II de le rappeler. Sans le
réconforter d'une bonne parole, le roi était resté sourd à ses
naviants appels. Le ler octobre 1578, le vainqueur de Lépante
mourait, à trente et un ans, usé par un labeur < faict )), comme
il l'écrivait lui-même douze jours avant sa mort, ( pour détruire
n'importe quelle constitution r.
CHAPITRE VIN

LE
GOUVERNEMENT
D'ALEXANDRB FARNÈSE DE 1578 A 1585

Iltat de dùsision des Pags-Bas à la mofi de don Juan (pp. 282


et 283). Le prùnce d'Orange élabore un proiet de pai'æ, de
- 283). Pusillanimité des' Etats génhauæ (p. 283).
rel;igion (p.
-'
Rëoolte d.es Malcontents (pp. ZBS et 2S4). Intcmenti,on
-
-dnt prince palut:in Jean Casirnir (p. 284). Aleæandre Fa'mèse,
-
gouoerneu1 général; son caractère, sa capacité, ses instructùons
(p. ZS ). 6 jonoier 1579 : la Confédération d'Anas,' l7 mai :
-
ta paiæ d'Arras (pp. 28a et 285). 2A ianaier 1579 : I'Union
d'(Jtrecht (pp. 285 et 286).
- de.Maastricht
Siège (p.286).
- -
La tête du prince d'Orange mise ù priæl3O mars 15801 (p. 286).
Traité de Plessis'lez'Tours [29 septenrbre.lSS0] (pp. 286
-et 28?). Déchéance de Phil:iptpe II126 juillet 15811 (p. 287).
-
Nouoeau,æ aspects de la gueme entre I'EsTtagne et les pro'
oinces rebelles (pp. 287 et 28E). La Furie française (p. 288).
-
,{ssassinat du prince d'Atange [fO juillet 1584] (pp. 288
-et 289). Succès mili,taires de Farnèse (p. 289). Siège
d)Anaers;- Marniæ de Sainte'Aldegonde (pp. 289 et -290).
16 aottt 1585 : capitulation d'Anaers (p. 290).
-
Séparation
-
entre les Etals dtt, Nord et ù.t Midi (p. 290).
n Selon I'humeur des subjectz tle par
deça, ils n'ont accoustumé de emprendre
un tel faict, pourpensé ni longuement
Prémédité. I
(Àlexanclre tr'arnèse, le 28 ianvier 1580'
ù PhiliPPe II, lui tlemandant de re'
cruter dans les Pays'Bas un assassin
ù gages pour tuer le prince d'Orange')

Les derniers mois de I'année 1578 nous montrent les Pays-


Bas dans un pitoyable état de division. Les Espagnols occupent
Ia Haute-Belgique, de la Sambre à Roermond: la Hollande et
_283_
la Zélande, bien que fidèles au stadhouder, forment un groupe
distinet. A Anvers, le prince doOrange s'efforce désespérément
de sauver Ia a Généralité >. Avec I'aide de son conseiller et ami
Duplessis-Mornay, huguenot de nationalité française, il essaye
d'élaborer une Rel:igionsfrid,paix de religion, dans le genre de
celle d'Augsbourg (1555), qui réglait les rapports entre catho-
liques et protestants dans le Saint-Empire. Cet acte, voté le
22 juin 7578 par les Etats généraux, à Anvers, et solenirellement
proclamé le 27 décembre, reflète l'âme généreuse cle son auteur.
< Touchant les religions, r déclare-t-il, < chaseun demeurera
francq et libre comme il en vouldra respondre devant Dieu r.
Les deux cultes sont placés sur un pied de complète égalité;
nul ne peut être éearté des écoles, des emplois, des établisse-
ments charitables ou des distributions d'aumônes pour des
motifs de religion. Hélas ! ce large esprit de tolérance ne pou-
vait être compris par Ies hommes de l'époque. La Religionsfri,d
'fut presque partout brutalement repoussée.
Entre temps, la zizanie croissait autour du prince d'Orange
et I'abreuvait de dégofits. Les membres des Etats généraux
se querellaient entre eux; ils ne parvenaient ni à réunir de
I'argent ni à galvaniser les troupes. Nombre d'entre eux criti-
quaient le rutuaert d'être entré en rapports avec I'archiduc
Mathias, puis avec le duc d'Anjou; de fait, ce dernier était de
relations très compromettantes.
Tandis . que les partisans de la concorde tatillonnaient, les
extrémistes déchaînaient une nouvelle guerre civile. La
< Gueuserie gantoise ,r des seigneurs de Rijhove et d'Ilembyze
avait exalté le zèle religieux du petit peuple calviniste dans Ies
villes de I'Artois et du Hainaut. Dans toute la Flandre les
catholiques étaient terrorisés. Par réaction, le clergé, les bour-
geois riches, les nobles catholiques de I'Artois, de la Flandre
gallicante et du Hainaut réunirent des fonds pour louer des
soldats. Ils en trouvèrent, parmi les soldeniers wallons qui,
depuis le désastre de Gembloux, vivotaient, dénués de res-
sources, dans la partie occidentale du Hainaut. Ainsi se forma,
avec I'aide de quelques officiers catholiques, le groupe des
Malcontents.
Ap jour même de la mort de don Juan, Ie ler octobre 1578,
les Malcontents ouvrirent les hostilités. Emmanuel-Phi-
libçrt de Lalain$, baron de Montigny, appela ses régimen{ç
-284-
à Ia révolte et occupa Menin, sur la Lys., Couvert par cette
place forte, Valentin de Pardieu, seigneur de La Motte, tt un
des plus rusés et habiles eapitaines de son temps, mais homme
hautain et fort cruel D, organisa une petite armée dont les
membres portaient un chapelet autour du cou et reçurent, de
ce fbit, le surnom de < Paternoster hnechten (f ) ,.
Pendant ce temps, Rijhove faisait exécuter, par représailles,
le vieux'consiiller llessels, de sinistre mémoire (4 octobre).
II appela à Ia rescousse un aventurier calviniste, le prince
palatin Jean Casirnir, protégé d'Elisabeth d'Angleterre, troi-
sième candidat à la souveraineté des Pays-Bas. Aussitôt le duc
d'Anjou, alarmé, envoya ses troupes au secours de Montigny.
Ce renfort décida de I'issue de la courte lutte : les démo-
crates calvinistes d'Arras, Lille et Yalenciennes furent écrasés
(octobre)'
tro'bréesPhilippe II fit (:h'oix d'un
rste.nces troublées,
Dans ees circonstances
nouveau gouverneur : Alekandre Farnèse, duc de Parme
et'de Plaisance. C'était un grand et bel homme, d'aspect
martial, portant la barbiche en pointe, la moustache en croe
et les cheveux noirs en brosse courte. Vainqueur à Gembloux,
il associait le sang-froid et la ténacité de I'homme de guerre à
la subtilité du diplomate. Agé de trente-trois ans, il jouissait
déjà d'une grande réputation et, bien qu'il recherchât la société
de jeunes fats corrornpus, on le savait réfléchi et perspicace.
ftalien de naissance, il n'avait pas le sombre esprit d'intolé-
rance des Espagnols ni leurs préventions contre nos aieux.
Il s'intéressait à sa mission et était prêt à charmer ses admi-
nistrés par son esprit de séduction naturelle, prêt à s'en faire
des amis, des collaborateurs.
Or Phitippe II, définitivement assagi, lui recommandait de
faire preuve d'humanité, de céder sur [e fait des revendications
riationales et de ne se montrer intransigeant qu'envers Ies pro-
testants. Toutefois il ne recevait pas I'ordre de faire périr ces
derniers dans les supplices, il suffisait de leur faire quitter le
territoire. Jamais eneore' depuis 1559, un gouverneur n'avait
reçu d'instructions aussi larges; jamais encore le moment d'agir
n'avait été plus favorable.
Cette tactique de conciliation porta immédiatcment ses fruits.

(1) Soldebiers à Patenôtree.


/ !--288-
.
Le 6 janvier d'Artois, du Hainaut et les
1579, les Etats
la F landre gallicarlte signaient
délégués des châteilenies de
la Confédération d'Arras. Représentant la.noblesse et la
riche bourgeoisie catholique, ils réinterprétaient la Pacification
de Gand dans le sens ( assaini >, c'est-à-dire intolérant, de la
première Union de Bnrxelles (voir p.276). Ce schisme fut con-
sacré par un acte solennel de réconciliation des Malcontents
avec I'Espagne : la paix d'Arras, du l7 mai. En échange de
Ia promesse de rnaintenir exclusivernent le catholicisme,
Philippe II Yestaurait tous les pçivilèges, assurait aux Etats
généraux Ie vote de I'impôt et admettait le principe du $ou-
vernement et de la défense du pays par les régnicoles.
Les soldats étrangers partiraient dans les six semaines. Le gou-
verneur général serait, après Farnèse, toujours un prince du
sa,ng.
C'étaient Ià de vastes eoncessions et les provinces wallonnes
séparatistes pouvaient se targuer d'avoir réalisé le programme
national des Etats de f 559. De plus, elles échappaient à la pro-
pagande sectaire des calvinistes. Fllles'n'en avaient pas moins
définitivement rompu la magnifrque ceuvre d'union de 1576.
Catholiques avant tout, elles se fiaient aveuglément aux pro-
messes de l'Espagne et se refusaient à prendre en considération
les dangers intérieurs et extérieurs que devait fatalement
-
entraîner I'union des Pays-Bas avec -une puissanee lointaine,
au seuil de Ia décadence
La réponse à la Confédération d'Arràs fut I'Union d'Utrecht,
du 23 janvier L579, qui ligua les Etats de Hollande, de Zé-
lande, d'Utrecht, de Gueldre, d'OveriJssel, de Frise, de
Gronin$en et les villes démocratisées de Bruges, Gand,
Ypres, Anvers, I\{alines, Bruxelles, Tournai, etc. (l).
Selon I'esprit de Ia Pacification de Gand, les provinces et villes
eosignataires formaient une confédération réglant en cofnmun
Ies questions de guerre, de paix, d'alliances et de subsides. Pour
le reste, ehaeune d'elles conservait son autonomie régionale.
L'IJnion proclamait la liberté des cultes, sauf en Hollande et
en Zélande pour les caîholiques. Ainsi naquit Ia république des
sept Provinces-Unies (de Zeucn Vereenigde Proainciën), dont
Ie patriotiSme finit par triompher de tous les obstacles. Ttop

(1) Cerbai:res adhésious frrrqut postérieuros au 23 Janvler.


_286_
particulariste dans son organisation et trop dominée pdr h
politique intolérante et égoiste de la Hollande et de la zélande,
elle ne sut malheureusement pas attirer à elle les provinces du
sud. Au contraire, elle laissa les villes méridionales retomber
les unes après les autres sous Ia domination de I'Espagne.
Les deux partis avaient nettement pris position. rl ne restait
plus qu'à vider le différend par les armes. Farnèse profita de ce
qu'il avait encore pendant quelques semaines une armée espa-
gnole sous la main pour hâter le siège de Maastricht. I,a
garnison, comrnandée par le comte Melchior de Schwartzem-
berg, fit une résistance splendide jusqu'au 2g juin lEZg. Le
duc de Parme ne put empêeher ses soldats de souiller leur
victoire par un affreux massaere; ce fut le dernier des grands
et hideux pillages mis à la mode par les tercios clu duc d'Albe.
Puis le gouverneur général eonsaera un temps considérable à ra
réorganisation de son armée au moyen d'éléments indigènes.
Il prit pour collaborateur le baron de Montigny. le baron de
Rassenghien et d'autres chefs Malcontents. Vingt mille'Wallons,
auxquels vigrent s'ajouter des mercenaires flamands et alle-
mands, furent réarmés et rééquipés. Philippe II avait cru
opportun de renvoyer Marguerite de Parme comme gouver-
nante aux Pays-Bas (mars l58O). Mais Farnèse n'entendait pas
céder une parcelle de son autorité. n retint sa mère à Namur,
Iui faisant mille politesses, mais ne se laissa pas attendrir par
ses plaintes larmoy'antes. Extrêmement mortiflée, Marguerite
sollicita elle-même son rappel (aofrt 1580). Farnèse resta maître
du terrain et s'apprêta à une lutte énergique.
De son côté, Ie prince d'Orange s'était complètement rejeté
vers le parti calviniste. Sur les conseils de Granvelle, Philippe fI
avait mis sa tête à prix et avait promis ZE,OOO écus d'or ainsi
que des lettres de noblesse à celui qui ferait disparaître le
tt traître, hypocrite et sacrilège > stadhogder (BO mars fSBO).
Celui-ci riposta par une digne < Apologie > de son æuvre et de
ses mérites. Ne désespérant pas d'un revirement des eatho-
liques et croyant s'assurer le concours de la France, Guillaume
de Nassau négocia avec le duc d'Anjou le traité de Plessis-
lez-Tours (29 septembre f58O) par lequel le duc recevait le
titre de souverain héreditaire des Provinces-Unies. Le duc
d'Anjou s'engageait à respecter les droits des Etats généraux
et provinciauxi par lettrçs dites a réversales r, il réservait
_287_
le stadhoudérat héréditaire des provinces de Hollande, de
7'elande et d'Utrecht à Ia Maison d'Oran$e-Nassau (l).
La rupture des Etats de I'Union d'IJtrecht avec Philippe II
fut enfin solennellement eonsacrÉe, le 26 juillet 1581, par la
proclamation de déchéance du roi d'EspaSne, pnononcée par
les Etats généraux à cause de I'opposition du monarque au
régime de la liberté des cultes. Tous les ofticiers publics durent,
en conséquence, prononcer une formule d'abjuration.
La lutte décisive entre Farnèse et I'Union d'Utrecht com-
mença dans la seeonde moitié de I'année r58r. La Hollande et
la Zélande occupaient une position presque inexpugnable; les
autres Etats, de Groningen à la Flandre, formaient tout alen-
tour un boulevard hérissé de forteresses; les villes cosignqtaires
du sud des Pays-Bas étaient des bastions a.vancés, défendant
les approches du réduit national. Le zèle patriotique des démo-
crates calvinistes de ces avant-postes méridionaux menaçait
Farnèse de grosses difficultés; Gand, Bruxelles, Anvers étaient
bien pourvues d'armes et entourées d'un lacis de retranchements
de terre. Mais il efit été nécessaire que ces villes reçussent eon-
tinuellement des secours de la position centrale, il efrt fallu
prendre les devants par une offensive vigoureuse, susceptible
doélectriser les hésitants du Sud. Or, les provinces septentrio-
nales abandonnèrent chacun de ces îlots à ses propres ressources.
IJniquement préoccupées de dominer les mers et n'osant
affronter Farnèse en rase campagne, la Hollande et la Zélande
adoptèrent une tactique défensive.
De son côté, le duc de Parme s'était préparé à une $uerre
de sièges, méthodique, dirigée par des ingénieurs et des offi-
ciers d'artillerie. Renonçant aux procédés de terreur, il offrait
aux garnisons des capitulations honorables; les protestants
étaient autorisés à quitter le pays après un délai suffisânt pour
régler leurs affaires privées. Tout en guerroyant, Farnèse
envoyait à ses adversaires I'insinuant négociateur' Jean
Richardot, dont les habiles discours ébranlaient les esprits de
faible trempe.

(1) L'archiduc Mathias, abandonné de tous et criblé do dettes, se résigina


à quitter Anvers le 29 octobre 1581. Au quai d'embarquement, la muni'
cipalité lui flt une bello harangue et lui offrit un drageoir à titre de n sou-
yenir o. Mathias fut Empereur de 1612 à 1619.
.'w._ -_T
i.

_288_
La eampagne de t58t débuta par le siège de Cambral.
Etant accouru au secours de la place âvec quatotze mille
hommes, le duc d'Anjou força Farnèse à la retraire (aorît).
Par Oontre, Ia ville de Tournal, vaillamment défendtre par
Christine de Lalaing (en I'absence rle son époux, le pr.ince
d'Epinoy, gouverneur de la place) ainsi que par Ie seigneur
d'Estrayelles, dut capituler le B0 novembre.
L'année suivante, les opérations languirent. Le duc d'Anjou
en proflta pour essayer de réaliser sournoisement un projet
qu'il caressait depuis peu. Devenu plus populaire depuis son
sueeès de cambrai, ce prince aurait pu songer à mieux asseoir
son autorité dans les Pays-Bas si son gofrt des aventures chimé-
riques ne I'efrt eonduit en Angletene dans le dessein d'y époùser
la reine Elisabeth. Gracieusement reçu, mais tenu en suspens
par des délais répétés, d'Anjou était, de guerre lasse, revenu
dans nos pmvinces. Le'prinee d'Orange lui avait préparé à
Anvers un accueil triomphal (rg février rs82). cette réception
lui communiqua I'irnpression que les Belges se plieraient aisé-
ment à un régime de monarchie absolue. voilà donc le duc qui
se met à recruter des suisses et à distribuer des subsides à ses
affidés. Soudain, dans la nuit du 16 au l? janvier l5gg, les
mercenaires du duc, âu nombre de dix-sept compagnies, se
répandent dans les rues d'Anvers et veulent s'emparer des portes
et des édifrces publics. Mais la bourgeoisie, depuis longtemps
défiante, veillait. Avec une belle ardeur elle s'arme de piques
et de mousquets, tend des chaînes dans les rues obscures et
entame un eorps à corps avec les reîtres français, teutons et
helvétiques. Cette chaude alerte, surnommée la Furie fran-
çaise, se termina par la déconfiture complète du perfide Valois.
ses troupes débandées se jetèrent du haut des remparts dans
les fossés; ses capitaines, qui pendant la même nuit * avaient
pris de force possession de la- plupart des petites,villes de Flan-
dre, durent remettre leurÊ armes aux milices bourgeoises;
d'Anjou, iui-même, devenu aussi ridicule qu'odieux, dut quitter
juin (r).
Ie pays Ie 28
Peu à peu les aeteurs des premières phases de la grande .
révolution du xvre siècle disparaissaient. Les promesses de
Philippe rr avaient déjà armé le bras de plusieurs assassins

(t) It mourut le 10 Juin tle l'année sulvaûte.


2ut]
-
contre le prince d'Orange. Aucun d'eux heureusernent nrétsit
Relge. Ce que Jean Jaureguy n'avait pu accomplir (fS mars
1582), le Bourguignon Balthazar Gérard Ie fit, à Delft, le
f0 juillet 1584. Embusqué à I'angle d'un escalier tournant,
dans le palais même du prinee d'Orange, il blessa mortellement
le Taciturne doun eoup de pistolet en pleine poitrine. Le grand
homme d'Etat ntourut noblement, préoccupé jusqu'à ses derniers
instants du sort des populations auxquelles il avait consacré toute
son existence. f,es provinces du Nord vouèrent à la mémoire
de cet admirable citoyen un culte auquel, aujourd'hui encore,
souscrivent les homrnes libres et tolérants de tous. les pays.
La guerre avait repris cle plus belle. Les Wallons catholiques
avaient mis à ee point leur confiance dans Farnèse qu'ils le
prièrent eux-rnêmes de rappeler aux Pays-Bas les troupes espe-
gnoles. fls espéraient que les hostilités finiraient plus tôt. Avec
l'appui de ees gueniers expérimentés,le rluc de Panne s'empara
successivement de plusieurs importantes places calvinistes :
Dunkeique, Ypres, Bruges. Gand succomba après un siège
héroïque, le 17 septembre f584. Bruxelles, brillamment
défendue par le vaillant Olivi.er van den Tympel, sire de
Corbeek, tomba le tO mars 1585. Sa chute entraîna la soumis-
sion de tout le pays dc Nivelles à Malines.
Il ne restait plus à Farnèse qu'à s'emparer d'Anvers, la
place d'armes méridionale du protestantisme. La ville était
défendue par son bourgmestre Phitippe de Marnix, sei-
gneur de Salnte-Àldegonde (f5BB-f598). Frère cadet de
Jean de Marnix, le promoteur du Compromis des Nobles,
Philippe avait fait de brillantes études à.Genève. L'âpre con-
viction de Calvin et de Théodore de Bèze s'était, implantée en
lui et en avait fait un pamphlétaire redoutable autant par son
érudition que par son esprit cinglant. Ecrivant avec une mer-
veilleuse facilité dans les deux langues, il avait publié avec un
égal succès le'satirique < Tableau des différends de la religion ,r
et la célèbre Bijenkorf der Heilige Roomsche Kerche (t), dont
les éditions furent innombrables. Quoique sectaire, Marnix
avait été uni au prince'd'Orange par les liens d'une profonde
amitié et lui avait prêté, comme < ministre eb serviteur parti-
culier ), une collaboration loyale et désintéressée.

(1) La ruche d.e la Sainte-Eglise romaine.


t''. V.lr* K^LKIùN. .HIflTOIRII IrD llliil,(ile(.t1,.,. 1924. l0
- -
_290_
Marnix défendit Anvers a,vec ténacité. Mais, paralysé par
le mauvais vouloir des uns, I'excès de confiance des autres,
il ne put empêcher les l)spagnols de cerner complètement la
pla,ceet de s'emparer des forts de Lillo et de Liefkenshoek (1),
ainsi que de Termonde. Après que Irhrnèse eut fait construire
par ses ingénietns italiens un pont <le bateaux long de 2,400 pas,
fle Calloo à Oordam sur le bas Escaut, le ravitaillement de la
ville clevint impossible. L'ingénieur mantouan Giannibelli,
ami dd Marnix, essaya de f'aire sauter ee barrage par ur)e machine
infernale (a.vril f585). Il n'y réussit qu'iinparf'aitement. f)'ar--
tres elTorts furent eneore tentés, Inais en vain. Le I6 aorit 1585,
Anvers capitulait
La chute de cette place eut une importanee clécisive. Ellc
marqua le triomphe définitif de I'Espa$ne dans les pro-
vinces méridionales des Pays-Ras ct la séparation corn-
plète des Etats du Nord d'avec ceux du Midi. L,es <lerniers
protestants émigrèrent en masse vers les Provinces-Unies. Au
licu des XVII Provinces <le l5?6, ttnies en un orgueilleux fais-
ceau, il nc restait plus que deux tronçons rlont, I'trn, celui du
norcl, ayant absorbé tout le < suc vital l de I'autren s'épanouit
cn une glorieuse existence indépenrlante, tandis que celui du
sud, retomtré sous le joug, abordait ttne cles plus dortloureuses
étapes de son histoire.

(1) Sur l'Idseattt, cn tt,val <le la villtt.


CHAPITRE IX
LES DERNIÈRES ANNÉES DU RÈGNE
DE PHILIPPE II
(r585-r5e8.)

Les opérat:ions militctires se déplacent aers Ie nord (pp.29l et zgzl.


Çusrr6 entre l'Espagne et l,Angleterre; désastre de l,< In-
-aùrcible Armada r phiLippe II dntensi,en,t
[r5SS] (p. 2OZ).
dans les affaires de France (p. 292). - B décembre I,5g2 z mort
d'Aleæandre Farnâse (p. zgz). -
Gouaernernent de ta,rcryidnc
Ernest [1594-l59gl F. ZgZ). -L,archidttc Albert lui succède
[rl février 1596] (p. 298). - Z mai tE98 : traite de Verains
(p. 293). - les Pays-Bas ù l,infante Isabelle
Pluil;ippe II cède
[6 nrai -
1598] (p. P9B). rB. septembre tbg8 : mort de phi-
lippe II (p.20s). -

+ . -J"f;*1"t".,,Ël"o'?ut"nià"".iffi:: tË
peuple; le pays est ravagé par les
troupes d.u roi aussi bien que par las
"tto"-b',ïtèxandre tr muÈsn, 15g6. )

A partir de la cltute d'Anvers, les lJelges cessèrent de


jouer un rôle irnportant dans leur propre pays. La longue
guerre politico-religieuse les avait ruinés et abattus, iant au
phy3ique qu'au moral. rls ne s'intéressèrent plus aux opérations
militaires, qui d'ailleurs s'éloignaient de leur territoire et
s'éternisaient.
Le duc de Parme avait, en efftt, constaté qu'il ne pourrait
forcer le réduit batave qu'en continuant méthodiquement à
2$2 -

s'emparer des places fortes du boulevard qui I'entourait. Il


déplaça donc ses armées vers la Flandre zélandaise, le nord
du Brabant et la Gueldre.
Son adversaire était le igutl* et dléjà illustre Maurice de
Nassau (1567-f625), second fils du Taciturne. X'arhèse sera.it
certainement parvenu à le vainere si Philippe II n'eût eonti-
nuellement détourné de son but I'activité de son gouverneur
général. Elisabeth s'étant alliée aux Provinces-Ijnies, le 20 août
15g5, Philippe II conçut I'anrbitieux ptojet cl'envoyer une
flotte d.e cent trente navires dans la Tamise. F.arnèse reçut
en 1588.1'ordre de concentrer une armée de 40,0oo hommes
près de Dunkerque. Il vit arriver, le 6 aorit, I'r< rnvincible
Arrnada u de I'amiral lvledina sidonia devant calais, rnais les
,escadres anglg-hollandaises et le mauvais temps empêchèrent
tOut embarquement. ('ette entreplise se termina paT un clésastre
inoui.
L'année suivante, le roi d'Iispagne intervenait dans les
affaires de France et se portait au secours de la Ligue. Farnèse
dut aller guerroyer en Picardie et sur I'Oise. Il y acquit,encore
plus de gloire, mais entre ternps ses lieutenants reperdirent
quelques places du Nord. Au colrs cL'une nô'velle expédition,
à la fin d.e I'année 1592, le dttc de Parme, malade et sur-
mené, dut s'arrêter à I'abbaye de Saint-Waast d'Anas. Il y
mourut d:épUisement, le 3 décembre, la conscience en rellos'
satisfait d'avoir clonné son existence à la cause de Philippe II.
'Ileureusemetrt pour lui, il resta ignorant des intentions de son
complaisante à des
.ingrat monarque qui, prêtant une oreille
pÀpo, calomnieux, s'apprêtait précisément à le rappeler.
Èniiipp" II, âgé,de soixante-cinq ans en 1592, se sentait très
aff'aibli et près de la mort. Il aspirait à donner une solution
définitive à cette effrayante question des Pays-Bâs pour laquelle
il avait sacrifré ses flottes et ses armées, engagé ses domaines
et ruiné son crédit. Il conlia, en janvier 1594,, le gouvernement
général à l,archiduc Ernest, un des six fils de I'empereur
Maximilien II (r). ce choix fut malhabile : Itrrnest était un
homme faible, qui se laissa dominer par le hautain comte de
F.uentès, beau-frère rlu duc rl'Albe; il mourut tle mélancolie le
2l février f 595.
(1) Voir le tabloau généologique, p' 201'
?9:l .-
Alors le roi d'Hspagne fit appel à un frère cadet d'Ernest,
I'archiduc Albert. Ce prince, né en 1559, était calme et
sérieux; il était cardinal depuis l'âge de dix-huit ans et arehe-
vêque de Tolède sans avoir été ordonné prêtre. Son éducation
militaire, dirigée par le duc d'Albe, en avait t'ait nn bon général,.
mais non un ambitieux condottierc. Comme vice-roi de Por-
tugal, il s'était rendu sympathique à ses adrninistrés.
La situation commandait tme action pronrpte et énergique.
Au début de 1595, Henri fV, roi de F-ranee depuis 1589, avait
déclaré la guene à I'Espagne. Ilnvahis sur plusieurs points, au
nord et au sud, les Pays-Bas ava,ient été défendus, avec une
ténacité digne d'admifation, par Fuentès et quelques vétérans
de l')époque du duc d'Albe : le trrave et humain coronel Chris-
tophe Mondra$on, àg(: de nonante-trois ans, François
Verdugo qui mourut à la peine. L'arrivée de I'archiduc Albert
(gouverneur général depuis le tl février I596) accompagné de
3,gOO soldats d'élite, 'se procluisit à propos. Quelques. suecès
en 1596 : la prise de Calais et de Hulst (Flandre zélaÉdaise),
rehau'ssèrent son prestige.
Néanmoins, comme la campagnc de 15g7 fut désastreuse et
qu'un nouveau soulèr'ement des provinces méri<lionales était
possible, Philippe II so décida à une sortc de liquidation de ses
affaires de par cleçà. Le 2 mai 1598, par Ie traité de Vervins (l)
conelu avee Ilenri fV, il restituait à la F'rance (lalais, le Ver-
mandois et trne grandc partie de la Picardie. En même temps,
il décidait de faire des Pays-Bas et de la F'ranche-Comté un
apana$e indépendant qu'il céda, le 6 mai 1598, à sa fille
fsabelle. Elle en prendrait possession après avoir épousé
I'archiduc Albert. Par cette décision, le roi d'Espagne mon-
trait son affection profonde pour I'archiduc, car Isabelle était
sa fiI1e favorite, sa collaboratrice clévouée, celle en faveur de
qui il avait autrefoiÈ eonçu les projets les plus ambitieux.
Le 13 septernbre de cette même année 1598, Philippe II
mourait de la goutte, faisant preuve, au milieu cles plus atroces
souffrances, de ce même esprib d'arclente dévotion qui fut le
guide de toute son existence et rlont doit tenir compte qui-
conque veut formrrler sur lui un jugement, inrpartial.

(1) {,'apitale tle [a 'fhiéraclrc, au rrorrl-t:st rlt: Laorr,


DIXIÈME P^A.RTIE

LA FIN DU REGIME ESPAGNOL


(1598.1715.)

CHAPITRE PREMIER

LE RÈGNE DES ARCHIDUCS


(15e8-1683.)

Caractère relatif de la' cession des Pays'Bas auæ Arcluiducs (pp.294


et 295). 18 arnil ligg i 'mariage d'es Archidrt'cs (p. 2951.
-
Leu'r mriaée ù Br'uæelles; leur caractère ; Iztns intentions; I'eurs
-
premiers actes (pp. 295 et,296). Continuatùon de Ia guerre :
-
bataille de NieuTtort [2 juillet 1600] i siège d'Ostende [160]-1604]
(pp. 296 et 297). Retour à la polit:it1tt'e espagnole (p. 297)-
Tr&se de dauze ans - 11609-16211 (pp. 297 et 298). l3 iuillet -
1621 : mort de l'archiduc Albert (p. 29S).
-
Caractète désas-
-
treuæ des opératùons mil;itaires, de 1625 ù 1632 (pp. 298 et 299).
Le mécontentenxent a,uæ Pays-Bas. Les conjrnattians d'e
-nobles en,1,632(pp. 299 et 30O). Les Etats générauæ del&ïz
-
(p. S0O). -- ler décetTùbre l6il3 : mort de l'a,rchid'tt'chesse Isabelle
(p. 30o).
n Le traneport tles Palis-Baq n'est
qu'une choee slmulée. u

t"is,Tiï*ï' président du con'

Dans l'acte de cessiou du 6 rnai 1598, Philippe II avait écrit :


< Le plus gra,nd bonheur qui puisse advenir à un pays est de
se voir gouverné par l'æil et présence tle son prince et seigneur
naturel. r Ces paroles devaient faire augurer que le < transport
des Pays-Bas D serait sincère et complet. Les catholiques belges
étaient en droit de se réjouir : ils maintenaient I'exercice exclusif
-295-
de leur culte et leur pays clevenait indépendant. Mais leurs illu-
sions ne devaient pss être longues. Eniréalité, philippelll,
agissant en désespoirlde cause, n'avait p., i" résoudre!à[de1"Ëh",
eomplètement de la eouronnc d'IJspagne le plus beau
lde ses
fleurons. rl avait climinué I'importance de la cession par des
limitations considérables : les habitants des Pays-Bas ne pour-
raient trafiquer, sous peine de mort, dans les colonies d'Amé-
rique; au eas oir les Archiclucs n'auraient pas de descendance
(l'infante fsabelle avait trente-deux ans), Ies Pays-Bas

I,'AR(-:HIDUC AI,BERT' L'INF'ANTE ISAIJEI,LN


I)'rr1tr,ès Ii rrlteus.
. ((lrrbinel, rlcs csl;i111111".,.llruxelle,s.)

neraient à la couronne. A cela s'aioutaicnt des clauses


secnètes, plrrs n-ignilicativcs encore : les Archiducs olÉiraicnt
Piil;sivt'nrc:nt l,rrx ordtt's \relllrs de l,Iadrid; ils rnaintielrflraicrrt.
dt:s gtrrnisolls espagnoles à Anvers, Gand, Calnbrai, etc.; enfin
les rois cl'It)splgnc conset:veraicnt la faculté perpétuelle rlc
r'éannexer les I'avs-Ra,s, même si les Archiducs avaient des
enfants.
Le 14 septembre 1598, Allrcrt partit pour I'Espagne. Itrn
(fours tle routc il apprit Ia nrort de Philippe rr. Après avojr
reçu tlu nouveau roi tl'rtrspagne, Philippe rrr, I'assurancc qu'il
rotrfirnrait la eession paternelle et après oetroi des dispenses
lnntificales, il se maria, Ie l8 avril l5gg.
Quelqrtes mois plus tardo les Archiclues arrivaient à Luxem-
-296-
bgurg. De cette place jusqu'à Bruxelles, où ils fireut leur entrée
triomphale le 5 septembre, leur voyage fut une succession de
réceptions enthousiastes. Isabelle était une noble princesse,
blondeo'aux yeux intelligents, aux traits réguliers. Elle possédait,
dit un contemporain, le cardinal Bentivoglio, n je ne sça'y quoy
cle doux et de grand toub ensemblç, qui attiroit puissamment
t\ soy tous les esprits D. Albert avait un maintien greve.
La moustache et la barbiche en pointe, la chevelure en brosse
courte, lui donnaient un aspect guerrier, quoiqu'il fût ehétif.
L'édgcation espâ,gllole I'avait marqué de son ernpreinte hau-
taine, mais son visage mélancolique, émergeant impassible de
la fraise aux plis rigides, inspirait cependant la eonfiance
par son expression. sincère. D'ailleurs, la joie de posséder de
louveau des souverains < naturels rr pottssait les Belges'à tottt
considérer sous tur jour optimiste.
cette première impression, excellente, fut renftrrcée lorsque
les Archiducs nonlmètent aux postes imporbants, militaires et
civil's. des nobles et des gratttls bourgeois régnieoles. Itlt l'exis-
tence cligne, laborieuse. gouvcrnée par le devoir, rlue menèrent
lcs souvcrains, accrutreneore ltr loyalisme de la nation'
cependaht, Ies deux principales espéranees qulavait fait
rraître I'avènernent des Archiducs : l'indèpendance complète
et la fin de la $uerre, ne se réalisèrenf point. Les Archiducs ne
songeaient Pas à < espagnoliser u I d'atttre PaÉ, I'aneienne poli- '
tique < bourguignonne I' leur était indifférente. Avant tout ils
voulaient firire des Pays-Ras la citadelle de la catholicité.
Lorsque les Etats généraux. réunis en 1600, prétendirent con-
trôler lesdépenses ou. négocier la paix, ils s'y opposèrent net.
Scandalisés par les querelles interminables entre nos Etats, r\
propos de la répartition des quotes-parts, ils leur imposèrent une
aide mensuelle fixe et ne firent plus appel à leur eoneouls.
En outre. la guerre avee les Provinces-IJnies, loin de cesser,
redevint plus intense. Les ljtats dtr Nord n'avaient même pas
répondu à la notification d'avènement des Archiducs. En 16oo,
pro-
les opénr,tions visèrent ostenrle, encore a,ux mains fles
vinces-Unies. Maurice de Nassau crut qu'une petite armée
suffirait pour soulever la FlaDdrer Il se dirigeâ par Sas'van-Gent
vers le littoral, avee l5,ooo hommes. Mais en peu d'années nos
provinces étaient revenues âu catholicisme le plus ardent.
Lorsquc nos marins rencontraient dcs pêeheurs hollan<Iais. ils
--- :297
-
les jetaierrt à la rner, liés dos-à-dos. Maurice, s'avança par
conséquent au milieu d'une population hostile. Bientôt, I'archi-
duc,'aceouru de Gand avee ùnc rlouzaine de mille hontmes,
menaçait son aile gauche. Acculé à la nrer, Maurice cherchait
une occasion de s'embarquer lorsqu'il drrt, le 2 juillet 1600,
treeepter la bataille au norrl-ouest de Nieuport, dans les dunes
de lVestende. La journée lui l'ut fhvorablc-. : r\lbert fut blessé
rl'un coup de 'hallebarde et rre dut ia vie qu'au sacrifiee
héroique du ehevalier yprois (-'abilliau; les F)spagnols per-
dirent 3,000 hommes, 100 drapeatrx et cornettes et toute
leur artillerie. Maurice profita de son succès l)orlr retourper
par mer en Hollancle.
L'année suivante, le Stjuillet, les Espagnols eonrrnençaicnt le
siége d'Ostende. La plaee possédait une garnison d'élite de
7,O0O hornrnes, ravitaillés par mer. Ses environs avaient été
inondés. Philippe IfI confia la direction des opérations à un
iugénieur génois, Arnbroise Spinola. Ce génial homme de
guerre ne se laissa jamais détourner rle sorr but. Multipliant lc's
travaux de sape, les assauts et les bombardellrents, l'aisant con-
struire des chaussées de fascines à travers les zones inondées,
imaginant des mécanismes de guerre ingénieux et compliqttés,
il linit, apr:ès envirori trois ans, par remporter la victoire.
'Le 20 septembre 1604, la place capitula et Ia garnison lut
atttorisée à qUitter avec les honneurs cle Ia, é{uerre le monccatt
rle décombres qui portait encore Ie nonr d'Ostenrle.
Entre temps Philippe III, conseillé par son nrinistre, le
tluc' de Lerma, était peu à peu revenu sur les eoncessions
faites par son père aux Archiducs. Regrettant amèrement
le < transport r de 1598, il ranrenait petit à petit sa sæur
et son beau-frère au rarrg cle simples €louverneurs, à fonc-
tions décoratives. Bln 1605, il enleva rnême à I'Archiduc le
cnmmandement de I'arnrée pour le confier à Spinola. N'ayant
pas d'enfants, Albert et Isabelle n'essayèrént pas de réagir. fls
subirent avec une dignité mélancolique ces petites avanies,
masquées d'ailleurs sous les fleurs de I'hyperbolique eourtoisie
castillane.
Le I awil 1609, I'Ilspagne et les Provinces-unies, he parve-
nant ni à vaincre, ni à s'entendre .définitivement, conclurent
une trêve pour une durée de douze ans. Philippe III se voyait
eontraint de reconnaître virtuellement l'indépendance des
_298_
Provinces-Unies et d'autotiser les Hollanclais à faire le com-
nlerce dans les Indes oceidentales. L)epuis la chute d'Anvers,
les Provinces-IJnies avaient bloqué I'Escaut; elles exigèrent
que ce fleuve restât fermé.
Après quarante et une années de guerre, venait enfin le répit!
Les Archiducs en profltèrent pour prendre une série de mesures
économique.s et sociales (voir chap. V). L'époque de la trêve de
XII Ans (1609-f62f ) fut donc relativement heureuse et cer-
tains historiens ont cru pouvoir la qualifier de < résurrecbion >!
C'est une exagération. Le règne des Archidttcs fut certes plus
brillant que les périodes qui le précédèrent et le suivirent, mais
en soi il fut < plein r{'ombre et de tristesse )), comme I'a fait
observer judicieusement I'historien Moke.
En I621, la guerre recommença, Ientement et satrs entrain.
f,es contemporains rte pouvaient croire à une reprise sériettse
des hostilités. 1\[ais Maurice de Nassatr, était plein d'orgucil;
il avait fâit déeapiter en 1619 le chef clu parti pacifiste hollan-
dais, le vénérable Granrl Pensionnaire Johan van Oldenbar-
neveldt (l). D'autre 1tart, Philippe fff nr: pottvait se résoudre
r\ traiter sur un piecl d'égalité les représentants d'ttn Fltat
héréticlue et rebelle. Après sa mort, stlrvellue le 3l mars 1621,
son fils Philippe IV et le tout-puissant duc d'Olivarès, premier
ministre, partagèrent ses préventions. Depuis trois ans, 'la
guerre cle Trente Ans avait commencé dans Ie Saint-Empire et
les Habsbourgs d'Espagne s'apprêtaient à venir à la rescousst:
clu Habsbourg autriehien, l'âpre Ferdinand II (R. 1619-1637),
engagé dans un duel à mort avec les protestants d'Allemagne.
Cette année 162l fut vraiment fatale pottr les Belges. L'archi-
duc Albert mourut le l3 juillet. Son épouse, retlevenue simple
gouvernante générale, s'abîma dans la douleur. Revêtue de la
robe grise des clarisses, elle se désintéressa des choses terrestres
et laissa, pa,r manque de fermeté, commett,re des abus aclminis-
tratifs et entrer en seène de nombreux Castillans suspects.
Aussi longtemps que Spinola défendit les Pays-Bas, la guerre
épargna nos provinces. Il prit Bréda après un siège de dix
ùois (f625). Nlaurice.tle Nassatr, mort en 1625, avait eu pour
sueeesseur son frère cadet Frédéric-Henri (R. 1625-1647).,

(1) Dans chaque Etat des Provinces-Unies, il y avait un Pensionnaire,


chef du potvoir civil. Pour l'ensemble dea Etats, il y avait un Grancl Pen-
eiontrâ,ir€.
2{}9

stratège calrne et réfléehio bien fait pour jouer un rôle dans les
guerres de sièges, savantes et méthodiques, de l'époque. Après
qu'une intrigue de Cour eut f'ait tornber Spinola. (1628), Fré-
rlérie-Henri reprit I'avantage.Il reconquit Bois-le-Duc (1629)
Venlo, Roermond et Maastricht. (f682). Le roi de France
Louis XIII (R. f6f0-f643) lui fournissait des subsides. Cette
politique était inspirée par un ministre ambitieux,le cardinal
de Richelieu, qui s'était juré d'humilier la Maison cl'Autriche.
La perte de Maastricht irnpressionna beaucoup les Belges.
Pour eux, I'ennemi national, maintenant, c'était la Hollande,
la patrie de ces marchands calvinistes qui avaient ruiné
Anvers. Ils avaient vu, avec colère et dégofit, un ineapable, Ie
marquis de Santa-Cruz, abandonner à son sort le défenseur de
- Maastricht, lc baron de Lède. un vaillant Franc-Comtois. Ce
tnême Santa-Cruz n'avait point bougé alors que Ferdinand fI
lrvait envové au secours de la place Pappenheim, I'un de ses
rneilleurs généraux de cavalerie !
Le mécontentement public se manifesta de plusieurs manières.
Il y eut doabord quelques conjurations de nobles. Ifenri,
cornte de Bergh, neveu du Taciturne. et son ami René de
Renesse, eornte de Warfuzée, aventurier sans scrupules, imagi-
nèrent. de négocier en secret, à La llaye, avec des hommes
d'Etat hollandais et I'ambassadeur français, en vue rl'un partage
rle leur patrie entre les Provinces-(Jnies et Ia France. Le lB juin
1632, ils se trouvaient à Liége, d'oîr ils appelèrent le pays à la
révolte eontre I'Espagne. Leur appel resta sans écho. Ils durent
se réfugier dans les Provinces-Unies.
Plus sympathiques furent le comte d'Egmont, le prinee
d'Ilpinoy,le comte de Hennin et quelques autres, qui formèrent
Ia < Ligue wallonne > et s'abouchèrent confidentiellement avee
le doyen de Cambrai, Phiiippe de Carondelet, pour éIaborer un
plan d'expulsion des Espagnols avec I'aide des Français et poqr
fonder un Etat belge fédératif et indépendant (l). Le manque
de solidarité, de hardiesse et d'appui, fit échouer cette géné-

(1) L'idée d'une Belgique indépeodante, facteur de paix et d'équilibrc


eh Europe, se retrouve à cette époque dams un écrit tlc I'humaniste Juste-
Iripse : " De même que I'isthme qui sépare la mer Egée et la mer lonienne
empêche le choc et le mélange de leurs ondes, de rnêrne notre petite Belg:iclue
semble arrêter les grantls empires qui envahiraient toutes choses et s'éten-
draient de toutes parts. ,
_ ;J(X)

reuse tentative. Les corrjurés, dénoncés, se tiispersèrent. L'un


rl'eux, Alberb de Ligne, prince tle Barbançon, fttt retenu huit
âns 'en prison, sans proeès, pttis re}âché, faute de preuves.
Accusé dc connivence, Philippe-Charles, prince d'Arenberg et
cluc d'Aer:sehot, u grancl-maître , surchargé d'honneurs, mourut
prisonnier en lispagne, après six ans et demi de rlétention.
Peu après la chute de Maastricht, en septembre, Isabelle se
voyait forcée de réunir -- enfin '- les Etats gétréraux, oubliés
depuis trente-deux ans. L'opinion publique, dirigée par I'arche-
vêque cle Malines, Jacques Boonen, réclamait Ie retour aux
privilèges territoriaux, la défense rlu pays par ses habitants,
son administration par les Etats et par un corps de fonction-
naires indigènrrso I'emploi libre des langues nationales. Inter-
prètes de ces vællx, les F)tats, ceux <lu Brabant en tête, se plai-
gnirent de I'ineapacité ct de l'incurie des Espagnols,'de leurs .
exactions, prévarications et concussions, ainsi que de leur
incompétence nrilitaire. Vers la nrême époque, le marquis de
Santa-Cruz et le cardinal de La Cuev:r, représentant de Phi-
lippe IV â Bruxelles, étaient obligés de quitter précipitamment
la capitale, au milieu des huées et des quolibets de la foule.
Inquiétée par ces symptômes, la gotrvetnante dut tolérer
I'envoi d'une rnissiott belge dans les Provinces-IJnies pour y
négocier des prélintinaires de paix (17 septembre). La joie fut
inexprimable; on croyait ( veoir poindre I'aube du jour de paix
et de tranquillité, après une si longtte et noire nuit de funeste
gueme r. Malheurettsement, les tlélégués des Etats manquaient
d'expérieuce; les politiques bataves lês désorientèrent en leur
proposant d'emblée de se constituer en république catholique
fédérative, ce au prix d'énormes concessions territoriales à la
Hollande et à la France !
- En 1633, nos provinces rentlaient dans une nuit complète.
L'infante Isabelle mourut le ler décembre. L'épuisement des
finances ne permit pas de faire à cette prineesse aimée des
funérailles solennelles. Le l6 déeembre, Philippe IV, qui s'était
déjà antérieurement chargti u d'endormir rr les Etats, rappela
leurs délégués de Hollande. Les Fltats généraux, dissous en 1634,
ne furent plus eonvoqtt('s avant la révoltrtion brabançonne.
CHAPITRE II
LES PAYS-BAS ESPAGNOLS
DE 1633 A r?15

Les diæ provinces dns Pays-Bas (p. 802).-Décadence de I'Espagne


(pp. 302 et 808).
Fin de la guerre aaec les Proainces'Unies (p. 3oB). 30 ianvi,er
-
1648 z truité de Munster 1pii.'aOa et.3o4). --'Caractères
dc la politique des Proainces-Uni'es à l'égard des Pays'Btts
(p. 804).
La Ttolitf,que française; I'alliance de 1635 aoec lcs Prouinces'
fInùes (pp. 304-306). -- Caractères de la guene de Trente Ans
(p. 306). Rôle de Ia noblesse belge pendan.t cette guêne
(pp. 306 -et 307). R6le dq la rnarine belge (p. 3OZ). La
-
carnpagne de 1635 (pp. S07'et 308).
-
Les optérations, dÊ 1636
-
à, L642 (p. 3O8). Mazarin et la politiqu,e des < frontùères
- et S09). .- La < Grande Guer-re t, de 1648
naturelles o (pp. 308
â 1658 (p. S09). 7 noaem,hre 1659 : traité des Pyrénées
(pp. 80e et 8lo). -
Politiqu,e conquérnnte de Louis XIV; ses armées (p. gfO).
La Tnhit:iqre de Jean dcwit (p.3I1).
-
Lçs Ptouinces'Unies
et tAnglcterre se décidcnt à, soutenir -I'Espagne (p. 811).
Les ,grandes guenes de Louis XIV; la gtterre dc Déaohùinn
-
[f 667 et 1668]; trait'e d'Aiæ-l,a-ChaTtelle (pp. 3f 1 et 812). -
La gu,erre'de Hollande 1L672-16?8]; traité de Ntmègue (pp. 812
et 818). La guÊrre luispono-française 6ffi-f 684]; tr&se de
- (p. 8fS). La guerre de Ia[f Ligue ilAugsbourg
Rat:ùsbonne
-
[168S-169ï ; paiæ ile Rij$uvi,ik (pp. 3I B et Sr4). - La gtcrre
-302-
de Su,ccession d'Espagne [f70f -Uf4); traités
la d'Utrecht, de
Rastadt, de Bacle, de Ia Bamière (pp.3I4-3I7). La Belgique
-
à son phls pro,fond degré d'aba'i,ssement (p. Sl7).

Le < siècle de malheur r.

Depuis la chute <l'Anvers, les Pays-Èas espagnols eompre-


naient dix provinces :
Quatre duchés : Brabant, Limbourg (y inclus les trois
quartiers d'Outre-Nleuse, voir p. 5tl), Luxembourg, Gueldre
(ce dernier réduit au < quartier r cle Roermond).
Quatre comtés : Flandre, Artois, Hainaut, Namtrr.
Deux sei$neuries : Malines, Tounrai et le TournaisiÉ.
Ces provinees s'étaient ralliées à l'Espagne, détermination
qui fut le point de départ d'une série de malheurs ineoncevables.
L'Espagrre, en effet, était depuis peu en complète décadence.
La politique désastreuse suivie par Philippe ff avait été reprise
par ses orgueilleux suceesseurs. Mais alors que Philippe II
s'était au moins ,eonsacré corps et âme à son métier de roi,
Philippe III et Philippe fV, souverairts inintelligents et ptrsil-
lanimes, s'étaient laissés dominer par des favoris, écrasant le
peuple d'impôts pour srrffire à leurs besoins de prodigalité.
Au-dessous de ces protégés, des coteries de Grands, vaniteux
et ignares, s'employaicnt à faire tombcr pal leurs intrigues les
rares généraux et diplornates énrinents qne I'Espagne possédait
eneore. Aussi I'histoire de cette monarchie au xvue siècle ne
fub-elle qu'une suite cle révolutions, cte $uemes perclues, tle
traités désastreux.
Non contents de laisser I'armée se réduire à quelques milliers
<l'hommes et la marine de guerre à quelques vaisseaux, les rois
d'Ilspagne et leurs ministres ruinaient leur patrie par uncr
administration intérieure absurde. f,'Inquisition avait
rlétruit ou chassd' les classes laborieuses clu pays, les finances
étaient dans un état lamentable,la vie économique était nulle,les
riches colonies rl'Amérique étaient exploitées sans prévoyance,
les trésors apportés annuellement par les. lourds galions du
Mexique et du Pérou étaient gaspillés d'avance ! Sous pareil
régime,la population avait diminué des deux tiers. Le pire ftrt
qu'après la mort dePhilippe lV,l'Ilspagne eut pour roi Charles II
(R. f 665-t7OO), prince débile, perpétuellement agonisant.
-_ 3{);}
-
Nous verrons plus loin comment Ia ruine de I'Espagnè eut
pour corollairc la décadenee de notre organisation intérieure.
Chose plus fâcheuse encore, I'Espagne pantelante s'obstina à
jouer un rôle rnondial ! Ses adversaires en profltèrent pour se
ruer sur ses domaines disséminés en liurope. Ainsi la Belgirlue,
< bouclier destiné à recevoir les coups réservés à I'Itrspagne, >
tlevint le champ de bataille de I'Europe et un sujet de
vivisection diplornatique.

. l.**

Après la mort <l'Isabelle, la guerre contre les Provinces-Unies


reprit avec intensité. Les llollandais s'allièrent à la France
en 1635 et reprirent tsréda (1637). It)n 1639, I'amiral Tromp
battait complètement la flotte de I'amiral cl'Oquendo dans la
rade des Dowrts (l),
Maîtresses de la ner, les Provinces-Unies changèrent de
tactique. Les succès récents de. la France les alarmaient plus
que le voisinage de I'Espagne impuissante. Bientôt elles eurent
des conflits d'amour-propre ct de religion avec leur alliée.
D'autre Patro rnaîtresses cles deux rives cle I'Escaut (depuis
16-15), elles n'aspiraient pas ii de nouvelles conquêtes territo-
riales. Frédéric-Henri efit aimé reprendre Anvers, mais I'oli-
garchie des riches marchalrds d'Amsterdam, qui redoutait la
perte doune situation prédominante en tolérant la renaissance
d'un milieu commeÏcial concurrent, fit obstacle à ses projets.
De son côté, Philippe IV désirait la paix. La guerre de Trente
Ans était entrée dans la phase tles négociations sérieuses,
grâce au,congrès européen de Munster (Westphalie). IÙn fln
cle compte, le roi d'llspagne se'résigna à l'inevitableo heureux
encore d'âtnener, par des concessions, la rupture de I'alliance
franco-hollandaise. Le traité de Munster, du 30 janvier 1648,
mit, en ce qui concernait I'Espagne et les Provinces-LTnies, un
terme à la < guerre de Quatre-Vin$ts Ans >.
Les Hollandais obtenaient gain de cause sur toute la ligne :
a) Philippe IV reconnaissait comme indépendants les Sei-
Eneurs Etats $énéraux des Provinces-IJnies.

(1) Les u Dunes ), au la,rge des côtes du comté cle Keut (Arrgleterre).
-804-
b) Il cédait aux Provinces.Unies la Flandre zplandaise (t)
(métiers d'Axel et de Hulst); tout le nord du Brabant, e'est-
à-dire le marquisat de Ber$en-op-Zoorn, Ia baronnie de
Bréda, le quartier de Bois-le-Duc, la ville de Grave;
Maastricht et les trois quartlers d'Outre-Meuse : Fauque-
mont, Rolduc (Herzogenrath) et Dalhenr.
c) Il admettait que les bouches de l'Escaut et les canaux
y aboutissant fussent cléffnitivement r< tenus clos du costé
des Seigneurs Estatz )).

Ces conditions draconiennes montrent à quel point les pro-


vinces du Nord avaient, en quelques années, oublié leur longue
eommunauté il'existence avec les provinces clu Sud. Séparées
d'abord par Ia religion ,et les malentendus politiques, puis par
le eours des événements européens, les deux fractions de la
( eommune patrie > étaient devenues antaEonistes. Le Norti,
appelé à de brillantes destinées, ne croyait pouvoir les aecom-
plir qu'en rulnant le-Sud et en le gardant asservi. Cette
politique réaliste, accompagnée de dédains bourrus, laissa dans
I'esprit des populations méridionales le germe de longues et
bien compréhensibles rancunes.

. ,r**
Retournons maintenant à quelques années en amière pour
examiner dans son ensemble le eonflit -- de date plus réeente
entre la f,'rance et I'Espagne. Le 15 avril 163{, Richelieu
-
avait conclu avec les Provinces-Unies un aceord suivant lequel
les deux contraetants, reprenant un projet déjà nourri par le
Grand Pensionnaire Oldenbarneveldt en 1602, se proposaient
de créer une république catholique indépendante, formée
des dix provinces des Pays-Bas espagnols, a cantonnées r à la
mode suisse (2). Les Relges auraient dfi accepter Ie protectorat
franco-hollandais et consentir à d'importantes cessions terri-
toriales au profrt de Ieurs deux voisins; en cas de refus, ces
derniers se seraient sans plus de façons partagé nos provinees

(1) La X'landre zélandaiee s€ra désorûrais souvent dési;guée sous le non


de X.landre des Etats (Slpa,ts-Vlaand,ercn\.
(2) L'indépend.ance of,Êcielle des cantons helvétiques date de la paix de
rVunster.
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f,
-306-
suivant une ligne allant de Blankenberglte, par Rupelmonde, à
Luxembourg (f )! Bien que tentt secret, ce projet, longuement
prén'rédité, était venu à la connaissanee de I'Angleterre, qtri
s'apprêtait à s'y opposer. r< Le roi (Charles Ier), r écrivait
déjà en 1632 le diplomate hollandais Grotius, < acceptera
tout, sauf la remise entre les mains de la France des ports de
Flandre ,.
Le 8 février 1635, la Frauee s'alliait ouvertement aux Pro-
vinces-IJnies; le Roi Très-Chrétien se prononçait en faveur des
protestants du Saint-Empire contre les deux branches des
Habsboutgs. C'est ainsi que la Belgique fut appelée à jouer un
rôle dans la quatrièrne phase de la guerre de Trente Ans.
Ce fut pour elle un immense malheur, car non seulement le
conflit ne l'intéressait pas directement, mais la guerre avait pris
en outre un caraetère plus berrible que jamais. Sous I'influence
de généraux remarquables, tels que le roi de Suècle Gustave-
Adolphc et son aclversaire Wallenstein,la stratégie était devenue
nrobile et pleine d'imprévus. Les troupes opéraient de conti-
nuelles u passades et repassades >..Les batailles étaient ardentes.
' Piquiers, coiffés de capelines de rnétal coniques de forme polo-
naise, et mousquetaires à culotte bouffante et large baudrier,
garni rl'nn clavier de poires à poudre, fbrmaient -- réunis
-
des sér'ies de carréso disposés en quineonce. Fixant leurs pesants
rnousquets à rouet ou à mèche sur des fourquines (fourches),
les mousquetaires entretenaient un feu nourri, eue venaient
interrompre les charges de eavalerie de I'adversaire.'Alors ils
rentraient préeipitamment dans les carrés et les piquiers
scrrant les rangs -
présentaient le hérissement de letrrs arnres
-
à I'ennemi. La bavalerie, portant la demi-armure et coiffée de
lêgères bourguignottes, chargeait indifféremment I'infanterie,
l:l cavalerie ou les'lourdes pièces d'une artillerie assez peu mf-
niable. Parfois s'engageaient eptre lanciers, pistoliers ou cara-
bins, des mêlées inextrieables datts lesquelles les soldats em-
ployaient l'épée, la dague, la carabine et l'énorme pistolet
d'arçon.
Pour Ia noblesse, qui pratiquait la guene comme un sport,

(1) Une trentaine d'ânnées auparavant, Iors des négociations de la X'rance


avec les Provinces-Unies, Ifenri IY avait réclanré la X'landre et la partie
wallonne d.es Pays-Ba,s espagnolg !
_ :10? _
la guerre de Trente Ans fut une épntlue bérrie. Les < grands
maîtres levaient à leurs propres f'r&is des régiments qui por-
,r
taient leur nom, les cadets de famille se coilïtrient d'un ferttre
empanaché, décoraient leur soubreveste de cuir d'une écharpc
en sautoir, bouclaient un hausse-col sur leur collet de bufflc,
ehaussaient des bottes évasées et partaient, qui pout le Palatinat,
qui pour la Poméranie, s'enrôler sous les drapeaux des plus
illustres capitaines. Notre noblesse servit naturellement en
grande majorité la cause catholique. Wallenstein et Pappenheim
recherchaient les offliciers et mercenaires de nos contrées :
mousquetaires de \Vallonnie, cuirassiers flamands, maut'aises
têtes, dures à mener, mais d'une belle intrépidité. Itrn 1639,
lors de la révolution au Porttrgal, Philippe IV écrivait au gort-
verneur général des Pays-Bas': ( La srlreté de I'-Espagne dépend
entièrement de la présence de ces Wallons. >
Parmi les Belges au service du Saint-Itrmpire plusieurs dcvin-
rent illustres. Je citerai I'héroïque cornte de Bucquoi, chef
des fmpéçiaux pendant la fluerre de Bohême (première phase
de la guerre de Trente Ans); le Brabançon Jean T'Serclaes,
cornte de Tilly, tacticien érninent, généralissirne de la Ligue
catholique durant la période danoise (deuxième phase); le
Lttxembourgeois Von Aldringen, tué en défendant Landshtrt
contre les Suéàois (troisième plrase); le rucle Limbourgeois
Jean de Weert, clevenu populaire pâr ses prouesses à la tête
des ehevau-légers bavarois; le fanatique Jean Beck, atrcien
porteur de dépêches de Ilastogne, devenu nraréchal de camp,
truteur de fantastiques randonnées à Iu tête de Croates r\ derni-
sauvages.
. D'autres héros se distinguèrent sur mer. C'étaient les hardis
corsaires d'Ostende et de Dunkerque, tel Michel Jacobsen,
< le Renard de la mer )). L'Espagne, avec son habituelle incrtrie,
tre sut pas suffisamment tirer parti cle ees loups de mer. Après
la chute de Dunkerque (1646), ils cessèrent presque.tous de ltar-
celer les escadres ennemies.
La guerre franco-espagnole commença en 1685 par une
invasion française clans la partie orientale tle nos provinces.
A travers le Luxembor.lrg, les maréchaux Châtillon et Brézé sc
dirigèrent vers ùIaastricht pour y opérer leur jonetion ave.c les
Flollandais. Nous avions à ce moment pour gouverneur géné-
ral un frère'de Philippe IV, le'cardinal-infant Ferdinand,
*'rî *
archevêque de Totècle. Remarquable homme de guene, vrai
héros eatholique; le cardinal-infant avait reçu I'aceueil le prrrs
ehaleureux (novembre 1634). Nos pères espéraient que I'armée,
solls sa conduite, écarterait I'ennemi de Ieur territoire. prêts
:i coopérer à la défense nationale, ils repoussèrent le mani-
f'este franeo-batave les appelant à la révolte (Z juin t6BE) et
ne se Iaissèrent pas démoraliser par la défaite du général
cles armes Thomas.de Savoie aux Avins en Condroz (ZO mai).
Lorsque les deux armées reunies marchèrent sur Bruxelles,
Tirlemont leur résista, mais firt prise et affreusement saeeagée
(8 juin); Louvain par contre sut les arrêter, grâce au coneours
.tlévoué de tous, y compris les étudiants etr les moines. Le
4 juillet, Ies envahisseurs dépourvus de vivres, se retiraient
piteusement vers Roernrond, hareelés au passage pâr des bandes
de paysans.
La < Grande Guerre > Iit ensuite p&sser les belligérants par
d'extrêmes vicissitudes. En 1636, le cardinal-infant ravageait
la Pieardie et poussait jusqu'à Pontoise: au seul nom d,Oetave
Piccolomini, Italien de haut rang au service des Habsbourgs,
Ies Français, saisis de panique, croyaient voiç fondre sur eux
les escadrrons de Croates de notre nouveau .t gouverneur des
armes , (f ). Cepenclant, elr 1640, les lr)spagnols perdaient
Arras. Deux a,ns plus tard, par contre, le vieux et prudent
gouvenreur général don Francisco de Melo (successeur dtr
cardinal-infant, rnort en 164l) rernportait sur le maréehal de
Guiches la victoire de Honnecourt (Z) (26 mai 1642[ dernier
grand succès des armes espagnoles.
En !642, le cardinal Js.f.azarin succédait à Richelieu comme
premier ministre de la Couronne de France. Habile autant
qu'énergique, il voulut r'éaliser un plan plus hardi que celui
rle Riehelieu. ce plan, déjà entrevu par Philippe le Bel et exécuté
en partie par LouisXI et Henri II, était I'annexlon de la
rive gauche du Rhin. < L'aequisition rles Pays-Bas espagnols, >
écrivait Mazarin en 1646 aux plénipotentiaires français à Mun-
ster, < fournirait à Ia ville de Paris un boulevard inexpu,
$nable, et ee serait alors véritablemint que I'on poumait

(1) Le g'ouYerrleur des amtes était un chef militaire dont parfois I'autorité
égala et même srupa,sse celle d.u gouverneur général.
(2) Sur l'Escarrt, entre Cambral et Valeneiennee.
309
-
I'appeler le cæur de la France... r Cette doctrine des u fron-
tières naturelles u filt adoptée par le roi Louis XIV dès que
son âge lui permit d'exercer une aetion politique (I).
PIus menacée que jamais, I'Espalnc s'attaeha avec ténacité
à la possession des Pays-Bas, base stratégique exccllente.
Pefiaranda, négociateur à Munster, déclarait tout net, en 1645,
qu'il préférerait donner aux Fra.nçais Tolède que Camtrrai.
La gueue reprit donc aveé une nollvelle énergie, mais elle
n'amena plus aux Espagnoh que tles défaites. Le 19 mai 1643,
les viêux et redoutables régirnents wallotts du eomte de
Fuentès furent éerasés à Rocroi (2) par 'le jeune Louis de
Condé.
De 1644 à 1646 le gouverneur générur.I rnarquis de Castel-
Rodrigo perdit Dunkerque et beaucotrp de places fortes en
Flandre française et dans la vallée de la Lys. Four en finir, les
armées françaises reçurent I'ordre n d'abaissir le petrple au
rang des animaux par le massacre et I'interdiction de tout
eommerce et de toutes communieations t (27 novembre f 645).
Philippe IV n'en persista pas moins à repousser les prétentions
françaises au congtès de Munster. Il nomma gouverneur général,
le ll avril 1647, un artlent défenseur de la Foi, le valeureux
archiduc Léopold-Guillaurne, lils de tr'erdinand II et frère
de I'empeieur Ferdinand III (R. f ffi7-1657).
Les traités de Westphalie (f643) ne réeoncilièrent pas I'Es-
pagne et la Framce. L'archiduc Léopold fut battu à Lens en
Artois, le 20 aofit 164'8. Le maréehal de câmp Beck, blessé,
mourut du chagrin d'avoir vu détruire ses rlernières bandes
wallonnes. Cependant Pltilippe IV s'entêtait. Réconcilié avec
Ies Prnvinces-IJnies, il était, libre d'irrtervenir en France oir
I'appelaient les intrigues de la haute noblesse coalisée eontre
Mazarin (F'ronde des Princes, 1649-1653). Mais la'Fronde fut
vaineue. Le 4 juin 1658, don Juan d'Autriche, bâtard de
Philippe IV nommé gouverneur général, et le prince de Condé
furent battus par le maréchal de Turenne à la bataille des
Dunes près cle Dunkerque. Cette fois le coup était décisif.
Le 7 novembre 1659, le roi d'Espagrle acceptait Ie traité cles
Pyrénées par lequel il abandonnait à Louis XIY tout I'Ar-

) Louis XIY, né en 16i]8, tnonta sur le trône en 1643 et mourut elr 1715.
("1

(2) Àu nord-ouest de Mézières-Charleville, d.ans les Arrlennes françaisas,


iltO
- -
tois (f ) et une série de places fortes dans le sùrl de la Flandre.
du Hainaut, du Namurois et du Lrrxômbourg. Mentionnor)s
parmi elles Gravelines (entre Calais et Dunkereue), Landrecics
sur la haute Sambre, Mariembourg et Philippeville dans
I'Ilntre-Sambre-et-I\{euse, Montmédy sur la Chiers et'Ihionvillc.

t**
Pendant la du xvrre siècle, Louis XIV, le
seconde moitié
<t établir I'hégérnonie de la France en
Roi-Soleil >, voulut
Europe. Pour atteindre ee but, il créa rltexcellentes armées
avec le coneours de son ministre de la Guerre, le nrarquis de
Louvois. Service des transports, munitions, pièces d'arbillerie,
discipline, rien n'échappait à I'attention de ee ministre. Il
irnposa I'unifbrme aux troupes : chapeau rond à larges borcls,
pourpoint bleu ou gris à basques et grands revers rouges,
eulottes eourtes, souliers bas. Cle type nouveau rlu soldat
français f.ut copié par les autres nations européennes. Les armées
rle Louis XIV avaient des génér'aux de tout premier choix :
le grand Condé,les maréchaux Turenne, Luxembourg, Bouffiers,
Oatinat. L'illustre Vauban fit adopter le système des fortifica-
tions à bastions et perfectionna I'usage du tirsil à pien.e par
l'adjonetion d'une baionnette. l,'art de la guerre dcvini
encore plus savant. La stratégie ne laissait rien au hasard;
elle eonsistait en sièges, en mouvement ingénieux des troupes
d'attaque ou de couverture, ell feintès, en démonstrations,
enfin aussi en batailles rangées. Mais ce tlernier câs était
évité le plus possible,'les armées vaineues ne pouvant êtrc
reconstituées qu'à grand'peine. Les lois de la tactique, non
moins minutieuses, voulaient que l'on rangeât I'armée en deux
lignes parallèles, I'infanterie au centre, la cavalerie arrx ailes.
I'artillerie dans les intervalles, les dragons (troupes combattant
à pied et à cheval) aux deux extrémités. Ohaque régiment avait
sa place déterminée, les Gardes flgurant aux postes d,honneur..
ces dispositions ftrrent imitées non seulement par les ailiés rle
Louis XIV, mais même par ses plus aeharnés adversaires.
Que pouvait opposer I'Espagne à pareil cnnemi? Depuis la

(1) Par ce traité l'Ilspa,gne perdit arrssi lc Rous,sillon rlans l,anglc rrold-est
des Pyrénées.
-$lt-
journée tles Dunes, elle n'avait virtuellenrelt plus d'armée !
Les Pays-Bas étaient sans défense, proie facile offerte attx bon-
voitises du Roi-Soleil. Trois fois, de 1662 à 1669, le Grand
Pensionnaire des Provinees-IJnies, Jean de Wit, leur <iffrit,
d'aceord avee la Franee. de se constituer eII lln petit Btat-
tarnpon, étriqué et sans inflépendance réeller, selon la formule
tlc l6il-tr. N'obtenant pas dè succès, il invita Louis XIV à un
lrartage cle nos provinces suivant 1ne ligne d'Ostende à Maas-
tricht. Mais dès le début du règne du stadhouder Guillaurne III
(R. 1672-1702), les Hollantlais. clirectement menacés par .la
Ir'rance, renoncèrent à ccs machinations et résolurent d'aider
vi$oureusernent I'Espa$ne à conserver les Pays-Bas'
< Il v.lut mieux, ) allait bientôt écrir:e le Grand Pensionnaire
hollandais Gaspard Fa$el, < se déffendre à Bruxelles ou à
i\nvers qu't\ Ilrécla ou ir l)ordrccht l. Cette intervention f'roi-
clement intéressée nous sAllva, mais nous la payâme3 cher'
f)'autre part, I'Angletrrrre, fidèle à ses traditions, allait aussi
<:onrbattre les projets de Louis XIV. E,n 167?, I'ambassadeur
rlc F.ranee écrivait au ministre M. de Pomponne : < Les Anglais
rkrnneraient tout, jusques à la chemisc, pour empêcber la
lr'ranee de pénétrer aux Pays-Bas. r Itrt l'année cl'après, le'roi
Llharles II d'Anglebcrre (R. f660-f 635) disait au Parlement : .

u .fe suis Convainctt, Messieurs, qtlg \rous payeriez des trésOrs


considérables plutôt que de perrnettre quc ne ffrt-ce qu'ttne seule
ville commc ostenrle tombât aux mains des Français, plutôt
rpre de tolérer ne ffit-ee (lue quara.nte soldats français <lans un
si bott port, juste en face de I'embouchure de la Tarnise. u

Cinq $randes guerres désolèrent notre patrie, de 1667 à


t?13. 'foutes eurent pour cause l'ambition de Louis XIV.

I. La $uerre de Dévolution (f667-166S). - IJn 1659, le


roi cle France avait épousé Marie-Thérèse, fille c1e Philippe IV.
Une clause de renonciation attx Pays-Bas figurait dans son
contrat de rnariage. Mais comnre la clot de 50O,OOO écus d'or
promise à Marie-Thérèse n'avait iamais été payée, Louis XIV
fit valoirses droits éventuels à la succession d'Espagne et, à la
rnort cle Philippe IV (f7 septembre 1665), il réclama les Pays-
Bas et la Franche-Comté eonrme une sorte d'avance d'hoirie.
Pour justifier ses prétentions, il fit invoqtler par ses jur-scon-
-312-
sultes un vieux droit coutumier en usage dans quelques bourgs
du tsrabant : le droit de dévolution, en vertu drrquel les enfants
issus d'un premicr lit étaient f'avorisés au détriment des enfants
nés d'unions ultérieures. Or, Màrie-'fhérèse était issue d'un
premier rnariage de Philippe IV !
Louis XIV appuya ses sophismes par I'envoi inopiné d'une
a,rmée de 50,000 homrnes, sous Turenne (9 nrai I666). L'Espagtre
était isolée. Elle n'offrit aucune résistance. Nos villes. aux forti-
fications en nlines, tombèlent, à peine investies. Mais les
Provinces-Unies, er) guerre avec I'Angleterre, se hâtèrent de
eonelure la paix (3I juillet 1667) ct de former avec leur ancienne
ennemie, ainsi qu'avec la Suède, une Triple Alliance (28 jan-
vier 1668). Cette coalition rabattit un certain nombre des pré-
tentions de Louis XIV. Par le traité d'Aix-la-Chapelle du
2 mai 1668 il se contenta d'annexer des places lbrtes belges,
disposées en flèches, cle rnanièrc à pouvoir, après une guerre
firture, rattacher ces pointes avancées par des lignes droites et
f'aire'son n pré carré r. O'est ainsi qu'il pritBergues et Furnes;
Armentières et (lourtrai: Lille, Audenarde, Tournai, Ath et
I)ouai; Binchc et (iharleroi. Les Pays-Bas perdirent définiti-
venient la Flandre gallicante.

II. La guerre Oe HoUanOe G67Z-1678). Louis XIV


-
s'irritait de ce que les orgueilleux bourgeois de Hollancle ne lui.
té.rnrrignassent p&s assez de respeet. Les Provinees-IJnies
gênaient sa politique; il ctéeicla de les clétruire. Ii)n grande pompe,
il conduisit son armée à travers ltr principauté de Liége et enva-
hit les Provinces-tlnies par le sud-est (rnai-juin t67Z'). Le bas
peuple n'attenclait de salut que du candiclat au stadhoudérat
Guillaurne III d'Orange, fils posthume du stadho,uder Guil-
laume II (R. f647-f650) et petit-fils de Frédéric-Henri. Aqcu-
sant I'oligarchie marchande d'impéritie et de trahison, il mas-
sacra à La Haye,le 22 âofit, le Grand Pensionnaire Jean de Wit
et son frère I'amiral Corneille.
Guillaume III était à peine âgé de vingt-deux ans. Il avait
le nez croehu, le visage long, see et blême. Il dissimulait ses
sentiments sous une âpparence glaeiale et concentrée. Grand
patriote, tenace, calme et réfléchi, il aurait pu dire, eomme Ie
Taciturne : < Je n'ai pas besoin d'espérer pour entreprendre. ,
Louis XIV n'eut désormais pas de plus acharné adversaire.
-- :llfl --
Guillaume rl,Orange commença par inonder la Hollande eir
tbisant ouvrir les écluses. Excellent diplomate, il forma une ligue
contre la France : Ia Grande Alliance de La Haye (1673)'
qui 'comprenait les, Provinces-IJnies, I'Espagne, I'Empire, le
Danemark. Ces mesures obligèrent les Françâis à se retirer sur
la ligne des places fortes qu'ils occupaient aux Pays-Bas. Condé
rernporta sur le prince d'Orange une victoire à ia Pyrrhus t\
Seneffe, le Il août f674 (1)..Pttis Ia glet're s'éternisa en négo-
ciations et en sièges.
Le 17 deptembre, 1678, le traité de Nirnè$ue rendait à
I'Espagne les pointes avancées de Courtrai, Audenarde, Ath,
Binche et cbarleroi. Mais I'Espagne devait abandonner : la
tr'ranche-comté, saint-omer, Ie sgd de la Flandre avec cassel,
Bàilleul, Poperinghe, Ypres et les places rle la Lys, Cambrai et
le Cambrésis, la moitié d1 Hainaut avec Con{é, Valeneiennes
Ravai et Maubeuge.

IIL La guerre hispano-française (168S-f6S4). - Pour


réaliser ses coneeptions, Louis xIV usait autaut de la diplo-
matie que de ses années. Il interpréta le traité de Nimègue
d'une rrranière tellement abusive que la pauvre Espagne ne put
se résigner à le laisser agir. La Grande Alliance était disloqrtétr.
Les Turcs menaçaient Vienne. Charles II ntavait aucun apptti.
IJn reste de fierté le contraignit à déclarer Ia gucrre. c'était un
acte de folie dont la Belgique payâ tous les frais. F)n 1683, les
Français envahirent n6s provincesrt bornbardant les villeso
systématisant la terreur. seule la place de Luxembourg, défen-
due par Ie prince de chimay, fib une résistance remarquablc
judqu'au 3 juin r\684. La trêve de Ratisbonne, conclue pour
vingt ans cntre la France ct I'Espagne, nous arraeha ene,or.c
Chimay, Beaumont et Lttxembourg (I5 aoftt 1684)'

IV. La'$uerre de la Li$ue d'Au$sbour$ (1688-169?). -


Irln 1686, Guillaume III fonda une ligue européennp portr
r'ésister aux aetes arbitraires {e l-orris XIV. Cette ligtte, dittr
u d'Augsbourg )), comprenait, ouire Ie staclhouder, I'empereur
Léopold 1er (R. 1658-1?05), le roi d'Espagne, le roi dc Strède,
le due de Savoie, beartcottp fle princes du Saint-Ernpire. IIn I688'

(l ) Dans le nord du llainaut, anr sud'ouegt de Nivolles.


Irr re'r,etr" ar*:::
a e,rgr"*',e sor beau-père
".lrt,*.rrr,"
Jacques II (R. f685-1688) etfut proclamé roi. Irahlement, un
duel à mort devait s'engager entre lui et Louis XIV. flncr
nouvelle guerre, engagée sur un théâtre européen, mit en mou-
vement de très grandes armées. Le héros en fut, du côté français,
le maréchal de Luxembourg. Il vainquit à Fleurus, au nord
de Charleroi, le prince de Waldeck (l er juillet 1690); pour punir
le prinee-évêque de Liége Jean-Louis, baron d'Elderen (R. l688-
1694), d'avoir pris le parti de la ligue, il flt bombarder Liéee
pendant cinq jours par Bouffiers; en 1692, il vaiirquit Guil-
laume III à .Steenkerque (l) (4 aofit) et prit Namur;
en 1693, il remporta une victoire plus éclatante encore :'l
Neerwinden (2) (29 juillet). Mais Guillaume fII ne se laissait
jamais abattre et réorganisait en quelques sernaines sts arnrées
dispersées. En 1695, il reprenait Namur, après lln siè'gc
derneuré célèbre. É)n vaino le rnaréchal clc Villeroi avait-il
cherché à le <létourner de son dessein en bornbardant }fruxellr,s
à boulets rouges (llJ au l5 aofit f695). (let acte barbare réduisit
etr cendres seizc églises et cortvents et rluatre rnillc nraisons,
au eentre tle la ville.
La paix de Rijswijk (.3), du 20 septembre 169?, mit fiù r\
cette lutte interminable. Louis XIV reconnut Guillaume III
comme roi d'Angleterre et rendit à loF)spagne plusieurs pla<.es
fortes, annexées par des traités précdrdents ou conquises ;lerr-
rlant la guerre, notamment Courtrai, Ath, Mons, Clrarleroi ct
Luxembourg.
t
Y, La guerre de la Succession d'Espagne (1?0f -I1L4).
Le ler novembre l?OO, Charles II rl'Espagne mourait Sans
-
postérité et, après avoir tenu pendant virrgt ans les clrancel-
leries européennes en suspens à propos de ses volontés dernières,
léguait toute sa succession au duc Philippe d'Anjou, scconrl
petit-fils de Louis XIV (4). Frustré dans ses espérances d'héri-
tage, I'empereur l-éopold fer ehercha cle I'appui auprès des
Ptrissances maritimes. Celles-ci eussent, cepend:rnt hi:sitô ir

(1) Entre Ath et Enghien.


(2) Entre Tirlemont et f/&nder1.
(:l) Prèe de ï,a Haye.
(.1 ) \roir le tablea,n génônlogiclrrc à, lu, fin <lci cc cltrrtrilr't.,
:ils
- -
<léchaîner'la gtterre si Louis XfV, vieillissant, avait modér'é ses
àtûrbitions et respecté l'équilibre ellropéen. Mais I'insatiable
rnonarque, transforntant en jotlet le jetrne et inexpérimenté
Philippe V (R. LT00-1746), se donna tous les droits d'intervenir
politiquement et mrlitairement dans la monarchie espagnole.
I)ans la nuit du 5 au 6 févrièr 1701, ses troupes envahirent
la lSelg'ïque avec la eomplicité du gouverneur général Maxi-
rnilien-Ernmanuel de Ravière, prince bien doué, mais
irréfléchi et dupé par de vagues promesses de souveraineté
des Pays-Ras.
Aussitôt la Grande-Alliance, continuation de la ligue
rl'Augsbourg, se reforma à La Haye (7 septembre l?Of).
Guillaume III mourut en 17O2, mais sa belle-sæur, la reine
Anne d'Angleterre (R. L7O2-1714) et le Grand Pensionnaire
Heinsius continuèrent sa politique. La guerre fut longue. Nos
provinces gémissaient sous le poids {'une domination très dure,
préparant lertr incorpciration déflnitive à la l-rance par une
série de mesures absolutistes et celtralisatrices. Soudain, l'écla-
Latrte victoire tle Ramillies (l), remportée par le duc de
Marlborou$h sur Villeroi, le 2ii mai 1706, amena l'évaeuation
de la plus grantle partie de notre territoire. Ce ne fut cependant
;las ltr libération, car nos provinces passèrent sotts Ie joug d'un
gouvernemelt prorrisoire très tracassier. Au lietr de nous repla-
cer irnrrrédiatement sous le sceptre tlu rival de PhilipPe V,
Charles flf, second fils clc Léop6ld fer, les Alliés nommèrent
un Conseil d'Etat indigène et le subordonnèrent à une com-
mission civile anglo-hollandaise, la Conférence, chargée de
connaître <1e toutes les affaires clu pays.
Pendant quelques années elrcore, la guerre sévit dans nos
contrées. Marlbor.ough et le prince Eu$ène, généralissime cles
troupes de I'enrpereur JosePh fer (R. l?0s-f7ll), battirent le
duc de Vendôme r\ Auderiarde (lI juillet 1?08) et le maréchal
cle Villars à Malplaquet (2) (rl septembre 17Og). I'ouis XIV
(:tait prêt à faire les plus grandes concessions, nrais ses ennemis
voulurent lui imposer de telles humiliations qu'il prétëra con-
titnrer la lutte. flette détermination héroïque le sauva. En l7I0'
le parti de la gueûe à outrance s'écroulait en Angleterre,

(1) Àu norcl-est-d.e Gernbloux.


(2) Entre Mons^et Bavai.
:]I(i
- -.
I,'année suivante, à la rnort de Joseph 1er qui ne laissait pàs
rl'héritier mâle, charles rrr devenait Empereur sous le nom de
charles vr. Dès lors,les coalisés abandonnèrent l'idée de détruire
les Bourbons, suffisamment affaiblis, au profit des Habsbourgs
tl'Autriche, dont le suecès aulait mis tout aussi bien l'équilibre
etrropéen en péril. un congrès international s'ouvrit donc à
trtrecht; seuls les fmpér:iaux s'entêtèrent. Villars les vainquit
t\ Denain (1) (I4 juillet 17rZ).
Nouls voici arrivés aux années les plus sombres fle l'histoire
rle Belgique pendant, les I'ernps ùrodernes. Au cours de ra der-
nière phase dc Ia guerre de succession, le pays s'émiette sous
plusieurs Elouvernernents différents : dans le Limbourg, les
fmpériaux règnent sans conteste; à, Bruxelles, la Conférence
anglo-hollandaise morigène et brutalise le Conseil d'Etat; au
sud-ouest les Français se maintiennent; à Namur, Maximilien-
Elmmanuel s'entoure des pompes discrètes d'une souveraineté
des Pays-Bas rninuscule et illusoire.
Le traité d'Utrecht, du II avril tZIS, signé entre la France
et I'Espagne d'une part, les Alliés, sauf I'Emper.eur et Ie Saint-
F)mpire, d'autre part, transmit les Pays-Bas espagnols à
la Maison d'Autriche, frustrée rle Ia succession d'Espagne
dans son ensemblt'. r;ouis Xrv nous rendait Tournai et la partie
de la Flandre oceiclentale avoisinant Furnes, Dixmude, ypres,
Nlenin, partie clue les trontemporairrs nornnrèrent < Flandre
rétrocédée rr. Tout espoir: <le récupér'et I'Artois. ltr Flarrdre ga{i-
eantc, le sud du Hainaut et du Luxemhortlg était à jamais
perdu.
Le 6 rnars 1714,l'F)rnpereirlr, par.le traité de Rastadt (Bacle),
se résignait à souscrire aux stiPulations du traité d,Utrecht;
Ie 7 septembre, le Saint-Empire thisait de même par le traité
de Bade en Argovie (suisse). cependant nos provinces restaient
toujours aux mains cles Provinces-rJnies, qui avaient obtenu de
I'Europe le droit d'y constituer une barrière de places fortes.
I,e traité d'Anvers orr de la Barrière, du lE n{)vembre l?IS,
régla cette dernière quesLion et fit de notre patrie Ia vassale
des Provinces-unies. Des garnisons hollandaises vinrent
s'établir à Na5nur, 'fournai, lVfenin, Warneton, ypres, Furnes,
la Knocke (sur Yser) et Termonde. Nous dfimes les entretenir

(1) ltltrtrc L'a,mbrai et Va'lerrcicrutcs.


:lt7
- -
par une rerlte :ùnnuelle (le 500,000 écus. L'Escaut festa
fermé.
Le tnrité cle la Barrière amène les llays-Ilas à leur plus
profond de$ré d'abaissement. Sans indépendance politiquc
ni économique, ruinés et abêtis par cent quarante-neuf
années de guerres presque consécutives, leurs habitants
peuvent dire, comme les Etats de Brabant en l69t à Charles JI :
< Nous nous trouvons ré<lrtits à la dernière des extrémités t-tit
puissent venir ceux que.de longues et fÏayeuses guerres ont
épuisés jusques à la dernière substance et qui ne peuvent plus
présenter à Votre Majesté <1ue des infirmités et cles playes, que
des gémissements et de la douleur. ,
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CHAPITRE III
LA PoLITIQUE INTÉRIEURE DE L'ESPAGNE
AUX PAYS-BAS, DE 1633 A I7I5

Politique maladroite des rois d'Espagne à I'égard des Belges.


Le Secrétaire d'Etat et de ëuerre (pp. 319 et S2O).
Respect &pparent de nos institutions,. /es jointes (p. BZO).
R6le dissolaant des fonctionnaires espagnols (p. 32O). Défiance
et dédains des Espagnols pour lels Betges (pp. SZO -et BPI).
Causes du loyal:isme rle n.os aïeùæ (pp. gZi et 322). -
Sort des
-
Belges de lTOl à I.7J^4; Ieur haine de I'oTtpression (p. SZ2).

o La concliôion naturelle tlu pays (est


diêtre) plus porté à détester le châtiurent
. que.les déIits, surtout quand il procède
d'êtrang:ere et s'exécute contre nn indi-
8iène' o

(Le rnarquis d'Aytona, futur Eou-


-Ras' a'*
ffâ"ËÏô,f,:*i::',tii.T""'

La politique intérieure des rois d'Espagne âu xvfie siècle fut,


en ce qui concerne les Pays-Bas, moins despotique que mal-
adroite. fncapables de bien diriger les intérêts de leurpays natal,
comment eussent-iLr pu rdtrssir t\ sauvegarder les nôtres? Jarnais
ils ne vinrent tlans nos provinces. Comme gouventeurs géné-
rauxrils nous envovèrent desGrands d'I{spagne au nom sonor€,
sans capacités techniques, chargés de simples i4térirns. Dans les
moments critiques, ils choisirent. il esb vrai, dés princes du plus
haut rang et de grand mérite pour nous gouverner, mais ils
entravèrent lerrr rhission par quantité cl'instruetions secrc\tes et
:J20
- -
les firent espionner per un discret haut contrôleur, le Secré-
taire d'Etat et de Guerre.
Par la paix d'Arras, du I.7 mai 1579, les eatholiques des
Pays-Bas s'étaient flattés de recouwer I'autonomie de nos
provinces. Simple leurre. A peine X'arnèse était-il mort que
l'espagnolisation recommençait. Certes, les apparences de
I'autonomie nous furent laissées. A leur avènement, les mis
d'Espagne jurèrent solennellement (1), comme leurs prédéces-
seurs, de respecter nos eonstitutions territoriales et nos antiques
privilèges. Ils ne supprimirent pas nos institutions mais, invo-
quant le caractère exceptionnel des circonstances, ils enlevèrent
tout pouvoir réel au Conseil de Flandre à Madrid ainsi qu'aux
trois Conseils collatéraux, cependant peuplés de leurs créatures,
et flrent opérer tout le travail administratif par des jointes
ou commissions provisoires.-
Or, ces jointes se eomposaient surtotrt d'Espa$nols. On
rencontrait par-ci par-là un offieier supérieur ou un haut fonc-
tionnaire belge, -- tel le chef-président du Conseil privé Pierre
Roose,'-- mais dans I'ensemble I'autorité civile et militaire
passait de plus en plus aux mains des Castillans. Ces fonction-
naires étaient ignorants et cupides. Sauf quelques honorables
exceptions, ils ne s'exilaient vers nos tetres de,pluie et de brouil-
lard que dans I'intention de s'enriehir Ie plus vite possible par
rles concussions. Ces vampires désorganisèrent en quelques
années ce que la guerre avait épargné. Les finances furent bientôt
dans un désordre inimaginable. Les petits fonetionnaires, ine-
gulièrement ,payés, se rattrapaient en prér'ariquant. L'armée,
réduite à l'état de squelette,. touchait deux mois de solde en
un an. Les soldats, en proie à une misère épouvantable, déser-
taient, vagabonrlaient au long des routes et, Ie pistolet au poing,
détroussaient les voyâ,geurs
Les rois d'Espagne auraient franchement dri placer les.habi-
tants des Pays-Ilas à la tête de leurs propres affaires. C'est ee
que n'avait cessé de conseiller au duc d'Olivarès un Ilspagnol
éminent qui corrnaissait bien nos aTeux, le,rnarquis dtAytona,
gouverneur général après la mort d'Isabelle. < Je puis assurer
d'ailleurs Votre Excellence, r' éerivait-il un jour au favori de
Philippe fV, n que je n'en eonnais auerrn (il parlait des Br.'lges)

(1) Par I'interrrr(rrliuit'c du g'ouvel'nerrl gérr(rral.


-821 -
rlans lequel on ne doive, selon nroi, placer autant <le eonfiance
qu'en vous-même r,.
Malheureusement d'Aytona était seul de son avis, dans la
colonie espagnole de Bruxelles. Tous ces Castillans sombres,
hautains, durso mysti.ques, tlétestaient les Belges. fntéressés
à calomnier la population indigène, ils la représentaient au
roi comme inapte à remplir des fonctions publiques, eomme
versatile, ambitieuse, indifférente, grossière, bestiale même.
N'était-ce point en Belgique qu€] I'on venait tr,pprendre à
K corner a la fl,am,ence) e, Ia porcufita (f )? o Ils exagéraient aussi
nos querelles particularistes. Même nos sentiments les plus
dignes, tels que le respect des privilèges, étaient traités par le
cartlinal de La Cueva r1"'rr âmusements des peuples idiots r!
Coupables i\ tous les points rle vtre, les rois d'Espagne eurent
la bonne fortune rle conserver la fidélité de nos populations.
Altrrs que les (latalans et les Portuqais se soulevaient en 1640,
clue le pêcheur Nlasaniello se rnettait à la tête des Napolitains
rtivoltés, qn I6,17, les Belges refusaicnt obstinérnent d'unir leur
sort à celui des peuples étrangers ou de se rendre indépendants
par une rupture avee I'I)spagnc.
Cette attitude s'explique. l,e Saint-Ilmpire, juxtaposition
draotique d'Etats, rre signifiait rien pour les habitants des
Ptrys-Bas; la F'rance était gouvernée d'une manière trop abso-
lutiste ; les Provinces-IJnies étaient trop ealvinistes. D'ailleurs,
les oJïies{aites aux Belges par les Hollandais et les rois de France
itvaient tnanqr:é rle sincérité et étaient entachées de clauses
humiliantes, inacceptables. f)'autre part, nos aieux s'étaient
sentis trop faibles pour eonquérir par eux-mômes trne réelle
indépendance.
Tçrut compte fait, les Belges exécraient les F)spagnols rnais
s'accommodaient assez bien du régime établi. La période épique
des luttes pour la défense rlu programme national était révolue
rlepuis 1632. L'Itspagne affectait. de respecter les privilèges
e-xistants, elle rnaintenait les Conseils et les Etats provinciaux,
laissait à ees derniers I'illusion de pouvoir faire des remon-
tranees art roi et de refuser les aides annuelles. enfin elle tolér:ait

(l ) " lrtanger àr, la flamanilc, à la uranière cles porcs. , Notons qrie les Dgpa'
Enols rlésignaient par tr'Iundes Ia totali(é des Pays-Bas et par Flo.mencos
totrs les habita,nts, tant \Yallons tluc }'lama,nds.
F. VAN I{ALKEN. III.qTOIRI.) Dli: BnI.(;IQUIC: 1924. ll
- -
'l
322
-
la nomination de Belges aux f<rnctions piovinciales et commu-
nales. Il n'en fallait pas davantage pour clonner satisfaction à
nos aîeux alrattus et deprimés. L'Espagne et les Pays-Bas
étaient toujours d'accortl sur le < faict de la religion r; ils riva-
lisaienf de zèle catholique. Que la guerre sévit dans nos parages,
les Belges ne pouvaietrt en vouloir à I'Espagne, puisque, depuis
1695, celle-ci se tenait sur la défensive. Aussi, chaque fois que
le gouvernement fit preuve de quelque énergie, eut-il nos pères
à ses côtés.
Joignons à ces éléments de rapprochement le fait que les
Belges étaient très sensibles aux u martières douees et gra-
cieuses > et qu'ils se sentaient flattés lorsque les rois leur adres-
saient des éloges hyperboliques, déclaraient nos provinces n el
apoAo g segrtridad de. la Monarchia (l) > ou les plaçaient, en cas
d'extrême danger, sous le patronage de saint Joseph. Quelques
pensions et titres pompeux décernés artx nobles et aux riches,
quelques sermons dynastiques et réjouissances populaires à
I'usage des pauvres, suflirent pour entretenir, au sein de nos
populations anémiées, lrn loyalisme tiède sans doute mais indé-
racinable.
D'ailleurs, la fatalité s'acharnait à tel point sur nos pères,
que le régime espagnol, une fois dispartt, leur parut digne de
regrets. Après I'invasion française de tTOl nos institutions
furent bouleversées, notre pays sounris aux lois du tirage
au sort et nos privilèges annihilés parce que ( établis par le
caprice et.l'insolence des peuples )). La Conférence anglo-
hollandaise n'en agit pas mieux ayec nouso de 1706 t\ 1714.
De là des conflits incessants, car les Belges, quoique tombés atr
bas de l'échelle des lrumiliations, restèrent toujours rebelles
à la force brutale. C'est t\ juste titre que le comte de Valsasine,
maître de camp général des Impériaux, pouvait écrire à Char-
les Vf, en, 1714, à propos de ses nouveaux sujets : < L'aflabilité
et la bienveillance ont des.attraits pour les Flarnands qtti les
lient et les attachent inviolablement au souverain. >

(1) T:'epprri et la séaurité <le la mona,rchie.


CHAPITRE IV

LA PRINCIPAUTÉ DE LIÉGE AU XVIIE SIÈCLE

Relèaement ùr, pags sous Erard de La Marcle (p. S23). Progrès


de la d,ëmomatie sous Gérard de Groesbeelc (pp.823 et - 324!',
RôIe de Liége dans le Saint-Empire (p.324). * La neutrahté -
liégeoise (p. 824). Règne des pùnces dc.IaMaisan dn Baaière
(pp. 324 et 325). - Ernest de Baaièrç; Ie Règlement de 16O8
(p. 325). - de Baaière ; les Chirouæ et les Grignouæ ;
Ferdinand
-
rôle du bourgmestre La Ruelle (pp. 325 et 326). f G aarill637
-
z

assassi,nat de La Ruelle (p. S20). La < Sainct-Grignouæ ,


[juillet f 646] (p. 326). Ferdinand-aainc les démocrates-[1649-
16501 (pp. 326 et 327). - Règne dè Maæimil:ien-Henri de
Bauièrc; son alhiance aaec- Louis XIV : confl,its aaec les &ri-
gnouæ; Ie Règlement de 168a (p. 827).

n Yille libro et ihpériale. r

Après les effroyables épreuves traversées au xve siècle, la


principauté de Liége entra dans une période plus calmeo plus
stable, qui au xvre siècle donna à son histoire'un caractère
- L'excellent prinee-évêque
assez effacé. - Erard de La Marck
(R. f505-1588), neveq du Sanglier des Ardennes, réussit, par
une série de mesures habiles, à relever complètement et
rapidernent le pays. Par la paix de Saint-Jacques, de 1502,
il créa un ingénieux état d'équilibre entre les pouvoirs du prince
et ceux des ltrtats, système qui subsista jusqu'à la fin de I'an-
cien régime.
Sous Gérard de Groesbeek (R. f5ffi-r580), le peuple de
Liége, ressaisi par son vieil esprit d'indépendânce, reconquit sa
-- 324
-
position privilégiée. Ses pouvoirs dépassèrent, dans I'Etat, ceux
du elergé, de la noblesse et des autres villes; à Liége même,
les métiers, mis au courant des questions publiques par des poli-
ticiens de canière (surtout des avocats), reprirent ttne place
prépondérante. t Plus souverains que le prince, n les cleux bourg-
mestres de la cité agissaienb en représentants d'un pouvoir
absolument autonome.
En 1500, I'empereur Maximilien al'ait incorporé I'Itrtat de
'West-
Liége dans un des cercles du Saint-Empire, celui de
phalie. Pour tous les conflits généraux, Ia principauté clevait
recôurir au jugement de la Chambre impériale de Spire (pltts
tard, de Wetzlar [l]). Cette incorporation fortifia la cité dans
son opinion d'être ville libre et impériale, ne relevant que
de I'Empereur romain gerrnanique, monârque n'avant qu'un
fantôme d'autorité.
L'alliance de l5l8 entrc I'Hspagne et la principaulé avait
lavorisé les intérêts d'IJrard de La Marck, rnais non ceux cle
ses sujets. Les passages de troupes espagnoles pillardes, leurs
séjours dans des cantonnemcrlts cl'hiver, ruineux pour les popLl-
Iations environnantes, excédèrent bientôt les Liégeois- Lors de
la révolution du xvle siècle, les atrocités cornmises par le dttc
d'Albe indignèrent jusqu'aux catholiques; d'atttre part, I'essai
de siège ébauché autour de Liége par Ie prinee d'Orange (octo-
bre 1568) refroidit les sylnpathies du peuple pour les Gueux.
En somme, chàcun fut satisfait lorsque Groesbeel< proclatna
la neutralité perpétuelle de I'Etat lié$eois. Ce régime rlura
en théorie jusqu'à la révolution française, rrnis eornme les
tstats se déflaient de Ieurs princes-évêques et ldtrr refusaient
le droit d'établir dans le pays de fortes gartrisons, la neutralité
liégeoise fut violée quantité de fois âu xvtl€ siècle, surtout pat
les Espagnols et les ImPériaux.
Le calme intérieur dont jouissait lal principauté cessa à I'avè-
nement des princes-évêques de la Maison de Bavière (1580).
Etant en même temps électeurs'archevêqtles cle Cologne,
évêques de Munster, de Hildesheim, etc., ces princes rési-
dèrent presque continuellement en Allemagne et gouvernèrent
I'Iùtat liégeois par . corresponclance. Riches et lrautains, ils

(1) Spire : sru le Rhitr, ert aval cle Strastrourg. Wetzlar; en Prusse, sur
-
la Lahn,
-- ir25 --
avaient des goûts rle potentat; ttès attachés à la religion, ils
soutenaient I'Itrspagne; les jésuites et les earnles.
Le premier d'entre eux, Ernest de Bavière (R. 1580-1612),
fut Ie moins despotique. Courtois, charitable, d'esprit eurieux,
il sut éveiller les sympathies et eut un règne assez lreprenx.
Au clébut du xvne siècle, il vit croître I'agitation populaire
contrc le régime électoral presque toujours en vigueur dans la
calritale depuis 1424. Ce régime transactionnel, connu sous le
nonr de rt Rêgiment cle Heinsberg u (voir p. 162), avait été tota-
lement vieié au cours des temps : les trenteldeux éleetertrs
rnuneipaux éta.ient achetés lrar les agents du prince; un an
d'avance on connaissait en ville les noms <les deux futurs rnaitres
à temps (bourgmestres)! Iirnest de llavière, impressionné lrar
quelques émeutes, clonna aux f,iégeois le Rè$lement de 1603
(f4 avril) qui abanrlonnait aux trente-deux nrétiers l'élection
cles dettx bourgûestres et du C-'onseil des trente jtrrés de Ia'
trité (l).
Le successeur d'IJrnest fut son neveu Ferdinand de Bavière
(R. f6l2'f650). Pas plus que son prédécessettr, ce grand sei-
gneur rnondain n'avait été ordonné prêtre. Pendant les vingt-
trois premières années de son règne, il résida six rnois dans sa
principauté ! Cet étranger s'intagina pouvoir éteindre chez les
Liégeois le gofit de la liberté. Il restaura le Régiment de Heins-
berg en 1613. f,es métiers exigèrent le maintien du Règle'ment
<le 16O3. Il se forma ainsi à Liége tleux partis :
a) Les partisans du prince despote. Ils se recrutaient parmi
les nobles, les membres du clergé, les gens les pltrs dévôts, les
grands bourgeois hispanophiles. Comrne ils formaient des com-
pagnies militaires ltabillées de noir et à bas blanes, le rnenu
peuple les nonrma < hirondelles , : Chiroux.
à) Les <lémocrates. C'etaient les ( gens nrécaniqusn )), les
masses,plébéiennes, ainsi que les bourgeois secrèternent protes-
tants et les politiciens et avocats francophiles, hollandophiles,
hostiles au fanatisme religieux. IIs furent surnommés lcs
<Grognonsr:Gri$noux.
Après de longues querelles, le conflit entre Feràinand et le

(1) Trois rrrern}res devaient être tirés u,u sort ttans chaquc tuétier. Partri
ces Uonatrte-six, trente-tteux électertr,s seraigul, lirés zlu sort et ChargéS de
nolnmer les nraîtres à tetnps.
-- '*r9 __-

peuple prit Ie caractère d'une guerre civlle. Le peuple avait,


en 1630, désigné comlne bourgmestres Guillaunre de Beeck-
man, vétéran des Iuttes démocratiques, et Sébastien La
Ruelle, démoerate que sa liaine pour les jésuites et les Espa-
gnols avait conduit à une entente formelle et secrète avee la
F't'anee. Ferdinand refusa de Ies reeonnaîùre. Beeckman mourut
I'année suir.ante. d'un mal mystérieux. En 1685o le prinee-
évêque vint en personne clans'la principauté, arnenant à sa
suite les Croates de Jean de Weert. Ces bandits, à qui le tyran-
nique évêque avait laissé les mains libres, incendièrent et rava-
gèrent huit rnille fermes. Les braves millces communales, ayant
rrni leurs fbrees, flnirent par les battre et laneèrent les prison-
rriers dans les hurcs rles houillères.
La Ruelle triomphait. C'est alors que le perfide comte de
Warfusée, toujours en disgrâce depuis 1632 (voir p. 299), se mit
,à la disposition de Irerdinand pour assassinei le bourgmestre.
Il espérait par là rcntrer en fhveur auprès des Habsbourgs. Le
l6 avril l6;i7, il invita La Ruelle à. un festin. Au cours du repas, il
fit nrassacrer son hôte par un groupe de soldats espagnols embus-
qués. fle fcrrtb.it fut instantané-ment puni. T,a fbule, alarmée par
rles rumeurs, s'asÊembla autour de I'trôtel de Warfusée, en fit
l'âssaut, massacra les soixattte sicaires qui s'y dissimulaient et
traîna, par les rues le principal criminel, tout ensanglanté, avant
de le suspendre à la potence. Pour satisfaire ses vieilles râncunes
par des représailles illimitées, elle alla aussi poignarder le reeteur
des jésuites et mettre le f'eu au couvent des carmes. La Ruelle,
ainsi vengé, fut honoré d'tlbse)ques solennelles.
f/ongternps encore la querelle cntre aristocrates et plébéiens
fut nurquée par. des épisodes sanglants. Lors des élections
de t6-16, les Grignoux, âppuvés par les paysans des quartiers
d'Orrtre-N[ense, saecagèrent Ie palais épiscopal et les demeures
rle leurs :rclversaires. Oe fut Ia < Sainct-Gri$noux rl (25-27
.iuillet).
Le traité de Munster lut fatal aux dénrocrates. La France se
rlésintéressa de leur cause. Ferdinand rnit la ville rebelle au ban
de I'Enrpire et envahit le pays avee un corps d'fmpériaux,
en 1649. f,es ruilices conlmunales furent dispersées. f,e 29 aoùt
les Grignoux durent ca,pituler. L'irnpitoyable Ferdinand fit
exécuter le bouigmestre f{ennet et I'ex-bourgmestre Rollans.
Il remplaça le Règlement de 160,3 par un statut inspiré du
ra\

-- 32? - --

Régiment de Heinsberg, excluant les niétiers des éleetions


comnlunales. Én 1650, son neveu et coadjuteur Maximilien-
Henri de Bavière faisait construire. par le peuple réquisitionné,
la citadelle de Sainte-Walburge. F.erdinand, ahhorré, mourut
cette même année.
Maxtmllien-Henri de Bavière (tt. 1650-1688) poursuivit
I'inflexible politique de son oncle. A peine monté sur le trône
épiscopal, il fit décapiter un arni de La Ruclle, I'r"ncien bourg-
mestre Pierre Bex, âgé de plus de qrratre-vingts ans (f OSt).
Au contraire tle ses prédécesseurs, \{aximilien-Ifcnri s'en-
tendit avec Ia l'rance. En 1672, il permit à Louis XIV de
passer par son territoire pour aller altaquer les Provinces-Unies.
Durant I'occupation française, les autorités cornmunales sup-
plièreht Louis XIV de laisser démolir Ia citadelle. Comme et'
,fort inquiétait le roi au point de vue stratégique, la démolition
en fut autorisée, à la grande joie du populaire. Les Grignoux
profitèreht de la circonstance pour relever la tête et Maximilien-
Henri dut s'enfuir en Allemagnc. Mais Louis XIV n'avait pas
I'intention de soutenir les démocrates liégeois. Dix jours après
la trêve de Ratisbonne, le prince-évêque rentrait triomphale-
ment à Liége, entouré de soldeniers allemands (26 aofrt 1684)
et faisait périr sur l'éeltafaud les bourgmestres Nlacors et Renard,
Le 29 novernbre, le despotique prélat promulguait le fameux
Règlement de 1684, acte compliqué conférant à quatre cent
quatre-vingts notables et à nonante-six artisans le droit d'élire
les bourgmestres et les jurés. Les milices bourgeoises étaient
abolies, les ttente-deux métiers perdaient leurs prir.ilèges poli-
tiques. I.e prince s'attribuait Ie droit exclusif de faire les règle-
ments de pciliee et de lever les taxes. La restauration nronar-
ehique fut cotnplétée par la réédiflcation de la citadelle et la
construction, en travers du pont des Arches, de la tour fbrtifiée
dite < Dardanelle ,.
CIIAPITRE V

LA VIE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE


AUX PAYS.BAS DURANT LE XVII" STÈCIN

{
I)échëance rles Pays-Bas (p. 329). Etat de l'agriculture (pp. 329
et 330).
-
Rrilne du. commerce; fermetrure. de l'&scatt't; cntelle
-
politique éronomique des Puissances maritimes ; le corn nerce
aaec l'Dsptegne; défense faite au'nt Belges de fai'rc le commerce
unn Indes(p.3tl0). de I'industrie (pp- 33O et 33f ).
-'Décadence
.Inùtst iss 6liuuses (p. 3:lf ). _-_ Effort économiqrte du comle
--
de BergeAcl{ U697-t-7o0l (pp; :331 et 332).
Cnthol;icisation de Ia société (p. 3:12). Tri'omphe de I'Eglise
-
sous le règne des Arclûdtrcs (pp. 332-3:14). psvs(xution des
sorcie'rs (p. 3S4). La Cott des Atchid:trcs -
(pp. 334 et 335).
-
Les motles dans la première moitié et au mi,lieu du XVIIe siècle
-
(p. 335). La Cour de Maæitnilien-Emmanuel de Bauière;
ks rnodes -à h rtn du XVIIe sièck (pp. 335 et 336). l,tl611vs
rlc la noblesse (pp. 336 et 33?).
- de la
I'énibl'e si'fu'atùon
bourgeoisie (p. 3S7).
- peuple (pp. 337 et 388).
Mæurs.dtr' petit
-
Réaolte.s des mét:iers (p. 3S8). Sou'ffrances de kr, classe
-ru,rale; te banùitisme (pp.338 et 3Sg). - --- Ignorance et supers'
tition des foules (p. S39). Ca'ractèrc persistant de certaines
-
aerhrs des Belges (PP. 839 et 340)-
Clhical:isation complète de la aie i'ntellectuelle (p. S40). L)ensei-
gnement primaire (pp. 34o et 341). Les collèges -de iésaites
(p. 3 r). -
L'erz,seignern'ent supérieu,r (p. Baf ). I'e nw)ur)e'
-
ment scient'ifique; ses caractères générattæ (p. 84f- et 342).
Le bsi,arvism,e et Ie iansénism'e (p.}az). Les hagiographes -
(p. 8aS). .Iustn-Lipse (p. SaB).
-
Les iuristes (pp. 843
- -
-- ;J!9 --

et 344). Les sciences persécutées : l'histoi're, ta géogra'


ythie, Ies- sciences Ttluysiques, Ia nt'édectne; Si'mon Stéuitt,
Vun lIelm,ont, Palfijrz (pp. 344-346). La lil.térature deaote
(p. 3 G). -
Les .ieuæ d'esTtrit (p.346). L'art dramatique
- -
d'eæpression française (pp. 346 et ;147).- La l:ittérahtre flu'
rnande : Poirters, Willem Ogier' (p. 347). Le journalisnr,e
-
(1r. Sa7).-- L',architecture religieuse : Ie stgle baroque (pp. 847
ct 348). L'architecture ciaile (pp.3aS et 349). La scal'p-
- de curactère religieuæ (p. 3a9). ^- Les-l)uquesnoy ;
hne 1 æuares
autres sculTtteurs (pp. il49 et :t50). fiécole de, peint'ure
-
f,nmande du XVIIe siècle : ses carectères (p.350). -- Pierre'
PauI Rubens et' son écolc : Jordaens, Van Dijclt, les Teniers
(pp. 3,50-352). Les peirttres indépendunts (pp. 352 et 353).
-
Rôle des peintres belges à l'étranger (p. 353). Les gra'
-aeurs (p. 353). La musique (p. :15:J). -
-
n ltuiue ct povroté. r

Au cours du siècle et dc'rni de guerres ct de troubles qtte irous


avons précérlemnrerit exarninés, les Pays-Bas suivirent avcc
rapidité un mouvernent de régression vers la barbarie.
ùtalgré la forte natalité,la population tonrlxr au chifïre d'ertviron
deux millions d'habitants. I,€s villes, spécialenrcnt, furent
atteintes par le fléau de Ia dépopulation : Anvers se vicla;
Ypres, Bruges, Gand devinrertt de chétirres agg-lomérations.
ISruxelles, au eontraire, favorisée par divers factettrs, proslréra
ct atteignit le chiffre de septante mille habitants.
La guerrc av:lit ranrené r\ l'état sauvaÉle nos cànrpagncs
autrefois si opulentes. Incertains du lendemain, les paysalrs nc
ctrltivaient, plus Ie sol que dans la rnesurc néeessairc à leur sub-
sistance. f,es terres- restaient etr I'richc. I)a,ns Ies irttervalles
entre les guerres il y etrt nécessairernent des péricdes de relè-
t'eruent. Pendant lzr trêve de f)ouzc Ans, les Architlucs lirent
creuser des catraux (surtout en Iflatrdre occidentale), réparer
<Ies routes, renfbreer des cligucs ct asséchet des rnaréeages (1).

(1) Vers 1630, I'infanh fsabellc fit'entleprendre la constmctiotr d.'un carral


tL'Anvers vers la lleuse et le Rhûr. Ce projet, troll inlporta,nt' poul l'époque'
avorta mais il tut repris en L808 (canal du Nortl). Son exécution est aujour-
cl'hui garantie par qne stipulation clrr traitdr tle Vtrrsaillcs et lra,r tlcs ttégo'
ciations directes avcc la ÈIollattde.
l]80 -
Mais ces accalrnies furent trop courtes pour pouvoir donnor dec
résultats durables.
La guerre de Quatre-Vingts'Ans avait porté à notre conurrerce
un coup mortel. D'un côté, Ies Espagnols avaient interdit tout
trafic avec les provinces rebelles; de I'autre,les escadres hollan-
daises avaient bloqué nos eôtes. La réconciliation entre I'Es-
pàgne et les Pruvinces-IJnies, en 1648, se flt att prix de la ferme-
ture de I'Escaut. Alors Anvers, oir I'on avait vu, après le
-
siège de 1585,les gens de qualité mendier et les pauvres disputer
zr,ux chiens les épluchures, - - tomba en ruines. Les maisons
perdirent les neuf dixièmes de leur valeur et la Bourse, devenue
sans utilité, fut transtbrmée en bibliothèque.
Dans la deuxième moitié du xvue siècle..les Hollandais veil-
lèrent à nous maintenir sous une dure tutelle économique.
Par leurs tarifs prohibitifs et leurs rt réquisitions ), ils para-
lysèrent notre industrie et I'exportation de nos produits,
notarnment en 1680 et en 1715. Tout concourait à I'anéantisse-
rnent de notre commeree extérieur : le Saint-Empire était ruiné
par la guerre de Trente Ans; Ia Franee s'entourait d'une barrière
protectriee sous I'inspiration de Colbert.
fl nous restait le tra{ic avec I'Espagne. Philippe IV le favorisa
en fondant à Séville, en 1624, une société commerciale belge :
l'Almirantazgo. Mais les communicati<lns restèrent difficiles. Le
comrnerce par voie de terre était entravé par des tonlieux; sur
rner, les convois partis d'Ostende ou de L)unkerque étaient
exposés à I'attaque des corsaires'hollandais et français.
Toujortrs guidés par 'leur sotte politique de défiance, les
Espagnols interdisaient à nos aieux le commerce aux Indes
occidentales alors qu'ils avaient dû le tolérer pour les Hollan-
dais. Ils se résignèrent enfin à autoriser I'expédition de nos firar-
chandises vers l'Amérique, mais ce en sècret et moyennant
le paiement par nos commerçsnts 'd'une sorte d'amende
préalable.
L'industrie souf{rit autant que le conunerce des troubles de
l'époque. Conformérnent aux capitulations imposées par Far-
nèse aux grandes villes du Sud, les protestants étaient partis
pour l'étranger. Des milliers d'oulriers drapiers, attirrs paf les
privilèges que leur conférait Elisabeth, émigrèrent vers I'Angle-
terre. Ce pays se mit alors à confectionner les étofres fiues et à
Ies teindre en couleurs éclatantes.
' :Jit I

L'absence générâle de sécuiité, I'appauvrissement des classes


supérieures, furent aussi des causes de déedence. I)ans les
villes, les vieilles et petites industries corporatives sott{ïràient
du particularisme local et de I'esprit de routine. Cependant les
nouvelles industries rurales, protégées pal le gouvelnement,
furent &ssez 'prospères. La draperie lé$ère, approvisionnée
par des laines envoyées de Rouen, s'é1-ranottit à T,ille. Roubaix
et Tourcoing se développèrent grâce à leur.s tissages de toiles.
Dans le Hainaut s'ébauchèrent des entreprises extractives et
nrétallurgiques pourvues d'un outillage cneore rudim'entaire (I).
Le pays de Liége, moins troublé que le reste cles Pays-Bas, eut
un développement industriel brillant. Non seulernent les n mar-
teaux à fer > du pays de Franchimont se multiplièrent, mais
. Verviers devint un centre drapier iniportant, prodrrisant
annuellemenf quarante-sept rnille pièees <le tissu.
Durant les années qui s'écoulèrent de i697 à 1700, entre les
guerres de la Ligue d'Augsbourg et de la Succession d'Espagne,
il y eut aux Pays-Bas un curieux effort de relèvement
économique. Notre gouverneur général, l'électeur clo Bavière
Maximilien-Emmanpel, avait choisi comme surintendant ct
trésorier général des finances le comte Jean de Broucboven
de Ber$eyck. chef d'un petit parti national réfonniste grou-
pant l'élitê intellectuelle de la société. Ilergeyck avait des vues
étentlues que l'électeur, très imaginatif, arnplifiait eneore.
Iln 1698, il créa à Ostende une ( Compagnie royale des Pa,ys-
Ras, négociant aux places et lieux libres des Indes orientales
et de la Guihée r. L'année suivante il obtenait une concession
à Saint-Domingue pour y fbnder trne colonie belge. IJn même
temps il améIiorait les voies de comrnunications intérieures et
forrnait le projet d'unir par un canal la Meuse et Ia mer du Nord,
en passant par la vallée de la Sambre, Nivelles, Bruxelles, les
vallées de la. Senne, de la Dvle, du Rupel, de l'Escaut, Gand,
Bruges et Ostende (2). S'inspirant du Colbertisrne, Bergeyck
avait élaboré ,,n prbgramme protectionniste de relèvement cte
I'industrie nationale.
Hélas, ces vastes projets eurent, le sort d'une fzrntasnra.gorie.

(1) Ires prernières machinee d'exh&ure, utilisées pour pomper l'eau dos
uriDes,lurent mises en actlon yere Ie milieu du xvuu sièclc.
Ql Le eana,l d.e Oand à Ostende avait été creusé de 1613 à 1666.
-- 332
-
-l,'élcclerrr avait txrp <le zt\le ù 1r", ttssez rle sérietrx r; 'les
<
rnétiers lrnrxellois, conservateurs et liarticrrlaristes, firent échec
arr ministre novatetrr et ineompris (25 mai 1699); I'Espagne,
trcuscrrlée rlans'son inertie, vit avec'joie disparaître Bergeyck;
enfin, I'Angleferre et les Provinces-Ilnies firent tomber la jcune
cornpagnie des Indes et dénoncèrent eomrne ttn c(ts?rs lrelJi tout
essai d'aehèr'emerttt cltt eanal vers la nter !

.'***
Dcux grands phénornènes sociaux caraetérisèrent I'histoire
tles Pays-Bas art xvrre siècle :
10 La catholicisation de la société;
20 L'abaissement du niveau social par suite des malheurs
du temps.
Les victôires d'Algxandre Fartrirse et le clépart génértrl des
lxotestants à la lin rlu xvre sièele avaient totalement transfornté
la société belge. A I'avètrernent des Archiducs, elle ne compre-
nait plus que des catholiques. A partir de ce moment les
placards eontre Ies hérétiques tombèrent done en désuétude.
Certes, il y eut toujottrs dans nos contrées, surtout après la
paix avec les Provinees-tlnies, - comrntlnautés
de minusculcs
pr<ltestantes, tolérées parce quc-ne eausant ( atlcun scandale r.
l\{ais en fait la pratique du catholieisme romain rtevint la con-
rlition primordiale de tortte existenee tolératrle. A la rnère qui
rre se fut pas engagée à faire baptiser son enfant la sage-femnle
devait refuser tout secours; all patrvre dont I'enfant négligeait
cle fréquenter le cours cle catéchisme le clergé interdisait les
secours de bienfaisance. Nulle fbnction publique n'était acces-
sible à celui qui ne suivait pas régulièrement les offices. Tel
r;ui repoussait le sacrement de I'extrême-onction se voyait
refuser une sépulture convenable.
Vint le règne des Archiducs sotrs leqtrel I'Eglise, toujours si
frrrte <lans nos provinces, atteignit une puissance incompa-
rable. Véritables < apôtres de la tr'oi r, Albert et Isabelle veil-
lèrcnt ù ee qrte les tléfinitions dogmatiques et les réformes
disciplinaires du concile de Trente (r545-r563) fussent stric-
tement observées. La bas clergé avait souverlt fait, preuvc
d'ignorance, de grossièreté, rle mæurs blânrables. Désorntais,
jji-l:J
-. -
élevés sévèrernent clans rles séruinait'es rénovés,
nner: les rneillertrs 'excmples :\ Ieurs otrailles' Ils
t la sout'ane noirc, se rasèretrt le visage, s'im1ro-
sèrent une trontenartee gravo et résert'éc' Le haut clergé
f.ut recnrté avcc soin partni les prêtres les plus intelligents'
Il fut intertlit aux fidèles cle se téunir rlans les églises pour y
câuser rle plaisirs ou d'a{Taires, d'y amener des chiens'
<1'y

laisser jouer des. enfants, comme il étnit autrefois


d'usagc etl
rlehors des heures d'offrces. Dès lors, la pratique cle la religion
per<lit le caractère naif et f'amilier qu'elle avait eu au moyen
âg". Le culte devint grave, rigide, d'une majesté impres-
sionnattte
Formé lui-même par les jéstrites, I'archiduc Albert laissa la
cornpa$nie de Jésus devenir très influente dans les Pays-
aussi'
Bas. Quantité d'autres ordres ré$uliers s'y épanouirent
enrichis par de multiples donations. Récollets' earmes déchaus-
sés, minimes'de saint-François <le Paule, carmélites' annon-
eiades, brigittines, ursulines, ordres prêcheurs' enseignants''
eontemplatifs, voués à la bienfaisance, se disputèrent les faveurs
des souverains et d.u public. Les entrées dans les ordres attei-
gnirent un poufcentage considérable dans les familles. Lorsque
fécril'ain ascétique Van Ballaer, carme chaussé' donna sa
première messe, il fut assisté par ses six frères : trois curés et
irois franciscains; ce même jour,'son septième frère devint
carme ! cette extension des ordres réguliers fut telle qu'elle
finit par alarmer le Roi catholi-que lui-même ! INn 1632, Phi-
lippe IV écrivait au cardinal-infant, en parlant des couvents :
< Ils s'estouffent et meurent eomme les arbres dans un
jardin
oir il y en a trop. D Les progrès de Ia mainmorte ecclésiastique
avaient inquieté le fisc !
La place me fait défaut pour décrire toutes les manil'estations
clu eatholicisme triomphant,. Tantôt les Archiducs descendent
de carrosse et snagenouillent au passage du saint sacrement'
tantôt ils se rend"ent solennellement en pèlerinage à Laeken,
Hal ou Montai$u. L'archiduc Albert participe aux proees-
sions, l'épaule ployée sous le faix d'une châsse; il s'impose
I'humble tâche de laver les pieds de douze pauvres vieillards
le Jeudi saint; il fait placer I'image de la < vierge séraphique
>

sur toutes ses bânnières. A I'exemple tle leurs sOuVerains, la


Cour, les bourgeois et le peuple rnultiplient les jeûnes' les
- - 3S4' ---

retraites, se pressent aux sermons et s'égrènent au


calvaires.
Après la mort d'Albert, la foi s'exaeerba. Isabelle e
six heures par jour aux pratiques de dévotion. Elle était < la
plus religieuse du monde... comme si elle eusi esté tousjours en
ung cloître de sainte Claire >.
C'est à cette époque que le capucin italien De Casali fit
.devant Ia cour un sermon. frénétique, se frappant les épaules
à coups de discipline et s'enfonçant sur la tête une couronne
d'épines. cet exernple fut suivi, dans des processions publiques,
par de jeunes nobles encapuchonnés et des soldats espagncils
et italiens. Ces scènes rle nrysticisrne malsain scandalisèrent
nos aïeux, toujours pétris cle bon sens et de me,sure
cette périod.e de dévotion fut assombrie par une atroce
persécution des sorciers. En ces ternps d'ignoranee deb faits
psychiques, tout dément, hystérique, hallueiné otr sinrple névro-
pathe était considéré colnme < obséclé D ou ( nralé{ïcié r. Et ce
n'était pas $eulernent le peuple qui eroyait aux rapports entre
les hommes et le démon. Les esprits res plus éclairés étaient
hantés par les hideux récits de magie, d'envoûtements, de
sabbats, que decrivait, avee un sang-froid impertuibable, le
docte père jésuite Del Rio dans son ouvrage Iatin : <r contro-
verses et recherehes rnagiques') (r5g3). conformément aux
règles prescrites par ce livre qui connut d'innombrables édi-
tions, les rnagistrats torturèrent des rnilriers de malheureux,
leur arrachant les aveux les plus effarants, puis les eondamnant
impitol'ablement au dernier supplice. Des f'emmes, des fïllettes,
des oetogénaires furent brûlés vifs et lorr vit I'archiduc Albert,
homme de bien pourtant, refuser, la conscienee en repos, Ie
pardon à de petits enfants voués au bûcher.
La décadenee de la société, amenée par les malheurs des
temps; se fit le moins sentir dans la nobresse. sous les Archi-
ducs, la vie de cour eut un aspect digne, gra\:e, vraiment royal.
conformément à I'étiquette espagnore, Albert et rsabelle
r dînaient seuls, sous un dais sornptueux, servis par un personnel
nombreux, multipliant les génuflexions et autres marques de
respecù. Les Archiducs donnaient I'exemple des bonnes mæurs.
La noblesse aecorrlpagnait ses souverains dans leurs viltégia-
tures à Tèrvueren, Binche ou Mariemont. Elle brillait dans les
chasses à eourre, les earrousels, les fêtes à caractère mvtho-
-- 885
-
ique qu'Isabelle se plaisait à organiser. Souvent ces réjouis-
,aa, ," donnaient en I'honneur de princes étrangers' car'
âu
xvue sièple, la Cour des Pays-Bas fut llne ( auberge des prinCes
en exil (I ) o.
Les tableaux du xvrre siècle nous montrent que Ia haute
société du temps partagea ses goûts entre les rnodes espagnoles
et françaises. Parmi les seigneurs, les uns portent la coiffure
rejetée en atrière et la màushehe en pointes, comme Phi-
lippe IV, les autres la longùe chevelure bouclée et la minuscule
bàtni"n", dite < royale )' comme I-'ûis XIII' TIn général' il est
de bon ton d'avoir I'air (( eavalier r, air qui s'acquiert en
portant
degrandschapeauxclef.eutreàplumes,delargescolsrabattus
en tentelle, des capes (pèlerines) foncécs, des sotrbrevestes
flottanteslaissantapparaîtreunlingeirnmaculé,d'amples
culottes (ftodder broeken) et des bottes évasées' garnies d'orne- rl.:
ments enrubannés nommés canons.
, Les grandes clames restenll longternps frdèles aux vertugadins'
âux corsages pa,ssementés à manches bouffantes' a-ux. Iygel t'
eolsren éventail dressés sur une armature rigide. Elles
imitent
la coiffured'Anne d'Autriche : la garcette, qui rarnène les che-
veûx en frisettes sur le front ct encaclre les joues d'ondulations
bouffantes. Les bourgeoises se tirent les cheveux à la
mode
petite calotte posée sur
hollandaise et les enserrent dans une
\'arrière d,e la tête.
Ia haute
' Déduig.rant les gouverneurs généraux intérimaires,
pouvoir royal y
noblesse ne fréquente kl Cour que lorsque le
est représenté par un prince du sang. A la fin du siècle l'électeur
do Bavière, Maximilien-Emmanuel, voulut, comme tous les
'princes du Saint-Empire, imiter le Roi'soleil' Il y ettt à Bru-
ballets,
xelles conrme à versailles des opéras, des comédies, des
.,des mascarades, bref, une vie de plaisirs et de frivolités. Les
seigneurs se.rasèrent le visage, se coiffèrent de gigant":qy":
:peiruques bouclées, portèrent d.e grand's tricornes' renrplacèrent
;i* col-pr" la cravate en dentelle, la soubreveste par I'habit à
basquesetlelonggiletbrodé.Desbasdesoie'dessouliersà
hauis talons et dÀ næuds de ruba's sur les épaules achevèrent
de donner aux élégants un aspeet de petits'rnaîtres'
cor-
Les dames copierent les jupes à bouffes superposées' les

(1)L,expreseionostdel'hlstoriencorrtemporairr(joss&rt.
.* 336
-
sages à manehes courtes et à taille de guêpe des favorites
Louis XIV, ntais les unes préférèrent les eoiffures à lon
boucles et les décolletages ronds chers à Madanre de Moptespan,
les atttres choisirent le
décxrlletage en ea,rré de
I\ladnme de Mainterron
ainsi rlttr: sa coiffnre célè-
lrre : la ftlntange, srirtc
d'aigletlr: corrrl-loséc <lcr
ttrrttrls ct cle ltt-ruclels su-
lrerposés, r'érrrris llal rrrr Iil
r['urr:hal.
Lt ltirtrtc rrolllesst, rlrr
xvn u sièr:le ilva it ('n -
r.olt' lrlillante allrrtt'l lcs
r, gnr rrrls-]Irilîtlt,s r, étuit'nl

restris rlt' r'ér'it,altles r.ht'lis


rlc rlittrs errtorrrés rlc Iirlc.
It'ri. (-l'<,st ir ilrsi r1 ur' ('lrurles
tlr' ('rrrr'. <lrrr. <l',\cr'-
st'lrot. r.rrtlr'Ir'rririi r.r'rtt
cirrr;rrirrr tr' - sr'pl gcrr t ils-
lrorrr nrt,s rlarrs sorr r:lrâtt'rt tt
tlr' llr.rulnr()nl. Il st. r<rrrsi-
A\, I }I ILIEN.I') N'Iù,IAN
}.I I.-iI' I, rltlrlliL (.ollln(' t.orrsirr rltr
DI' BAVlÈRT.]
Gouverneur génér'al des Pays-Ras. roi. (lettt' rrolrlessc rr'irrl-
Ittt'l luit l)ils (lr.rc lcs lois
((irar-ttle tle Le l'orrtr'u. ('alrjrrrrt rlcs
esl nnrpe s. Bltrxcllos. ) <le llr ,irrsticc olrlilruir.c
(ir.,rÉt'err-.i, va,illarrt, lrit'rr irrtttrtiorrrri', lrri Iirsst'lrt ir lrplirlrrét's ;
trrais frir-olc, l'élccl,e rtr tlc lJar.ièr'c irr<.ar.tr;r r'llc fiti-*ait rrrsst'r' l)iu. s(.ii
lc t,1-pe rles pliuccs nrorrdnirrs et srrpcr'- vulets s('s r.réaneicrs et,
Iiclels rlc la, firr (lu xvl.c sièck', vra-is
jouets a,ux muirrs de Guilltrrrtrrc i I I rru tlc Its solrlats rlrr guct. I,llkr
I,ouis Xf \7. Irlarc:é ir, la tôlc dcs -l)ays-IJ,.ts
à l'éporltre <lc leur, lrlrrs pr,ofond alraissc- .joutril (.lleo!'(. un r.r)lc t's-
rnettt, lJaximilien- l4rrrrrra,nrrr:l fit, <:c rrrr'il
prrL Jrorrr lcs tli'ferrtlre, LJe frrt suus |i(,lr tirrrabk^ ri lir grrcrre et scs
impulsion rlue fut recoustruite, a,plès le caclets se clistirrguaient
bornbarrlclnent, cle 1605, la mer.r.cillerrsc
(ïrand.'l'}lace cle Bluxelles. rlaris les eor'Iis des Garcles
\\rallonnes du roi d'I.ls-
pagne. A la bataille rl'Alrnanza, cll |TOZ,on vit Ie baron <l'Huart
et dix frères, tous Gardes, cléfendle, l'épée arr poing, la
ses caus<.
rle Philippe V; huit de ees braves périrent dans la mêltie.

adftÀ
* :JB-,j _

Cepenclant Ia noblesse lrelge cltr xvrre sièele souffrait diun mal


profond. Tout en lui conférant cles pensions et mercèdes, les
rois d'Espagne la reléguaient de plrrs en plus à I'anière-plan, ne
lui conflaient plus ni les rôles d'ambassadeurs, ni ceux de gou-
verneurs dç provinces. Sa voix au sein cles Etats provinciaux
s'était aft'aiblic. Fmissée rle se voir supplantée par des Espa-
gnols, des Italiens, des Lorrains ou des Allemands, elle se retira
t\ la campagne et usiù son énergie <lans de petites querelles :

conflits de préséance, drrels IXmr qtrestions d'étitluette, manæu-


vres de coteries.
La bour$eoisie des villes rnenait trne existence déprimée
et apathique. Beaucoup de savants, cf intellectuels, de riehes
marcltands étaient partis après ler chute d'Anvers. Cette élite
protestante n'avait pu être rernplacée. Puis étaient venus les
malheurs de guerres sans fin. f,a nation était écrasée d'impôts.
Rien que pendant la pério<le cle 1689 r\ 1695, nos provinces
avaient perdu, en contributions, exactions, représailles, loge-
ments de troupes, plus de eent trc'nte-neuf millions cle florins I
Plusieurs hivers rigoureux, de longues disettes avaient pro-
voqué un renchérissement considérable des subsistances. La
misère était générale. Fln 1619 déjà, les Arehiducs avaient dû
eréer aux Pays-Elas des rnorrts-de-piété, prêttrnt sur gagcs au
denier seize (6 111 Tù, pour réagir contre les pratiques usuraires
tles Lombards qui exigeaient jusqu'à 2'à uÂ.
N'osant plus s'aventurer dans les eampagnes, étouffant der-
rière des ceintures de remparts bastionnés, les populations
urbaines vivaient comlne engourdies. Les classes supérieures
manqrtaient, de distractions intellectuelles; elles ne jouaient
plus cle rôle politique; . elles cherchaient r) se distraire tle
Ieurs soueis par le jeu, les excès de table et les cancans
du jour.
* Le petit peuple avait gardé le goût des fêtes populaires. Mais
en dehors de quelques illuminations et de llérection d'arcs de
triomphe allégoriques à I'oecasion de I'une ou I'autre paix
ruineuse, il n'avait plus guère sujet de s'émerveiller. Les réjouis-
sanees publiques corhtaient trop cher. Certes, Ies vieux usages
s'étaient maintenus tant bien que nral. A Namur, les < Nlelans ,r
et les < Avresses ,r, juchés sur des éehasses, se livraient encore
de vigoureux combats au son du lifre et clu tambour. f)ans
I'ensemble la vie était devenue fort triste.
-_B3E-_
En somme, les gens de métier ne çortaienf, de leur état de
prostratiolt que lorsque le pouvoir faisait, mine de torreher à
leurs derniers privilèges. Pour des questions secondaires, il y
eut des troubles à Bruxelles (1619), Anvers (1659), Louvain
(1684). De 1698 à 1700, la capitale-fut le théâtre de fréquentes
émeutes. L'effondrement aceidentel d'une. tour contenant de
vieux clocuments avait permis aux Nations bruxelloises d'avoir
sous lcs yeux le Grancl Privilège de Marie de Bourgogne et lcurs
trutres franchises du xve siècle. f{llcs vouLurent les remettre en
usage et les firent réimprimer sous le nom de Luqster ztan Bra-
bant (7). Pour vaincre les résistances du gouverneur général
1\{aiimilien-Emmanuel, elles refusèrent de payer I'impôt muni-
cipal du < gigot (2) r sur chaqtte brassin de bière. Aprè,s s'être
nrontré longtemps patient, l'électeur ciut user de violerrce et
imposa aux métiets une loi assez dtue : le Règlement additionnel
de l?00.
Les guerres du xvrre siècle éprouvèrent tout particulièrement
la classe rurale. Les < pa.*sades et repassadcs > incessantes
de troupes commençaient au début de chaque printemps. Le
soldat, ennemi comme ami, vivait aux dépens de I'habitant et
réquisitionnait sans trêve bestiaux, grains" fourrages, vêtements
ou rneubles. Le paysan n'avait quelque répit qu'à Ia fin de I'au-
tomne, lorsque chaque atlversaire rentrait dans ses eantonne-
rncnts d'hiver. Cette situation intolérable se représentait dix,
vingt ans de suite, parfois aggravée par des famines, des épi-
zooties, des épidémies dc peste.
. Sous Iq coup de pareilles épreuves, les campagrles étaient
retournées à la barbarie. Les mendiants pullulaient sur les
'de
routes; le plat-pays était infesté dq bandes brigands sur'-
nommés < nègres ) ou ( noircis r. Il fbllut placer des veilleurs
dans les elochers, organiser cles patrouilles de pâysans, abattre
les bois-taillis le long des chaussées et pendre les malandrins paa
grappes aux arbres des ehemins. Accablée de matrx, la popu-
lation rurale perdit presque tout sens moral. Elle se consola
de ses souffrances dans des kermesses qui duraient de sept à
dix jours et qui n'étaient qu'une suite ckr beuveries, de iixes,

(1) L'ornement du Brabaut.


(2) Minuscule pièce tle monnaieT valant urr dpmi'liald.
* 339 --
de jeux grossiers et licencieux. Comme le tlisait le vieux Breu-
ghel :

< Din boerm aerblijen hu,n in sulken feesten,


7'e dmtsen, springhen en rJronchen drincken als beesten.
Sij moeten die lrcrmisse,n. onderhouzeen
AI souwen sij zsasten en sternen aan leamt:m (l). n

Le clergé et les autorités s'ellbrcèrent en 'rr"ir, â'ir,terdire les


< banquets> .de lïnérailles et les repas de noces de < plus de
quarante-huit heures r!
Cette population rurale, ainsi que Ie petit peuple des villes,
était retombée en un état tl'ignorance absolue. Elle acceptait
sans contrôle les superstitions les plus grossières ; les enf'ants
nés le Vendredi-Saint étaient sorciers, le tilet jeté en mer ce.
mêrhe jour devait ramener des crânes. La flancée qui redou-
tait de perdre I'affection de son futur épottx conjurait le sort
en se plaçant du pain d'épice sous les aisselles, ou bien elle
cherchait à faire boire à son ami un philtre oir des rognures
d'ongles trempaient dans du lait. La jeune épouse ne doutait
pas qu'une prière des récollets de Gand (les < minnebroeders >>)

favoriserait une prochaine maternité


Ne raillons pâs cette population si éprour'ée. Plongée pâr ses
rnalheurs dans un état de léthargie, elle sut conserver ses qua-
lités des temps glorieux. Sa vieille réputation de bravoure
rnilitaire f'ut soutenue par ses nobles, ses volontaires, ses cor-
saires, ses partisans, tel ce populaire Jacques Pasteur qui,
sous Ie nom de < Jacco r, édifiait, au début du xvnre siècle, des
fortins dans la forêt de Soignes et harcelait, aux portes de Bru-
xelles, les Français de Villeroi (2). Les Louvanistes en 1685,
les Bruxellois et les Namurois en 1695, traversèrent les, pltrs
crrrrelles épreuves avec une belle vaillance. Leur loyalisme cor-
respondait pleinement au sentirnent que nous nommons aujour-
d'hui pa_triotisrne et,,comnle tel, ce patriotisme imprégnait
toutes les classes de la société. Cent cinquante ans de misères
ne purent décourager la patience, la résignation stoïque des

(1) r Les paysans s'égaudissent dans <te telles fêtes, A dùneer, sauter et
e'enivrer commo des bêtes. Ils doivent maiutenir les kermesses, Quancl bien
même ils d.evraient jetner et mourir de froid. ,
(2) . Jacco , devint plur tard. général au service de l'Autriche.
iJ40
- -
Belges.'I\lrjotrrs ils cortsen'aietrt Ia foi dans rlcs temps meillertrs
r:t, en les attendant, ils raillaiertt lettrs nraÎtres du ttrotnent par
des pamphlets, rles pasquilles circttlant'sotts le mantéatt. C'est
de l'époque rle f,ouis ,\IV que clate la narqttoise chauson fla-
nian<le de u Pierlala r, aux interminables couplets faisa,nt
allusion ii totts les événements pottt'caux. Dès <p'il se produisait
une acealmie, uos labottrettrs, nos marchands se remettaient
eour:àgeusement au travail, I)l'otr\rant que les rt:vers n'avaient
pas énervé lettr capacité productrice. Enfin. quoi cltt'il arrivât,
nos aïeux restèrent fiers. Il y a miettx qtte de la vanité froissée
rlans le refus des Ehrts provineiattx de reconnaître comnle gou-
verneur général définitif tttt connétable de Castille, parce qu'il.
n'est pas prinee clu sang (milieu drt -xvrre siècle). Même aux
jours les.pltts noirs, le Conseil cl'IJtat tient tête à la Conf'érenee
anglo-hollandaise (f 7ll-17f 2). Alors qtte I'arnrée espagnole aux
Pays'Ras n'existe plus qu'à l'état de fântôme, le feld-maréchal
eornte de Mérode-Westerloo en thit âprement respecter les
vieilles prérogatives parce qtt'elle est l'< armée du roi r. En I709,
il,u cours d'une tevue, il lui f'ait garder < la clroite et les honrieurs
sur plus de IOO,0OO honrnres >, Anglo-I{ollandais et Impériaux.
Ce souci cle la dignitdr sauva nos pères de I'eflbndrement nrtlral.

**r,

Celui qtri veut juger é(uitablement dc I'inrportanee rles


des lettres et des arts au lvrre siècle en Relgiqtte ne
sciclr<-.es,
doit jamais perrlre de vtte I'infltrence exercée à cette époque par
I'Eglise sur toutes les expressions de la pensée hurnaine. Le
clergé veillait à ce que toute manifestation spirituelle restât
orthodoxe. L'ordonnance cle 1616 avait soumis la ptrblication
des imprimés à Ia censure ecclésiastique et interdit I'otrveÊ
ture d'un atelier d'imprirnerie u s&ns advis de l'évêr1ue et de
ceux <lu Magisttat r. Des rt visiteurs à ce commis r'faisaient
chez les inrprimeurs et libraires des inspections continuelles.
Les édits cle. l57O et 1587 avaient rentlu plus rigoureuses
torrtes les prescriptions antérieures plaçant I'enseignement
prirnaire sous le contrôle des écolâtres.'fhéoriquement obli-
gatoire, cet enseignetnent était resté des plus médioeres. Les
rnaîtres ct maîtresses rl'écolt'étaient rnal rétribués. tnal recrutés
-- :|{l - -
ct tr:ès ignotalrts. A grarncl rcnftrrt dtr clrâtinrents corlrorels, ils
appreuaient aux enfants I'alphabet, Ies prières et leur impo-
saient nne série d'interdictions t\ caractère reliqiettx et moral.
I)ans lcur bonne volonté étroite, ils allaient jusqtt'li défendre
la natatinn ( colnlne étant chose ilrtlécentel ct clangeretlse )'
\'Iierrx firvorisécs, les elasst's trlovennes et srtllérieures llttrent
fréquenter les collè$es d'au$ustins et de jésuites. l,es dis-
ciples {'fgnace de Loyola avaient ler,it tngdesternent lettr appa-
rition aux Pir.vs-lJas ert 15l.t. I)'aborcl accueillis trt'eie d(:fiânce,
puis perséeutés par les Grteux, ils avaient jorri de tortte la I'erveur
des .\rchiducs. Letlr:s établisselnents scxllaires colrnurent bientôt
une \rogtte imtnense. Situant lcttr enseignenlcnt Parfaitemernt
orthocloxe tlans rtn décor antique, ils donnniernt tous leurs soins
.aux études èlassiques. Le latirr, le grcc, la gramntait'e, l'élo-
quence étaient, ainsi que les nrathénratiqtres, enseign('s datls la
perl'ection. r,es pères ve iIlffiëfitfitr?â qir e' li:tr rt'ël èr.es devin ssen t
des homrnes du monde, lerlr f'aisant apprendfe les exereiees
physiques, la <lanse, la musirlue et les belles manières. Après
leur sortie du collège, les élèves continuaient, dans toutes les
circonstances importantes de I'existence, à prenflre conseil de
letrs aneiens maîtres. De cette rnanière, les jésuites jouèrent
rlans la haute soeiété rtn rôle dc coulisse inrportant. Ils Ia
t'açonnèrent à leur cont'enance et lui conrmrtniquèrent lertrs
conceptiolts religieuses et Inorales.
Quant à I'enseignement supérieur, rlonné cluns les uni-
versiTés de Louvain et rle Douai (cette dernièr:e eréée.par llhi-
lippe II en 1562), ni la révolution du xvre siècle, ni le rajeunis-
sernent du catholicisn're n'avaienb pu en mtldifier le caractère
scolastique. L'exode des protestants avait privé Louvain de
lrlusieurs de ses meilleurs professertrs, et ce au profit fle la
nouvelle Université de l-eiden. La célèbre < visite l olr inspec-
tion rle 1607-161?, opérée par rles commissàires dtt Pape et cles
Architlttcs, rendit cependant ti I'Université rle Lotrvain lllle
tlisr:ipline meilleure et un regain d'éclat.
Vu da[s sorr ensemble, le mouvement scientifique du
xvrle siècle ne f'ut pas moins considérable que celtri <iu sièclcr
1lrécéclent. I!'tais il ne s'épanouit que tlans des voies rigourettse-
rrrent orthodoxes. Quantité <le jésuites, réeollets, prQtres sécu-
liets, ptinétrant -- en casui-qtes avertis les slbtilités de la
-
rc Somnte rle théologic , rle saint Thomas r1'Aquitr (xtrre siècle)
. :t4,!

et s'exprimant avec I'aisanee des rhétettrs de I'ancienne Grècg,


devinrent d'excellents scolàstiquesn des théologiens de harrtc
valeur.
Ils eurent bientôt un rude cornbat. à mener. IJn professeur
de philosophie. à I'Université de Louvain, Michel Du Bay
(tsaius), né aux environs d'Ath (t5f B-f 5gg), avait fait une étude
approfondie des æuvres de saint Augustin (l). Sa.dbctrine, le
a baianisme ,), se transnrit, pirr I'intermédiaire de solr élève ,

Jansonius, d'Amsterdam, à l'évêque d'Ypres Cornè[us Jansen


dit Jansenius (né à Leerdam en tlollande en 1585, mort à
Ypres en 1638). ce dernier consacra, son existerrce à la conf'ection
d'un livre,l'Augustinusrqui parut seulement en 1640. L,Augus-
tinus prétendait reproduirç Ies idées rle l'évêque d,'Hippone sur
Ie dognre de la prédestination. Selon Jansenius, I'homme -
ne possédait pas Ie libre arbitre;.la faute originelle avait con-
damné en bloc I'humanité péeheresse. ( Dieu fait gtâce à qui
Iui plait r (à ses élus), affirmait Jansenius. Cette doctrine
ri$oriste, bientôt dénomrnée jansénisme, séduisit beaucoup
de membres du moyen clergé, Ia magistrature, la bourgeoisie
modérée, les francophiles et les hollandophiles.
Comme le jansénisme se rapprochait du clogme calviniste,
il fut immédiatement combattu par le gouvernement, le haut
clergé et les ordres religieux. Les jésuites lui opposèrent Ie
rnolinisme ou d.octrine du père espagnol Molina (xvre s.),
glorifiant Ie libre arbitre, Ia possibilité pour chaque homme
de mériter son salut pâr sa piété et ses æuvres. IIn l6FB, Ie pape
fnnoeent X condamna cinq propositions de I'Augustinzs. Plus
tard Louis XIV persécuta les jansénistes fïançais. L'appui que
les Provinces-IJnies, devenues toutes-puissantes chez nous,
offraient âux rigoristes en attira beaucoup et d'illustres
dans nos provinces. Les Pays-Bas devinrent-Ia tt place d.,armes -
du jansénisme ,'. Cette querelle politico-religieuse, caractérisée
par d'âpres joutes oratoires, se termina par la victoire des < théo-
ries relâchées r. La bulle Unigenitus du pape Clément Xf,
en 1713, écrasa les rigoristes. La pratique du jansénisme est
actuellement circonscrite à quelques groupements en Hollande
(les O u d- K atholielten ou Vieux- Ca tholiques).

(1) Evêque d'Hippone, en Afrique. Le plus oéIèbro des Pèroc cle I'Dgllle
latine (354-430). Auteur de La CiU ilp Diat et d,es Qonfeesinrû.
-_ 843 ---

Entre temps; l'érudition ecclésiastique trouvait un exutoire


dans Ies patients travaux des ha$io$raphes (f)' Le jesuite
Héribert Rosweyde avait commencé en latin un recueil de bio-
graphies des saints ,les acta sanctorum (2). un de ses collègues,
luâtt de Bolland (f 596-f 665) reprit son æuvre. Sa tâche étant
écrasante, il prit pour collatiorateur le père Henschen, spécia-
liste qui fit du simplc martyrologe initial un recueil érudit
d'une inlportance scientifique considérable. Lancés dans une
entreprise colossale, les bollandistes prirent pour centre
Anveis et envoyèrent des savants en Allemagne'. en ltalie'
partout. A leur tête se trouvait le jésuite Daniel van Papen-
Lroeck (ou Papebroch, 1628-l?14) qui consacra' aux Acta
cinquantc-cinq années de laheur ittcessant. Aujourd'hui encot'e'
les bollandistes continuent avec ténacité leur æuvre docte et
interminabte (il).
L'humanisme' sceptique par essence, n'avait pu survivre au
réveil du catholicisme militant. f,e dernier humaniste fut Juste
Lipse (overyssche en Brabant, 154?-1606). cet érudit enseigna
l,histoire ancienne, la science ôes antiqpités romaines et la
philologie à I'Université de Louvain. Il consentit à profêsser
à Leiden en 15?8, fut choyé par les protestants et devint rectelrr
de la nouvelle université hollandaise. Mais, dans ses dernières
années, les croyances de sa jeunesse le reconquirent. charmés
de ce revirement, les catholiques lui frrent fête et les Archiducs
vinrent publiquement assister à une de ses leçons. Juste Lipse
fut du nombre de ces savants qui insérèrent ingénieusement la
phitosophie antique dans le christianisme, confondirent le
stoicisme avee I'ascétisme et firent de la subtile sagesse de Platori
une vertu que le fidèle pouvait acquérir par la prière'
Le xvne siècle fut favorable aux études juridiques. L'Edit
perpétuel de 16lr fut une æuvre remarquâble, uniformisant
ies àout,tmes municipales en matière de contrats civils, de tes-
tarnents, etc. Au milieu du sièele, lesltravaux d'Antoine
anselmo et de Pierre stockmans firent autorité. Bon
patriote, I'Anvefsois stockmans, membre clu conseil privé,
combattit avec habileté les prétentions que Louis xIV avait
(1) Du grec hq,gtos.' sa,cré; graphflin.' éorlro'
(2) Âctes des seinte.
(3) Ce fut I'historien français Guizot' qui engagea, en 1845' le rci Léo-
pold Iôr à taire poursuivre l'æuvr€ latine des boilandietes'
- _ ;td_t _.
fait valoir en invoquant Ie droit de dévolution (r'oir p. ltl2).
Dans le domairre des seiences per-sécutées par I'Iiglise, nous
ne retrouvons que cle rares tr.avaux dig-nes d'être cités. Flncorc
letrrs auteurs ont-ils presque tous énrigré. La révoltrtion tlu
xvre sièele r donné'naissance à cl'excellents rnémoires cle
contemporains, tels que cetrx de Viglius et Hopperus (l ). l,'An_
vcrsois van Meteren, (rtabli à Lon<hes;, écrit une trèd bonne
el. impartiale lristoire de la fbndation de la république des
Provinces-unies. Puis I'histoire, intimicrée, devient une pratique
tl'érrrrlition locale. Les sigillogm,phes, les arclrôologues aborident.
seul le campinois walter Driessens (valerius Andreas
-t toss;,lrrofesscur à I't-'niversité rle Lour,âin, écrivant
en latin,
fhit preuve de quelque anrpleur d'esprit dans ses essais de bio-
graphies nationalcs.
Itrn géograghie, mêrne anémiation. La cartographie {leurit
'mais la cosmographie est bâillonnée. Iùn r{igr. le professeur
r'r I'thriversiti: de r,ouvain Martin van verden est puni tl.,office
lnur avoir clél'enchr le système de Copernic. Il lui est finalement
perrnis de développer la théoiie du rnouvement de révolution
des planètes autotrr clu soleil, à condition de nc' llas citer la terrt:
atr nombre des planètes ! c'est Èr, cette époqtre aussi qu'un
professeur de Louvain, lo doeteur I'roidmont, réplique aux
coperniciens : ( r,tr terre doit être arr centre des cieux, ear au
eentre de la terre se trouve I'enfer, qui doit ôtre aussi éIoigné
que possible des cietrx. >
Le plus'grand de no's physiciens et mathérnaticiens ftrt le
Ilrugeois sirnon $tévtn (lE,[8-.16'to) qtri généralisa I'emploi des
tractions décimales. [l passa son existence en voyages, tirt
direeteur du génie rlans I'armée de Maurice de Nassau et mourut
r\ Leiden. En Belgique, les jésuites furent d'excellents mathé-
rnaticiens, mais ils se cantonnèrent dans une aire limitée. Le
dreilleur d'entre eux, le géomètre Grégoire de saint-vincedt
1f leOZ;, esprit original, s'aehârna à résoudre le problème de
la <luadrature du cerele.
La médecine était dans tur état déplorable. l)ans les rares
collèges médicaux, les professeurs restaient obstinément fidèles
aux théoties de Galien sur les < hurneurs r sécrétées par le corps
hunrain et sur leur r'ôle dans les maladies. Les médecins ne

(1) Sur Viglius et Eopperus, voir p. Z4b.


- - ts'tr5 -'--

n\atrqtla,ient Certes llas <le cotlrag() cll ()es tclrlps rlcr tet'ribles
épidémies. Culottés et gantés <le pcatt. la tête en\reloppée dans
une sphère de cuir aux yeux tlg cristal ct au ncz en fornle cle
bec, n rempli de rnatières balsamiqtres rr, ils yisitaient les pesti-
férés. l\fais leur incornpétence'tlevant ces fléatrx était notoirc.
Pour les combattre, ils s'ingértiaient à inveuter tles retnèdes sau-
grenus : infection rle I'air en brûlant cles < choses puantes ));
remèdes contenant dc I'ail, fles,tronçlons tle vipère, tles seorpions,
bref des choses innrlnrntables, cztr < tant plus le goût en est
désagréable, tant plls est-il salutrrire l; eilplâtres cl'araigné'es,
ces bestiolcs ayant ( verttl Ina,gnétiqtte D polrr attiret rc ttlttt
le venin cle I'air irr{'ecté >. Lcs clnpiriques et les charlata'ns,
plus ignares eneore qtle les médeeins de earrièrc, rellcontraient
grânde f'aveur a11près d1 pu}lic qtt'ils dtrpaieni'par ltrrtrs itrcan-
.tations magiques et leurs charmes. I

Se <létrattant dans ce milieu de routine et d'extravàlgances'.le


cirimiste, pbilosophe et rnédeciny'ean-Baptiste ian Helmont
(Brnxclles, 1579-164.1) nous allparaît ct)rnnle trn vriùi s&vanf.
une noble et fuar<Iie figrrre. Sans clouie, il étonne lorsqu'il pré-
tcnd apercevoir sa propre ârtc solls I'aspect 11'un cristal
resplendissant. Ses écrits sont di{ftrs; ils reflètent les émo-
tions d'trne lature.indépendarrte, rrrfuinte et mystirtrtte, perce-
\ra,nt les r'érités pal une sorte d'intuition. Mais tel r1ucl, il est
un rle nos grands précursetrrs. Nlalgre les attatlues dc ses enll(r-
rnis qt"ri Ie traitent tle t< méchtrnt pendard > et le <lénollct'nt
contmc hérétique, il porrrsuit ses reeherehes sur le magnétisme
rrnimal (1) et entrevoit, pinr une sd:ric rlc pressentiments scieu-
tificlues. le frttur épanouissem'ent de. ltr rnédt'eitre physiologique.
L'insuflisance de ses méthodes rle recherehes I'arrête malhert-
reusement dans son élan.
Né près de Saint-Nicolas, Verheyen (-i l7lo) s'intéressa à la
méclecine après qu'ôri lui eut cottpé ttne jarnbe et devint rttl
professeur cl'anatomie rép1té r\ Lottvain. f,e Courtraisien Jean
Palfijn (1650-1?3O) était le fils d'un pauvre c:hirttrsien-lttrr-
bier (2). Totrt enfant, le gofit des éturles anatomiques le llossé-

(1) Docùrine méclicale cmpirirluc précirrlnnt lcs reclierchcs sllr la slrgEes'


tion et I'h}'Irnotisme.
(2) Les deux fonctions se confondaicttt tï cctte époque. Lc ba'rbier flva,it
pilrrr.ri ses attributions cc,lles tlc prtrgcr les nra,lndes, tlc les saigncr et ntôtue
de pnr.tiquer lcs opérations chirutgicalcs,
346 --
dait et, dans son désir de faire des dissections, il déterra des
cadavrés, en cachette, à l'âge de seize ans. rl se rendit à pied à
Paris et y gagna I'amitié des médecins Ies prus illustres. Devenu
célèbre comme chirurgien, inventeur du forceps, il s'établit à
Gand mais dut, pour devenir bourgeois de cette ville, se con-
former à la routine et suivre pendant trois ans les leçons d'un
maître chirurgien de I'endroit. r avait près de einquante
ans !
Alors qu'en x'ranee s'épanouissaient des génies tels que cor-
neille. et Racine, alors que la Hollande possédait vondel, la
littérature, dans nos provinces, était tombée plus bas eneore
qu'au siècle précédent. Qu'ils soient rédigés en latin, français
ou flamand, qu'ils soient en vers ou en prose, les innombrables
ouvrages de dêïotion du temps sont fades et ampoulés. Leurs
gravures allégoriques seules sont charmantes et d.'un travail
très solgné. Les titres de ces ouvragcs suffisent à nous donner t

une idée de leur eontenu. \: ehanoine Bellemans publie nn


recueil de vers : Het citherhen, aan Jesus (r). Le dominicain
Allard écrit : a Les allumettes d'amour du . jardin délicieux
de la confrairie. du saint Rosaire. ,r Les natures délicates
raffolent des jeux d'esprit introduits par les jésuites italiens :
anagrammes, chronistiques, compliments formant des eroix ou
des pyramides, ce que I'on nommait des nugae dfficites (zl.
Le héros des milieux littéraires est le jésuite Bauhusius qui,
tlans son recueil d'Epigramrnuta, à" composé un vers, le
Protheus parthenicus, susceptible cl'être transposé de mille
et vingt-deux manières différentes sans que Ia cadence en soit
altérée.
L'art dramatique, considéré en général comme trop profane,
s'est ada.pté au ton des collèges de jésuites. Revêtus de cos-
tumes magnifiquès, évoluant dans des décors compliqués, les
élèves y jouent des sujets historiques nationaux, comme
,r voering ) ou ( Le triomphe de .rean XXXr,
duc de Brabant r,
et des sujets religieux comme : a Le petit razoir des ornements
mondains r, du récollet Bosquier.
soumise à de pareils criteriums, la littérâture française prô-
fane est au-dessous de tout. Le poète tragique coppée, dit le

(1) La petite cithare de J6sus.


(2) Næuds dlfficller.
it47 *.
-
t< HuSrtois Orphée)' annonce' etl ces termes, un de ses nouveaux
drames : une
< C'est tragédie toute tragique et.'. on n'y verra
qu'assassinats et 'coTps morts emmoncelez les uns sur les
autres. ))
La littérature flamande reste asservie aux genres plats ou
boursouflés des chambres de rhétorique. Le poète Droomers
glorifre la paix de Rijswijk en réunissant sur une même scène
Dierr le Père, le roi d'Espagne,.Mahornet, Minervc les quatre
Iils Aymon ! Deux talents brillent cependant parmi ces nullités.
Le père jésuite Adriaan Poirters (1605-1674) écrit z Het
Maskcr aan d,e Wereldt afgetrockett (l) (I6r[6), recueil illustré
-
de sentences, de fables, d.e récits, dans la manière du célèbre
-moraliste hollandais Jacob Cats. Cet ouwage, spirituel et très
bien rédigé, eut trente-quatre éditions. L'Anversois Willem
o$ier (r6rs-16s9), doué d'un talent vigoureux, compose des
comédies sur les sept péçhés capitaux. Il met en scène des
gensd' peuple, leur fait parler un langage sincère "i.t*oou-
reux et recueille, auprès du public, lln succès aussi grand
t'ït"iîÏl;"-.
encore, avant de quitter te dornain" al u ntté-
rature, un genre nouveau : Ie journalisme. ce fut en 162o
qu'un imprirneur d'Anvers, verhoeyen, reçut I'autorisation des
Archiducs tle publier un journal, les Nie'&zoe Tiidinghe (2)'
niodeste in-quarto de huit pages, en caractères gothiques, orné
de gravures sur bois. ces N,ieuwe Tiidinghe prirent le nom de
Gazet aqn Antwerpery et vécurent jusqu'en 1827. En 1649 parut
une feuille hebdomadaire en langue française, le a courrier,
véritable des Pays-Bas >, qui se transfolna trois.ans après en
< Relations véritables ,r. ce petit cahier officieux, d'ailleurs
âssez bien fait, èxpira en 1?94 sous le nom de t Gazette des
Pays-Bas r.
Comme les sciences,et leS lettres, les arts-au xvtte siècle
t'urent catholiques. La piété d.es lidèIes et I'enr:iphissement des
tnonastères favorisant la construction de nombrèuses églises
paroissiales et abbatiales, I'architecture eut quelque o'ccasion
de s'épanouir. Beaucoup de jésuites I'urent de bons architectes.
Ils introduisirent aux Pays-Bas le style iésuite, variante du

(1) Ire masque arra,obé ttu nronde,


(2) Lres nouvellee récoutes'
:t48 *
style baroque nris à la rnocle par l'Italien Rorromini. ce style
était pornpeux et cl'une grande exubérance ornementale. Il
superposait les orclres classiques des Aneiens et chargeait les
façades de colonnes torses ou à bossages vermicul(rs (ordre
rustique). L'ensemble des constructions s'ornait d,une profu-
sioq de pilastres, cartouches, pots-à-feu, cierges, acrotères et
lryramidions. L'intérieur des églises était luxrreux jusqu'à
I'excès. Les jésuites cherchaient, en effet, t\ irnpressiorrner les
csprits par la pollipe du culte: ils attachaient peu d,impor-
tance à I'action intime du rerrueillement. Dans res pays-Bas,
I'itrfluence de Rubcns communiqua au rt baroque flanranrl r
rrne force particulière et I'empêcha de tomber dans I'afféterie
chère aux jésuites espagnols et sud-nméricains.
Parmi les constmctions religieuses de cette époque, il cunvient
de rnentionner l'église des jésuites d'Anvers et Notre-
I)ame d'rranswijck, à )lfalines, æuvres de Luc Favd'rrerbe:
plttsietrrs jcilis temples bruxellois; Saint-Loup,. à Namur, doni
les vorites en bereeau sotrt couvertes de gracieuses ara,besques;
l'église de Montaigu, eonstruction imposante nrais rotnde,
érigée par les soins des Architlues en I'honneur deraD,iaa siclrc-
rrti,ensis (l).
L'arehitecture civile porta égalernent I'empreinte rru grancl
Rubens. Les châteaux et les hôtels particuliers, copiés sur
des palais génois, f*rent agrémentés de balustrades, de
portiques, d'arcs-de-triomphe à bossages. La décoration des
jardins et des intérieurs s'inspira plus particulièrement du goût
.français.
Après le boml-rardement, cle lGg5, Ies métiers bruxellois
reconstruisirent en deux ans leurs rnaisons de corporations,
la plupart en style italo-flarnand. Aujourd'hui encore, le style
de ces rnaisons, avec leurs frontons brisés,leurs pignons à volutes,
leurs statues, leurs rnédaillons e't, leurs dorures, style dûr en
partie à I'inspirâtion du maître-maçorr Guillaume de Bruyn
(1649-1719), donne à Ia Grand'Place un caraetère d'un eharnre
inexprimable.
L'architecte le plus eq vogue, le Brugeois pierre de Witte
(-f f62S), fit carrière à l'étr:a'ger. 'frès italianisant, il fit les

(1) La divirre (\rierge) rle l'liçhs1r.


-349-
délices de Ia (lour électorale de Bavière et clessina les plans clu
palais ducal de Munich
La sculpture resha fort appart:ntée à I'architeeture, créant
ar,'cc celle-ci d'harmonieux.ensembles architectoniques dans le
dontaine de I'art religieux. Les fabriques d'église et les riches
abbés favorisèrcnt par d'incessante',s commatldes de nombreux
sculpteurs. Etablis surtout à Anvers, tres excellents et motlestes
artistes formaient des familles entières de virtuoses du ciseau :
les Verbruggen, les Slots, les Collyns de Nole eb d'autres.
C'est à eux que nos églises'cloivent leurs chaires de vérité
et leurs confessionnaux en chêne sculpté, peuplés de persttn-
nages bibliques et d'anirnaux, sernés à profrtsitin de plantes
exotiques, aux flessins caprieieux. Ils érigent, {ans le gofit
.théâtrat du temps, cles autels en marbre blanc et rouge'
sculptent autour des bénitiers de gfrosses,têtes d'anges jouffltts,
rlressent à nri-hautertr des colonnes {es statues d'apôtres' aux
corps déjetés drapés de tuniques anrples, r,eurs lllausolées
surtout sont d'un grand style déeoratif sinon toujottrs du
meilleur gofit. Sur un fbnd de jaspe noir ou sanglrin se détachent
statues en ronde bosse : génies portant des flanrbeaux, anges
cles
aux ailes déployées et sqrtelettes en cuivre doré.
Les meilleurs sculptcurs du siècle furent les Duquêstlo)'r
cle Bruxelles. Jérôme Duquesnoy le Vieux (-i I64r), qui fut
chargé pai: le Magistrat de la capitalc rle sculpter la célèbre
fontaine du <r Manneken-Pis r, ellt deux fils : I'aîné. Francois
(-i f64Z), orna, de phrsieurs ællvres I'intérieur de la basiliqtre
de Saint-Piene, à Rome; le cadet, Jérôme (f(i02-r654), sctllp-
tt:ur-arcltitecte de l'arclritltrc-gouverneur Léopold-Guillaume,
érigea un chef'-cl'tr)uvre : l'élégant rnausolée rle l'évêque Antoine
Triest, clans l'église de saint-Ilavon, à Gand. La fin de ce grand
artiste .fut lamentable. Ooupable de profhnartion cl'église, il fut
condamné à Ia strangulation.
Luc.Fayd'herbe, rle Malines (f617-f 697), fut I'elève'lavori
rle Rubens. IJxcellent architeete, il fut surtout recherché pour
ses bas-reliefs pleins de vie. Les deux Artus Queltn' le
vieux et son neveu le Jeune, décorèrent I'hôtel tle ville
rl'Amster{am, de I648 à 1655. Leurs bas-reliefs myl.fiologiques
sont d'une facture sobre. glacée, rnais d'une noblesse tortt
antique.
A la fin du siè'cle, les guerres chassèrerèt nos artistes statuaires
850
-
'vers des centres pluspaisibles. Le délicat plumier (l6sg-
Denis
1721l-partit pour I'Angleterre. Gabriel de Grupello (1644-
1730), fils d'un officier milanais en garnison à Grammont,
laissa à Bruxelles d'exquises strtuettes de génies. son principal
théâtre d'aetivité fut néanmoins Ia résidence électorale de
Dusseldorf.
ie xvrre siècle, sinistre et humiliant à tant d,égards, â eepen-
, dant fait rayonner,la gloire du génie belge jusqu'aux extrêmes
limires de I'Europe, grâce à notre incomparabre école de
peinture. Les membres de la gilde de saint-Luc eurent, en ces
temps agités, plus de cornmandes qu'on ne pourrait le supposer;
ils les devaierrt aux milieux ecclésiastiques, à la protection des
Archiducs et de Léopold-Guillaume, au désir des riches de se
eonstituer des galeries d'art privées et aux commandes de l'étran-
ger. L'art pictural pouvait impunérnent associer les interpré-
tations paiennes à l'lnspiration cathorique par suite de
I'engouement général pour les créations géniales cle la Renais-
sance italienne. cette nouvelle école de peintute, à Ia fois
pieuse et sensuelle, exaltant Ia foi et glorifiant ra r,'ie, Ia santé,
la nature, eut pour centre Ànvers et pour chef pierre-paul
Rubens (1577-1640).
Appartenant à une fanrille rle notables bourgeois, Rubens
reçut une éducatir:n classique. Peintre de cour cles Archiducs,
traité par eux en familier, iI fut chargé de plusieurs missions
diplomatiques. sa culture raffinée, sa dignité sans affectation,
le lirent rechercher comrne ami ou correspondant par les plus
fins esprits clu temps. Riche, élégant, épris de ruxe, il habitait
un palais rempli de collections variées. son ceuvre fut immense.
Qu'il peigne de vastes tableaux d'autel ou des allégorles
comme celles du r,ouvre, consacrées à Ia glorification de Marie
de Nrédicis, son pinceau répand une lumière éclatante .sur les
corps nus et athlétiques, les étoffes chatoyantes, les armures
d'apparat et les somptueux portiques. son art est héroi.que et
superbe dans la composition doimagination, réaliste et sincère
dans le paysage et le portrait. L'image de son épouse rsabelle
Brandt et,' plus fréquemment encorè, celle de I'aclorable
Hétène Fourment, sa seconde femme, font I'ornement des
musées.
Rubens créa une puissante éôtrle et inspir.a directement de
robustes talents. Je n'insisterai pas iei sur les natures mortes
liSt

et les chasses ,iles Anversois fianiois Snijders (1579-


f657) et Jean Fijt (1611-1661), les portraits du Hulstois
Corneille de Vos (1585?-f 65I ) et les animaui'de son frère
Paul (f590?-f 678), les nobles compositions historiques et reli'
gieuses de l'.A.nversoisGaspard de Crayer (1584-1669). Trois
génies sollicitent par-dessus tolt notre attention : Jortlaens,
Van Dyck et Teniers
Jacob Jordaens (1593-1678), d'Anver:s, nlène avec son
épouse, la belle Catherine van Noort, tlle du peintre Adam
van Noort, une vie large et souriante. Ilomme corpulent, le
visage haut en couleurs, la moustache en batail[e,.il n'a rien
d'un puritain, bien qu'il soit cle religion réformée. Son physique
est bien celui du peintre épris des riches coulettts, des chairs
épanouies aux tons dorés, des arngncellements de fruits et de
victuailles. Sa virtuosité s'affirme dans I'héro'ique et rnajes-
tueux <'fricniphe de Frécléric-Hcnri ir, au palais du Bois (I'Iuis
ten Bosch,), à La Haye. Mais nul ne déploie plus que lui de
fougue sensuelle dans les'scènes mythologiques, de gaieté débor-
dante dans les,scènes cle famillcs, les iloubliables dîners des
Rois, chefs-d'<euvre, de composition et de coloris.
Tout différent est Antoine van Dyck (1599-f 6if.1), Anversois
Iui arrssi. Van Dyck a un tempéramcnt aristocratique, raffiné,
un peu efféminé. Il va à Gênes otr la'haute soeiété lui fait le
plus gracieux accueil, puis à la Cour de Charlet 1er (R. 1625-
1649), à Hanpton-Court (1). Il excelle dans la composition de
sujets sacrés, qu'il traite d'une manière élégante et douce-
ment nrélancolique, ainsi que clans I'art dtt portrait. Charles ler,
les. jeunes lords anglais, bref tous ses modèles, ont un aspect,
rêveur, à la fois noble ei. gracieux, d'tt4 charme inimitable' Les
tons sont veloutés et volpntairement contenus.
Fils de' I'habile peintre de < tentations > David Teniers
ie Vieux (f f Afo;, I'Anversois David'Ieniers le Jeune (1610-
f694) exerce ses dons <l'humoriste et d'observateur dans la
confection d'innombrables tabléarrx (plus rle huit cents, eroit-on),
représentant des scènes ehampêtres, spéeialement des ker-
messes. Traitées avec ltne parfaite maît,rise et baignées de
tons chauds, ces spirituelles æuvres sont extrêmement appré'
ciées des contemporains. Devenu < peintre de Ia cbambre > de

(l) Réritlence royale à l'ouert de l,ondros.


-_ :il-i!
-
l'archiduc Léopold-Guillatrrne et ôonservatetrr rlc sa galerie de
tablearrx, 'Ieniers mène une existenee de grand seigneur et
reçoit da,ns son nranoir de Perck près cle Vilvorde la plus élégante
société.
Certains :rrtisles eotrtetnlnruins et arnis de Ilubens surent,
nralgré le voisinage
de ce titan, con-
ser\ror rrn talent ab-
solrrruent indépcn-
d:ltrt,'ftls ftrn:nt
les rlcrtx llls dc
Pierre Breughel
I'Ancien, Pierre,
rlit Breughel
d'Ilnfer {-i- tr;;ls;,
;rcirr t rr. rl'r'xi rirorrli-
ttrrirt.ri ,, diirltlt.ries r,
tt Jearrn rlit tlreu-
ghet de Velours
(-; I {;15), rpri olrtirrt
lrn srtcti's irrrlrrï i
l;r ('otrl rl'ls:rlrt'llt.,
('rr .\ |lcrrrrr11^n(' (,t
('rt Illrlit'. ir\'(.(.
s('s rrri<,rosr,ri1li(lu('s
t it irlclt rix. licst -
(,()lunrt, rll I'rirniril.
IrRriDriRrc r,ÉOhteRD,
graveur bruxcllois. lr'prtist'rrlirrrt rlcs
( ii:rvllr'(' tlc (itlirlrI I,]rlt.lrrrlli. t trjrlrrttrlt.s rlt' Ilr,rrrs
t ( .lir lt i rt t't <i r:i 1's1 111;11'r, l l ri rxcl l ls. )
11 t't rlc. l'nrits. l)trrrrri
('c1.tc t'sc:rrll('n1t' tlrrvlc tlrr trtrrîl l't: ir nvclsoi+ Ics lrllits ltriritl.r,s,
t't'pr'Ésetttç rur t)-pe d'intcllcltrrrrl lrrlge, tlg ii rr i t,rr rs rle tablea u-
t'orrrliliott aisie, i), l'i'lrcrrtrrc rf t'Lrrrrir \l\'.
tins de $enre.
l'.\rrv.rs.is Gcnzalès Coques (Cocx -i- tt;s r; pr.ignit rl'cxrluis
luirtririt,s, rlc rlinrt'rrsions (lrulr'I rrtrtrrrr'. Adrien Brouler,
tl'-\rrtlt'rrurrlr' (i- l6iltl), r't r.ir)t'l ttrrii .Iosse van Craesbeek,
rlt'Ncei'lintur près rle 'l'irk,rrrorrt (-i l6{i2), sc spécinlisèrcnt tlarrs
It's scirtres rle calluret et ric corl)s rlc garrlc'. Ni f"rur ni I'er,utre ne
lirlent, con)rne lc 1lréterrrl rrre kigcnrle tcrrzt{:e, rles ivrognes ct
rles dtibauehés.
:
353-_
Après 1680, l'école de peinture rl'Anvers s'éteignit, victime
de la décadence et de la ruine générales.
Alorsq'e la plupart de nos peintres restaient liclèles au pays
natal, rl'autres allaient chercher fortune dans les pays lointains.
L'Anversois Denis caruwaert (catvaert
Rologne une école de cent trente-sept érèves, parmi lesquers
f ioiol fonde. à
re
Guide, le Dominiquin et I'Albane. venu r|Anvers aussi, paur
Bril (-i 1626) exécute de grancls bravarrx décoratifs au vatican.
ses paysages sava*ment composés, avec leurs ruines poétiques
et leurs, feuillés habiles, font rle lui le précurseur de claude
r,'rrain et rles grands maîtres du paysage. Le Liégeois Gérard
de Lairesse (164o-rzrr) conquiert Ia faveur de Guillaume rrr,
c'lcvient Ie peintre à la nrode dans leb provinees-r]nies et orne
les palais des parvenus doAmsterdam de ses compositions
mytho-
fogiqtres. r,e rlruxellois philippe qe champaigne (r602-1674)
séduit Louis xlrr et Rieherieu par
^r", .ru*"s co*eetes, d'inspi-
ration généralement religie*se. f,e paysagiste François vanderr
Meulen (Bnrxelles, r6g2-1690) attire I'attenti'n de colbert et
clevient a de r,otris Ie Gran<r le peintre incomparabte
eui de
ses plus beaux faits a peint la vérité ,. il suit Ie Roi -
soleil dans
toutes ses campàgnes et représente avec la plus serupuleuse
exactitrrde lcs prouesses de ses armées.
l'es $raveurs, tri-'s nombreux, panr pontius, Lucas vorster-
man, Piene de.fode, etc., subissent tous I'influence de Rubens.
seul I'Anvers.is Gérard Edelinck (1640-1207), également
rcmaï1ué par Colbert, résicle :\ paris et y travaille dans la
maqière allégorique de Lebrun.
L'arb musical fut en pleine décadenee au
lvue sièele. ce fut
cependant un r,iégeois, I'organiste Henri Duinont (1610-16g4),
nraître rle chapelle de r,ouis xrv, qui osa disputer avec succès
à I'envahissant Lully Ia faveur rcyale, en matière de composi-
tions r.eligieuses.

r. 'r'-.r,N K,lr,KtilN, flrsrorÊ!] DFt Bnr,cretrc. _ 1994.


-
ONZIÈME PARTIE

LE RÉGIME AUTRICHIEN
(r7r5.r7s2.)

CHAPITRE PREMIER

LE RÈGNE DE CHARLES VI
(r 7r5-1740.)

Po|:itique eæterieure de Charles VI; Ia Ptagmati'que Sanction


intérieure lnu-
[t9 avril lzrsl (pp. B5a ct 355). - Politique de Prié
iogante de f EÀpereu1 (pp.355 et 356). Le marquis
-
(p.aSO).'--,-ConfitanseclesNationsdeBruæelles(pp'356et
SfZl. Martyre d}Anneessensllg septembre 17f91 (pp' 857
-
et ÉSg) . Gou,aernement de I'archiduchesse Marte'Elisabetlt
(p. 358).
-
o Ce pôys perdra ees privilè8ieg ou ges
a privilèges lê Pertlront. I
(Prié au Prbce Eugène, le
?5 iuillet 1718.)

L'avènement de charles VI frrt accueilli aux Pays-Bas avec


une morne indifférence (l). Après tant de guelres' les Relges
ptruvaient-ils espérer voir jamais renaître la tranquillité?
cependant le règnc du nouveau tnonarque ouvrit pour eux une

(1) Polr la branche autrichienne des HaTrsbourgo alr xvIII' siècle, voir le
t,abkra,rt généalogitlue r\ la' fln dc ce chanit're'
,u^ur* période de répit. ;;-j","'r,n.avait q*,un bur : faire
pragrnatique sanc-
accepter par ses sujets et par l'Europe la
tion (r9 avril l?18), acte par Ieqrrel sa suecessio. restait, à
défaut de postérité mâle, assurée à Marie-Thérêse" sa fllle ainée.
Il ménagea donc ses anciens adversaires et flatta les puissances
maritimes, même au détriment de nos intérêts économiques.
Lors de la guerre de la succession de pologne (Izss-tt38),
épisode peu sanglant de la lutte séculaire entre la France et
l':\utriche, une convention entre Louis XV (R. lZlE-lZZ4) d'une
part, George rr, roi d:Angleterre (R. l.7r7-tz6o) et res provinces-
unies de I'autre, Iaissa heureusernent les pavs-Ras hors dtr
conflit.
Au point de vtre intérieur, charles vr poursrrivit une politique
assez lour.'oyante. ses hauts fonctionnaires, ignorants d.e la
mentalité belge, Iui conseillaient la sévérite. Le lieutenant feld-
maréchal eomte Lothaire de Koenigsegg, atlministrateur inté-
rimaire du pays en l?16, lui écrivait : < Le. gouvernement
tléftnitif que votre Majesté étabtira da.ns ee pays doit être
revêtu de beaucoup d'autorité et de pouvoir, afin qu'il soit
en état de se faire respecter et craindre. ;r L'Empereur, prince
sans grand génie, rnais doué d'assez de bon sens, trouva qu'une
( sage politique r devait faire preuve de mansuétude. < chaque
nationo r disait-il, <r doit être dirigée d'une rrunière appropriée
à son caractère et à I'esprit tlui I'anime ,. or, notre histoire
prouvait que nos aïeux avaient toujours été rebelles dux
< remèdes violents >.
. Tout comme charles rr, le.nouveau souverain, à son avène-
ment, fit prêter par ses représentants Ie serment de fidélité aux
chartes du pays; il respecta nos privilèges mais en eontourna
parfois I'application; il ne réunit point res Etats généraux; il se
défiâ moins cles rlelges mhis évita de les nommer on'grand
ttombre aux postes influents. Le conseil suprême des pays-
,Bas, à'vienne, dont relevait en dernier ressort I'administration
de nos prov-inees, fut, entrc ses mains, un instrument docile.
charles ne vint jamais dans les pays-Ras, Il y fut représenté
par un < $ouvemeur et capitaine $énéral )); en cas d'absenee,
le gouverneur était remplacé par un agent permanent du prince,
rappelant le secrétaire d'Etat et de Guerre : le Ministre pIé-
nipotentiaire. l)n 1718, I'Empereur créa un conseil d'Etat,
çomposé d9 nobles et de bourgeois éminents; il < ne s'y traii,a
- 1156 --
que des bagatelles u! En f725 déià I'Empereur rétablissait les
trois Conseils colla,tétaux.
Ce règne aux allures débonnaires eut cependant un début
sanglant. Notre gouverneur général, I'illustre prince Eu$ène,
occupé en Hongrie par la gr4ene contre les Turcs, s'était f'ait
représenter aux Pays-Bas par le Nlinistre Plénipotentiaire
Hercule Turinetti, marquis de Prié. Ce Piémontais arrit'a
en novembre l?16. Agé de près de soixante ans, fort intelligent
et habile, Prié était un ambitieux sans scruprtles. Pour satisf'aire
ses goûts fastueux, son arûour du jeu et toutes les passions
d'une vie déréglée, il se perdait de dettes et usait des procédtls
les plus sournois. I)e plus, il était nonehalant, se levait à midi
et indisposait son entourage par ses airs fiautains- Vénal, acri-
rnonietrx et despotique, il reçut bientôt du peuple le surnom
de r< Vilain TransalPin n.
Irritées déjà par I'hunriliant traité de la llarrière, mal conte-
nues pâr le Règlement additionnel de l?o0 (voir p. 388), les
Nations dc Rruxelles, craignant que Prié ne leur fib perdre lettrs
flerniers privilèges, entrèrent en corrflit avec lttio flès son arrivée,
pour une cause fUtile. Comrrtc d'habitude en câs rl'opposition,
ies Nations refusèrent clc payer le < gigot D. Prié décréta que le
gouvernement se passerait tlésorrnais {es Nations pour lcycr des
subsides. Un fabricant tle ehaises, doyen du métier des Quatre
Couronnés, François Anneessens' prit Ia tléfense des nrétiers.
C'était un homme pieux et simple, ennenri de la violence; il
connaissait dans le détail tous nos anciens privilèges et le peuple
l'écoutait comme un oracle.
Le conflit fut très long. En 1718, il y eut des troubles sérieux I
à lSruxelles la maison du bourgmestre fut saccagêe (24 mai), à
Malines la populace prit d'assaut I'arsenal (juin). Prié dut tolérer
que le service d'ordre fût fait par la garde bourgeoise' en rem-
plaeement de la garnison. Le l9 juillet, le bas peuple bruxellois
pilla la chancellerie de Brabant et, le lcnrlemain, pourstiivit ses
excès. F'urieux, Prié sollicita le gouvernement cle ltti envoyer tles
troupes, de lui permettre <le eonstruire une cil;adelle clans la
capiiale, de transférer le siège clu gouvernement à Gand, de
supprimer les Nations, les compagnies bourgeoises, et de punir
rigoureusement les principaux coupables. Atr débtrt de 1779'
qùatre régiments allemands arrivèrent de Hongrie avec mission
d'< employer le fer et le feu avec persét'érance D. Par une ruse
-- 357
-
odieuse, Anneesse's et quelques synrlics furent arrêtés
en ,lars.
cinqua'te doyens prirent la fuite. prié vourait faire un exemple.
Anneessens représentait à ses yeux I'opposition
communale et
tlémocratique. rl le fit accuser crevant Ie conseir de Braba't
cl'avoir fomenté des troubres et conspiré co'tre fa sfireté
de
I'rEtat. La procédure fïrt rongue et inique. on refusa un
avocat

PORTRAIT D'ANNEESSENS
pur Yan rlcr ]Jolcltt,,
(Calrinct tles crst:rnrties, Bruxeile;:.)

t\ I'inculpé. Iln Belgc, I'avocat fiseal Clrarliers, po.rsuivit


Anneessens avec une féroeité incroyabre.
ùIargré res'pr"r;tn"-
cltantes <lémarehes, I'acctrsé, qui ne s,était pas
un instant départi
rle sa tlig4ité, fut condamne I mort.
r'e lg septembre r7rg, Bruxelles fut trf
occrrpée militairement.
Entouré de soldats, Anneesse's fut conduit à l,échafaud..ramais,
depuis Ia mort des_ eomtes doEgmont et de Honres,
lation n'avait été plus intlignée. Le nqbre
la popu-
nràurut avee
'ieiilard
ferrneté, fier çle tomber pô,r" ,"* principes. contre la voronté
-358-
du Plénipotentiaire, en l'honneur du lriartyr un
le clergé fit
serviee firnèbrc soleinnel, auqttcl assista une
foule inrmense'
se'hâta d''en tevenir aux
Quoiqtte vainquettr, le gtluvertrernent
rrréttrocles de clénrenr:e.- Prié, tomb(: en rlisgrâce en 1724, fut
rappelé à Ia grendc satisfaction de touÈ (I )'
(2)'
ïa fin du règner de Charles Vl fut absolument pacifique depuis
L'Iirnllereur nous avait envoyé colnÛre gouvernante,
|7t5,sils(EuTl'arclriduclresseMarie.Elisabeth.C'étaiburre
ferrrme rle quaratrte-cinq arrijF' intelligente, laicle, célibataire.
Très altiè"" la noblessc, extrêmement dévote' elle gou-
"n1:t:rs
verna ntls provinces avec une grande indépendance cl'allures
rnais rvee ttne parl'aite éqirité' '

(1) Il nrotrrut tl'apoplcxie elr 172{i'


(2) Il tnourtrt lc 20 octobre 1740'
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CIIAPITRE II
LE RÈGNE DE MARIE-THÉRÈSE
(r740-r780.)

Débuts d,fficites de Marie-Thérèse (p. Bo0). Lu gueme de la


AutN che ; I' inaasion fr
-
an çaise 117 44-L7 48f ; L7 octo'
rurrrrrion d,,

bre |748 z la Tlaiæ d,Ain.Ia-Chapette (pp. s60-369). - Plans


departagedesPays-Bûs(pp.362et:163)'-Laguer'redeSept
Ais lt7E6-lZ6Sl (p. 368). 2{yy1611y des Belges pow Matie'
-
Th,ërèse et pou,r le gouaenteur Charles de Lorraine (p' 368)'
et 364)'
-
Réformes de Marie-TlÉrèse (pp' 363

n Viuat Marùa T'heresia


Koninuinne aant, Honga,ria! '
(Vieille chansou.)

Malgré toubes les précautions prises par son P:""' Marie-


jeune
Théièse eut un début de règne clésastreux. son voisin, le
roi de Prusse Frédéric II (R. r?40-1786), lui arracha la silésie;
Louis XV s'allia à la Prttsse; I'Espagne et la Pologne déclarèrent
la guerre à I'Autriche; peu après, l'électeur de Bavière charles,
Iils cle notre ancien -gouverneur Maximilien-Emrnanuel, fut
proclamé llmpereur (clmrles vII). Marie-Thérèse. dépourvue
cl'argent et presqtte sâns troupes, semblait perdue' La fidélité
des ilongrois et le secorlrs de l'Angleterre lui permirent c'epen-
<lant de traverser honorablentent la crise <le httit ans' connue
sous le nom de de la succession d'Autriche (r74o-
$uerre
r748).
361 --
-
Le débarqueruent d'un petit corps anglais à ostende avait
prévenu une invasion française dans les Pays-Bas, en l?42
et I743. Mais dès I'année suivante la F'rance, agissant pour son
propre compte et non plus comme auxiliaire de Charles Vff,
envalrissait Ia \Yest-Flandre de Furnes à Courtrai. En l74E la
pauvre Belgique redevenait le champ de bataille de I'Europe.
Anglais coiffés cle hautes mitres et vêtus de rouge, pandours
hongrois chevauchant des coursiers nerveux, Hollandais en
habit bleu et Frarrçais en habit blanc, allaient s'entre-tuer dans
nos plaines. IJne certaine élégance dans l.es allures, l,habitude
de se coiffer de perruques poudrées et de revêtir cle coquets
uniformes de combat orit fait donner à ces campagnes du
xv[re siècle le nom de < guerres en dentelles >. Pour nos pr.o-
vinces elles furent, hélas, presque aussi rlévastatrices que celles
de la période antérieure.
IJn excellent capitaine, Maurice, cornte de Saxe, fils naturel
du célèbre électeur-roi de Pologne Auguste II (R. t69Z-tZBil),
commandait I'armée française. A l:r tête de Z6,000 hommes il
envahit les Pa;4s-Bas et mit le siège devant Tournai. Le duc
de Cumberland, fils puîné de George fI, avec une armée
austro-hollando-anglo-hanovrienne, vint l'attaquer !e ll mai
f 745 à Fontenoi, près d'Antoing, sur la rive droite de l'Escaut.
Cette bataille, où les Gardes anglaises de lord Hay et les Gardes
françaises du comte d'Auteroche firent nssaut de cqurtoisie, fut
perdue par les alliés à cause de la nrollesse des Hollandais.,
Cette défaite livrait les Pays-Ras à la B'rance. Nos forteresses
éta.ient tlans un état de délabrement larnentable. Les provirrces-
IJnies, tombées en décadence par exeès cle richesse, n'avaient
rien fait pour I'entretien des places de la Barrière. L'Autriche,
de son côté, n'avait pris aucune précaution, notamment pour
sauver Ostende. Clef des commtrnications avec I'Angleterre,
cette lbrteresse avait des parapets de sable, clepuis longtemps
dégarnis de canons. Ni le duc de Cumberlancl, ni le prince de
Waldeck, généralissime des Hollandais, ni nrênre notre nouveau
gou\zerneur général Charles de Lorraine nc pulent contenir
le flot des envahisseurs.
Le 29 janvier 1746,les dragons de Louis XV complétaient
I'investissement de Bruxelles, par Humbeek et Dieghem.
Le siège de la capitale fut court. Dès le 25 février, la population
contemplait en silence I'entrée pompeuse rles Français, inquiète
-362-
devant ees soldats rieurs, au regard hardi sous le petit tricorne
posé de travers.
La prise {e Bruxelles fut suivie de la capitulation de plusieurs
villes , Anrr""r, Mons, Narnur. Le tl r)ctobre, les Alliés furent
eneore battus à Rocoux (ou Raucoux), à quelques kilomètres
au nord.-otrest <le Liége. Ils se replièrent sur Aix-la-Chapelle'
En 1?47,I'indolence des Hollandais paralysa de nouveaul'énergie
des Anglais. un soulèvement populaire contre la veule oligar-
chie màrchande des Etats rétablit, en mai, le stadhoudérat au
profit du prince d'Çrange, Guillaume IV Friso (1). Mais ce
prince inexpérimenté ne sut pas organiser un pouvoir fort.
Entre temps, le duc de cumberland, essayant de sauver Maas-
tricht, était vaincu honorablement; le 2 juitlet, à Laeffeld
(Lawfeld), à six kilomètres au sucl-ouest de cette ville. De son
àOté, t" eomte de Loewendahl enlevait sans difficulté au prince
d'Hildburghausen, un octogénaire, la place réputée inexpu-
gnable de Ber$en-op-Zoorn (f7 septembre)'
La France victorieuse avait incorporé les Pays-Bas et y avait
nommé gouverneur général le maréchal de saxe. Le régime
milibaire du vainqueur n'alla point sans les exaetions et les
réquisitions hzrbituelles. IJn intendant rapace, Moreau de sey-
chelles, satisfit les instincts de cupidité tle notre nouveau gou-
verneur au grand préjudice tle la population. Certains membres
des Etats de Brabant ayant osé protester contre les vexations
du pouvoir occupant, virent Mautiee de saxe placer chez eux
cle rudeS gamisaires.
Néanmàins, le régime fi'a1çais rre fut pas spécialement 6ur
ni long. Nfaastriiht venait à peine de tonrber que la paix générale
d'Aix-la-chapelle (18 0ctobre r?48) restituait les Pays-Bas à
I'Autriche et. rendait aux flollandais Maastricht, Bergen-op-
zoont et les places de la Barrière. Les Français, déconcertés par
la générosité inattendue autant qu'impolitique de leur monarque'
traitant a en roi, non en rnarchand >, inventèrent le d'icton :
< bête oomme la Paix ! rr
Les manifestations d'allégresse à Bruxelles, au retour de
charles de Lorraine, le 23 avril l?49,'témoignèrent la satis-
taction des Belges fle se rettouver sous le sceptre de Marie-
Thérèse. Ils ne se doutaient guère qu'au eouls des négociations

(1) Il était déjà stacttroud.er héréditaire de x'rise et tle Groning:en.


<re l'année précédenr- r,r;;:Ï;;".,t rair orhir la F,la'cue
et le Brabant à T.ouis xv, dans I'espéranee de rentrer en pos,
session de la silésie. De même, lbrs des négoeiations qui précé-
dèrent la guerle de sept Ans, elle suggéra en vain de céder à
I'infant d'Espagne les provinces cre Brabant e! de Hainaut en
échange des dtrchés rle Parme, de piaisance et, de Grrastalla.
. La guerre de sept Ans (rzb6-r?6il).révéla à Marie-Théri,s.
toute.la dignité et le lojralisme de nos rnalheureuses provinees
en qui elle n'avait vu jusquê-là que des objets rle troc. Grâce
à l'alliance austro-fi'ançaise (traité <le versailles, ler mai 1256),
les Pays-Ilas restèrent en dehons de la tbrmidable guerre euro-
péenne qui 'commençait, mais ils fournirent à Marie-'rhérèse
I2,OOO soldats et l6 millions de florins.
Mariè-Thérèse n'eut jarnais I'oeeasion rle visiter nos provinces.
Elle y f'ut cependant très aimée. LTn r"enom glorieux arrréolarit '
cette princesse jeune, bonne,,courageuse et d'une grâce pleinc:
de rnajesté. Elle voulait < se renclre digne cre l'anrour cles peuple-c,
se,ule récompense pour ses travaux >. Après Ia mort de I'archi-
duchesbe llfarie-Ëlisabeth, en l?4I, elle nous avait donné comme
gouverneur général charles de Lorraine (Gouv. rza+-rzso),
frère de son mari I'empereur François (,R. 1741-lz61). penclant
les trente-six années cle son gouvernernent,-ce prinee loyal et
bienfaisant ne se départit jamais de sa bonté envers ses admi-
nistrés. rl avait compris irnmétliatement la rnentalité des
rlelges. comme..le comte de (lobenzl, plénipotcntiaire, et Ie
premier ministre Kaunitz pféconisaient une certaine sér,érité,
charles écrivit à I'rmpératrice : < ces pays-ci sont très faciles
à gouverner..., âvec la douceur...; ils sont très attachés à'leurs
privilèges, et même, j'ose dire qu'ils poussent cela jusqu'à la
{blie... r. Aidé par des auxiliaires de tout premier ordre : cobenzl
(1753'177o), le Plénipotentiaire starhernberg (après lzzt,), le
eomte de Nény, ehef-président du conseil privé, charles sut
eonserver.à son gouvernement un caractère patriareal. En l??5,
les Etats du Brabant lui éler'èrent une stâtue sur la place de
rrorrâine (r). Lorsqu'il mourut au palais rle Tervueren, en l7go,
la douleur populaire t'ut profonde.
Marie-'rhérèse avait un esprit méthodique, centralisateur,
,de tendances modernes. Mais eile ne toueha à nos
institutions

(1) La tuture plape ltoyale.


361'
- -
qu'avec beaucoup tle doigté. Le désirrdre tle ttos lin4nces était
grand; los provinces st, nos communes étaient accablées de
flettes; les exemptions d'impôts étaient excessivement nom-
breuses. Bn l?6I, cobenzl créa une Jointe des adminlstra-
tions et subsides qui, après avoir vaineu une vive opposition,
mit cle I'ordre dans la eonrptabilité, aurortit les dettes et réduisit
le chiffre des irnpôts, en les répartissant rnieux. La justice étaiÛ
routinière et cruelle, eorrdamnant att pilori, à la flagellatign, à
la rouc ! Lolmpératrjce fit des efforts pour supprirner la tor-
ture, mais les membres cles tribunaux provineiattx et écftevi'
nanx y mirent rle tels obstacles que lVlarie-Thérèse dut se con-
tenter. de cléfenclre qu'clle ffit encore employée pour arracher
des aveux. En tant que peine criminelle, la torture fut main-
tenue (r). En 1775 un pénitencier modèle, bientôt imité en
Angleterre et atrx Etats-tlrris, fut inauguré à Gand grâce aux
efforts du grand-bailli de cette ville, J.-J.-Philippe Vilain
XIIII.
L'rmpératrice était pieuse. Elle détestait autant < I'esprit de
persécution I que le < tolérantisme ) sceptique. Mais elle ne
supporta jamais que le clergé devînt une ( république indépen-
dante du prince'dans ses propres Etats D. EIle interdit la publi-
cation des bulles pontificales par les évêques sans lettres de
placet. It)lle intervint dans la nomination des évêqtres et des
eurés, enleva au clergé le monopole de I'enseignement, fit sur-
veiller par les autorités eonllnunales la tenue des registres
paroissialx tle naissances et de décès, enrâya la mainmorte,
interdit les pénitences publiqucs, les proeessions noeturnes,
I'entrée des poviees dans les ordres avant l'âge de vingt et urt
ans. En 1775, elte fit appliquer, sans nranifester ses sentiments
intimes, le bref de Clément XIV supprimant I'ordre cles Jésuites.

(t) Joseph fI supprilna' rléflnitivernent ltr tortttrc'


CHAPITRE III
LA vrn ÉcouoMreuE ET socIALE
AUX PAYS-BAS
SoUS Tn nÉcIME AUTRICHIEN

Releaement économirlu,e des pays-Bas (p. s65). L,agriculture


(pp. 365 et 366). La Compagnie -
d'Ostenàe II7ZB-IZSI]
(pp.366 et 867). -Colnnisation des î,les Brabant (p. 36?). _
Prospérité d'ostende- (p. 86z). commerce intérieur; les
cs'nauæ ct les chaussées (p. s6z).
-- Etat de I'indastri,e (pp. ss7
et 368). * Progrès de certaines industries (pp. S68_8?0).
Etqt de cristallisation des diaerses crasses de la soci,été (p. szo).
, La Cour de Charles de Lorraine (p. BZO). _ La noblesse,
l6t, bourgeoisie, le peuple (pp. BZO-B7S).
L'enseignement au xvrrre siècre ; tes coltèges thérësiens; l'(Jni,-
uersité de Louaain (p. sZs). L'académàe rmperùale (pp. B7B
et 374). La censure (p. SZ4). - Le prince de Ligne (p. SZ4).
-
Décadence - (p,874). L'architechtre
des lettres flamandes
-Las styles Louis XV et Louis XVI (pp. S7 - :
et BZE). _ Le quar_
ti"er ùi Parc (p. S?S). La sc:ul;phtre (p. SZ5). _ La peinture;
tffianchissement d.es- artistes de ta jurid.iction des métiers
(pp. S75 et 376). La musi,que : And,ré Grétry (p. 8Z6).
-
fu période de calme que traversèrent les pays-Bas sous le
régifne autriehien fut très favorable à leur développement
écorlomique. De r?5o à lzgo,le chiffre de la population remonta
aux environs de trois rnillions. Rruxelles errt 20,000 habitants,
Gand et Anvers à peu près 5O,OO0.
1'oujotrrs vaillantes, nos poprrlations rurales s'étaient remises
366 .-
-
àtr travail dès que les guerres et le banditisme a'vaient cessé.
Le gouvernement les avait favorisées en accélérant le partage
à I'amiable rles clornaines trop étendus, en veillant à une répar-
tition plus équitable cle I'impôt foncier et en faisant dét'richer
et drainer des terres incultes. Bientôt nos campagnes reprirent
un aspect riant. f)e nouvelles cttltures s'y répandirent, notam-
ment celles du colza, de la porrlme de terre (r) et du topi-
nambour ou poire de terre. firr cent ans, de 1650 à 1750. le
bonnier de bonne terre, bien situés, s'éleva de 500 ti 1,500 flo-
rins (2). Mais plus que n'importe qrtclle autre région, les cha-
pelets de lagunes nommées f-næres, situées entre Dunkerque
F.r"rr"r, gagnèrent en valeur. Les Archidues en avaient fait
"t
eommeneer I'asséchement dès 1619, nlais cette grande entre-
prise ne fut achevée qtr'après I?8O, sotts la rlirection du comte
Herwijn de Nevele, de }londschoote. Au moyqn de moulins
à paletles et à vis d'Archimède, les mæres furent transformées
en beaux polders, coupés de rigoles, lcs waterin$ues (wete-
ringen), et entourés rl'rrn canal rle ceintute (ringslool) ainsi que
de digues.
Livres au bon plaisir des Provinces-Ijnie,s et de I'Angleterre,
n.les très loyaux suiets de sa Majesté Impériale ne pouvaient
ni acheter, ni vendre, sans I'assentiment de leurs voisins >.
cependant, au cours tles toutes dernières années du régime
espagnol, un Ilroupe énergique de marchands et d'aventuriers
orl"nduir, fasciné par les dividendes fantastiques que rlistribuait
la Compagnie des Indes orientales d'Amsterdam (l'Oost'Indische
compagnie, fondée en 1602), organisa un petit trafic avec les
rndes orientales. IJn navire, le < Prince Eugène >, alla fonder
6es comptoirs près de Canton; les bénéfices furent de f00
o/o.

(
En 1?23 le haut négoce belge fonda une compagnie Générale
Impériale des Indes pour trafiquer dans le Bengale et en
Extrême-orie4l. (s) >. Dn sept heures de temps, tout le capital
fut souscrit. Ilne flottille mit en relation Ostende
de onze navires
avec ulle série de comptoirs échelonnés du golfe tlu Bengale à
Canton. Cette courageuse'entreprise éveilla les défiances de nos

(li La, pcimme de terre, improprement nommée p.atate' a'pperut a'ux


Pays-Bas en 1620, mais elle n y fut pas appréÛiée au début'
(9) Le bonnier Yeut L hectare 40 ares.
(:l) Son nom hatrituel fut CortpÂctNrn l'Osrnrynri:'
367 --
-
voisins. Adhérant à la Pragmatique Sanction, le Bl mai 1727,
par le traité de Paris, la France, I'Angleterre et les Provinces-
Unies exigèrent en retour la suspension pour sept ans de la
concession faite à la Compagnie d'Ostenrle. Quand cette nou-
velle parvint aux Pays-Bas. on n'y voulut point croire; les
actions tombèrent du jour au lendemain de la cote f2B à 48.
En 1731, la pauvre Compagnie disparut complètement.
Beaucoup plus tard, la < Compagnie d'Asie et d'Afrique r,
siégeant à Trieste et possédant une fiJiale à Ostende, imagina
de coloniser un archipel rlésolé au sud-ouest du eap de Bonne-
Espérance, les lles Brabant ou Tristan da Cunha. En l7g5,
le$ trois nations mentionnées ci-dessus provoquèrent la faillite
de la Compagnie d'Asie et d'Afrique. Malgré tous ces déboires,
Ostende fut prospère sous Marie-Thérèse et plus encore sous le
règne de Joseph II. En t781, ce dernier fit d'Ostende un port
franc et détourna ainsi une partie du commerce d'Amsterdam.
L?année suivante, Ostende possédait une Bourse, une banque,
une Chambre d'assuranees maritimes, des entrepôts nouveaux,
des quais et des grues. Le passage en transit des laines espa-
g[oles vers Ie Saint-Empire, les profits indirects <le la guerr.e
dite < d'Amérique )), entre là France,l'Espagne et les Provinces-
Unies d'une patr, l'Angleterre de I'autre (l77g-f784), eurent
pour conséquence l'entrée annuelle de deux mjlle six cents
navires dans son port. Les pêcheries du littoral, I'ostréiculture
et la pêche à la baleine sur les côtes'du Groenland furent aussi
des éléments de prospérité.
Le comrnerce intérieur fut activé par le crèusement cle
plusieurs canaux, notamnrent par celui de Louïain au Rupel,
ainsi que par la construction des belles chaussées dont nous
faisons eneore usage auiourd'hui. Sur ces routes, surveillées
par une excellente maréchaussée, des pataches et d'autres voi-
tufes publiques facilitèrent les communieations interproVin-
ciales; Ie service des postes, affermé à des particuliers, fut
betucoup améIioré; les droits de banière furent diminués ou
nrême supprimés; la valeur des rnonnaies devint stable. L'Etat
créa des entrepôts dans les grandes villes, une école de comrnerce
à Anvers et une école navale à Bruges.
L'industrie fut I'objet de tous les soins du gouvernement.
Lnbu de pfotectionnisme, il déchargea de certaines impositions
fiscales les créateurs de nouvelles industries et leur assura des
-368-
lllonopoles devente,ainsi que des réductions de tarifs de transit.
Il créa aussi des manufactures < impériales et royales > modèles.
Dans I'ensert'tble, le développernent industriel fut pacifique. Il y
eut cependant des luttes.entre les groupes d'ouvriers nommés
compagnorina$es et les patfons. Aux ligues des chefs cl'in-
dustrie les ouvriers répondirent par des ligues interurbaines et
mirent en interdit des atcliers et même des villes entières.

VOILE DE tsENI'DI(J'II0N
l)r.rrlellt rlc ISl.rrxtrllts it tt-r ftlscittt-x tlc lit 1tl'ttrliet t
(llr xYIIIe sièclc.
(-\l Lrsi't' tlrr ('irrrltl:tttlr'ttitit't', []r'lr-rt'lles')

Itar suite rle l'ittvctrtiorl tlt' lrr navette Volante, clrrllloyée


4ès l?d0, l'industrie linière prit ttrr gran<l tléveloppetntrttt rlllns
les petites villes et les callrpagnes rler la l"lan<lt't:, sttrtortl, cnttt:
I'Itrscaut et la Denclre. lln 1765, clcrtx cettb trtille fileurs eL tisstr-
rands cles deux sexes fabrirlrraiellt rles toiles llottr la c()nsoI)r-
mation locale et I'cxportation vers la Frlrnee, l'F)splagne et
I'Italie. Gand et Anvers avaicnt la spécialité rles indiennes,
t ilt, z --,
I.a

-s69-
toiles de coton blanc teintes ou imprimées; courtrai fabriquait
les toiles écrues, c'est-à-rlire non préparées, et Audenarde les
nâppes à fleurages. ces industries provoquèrent le dévelop-
pdment parallèle de la bonneterie et de Ia blanehisserie.
Au xvrre siècre, nos ouvriers et ouvrières dentelliers,
'attirés en France
par colbert, v avaient mis à Ia mode le a point
d'Alençon r; de même nbs compatriotes énrigrés en êrinde-
Bretagne y avaient créé le < point d'Anglete*" o. Malgré cette
concurrence, le délicat < point de Bruxelles , et les jolies dentelles
aq earreau de Malines et de Ilruges furent rechLrchés par les
cl{sses supérieures, surtout par les cours princières des nom-
br'leuses fllles de Marie-Thérèse. Dans la capitale cette
industrie
tuxl occupait une quinzaine de mille ouvrières. En,revanche,
$!
Ia tapisserie <le haute rice, atteinte par la concur""r"" d",
coltols imprimés, des toiles peintes et des papiers dessinés, était
tofinbée en décadehce. La famille Brandt, d'Audenarde, per-
serera presque seule dans la confection des tapisseries à sujets
saprés, mythologiques ou rustiques.
porcelainier lilois peterinck fondait, à Tournai,
Pl 17f0' le
urfe fabrique de porcelaine en pâte tendre, bien.tôt célèbre dans
tofrte I'Europe. ses productions gracieuses en bla'c émaillé
ri$alisaient avec les figurines de sare et de sèvres. Trois simples
of"i"T' les frères Boch, fondèrent une mar'rfacture renom-
Tf" i sept-Fontaines, près de Luxembourg. ils se spécialisèrent
dahrs la fabrication des statuettes en biscuit et des fines
faiences
enlémail blanc à peinture bleue.
pans insister sur nombre d'industries nouvellês : extraction
dep minerais de fer et de promb, ardoisières et verreries dans
le
ya[s.wal.ton, notons aussi la brilante situation économique de
la principauté de Liége.
_ f-'3-ffiux des ouvriers flamands émigrés déveroppa Ïindustrie
Iafnière dans la vallée de la vesdre. En r7zs,u nùisort Biolley,
de Savoie, était le centre de la production drapière à
l:Tt":
v$rviers. EIIe exportait ses tissus jusqu'en Russie et en orient.
E4 1757 I'industrie verviétoise produisait annuellement sep-
tafte *i11: pièces de tissus de laine. A ra mort de Marie-Thérèse,
trÇnte mille ouvriers flleurs et tisserands, travaillant à domicile,
s'éprenaient dans vi'gt-cinq de verviers à Eupen.
troignons à ces éléments de'illages,
prospérité Ies tanneries, Ies quin-
cai]lleries et les clouteries. l)ans les charbonnages, I'exploitation
'qlFr ., '

-870-
des veines profondes était devenue possible depuis que I'on
avait remplacé les tonnelets servant à épuiser I'eau des galeries
par des pompes à feu, machines à vapeur imaginées en 1705
par le serrurier anglais Newcomen. Enfln, la vogue des eaux
' rninérales de Spa attira dans cette localité une brillante société
cosmoPolite.
***
La structure générale de la société fut à peu près la même
au xvûe qu'au xv[e siècle. Par suite de la décadence économique
qui accompagna les guerres de Louis xlv, l'argent était devenu
ùre et la propriété foncière avait augmenté de valeur. La
noblesse et le cl.er$é, maîtres de la plus gr4nde partie du sol,
reprirent leur prestile. Leur prédominanee, fortifiée par Ia
prédilection naturelle du catholicisme pour une société fortement
hiérarchisée, eut un earactère aimable, patriarcal. Dans toutes
les classes de la société les mæurs étaient simples, douces, le
niveau intellectuel médiocre; la vie avait un aspect réduit et
provineial'
Très attachée à ses souverâins, I'aristocratie cherche à main'
tenir ses vieilles traditions d'honneur et d'indépendance dans
les allures. Sous la gouvernante Marie-Elisabeth son a'mour-
propre fut très éprouvé. La rigide archiduchesse, qui avait fait
de la Cour < un eouvent de plus r, interdit les visites en car-
rosses à six chevau5 et défendit aux grandes dames de s'asseoir
en sa présence. son successeur, charles de Lorralne, avait
épou*é,rtt" sæur de Marie-Thérèse, I'archiduchesse Marie-Anne,
mais cette douce princesse était morte dès l7M. Itentré aux
Pays-Bas en 1749, charles avait alors trente-sept ans. Gran$,
fori, le visage couturé par la petite vérole, Ia voix rauque, le
nouvea,u goot""r"rr avait dans ses allures quelque chose de
fruste et de bourru. Mais ses manières étaient cordiales et
pleines de 'bonhomie. Il transforma son milieu en une < jolie
-co11",
g.aie, sûre, agrcable..., buvante, déjeunante et chassante >.
Deux compagnies de gardes du corps, la présence d'un nonÆe
et de plusieurs ministres plénipotentiaires donnèrent satiSfac-
tion aux esprits les plus ambitieux'
Dans Ie cadre verdoyant des parcs de Mariemont, de Ter-
vueren (ou de l,aeken, après 1784'), ou dans Ies salOns coquets'
':
.l

* szr -*
ornés de commodes, de bergères et de glu""r,t on vit alors se
mciuvoir une société pimpante de seigneurs çt de dames vêtus
à lp dernière mode de Paris : marquis et vidames à perruque
poudrée, petit tricorne, frac brodé, jabot de deirtelre, gilet et
culotte en casimir couleur ehair, bas brancs et souliers bas. à
haut talon; dames
àcorsageen pointe,
de taffetas rose tru
puce,largement dé-
colleté en càrré,
grand panier à t'al-
balas,irtrmense eoif-
fure poudrée s'éeha-
l'audant ( à Ia
Victoire ) oll r, ii
Ia Mappemondr: ,o
ttrouche ( assa;-
sitrc D Au coin de
l'æil. De grands
seigneurs rivalisir-
rent avec la, Corrr.
I,e rligne Léopold-
l)hilippe ri'Aren-
llerg, anri rle l-ré-
tléric II, le cer':rit
sonrlltueusentent
tla,ns son châteatr CHARLES-JOSEPH DE LIGNE
d'I)nghien. llIais (Cabinet des estar.rrpes, Bruxelles.)
nul n'était eapable Coiffure e t costume sont ceux deg
rl'égaler en luxe gens de qualité dans Ia seconcle moi.
tié drr xl'rrre siècle,
lc prince Charles-
Joseph de Li$ne, homme à la rnode, spirituel,léger, qui avait,
autour de sa résidence de Belæil (l), un parc dessiné par Le
Nôtre, tout à Ia fois mag.ifique et champêtre >. D'Are.berg,
<r

Ie prince de Ligne, tl.'autres nobles de famille illustre, étaient


en relations étroites âvec les grands esprits français : voltaire,
Rousseau, les Ene;rclopédistes; ils risaient Diderot et souscri-

(1) Arr sud d'Âth.


-ts7!-
\'aietrt à l'u Histoire naturelle l de M. deBtrllon. Notons cepefi-
dant qu'ils fa.isaient exeeption. Dans son ensenblc, la noblesse
belgedu xvrne siècle resta foncièrement hostile aux idées
modernes des philosophes d'Angleterre et de France. I

Le clergé, spécialernent la catégorie des ré$uliers, avait


conservé une puissance énorme. Enrichi par d'incessants legs
et donations, il possédait les deux tiers du sol. De plus, il
X
prélevait un impôt de l0 o/o sur les revenus dc la terre.: la dlme.
Enfin il exerçait son contrôle sur totrs les aetes cl'une population
restée profondément pieuse.
L'existence de la bourgeoisie s'était comrne cristallisée. Ilien
que le pavage tles rues principales ffit devenu d'usage courant,
bien qu'il y eût dijà dans les villes quelques cafés et débits de
thé, bien que la plupart de nos cités eussent imité la capitale,
Iaquelle avait instauré un rnodeste éelairage public en 1703,
nos villes avaient conservé un aspeet vieillot. Les rues étaient
silencieuses, à peine troublées par le passage de quelque
earrosse, fiacre de louage ou chaise ri porteurs. < Les arts
n'habitent pas plus à Bruxelles que les plaisirs, > écrivait en I738
Voltaire. < LTne vie retirée et douce est ici le partage cle,presque
tous .les particuliers, nrais cette vie douce ressemble si fort à
I'ennui qu'on s'y méprend très aisément. >
Répondant au gofit du temps, eertains nobles et bourgeois
étaient entrés dans la franc-maçonnerie et y professaient
des sentiments inspirés par I'esprit égalitaire des novateurs
français. Mais, eneore une fbis, ce$ modernistes constituaient
une infime minorité. La bourgeoisie était restée essentiellement
conservatpice, eomme le prouvait la résistance des conseillers
de justiee à la suppression de la torture. Bien plus, son parti-
cularisme s'était intensifié. De minuscules eonflits régionaux
dresseient I'uh eontre I'autre Flamands, Brabançons ou Hen-
nuyers. A I'intérieur même dei villes, ce n'étaient que disputes
entre bouehers et charcutiers, troulangers et marchands de pain
d'épice, débardeurs et bateliers. Toute la vieille organisation
corporative des petits métiers urbains, caduque et désuète, se
rnaintenait debout par un lniracle d'équilibre !
Ld classe rurale jouissai't rl'une situation infiniment meilleure
que cent ans auparavant. flneore souffrait-elle vivement, comme
la classe urbaine, <lu paupérisrne. La Flanclre cornptait cent
mille indigents sur 7O0,000 habitantÊ. A Rnrges, ectte propor-
**,t

plus grand malheur pour nos populations fut I'analpha-


béti me. Un réglement général de réforme cle I'enseiqnement
prin ire, prrlrlié en 1777 pour tous les Etats autrichiens. ne
presque en rien la situation déplorable de I'instruetion
dtr inférieur.
L' seignement moyen était resté aux mains des jésuitss.,/x'/'i,, É ., rrr r (*
!,^
Las ppression de cet ordre ' - par
...-
r_. le pape clément
vrvrrrvttu xrv,
-rr r, (;rl :r77B;t)n ,,],/t,f 't-(l t
en ta,ùs
t à Marie-Thérèse de réaliser une réforme qui arri lui
rrri étaithL'fi^'76t*r+r
é+:tit(41'fl'76t*41
chè : la laicisation de I'enseignernent. Avec l,aide a'.-" r'oyt(' alta
aCo mission royale des Etudes r, elle remplaça collèoes a"
remplaca les collège* 6a i9 li 1t,,,ico-1
|i, ,ico - 1

jésui o par
hn' quinze /r^ttÀa r.. .,i,, it r{r-
^',:^-^ Collèges dits < thérésiens D, inspectés pn*.i,', .,'.'^?.t1,
^^ 't/t.-
cles iastiques et des magistrats eorlmunaux
isiastiques (IZZE) a
eornmlrnarrx
rqu:\ (lZZ5).
\L,.{1. "i.Qt\nt,'<
i. -,,,.,,:.,(.tCw
PI routinière
r(,ur,rrrcre er
et peoanï,e
pédante que jamais,
Jamars, négligeant. de tenir'7I.ytt
tenir{;,4.i;,-f-*" L
co des progrès <Ie la chirurgie et cl'a,.tres sciences nou'elles,
ilfurîî
l'{J té de Louvain
r"sitÂrlrif r
se signalait par des
^".,^ln^^^:--^r-Ja--- rncrurs cilun a'tre dr!,Ityt "'i'u, I
i
age : de cruelles brimades, les < physications >, v accueillaient
les é rdiants nouveaux; les professeurs frappaient leurs élèr,es
et x-ci se mutinaient. Les Facultés rivalisaient en turbulence,
(1
D èreté et ivrognerie. En r7s4, Marie-rhérèse nomr'il rcr /
com de Nény eommissaire royal des études et tit relever,
par t homme éminent, le niveau de la discipline et des
leço
Ita, création par Marie-Thérèse d'une Académie rmpériale
et ryale des Sciences et des Belles-Lettres û6 rtécem-
bre I ) ne doit pas nous ill.sion'er. Le mo.vement seienti-
fique rsta nul. Au début du siècle, le cardinal-archevêqtre dc
Mal , Thomas de lloussu, srlr'nomnré n lg marteatr au lan_
senl e >, avait repris la lutte contre les partisans des doc_
trin de l'< Augustinus'. Irn lz2g, I'ilrustre eanoniste van
Esp , dit ( le docteur de toute la Flandre >, âgé de quatre-
vingt de.x ans et prof'essant à Louvain depuis cinqrrante ans,
avait été rér'oqué et moralenrent eondamné r\ l'exir (r). prtrs

nrourut à Amcrsfoort, près tl'Utrecht, la môrne année.


:t74
- -
tard, les efforts de cobenzl et de starhemberg ne purent galva-
niser notre corps scientifique timoré et engourdi. Les noms de
Jean Desroches, de l'évêque d'Anvers De Nélis et de I'abbé
Mann, membres de I'Aeadémie, n'éveillent que le souvenir
rl'érudits eonsciencieux, sâns originalité ni envergure.
La censure ecclésiastique, eombattue par charles de Lorraine,
avait été partiellement remplacée en l?6a par la censure civile'
celle-ci était assez clémente et feignait notamntent d'ignorer
que la firme bmxclloise Foppens imprimait, à I'usage des esprits
eurieux, de petits livres prohibés, soi-disant originaires de char-
leville ou tle Ratisbonne. Qu'avait-elle besbitr, en effet, de
surveiller une soeiété oir le gofit seientifique et littéraire était
anéanti?
Nos lettres d'expression françalse ne possèdent qu'un
représentant, au cours de tout un siècle. Il est vrai que celui-là
fut e*quis. Les < Mélanges littéraires, militaires et sentimen-
taires I du prince charles-Joseph de Lt$ne (u35-1814)'
écrits,avec désordre et finesse, sont une colleetion charmante
de mémôires, lettres, proverbes de style frivole et pittoresgue.
Leur auteur ne fit pas'école; il fut un délieat flilettante, isolé
dans une ambiance de médiocrité'
De plus en plus délaissé par le.gouvernement et' làs elasses
dirigeantes, le flarnand ' devient un patois' Tout le bagage
littéraire cles populations flamandes consiste en quelques livres
de prière, en petites éditions expurgées du roman des Quatre
B.ils Aymon ou de tr'Ioris end,e Bluncefl,oer (I ) et en plates farces
(boerfilge btiispeten [z]) du rhétoricien Cammaert'
,Les"arts*'étti"ttt,mêmeauxépoqueslesplussombres'
haintenus, dans nos provinces, à un niveau supérieur. Au
xvme siècle il n'en fut plus ainsi. Les meilleurs architectes du
temps, Jean-Andr.é Anneessens, fils du syndic bruxellois, van
Baurseheidt,Dewez'voya,geurinfatigable,DeNeufforge'dit
< le vignole du style Louis xvl D, possédaient un talent
sfir
mais hÀité. Obéissant aux deux courants successifs du siècle :
jolis
le style Louis XV et le style Louis XVI, ils édiflèrent de
ùOt"i. aux balcons ventrus et aux toits d'ardoises percés d'æils-
rle-bæuf (à Liere notamment), des abbayès d'aspect eosstt

(1) F'lorent et Blanchefleur'


(2) Yauclevlllee rustiques.
I

' -875-
(Val-Dieu dans le pays de l{erve, Flo,reffe dans l'Entre-sambre-
et-Meuse, Orval au sud de Florenville), des fontaines gra-
cieuses couronnées de décorations allégoriques. Dans le pays
de Liége fleurit une coquette adaptation du gofit français aux
nécéssités régionales : ce fut le style Louis XV ( liégeots (f ) o.
Enfln certaines constructions subirent avant tout des influences
italijennes, témoin la cathédrale Saint-Aubain, à Namur,
con$truite sur les plans du Milanais Pizzoni. On y getpouve la
eoupole, Ies colonnes composites et Ies parois intérieures pIâ-
trées de stuc des églises romaines ou napolitaines de la période
de d8cadence.
Lb plus harmonieuse et vaste bonception architecturale du
régiine autpichien fut I'aménagement du quartier du parc,
à Bfuxelles, de l?74 à 1780. Un architecte français, Barnabé
Gulmard, ayant pour eollaborateurs Montoyer et fe Viennois
Ziniaer (ce dernier particulièrement pour Ie dessin du parc),
en fut I'auteur. C)n a eru retrouver dans le groupement des
pavfllons eubiques et des portes triomphales de la place Royale
une imitation de Ia célèbre place Stanislas, de Nancy. euoi qu'il
en goitr eet ensemble'de constructions_ classiques à frontons
triahgulaires, entourant un parc parfâitement dessiné et ouvrânt
verd Ia ville basse des perspectives inattendues, est d'une sobre
distlnction.
Pprmi les sculpteurs, certains perpétuent les traditions de
virtposité de leurs devanciers, dans le domaine de la décoratioh
eccfésiastique. Le Gantois Laurent Delvaux (t6gS-t?ZS)
sculpte un chef-d'æuvre : la chaire de vérité de l'église de
Sairlt-Bavon, à Gand (1748). Doautres s'orientent vers l'étude
de ['antique, mais tel que le conrprenàit I'ItaHen Canova,
Pou,bke (t 1809), de Dixmude, Gilles Godecharle (t?Er-
183f,), de Bruxelles. Ils font cles bustes, des groupes nrytholo-
giques pour Ies pares prives et des compositions allégoriques
pouf les frontons des bâtiments publics.
Lp, peinture se résume eir un nom : André Lens, d'Anvers
(f7q9-1822). Après un long séjour en Italie, Lens mit à la mode
ees grandes compositions pourléchées, de couleur fade et de

également dans I'arneublernerrt et fut pratiqué pa.r


.,"ir:J:".Tuiïffii
376
- -.
<lessin sec, que I'on crut cle bonne foi destinées à faire renaître
I'art de I'Antiquité. Ce peirrtre taniteux, dognratique et com-
passé, fit cependant opérer une réforme utile. Très aimé de nos
gouverneurs générattx, il obtint de Marie-Thérèse, en 1773,
I'affranchissernent des artistes de la Juridiction des
métiers. Jusqu'alors, en efl'ct, les architecbes et les sculpteurs
ou tailleurs d'images avaient été fiancs-maîtres dans la cor-
poration des Quatre-Couronnés, au même titre que les
maçons, Ies ardoisiers et les tailleurs de pierre; les peinÛres ou
fijnsclt.i,Irlers avaient fait partie cle la gilde de Saint-Luc, en
compagnie des badigeonneurs !
t
llais ni la transformation de leurs métiers en arts libéraux,
ni la c'réation d'une .r Académie royale de dessin et de peinture,
sculpture, architectuls r, r€ parvinrent à rendre à nos artistes
leur ancienne'originalité. Tout au contraire, le rigorisme acadé-
mique les paralysa pendant plus de cinquante ans.
Quant à I'art musieal, il se eantonna spécialement à Liége.
Lln jeune musicien de cette ville, André drétry (f74I-l8lll),
devint célèbre à Paris pâr ses opéras-comiques et ses opéras-
bouffes. Ses pastorales, ses compositions pimpantes, légères,
exquises : ,r ]es Derrx Avares n, rt Zémire et Azor r, etc.l obtinrent
un sueeès fabuleux. Au point de vue musical, Grétry incarna
l'ancien régime poudré et parfumé. Ce fut aux sons de I'air
célèbre : <r O Richard, ô mon roi, I'urtivers t'abandonne ! > gue
Ies gardes du eorps, réunis en banquet à Versailles, jurèrent
de mourir pour la famille royale de Francc, à la veille des
journées sanglantes d'octobre 1789.
CHAPITRE IV

LE RÈGNE DE JOSEPH I[, DE 1780 A 1787

de Joseph II dans les Pays-Bas [f Z8r] (pp. S?Z et B?8).


Caructère de Jbseph II, ses doctrines potitiques (Op. aZS
379). Sa politi,que eætérieure : démolition des Ttlaces de ia
ière- [782] ; gu,brre < de la Marmite r [rZB4] (pp. SZO .
380). Polit:ique intérieure dc l'Ernptereur. Le Joséphisme-
880).- Les' réformes religieu,ses; rési,strlnees qu'elfes pro-
-
, [r78]-US6] (pp. 38O et SBr). Les iéformes admi-
|-r787'l (pp. s8r et 882). -
n L'&mour de la patrie, le bien-être
de la monarchie, voilà, en vérité, cher
frère, la seule paesion que je ressens...
Je me suis tellement lié à elle quo mon
ôme ne peut être tranquille, ni mon
corps bien portant, si je ne puis être
convaincu d.e eon bien-ôtre... r,

(Joseph II à son frère Léopold,


granil-tlue tle Toscane. f 768.)
-
-878-
conque avait la faveur de I'approcher d'une parole affable mais
brève.
Cette originalité dans les allttres révélait un esprit personnel'
Joseph II avait reçu
.---= une instruction très
inégale. Remarqua-
blement intelligent
et d'une grande no-
blesse de sentiments,
il avait, dès I'en-
fhnce, juré de consa-
erer toutes ses forces
att bien de ses futurs
Fltats, mâis sa mète,
effrayée par son ea-
lactère à la fbis chan-
geant et obstiné,
avait t,oujours pâm-
lysé son activité.
l)ès qu'il flf rrraîtrt'
rl'agir ir sa guise (l),
il donrra libre cortrs
r'r son gotit tles réfor-
roi
rrtes et lc vierrx cle:
Prusse Frédéric Il
put à jtrste titre pro-
'nostiquer : < Voilir
JOSEPH II
nouvel ordre des
l'' Liolr'
c:hoses!r Joseph II
Gt:itvttl'e pirr 'Ii::eltler, d'apr'ès
était le type du des-
(Crr,liinet, <les cstit'lttltes, Brlrxcllr''s. )
pote éclairé. Acenr-
Àgé de près ite vingt-cinq ans it l'époque oir clant une verttr sou-
fut peint cè portrait, le futur monarque porte
la perruque poudrée, le ia-bot-de-degtelle et veraine au pouvoir
I'hÂbit de Cour richetnent brodé. Ni le visaele de la raison, il ap-
précocement empâ,té, ni lc regard sans expres-
Fion ne décèleut la personnalit6 réellement puyait tous ses plans
supérieure ttu fils de I\{arie-Thérèse'
de réforme sur des
principes abstraits et déderiqnait, les trarlitions régionales ainsi
que les sortvctrirs historiques. Philosophe habittté à ne prendre

(l ) ,\farie-Thérèse rnottrtrt le 21) noverlrhre 1780.


-- 879 -_

crrngeil que de lui-même, ne doutant jamais de la sûreté de ses


jugements. impatient, fébrile, abrupt et autoritaire, il harcela
d'artêtés réformateurs tous les peuples de la monarchie. Lorsque
ceurç-ci, trop bousculés pour démêIer à première vue ce qu'il y
avai,t de beau et de bon dans cès transformations, voulurent
protlester âu nom de sentiments surannés mais respectables,
l'Enfpereur les morigéna avec une sécheresse rle bureaucrate et
les flt reculerpar la < erainte du militaire! >
L4 politique extérieùre de I'Empereur fut vigoureuse.
Déjà en 1756 Marie-Thérèse avait refusé de eontinuer à payer
le tribut annuel de 50o,ooo. écus stipulé en l?l5 pour I'entretien '

des places de la Barrière. Profitant de ce que les provinces-


Uni{s étaient en guerre avee I'Angleterre, Joseph II ordonna,
en 11782, la démolition de toutes Ies places fortes des Pays,-Bas,
en cbmmençant par celles qui étaient oècupées par les Hollan-
dais. Ces derniers, privés de logement, évaeuèrent pacifiquement
notre tenitoire; le traité de Fontainebleau (10 novembre .
f785) abrogea la convention de la Barrière.
Jciseph II teni,a aussi de libérer les bouches de I'Eseaut.
Le 6 octobre 1784, un brigantin, Ie < Louis >, descendit le
fleuve. et brava les soldats hollandais qui, du fort de Saeftingen,
lui obdonnaient d'amener le pavillon impérial. Au premier coup
de abnon du cutter hollandais le < Dauphin r, la < marmite r
(de puisine) du < Louis > fit explosion (l)! La médiation de
Louib XVI (R. 1774-t792) empêcha la < guerre de la Marmite >

de flrendre de I'extension. Le traité de Fontainebleau, déjà


men{ionné, stipula que I'Escaut resterait fermé, mais que
l?Errtpereur pourrait garder les forts de Lillo et de Liefkens-
hoek avec une indemnité de l0 millions de florins.
C@endant, tout comme sa mère, Joseph ff n'attachait pas
un pnix extrênre à la possession des Pays-Ras. Après la guerre
de ld < ùIarmite u, il proposa âux Puissances de les échanger
contfe le duché de Bavière. Le duc de Bavière serait devenu
souverain de nos provinees avec le titre de roi de Bourgogne
ou dJAustrasie. La France et la Prusse firent échouer ce projet,
L'Arjgleterre, de son côté, s'opposà à une mesure qui aurait
substitué au gouvernement de I'Autriche une souveraineté pré-
---.----------
(1) Uu seoond, brigantiu, l,Attênln, parti d,Ostende, fut arrêté par I'escadre
de l'atninu fi,eynst à I'embouclrure de l'Escaut.
380 ---

ca,ire, susceptible de tornber bientôt sous la suprématie fian-


çaise.
L'attention de Joseph II fut presque exclusivement absorbée
par les affaires intérieures. Depuis 1780 nos gouverneurs
généraux étaient le doux et affable Albert-Casirnir, duc de
Saxe-Teschen, et, son épouse I'archiduchesse Marie-Chris-
tine, sæur de Joseph II, princesse cl'esprit vif et avisé. A partir
de 1783, Joseph II leur préféra comme exéc:uteur de sa politique
le Ministre Plénipotcntiaire comte Barbiano de Belpiojoso.
.Ioseph II était un croyant sincère et le pape Pie VI (1775-
1799) avait dfi conl'esser qu'i[ était a le meilleur cat]rolique dg
rrloncle tr. Mais il n'admettait pas que I'Ilqlise piit sortir du
clomaine spiritucl et s'affÏanchir dc I'autorité <Ie I'IJtat. Cette
doctrine prit plus tard le nom de Joséphisme. Le l3 octobre
1781, t'Edit de tolérance' complété par un édit du I2 novem-
bre -- consacra le principe de
applicable dans tottt I'empire
-
ln r, tolérance civile C'onvàincu des effets pernicieux de toutes
n. u

les violenees exercées sur les consciences..., > I'Empereur' ne


voyant dans l'homn'te que le citoven, rendait accessibles
aux non-catholiques les emplois publics, les $rades
académiques, les droits de bour$eoisie et'les droits cor-
poratifs. Les protestants (:taient autorisés à bâtir des tentples
discrets. Iln somrne, .foseirh II établissait la liberté des cultes.
Le2l rnai 1782,I'Empereur proelamait la liberté des nrariages
entre eatholiques et iéfornrés (mariages mixtes). Mécontent dtt
nombre croissant et de la richesse des monastères, il supprimnit
peu après les < couvents inutiles >, c'est-à-dire les ordres con-
templatifs (17 inars 1783).
Il serait trop long <l'énuntérer toutes les réformes de loErnpe-
reur en matière de religion. Ayant enlevé att clergé la tenue
des registres paroissiaux des naissances, mariages et décès, il
déclare le mariage contrat civil (26 septemtrre 1784). fl sup-
prime I'appel du clergé au pape et soumet au placet Eouverne-
mental les manclements épiscopaux (f785). Enfin, le 16 octo-
bre 1786, il fonde un séminaire $énéral à Louvain, un sémi-
naire < fllial r, à Lrtxembourg, leur impose un programme
d'études uniforme et supprime les sérninaires épiscopaux,
ceci, prétend-il, << afin tle poÉer retnède à la eorruption progres-
sive cles mtturs u!

f)an6 nos provinces ttltra-catholiques, toutes ees réformes,


a'p't tes
.bqlnes ,'," ,", ;t,.',l*,r-r, avaienr pr,voqué ra
sttfPeur, ptris I'indignation. Evêques, c'rés, professeurs
à I'Uni-
ve{sité.de l.o*vain, membres cles L)tats, éàhevins, doyens
de
ntéltiers, avaient protesté à l'ervi contre des innovatir:ns aussi
corf traires a'x_ institutions tres pays-Bas et
à la psychorogie
crépe par le régime des Archiducs. < v's remontrarces
sont
t-"t["t. délire, > leur avait dédaigneusement répondu
t_rr"_
'rofeph rr. or, ce qui exaspérait ra rna*se du pubric, c,étaient .

pe$t-être les mesquineries prutôt que les ,rr"*,rr*. de


tolérance
<ruf toutes les constitutions drr xrxe siècre inserivirent plus
,i leur programrll('. .Ioseprr II perrrait so. temps à m<ldifier
lortt
Icsllimites des paroisses, à supprinrer les confréries po.r les
renlptacer par celle de n 1'4prour actif du procÉain ,r, à
régre-
mefter les processions, les pèlerinages et jusqu'au costume des
clu]noinesses ! Le mordant Frécléric rr le surnommait (
: nlon
frè{e le sacristain r;!
petites mesures, exeeilentes en soi au point de vue
, {'atrtres
.esl corlvenlncêls ou de l,hygiène, ne furent pas comprises
clu
mefu peuple- Joseph rr a'ait fnit interdire les inhurnations
dafs les églises o' les cinretières contigus et avait ordônné que
Ies honneurs fussent rendus aux rléfunts, à q.elqtie
lmêmes qu'ils
eonflession appartinssent. f,e fougueux polémiste De
{el[er' aneie' .iésuite, et tous les publicistes ennemis du José-
pltifme puisèrent dans ces résolutions des arguments nouveaux
l.a.noti_tiuuc
:o"1"" intentions de I'IJmpereur. Feig'ant J* r" pas compren-
dre
lses moralisatrices, ils I'accusèrent aussi de vouloir
prir{er le peuple de ses seules joies parce que, renouvelant
de
lairfgs tentatives faites autrefois par charles-euint et
Arcfriducs, il avait fixé au mêrne jour les kermesses
les
de
tou{es les paroisses (ll février lZg6).
_ Joseph rr, esptit très centralisateur, rêvait de mettre en
les institutions de ses murtiples Etats, de façon à en
fa.rf3nie
fair$ les d'une sdrte de laste méeanisme d'horlogerie.
.l:..rug.r.
cetJe..poli,lo"_" stopposait diamétralement à celre de nos aTeux,
emr$itonnés dans leurs hatritudes sécuraires et ne voyant
de
salu]t que dans le maintien i'défini de Ia Joyeuse-Entrée
rle 1856.
r,ê ler ianvier 1787 et au eours des semaines suivantes,
une
séric dc rélbrmes, exeeilentes en elles-mêmes, mais imposées
san$ transitions, vinrent bousculer toute notre organisation
adnlinistrative et jridiciaire. Lrn conseil général dls pays.
'

BaC, présidé par le Pténipotentiaire, remplaça les trois Conseils


collatéraux. Les députations permanentes des Etats provin-
ciaux furent supprimées. Notre PaYs, mosaîque composée'par
le jeu patient de I'histoire, I'ut brutalement divisé en neuf
cerctes, dirigés par des intendants et subdivisés en districts
sous I'autorité de comrnlssalres d'intendance (g rnars)'
Soixante-quatre tribunarix de première instance, deux
Conseils d'appel (Bruxelles, Luxembourg), un Conseil sou-
verain de Revlsion (Bruxelles), remplacèrent du joun au len-
demain nos Cours souveraines et Conseils provinciaux' nos
juridictions échevinales, seigneuriales, ecclésiastiques' univer-
,itui""* et corpordtives. D'un trait de plume, Joseph II préten-
dait supprimer ciùq ou six siècles de notre passé'
CHAPITRE V

tA RÉvoLUTroN BRABANçoNNE (tz8 z-r290\


ET LA
RESTAURATTO.N AUTRTCHTENNE (1790 -1792)

Les Etats de Brabant prennent ra direction de I'oprytosi,tion (p. gga).


Concessions des gouaetneurs généraua [mai tZgZ] (pp. Bg4
-et 385). Van der Noot et Vonck (p. B8E). Le Comité
patriotiqte- (pp. BB5 et B86). -
Les q préalables indispensables >

[août 1787] (p. BBs). -


I)ietature du comte de Trauttruansdorff
(p. 886). -
Le déc"ret interprétat:if [22 janvier rZBs] (p. ASOj.
-
L'oppàsition grondit (pp. 386 et Sg7). Joseph II annule
-'la Joyeuse-Entrée - conuité rérsolution-
[juin t?89] (p. B8z). Le
naire de Bréda; act:iaité diplnmat:iry,e de- Van d,m Noot (pp. Sgz
et 388). La Sôcùété < Pro Arùs et Focis r (p. SBB). _ Van der
-
Msrsch prend Ie commandernent des aornntaires (pp. Bgg et Bgg).
rnaasiun, de la ca.mpine; bataille de Tu:rnhout
-f 7891 (p. 389). 127 octobre
Les Autrichi,ens éaaôuent Ia Belgd,qte [novem-
bre-décembrel -(pp; 889 et g9O).
Entrëe triomphale de van der Noot à Bruuelles
[I8 décembre rzgg]
(pp. 890 et 891). Le Statisme (p. S9I). Lds Etats-Betgiques
urzfs [lo janvier- t?g0J (pp. B9r et 892]. - Le vonclyi$ne-
(p. 392). -
La hûte entre Ic Stat;isme et le Vonckisne (pp. S9Z
et 893). - Les troubles de rnars (p. sga). Ig aoril : amestation
dc van -dcr Mersch (p, sgg). -
La <c Terreur rurare > [mai]
(pp. 898 et 894). -
Proposûtions coneùriarytns de Tempereur
Léopold rr ; politiqte absurde de van der Noot; triste état d,e
- i|8+
-
l,année nutionule (pp. 394 et S95). Lu corruention de Rei-
chmbach [27 juillet] (p. Bg5). La - < Croisade de septembre >t

-
(p. S95). -- L'affaire de Fahnugne [22 septembre] (p. S95).
Effondrement de la réTtubtique des Etats-Belgiques [octobre-
-décembrel (pp. ii95 et 396). La restaurat:ion au,trichienne
(p. 396).
-
,fugentent sur la réaolution brabançonne; Ie senti-
-
ment patriotique ù cette époque (pp. 396:ljt98). tr.'in drt' régime
-
uutrichien [r79r-r792] (P. a9s).

- u A Peiue ai-je rég;né neuf &ns,


Que je vois aPProcher I'instant
De finir ma canière;
J'aurois Pu me faire adorer,
:
'."J;,ff :-.:*i ri:iester
(I,Ii I)ÉSF)SPOIR ET LA }TORT DN L'IN.
cotII'.'rR'ABr,E Josnpn II. Chan'
son lropulaire en 1789.) -

Les clécrets du l-er janvier l7tt7 prtlvotlulrent trne oppo-


sition unanime. Le Conseil de Rrabant, dont les fonctions
comportaient notamtnent I'cnrggistretttent des édits du prinee,
les Etats fle Brabant, tortjt'rurs ern têf e tles mout'ements de I'opi-
nign publiqle rlepuis Ie xvre siircle, protestèrent au nom {es
Constitltions territoriales violées. Lc l9 avril, les Etats bra-
bançons refusèrent r.le eonsentir h levée des impôts jusqu'à la
slppression des ordonnalrees eontraires aux stipulations de la
.Ioyeuse-Ilntrée. Les gouvertleurs généraux étant très airnés dtt
public, toute la haine se concentra sttr le Plénipotentiaire
Belgiojoso, < I'Italien chaucl, violent et traître >, exéeuteur
impitoyable des volontés {tr monarque. f)ans les rues, on le
huait au passage. En rirême temps une violente campagne
s'engageait, du eôté des ( patriotes )), contre les Belges au ser-
vice de I'Autriche, les bourgmestres ou pensionnaires des villes
favorables à sa politique, bref; les ( royalistes' intendants tr
ou < ff$u€s '. A la fin de mai, pl'sie.rs nraisons d'employés
fitrent pillées.
Le duc de Saxe-Teschcn avâit été frappé par I'intensité du
rnouvernent tle résistance atrx Pays-Bas. < Convaincu qu'On en
veut à ses {roits les plus sacrés, à sa liberté même, > écrivait-il
à Joseph II rtès le l8 lnai, < toute la natiotr, cleptris Ie premier
jusqu'au dernier, est pénétrée cl'ttn cnthotlsiasme de patrio-
-885--
tisnre qui ferait verser à ehacun la demière goutte de son
sang plutôt que de plier sous les rois que I'autorité .vou-
drait imposer et qui paraitraient contraires à Ia constitu-
tion ,. Le 28, d'accorcl avec I'archiduchesse Marie-christine,
il sirspendait provisoireme't I'exéeution des principaux
décrets.
(lette concession n'empêcha pas l'opposition de continuer
à
s'orgâniser. Elle eut bientôt deux ehefs, Ies avocats Henri
van der Noot et Francois vonck. Agé de cinquante-six ans,
Va' der Noot était un tribun populaire, grantl et gros, à la
voix tonnante et au geste dominateur. Le peuple, séduit, était
aveu$le pour ses défauts : la loquacité, I'emphase, la lourde
vanité et les manières triviales. IJn réalité, c'était un brouillon,
masguant son incapacité par une incroyable audaee Ùrais il
eonnaissait r\ fond les droits et les franchises du Brabant et de
llruxelles, sa ville natale. rl avajt l'appui du clergé, des métiers,
<les serments et de la populace. son meilleur ami'était un
ecclésiastique fbrt délié, le chanoine van Eupen, grand-péni-
tencier de l'église Notre-L)ame d'Anvers.
vdnck, né à Baerdeghem (près de Termonde) en r74ù, était
ttn pçtit homme fluet, au visa,ge fin et spiritue}. Honnête, ealme
et mdrdeste, il était favorable aux idées des philosophes français
e't très épris de liberté. ses partisans étaient quelques nobles,
tles grands bourgeois, des négociants, des al-oeats, des officiers
ct url petit nombie de prêtres (r). van der Noot et vonck fbn-
dèrerit ensemtrle un Comité patriotique, ,soi-disant pour le
nuinrtien de I'ordre. nrais en réalité parce qu'ils considéraient
que ,l'article 59 de la Joyeuse-Entrée leur donnait le droit
cl'organiser la r'ésistanee eontre un prince violateur de ses ser-
rnents d'inauguration. Pour avoir des fonds, ils mirent en eircu-
latiorr des listes de souscription patriotiques. r.e cardinal de
Frarlckenber$, areher'êque rte lT,tarines, et les richissimes abbés
des $rands monastères du pays leur lb'rnirent des subsides
consirlérables. Le comité fit circuler dans toutes les provinces,
avec le plus vif suceès, dcs pamphlets, dès caricatures et des
changons satiriques. rl enrôla rles vorontaires parnri les membres
des $erments et leur donna des aux couleurs du
'niformes
(l) iltar'nri les curés dévoués au vonckisrne, je citerai le frère de volck et
lc chaboine De llrou, tle Nlalineil.
F] yAN KAr,I(EN. rrrsrolRrq DH Rr,)r,cretn, _ lg?4. lB,
-
\
-386-
Ilrabant, le noir, le rouge et le jaune, tliversement combinées
pour I'habit, le gilet et la culotte'
Joseph II ne voyzrit pas clairernent ce qui se passait aux
pays-Bas. Il convoqua-par devers lui les deux gouverneurs
généraux, le Plénipotentiaire et <les députés des Etats de tttutes
ies pr.ovinces. INn aofit t287, il plaça les délegués belges devant
la solution , n Ôt se soumettre ou périr. I Toute concession de
sa part devait être précédée des ,r Préalables indispensables
,:
réinstallation des fonctionnaires et licencietnent tles volontaires
tlu flomité.
It f'allut s'incliner. Alors Joseph II rapporta ses décrets sur la
nouvelle organisation adrninistrative et judiciaire. Mais les Etats
continuèrent à réclamer I'annulation de presque toutes les
réformes.ecclésiastiques. Pour toute réponse, I'Empereur leur
envoya, en clécembre, un nonveau Plénipotentiaire, le comte
cle Trauttmansdorff, muni cle pouvoirs dictatoriaux. En même
ternps, il chargeait du commandement général rles troupes tln
soldat rigoureux, lc $énéral d'Alton. Peu après, le duc de
Saxe-Teschen et son épouse rentrâient à Bruxelles, mais ils rte
possédaient plus que I'ombre du pouvoir'
Le point de vue de Joseph II fut exposé dans.un < décret
interprétatif l qtte devait enregistrer le Conseil de Braban1.
Le Z2janvier t?88, Trauttrnansdorff fit cerner I'hôtel du conseil
cle Brabant et déf'endit aux membres de lever la séance avant
d'avoir pÏonrulgué l'édit impérial. Vaincu par rt le triste.moyen
des canons et des baTonnettes >, le conseil céda, à ll heures
du soir.
Pendant toute I'année 1738, Joseph II s'obstina dans sa poli-
tique religieuse. Le rlouveau séminaire genéral comptait à
p"itr" vingt élèr'es. Le monarque n'en garda pa,l moins les sémi-
naires épiscopaux fcrmés. L'Université de Louvain s'étant
rebellée, it la ferma; des troubles ayant éclaté à rÆuvâin,
Ûtalines et Anvers, il les flt réprimer avec sér'érité'
Le 21 novembre la crise tlevint aiguë. Les Etats de Brabant
avaient été réunis pôur délibérer: sur la demande ordinaire des
subsides. Les d,éputés d.u Tiers refusèrent de voter les crédits;
ceux du Hainaut firent de même. Résolu à a couper en plein
drap D, Joseph II fi.t, Ie 26 janvier 1?89, menacer les Etâts, par
une proelamation lue sur la Grand'Place, cle < changer Bnrxelles
en désert et d'y faire etoître I'herbe dans les rues )). Il fit alors
_887--
biaquer les canons sur la Grand'plaee; le Tiers clut se soumettre !
Le B0 janvier les Etats'de Hainaut furent cassés et perdirent
Ieurs privilège.s.
r^oin de réfléchir aux causes profondes de I'opposition qu'il
rencontrait, Joseph rr accentba son despotisme avec une sorte
de frénésie. Le lE mars, il annonçait aux Etats d.e Brabant sa
volonté de réformei la Joyeuse-Entrée, acte < incompréhensible,
ténébreux, inexécutable r. Le tg juin, il reclarndit de ees mêmes
, xltats Ia suppression du droit de veto du lriers, la concession
d'un subside perpétuel, le droit de libre promulgation des lois
et loétablissement de la nouvele organisation judiciaire. Les
rltats répondirent : < vous pou\rez nous easser, mais nous
forcer, non ! r L'Empereur cassa les Etats de Brabarrt,
supprima leur députation permanente, supprima le conseil
de Brabant et atrnula la Joyeuse-Entrée !
ces événements se passaient au nroment où Ie peuple de paris
se préparait à défendre par les armes les droits du Tiers aux
Ixtats généraux et allait prendre Ia Bastille. Bien que I'idéal
poursuivi par les Français fût rliamétralement opposé ri celrri
cle nos pères, I'attitude énergique des parisiens exerçà s'r les
Bruxellois une influence ccntagie'se. < rci eomme à paris, >
pronostiquèrent des billets anonymes répandus dans les rues.
r.e a principal boute-{'err ,, van der Noot, s'était soustrait à des
poursuites par la fuite, dès le g aotrt lzgg. se eroyant très grancl
diplomate, il avait pris le titre u d'agent plénipotentiaire dtr
peuple brabançon r et avait entrepris des voyages auprès des
gouvernements prussien, hollandais et anglais, unis en une
Triple-Alliance depuis lzgg, après la révolte des < patriotes
hollpndais et Ia restauration du stadhouder Guillaume v par'
le roi dé Prusse Frédéric-Guillaume rr (R. tTg}-rzgz). L'opi-
nion publique nourrissait d'étranges illusions à I'égard de I'appui
des Puissânces, comme le prouve Ia chanson suivante, très
goûtée en pays flamand :

< Eng'land zal niet Tùanqr.eeren,


Mirontnn, Mirontnrl,, Mirontaine,
Nog Pruyssm en llolland, (bis)
Ons orij te declarereno
Mitontnn,.,.
Met wapens in de hand,
BStt
- -
Den Duytsch aan hier moet ultt'gten,
Mi'rontnn,...
I)en Fran$nwt bliift otts bt'j; (bis)
Dat nu de Viigen zu'gten,
Mirontanr.-.
'Ziit Boue io'ngens blaT / I (1)'

van der Noot s',était vu hautainemelrt refuser deux aucliences


par le célèbre ministre anglais \ililliarn Pitt, qui redoutait de
voir les Belges indépendants se placer sous la suzeraineté de la
France. Par contre, la Prusse et la Hollande avaient feint
d'écouter avec attention ses projets <l'union hollando-belge
ou de république belge indépendante sous le sceptre du seconcl
fils du stadhoutler. Transporté cle joie , van der Noot s'imaginait
cté.jà voir venir à notre secours les contingents du
saint-Ernpire !
En réalité, Ilollandais et Prussiens ne cherchaient qu'à agacer'
I'Autriche.
De son côté, Vonck, esprit plus pratiqrte' avait depuis le
-
perfectioDné I'organisation d'une société
mois de mai 1789
-
secrète, dite r Pro Aris et Focis (2) '. fIn comité directeur
dirigeait les travaux des u enrôlés ', lesquels, agissant sous des
Le
noms d'emprunt, ne se connaissaient pas réciproquement'
but d.e I'association était d'organiser la résistanee armée dans
les Pays-Bas.
AucoursdumoiscleseptenrbrelTEgbeaucoupdevolorr.
oit
taires partirent pour Hasselt, dans la principauté de Liége,
s'était formé un comité vonckiste. Mais les Autrichiens, mis
sur leurs gardes, organisèrent une traque à travers la campine
liégeoise (8 octohre), ce qui obligea le groupe vonckiste
à émi-
grer vers Bréda, eentre de la propagande van der nootiste
à"pui, le début cle septembre. Là, les deux eomités se fusion-
nèrent. A la mi-oetobre, il y avait déjà ptus de trois mille
hommes rassemhlés à la frontière hollandaise. vonck en avait
offert le commandement à Jean Van der Mersch (1734']-792l'
àtorret pendionné de I'armée autrichienne. Van der Merseh,

(1) Lângleterre ue rll&nquel'a pas' "' ui la Prusse' ni Ia Hotlarlùc, tle


nous déclarer libres ,'. lcs armes à la rnain'
L'allemand doit fuir d'lci, .., le Français nous restc fldèle; Qu'ù Présent
lesu û8iuos , fuient, ... 8iii,rË pà'yB&ns, soytrz contents!
(2) Pour les autels et lcs fo-vers'
_389_
apfès une carrière honorable, s'était retiré à Dadizeere, près de
Menin, sa ville natale. surnonrmé a le brave Framancl ,r, il
menait une vie patriarcale. Quand il avait reçu le message de
vonck, il avait pris son fusil, sifflé son chien et était parti
fleBmatiquement pour se mettre cl'accord avec les patriotes.
Alh,rmé par l'émigraùion, le gouvernement autrichien avait
cohdamné Ies émigrés au bannissement perpétuer et à la priva-
tidn des droits eiviques (rrrort civile).
-uis
le Bo septembre,
il lavait menacé de ln p.inc rle mor:t ceux qrri aideraient les
mqtins à passer la frontièr.e.
I)ans Ia nuit drr Zii arr 2-1, oetoblc r?gg, varr der lVlersch,
suivi de trois nrillt: volontaires armés de vieux t'usils, n'ayant
ni cavalerie, ni canorls, envahit le norcr de ra campine ct alla
occuper Hoogstrael.err.. r,c g{'. il lança un auclacieux ( Manifeste
au peuple brabançon r,, r'étligé par Van der Nrot. dans lequel
.ropeph rr était déclaré déchu rle scs droits sur le duché de
rlrpbant- A I'annoncc de cetttr invilsir.r', le général sehroeder,
vehant de Licrre, se porta ir la rencorrtre dcs Patr.iotes. van der
Morsch simula habilemcnt un nrourrenrent cle rettaite, se barri-
cada dans le cirnetière et les nraisons entour,:-rnt kl Grand'place
de Turnhout et décirna par lln ileu uourl.i deux batailklns
d'infanterie et des dragons autrichicns (:27 octobre). ce succès
fut éphémère. Nlais, au tlébut d. n'vcrulrre, une off'ensive
auflacieuse des patriotcs vers la Flandrc rréeoncerta d'Alton qui,
pefr après, ordonna un rrxlrverncnt général de retraite. Avec un
entrain héroi-conrique nos volontaires soulevèrent partout les
populations, harcelant ici des arrière-gardes. défonçant là des
tohneaux de bière.le tout dans un désordre épouvantable. Gand
fuf délivrée Ie iz novembre, rlruges le len<lemain. Le lg novem-
brb, les gou\rerneurs généraux quittaient Bruxelres et se réfu-
giâient auprès de l'électeur de cologne, frère de l\[arie-
Christine.
flandiS que Trauttmansdorff et d,Alton se querellaient, le
viôomte Edouard de walckiers, banquier de ra cour, soulevait
Ialbourgeoisie vonckiste de Bruxeltes (I); Mme de Bellem
(Jbanne Pinaut), amie de Van dér Noot, haranguait la populace
clahs les cabarets de la nul lraute et entraînait à sa suite les

(1) Vonck lui-rnême, trahi par ul eslri<.rn, ir.vait dù ftrir préçipitolrgrçIrt


ISruxelles, le 17 octobre 1789,
8eq --
tlébardeurs du eanal ou < capons du rivage ). Le lo décembre,
la cocarde nationale se portait publiquernenf. Les troupes,
composées de soldats belges au service de I'Autriche, déser-
taient en masse et allaient se cu,eher dans les couvents, aidées
lrar les capucins. Le 12, d'Alt0n, < le vil chien d'Allemand >'

lFn..:r"-"'-':'
I

l ;*l-g-; :*-.'{à*,.Sr"î:** :*l, i iË-


"',i ".,r,,
:

Oette caricature fait allusion à la débâcle des Âutt:i-


ohiens, à Ia fln dc l'année 1789. Des t( pat'riotes )
promènent dans une cage et,-nrontrgg!.-à la.foule lc
bénOrat tl'-ilton, le u granrl Tigire d'Ifiberlie I (Ir-
Iand,e). ct Trauttmansdor{T, le " Léopard d'Âlle-
rnagnê, torriotrrs altéré de s€ùng'! '
(Cabinet des estampes, Bruxelles.)

évacuait la capitale, abandontrait Narnur r\ Van der }ilersch


(le r7) et se repliait vers le Luxembourél, prOvince restée dynas-
t.ique.
l.n*

Le 18 décembre, Van d'er Noot, Van llupen et les membres


d,u comité de Bréda t'aisaient leur entrée triomphale dans
Bruxelles, au son du cânon et des cloches. une foule énorme
se prcssâit autour de l'église Sainte-Gutlule pour contempler son
alner Heinlje se rendânt a,u Te Deum d'actions de grâces, dans
une calèche à six ehevaux, entouré des hallebardiers de la Cour.
Le soir, celui.ci alla au spectacle; on jouait la tr Mort, de césar r.
salué par les acclamations des Brabançons, des Flamands et
des < braves Nerviens > (les l{ennuyers), le < Francklin de la
s91
-
Belgique r, Ie <, Père de la patrie>r, f'ut couronné de fleurs.
Des Vonckistes il n'était plus question !
f)ès Ia libération de Bruxelles, en effet, Ies Van der Nootistes
avaient bâillonné leurs associes de la veille. ils disposaient
des
des grandes abbayes et étaierrt soutenus pu" t*
'evenuq noblesse
rurale, le cardinal Francklnberg, les e,.rrés, l,université
de Lou-
vain, Ia majorité des Etats cre Brabant, res métiers d,Anvers,
de Bruxelles et de Louvain, enfin par res paysans.
Leur idéal
était Ie reto'r au régime d'intolérance religieuse du
temps des Archiducs; le respect des vieilles constitu_
tions provinciales et des prérogatrves de classe; re
maintien d'une société forternent hiérarchisée avee pré-
dorninance des rnembres. des Etats (staten) : re clergé
régulier, la haute noblesse. les patrlciens et quelques
doyens représentant ]es chefs-viltes. Tnéocratie,
c,est-à-dire
société eonduite par Ie crergé; origarchie, e'est-à-dire
domi-
nation de querques groupes: conservatisrne et particura-
risme, telles étaient les pierres angulaires sur lesquelles les
Yan der Nootistes ou Statiçtes voulaient édifier Ie
nouvel
IJtat belge.
On eomprend, en présence de ce programme, que Joseph
arit pu écrire au cômte <Ie ségur : < r]ne ràue générare ff
sertrrble s'être emparée de tous res peupres:
ceux du Brabant,
pâr exemple, se révortent, parce que j'ai vouru leur donner
ce que votre nation demande à grands cris. > peu
après, le
20 février l7g0, I'Empereur mourait, clésespéré d,être resté
irreompris
Le programme des statistes fut réarisé dans ses grandes
lignes
dès que sc fut réunie, le l0 janvier lZgO, .,.r"
de man-
dataires de tous les Etats provineiaux, sauf "rr"roblée
Ie r,uxernbourg.
vaguement inspirée par lexemple des Etats.unis,
eile foncra
les Etats-Belgiques unis, confédénrtion de nos anciennes
provinces. chaque province conservait ses Etats,
sa régisration,
sa justice. Les Etats généraux subsistaient
et se réunissaient
périodiquement pour régler les questions d,adrninistration
générale et les litiges entre provinces.. La confédératio'
belgique
ne centralisait son action que pour les affaires
de guerre, dc pài*
et de diplomatie. pour cela eile créait un congiès
souverain
permanent, comité exécutif qui s'attribuait en
somme toute
autotité, formait des sous-eomités, envoyait des eommissaires

I
302 --
-
à1x àfl1ées. Van tler I'{oot devint premier ministre; Van
Eupen dirigea les Affaires Etrangères'
ies Vonc,kistes ou Pro$ressifs ne pouvaient, comme nous
l,avons vu, compter qlte sur I'appui d'une élite. surtout poptt-
cle Van
laires en Flandre, ils possédaient aussi les sympathies
officiers, de Ia garrle bourgeoise de Bruxelles
der Mersch et de ses
et des membres des Loges. Parmi les rares nobles *onckiàtes
le grand-baitli du Hainaut Louis-Englebert, duc
figuraient
depuis l'âge de vinet-quatre ans, son t'rère
dT,renberg, aveugle
le comte àe La Marck, maréchal de camp dans I'armée fran-
beau-frère le duc d'I]rsel. Les
çaise et ami de Mirabeau, son
ûonckistes, clont le elub était la u Société patriotiqlle ))' se
scindaient en rarlicaux, dits tt or$anisateufs l, et etl évolu.
pour pro-
tionnistes ou < Intérimistes n. Les prentiers avaient
gramme celui des rlemocrates américains, anglais et de l'As.
en France : Unité des provinces' Droits
lernblée constitqante
de l,F{omrne, souveraineté du peuple, é$alité civile'
libertés individuelles, droits sociaux. IIs réclamaient uno
constitution ct une assemblée représentânt toute la
tration. Les < Tntérimistes >, atl nombre desquels flgurait
Vonck, se bornaient à réclamer lc doublement du chiffre
desdéputésduTiers,sansvou|birsttpprimerlestroisordres.
Rien au contraire, ils prétendaient renforcer le régime <les
troisor.dresenintrorluisantdansleslJtatsdesreptésentants
de toute la noblesse, rle tout le clergé, de toutes les
ville.s,
même les plus petites, et du plat pays'
LalutteentreStatistesetProgressifsfirttrèsâpre.El|e
commençapardesdiscours,rles|ibellesdiffus,despamphlets
4u jésuiie Feller, <les chansons, des caricatures et des polé-
miqires d,une grossièreté inouie du journal Brieaen aan (n
Hee,rKeurernenne(l).Danssonmandementdecarême,l'arche.
vêqrre de Maline* àé"lrm les \ronckistes ennemis d.e
la religion.
Le 17 février ]r7go, un comité ecclésiastique remit solennelle-
ment aux fltats fle Brabant rtne adresse, couverte de quatre
mille signatures, en fâveurl du màintien de I'ancien régime'
eent
Lel5mars,Voncketsespartisansripostèrentpa1unepétition
la modernisation de la
réclamant, en termes trt\'s pnt<lents,

(1) Lcttrcs tle 1\I' I'Ami cles Clhartcs'


I -tn:-
J{yeuse-Entrée et le concours de toui" la nution à loélaboration
dés lois.
]Alors cornmencèrent, de la part des tt vrais patriotes >,
diriges par van der Noot, des persécutions eontre les progressifs.
Fpller accusâ les Vonckistes de vouloir créer en Belgique la
u bohue nationale française ,. Le gouvernement décacheta leurs
lettres et les interccpta. LIn mauvais quatrain annonça :
,, Vonck, d'Àrenberg, d.'Ursel, Walckiers, Ira l\Iarck, Herries
] Goctin,
] Sont de la n Société patriotique , les soutiens;
Et comrne ils prétendent être du pays de la lumière,
] Il faut, pour les contenter, les mettfe au réverbère. o

lDans la nuit du 15 au 16 mars, des bandes, guidées par


.lf* dominicains et des réeollets, préparèrent une Saint-
Barthélemy au petit pied en plaçant des images de la vierge
a{t seuil des maisons des van der Nootistes, et en collant sur les
rrlaisons des vonckistes des affiehett'es portant la mention :
rr,Maison à brfiler )) ou_ n A la charrette r. Du 16 au Ig, les
dfmeures ainsi désignées furent méthodiquement pillées, de
rriême que le loeal du club patriotiquc. vonck et ses amis se
r$fugièrent à Namur, puis en France.
lA ces nouvelles, les officiers progressils cie I'armee belge,
cantorinée aux environs de Narnur, fomentèrent une inéur-
rfction militaire (Bo mars). rnstigué sous main par la prusse
et par la Hollande, Ie Congrès Souverain opposa à Van der
Mersch un vieux Brandebourgeois, le baron de Schoenfeldt,
général-major au service de la Éresse. celui-ci marcha sllr
Namur, convoqua Van der Mersch qui hésitait à déchaîner
Iai guerre civile à une eon_férence- à Flawirrne, Ie dupa et Ie
fifi arrêter le l3- ar.'ril. Le héros de Turnhout f]ut traîné de
pfison en prison, à Namur, à Anvers, à Louvain, eouvert à son
pfssage d'injures par la plus vile populace.
Par ces excès, la situation empira. En mai, plusieurs com-
plots furent organisés en Flandre pour délivrer van der Mersch.
Lps statistes firent eourir le bruit que van der Noot etfes chefs
dtr clergé allaient être assassinés, dans la nuit du B0 rnai, par
lds vonckistes impies. En même temps, de mauvaises nouveiles
afrivaient du front du Luxenrbourg : l'armée ne résistait pas
atrx Autrichiens ! Au comble de la surexeitation, le peuple,
tdnu dans I'ignorance, se eroyant trahi, exigea des sanctions
*1.t1::.:

_-394-
radicales. -Vingt mitle p&ysans, conduits par leurs curés à
cheval, envahirent Bru:(elles. Un capucin prêeha du haut de
la chaire : t< Tuer un Vonckiste, c'est thire æuvre agréable
à Dieu. n Le gouvernement se hâta cl'arrêter tous les signa-
taires de I'adresse du l5 mars et de proscrire du Brabant
deux mille Vonckistes. La foule porta des bustes de n Vader
Heintje ,r dans les cabarets, les entoura de cierges et les
fit baiser à genoux par les étrangers et les sceptiques.
Le StatiSme, appuyé par la u Terreur rurale >, fut toui-
puissant.
Mais tandis qu'il cherchait à consolirler par la violence
sa situation intérieure, Van, der Noot compromettait irrémé- '
diablement la cause de I'Etat belge à I'extérieur. Le nou-
vel empereur Léopold II (R. t?90-r?92) était un frère de
Joseph II. Comme grand-duc tle Toscane, il avait fait le
bonheur de ses sujets. Par un manifeste du 2 mars, il avait
promis aux Belges une amnistie complèle, la suppression
cles réformes de Joseph II contraires aux Constitutions
nationales, la. nomination cle Belges à tous les emploi3,
même à ceux de Plénipotentiaire et de commandant général
des troupes. Van der Noot avait repoussé ces offres avec
superbe, mais n'avait rien fait pour parer aux mgnaces qui
devaient y fairc suite. Pour leurrer le public, iI pretendit
effrontément avoir conclu des traités d'alliance avec la Prusse
et les Provinces-Unies; il rédigea même de faux rapports !
Au point de vue militaire, son impéritie fut plus criminelle
'aux environs
encore. Les Etats-Belgiques avaient rassemblé
de Namur une petite armée pleine de bonne volonté mais fort
bigarrée. En général, chaque régiment d'infanteùie, chaquq
tégion de troupes légères avait un uniforme aux couleurs de sa
province. Telle compagnie portait Ie tricorne Louis XV, telle
autre le bicorne Louis XVI, posé en travers, ou !e chapeau
haut de forme entouré cle rubans. Les hussards équipés par
I'abbaye de Tongerloo se coiffaient d'énormes t mirlitons >,
cylindres de t'eutre ornés de ganses tressées en cha,înette;
il y avait aussi des dragons, des chasseurs, des canonniers.
Laissés par le gouvernement dans un dénuement incroyable,
mal armés, mal équipés et peu exercés, les volontaires belges
n'étaient pas en état d'affronter le feu. Ils avaient pour mission
de < tenir Luxembourg bloqué dans Ie Iointain I (Venr Eurru).
-*395-
Le 28 mai, schoenfeldt esq'issa un mouvement offensif vers
Marche. rl reneontra I'ennemi près cl'Assbsse. < Au premier
eoup de eânon tous nos gens étaient à terre, r dut-il eonfesser
lui-même.
La révolution brabânçonne avait intéressé I'FJurope, le sta-
tisme I'éeæura. Louis xvl refusa de s'occuper des Etats-
Beleiques. Par Ia convention de Reichenbach (r), du 27 jrrillet,
I'Angleterre, les Provinces-unies et la prusse s'engagèrent à
garantir à Léopold rr'le rétablissement de son autorité. Les
statistes, se sentant perdus, eurent reeours à ra levée en masse.
La < Croisade de septernbre )) amena vingt mille paysans
sous les drapeaux. Leurs chefs étaient des capucins aux bau-
driers en cuir se eroisant sur leur robe de bure. ces volontaires
achevèrent de démoraliser I'armée. cependant schoenfeldt et
I'Anglais Koehler, chef de I'artillerie, avaient déjà entrepris
une nouvelle offensive, sur un très larg,e front, vers le sud-est.
cette fois I'armée des Etats avait été plus crâne. a on ne doit
plus se figurer I'ennemi comme des vauriens... > écrivait a.
conseil aulique (z) le général austro-berge de Baillet-Latour,
rt je n'ai rien.vu de plus beau que leur charge exécutée
dans
un alignement irréprochable... , La bravoure des volon-
taires rlamurois, les fameux < Canaris > ,de Dumonceau,
aux uniformes jaunes, ne put empêcher I'offensive trelge
-- dite I'affaire de Falmagne -_ de se terminer par un éehec
(22 septembre).
Le mois dloctobre nous rrrontre les Etats-Belgiques en pleine
clissolution. A Bruxelles, les paysans licenciés et les moines
font régner la terreur. un aclolescent, van Kriecken, accusé
d'al'oir raillé un capucin au cours d'une proeession, est rnis en
prison, puis lynché par la foule. La populace promène au bout
d'une pique sa tête seiée, ce que Feller lui-même confesse être .
une ( irrégularité , (6 octobre). presque au même temps, la
foule brûle une offre d'armistice émanant de Léopold rl (14 oc-
tobre); les Etats généraux, divisés juseu'au bout par cle mes-
quines discussioirs, persistent à réclamer l' < aneienne et légale
constitutiorr ,. A Ia fin de novembre se produit I'effondre-
ment. Le 25,Ie maréehal Bender entre dans Namur; Baiilet-

(f) En Silésie, prÈs de Breslau.


(?) Tribunal suprême dans le Sa,int-Empire.
-396-
Latorrr reprend au pas de charge Mons.'Gan,l, Bruges et Ostende.
Le S0, le cOn$rès se disperse; van der Noot et les chefs
statistes ftrient en Hollande. Le 2 décembre, les Autrichiens
réoccupent Bruxelles (f ).
Le retour des i\rrtrichiens ne f,ut Ie prélude d'aucune repré-
sajlle. Ils avaient promis aux trois Pttissances signataires de
la convention de Reichenbach d'amnistier les coupables et de
restaurer le régirne politique en vigueur sous Marie-
Thérèse; ils tinrent parole. Toute l'æuvre de Joseph II fut
effacée par le traité confirrnatif de La Haye (lo décembre).
un pittoresgue châtiment fut cependant réservé au cardinal-
archevêque de Malincs. Il reçut I'ordre de chantet le Te l)eu,nt
en I'honneur du retour des Autrichiens !
Ainsi finit la révolution hrabançonne'
L'échee de ce mouvement et son earactère même montrent
cnrnbien la menta,lité nationale avait perdu de sa vigueur au
cours de la domination espâgnole et dtt régime autriehien.
Le fier esprit r< bourguignon D, né sous Philippe le Bon, débar-
rassé peu à peu de survivances désuètes, aiguisé par les conflits
ôhqples le Téméraire et les luttes contre Maximilien, avait
"lr""
atteint son épanouissement sous Philippe le Beau et pendant
la jeunesse de charles-Qtrint. sous I'intelligente impulsion de
Guillaum" de Croy, de la noblesse et de la grande bourgeoisie,
ee sentiment du n bien commun I était devenu du véritable
patriotisme. Les habitants des XVII Provinces en étaient arrivés
à avoir une compréhension très nette de leurs droits et de leurs
rlevoirs collectifs, tant au point de vue de la politique exté-
rieure qu'à celui de la politique intérieure. Les Etats généraux
cle 1559 s'étaient élevés au niveau d'ttne < assemtrlée natio-
nale r.
La grande erise de la seconde moitié du ,xvIe siècle avait
ébranlé eette conception déjà si moderne de I'intérêt général.
Non que les tendanees despotiques ou espagnolisantes de
Philippe II I'eussent mise en péril. Bien au eontraire, le gottver-

(1) VIN pnn Noo'r nlouprt clans I'o1bli en 1827, âgé tle nonante-gix ans'
y
à Strornbeek, au nord de llmxelles. - Voxcx refus& cle quitter Lille et
rnounrt en 1792. VAI\' Dr;n l\{nnson, détenu à Ath, puis libéré à la veille
-
rle l,arrivée des autriclûens, se réfwia à Lille, rentra triomphalement à
Bruxelles en février 1791 et y urounrt I'année suivante. SçH6SN1II':'LDT
-
rentra dans I'armée Prussienne.
se? __

llenlent du duc <l'Albe avait uni en trn I'aisceau tous les habitants
des Pays-Bas; la Furie espagnole avait eu pour conséquence
la Paeification de Gand! lVlais les progrès du calvinisme, son
esprit de prosélytisrne avaient plaeé les eatholiques des pro-
vinees clu Sud devant la cruelle alternative de rester patriotes r
<r

en pactisant avec des ennemis irréductibles de leur culte ou de


se replaccr sous le sceptre rlu roi d'Espagne en sacrifiant l'indé-
pendance nationale.
C'était à ce dernier parti qu'ils s'étaient, hélas, ralliés, après
r
que Philippe If eut mocléré ses exigenees et {G-ele génie souple
de l'arnèse les eut séduits. Or, ce faisant, ils avaient été les dupes
de la rouerie des flabsbourgs. Les rois d'Espagne, et, plus tard,
les souverains d'Autriche n'avaient respecté qu'en apparence
nos lois el nos privilèges; ils avaient cessé de convoquer les
Iitats généraux et avaient tenu les Belges éloignésdes tonctions
publiques les plus importantes. D'autre part, la capitulation des
catholiques du Midi avait entraîné la scission cles XVII Pro-
vinces en deux parties, associé le sort des Etats du Sud à celui
de I'Espagne en pleine décadence et condamné nos aieux aux
plus effroyables souffrances et humiliations. f,'ambition d'un roi'
despote, l'égoïsme rl'une nation de marchands, des guertes sans
fin suivies de traités onéreux, avaient réduit I'ancienne Gaule
llelgique aux prolx)rtions exiguës dans lesqùelles elle serait
désormais maintenue; Ia ruine économique avait provoqué
I'affaissement de la société et la cristallisation intellectuelle.
Au xvrne siècle, cette situation dramatique d'un peuple
précipité du pinacle au clegré le plus bas de la décaclence
s'était à peine modifiée. Au eauehemar avait succédé la
léthargie.
Est-il étontrant,.dès lors, que le premier réveil de la conseienee
natiotrale belge, en pleines ténèbres, après deux siècles de domi-
nation étrangère, ait été compromis par Ie particrrlarisme local,
ren,dtr ridicule.par le manque de compréhension de I'esprit
moderne et odieux par -I'intransigeance et Ie fanatisme? En
f789 déj:\, le peuple belgique .révéla que son esprit de résis-
tanee à I'oppressetrr, sa bravoure, son entrain n'avaient pu être
entamés par le malheur, ma,is quarante ans d'évolution allaient
lui être nécessaires pour qu'il en arrivât à imprégner son mou-
vement d'émancipation définitif des principes <le liberté et de
tolérance que les libéraux anglais, Ies démocrates amérieains
---398 *
et la nation françaisê, âil génie immortel, avaient entre tetnps
répandu à la surface du monde.
Les derniers mois du régime autrichien furent sqns intérêt.
Rentrés aux Pays-Bas en juin f79f , le duc de Saxe-Tesehen
et l'archiduchesse Marie-Christine n'y oceupèrent plus qu'une
place effacée. fls ava.ient été précédés par l'élégant Plénipo-
tentiaire cornte de Mercy-Ar$enteau, qui s'oecupa beau-
coup moins des atTaires du pays que du sort de la famille royale
tle France.
CHAPITRE VI

LA RÉvoLUTIow r,rÉcEoISE
(r789-rzer.)

Règne dc Joseph-Clém,ent dc Bauière (pp. 899 et 4OO). Eègne


, de Velbriich (p.400). -
L'esprit nouaea,u dans la prùncipauté
(p. a00). -
Règne de HoerLsbroeck (p. 400). La K Sotiéte
- (p., 4O0). 18 août lTSg : la réz;olut:ion
pa,triotique', - à Lùége
(pp. 4OO et aOI). -Les Poùnts
fondamentauæ (p. 4Ol). __
-
fnfumenti,on des princes ùt Cercl,e de Westphalie (p.40f ).
. Raùicalisnxe des Franchimontois (p. 401). -
La méd:iation
Ttrussimne fu. aOf ). l? aoril t7()O :
-
déchéance de Hoensbroech
$p. 4Of et 402). -Fin de ln réuoIut:ion ltf.égeoisè [janvier 1?9I]
-
(p.4o2).

i,TffiHî;:'Îii:''

v""* groi"o r "


"loTlI."'iË
(Chanson patriotiquc composée err
t.tiir,"Lr*:iÏie au curé rre

Les guerres dd la frn du xvrre siècle avaient lbrtement éprouvé


la principauté de Liége. Alors que l'évêque Jean'Louis d'Elderen
avait pris parti pour la Ligue d'Augsbourg, son successeur,
Joseph-Clément de Bavière (R. J-694-1723), frère de l'élec-
teur Maximilien-Emmanuel, s'était prononcé en t'avdur de
Louis XIV. Pendant la guerre de la Succession d'Espagne, la
principauté avait été occupée par les Coalisés. Toutes ces
épreuves avaient appauwi le pays. Pendant cinquante ans,
400 -_

au xvure sièele, il ne s'y accusa plus de vie politique, ni exté-


rieure, ni intérieure.
A la fin du règne du prince-évêque Velbriick (R. U72-f 78iJ),
la principauté de Liége comptait environ 500,000 habitants et
la prospérité matérielle y était reclevenue très grande. Un cer-
tain nornbre rlc bourgeois -q'éttricnt épris des idées des tsncyclo-
pédistes. Leur progremnre était vaste et sans grande netteté.
Il comportait des critiques r\ l'égard de la puissance tempo-
relle du cler$é, maître des dettx tiers du sol et exempt
d'impôts, réclarnait le retottr au régime de Ia paix de Fexhe'
la suppression du Ri:glernent de 1684 et son retnplacelnent par
le llèglement dt' 160:1, bref, I'annulation du régime politique
instauré par les princes-évêques rle la rnaison de llavière. Vers
1780, on se bornait eneore à traiter ees questions dans les
discussions ncadémiques, àr la n Société d'B}nulation ), cercli
scientifique, artistiqtte et littérairc, ftrndé pai Velbrtick en l'179,
et oir les idées rnodernes s'étaieut infiltrées en mênre tempd
que le gofit des lettres fr:rnçaises.
Mais Ie conciliant Velbfiick eut J)our successcur César de
Hoensbroeck (R. 1784-1792), bravc homme, têtu, borné et
réactionnaire au possible. F)n I785, rtne <luestion futile à propos
de la coneessiort des jeux tle. Sptr, rnit :rttx ;rises le nouveau
prince-ér.êque. et les B)tats, treqttis attx idécs rlémocratiques.
Hoensbroeek et les aristoerates pr'étendaient qu'ert rnatière de
police les droits rltt prince étaienb illimités; les tnodernistes
déclaraient ces droits limités par ceux de la nation. Le véné-
rable Triburial des XXII <lonnant raison aux Etats, la eause
fut portée devant la Chambre irnpériale cle Cercle. à Wetzlar.
Tandis que s'engageait une intermin'able procédure, les
modernistes fondaient une n Société patrlotique > oir se dis-
tinguaient bientôt trois polémistes et orateurs de mérite :
Jean-Nicolas Bassenge, .fean de Chestret de Haneffe et
Fabry. Le conflit ne s'accusa d'abord que par des discours,
des brochures et des manit'estations au théâtre. Iloensbroeck
s'appuyait sur les Autrichiens, les < patriotes r sur Frédéric-
Guillaume de Prusse.
Mais le 14 juillet 1789 le peuple de Paris prenait la Bastillc.
Les yeux desï,iégeois étaient rivés sur la capitale de la France.
Le 18 août, ils se soulevaient à leur tour et prenaient d'assaut
I'hôtel de ville et la citadelle. Hoensbmeck, tout tremblant, dut
vet'rir de son château de seraing r\ I'hôtel de ville. IJne foule
énorure en enconrbrait les aborcls. Au premier étage les chet's
des n patriotes r attendaient le prince. Leur argumentation fut
amplement renfbrcée par I'attitude du peuple qui, du dehorso
criait : r< Qrr'il se dépêche, sinon I'on va monter ! > Terrorisé, le
prince-évêque confirma séânee tenante la nomination de
Chestret et de l'abry ecirnme bourErnestres, promit tout ce
r1u'on voulut et se hâta cle ftrir jusqu'à Trèves.
Le 3l aofil;, les lJtats du pays de Liége se réunirent et se
m-irent en devoir d'élaborer les < f;oints fondarnentaux r,
aete eonstitutionnel leur conférant touÈ les pouvoirs législatilis.
Leur tâche n'était point commode. Déjà la chanrbre de wetzrar
ordonnait aux princes directeurs dtr cercle de westphalie de
prêter main-forte à Hoensbroeck. Il s'agissait en I'espèce du
prince-évêque de lVfunster, des ducs de Clèves et dcr Juliers. Or,
le duc de clèves, c'était le roi tle Prusse en personne. rl fallait
clonc se le concilier. D'autre 1lart, le Tiers, dans les ltrtats. ne
trouvait pas le programme de Ia r, Soeiété pa,triotique )) assez
artaneé. Réunis dans une prairie, près cle .Polleur, les ouvriers
métallurgistes du pays de Franchimont avaient improvisé
une Constituante et voté une Déclaration des Droits de
I'Homrne. Ni Fabry, ni Chestret nè potrvaient se dissimuler
t1ue, de plus en pluns, la cocardc verl,-blarrc des Franchimontois
se substituait à la cocarde rouge-jaune rles r, patriotes r. Appuyés
par la populace, ces ultras ne dédaignaient point les procédés
de terreur
.;Pendant quelques ynois, un p.rlliatif, imaginé par Fabry,
retarda la crise. Sur ses instances, des troupes prussiennes
oocupèrent Liége et Frédéric-Guillaume essaya dà jouer un
rôle médiateur. Mais,lassé par I'intransigeanee de Hoensbroeek
elrirtant que pal: celle des Franchimontois, lc rcri de prusse
fihit par rappeler ses soldats,le 16 avril l7g0.Dès le lendemain,
lqs Liégeois proclamaient la déchéance du prince-évêque,
s4isissaient ses revenus, organisaient une pe.tite armée et pre-
nâient pour mambour Ie prince Ferdinand de Rohan, arche-
vêque de cambrai. rls supprimaient en outre les corporations
et démocratisaient leur régime électoral.
L'essettiel était de trouver de I'appui. La Franee se montrait
tçès réservée; les Etats-Belgiques unis exécraient les < séeu-
lgrisateurs > liégeois. Les volontaires tinrent courageusement
l
102:-
-
,

tête aux Mrurstériens et Trér'irois qu'envoyait contre eux la


Chambre de Wetzlar, sourde à toutes les propositions transac-
tionnelles. Ici encore ee fut la convention de Reichenbach
(27 juillet 1790) qui mit fin à la crise. Préoccupées par les affaires
de France, les Puissances européennes voulaient aplanir entre
elles toutes les possibilités de frictions. Abandonnés par la
Prusse, les <r patriotes r liégeois virent les troupes autrichiennes
se joindre à celles des princes directeurs de Cercle, le ll janvier
1791. Le rnambour avait démissionné la veille. Les < patriotes r>

durent en hâte prendre la fuite. Iloensbroeck rentra dans Liége.


Loin de comprendre les nécessités des temps, il restaura le
Règlement de 1684 et ordonna des poursuites rigoureuses. Alors
l'émigration se généralisa. Le prince-évêque mourut en juin 1792,
ancré dans ses idées conservatrices et sans se douter que I'Eu-
rope allait bientôt assister à l'écroulement d'un monde.
DOUZIÈME, PARTIË
LE RÉGIME FR.ANçAIS

CIIAPITRE PREMIER
LA PREMTÈRE oCcUPATIoN FRANÇAISE
(r7s2-r7ss.\

' La tnneion 'i,nternatùonale ; guet,-re entre la France et I, autriiche


tlo awil 17921 (pp. aOs er 404). Rôle intportanr joué par les
Belges dans ta,rtnée au,trichienne-(pp. 4o4 et Aod)..- Echec dc
la prunùère inaa.sion française en Bel,gttp,e (p. aOS). _ La
déJmse de la frontière confi,ée à des générauæ belges (pp. aOs
' et 406). seeonde imsa.sion de la Betgiq?ce; 6 noaernbre rTgz z
batoùlle -de JemapTtes (p. 406). politique auisée ù,t, génëral
Dumouriez (pp. 406 et 4o7). - Les prqmières réquisùtions
(p-407).- Doctrines égalitaires -et anneæionnistes des Jacobùns.
Les comntissaires de Ia conaention (pp. a07 et 40g). Eclwc
de Ia progtagandc jacobine (p.aos;. -
La conaention nationale
I:ùégeoise (p. aOs). -
La pranière coali,tion (p. aOs). _* Àror-
aeauæ, effwts pour -répandre Pesprit rqublicuin dans nos pro-
oinces (pp. a08 et 40g). Rupture corh,Ttlète mtre Dumouriez
et les sans-culottes (pp. -09 et 410).
r Qu'importeut les væux d,urr peuple
entant ou lmbécile! o
(Le commissaire jacobin Publicola
Chaussarcl, à propos des protesta-
tiong des Belges contre les projets
d.'annexion d.es Pays-Bas autri-
chiêns à Ia, X-rance. )
Les événements de f,'ranee ne commencèrent a pneoccuper
sérieusemenù les Belges qu'après la Révolution brabançonne.
_404_
Les Statistes se rapptochèrent, du gouvernement autrichien par
haile et par crainte des itlécs nouvelles; les Vonckistes et les
flémoerates liégeois se consolèrent de lertrs mécomptes en fon-
flarlt cle grandcs espéranccs sur rrn apptri prochain des détno-
crates lrançais-
Entre temps" la situation internationale en Europe se tendait.
Par la déclaration de Pillnitz (l), en aofrt t79t, Léopold II,
frère de Marie-Antoinette, et Fréflérie-Guillaume II manifes-
taient leur intention dointervenir en fhvettr de Louis XVI.
D'autrc part, au sein dc I'Assemblée lcgislatiye de France, le
parti des Girondins poussait à la guerre européenne, dans
I'espoir de r< soulever les petlples Contrc les tyrans l et de répan-
dre les principes de 89 dans tous les pays dtt monde. Le
ler mars lVgz, Léopold II, surnommé l'r< Aganremnon Tem-
porisateur l, moura,it et avait polrr suceesseur son fils Fran-
ttltra-conservateut et peu
çois II (IÙ. 1792-1885), monarque'ntênte
(2). Au cours tle ce mois, les Girondins
"lrir.royunt dtl ministère. Invoqttant cles prétextes secondaires,
s'emparaient
ils contraignirent aussitôt le faible Louis XVI à déclarer la
$uerre à François If, en tant qu'archidue rl'Autriche, roi de
Hongrie et de Bohême (2O avril 1792).
L'armée chargée de Ia défense des Pays-Bas comprenait :

10 des Allemands, c'est-à-dire cles Autriehiens, des Hongrois et


<les croates; 2o des wallons, c'est-t\-dire des Belges cle wallonnie,
clu Brabant et des Flandres. Recrutés par la voie du volonta-
riat, ces wallons forrnaient cinq régimelts d'infanterie, aux
coqlets uniformes blancs t< ficelés rr à la mode <l'Autriche, et
un régiment cle cavalirie : celrri des dragons de Latour. Ils
avaient joué un rôle glorieux âu cours de la guerre de sept Ans.
A la Révolution hrabançonne , eertains bataillons étaient restés
inébranlablement fidèles à .Ioseph II; la plupart avaient pris le
parti des patriotes. Mais après la restauration autrichienne,
il n'avait pas été diffrcile de leur réinculquer I'esprit.de loya-
lisme qui les avait caractôrisés auparavant.

(1) Château sur l'jllbe, en Sasc' f,es 25 ct 26 a,ott 1791, Léopold II et


Frécléric-Grrillaumc II -v posèrcttt les bnses tle la lrrelrlière Coalition eontie
la lr'ra,nce.
' (2) NÔ en 1768. En 1806, Frtr,nçois II renonça au titre 11'Etrtlrcreur ronrain
germanique et prit le titre tl'ernpercur d'Âutriclre (îrÉrnçois Iut)'
_ -t05 __

Au contraiie des tlerniers Elabsbourgs cl'F)spagne, qui avaient


char$é du eommandement de leurs arùées atrx Pays-Bas des
Allemands et des rtaliens, Ies souverains autriehiens avaient
larg-ernent tiré parti cles capacités militaires des Belges. Plus de
vingf-cinq de leurs généraux, dont vingt feld-maréchaux,
naqrlirent dans nos provinees. Signalons parmi eux le comte
Ferdfinand-Gobert d'Aspremont-Lynden, Liégeois eui, en
16901 défendit courageusemcnt Belgrarle eontre les Turcs, et le
rlrrc Léopold-Philippe d'Arenberg qui, en 174?., joua un rôle
de premier plan à la vTctoire anglo-impériale de Dettingen.
A la veille de la Révolutiono les Belges de mérite étaient plus
nombreux que jamais dans le haut comnrandernent autrichien
aux ;Pays-Bas, commandement à la tête duquel François fI
avaif placé le duc de Saxe-Teschen.
R{,rement nos aîeux affrontèrent une guerre avec plus d'in-
soucfance qu'en 1792. Peu letrr importait que la France ffit
victdrieuse puisque I'Assemhlée constituante avait solennelle-
rneni déclaré,en l?91, qu'elle répudiait toute (( v?ine conquête l
ou atteinte à la liberté des peuples. D'ailleurs ils ne eroyaient
pas à la possibilité d'une victoire des troupes rle Louis XVI.
Alors que I'Europe allait être penrlant vingt-qtutre années le
théâtre des guerres les plus sanglantes, ils parlaient de quelques
moiq de lutte !
L{s premiers ér'énements pamrent leur donner raison. Une
tent{tive d'invasion de la Belgiquê, opérée strr qua.tre points,
ù lalfln d'aviil 1792, avorta misérablement. peu après, lc roi
de Frusse et les princes du Saint-Empire s'allia.ient à
Fr'ârlçois II. Le 29 juin, le général français Jany, serré de près
par fes Autrichiens, retardait leur poursuite en incendiant les
faubpurgs de Courtra,i.
L4 brillante résistance des Français à I'invasion austro-
pruspienne en Argonne, Ia journée de Valmy (20 septembre
l7gq),le zèle pour la République, proclamée le 2t septembre,
-
-- dhangèrent brusquement la physionomie de la guerre. Le
I octobre, le duc de Saxe-Teschen dut lever le siège de Lille.
Le général français Dumouriez prêparait ouvertement I'inva-
sion, de la Belgique. Saxe-Teschen confia la dél'ense de la
Flarldre au feld-maréchal comte Maximilien de Baillet-
Latçur (f 737-f806), aristocrate luxembourgeois profondément
attaché à Ia dynastie, propriétaire du célèbre régiment des dra-
:
-406--
gons de Latour, ex-chevau-légers d.'Arberg. L'armée principale
comprenait vingt-huit mille hommes: elle alla prendre position
sur une série de hauteurs, au sud'ouest dç Mons. Elle était
commandée par un seigneur hennuyer, le comte de Clerfayt
(178S-l?98), né près de Binche. Clerfayt s'était distingue en
affranchissant le Ba.nat (f) de la domination turque en 1789-
l7go. A ses côtés figurait le baron Jean de Beaulieu (1725-
18lg), né au château de Lathuy près de Jotloigne. Aussi calme
et avisé que Clerfayt, il avait, quoique plus âgé, plus d'audace
et de verdeur.
Le 28 oetobre, le général Dumouriez entrait dans les Pays-
Bas avec quarante mille hommes. La bataille de Jernappes (2),
du 6 novembre, lui livra d'un coup tout Ie pays. Clerfayt avait
cependant parfaitement préparé son champ de bataille et avait
combattu avee autant de seienee que de couragê. Mais l'élan
irrésistible des volontaires de 1792 emporta les positions les
plus inaccêssibles. Remarquons que dans les rangs français Iâ
légion bel$e, mise peu auparavanl sur pied par un < Comité
révolutionnaire des Bel$es et des Liéf,eoislunis n, composé
de réfugiés politiques, joua un rôle décisif. Conduite par le
Namurois Durnonceau, I'ex-commandant des a Canaris >; elle
enleva la redoute de Quaregon, à I'aile gauche, ce qui décida
de la journée.
Dumouriez était tourmenté par le désir de jouer un grand
rôle politique. Très intelligent, il avait mis tout en (Eu\Ire
pour êtïe chargé de la eonquête de la Bel$ique' d'une part
parce qu'il comptait retirer de cette campagne de la gloire
militaire, d'autre part parce qu'il espérait pouvoir appuyer
ses projets ambitieux sur les sympathies de la population. A
peine entré dans le pays, il lança une proclamation par laquelle
il déclarait venir en frère, en libérateur. Il assurait aux Belges
qu'ils pourraient se donner une constitution et un gouverne-
ment de leur choix. ce disant, il était sincère. Il croyait que les
Belges seraient heureux de se débarrasser de leurs classes privi-
légiées et de former une ( démocratie paciflque )), une < seule
et même nation, sous le nom de Bel$es r, ayant la forme
d.'une république fédérative et étant alliée à la France. Accueilli

(1) Région cle la Ilongrie environnant Ternesvar, au nord.est tle Be.lgrade.


(2) Les tr'rançals écrlvent Jemmapes.
407 _
en sauveur par les démocrates vonckistes du Haineu.t, le ? no-
vembre, à Mons, puis par ceux du Brabant, le 14, à Bruxelles, il
engagee toutes les villes à renverser les anciennes munieipalités
et à les remplacer, chacune à sa guise, par des collèges
-
de < représentants provisoires >. La capitale -suivit cet apper le
18 novembre.
Mâ,lheureusement, I'invasion française écrasa nos aieux sous
le pdids d'une série de maux que Dumouriez lui-même n'avait
pu prévoir. Tout d'abord,l'hiver de lTgZ-l7gS fut extrêmement
rigoureux. L'armée frangaise, cantonnée entre Liége et Aix-ra-
Chapelle, laissée par le ministre de la Guerre jacobin'pache,
un irreapable sournois, dans un état d'< affreux déIabrement D,
dut être entretenue à coups de réquisitions.
Err second lieu, la Convention était de plus en plus dominée
par Ie parti de la Montagne. Ses membres,les Jacobins, étaient
animés d'un esprit excessif de prosélytisme et de centralisation;
ils nourrissaient I'ambition de donner à la France ses ( froqtières
naturelles >, c'est-à-dire la rive $auche du Rhin. Le conven-
tionnel Cambon, spécialiste en matières financières, voyait
particulièrement dans les Pays-Bas autrichiens, dont les
-
revefrus étaient évalués à quarante millions de liwes, une
garantie pour l'érnission des assignats (f). Le t5 décem- -
bre l792,il présenta à la Convention le fameux décret : < Guerre
aux châteaux, paix aux chaumières ! > voté avec enthousiasme,
ce décret proclamait que, partout otr ils seraient vainqueurs,
les Français remplaceraient I'Ancien Régime par la souve-
raineté du peuple. En attendant la création'de conventions
régionales dans les pays conquis, les biens des nobles et du
clergé seraient mis sous séquestre, et devraient servir de gages
pour les frais des guenes de libération, frais dont les pays
n délivrés r seraient désormais appelés à supporter une cer-
taine part.
La Convention fit exécuter lè décret de Cambon pâr Danton,
Lacroix et quelques'autres de ses membres, ainsi que par une
trentaine de commissaires délégués par les Jacobins. ces émis-
saires étaient chargés de surveiller les administrations provi-
soirds, de rechercher les domaines à mettre sous séquestre, de

(l) Papier-monuaio dont la valeur était


;

gar,antie par. les biens nationâux


(ancipus ùomaines d.u clergé, otc.).
__ 408 _.

faire circuler au pair les assignats. C'étaient des hommes ardents,


fanatiques, souvent incompétents et toujours remplis d'orgueil.
Ils imposèrent leurs volôntés à nos pères par des procédés de
terreur.
Ces méthodes avaient scandalisé l)urnouriez, resté fidèle aux
principes de la constitution de l?91. Il s'était refusé à faire
appliquer le decret de Cambon, ne voulant pas, disait-il, devenir
< I'Attila de la Belgique D. Pour paralyser I'effet des mesures
rlictatoriales de la Convention, il avait invité nos aieux à tenir
au plus tôt des assemblées d'électeurs primaires afin de créer
une Convention belge. Mais les excès des Jacobins avaient
clonné un regain de vie au statisme. La population exprimait
sa fureur par des manifestations ultra-eonservatlices, des péti-
tions, des refus de prêter serment aux principes de fraternité
et d'égalité. Les scrutins des assemblees primaires, tenus en
décembre dans les chef-lieux de province, donnèrent une écra-
sanre majorité aux disciples de Van der Npot. Ailleurs, notam-
ment à Bruxelles, les élections furent une simple comédie,
s'opérant sous la menace directe de la troupe. Il n'y eut vrai-
rnent de majorités démocratiques que dans le Hainaut, à Mons
et à charleroi, otr le < comiié révolutionnaire des Belges et
des Liégeois-unis ,t était tout-puissant. De même à Liége. Au
lendemain âe Jemappes, le prince de Méan, évêque depuis'
qùelques mois à peine, avait pris la fuite. Le 3 décembre, le
conseil municipal démocratique de l79O avait été rétabli dans
ses fonctions. Le 7 décembre, les assemblées prirnaires avaient
élu de leur plein gré une Convention nationale lié$,eoise de
cent vingt membres, dont Fabry et Bassenge avaient respecti-
vement reçu la présidence et la vice-présidence.
Entre temps, les événements européens avaient pris une telle
tournure que Dumouriez n'avait plus le loisir de s'occuper des
éléctions en Belgique. L'invasion de nos provinces, I'exéeution
de Louis xvl (2r janvier 1?98), avaient amené la formation
définitive de la prelnière Coalltion. L'Angleterre' gouvernée
par william Pitt, s'inquiétait de voir la France devenir ( sou-
veraine des Pays:Bas >. En janvier, la Convention, prenant
la guerre aux Anglais ainsi qu'aux
les devants, déclarait
Provinces-Unies et ortlonnàit à Dumouriez de marchel sur
Amsterdam.
Ayant privé les Belges de leur protecteur et constaté qu'il
,dog
-
n'y rlvait âucun espoir de les voir adhérer aux principes jaco-
bins, les Conventionnels en mission dans nos provinces démas-
quèrent leurs projets annexionnistes. Déjà le 2O janvier, Ia
Conr'èntion liégeoise avait spontanément voté la réunion cle
I'ex-principauté de Liége à la France. Le l7 février les commis-
saired français écrivirent, dans un rapport à la Convention :
< Ce n?est que par I'union de ce riehe pays (la Belgique) à notre
territoire que nous pouvons rétablir nos finances et continuer
la guprrc. > lVlais pour calmer les scrupules de milliers'de Fran-
çais, ll fallait faire naître l'impressicn que les Belges eux-mêmes
aspir4ient ardemment à être réunis à la République. Il s'était
formé dans les villes quattité de clubs et de légions de sans-
culottes où se réunissait la lie du peuple. Ces propagandistes,
eoiffés du bonnet rouge et armés de pirlues, se mirent à < évan-
géliscr r les masses, dans les cabarets et sur les places publiques.
!e <téputé Chepy voulait obtenir la réunion par ( la puissance
rle ldr raison, par les toueluntes insinuations de la philan-
thropie et par tous les moyens de tactique révolution-
nairè >. Le gouvernement envoya des acteurs et des chanteurs
<l'op(ra représenter, dans les agglontérations impôftantes :
a le Siège de Lille )) ou ( la Prise de Mons ! > Irrités par I'inertie
goguenarde de eeux que les Jacobins nommaient des <r eselaves rr
ou des a Béotiens épais r, les Conventionnels en mission orga-
nisèrent, en février, des réunions publiques oir ils arrachèrent
à Ia population, t< à eoups de sabre r (selon les termes mêmes
de Dumouriez), des vceux de réunion à la F-rance. Itrntourés de
sans.rculottes, parqués dans I'enceinte d'une église, les Belges
furent contraints d'exprimer leur attachement à la Bépubliquc
( paT mode acclamatoire u!
Aû début de mars 1793, cette fièr'r'c démagogique atteignit
son paroxysme. Les généraux Miranda et Miaczinski, battus à
I'ouest r1'Aix-la-Chapelle, se repliaient vers Louvain. Eglises,
nronàstères et châteaux étaient pillés elÏîontément par les
sans-culottes, pr{voyant une déconfiture prochaine. De Wavre
à Soignies,la population, poussée à bout, s'apprêtait à Ia révolte;
aux envlrons de Grammont, clix mille paysans se réunissaient
en armes ! A cette heure critique Dumouriez revint en toute
hâte. Frémissant de colère au spectacle de tant d'absurclités
ef d'abominationS, il fit emprisonner le cléputé Chepy, le général
des sans-eulottes Estienne et d'autres agitateurs qui avaient
_ 4r0 __

< tué la poule aux æufs d'or !r'fl désavoua publiquement, sur
la Grand'Place de Bruxelles, les < briga'nds >, promit leur châti-
ment, fit libérer les otages et rendre les objets sacrés aux églises.
Il n'en fallut pas davantage pour calmer les esprits. Les mutins
de Grammont se dispersèrent. Dumouriez se porta à la rencontre
des Autriehiens, mais auparavant, le 12 mârs, il plaida une
<lernière fois la cause des Belges. n Parcourez I'histoire des
Pays-Bas, ,r écrivit-il à la Clonvention, ( vous trouverez que le
penple be'lge est bon, trane, brave et impatient du joug l.
i:ir
,1!
i1

CHAPITRE II
LA RESTAURATION AUTRICHIENNE
(r?eB-r7e4.)

LB mars 1793 : bataille de Neentsinden I retraite des Français


(p. lf ). La restau,ration autri,chienne (pp,411 et 4f2). --
SuytpLice -ùt, chirurgien Chap:uis (pp. 412 et 4fS). Les
-
opérat:tons militaires de 1798-1794. Batatlle dE Fleurus
(26 juin 77941; Jourdan et Picheg'ru occzrpent la Belgique
(p. 413).

. Le I8 tnars 1?93, Dumouriez attaquait l'armée autrichiennc,


cornmandée par le prince de Cobourg et Clerfayt, à Neer-
winden, à I'est de Tirlemont. Vaincu honorablemént, il entra
en négociations secrètes avec ses adversaires, obtini d'eux que
son nrouvement de retraite pourrait s'opérer sans encombre et
retira méthodiquement ses régiments jusqu'au sud de la
Scarpe et de Ia Sambre. Le 28 avril, les Autrichiens rentraient
à Bruxelles.
François II avait un frère âgé d'une vingtaine d'a,nnées,
l'archiduc Charles. Neveu favori du duc dè Saxe-Teschen,
il faisait alors ses premières armes et laissait déjà deviner ses
qualités militaires, qui allaient en faire Ie plus savant adversaire
de Napoléon. L'empereur François le nomma capitaine-général
ded Pays-Bas. La restauration autriehienne, opérée sans repré-
sailles, satisfit les Belges. Pour flatter le loyalisme de la popu-
lation, I'archiduc supprima toutes les innovations des derniers
souverains, y compris même les réformes de Marie-Thérèse !
Beaucoup de jeunes gens, enthousiasmés trrar Ie retour des
a.habits blancs >, s'enrôlèrent dans les chasseurs francs de
Leloup, un Athois qui, de tambour, était devenu général.
Çependant, les épreuvesrle I'hiver précédent avaient trop
-- 4L2
-
déprimé la population pour que le cours des événenlents pfit
encore la galvaniser. Tratlitionalistes jusqu'au bottt, les Etats
de Brabant repoussèrent comme contraire aux antiques libertés
une demande de I'Ilmpereur de pouvoir leYer en Brabant des
conscrits. En avril 1794, François II prêtait en personne le

'I'AI]LDAI. I ÂI,LÉCOT{IQUE DE I,A RT-S'I'AUIIA'['IO.\


AUTRICHIENNIl
(( lalrirrt'1 dcs t'sta'lrr1res, llrrtxcllc-s.)

Vil rr crr grtct't'iel tlri'iit:'e eL t'ourolilrti r[c itttt'iclr,, lt,' Ittrttvtll


rlrr
I tcld irrr JJla,lrant kr ri.tmcit,tt d'rtliviel'. .l,ir
(,lrrl)er'()ul. li'rilnr,.ois J
Sagt'ssrr, lrr Yirriti. liL Jrtslicc et tlt.': Grirltics sI'tubolisa,nt li.r
' llai-r ct I'Abcrrdurrcc hri fonl cortège. A droile du tableatr, sotts
un cicl tottrmenté rlrtt'fcud dc son vol I'aiglc clcs Ilabsborrlgir,
un rllchanEc arrerehc lc ttrasrllu) aux eslrrits ilrr urill (lcs Jaco-
l-ri1s); à gillchc, tles lerrr'(,scrrl atr1.s rles 1r'ois orttr'cs tlrr lJrabant :
ttoble.ssc, r-:lcrgé et lrrtttr'.qr:oisie'

sernlellt dc fidélité à la .Ioyetrse-ltrntréc. (jc lirt la dernièrc fois


11u'eut lieu cette solennelle cér(:rnonit.
Si, dans les Pays-Bas, la réaction anti-française sc borna à la
rlémolition de quelques locaux cle clubs, dans la principauté
de Liége, le prince de Méan se Inontra impitoyablc. Il Y avait
à Vervirrrs ttn ltomtnc nrodeste et eharitable, lc chirurgierr
_ 413 _.-_

Grégoire Chapuis. Pendant l,occupation française, Chapuis


avait, comme échevin, célébré des mariages civils et défendu
les Droits de I'Homme. Le z janvrer lzg4, Mean le fit décapiter
(.pour I'exemple d'autrui !>
Les Autrichiens n'a,ttaehaie't trrlus de prix aux pays-Bas et
les auraient volontiers échangés contre la Bavière. rts les défen-
dirent néanmoins avec courage contre res armees cle plus en
plus redoutables de la République. r,a victoire du général
Iroucharcl sur le duc d'York à Hondschoote (r) (septembre
'1798), celle rle Wattignies
(2) (16 octobre), remportée par
Jourdan sur cobourg et clerfayt, n'eurent pas de résultats
décisifs. Le Bo avril tzg4, Baillet-Latour s'emparait de Lan-
drccies (s). Mais au rnême monrent les Français entreprenaient
un vaste mouvemeni co'vergent, A I'ouest, Clerfayt dut
abandonner la Flandre, pouee par pouce, devant les forces de
Pichegru. A I'est, Ilaillet-Latôur dégagea deux fois clharleroi.
Le 26 juin l?94, cobourg tenta unc dernière fois de repousser
les r{rançais qui ar,'aient cle nouveau passé la sambre. r,e ehoc
eut ]ieu dans les plaines de Fleurus, entre charleroi et Gem-
bloux. Beaulieu fut vainqueur à I'aile gauehe, mais ailleurs les
assauts de I'rr armée de sambre-et-Meuse > fu.rent irrésistibles.
Le général Jourdan repoussa cobourg vers I'est et opéra sa
jonction avec Pichegru à Èruxelles, te ro juillet. En octobre,
Jourdan était sur le Rhin; de son côté pichegru, profltant de
ce que les rigueurs de la saison avaient couvert de glace les bras
de mer de Ia Hollancle, pourohassait sans trêve re duc d'york
et occupait Amsterdam, le Z0 janvier l?gb.
ces échecs rompirent les derniers liens unissant les pays-Bas
à I'Autliche. Quelques militaires ceirendant restèrent fidèles aux
Habsbourgs. Clerfayt, devenu feld-maréchal, sauva le Saint-
Empire par une glclrieuse câmpagne contre Jourdan en lrgS;
rleaulieu résista honorablernent aux attaques foudroyantes de
Ilonaparte en rtalie, en t?g6; enfin ce fut encore un wallon, le
maryuis de chasteler, qui défendit le Tyrol contre res Français
en 1805.

(f ) Au sud-ouost de tr'unres.
(2) Au sud.-est tte Maubeuge. '

(3) Sur la Sanrbre, en anront de .[{aubeuge.


CHAPITRE III
LA BELGIQUE SOUS LA CONVENTION
ET LE DIRECTOIRE
(we4-r?ee.)

Le programme républ;i,cain (pp,4l4 et 4f 5). Contraste entre ce


-
programme et ïes opinions des Belges de Ia fi'n du XVIile sùècle
(p. a15). Les contribut:ions eætraarùi'naires (pp. Al5 et 416).
-
Les réquisitions; pillage sgstérnatiryt'e de nos proui,nces
(p. 416). La batsse des assignats; le ma&innt'm (p. al6).
-
Bouleoerscment des mæurs et des traùùtions (pp. 4f G et, 417).
- ler octobre f 795 [9 vendémiaire an IYI z anneuion de la
-Belgique (pp. af7 et 418). Pafiage du pays en départenxents
(p. IS).
-
Ré.gime du Directafre (pp. 418 et 4rg). IÆ. sennmt
-
de haine à la ragaullC [5 septembre l7g7] (p. 419).
- Eætrême.
mtsère m 1797 $. af9). 17 octnbre 1797 : traùté-de Campo-
-
Formio (pp. ar9 et 42O).- La secondc Coaliût'on [1708] (p. a20).
La guerre des Paqlsans [octobre 1Z98-féwrier 1799] (pp. 42O'
-4221.
< fl irnport€ à Ia République que les
'riH:"i'.l"ri"'f fl ïË#i'îi"'i.u'#ff t
Fr.ït?ti"th
de Douai à la convenrion.
Séance du 8 venclémiaire an IY.)

IIs étaient donc rentiés pour la seconde fois dans les Pays-
Bas, ces républicains aux habits bleus râpés, artx épauiettes
de grosse laine et aux pantalons tle toile à rayures rouges.
Hussards aux eheveux tressés en cadenettes sous I'amrrsanf
, \
-4r5*
( mirliton r, artilleurs au
bicorne posé en bataille, défilaient
de nouveau dans nos rues, verbeux, pét'lants, fredonnant les
plus récents eouplets cle la < carmagnole >, superbes margré
Ieurs uniforrnes en Iambeaux
Tul*- quels, ces hommes allaient introduire dans res pa;rs-Bas
-
les principés de la vie poritique et sociale contemporaine.
suppression des distinctions d'ordre, du régime sei-
Éneurial, des privilèges, des corporations, des anciennes
juridictions compliquées et obscures; égalité civile;
Iiberté du travail', du commerce et de |industrie; préro-
gatives constitutionnelles dérnocratiques; organisation
judiciaire nette et centralisée; adrninistration cornrnu-
nale et laique des services de l'état civil et des secours
publics; libre navigation sur I'Escaut, telles allaient'être
Ies principales réformes dont I'esprit de liberté et d'égalité
<Ies Français allait nous pénétrer. r ,

Ces < direetives r de la eivilisation moderne étaient passion-


nément défendrres par un peuple en lutte âvec toute IEu-
rope' rendu impitoyable par'ne guerre sans merci et par des
conrnrlsions intérieures. Déchirée par les factions, menacée de
vengeances terribles, vilipendée, caricaturée, la nation fran-
çaise propageait son idéal avec une foi indestructible, mais
aussi avec un fanatisme farouche. Entrée en contact avee notre
société cléricale, particurariste, routinière et goua.ilreuse, elre
allait s'efforcer de la convertir à ses idées, tnêr'," par la con-
trainte. Ainsi les Pays-Bas, victimes à là fois de lùr attache-
ment au passé et des crises que pnovoquait en Franee Ïenfbn-
tement d''n monde nouveau, étaient condamnés à subir pendant
quelques années des souffrances inexprimables.
Nos provinces étaient très res vainqueurs ne leur
en imposènent pas moins "pp",.rt"i"s;
pgu de temps après Fi"r",r* _ une
contribution de plus de -. quatre-vingts millions de francs,
chiffre représentant un total six foiq supérieur à eelui des con-
tributions annuelles. r,es caisses provinciales et communales
furent vidées; les cités q*i n'avaient pu fournir leur quote-
part durent livrer des otages. Au nom du Magistrat de
Bruxelles,
l'échevin Barthélemy (t),refusa de payer"ra somme de cinq

(1) L'avocat BarthéIemy (1266-lgg2) fut le premier


ministre de la
JusticebelgeaprÈslarévolutiondel830..]'_---
.116 --
millions cle francs irn1rcsée r\ la crapitalc. n Savez-vous qu'il
y va de votre t.ôtc? r, lui rlit un délégrté de la Convention.
., Il en jaillira du sang et non rlc l'or! > répon<lit froidement
BarthéleÀy.
Peu après, le systèrne des réquisitions fut organisé stlr une
grande éclrelle. savons, huiles, chanvre, légumes, tout fut réqui-
sitionne. n Quand vous nolls atlrez pris.nos cuirs et nos toiles, I
écrivit Ie ÙIagistrat de Bruxelles à la Convention. ( sera-ce avec
des assignats que nous ferons des souliers et des habits? Man-
gerons-nous des assignats qrrancl notls n'aurons plus de grains?
Si cela continue, il ne nous restera plus que des yettx pour pleuler
en attendant qtte la mort les éteigne l.
Le ijo septembre (9 vendémiaire), le ministre des Finances
('anrbon exposait cleyant ltl Convention, avec une satisfaction
cynique, que non seulement les, Pays-Ras entretenaient les
arrnées rle la République, mais qtr'ils enrie.hissaient même le
llatrimoine national fiançais. Sous la direction <les Représen-
tt

tants dtr Peuple et) d'trne u Agence dc commerce et d'extrae-


tion de la Belgiqtls D, les trésors des églises, des monastères,
des municipalités, des Sernrents et de3 corporations furent enle-
r,és sur rles chariots et transfortlrés en lingots d'or et d'argent'
Lcs:r,gents du pouvoir ocrcupant, surnolnmés les < éponges fran-
çaises ,, firent partir égalenlent vers
Paris des tableaux, des
objets <L'a,rt, des machines' ( torttes les choses utiles à I'Itrnsei-
gnlment, aux Beaux-Arts et ù I'Indttstrie >. Atteintes 6u
<r prurit du pillage ), des < Agences n locales joignirent au
vol
public les rapines Privées.
La vie économique fut bientôt rnortellement atteinte par la
baisse des assi$nats. Alors qtr'ils étaient tonrbés au I/20,
au 1/50, voire au I/I50 de leur valeur, les autorités voulaient
les fairecirculer au pair et les imposer aux particuliers en échange
cle leurs dépôts chez les notaires et dans les banques. Le prix
cles objets s'élevant clans tles proportions angoissantes, la Con-
vention établit le rnaximum, c'est-à-dire un tarif sur la vente
rles denrées alimentaires et des tnarcl-tandises. Elle voulut obliger
les négociants à gartler leurs magasins out'erts et les paysans à
venir au marché; elle ne réussit qtr'à eneourager la fraude.
vinrent s'ajcluter les souffrances morales, dues
t A ces maltx
au bouleversement de toutes lcs traclitions et habitudes : les
llarchemins des chartes servirent à faire rles cartouches;
les
drapeaux bariolés des Serments furen't envoyés aux Invalides;
sur les places il fallut planter des <r arbres de la Liberté >; les
noms des rues furent transformés (f), le calendrier répu-
blicaln remplaça les anciennes divisions de I'année (Z); le décadi
fut substitué au dimanche et d'insipides fêtes en I'honneur de
la Nature ou du Genre humain remplacèrent les antiques fêtep
religieuses régionales et parroissiales. Si peu d'églises subirent
le sort des abbayes de Lobbes et d'Aulne, incendiées par le
général Charbonnier,la plupart furent transformées en casernes,
en magesins à founages ou en temples consacrés au culte de
l'Être suprême. Les clubs, réorganisés, et'les r, Comités de
vigilance l surveillaient les moindres actes des citoyens sus-
pects. A Liége,' les clémagogues emphatiques dits rl Franchi-
montois r rendirent I'existenee impossible même aux Bassen-
gistes et aux Fabryciens.
Et néanmoins, malgré leurs efforts, ces propagandistes ne
réussirent pas à implanter chez nous les mæurs républicaines.
Les prénorns à la romaine ne furent adoptés que par quelques
savetiers, les rr arbres de la Liberté >, délaissés, s'anémièrent et
Ies fêtes en I'honneur de la déesse Raison ou de l'Être suprême,
eélébrees par la canaille, dégénérèrent en scènes de hebnee.
Avec leur bon sens natif, Ies Belges dénommèrent ces représen-
tations semi-mythologiques : < sotteltenspelen (S) ,.
Un des derniers actes de la Convention fut de réaliser I'an-
nexion de la Belgique. Au début de tZ95 elle avait supprimé
les Comités de vigilance, les Agerrces locales, le maæimum et
libéré les otages. Beaucoup de Belges s'étaierrt résignés à l'idée
de perdre leur indépendanee dans I'espoir d'être enfin traités
avec plus d'humanrté. D'autrè part, la Convention désirait plus
que jamais assurer la cléfense de Paris et garantir l'émission
de nouveaux assignats. Le 29 septembre lZgS (Z vendémiaire
an fV), Merlin de Douai proposa à la Convention, au nom du
Comité de Salut public, d'incorporer les Pays-Bas autrichiens
au territoire de la République. Quelques députés indépendants :
Armand, de la Meuse, et Lesa$e, d'Eure-et-Loir, dénoneèrent

(1) À Bruxelles, par cxemple, la rue des Bfisit,tines devint la, rue du
Contrat-Social.
. (2) Il resta en vlgrreur jusqrr'en 1ii05.
(it) Jeux de fous.
F. vaN K^LKnN. nlsToIRE Dn Rr,'lLatQUE. -. 19'J4. 14
-
- - +lr,t -

en termes excellents I'iniquité de cette nlesure. Ils ne furent


point écoutés et I'annexion se fit le ler octobre (9 vendémiaire).
Peu auparavant,la Convention avait proclamé la liberté de la
navigation sur I'Escaut (30 thermirlor an III) èt opéré une
nouvelle organisation administrative et jucliciaire du pays. Il y
eut neuf départements : Lys (chef-lieu BrugeÈ), Escaut (Gand).
Deux-Nèthes (Anvers), Meuse-Inférieure (Maastricht), Dyle
(Bruxelles), Ourthe (Liége), Jemmapes (Mons), Sambre-et-
Meuse (Namur) et Forêts (Luxembourg). Chaque département
fut partagé en cantons (plus tard, arrondissements); chaqtte
canton, en rnuniéipalités (r).
De 1795 à 1814, I'histoire de la Belgique se'confondit avec
celle de la France. Le 27 octobre f 795 (5 brumaire an IV), le
Directoire entrait en fonctions.' Ce comité exécutif, composé
rle cinq Directeurs, poursuivit, d'accord avec le r. Conseil des
Anciens > et le < Conseil des Cinq Cents ), une politique jaco-
bine, ayant pour but de mettre en pratique les principes
énoncés parla Convention. En Belgique, la modifrcation des
institutions dans un sens moderne et anticlérical se confondit
avec les méthodes d'assimilation destinées à transformer les
habitants en véritables Français. Durant les derniers mois de
I'année I?95, les corporations furent supprirnées selon
I'esprit de la loi Le Chapelié (f791); l'ancienne fiscalité fut
remplacée par des impôts, considérables mais mieux répartis,
sur les biens meul'les et immeubles,et pardes rlroits t1e patente;
une juridiction uniforrne remplaça celle de I'ancien régime;
la langue française fut seule autorisée cot'nme véhicule oltciel.
En septembre 1796, le f)irectoire laïeisa définitivement les
services de l'état civil et de la bienfaisance; les mariages furent
celébrés dans le Ternple de la Loi; le culte catholique fut
toléré, mais il ne put y avoir de processions ou cl'autres eéré-
monies dans les rues. Le 6 novembre, tous les biens meubles et
immeutrles des communautés religieuses furent confisqués au
profit de l'Etat; le ll, ces communautés elles-mêmes étaient
déclarées dissoutes (loi du 15 fructidor an IV).

(l) tlema,rquons qlle, le 27 floréal an III (16 rnai 1795), le gouvernemenl


rlc la, Réplblique avait annihilé deux stipulations tcrritoriales particuliè.
rcmcrrt dlres cll traité de llunst,cr. Il avait exigé de la, nolvclle Républtque
batave, foltlée le'J0 jalvicr I?1f5, la cessiorl tle la Flandre zélandalse, dtr
Maastrlcht et rle Venloo. :lncitrlts territoit:es tltls ['a]'s-.flas, à lit, ]i'rance'
-- 419 -
La politique sectaire du.Directoire avait provoqué en France
un vif Éveil du royalisme et du catholicisme. Les élections de
mai 1797 furent significatives à cet égard et les Belges s'en
réjouirent. Mais le mouvement de restauration royaliste, dirigé
en' secret par le général Pichegru, président du Conseil des
Cinq Cents, fut dévoile. Le Directoire chargea le général Auge-
reau <le dissoudre les conseils législatifs : ce fut le coup d'Etat
du t8 fructidor an V (4 septembre 179?). Par réaction la poli-
tique gouvernementale devint plus antiréactionnaire et plus
antireligieuse que jamais. Dès le lendemain, lg fructidor, le
Directoire imposait aux ecclésiastiques un serrnent de haine
à la royauté, 'ce qui provoqua une persécution religieuse
cornrne en 1792-1793. Iln Belgique, presque tous les prêtres
reftlsèrent de prêter le serment. Menacés de la déportation, ils
dirent la messe et conférèrent les saerements en secret. Le
Directoire fit alors enlever les images sacrées, les eroix des
rues, et flt vendre les églises et les cures cles insermentés.
Plusieurs églises belges furent démolies et leurs matérieux ven-
clus à des entrepreneurs. A Liége, I'odieux peintre Defrance
se chargea de la destruction méthodique de la cathédrale
cle Saint-Lambert ! Notre-Dame d'Anvers. n'échappa que for-
tuitement au.même sort !
La fin de l'époque du l)irectoire fut très sombre. Ce gouver-
nement, composé d'incapables ou d'hommes de plaisir, était
atteint d'une profonde déchéance morale. Il n'avait pu, malgré
les victoires de ses généraux, ni relever la France épuisée par la
Révolution, ni restaurer les finances, ni maintenir I'ordre. à
I'intérieur. Chez nous, la misère, les disêttes, les épidémies,
rappelaient les temlx de la guerre de la Suecession d:Espagne.
Les routes étaienb infestées par des brigands masqués surnom-
rnés < chauffeurs rr et a garrotteurs. ri
La première Coalition s'était réconciliée avee la France par
le traité de Carnpo-Formio (l) (l7 octobre tTgZ). François II
avait cédé sans regrets les Pays-Bas autrichiensà la France,
en échange du territoire de la réprrblique tle Venise. Cette paix
fut courte; négociée par le jeune et ambitieux général Bona-
parte, elle disposait des peuples sans les copsulter et,n'offrait
aucune garantie de stabilité. De plus, I'Angleteme avait refusé

(1) Petite bour€lade de la Véuétie, r-larrs la province d'tldirre.


- 4?0 --
de déposer les atmes. Déjà en i796, lord Malmesbury, parlant
au ministre des Affaires Etrangères du Direetoire, Dèlacroix,
avait dit : < Sa Majesté Britannique ne saurait consentir à la
reunion des Pays-Bas à la F'rance. )) < Est-ce une condition
-
$ne qua non? >> avait interrogé Delacroix. *- ( Ce I'est ! rr

En 1798, une seconde Coalitlon se reformait. Bonaparte


ayant emmené ses meilleurs regiments en Egypte, la France
avait besoin de troupes. Elle appliqua en Belgique sa nouvelle
loi sur la conscriptlon, du 5 septembre (rg fructidor
an VI).
Les Belges, célèbtes pour leur vaillance, n'avaient, au cours
des siècles, jamais consenii à se soumettte au service militaire
par contrainte. Dès que furent plaaardées les premières affiches
appelant les conscrits sous les drapeaux' un mouvenlent de
févolte se dessina dans le pays de Waes (f0-20 octobre fTgB).
Ce fut le début de la $uerre des Paysans.
Cette insurrection n'eut pas le but ambitieux d'affranchir nos
p'rovinces; bien que vue avec faveur par Ie clergé, elle ne fut
pas non plus un mouvenlent clérical. Ni la noblesse; qui avait
en grande partie émigré, ni le clergé persécuté, ni les bourgeois
des villes, terrorisés par la présence de garnisons, ne purent lui
prêter de secours effieace, pas plus que les rares agents secrets
autrichiens, porteurs de brevets pour ses chefs. Ce fut un
mouvement essentiellement rural, une explosion spontanée
cle haine eontre les < Carmagnoles ), sans plan préétabli. On y
tlistingue surtout la volonté du paysan de mourir plutôt en
brave partisan, à la lisière de son village, et non comme conscrit
dépaysé sur quelque lointain champ de bataill€. f,e courage
de ces pâuvres gens fut immense, car nul rayon d'espoir n'illu-
mina leur lutte.
Réunis au son de la cloche d'alarnre, ils avaient pour eostume
leurs vêtements habituels : Ia blouse, bleue et le chapeau rond
à rubans rouges. Des drapeaux blancs à croix rouge, des cocardes
ou des médailles saintes leur servaient de signes de ralliement.
Ils étaient armés de fourches, de faux, de fléaux et d'armes à feu
disparates. Leurs chefs ornaient leurs chapeaux de plumes
blancheS ou vertes,'à I'imitation des Vendéens. Précédées de
flfres et de tambours, les bandes de paysans parcourÈient les
campagnes, pénétraient brusquement dans les villages, massa-
çraient les autorités, confisquaient les caisses publiques, bd-
{21

laient les registres baptismaux,sciaient les arbres de la Liberté,


puis se dispersaient aux alentours.
Quelques gendarmes suflirent pour chasser du pays de Waes
ceux que les autorités appelaient emphatiquement les < bri-
gands >. Mais, dès Ie 22 octobre, toutes Ies campagnes se soule-
vaient, de Leuze à Audenarde et à Gand, tout le long de la
Dendre et dans le Petit-Brabant, au centre de cette redoute
naturelle formée par l'Escaut, le Rupel et le canal de Wille-
broeck. Puis le mouvement gagna la Carnpine : Lierre, Ilérent-
hals, Turnhout, Gheel, sous I'inrpulsion de I'imprimeur Cor-
beels. Les rebelles dtr Hageland prirent pour quartier général
Diést et communiquèrent de là avee I'abbaye de Tongerloo,
transformée en forteresse. Il y eut aussi un groupe assez impor-
tant de mutins, dirigé'par Hubert'Behrens, dans les forêts
du Luxembourg, Ie lorrg de l'Otrr et dans les districts de Sta-
velot-Malmédv.
Les paysans n'avaieut ni canons, ni interrdance, et peu de
cavalerie. fls essavèrent de prendre plusieurs villes : Malines
(22 oetobre), Louvain (26 au 28 octobre). nmis leurs efforts;
sans liaison ne leur donnèrent que des strccè's momentanés. Le
général Colaud, chargé de la répression à partir du 3O, mit
plusieurs départements en état de siège. Ne disposant que de
peu de troupes, il organisa des colonnes mobiles d'infanterie,
de dragons et de hussards, et leur fit faire des opérations con-
centriques. La répression ftrt féroce. Lr: 15 novembre, Rolliers,
de Willebroeck, était vainrru dans le Petit-Brabant (l). LIn
général de brigacle nomme Jardon, originaire de Verviers,
organisa Ia poursuite en Campine oir quinze mille mutins étaient
tassemblés. Jardon était un grand traîneur de sabre, au verbe
haut, à I'encolure puissante. Il terrorisa ses adversaires, reprit
Diest (25 novembre), Hasselt, Gheel, MolI, faisant partout
subir des pertes sanglantes aux insurgés. Corbeels fut fusillé.
Un décret du Directoire déporta environ' sept rnille cinq
cents ecclésiastiques !
Fait qui montre à toute évidence le nranque de méthode des
rebelles : au moment oir les Flamands étaient écrasés, Antolne
Constantln, propriétaire foncier de Roux-Miroir (Hesbaye),
soulevait les Wallons de la Hesbaye brabançonne (fin novem-

(l) Rolliers échappa à ses adversaires et vécut jusqu'eu 1851,


.-- 422
-
bre). Bien dirigés par cet ancien militaire, les paysans reprirent
Hasselt le 4 décembre. ce fut leur dernier succès. Le lende,
main 5, Jardon cernait les mutins à Hasselt et en 1'aisait sabrer
plus cle sept cents par ses chasseuts à cheval. constantin de
Roux-Miroir, capturé, fut fusillé (9 février f799)' Au cours de
l'épouvantable hiver de 1798-l?99, les dernières guerillas d'in-
surgés firent le coup de feu dans la forêt de soignes (près de
Ilruxelles), sous la conduite cl'un héros populaire, l'énigma-
tique Charles Jacqumin, dit de Loupoi$ne. Le B0 juillet'
le < cousin Charles r tombait à son tour sotts les balles du
vainqueur.
CHAPITRE I\T

LA BELGIQUE SOUS LE CONSULAT


ET L'EMPIRE
(r7e9-r 8r4.)

f,e couTt d'Etat d:u 18 brtnnrû,re [9 novembre 1799] (pp. 4ZB et


424).,- Le traité de Inr,néo,ille l9 février lSoll (p. 424). Le
(lonsulat ri or:e [18o2]; l'Em,pr:re [18o41 (p. aza). -
Le régi.me
du Const.lat et de I'Entpire. Le Code ciail lt9Dll- (p. +2+).
f,e Concordat; la politiqu,e religieuse de l{apoléon (pp. 421 -
et 425). Le rlespotisme intTtérial (p. a25).
-
n. Il rétrblit de ses mains tr.iorn.
phantes les mines clu sanctuaire. ,
(Citation ernpruntée à X'léchier,
inscrite sur'la fa,çade ile l'égliae
li'i'"i,iix"'Ë;"',.",,iif iliJli:::
en 1S0lJ.)

It)n octobre 179!), la France était dans une situation cléses-


pér'ée. IJattue en Allemagne et en Italie, en proie à I'anarehie
intérieute, elle venait de fajre banqueroute. Revenu d'Egypte
cn toute hâte, le général Borraparte renversa le Directoire et
envahit, à la tête de ses grenadiers, le (ionseil des Cinq Cents.
Le coup d'Etat du 18 brurnaire ig tto.r"*bre l7gg) fut
accueilli avec joie en France, avec indifférence en Belgique.
La Constitution de I'an VIff octroya Ie pouvoir à trois Consuls.
Bonaparte prenait dans I'Etat la plus haute place avec le titre
de Premier Consul. Ce général avait alors trente ans. L'exé-
cution de ses conceptions géniales fut favorisée par une série
424
-. a
-
de facteurs dont je n'ai pas à parler ici. vainqueur à Mareqgo
(ta juin 1800), maître de la rive gauche du Rhin par le traité
àe l-unéville (9 février t80l), il acheva son évolution vers
I'absolutisme en eréant le Consulat à vie (f802), puis en se
f'aisant proclamer Empereur des Français (sénatus-consulte
du 1g mai 1804) et en se posant lui-mêmc la couronne sur la
tête, à l'église Notre-Dame, à Paris, le 2 décembrç I804'
Le régime napoléOnien écarta la guerre de nos contrées
jusqu,en 1814. La Franee s'étendait jusqu'au Rhin; en 1806
ia nepuUtique batave deve.trit un royaume vassal, sous le
sceptre de Louis, frère cadet de Napoléon. une tentative
de débartluêment <les Anglais à walcheren (zélan<le), en 1809'
échoua.
Pour la Belgique conlme. lrclur la France, le consulat signifia
I'apaisement des esprits et le rétablissement de la tranquillité'
Le maintiert des principes démocratiques acquis par la Révo-
Iution ernpêcha que le réginre napoléonien ne devînt une sorte
cle tyrannie asiatiqut:. certes, la liberté disparut, rnais c'était
à nne époque or) les'esprits étaient trop las pour être tentes d'en
faire encore usage. L'opinion belge, enfin trausformée, fit bon
accueil aux grandes réforrnes centralisatrices du chef de
I'Etat. L'arlminisbration générale s'appuya sur une solide hié-
rarchie de préfets (départements), de sous-préfets (arron-
dissements) et de rnaires (municipalités). Nous eûmes, comme
les Français, des Conseils généraux, des conseils d'arrondisse-
rnents et des conseils municipaux. Dans chaque canton il y eut
une justice de paix, dans chaque amondissement un tribunal
Oe iremière instance, dans chaqtte departement une Cour
d'assises avec un jury; au-dessus siégeaient les Cours d'appel
et la cour de cassation. Le Code civil fut promulgué en 1804.
c)n voit par cette rapide énumération que notre organisation
:ltlministrative et judiciaire contemporaine est entièrement due
à I'esprit de Napoléon, de ses législateurs et de ses jurisconsultes,
pénétrés des principes du droit romain. L'Empereur
"r.*-Àêrrr"s
mit sur pieà un régime fiscal définitif, juxtaposant le système
cles contributions indirectes à celui des contributions
directes; ce régime a été. imité partout en Ilurope jusqu'au
début du xxe siècle.
l\Iais ce qui concourut plus que tout le'reste à réconcilier les
Belges *rru" l" nouvel état de choses, ee fut la politique reli-
125 --
-
gieuse, clu Premier Consul. Le 15 juillet 1801, le Concordat
avait rendu au catholicisme sa position de rell$ion d'Etat.
D'après ce comprômis, le haut clergé serait nommé par le
Gouvernement et recevrait du pape I'investiture canonique;
le petit clergé serait choisi par les évêques avec le consentement
du pouvoir civil. L'usage des clochès était rétabli, de même
que I'observation du dimanche. Le 6 mai 1802, à la Pentecôte,
eut lieu le rétablissernent solennel du culte catholique;
les églises profanées furent rouvertes, les pr'êtres proserits
restaurés dans leûrs fonctions.
D'autre pa{t, les anciens- Vonckistes et bourgeois jacobins
avaierrt,, eux aussi, des motifs de satisfaction : le clergé ne
rentrait pas en possession de ses biens; il devait se contenter
d'un traitement de I'Etat; les orclres religieux n'étaient pas
mentionnés dans le Concordat; les iultes protestant et juif
étaient déclarés libres; Ie mariage civil devait précéder I'union
religieuse; le nombre des évêchés était réduit de neuf à cinq (f ).
Il n'y eut pas de grands événements d'orclre intérieur en
Belgique sous le règne de Napoléon Ier. Des succèp extraor-
dinaires poussèrent de plus en plus ce monarque dans les voies
du despotisme militaire. A partir de lSlO surtout, sa dicta-
ture se manifesta par quantité d'arrestations arbifraires et de
détentions sans jugement. Alors que les Français cherchaient
à se eonsoler par la lecture des bullet,ins de victoire de leurs
armées, les Belges,- rlissimulant avec soin leurs sentiments,
prenaient de plus en plus parti pour les adversaires dr1 César
moderne. Jamais ils n'osèrent entrer en révolte ouverte contre
lui.

(1) Ce sont lee évêchés actuels de'fournai, Gand, Liése et Naruur.Malinos


reete métropolo occlésiastique. trln 1834 I'évêehé de Bru€res fut rétabli.
CHAPITRE V

LA vrr ÉcoNoMIQUE ET socIALE


EN BELGIQUE SOUS IB NÉCIME FRANçAIS

Cond:it:ions d,'eaistence économique de la Belgique so1tt le tégùme


français (pp. a26 et 4271. L'agriculhne (p.427'). Le com'
-
n'ùerce eæteriern; Ostende, Anuers (p. a27). Liéain- Bauwms
(pp. 427 et 428).
-
WitÛium Cocherill (p. azs). Progrès de
I'industrie (p. a28). - -
La norn:elle société belge (p. 429). .- Les partisqns du régim'e
français : les fonctionnaires cùails, les militaires (pp. 429 et
43O). Host:il;ite contre le régime français (pp. 43O et 431).
- de Napoléon aaec le clergé (p. Bf ). La consniption- :
Conflits
Ies leoées anticipatiaes (p. Bf ). -
Fui,btesse du n7ou,I)enl,ent intellectuel sous le régime françuùs
(p. aSZ). Sùtuati,on de l'enseignunent (p. 432). Péntri'e
'de satsants- (p. aSZ). - (pp.
Littérahtre nullel Ia censure 4"32
et 483).
-
Les arts (pp. 433 et 434).'- La musique; Eran'çois
Gossec
- a8a).
(p.
n Ce peuple D'est ni Anglais, ni
Âutrichien, ni antifranqais; il eet
Belge. ,,
t onl,Ti"Ë"ui"nËiil
iiË,T: Ëii;
I'occupa'
iiif iH:i::fff:: i"
La vie économique en Belgique *,
"o*Olètement.paralysée
de L792 à la frn du Directoire; le chiffre de la population resta
stationnaire. Napoléon ramena la sécurité, fit construire des
routes et des canaux (notamment la route d'Arrvers à Amster-
1.2'l ---

dam et le canal de Mons t\ Condé). De 180o à 1814, le clispositif


économique du pays resta semblable, dans ses'grandes lignes,
à oelui qui existait sous le régime autrichien. Ce fut une période
relativement morne. f,es guerres européennes continuelles, les
opérations navales des Anglais, un régime protectionniste à
outrance, les impôts indirects nommés n droits réunis > et
d'autres lourdes eharges entravèrent le mouvement de relè-
vement que cberchait à favoriser le pouvoir central.
Cependant I'agricultrrre fit dc notables progrès. La vente des
biens du clergé et cles nobles exilés augmenta le nombre des
petits propriétaires. Les dernières obligations seigneuriales et
eeclésiastiques furent supprimées. L'agronome Mondey intro-
duisit en Hesbaye les proeédés de la eultttre flamande. L'in-
dustrie de la betterave se répandit.
Le. Premier Consul chercha spécialement à relever Ie com-
merce extérieur. En 18Ol il fit faire des travaux de restau-
ration considérables à Ostende, bombardée en 1798 par les
Anglais. En 1799, deux nâvires étaient entr'és dans le port
d'Anvers. En 1802 le mouvement de ce port ne s'était eneore
élevé qu'au chiffre cle 969 entrées. L'année suivante le Premier
Consul frt un vpyage en Belgique; il s'occupa srtrtout d'Anvers.
Il dit aux autorités : < .I'ai parcotlru votre ville et je n'ai trouvé
que des décombres et cles ruines; elle ressemble à peine à une
ville européenne et j'ai cru nre trouver ce matin dans une ville
d'Afrique, Tout y est ri faire... > Napoléon voulait faire d'Anvers
rtn des plus grands ports de gtrerre du moncle. Il consacra huit
millions et demi de francs r\ la construction de bassins, dix-huit
millions à des quais, des chantiers et autres établissements
maritimes. Des corvettes et des frégates y f'urent construites en
grantl nombre. Après la défaite cle la flotte française au cap ,

Trafalgar (21 octobre 1805), I'Empereur proclama le blocus


continental (f8O6) : tous les ports de I'Empire et des Etats
alliés furent fermés aux navires britanniques, toutes les car-
gaisons anglaises furent déclarées de bonne prise. Le blocus
fut, très favorable au commeree d'Anvers, le marché anversois
ayanl remplacé le marché anglais. Néanmoins le commeree
général en tselgique véeut surtout de la çontrebande.
Dans I'industrie, favorisée par le régime des brevets d'in-
vention, apparaissent quelques grands norns. Un important
tanneur gantois, Liévin Bauwens (1769-1822), avait cher- '
12tt

ché, dès l?98, à surprendre le secret de la construction cles


.nouvelles mécaniques anglaises, les c Mull Jmntl's r, métiers
à filer le coton. L'entreprise était très dangereuse; des peines
rigoureuses menaçaient ceux gui tentaient d'exporter les pré-
cieuses machines. Bauwens en acheta seerètement, enrôla
quelques ouvriers, feignit d'entreprendre un commerce de den-
rées coloniales et envoya sur le continent des moreeaux démontés
de mécaniques dans des caisses de sucre et des ballots de café.
Lorsque les Anglais s'aperçurent de I'artifrce, il était trop tard.
Rauwens leur échappa après une dramatique poursuitc en lner
et fonda à Gand une filature à la mécanique, de coton, basin,
percale, piqué et batiste. Cet industriel hardi fut le fondateur
de la prospérité moderne de Gand. Alors qu'en 1802 cette
ville ne comptait que deux cent vingt fiieurs tle eoton,
'elle possédait, en l8IO, dix mille ouvriers occupés par I'in-
dustrie cotonnière. Artdenarde et Renaix entrèrent clans la
même voie.
En 1799, un ouvrier mécanicien anglais, William Cockerill,
vint à Verviers prèsenter à Mne Biolley, née Simonis, de nou-
velles machipes à carder et filer la laine. Par suite de I'emploi
cles droussettes, eardes et moulins à filer de Coçkerill, la firme
Riolley-simonis donna un nouvel essor à I'industrie lainière
verviétoise, qui enleva bientôt au midi de la'France leÉ
rnarchés du Lel'ant. Le Premier Consul envoya à Verviers
de jeunes fabricants de d.raps ct'Elbeuf et <le Sedan pour ,s'y
perfectiotrner.
La rnétallurgie eut également un assez notable dévelop'
pement, grâce :\ I'agrandissement des hauts fourneaux, au
chauffage au coke et à I'emploi des souffiets à piston.
lln 1815, il y avait en Belgique 89 hauts fourneaux et
124 forges.
En somme, I'industrie belge fft. bonne figure dans I'empire
français. Aux expositions de I'industrie, à Paris, elle obtint
plusieurs des grands prix décennaux pour les perfectionnements
et les inventions. Napoléon commanda à la dentellerie bruxel-
Ioise une garniture de lit et une robe en dentelle dont I'Impé-
ratrice vantait la flnesse extraordinaire. Tournai fourn'it le
grand tapis de pied pour la salle du trône. La manufacture
d'armes de Liége reçut I'ordre 'd'envoyer annuellement à
I'armée 27,000 fusils. . ,
- 49f)

*
{r*

Depuis L7g4,la société belge ne connaissait plus les diffé'


rences d'ordres. E$aux devant la Loi; Ies citoyens ne se
différenciaient plus les uns des autres que par leurs occupations
ou par leur degré de fortune. Si nouvelle d'aspeet, la société
de l'époque française n'est cependant pas intéressante à étudier.
Déchue au xvlle.siècle, énervée et alanguie au xvlrre, torturée'
sous la Révolution, elle se confond avee la masse des Français
sous le Consulat et I'Empire. Faisant table rase du passé,
dédaignant le régionalisme, Napoléon fer exigeait que tous ses
sujets fussent façonnés d'après un même modèle et se vouassent
âu culte lrnpérial, Sans doute, il ne put extirper des eceurs
et des esprits les vieilles quulités, les antiques défauts propres
aux raees lvallonne et flamande. Notre peuple' malgré tou[,
resta Bel$e, comme le constatait le préfet La Tour du Pin (f ).
Mais son originalité s'effaça sous un badigeon neutre, s'atrophia
en attitudes d'emprunt. Les caractères les plus réfractaires
eherehèrent un asile dans la paix morne des petites villes ou
au fond des campagnes.Bruxelles devint'une préfecture endor-
mieo ori < I'herbe poussait dans les rues D. Les ralliés à la domi-
nation française se hâtèrent de partir pour Paris.
IJn certain nombre de Belges, cn effet, surtout après la signa-
ture du Concordat, adhérèrent loyalement à un état de choses
qu'ils jugeaieni. définitif et même opportun. D'aucuns furent
dépt\tés au Conseil des Anciens ou au Conseil des Cinq
Cents, d'autres sénateurs ou membres du Corps législatif.
Plusieurs pcrsonnages de la haute noblesse acceptèrent cles
fonctions officielles. Parmi les magistrats les plus dévoués à
I'Empire, il faut citer le baron Beyts, premier président de la
Cour impériale à Bruxeltes, le baron de Stassart, préfet des

(1) Déjà en I'al III, le oolvoltionuel Pérès, parlant à, Bruxelles dans


I'enceinte du n templo de la Raison ,, s'irritait contre l'inertle que nos pèree
opposaient ù tous les effortS falts polr n modernise, u et u franeiner n lettr
mentalité. " Be,l8:es, , S'écriait-ilr r Yolls n'aimez nl le l-rançais, ni I'Autri-
chien, ni l'Ànglais, ni le llollandais, parce que Yous You$ aimez trop vous-
ruêmes et que I'apa,thie et l'égoïsme constituent essentiellement Votre
caractère.
480 --
-
Bouches-de-la-Meuse, le comte de Celles, préfet du départe-
ment du Zuyderzée. Çes deux derniers se firent détester par
Ies Hollandais pour leur zèle fanatique à servir Napoléon.
L'Empereur eut chez nous aussi ses thuriféraires, tel ce robin
de Wavre nommé Boucqueau, qui prétendait retrouver dans les
prophéties de Daniel I'annonee de Ia paix de Lunéville et du
couronnement impérial !
Dans I'armée, le régime français renconira plus d'ardents
partisans eneore. Le ll2e régiment de ligne, le ZOe dragons,
le 27e ehasseurs à cheval, .unités glorieuses, furent presque
exclusivement composés de Belges. Il y eut des Belgcs clans les
grenadiers de la Garde. Parmi les officiers de haut rang, eertains
quittèrent le serviee de I'Autriche, rappelés par le décret de l8lO.
Cc fut le cas du général de division Baillet qtri devint comman-
dant militaire de la Prusse occiclentale. ùIais la plupart des
colonels, brigadiers et divisionnaires de I'IJmpire firent leurs
premières armes comme volontaires cle 1792. Lahure, de
Mons, chef d'escadron de hussards, commancla l'avant-garde
qui s'empara de la flotte hollandaise, emprisonnée dans les
glaces près de l'île <le Te4el, penclant I'hiver de l?94-17g5; le
général de cavalerie divisionnaire André Boussart, de Binche,
eut douze chevaux tués sous lui au cours de sa carrière; lc
volontaire liégeois Jean de Ransonnet-Bosfort, colonel à
trente-deux ans, fuf tué à Aspern (f 8Og). Son père et ses trois
frères servirent tous sous les drapeaux français. Durnonceau,
le héros de Jemappes, reçut le titre de comte de Bergendael
après sa victoire sur les Anglo-Russes au nord d'Amsterdam
en 1799. Duvivier, qui devint général, s'engagea à treize ans
comme hussard volontaire; le général Evers cor:vrit person-
nellement la retraite de Napoléon en Russie; le comte d'Au-
bremé, de Bruxelles, fit toute sa carrière dans I'armée fran-
çaise et s'éleva du rang de simple volontaire à celui de général
de brigade !
Dans son ensemble,Ie régime napoléonien fut cependant trop.
dictatorial pour rallier beaucoup de sympathies en Belgique.
< On ne nous supporte que parce qu'on nous craint, r sen{s.-
sai,ent dans I'intimité les p4éfets français. Les fonctionnaires
impériaux, sourdement inités de Ia 'froideur hostile avec
laquelle ils étaient accueillis, exagéraient leurs railleries à
l'égard de la placidité, rle la lourdeur, cle Ia mesquinerie des
-_
-431
Belges. Ilntre Français et indigènes les relations restèrent donc
tendues.
Des griefs directs accrurent peu à pett cet antagonisme, On
sait que Napoléon Ier régentait en despote la vie privée des
rnembies de sa Cour. De mêlne, il < invita n beaucoup de familles
belges, nobles ou de bourgeoisie opulente, à venir habiter Paris;
il les contraignit à placer leurs fils dans les écoles militaires et à
marier leurs filles à des prétendants de son choix. Avec Ie
concours du ministre de la police Sai'ary, il organisa une véri-
table ( conscript'ion matrimoniale r.
Habitue autrefois à une grande liberté, le clergé belge sup-
portait difficilement la contrainte impériale. Lorsque, en 1809'
I'Empereur eut annexé les Etats pontifrcaux et interné Pie VII
à Fontainebleau, ce clergé prit parti pour le pontife. En l8ll,
au moment le plus critique du conflit entre Napoléon et le
pape, les évêques de Gand et de Tôurnai, Maurice, prince de
Broglie, et Msr Hirn, furent enfermés au donjon de Vin-
cennes (nuit du ll au 12 juillet IS11). Le prince de Rroglie,
préIat chétif, mais hardi et mordant, fut exilé à l'Île Sainte-
Marguerite (f). Itrn Belgique, ces incidents dé'chaînèrent une
guerre religieuse. T,e gouv€rnement ferma les séminaires épis-
eopaux et incorpora cent nonante-sept séminaristes ! Il eut
aussi à se défendre contre I'opposition plus ou moins patente
du vicaire général de l'évêché de Namur, le chanoine Stevens,
et de ses adhérents, les < Stévenistes >.
Plus I'Empereur faisait de conquêtes, plus il avait besoin
cle soldats. Dans les dernières années de son règne, il eut recours
aux levées anticipatives. En 1813, il créa les ,t gardes d'hon-
nellr )): aux uniformes chatoyants,'pour y incorporer spéciale-
ment les jeunes gens des elasses aisées. A ce moment, un rem-
plaçant se payait de lO à l2,0OO francs ! Les trois étaient,
comme en France, remplis de conscrits réfractaires et de déser-
teurs. Dans certains villages, les enrôlés entraient en rébellion
contre les colonnes mobiles de gendarmes. Les parents des déser'
teurs furent emprisonnés àu âurent loger et nourrir des
soldats -< $arnisaires >. L'opinion publique, en proie à la
plus vive indignation, fut complètement bâillonnée.

' if) p"O" de L'raunes (département des ÀlpeË-Mâr.itinres)- Groupe d.es îles
tLériæ.
._ t3! _.

{.
*/
Plâcé dans de telles conditions d'existenc", l* *ouvement
intellectuel de notre pays ne pouvait que croupir dans le
rnârasme. Sous le Directoire, I'enseignement avait virtuellement
clisparu, à c-ruse de I'anarchie générale. La loi du ler mai 1802
réorganisa I'instruetion p.ublique, dans un sens étadste et cen-
tralisateur. En 1808, cette reorganisation, destinée à intensi-
fier'le culte de la gloire impériale, fut complète. L'Université
de France se subdivisait en Acadérnies ou centres d'enseigne-
ment supérieur; les Aeadémies, en arrondissements, centres
d'enseignement moyen; les arrondissements, en cotnmunes,
eentres d'enseignement primaire. La liberté de I'enseignement
fut entièrement annihtlée..
En Belgique, les eommunes, négligentes et généralement sans
ressources, Iaissèrent les écoles primaires à I'abandon. Les
locaux.furent des granges, des ateliers ou cles coins de cabaret;
les maîtres dt les maîtresses cl'éeole ne faisaient pas d'études
sérieuses.
Les lycées d'arrondissement furent mieux dirigés; mais en
butte à I'hostilité du public. Dans Ies deux Académies de
Bruxelles et de Liége, il y eut deb écoles spéciales de droit, de
médeeine et de chirurgie, meilleures que les aneiens collèges
spéciaux communaux et que les facultés, tombées en déeadence,
de I'Université de Louvain (supprimée le 25 octobre L7g7).
Quoique amélioré, cet enseignement unilatéral et tendancieux
ne pouvait former que des fonctionnaires ou des agenfs de pro-
pagande. fl ne produisit pas de vrais savants. On éprouve
quelque atteqdrissement devant la sérénité d'esprit du curé
Amand qui publia un mémoire sur la querelle des d'Avesnes
et des Dampierre, en pleine année l'Ig4 | Le ehirurgien Anslaux,
de Liége, releva dans cette ville la science chirurgicale de
I'incroyable état d'abaissement dans lequel elle était tombée;
le Namurois Louis Dewê2, sous-préfet impérial, écrivit une
< Histoire générale de la Belgique r, travail patient, très esti-
mable, qui fut le premier essai de reconstitution d'ensemble de
riotre passé.
Napoléon 1er, complétant l'æuvre de francisation de la Con-
vention, ût disparaitre le flamand des administrations, de's
t38 --
tribtrnaux, des écoles, de la presse, des théâtres, de Ia rue.
Les classes inférieures flamandes s'abêtirent complètement. La
suppression des libertes de.Ia parole et de la presse empêcha
d'ailleurs aussi tout effort dans le domaine de Ia littérature
française. Au théâtre, on jouait, sous la Républiqu€, <t Ia Prise
de Toulon ), avee exécution à grand orchestre du fameux
<
Ça ira ! r Sous le Consulat, on mit à la scène a le Bouquet de
Bonaparte r. Les ehroniques dtr temps regrettent que le public
consacrât moins d'attention au jeu des acteurs qu'aux toilettes
des spectatrices, coiffées < à la Titus rr et vêtues à la grecque.
Le public n'avait probablenrent pas tort, vn la nullité des
spectacles. Nulle aussi épait la presse, abonrinablement servile.
Le meilleur journal de Bruxelles, <, I'Oracle u, était un simple
officieux. En 1802, la n Lorgnette de Bruxelles rr reçut une verte
réprimande du préfet pour avoir osé eritiquer le service d'errlè-
vement des boues !
Au point de vue artistique, stagnation complète. Archi-
tectes, sculpteurs et peintres se complaisent dans de fausses
reconstitutions de I'antique. En I803,l'architecte Pisson remanie
en style gréco-romain les salles intérieures de I'hôtel de ville cle
Gand, bouchant la partie supérieure des fenêtres ogivales, plâ-
trant des niches d'un travail gothique délicat! Il faut cependant
reconnaître qu'en matière d'ameublements, le solennel < style
Ernpire n eréa des ensembles décoratifs d'une bclle tenue.
Le directeur de l'Académie de dessin de'Gand, le bibliophile
Van Hulthem, avait orgairisé en 1792 un premier concours
de peinture et un salon d'expositlon à Gand. Ces concours
devinrent pétiodiques et furent imités dans d'autres villes.
Mais on imposait aux candidats des sujets allégoriques ou
historiques sans originalité. Les vainqueurs de' ces concouis
restèrent des artistes froids, dogmatiques, travaillant dans la
manière de [ens. D'autrts peintres se spécialisèrent dans les
paysages pour lambris d'appartement, les < ports turcs omés
de ruines d'architectur€ ))r les dessus de portes en camaieu et
Ies devants de cheminées gouachés (l). Parmi tous ces peintres,
I'animalier Balthasar Ommeganc"k (l?55-f826), le < Racine

(1) CaÉaÏeu : genro de peiLrture dane lequel on n'emploie qu'une seule


louleru. - Clouache ; omploi cle couleure détrempées aveo cle I'eau ert de la
gomme.
13{
-
des moutons ))i fit seul p{euve d'un talent averti et --- pour
l'époque _- sincère.
Par un curieux concours cle circonstances, ce furent encore
des musiciens wallons qui charmèrent la nouvelle société
égalitaire de Paris, après la disparition des classes privilégiées
qui avaient fait leurs'délices des æuvres dè Grétry. Le Liégeois
Gresnicls fit représenter, cle 1798 à l?99, des opéras pimpants.
Un petit paysan de Vergnies, dans le Hainaut, François Gossec
(f785-f829), fut protégé par Rameau, qui avait deviné ses
aptitudes exceptionnelles.'Introducteur de la syrnphonie en
. France, Gossee, déjà connu avatrt la Révolution conrme auteur

tl'opéras excellents, devint le compositeur privilégié de la


Convention. Il écrivit des chæurs et des chants d'allure majes-
tueuse : l'< Hymne à l'Être suprême u, I'tt Apothéose de Vol-
taire >. Au cours des grandes fêtes qtr'il organisa avec un sens
particulier du grandiose, il fii excécuter ses ceuvres par des
orchestres renforeés de cuivres, ponctuant le caractère pathé-
tique de ces exécutions par des sonneries de eloches, cles fan-
fares de trompettes thébaines et des salve's d'artillerie.
TREIZIÈMT PARTIE
LE REGIME HOLLANDAIS
ET LA. RÉVOLUTION DE 1830
(1814-1831.)

CHAPITRE PREMIER
t
LA RÉUNION DE LA BELGIQUE
ET DE LA HOLLANDE. LES CENT-JOURS
-
(r8r4-r8r5.)

Les Français éaactr,ent la Belgiqte [janvier f 8t4l (pp. -t35 et


436). Création du royaume des l?ays-Ba.s (p. 4:J6). 'JO mai
l8l4 -: premier traité de Paris (p. a36). -
f,p protocole de
Londres [26 juin] (p. 436). Le congrès d.e-Vienn,e [rBI4-rBI5l
(p. 436). -
Conùitions défectu,eu,ses de. Ia rûtnion de la Bel-
gique et de- la Hollande @. a37).
Les Cent-Jours : Guillau,me, roi des Pags-Ba.s [16 mars f 8f 5];
la septième Coali,ti,ora (pp. 437 et 438). La campagne de
- [f 8 juin] (pp. a88
Belgique : les Quatre-Bras [f 6 juinl;Waterl.oo
et 439). Le second traité de Paris [20 novembre 1815]
(pp. a39 -et 44O). -- Abandon d'Eupen et de Malmédy à ta
Prusse (p. 44O). Départ des Coalisis (p. Aa0).
-
u Ce nrariage de convenance s'est
fait sans aucun amour de part ct
d'autre, et il est douteux s'il fera le
bonheur d'aucune des deux parties. ,

"â" T?:* JJ i5"


*
'
"Tli;',1,'1
Dans les dernières années de son règne, le despotisme
".--ï de
N*poléon fer s'était acsentué. Aussi l'échec de la carnpagne
- tllfi -
de Russie en 1812,la formation de la sixièrne Coalition en 1818,
la grande bataille de Leipzig (r6-f8 octobre rSfg) prol'o-
quèrent en Belgique une satisfaction intense. mais soigneusement
dissimulée. La surveillance de la poliee, la présence de I'armée,
I'incertittrde art suiet des nottvelles, empêehèrent tout Soulè-
vement.
En janvier t 814, les Russes, les Prussiens et les Suédois péné-
trèrent en Belgique par le nord et par I'est. Les derniers régi-
ments fïançais et les lbnctionnaires eivils ér'acuèrent le pays en
'Wintzingerode. Le
toute hâte, poursuivis par les cosaques tle
ler féwier, le général prussien von Buelow oceupa la capitale.
< A Bruxelles, r écrivit un témoin oculaire, < les manifestations,
si longtemps comprimées,tenaient de la folie.Oncouraitde rrlai-
son en maison pour se complimenter; on riait et I'on pleurait en
même temps; on s'ârrêtait pour s'embrasser, on erït dit'que la
ba,guette d'un magicien avait frappé tout le monde de vertige rr.
En attendant que I'Europe efit statué 'srtr le sort de nos pro-
vinees, les commissaires des Alliés at'aient nommé un gouver-
neur général provisoire et constitué un conseil administratif
de notables (15 fér'rier). La question bçlge fut résoluc par les
souverains coalisés dans le sens d'un ( arrangement pour un but
européen u, selon le nrot d'un hornme d'Etat anglais. Il fallait
reeonstituer une bariière contre un éventuel retour offensif
de la France, faire de la Belgique la < tôte <le pont de I'Europe l;
il f'altait aussi récompenser le Prince-Souverain de Néer-
lande, Gulllaurne, fils flu dernier stadhouder des Provinces-,
tlnies, Guillaume V, mor:t en 1806. Ce prince avait, en effet,
rendu <le grands serviees aux Alliés penda.nt les guerres contre
Napoléon. Pour tous ees motifs, I'Europe créa le royaume des
Pays-Bas.
Le 30 mai 1814, le traité dè Paris laissait à la France Phi-
lippeville, Mariembourg et Bouillon; il promit à la Hollande
un ( &ccroissement de territoire r. Le 26 juin, un traité secret,
le protocole de Londres, stiptllait que la réunion des Pnciennes
Provinces-IJnies, des ex-Pays-Bas autrichiens et de la princi-
pauté de Liége serait < lntime et comptète n. Cette réunion,
sous la fbrme d'un < seul et même Itrtat n et de l'< amalgame
le plus complet >, fut approuvée par le con$rès de Vienne
(22 septembre 1814-9 juin 18f5). Dès le ler aofit 1814, Guil-
laume gouvernait nos provinees âtl nom des Alliés. )
- J.'ti

Opérée sans que les peuples en cause eussent êté con-


sultés, la réunion de la Belgique et de la Hollande création
- la haute
ingénietrse en apparerc€ --- fut une faute. Chez nous
noblesse, le clergé, la petite bourgeoisie, les ex-doyens des
métiers auraient préféré un retour de la maison d'Autriche ou
une résurrection du Statisme. Les anciens militaires et fonc-
tionnd-ires étaient restés francophiles. Il n'y avait en somme
qu'un petit nombre de bourgeois libéraux et de grands fabri-
eants qui voyaient d'un ceil favorable le nouvel état de ehoses.
Sous une forme fédérative ou par une union personnelle peuh-être
y aurait-il ett moyen de thire vivre d'accortl deux pays aussi
< diamétra,lement.opposés r. Mais comment vouloir faire un
amal$ame des Hollandais de 1814, froicls, solennels, enne-
mis tles ( nouveautés r, et des Belges, ( peuple irascible et
remuant (f ) ,? Ajoutons à cette opposition des caractères les
différences de rellgion, de lan$ue, le fait que depuis 1585 Ies
Provinces-IJnies avaient pratiqué à notre égard une politique
égoiste et hautaine. L'édifice construit par I'Europe fut donc,
dès le début, une (Euvre artificielle, d'une structure contraire
au bon sens.
*{,
{<

Yols ôtcs ttn pettple bru,vo, loyn'l ct


' troble. "
(Proclamation du fekl-rnaréchal
Rr,tcHER. 181;i. )

Au mois de mars 1815, une nou\relle prodigieuse vint surex-


eiter les esprits en Europe : Napoléon, échappé de l'île d'Elbe,
avait débarqué au golfe Juan près d'Antibes et marchait sur
Paris ! Profitant du désauoi général, Guillaume, devançant les
projets des plénipotentiaires réunis à Vienne, prit le titre de
roi des Pays-Bas (f6 mars) et édicta des mesures défensives.
Son armée était jeune, inexpérimentée,,mais eommandée par
d'aneiens offieiers de I'arrrÉe impériale. Il y enrôla de nom-
breux volontaires hollandais et belges, ces derniers spécialement
stimulés par le elergé. Le danger d'une invasion française

(1) C:était I'opinion de not,re gollvernell!: gén(rral provisoire, le barott dc


!'lncbnt.
4,f18
- -
réconcilia cléfinitivenrent, nos pères avee les nouvelles lois de
milice.
Il était en eIïet deventt évident quc lollnrope lre tolérerait pas
Ia rentrée en scène rlu .. général Ilonaparte ,. Le prince de
'falleyrand, devenu ministre de Louis XVIII après avoir servi
Lorris XVI, la Républiqrre et I'Empire, forma Ia septlèrne

sqË
li''
= {

I,A RA'IAII,I,E DES QT,ATRE.T}RAS


(( 1rr liirrr,l tir'. r"1 ir lrll)('s, Ilrtr-xt'llr" .)

('rtlc naivr r:.itâ.ttlJrr t'elrli'stttrtc ( lir l)l'ctrrièt'e iittrtlttt'tlc*


l.'rrttrç;ris rr-'Jr{ltssrlr' lritt'f itrttttottel Jrirr<is tlt: l;.t \i'cllirntle,,. -'\tt
di'llrrt <lc i'atrtion, lc pt'iut'c rl'Orartge rllargrla crt r'lÏct, tlll J)(ll'-
.orrrre I'inttr.rrtt:i'irr tlrr gritrirt'irl l,'()l'. Lc9 ctosttttnes Itrilii,tiitt's sont
Irss<'z r.\trcl'r'lrt'nt lcprrttlrriti rrrlris lt'Jra1'suEc cst ilt'larrtrt.isie.

CoalitiOn (li3 rtrars). ['ne itt'ntéc prttssienne (rollllllatttlée pnt lt'


fcld-rnaréelrarl Bli.icher et lln('ârmée anglâis€r s01rs lcs ordres dtt
<luc rk: Wellin$ton vinrent ttccrtltcr l:r Belgique: I'rtntr sc ealr-
tonna dans I'Ilntrc-Satnbrc-et-I'Iettse, I'artt,re s'éehelonna <1'Atr-
<lenarde à Nivelles.
Napoléon Ie. décida, <1'entrcprendre une attaque fou-
droyante contl'e lcs Anglo-Prussiens avant I'arrivée des Autri'
--- 139
-
chiens et des Russes. Le 15 juin il entrait en Belgique et occupait
Charleroi; le 1.6, après trn tenible corps à corps, il battait les
Prussiens à Ligny, au nord-est de la Sambre, et les rejetait
vers Namur. Le but de I'Ernpereur était de vaincre sèparément
les deux armées. Wellington, de srtn côté, croyait à une simple
feinte et s'attendait à une attaque en rnasse du côté des Flan-
dres. Aussi, craignant,par-dessus tout <le se voir coupé de la mer,
ordonnn-t-il une manæuvrc qui attrait pu lui cofiter cher. La
petite armée hollanclo-belgc, comman<lée par le prince Guil-
laurne d'Orange, fils aîné de Guillaume fer, était posbée attx
Quatre-Bras, croisement cle routes au sucl de Genappe; elle
formait I'avant-garde cles forces anglaises. Dans la nuit dtt
L5 au l6 juin,Wellington lui ordonna d'évaeuer ce point impor-
tant. Le général baron de Constant-Rebecque, Suisse eonr-
mandant l'état-major du prince d'C)range, comprit I'erreur de
stratégie du généralissime anglais et, tout en envoyant les ordres
cl'évacuation au lieutenant général hollandais De Perponcher,
osa assrrmer la responsabilité cl'inviter ee dernier à < ne pas les
suivre >. Quelques milliers d'hommes résistèrent donc aux
Quatre-Bras, pendant toute la journée du 16, aux attaques
répétées du maréchal Ney et saut'èretrt ainsi Blûcher d'un
eneerclement .désastreux. Reeonnaissant chevaleresquement
son erreur, Wellington félieita Constant-Rebecque de son
< heureuse désobéissance D et vint couvrir Bruxelles sur le
plateau de Mont-Saint-Jean, au sud de \4'aterloo.
Le 18 juin eut lietr la célèbre bataille tlite de Mont-Saint-
Jean, de W'aterloo ou de la Belle-Alliance. Les Hollando-
Belges y jouèrent un rôle appréciable : leur infanterie coopéra
à la défense de la ferme cle la Haie-Sainte; la cavâlerie légère,
commandée par un Amrersois, le baron Van Merlen, opéra
'du
des charges brillantes; la brigade Detrners, sous les ordrBs
baron Chassé, participa vaillamment à la dernière grande
attaque contre les grenadiers dê la Moyenne Garde. Quelques
jours après,le général prussien Pirch disait au maire de Namur :
< De tout temps, les Belges se sont montrés un peuple brave,
généreux et vaillant. Ils ont soutenu cette brillante réputation
surtout à la bataille de la Belle-Alliance, où ils ont combattu
avee tant d'intrepidité qu'ils ont émerveillé les armées alliées. >
A la fin de 18f 5, la grande crise des Cent-Jours noétait plus
qu'un souvenir. Le second traité de Paris (2O novembre)
-440-
rendit à Ia Belgique ses limites de l?00, avec Philippeville,
Mariembourg et Bouillon. D'un autre eôté, les Prussiens lui
enlevèrent pltisieurs parcelles de tenitoire. Au congrès de
Vienne ils avaient émis la prétention de rester maîtres de la
rive droite de la Meuse. r,e roi Guillaume s'y était vivement
opposé mais n'avait pas complètement obtenu gain de,cause.
Au dernier jour du Congrès, le g juin, les Prussiens avaient
par I'Acte de Vienne _- reçu I'autorisation d'annexer deux -
cantons, incorporés à la France en lBOl, par le traité de Luné-
ville : le canton d'Eupen (en wallon : Néau), qui faisait jadis
partie intégrante du duehé de Limbourg; le territoire de Mal-
médy qui, autrefois, formait avec Stavelot une principauté
abbatiale de fondation très aneienne (r'rre siècle) (l). euant au
village de Moresnet, il fut en quelque sorte oublié. rJn accord
n'ayant pu s'établir dans la suite entre la Belgique et I'Alle-
megne au sujet de la possessio4 des mines de zine de Ia vieille-
Montagne, Moresnet resta un minuscule territoire neutre
jusqu'en 1914.
Par tranches successives, les armées alliées retournèrent chez
elles, à la satisfaction de nos pères. une vieille chanson liégeoise,
le ,t ,Sou' bi,n çou qw'"c'est-on Prussôen?...D rappelle en termes
ingénus et savoureux les préoccupations des bonnes gens de
l'époque :
<On n'set co Ezoand èntrt iront,
Isont pis qu'des èpldsses;
I sucèt cont' des td,Inns
Et s'n'ont-i jamâU hasse.
Oh! Euii dji, m'rqfùUe
Di n'mdy Trus hs r'oèyç,.. (Zl. >

(1) Ajoutons à ces t€rritoires cédés les car.tone de Rolduc, dê Ntedor-


kruchtou, de Sai:at-Vitb, de $cNeidop, de Kroneubural, I'afrondisgement de
Bitburs et une partie de celui de Diekirch
(2) Chansoq : S.wrcz-vous BrEr\* cs euE c'Egr eu'uN PnuseIEN?
Oouplet VII ; On ne sa,it oncore quanrl ils I'on iront, ---- De sout pireu que
jamais &ss€z.
- Et n'ont
des emplôtros; IIs sucent comrne deg taons
-
* Ohl eue j'aspire  ne jamale plus les reVoir.' -
-
, 'râ1, r ;tir i:F--
4't t''
i/
,,-(t 1 lt li,

CHAPITRE II
LES DÉBUTS DU RÈGNE DE GUILLAUME IET

(r815-182r.)

Gttillaume let : aspect pltysique, caractère (p. aaf ). gtolitiqu.e


eætérieu,re (pp. 44f-443). Sort gottt pour le-,Sa
gouaen?em'ent
personnel @. A4Ù. - Constitution hollandaise de l8I^4
La
(p. 4' B). -
La Loi fondamentale de f 815 (pp. 443 et 444).
- -
Con.fl,it entre lc roi et les catholiques belges (ru suiet des l;ibertés
de conscience et des cu,ltes [f815-f 82f f (p. '144).

. État napoléonien à facade consti-


tutionnelle. ,

'flHfii"""f i:"f;ii?,Ë"i:L'j
!)n 1815, Guillaume fer avait dépassé la quarantaine (1). Il
était grand, robuste, de visage régulier et grave. Doué d'exeel-
lentes qualités, affable dans son accueil, très simple dans son
vêtement et ses manières, intelligent et érudit, il avait profon-
tlément constience des responsabilités que lui imposait sa mis-
sion royale. Par contre, il était suffisant, se croyait infaillible,
prenait toutes ses résolutions sans consulter personne. Lorsqu'il
s'apercevait qu'il avait fait fausse route, il s'entêtait dans sa
manière de voir, ou bien il tergiversait et se râceroetrait à des
demi-mesures.
Au point de vue extérleur, le roi suivit une politique excel-
lente. refusa d'entrer dans la Confédération germanique.
Il
Plutôt que de devenir < I'avant-mur de la Germanie r, il préféra,
selon ses propres termes, être la < sentinelle de la Grande'

(l) il était né en 1772.


_t_12
-
Bretagnc sur le cnntinent r, et ee tout en gardant une parfaite
indépendance. C)n le rlisait u le phrs libéral tles prinees rle son

Itttr;rs,': rit'lirit. r'i <'r'tlt'tilror;ttt'oii lr'1rt'ili<'t.tlr')lt,ttt'r'nir'lr


rlorrrillrrit lrr Snintc-Alliancc t't oir. lrir rt<;rrt ('r) l')rrroltt'. k's
ql"irrirlt's l'uissinr('(,s irlrslltrlistcs t'lttt'c'1t:rit'rtt ir rlétt'trirc l'rlttvrc
.+43
- -
tle la Révolution. Guillaunle ler se nrontra tolérant et nrodéré.
Ce1>endant ce prince était, selon I'expression spirituelle dtt
baron cle Vincent, ,,trop libéral pour être roi, trop roi pour être
sincèrement libéral >. Son éducation première, sa Yie passée
dans les camps', en avaient fait, un adepte dtt $ouvernemenf
personnel. r Que sont les ministres? > . disait'il un jour att
! Je puis, si je le trouve
conrte van cler Duyn.
-- < Rien dtr tout
bon, gortverner sans nrinistres, ott placer à la tête cles dépar-
tements ministériels qui bon me senrble, fût-ce nlême un de mes
palefreniers... D Plus tarfl, en efTet, il se débarrassa de plusieurs
ministres renrarquables, mais flont le tïanc-llarler le choquait.
ces'dispositions d'esprit avaielt, en 1814, condlit Guillaume
r\ transformer les anciennes Provinces-Ilnies en une ( monar-
chie absolue sous des aSpects tle liberté constitutionnelle r. Il
avait octroyé aux Hollandais une constitution (Grondwet)
assurant au pouvoir exécutif ttne forte prépondérance et
n'adrnettant pas la responsabilité rninistérielle. Les Etats
généraux (Staten-Generaal) étaient éltrs par un corps électoral
divisé en trois Ordres (nobles 9u ordre < équestre >, villes, canr-
pagnes) d'après un suffrage à plusieurs degrés. Ils n'avaient
rri le droit d'initiative, ni le droit d'amendernent. Le
bugdet était décennal!
Ce pacte fondamental avait clorrlé satisfactioll aux Hollan-
rlais, encore très indifférents à la vie politique. Mais à la fln de
I'Empire, le libéralisnte avait fait en Relgique des progrès
sérieux I d'autre pafr, les iatholiques avaient joui, sous le régime
autrichien, de privilèges ionsidérables. I)es dilficultés allaient
donc surgir Ie jour ot) il faudrait éfen<lre à la Belgique |e régime
constitutionnel en vigueur en Hollande. C,'omment en outre
répartir avec équité les droits entre Belges et Hollandais?
Le roi fit cependant trn effort sincère pour concilier les points
de vue opposés cle ses sujets. Il flt remanier la Constitution
de t8l4 par tlne comrnission de onze Hollandais et de onze
Palni ces tlerniers figuraient
Ilelges (22 avril-I3 juillet 18f 5).
rles hommes de toutes les nlances lnlitiques, clepuis les ultra-
catholiques jusqu'anx < francs jacobins >. Il fut décidé, sans
diffïculté, que le pays serait divise en dix-sept provinces et
que Bruxelles et La Haye seraient alternativement, d'année
en année, ville capitale et siège du Parlement. Les Etats
généraux comprirent une Première Chambre, nontrnée à vie
_ .1.44 _
par le roi, et une Secondç Chambre élue d,après le système
de la Grondwet de l8l4. pour réaliser u la fusion intime et
complète >, il eût fallu donner aux Belges 65 sièges de députés
sur les llo sièges de la chambre Basse, puisque le sud était
habité par trois rnillions et demi d'habitarits contre deux
millions à peine dans le Nord. Mais les Hollandais exigèrent
la moitié des sièges !
l'out eompte fait, la Loi fondamentale de IgrS efrt été
acceptee sans trop de protestations de part et cl'autre, si elle
n'avait nris en cause- Ia question religieuse: Guillaunle Jer, se
conforrnant d'ailletrrs en eela aux résolutions du protocole de
Londres, avait garanti à ses sujets la liberté de conscience
et des cultes. or, au sei' tle notre clergé, toutes les vieilles
prétentions d'avant lzSg s'étaient réveillées. Rentré triorn_
phalement à Gand, le 26 mai rgt4, r'intolérant évêquede Gand
Maurice de Bro$lie avait entamé viorente
'ne du peuplecanrpagne
eontre les susdites libertés. Il avait I'appui et de la
bourgeoisie catholiques, surtout dans Ies Flandr*r *flu provinee
d'Anvers. Le 18 aofit; une assemblée de notables fut réunie
pour formuler son avis au sujet de la nouvelle Constitution.
sur 1,603 délégués 280 s'abstinrent d'émettre un avis; sur les
l'828 votants, 796 formulèrent un vote négatif, dont 126 moti-
vè'ent Ieur refus par des considérations d'ordre religieux;
527 voix seulement adhérèrent aux vues du prince. stupéfait
et irrité, Guillaume rer considéra les abstentions cornme des
approbations et déclara nuls les votes négatifs motivés : il
obtint ainsi 80? suffrages approbateurs contre 67o bulletins
défh,vorables. ces subtilités furent qualifiées plus tard < d'arith-
métique néerlandaise ,! L'évêque de Gand lança un Jugement
doctrlnal défendant aux catholiques de prêter les serments
prescrits par la Constitution.
Pendant six ans, une impitoyable guerre reri$ieuse enve-
nima les rapports entre le roi et les catlfoliques belges. rI se
trrroduisit de part et d'autre beaucoup de violeÀces inutiles et de
maladresses. En l8lz, le prince de Méan, dernier évêque de
Liége sous I'ancien régime, fut désigné par Guillaume rer comme
futur archevêque de Malines. rI combina une formule trans-
actionnelle qui fut aussitôt adoptée par les modérés. Mauriee
de Brogliefut côndamné à Ia déportation et mourut en Franee
en 1821. Alors seulement les prot'estataires aigus se soumirent,
CHAPITRE III
LA vrp ÉcoNoMIeuE ET socIALE
EN BELGIQUE
SoUs IP NÉCIME HOLLANDAIS

Aaantages économique:s de Ia réwtiort' cle la Bel'gique et tte ta


Hollande (pp. 445 et 446): -- L'u,griculture, Ies uoies da
communication, le comnterce (p. fa6). L'industrie;
Cocherill; Minltelers ; les enpositions (pp.- aa6 et 447). .,Iohn
Progrès sosiauæ; ta Sociéte Tot Nut van 't Alsemeen (pp. 44?
et 448). Absence d'actiaité irtiellectuelle spéculatioe d'ans les
provinces- dtt Sud (p. a 8). L'.mseignerlent (pp. aA8 et 449).
Les seie'n,ces, les lettres et- les arfs (pp. 449 .et 45O).
-
En créant le royaurne des Pays-Bas, les Puissances avaient
cru sineèrement faire æuvre utile. Le nouvel Etat formait un
ensemble superbe de clix-sept provinces, la, plupart rictres et
,prospères (f). Le Nord, corrrrnercial, rnaritime et coloni-
sateur, s'agençait parfbitement au Sud, a$,ricole et industrlel.
De plus, Guillaume Ier, comparable en cela à beaueoup de'
tlespotes éclairés, aspirait'à donner à ses Etats un puissant
développement éconornique. ( 'tout était chez lui. matériel.

(1) Les d.ix-sept provùrces élaierrt.: la.B'larrdre occitlottttlle, la l'lau.drc


orientale, le tsrabant rnérldional, Arrvet's, le Ha,iuaut, Na,mur, Liég:e, le
Limbourei; dans le nord il ]' ava,it la Zélnnde, Ie Brabant septentrional, Ie,
llollancle, Utrecht, la Guelclre, l'Overijssel, la Drenthe, la X'"rise et Gro-
ningen; Le Lux'enrtrourg fot'rtrnit nu oR,1xt-ntrCttÉ tlont Guillautne Io'étg,it
le souverain,
_446_
positif et mathématique, r disait un eontemporain qui connais-
sait bien son caractère.
Sous le régime hollandais I'agriculture fut prospère. Le com-
rneree intérieur fut favorisé par I'amélioration des voies de
communication. Le canal de Gand à Terneuzen fut achevé,
la Sambre fut canalisée (f S25); de cette époque date égalemènt
le canal d'Antoing à Pommerceul. Guillaume projetait aussi de
réunir la Meuse à la Nfoselle par I'Ourthe et la Sûre canalisées,
mais ce plan dut être abandonne.
Le commerce extérieur fut stimulé, en 1824, par la fondation
d'une Société de Commerce. Nieuport et Ostende prospé-
rèrent. A Anvers, oir 585 navires seulement avaient touché
cn 1818, les entrées de 'bâtiments commereiaux atteignirent
en 1829 le chiffre de 1,O28. Grâce à l'établissement de tarifs
protectionnistes, les importations de laine, de grains, de bois,
cle même que les exportations de bétail, de denrées coloniales,
de produits agricoles, manufacturés et fabriqués, suivirent une
prollression ascendante jusqu'à la révolution.
Dans le domaine industriel, Guillaume Ier pratiqua également
le Colbertisme, et ce au grand profit des Belges. L'initiative
privée fut encouragée par des primes, des subsides, des avances
pécuniaires aux chefs d'industrie, des secours aux ouvriers en
cas tle chômage involontaire. En 1822,Ie roi fonda une Soclété
générale pour favoriser I'industrie nationale, tranque de
dépôts et d'escompte.
Notre industrie linière, venant en prernière ligne, occupait
quatre cent mille ouvriers et ouvrières, lesquels pratiquaient
encore le filage à la main, à rlomicile, dans les petrtes villes et
les villages rles Flandres. L'industrie cotonnière n'avait pas
cessé cl'obéir à I'impulsion que lui avait donnée Liévin Bauwens.
En 1826,Ies usines de tissa$e mécanique de Gand possédaient
cent cinquante mille broches (l); en 1830, deux cent quatre-
vingt-trois mille ! Les établissements d'irnprirnerie sur coton
eurent un développement parallèle. L'industrie' gantoise pour-
voyait aux besoins des provinces du Nord et des colonies
d'fnsulinde. A I'autre extrémité du pays, I'industrie drapière
verviétoise poursuivait ses progrès. L'explorateur Caillé raconte

(1) Broche : org:anc d.'utr rnétier ù, fller, cornposé d'une tige cle fer recevant
la bobine et sur laquelle le fll vient s'enrouler'.
* .1,17
-
qu'au grand marché de Tombouctou, en 1828, il trouva un seul
produit européen : un coupon de drap de la maison Biolley !
L'emploi dans les houillères cles nraehines de Newcomen
et des lampes de f)avy multiplia le rendement de l'industrie
extractive. Dans le pays de Liége, le bassin de Charleroi et le
Rorinage, les charbonnages occupèrent trente mille ouvriers,
extrayant annuellement 2 millions 500,000 tonnes de gros char-
bon et de gaillettes. L'industriel De Gor$e fonda, en 1816, un
établissement modèle au Grand-Hornu (Borinage).
A Seraing, John Cockerill (1790-1840), fiIs ele William,
<levint le plus grantl producteur de mécaniques du continent.
En 1815 il avait enlevé aux Anglais Ie monopole de construc-
tion de machines à vapeur perfectionnées. C'était un homme
taciturne et tenace, très aimé tle Guillaurne Ier pour son carac-
tère ferme et positif. Grâce i\ s<ln impulsion, rles forges, des
laminoirs, des lrauts fourneaux perfectionnés élevèrent notre
industrie rnétallur$ique à'ttn rang remarquable pour l'épo-
que. Les cristalleries du Val-Saint-Larnbert, près rle Liege,
clatent de la mênre périorle.
Vers la fin clu règne rle Guillaurne Ier, I'itrdustrie belge
employait déjà 185 rnachines à vapeur à ltaute pression, la
pltts forte étant de 80 ehevattx. Le professeur Minkelers, tl<r
Maastricht, ayant peu auparavant, décotn'ert le laz d'éclai'
rage, ct mode tle luminaire comtnença à se répanrlre. Dans
totrs les domaines éconontirlues, la période hollancler,ibe marqua
une date..De nombreuses expositions, à Ganrl (1820)' :\
Ifaarlem (f825), à Bruxelles (l8BO), permirent aux dix-sept
provinces de rivaliser pacifiquement pour les productions les
plus diverses. Le roi, promoteur de cette magnifique ceuvre de
fénovation, devint l'idole de la haute bourgeoisie commerçantc
et industrièlle, surtout à Anvers et à Gand.

{.
t {c

Ce fut sous Ie régime hollanclais que la société belge eom-


mença à s'adapter aux formes de la vie contemporaine et à
bénéficier pleinement des progrès réalisés par Ia révolution
française. Grâce aux soins intelligents du roi, pattonnant la
< Société de bienfaisance ,) (1821), et grâce à la prospérité
449_
.
éeonomique, le paupérisme, cette plaie de la Belgique d'au-
trefois, disparut. On ne signalait pas cinquante mille indigents
dans tous les Payd-Bas en 1880 ! L'analphabétisme fut aussi
combaftu avec vigueur. Cette mesure élait urgente : des deux
eent quarante et un mille illettrés que comptait, le royaume
en 1826, deux cent vingt-huit mille habitaient les campagnes
belges !
Une société, créée dans les Provinces-Unies en I?43 et por-
tant le nom de (( Tot Nut aan't Algemeem (1) >, fonda, dans le
pays flamand, de nombreux < départements >. Elle distribuait
de la nourriture aux incligents, créalt des caisses de seeours
mutuels, des crèches et tles cours tlorninicaux, ouvrait des
bibliothèques populaires, organisait des conférences,' eneou-
rageaii les actes de dévouement. Son æuvre fut contrariée
par le elergé qui redoutait une protestantisation <les' cam-
pagnes.
Les classes aisées, se retrouvant dans une situation enfln
encourageânte, avaient reconquis lcur vigueur, leur optimisme,
leur esprit d'initiative. lVlais l'activité intellectuelle spéculative
leur fit encore defaut. Cers honnêtes bourgeois, au pantalon de
nankin, :\ l'habit de drap bleu ou olive, prenaient volontiers
cles airs gourmés et solennels, airs eneore accentués par leurs
énormes cravates blauches, Ieurs cols'tï pointes et leurs cha-
peâux évasés en forme rle tromblon (le bolivar). Malgré leurs
jupes âr volants superposés,leurs manches courtes et bouffantes,
leurs amples décolletés, leurs grands chapeaux < cabriolets u

et leurs piquantes boucles à I'anglaise, les dames du temps


avaient cet air reposé que donne une indifférence placide à
l'égard cles productions cérébrales. La société belge de l'époque
hollandaise aimait le confort, les vêtements durables,les rorrr
ritures saines et abondantes. Sa quiétude un peu trop matérielle
ne lui enlevait aucune qualité du cæur, mais certains ornements
de I'esprit. En somme, si elle était moins conservâtrice qu'autre-
fois, elle était encore fort éloignée d'une psyehologie e.osmo-
polite.
Guillaume Jer pensâit que l'Etat seul devait dirtger ou
surveiller I'enseignerrent. Avec I'aide de son excellent

(l) Sociôté " d'Utilité publique


44',9
- -
ministre de l'rnstruction publique, Antoine Falck, il institua
une organisatiorr scolaire modèle. r,'enseignement primaire,
neutre et grat@nstituteurs diplômés, sous
f
le contrôle de I'Etat. En quinze ans, le gouvernement fonda
près de quinze eents écoles. Trois cent milre éIèves fréquen,
tèrent les quatre mille éeoles primaires du pays.
L'enseignement rnoyen se donna dans les athénées. Sept de
ces établissements furent créés en lg16. cette même année,
I'Etat ouvrit en Belgique trois universités : à Louvain, à
r,iége et à Gand.rl fit appel à des professeurs hollandais tels
que Thorbecke, Kinker, Schrant, ou allemands tels que le
jurisconsulte warnkoenig, pour mettre sur pied un bon ensei-
gnement supérieur. La philosophie de Kant, la jurisprudence
de savigny, s'enseignèrent dans nos auditoires. Mais l,Etat fit,
avec éclectisme, une part considérable aussi à la science fran-
çaise. Les théories médicales de Broussais furcnt discutées avec
passion; I'art oratoire des politiques libéraux combattant
clharles X enthousiasma la jeunesse. Guillaume rer rétablit
aussi I'Académie Royale des sciences et des Belles-
Lettres de Bruxelles (rgt6). Au. cours de cette période
de transition, il n'y eut cependant pas de savants belges
illustres.
Le mouvement lrttéraire fut franchement nul de lglS
à f880. Un professeur de I'athénée de Bruxelles, philippe
Lesbroussart, publia en rgzz des églogues âssez délicates.
Le baron De stassart se distingua comme fabuliste. Les
hommes de lettres flamands restèrent rl'insipides rimailleurs,
Les arts furent médiocres. Le palais du prince d'orange
(futur palais des Académies) et les serres du Jardin Botanique
à Bruxelles, I'rJniversité à Gand, sont des monuments de cette
époque oir I'architecture persévérait dans Ie pastiche des
æuvres froides et pesantes -- de la Rome des Empereurs.
Pour les- sculpteurs, le néo-classicisme élégant mais sans vie
de canova et du Danois Thorwardsen reste ra norme suprême.
c'est dans leur manière. que travaillent caloi$ne, Mathieu
Kessels et Van Geel, qui fournit le modèle du lion de
IVaterloo.
'En pcinture, r{erreyns et ornmeganck sont les derniers
< maîtres d'autrefois r fidèIes àla tradition. r,'influence de
Lens est dépassée par celle de l,illustre David, Ie < régi.
F. vÀN KÀr,KnN. HrsrorRn Dn BnLGTeun. _ lg24. lù
-
-450-
cide (r) I établi à Bruxelles depuis r8r5. c'est au genre
classique, représentê par ce maître, qu'appartiennent les
euvres bien dessinées, mais de coloris sans vigueur et de style
ampoulé, tl'Odevaere, de Cels et du directeur de I'Aca,démie
d'Anvers Mathieu van Brée (f?7S-18S9), excellent professeur
de dessin. Le roi de Hollande aimait les toiles gigantesques,
Il en commanda
représentant des scènes militaires ou officielles.
plusieurs à ees peintres, de même que'des portraits, ces derniers
de facture waiment remarquable.

(r) ce nom étail, cous la Restauration, donné aux conventlonnols qui


avaient voté la mort d.e Irouis XYf, en 1793.
CHAPITRE IV

LES GRIEFS DES BELGES ET L'UNION


DES OPPOSITIONS
(r815-r880.)

Les gri,efs dns Belges (pp. 45f -45S). Le u blnc > belge à la Seconde
Chambre (p. 458). Optposition -de plus m pfu,s marqtée entre
- fu. a5S).
Belges et Hollandais
Les catlnliques et l,es libérauæ (p. 45S). La politique reli-
gùeuse et scol.aire de Guillaume let; le Collège philnsoythique ;
la guene scolaire (pp. as8 eI 454). Le concordat de 182'l
(p. 454). - @. 4551. La presse
Euolut;ion du lùbérslisrne
belge (pp.-455-457). Campagne en laaeur de la- liberté de la
presse (p. 457). -Rapprochernent mtre les ltùbéraun et les
- des OpTtositions [1828] (pp. 45? et 458).
cathnl;iqtee. L'Union
Le pét:it:ionnenxent 1828 (pp. 458 et 459). Incohérence
-dc la poltitique royale de(p.459). -
RôIe dn Libry (p. a50).
Le pétit:iorinahmt de L829 (pp.- a59 et 460). Le Message-
roEal [l décembre 1829] (p. 460). -
La situatùon durant Ia
-
prem,ière moitié de Pannée f83O (p. 460).

. Jo no sufu pae HoUandais ..t'


Et re ne
"iffi*::l'i'#Lï* u" 181s.)

Pourquoi, malgré tant de progrès économiques et sociaux.


la fusion entre Hollandais et Belges ne se réalisa-t-elle pas?
Pourquoi, malgré quinze ans d'efforts quotidiens, Guillaume Ier
ne parvint-il jamais à eonquérir les sympathies de I'ensemble
de nos compatriotes?
-45ù-
Ce fut en grande partie à cause du roi lui-même, trop absolu
dans ses tendances et trop hollandais par son tempérament,
son câractère et ses goûts. Ce fut aussi à cause d'oppositions
inévitables entre les deux peuples. Voyons les principaux
griefs articules par les Belges de l8l5 à f ffiO.
Io Au point de vue de I'ernploi des lan$ues, Guillaume Ier
avait pris au début des mesures équitables. Le ler octobre l8l4
il avait rétabli le libre usage du flamand et du français. Le
gouvernement employait les deux langues; on les parlait indiffé-
remment à la Seconde Chambre. Mais à partir de t8l9 le roi
voulut créer une langue nationale. Il imposa exclusivement
le néerland.ais comme lan$ue officielle dans la parde fla-
mande du pays, ajoutant en 1822 à cette partie les arrondisse-
rnents de Bruxelles et de Louvain. Cetfe contrainte linguistique
irrita les fonetionnaires,les membres du barreau, les notaires,
les oftciers et les étudiants. Les uns regrettaient la langue
française; Ies autres, Flamands régionalistes et catholiques,
habitués à I'orthographe de Desroches ct à leurs patois loeaux,
étaient hostiles au néerlandais qu'ils considéraient comme une
langue différente de la leur.
2o Les emplois étaient injusternent répartis entre Belges
et Hollandais. Parmi nos compatriotes ne figuraient qu'un
ministre sur sept, dix-sept hauts fonctionnaires sur trois eents,
un.diplomate sur vingt-huit, six lieutenants-généraux sur vingt-
tleux, huit généraux-rirajors sur cinquante-trois, quatre cents
officiers sur deux mille trois cent septante-sept. Encore, sur ees
quatre cents, trôis cent septante-sept étaient-ils employés dans
les colonies, y faisant brillamment leur devoir, à l'exemple du
lieutenant-colonel De Bast, qui se distingua'darls les Célèbes.
et d11 colonel De Ia tr'ontaine, qui amena la soumission du sultan
de Palembapg à Sumatra. La' plupart des établissements de
l'Etat étaient en Hollande. Sans doute y avait-il trente Belges
contre vingt-six Hollandais à la Chambre }Iaute; le poste le
plus envié des Pays-Bas, celui de gouverneur général des Indes
1éerlandaises, appartenait à un Belge. Il n'en était pas moins
vrai que, déjà en 1816, le prinpe d'Orange, fils aîné du roi,
pouvait constater tt I'entière influence des Hollandais r'. < Ils
u disait-il, < la direction de toutes les affaires - et ils
ont,
considèrent chaque jour davantage la Belgique comme une
province annexée qui doit être soumise à la mère Patrie n'
_458_
8o La Dette publique avait été partagée entre les deux
peuples. or, en'1814, la Dette hollandaise s'éIevait à r,z5o mil-
lions de florins,la Dette belge à r00 millions de florins seulement.
40 Protectionniste au début, Guillaume fer évolua peu à peu
vers Ie libre-échanEe, mécontentant ainsi nos industriels.
5o En 1823, le gouvernement établit des impôts sur la
mouture du grain et I'abatage du bétail. ces taxes indi-
gnèrent les paysans et les ouwiers.
ces griefs aceumulés avaient produit un malaise, latent mais
général. Les députés belges à Ia seconde chambrb, conduits
par Dotren$e, voltairien spirituel, et par l'énergique Rey-
phins, prirent I'habitude de voter en bloc contre Ie gouver-
nement, et les collègues hollandais. D'autre paÉ, Ies sentiments
d'indlfférence et même d'hostilité entre les habitants du Nord
et ceux du sud, sentiments spontanés, irréfléchis, ne faisaient
qu'augmenter. A cause même de cet antagonisme, les Belges
reprenaient consclence d'eux-rnêmes, en tant que peuple
distinct.
En 1815 déjà, I'ambassadeur d'Autriche à Bruxelles, von
Binder, écrivait au prince de Metternieh : < Si I'on demande
ce que les Belges veulent, après tout, on ne peut répon<lre
autre chose si ce. n'est qu'ils ne veulent pas être Hollan-
dais. >'Deux ans avant la révolution le dipromate français
Lamoussaye éerivait à son gouvernement : < Le Belge hait le
Hollandais et celui-ci. méprise le Belge, au-dessus duquel il se
pl,ace à une hauteur infinie.... r,

***
Depuis 1815, il s'était formé en Belgique deux grands partis :
Ies catholiques et les libéraux. Les premiers englobaient Ia
grande majorité de la nation, ils étaient dirigés par un élergé
actif et solidaire; les seconds comprenaient beaucoup de bour-
geois des villes, des avocats et des journalistes. Jusqu'en lgz4
le gouvernement sut louvoyer entre les deux groupes, en se
bornant à pratiquer une politique d'affaires.
En 1824, cette situation changea. Guillaume ler, voyant son
æuvre scolaire mise en péril par un enseignement confessionnel
csneurrent, s'était imaginé pouvoir créer un catholicisme
national, comme Joseph rr autrefois, il vourut consaerer la
-454-
suprématie du pouvolr civil sur ltautorité reli$ieuse.
Son principal collaborateur fut un BeEe jle ministre de I'fnstruc-
tion publique Van Gobbelschroy. La lutte commença par }a
publication de deux ordonnances dirigées contre les associations
religieuses se vouant à I'enseignement ller et 1l fevrier 1824).
Ces mesures provoquèrent la disparition de toutes les éeoles
primaires fondées par les < Frères de la Doctrine chrétienne >,
religieux venus de f,'rance pour catéchiser la Belgique.
Encore placé sur un terrain <léfensif en 1824, Guillaume Ier
passa à I'attaqùe I'année suivante. Il conçut le projet téméraire
de décléribaliser l'enseignement moyen. Le 14 juin 1825, il
supprimait tous les petits séminaires, instituts ecclésiastiques
orl les jeunes gens se préparaient au sacerdoce ef oir beaucoup
de fils de la bourgeoisie faisaient leurs études, tous les collè$es
épiscopaux et écoles latines confessionnelles. Désormais,
le gouvernement élaborerait les programmes de I'enseignement
moyen, nommerait les professeurs, exereerait un vrai mono-
pole gouvernemental. IJn second arrêté de la même date
créa à Louvain un Collè$e philosophique, < établissement
d'instruction préparatoire pour les jeunes eatholiques romains
se destinant à la Prêtrise n.
Ces mesures étaient contraires à I'esprit de la Loi fondamen-
tale et plus encore à la mentalité de notre peuple, féru ti[es droits
du père de famille en matière d'enseignement.-Elles provoquèrent
une violente réaction de la part du clergé et de la bourgeoisie
.catholique contre le roi n calviniste impie )), ses écoles a diatro-
liques > et son personnel d'instituteurs et de professeurs, dit
( bétail scolaire de Van Gobbelschroy ! I De 1825 à 1827 une
guerre scolaire, appuyée par Rome, agita les esprits et eut sa
répereussion dans les discussions à Ia Seconde Chambre.
IJn moment I'on put croire le conflit apaisé. Guillaume Ier
signa avec Léon XII (1828-1829), le l8 juin 1827' un con-
cordat rappelant en substance celui de 1801. Le chapitre de
chaque évêché présenterait au roi une liste de candidats à
l'épiscopat. Le roi raturerait les noms de ceux qui ne lui con-
viendraient point. Parmi leÈ noms restants, le pontife choi'
sirait Ie nouvel évêque. Mais les stipulations de ce concordat
ne furent pas appliquées avec sincérité par Guillaume. Les
catholiques, déçus et aigris, se lancèrent. définitivement dans
t'opposition la plus viblente,
_-455_
Jusqu'alors Guillaume rer avait été considéré avec faveur
par les libéraux helges. Voltairiens sceptiques, Encyclopédistes
impénitents, ces bourgeois cultivés, peu nombreux, avaient
suivi avec un plaisir de dilettante les progrès de la politique
antieléricale du roi. Dotrenge et Reyphins I'avaient soutenue
au Parlement.
Mais, vers 182?, le libéralisme subit une évolution provoquée
par les groupements universitaires et les milieux de presse.
Grâce à I'enseignement affranchi de toutes entraves qui se
donnait dans nos rJniversités, une élite de jeunes gens impé-
tueux avait appris à connaîtrp les doctrines du libéralisrne
européen, à ce moment en plein épanouissement. Elle avait
discuté les théories économiques de I'Anglais libre-échangiste
Huskisson, les formules politiques du ministre Canning,
.les
philippiques dirigées en France eontre le.cabinet viilèle par
Royer-collard et Benjamin constant. ces promotions de jeuncs
gens vinrent remplir les carrières libérales. Les chet's de file
occupèrent au Parlement la place laissée ouverte par les
Dotrenge et, les Reyphins, fatigués des luttes oratoires; les
autres devinrent avocats ou journalistes.
Depuis t814,la presqe belge, affranchig de I'intolérable censure
impériale, n'avait profrté de sa liberté relative que pour attaquer
avee passion les Bourbons de France. Elle était. en effet, tombée
aux mains d'obscurs réfugiés politiques, Iibéraux . proscrits,
carbonarù (l), Polonais, Russes persécutés, Napoléoniens et
républicains exilés, auxquels Guillaume I:r avait offert un
généreux asile, malgré les admonestations de la sainte-Allianae.
Peu à peu, eette situation absurde se modifia. A ra rédaction
du < Courrier des Pays-Bas r, journal libéral fondé à Bru-
xelles en 1821, entrèrent des publicistes belges éminents.
C'étaient Philippe Lesbroussart (Gand, l7gt-tg55), profes-
seur cultivé au tempérament enthousiaste, Sylvain van de
Weyer (Lou'ain, 1802-fg74), lettré d'une culture et d'une
éducation supérieures, surnommé plus tard l'n Anacreon de la
révolution belge r, I'avocat Edouard Ducpétiaux (Rruxelles,
f804-1868), Jean-Baptiste Nothomb (de Messancy [Luxem-
bgotgJ, 1805-1881), futur diplomate, modéré et perspicace,

(1) . charbonniere r : membr€s de eociétés searÈtee llbéra,les-lta,llennes.


| 456-
Louis de Potter (Bruges, U86-I859). Au contraire de ses
collègues, animés'd'une fougue romantique, vêtus avec une
recherche théâtrale, peignant leur ehevelure bouclée en toupet

LOTIIS DE POTTER
(D'irl)l'èq I,'out'tnois. Cabinet tlcs t'statnpcs, I3nrxcllcs.)

et faisant bouffcr leurs favotis a à I'anglaise r, De Potter était


sec, angulettx, chauve. Polémiste âprc ct passionné, il était
foncièrement anticlérical et républieain. Son ascendant était
_457_
immense, mais son ambition et son caractère difficile le plaçaient
dans une position un peu isolée.
A Liége, en 1824, quelques jeunes gens, dont le nom devaii
bientôt avoir un grand retentissement, fondèrent le < Mathreu
LaensberÉ ,r, devenu à la ffn de l,année lg2g le n politique >.
clétaient d'abord les frères Rogier : Firrnin (cambrai, tzgO-
1875) et Charles (Saint-Quentin, f g00-f gg5). Issus d'une
famille belge établie en France, les deux Rogier commencèrent
par donner des leçons particulières pour soutenir une mère
tendrement aimde, restée veuve dans Ie besoin. Leurs pré-
cieuses qualités de polémistes les conduisirent bientôt au jour-
nalisme. Tout aussi intelligents et aussi dignes se montraient
leurs collaborateurs : Joseph Lebeau (Hrry, l?94-fg65),
orateur à I'âme haute et désintéressée, paul Devaux (Bruges,
rSor-1880), avocat, au r.g""â pénétrant derrière ses clocto-
rales lunettes.
Dans Ia presse catholique, il y eut également doexcellents
hommes de plume, tels Kersten, rédacteur en chef du < Cour-
rier de la Meuse (Liége,l8zo), Bartels et I'abbé de rraerne,
'
rédacteurs au ( Cathotque des Pays-Bas > (Gand). Journaux
libéraux et t'euilles catholiques tiraient à très peu d'exemplaires.
Néanmoins, leur influence de'int bientôt considérable. s'em-
parant de toutes les qgestions à l,ordre du jour, ils deyinrent
les interprètes passionnés des deux fractions de I'opposition.
car si les catholiques avaient à se plaindre du gouvernement
en matière seolaire, les libéraux réclamaient eux, d'urgence, la
liberté de la presse. sans doute, la Loi fondamentale de lglS
consaerait cette liberté en principe, mais de fait lapprication
en était complètement paralysee par des règlements d?exception
datant de l8t5 et de 1816. Entier, vaniteux, ne souffrant aucune
contradiction, Guillaume Ier avait, de lg16 à tgZZ, fait pour-
suivre sévèrement beaucoup de journalistes. on conçoit à quel
point la Iutte allait être aiguë dès Ie moment oir le journalisme
devenait I'arme de ehoix d'une élite intelleetuelle nationaleo
combative et ardente.
L'agitation provoquée en rB2B par les poursuites intentées
contre plusieurs rédacteurs du r, Courrier des pays-Bds D, les
allures despotiques du ministre de la Justice, cor:nelius van
Maanen (1769,1849), l'action de rapprochement mutuel des
llbéraux modérés et des a cathollques lrbéraux u influenaÉe
__ 458 -_-

per Lamennais (l), provoquèrent une réconciliation, considérée


jusqu'à ce jour comme impossible, entre ultramontains ret
Jacoblns, entre le ( bonnet carré I et le s bonnet rouge r ! Le
a catholicisme libéral l avait posé comme principe fondamental
la formule : liberté en tout et pour tous. Grâce à ce mot
magique de < liberté r. libéraux et catholiques virent la possi-
bilité d'une < action parallèle >, d'un bloc national en faveur
du redressement des $riefs : ce fut I'Union des oppo-
sltions.
On peut considérer I'Union eomme faite à partir du I novem-
bre Lg2'g, date à laquelle Louis de Potter lança, dans Ie < courrier
des Pays-Bas r, un appel enflammé resté célèbre : < Jusqu'ici
I'on a traqué les jésuites. Bafouons, honnissons, poursuivons les
ministériels; que quiconque n'aura, pas clairement démontré
par ses actes qu'il n'est dévoué à aucun ministre, soit mis au
ban de la nation, et que I'anathème de I'antipopularité pèse
sur lui avec toutes ses suites. r Dès qu'elle eut pris eonseienee
de sa foree,l'IJnion organisa une câmpagne d'opposition,vigou-
reuse mais respeetueuse des formes légales. Sor but était d'obte'
nir, par la parole et par la plume, Ie redressement des griefs.
Avec le conCours des journaux de toutes nuances' elle organisa,
en novembre 1828, un pétitiOnnement qui réunit une quatan-
taine de mille signatures. Les protestataires appartenaient à
toutes les classes de la société. Ils réclamaient .des réformes
administratives, économiques, frscales; les catholiques des
Flandres demandaient la liberté de I'ensei$nement, Bru-
xelles et la Wallonnie revendiquaient spécialernent les libertés
de réunion, d'association et de presse' ainsi que le. réta-
blissernent du Jury, supprimé en 1814 comme étant une
< institution des temps.barbares r. Beaucoup de cès pétitions
furent mixtes.
Du ZE féwier au 5 nârs 1829, ces deman6.es furent discutées
avec passion par la seconde chambre. Finalement, celle-ci vota
,*" *d""*." à" prise en considération, mais cette dernière fut
repoussée en awil par Ia chambre Haute. La session des eorps
délibérants ayant été close le 20 mai, il ne restait plus à I'oppo-

(1) Lamennaie (1?82'1854), prêtre trangais éloquent, réunit autour de


lul upe élite do jeunes oothollques. Il gloriflait I'épanouissoment spontané
do l,Eglise, en dshore de toui accord aveo l'Etat, et honoralt'les prinsfDes
rle;l789.
..{50
-
sition qu'à se groupe.r en <r Associatlons constltutionnelles o,
foyers de résistance dirigeant contre I'Etat une campagne per-
manente de presse et de pamphlets. Ainsi I'agitation resta vive,
quoique encore assez superficielle.
Tout ce mouvement avait complètement désorienté le roi.
Inquiet, il fit, coup sur coup, plusieurs eoneessions importantes
aux libéraux et aux catholiques. l\fais en même temps, il se
demandait s'il n'était pas dupe d'une < poignée d.'agitateurs >.
En juin, il prit la résolution louable de venir se rendre compte
de pistr, de l'état des esprits en BelEique. Il eut I'agréable sur-
prise de se voir bien accueilli par une population encore trè$
loyaliste. Celle-ci reportait, en effet, ses rancunes sur Van
Maanen, < I'affreux haut justieier >, le < mauvais génie du roi u!
Malheureusement, Guillaume interpréta les applaudissements
d'un peuple heureux au point de vue matériel comme une
approbation de sa.politique. Le 2B juin, il prononça devant la
municipalité de Liége ces paroles injustes autant qu'impru-
dentes : < Je vois maintenant ce que je dois croire de ces pré-
tendus griefs, dont'on a fait tant de bruit. On doit eela aux
vues de quelques particuliers qui ont leurs intérêts à part.
c'est une conduite infâme ! r cette offense faite aux promoteurs
du pétitionnement fut encore aggravée par Ia campagne de
presse menée depuis Ie mois de mai par le < National >, journal
officieux dirigé par un protégé du roi, le libraire Libry, cornte
de Ba$nano. Ce sycophante, d'origine florentine, employait à
l'égard de ses adversaires les termes les plus cyniques. Or, à la
fln de 1829, le < counier des Pays-Bas ) put informer re public
que le champion du roi, I'homme qui parlait dç u museler lês
Belges conune des chiens r, avait été, en fBl6-lgIZ, condamné
, aux travaux forcés et marqué au fer rouge, à Lyon, pour faux
en affaires commerciales!
Enlrdrdie par la lutte et les concessions gouvernementales,
I'union des oppositions organisa, en novembre lg2g, un second
pétitionnement qui réunit plus de trois cent rnille signa-
tures. outre le redressement des anciens griefs, elle réclamait,
cette fois, la responsabilité ministérielle !
cette évolution démocratique scandalisa Guilaume rer. il
"en était cependant hri-même en bonne partie la cause. r vous
avez permis qu'on élevât la jeunesse de ce pays dans des sen-
r écrivait le journaliste Jottrand dans le
timents libéraux,...
460
-
a Courrier dôs Pays-Bas r du 31 octobre 1828, ( vous avez
laissé s'ériger une tribune nationale. Vous avez permis de lire
à tout le monde. Vous avez fait plus; vous avez soldé des écri-
vains pour parler de liherté..... Vous ne parviendrez plus
à gouverner avec les maximes du bon plaisir la géné-
ration que vous avez élevée ! r
Mais Guillaume fer voulait que les Pays-Bas restassent, selon
I'esprit de la Loi fondamentale, une ( monarchie tempérée par
une Constitution r et ne devinssent pas ( une république avee
un roi mandataire des mandataires du peuple r. (Guillaume
au député De Gerlaclie.) Le ll décembre 1829, il adressa aux
Chambres un lVlessage royal dans Iequel il rappelait les pdn-
cipes politiques auxquels il ne permettrait pas qu'on touchât
aussi longtemps qu'il occuperait le trône. ,
Pendant six mois, la situation se eristallisa. Le roi retira ses
ordonnances scolaires de 1825 (27 mai 1830), rétablit I'emploi
facultatif du français dans les administrations et les tribunaux
(4 juin), proclama I'inamovibilité de la magistrature (5 juillet),
mais il resta intraitable pour les questions capitales : liberté
de la presse, liberté de I'enseignement, responsabilité minis-
térielle. D'autre paf, il redoubla de sévérité eontre les oppo-
sants et, après avoir fait déjà eondamner De Potter à dix-huit
mois de prison, le 20 décembre 1828, il I'envoya en exil, ainsi
que le référendaire Tielemans, le journaliste Bartels et I'impri-
meur De Nève, le 3o avril t83O. L'opposition ne désarma pas.
Elle continua à user des moyens légaux, mais son langage
devint de plus en plus violent. L'indécision du roi la porta à
critiquer ses actes répressifs sans lui savoir gré cle ses concessions.
Du fond de sa prison, De Potter avait averti le roi du danger :
< Sire, vos eourtisans et vos ministres, vos flatteurs et vos con.
seillers vous trompent et vous égarent. Le système dans lequel
ils font persister le gouvernement le perd sans retour r (20 dé-
cembre f829). Comme les Hollandais partageaient les vues de
Ieur souverain, les députés belges formèrent bloc pour rejeter
les budgets et les lois. Ainsi, peu à peu _. des incidents de tout
genre concourant à préparer Ia erise I'ancien mouvement
pour le redressement des griefs devenait - un confl.it de peuple
à peuple. On peut dire que, de janvier à juin 1880, la rupture '
morale entre Belges et Hollandais fut eonsommée, rupture
préeédant de,peu le sehisme politique inévitable.
CHAPITRE V

LA RÉVOI,UTION DE 1830

Les < Trois Glorieuses, (pp. 461 et 462). Le groupte Gendebien


(p. 462). -
Caractère national de l'oTrytosition belge (p.4621.
25 aoû,t :- représentation de < La Muettle de Portici r $. a63). -
La nuit du 25 au 26 (p. 463). ûrganisation de Ia garde
-bourgeoise (p. +63). . La réaohtti,on- < Iégale, (pp. 463 et 464).
-- Enaoi du, prince d'Orange à Brtr,nelles (pp. 464 et 465).
La population prend les arntes (p. 465). Lo. journée -dlr
Lel septembe (p.465). Laformule de la <<
-séparatùon adminis-
- _- Soulèaem,ent dans tout Le pays
trat:ioe,, (pp. 465 et, 466).
(p. 466). Politique ùinertie rht, roi; I?inùi,gnat;ion en Hollande
(p. a66). - Confl,it ent;re lcs modérés et les aaancés (pp. 466
et 467). - Le peuple eùtaahit I'H6tel de aille (pp. aB7 ef a68).
Fui,te- des chefs du moursernent (p.468).
- Quatre ,fournées
Les 128-26 septembrel (pp. 468-47r). Le
Gouoernemmt Proai,soi,re (pp. 471-4731. -
4 octabre : procla-
m,ation de I'indéTtendance de Ia Belgique -(p. 4731.
Mission du, prince d'Orange ù Anaers (p. a73). La carry)agne
-
ûoctobre (pp. 478-475)..-27 octobre : bombardement ùAnaers
(p. 475). Duine enaahi,t le Limbourg lwllandaûs [novembrel ,

@. a75\. -
n C'en est fait! oui, Belges, tout change :
. Àvec Nassau Blus d.'indigne traité;
La mitraille a brisé l'orangi'e
Sur l'arbre de la Liborté... ,

'"iiâ$,i"f'iTii-xi:Ï:i"""
Le 27 juillet 1830. lc penple de Paris, rendu furieux par les
ordonnanees du ministre de Polignac, se soulevait contre
Charles X (R. f 824-t83O) et, après trois journe4:s de combat,
462
-
les a Tmis Glorieusss r, le ctgssait du trône. La génération
libérale belge de 1880 vivait trop de la vie des Français
pour ne pas être impressionnée par des événements quir'somme
toute, instauraient en France un régirne conforme à ses propres
aspirations. Cependant I'Union des oppositions ne songea pas
à imiter directement les Français. < Ileureux les peuples qui
n'en sont pas réduits à une aussi terrible nécessité ! Nous
sommes de ce nombre; la,voie légale nous est ouverte..... rr

écrivait encore au début d'aofrt Ie a Politique r, journal des


frères Rogier. Cependant, à la même époque, un groupe
d'hommes politiques libéraux avait conçu le projet de fomenter
aux Pays-Bas un mouvement révolutionnaire avec I'appui de
la France. Désespérant réussir sans le coneours du roi Louis-
Phitippe (R. f880-1848), ce grcupe ne reculait pas devant la
. perspective d'une annexion directe au pays protecteur.
Le chef du < parti français > était un avocat montois, appar-
tenant à la haute bourgeoisie, Alexandre Gendebien (1789-
f 869);, c'était un orateur éloquent, incisif et entier. Mais son
groupe était restreint; ses rapports avec La Fayette, Odilon
Barrot et les elubs démocratiques parisiens, étaient ignorés du
grand publie. D'ailleurs, Louis-Philippe et ses ministres, sou'
eieux d'éviter des complications internationales, invitaient ces
conspirateurs à remettre d'un an leurs projets insurrectionnels'
Le mouvement d'opposition qui conduisit à la révolution
fut donc purement national. <t Les Belges ont une nationa-
lité..., u écrivait, le 1O aofit, le < Courrier des Pays-Bas )). ( Il
n'entrer& jamais dans nos vues ni dans nos interêts de devenir
simple province de Ia France... Nous préférerons toujours
I'espèee de gouvernement qui nous donnera le plus de facilité
pour vivre et agir comme Relges... La Belgique veut prendre
dans Ie royaume des Pays-Bas Ie rang que lui assignent et sa
population et l'étendue de son territoiie. ,r
La révolution ne fut pas préméditée. Du l0 au 12 aofrt, le
roi vint visiter une exposition à Bruxelles et fut cordialement
reçu. Cependant Ia population de la capitale était surexcitée;
les elasses supérieures désespéraient d'amener jamais Guil'
laume lcr à partager lenr point de vue; les ouvriers soyffraient'
de I'augmentation du prix des denrées alimentaires et de la
crise de chômage provoquée par les progrès du machinisme
industriel. .
-468-
Dans la soirée du 25 aofit. il y eut au théâtre de Ia Monnaie
une représentation fls ( La Muette de Portici I, A I'audition
du duo :
n Amour sacré de la patrie'
Rends-nous I'audace et la fierté !
A mon pays je dois la viet
Il me devra la liberté ! >
le publie fut pris d'un grand enthousiasme. Au dehors, quantité
de curieux, prévoyant des bagarres, attendaieut la sortie du
spectacle. conduite par des jeunes gens de la bourgeoisie et du
peuple, eette masse populaire alla bientôt saceager la librairie
de Libry et incendier I'hôtel du ministre van Maanen. Gende-
bien qualifia pius tard aigrement de a mauvaise faree d'écoliers u
cette émeute qui contraùiait ses projets secrets. Les autorités,
affolées, ne prirent â,ucune mesure défensive, la populace rem-
plaça, au cours de Ia nuit, les premiers manifestants. A I'aube
du 26, elle faisait ( ses propres affaires r, allait dévaster les
rnagasins de comestibles et briser les nouvelles machines dans
les usines textiles des faubourgs de la capitale. Ce, mouvement
anarchique devenait menaçant; la garnis moins de quinze
cents homrnes s'était coneentrée dans le haut'de la ville.
-
Voyant leur existence et leurs propriétés menacées, un'certain
nombre de bourgeois courageux résolurent d'agir par leurs
propres moyèns. Réunis à la Grand'Place à la fin de la journée
du 26, ils fôrmèrent des eompagnies de volontaires, prirent
pour signe de ralliement le ruban aux trois couleurs, noir-
jagne-rouge, de^la révolùtion brabançonne, et choisirent pour
chef Ie baron Emrnanuel van der Linden d'Hoo$vorst
(r78r-r866).
Deux jours suffirent pour rétablir I'ordre. Logiquement Ia
garde bourgeoise efrt dfi, sa tâche accomplie, transférer ses
pouvoirs à I'aneienne munieipalité, mais déjà on s'habituait
r à se voir comme en état de révolution >. Maître de la situation,
I'état-major de la garde prit contact, le 28 au soir, avec une cin-
quantaine de notables réunis à I'hôtel de ville. Profltant de
I'occosion unique qui leur était offerte de réaliser intégralement
le programme de redressement des griefs de 1829, les partici'
pa,Dts à cette réunion votèrent une adresse au roi par laquelle
ils lui demandaient de supprimer un mal a aux racines pro'
_464_
fondes r, avarit que ceux qui étaient parvenus à rétablir I'ordre
fussent < victimes de Ieurs efforts r. Ainsi eommença la révo-
Iution < légale r.
Guillaume rer redoutait les solutions promptês. !'rappé de

.,i

CARICATURE CONCERNANT LES DÉBUTS


DE' LA RÉ,VOLUTION DE I83O
(Cabinet des estampes, Bruxelles.)

Tq-tfrq et pantalon de nankin, le toulret en


Ibataille, la cocarde tricolore a la. bouton-nière,
ce bourgeois armé d_emande avec une ùotil
!.esee.narquoise _: ,< Voudriez-vous ,me iaiiie
l'amitié de me dire où étaient tes àutorités
de Bruxelles le 26 aott 1850? r

stupeur à la nouvelle des événements de Bruxelles,.il eut recours


à une méthode qui n'était ni de répression ni de concessions.
rl envoya six mille hommes de troupes vers Bruxelles et chargea
leur ehef, le prince Gulllaurne d'orange, de se rendre cbnpte
de la situation. Cette idée n'était pas mauvaise; le fils aîné du
roi, prince d'une quarantaine d'années, avait autrefois osé
blâmer ouvertement la hollandification de la Belgique. Son
indépendance de earaetère, son rôle brillanù aux Quatre-Bras,
ses sympathies pour nos compatriotes, I'avaient rendu assez
populaire.
L'arrivée des troupes hollandaises à Vilvorde, le SO aofit,
inita néanmoins le peuple bruxellois. Il
refusa de laisser entrer
le prince d'Orange à Bruxelles à Ia tête de son armée. Aiguil-
lonné par la crainte de la répression, il prit les arrnes et
couvrit rues et carrefours de barricades de pavés. Pour éviter
une terrible effusion de sang, l'état-major de la garde et Ies
notables arraehèrent au prinee, dans Ia soirée du 31, Ia pro-
messe qu'il viendrait seul < se rendre compte > de la situation
dans la capitale.
Le ler septembre, Guillaume d'Orange, accompagné de quel-
ques officiers, s'aventura donc dans la cité rebelle sous la pro.
tection de la garde bourgeoise. Partout des hommes en blouse
bleue, armés de piques; partout des drapeaux, des cocardes et
des rubans tricolores ! Pâle d'émotion, mais conservant un
maintien assuré, le prince parvint, non sans danger, à rejoindre
son palais près du Parc. Atterré par I'accueil glacial et même
menaçant de la population, il négoeia pendant deux jours avee
les chefs de I'opposition. Entre temps, une députation, en\rcyée
par la bourgeoisie auprès de Guillaume lor, dans la nuit du
28 au 29 aorif, était rentrée sans avoir reçu du roi autre chose
que de vagues assuranees. Gendebien en avait fait partie et,
âu cours d'un entretien avec le mirristre belge Lacoste, il avait
compris, par un < trait de lumière >, I'inéluctabilité d'une n sépa-
ration du Nord et du Midi >. En vérité, la théorie de la
séparation n'était pas nouvelle; De Potter I'avait déj! exposée
en 1829. Mais il appartenait au talent de Gendebien de la fbire
passer dans le domaine des réalisations pratiques. f,e vendredi
:i septembre, les notables bruxellois suggérèrent au prince
d'Orange, la solution suivante : séparation administrative"
législative et financière des deux pays sous une même
dyrastie. Quelques heures plus tard,, le prince repartait pour
la l{ollande, promettant aux délégués de Ia bourgeoisie de jouer
aupres de son père un rôIe médiateur. La garde bourgeoise
ayant jure de maintenir le statu quo,le priùce
ff réftognder
_466_
ses troupes des portes de Bruxelles vers Anvers. La garnison
aussi quitta la ville.
Le bartn d'Hoogvorst et ses amiso les bourgêclis modérés,
avaient assumé une responsabilité formidable. Comment main-
tenir le statu qtn alorc que toute la Bel$ique se soulevait?
Partout la formule de Ia séparation provoquait I'enthousiasme.
Dans chaque ville s'organisaient des bandes de volontaires.
Démoralisées par les désertions, les garnisons hollandaises se
retiraient vers le Nord, tout en s'efforçant de conserver ( une
attitude calme et imposante tr, comme le voulait le roi. Seules
restaient fidèles à I'orangisme Maastricht, Gand et Anvers.
Dans eette dernière ville surtout, ( Messieurs du commerce et
de I'industrie avaient peur que, le divorce aceompli, led Hollan-
dais ne mettent I'Eseaut en bouteille u (Lesbroussarf). D'autre
paÉ, le roi ne pouvait se résigner à voir l'écroulement de son
æuvre. fl croyait avoir fait urle concession plus que suffisânte
à I'opinion belge en signant la démission de Van Maanen, le
I septembre. Pour Ie reste, il avair I'intention d'opposer au
mouvement séparatiste une inertie systématique, afln de le
faire sombrer dans I'anarchie. Il se sentait soutenu par le peuple
hollandais qui adorait son souverain et considérait l'æuvre des
< mutins D comm.e une trahison et une'humiliation nationale.
u Mui,tersbloed is geen broedersbloed (1), , clamaient les journaux
bataves. Les Belges étaient devenus.des a boasen r, des < deug'
nieten (2) u. Un Poète leur criait :

. (( Vaarruel, o'oalsche ttriend', o mtdtziek rot dcr Belgm,


Vertreders aan de wet, aerbasterde Neerlqnds telgen (B). '
En somme, les Hollandais étaient, à la fois, ravis de cette
séparation'et outrés de cette révolution
Pendant quelques jours, la situation resta indécise. Les
modérés se raccrochaient à la fiction de la < révolution légale u.
D'autres hommes politiques, avocats, gazetiers, publicistes, les
a avancés n, déploraient cette tactique passivê. Ils réclamaient

(1) Sang de muti:r n'eot pa,s sang de frère.


(2) Coquins, fripons.
(9) Âitieu, ô faux aml, ô raneiée révolutlonnaire des BelSles'
YlolotsqrÉ d,e la lot, rejetons obôta,rttie de la Néerla,lrde.
-467-
des chefs ntayant point la crainte de se compromettre, des aites
permettant de sortir de I'impasse dans laquelle on se trouvait.
a Si nous sommes en révolution, nous I'aisons trop peu, et si
nous ne sommes pas en révolution, nous faisons trop..., r écri-
vait le spirituel journaliste Levae à sopr anri De Potter, encore
à Paris. Le peuple, en armes, s'énervait. Des groupes interna-
tionaux de professionnels de I'insurrection, hommes déterminés
mais sans serupules, brûlaient du désir d'aller de I'avant.
< Nos lurons, pour la plupart, r'oudraient tenter des sorties, r
écrivait Lesbroussart, Ie 6, à De Potter. En attendant, ces
a lurons r allaient s'enivrer dans les cabarets en chantant la
< Marseillalse r ou la < Brabançonne >, chant national que
venait de composer Louis-Âlexandre Déchet (f801-1840),
aetenr lyonnais plus connu sous le nom de Jenneval (f). Le
commerce et I'industrie étaient paralysés; la misère augmentait
dans de terribles proportions.
Les avancés auraient voulu empêcher les membres belges des
Etats généraux de se rendre à I'ouverture de Ia session que le
roi avait frxée à la date du l3 septembre, à La Haye. Le 8,
ces députés partirent quand même, allant, eomme disait le
représentant De Gerlache, < remplir un devoir sacré r. L€s
avaneés profitèrent de leur absence pour dominer le groupe
d'Hoogvorst et pour créer, à la suite d'un comprnmis avec les
rnodérés, une Commission de streté publique (8 septembre).
Il y avait parmi ces arrancés des n ultras , eui, le 15, se réunirent
dans un club, Ia Réunion Centrale, après avoir eu connaissance
du mauvais accueil reçu par les dépurés belges aux Etats
généraux et des vagues pnomesses fcirmulées dans le discours
du trône. Conduits par Charles Rogier, Ducpétiaux et Ie Fran-
çais Chazal, les ultras voulaient dissoudre Ia Commission de
sfireté, jugée trop timide, former un gouvernement provisoire
et organiser la défense en appelant les miliciens belges sous les
drapeaux. La Réunion Centrale surexcita la tbule mais ne sut
prendre aucune .dééision. En fin de compte, le populaire,
redoutant une attaque inopi4ée des troupes hollandaises, se
fâcha contre les tt Messieurs de I'Hôtel de ville avec leurs casa-
ques noiies r. Dans la nuit du 19 au 20 et le 20 même, les volon-
taires et Ia foule envahirent deux fbis Ie palais communal et

(1) Ira musique de ,la Bn.n-n.e.NçoNNE fut'composée Bar Van Campenhout.


<ieÈ *
désarnrèrent la garde bourgeoise. Van de Weyer resta héroique.
ment à son poste, s'efforgant de démontrer au peuple sa folie.
Couvrant sa voix par les cris de c Aux armes r _- seule préoccu-
pation de cette masse en délire _- la foule chassa la Commission
de sûreté. La révolution tr bourgeoise r sombrait dans le tumulte
cl'une crise démago-gique anonyme. Ayant perdu tout espoir,
modérés, avancés et ultras, membres de l'état-major de la garde
bourgeoise, du collège des notables et de la Commission de
sfrreté prirent la fuite, la plupart vers Valenciennes. a Tous,
sans exception, étaient au découragement, à I'abandon, à la
<lébandade ,r!

C'était ee moment qu'avait patiemment attendu le roi


Guillaume. Le 2L, les Etats généraux votèrent, par 81 voix
eontre 19, une adresse favorable à la séparation, mais le roi
5r fit à peine attention. Déjà la nuit préeédente, il avait donné
ordre à son second fils, le prince Frédéric, de marcher sur
Bruxelles pour y rétablir le calme et dicter le respect des lois.

**r.

Le prinee Frédéric était un général ealme et formaliste. Il


croyaiû.sa tâche aisée. Ayant sous son commandement 14,OOO
hommes, il s'imaginait que Ia prise de Bruxelles ne devait être
qu'une simple opération de police. Par une proclamation, datée
du,2l, iI accordait une amnistie presque générale.
L'approche des Hollanda.is provoqua art sein du peuple un
mouvement de résistance admirable. Les leaders étaient
presque tous partis; Rogier hri-même errait dans la forêt de
Soignes, agité par les sentirnents les plus contradictoires.
D'autres, tels que Pletincftx et Lesbroussart, recrutaient des
volontaires dans le pays wallon; Ducpétiaux avait été capturé
aux avant-postes; Ie baron d'Hoo$vorst siégeait seul à I'hôtel
cle ville. Lui eicepté, il n'y avait plus à Bruxelles qu'un petit
nombre de personnalités courageuses mais d'arrière-plan :
Adolphe Roussel, chef des volontaires de Louvain, et quelques
Français exclus de I'amnistie. C'étaient I'ancien général de
brigade Mellinet; Gré$oire, autrefois médeein ; En$elspach'
dit Larivière, minéralogiste, flls d'un acteur alsacien, etc.
L'absence de chefs ne démoralisa pas les volontaires. Au nombre
_489_.
d'environ 6,000o les habitants des quartiers les plus pauvres,
les paysans de Ia banlieue, braeonniers, volontaires liégeois,
Louvanistes, Français, s'apprêtèrent, dans la nuit clu 22alu28,
à résister.
Je ne rappellerai pas ici en détail les péripéties des quatre
héroiques journées de combat d'or} sortit notre indépen-
dance nationale. Le prince Frédéric avait partagé son armée
en quatre colonnes qui marchèrent simultanément et coneen-
triqueinent sur Bruxelles, au matin du 23 septembre. Partout
il se heurta à des barricades derrière lesquelles de petits pelo-
tons faisaient le coup de feu. L'attaque de la ville basse échoua.
Dans la ville haute, la division Schuurman, venue par la porte
de Scfraerbeek, fit sa jonction avec la colonne du général Post,
venue par la porte de Louvain. Les Hollandais atteignirent le
Parc, mais furent arrêtés par une grande banic*ade, à I'angle
de la place Rgyale. Déconcerté par eette défense énergique, le
prince Frédéric ordonna à ses soldats de se concentier dans le
Parc et d'y adopter une attitude défensive.
Cette journée du 23 fut déclsive. Les volontaires avaient
vaineu ( sans chefs, ni pouvoir, ni plans arrêtés, ni direction n.
Ils n'avaient guère de munitions, malgré Ies efforts admirables
que fit Engelspach pour leur p"ô"u""" de la poudre et des car-
touches. Mais ils ne doutaient pas du succès. Pour ces hommes
simples et sans instruction la défense de Rruxelles fut une sorte
d'aventure romanesque otr. ils déployèrent un < invraisemblable
mélange d'héroisme et d'enfantillage > (Chazal). Dans les inter-
valles entre Ies attaques, les insurgés, casquette de euir sur
I'orèille, quittaient leurs postes de défense pour aller dans les
cabarets raconter leurs exploits, en vidant force chopes. Les
femmes et les enfants, insoucieux du danger, venaient apporter
la soupe au père sur les barricades. Il y eut des héros populaires,
comrne ce vieil artilleur estropié liégeois, Charlier, < la Jambe
de bois >. Enfln, les étrangers mirent dans ce tableau pitto-
resque la.note exotique, avec leurs bolivars,leurs capes à I'espa-
gnole et leurs grandes bottes. Mellinet avait attaché < ses épau-
lettes de 'Waterloo sur son frac noir r et s'était coiffé d'un
o grand chapeau claque orné d'un plumet r. Notons que la
révolution se place en pleine époque romantique : à tout, propos
on verse des larmes, on se jette dans les bras I'un de I'autre, on
déclnme avec e>raltation, on développe les idées les plus extra-
it70
- -
vagantes. A cela se joint railleuse qui n'abandonne
la gaîté
jamais notre peuplg même dans ses explosions de colère.

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nÉcBpTTON DES LÉGIONS IIOLLANDAISES A LA PORTE


DE F'LANDRE (Jeudl 23 septembre l83O)
(Gravure de l\Iatlou. Cabinet dee estampes, Bruxelles')
-
Attirés ilans l'étroite rue d'o tr'landre jusqu'à la hau-
teut tantassins et les htrssard.s
d.u 1\{arché-aux-Ports, les
bollandais tombèrout dans une embuscadp ha,bilement
' préparée et durent fuir, sâ,isis de panique, -soug ulre
ph'ie d.e ceudres brtlantes, de pannes, de chaux vive
et d.'eau bouillante.

Le prince Frédéric ne se doutait pas du désordre qui régnait


&u centre de la ville. La perspective de vaincre Bruxelles par
-47r-
l'assaut ou per la destruction lui paraissait qtroce et d'ailleurs
aléatoire. Marmont noavait-il point été vaincu dans des cir-
constances analogues à Paris, deux mois auparavant? Auçsi
pendant les trois jours suivants Ia lutte défensive des Hollan-
dais fut-elle menée avec courage, mais sans entrain. Entre
temps, la résistance s'améliorait d'heure en heure. Le 24, tn
noyau de pouvoir central se constituâit pâr Ia tbrmation d'une
Commission admlnistrative, comprenant d'Hoogvorst, un
ancien officier du génie nommé Jolly et Charles Rogier, rentré
à Bruxelles la nuit précédente. Cette commissron conféra à un
Espagnol d'origine flamande, le lieutenant-colonel don Juan'
van Halen, militaire au passé agité, le titre de commandant
en chef des patriotes. Le dimanche 26 septembre, enfin, se joua
la partie finale. Entourés de légions de volontaires, les chefs
politiques étaient rentrés dans la capitale. Par la sfrreté de leur
coup d'æil et par leur énergie, ils rachetèrent leur faiblesse des
jours précédents. Un gouvernement provisoire se forma, com-
prenant le baron d'Hog$vorst, ses deux auxiliaires Charles
Rogier et André Jolly, puis les chefs de I'ex-commission de
sûrreté publique : le comte Félix de Mérode (f), Alexandre
Gendebien et Sylvain Van de Weyer. Le premier acte du
nouveau pouvoir exécutif rév.olutionnaire fut de délier les
soldats de nationalité belge de leur serment de ûdélité envers.
Guillaume ler. Ce même jour les Hollandais furent complète-
ment enveloppés par le feu de leurs adversaires. Dans la nuit
du 26 atr 27 ils battirent silencieusement en retraite. I-:es Quatre-
.fournées avaient coûté auxBelges quinze cents, aux Hollandais
environ deux mille combattants tués et blessés (2).
La vietoire des insurgés à Bruxelles produisit sur-le-ch&oP,
dans tout le pays, une exaltation intense. Nos villes s'affran-
chirent les unes après les autres, en une quinzaine de jours.
'Dans les campagnes, le clergé prêchait Ïavènement des temps
nouve&ux. L'appel du 26 avait disloqué les armées hollandaises
et les avait réduites à I'impuissance.

(1) Félix de Mérode (f 791'f 857) était un cot'holique'libéral de vues la,rgios


et tolérantos; il fut une tles personnalltêe les plus sympathiques de la révo'
lution.
(2) Ire mouument d,e la place des Martyre, à Bruxolles, rFuYre de Goefs,
porte lee;noms de 445 morts.
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_478_
Composé d'hommes jeunes et sans expérience, le Gourier-
nement Provisolre agit avec unq audace et une promptitude
admirables (1). ses membres les plus aetifs formèrent un
comité central, qui se mit à l'æuvre autour d.'une table cre
bois blane, avec une encaisse de 10.46 florins ! Le 4 octobre [e
Gouvernement Provisoire proelamait I'indépendance des pro -
vinces belges.
***
Voyant les progrès de la révolution, Guillaume Ier tenta de la
maîtriser par des mesures tardives et insuffisantes. Le 4 octobre,
il chargeait son flls aîné d'aller provisoirement gouverner, en
son nom, Ies parties de la Belgique restées fidéles à sa Maison.
Etabli à Anvers, le prince Guillaume sientoura de quelques
ministres, députés et hauts fonetionnaires belges. Tentative
inutile ! La masse du peuple se détourna de lui tandis que,
. d'autre pafr, ses concessions, jugées excessives par Guillaume rer,
lui attirèrent le mécontentement paternel. Finalement,Ie groupe
belge qui avait espéré faire du prinee d'Orange le roi d'une
Relgique indépendante I'abandonna.
sur ces entrefaites, nos volontaires s'étaient juré de libérer
complètement le sol de la patrie. Ils avaient pris pour uni-
fbrme Ia blouse bleue des paysans, le pantalon branc, le bonnet
noir à flamme rouge. Leur armement étair disparate; beaucoup
n'avaient qu'une pique ou leurs instruments de travail ! Mais
ils avaient le cæur intrépide et des chefs résolus' : le vieux
général Mellinet; charles Niellon, aneien soldat français de
I'Empire, né à Strasbourg, qui dirigeait, en lBB0, un théâtre
d'enfants; Ie Bruxellois Herman Kessels, ancien marin, puis
sous-lieutenant d'artillerie, eui avait successivement occupé
un commandement dans I'armée colombienne de Bolivar, rempli
des emplois civils et exhibé en Europe une careasse de bareine
échouée à Ostende. Le général Nypels, vétéran de I'Empire,
devenu commandant en chef des forces mobiles belges, risqua
une attaque contre les Hollandais
hommes
-- vingt-cinq à trente mille
campés le lons du Rupel et de la Nèthe, de Boom à
-
(r) De Potter v était entré le 2T soptembre. il espérait d.evenir présidont
d'une république belge. N"y étant polnt parvenu, il démispionna lo 1g no-
vembre et tomba immédiatement d,ans I'oubli.
-474-
Lierre. fl chargea Niellon d'entreprendre un mouvement tour-
nant à I'aile gauche de I'ennemi. Avec deux mille cent hommes,
un co{ps de cavalerie de cinq transftiges et une batterie d'artil-
lerie de deux pièees et d'un obusier, Niellon se mit en mârche.
Le 16 octobre, il fut rejoint, à Heysf-op-den-Berg, Par le comte
Frédérlc de Mérode, frère du membre dtt Gouvernement

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L'ARMÉE HOLLANDAISE PR.ENANT SON QUAR,TIER D'HIVER


(Cabinet der estampes, Bttrxellcs.)

Le 28 octobre 1830' le prince X'rérléric' ert retraite, établit son


quartier général à, Bréda. D'où ceùte humoristiqtle Érravure, nou:
montrant tombours et grenadiere hollandaie cherchant un abri
.daus une bc,ule tle Elollarrtle. Àu soutmet, armê d.'unc longue-
vue, le prince X'r'édéric ainri que leroi Grrillaurne qui s'exclame :
r Diviao Providence, faut-il que Je les revoye avec de pareils nez.,

Provisoire, et par Jenneval. Ce mênre jour, il prit Liene par


surprise et sutconserver la ville malgré plusieurs contre-
attaques (1). Menacé sur son flanc gauche, le prince Fredéric
retira toute son ârmée sous les murs d'Anvers. Aussitôt l\[ellinet,
à la tête d'ttne seconde colbnne, marcha sur Malines,'enleva le
pont de Waelhem sur la Nèthe, Ie 2l octobre, et opéra sa
jonction avee Niellon, à Vieux-Dieu, le 24. Ce même jour, les

(f ) Le 18, Jenneval ,fut tué par un boulet.


-475- .
colonnes Niellon-Mellinet réunies attaquaient les faubourgs de
Berchem et de Borgerhout (l).
Les suceès des volontaires avaient enhardi le petif )peuple
anversois, aussi patriote que la haute bourgeoisie eommerçante
était orangiste. Le 26 octobre, la lbule se souleva, guidée par
un ancien commis à cheval des douanes, !'rançois van den
Herreweghe. Le lendemain, les insurgés obtinrent du baron
Chassé, commandant de la forteresse, un armistice Les troupes
belges purent occuper Ia ville. Malheureusement un conflit
surgit entre Chassé et les généraux des volontaires, grisés par
Ieurs faciles succès. Le bouillant Kessels rouvrit [e feu sur les
troupes hollandaises retirées dans I'arsenal et la citadelle. Alors
Chassé, encou"agé à la résistance par le duc Charles de Saxe'
Weimar, fit, pendant quatre heures, bombarder Anvers à
boulets rouges (27 octobre). Cet aete eut, au point de vue moral,
un.effet décisif. IJn < fleuv'e de feu et de san$ > séoara désor-
mais la Belgique de la Hollande et de la maison d'Orange.
l;l Cette eatastrophe mit fin à I'extraordinaire campagne d'oc-
tobre 1830. En moins d'un mois les Hollandais avaient perdu
toute la Belgique, sauf les citarlelles d'Anvers et de Maastricht.
Le 28, le prince Frédérie se repliait sur Bréda. Déià même, dans
le Limboulg,le eommandanr militaire provilcial Daine, démis-
sionnaire, allait occuper Roermond et Venlo (9 et ll novem'
bre). Ce général Daine, tambour dans I'armée de Sambte-et-'
Meuse à l'âge de treize ans, colonel en l8I B, fut à ce moment
frès populaire.

(1) C'est gous lee murs d.'Anvers que' le 24, fut bleseé ù mort X'réd'ério
ile Mêrode, gentllhomme héroïque ot généreux.
CHAPITRE VI

LA CONSTITUTION DU ROYAUME
DE BELGIQUE
(18s0-ræt.)

Le Congrès nat:ional (pp. a76 et 477). 7 lBBl : la Const:i-


belg" (pp. 477 et 478). -La fûsrier
Conférence de Londres
,tution
(pp. a78 et 479). Les s Bases- de séparation > [janvier tBBl]
(pp. 479 et 480) - 3 féwier : élection du duc de Nnnours
(pp. a80 et 481). -
24 f&nier : Ia Régence (p. ABf ). Le cabinet Goblet; les cumplots
orangistes [féwier-mars] (p. -48f ). Troubles anti-orangistes
(p. 482). Le cabinet Lebeau [28 - marsl (p. aS2). Le
-
prince Léupold de Saæe-Cobourg-Gotha (pp. 4BZ et -
4BS):
Son élection, l4 juinl (pp. 488 et 484). -
. - 26 jui,n
XVilI Articles $. a8 ). Toyage de LéoTtold
: traité des
let i son inau-
-
guration [2r juitlèt] (p. 484).
L'armée hollandaise (p. a85). [)'srngée belge (p. aB6). -.- La
campagne àe Diæ Jours [2-12 - août] (pp. 486 et 4g7).
L'intcramtion française (p. 457), 14 octobre : traité des
XX IV Articles (p. 487). Le riège d'-Anuers [novembre-décem-
bre 18321 (pp- 487-489).- Guillaume Iet accepte les XXIV
Articles [1838] (p. 489). - Traité de Londres [t9 avril fBBg]
(p. a8e). -
Les PuissenceÊ s,efiorceront d.e ( oom-
biner l'lnd.épendanae future de Ia Bel.
glque avec les etipulattons d.es ttreltés,
a,yec les intérêts et la sécurité des autres
Puissa,nces et avec la conservatiou de
"nn*8":r:i"i3lî ri u.*^bre r 8Bo. )
Raffermi par le succès, le Gouvernement Prol-isoire fft preuve.
d'une activité dévorante. Nos provinees étaient, à le ûn d'oç-
_, 177 _
tobre, dans un état chaotique. Le pouvoir exécutif n'en décida
pas moins la réunion immédiate d'un Congrès natlonal de
deux cents membres, chargés de la mission solennelle de doter
leur patrie d'une Constitution. Les éleqtions se firent paisible-
ment, le 3 novembre. Le corps électoral, composé de quarante-
six mille censitaires et capacitaires, choisit un nombre à peu
près égal de députés libéraux et catholiques (1). Certains mem-
bres du Congrès avaient autrefois fait partie du Congrès souve-
rain des Etats-Belgiques de I790, tles assemlllées françaises du
Directoire et de I'Empire ou de la Seconde Chambre des Etats
généraux. Mais la plupart des députés étaient cles hommes
nouveaux et sans expérience politique. Elus sous les auspices
de I'IJnion des oppositions, pénétres de la gravité des circon-
stanees, ces honimes rnodestes, dont beaucoup n'avaient que
d.es < habits râpés et de mauvais parapluies r, surent discuter
avee courtoisie et créer une æuvre admirable : la Constitution
du 7 février f831.
Réunis le l0 novembre, les Constituants votèrent successivê-
nrent trois décrets d'une importance rapitale : Ie 18, ils pro-
clamaient à I'unanimité des f8B députés présents I'lndépen-
dance du peuple belge; le 22,174 voix contre 13 décrétaient
que Ia forme de gouvernement drr nouvel Etat serait la monar-
chie héréditaire, tempérée par une représentation natio-
nale; le 24, l6t députés contre 28 excluaient à perpépuité les
membres de la maison de Nassau cln trône de Belgique.
Les députés au Congrès éIaborèrent la Constitution en tenant
compte de plusieurs éléments : Ies Constitutions provinciales
datant du nloyen âge,les principel'-de t?Bg;Tâ IôfiË;Aam""lâf"
de 18f5. Libéraux et eatholiques se montrèrent également
toléîânls ét ." firent des concessions mutuelles. La Consti-
tution inscrivit dans ses articles les -É-randç droit+."indi-
viduels : liberté de I'individu, inviolabilitê du domicile et de
1âpropriété, égalité devant la loi et devant I'impôt; elle pro-
clama les grandçs libertés sociales de conscience et des
cultes, de presse, de réunion, d'association, de pétition et
d'enseignement, sans en soumettre I'usage à aucune mesure
préventive; nul ne put être < distrait du juge que la loi ltri

(1) Notons que trente nille électeur.s soulement pr,irent part au vote, Iee
Ora,ngistes et lee indifféreuts s'étant a,bstenus de se rend.re au scrutfut.
-!78-_
assignait > ni privé du bénéfrce des $aranties iudiciatres; la
Constitution mentionna aussi la responsabilité de tous les
fonctionnaircs et le llbre emplol des lan$ues. En vertu de
Ia règle : a Tous les pouvoirs émanint de la Nation,.> elle établit
la prépondérance du pouvoir lé$islatlf, assurant ainsi le
régime de la monarchie parlementaire avec responsabllité
ministérielle. Le pouvoir législatif appartint au Sénat et à la
Chambre des Représentants. Chaque année, les ministres
durent présenter à ces tleux assemblées leurs comptes et' le
budget. Le Sénat était composé de membres âgés de quarante
ans au moins et payant un minimum de 1,000 florins d'impôts'
directs. La Chambre se composait de membres âgés de viltgt-
cinq ans au moins, éligibles sans conditions de cens (l).
Enfin la Constitution respecta les droits des provinc€s et des
cg{r_uounes. Chef-d'êtivie dê bon sens et de lucidité, elle servit
de modèle à la pluparb des pays de I'Europe : royaume de Pié-
mont-Sardaigne, Grèce, Roumanie, Espagne, Portugal. Les
Hollandais eux-mêmes, lors de leur revision constitutionnelle
de 1848, vinrent y puiser leurs inspirations (2).
Le 16 novembre,le Gouvernement Provisoire avait nommé un
Comité diplomatique pour cliriger les affaires étrangères du
jeune Etat. Aucun rouagg politique n'était à ee moment d'une
nécessité plus urgente. Dès le début d'octobre, Guillaume Ier

(1) Les membree de la Charnbre et du Sénat étaient élus d.irectcment


par les Belgee âgiés de vingt et un a,ns au moins et payant un minlmum de
vineû florinÊ (tu. 42.32) d'impôts direats.
(2) Au point do vue ludlcralre, notre orgianisation a été calquée sur oelle
d.e Napoléon Icr (voir XIfu partie, chap. IY, p. 424) : nous posséd.ons une
Cour de casgatlon à, Bruxelles, trois Cours d'appel. uno Cour d'asslses par
province (le Jury a été rétabli en 1832)' etc. Do même nous euivons la loi
française pour les distinctions entre la procéduro clvlle et la procédure
pénale, entre la maeiistrature asslse of debout (ministère public), pour le
méeanieme dos prooéclures, le régime d.es peines et, d.'une manlère générale,
pour l'interprétation dcs prlnclpes fondamentaux régissant l'application de
la, Justioe.
En matière de ftnances, l'imitation fut tout a,ussi nette, bien que nous
eusslons gardé quelqups useg:eg flscaux tlata,nt du régime hollanilals. Impôts
dlrects (contribution foncière, contribution personnelle, patente, impôt eur
les portee et fenôtres) et lndlrects (d.ouanes et acaises), ouverture et con'
verslon d.'emprunts, rég:inc de la Dette publlque' toutes ces questions se
traitèrent eelon les principes de 1791 et les folTnulos d.es experts flnanciors
de l'époque impériale.
_479_
avait demandé le secours armé ou, tout au moins, la médiation
des Puissances. Celles-ci étaient décidées à régler entièrement
elles-mêmes la qtrestion hollando-belge. Elles organisèrènt Ia
Conférence de Londres (novembre). Louis-Philippe y était
représenté par I'astucieux Talleyrand' diplomate presque
octogénaire; Guillaume IV, roi d'Angleterre (R. 1830-f887),
par Ie vicomte Palmerston. Nicolas fer de Russie (R. f825-
1855), Irrédéric-Guillaume fII de Prusse ('R. 1797-f840) et
I'empereur d'Autriche François I€r y eurent aussi leurs délé-
gués. Les Puiss&nees orientales, surtout la Russie et I'Autriche,
voulaient détruire les résultats de la révolution. Le roi de
pruàse étaiÏ beau-frère de Guillaume fer j le tsar, beau-.Êrère.du
prince d'Orangè; I'empereur François avait pour ministre le
prince de Metternich, incarnation de toutes les réactions. Louis'
Philippe se réjouissait de la dislocation de I'ceuvre de Ia Sainte-
Alliance, mais étant partisan de la paix à tout prix, iI se mon'
trait hésitant. L'Angleterre, dirigée par le ministère libéral.
de lord Grey, était nettement fayorable à la séparation. Déià
le tsar avait concentré en Pologne une armée, destinée à mar-
cher en décembre vers Ia Belgique,lorsqu'une insurrection éclata
à Varsovie,le 29 novembre. Cet incident amèna le triomphe des
pacifistes. Rapprochées par des intérêts communs, la France
et I'Angleterre firent prévaloir le principe de la non-inter-
ventlon. Mais tandis que Talleyrand imaginait des combinai'
sons perfides, telles que Ie morcellement de la Belgique ou son
abandon att roi de Saxe, lord Palmerston prenait la direction
des travaux de la Conférence et méritait, par la franchise de
son appui, le surnom de < père de la Belgique >.
Le 2O décembre 183O, Ies Puissances reconnurent notre
indépendance. Restait à fixer la question des limites. Les
commissaires belges à Londres : Sylvain van de Peyêr et le
vicomte Charles-Hippolyte Vilain XIIII, eurent une tâche
ingrate. Les Puissances de I'Est et la Confédération germanique
étaient favorables au roi de Hollande, le gouvernement français
ne s'engageait jamais à fond et les Anglais cherchaient une
solution transactionnelle.
Le 2O janvier 1881, par Ies < Bases de séparadon r, la
Conférence prit pour ligne de dé.mareation, entre les deux PaTs,
la frontière de l79O entre les Pays-Bas autrichiens et les
Provinces-Unies. C'était enlever à la Belgique ses anciens terri-
-480-
toires : la f,'landre zélandaise et le cours de la Meuse, de
Maastrlcht à Venlo; le roi de Hollande recerait en outre
Ie Izuxembour$. Par eontre, Ies cinq Puissances garan-
tissaient I'inviolabilité du territolre belge dans son inté-
gralité. Un'protocole eomplémentaire du 2Z janvier fit sup-
porter à la Belgique les l6/8f de la Dette publique d.u royaume
des Pays-Bas. Le comité diplomatique repoussa fièrement ees
protocoles, eomme < portant atteinte à I'indépendance de la
Relgique et à la soUveraineté tle son Corgrès national r.
Les décrets de novembre avaient interdit totrt espoir aux
râres républicains belges ainsi qu'aux orangistes. La question de
l'élection d'un roi devenait urgente. Il fallait au. plus tôt placer
Guillaume Ier et les Puissanecs orientales devant un fait accom-
pli. rl y avait en Relgiquc des partisans, soit d'une annexion
à la X'rance, soit d'une union personnelle ou de toute autre
forme de rapprochement âvec nos voisins du Dlidi; c'étaient
des journalistes libéraux, des avocats démocrates, des membres
du Gouvernement Provisoire groupés autour de Gendebien. Ils
. réclamaient l'élection du duc de Nemours, second fils de
Louis-Philippe, âgé à ee nlonrcnt de seize ans. Moins hardi,
quoique considérable, était lc groupe dit < cloctrinaire r qui,
formé de libéraux cornrne de catholiques, de Flamands eomme
de Wallons, redoutait quc Ia poiitique des Gendebien et des
Rogier n'aboutît à une annexion déguisée de la Relgique. Les
rloctrinaires, conduits par Paul Devaux, Joseph Lebeau et
De Gerlache, patronnaient la candidature du duc Auguste
de Leuchtenberg, fils du prince Eugène de Beauharnais (t).
A la fin de janvier Ies partisans des deux candidatures se
combattaient avee acharnement. Par peur d'une conflagration
générale, Louis-Phitippe n'osait pas accepter les offres que lui
laisaient les partisans de Nemours. Cependant, dans la crainte
de voir élire le duc de Leuchtenberg, favori des bonapartistes,
il simula rrne adhésion aux vues des francophiles belges. Nos
hommes politiques se laissèrent prendre à cet artifice. Le
B féwier 1831, Nemours était élu roi des Belges, par g? voix,
contre 74 aeeordées au duc cle Leuchtenberg et Zl à notre

(1) Eugène rlo Beauharnais, flls rlu général do ce noru et rle Jos'éphine,
future irnDératrice des Français, avait, été viee-roi d'Itatie et s'était dévoué
aux intérêts de Napoléon Jcr.
*481_
trncien gouvernerrr général, l'arehiduc ( llrarles d'Autriche. I_'ne
députation fut immédiatement envoyée à paris. Mais I'Angle-
terre était décidée à déclarer la guerrc plutôt qu'à tolérer la
présence d'un prince de la Maison d'orléans sur le trône de
Belgique. Le l7 février enfin, Louis-philippe dut avouer, d'une
voix hésitante, à ta délégation belge, qu'il se voyait dans la
nécessité de sacriffer ses ambitions de famille à Ia sécurité de
la France !
***
Pendant la semaine qui suivit, le désa*oi en Belgique fut
absolu. Le congrès national persistait dans son refus d'accepter
les protocoles de janvier et ses rapports avec les puissances
devenaient de plus en plus tendus. puillaume rer entretenait
sur le pied de guerre une armée à la frontière. Dans nos pro-
vinces mêmes, tout était encore à organiser; I'indiscipline était
grande; Ia vie économique était nulle; I'opinion publique vivait
<lans un état de surexcitation continuelle. Le congrès décida
de nommer temporairement u' ré$ent et, le p4 février, confëra
eette dignité à son président, le baron Erasme-Louis surlet
de chokter (r?69-1880). c'était un Liégeois, déjà connu par sa
participation à la Rér'olution brabançonne et par son attitude
oppositionnelle à Ia seconde chambre des Etats généraux. rl
était intègre et clésintéressé. scs longs cheveux gris, son air
<loux, Iui donnaient un aspect sympathique. En vérité, il était
trop timide pour joue' un rôle efficace en un moment où une
fermeté inébranlable était indispensable.
Le regent {ùt appel au'eoneours d'un officier supérieur du
génie, Goblet (1790-1g73), pour constituer le premier de nos
ministères (26 février). Goblet et lui eurent Ie tort de placer
dans Ie cabinet plusieurs hommes politiques qui s'étaient
employés de tout cceur à faire érire le duc de Nemours. cette
candidature ayanf échoué, ses défenseurs avaient naturellement
perdu de leur prestige. or, en ce morlent. le presti ge était néces- r

baire avant tout. Les corps francs de l\{ellinet, à I'armée de la


Meuse, avaient dû être licenciés à cause de leurs tendances
républicaines et de leur indiscipline. D'autre.pafr, les orangistes
relevaient la tête. Beaucoup d'officiers de carrière étaient par-
tisans du prince d.'orange; de tous côtés ils organisaienr des
complots. :

F. v^N r^r,rnN. ETÊTorRn DT: Bny.crerrn. _ lg14. 16


-
-482-
Ces intrigues devaient fatalement produire une réaction de
la part du peuple, resté, dans son ensemble, sincèrement
patriote. Bien que pr.evoyant des troubles, le cabinet Goblet
ne sut les empêcher et tomba après vingt-deux jours de gou-
vernementn le 2o mars. Trois jours après, Gendebien, Lesbrous-
sart, Bartels et quelques-uns de leurs amis fondaient à Bruxelles
I' a Association nationale de Bel$iQuê r. Ce club voulait
sortir du chaos intérieur par une guerre immédiate avec la
Hollande. Cette exaltation belliqueuse plovoqua une crise
aiguê d'anti-orangisme. Du 24 mars au ler avril, des maisons
pr"ticntières, des fabriques, des rédactions de journaux, appar-
tenant à des partisans de la Flollande, furent saccagées par la
tbule à Bruxelles, Gand, Liége, Anvers et dans d'autres villes,
sous les yeux des autorités impassibles'
Le régent, effrayé, chargea alors de la direction des affaires
un cabinet Lebeau-Devaux (26 tnars). Joseph Lebeau,
nommé ministre des afr'aires Etrangères, alliait la fermeté à la
prudence. Il sut rétablir I'or"rùre et orienter le congrès vers une
réconciliation avec les Puissances. De plus, il attira I'attention
des Constituants sur un prince dont le choix devait être infini-
ment agréable à la Grande-Bretagne. Depuis le mois de mars,
en effet, Ie gouvenrement anglais pâtronnait discrètement une
: celle du prince Léopold de Saxe-
nouvelle candidature
cobour$-Gotha. Né à Cobourg le 16 déeembre 1?90, ce prince
avait fait son apprentissage militaire datls l'armée russe. A
l'époque otr Napoléon Iet dominait l'Europe, il avait fait
p.".tt" d'une grande indépendance de caractère en n'imitant
pas ta servilité de la plupart des souverains de la, Confédération
àu Rhin à l'égard de I'Empereur. Au début de 1818, il s'était
joint aux forcls du tsar Alexandre. Il avait révélé ses hautes
Lapacités tactiques à Bautzen, Lûtzen, Leipzig et pendant la
câmpagne de France. Après la conclusion de la paix, il s'était
en Grande-Bretagne, s'était fait naturaliser Anglais et
"endu le 2 mai 1816, épousé I'héritière du trône, chariotte, fille
avait,
du prince de Galles. Veuf déjà I'année suivante, il était resté
très en faveur à la cour. c'était un bel homme, grando droit,
aux traits énergiques. Ses lèvres glabres et ses demi-favoris lli
avaient conservé I'apparênce d'un général du premier Empire,
mais à cette allure m.artiale il associait la distinction mâle et
discrète dont les Anglais possèdent le seôret. Très simple de
_483_
goûts, il était calme, pondéré, crairvoyant. Autoritaire par
tempérament, il savait se dominer. son inteiligence se révélait
dans ses connaissances étendues, ses avis mfirement,réfléchis,
sa conversation au tour à la fois bonhomnre et ironique.
Très

,o,."",i- iT:: ïïï,ï Jffi";ï ::,::,,"-,


circonspect, il avait refusé, le pl mai rgB0, Ie périlleux
honneur
de monter sur le trône de Grèce, pays à peinc affranchi
et déjà
déchiré par les discordes civiles.
Séduit par Ies arguments cle Lebeau, qui espérait _- grâce
au concours ahghis -_ obtenir une revision des < Bases
d.e sépa-
ration r, le congrès envoya, une députation à Londres,
auprès
r\

-484-
prince subor-
du prince Léopold, pour lui offrir la couronne. Le
donna son acceptation à la reconnaissance par les Belges des
protocoles de janvier. Ceux-ci s'y refusèrent mais n'en choisirent
pas moins Léàpold pour souverain, le 4 juin. Le vote du Congrès
se nt par 152 voirsur 195. Impressionnée par la ténacité des

Belgei I'Angleterre satisfaite par ailleurs du succès de son


candidat
-
pesa sur les clélibérations de la conférence. Ainsi
- les préliminaires de paix connus sous le nom de
furent signes
traité dés XVIIi ,l,rtictes (26 juin). La frontière de l79O
était en général rnaintenue. Les Belges perdaient tout espoir
{e coriserver la Flandre des Ïitats '(zélanclaise), mais la per-
spective leur: était franchement ouverte d'obtenir,, lors d'un
la plus $rande partie du
riglement déûnitif, Maastricht,
r,irrruourg et le Luxembour$. chaque Fltat consen'erait
sa dette ProPre (1).
Les partisans d'une solution imnrédiate et définitive, les
républicains, les annexionnistes français, lis fanatiques de la
go"r"",firent,auCongrèsetdanslarue,uneoppositionachar-
ié* ,.,* XVIII articles, mais Lebeau, injurié, menacé de mort'
triompha de tous les obstacles. Le I juillet,le congrès, subjugué
par I'éloquent patriotisme clu ministre des Affaires Etrangères.
votait soir adhésion aux préliminaires 6u 26 j'in, par 126 voix
contreTo.Dèslelenclemairr,LebeauetDevaux,corrsidérant
leur tâche comme accomplie, démissionnaient. Rien ne s'oppo-
sant plus à I'arrivée tle Léopold' celui-ci quitta Londres
le
16 jtrillet. Ileçu solennellement à la frontière, entre Dunkerque
et iurnes, il fut chaleureusement accueilli sur tout le parcours
desonvoyage.Le2ljtrillet,ilfitsorrentréeàBruxellespar
la porte d'Anvers, à cheval, au son des cloches ct des salves
d'artillerie, précédé et suivi cl'un cortège otr figuraient soldats,
gardes civiques et blessés de Septembre' A la place Royale'
le
Iegent et le Congrès attendaient I'arrivée du roi q*i prêta, sous
un ciel radieux, le serment de fidélité à la constitution et
aux lois, devant une foule immense et enthousiaste. fl'une
voix simple, forte, convaincue, Léopold Ier dit à son peuple :
< Mon cæur ne connaît d'autre ambition que celle
de vous voir
heurertx. )) i

(1) Sur la questlon rle treutralité, voir XIV' partiet chùp. Ief, PP' 491

et 492,
.185 _*
-
'* *:F

Hélas, ce bonheur devait être acquis au'prix d'une cruelle


épreuve. Tandis que le roi entreprenait une visite rapide de nos
provinces, Guillaunre Ier se décidait brusquement à la
$uerre. rl avait eoneentré à notrc frontière septentrionale une

JOSEPH LEBEAU
( Gra vure de Bauen ioL d.es esta,mpeg,
"*Silt""a
armée de plus de quarante mille hommes, avec septante-deux
bouches à feu. cette armée était bieri équipée et bien discipiinée;
elle brùlait du désir d'effacer ses revers de I'année précédente.
Fantassins, grenadiers et chasseurs au shako volumineux, dra-
gons et hussards à silhouette de l'époque impériale, schutters
(gardes civiques), étudiants volontaires, tous étaient. pleins
d'enthousiasme. A I'aube d.u 2 août, quat.re divisions franehirent
notre frontière.
-d8û-
La situation de l'armée belge était dramatique. Les succès
trop faciles de.septembre 1880 avaient grisé nos soldats et nos
chefs. Les volontaires cor{sidéraient les Hollandais comme
< la nation la plus lâche de I'Europe >! Ils méprisaient les troupes

de ligne et suspeetaient les officiers de carrière d'orangisme. En


retour,les troupes régulières narguaient les partisans fanfarons,
avec leurs uniformes de fantaisie et leurs vieux fusils de chasse.
fl n'y avait ni intendance, rri état-major, ni armes, ni muni-
tions, ni vivres. En guise de remède à cet état de ehoses, la
Régence avait commandé dix mille piques ! Les journaux, qui
ne cessaient de clamer : < A La Haye ,r, suggéraient de créer
des compagnies d'archers vêtus de vert et de semer sur les
routes des tessonà de bouteilles. Le 30 juin, le général Daine
avait écrit au ministre de la Guerre : < L'indiscipline est effré'
née... Je suis obligé de vous déclarer que je ne suis pas en mesure
de faire la gucrre de manière à assurer des suceès et de I'honneur
à nos armes ! It
. Notre armée comp"àrrait deux groupes : loarmée de I'Escaut,
environ quinze mife hommes, rangés en demi-cercle aùtour
d'Anvers et sous les ordres du général Tieken de Terhove,
connu pour son héroïsme à la bataille de Montmirail (f8f4h
I'armée de la Meuse, environ dix mille soldats, comurandés
par Daine et dantonnés dans le sud du Limbourg. Ces deux
groupes comprenaient de f inl'anterie de ligne, des chasseurs à
pied et à'cheval, des lanciers, des cuirassiers, de l'artillerie, des
gardes civiques et des volontaires. Les uniformes : shakos
àvasés, buffi'eteries compliquées, rappelaient ceux de I'Empire;
les lanciers évoquaient, par leur plastron et leur $chapska,
I'image de la cavalerie polonaise; les ehasseurs portaient des
chapeaux ronds à plumes de coQ, de modèle italien; les gardes
civiques avaient la blouse bleue à revers rouges.
Le prince d'Oran$e, gén(ralissime des forces hollandaises,
manceuvra de manière à séparer les deux armées belges. Il se
porta vers le Démer. Daine, désemparé, n'osa entreprendre une
retraite vers I'armée de Tieken, comme le lui ordonnait le roi.
Il fut écrasé le I août à Hasselt. Le 12, Iarmée de I'Escaut
était à son tour battue à Louvain.Des actes isolés d.'hérolsme:
-Pellen-
la, lente retraite de Niellon en Campine et sa défense au
berg près de Louvain, le 12; le succès du colonel Bouchez,
fe ?, à Kermpt (à l'ouest de Hascelt), village oh l'on se battit
*48?_
au couteau; la prise de Bautersem, entre Louvain et Tirlemont,
le 11, par les chasseurs Chasteler, un bataillon du l2e de ligne
et un escadron du ler lanciers, sauvèrent lhonneur des armes
belges mais ne purent prévenir le désastre. La Campagne de
Dix Jours ouvrait la route de Bruxelles à I'ennemi.
Déjà le 4, Léopold fer, appuyé par Joseph Lebeau, s'était
hâté d'adresser un appel pressant au gouvernement français
pour obtenir une intervention armée. Le comte Belliard (u6g-
1832), représentant de la France à Bruxelles, très dévoué à nos
intérêts, avait, après llasselt, conjuré le maréehal comte
Gérard de passer la frontière au plus tôt, avec son armée de
cinquante mille hommes. Le 12, les Français étaient à \flavre
et irnposaient un armistice aux Hollandais furieux. Le prinee
d'orange perdait sa dernière chanee de régner un jour sur nos
provinces.
La diplomatie européenne rentra alors en scène. voulant
profiter de l'occupation militaire, Talleyrand se remit à suggérer
de louches propositions de partage de la Belgique. Mais, Ie
15 août, Palmerston le menaça catégoriquement d'une guerre
si la Franee ne retirait pas immédiatement ses troupes. te
3o septembre lÇ31, les derniers bataillons du maréchar Gérard
évacuaient notre sol.
Le 14 oetobre, Ia Conférence formula, par Ie traité des
xxrv Articles, ses décisions tt finales et irrévocables r. La
Relgique perdait Maastrlcht, Roermond, Venlo et cin-
quante villages d'Outre-Meuse; Ie Luxembourg allemand
était octroyé à Guillaume fer, à titre personnel, sous forme
de grand-duché. Nous ne gardions que la partie wallonne de
la province, ainsi qu'une fran$e allemande, s'étendant de
vieil-salm à Arlon. La contërence eonsentait aussi à l'établis-
sement d'un péage sur I'Escaut au profit des r{ollandais
et chargeait de nouveau nos provinces des selze trente et
unièmes de Ia Dette publique, soit d'une rente annuelle de
8,400,O0O florins.
Le traité des XXrv Articles fut accepté avec une douloureuse
résignation en Belgique (15 novembre lSgr), et, contre toute
attente, repoussé par Guillaume rer, qui exigeait des elauses
eneore plus avantageuses.
Le roi, maître de I'embouchure de l'Escaut, s'immobilisa dans
rtne résistance. passive, soutenu par son peuple qui cunsentait
-4EE-
sans murmurer aux sacriffces nécessaires pour entretenir cent
mille hommeF sous les armes. Profondément froissées, I'Angle-
terre et la France signèrent, le 22 octobre 1882' un acte par
lequel elles s'engageaient à faire festituer aux Belges la cita-
delle drAnvers, fût-ce même par la {brce. rMieux tlisposées
envers Guillaurrre Ier, les trois autres Puissances s'étaient reti-

';'1:

I-Â BRË.CHE Â LA I,U:{F,TTE SÀINT.LÀIIRENT


(Dessin do Chrlrlct. - Cltririlrt'l tle'' cstilrttpcs, Bruxelltrs')

I)r.écidée dc saltern's llortrrnl, dtrs fasclilcs ct des galiiolls, llllt'


c,..:lonno flançrri"c monl r' it, I'assaul, d'trnc de.q.pltrs-i.mportatttt''s
pusitiorrshol[arrdiiiqcs,ér-cntri'epttrlefertd.c]'artillerie.r\rl Jrre-
i'ler ptan, lc mr.r,réchnl Oéprrtl (vu(endc l'ace), lc _drrc <1'(Jlrltians
ê sa ilroifcl et le dLre <le Nem<iuts rrnifnrrne de lartcier)'

rées cle la Ljonférence. Le ! lrovcttrbrc, à l'cxlriratiott tltr rjtllui


âecorclé au roi de Hollande, I'Angleterre ct la France orflon-
nèrent à leurs escadres de bloqttct les côtes de la Ni.erlanclc.
Le 15,Ie maréchal Gérard! aecompirqn(: des tlucs d'orléans et
d.e NemOurs, se porta vers AnVers itvee soixante mille hommes.
fl avait été convenu que, pour ne pâs envenimer davantage les
relations hollando-trelges. I'arnrée du roi Léopold ne poupait
4E9 _
prendre part aux opérations militaires. Le baron chassé,
mieux connu de ses soldats sous Ie sobriquet de < général baion-
nette r, se défendit avec ténacité. Le 2B décembre, il dut capi-
tuler après une brilla.nte résistance.
Renonçant à briser I'entêtement du vieux Guillaume, la
conférence se sépara en rBBg sans avoir pu terminer sa tâche.
Pendant cinq ans eneore, Guilraume rcr se rnontra intraitable.
Peu à peu, cependant, I'inanité de son < système de persé-
vérance u.lui apparaissait. soudain, par une de ces volte-faee
qui lui étaient propres, il déclara,le 14 mars lg3g, qu'il adhérait
aux xxrv Articles ! En Belgique on fut atterré; on s'était petit
à petit persuadé que le roi de Hollande s'était résigné à aban-
donner le Limbourg et Ie Luxembourg. Des députés de ces deux
provinces siégeaient aux chambres législatives. La, reirte
annuelle de 8,4.00,o0o florins restait impayée. Dans les deux
territoires en. cause, la décision royale provoqua la consterna-
tion et la fureur.
ce fut en vain que Léopord rer offrit d.e racheter les provinces
menacées. Pouvait-il courir les risques rÏune nouvelle guerre?
L'armée était certes réorganisée, mais Ie pays traversait une
crise économique, I'Autriche, la prusse et la confédération'
germanique promettaient de venir au secours du roi de Hollande,
la France, au contraire, déclarait vouloir rester neutre. r| fallut
se soumettre ! Le lg mars l8ag, à la chambre, (Jendehlen refusa
de voter I'ahandon du Limbourg septentrional et du Luxem-
bourg allemancl. <r Non, n s'éeria-t-il. a trois cent quatre-vingt
mille fois non, pour trois cent quatre-vingt mille Belges que \.-ous
sacrifrez à la peur ! r rl groupa autour d.e tui 4r partisans de la
résistance ; 58'voix votèrent la renonciation.
Le 19 awil 1839, le traité défrnitif fut. signé à Londres; il
fut complété par un aeeord du 5 novembre rgaz, réglant Ie
partage de Ia Detge (t).

(1) a ce moment, le prince tr'orange étûit déià du Hou*nde (Il. 1g40.


1849)- son père, devenu très impopulaire da,ns les".ri d.ernières an-nées do son
rfuue, avait abcliqué, le ? octobre I840, et, possesseur d,une immense tortune,
ayait époueé la comtesso d,Ou-ltromont, Belge catholique, avec laquello iI
alla habiter Berlin. r mo'rut dans cette vilre le rz décembre 1g43.
QUATORZIÈME P.A.RTIE
LA BELGIQUE INDÉ,PENDANTE
(1881-1914.)

CHAPITRE PREMIER

LA POLITIQUE DXTÉRIEURE
DE LA BELGIQUE, DE 1831 A r9l4
LE PROBLÈME DE LA DÉFENSE NATIONALE

Les Putssûxces im,posent à tu Belgique le régime de Ia neutraÙitt


garantie (p. agl). Le problèm,e de la défense na,tionale
(pp. 491 et 492).
-
Le qtérit hotlandais [183r-r83gf. Les affuires ile L84o (pp. 492-
i7+y 9 aotct tggZ ; mariage de Léopold let artec Louise-
Marie- d,orléans (p. 49+). - 29 rna,rs 1848 : échauffourée de
Risquons-Tout(pp.494 et 495).- Pol:itique aoisée de Léopold Ier
et iu nyinistère Rngi,er-Frère-Orban (p. a95). Napollon III
-
et les prosmits d:tt, Deuæ'Décunbre (pp' 495 et 496)' -
La
gæstiin d'Anaers; l'agitation t< meet;t'n'guiste 'D [f 86?'f868]
ipp. *96 et 497). -- lO décembre 1865 : mort de'Lëoçtold lor;
'àiènement
de Léopold,If b. 497). Intrigues de Napoléon III
en 1866 (pp. a9? et 498). La -crùse de 18?0; attitude |ngale
-
et génereuse de I'Angletnre (p- 498).
La poliûique eu,ropëenne dn I,87o ù 1914 : Ies alltiunces, Ia Ttuiæ
année (pp. a98 et 499). Nouseauæ aspects du problème de Ia
- Patri,ot:ùsme de LéoTtold /r (pp. 409
défensenationale (p. a99).
. *t fOO;, La co,mpwe -m faoeur dn senfice personnel [18t]7-
-
'
-49r
1909) (pp. 500 et 5or). 17 déca*bre rQOo : mort de Léo-
-
pold rr; aaènement d'albert.r"r (pp. 50r-50s). Les demières
-
années aoantla guerre mondiale(pp.50B et 804).-.- D9 mai lglg
:
établissernent du sensice général (p. b0+).

o La Belgique a montré, eu plus d,une


occasion, dane d.e rudes épreuves, qu'elle
poseédait ces deux'qualités qui seules
permettent à un peuple de rester neutre :
l'érlerg:ie et -la discrétion.
Loro""*u_.
En
ieconnaissant le royaume indépendant de Belgique, les
Puissances n'avaient pas perdu de vue leur conceptionaà.rsra;
I'existenee de notre pays devait se concilier < a.vec ia conserva-
tion de l'équilibre européen > (protocole rlu z6 ae""*bre rg8o).
c)r, pour conserver notre r< position cre barrière n entre I'Alle-
magne et la France, quelle sohrtion meilletrre imagi'er, pen-
saient-elles, que celle d'une neutraLité pernhanente?
rronie des événements : ce fut Ie barorl de Buelow, repré-
sentant de la Prusse à la conférence ,de ^Londres, qui, sur
le conseil de son collègue russe, suggérâ re premier cette
formule. Le traité des xvrrr Articles (26 juin r83r) stipula
que notre neutralité serait perpétuelle, armée et
$aran-
tie. Le traité des xxrv Articres (r4 octobre r8sr) fut
' rédigé dans le même sens. il y avait'cependant une différence
entre les deux textes. L'aete du 26 juin spécifiait nettement
I'intégrité et I'inviotabilité du sol belge; celui du t4 oc_
tobre se bornait à placer notre neutra.Iité sous Ia
$arantie
des cinq Puissances siégeant à la conférence de Londres
(Angleterre, France,, prusse, Autriche, Russie). Cependant, à
moins d'admettre de la part des grandes nations e'ropéennes
I'intention d'employer à notre détriment Ie sophisme, il ne
pouvait y avoir de doute quant à reurs vorontés. La
Belgique
devenait la < elef de vofrte d.e I'ordre européen , (Louis-philippe).
chaque Etat signataire du traité des XXrv'Articles p*"rr"i,
I'engagement non seurement de respeeter notre neutralità,
*"i*
aussi de la défendre contre toute agression, soit collecti-
vement, soit individuellement.
Le devoir de neutratité interdisait à la Bergique d,orienter
sa politique extérieure seron ses idéaux et pariois
même selon
ses besoins. Mais il ne portait pas atteinte à ses droits
de sou-
\

.- +'ez
-
veraineté. Itrlle pouvait notamment ucquérir des colonies et
veiller sans ôontrôle à ses mesutes de cléfense. Les hommes poli-
tiques du temps, très ombrageux, se montrèrent d'autant plus
susceptibles sur ce point qu'ils n'avaient pas dernandé à
devenir neutres.
Notre neutralité devait être < sineère, loyale et forte >. Elle
nous imposait le devoir de veiller à notre propre défense-
f,'honneur autant que la prudence nous co.tltmandaient de ne
pas compter uniquement sur le secours des Etats garants. Fré-
quemment, d'ailleurs, eeux-ci nous rappelèrent ee devoir,lorsque
leurs relations mutuelles devenaient tendues ou lorsqu'en Bel-
gique même se révélait quelq'ue tendance à la mollesse.
Car il v eut, en effet, toujours un double courant en Relgique'
depuis l8$l. Dans chaque parti, il se reneontra tl'ardent pa-
triotes, des esprits défiants prétendant que, dans le eas d'une
conflagration europégnne, aucune considération ne pourrait em-
pêcher un ou plusieurs Etats voisins de violer notte intégrité
tenitoriale. Mais clans chacun de ces mêmes partis il y eut
aussi des hommes politiques qui ne comprirent point combien
lourd et complexe était notre devoir cle neutralité. N'V voyant
qu'un régime commode et douillet, un idéal de vie prospère,
sans charges ni aventures, décidés à nourrir une confiance
aveugle dans la < foi des traités >, même en dépit des plus
terrifiants indiees, ils invbntèrent la formule absrrrde que nous
avions ( la voeation d'un peuple pouf la neutralité r. Qu'ils
fussent animés de sentiments humanitaires, antimilitaristes ou
d'ordre économique, qu'ils fussent simplement trop optimistes
ou qu'ils saerifrassent les intérêts du pays à des manæuvres
électorales, ees homrhes paralysèrênt considérallement l'æu-
vre de la défense nationale.

***
De 1831 à 1839 nous traversâmes une période critique et le
pa,triotisrne fut très intense. Le pértl hollandais dominait
torrtes les autres questions. De phts, lq. Prusse prétendait
sous men&ce d'invasion
-
nous interdire de fortifrer Diest ainsi
-
que notre.frontière septentrionale. L'armée,belge fut réorga-
nisée avec I'aide d'officiers français d'élite'
En 1840, un conflit entre le vice'roi d'Egypte Méhémet'Ali
-- d$B
-
et le sultan de Turquie Abdul-Medjid faillit provoquer une
guerre européenne. La France, amie de Méhémet-Ali, vit se
dresser contre elle une coalition des grandes,Puissances, y com-
pri,s I'Angleteme (traité de Londres, f 5 juillet f840). Pour la
première fois depuis 1881 la question du maintien de la neutra-
lité se présentait d'une manière effeetive pour la Belgiqtre.

DISTRIB{,:1'ION D[,S DRAPEALIX ÂUX I,ÉGTONS DE LA GARDE.


CIVIQ(IB, (23 septembre 1848)
(I-l'al')l'ès Ic < \'ollismnrii'ruri viln lieigiê ,.)
Cett,c t'érônroriir: patriotiqtre qni rrrrt lieu srrt la plaec tlr'*
[)â]ttiÊ, à l]ruxcllcs.. rrr pl'irst:nce rhr roi, d.c la reinc LoLrise-
Ilttric, dt's jeutres plinerls f,énpold rrt Plrilippe, du promicr'
ministrc Charlcs ll.ogier. etrrpr,urtta alx ('v(rttt,nrcnt,s ttxbérienrs
rrne gra nde significati()lr.

BeaueouJr dc Ilollanclais croyaient encore (lu(] rrotrer pays s'.rllie-


rait à la .F'rance et chcrcheraft à s'étenclre jusqu'à la rive gauche
du Rhin; aussi prd:conisaient-ils soit, son partage, soit son rctour
sous I'autorité d.es Nassau. La prude.nce de Joseph Lebeau,
ministre des Affaires Etrangères dans lc cabinet Rogier-Liedts,
nous tira heureusement de ce mauvâis pas. Il prit toutes ses
mesures pour empêcher que la Belgique ne se laissât entraîner
dans un conflit terrible pâr ses sympathies bien naturelles pour
*494-
ses libéraieurs diaoùt l88l. Fln même temps il adoptait une
attitude très ferme. a La neutralité n'est pas ltimpuissance r,
écrivait-il, Ie 4 aorit t8a0, aux représentants diplomatiques
belges à l'étranger. -Cette attitude produisit en Europe un
excellent effet moral. L'opinion publique en Hollande crut enfin
à la sincérité des Belges et vit dès lors dans leur neutralite un
avantage stratégique important pour les Pays-Bas. La Cour de
La Haye cessâ, de subsidier ses rares partisans en Befgique.
Un dernier complot orangiste, celui des ( pâniers percés r
(généraux Van der Meere et Van der Smissen), s'effondra sous
le ridicule en 1841. Certains milieux politiques français, par
contre, accusèrent Lebeau et Rogier de tendre vers une alliance
avec I'Allemagne ! Ni Louis-Philippe, ni le ministre Guizot ne
tombèrent cependant dans cette grossière erreur.
A partir de ce moment et pendant un temps assez long les
relations de la Belgique avec ses voisins furent excellentes. Le
roi Léopold Ier, a esprit manipulateur D, comme disait Metter-
nich, jouait, en Belgique même et en Europe, un rôle concl-
liateur. Nos ministres veillaient à nous assurer une position
respectée. L'entente avec Louis-Philippe était parfaite. Le
I août 1832, Léopold avait épousé à Compiègne la fille aînée
du roi de France, Louise-Marie d'Orléans. C'était une prin-
cesse douce, pieuse et bonne, au visage régulier encadré de
(l).
longues boucles à I'anglaise
La révolution de février 1848 renversa Louis-Philippe et
créa en F'rance un gouvernement républicain. Les socialistes
internationalistes français avaient des idées très romantiquçs.
Comme les sans-culottes de 1792, ils rêvaient de fonder une
démocratie universelle. Le 29 mars, une colonne, composée
d'environ deux mille ouvriers de la région de Lille, voulut

(f) Du mariage cle Léopold Ièr. et de LouiÈe-Marie naquirent tloie


enfants :
LÉoror,r, duc de Brabant, Ie g awil 1835.
Pullrpen, comte de X''landre, en 1838.
Crtlnr.orrE, n6e en 1840. Cette princesse épousa I'architluc Maxi-
milien, frère d.e I'empereur d'Autriche 'Ilançois-Joseph (R, 1848-1916).
Courouné empenenr d.u Mexique en 1863, Moxlmilien fut fusillé pa,r les
républicains en 1867. Ce drame troubla les fa,cultés mentales de I'infortunée
princesse Charlotte.
'La reine Louise-Marie mouruû à Ostend.e le 11 octobre 1850.
-495-
envahir notre territoire au hameau'de Risquons-Tout, près
de Mouscron. Le général Fleury-DumY, à la tête de quelques
compagnies d'infanterie, la repoussa sans diffrculté. A cette
occasion, la gratitude de la Rhénanie fut grande et Ie roi de
Prusse, X'redéric-Guillaume IV (R. f84o-1861), félicita les
Belges en ces termes : < Nous n'attendions pas moins doun peuple
et d'un gouvernement auxquels les traités ont garanti une natio-
nalité dont, à I'heure du dan$er, ils se montrent si dignes. tr
Le ministère libéral Rogier-Frère-Orban (f847-1852) profita de
l'émotion provoquée par cet incident pour lever un emprunt forcé
de quarante millions en vue'de renforcer notre armée. < Sans
doute, u d.isait Rogier, < il en coûte de rnettre sur pied un plus
srand nombie d'hommes. Mais veut-on bien calculer'ce qu'il
Cn coûterait d'une invasion qui ne durerait que huit
Jours ? r Cette politique ferme et avisée était pleinement approu'
vée par Léopold ler. t< Tant que je vivrai, n avait dit ce roi,
< Je servirai de bouclier à la Bel$ique r. En 1850 il écrivait
à un ministre : < Je vois dans I'armée I'indépendance de la
Belgique; sans bons moyens de défense vous serez le Jouet de
tout le monde. ))

Dans la nuit du ler au 2 décembre 1851, Louis-Napoléon


Bonaparte (fils de I'ex-roi de Hollande Louis et de Ilortense de
Beauharnais), président de la République française depuis le
lO décembre 1848, exécuta un coup d'Etat qui lui conféra un
pouvoir dictatorial. Un an après, jour pour jour, il se proclamait
empereur des Français. cet ambitieux menaça plusieurs fois
I'indépendance de la Belgique. rl se montra d'abord très irrité
de ce que les proscrits du Deux-Décembre, démocrates émi'
nents, avaient reçu en Belgique le plus touchant accueil. La
presse bonapartiste attaqua haineusement la Belgique, ( caverne
de scélénif,s D, €t Ie ministère Rogier-Frère, qu'elle osa traiter
de a communiste r ! Le comte Walewski, plénipotentiaire fran-
çais au congris de Paris (fe56) (1), voulut imposer à la Belgique
une réforme. constitutionnelle en matière de liberté de presse.
r Jamais ! r répondit notre ministre des Affaires Etrangères,
le comte Charles Vilain XIIII.
Les attitudes menaçantes des dirigeants du Second,Empire

(1) C€ oongrès termina la guerre de Crimée.

t
_406-.
n'en imposèrent pas aux Belges. Se raidissant dane leur patrio-
tisme, ils accentuèrent Ie caractère solennel des fôtes nationales
de 1856 et de 1860; à la Chambreo Joseph Lebeau mit ses conci-
toyens eq garde contre une neutralité simplement garantic par
traité, c'est-à-dirs ( p&r ee qu'on appelle quelquefois un mor-
ceau de papièr r (16 février 1855); Rogier publia une nou-
velle < BÈaneNçoNNE D,
celle que I'on chante en-
core aujourd'hui. Entre
temps,le cabinet Rogier-
Frère 'de 1857, dans
lequel le poste de mi-
nistre de Ia Guerre était
occupé pâr Ie barof
C.ll;azal (un hércs de
1830, d'origine fran-
çaise), travaillait active-
rnent, à renforcer la
défense nationale. On
ayait renoncé à la théo-
rie des cordons de for-
teresses pour se rallier
r\ I'idée d'un vaste camp
retranché à Anvers,
centre de refuge en cas
t
<f invasion (f859). Ce
projet se heurta à une
LÉoPOLD II opposition violente : les
Gravé par'Waruote. députés d'Anvers pro-
(Cabinet d,os estanDes, Bruxelles.) testèrent contre l'( ern-
bastillement r de leur
ville ; la Droite et les Flamands militants s'élgvèrent, par tactiqu e
électorale, contre les a exagérations militaristes > d'un ministère
Iibéral et francisant. Les protestataires organisèrent de grandes
réunions publiques ou meetings, surtout en 1862-1868. Ce
mouvement a meetinguiste > n'empêcha pas le cabinet et la
majorité des Chambres de faire tout .leur devoir. Cinquante
rnillions furent affectés aux travaux de fortifications; la direc-
tion de ce va,ste ouvrage fut confiée au général Brialmont
(1821-f9æ), le plus génial ingénieur militaire des Temps.
_497*
Modernes (r). De l'avis même du général rotleben, déf'enseur
de sébastopol, Anvers devint. < ra première forteresse du rnonde.
t1u'on aimerait mieux avoir à défendre qu'à attaquer l.
Léopold ler, Ie < Nestor de Ia polibique moderne o, le con-
seiller sâgace de Ia céIèbre reine d'Angleterre victoria, mourut
le l0 décembre 1865, profbnclémeni regretté. son fils aîné,
r-éopold
'études, rr,'monta sur le trône à l'âge de trente ans. De fortes
de grands voyages en Afrique et en Asie avaient mfrri
son caractère. Lors de son inauguration, Ie l7 décembre, il
promit, d'une voix grave et f'erme, d'être <t un roi bel$e de
c(Eur et d'âme >r, dont Ia vie entière appartiendrait à son pays.
Ces paroles impressionnèrent favora!,Iement notre peuple,
rnenacé à ce moment d'une manièrc assez directe. Depuis que
le jeune royaume de Prusse avait pris en Allemagne une posi-
tion prépondérante, après les guerres ôontre'le Danemark
(1864) et loAutriche (1866), Napoléon rrr avait conçu le projet
doacquérir des compensations. rtrn Belgique, on croyait qu'il
ne s'agissait que de Philippeville et de Mariembourg ou de
Iignes de ehemin de fer dans le Luxembourg. Mais le 2b juil-
let 187o, tout au début de la guerre franeo-allemande, Ie grand
journal anglais le Times révéla, à la suite de communications
faites par le çomte de Bismarck, premier ministre de prusse,
qu'err 1866 Napoléon rrr avait vainement proposé au roi de
Prusse Guillaurne ler (R. tg6t-l8gg) [ZJ, par I'intermédiaire
de M. rlenedetti, ministre cle France à Berlin, un accord suivant
Iequel Ia Prusse se serait attribué ra Hollande et la France la
Be[ique et le Luxembourg.
Quelle qu'erït été pour nous l'éteudue du tlanger, l,Angle-
terre ne nous aurait certes point abandonnés. Déjà en lg86,
le roi Guillaume IV avait promis à Léopold Ier son appui
inconditionnel en cas d'invasion de Ia Belgique. sa nièce,
la reine victoria (R. l8s?-rgol), unie par d.es liens de parenté
étroits à notre.roi et à Louis-philippe, avait espéré que la
Belgique deviendrait désormais ,< un lien réciproque )r entre

(1) Brialnont appliqua pour la preruière fois, à auvers, les prinoipes d.e
Ia roREtrrca.rroN poLrrcoNALE. Il fut chargé plus tard d,orga,nisor, eelou les
mômes prùrcipes, la d.éfense d.e Bùcarest, de sofla, du Bosphoro et dos Dar-
danelles. II fut aussi un 6crivain mititaire très apprécié
(2) En 1871, Guillaume Iu. prit le titre d'slrpnhnûB p'dr:r.pu4ç1gp.
-498-
la France et l'Angleterre. L'attitude de Napoléon III déçut
les vceux de loAngleterre. En 1866, elle souligna d'une manière
signifrcative I'importance d'ttne visite de ses rifl,anen (1) à
Bruxelles. En juiltet 187O aussi, son âttitude fut noble. Le
Premier Gladstone écrivit : tt Il nous serait impossible de
ne pas bou$,er, alors que s'accomplirait devant nous le
sacrifice de la liberté et de I'indépendance. I Admirant
Ies Belges, < aussi sfirement et chaudement imprégnés du sen-
timent de nationalité, de I'esprit d'indépendance, que la plus
fière et la plus puissante nation >, il ajoutait : < Le jour qui
se lèverait sur I'anéantissernent de la Bel$ique enten-
drait sonner le $las funèbre du drolt des $ens et des lois
internationales en Europe... ) Ne voulant pas se rendre
complice < d'un {.es plus abominables forfaits dont I'histoire
aurait été témoin r, il fit immédiatement demander aux deux
adversaires de respecter la neutralité de notre pays. Le I août,
Bismarck lui répondit que sa demande était superflue, a êu
é$ard aux traités existaûts r.
Le ll, la France adhéra sans grânds commentaires aux pr.o-
positions anglaises. Entre temps, Ie cabinet catholique dnAne-
thrt mobilisait en toute hâte 88,000 hommes. Le général Chazal
observa attentivement les opérations des belligérants à notre
frontière sud. Lors de la batâille de Sedan (2 septembre),
I'inquiétude fut grande. L'état-major allemand avait ordonné
à ses généraux de poursuivre sur le tenitoire belge les troupes
françaises en déroute, si elles n'y étaient immédiatement désar-
mées. cette menace était bien, inutile, Ies Belges étant décidés
à concilier les lois de I'humanité avec les devoirs de la neutralite
la plus rigoureuse.
**t

De l8?O à 19f4 l'Europe centtale et occidentale vécut en


paix. Les Puissances se groupèrent en allianees dans le but de
maintenir l'équilibre européen. A la Triple Alliance ger-
manolaustro-italienne de L88Û s'opposa I'alliance francO - rUSSê
de lggl. La politique de plus en plus a$ressive de I'Allemagne,

(1) TiraiUeurs volonta,ire,s'


499 *
sa formidable et envahissante expan*ior éooromique,le langage
et les procédés arrogants de ses hommes t'Etat, commerçants,
industriels et intellectuels, amenèrent, en 1904, Ie rapproche-
ment franco-anglais connu sous Ie nom d'Entente cordiale,
puis, en 1907, provoquèrent I'entrée de la Russie dans cette
association, d'où la Triple-Entente.
Pàur éviter la guerre et surtout. par crainte d'une agression
brusqtte et décisive, les grandes nations et, à leur suiter -les
Etats secondaires, créèrent des armées et des flottes formi-
dablesr les entretinrent sur le pied de guerre et perfectionnèrent
sans cesse leur outillage. ce fut Ie régime de la paix arrnée,
régime ruineux qui devait aboutir à une catastrophe. sur
'l'initiative du tsar de Russie Nicolas rr (R. t894-t9t?) une
conférence mondiale fut tenue à La Haye en lggg, dans
I'espoir de préparer une limitation des armements et une évo-
lution vers I'arbitrage international obligatoire. Mais I'Alle-
magne' conduite pâr une easte eonservatrice, impérialiste et
militariste, paralysa les efforts des autres peuples. La course
aux armemenls reprit de plus belle.
En Belgique le problème d'une guerre européenne future
s'imposait de plus en plus à la réflexion et se précisait comme
suit : en cas de conflit franeo-allemand ou anglo-allemand,
notre neutralité serait-elle respectée? Les statuts internationaux
nous interdisant toute alliance préventive, devions-nous nous
préparer à une défense à outrance ou nous borner à placer
notre confiance dans la parole de nos voisins? Le roi Leopold rr"
une bonne partie de la Gauche et de la Droite délendaient la
théorie d'une défense proportionnée à l'importanee de notre
position européenne, à notre chifrre de popuration et à celui
de nos richesses. une importante fraction de Ia Droiteo par
eontre, soueieuse de ménager les intérêts de Ia classe agricole
et absolument confiante dans la valeur des trailés internatio-
naux, voulait réduire notre armée au rang d'une sorte de maré-
chaussée. Quant aux soeialistes, patriotàs mais fidèles à leur
idéal antimilitariste, ils étaient partisans de la nation armée,
c'est-à'dire de la formation d'une milice, instruite au cours de
fréquentes périodes d'exercices à terme très coult.
souverain réfléehi et perspicace, Léopold rr redoutait parti-
culièrement I'action érrrolliente que pouvait exercer notre superbe
épanouissement écunomique sur notre mentalité. < Nous devons
-5fi)-
empêcher, > éerivait-il le 1? jànvier r88? à M. Beernaert, alors
Prernier ministre, ( qu'on ne puisse sans eoup férir ttaverser
avec dês armées la Belgique. Ne pas le faire serait un véritable
suicide : ce semit redevenir volontairement le champ de
bataille de la France et de I'Allemagne et aider au démem-
brement du pays ,. Le 15 août de la même année, lors de
I'inauguration du monument des héros Bre;rdel et f)e Coninck'
à Bruges, il disait : ( .... Le bonheur entraîne de graves respon-
sabilités. La prospérité a ses éctreils, les jotrissances prolongées
de la paix ont leurs périls. Loexcès de sécurité qu'ell-es
en$endrent a souvent cotté cher à ceux gui s'y sont
abandonnés. >

Cependant, en cette même annéc I88?, le Parlement avait


accepté un projet de construction de deux camps rctranchés
sur la Meuse, les têtes de pont de Lié$e et de Namur' En
cinq ans, Brialmont entoura, ces places d'un anneau d'ouvrages
fortifies en béton de cimqnt, à coupoles métalliques' pott-
vant réslster au feu de la plus grosse artillerie du temps. Mal-
heureusement, beaucoup de gens s'entêtaient à ne pas com-
prendre que la meilleure défense d'un pays réside dans la force
de son armée de campagne. Nos levées anhuelles se recrutaient
par la rrcie du tira$e au sort, avec faculté de rernplacement
pour les jeunes gens fal-orisés par la fortune. Les partisans du
serviCe personnel, parmi lesquels des catholiques éminents
tels que M. le ministre Beernaert et le comte Adrien d'Oultre-
mont, avaient beau insister sur le caractère pratique, équitable
et démocratique de la réforme qu'ils préconisaient, Ieurs aclver-
saires, dirigés par le leader de Ia l)roite, M. Woeste, restaient
intraitables.
En 1894 et en 1895, eette question revint devant les Cham-
bres. Le 13 juin I89?, le lieutenant général Brialmont et sept
généraux, mantlataires de la < Fédération nationale des anciens
militaires r, allèrent solennellernent prier le roi d'agir en faveur
de I'introduction du sêrvice personnel. Léopold II leur témoigna
ostensiblement sa faveur, ee qui n'empêcha pâs M. Woeste
fl'amener, en décembre, la majorité à repousser toute réforme
de notre armée. En 19O2, une loi militaire fut votée, maintenant
le tirage âu sort avec remplacement. MM. Woeste, Delbeke,
Verhaegen et leurs amis politiques, la plupart hobereaux fla-
lnands, partisans de la formule magique z << Nigrnand gedwons$t
501
-
soldaat (l) ,, étaient parvenus à retarder de quelques années
la réforme qu'ils abhorraient, en faisant a<lopter un essai de
reerutement.de I'armée par Ie volontariat.
Cependantr la situation internationale, de plus en plus tendue,
commençait à' inquiéter les 'esprits les plus confiants. En
mars 1905" I'empereur Guillaume If se rendait à Tanger, mar-
quant par là l'intention cle la Germanie de réagir èontre la
politique anglo-française, --- inspirée pâr le roi Edouard VII
(R. l90f -l9l0) _-, politique qu'elle prétendait viser à I'n eneef-
element > de I'empire allemand. Les libéraux belges avaient
inscrit la'réforme militaire en tête cle leur programme; les
socialistes Ies appuyaient tout en faisant certaines résen'es strr
la durée du temps de service
Les grandes fêtes de 1905, comnlémorant le soixante-
quinzième anniversaire de notre indépendanee, eurent un
caractère significatif. Le 21 juillet, lors de la fête patriotique
de la place Poelaert, à Bruxelles, Léopold II appuya ouver-
tement le parti de la défense nationale. Petit à petit, ce
dernier, arr prix de pénibles efforts, allait obtenir enfin gain
de cause : en 1906, il faisait voter une extension de la défense
d'Anvers; en 1908, le ministre de Ia Guerre, général Hellebaut,
devait reconnaître la faillite du volontariat. Le 14 décembre
1909, le vieux roi téopold avait la joie suprême de pouvoir
signer, trois jours avant sa mort, une loi militaire abolissant
le tira$e au sort et le remplacerrient. Par eette loi de l9OS
le service personnel était enfln établi, mais, par une dernière
coneession faite au parti adverse, la majorité admettait que le
principe du volontariat serait mis en avant et que les effectifs
seraient simplement cornplétés par I'envoi sous les drapeaux
d'un fils par famille. Le service eut une durée de quinze
mois.
Léopold II mourut au château de Laeken, le t7 décembre
1909. J'examinerai plus spécialement dans le chapitre consacré
à I'expansion coloniale la peisonnalité complexe de ce grand
souverain. Son rôle dans la question militaire suffit pour mon-
trer que, bien- qu'il efit vécu dans les dernières années de sa vie
souvent éloigné de son pays natal, il avait cepenclant toujours

I
(l ) Personne soldc.t pâlr contr.{iinte I
-502-
eu ( à cæur de servir la Belgique, de contribuer à sa richesse
et de grandir sa réputation dans le monde (f) n.
Son successeur fut son neveu, le prince Albert de Bel-
gique (2). Né le I avril 1875, Albert avait reçu une trrillante
éducation; il avait fait ses études d'officier à I'EcoIe militaire de
Bruxelles. Ennemi du faste, simple dans ses manières, il témoi-
gnait d'un gofit très vif pour les sports, les questions écono-
miques et les sciences sociales. Le 2 oetobre 1900, il avair épousé,
à Munich, ELisabeth, duchesse en Bavière, fille du duc Charles-
Théodore (t 1909) et de la princesse Marie-Josèphe, intante
de Portugal. Le père de la princesse éta,it un oeuliste de renom
et consaerait une grande partie de son temps à soulager des
infortunes. Née à Possenhof'en (Bavière méridionale), le 25 juil-
let 1876, le gracieuse et bonne princesse Blisabeth avait été
élevée dans un rnilieu éclairé. Son union avec le prince Albert
fut considérée avee la plus grande faveur par le peuple belge
et I'arrivée des jeunes époux dans nos provinces etrt un carae-
tère réellement triomphal. I)ésormais notre peuple témoigna
doun intérêt constant pour ce couple princier, si affable et si
sympathique. En 1907 Léopold II avait nommé le prince
Albert lieutenant-général; il I'initia aux affaires du royaume et
I'envoya visiter notre colonie du Congo. Le prince et la prin-
cesse Albert ont.trois enfants : Léopold, duc de Brabant
(Bruxelles, 190r); Charles-Théodore, comte de Flandre
(Bruxelles, 1903); Marie-José, princesse de Belgiqup (Ostende,
re06).
Le28 décembre 1909, au lendemain des obsèques majestueuses

(1) Lettre de Léopold II aux sénateurs partisans d.u service personnel


11ff mai 1886).
(2) Léopold. II avait épousé, Ie 22 aott 1853, Menrn-Ilnxnrnrrn o'Àu-
TRrcIrE, ûlle do I'archidùc Joseph, palatin d.e Eongrie. Après un règne plein
tle tlignité, la reine mourut à Spa en 1902. Le flls cte Lêopoltl II et de Marie-
Ilenriette : le prince LÉonolo, comte de Eainaut, né en 1859, était, mort
à l'âgie de tlix ane. IJes autres enfants du roi et de la reine firrent les princesses
IrourgE, SrÉr,glrrrrp et Cr.ÉunNrrNn.
Le frère du roi Léopold If, PRrr,rppn, comte de f,'laudre (t 1905), avait
épousé Manrn, princesse d.e Hohenzollern-Sigmaringen (t 1912). De ce
maæia€ie naquirent quatre enfants : les princee BluooutN et Àr,RnR'r, les
princesses llpltntntrp et JosÉpHrxn.
Ire prince Baud.ouin étant mort le 23 janvier,1891, l'héritier du trône
fut le prince Àlbert.
-503-
de Léopold fI, eut lieu I'entrée solennelle du roi Albert Ier
dans sa capitale. Entouré d'un cortège de princes étrangers,
il parcourut à cheval I'itinéraire eonsâeré par la tradition entre
le palais de Laeken et les Chambres. Bien que le temps fût
affreux, Ia foule était immense et débordante d'enthousiasme.
La prestation du serment de fidélité à la Constitution fut
accompagnée d'un discours royal de style noble et viril. < J'aime
mon pays, n dit le Roi. < La reine partage ces sentiments d'inal-
térable fldélité à la Belgique. Nous en pénétrons nos enf'ants
et nous éveillons chez eux, à la fois, I'amour du sol natal,
I'amour de Ia famille, I'amour du travail, I'amour du bien.
Ce sont ces vertus qui rendent les nations fortes.... En prêtant
le serment constitutionnel, je prends, devant moi-même et
devant rron pays, I'engagement de remplir scrupuleu-
sement mes devoirs et de consacrer toutes fnes forces,
toute ma vie au service de la Patrie. )) -

Ce langage empruntait aux circonstances un caractère par-


ticulièrement pathétique. L'avènement du roi Albert coincida,
en effeto avec un aceroissement de la tension entre les Puis-
sances européennes. Le caractère des relations franco-allemandes
s'aigrissait à propos de la politique marocaine. En 1911, I'envoi
du navire allemand laPanther à Agadir.fit craindre une rupture.
Par le traité du 4 novembre l9ll, I'Allemagne reconnut enfin
le protectorat français sur le Maroc, mais en retour elle se
faisait céder une partie de I'Afrique équatoriale française. X'ait
particulièrement symptomatique : deux bandes étroites de
tenain, véritables < tentacules r, partaient du Cameroun
allemand au sud et à I'est, coupaient le Congo français en
trois tronçons et allaient aboutir aux frontières du Con$o
bel$e, sur les rives du Congo et de I'Oubangi.
En l9l2 éelata Ie conflit turco-balkanique; en l9l3 les
vainqueurs des Turcs se battaient entre eux ! Ces périodes
angoissantes furent cependant traversées avec confiance par la
grande majorité des Belges. fl semblait que la présence d'un
roi jeune, fort, énergique, favorisât I'optimisme général. Après
leur Joyeuse-Entree dans la capitale, le roi et la reine avaient
fait visite aux principales villes du royaume : Anvers (1912),
Liége (f912), Gand (fgfs). Ces voyages avaient eu lieu au
milieu doun vif enthousiasme. Alors que couvait le feu qui
allait embraser I'Europe, une fièvre de vie large et épenouie
-'504 -
s'était emparée du pe\rple belge, Sa bonté native, son bon sens
naturel lui représentaient une guerre mondiale comme une
horreur indigne de l'époque. Ses illusions étaient entretenues
pâr sa prospérité éeonomique, par la splendeur des exposi-
tions internationales de Bruxelles (1910) et de Gand (fgf8),
attirant les, étrangers de tous les pays du monde, par de fré-
quentes et nombreuses visites de souverains. Cependant,
I'insuffisance des effectifs continuait préoccuper les esprits
z\
clairvoyants. Une vigoureuse campagne tle presse fut entamée,
sous I'impulsion du < Soir r, de Bruxelles. Le roi et le gouver-
nement, informés confidentiellement par Ie baron Greindl,
rninistre de Belgique à tserlin, de I'effrayante évolution belli-
'queuse dans les milieux clirigeants allemands, parvinrent à
comnruniquer leurs appréhensions à la Chambre. Le 29 mai lgl$,
le Parlement votait, enfin, par lO4 voix contre 62, un projet
de loi déposé par le ministre de la Gueme, M. de Broqueville.
Cette loi ébablissait le service général : quinze à vingt-quatre
nrois dans I'arrnée active, treize années pour I'ensemble du
service. La levée annuelle était portée à plus de trente mille
hommes, Calculee de manière à sortir tous ses effets en lgl7,
cette réorganisation aurait pu d.onner finalement un effectif
rle guene de trois cent quarante mille hommes!
Au printemps de 1914, le roi de Danemark, Christian X,
assista à Bruxelles à un grand défilé de notre nouvelle armée.
Déjà le public fut frappé par I'allure rajeunie et martiale
de nos troupes. flélas, I'armée n'en était encore qu'au premier
stade de la transformation, ses unités étaient bouleversées, elle
manquait de grosse artillerie et les forts'sur lesquels elle devait
âppuyer sa défense n'étaient plus appropriés à la guerre con-
temporaine !
CHAPITRE II
LA PoLITIQUE IIITÉnIEURE
DE LA BELGIQUB, DE 1831 A I9I4

Formation des Ttartis en Belgique : Ies Libérauæ et les catholiqu,es.


' Le er -- La
régime mnjoritaire (pp. 5OE EOO). .politique
rl'u,nian, : les cabin.ets ,mixtes
[1BBI-f846] (pp. 5O6-EOB).
Le congrès liberal de 18a6 (1r. 508). - Lu p(riode doctrinaire
[1847-r87ol (pp. 508-5rr). Le cabinet Malou, [r8Zl-rBZSl
- libéral,, [1878-rSSa]
(p. 5f f ).-- Le < gt;and nû,nistère (pp. Etr
et 512). -- I0 jtdn 1884 : le < grrmd mini,stère catholiqu,c '>
(p. 5r2).
Apparittan du soctalisne [f885] (pp. 5fB ct 5l,f). )-. Transfor-
rnations rlu p'rogramme des aneiens partis (p. Sf ). Lu cam-
pûgne en faaetn cht suffiage uniaerse, [f B8Z-] BgBl - (pp. Ft -
516). 18 awi,l1893 : le aote phnal (p. 5lG).
-
La pol:itique intérieu,re de 1893 â tgl4 (pp. 5t6 et 5rZ). La
question de la représentation Ttroptortionnelle [I B99l (pp. - El7
et 5f B). Vains efforts des Gaucltes pour rennerser la majortte
(pp. 518-et 519). La Jeu.ne-I)roite; le caAinet De Broqueaille
[juin l9U] (pp.-519 et 520). -- Nou,oelles tentati,ues pou:r
I'obtention'du S. t/. (p- fZO).
I9l3-I9ra (p. 52o). -- f,es lois dérnomatiques de

. Le xr'rrre siècle, époque de rationalisme abstrait et de logique


sociale, avait légué au siècle sui*ant le gofit bien français des
elassements nets en matière de politique, classements opérés
d'après rles principes directeurs, appliqués à tous les cas
-.50$
particuliers a,u fur et à mesure de leur apparition. Dans chaque
pays à gouvernement parlementaire ou à tendanees démocra-
tiques, il y eut done, dès le début du xrxe siècle, des partis
appropriant leurs actes ou leurs critiques aux axiomes formant
la base de leurs convietions.
Dans nos provinces, l'éternel et universel antagonisme entre
modernistes et conservateurs s'était manifesté''déjà sous le
régime hollandais, par I'organisation de deux partis : les libé-
raux et les catholiques. Les libéraux, bourgeois des grandes
et de quelques petites villes, hatritants de la eapitale et de la
\Mallonnie industrielle, défendaicnt les principes de liberté et
d'égalité de la Révolution française. Ils étaient tolérants, parfois
même pratiquants, mais n'aclmettaient pas I'ingérence du
pouvoir religieux dans la société civile. Pour eux, I'Etat laique
devait rester au-dessus et en dehors des influences confession-
nellés.
Les catholiques recrutaient lettrs membres dans la classe
rurale, le menu peuple, la bourgecisie cossue des petites villes.
Ils étaient les maîtres des deux Flandres, des provinces d'Anvers,
de Limbourg et de Luxembourg, ainsi que des parties agricoles
du Brabant et du Hainaut. L'imposante armée catholique était
encadrée par un clergé puissant et discipliné. Pour toutes les
questions législatives, ce parti avait porrr règle de chercher des
solutions s'accordant avec I'orthodoxie de I'Eglise. Dans toutes
les manifêstations de la vie sociale, sfécialement en matière
d'instruction et de bienfaisance, il cherchait à faire prévaloir
I'influence de la religion et du clergé.
Le régime de la responsabilité ministérielle, créé par la
Constitution cle 1881, avait donné droit de cité, dans notre
pays, aux grands principes de la politique anglaise : le roi devait
rester au-dessus des partis politiques, borner son rôle à
une action modératrice et conciliatrice; il devait choisir ses
ministres dans le parti ou les coalitions de partis dispo-
sant de la majorité au Parlernent. Si Ia majorité était
battue aux ,élections, le Cabinet, par le fait même, était
démissionnaire.
Bien qu'il eût toujours regretté que la Constitution et le
régime parlementaire n'eussent laissé au pouvoit exéeutif qu'un
rôle modeste, Léopold Ier régna avec équité, en vrai souverain
démocrate. Au début de son règne, I'IJnion des oppositions
__ 507 _
avait continué à exercer son action pacifiante. La politique à
suivre envers la Hollande dominâit toutes les autres questions.
Ityavait des modérés, < Ies secs >, aussi bien que des extrêmes;
<les verts >, parmi les libéraux eomme parmi les eatholiques,
Les ministères furent rnixtes, composés d'hommes politiques
représentant leur parti sans dêmonstrations agressives. ces
cabinets prirent des mesures administratives, militaires et éco-
nomiques. Eltqgp furent votées les lois organisant nos com-
munes et nos provinces (1).
Mais, petit à petit, les frictions entre catholiques et libéraux
augmentèrent. I-e <r catholicisme libérâl r n'av&it pu sé main-
tenir. En 1832, le pape Grégoire XVI (t8SI-fBS6) avait dirigé
contre les principes de 89, notamment contre la liberté de
conseience et l'<.exéerable r liberté de la presse, une eneyclique
violente. Le parti catholique allait désormais chercher ses
directions à Rome, faire de l'< ultiamontanisme > et devenir le
parti clérical. De leur côté, les libéraux accentuaient leur pro-
gramme. En 1834, chaque fraction créa, par initiative, une
Université. Celle des catholiques fut établie à Malines, puis,
I'année suivante, à Louvain; celle des libéraux ----* fondée par
Théodore Verhaegèn devint I'IJniversité libre de Bru-
-
xelles. Toutes deux furent les citatlelles, les centres d'activité
cérébrale des partis qui les ar,aient fondées.
En 1839, la paix avec la Hollande était chose faite; I'flnion

(l) Ira commune estadministr6e par un conseil communalrélu, en nombre


vturiable tl'après Ia population, ainsi que par un coUège des bourgmestre (nom-
mé par le roi) et échevlns (élus par le conseil communal). Le bourgm.estre
est investi du pouvoir eÏécutif et fait les règlements de police; les échcvins
g:èrent chaeun un service administratif ; lc conseil communal délibère et
vote sur toutes les questions intéressant la commune. rl établit ses comptes,
ses budgets, peut yoter certaines tar.es et pcrcevoir d.es cenûmed addltion-
nels aux contributions directes d.e I'Etat.
La province est dirigée par une assemblée élue : le consell provlnclal.
Qnoique possédant une autonomie bien moins g:ranrle que les conseils com-
munaux des grancles villes, les conseilg provinoiaux délibèrent sur toutes
les questions d.'ordre provincial; ils gèrent également leurs fln&nceg et
peuvent percevoir certa,ins impôts.
En l'absence clu conseil, l'autorrté provinciale est exercée par une dépu.
tation permanente ile eix membres. Le Souverneur, nomm6 par le roi, est le
représentant du pouvoir exécutif.
Lee arrondlssements admlnlstrattfs, alirigés par d,ee cômmlegalreo d'ir,
roadlssement, n'ont a,ucune espèce ù,autonomle.
_508_
des -oppositions se survivait. Les A.*irrs cabinets mixtes ou
centristes eurent une existence languissante.'Le bon accord
entre des libéraux comme Lebeau, Rogier ou Liedts, et des
catholiques. comme De Theux et De Meulenaere develait
impossible. En 1846, il y eut trn ministère De Theux-Malou (l)'
franchement catholiqtre.

Alors les libéraux organisèrent leurs fbrces. fls avaietrt créé


peu auparavant, dans tout le pays, cles < Associations libé-
rales r. Ils réunirent ces grotlpements, cette même année, en
congrès à Bruxelles. Le congrès de 1846 mârqua une étape
dans I'histoire du libéralisnre belge.
Les libéraux modérés, dits doqtrinaires, y définirent leur
programme, comprenant deux poirtts essentiels : lo une réforme
électorale, rendue nécessaire par le caractère limitatif de
I'article 47 de Ia Constitution. Les libéraux voulaient mtrltiplier
le nombre des électeurs censitaires et y adjoindre les électeurs
capacitairesl 20 la direction exclusive ôe I'ensei$nement
public par les autorités civiles.
Les élections de 1847 furent nettement favorables aux cloctri-
naires. Le r.oi confia à Charles Ro$ier la mission de constitrter
un cabinet libéral homogène, cabinet dans lequel entra un jeune
orateur d'une séduisante élégance, Frère-Orban (2). Les libé-
raux oecupèreht le pouvoir jusqtl'en 1870, presque sans inter'
ruption. Rogier garda la direction des affaires jusqu'en 1852;
son successettr fut le libéral De Brouckère jusqu'en 1855;
après moins cle trois ans de gouvernement catholique (cabinet
De Decker-Vilain XIIII)' Rogier revint au pouvoir, en 1857,
ayant pour collaborateurs principaux Frère-Orban et Chazal.
En 186?, Rogier avait accompli sa vin$t-deuxième arulée de
ministère; il se retira de la vie publique (3). Frère-Orban lui
suceéda jusqu'en 1870.

(1) Jules Melou, cl-'Yprerr (1810-l8fJti), spécialist'c cu ruat'ièle dc fisances,


politique éminent, fu! un advers&ire achartlé du libclralisme'
(2) Hubert tr'nÈnp-OnB,rx (1812-1896), fle lJiége. Àvocat et joqrnaliet.c
d'un talent temarquable.
(B)rCo grand citoyen, retté du pouvoir, men& une vie utilo et mode"ct'c
jusqu'à sa rnort en 18Ëô. Lu nat,ion lui ftt tles frrnétailles grandioses'
509

La période doctrinaire fut intéressante. Les grands ministres


du temps, ainsi que leurs adversaires politiques, étaient de bons
orateurs. Le visage soigneusement rasé, le toupet en bataille,
ils avaient des rnanières dignes et un langage auquel les élans
de la passion ne mêlaient jamais un nrot trivial. La lutte entre
libéraux et catholiques tlevint perrnanerfte, se nranifestant
par les diseours parlementaires, les meetings, Ies polémiques de
presse et même par des bagarres tlans les rues. Chaque élection,
pour les Chambres (1), la provinee ou Ia cornmune, fournissait
aux partis antagonlstes une occasion cle mesurer leurs fbrces.
Cependan{, au point de vtre politique, la phase <loctrinaire ne
fut guère créatrice. Rogier et ses collègues firent surtout æuvre
utilc en matière de politique cxtérieure (voir chap. Ier), de
questions économiques (voir chap. III) et de mesures de
défense eontre le déficit financier.
En 1848, I'agitation démocratique qui secoua toute l'Ilurope
ne s'exprima en Belgique que par quelques meetings organisés
par des bourgeois, comme Tedescri et Jottrand, et par des
ouvriers, comme Jacques Kats et Joseph Pellering; cel,te âgita-
tion fut d'ailleurs calmée par une réforme électorale. L'ar-
ticle 47 fixait le minirnum du cens électoral général à vingt
florins (42fr.32). Mais ce sens était plus élevé dans les villes.
Rogier en rânlena le chiflre aux limites constitutionnelles. Par
contre, Ie gouvernement ne toucha pas à I'organisation scolaire,
malgré le programme du congrès de 1846.
L'article l7 de Ia Constitution avait proclamé la liberté de
I'ensei$nement, c'est-à-dire : lo la liberté, pour chacun,
d'exereer Ip professorat; 20 le droit absolu du père de famille
de choisir, pour ses enfants, l'écôle qu'il'préférait, La révolution
de 1880 avait détruit le çiuissant édifice scolaire érigé par
Guillaume ler. fnterprétant I'article l7 dans un sens fâcheux,
beaucoup de communes, soueieuses de diminuer leurs charges,
avaient supprimé Ieurs écoles primaires ou.les avaient reléguees
dans des salles de cabaret et même dans des écuries ! Quantité
d'écoles libres confessionnelles, ne possédant qu'un outillage

(1) Ires membres de la Oharubre étaieub élus pour quatre aus; la Oharnbre
était renouvelée par moitié tous les deux ans. Ire Sénat était élu pour huit
ang et renouvelé par moitié tous les qnat:re ans, It en est oncore ainsi
d'hui, ",ffi.tr-
-_510_
imparfait et un personnel non diplômé, avaient envahi le
domaine .de I'enseignement inférieur. par endroits, on voyait
des travailleurs manuels ou des cabaretiers usurper le nom
d'instituteurs!
En 1842, le cabinet mixte dirigé par un libéral ultra-modéré,
Jean-Baptiste Nothomb, avait voté une loi organique sur
l'enseignement primaire. cette loi obligeait chaque com-
mune à entretenir au moins une école primaire, publique ou
privée. L'enseignement de la religion catholique (catéchisme
et histoire sainte), considérée comme inséparable de Ia morale,
était obligatoire, sauf pour res élèves professant un autre eulte
reconnu. cet enseignement devait être donné et inspecté par
le clergé. La loi de l84z avait donc un caractère confes-
sionnel.
Encore indécis au point de vue scoraire, Ies libéraux réagirent
activement contre un projet du cabinet De L)ecker, en lg5?,
tendant à rendre les fondations particulières indépendantes des
administrations légales. Les conseils communaux de toutes les
grandes villes protestèrent contre la r. loi des couvents u! Les
manifestations à Bruxelles, Anvers et Liége contre la a main-
morte monacale , furent si violentes que le projet fut retiré.
Aux approches de I'année rB?0, le catholicisme s'était gran-
dement affermi en Europe, par crainte du socialisme et aussi
gràee à la puissante personnalité du pape pie rx (rg46-rBzg).
En 1864, celui-ci avait repris la politique de Grégoire Xvr, con-
damnant les libertés moclernes, et avait publié la célèbre bulle
Quanta cura ainsi que Ie < syllabus renfermant les principales
erreurs de notre temps >. De partout,'des volontaires aceou-
raient à Rome pour s'enrôler dans les zouaves pontiflcaux et
pour défendre Ie pouvoir temporel de I'Eglise. En lg70, le
' concile æcuménique du vatican proelamait re dogme de I'infail-
Iibilité du pape. En Belgique même, les pratiques publiques de
dévotion se multipliaient et I'opposition catholique bénéficiait
des rancunes des meetinguistes (voir p. 4g6) et de la coopé-
ration des adeptes catholiques du mouvement flamand (l).
D'autre paf,, au sein du libéralisme, il s,était formé une
fraction démocratique, inspirée par les théories des proscrits

(11 sur co mouvemont, voir le ohap. v, aux pages consa,crése à la lttté-


rature flamande.
*5r1-
français de 1851 et lasse de l'immobilisme dogmatique des doc-
trinaires. Cette aile gauche radicale, dite pro$ressiste, avait
pour chef un jeune avoca,t, nq à Ilerstal en 1840, Paul Janson.
Son programme comprenait trois points essentiels : Ie suffrage
universel; le service militaire personnel; I'enseignement primaire
neutre, gratuit et obligatoire.
En juin 1870,les élections générales amenaient I'effondrement
du doctrinarisme. Respectant, comme son pèTe, le mécanisme
de nos institutions parlementaires, Léopold fI appela les eatho-
liques à la direction du pays. En 18?1, Jules Malou prit place
à la tête d'un cabinet qui vécut sept ans. II fit une politique
d'affaires, s'oeeupa des questions linguistiques et flt vigoureu-
sement faee aux libéraux. Ceux-ci, en effet, se montrèrent très
agressifs. Déjà en 1870 les progressistes avaient formulé une
première demande cle démocratisation du régime électoral.
Cette demande avait été repoussée par Ia Chambre, mais,
en 1871, Ie gouvernement abaissa le cens électoral pour les
élections à la province (2O francs) et à la commune (f O francs).
Le chiffre des électeurs généraux se maintint donc à eent trente.
cinq mille environ, alors que celui des électeurs provinciaux
montait à deux cent mille et celui des éleeteurs communaux à
trois cent cinquante mille. La grande faiblesse des libéraux
résidait dans l'éparpillement de leurs fbrces. En face d'un
adversaire formant bloc, ils comba.ttaient en tirailleurs. En 1875,
toutes les associations libérales se fédérèrent. Les libéraux fla-
mands tbndèrent le journal < La tr'landre libérale r et chantèrent
le r Geuzenlied n. En 1877,les doctrinaires surent dominer leur
éloignement pour les progressistes, jusqu'alors qualifiés super-
fieiellement de a républicains.internationalistes r.
Finalement, le 11 juin 1878, le eabinet Malou tombait et
était remplacé par le < $rand rninistère tibéral r : F rère-
Orban, Bara, Graux, Rolin-facquemJms, Sainctelette et Van
Humbeek. Ce ministère aborda immédiatement' la question
F*9
scolaire. Il créa le département de I'instruction publique.
En 1879, Van Humbeek faisait voter la seconde loi organique
de I'enseignement primaire. Selon cette loi, il clevait y avoir
au moins une école primaire publique laique par commune.
L'enseignement de la religion pouvait être donné par les minis-
tres des cultes, à l'école, mais seulement sur la demande expresse
des parents et en dehors des heures de classe. Le gouvernement
-- lt12 -
nommait les inspecteurs, approuvait les programntes et les
livres scolaires. L'Etat se réservait le monopolc de I'enseigne-
ment normal. Les institttteurs, nommés par les communes,
devaient être en possession d'un certifrcat régulier d'études.
Cette loi centralisatriee déchaîna une âpre guerre scolaire.
Les catholiques fondèrent une quantité d'écoles confessionnelles
vers lesquelles émigrèrent, en moins tle deux ans, 190,000 en-
fants et 1,340 membres du lrersontrel. Le clergé excommunia
les rléfenseurs tle l'école oflicielle; il fut appuyé par le pape.
En 1880 le gouvernement rappelait Ie ministre <Ie Relgiquê au
Vatican.
En 1888, le groupe Janson proposait une seconde fois la
revision de I'article 47 de la Constitution, réglant l'électorat
général. Il échoua de nouveau, mâis cependant, p€û après, le
gouvernement adjoignait cent trente mille électeurs capaci-
taires aux électeurs eensitaires pour la province et la commune.
Bntre temps, la loi scolaire, entraînant de grosses dépenses,
avait fait ryonter le déflcit de 6 à 25 millions de franes en deux
ans. Le gouvernernerit dtrt proposer l'établissement de 28 mil-,
lions de francs d'impôts sur clit'ers objets de consommation.
Aussi les élections du l0 juin 1884 furcnt-elles fatales pour la
eâuse libérale. Les catlroliquer.s prirent définitivement le pou-
voir. fJn < $rand ministère catholique ): Malou, Reernaert,
Jacobs, Vandenpeereboom et \Yoeste fut constitué.
Le gouvernement comrnerrçù immédiatement par anéantir
l'æuvre scolaire des libéraux, Le rninistère de I'fnstruction
publique fut rattaché à celui de I'Intérieur. La loi Jacobs
tle 1884, troisième loi orç!,anique de I'ensei$nement pri-
maire, dépouilla I'Etat de son monopole scolaire. L€s coûr-
munes furent autorisées à remplacer l'école neutre per une
école libre dite adoptée. La demande cle vingt pères de famille
suffisait pour oqérer ce changement. La loi admettait que I'en-
seignement poumaiû être donné sans diplôme. Iienseignement
religieux figurait au programme, mais pas au nombre des
matières obligatoires. L'enseignement normal devenait llbre.
Cette loi eut pour eonséquences Ia suppression de nombreuses
écoles publiques et la création d'écoles catholiques âvec person-
nel laique ou congréganiste; il y eut désormaisun enseignement
normal hétérogène : eentralo provincial, communal, épiscopal,
congréganiste.
5r8 *--
-
***
Jusqu'alors les luttes politiques intérieures belges s'étaient
cantonnées dans un domaine étroit. vers rggd, r,épa-nouissement
du sociaHsme vint leur donner un earactère prus ample
et plus
eontemporain. Le socialisme avait fait une tiÀide apparition
en
Belgique vers IBG4, époqlre de la fondation, à Londràs,
de l, < As_
sociation int ernationale des travailleurs >. A cette époque,
Ies
théories de fraternité romantiques des Fourier, deç proudhon
et autres socialistes français de rg4g étaient délaissées
en faveur
du soc.ialisme économique de lAllemand Karr Marx. La
doc-
trine de Marx, nommée Ie collectivisme, prétendait que
la
société évoluait fatalement vers un régime de possesssion
coilec-
tive par la société entière des moyens de pmduction et
-
de transport -
des richesses. cependant re travail personnel don-
nait à I'individu le droit de posséder les biens à"
"orrro**"-
tion (r). cette doctrine, oppoiant re Travail au capitar et pro-
elamant Ia solidarité internationale des travailieurs, avait
soulevé d'une grande espérance re prolétariat de
tous les pays,
à ce moment très atteint par res progrès du machinisme,
très
exploité et. misérable.
.- Le dévèloppement de I'industrie en Belgique apras lgg0, la
formation d'agglomérations énormes dc salariés, ra pénible
situation du prolétariat, amenèrent, en lgg5, ra fondation
du
Parti Ouvrier BelSe. Le créateur de cet organisme, dans
lequel vinrent se confondre toutes les fédérations
socialistes
antérieures, étpit un ancien ouvrier imprimeur, César
de
laene- (ostende, rg4r-rgg0), membre cre lrnternationale des
Travailleurs. son ceuvre prit bientôt un caractère solide,
éten-
dant son action sur Bruxelles, Gand, le pays de Liége
et les
eentres industriels du Hainaut. Le parti ôuvrier fonda des
Y"t!9"r du Peuple et des coopératives de eonsommation (celle
du Vooruit, à Gand, par exemple).
En attendant Ia réalisation de leur idéal social, les ouvriers
réclamaient une améIioration immédiate de reurs cpnditions

(1) En cecl, le sociarisme diffère du comrulqrsMs qui


.'mation réclame ra consom-
colloctive des biens ou richesses prod..ites par Ie travail et vout
réaliser son idéal par des méùhodes révolutionnajree.
, F. vaN RÂLKEN. Ergrolnt DE BELGrerrE. _ lg24.
- ,.7
- 5I4-
matérielles d'existence et un
régime d'égalité de droits ptbli-
tiques. Irrités par une crise économique et surexeités par les
menées subreptices d'un groupement révolutionnaire de prolé-
taires \trallons, les ouvricrs rnineuts de Liége, bientôt suivis pa,r
ceux des, quatre bassins houillers, proclamèrent la grève géné-
rale, le I8 mars rs86. Des émeutcs sanglantes, I'incendie de la
rrerrerie Baudoux, à Jumet (près de Charleroi), nécessitèrent
mêmè l'intervention de I'armée.
Après cette erise, notye vie politique prit un tout nouveau
caraetère. Le parti catholique modéra son intransigeance ultra-
montaine; une fraetion importante se plaça sur le terrain vrai-
ment national des réformes économiques : réfôrmes agrieoles
pour conserver les faveurs des classes rurales; législation ouvrière
potrr apaiser les ouvriers. un député de Thielt, politique modéré
et opportuniste, Au$uste'Beernaert (ostende, 1829-1912),
avait été chargé de la direction du nouveau cabinet en octobre
lgg4. Pendant dix ans il s'oecupa de, législation sociale et fit
habilement face à des difficultés de toute espèce.
De son côté, le parti libétal avait été galvanisé par les événe-
ments de 1886. IJne troisième proposition de revision de I'ar-
ticle 4? avaiû été votée par la Gauche tout entière, consciente
de I'ipémissible décrépitude du régime censitaire. La majorité
elle était de 58 voix depuis juin 1886 la repoussa (1).
-
-D,accord sur le principc de la revision, les libéraux étaient pro-
fondément divisés quant à I'extension du droit de suffrage. Les
doctrinaires de la (( Ligue libérale D (nuance tr'rère-orban) exi-
geaient le maintien d'trn léger cens;'les progressistes de '( I'Asso-
libérale l (nuance .I&nson et Feron) s'orientaienb de plus
"i*tio.r
en plus vers le suffra$e universel.
De 1887 à 1893, toute notre politique intérieurb visa I'obten-
tion du s. u. (suffrage universel). Dans les grandes villes il y
eut des cortèges, des, < manifestations )) monstres de toutes
les sociétés politiques démocratiques,'avec drapeaux bleus et
rouges, musiques et harangues en plein air, à la manière.anglaise.
Les grèves furent incessantes. De temps en temps; un attentat
anarchiste isolé (i'anarchie, <loetrine démente de négation et de
destruction, sévissait alors avec intensité dans toute I'Europe)

(l) Par la loi <1o 1882, le nornbre cles sénateurs avait été porté ù 69 et
celui <leg déPutés ù 138.
-515-.
âccroissait I'inquiétude latente. chacun sentait une crise iné-
vitable.
Pas à pas, la eause ttu S. U. gagnait du temain. Le 2? no-
vembre 1890, Paul Janson fit une quatrième proposition de
revision constitutionnelle. cette fois, la section centrale de la
Chambre, intimidée par une formidable grève générale, la

I .. l"I':.rtl ln lll:|.{.tl
. i
. ()t,, t.1;..;rr {r.,, f,rr .,r!j|r,, ,rr..r
r.l f!, trr.,[.tr .r ,,-'!

, LE MUR BELGE
(Cabinet des esta,rnpes, Bruxelles.)
_ Cette spirituelle caricaturc fut inspiréc au fin humoriste Cara,n
d'Ache par les t,roublos tle 18g3, lorg de. la campague en fa,veur
du sufirage universel.

prit en considéiation, à I'unanirnité (20 mai l89l). IJn 1892,


la Chambre vota la revision, en principe. Conforrnément aux
stipulations de la constitution) une charnbrc intégralement
renouyelée et dite Constituante (élue le t4.juin tBgZ) discuta
les modifrcations à apporter à nolre pacte fondamental. Mais
les discussions s'éternisèrent. Les partis ne parvenaient pas à
se mettre d'accord sur une nouvelle formule. Le lI avril l8g8,
la Chambre repoussait le S. LT. pur et sirnple par tl5 voix
-- 51ô __

contre 26 et rejetait une série de propositions démocratiques


transactionnelles. C'en était trop pour Ia patience populaire.
Des troubles sérieux, une grève générale, organisée par les
leaders du Parti Ouvrier, notamment par Jean Volders' et
soutenue par les articles véhéments du journal <,Le Peuple r,
frrent réfléchir le Parlement. Le 18 avril, la Chambre votait,
par 116 voix contre 14 (6 abstentions), le projet de conciliation
Nyssens, c'est-à-dire Ie S. U. ternpéré par le vote plural.
Chaque citoyen âgé de vingt-cinq ans (et domieilié depuis
un an dans la commune) se voyait octroyer un vote, mais une
ou deux voix supplémentaires étaient aecordées au père de
famille censitaire, au petit propriétaire ou capitaliste, au
diplômé ou au capacitaire. Le vote plural fut établi aussi pour
le Sénat, la province, la commune (il y eut même un régime de
quatre voix pour cette dernière). Il fut obligatoire. Le sénat fut
réorganisé par I'abaissement du cens d'éligibilité à 1,20O francs
d'impôts directs et par I'adjonction de vingt-sept sénateurs
provinciaux. La Constitution ainsi remaniée (pour la première
fois depuis 188f) fut votée le 7 septembre 1893.
Le vote plural était fort peu équitable. 60 % d.t corps élec-
toral possédaient trois voix, 28 o/o deux voix, 17 o/o une voix'
te nombre des électeurs s'élevait d'un bond de 135'OOO à
1,3?On68? et celui deS sttflrages à 2,111,12? (sur une population
de plus de 6 nrillions tl'habitants). Or, grâee au vote plural et
aussi au découpage des circonscriptions éIectorales, 90O,0OO voix
catholiques élirent, lors du scrutin d'octobre 1894, 104 députés;
300,000 voix socialistes, 23 députés; 50O,OOO voix libérales,
20 députés seulement (r). Le parti libéral paraissait anéanti.
Les socialistes entraient à la Chambre en nombre respectable;
les eatholiques conservaient une majorité écrasante. fI se forma
en outrê, entre le$ catholiques et les socialistes, un petit groupe
rural démocratique, celui des dérnocrates-chrétiens, dirigés
par I'abbé Daens, d'Alost (f I90?).
***
pendant les vingt années qui ont précédé la guerre moridiale,
ta Belgique est restée ce qu'elle était devenue en 1898 : une

(1) Irtopposltion prit pour habltude de désigner le euûra,ge plural eous le


nom de o lo1 des quatro infamies D. .
.\

_ 5r7*
démocratie à prédominance de l,éIément rural. Si la
Gauche et la Droite ont fait parfois trêve à Ieurs querelles pour
voter des lois militaires, sociales, coloniares ou linguistiques,
elles ont, en général, mené I'une contre I'autre une lutte de tous
Ies instants. Les catholiques ou cléiicaux surent maintenir vic-
torieusement leur bloc, malgré une opposition Iatente entre
vieille et Jeune-Droite. Les libéraux, socialistes et démo-
crates-chrétiens scellèrent parfois des unions nommées cartels,
rnais plus généralernent, ils s*ivirent une tactique d'action
parallèIe, faite pour lassurer les doctrinaires, les libéraux de
Ia province, terriliés à I'idée d'un rapproehement avec les socia-
listes. Les partis d'opposition affirmaient, avec chiffres à I'appui,
qtte le s. u. pur et sirnple suflirait pour ameter automatique-
ment la chute du gouverrrernent clérical. Aussi tous leurs efforts
portèrent-ils sur la réalisation de cetl,e réforme. ils agirent avec
d'autant plus d'âpreté que les catholiques, rassurés par les
résultats des élections cle l8g4, se rnettaient en devoir de
détruire les derniers vestiges rltr régime scolaire de tg?g. En tgg5,
M. François schollaert, ministre <ie l'rntérieur et de I'rnstruc-
'tion publique dans le cabinet De Burlet (1894-1896), fit voter
une nouvelle loi_ organique de I'enseignement primaire
(l* quatrième), d'un caractère ouvertement confessionnel.
Toute école libre obéissant à _ certaines mcidestes conditions
Iégales devenait adoptable et recevait {es subsides gouverne-
mentaux, au même titre [tre les écoles oflicielles et adoptées.
L'enseignement de la religion devenait obligatoire; le père de
famille désirant en dispenser ses enfants devait remplir un
formulaire spécial. Bien qu'il y eût à ce moment encore sz o/o
d'analphabètes en Belgique, la nouvelle Ioi n'envisageait pas
I'enseignement obligatôire !
La loi de l8g5 contribua à aigrir les rapports entre Ie
gouvernement et les grandes villes démocratiques, ces dernières
jouissant , d'une puissante autonornie et n'étant nullement
disposées à capituler devant l'Etat. Dans I'espoir de conjurer
une crise, certains hommes poliLiques M. Beernaert notam-
ment avaient défendu la théorie- d.'une représentation
-:
des partis proportionnelre au chiffre des suffrages (la
R. P.). Le principe en avait été adrnis porrr les élections corrunu-
nales dès 1895, mais jusqu'en tggg le ministère po smet de
Naeyer (1896-1899) maintint, pour les élections générales, Ie
5r8 --
-
scrutin de llste majoritaire (par arrondissement) et le sys-
tème des ball.otta$es (f ). Nommé chef de cabinet, le 23 ian-
vier 1g99, un homme politique courtraisien ultra-clérical, vété-
ran des luttes parlementaires, Jules Vandenpeefeboom (f S4S-
l9l7), proposa la R. P., mais pour les grands auondissements
seulement. C'était là une manæuvre inique, car, loin de rétablir
une juste proportion entre le nombre des électeurs et celui de
leurs manclataires,. elle vlsait à entamer Ia posit'ion, jusqu'ici
inébranlable, des libéraux dans les grandes villes. Aussi les
Gauches réclamèrent-elles I'ajournement du projet (12 mai).
En juin, il y eut de I'obstruction au Parlement et des manifes-
tations clans les rues. Bref. le 5 août t899, M. Vandenpee-
reboom tombait et rentrait peu après dans la vie privée. En
novembre, le second cabinet De Smet de Naeyer (1899-1907)
acceptait la R. P. pour toutes les circonscriptions électorales
du pays.
Alors que les éléctions générales de 1898 ava.ient introduit à
la Chambre 112 députés catholiques, 12 progressistes et 28 socia-
listes, celles de 19oo, faites selon le nouveau système, élirent
g6 catholiques, 33 libéraux et 33 socialistes. c'était un beau
rédultat pour les Gauches. Mais le régime de la R. P. cristalllsa
les positions des divers partis. L'opposition dut se cantonner
dans le domaine ingrat de la résistance à outrance' sans grandes
perspectives d'amener un large revirement dans I'opinion. Elle
eut cependant des leaders éminents : Paul frymans, chef de la
fraction libérale doctrinaire, héritier des élégantes traditions par-
Iementairers de l'époque de Frère-Orban; Ful$ence Masson et
Louis Franck, l'un Wallon, l'autre Flamand, libéraux défen-
clant avec chaieur et talent leurs conceptions; le vieux chef
progressiste Paul Janson, tribtrn à face léonine, éveillant une
impression de tbrce et de ténacité; Geor$es Lorand, polémiste
ardent et convaincu; Emile Vandervelde, chef de la fraction
socialiste, orateur au geste sûr, au regard fascinateur; HeCtOr
Denis, sociologue spécialisé dans l'étude du positivisme;
Jules Destrée, qui répandit le gofrt de la science, des arts et
des lettres parmi la population ouvrière du pays de Charleroi;

(1) Ire ballottage est un tour d-e scrûtin complémeutaÛe opéré lorsque la
première électlon n'a donné la maiorité absolue à aucune liste ou à aucun
' oantlidat'
__ 519 ---

Edouard Anseele et Louis Bertrand, orateurs sortis des


rangs du peuple.
Au printemps de )^g}2, toutes les Garlches, y compris le
groupe doctrinaire, enfi,n rallié à la formule progressiste, for-
mèrent bloc et réclamèrent impérieuseinent Ie S. U. pur et
simple. Les masses populaires socialistes se persuadèrent qu'un
puissant mouvement de grève et des manifestations dans les
rues amèneraient les cléricaux à capituler. il n'en fut rien. Le
cabinet De smet réprima les troubles. Alors qu'en rgg3 Ia garde
eivique, milice bortrgeoise chargée du serviee d.'ordre intérieur,
avait exercé une action conciliatriee,.cette fois elle manqua de
sâng-frbid. Les désordres davril.ne firent donc qu'éloigner la
moyenne bourgeoisie, élément timoré et flottant, de la cause
démocratique. tes élections de tg02 firent remonter ra majorité
eatholique de 2O à ZG voix.
Depuis lors, cette majorité était insensiblement retombée
à 20 (1904), à 12 (1906), 8 (1908) et 6 voix (1910). M. Schoilaert,
ehef de cabinet de lg08 à lgf f , se risqua,néanmoins, en mai lgll,
à mettre en avant un nouveau projet de loi scolaire, dans le but
. de placer sur le pied de la plus complète égalité les écoles Iibres
et les écoles offieielles. Les Gauches formèrent aussitôt un bloe
de résistance et de tempétueux meetings furent organisés dans
les grandes villes. c'était Ia première fois que Ie roi Arbert
sê tçouvait devant une situation tendue. il agit avec un taet
parfait et se garda d'eneourager le Premier dans son entreprise
aventureuse. M. schollaert rlémissionnâ en juin et eut, pour
successeur M. De Broquevilleo le dernier de nos chefs de cabinet
avant Ia guerre (l).
M. De Broqueville représentait, dans le parti clérieal, la
nuanee Jeune-Droite, beaucoup plus large de conceptions que
le groupe immobiliste du vieux leader Charles \Moeste (Z). La
Jeune-Droite ne redoutait pas une action eommune avec les
libéraux sur le terrain de la détense nationale, ni même avec
Ies socialistes en matière de législation sociale. par sa tactique
souple et opportuniste, elle subtilisa en quelque sorte aux
Gauches leurs plateformes électorales, tout en restant fidèle

(l) Retiré à Louvain après sa retraite, M. schollaert cst mort en tr'rance,


en 1918.
(2) M. \il'oeste est mort à Bmxelles le 5 avril lgZZ.
_520_
aux principes conservateurs. Bon orateur et esprit net, M. De
Broqueville laissa tomber le projet exécré du < bon scolaire r.
En mai 1912, les Gauches lui livrèrent un ardent assaut. Elles
avaient formé une coalition étioite. Jarnais leurs espérances
n'avaient paru plus justifiées. Nlais, eomme en 19O2, l'âpreté
combative des socialistes, jointe à I'anticiéricalisme des libéraux
radicalisants, épouvantèrent les libéraux timorés. Le scrutin
de printemps désigna r01 députés catholiques, 44 libéraux,
89 socialistes, 2 démocrateS-ehrétiens. La majorité remontait à
seize voix ! La déception populaire se traduisit par ciuelques
troubles. Le gouvcrnement rappela des classes de milice et
réprima les désordres avec rigueur.
Le ? février 1913, la Chambre refusa, par 99 voix contre 88,
de prendre en considération une proposition de revision consti-
tutionnelle en faveur du S. U. intégral. Les socialistes décidèrent'
sans reneontrer I'adhésion de la bourgeoisie libérale, d'avoir
recours à la grève générale. Le mouvement,longuement préparé'
éclata le 14 avril et fut soutenu, pendant une dizaine de jours,
par près de 400,000 grévistes. Ce fut à ce moment qu'eurent lieu,
le 2l avril, les funérailles de Paul Janson. Elles empruntèrent
aux circonstanees un earactère émouvant. Le 24,.sur une pro'
messe.tl'exâmen bienveÏllant de la qtrestion par une commission
parlementaire, le Parti Ouvrier vota la reprise du travail.
Pendant les années 1918-1914, les Gauches eurerrt la satis-
faction morale de voir réaliser par le parti aclverse deux points
essentiels d.e leur programme : le service $énéral, par la loi
rnilitaire de 1913; I'instruction obli$atoire, par la loi sco-
lalre sur I'enseignement primaire de 1914. Les élections
de printemps, en 1914, firites sur la base d'une action parallèle
des Gauches, avaient de nouveau entamé la majorité. Le pays
évoluait lentement, mais certainemettt, vers le S. U., lorsque
les événements de juillet-aofrt fgl4 vinrent le plonger dans le
malheur.
CHAPITRE III
L'EVoLUTIoN ÉcowoMIQuB
DE LA BELGIQUE, DE 1831 A t9t4

Agttitudes du peuple be.Ige en matières économiques (pp. gzr


et 522). Etat de I'agriculture (pp. EZZ et EZI), Aspect du
-
pa?ls au début du xxe siècle (pp. 5da et 524). -
Etablissement
du Ttremier chemin de fer [5 mai t8S5] (p. 524).-
cation d,es aoies de communication (p. 5pa). - Multipti-
Le corrunerce
- aers le kbre-
et I'industrie belges éuohtent ùt, protectionnisme
échange (pp. 525 et 526). progrès des institutùons cormneî-
ei,ales et fi'nancières
--
(pp.526 et EzZ).
'Les Etat d.u comm,erce à
la aeiLle dE Ia guerre (p. EZZ,1. _ -
ports brtgeg; Anrsers
(pp. 527 et 528). Etsolution de I'industrie; son état à Ia aeilte
-
dc Ia guer.re (pp. 529-5Sf L,eupansion belge (p. 5Sl).
).
-
n Je ne Buis pas de ceux qui red.outent
le développement d.u commerce et de
: t#iïî'iiî;;.T',crois Qu'un pavs riohe est

'
"'T'iiiJ""*;,""" 1 :3'I"il
tallations marjtimee de ",l3:'
*:
Gand, le
. 4 septembro 1991.)

Le libre peuple belge ne se laissa pas absgrber par les ques-


tions politiques. Bien au eontraire, Ies rnasses auraient pu
eneourir,Ie reproche de ne pas prendre en assez grande consi-
dération les problèmes dont dépendent le bonheur et la force
des sociétés. Mais cette réserve faite, quel sujet d'admiration
que l'épanouissement de notre natioh dans tous les domaines
économiques, depuis l8B0! Délivré enfin de ses entraves, ce
--- 522 *
peuple bien d.oué, énergique, tenace et laborieux, se consacrâ,
à la mise en valeur de ses richesses économiques avec la fougue
d'un conquérant. Quoique insuffisamment préparé au point de
vue de I'instruction générale et de la tbrmation technique scien-
tifiqueo quoique porté par son caractère intlépendant à rejeter
la méthode et la théorie, il trouva dans ses aptitudes naturelles,
sa perspicacité debrouillarde, son flair des possibilités' son opti-
misme et son endurance, tous les éléments du succès'
Au début du règne de Léopold Ief, la Belgique traversa une
pério<te critique au point de vue matériel. L'agriculture subit
ie ôontre-coup de la'misère générale. D-e plus, une maladie
de la poinme de terre provoqua en Flandre une disette affreuse,
de 1845 à 1850. Léopold Ier et Rogier n'épargnèrent aucune
peine pour la coniurer.
La classe rurale a tiré grand profit du fait que, de 1884 à
1914,le pouvoir est resté constamment aux mains du parti dont
elle appuyait la cause. En sa faveur furent votées, de 1887
à lBgS; des mesures à tendances protectionnistes, frappant de
légers droits d'entrée I'importation du bétail, de la viande et
<le certaines céréales. Grâce à une forte organisation de <' Boerm'
bond.en (l) o, de coopératives de production, de caisses de crédit,
de sociétés d'assurances, la classe agricole put fournir un effort
donnant un maximum de rendement avec un minimum de
risques. Nos paysans possédaient, par tradition, une technique
excellente. Le gouvernement veilla à répandre la connaissance des
nouvelles machines agricoles : faucheuses, moissonneuses, etc.,
des engrais chimiques et des méthodes de culture les plus
rationnelles. L'Institut agricole de Gembloux fut une création
très utile. Par des foires, des concours, des expositions de pro-
duits agricoles, l'émulation fut entretenue parmi les agricul-
teurs et les éleveurs. La Betgique devint le pays le mieux
cultivé et le plus productif de I'Europe. En 1914, plus
d'un million deux cent mille agriculteurs peuplaient et même
surpeuplâient, avec leurs familles, les innombrables villages des
campagnes flamandes.
Résumons la situation de I'agriculture en Belgique à la veille
fle Ia guerre. La $rande culture y est assez rare et les terres
de plus de 30 hectares y sont peu nombreuses. sur les 944'000

(1) IrlCuos d'agrloulteurs.


52it
- -
hectares de bounes terres que nous possédons ,48 o/L sont divisés
en lots de I à 3 hectares. La hiérarchie rurale eomprend : Io un
certain nombre de hobereaux et de riches propriétaires bour-
geois mettant eux-mêmes leurs terres en Valeur; Zo la masse
des paysans locataires de petits lots; 3o la eatégorie des ouvriers
agricoles, parmi lesquels beaucoup de tâcherons allani, chaque
année, faucher les récoltes en Beauee et dans le Nivernais.
Depuis assez longtemps notre agriculture souffre du manque
de bras, par suite des progrès cle I'intlustrie à dornicile et de
la séduction exercée sur les hommes des champs par les salaires
de la grande industrie urbaine.
Comme le bon Guichardin au xvre siècle, Ie voyageur par-
courant la Belgique pouvait s'émerveiller à I'aspect opulent et
soigné de nos campagnes, avec leurs champs bordés de saules
ou de peupliers, leurs routes plantées d'ormes, leurs villages
tapis dans la verdure, leurs châteâux et leurs riants cottages.
Chaque région avait sa physionomie bien nette. Le long du litto-
ral s'étendaient à perte de vue les pâturages des polders, où
paissait un bétail renommé. Dans la vallée de la f,ys, les plan-
tations de lin alignaient leurs bandes bleutées, tranchant sur
le vert franc des larges feuilles du tabac. Autour de Gand, des
pépinières, célèbres tlans le monde entier, témoignaient drr
haut degré de perfection atteint par notre culture horticole.
Le pays de Waes, terre d'éleetion de Ia petite culture , éta,it un
vaste potager oir voisinaient toutes les variétés de plarrtes
légumineuses. Dans la vallée de la Denclre, le houblon pen-
dait en guirlandes au long de hautes perches et les fleurettes du
colza striaient le sol de leurs raJrures dorées. Dans la zone
sablo-llmoneuse, s'étendant de la Flandre et du Hainaut aux
confins orientaux de Ia Hesbaye, des successions de plateaux
ondulés offraient au regard d'immenses champs de céréales,
les variétés les plus diverses de plantes fourragères, les
ahghements sans fin des betteraves sucrières, plantes
d'un admirable rapport, eouvrant soixante mille hectares
de terres grâsses. Dans les plaines du Limbourg méridional,
sur les Çoteaux abrupts <lu pays de lferve, des ver$ers s'épa-
nouissaient en bouquets ombrageant de moelleuses prairies.
Et partout, des hauteurs du mont Kemmel aux bruyères de la
Campine, aux forêts de I'Ardenne et aux maigres champs
d'avoine ou d'épeautre de I'Entre-sambre-et-Meuse, pous-
- 524 --
sait la pornme'de terre. Elle couwait cent nonante mille
hectares et suffisait à I'alimentation de toute la population et
du bétail. A côté de I'agriculture, l'éleva$e donnait de gros
bénéfices. La race des superbes chevaux brabançons' de gros
trait, s'exportait vers I'Allemagne et les Etats-Unis. L'expor-
tation chevaline rapportait à elle seule plus de trente millions
de francs annuellement.
Une des préoccupations capitales de Léopold Ier, de Charles
Rogier, de J.-8. Nothomb, ministre des Travaux publics à l'âge
de trente et un ans, avait été de perfectionner notre outillage
éàonomique et surtout d'améliorer nss voies de comrnuni-
cation. Ce fut le 19 juin 1833 que Rogier, à ce moment ministre
de I'fntérieur, déposa un projet de loi visant à la création d'une
ligne de chemin de fer d'Anvers à Cologne. Rogier avait étô
enthousiasmé par la locomotive des frères George et Robert
Stephenson. Mais il dut vaincre une violente opposition, de la
part des adversaires du a remorqtleur )), comme on disait alors.
Les voies ferrées ruineraient le pays en général et les voituriers
en partieulier, affirmait-on avec passion à la Chambre et dans
la presse. Quel gaspillage de terrains fertiles ! Les mines de fer
seraient bientôt épuisées par des commandes de rails ! Le remor-
queur affolerait le bétail et asphyxierait lês petits oiseaux!
Enfin, la loi fut votée le 28 mars f 834. Cependant, renonçant
à son pircjet initial, I'Etat frt construire notre première voie
ferrée entre Bruxelles et Malines. Le 5 mai 1835, jour de
I'inauguration du premier, puéril ct incommode petit train
belge, t'ut une date de fête dont les Bruxellois gardèrent un
inoubliable souvenir.
ff, protecteur par excellence de
Sous le règne de Léopold
notre développement économique, notre pays se couvrit de
chemins de fer et de tramt'ays vicinaux; des canaux ftrrent
ereusés, des rivières t'urent canalisées. Des centaines d'ingé-
nieurs construisirent des routes, des ponts, des viaducs, des
tunnels. Certains de ces ouvrages acquirent une réputation
mondiale, tel I'ascenseur hydraulique d'Iloudeng-Gægnies
près de La Louvière, sur le canal du Centre (construit en 1887).
En 1913, notre pays possédait près de 4O,OOO kilolmètres de
routes (3,250 Km. en 1830), 4,646 kilomètres et tlemi de voies
ferrées, 2,250 hilornètres de lignes vicinales etb,zoo kilomètres
de voies navigables (45o I{m. en 1830).
*BZB-
Àu point de vue la révolution de t88o eut, pour
"orrrÀu""ial,
premier effet de produire en Belgique le désarroi. Les Pays-Bas
nous t'ermaient leurs voies intérieures et I'accès de leurs colonies,
alors que, durant quinze ans, notre activité économique avait
été orientée dans ces directions. A partir de 1842, nos hommes

LA DÉTRESSE DES CHEVAI.IX DE DILIGENCD


(Cabinet d.cs estampes, Bruxelles.l
Le uouveau u chemin de route en fer, (due I'on apcrçoit euu
fond d.u tatlleau) a réduit les chevaux des X{:rssaÊicries royales
à la mendjcit{:. Comme la plupurt des caricatures clo cette
époqtre, celle-ci est de facture assez g:rossière.

d'Etat cherchèrent à nous retirer de l'ornière par une poli-


tique protectionniste. Ils frappèrent de tlroits prohibitifs de
30 à. 60 '/o ad ualorem les fils et les tissus, de 85 l,f les verres èt
les fers travaillés. Cette politique fut nuisible. L'explosion révo-
lutionnaire européenne de 1848 provoqua, par surcroît, une
crise industrielle qui vint se greffer sur la crise agricole dont j'ai
parlé plus haut. En 1851, le ministèré Rogier-Frère-Orban
*526_
entama une eampagne. énergique en faveur des principes libre-
échangistes de l'école de Manchester. Par des conférences de
spécialistes et des réunions publiques, il sut amener un revi-
rement dans I'opinion. En I.865, le gouvernement belge publiait
un tarif général, frappant de simples droits fiscaux les impor-
tations.étrangères.
Depuis lors, la Belgique est restée un pays de libre-échanEe.
Ses principaux elients étaient I'Angleterrb, la Franeeo I'Alle-
magne! les Pays-Bas et les lltats-Unis. Ne consommant que la
quatorzième partie d.e sa production industrielle, il était
indispensable pour elle d'entretenir d'excellentes relations avee
tous ses voisins. L'esprit hospitalier et franc de ses habitants
aidant, elle avait toléré, encouragé même, la création sur son
territoire de multiples firmes commereiales étrangères. Dans
les dernières années, la concurrence allernande atteignait
ehez nqus de si vastes proportions que I'opinion publiqtte s'en
était préoccupée. f,a masse des gens d'affaires était néanmoins
loin de se douter que cette concurrenee économique n'était
encore que le prélude sottrnois d'une gigantesque entreprise
politico-impérial iste.
T,éopold Ier avait toujours invité ses ntinistres à persévérer
dans leurs efforts pottr perfectionner le commerce extérieur et
intérieur. Sous son règne eut lieu la réforme tnonétalre (1832),
qr-ri remplaça le florin par le franc du type français; il fit
organiser les charnbres de comtnerce (f841) et poser les
premiers fils télégraphiques (f &46); en l8B5 et 1840 eurent
lieu des réforrnes postales; la Banque Nationale fut fondée
en 185O; le régime des consulats datede l85l1enfin, en 1860
et 1867, l'Etat supprima suecessivement les droits d'octroi et
de barrière. '

' Léopold II poursuivit I'ceuvre entreprise par son père. Iln


1884, un réseau téléphonique interurbain centupla la
rapidité des trahsactions d'affaires. Bientôt, ee réseau devint
international. Dans les dernières.années de son règne,le roi eut,
parmi ses ministres, des hommes particulièrement versés en
matière de finanees et d'affaires de grande envergure. Ce fut Ie
cas pour M. Paul De Smet de Nayer 1f rsra comme directeur
de la < Société Générale >, institution de erédit des plus puis-
santes).. Sous I'impulsion de ces grands capitalistes, la Belgique
devint un centre bancaire. Depuis 1008, le régime anglais des
-- 527
-
clearing houses (les'chambres de compensâtion) accéléra et
simplifia les échan$es internationaux de lettres de crédit.
Sans doute. il restait aux Relges beaucoup à faire. Ils n'avaient
guère de ûrarine marchande, ils manquaient flans l'91-
semble
- se mon-
de préparation cornnlerciale scientiflque,
-
traient nonchalants dans l'étude des marchés étrangers et ne
s'y aventuraient qu'avec trop de eirconspection. Cependant,
depuis 1885, ils avaient fait des progrès énormes. Dans les pre-
mières années du règne plein rle sollicitude d'Albert Ier, nous
avions atteint le quatrièrne ran$ parmi les nations commer-
çantes de I'llurope et même le second rang, au point de vue
du commerce par tête cl'habitant (?2O francs). Les statistiques
parlent, à cet égard, un langage éIoquent. Notre cornmerce
$énéral, comprenant le transit, se chiffrait,
:
pour l'lurontlTroN pour I'expoRTÀTroN :
en 1831, à fr. 98,OO0,OOO à'fr. 1O4,5O0,O0O
enlS?1,à u 2,411$,O00,000 à ( 2,058,0Q0,000
en 1911, à )) 6,806,400,000 à,.,' 5,879,80O'OOO

Après cette année exceptionnelle, les chiffres avaient fléchi


quelque peu.
ces résuJ.tats étaient dus en notable partie au souei de l'Etat
et des particuliers de développer nos ports. A Gand, les tra-
vaux d'agrandissement du canal cle Terneuzen dataient de 1881 ;
les travaux de Bruxelles port de rner avaient été mis en adju-
dication en 1900 et progressaient d'une manière constante;
en l9O7 avait eu lieu l'inauguration des ports de Bru$,es et
de Zeebru$$e, eùtreprise coûteuse et sans grand avenir;
Ostende avait largement étendu ses installations maritimes
en 1905 et, grâce à ses < malles u rapides, restait le port de pré-
dilection des Anglais se rendant sur le continent, malgré la
concurrenee fïançaise et hollandaise. ,
Fidèle à ses traditions, Anvers était redevenue I'orgueil de
la Belgique. Située au bord d'un fleuve assez profond pottr porter .

de grands navires jusqu'à ses rit'es, elle était, comme au xvre siè-
cle, <t l'étape I du rnonde ciyilise. Toutes les routes naturelles
du continent : d'Italie, par la Suisse et les bords du Rhin,
d'Alsace, de la France et clu Nord aboutissaient à ses quais.
C'est par ses entrepôts que passaient les marchandises angla,ises,
I

___ 528 _
américaines, égyptiennes et hindoues. Aussi, que de soins con-
sacrés à ce port ! En tB5B, le bourgmestre Loos fait creuser
les bassins du r(attendijk. Dix ans plus tard, Rogier, aidé par
le baron Larnbermont (t lg05), secrétaire général au ddpar-
tement des Affaires Etrangères, obtient du gouvernement hol-
Iandais le rachat du péage sur I'Eseaut' (l florin et demi par
tonne), pour la somme de 86 millions de francs. Léopotd rr suit
attentivement les discussions précédant le vote en 1906
-
de Ia loi associant au perfectionnement de Ia défense -
de notre
< réduit national >, I'extension de ses installations mari-
times. ces travaux, en pleine voie d'exécution lorsque com-
mença Ia guerre, devaient allonger de plus de g kilomètres Ie
quai actuel,longeant I'Escaut sur une étendue de 5,800 mètres.
Au lieu de 2t kilomètres et demi d'accostages à quai, nous
devions en avoir soixante !
Mais déjà sans ees améliorations, quel traffc qué celui de
notre opulente carthage à Ia veille du conflit mondial ! Alors
que' vers l840,environ quinze cents navires, jaugeant au total
deux cent quarante mille tonnes, y rerâchaient ànnuellement,
le tonnage d'Anvers était monté à près de six millions et
demi de tonnes en rBgS et à prus de quatorze millions de tonnes
en l9r8 (r).
Escale des plus puissantes lignes de navigation du monde,
dotée d'environ cent cinquante services réguliers de bateaux à
vapeur' centre d'émigration, Anvers exportait la houille, Ies
maehines, les produits industriels, Ies sueres du pays et de
l'étranger. Illle importait les céréares de Boumanie, le chanvre
et les rgrains de Russie, les bois de scandinavie, Ies blés et, le
coton des Etats-unis, Ies cafés du Brésil, les laines et les peaux
de Ia République Argentine,l'ivoire et le caoutchouc du congo,
Ies cotonnades de Ia vallée du Nil ! comme au temps de charles-
Quint, Ies Anversois étaient, courtiers, entrepositaires, partbis
industriels, mais rarement chefs de firmes commereiales. Ils
étaient largement, loyalement, insoueiammènt accueillantq pour
Ies étrangers. ce fut Anvers en particulier qui fut pour les Alle-
mands le champ d'action de Ieur < infiltration pacifique >, phase
première de toutes les invasions germaniques!

(1) Eu t922, le mouvement maritimo d'Anven a atteint 9,32g naviroe


de mer ayeo uno jauso totole d.e 15,64?,884 tonnee.
529 --
La perte du marcbé hollandais fut, en rg8l, *n coup terrible
pour notre jeune industrie nationale. cependant, Ia prospérité
des. établissements cockerill en lg85, la création des premiers
chemins de fèr, provoquèrent l'affiux de nombreux capitaux
dans les entreprises industrielles. Mais vers 1g40, une nJuvelle'
erise résulta cle divers éléments : Ia eoncunence des filatures
mécaniques anglaises ruinant Ie travail de nos fileuses au
rouet;
Ies progrès du tissage à Ia machine diminuant ia
main-d'æuvre I
un régime protectionniste eontraire à nos intd.rêts; la crise agri-
cole de 1845-1850. Le cabinet Rogier-Frère-orban dut
assister
le tiers de la popuration des Frantrres, fournir des secours à
quatre cent mille chômeurs, soutenir le patronat par des avances
de crédit et prendre des mesures contre le vagabondage.
Le triomphe du machinrsme donna un fantastique
à notre "rsb" employait
inclustrie depuis rgg0. En rg30, celle-ci
4O0 machines à vapeur, représentant I2,000 chevaux_vapeur
(t);
en l9l3'lgl4, elle 2g,000 machines à vapeur, avee une
'tilisaitchevaux-vapeur.
force totale de P,800,000 Depuis tgg6,Ie gou-
. vernement prit soin d'élaborer une irnportante tégist"iton
ouvrière (2).
En lgl4, un million cinq cent mille personnes vivaient de
I'industrie en Belgique. La Flandre orientale était restée
le
centre de I'industrie cotonnière et llnière. Gand et Ies
petites villes de wetteren,Termonde, saint.Nicoras,
Renaix, etc.,
possédaient quantité de filatures et de tissages de
coton,
fabriquant des cretonnes, des cotonnettes, des coutils et des
satins. A Gand aussi, et dans la région de couùrai-rseghem,
se
fabriquaient les fines toiles de lin, les batistes et les linons,
A I'autre extrémité du pays, verviers etait demeurée re centre
de I'industrie lainière. En rgzg, la construetion du
barra$e
de la Glleppe, mur long de 285 nrètres et haut de iLL,
avait
faeilité le lavage des laines dans la vallée de Ia vesdre. Dans
la vaste cuve s?étendant de Limbourg à Ensival se confection-
naient toutes les variétés de draps rourds, de casimirs
(draps Iégers en laine fine) et d'étoffes de fantaisle.

o1 cheval'vapeur : foroe capabro d.e produiro uù travail de z5 kilogram-


mèt'res, o'est-à'd'iro do soulever, en une seconde,
un pord.e de 75 k'ogramtrreg
à un mètre do hauteur.
(2) Voir lo chapitre y.
530
-
Sans insister sur nos mines métalliques en pleine décadence
ni sirr nos carrières de Lessines (pavés en porphyrite), d'Ecaus-
sines (petit granit) et de Quenast, sans parler de nos marbres
de la vallée de la Meuse, ni de nos ardoisières des bords de la
semqis, je citerai en première place de nos industries extrac-
tives j ies houillères du Borinage, du Centre (région de La
Louvière), de la Basse-sambre et du pays de Liége. En 1908'
ces quatre bassins occupaient cent quarante mille ouvriers des
deux sexes et produisaient par an vingt-trois mrllious et demi
de tonnes de charbon. Notre pays figurait ainsi au sixième rang
des Etats charbonniers, sans compter le bassin houiller call.-
p_inois, découvert en 1902 par le géologue liégeois André
Dumont.
Puissante parmi les plus puissantes, notte industrie sidé-
rur$ique et mécantque employait près de cent qùarante mille
o,.o"i""r. Alors que nos centres textiles, avec leurs immenses
bourgades d'aspect semi-rural, avaient une physionomie fau-
bourienne, banale et maussade, I'industrie métallurgique
déployait sa force dans des cadres sombres mais grandioses.
A côté des teÛils pyramidaux des charbonnages se dressaient
les silhouettes embrasées des hauts fourneaux et des usines.
Dansce(paysnoirrcouvertdesuierfumeuxetcorrodé,les
villages aux maisons basses et uniformes, constituaient une
seule immense agglomération, de Mons à Quiévrain dans le
Borinage, d.e Ræulx à Fontaine-l'Evêque dans le centre, de
Marchiànne-au-Pont à.Tamines dans la vallée de la Sambre et
de Flemalle-Haule à Herstal dans la vallée de la Meuse. A
seraing, les uslnes cockerill, fabriquant des locomotives, des
rails, Jes chaudières, des armes, occupaient dix mille ouvriers.
Je ne puis énumérer ici les entreprises construisant les tranr-
ways àlectriques, les ateliers de constructions mécaniques :
*oi"r"., chaudières, charpentes, ponts; les fonderies, Ies lami-
noi1s, les tréfileries, les clouteries. Dans ces mêmes régions, la
verrerie occupait vingt-trois mille ouvriets. I)ans la cuve de
r,iége, vingt mille ouvriers -- travaillant à domicile - étaient
emfloyés dans l,armurrrie. Ce formidable développement
ind,ustriel, outre qu'il favorisait I'extension pléthorique des
milieux ouvriêrs, avait pour effet d'amener de grands dépla-
cements d.e travailleurs. Par suite des tarifs à bon rnafché
des parcours en chemin de fer, le nombre des ouvriers
*- 5Bl ---
flamands allant travailler dans les mines et les usines du Hai.
naut était devenu énorme.
Dans les campagnes, les industries a$ricoles : brasseries-
malteries, meuneries, minoteries, fabriques de chicorée, fabri-
ques d'engrais chimiques, amélioraient également de jour en
jour leur situation. A elle seule, lïndustrie sucrière employait
plus de vingt mille ouvriers.
A côté de ces centres nettement déterminés, certains milieux
urbains formaient une mosaïque des industries les plus diverses,
où figuraient au premier plan les industries d'alirnentation
(plus de nonante mille ouvriers et employés), les industriés du
bois et de I'arneublement (près de nonante mille salariés), Ies
industries de luxe, telles que la carnosserie,la ganterie, la den-
tellerie et la'maroquinerie. Le travail du bâtiment attirait vers
les grandes villes soixante mille ouvriers, dont beaucoup de
Wallons.C'est bien à tort que I'on qualifiait Anvers de ville exclu-
sivement commerciale. Bruxelles, dite < ville de luxe r>, occupait
avec ses faubourgs et les eommunes riveraines de la Senne, près
de cent mille ouvriers ! Enfin, le tourisrne international avait
encore intensifié Ia production écononrique. Le rendement cle
Ia pêche rnaritlrne ne représentait qu'une inrt bien faible
des ressources de nos pla$es du littoral : Ostende, Blanken-
berghe, etc., devenues cé[èbres dans le monde entier par leur
luxe et Ieur prospérité.
Notre puissant effort industriel ne se cantonna pas dans les
Iimites de nos frrcntières. fnnombrables t'urent, au début du
xxe siècle, les entreprises de chemins de fer vicinaux, de
tramways électriques et d'éclairage, mises sur pied en
Europe par des Belges. Un milliard fut consacré à notre expan-
sion industrielle en Russle et, de l8g0 à 1900, près de vingt
mille de nos compatriotes émigrèrent vers cet immense pays.
En Egypte, en Perse, au Siam, en Chine, les Belges oecupèrent
aussi une place importante. Léopold fI obtint notamment pour
eux la coneession de la construction du chemin de t'er de Pékin
à Han-Kéou.
CHAPITRE IV

L'EXPANSION COLONIÂLE
DE LA BELGIQUE, DE 187'6 A 1918

R6le de Léopolil II au point de aue d,e I'eæpanvion belge (pp. rgz-


584\. L' As so cùat:isn, Interrt'ation ale Africaine f187 8] (p. 5aa).
Le- Comité d'études du Haut-Congo ll878f (pp. 53a et 585).
- L'Association Internationale du Congo [f882] (p. 585).
-La CanJérence de Berlin -
[fSS4-1885f; I'Etat Indépmdant ù't'
Congo (pp. 5,35 et 536). Les etplorations, de 1885 d 1910
-
(p. 536). Fiæation des frontières du Congo (pp. 536 et 587).
-
La carnprye arabe [1892-1893] (pp. 587'5391. Tm'
-dances host:iles -
I'anneæion du Congo en Belgique (p. 589).-
èr,

18 ocbAre I908 : reprise du Cango (p. 5S9). Etat de la col'onie


au, m.onùerzt de l'annetion (pp. 539-54f).
- Le Congo dq f908
à 1e18 (pÈ. 541 et 542\.
-
t L'entreprise cong:olaiso est une ceuvre
à laquelle il no manquo plus que le reoul
Pour être aPPréciée à
ff'ffi:Hi"Scles
(Rnvun DEs DntTx-Moxons.)

Dans les siècles passés, il n'avait jamais été permis aux


Belges de déployer leurs aptitudes colonisatrices. J'ai déjà
signalé quelques-uns de leurs vains essais (Açores, Saint-
Domingue, îles Brabant). En 1624, quelques agriculteurs et
artisans wallons, conduits par un certain Jesse de Forest,
doAvesnes (Ilainaut), fondèrent le territoire de la Nouvelle-
Belgique à I'embouchure de I'Hudson. Peu après, des. colons
hollandais, transportés par les soins de Ia Compagnie des
*53S_
rndes'occidentales, submergeaient par leur nombre les premierrr
immigrés et transformaient la bourgade de Neuf-Avesnes en
Nieuw-Amsterdam (1). Quelques petites tentatives, de fg42 à
1848, avaient piteusement échoué. s'il fut possible à notre
pairie de prendre, en 1908, le quatrième rang parmi les puis-
sances colonisatrices du globe, ce fut grâce à Léopold II.
A son avènement, ee roi avait promis de rendre la Belgique
< plus belle et plus grande r. trl consaera sa vie à h réalisation
de cet engagement. Léopold II avait un tempérament volon-
taire. rl suffisaii" de voir sa hdute sature, sa longue barbe blanche,
son visage de marbre et son regard aigu, pour en recueillir
I'impression d'une personnalité dominatriee, née pour réaliser,
sans attendrissements ni faiblesses, des æuvres fortes et dura-
bles. rl n'avait pu satisfaire son gofrt de I'action personnelle
dans le domaine politique; Nos usages constitutionnels s'y oppo-
saient et d'ailleurs,lorsque
- Parlement en matière -deildéfense
dans I'intérêt du pays voulut
peser sur les résolutions du
militaire, il se heurta à une opposition otr la mesquinerie dispu-
tait le pas à I'inintelligence. Il dut donc se,consacrer aux ques-
tions de travaux publics et d'expansion économlque. Il
avait pour cela toutes les'aptitudes nécessaires : la volonté de
réussir, I'ampleut des coneeptions unie au sens des réalités,
I'habileté diplomatique, I'esprit d'opportunisme. il voulait créer
pour la Belgique industrielle de nouveaux debouchés, doter sa
patrie d'une marine marchande portant notre pavillon dans
tous les ports du monde et en ces temps de colonisation à
outrance -
lui offrir un vaste domaine eolonial, source de
- foyer d'énergies. Malheureusement,
richesses et il était souve-
rain d'un pays exigu aux ambitions timides; la plus grande
piartie de son existence fut contemporaine d'une époque otr les
Belges passaient graduellement de leur vie provinciale et étri-
quée de jadis à la cosmopolite, trépidante et fiévreuse existence
des débuts du xxe siècle. fl ne fut donc souvent ni compris, ni
suivi par Ie public de conceptions nloyennes. Dans certains
milieux, I'habitude se prit de dénigrer . systématiquement les
projets du roi et ses actes, tant publics que privés. Ce mauvais
vouloir amenq I'altier monarque à se désintéresser, en apparence

(1) En 16?4, les Anglais ù leur tour débapilsèrent Nleurv-Amsterdam et


en firent New-York.
--- 534.
-
du moins, de la vie quotidienne des Belges. Dans les dernières
années de son existence, il résida presque constamment à
l'étrangèr et véeut solitaire, en grand seigneur hautain et
sceptique.
Vers 1875, I'attention des hommes d'Etat européens com-
mençait à se diriger vers I'Afrique,le riche et mystérieux < eon-
tinent noir r. Léopold II avait pressenti tout I'avantage tiu'il
y aurait pour nous à y prendre pied avant que les appétits des
grands Etats voisins fussent déchaînés. La tâche était délicate,
car il s'agissait de ne pas éveiller de soupçons prématurément.
Le 12 septembre 1876, Léopold II réunit donc à Bruxelles une
conférence $éo$,raphique internationale de savants et d'ex-
plorateurs, auxquels il proposa d'élaborer un plan commun
d'exploration du eentre de I'Afrique. L'entreprise se justifiait
par des considérations d'ordre scientifique et humanitaire.
Ainsi fut fondée I'Association Internationale pour la civi-
lisation et I'exploration de I'Afrique centrale (Association
Internationale Atricaine).
Aussitôt les divers comités nationaux se mirent à I'ceuvre,
chaeun d'eux nourrissant des arrière-pensées politiques. Le
comité bel$e prit pour centre d'action Ia région eomprise
entre ZanzTbar et le lac Tan$anika. Il organisa cinq expé-
ditions qui se heurtèrent à de grandes difficultés et eurent peu
de succès. Cependant, le lieutenant Cambier, faisant partie
de I'expédition du capitaine Crespel, atteignit Karema, sur
la rive orientale du lac Tanganika (f878).
Sur ees entrefaites, un explorateur américain, cl'origine
anglaise, Henry Stanley (184f-19O4), avait traversé I'Afri-
que en neuf cent nonante-neuf jours, de 1874 à 1877, longeant,
depuis Nyangwé, la vallée du Con$o, jusqu'à son embouchure.
L'énigme du cours du Congo (Zafue ou Livingstone) était par
là même résolue. Avec rrne sûreté de décision admirable, Léo'
pold II porta aussitôt son attention vers ce fleuve long de
4,600 kilomètres et son vaste bassin. Il se hâta d'entrer en
relations avec Stanley, de s'asburer son concours et fonda,
en 1878, une soeiété en participation, le Comité d'études du
Haut-Congo. De 1879 à 1884, Stanley, aidé d'un groupe de
pionniers intrépides, parmi lesquels bon nombre de Belges,
explora méthodiquement la région du Congo inférieur, depuis
Banana. IJne route fut tracée de Vivi à fsanghila, à traVers la
535 --
chaîne côtière, air prix de difficultés surhumaines. 'Dans la
région plane du Stanley-Pool, la station de Léopoldville fut
fondée à I'endroit où le Congo devient navigable. Bientôt une
flottille de petits steam,ers sillonna le fleuve. Au fur et à mesure
qu'il avançait et créait des établissements, Stanley concluait
des traités (plus de cinq cents en cinq ans) aveo les roitelets
indigènes. Il agissait toujours au nom de a I'Assoôiation > et
e'était le drapeau bleu étoilé d'or de cet organisme qu'il plantait
sur tous les territoires otr le conduisaient ses rapides progrès.
Toute cette æuvre,était menée sans bruit, l'explorateur français
Savorgnan <leBrazza, marchant entre temps vers le Congo par
le nord-ouest et les Portugais se préparant à faire valoir sur le
Zaîr.e inférieur d'hypothétiques droits historiques.
En 1882, Léopold II jugea le moment venu de prendre posi-
tion.au point de vue politique. Le < Comité d'Etudes u devint
I'Association Internatlonale du Con$o, société qui se déclara
maîtresse souveraine des immenses territoires riverains du
Congo el. chercha à faire reconnaître ses ciroits par les Puis-
sances. Le 22 avril 1t84, les Etats-Unis reconnaissaient les
premiers l'< Association )) comme autorité gouvernementale.
Le partage de I'Afrique au profir, des nations européennes fut
déeidé dans une !,rande conférence, tenue à Berlin en
f 884-1885, à laquelle assistèrent les délégués plénipotentiaires
de quatorze IJtats. Proposée et présidfe par 1\[. de Bismarck,
la Contërence s'occlrpa surtout du Congo. Les déIégués belges'
MM..Larnbermont et Emile Banning, défendirent avec luci'
dité les droits de l'< Association r à se constituer en Etat indé-
pendant. La Conférence décida que sa reconnaissance comme
tel ne pourrait s'opérer avantrque celui-ci eût accepté certaines
conditions générales : la llberté absolue du cornmerce et de
la navigation dans le bassin du Con$o,la liberté d'établis-
sement, la protection des indi$ènes, la liberté de con-
science, I'interdiction de I'esclava$e et de la traite, la
neutralité perpétuelle.
Le 23 février 1885, I'Etat Indépendant du Con$o adhérait
à ces eonditions, inscrites dans I'Acte $énéral de Berlin.
Successivement, ies Puissances reconnurent la transforma-
tion de l'< Association r en < Etat fndépendant n. Au point
de vue du droit international, le nouvel Etat constituait une
eréation des plus rares. Léopold II, âme de I'ex- < Associa-
--- 536 --
tion fnhrnationale >, en était Ie souverain en même temps que
Ie propriétaire. Il restait à faire reconnaître I'union person-
nelle du Congo et de Ia Belgique par notre représentation
nationale. Son vote fut acquis en avril 1885.
Libre désormais de réaliser ses vastes projets, Léopold If se
mit à l'æuvre, et reneontra auprès de beaucoup de Relges,
notamment tlans les milieux militaires, une coopération vail-
lante et compétente. Le gouvernement cential, comprenant
Ies directions générales des Affaires Etrangères, des Finances
et de l'fntérieur, fut fixé à Bruxelles. Le gouvernement local
fut établi à Boma; sous I'autorité dq gouverneur général,
les diverses contrées étaient régies par des directeurs et des
i4specteurs.
< En avant ! > tel était le nom-d.'un petit steamer qui entrey'rit

de nombreux voyages d'exploration le long des grands cours


d'eau de I'Afrique équatoriale. < En avant ! > telle fut aussi la
devise de eette pléiade d'explorateurs dont IaBelgique est fière.
Je citerai, au hasard : le lieutenant Dhants qui explora le
Kwango; Alexandre Delcommune qui remonta le Lomami;
Paul Le Marinel qui longea le l(asaî et fonda, en 1890, la
station de Lusambo, étape vers les plateaux du Katanga. Dans
le nord, Ie lieutenant Coquilhat s'enfonçait dans le territoire
des Bangalas, entre Ie Congo et son grand affiuent de droite
I'Ubangi, exploré par llanssens et Van Gète. Le rayon des
découvertes augmentant toujours, la splenrlide' région voica,-
nique du lac Albert-Edouard, avec ses cônes hauts de trois
mille mètres, fut parcourue en tous sens; Milz atteignit Ie Nil
et Lernalre fit, en 1899-lgOO, I'exploration approfondie du
Katanga, grand territoire de peuplement sil,ué à une altitude
de quinze cents mètres. Menée avec science et méthode, la colo-
nisation du Congo frt, en vingt ans, des progrès extraordinaires.
Ce développement éveilla parfois le mauvais gré de certains
gouvernements colonisateurs et les questions de delimitations
de frontières firent I'objet de négociations épineuses. Le Por-
tugal conserva la rive sud de I'estuaire du Congo, n'accofdant à
I'immense quadrilatère centro-africain qu'une,issue' Iarge de
quarante kilonrètres, entre I'Angola et I'enclave de Cabinda. En
1887, il fallut eéder à la France toute la rive droite de I'Ubangi.
En 1894, I'Etat fndépendant dut renoncer aux &vantages que
I'Angleterre venait de lui accorder par Ia cession à bail du
-587-
Bahr-el-Gazal, entre I'Uellé et le Nil. Par contre,'Léopold fI
put conserver, à titre personnel, I'enclave de Lado, sur la rive
gauche du lac Albert.
L'occupation du Congo se fit en général d'une manière paci-
fique. La population, de race bantoue, nigritienne (soudanaise),
nubienne et négrille, était de. mceurs relativement douces et
accueillantes. Mais dans la partie or:ientale, située entre le
Lualaba ou haut-Congo et le Tanganika, habitaient depuis une
cinquantaine d'années des Arabes zanzibarites et des métis,
grands trafiquants d'esclaves. Pour mieux remplir les devoirs
que lui imposait I'Acte de Berlin, Léopold fI convoqua, en tBBg,
une conférence anti-esclavaglste à Bruxelles. Cette réunion
internationale éIabora un ry*iè-" général de répression du
trafrc des esclaves (f 89O). A cette même époque, les hostiltés
s'engageaient entre les postes avancés de I'Etat et les ehasseuis
d'esclaves. Les plus importants étaient les chefs arabes Séfu,
sultan de Kassongo (sur le Lualaba), fils du célèbre marchand
d'ivoire Tippo-Tib, et Rachid, son cousin. Aussi perfides et
plus crugls eneore étaient Ies tyrans noirs : Gon$o-Lutété,
dorrt les bandes infestaient le sud de notre colonie jusqu'à
la Sankuru; Munié Moharia, le dévastateur du Manyé-
ma (f ); Kibongé, sultan de Kirundu (sur tS Lualaba),
qui menaçait les Falls et toute la région équatoriale jusqu'à
I'Aruwimi et I'Uellé; Rumaliza, sultan d'Udjidji (2), tyran
redouté de toutes les tribus des deux rives du Tanganika
septentrional.
En f892; les Arabes massacraient la mission du brave
Hodlster, l'explorateur de la Mongala. Séfu s'emparait du lieu-
tenant Lippens et du sqrgent De Bruyne. Chacun sait dans.
quelles circonstgnces le lieutenant Scheerlinck tenta de sauver
De Bruyne et comment l'héroïque sergent, maître de recouvrer
sa liberté, refusa d'abandonner son ehef malade, sans même
avoir la certitude de retrouver celui-ci en,vie. Lippens et De
Bruyne furent peu après assassinés par leurs bourreaux.
fl devenait urgent de prendre des mesures énergiques. Les
difûcultés mdtérielles étaient énormes. Des forêts, des maré-

(1) Territoire oompris entre le Lualaba et la rive occidentele du lac lan-


ganlka.
(8) Udjiùif : rive orientale tlu Tanganlka.
-588-
câges; des brouSses allaient offrir à un adversaire nonbreux et
bien armé des avantages défensifs considérables. La campagne
anti-esclavagiste de 1892-1898 n'en fut pas moins un brillant
succès pour nos armes. Le lieutenant Dhanls, parti de
Lusambo (l), vainquit Gongo-Lutété, qui fit sa soumission.
Mais alors Séfu, suivi de dix mille gueuiers, passa le Lomami.
et vint menacer de front les colonnes éparpillées des lieutenants
Dhanis, Scheerlinck et Michaux.
Je ne puis malheureusement m'étendre ici sur la vaillanee de
cette poignée d'officiers et de sous-offieiers blancs, qùi durent
supporter le premier choc arabe. Ils furent secondés avee un
dévouement admirable par leurs troupes indigènes. $ la fin de
I'année 1892, Sétïr était refoulé jusqu'à Nyangwé, sur le Lualaba.
C'est vers cette époque que I'on vit le sergent Cassart et vingt-
six tirailleurs noirs tenir tête à plusieurs milliers d'Arabes.
Affamés, les pieds en sâng' I'uniforrrle bleu en haillons, mais la
chéchia rouge toujottrs fièrenrent cainpée sur I'oreille et I'arme
au poing, ces braves rompirent le cercle de leurs assaillants et
rejoignirent le gros de leurs ôamarades après des combats
homériques. '
Au début de 1893, les forces de I'Etat entreprirentdes mou-
vements simultanés et'coneentriques. Tandis que Dhanis battait
coup sur coup les Arabes (2), occupait Nyan$'wé (4 mars 1898)
et Kasson$o (22 avril), le lieutenant Chaltitl, venu du camp
de Basoko, au confluent du Congo et de I'Aruwimi, remontait
le Lomami, prenait de flanc les Arabes assiégeant la station
des Falls, délivrait le lieutenant Tobbaek et capturait dettx
mille prisonniers (f 8 mai).
Les opérations .complémentaires furent, 'sitôt la principale
résistance brisée, conduites à grande allure. Parti des Falls,
te 25 juin 1898, en compagnie du lieutenant Lothaire, le com-
mandant Ponthier libéra les imrnenses territoires du haut Aru-
wimi. Ces deux ofliciers capturèrent vingt-cinq chef's et huit
mille guerriers. En vain Rumaliza, .sultan d'Ildjidji, voulut-il
s'opposer aux progrès des Belges, Il iut battu, mâis, hélas, le
eommandant Ponthier fut blessé à mort au cQurs de ces opé-
rations. Lothaire, devenu eommandant, termina cette lutte par

(1) Sur la haute Sankuru, affiuent d.e droite du Kasai.


(2) Munié Moharra périt alans un de ces engagements'
58e
-
une victoire eomplète sur Rumaliza à Kabambaré (dans le
Manyéma), Ie 25 janvier f894. Entre temps Rachid avait été
cepturé, Séfu était tombéo frappé à morto le 17 novembre. La
guerre anti-esclavagiste se terminait triomphalement at'rès une
campagne de dix-neuf mois. Trois années plus tard ttne expé-
dition dirigée vers le Nil par le commandant Chaltin arrachait
Redjaf aux Arabes et aux Soudanais mahdistes (partisans d'un
agitateur religieux, le l\Iahdi), mais cette campagne fut consi-
dérablement entravée par une grande révolte des Batétélas
dc la colonne expéditionnaire, sur le haut Ituri (à I'ouest
du iae Albert). Cette insurrection dura quarante-trois mois
(r8e7-reOr).
En 1889, Léopold II avait fait un testament lé$uant le
Congo à la Belgique. En 1895, une prenrière proposition
d'annexion de l'Etat Indépendant à la Belgique fut déposée à
la Chambre. Elle provoqua une discussion longrre et ardenle.
L'opinion sleffrayait devant ee territoire de 2,350,OOO kilomètres
carrés, quatre-vingts fois plus grand gue notre territoire et
peuplé de quinze à vingt millions d'habitants. Les soeialistes
combattaient la colonisation par principe; les libéraux redou-
taient cles clauses secrètes pouvant entraîner des complications
internationales, d'autres groupes craignaierrt un exiès de charges
financières. Certains abds dans Ie régime foncier et dans la
manière d'utiliser le travail des noirs provoquaient aussi cles
polérniques. Bref, le projet fut retiré.
Mais après quelques années, la Belgique comprit enfln quel
honneur et quels avantages Ia sagacité de f,éopold II lui avait
réservés. Le 2O aofit 1908, la Chambre votait la reprise du
Congo par la Belgique et, le 18 octobre, I'annexion s'opérait
solennellement. Le ministère s'augmenta d'un départernent
des colonies; un Conseil colonial de quatorze membres fut
institué à Bruxelles.
Jamais nation n'eut pareille bonne-fortune : grâce à son Roi,
grâce aux efforts tenaces d'une poignée d'Européens (en 1908,
2,943 blancs habitaient la colonie [f]), la Belgique entrait en
possession d'wr Etat administré avec sagesse et défendu par
une excellente force de police d'environ quinze mille indigènes.
Le Congo et ses affiuents offraient 18,000 kilomètres de voies

(1) En 1022, ce chifrre e'éIevait déjà à, 9,597 (57 7o de Belges),


_540_
navigables, sillonnées par des steamere rapides. Remontant le
eorlrs inférieur du Congo, de Banana à l\{atadi, le voyagegr
passait par Boma, capitale prospère, tête de ligne du chemin
de fer du Mayombé (f). De Matadi à Léopoldville-Kinshasa,
un che:nin de fer, construit en huit ans par le colonel Thys

GHEMIN DE FER DDS GRANDS LACS. - LA POSE DU RAIL

ct inauguré en 18$8, traversait la chaîne cirtière des rrronls


de Cristal ct la région des cataractcs. f)u Stanley-Pool à
Stanleyville s'étentlait, en un arc de cerelc cle l,ti00 liiio-
mètres, le bief navigablc du moven Congo. La région des chutes

(1) En 19?2, le gouverneur général I,ippens a déplacé la capitale de la


colonie de Boma à ï:éopolclvillo'Kineha,ea,
541
-
dites Stanley-I'alls était longée par le chemin de fer de la
Compagnie dep Grânds Lacs, aboutissant à Ponthierville (lon-
guelrr 125 kilomètres; construetion : 1906-1908). Plus en am{rnt,
le ligne de Kindu à Kongolo (S5O kilomètres) permettait d'éviter
une nouvelle série de rapides. f)e longues routes, jalonnées de
poteaux téléphoniques, traversaient les districts les plus vastes
et les pltts éloignés. Sous le vice-gouverneur Wangermée, le
Katanga avait pris un développement spécial et son chef-lieu,
Elisabethville, dépassait en importance lq plupart des ,cités
contemporaines de I'Afrique centrale. Déjà t'âgriculture et
l'élevage donnaient d'excellents résultats; d'autre part, I'in-
dustrie extractive était amoreée atr Katanga. Enfin, les
rnissions, les lrostes de fonctionnaircs et les s'tations militaiies
formaient des centres civilisés d'où I'on menait Ia Iutte eontre
le fétichisme et contre les maux clécimant la race africaine : le
cannibalisme, Ies mutilations, I'ivresse provoqupe par les fumées
du chanwe,la maladie du sonrmeil, Ia variole et la lèpre (f ). De,
f908 à 1914, notre colonie traversa une période heureuse. L'An-
gleterre, qui avait mené une campagne tenace eontre les corvées
et les abus dont les nègres étaient autrefois vietimes, se déclara
complètement satisfaite en 1913.
Les ressources du Congo peuvent se classer en trois catégories :
lo dans les régions de savanes, il y a des plantations de canne
à sucre, de café, dé tabac, de cotono de riz j 2o dans les forêts
se récoltent les glomures,les résines, I'huile et la noix de pahlre,
le caoutchouc et I'ivoire;3o les plateaux du Katan$a contien-
nent des nrines d'or, d'argent, de nickel, de fer, d'étain et sur-
tout de cuivre.
A la veille de la guerre,,toutes ces sourees de richesse étaient
exploitées. Les deux tiers des importations au Congo venaient
deBelgique et les quatre cinquièrnès des exportations (environ
53 millions de franes) étaient dirigés sur la métropole. \

(1) La formetê d.'â,me et le zèle des missionnaires n'ont pas seulemont ét6
remarquables au Congo. Leur a,postolat s'est étendu à la Chine, à la Nouvelle-
Guinée, aux montagnes Rocheueee. Le Père Du Dnxbw e'est rend.u célèbre
par Bes voy&ges au Tlûbet, en l\Iongolie et en Âfrique. Le P. Dn Sunr, d.o
Termond.o r(180 1 -187 3), fut le grand. évangélisateur des peaux-Rougies. Ire
P. Daurnu, de Tromeloo, près dâe.rschot (1840-1889), soigna les ind$ènee
des llee €and.rvich (Polynésie), atteints de la lèpre, jusqu,à be gu't mourtt
luj-même, viotlme d.e I'horrible malad-ie.
-5*2-
La guerre elle-même n'enraya nullement le développement
du Congo. Tout au contraire, grâce à I'activité de IVI. Renkin,
ministre des Colonies, qui sut tirer pan i des circonstances favo-
rables (la guerre coloniale, Ies besoins pressants de la Belgique
et de ses alliés), les progrès réalisés de l9l4 à f gf B dans totts les
domaines furent eonsidérables. -En 1915, la Compagnie des
Grands Lacs achevait la construction cle la ligne Kabalé
(Lualaba)-Albertvllle, le long de la Lukuga. Cette voie de
270 kilomètres allqit pernrettre de coneentrer sur les rive's du
Tanganika un rirratériel suffisant pour commencer I'invasion de
I'Afrique orientale allemande. En 1918, une Iigne de 400 kilo-
mètres réunissait Bukama sur le haut-Lualaba à Elisabeth-
ville. On plaça deux mille kilornètres de nouvelles lignes télé-
graphiques et le nombre des établissements eommerciaux ou
industriels s'éleva à près de dix-huit cents.
Entre temps les exportations atteignaient, en 1916, le chiffre
.de 129,000,000' de francs (22,390 tonnes de noix palmistes,
3,017 tonnes de caoutchouc, etc.). En quatre ans, de t9l4
à I917, la production des mines de cuivre du Katanga montait
de 10,700 à 35,000 tonnes; le rendement des mines d'or du
Kilo (Ituri), dans la Province Orientale, était doublé et celui
des mines de diamants, découvertes dans le district du I(asai
en l9l3,,s'élevait au triple (100,000 carats en 1918). Par cette
activité pacifique autant que par sa vaillanee militaire, la
Belgique se montrait digne de son rôle de grande puissance
coloniale (I ).

(1) Il n'en reste pas rnoins beaucoup à faire fiour diminuer la rnortalité
des intligènes, pour perfcctionner I'outillage de notre colonie et pour sous-
traire ees provinces d1 nord.-est et du sutl-es| à tles inflltrations et à des
infl uences étran8Ères, notammenf sud-afrlcaines'
Parmi les voies ferrées dont la construction, quoique coûteuge, s'impose
d'urgience, il faut signaler la ligne d.e Stanleyville vers les mines d'or do l{ilo
et Wad.elai, sur Ie Nil, et plus encore la grande voie de Léopoldville-I(ins-
hasa à Bukarna" par le l{rvarrgio eb le Kasaï. Ce dernier chemin d-e fer ramè-
nerait vers l'embouchure du Congo et l'Àtlantique le trafic d'u Katanga,
aujourcl'hui orienté vers le Transvaal et Ie Cap.
, CHAPITRE V

LA VIE SOCIALE EN BELGIQUE,


DE 1æT A ÛV

Etsolu,t:ion de la socùété de l83l à rgl4 (pp. 543-546). R6le


prépondérant des grandes cornrnunes (pp. 5a6-548). - Puis'
-
sance des organiscttions sociales; la législation du traaail; les
mutuali,tés; les cooptératiaes (pp. 5a8-550). -- Importance de
la oie publique en Relgique' : la pressq les ( sociétés tt, les fêtes,
les eægtositioæs (pp. 550 et 55I ).
L'enseignemmt (pp. 55f et 552). Les sciences (pp, 552-
554). -
La littérature d'eapression françuise (pp. 55a-557). La l;i'tté'
rature wallnnne (p. 557). - (pp. 557-
Le rnouaernent fl,amand
560J. La littérahne- d'eæ.pressùon fl,amande (pp. 5BO-
563).
L'architecture(pp. 563-565). ----7 Les << ensernbliers > (p. 565).
Renaissance des arts mineurs (p. 565). La sculpture
-(pp. 565-56?). La peinture (pp. 567-570).- La musiqwe
(pp. 570-572). - -

Ddpuis la révolution de 1880 jusqu'à la veille de la guerre


mondiale, la société belge a traversé trois stades évolutifs :
I. De I83t à 1850, notre agriculture et notre industrie subis-
sent une crise. Les voies de communication sont râres; le chemin
de fer ne vainc que peu à peu la dili$ence et le coche d'eau.
Les villes sont encore petites; la classe ouwière a conservé
maintes traditions routinières et patriareales; les classes supé-
rieures ont des revenus modestes; même les gens les plus riches
_ 54,4 _
se gardent de jouir de lerrr fortune d'une manière trop osten-
tatoire.ou sans arrière-pensée d'économie. Dans toute I'Erirope
se constate à cette époque Ie même phénomène : la Société,
secouée par les troubles de la Révolution et les guerres de
I'Empire, se replie sur elle-même et limite son horizon. C'est
ltépoque de Louis-Philippe, périocle solennellc, gourmée,
où les hommes s'enveloppent le cou d'amples cravates, les
femmes s'empaquettent dans des mantes et les petits gerçons
eux-mêmes sont, pour jouer au cerceau,, habillés comme des
ehiens savants. Bn Belgique spécialement, cette phase est
incolore et mé(iocre. Notre population, honnôte, pieuse, labo-
rieuse, mène une existence easanière, eonsacrée à des soins
matériels.
II. De f850 à 1880, nous traversons une période de tran-
Sition. Le nrouvement économique s'est'aceru; les moyens de
communication se sont multipliés. f,es événements politiques
généraux ont un cnractère grandiose. La vie sociale s,est déve-
loppée. Chez nous, fes proscrits de 1851 et les.réfugiés français
de l87O ont, successivement, donné plus d'intensité à notre
vie.intellectuelle et fait gofiter plus profondément Ie charme de
la civilisation française. Alors se produit une curieuse évo-
lution : les milieux aisés et cultives des grandes villes s'adaptent
aux goûts et aux modes du Second Empire, cette époque si
prestigieuse. Le journalisme, I'art théâtral s'inspirent directe-
ment à Paris. Le gofrt des villégiatures et rles voyages devient vif.
Mais cette orientation vers le luxe et la vie intense ne sd/mani-
feste encore que dans des milieux restreints. Pour une famille
qui passe l'été aux bords du Rhin ou s'aventure jusqu'en ltalie,
combien n'y en a-t-il pas qui limitent leurs aspirabions aux
promenades dominicales vers les guinguettes fleuries de Ia ban-
Iieue ! Pour un amateur d'ar[ qui assiste à une représentation
de la r Dame aux Camélias r ou à une audition de I't<.Afrieaine r,
combien de modestes bourgeois qui passent leurs soirées à fumer
leur pipe au cabaret ou à jouer aux eartes en famille, autour du
quinquet I fl est vtai que la crinoline se porte aussi ample
d'envergure qu'à Paris et que les élégantes aopient les grâces
de Ia Cotrr des Tuileries, mais combien dans l'âme nos aleules
restent-elles cependant fidèles à leurs coutumes locales ! Le
cadre de notre vie sociale se transftrrme, mais la mentalité
moyenne reste stationnaire.
_. 515 _
III. De 1880 à 19I4, notre eivilisation devient rnondiale.
Les progrès du machinisme et de I'agriculture industrielle modi-
fient I'aspect de nos campagnes. D'immenses agglomérations se
forment en Flandre, dans le Hainaut et dans le pays cre Liége.
La grande industrie, ainsi que le grand commerce, favorisent
I'expansion de nos villes principales. Sirrpeuplées, grâce aux
progrès de I'hygiène, à la disparition des épidémies, à I'afHux
des gens des cam-
pagnes, nos cités
allongent de tous
côtés comme
des tentacrrles
leurs fauboru'gs aux
t''
Imaisons petites et
I tassées. Comptan b

4 nrillions cl'habi-
t;rnts en 1831,6 mil-
lions en 1893. no-

réalisé dans les moyens de communication. En relations


:rvec le monde enbier par les voies les plus directes et les plus
rapides, la llelgique contemporaine était couverte d'un réseau
,serré de chernins de fer et de lignes vicinales. Depuis rgg0,
lles trarnways électriques avaient graduellement remplacé
lpartout les omnibus et les cars à tracr ion chel.aline.

(l) r,e reeellsement du. 31 décembre 192?, comprenant les terrltoiree


lillérés, accllse une lropulation de 2,5:J9,56$ habitants.
F. tAN xltrinw. nrsTorRn DE BELGTQUE. 4 lg?4, lg
-
-546-
La vie au début du xxe siècle était donc, dans son ensemble,
devenue plus large, plus confortable. Notre prospéril"é allait
toujours augmentant; les salaires étaient peu élevés mais,
d'autre part,la vie matériellc n'etait point coûteuse. Les classes
supérieures dépensaient sans compter leurs richcsses en voya[Tes,
villégiatures, automobiles, théâtres, toilettes et réceptions mon-
daines. La grande bourgeoisie financière, industrielle et commer-
ciale, parson luxe intimidant, dépassait la noblesse terrienne
conservatrice.
Ainsi s'épanouit, dans nos grandes villes et surtout à Bru-
xelles une existence de plus en pius frévreuse, cosmopolite,
moderne, un peu outrancière sans doute, mais eombien inié-
ressante ! Sortant .de son traditionalisnre, la soeiété urbaine
s'oecupe des grandes questions à I'ordre du jour : politique
extérieure et int'érieure, eolonisation, sociologie. Gardant ses
aptitudes ancestrales i I'amour de la liberté, I'optimisme, la
confiance dans la vie, le gofit des satisfactions matérielles, le
sensualisme ostentatoite, sottvent allié à une piéte tendre, cette
société présente tous les traits communs aux civilisations à
caractère urbain et démoCratique. Par là elle nous rappelle
le xve et le xvre siècles. Comme les aieux de l'époque de la ltenais-
sâlrce, l'élite des Belges du début du xxe siècle s'élirencl de
scienees, de lit!érature, d'art surtout; comrire eux elle est
curieuse, éclectique et profipte à la, ct'itique. Sans ef{ort elle
prend sg place parnri les sociétés policées et de hauie culture
qui font l'ornentent des grands peuples.
La civilisation dont je viens d'esQuisser les progrès présente
certaines caractéristiques plus spécifiquement trelges. D'abord,
remarquons le rôle qu'y jouent les principales villes : Bruxelles
et sa ceintttre de faubour$s (8?9,000 habitants), Anvers (près
de 400,O0O h.), Lié$e (près de 250,000 h.), Ge'nd (plus de.
200,000 h.) (f). Ou a souvent fait remarquer qtle notre pays
était une monareliie parlementaire englobant tlne série de
communes, non point < républicaines r, mâis quasi auto-
nolr es. Cet état de choses résultait à la fois de nos traditions
historiques et de phénomènes soeiaux contentporains. Tout etr
respectant les droits de I'Itrtat, nos villes veillaient jalotrsement
au nraintien de leur position préérninente. Comment I'Etat

(l) Ces chifircr sont du 31 clécembre 191?.


-547-
n'erit-il pas compté avec I'agglonrérdtion bruxelloise, par exem.
ple, alors que celle-ci fournissait quatorze des dix-sept nrillions
cle francs que le Rrabant hri rapportait, alors que le faubourg
tl'Ixelles à lui seul,avec ses 80,000 habitants, rapportait autant
que les provinces de Lintbourg et de Luxembourg réunies?
Aussi la vieille fierté urbaine etait-elle de nouveau puissante
chez nous. Rien n'était, épargné par nos bourgnreslres, échevins
et conseillers comrnunaux, pour renclre les cités qu'ils adnrinis-
traient plus belles, plus opulentes. plus modernes. C'esl ainsi
que, dans la capitale, I'aménagernent des boulevards exté-'
rieurs, après Ia supprcssion cles oetrois en 1860, s'associa au
nom du bourgmestre De Brouckère (l), l'æuvre du votte-
ment de la Senne (f 867-1871) à eelui du bourgmestre Jules.
Anspach. Non contentes d'élever des monuments et de percer
de luxueuses artères maeadamisées, aux trottoirs 'dallés. nos
mttnicipalités faisaient, pour des raisons d'hygièn€, éventrer
de vieux quartiers mnlsains (Z). Car c'ôtait pour elies une
préoccupation constante que celle de la santé publique. Les
services de voirie, d'éclairage au gaz et à l'électricité, de
distribution d'eau potable, occupaient des légions d'employés
. et de travailleurs.
C'étaient nos communes elles-mêmes qui organisaient leurs
corps de sapeurs-pompiers et veillaient au rnaintien de la
sécurité. Fières de leurs droits en matière d'assistance
publique, elles géraient le < patrimoine > de leurs indjgents
par I'intermécliaire de leurs bureaux de bienfaisance, tandis
qu'une Cornmission administrative des hospices civils
s'occupait cles vieillards, des infirmes et avait la haute direction
deg hôpitaux, des sanatoria, cles orphelinats, cles asiles pour
I'enfance abandonnée. Férues de leurs prérogatives, elles veil-
Iaient à ne pas laisser la charité privée ssfiost lorsque
celle-ci avait un caractère confessionnel - f,1ansfçrmer son
action coopérarrte en action concurrente.- D'où, de part et
d'autre, une émulation très vive. De même, nos grandes com-
munes se montraient jalotrses cle Ieurs droits en, ma,tière sco-
laire. Depuis I'arrivée au pouvoir des catholiques, en 1884,
(f) La <lémolition des remparts d.e Bruxelles et leur remplacement par
de spacieux boulevards fut tlécrétée par Napoléon Ier en 1810. L'ingénieur
VrFernN fut chargé d.e cet important travail.
(2) Les dernières grand.es épidémies de choléra d,atèrent de 1849 et 1866.
-548-
elles étaient presque seules représentantes de I'idée laique et
libérale démocratique dans le pays. Aussi soignaient-elles I'orga-
nisation de leur enseignement, primaire, moyen et normal,
créant 'des villas pour colonies de vacances, organisant des
fêtes, des < revues des écoles r pleines de charme. Déjà si puis-
santes, elles auraient eneore pu décupler leur action multiforme
si lcurs faubourgs, fréqueminent rivaux, avaient consenti à se
confondre en organismes uniques, à I'imitption des grandes
I
métropoles du monde.
Devant cette puissance urba,ine, I'action de I'Etat paraissa.it
un peu effacée. Certes, il remplissait sa mission par la cféation
ou I'entretien de musées, de bibliothèques, de dépôts
d'archives, de jardins (botanique, à Bruxelles; zoologique,
à Anvers), d'observatoires, de conservatoires de musique.
Mais ces institutions, pâr leur caractère même, n'exerçaient pas
sur le public I'influence suggestive des créations urbaines. De
sorte que les Belges des grandes villes avaient 1i6hss str
pauvres - natal ou
cet amour un peu exclusif de leur milieu,
--
d'adoption, que professaient les poorters de jadis à I'égard de
leur cité. Les Bruxellois, quoique frondeurs et goguenards,
subissaient profondément le charme cosmopolite et un peu
artificiel de leurs grands boulevards, avec Ieurs restaurentsl
cafés èt magasins à cachet parisien; les < Signooren )) anversois
vanta,ient leur admirable port ainsi que I'architecture osten-
tatoire des hôtels de leut opulent patriciat; les Gantois se com-
plaisaient à ressttsciter chez eux les glorieux vestiges du passé,
se dressant au milieu du cadre uniforme de leurs quartiers
industriels modernes; Ies Liégeois tiraient avantage de I'attrail
pimpant et tout français de leur cité verveuse. Cet orgueil du
Iieu natal se retrouvait aussi, très intense, dans des localités
plus petites.
Seconde caractéristique de notre vie contemporaine : la
puissance de nos or$anisations sociales. Ldngtemps les
conditions d'exiqtence de notre classe ouvrière avaient laissé
considéraËlement à désirer. Les salaires étaient bas, les heures
de travail excessives. Comme ailleurs, la pratique du travail à
domicile facilitait les plus révoltants abus. Certains patronr
payaient leurs ouvriers en nature et ouvraient cles magasins où
Ieurs salariés étaient obligés, sous menace de renvoi, d'acheter
les obiets de première nécessité,
I

549
-
rJne enquête oflicielle, faite par la commission du Travail,
eut pour résultat l'élaboration d'une importante lé$islatton
sociale, de 1887 jusqu'à la veille de la guerre. Loi organisant
des conseils de I'rndustrie et du Travail chargés de eoncilier
les différends entre chef's d'industrie et salariés (rggr), Ioi sut
la construction d'habitations ouvrières (rgg9), loi réglant le
travail des femmes et des enfants (rs8g), tels furent les premiers
pas dans la voie de I'amélioration du sort des travailleurs. Je
n'entrerai pas dans le détail des lois concernant le paiement
des salaires et la salubrité des ateliers, accordant réparation pour
les accidents du travail (Ig0B), réglementant le repos dominicpl
(1905), fixant la durée'du labeur dans les mines ou interdisant
Ie travail de nuit des femmes dans I'industrie. Grâce à la loi sur
les pensions de vieillesse (rg0o), on remédia dans une certaine
mesure à I'instabilité du sort des salariés. En lgg5, le gouver-
nement créa un ministère de I'fndustrie et du Travail.
Ces mesures avaient contribué à diminuer le paupérisme. La
Ioi de 1898, octroyant Ia personnatité civile aux unions
professionnelles, renforça les moyens d'action des syndicats
et diminua encore les possibilités d'exploitation des salariés par
le patronat. Belles entre toutes furent nos organisations t1e
secours mutuels et d'épargne.-De lgg5 à 1904, le nombre
des sociétés mutuallstes monta de z5g à 6,760 et celui de leurs'
membres de l0O,O00 à ZOO,OO0. L'Etat favorisait par des
subventions tout un système d'assurances ouvrières facul-
tatives. Depuis 1865, la Caisse générale d'Epargne et de
Retraite stimulait, au sein des classes inférieures et moyennes,
I'esprit de prévoyance. A'la veille de la guerre, le pubric avait
en dépôt à la caisse cl'Epargne onze eents milrions de franes,
répartis sur plus de trois millions de livrets.
En dehors de I'action de I'Etat, le régime de la coopération '

avait été prôné vers l8B5 par les soeialistes césar de paepe et
Jean'volders. ce fut en novembre tSgo que fut fondée à Gand
dne boulangerie coopérative, le Vooruit. Souq la direction
d'Edouard Anseele, cette société qui avait débutil avec
274 membres prit une extension -colossare. sur son modèle,
les <Maisons du - Peuple > de Bruxelles et de vvallonnie créèrent.
des rayons d'épicerie, de lingerie, de conf'ection, etc. En 1g05,
il y avait en Belgique plus de 2,400 organisations coopératives,
les unes à caractère politique, leÉ autres neutres et fondées par
-550-
des mutualistes ou des employés. Presque toutes étaient des
boulangeries, des brasseries, bref des coopératives de con-
sommation. Dâns les campagnes se rencontraient des co-
opératives a$ricoles cle production : associations laitières,
associations pour I'achat des machines agricoles ou la
vente des produits champêtres. Ces boerenbonden avaient été
fortement organisées par I'abbé Pottier, le député Arthur
-en général, par tous les leaders du parti
Verhae$en et,
catholique.
Je mentionnerai enfin, parmi les traits saillants de notre vie
sociale, I'lntensité de la participation à la vie publique et
extérieure. Ce goût était dfr en bonne partie à I'extension clu
journalisme. Alors qu'en f840 la Belgique ne possédait que
vingt-huit quotidiens, elle avait, en 1905, environ onze cents
journaux, parmi lesquels cent cinq quotidiens (quatre-r'ingt-six
feuilles politiques). Le prix modique de ces feuilles fbvorisait
la vente au numéro. Notre presse s'était beaucoup modernisée
et avait suivi I'exemple de l'< Indépendance belge r, feuille
bruxelloise qui avail inauguré le système des bulletins poli-
tiques en vedette et des correspondances de l'étranger. Cepen-
dant nos journaux manquaient d'ampleur. L'cxtrême vogue des
feuilles françaises en était cause, le public ayant pds I'habitude
de ne rechercher dans les feuilles locales que le récit des événe-
ments de portée restreinte.
L'esprit de sociabilité, inné chez les Belges, se manifestait par
I'existence d'innornbrables sociétés. A côté des groupements
politiques et économiques, il y avait des sociétés scientiflques,
littéraires et artistiques, des sociétés sportives (jeux de balle,
concours de pigeons), des sociétés d'agrément, depuis la
classique < Granrle Ilarmbnie I de Bruxelles jusquoau plus
modeste cercleTe joueurs de quilles au village. ftrt comme beau-
coup de ces associations populaires tenaient en granfl honneur
I'art de la musique et profitaient de toutes les kernresses pour
déambuler.de cpbaret en cabaret, comrne d'autre part chaqug
société s'ingéniait à organiser des réunions, sous forme de
congrès, de concours, d'épreuves sportives, il en résultait que
notre population donnait aux étrangers I'impression de viwre
perpétuellement au milieu des flonflons, des illuminations,
des feux d'artifice. comme ja<lis, nos riches municipalités orga-
nisaient de $randes fêtes publiguesr des cortèges somptueux.
I

-551-
Cette vie extériç1rre atteignit son paroxysme lors des dernières
expositions internationales. La prestigieuse World''s-fair de
Bruxelles, en l9l0, colvrit 250,000 mètres earrés et enregistra
à ses guichets 12,908,000 entrées ! Pour fixer par une dernière
impression cette image de la < trop beureuse )) Belgique d'al'ant
la guerrc, je rappellerai les principales,éphémerides de I'année
l9l3 : exposition internationale à Gand, reconstitution du tour-
noi de Henri VIII à'fournai, fêtes du cinquantenaire de l,affran-
chissement de I'Escaut à Anvers, inauguration du monument
Van Eyck à Gand, cortège jubilaire de Notre-Dame cl'Ilanswijck
à Malines, Joyeuse-Entrée de nos souverains à Mons !

'rÈ
{.*
Placée sous l'égide de la liberté de I'enseignemeàt, notte
armature seolaire, à totrs les degrés, dependait de I'Etat, des
provinccs, des communes, et très souvent d'organismes privés :
d'oir manque d'unité. D'une part, la politique y jouait un trop
grand rôle; d'autre part, le grand public ne s'en occupait pas.
âssez. Le dualisme linguistique venait encore accfoître les diffi-
cultés en matière de programmes.
Néanmoins notre enseignement faisait bonne figure. J'ai déjà
esquissé l'évolution de notre enseignement primaire (f ). L'en-
seignement rnoyen fut organisé en 1850, par le cabinet Rogier
(dix athénées, cinquante écoles moyennes de garçons), et plu-
sieurs fois trandfbrmé dans la suite, En thèse générale, notre
enseignement était resté longternps trop théorique. En lB8O,
il noy avait encore que 30 écoles techniques clans toui le pays,
mais en 1914, nous possédions déjà plus de 600 écoïes pro:
fessionnelles, cornmerciales, industrielles, y compris celles
du quatrièrne degré primaire.
Après la fbndation, en 1884, des deux universités privées de
Bruxelles et de (Malines) Louvain, I'Etat avait rcconstitué son
enseignement supérieur en rétablissant les universités de
Liége et de Gand (1835). La loi de 1876 oetroya aux quatre
universités Ie drort de conférer des $rades légaux. Ces
établissements durent en bonne partie leur outillage perfec-

(f ) Voir au chapltre If.


-552*
tionné à la munificence de riches donateurs. C'est ainsi que
I'IJniversrté de Liége avait eté dotée, en 1883, doun institut
electrotechnique par 1lI. Montefrore-Lévy. M. Ernest Solvay
1l tozz\, inventeur du procédé de fabrication de la soude à
I'ammoniaque, avait créé à Bruxelles les célèbres instituts por-
tant son nom (l). De nos universités émanait une action de
vulgarisation scientifique très intense par la voie'des Extèn-
sions universitaires et des Universités populaires.
C'est également parmi les professeurs de nos hautes écoles
que brillent nos savants les plus appréciés. Depuis 1831, il y en
eut un grand nombre, généralement peu .connus du public,
mais tenus en haute estime pnr les associations d'encourage-
ment, Ies académies locales, les sociétés provinciales d'émula-
tion qui publiaient des bulletins et des miscellannées pour
réparrdre le goût des choses scientifiques. De son côté' I'Etat
encourageait les sciences par ses prix qui4quennaux ou trien-
naux, véritables ,r Éctes de reeonnaissanee nationale r. L'Aca-
dérnie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-
Arts de Belgique, I'Académie royale de Médecine, toutes
deux siégeant à Bruxelles, I'Académie flamande de Gand
(1886) consacraienl d'une manière officielle les merites de nos
intellectuels les plus marciuants. en les inscrivant parmi leurs
mgmbres titulaires ou eorrespondants.
L'étude de I'histoife avait toujours été fort honorée en Bel-
gique. Après t83l ,le patriotisme-poussa nos savants à diriger
leurs recherehes vers les fai[s il]ustres de notre passé. En l8i]5,
I'Etat créa la Cornmission royale d'Histoire, qhargée de
stinruler les travaux de ee genre. Parmi les meilleurs livres
d'histoire, je citerai ceux de Moke, professeur à .l'Université
de Gaud, de I'archiviste général Gachard et de son ami Théo-
dore Juste, des érudit$ collaborateurs ffenne et \il'auters,
de Louis Hymans et de I'historien de la Flandre, Kervlin de
Lettenhove. Cette école de savants probes, precis, mais assez
secs, fut suivie par la génération séduisante des historiens
modernes. Godefroid Kurth (t 1916), professeur à Liége,
étudie le moyen âge en suivant des inspirations profondément
chrétiennes; l'e médiéviste Léon Vanderkindere 1f rooo), pro-
fesseur à Bruxelles, écrit < Le Siècle des Artevelde u; son eol-

(l) Institut d.e sociologie, école de comnterce, institut de physiologie.


-553-
lègue, le professeur Goblet d'Alviella, sonde les mystèreB des
religions aneiennes; parmi les professeurs de Liége, Eugènê
Hubert se consacre à l'étude du xvrle siècre; parrni ceux de
Gand, f,'ranz cumont étudie avec subtilité Ie culte de rllithra,
' Paul Fredericq 1f f OzO; écrit, en flarnand, des travaux colorés
sur le xvre siècle, tandis que Henri Pirenne, par sa grande
< Histoire de Belgique )), se place en tête de cette pléiade.
citons aussi les ouvrages sur l'évolution de I'Art, parmi les-
quels ceux srrr Rubens et les peintres anversois, du conserva-
teur du musée Plantin Max Rooses (t l9l4).
Le plus grand de nos sociolo$ues.et peut-être de tous nos
savants modernes fut Adotphe Quetelet (1296-lgZ4), astro-.
nome, mathématicien et statisticien, auteur de la < physique
sociale r. L'étude des sociétés doit beaucoup aux recherches de
Périn, d'Ernile Banning et d'Emile de Laveleye, ainsi
qu'à Ia scienee érudite et vivante du directeur de I'rnstitut cre
sociologie, Emile 'waxweiler (t rgr6). L'arbitrage obligatoire
et le désarmement général eurent pour apôtres chez nous le
sénateur Henri Lafontaine et le ministre Auguste Beernaert,
tous deux lauréats du prix Nobel pour la paix.
La scienee juridique mainti5rt le rang qu'elle avait toujours
occupé dans nos provinces, par les grands travaux de Defacqz
sur notre législation d'autrefois et ceux de Thonissen, éminent
criminaliste catholique. Esprit très noble, le ministre de la
Justiee Jules Le Jeune (rB2B-I9rr) fut I'auteur de lois célèbres
sur le vagabondage, le régime des prisons, la condamnation
conditionnelle et I'enfance moralement abandonnée. L'étude du
droit des gens et des relations internationales exerça sur nos
jurisconsultes un attrait particulier, notamment sur le profes-
seur à I'université de Gand Francois Laurent, sur Rolin-
Jaequem5rns, créateur de I'fnstitut de droit international, et
sur le célèbre professeur et magistrat de Bruxelles, Ernest
Nys (t tezo).
Dans le domaine des sciences physiques et mathématiques
quelques grands noms viennent immédiatement. à I'esprit :
Joseph-Plateau (180f -1888), professeur à Gand, étudie la sta-
tique des Iiquides; Zénobe'Grarnrne (f826-l90t), éleetricien
d'origine modeste, habitant Paris, où il est I'objet des plus
hautes rliStinctions, invente la dynamo industrielle, qui
trar.rsforme en énergie électrique, transportable à distance,
-554-
toutes les énergies ntotriees de la vapeur d'eau et de I'air;
Jean Lenoir, perfectionne le moteur à gaz; le chimiste Jean
Stas fait de savantes tlécouvertes sur le système des poids
atorrriques.
Nommé professeur à I'université de Liége par Ia protec-
tion de Jean-Baptiste d'Omalius d'Halloy (17æ'f875),
fondateur de la scienee $éolo$ique én Belgique. André
Dumont compose, de fæ6 à 1852, la' carte géologique de
notre pâys, labeur prodigieux. La géographie eut chez nous
moins d'adeptes. Nous eûmes cependant la satisfaction de
vôir un Belge, le comte Adrien de Gerlache, faire, à bord de
la < Belgica )), un vo)'age remarquable dans les régions antarc-
tiques (r897-r899).
Que de personnalités brillantes n'aurais-je pas à signaler en
passant en revue notre superbe éeole de médecine ! Je me bor-
nerai ici à citer quelques norns particulièrement marquants,
eeux de Seutin (t 1362), prof'esseur à Bruxelles, dont Ia carrière
fut une suite de succès, de Willems (Hasselt, 1822-1907), pré-
curseur de Pasteur, et de Joseph Van Beneden (}\Ialines.l8O9-
1894), professeur à Louvain, peut-être encore plus connu dans
le monde scientifrque comme naturaliste (1).

l**

' Dans hotre pays, otr la Constitution plaçait en première ligne


les libertés de parole et de presse, la littérature allait pouvoir
s'épanouir désormais en tortte indépendance. Cependant, nos
lettres subirent longtenrps encore I'influence déprimante des
temps révolus. La masse du public restait indifférente aux préoc-
cupations intellectuelles; sa piété prenait ombrage des har-
diesses propres aux écrivains du xrxe siècle.
Les lettres bel$es d'expression française n'avaient
occupé, {ans les siècles passés, qu'une place bien modeste.

(1) Son tle Ênoueno Veu Buxnnnu (1846-1910), profegseur à Liége' fut
également un biologiste remarqua,ble. Il répandit les théoriee d.u nenwt'
NrsltE en Belgique.
En 1g20, le prix Nobel pour la méilecine a été attribué au professeur
Jp-LES BOnDI:r, d.e I'Université de Bruxelles, pour ses admirables travaux.
-555-
Il en fut de même pendant les premières années de notre indé-.
pendance. D'honnêtes patriotcs tirèrent de nos annales de
mr(diocres romans hi;toriques, prétentieuses imitations des
æuvres de Walter Scott. Des romanciers insipides échafau-
dèrent de mornes études de mæurs. Weustenraad, honrme
exeellent, Belge enthousiaste mais poète 'laborieux, laissa un'
poème épique : < Le I-lemor{ueur r, glorifiant la locomotive; il
s'y trouve quelqucrs beaux vers. Charles Potvin ne se lassa
point d'écrire des drames historiques, que I'Etat ne se lassa
point de couronner.
L'influence des lettres françaises en général, de Victor Hugo
et des proscrits de 1851 en particulier, arraeha nos lettres à leur
marasme. Quelqtres grands talents s'afiÊrmèrent. L'fxeilois
Charles de Coster publia en 1868'la < Légende d'Ulen-
spiegel r, épopée en prose exaltant lâme du peuple flamand
sous la domination espagnolc. Dans un style original et puis-
sant, il déerivit cette mentalité indomptable, associant la gogue-
nardise et la sensualité débridée au patriotisme le plus pur.
André van Hasselt (Maastricht, 1806-1874), lettré érudit,
poète se jouant des diflieultés rythmiques avec une incroyable
aisance, écrivit, en 1872, un poème de haute portée philoso-
phique : r< Les Quatre Incarnations du Christ r. Le poète
Octave Pirmez (t ISSB), de Châtelet, virant en solitaire à
Aeoz (Entre-Sambre-et-Nleusc), eomposa des æuvres lyriqtres
cllinspiration chrétienne que scul un public restreint et délicat
apprécia à leur valeur. -* - ' r1
Peu après 1880, un jeune et spirituel littérateur, Max \il'aller
(Maurice \4tarlomont), fonda une revue mensuelle, lâ o Jeune
Belgique o. Il y déclarait la guerre à la criiique offieielle, à la
littérature banale, didactique et moralisatrice. Il voulait pra-
tiquer < I'Art por.rr I'Art >. Cette intéressante revue disparut
en 1897, après avoir compté parmi ses eollaborateurs Ies meil-
leurs écrivains de Relgique. Son plus bearr titre de glpire f'ut
d'al'oir donné naissanee à notre école littéraire rnoderne.
Cette école resta longtenrps méeonnue du grand public belge,
d'une part parce que ce dernier manquait de culture générale,
doautre part.à cause de l'écrasante concurrence de la littérature
française. Nos littérateurs : romanciers, poètes et critiques, ne
purent donc vivqe de leur seul talent. Très individrralistes, ils
se développèrent chaèun à sa manière. Le particularismé belge
aiclant, leurs admirateurs fonnèrent des cénacles et cles rédac-
tions de revuettes littéraires, minuscules, éphémères et souvent
en conflit. S'adressant à un milieu ra{finé, nos éqrivains furent
subtils, élégants, parfois apprêtés. Ce furent avant tout des
lyriques.
Le maître de nos prosateurs fut Carnille Lemonnier (fxe[es,
t84l-1913). Le prix quinquennal lui ayant été refusé pour son
magnifique ouvrage : a La Belgique r, la < Jeune Belgique >
lui offrit un banquet, le 27 mai 1883, et le proclama ( maréchal
des lettres belges r! Nos jeunes littérateurs avaient été subju-
gués par le talent de cet écrivain robuste, fgugueux, truculent,
exprimant -- en termes rares et ph,rfois étranges des idées
'profondément poétiques. Ces æuvres furent nombreuses, presque
toujours consâcrées à la peinture des hommes et des milieux
du pays natal. Demême I'Anversois Geor$es Eekhoud évoqua,
en des nouvelles et des romans âpres et rugueux, les ruraux et
les chemineaux de chez nous. Ce furent atrssi des romans d'obser-
vation et corrlbien délicieux qu'écrivit Léopold Cou-
rouble,- mais il choisit son terrain - d'études dans la moyenne
bourgeoisie bruxelloise. Quant à Eu$ène Dernolder (t l9l9),
il écrivit de préférence des æuvres d'imagination, mettant en
seène des milieux d'artistes tle la grande époque hollandaise.
' La distinction est le trait essentiel <le nos poètes lyririues :
Albert Giraud, ciselant des vers héroîques; Ivan Gilkin,
auteur du noble poème < Prométhée >; Valère Gille, qui com-
posa I'exquis < Collier d'opale r; Fernand Séverin, poète au
talent harmonieux; Charles van Lerber$he, auteur d'un
splendide poème symbolique, < Pân >; Geor$es Rodenbach
(t 1898), le vaqoreux a poète de I'ennui u, l'évocateur de
< Bruges la Morte >. Ces deux derniers littérateurs étaient fort
réputés à Paris oir ils avaient fixé leur résidence. Ce fut en
. France aussi que devinrent célèbres deux de nos plus puissants
. lyriques : Maurice Maeterlinck et Emile Verhaeren. Le
prenriêr (Gand, 1862) eemmença par éerire de courts drames
'doépouvante.
Puis il composa plusieurs ceu\/res théâtrales de
'earactère mystique, serutant Ia vie inconsciente de l'âme.
Plus tard, il se révéla moraliste, philosophe métaphysicien,
, obsen'ateur savant, dans le r< Trésor des humbles > (1896), la
< Sagesse et Ia Destinée > (f 898), Ia < Vie des Abeilles > (1901),
' le < Double Jardin r (1904). Doué d'une eénialité souple et
* 55'i
-
multiforme, sorr succès fut immense; il reçut le prix l.[obel
pour la littérature en l9ll. Emile Verhaeren (Saint.Amand
près de Malines, I855-19f 6), enthousiasma les générations nou-
velles pâr ses poèmes symbolistes : Ies < Campagnes hallu-
cinées r (1894), les n Yilles tentaculaires ,, (1896), les < Ifeures
claires u (1896); ses vers libres, écrits en une Iangue réa-
liste, tourmentée, rude, pleine de néologismes, chantaient la
Science et la Nature créatrices, I'amour exubérant de la vie.
Loindignation lui clicta pendant la guerre ses créations les
plus pathétiques (uLa Belgique sanglante D, l9I5; < Parrni
les cendres r, 1916).
l,e public belge a toujàurs beaueoup aimé le théâtre et, les
sociétés d'art dramatique étaient légion. Néanmoins I'art dra-
mntique nationa,l fut relativement peu soutenu. Le succès a
couronné à bon droit les æuvres de Maeterlinck (r, Pelléas et
Mélisande o, la n Mort de Tintagiles r), Ies drames idéalistes
de G. van Zype,les déliciellses créations de Fonson et Wieheler
(le < Mariage de Mademoiselle Beulemans r), les spirituelles
revues de Théo llânnon, de Luc Malpertuis et de Georges
Garnir. Les plus belles procluctions de notre art dranratique
sont indiscutablement le < Cloitre >, de Verhaeren (1899), et
< Monna Vanna >r, rle Maeterlinck, drames d'une perfection
sobre et pathétique.
La fraîcheur, la sincérité, le don d'observation, telles sont les
qualités les plus marquantes de nos littérateurs v/allons.
A Namur,le groupe humoristique connu sous le nom de < Soclété
de Moncrabeau r composa de malicieuses chansonnettes en un
piquant patois. A I-iége,les auteurs de < pâsqueyes r (chansons)
et de < cramignons r (rondes) sont innombrables. Sortis des rangs
du peuple, artistes par tempérament, ils ont la facilité de produc-
tion des aèdes d'autrefois.Yers l860,le boulanger-poète Nicolas
Defrecheux, doué d'un talent délicab, créa l'élégie wallonne.
Parmi les multiples vaudevilles populaires, pleins'de < spots ))
ou traits mordants,le <Tâti I'Perriqui(t),,, d'Ddouard Rernou-
champs (t f900), occupe la première place.
IJn même temps que la littérature belge d'expression néer-
landaise, il convient d'étudier le développement du mouve-
ment flamand. Par réaction contre Ia < hollandisation > du

(f ) Tâti le perruquier,
_558-
roi Guillaume, le gouvernement belge - après la révolution -
flt du français la seule langue ofTicielle. L'administration géné-
rale, la justice, I'armée, I'enseignernent furent francisés. Tous
les conseils commtrnaux du pays, satrf trois, délibérèrent en
français. Dans les classes supérieures et mo;'ennes, un penchant
natlrel pour la langue française chez les uns, la halnc de I'oran-
gisme ehez les attttes, ainSi que elrez les botrrgeois de laRel-
gique flamande
-
le dé<lain pour les patois régionaux et pour
-
les classes Sociales qui s'en servatent, provoquèrent une réaction
violente contre la langue flàmande. Certes, sotts I'atrcien régime,
les classes aisées des Flanclres et du Bratrant avaient marqué
.
une grande prédilection pour la langue française. Mais jamais,
comme en 1831, leur éloignement n'Avait tourné à I'aversion;
jamais il n'arait été de mode d'exécrer systématiquemcnt la
langue du peuple. D'autre pâÉ, jusqu'à la fin du régime autri-
chien, le gouvernemcnt avait toujours respecté le bilinguisme
administratif.
Nos populations flamandes avaient subi un grand préjudice
du fait de la séparation des provinces septentrionales, au
xvre siècle. Autretbis en tête de tous les mouvements émanci-
pâteu1s, elles étaient tombées dans le marasme sous les régimes
àspagnol, autrichien et français. Minées par I'analphabétisme,
les voici qui perdaient après le court répit de la période
hollandaise - avec les milieux cultivés. Les pre-
tout contact
-
miers quj s'alarmèrenb tle cet état de choses furent quelques
philologues érudits : Snellaert, le chanoine David, surtottt le
iavant campinois Jan-Frans \ilillems (1?93-1846), le < père
du mouvement flamand >. Vers f840 il organisa un pétitionne-
ment réclamant une place offlcielle pour le flamand en Belgique.
Beaucoup de jeunes gens adhérèrent à son plogramme trvec une
fougue romantique. Comme I'antagonisme entre catholiques et
libéraux paralysait les efforts collectifs, un éloquent publiciste,
Julius Vuylsteke, réconcilia le u Klauraaert > et ls ( Geus )t -
du moins sur le terrain des revendications linguistiques.
Les hommes politiques catholiques étaient moins hypnotisés
par la culture française que les libéraux doctrinaires. Aussi
M. De Decker, ministre de I'Intérieur de 1855 à 1857, profiba-
t-il de son passage au pouvoir pour créer une cornmission
des griefs flamands (1856), composée de personnalitês impar-
tiales. Elle était surtout chargée d'étudier la question de
-559-
I'emploi public de la langue néerlandaise. Le retour de Rogier
au pouvoir fut défavorable à la cause flamande. Ce ministre se {
borna à adopter définitivement I'orthographe hollando-fla-
manrle, malgré la vive résistance des catholiques de la Flandre
oecidentale, partisans d'une orthographe désuète. D'autre PaÉ'
dans le public, I'action du fougueux tribun populaire Jan
van Rijswijck, associant en l8ô2-I863 les revendications fla-
mandes au meetinguisme, était loin d'entraîner.une approbation
unanime.
A partir de I873, de premiers succès eouronnèrent les efforts
des Flamands (leurs adversaires les nommaient < flamingants I
avec une nuance de mépris; les Flaman<ls niilitants ripostaicnt
en employant le voeable de a f'ransquillons I à I'adresse de leurs
antagonistes). Leur littérattrre devenait estimable. leur action
coordonné€. Le ministre Malou fit voter, en 1873 et au cours
cles années suivantes, nos prcmières lois linguistiques. Peu après,
le mouvemcnt comptait parnri'ses adeptes beâucoup de jeunes
intellectuels catholiques, émus par læ chaucle parole d'Altrrecht
Rodenbach (Roulers, I856-1880), lcader du rrotrvement
néo-flamand (1877 et années suivantes). Les masses popu-
laires, jupqu'alors incapables de comprenclre'la portée de s.
questions qtti se discltaient atttottr d'elles, finilent par se sentir
entraînées. Ce révcil éiait dfi à la purssante prcpagande des
jottrnaux flamands à 2 eentimes, d'Anvers, de Gand et de
Brrrxelles, ainsi qu'à I'action fle sociétés telles que le WiIIem,s-
Ilon,rls (libéral) et le Da,cid.s-Itonds (cathoiiclut'), fonrlatrtecs cle
bibliotttèques et organisertrices de conférenees. Après I'instau-
ration du Strffrage ttniversel, Ies hommes politiques catholiques
et socialisteà, srtivis de fort loin par les libéraux,\'ocettpèrent
assidfiment cle la question lingtristique.. Aucun parti d'trillettrs
ne parvitrt à mettre tous ses membres d'accord sur ce problème
complexe et délicat.
En 1898, la loi De \rriendt-Coremans pTaça le flamand au
rang de seconde lan$ue officielle. Le texte des lois, les inscrip-
tions sttr les timbres, les monnaies, les bâtiments publics furent
désormais bilin$ues (I ). Petit à petit, une législation très
complète régla d'utte manière équitable la question des langues

(1) En 1910 le roi -a.lbert prêta le serment cl'inauguration dans les deux
lang:ues.
-560-
en matière de délibérations parlementaires, d,enseigne-"rt, d*
justice et d'administration. Le gouvernement veilla à ee qu'il
n'y eût virtuellement plus dans les F landres de juges, de fonc-
tionnaires, de gendarmes ou de douaniers ignorant la langue
du peuple. En somme, dans les dernières années avant la guerre
la question flamande était rnoins aiguë qu'il n'y paraissait
au premier abord. r,es pgrtisans de la séparation administra-
tive étaient.peu nombreux. L'idée que les Flamands pussent
serVir d'avant-garde au gernanisme n'avait germé que dans Ie
eerveau d'une minorité 'de frénétiques. I)e part et <l'autre,
journalistes et publicistes se criblaient de sarcasmes et de
brocards, mais sans prendre trop au tragique I'emploi de ces
arnres de guetre. Ce qui préoccupait avant tout I'opinion,
c'était la création d'une université flamande. En lgl0-lgll,
trois députés : Louis Franck (liberal), Camille Huysmarfs
(socialiste) et Frans van Cauwelaert (catholique), avaient
organisé un pétitior."me.ï monstre à ce sujetl ils avaient
réuni plus de cent mifle signatures et I'adhésion de einq cents
conseils eommunaux. Ces chiffres n'avaient rien de surpre-
nant. Le mouvement scientifique et littéraire flamand était,
en effet, devenu très intense. En lgl4, chacun se rendait
compte que I'université flamande était devenue une néeessité.
La cliscussion ne portait que sur Ie fait de savoir si celle-ei
devait remplaeer I'université d'expreésion française de Gand
ou coexister avec elle (1).
Contrairement aux lettres belges d'expression f'rançaise, qui
captivaient une élite, la littérature flarnande s'adressa au
'peuple. Après un sommeil d'environ trois cents ans, elle se
réveilla, fraîche, saine, réaliste, dans les æuvres en prose,
sincèrement lyrique'en poésie. La série des grands écrivains
flamands s'ouwit avec I{enri Conscience (Anvers, f g12-lggg)
qui a apprit à lire à son peuple r. Auteur fécond, Conscience
enthousiasma les foules, en 1838, par son Leeuw aan Vlaanderm
(le Lion de Flandre), romanesque et généreuse évocation de Ia

. (I) En 1923, le Parlement, après d.e longs et âpren débats, a vqté la


transtomation de I'université d.c Gand en unlverslté flamande. cepend.ant,
les étud.iants recevront, un tiers du haut enseig:nement on français. S'ile
préfèrent suivre à Gand un eneeiginement universitaire trançais, ils eoront
a,streints à suivre un tiers d.es pours en fl.amanrl.
-i0I-
démoeratie flamande du xrve siècle, en lutte avep Philippe Ie
Bel; il cltarma aussi le public par des récits rustiques, graeieuses
et simples idylles. Son influence fut'énorme, à ce'point même
que certains de ses romans, aujourd'hui insupportables à lire'
r\ cause de leur idéalisme douceâtre. et exalté, furent dévorés
par ses contempgrains.
Le gofit des lettres étant redevenu vif, it se forma deux
milieux qui les cultivèrent avee succès :
a) Le groupe des poètes $antois, romantiques, éIégiaques,
enthousiastes de Lamartine, de Lord B)'ron, de Schiller, égale-
ment attires par la France et par I'Allemagne de 1848. Le
meilleur cl'entre eux fut Karel Lede$anck (t 184?)' auteur
doun poème de noble inspiration,I)e drie Zustersteden (les Trois
villes-sæurs : Anvers, Gancl, Bruges). \

b) Le groupe des poètes anversois, en tête duquel figrrre


Théodore van Rijswiick (t 1849), esprit plus moderne, plus
individuel, eréateur de jolies cadences rythmiques.
Les écrivains de cette première période s'étendant de
1830 à 1850
-
témoignaient encore d'une certaine gaucherie
dans la fornre;- ils n'osaient se montrer franchement personnels
et ils se servaient trop souvent des clichés du romantisme.
II n'en fut plus ainsi'durant Ie seeond stade évolutif des lettres
flamandes, de 1850 à 1880. Sous I'influence des grands courants
spirituels et réalistes clu temps, les écrivains flamands com-
posèrent, en un style coloré et pttissant, des rornans, des
eontes, des nouvelleso genre vivant et descriptif dans lequel
ils excellèrent. Parmi eux, je signalerai le romancier Domi-
nique Sleeckx, peintre scrupuleux des' mceurs des paysans
et de la petite bourgeoisie; Vir$inie Lovelin$ (t le23),
dont les nouvclles villageoises ont un accent de sincérité
inimitable; 'Iony Ber$mannn jeune Lierrois, mort prématuré-
ment' (f8?4), auteur d'une sorbe d'auto-biographie channante,
Emest ,Staas..
Les poètes de cette période ont deux défauts : s'ils cultivent
le genre triste, ils évoquent des sujets excessivement et trop
uniforméinent lugubres; s'ils sont gais, ils abusent des l:ied'ek'ens
et des deuntjes (1). Cependant certains noms s'impoSent à la

(1) Chansonnettoe et refrains.


-562-
mémoire : Jan van Beers a un profond charme intime, Julius
de Geyter et Julius vuylsteke ont de I'ampleur décorntive.
Hors pair se place un poète limbourgeois, Johan Michiel
Dautzénber$ (1808-1869), prestisieux ciseleur de rintes.
Pendant la troisième phase'de son développement, de 1880
à nos jours, le mouvement littérdire flamand gagne en force et
en ampleur. Bcaucoup <le revues se fondeht et rencontrent, en
Hollande comme dans nos provinces flamandes,l'accueil le plus
enthousiaste. Ici aussi, I'individualisme, si marqué parmi les
auteurs contemporains européens, ne permet aucun classement
en genres ou en écoles. Beaucoup de prosateurs déerivent' avec
une impitoyable sincérité, les mccurs rudes et les passions
violentes des paysans. Lcurs æuvres sont rédigées en dialecte,
surtout en patois de west-Flandre. A ce genle appartiennent
les romans de Cyriel Buysse et de Stijn Streuvels (Frans
Latteur). le boulanger d'Avelghem (près de Colrtrai). Herman
Teirlinck, prosateur bruxellois, semble avoir renoncé à la
nouvelle rurale pour des études élégantcs de milieux et d'indi-
vidus d'une grâce un peu morbide. Gust verrneylen, Bruxel-
lois aussi, auteur d.'une admirable étude philosophique : De
won,delende Jood (le Juif errant,), inséra dans une revl,c, attjour-
d'hrri dispanre z Van Nu, en Straks (f). Ies productions d'un
brillant groupe de jeunes. Parmi les poètes, la première place
appartient sans conteste à un modeste et tloux curé de West-
Flanclre : Guido Gezelle (r880-f899). Aimant la campagne
qui I'environne, le dialecte, les vieux usages de ceux qui I'en-
tourent, il chante, en une langrte fraîche et sincère' les élans
de loâme et les beautés dc la nature, les unissant en une exalta-
tion lyrique de Dieu. L'enthousiasme qu'inspiraient vers 1860
ses æuvres, peu nombreuses d'ailleurs, âlartla le haui elergé.
Docile, le prêbre, en pleine maturité de génie, se replia sur.
lui-même.'Ce ne fut qu'après l88O qu'il livra, de nouveau à la
ptrblieité ses recueils de rimes exquides : 'I'iidl;rans (f 893) et
Rijrrt snoer (1 89? ) (2).
Rien que doinnombrables sociétés théâtrales populaires et
chambres de rhétorique d'autrefois adorassent représenter des
drames et des comédies, Ia littératute dramatique flarnande

(1) Littéralement : n De maintenant et de tautôt. I


(2) Couronne du tonps; collier de ri-mes.
-568-
resta inférieure. Elle fournit quantité de tragédies noires et
boursouflées, trop fecilement récompensées par des encoura-
gernents ofliciels. Cependant, un drame de puissànte envolée
Iyrique honore la scène flamande : le Gtùrun d'Albrecht
Rodenbach (1876). Certains drames de Nestor de fière ont
aussi un vigoureux caraetère.

,t **

Plus encore que les scienees et les lettres, les arts ont fleuri
dans la Belgique indépendante; en cela, nos con[emporains sont
restés fidèles aux caractéristiques aneestrales. A l'époque de Ia
rér'olution, I'architecture était aveulie par I'imitation con stante
du style néo-romain classique. C'était l'époque où Suys
père (1783-1861), architecte de mérite, construisait la grande
église Saint-Joseph au quartier Léopo.ld (Bruxelles),'où Roe-
landt, élève des architectes français Percier et Fontaine,
édifiait le Grand Théâtre et le Palais de Jusfice de Gand,'
construation de majestueuse allure.
Yers 1845,le gofit public se fatigua des répertoires d'académie.
L'éclectisrne dqvint de mode. Les progrès sociaux attirèrent
I'attention des architectes vers des construetions d'un genre
nouveau : halleso gares, bureaux, grands magasins. Cluysenaer
construisit, en 1846-1847, les galeries Saint-Hubert, à Bruxelles,
promenades couvertes qui furent imitées un peu partout. Le
Namurois Balat (t 1895) fit un retour vers l'art grec et
érigea, en 1880, le Palais des Beaux-Arts (musée de peinture
ancienne), à Bruxelles. Suys fils modernisa et enjoliva I'archi-
tecture gréco-romaine. Il fut I'auteur de la Bourse de Bruxelles.
Mais la plupart de nos architebtes se complurent â faire renaître
I'art < national u. Ils retrouvèrent dans nos anciens monuments
gothiques ou de la Renaissance des éléments permettant indiffé-
remment de pasticher des églises d'autrefois otr de construire
des bâtiments civils modenres, publics ou privés. Ils furent
atrssi d'excellents restaurateurs. Parmi eux, les meilleurs adeptes
du gothique furent I'Anversois Joseph Schadde qui agrementa
de pignons, de tohrelles et de verrières en oqive la Bourse
d'Anvers et la gare de Bruges; Van YsendijcË 1f rerr), qui
édifia le ravissant I{ôtel de Ville de Schaerbeek et opéra d'élé-
gantes restaurations d'églises. Du côté des admirateurs' de la
-564-
Renaissance flamande, praçons en premier rieu re courtraisien
Beyaert, de la gare de Tournai (rgzg)et de Ia Banque
Nationale "réutu.r"
d'Anvers (lgz5). Louis van overstraeren eut un
talent assez indépendant; on lui doit Ia grande église sainte-
Marie à schaerbeek, en style roman-byzantin. une prace plus
originale encore est occrrpée par Joseph poelaert (Bruxelles,
l8l7-I879), talent hant6 de rêves grandioses. son æuvre prin-
cipdle, le Palais de Justice de Bruxelles (1s66-lggg), unit
Ies styles de I'rnde, de lEgypte et de Ia Babyronie à ceux
' de Ia Grèce et de Rome. construction couvrant 26,ooo mètres
carrés et dont la salle des pas-perdus occupe à elle seule une
aire de 3,600 mètres earrés, ee tempre de ra Loi est d,une
majesté extraordinaire.
A partir de lBSo s'ouwit un âge d'or pour nos architectes.
Nos villes s'étendaient dans toutes res directions, le.< gens riches
rivalisaient de luxe pour I'aménagernent de leurs hôtels et
châteaux. Léo4iold rr rêvait de rendre sa capitale de plus en'
plus belle et la dotait de tdut u' système d'avenues concen-
triques et rayonnantes, flanquées de grands parcs (avenues
Louise, de Tervueren, de lUeysse). En cette netgique prospère,
pimpante et luxueuse, tous les styres se coudoyérànt. De rggo
à 1890, I'engouement pour ra Renaissance flamande muttiplia
Ies maisons à pignons en escarierso à façades unissant Ia brique
rouge à Ia pierre blanche. plus tard, ir y eut un retour vers re
elassique, le Louis XVr (notamment le gracieux T.ouis XVr
liégeois) et le style georgien, d'une élégancà sobre, à la manière
britannique, rl y eut dans tout cela des défauts : trop de pas-
tiches, trop de fausses reconstitutions'archéologiques, trop de
surclrarges et d'ornements. Mais I'ensemble de nos construc-
tions contemporaiqes eut beile allure. certains architectes
brillèrent par leur'science du <lécoratif, tels Henri Maquet
$ roos;, q'i transforma re parais Royal de Bruxelles, et
Drnest Acker (t rgr2), eréateur de l'Exposition de Bruxelres
(f S10), ehef de I'éIéganbe école belge classique.
vers l89o naquit en Belgique un ert nouveau dri aux archi-
tectes Hankar (t rgol) et Horta (né à Gantt, I g6t). ce amodern
style > ne voulait rien devoir à des traditions a'térieures. utili-
sant le fer, le v'erre et le ciment, pour la construction de grands ,
magasiris, de gares, cle maisons et de villas, ce style était clair,
précis, élégant et see. L'abus de la ligne courbe permit aux
-565- t

Euvais plaisants de railler < le grand ténia belge r; il n'en


,issa pas moins des constructions remarquables par.Ieur homo-
énéité (ex. : la Maison du Peuple, à Bruxelles) et exelça une
rande influence dans le monde.
Ce style nouveau eut pour conséquence bienfaisante de réas-
rcier les diverses manifestations de I'art. Soirs I'influenee de
'andevelde, professeui à Weimar, Ies < ensembliers >r créèrent
es formes, des lignes, des haqmonies de couleurs nouvelles, ils
oordonnèrent I'action de l'architecture, de la sculpture, de la
einture et du mobilier, obtenant des créations d'une élégance
uprême. si certaines éeoles ultra-contemporaines d'( ensem-
liers I tombèrent dans I'excès de la subtilité et d.e la reeherche
norbide, comme celles de Municli, de Vienne et d'Italie, eelles
,e France, d'Angleterre, de Hollande et de Belgique conser-
.èrent de la mesure dans I'interpénétration des architectures
l'extérieur et d'intérieurr
Il va de soi que l'école des < ensembliers u devait amener la
'énaissance des arts mineufs. Comme au xve siècle, les
,erriers, les brodeurs, les médaillistes, les joailliers, Ies prati-
li,ens de la sculpture chryséléphantine (or et ivoire), les émail-
eurs, les relieUrs et autres < Ouwriers d'art )), auxquels il faut
oindre les tapissiers-décorateurs et dessinateurs de papiers
teints, coopérèrent à ce réveil du Beau. Guidés par le principe
le I'adaptation des formes des objets à leur destination, ils
rbtinrent des résultats magnifiques aux expdsitions de Milan
'1906), de Bruxelles et de Gand.
La sculpture belge, jusqu'alors intërieure à la peinture'
linon par le rriérite, du moins par le nombre de ses adeptes, se
plaça apres 1830 sur un pied d'égalité avec elle. Par la nature
même de leurs productions, les sculpteurs devaient compter
lpécialement sur la protection des pouvoirs publics et les com-
mandes de groupements collectifs. fls firent donc des statues
rl'hommes célèbres, des bustes et des médaillons, mais leur
lenie soépanouit plus complètement dans les ceuvres de
àaraetère ou abstraites, inspirées par le sentiment de fAfi
pour I'Art. Créant des sujets complets par eux-mêmes' sans
préoccupations de cadre ou de milieu, ils ébauchèrent un
[eu trop exclusivement des compositions pour Salons et
N'nusées.
I Remârquables furent, au milieu du xixe siècle, les æuvres de
566 _
ioAnversois Guillaume ieefs, a'Eugène simonis et de
f,'raikin. ce fut Geef's qui érigea le monument cles martrrrs. à
Bruxelles, le mo-
nument de Léo-
pold Ier, à Lae-
ken, la .statue de
Rubens;à Anvers,
celle de Grétry,
à Liége. Fraikin
érigea Ie nronu-
mcnt d'Egnront
et de llornes,
Simonis Ia statue
équestre de Gode-
froicl de Bouillon,
ri Bruxelles. Avec
Jo-
le concours de
seph Geefs, ces
trois favoris du
public ornèrent
aussila colonne
du Congrès, cru-
vrc qui résurne
I'art sctrlptural rlu
tcmps, avcc ses
qualités solidcs et
son cltrssicisnre un
l)oul rorne.
\rers I.870, no-
tle école tle sculp-
tur.c sc ra jcunit
(pâofo Àrcls.) ct dcvint, plus vi_
LA coLoNNE DU coNGRÈs, A BRUXBLLES vtlnte, soUs I'iIl-
Erigric crr I.\i!) cri I'honnerrl dn notr,e prcmicr fluence cles graû<ls
iiiillï:'lr li'"'iïâ::ï;1,Ë;:'i;fl:iïiï' .
artistcs fran ça,is
:Lîi-ii,ii
li?jii'J,'lï,T,';,:;Tli"i"';!"1';;;;*'iirË'"1i*L.ij1;; carpcaux, Far-
bclgt: lncorrnrr, solls unc siml)l() clallc
toujours grtière et Rodin.
cotr'ert'e d' flettrs'
A cause cle l,ex_
trême indivirhralisnrc dc cette école, je dois me borner
à la mention de quelques noms, choisis au hasard, parmi
-567-
Iesplusméritants.Chacundenossculpteurscontempo-
raits t, en effet, sa physionomie spéciale' Le Gantois
Paul De vi$ne (r84s-r901) est d'rm classicisme gracieux et
calme. L'illustre ionstantin'Meunier (Etterbeek,
1831-f905)
fait ses débuts comme peintre, puiso après l88O' devient le
puissant évoeateur du proletariat de la grande industrie; il
exprime doune manière pathétique la souffrance muette
des

prrddl".r"r, des mine,rrr, à". hiercheurs' Vigoureux naturaliste


se montre charles van der stappen (saint-Josse-ten-Noode,
1g43?1910), directeur de I'Académie des lleaux-Arts.
Anvers, la
classiquecitédesarts,fournitsoncontingentdemaîtres:
JulienDtllensaumélancoliquevisage,artisi,ecom_patésoy.
vent aux sculpteurs déIicats de la Renaissance {lorentine;
Thornas Vinçotte, cétèQre pour la sfireté technique avec
laquelle il ébauche ses frémissants groupes de chevaux; Jef
la}beaux (t 1906), le Jordaens de la sculpture, chantant
l,épanouissement paien des chairs triomphantes. Il convient
aussi de louer I'art profond de victor Rousseau, le
talent fier
â" Éu""" Braecke, qui vise à réassocier la scrrlpture et I'archi-
tecture, Ia fantaisie souriante de Jules La$ae' le pur dessin
des médailles de Godefroid De Vreese, Ia finesse
de Charles
monument De Coster (rxeiles'
sarnuel, créateur du charmant
1894), la fougue et les jeux de clails-obscurs de Rombaux'
Pat'riedesVanEycketdesR,ubcns,lqBelgiqueindépenrlante
privés
ne ménagea ni les encouragements publics, ni les appuis
nclmbreux artistcs peintres. sotts le régime hollandais, le
à ses
g"tt" acadérnique, le classicisme des l)avid' des Ingres' des
Le
ôéricault, avait ete t" criterium de la beauté suprême.
peintre carolorégien tr'rançois-Joseph Navez (r707-I859) y resta
fidèle. ses compositions historiques et religieuses sont froides,
mais ses poftr&its sont exeellents'
Peu après la révolution,l'influence romantique de Delaroche'
ainsi qrù le réveil du patriotisme, amenèrent la renaissance
enthou-
d,une école nationale flarnande, qui sorrlcva un gtaDd
siasme. cette ée.ole voulâit en revenir à la tradition rubéniehne,
au point d.e vue du . dessin et du coloris' Elle se voua aux
compositions historiques : batailles des Eperons d'or
ou dè
Wor"ingen, Compromis des Nobles, Chaperons lllancs' C['uvres
giganteiques, théâtrales, conventionnelles' Ayant son centre à
Anvers, elle eut pour principaux représentants Gustave \ilap-
.-o-n'l

__ 568 _-
pers (rBoS-rS?4) er Nicotas de Keyser (r8rB-fSB4). l,
< gra'de peinture r fut aussi pratiquée -à eettà
époque par l
Tournaisien Louis Galrait et p"" iu
lisro-tsaz) Dinantair
Antoine \{'iertz (rs06-rg65).Le genre de ce dernier
fut cepen
dant tout personnel. Lyrique jusqu,à l,extravagance,
peignit des sujets ffune philosàphie confuse Wiertz
*rr":d*, toiles dr
15 mètres. Ses grnupements de personnages ont
de l,ampleur
mais sa peinture mate, s.r grosse toile éeùe,
est deplaisante.
cependant te public se lassait des ceuvres âe
musée à surrbce
exagérée. certains peintres flrent retour
at < paysage national n
ou furent animariers, tels Eu$ène verbo""Lt
' o"*" (r7gg-rggr),
dont les petits rnoutons bien peignés firent fureur.
D,autres se
consacrèrent âux tableaux de genre. Le
Bruxetois
Baptiste Madou (rz96-Igzz),'dessinateur et ilIustrateurJean-
ver-
veux' composa des scènes intimes, rustiques
ou urbaines, d,une
adorable finesse d'observalion. Ferdinand
fignola de gracieuses seènes populaires.
de n.aelet"ai
A son exemple, beaucoup
de peintres ne firent plus quc des cortèges d:arbarét{ers,
des
seènes de rac.rage, des jeux de boule dans
les cabarets et autres
genres de < ehromos ,. . ,'
vers lB5o, notr,e école de peinture, inlruencée par
Ies Minet,
les corot,les courbet, devint réaliste,
naturalisie, *ooe"n".
Dix ans plus târd se fondait à Bruxenes ra < société ribre
des
Beaux-Arts )), avec irn journal : < I'Art libre >.
Au nom de la
sincérité d'observation, de l'interpÉtation inaiJJueue,
affran-
chie. de toute règre préétablie, e[e réagissait contre les genres
antérieurs. Lq premier de nos réalistes fut charres
Degroux
(comines, t8z5-rg?o), gui évoqua, en tons
sombres, Ia vie hrim-
ble et désolée des ouvriers et àes petits paysans,
Joseph ste-
vens (r8r9-r80r) peignit Ia misère des chiens e*ants;
son
tableau < Bruxeiles à I'aube r re plaça au rang
de nos maitres.
La grande peinture décorative et re g"r"" historique
ou
légendaire ne furent cependant pas complètement
abandon-
nés. Jean Portaels (rgr8-rggs), direct"ù
a" tlecaaemie de.
Bruxeiles. des scènes uintiq.r"". Joséph
:omposa van
Lerius
(Boom, 1828-1826), exarta Ia femme. dans ses puissantes
toiles : lady Godiva, cendriilon, Esméralda. L,Anversois
Leys (rst6-rs69) fy! un prodigieux arrish. fI
Henri
manières, chacune d'elles révérant ra richesse ";; Ol*_r"";;
de son pirrc"r,r.
Après un voyage en Allemagne (rg5z), il s'éprit
de Ia manière
-. 569
-
des Holbein et des Cranach. Il peignit alors des scènes du
xvre siècle, âvec un serupuleux souei de l'exactitude archéolo-
gique, un dessin d'une maîtrise admirable, un ehoix surprenant
de tons veloutés, riches et sourds. Ses plus belles ceuvres furent
des panneaux, décorant les salles de I'hôtel de ville d'Anverq
(f 86S-f869). IIs font pleinement apprécier son talent, associant
le réalisme des physionomies contemporaines à I'archaisme du
cadre. Leys souleva I'enthousiasnre de toute une école histo'
rique, mais, si nous plaçons hors pair Ooms et Henri de
Braekeleer, ses fidèles tomtrèrent bientôt dans le genre < bric-
à-brae >.
L'école réaliste de 1850-1885 comprit surtout des paysa-
gistes. La série en débute par le probe Fourmois. Hippolyte
Boulen$er dirige < l'école de Tervueren D, à côté de laquelle
se retrouvent une < école du noir r et une < école du gris.r.
Artan brosse avec brio des marines; I'Anversois Stobbaerts
donne un coloris cha.toyant à ses seènes câmpagnârdes. Peut-
être supérieur à tous s'affirme Alfred Verwée (Bruxelles'
1838-1894), campant un magnifique trétail dans les plaines des
Flandres, sous un ciel vaste et tourmenté.
Pendant cette période féconde, nous efimes aussi des isolés,
cultivant leur propre genre : les < orientalistes'> Verlat, d'An-
vers, et Ernlle 'lVauters, de Bruxelles; Alfred Stevens
(Bruxelles, 1828-1906), frère de Joseph Stevens, peintre des
milieux aristocratiques. Habitant Paris, habitué du boulevard,
cet artiste élégant eut une vogue marquée. Nul mieux que lui
ne peighit les jolies femmes, les étoffes de prix et les bibelots
exotiques
La fin du xrxe'et le début du xxe siècle furent caractérisés
par le nombre et la qualité de nos peintres. La foule s'intéressait
à leurs travaux et se pressait vers leurs innombrables exposi-
tionnettes qu'elle préférait aux ( Salons triennaux r officiels,
eouvrant une trop vaste puperficie. Eux-mêmes entraient en
contact avee le public par leurs eercles : < I'Essor, les Vingt,
Pour I'Art, Ia Libre Esthétique, la Société royale d'eneou-
ra,gement des Reaux-Arts r. Ifostiles. au conventionnel, à la
composition savante, nos peintres s'attachaient de préférence
aux sujets contemporains, traVaillaient à pleine pâte, sans
artifices. Le réalisme impressionniste, le style de la < pleine
lumière ,).'âux tons violents et heurtés, se retrouvent chez les
570 _-

peintres paysagistes flamands Emile Claus, Albert Ba'ert-


soen, l'évocateur des béguinages déserts, le pointilliste Théo
van R{sselberghe, le o luministe > Victor Gilsoul' peintre
des coins solitaires des villes mortes de Flahdre.
Dans les' tableaux à personnages excelle Alex Struys,
peintre des miséreux souffrants et des âmes simples en
détresse. Plus incisif encor€ est Léon Frédéric, dont les
types de prolétaires ont Ia précision documentée d'un article
de statistique. Eu$ène Laermans exaeerbe jusqu'au pessi-
misme I'apparence émaciée de ses personnagds ligneux : émi-
grants, mendiants ou terriens. Que de beaux noms aussi, parmi
nos portraitistes : Firrnin Baes, Van Holder, Philippe
Swijncop, dont la touche ptrissante évoque la maîtrise de l'école
de Frans Hals ! r

Il convient de dire qu'à côté de notre peinture à


eneore
caractère flamand et pratiquée en majeure partie par des
Ii'lamands, nous efimes aussi une pléiade d'dttistes Wal.
lons pour la plupart génie plus latin, maîtres -du trait
-.âu
précis et du dessin appuyé. C.itons, en premier lieu,le Namurois
Félicien Rops (1833-f898), aquaforbiste qui s'installa dé{ini'
tivement à Paris en' 1.875. Il burina des compositions terri-
fiantes, visions démoniaques des turpitudes de la passion et
du vice. Jarnes Ensor s'abandonne aussi à une sorte de
symbolisme otr le mystique s'associe à I'horreur. IJnissant la
netteté latine à l'élégance d'outre-Manche, Ferdinand Khnopff
(t 1922) peint des masques raflinés de femmes mystédeuses.
La pens4e abstraite et le symbolisme, telles furent aussi les
directives des grantls décorateun contemporains, hostiles à ia
séparation des arts plastiques : Jean Delville' au talent orgueil-
leux et empreint rle mystère; Constant Montald, tantôt chimé-
rique et ta)ntôt plein de sérenrté; Emile Fabry, calme et noble;
Ciarnberlani, épris de la beauté antique.
La Betgique ne fut pas moins la terre d'élection de la musique
que de la peinture. Notre patrie était, tant par la sollicitude
des pouvoirs publics que par le gofit naturel de ses habitants,
le pays d'Europe oir la culturé de I'art musical était arrivée au
plus complet degré cle développement. Elle possédait quatre
excellents conservatoires : à Bruxelles, Liége, Gand et Anvers
(conservatoirc flamand),airtsi que beaucoup d'écoles de musique.
Nos villes prinbipales étaient de celèbres centfes d'arL musical.
-57r-
On y donnait fréquemment des premières d'opéras étrangers, on
y organisait des festivals périodiques eonsacrés aux æuvtes de
Wagner, de Bach. de Beethoven, rle Berlioz. Dans la masse du
peuple même, Ie gofrt de la musique était inné. Parmi nos
innombrables chorales, harmonies, fanfares et symphonies,
l'<t Orphéon r (Bruxelles), les n Artisans Réunis r (Bruxelles),
les < Rardes de la Meuse > (Namur), les < Mélomanes r (Gand),
les < Disciples de Grétry > (Liége), Ia < Légia r (Liége), avaient
une grande réputation. Nos provinees avaient donné le jour
à des chefs d'orchestre, des instrumentistes et des ehan-
teurs renorhmes : les 'violonistes De Bériot, Vieuxtemps
son élève, Thornson, Ysaye, les violoncellistes tr'rançois et
Joseph Servais, la pianiste Marie Pleyel, le ténor wagnérien
de Bayreuth Ernest van Dyck, le baryton Noté et d'autres.
Il n'est donc point surprenant que notre pays ait donné'
naissance à des compositeurs éminents. Parmi eux dominent
les noms de César Franck, de Peter Benoit et de François
Gevaert.
Le Liégeois César Franck (1822-189O), eut une existence
mélancolique. Ni les Belges, ni les Français n'spprécie\rent de
son vivant la science géniale de ses grandes compositions reli-
gieuses : c Rédemption ,r, les < Béatitrrdes >. Le Paris du Second
Empire préférait les opéras-bouffes pimpants de I'Anversois
Atbert Grisar (IS08-f869). Plus tard, justice fut rendue à
F'ranck et toute la jeune école musicale française s'inspira de
son noble et pur talent.
Peter Benoit (f834-1901), d'Harlebeke (près de Courtrai)'
devint Ie chef incontesté de la musique flamande contemporaine.
II composa des oratorios ; De Schelde (l'IDscaut), I)e Oorlng
(la Guerre). des symphonies scéniques (Charloite Corday), des
cantates festivales avec accompagnement de fanfares et de
sonneries de cloches (Rubms-Cantate), prodiguant dans ees
chefs-d'æuvre I'ardeur débridée de son ternpérament roman-
tique. A partir de 1898, il fut directeur du Conservatoire fla-
mand d'Anvers. Benoit forma dans cette ville une école de
compositeurs d'élite : Jan Blockx, auteur du célèbre opéra
< Princesse d'Auberge r (f 896), Huberti, compositetlr de lieders
délicieux et cl'oratorios.
Frahçois-Auguste .Gevaert (Huysse près d'Audcnarde,
1828-f908), vécut d'abord à Paris et y éeùvit des opéras à
-- 572
-
suecès, dans le style du Second Empire. Devenrr direeteur d
Conservatoire de Bruxelles en l8?1, il organisa cles conceû
impeccables, se flt connaître comme musicologue érudit r
composa deux ehants, devenus nationaux en Belgique, la car
tate de Yan Artevelde et < Vers I'Avenir ! r
Quoique élèves ,$es maîtres préeédents, certains de nos con
positeurs se taillèrent une personnalité tout à fait indépendant
tels Emile Mathieu, âuteur de I'opéra < Richilde ,,, Par
Gilson, auteur de Prinses Zonneschijn (Pnucesse Rayon-dr
Soleil), et surtout Edgar Tinel (1854,-1912), petit paysdn c
Ia Fla,ndre orientale devenu tlirecteur du Conservatoire c
Bruxelles en 1908. Esprit mystique, Tinel écrivit un oratori
célèbre, < Françcis d'Assise >, et retraça la touchante histoir
de sainte Catherine d'Alexandrie dans la légende rlramatiqr;
intitulée r< Katharina r.
QUTNZTÈrrnE PARTTE

LA BELGIQUE
ET LA GUERRE MONDIALE
(1914.1918.)

CHAPITRE PREMIER

LA GUERRE MONDTALE
ET.LA CAMPAGNE DE JgT+ EN BEI.,GIQUE

- La course d,uæ urmements en Europe erz lgl8-lg1a (p. EZt).


L'Allemagne responsable; la mentaltité allemande e!, fgl4 -
(pp. 57A et 575). ZB, juin t9t4 : la tragétûie de Seràjeoo ; elle
, sert de préteæte à-Ia guerre (pp. E7E et 576). L,ulttmatum
austro-hongroùs à la serbùe [2s -
juilletl ; la situat:ion diTtl,omatique
du 23 juillet au 3 aoû,t (pp. 5?6 et 877).
Les mestrês de précaution du, gou,aernenrent belge; état de I'opiruion
publique ù Ia de juillet; ùttitude perfide du gouaernemen,t
fin
allemand à notre égard (pp. 5Z? et.5?B). L'ultimatum du
Z ao(tt (pp. 578 et 529). La réponse betge- du S (pp. S7g et
-
580). * Accueilfait à l'ultimatum en Belgique et dans le monde ;
la séance du 4 aoû,t.au Reichstag (pp. FB0-EBZ). L,Angleterte
-
déclare la guerre à I'Allemagne [4 aotït] (p. EBZ).
La journée ùt 4 aoû,t en Belgique : la séance histnriqu,e auæ
ChamAres (pp. 583-586). L'inaasion du tenùtnire; le plan
germaniqug (p. 58G). - Les premièrs deuoirs de l,ar"mée
b"lge. Diffiatltés flnhumaines de sa tôthe (pp. 586 et EBZ).
-574-
La défense de Liége f4-17 ao(ttl (pp. 58? et 588). ._
-L'année belge su,r la Gettei oictoire de Haelen [12 aott]
'(pp. 588 et 589). Eloges décernés à l'armée belge par ses
atliés (pp. 589 et -590). La retraite sur Anaers; l'inaa'
-
sio'iz de Ia Belgique centrale [18-24 aofrt] (p. 590). _- La
défense de Namur l2L-25 aoûtl (p. 590). Les dsuæ
sorties d'Anaers 125-26 août; 9-13 septembrel (pp. 590
et 59f ). Les atrocités et les calomnies allemandes (pp. 591'
5e3).
-
Lc siège 'd'Antsers [28 septembre-9 octobre] (pp. 593-595).-
Retraite de l'armée bcilge aers I'Yser (pp. 595 et 596). La
. -
bataille de l'Yser [f 6-30 octobre] (pp. 596-598). - La batailln
d,'Ypres [première quinzaine de novembre] (pp. 598 et 599).
I i L,intervention de la Belgdque et sa
' part da,ns la guerre constituent la clef
u",1,îT"liriH"r'"#rl,soN
a,ux chambres
belses, le 19 juin 1019.)

' Dcpuis les deux guerres balkaniques de 1912 et lgl$, Ia


eourse aux armements avait pris en Europe des proportions
fantastiques. Par crainte d'être vaincus au cours d'une mêlée
générale, les peuples mulbipliaient leurs moycns d'attaque
et de défense. En avril 1913, les Allemands avaient porté
lelrs effectifs de paix à près de neuf cent rnille hommes; ils
s'apprêtaient à cottt'rir leurs nouvelles dépenses pàr une con-
tribution exceptionnclle d'un milliard. fJn guise de ripgste, la
France rétablissait le service de trois ans. Au début de 1914,
la Russie massait dix corps d'armée sur ses frontières occiden-
tales et rénovait ses forces militaires de manière à devenir,
vers l9l?o la plrrs forte puissânce militaire du monde.
n y avait certes à ce moment des courants impérialistes dans
tous les grands PàYs, mais I'Allemagne, plus que tous les âutres,
était responsable de la politique démente et criminelle dans
laquelle le monde s'était engagé. En 1907, lors de la seconde
conférence de La }Iaye, le chancelier von Biilow avait dédai-
gneusement annoncé que I'Allemagne se refuserait à prendre
part à la eonversation internationale proposée par I'Angleterre,
en faveur de la limitation den armements. Les hommes cl'Etat
allemands proelanraient sans vcrgogne qu'en cas de conflit les
575
-
traités d'arbitrage < prendraient feu comme de I'amadou r.
L'empereur Guillaumè fI irritait'l'opinion publique mondiale
en parlant à tort et à travers de la nécessibé otr se trouvaient les
Allemands de n tenir leur glaive eflilé et leur poudre sèche r.
L'Allemagne comptait moins d'habitants que la Russie, elle
était moins riche que la France, clle ne pouvait sérieusenrent
rsong€r à ravir la maîtrise des mers à I'Angleterre. Ses intérêts
les plus immédiats lui commandaient de suivre une politique
de paix. Mais l'empire allcmand se laissait conduire par la
Prusse et la Prusse elle-même, grisée pâr ses victoires de I864,
de 1866 et de 1870, était dirigée par le parti militariste. Choyé
par Guillaume If, ce parti comprenait le ltronprinz, presque
tous les princes, généraux, amiraux et officiers du .Re'icà. Il se
confondait étroitement avec le parti panÉiermaniste, composé
de niilitaires, de fonctionnaires, de prof'esserus des universités
et des gymnases (f), de maîtres d'école, de jorrrnalistes,
de gros industriels, commerçants et banquiers. Le nrilitu-
risme et Ie pangermanisme errrpoisonnaierrt I'opinion publique.
Les journaux affolaient les gens simples en leur persuadant que
I'Europe voulait < encercler r I'Allemagne. Ils surexcitaient les
passions d'une nation laborieuse, riche, par nature déjà orgueil-
leuse et arrogante, en lui prêchant que I'hégémonie du monde
lui appartenait de droit, de par ses qualités exceptionnelles.
f,es Allemands.deviendraient la < lumière du monde et le sel
de la tetre ,r (discours de I'Empererlr au Reictrstag, le 25 jan-
vier 1907). Sorrlevée par une folie mystique, sfire de I'appui du
Créatetu, I'Allemagne de I9l4 considérait le continent comme
n mûr pour la grande lutte entre les peuples >. Un de ses plus
illustres philosophes allait bientôt dire : < Le triomphe des
arméès allemandes dans Ie eiel, sur tcruc et sur mer, preparé par
la pensée des philosophes, des physiciens, des nrathénratieiens,
donnera naissanee à une Europe vrainr:ent germanique, avec
Ia véritable égalité et liberté. >
I)ans ces conditions, la paix clu monde était à la merci du
moindre incident. f,'assassinat dc I'Lrrchiduc héritier François-
Ferdinand d'Autriche et de sa femme, la duchesse de Hohen-
berg, à Serajevo (Bosnie), le dimanche 28 juin 1914, assassinat
perpétré par quelques propaganrlistes panserbes, tournit aux

(1) Le gymnasium équivaut â, nos othénéer.


__ 57t _-

impérialistes allemands I'occasion tant attendue de provoquer


un < règlement de comptes r. Les circonstances leur paraissaient
propices. IIs comptaient sur la coopération de I'ftalie, de la
Bulgarie et de la Turquie, ainsi que sur I'amitié des rois de Rou-
manie et de Grèce. Des grèves à Saint-Pétersbourg, les péri-
péties du procès Caillaux, à Paris, ér'eillaieùt en eux I'illusion
que la Russie et la France étaient minées par I'anarchie. Ils se
persuadaient que I'Angleterre, oeeupée par les affaires d'Ir-
Iande, resterait neutre. fls s'attendaient moins encore à une
intervention des Etats-Unis. En somme, par une initia.tive
prompte et décidée, l'Allemagne pouvait, au prix de sacrifices
relativement minimes, vaincre suceessivement ses adversaires
sur les fronts d'occident ct d'orient.
f,e gouvernement allemand poussa donc le gouvernement
austro-hongrois qtri à lui seul n'efit jamais osé assumer des
resporlsabilités -aussi tormirlables _- à poser au royaume de
Serbie des conditions inaeceptables. Le jeudi 28 juillet, rm
ultimatum écrasant était envoyé à Belgrade. Si la Russie, pro-
tectriee naturelle des Serbes, eonseillait au roi Pierre de céder,
les Centraux remportaient une éclataritc victoire diplomatique;
si, au contraire, elle prenait les arr.nes pour la défense de la
cause slave, le conflit se déchaînait. De toutes manières,
c'était la < Kraftprobe (7) r tant souhaitée.
Dès lors, les événements prennent une tournure tragique et
se déroulent avec une rapidité foudroyante. C'est en vain que,
le 25, la Serbie accepte.toutes les conditions de I'ultimatum ne
portant pas atteinte à sa souveraineté et que le tsar sollicite
une prolongation de délai en faveur de ses protégés. Le mardi
28 juillet, les canons autrichiens ouvrent le feu sur Belgrade.
C'est en vain que, ce même jour, sir Edward Grey, ministre des
Affaires Etrangères d'Angleterre, propose une eonférence inter-
nationale à Londres, L'Allemagne répond : <r On ne peut pa;
.citer l'Autriche devant un tribunal européen. r C'est encore en
vain que le tsar Nicolas suggère à Guillaume II,le 29, de porter
le conflit devant la Cour arbitrale de La I{aye. L'Allemagne
veut sa guerre, elle I'aura! La R,ussie, dont les mouveryrents
,militaires sont totrjours ralentis par le manque de voies straté-
giques et les distances à parcourir, et qui, d'arttre part, r'oit se

(1) Epreuve de forces.


-
577 --
préciser les préparatifs de I'Allemagne et de I'Autriche, ordonne,
ie BO, la mobilisation générale. Etle promet solennellement de
n'entreprendre aucune offensive aussi longtemps que dureront
les pourparlers. Qu'importe, l'Allemagne tient enfln son pré'
texte : le 31, à minuit, elle somme la Russie de démobiliser dans
le's d.ouze heures;le lbndemain, à sept heures et demie du soir,
elle lui déclarei la $uerre.
ceci ne lui suIfrt point. sfire de son fait, elle veut vaincre du
même cotip tous ses adversaires. La France allsit commencer
la mobilisation générale le 2 août, mais, en même temps, elle
allait retirer seç troupes à huit kilomètres à I'intérieur des terres
pour éviter tout incident de frontière. Déjà le vendredi 8l juillet'
I'Allemagne somme la France .de lui faire connaître ses inten-
tions. Dans le cas tout à fait inwaisemblable oir la République
brahirait son alliée, M. von Schoen, ambassadeur d'Allemagne
à Paris, est chargé de réclamer à la France des garanties inac-
ceptables pour son honneur : l'oecupation momentanée de ver-
dun et de Toul. Mais la France répond fort habilement qu'elle
agira au mieux de ses intérêts. Alors I'Allemagne, prétextant
des incursions imaginaires d'avions français en Bavière, lui
déclare aussi la $rierre (le 3 août, à 7 heures du soir).

l**

Pendant la période angoissante qui s'était ouverte le 28 juil-


let, I'opinion publique belge ne s'était que lentement babituée
à l'éventualité d'uh conflit mondial. Au nom du bon sens, elle
se refusait à croire à la possibilité d'une grande guerre et parlait
hu n bluff > germanique. Le mercredi 29,Ie gouvernement avait
rappelé trois classes de milices. Le 81, à 7 heures du soir, il avait
proclamé la mobilisation générale (I ). ces mesures n'avaient
pour le grand publie que la signification d'actes de prudenee'
Le gouvernement avait agi de même en 1870. La < foi dans les
traités > était aussi vive qu'à cette époque déjà lointaine. Les

(f) La mobilisatlon englobait stx D. A. (divisions d'armée) ot rme divislon


d.ecavalerio. Chaque D. A. comprenalt trois ou quatre brlgactes mixtes' un
régiment de cavalerie, un régiment d'artillerle, un bataillon du génie'
Chaque brigacle mixte comprenait : deux régiments à trois bataillons, trois
batteries, une compegnie do mitrailleurs, un peloton de gendarmes.
F. vaN EALKEN. ErÊTorRE DE BaLGrQvE. 1924. 19
- -
-578-
journatix *pp.t"i"rrt que, le 28 juillet 1905, le comte von
Wallnitz, ministre d'Allemagne à Bruxelles, avait déclaré que
le respect du traité de garantie de l88l était, pour son pays,
un <r axiome politique D âuquel n nul ne saurait toueher sans
commettre la plus g"*v" des fautes n. En octobre l9l0, lors de
sa visite à Bruxelles, I'empereur Guillaume If avait prononcé
des paroles d'ardente sympathie à l'adresse du peuple belge
et avait rendu hommage à sa position de neutralité. Parlant
devant la commission du'budget du Reichstag,le 29 avril 1918,
M. von Jagow, secrétaire d'Etat aux Affaires EtranEères, avait
dit : < La neutralité de la Belgique est déterminée par des con-
ventions internationales et I'Allemagne est décidée à res-
pecter ces conventions. r Cependanto lorsque le dimanche
2 aofrt I'on apprit que les Allemands avaient envahi le grand-
duché de Luxembourg, Ia nuit précédente, I'angoisse devint
vive. La veille, M. Klobukowsky, ministre de F rance i) Rruxelles,
était spontanément venu déclarer au gouvernement belge que
la République respecterait, quoi qu'il arrivât, la neutralité de
notre patrie. Mais, du côté allemand, les sphères diplomatiques
observaient un silence redoutable. Aussi, quel soulagement poul
la population de Bruxelles lorsqu'elle apprit, le 2, vers 5 heures
tle I'après-midi, que M. von Below-Saleske, ministre d'Alle-
magne à Bruxelles, avait fait à des rédacteurs des journaux
< Ie Soir r et, < le XXe siècle > des cléclarations très rassurantes.
< Peut-être verrez-vous brûler Ie toit de vos voisins, r a-vait-il
dit, <r mais votre maison restera sauve D.
Incroyable per{idie! (le même dimanche 2 aofrt, à sept heures
du soir, M. von Below-Saleske venait remettre à M. Davi-
gnon (l), notre ministret des Affaires Etrangères, une note.
c très eonfidentielle >, préparée dès le 26 juitlet pat ie grand
état-major allemand, et qui commençait en ces termes :
r< Le gouvernement allemand a reçu des nouvelles sfires
d'après lesquelles les forces françaises auraient I'intention de
mareher sur la Meuse par Givet et Namur. Ces nouvelles ne
Iaissent aueun doute sur I'intention de la France de marcher
sur I'Allemagne par le terriioire belge. Le gouvernement impé-
rial allemand ne peut s'empêcher de craindre que la Belgique,'
malgré sa meilleure volontéo ne soit pas en mesure de repousser

(l) M. Davlgnon est mort à Nice le 12 mars 1916.


579
- --
sâns secours une marehe en avant française d'un si grand déve-'
Ioppement. Dans ee fait, on trouve la certitude suffisante d'une
menace dirigée contre I'Allemagne. C'est un devoir impérieux
de conservation pour I'Allemagne de prévenir cette attaque de
l'ennemi. Le gouvernement allemand regretterait très vivement
que Ia Belgique regardât comme un acte hostile contre elle le
fait que les mesures des ennemis de I'Allemagne I'obligent de
violer de son côté le territoire belge. >
Ce chef-d'æuvre de duplicité comprenait ensuite quelques
fallacieuses promesses à la Belgique si celle-ci consentait à
prendre une attitude de neutralité bienveillante vis-à-vis de
I'Allemagne et se terminait par les menaees suivântes :
< Si la Belgique se comporte d'une façon hostile contre les
troupes allemandes et fait particulièrement des difficultés à leur
marche en avant par une opposition des fortifications de la
Meuse ou par des destructions de routes, de chemins de fer,
tunneis ou autres ouvrages d'art, I'Allemagne sera obligée de
considérer la Belgique en ennemie.
> Dans ce cas, l'Allemagne ne prendra aucun engagement
vis-à-vis du royaume, mais elle laissera le règlement ultérieur
des rapports des deux Etats I'un vis-à-vis de I'autre à la déci-
sion des armes. )
Douze heures étaient laissées au gouvernement belge pour
fournir une réponse.
A la réception de cet infâme ultimatum,le Roi réunit aussitôt
un cônseil de ministreso de ministres d'Etat et de généraux, qui
délibéra toute la nuit, non sur le principe de la réponse à
donner aux Allemands, car sur ce point il ne pouvait y avoir
de doute, mais sur Ies mesures à prendre pour parer à I'invasion
imminente.
Quelles préoccupations durent assaillir à ce moment notre
souverain et les hommes responsables des destinées de notre
pays! Certes, la vaillance des troupes belges avait toujours été
proverbiale,Mais les prouesses de nos braves de 1880, celles des
volontaires du baron van der Smissen, combattant au Mexique
en 1864-1865, celles de nos a Congolais r, dataient de longtemps
ou avaient été accomplies sur un théâtre bien différent. Notre
peuple avait déployé autrefois des qualités admirables dans
I'adversité, mais la prospérité et la vie confortable des rlernières
pnnéçs n'av€ient-elles point énçrvé son esprit'dç sacrifiçe? Les
_-580_
querelles politiques et linguistiques, I'internationalisme huma-
nitaire, I'esprit de raillerie et de seepticisme n'avaient-ils point
oblitéré son patriotisme?
Mais, rejetant ces doutes loin d'eux, le'Roi et les membres
du gouvernement considérèrent que c'était faire au peuple
belge la plus sgnglante injure que de donner en son nom, aux
Allemands, une réponse entachée de faiblesse. Le 8, un peu
avant 7 heures du matin, un refus était envoyé au ministre
d'Allemagne. La fin de ce fier document était libellée comme
suit :
a Cette note (il s'agit de la note confidentielle de la veille)
a provoqué chez le gouvernement du Roi un profond et dou-
lottreux étonnement.
> Les intentions qu'elle attribue à la France sont en contra-
diction avec les déclarations formelles qui nous ont été faites,
le ler aofit, â,u nom du gouvernement de la République. D'ail-
Ieurs, si, contrairement à notre attente, une violation de la
neutralité belge venait à être commise par la France,la Belgique
remplirait tous ses devoirs internationaux et son armée oppo-
serait à I'envahisseur la plus vigoureuse résistance. Les traités
de 1839, confirmés par les traités de 1870, consacrent I'indé-
pendance et la neutralité de la Belgique, sous la garantie des
Puissances et notamment du gouvernement de S. M. Ie roi
de Prusse. La Belgique a toujours été tdèle à ses obligations
internationales. Elle a accompli ses devoirs dairs un esprit de
loyale impartialité. Elle n'a négligé aqcun effort pour main-
tenir et faire respecter sa neutralité. L'atteinte à son indépen-
dance dont Ia menaee Ie fouvernement allemand constituerqit
une flagrante violation du droit des gens. Le gouvernement
belge, en acceptant les propositions qui lui sont notifiées, sacri
flerait I'honneur de la nation en même temps qu'il trahirait ses
devoirs vis-à-vis de I'Europe. Conscient du rôle que la Belgique
joue depuis quatre-vingts ans dans la civilisation du monde,
il se refuse à croire que I'indépendance de la Belgique ne puisse
être conservée qu'au prix de la violation de sa neutralité. Si cet
espoir était déçu, Ie gouvernement belge est fermement décidé
à repousser par tous les moyens en son pouvoir toute atteinte
à son droit. ))
Au moment même où cette réponse était transmise au ministre
{'Atlemagne, les éditions spéeiales des journpux répandaie,nt
-- .581 --
la nouvelle de I'incroyable sollicilation qui nous était faite'
Il n'y eut, en Flandre comme en \{allonnie, dans les vilies
comme dans les eampagnes, qu'un même et formidable
eri de colère. Quoi, ces Allemands que nous avions accueillis
si fraternellement chez nous (r), à qui nous avions si béné-
volement facilité I'accès de nos écoles, de nos congrès, de
nos rnagasins, comptoirs et ateliers, à qui nous avions
ouvert toutes larges les portes de nos demeures, ces Alle-
mands, trahissant Ieûrs devoirs les plus saerés, nous deman-
daient d'accomplir la pire tles forfaitures envers nous-mêmes
et envers le monde! Eh bien, non, cela iamais! Advienne que
pourTa, plutôt mourir ! Telle fut la réponse unânime, spon-
ianée, d'un peuple frémissant, dont le passé n'avait été qu'une
longue lutte pour la défense du Droit et de la LiberLé'
L1s grands crimes ne se commettent pas impunément' En
attaquant la petite Belgique, I'Allemagnc souillait sa cause
d'une honte ineffaçable et concentrait sur elle les sentiments
de réprobation de la plus grande partie de I'humanité. Dans
la séance du 4 aofit au Reichstag, le chancelier de I'Em-
pire von Bethmann-Hollweg qualifra lui-rnême la violation
de Ia neutralité belge d'< acte contraire au droit des
$,erls D, mais il déclara que cet acte avait été rendu nécessaire
par des conditions stratégiques et avait été inspiré par un
argument suprême : < Not kennt kein Gebot ! I (la nécessité
ne cOnnaît pas de loi.) Tous les Allemands et leurs amis répé-
tèrent dès lors à I'envi que, la frontière française étant trop
fortiflée, le passage en.trombe par la Belgique, dans le but de
provoquer une bataille décisive dès le début de la guerre, était
en effet une ( questibn de vie ou de mort pour I'Empire r. Ce
qu'ils n'ajoutaient pas, c'est que les dirigeants allemands cher-
chaient depuis longtemps à mettre la main sur la Bel$lque'
Nos charbonnages et nos usines les tentaient; notre côte devait
leur servir de base d'opérations contre I'Angleterre. Alors
seulement, la mer du Nord deviendrail,, comme I'indiquaient
déjà des atlas allemands, le véritable < Deutsches Meer t.
D'autro pafr, en cas d'insuccès, notre pays devaiL être

(1) Àu 31 tlécembre 1,913, il y avait en Belgique 85,000 Àllemand's et'


presque autant de porsonnee d'ori8iine allemande, ayant reçu le bénéflce 4ç
]a granrle ou tle le petite neturalieatiout
-582-
pour les Allemands un gage précieux (ein Faustpfand) (l).
Insensibles à I'indignation du monde civilisé, les Allemands
se montrèrent par eontre extrêmement émus et non sans
- leur perfidie
du second effet de
cause
- lorsqu'ils s'aperçurent
:

I'entrée en scène imrnédiate de I'An$leterre. Rien n'était


cependant plus logique que cette intervention. J'ai souvent
insisté dans ce livre sur les relations enl,re la Belgique et I'An-
gleterre, qualifiées déjà au xrrre siècle par Elisabeth de < mutuel
et naturel entrecours r. Et la reine ajoutait : < Les deux peuples
ont toujours esté, pâ,r commun'langage (2), accomparés au mary
et à la femme. u Mariage de raison, sans doute, mais oir le paral-
lélisme des intérêts avait été constant à travers les âges. Dès le
8l juillet. sir Edrvard Grey. reprenant la procédure de Gladstone
en lg?0, demandait à I'Allemagne et à la l'rance si elles étaient
prêtes à respecter notre neutralité. Il reçut de la République une
réponse nette et rassurante, de I'Allemagne un texte amhigu.
En même ternps, sir Grey demandait à notre gouvernement
si les Belges étaient prêts à défendre lertr indépendance.
Aussi fut-ce tout natutellement au roi George V que notre
roi adressa, le 3 au matin, un appel suprême pour obtenir son
intervention diplomatique.'Ce même jour, une séance histo-
rique avait lieu à.la Chambre des Comrnunes. Sir Grey v parla
de I'honneur et des devoirs de I'Angleterre. Quelques heures
plus tard, le gouvernement anglais sommait I'Allemagne de
rester fidèle à ses engâgements. En vain, celle-ci chercha-t-elle
à parer le coup par de vaines assuranees au sujet du caractère
( momentâné r de son action. Le mardi 4 aofit, vers 7r heures
du soir, sir Edward Goschen, ambassadeur d'Angleterre à
Berlin, .se rendait auprès du secrétaire'd'Etat aux Affaires
Etrangères pour réclamer ses passeports. Dans une dernière
entrevue.qu'il eut avec M. von Bethmann-Hollweg, le repré-
sentant de la Grande-Bretagne dut entendre les reproches
fébriles du Premier allemand, lequel, dans son trogble, laissa
échapper ces paroles inoubliables : < La décision de Sa Majesté
Brit4nnique est terrible ! Tout cela pour un mot neutralité >, <<

un mot auquel, en temps de guerre, on ln'â jamais fait attention,


tout cela enfin pour un chiffon de papier ! rr

(l) Littéralement: rur ga€ie que I'on gerre dans son poing.
(2) * Par commun langage , sig:nifie a Far 4a.Dière de parler ',
583
-
*.**
Le mardi 4 aofit marque la date la plus tragique et la plus
grandiose de notre histoire. Ce jour-là, à 6 heures du matin,
M. von Below informait notre ministre des Affaires .Etrangères
que ( par suite du refus opposé par le gouvernement rle S. M. Ie
Roi aux propositions bien intentionnées que lui avait sou-
mises le gouvernement impérial, belui-ci se verrait, à son plus
vif regreto foreé d'exéeuter, au besoin par la foree des armes.
les mesures de sécurité exposées comme indispensables vis-à-vis
des menaces françaises >.
A l0 heures du matin,le roi Albert'se rendrt au sein des Cham-.
bres législatives, réunies pour < s'associer à l'élan du peuple
clans un mêrne sentiment de sacrifics u. Le temps était magni-
fique; Ia foule, difficilement contenue par des cordons de gardes
civiques, se pressait sur le passage du Souverain; à toutes les
fenêtres flottaient les couleurs nationales. La Reine et les enfants
royaux, se rendant à la séance solennelle en voiture découverte,
furent salués d'ovations sans fin. Le roi était à cheval, en tenue
de campagne. Lorsqu'il passa, grave, calme et digne, suivi de
son état-major et de I'escadron Marie-Ilenriette, de la milice
citoyenne, I'enthousiasme devint du délire. Les cris de : < Vive
le Roi! ) couvrirent les accents de la < Brabançonn€ D, jouée par
les musiques militaires.
Dans un discours coneis, prononcé d'une voix émue mais
fière, notre héroique Souverain attira I'attention âes manda-
taires du peuple sur la gra,vité des circonstanees. Il adressa un
<r fraternel salut > à la < vaillante jeunesse fermement résolue.

avec la ténacité et le sang-froid traditionnel des Belges, à


défendre la patrie en danger )). < Partout, D continua-t-il,
< en Flandre et en \{'allonnie,dans - les villes et les campagnes,
un seul sentiment étreint les eæurs : le patriotisme; une seule
vision emplit Ies esprits : notre intlépendanee eompromise; un
seul devoir s'impose à nos volontés : la résistance opiniâtre.
r Dans ces €fraves circonstanees, deux vertus sont indispen-
sables : le courage calme mais ferme et l'union intime de tous
les Belges.
r L'une et I'autre viennent déjà de s'affirmer avec éclat sous
les yeux de la nation remplie d'enthousiasme.
o LIrréprochable mobilisation de notre armée, la multitude
-584-
des engagements volontaires, le dévouement de la population
civile,l'abnégation des familles ont montré, de façon indéniable,
la brâvoure réconfortante qui transporte le peuple belge. Le
moment est aux actes. l

S, N,I, ALBF]RiI IIT, ROT DES BELGE,S

..\vunt ér'r.rc1rit" le souvr:ttil tltt (lortqrès tle 1830, le Souveririn


I)rorro!'lçla elrcore ccs Jrlrritses ltrrthéticlues :
r< Si l'étrarlg-cr', iru rnépris cle lir ncutralite dont nous avons
touiottrs scntpulerrseln€:lit obsen-é les exigences, viole lc teni-
toirc, il trotrvc.rn torrs lcs Ilclgcs grortptls irutour tlu Sout'erain,
qui ne trahirtr 1xr-s, tltti ne trahira jarnais son serltrent consti-
tutionncl, ct du gouverllcmcnt itrvesti dc la confiance absolue
<lc la nation torit entière.
5E5
-
vrJ'ai foi dans nos destinées : un pays qui se défend s'impose
au respect de tous : ce pays ne périt pas.
u Dieu sera, avec nous dans cette cause juste.
r Vive la Belgique indéPendante ! I

S. \I. ELISABETH, RETNE DES BELGBS

f)e longues ct unanimes acclanratir;ns saltti'reut cctte vibrante


{éclaration. Après le clépart cltr l{oi, }[. tle ]lroqtrel'il]e, chef de
eabinet, infbrma les chantbres des clécisions prises par le gou-
vernement et conclut par ces paroles, d'ttne fermcté tolt
antique : < r.'heurc est aux actcs. IJu perrlrlc qui lrttte pour son
droit peut être vaincu, il tre sera jamais sotunis. r'

A I'unanirnité, tous les projets de loi dictés par ies nécessités


de I'heure furent votés. MNL Hymans et Vandervelde, respec'
-- 586 --
tivement chefs des partis libéral et socialiste, venaient d'être
nommés ministres d'Etat. L'union nationale était parfaite.
Ce même jour, un peu avant 8 heures du matin, I'ennemi
pénétrait sur notre territoire à Gemmenich, dans I'angle
nord-est de la province de Liége. Le plan de l'état-major alle-
mand étaib à la f<ris simple, ingénieux et formidable. Tandis que
sur le front rpsse, hors de danger encore, il se bornait à organiser
la tléfensive, il concentrait sur le front occidental, des Pays-Bas
à la Suisse, une série d'armées chargées de submer$er la -

Belgique et la France par un $,i$antesque tnouvernent


tournant. En manière de prologue, une armée lancée en avant-
garde, sous les ordres du général von Emmich, devait franchir
la Meuse à Liége et'frayer rapidement une route à travers
la Belgique à I'aile droite des masses germaniques.
Jusque dans la nuit du 3 an 4, ilos divisions d'armée avaient
surveillé toutes nos frontières. La IIIe D. A. s'appuyait sur
la place de Liége; la IVe sur Namur. A I'aube du 4, toute
incertitude étant désormais bannie, nos quatre autres divi-
sions se portèrent des régions de Gand, d'Anvets, de Bruxelles
et de Mons, au secours de la IIIe D. Le Roi prit le haut
corrrûrandernent. Il avait en tout 117,000 hommes sous ses
ordres (l). n leur adressa une proclamation énergique, dans
laquelle il rappelait airx Flamands Ia bataille des Ilperons
d'or, aux Wallons, I'héroïsme des F'ratrchimontois-
Les circonstances dictaient à l'armée belge un devoir précis.
En attendant le secours de la France et de I'Angleterre, elle
devait servir d'avant-$arde $énérale, résister le plus long-
tenrps possible tout en évitant une bataille décisive qui, étant
donnée la disproportion des forces, I'etrt vouée à l'écrasement.
La tâche qu'entleprenait notre armée était vraiment surhu-
maine. Les Allemandi envahissaient simultanément notre
territoire, du Limbourg hollandais à la vallée de I'Amblève. Ils
étaient pourvus des armes et de I'outillage les plus modernes :
avions, grosse artillerie, mitrailleuses, cuisines de campagne'.
camions automobiles. Chaque officier,. chaque soldat était
équipé selon les exigences d'une technique raffinée. Le moral
des envahisseurs était excellent : pour eux, Ia guerre serait

(1) A ce chifire vinrent s'ajoutor plus tard 18,500 volonta,ires enrôlés pa,r
le gouvernement.
_ 587 __

courte et triomphale, nulle foree au monde ne pourrait résister


à la puissance allemande. Le's officiers parlaient d'une guerre
I
< fraîche et joYeuse! n
Les nôtres allaient au combat animés d'un sublime esprit de
sacrifice. Ils étaient bien entraînés par leurs officiers. Ils affron-
taient avec vaillanee le grand ( sâ,ut dans I'inconnu > et brû-
laient du désir de se mesurer avec le < Boche rt' Mais en I9l4
notre armée était encdre en pleine voie de réorganisation. Les
unités étaient enchevètrées, les compagnies ne comprenaient
que deux pelotons au lieu de trois, il y avait un défrcit de plu-
sieurs centaines d'o{fieiers, les soldats manquaient de mitrail-
leuses et cl'outils. Comrrle en Francc,la grosse artillerie du
modèle
le plus récent faisait défaut. Les troufes avaient des uniformes
pitioresques mais surannés : lourds bonnets à poil et colbacks,
*hut o. enveloppés de toile cirée trrillante, boutons de cuivre poli,
éparrlettes et passepoils aux couleurs vives!
Dès le premier jour, notre armée fit des prodiges. Le 2e batail-
lon du I2e régiment tle ligne (450 hommes), sous les ordres du
major charles collyns (aujourd'hui lieutenant-général), défendit
duÀnt toute la journée du 4, contre les attaques de deux divi-
sions de cavalerie, les passa$,es de la Meuse à visé et au gué
de Lixhe . Le 5 et le 6, le brâve général Leman' É{ouverneur
de la position de Liége, défentlit la tête de pont de la Meuse
avec la IIIe D. A., la fameuse t division de fer r. Renforcée par
la l5e brigade mixte et par les garnisons des forts, les 18,o00 .

hommes de la IIIe D. A, firent face aux assauts ininterrompus


de 60,o00 Allemands (vIIe,IXe etxe corps). Dans leur outre-
cuidanceolesAllemandss,étaientimaginépouvoirprendreàla
baionnette nos forts à coupoles. Sotts les rayons blafards des
projecteurs, les nôtres voyaient déferler contle les glacis les
*"rr", grises des assaillantso rnasses aussitôt fauchées par le feu
de nos piè"*r à tir rapide. Iin assaut contre le fort de Rarchon
et le secteur Meuse-Vesdre fut victorieusement repoussé par
une eontre-attaque de la lle brigade (général Rertr4nd). Dans
la nuib dtt 5 att 6, les interyalles entre les forts de Boncelles
et d'Embourg (secteur vesdre-ourthe-Meuse) furent perdus et
repris deux fois (r). Nos malhertreux soldats, trop peu nombreux
(1) au cours d.e cette même nuit, un groupe de cavaliers allemands, entré
mystérieuserûent dans Liége, tenta cle capturer le général Loman au siège
même de l'état'major, rue Sainte-tr'oy' Il fut exterminé'
588
-
pour protéger une enceinte fortiffée de dix lieues de pétimètre,
devaient fournir des marches de quarante ou cinquante kilo-
mètres poqr se porter à Ia défense des points successivement
menacés. Enfin, il fallut reculer devant un ennemi trois fois
supérieur et se replier vers la Gette (le 6). 12,000 adversaires
environ avaient payé de leur sang ce premier pâs en terre belge.
Le roi Albert félicita ses troupes dans une proclamation otr il
disait : n Vous avez rempli tout votre devoir, fait honneur à nos
ârmes, montré à I'ennemi ce qu'il en coûte d'attaquer injuste-
ment un peuple paisible, mais qui puise dans sa juste cause une
force invincible. La patrie a le droit tl'être fière de vous. > Le
président Poincaré décora Liége de la Légion d'honneur.
Le7, à 5 heures du matin,le Xe corps pénétrait dans la ville;
les iorts tenaient encore. lls furent bombardés au moyen de
canons de 42 cm., pièces géantes, d'un modèle nouveau' aux-
q1èlles nul abri bétonné, nulle coupole d'acier ne pouvait résister.
Le fgrt de Barchon f'ut détruit dès le 8, puis ce fut le tour du
fort de Pontisse. Le général Leman s'était retire au fort de
Loncin. Le 15, un otrus de 42 en fit sauter le dépôt de poudre;
Leman tomba, évanoui, aux mains des Allemands qui I'auto-
risèrent à garder son épée (f ). Le 17, le tlernier fort de Liége
devait renoncer à toute résistance.
, L'armée belge s'était concentrée sur la Gette' de Tirlemont
à Perwez. Son aile droite était en liaison avec I'armée de Namur,
laquelle, à son tour, était en contact avee les Français du côté
de Givet. Sa position était bonne, mais trop allongée pour
pouvoir être défendue avec effieaeité. Elle ne pouvait abandon-
ner, sans combattre, sa base d'Anvers, otr se trouvaient ses
dépôts de vivres et de munitions. D'arttre part, les renforts
anglais commençaient à peine à débarquer; les Français s'étaient
laissé tenter par une offensive grosse d'aléas en Alsace.
Le mercredi f2 aofit, des masses considérables de cayalerie
allemande cherchèrçnt à fbrcer le passage de la Gette à Haelenn
à une bonne lieue au sud-est de Diest. 20400 lanciers, guides et
chasseurs à cheval, flanqués de 4O0 carabiniers cyclistes et de
quelques pièces d'artillerie, puis renforcés par deux régiments
de lignardsr leur infligèrent une sévère défaite, fauehant à coups
de uritrailleuses d'épaisses colonnes de dragons et de uhlans.

(1) Le général Leman est mort en 1920.


.*, 580 *
Ltattaque allemande n'en cônstituait pas rnoins un indice
inquiétant en soi. La, $rande invaslon commençalt :
500,000 hommes, sous les ordres du général von Kluck, s'apprê-
taient à marcher sur Bruxelles et le sud-ouest de la Belgique;
à leur gauche, le générai von Buelow prenait pour objectif
Narnur, tandis que, plus au sucl encore, Ies immenses armées
rle Von lfausen, du tluc de lVurtemberg et du Krunprinz tra-
versaient les Ardennes et la- Lorraine belge. Les Fra,nçais,
refoulés en Lorraine et en Alsace, n'avaient encore pu envoyer
à notre seeours qu'un eorps de leur Ve armée. Ce corps tenait les
ponts de la Meuse, de Hastière à Namur. Les pointes d'avant-
garde de la belle mais petite armée du maréchal French attei-
gnaient à peine la ligne de Condé-Maubeuge. L'armée belge,
demeurée seule, était menaeée rl'enveloppement \ur ses deux
flancs. Dans la soirée du I8, douze heures à peine avant l'écra-
sement certain, elle recevait I'ordre de se replier sur la posi-
tion fortifiée d'Anvers.
L'atrnêe belge avait tenu quinze jours, laps de temps
suffisant pour pennettre à la France et à l'Angleterre de mobi-
liser leurs forces et d'en opérer la concentration. Aussi nos
soldats ftirent-ilÈ célébrés dans le monde entier comme des héros
d'épopée. Parlant i la Chambre des Communes, le 27 août,
M. Asquith, Premier ministre'britannique, déclara : < Les
Belges ont mérité cette gloire immortelle qui appartient aux
peuples qui savent préférer la liberté à la vie thcile, à I'existence
même. Nous soûrmes fiers <le leur alliance et de leur amitié.
Notts les saluons avec respect et nous les honorons. Nous sommes
avec eux de eæur et d'âme, parce que, avec eux et à côté d'eux,
nous défendons ensemble deux {randes causes : I'indépendance
des petites nations et le caractère sacré des engagements inter-
nationaux. r Lord Lansdowne, chef de I'opposition à la Chambre
des Lords, exprima le même jour son admiration pour la Bel-
gique dans un discours otr se rqmarquait cette phrase : < Nous
pouvons dire que c'est grâce à elle (la Belgique) que le vaste
mouvement d'attaque de I'Allemagne qui cfrt pu balayer tout
devant lui -- a étê brisé dès le début.- D
De son côté, le président du Conseil des ministres t'rançais,
M. Viviani, s'écriait du haut de la tribune de Ia Chambre des
députés, Ie 31 aofrt : < Oui, Ies alliés sont les obligés de la
Belgique, et la France n'oubliera jamais le noble, I'héroîque,
-590-
le vaillant courage déployé par I'armée belge ces dernières
semàines. C'est une dette sacrée que nous avons contraetée
vis-à-vis de cette admirable nationo si grande par son eæut' et
SOn COurAge. D

La retraite de I'armée belge vers Anvers se fit en bon ordre.


Quelques détachements durent se sacrifier dans I'intérêt eom-
mun. Le 22e de ligne, posté à Hautem-Sainte-Marguerite, au
nord de Tirlemont, arrêta pendant huit heures tout le Xe corps
et perdit 50 oÂde ses effectifs (28 officiers tués et blessés sur 87).
Le 19, le 9e et le l4e de ligne flrent des prodiges de valeur à
Aerschot. I,e 2O, toutes nos forces étaient en sécurité dans la
position retranchée d'Anvers. Mais la Belgique, hélas, était
ouverte à I'ennemi. C)e même jeudi 2o août, les armées de
Von l(luek entraient à Bruxelles, au son aigre de leurs fifres;
le 24, elles franchissaient la frontière française et se ruaient
vers Paris, en entonnant le < Gloria ! Victoria ! r
La position fortifiée de Namur, aveg ses ouvrages défensifs
aussi impuissants que ceux de tiége vis-à-vis de I'artillerie
Iourde teutonne, ne put, elle non plus, arrêter I'invasion. Assagis
par les hécatombes de Liéger les Allemands commencèrent par
bombarder de loin les forts de Namur, le 21, avee le concours
de batteries de gros obusiers Slcoda autrichiens (f ). Ils rédui-
sirçnt bientôt au silence les forts des seiteurs nord et nord-est :
Cognelée, Marchovelette, Maizeret. Une large trouée ouvrait
à I'armée du général Von Gallwitz I'accès de Namur. A ce
moment, Ie lieutenant général Michel apprenait que, sur les
deux flanes, les Français étaient en pleine retraite. II dut, dès
Ie 28, ordonner à la IVe D. A. de reculer précipitamment
vers la Franee.'Nos homrnes durent, ta rage au cceur, aban-
donner les travaux défensi]is qu'ils avaient organisés pendant
trois semaines dans les intervalles entre les forts. Au prix de
fatigues et de difficultés inouîes, vingt mille hommes environ
échappèrent, par I'Entre-Sambre-et-Meuse, à I'eneerclement
ennemi. Par Laon, Rouen,le Pas-de-Calais et Ostende, ils rejoi-
gnirent leurs frères d'armes à Anvers, le 4 septerybre. Les forts
de Namur résistèrent aussi longtemps que possitrle. Le dernier,
celui de Suarlée, suecomba le 25 aofrt.

. (l) L'Autrtohe-Eongrie ne déclara cependant'le g'uerre à la Belgfque que


le 28 aott, en prétextant clee sévices exercés parlesBelgee gur ges nationaurt
59r --'-
-
A partir du 2O aofit, de nouveaux devoirs s'imposèrent à
I'armée belge (encore 90,000 hommes). Campée le long de
I'Escaut, du Rupel et de la Nèthe, elle devait :
10 Garder tibre son éventuelle ligne de retraite vers Ostende;
2o Coordonner ses opérations avec celles des alliés, retenir
le plus d'ennemis possible en faee d'elle et harceler les voies
de communication à I'arrière de I'armée allemande.
En deux cireonstances, elle rendit d'inappréciables -services
à ]a cause commune
La première fois, ce fut au rnoment de la grande retraite
franco-anglaise, alors que nos aliiés se défendaient désespéré-
ment sur la Sarnbre et à Mons. Le 25 et le 26 août, les nôtres
firent une superbe sortie au sud et au sud-est de Malines;
ils occupèrent momentanément Hofstade, Sempst, Eppeghem
et Weerde, à rnoins de trois lieues de Rruxelles. Les Alle-
mands durent débarquer en hâte à Louvain tout un eorps de
réserve.
La seconde fois, ce fut peu après la bataille de la Marne.
Du 6 au t4 septembre, une gigantesque mêlée, dont devait
dépendre Ie sort de toute la guerre, s'était livrée au nord-est
de Paris. Se raidissant en un prodigiettx effort,l'armée française,
sous les ordres du généralissime Joffre, avait brise la marche
foudroyante d.u peuple allemand en armes. Mais ld situation
était encore incertaine. La victoire complète pouvait dépendre
d'un renfort de quelques unités. Trois divisions allemandes
avaient dfi se porter dtt front belge au secours des armées de
Von Kluck en retraite vers I'Aisne. C'est alors que Ies Belges
firent une nou\relle sortie dans la direction du Démer. fls prirent
Aerschotrle I septembre; le iendemain, les chasseurs à cheval
pénétraient jusque dans les faubourgs de Louvain. D'Aerschot
a Wijgmael, au nord de LouVain,la lrrtte faisait rage et Ies Alle-
mands, perdant Haecht et Wespelaer, subissaient de lourdes
pertes. Finalement ils se virent obligés de rappeler en toute hâte
des renforts appartenant à deux corps tl'armée, aux fusiliers
marins, àla I'andtsehr et àla Landstunn. f ,e 13, les Belges' ayant
atteint leur but, retournaient dans leurs lignes.
Dès leur entrée en Belgique, les Allemands avaient signalé
partout leur passage par des crimes indignes d'un peuple
civilisé. A Visé, dans le pays de l{erve, en Ardenne, ils avaient
pillé et ineenclié des bourgs et des villages, massacré des citoyens
-592-
paisibles et fusillé des otages. rls avaient aussi réquisitionné
Ies produits les plrrs nécessaires à I'existence et avaient, pour les
motifs les plus futiles, pratiqué Ie système odieux de Ia < répres-
sion colleetive r. Ce régime barbare avait été froidement organisé
par le haut commandement allemand, selon un plan longuement
prémédité. Dans le but de vnincre la résistance matériclle et
morale des Belges, eette < Terreur militaire ,r, éIevée par les
' < Boches u à la hauteur d'une taetique de guene, fut spéeiale-
ment pratiquée du 20 août au début de septembre. Iille exerÇa
d'effrcyables ravages dans notre pâys martyr.
Le t9 et Ie 20 aofit, Aerschot était detmite par l'incendie,
165 civils y étaient mis à mort et Ia population était emmenée
en exil. Le 21,300 personnes etaient fusillées et B0o maisons
étaient réduites en cendres à Andenne. ce même jour et le len-
demain, à Tamines, 860 maisons étaient brûlées et Bgg hommes
étaient massacrés, les uns abattus par des salves de coups de
fusil, les autres achevés à coups de crosse et à coups de haehe.
Le 28 et le 24 août, Dinant fut détruite d'une manière épou-
vantable par le l08e saxon: sur l,650 maisons, l,gOO devin-
rent Ia proie des flammes; 200 personnes furent massacrées.
comme partout ailleurs, ces victimes comprenaient beaucoup
de femmes, d'enfants (l), de vieillards et de prêtres. A Louvain,
des soldats teutons s'étaient canarrlés parméprise. La vénérable
cité fut a punie D pour ce < forfait r par un sac au cours duquel
Ies soldats du général von Manteuffel remirent en honneur les
sinistres exploits des soudards du duc d'Albe. Du 2B au 27 aofit,
tout le centre de Ia ville soit l,4gû maisons fut pillé,
-
puis Iiwé aux flammes. L'Université, -
avec 6a bitrliothèque
de vingt mille volumes, la collégiale de Saint-Pierre, le palais
de Justiee,Ie théâtre, I'Académie des Beaux-Arts et de magni-
fiques demeures, furent arrosés de naphte, de benzine et brûlés
au moyen des bombes incendiaires et des pastilles de nitro-
cellulose du Prof. Dr Ostw-ald. 926 personnes, parmi lesquelles
onze septuagénaires et quatorze enfants (dont trois en bas âge),
furent fusillées; 658 malheureux des deux sexes furent envoyés
en Allemagne et soumis aux outrages d'une population frappée
de démence; 1,500 autres personnes furent chassées comme un
troupeau vers les lignes belges. Enfin, Ie 5 septembre, Ie géné-

(f ) 73 lommeg et 39 oufante (de 6 mois à l5 ans) à Dinant!


598
-
ralvon Boehn fit détruire 1,500 maisons dans la ville évacuée
de Tergnonde.
Aux premières nouvelles, le monde ne vou\u! pas croire à la
perpétration de tant de crimes (l). L'Allemagne' cette grande
nation si fière de sa Rultur, foulait donc aux pieds les articles
de la convention de La Haye de 1907 et les lois les plus élémen-
taires de I'humanité? Pour couwir leurs actes, les Allemands
imaginèrent de calomnier le'peuple qu'ils suppliciaient. Leurs
'p"oièrr"o"* et leurs journalistes ra,eontèrent que les Belges
étaient des fanatiques ( iwes d'alcool et de sang ), des < bêtes
féroces >, des << Pariser Apachm )). -- ( Il n'v a plus un Belge
qui ne,soit frenc'tireur, n affirmait, le 28 aofit, la Kælnische
ùAmng. euant à nos femmes et à nos jeunes filles, elles
égorgeâient Ies prisoirniers et Ies blessés ou leur crevaient
' les yettx!
Cependant, après une quinzaine de jours, ces massaeres
s'arrètèrent. L'Àpereur apprit d'une part que, plus s'es géné-
râux aceentuaient Ia terreur en Belgique, plus nos civils et nos
soltlats se montraient stoiques et indomptables. D'autre part'
' il devenait évident que les aborninations eommises par ses
armées rendaient populaire dans tous les pays neutres le sur'
nom de a fluns I dont se servaient les Anglais pour stigmatiser
leurs adversaires.
'
**'l'

Apres la grande victoire de la Marner la guerre entra dans une


phase nouvelle. Tout espoir de vaincre en (( coup de foudre n
était perdu pour les Allemands. Les Russes envahissaient la
Prusse orientale et menaçaient K<pnigsberg. Force était à nos
ennemis de passer à la défenslve sur Ie front ouest et de se
borner à tenir sur I'Aisne tout en étendant leur flanc droit du
côté de lâ, mer, ceci afin d'éviter un encerclement par les forcês
franco-angliaises, de jour en jour plus puissantes' Incapables
d'atteindre Paris, les Allemands se mirent en devoir'de prendre
au moins Anvers. La,place leur fournirait beaucoup de vivres,
de munitions et de matériel de toute espèce. Pour I'offensive
comme pour Ia défensive, elle leur serait d'trn grand profit.

(f) La plaÆo me ma,nque pour décrire ici les ma'ssa'creÊ opérée dane le
Luxemborrrg: à Ètbe, Latolr, Rossl$lo|, dang le Bfabant à Sempst et à
Eppegbom, et tlane quantité d'a,utros villages.
594- '

En outre, s'ils prenaient rapidement cette place, réputée autre-


fois imprenable, et surtout s'ils y capturaient Ie roi Albert et
toute son armée, quelle gloire n'en rejaillirait pas sur Ie Kaiser
et son chef d'état-major, le général von Moltke ! Le général
von Beseler fut chargé de la direction des opérations avec une
armée d'environ I50,OOO hommes. Il entreprit ses premiers
travaux le 28' septembre.
Comme à Liége et à Namur, les Allemands se proposaient
de faire une trouée dans la ligne des forts extérieurs au moyen
de leur formidable artillerie de siège (173 pièces de gros
calibre). Ils choisirent le secteur situé entre la Dyle et la Nèthe.
I1 fallait s'y attendre : nos forts à coupoles ne purent résister.
Successivement, les forts de Waelhem, de Lierre, de Konings-
hoyckt, de Wavre-Sainte-Catherine et la redoute de Dorpveld
furent transformés en monceaux de décombres (30 septembre-
2 octobre). Couverts de la poussiè,re des murs écroulés, nos artil-
leurs se montraient héroiques; sur la Nèthe, nos fantassins résis-
taient à des assauts répétés; le général De Guise, commandant
de Ia position, prenait toutes les mesures rendues nécessaires par
les circonstances. Cepentlant, il devenait évident que, malgré
I'arrivée d'un renfort de 8,000 fantassins de marine anglais, la
chute d'Anvers ne pouvait plus être qu'une question de jours.
C'est alors que notre haut commandement, tl'accord avec le
général français Pau, décida d'évacuer en $rand secret notre
ex- ( réduit nationalu. Sept ponts de bateaux furent jetés sur
I'Escaut et, jusqu'au 7 octobre, une dizaine de mille hommes
partirent chaque nuit vers le littoral, emmenant leurs canons,
Ieurs autos et leur matériel. Les blessés, les prisonniers, les char-
rois furent également.évacués. Entre temps, les_troupes de cou-
verture défendaient avec une belle opiniâtreté la ligne de la
Nèthe et eelle de l'Escaut. Si cette dernière, attaquée furieuse'
ment de Baesrode (en aval de Termonde) à Schoonaerde, flé-
chissait,la ligne de retraite des nôtres, à travers le pays de Waes,
était coupée.
Ileureusement, grâce à I'espril de sacrifrce des régiments
protégeant la retraite,la périlleuse opération réussit pleinement;
It était temps, d'ailleurs ! Le 5; les forts de Kessel et de Broe-
chem avaient été réduits au silence,LeT,les Allemands faisaient
annoneer leur intention de commencer le bombardement de
la ville, nouvelle qui provoqua une panique dans la population
-595-
et qui amena la fuite vers la Hollande d'une cohue de près
de 200,000 personnes! Dans la nuit du 7 au 8, batteries
d'artillerie et zeppelins firent pleuvoir sur Anvers obus et bombes
incendiaires. Au même moment, les Allemands réussissaient à
pa'sser I'Escaut à Termonde, à Schoonaerde et à Wetteren. Mais
quand, le 8, les Allemands se trouvèrent devant la ligne des
forts de la deuxième enceinte, celle-ci était évacuée; lorsque,
dans Ia soirée du 9, la cavalerie pénétra dans Anvers mênte,
la cité était déserte, les navires allemands capturés dans le port
étaient coulés ou mis hors d'usage et l?incendie des tanks à
pétrole de Hoboken embrasait I'horizon.
Les généraux allemands se montraient furieux d'avoir laissé
échapper I'armée belge à leur étreinte. Le fait qu'une trentaine
de mille Belges et Anglais n'avaient pu rejoindre. le gro's de
I'armée et avaient dù être internes en Hollande ne les consolait
point d'avoir sacrifié des milllers d'hommes à la conquête d'une
position évacuée. Néanmoins, le public allemand, tenda.ncieu-
sement inforrné, se réjouit de la prise d'Anvers eomnre d'une
grande vietoire. <La Belgique, terrassée, est tombée à genoux, I
proclama le Lolsal-Anzeiger.
Cependant tout danger n'était pas encore éearté pour I'armée
belge en retraite. Les Allemands marchaient avec rapitlité contre
Gand. C'est alors qu'un renforb opportun de fusiliers marins
français eb de régiments appartenant à la VIIe division anglaise
(soit 25 à 8O,00O hommes) vint se plaeer à Melle-Quatrecht
(à I'est de Gand), sur le flanc gauche des nôttes. Le I et le
l0 octobre, ces troupes, appuyées par les pièces de eampaghe
de 75 de notre valeureuse IVe brigade miite, arrêtèrent les
Allemands pendant qrre les Belges se mettaient à I'abri.
Jusque-Ià notre armée avait rempli un rôle des plus glorieux
mais aussi des plus ingrats. Obligee de reculer sans cesse, livrée
presque uniquement à ses propres forces, elle semblait sur le
point de se décourager. Chaque offficier, chaque homme avait
le cceur déchiré à la perspeetive de devoir évaeuer eomplètement
notre infortuné territoire.
A cette heure tragique,le roi Albert prit la résolution de tenter
un suprême effort sur le sol même de la patrie. Le lB octobre, il
établit son armée sur I'Yser, petit fleuve côtier large de vingt
mètres et presque inconnu. La position était heureusement
choisie. L'aile gauche, retranchée à Nieuport-Bains et
__ 506 -.-

b Nieuport-Ville, s'appu1'ait à la mer du Nord'et poirvait


compter sur le secours de la grosse artillerie de marine
anglaise. A partir du vieux fort. de la Knocke, la ligne quittait
I'Yser et suivait I'Yperlée canalisé jusqu'à Boesinghe, où elle
rejoignait I'armée du maréchal French, chargée de la défense
du secteur d'Ypres-Armentières. Au eentre de Ia défense se
trouvait la petite ville de Dixrnuder eue gardaient conjoin-
tement les llelges et 6,000 fusiliers marins français sous I'amiral
Ronarch.
Désormais, I'armée belge faisait partie de I'immense ligne de
défenses retranchées que, de la mer aux Vosges,les nations ocei-
dentales opposaient au flot des Barbares. Elle y occupait une'
zone longue de dix-huit à trente-six kilomètres, selon les néces-
sités'du moment. C'était un poste d'honneur, ear il couvrait
Dunkerque et Calais, objectifs âprement convoités par les
troupes de Von l(luck. Aux 48,000 hommes de première ligner.
le Roi adressa, le l3 octobre, une fière proclamation otr il disait :
o Que dans les positions où je vous placerai vos regards se portent
uniquement en avant et considérez comme traître à la Patrie
celui qui prononcera le mot de retraite sans que I'ordre formel'
en soit donné. >
La région de I'Yser était touie en prairies, eoupée de canaux
rectilignes et de hautes digues. C'est dans ce pays calme et
idyllique, aux horizons bornés par des rangées de saules, aux
frais villages et aux clochers hauts comme des phares, qu'eut
Iieu une des plus lon$ues et des plus sanglantes bataillês
de l'Histoire.
Le pire inconvénient pour les nôtres résidait dans la nature
spongieuse du sol. fls ne pouvaient creuser de tranchées à plus
d'un mètre de profondeur, encore enfonçaient-ils dans une e&u
vaseuse et gluante. Ils allaient bientôt être obligés de surélever
leurs parapets au moyen de petits sacs de sable. Rien ne pou-
vait les protéger contre les < marmites r des grosses pièces
allemandes. C'est dans ces conditions qu'ils affrontèrent la lutte.
Le haut commandement français leur avait demandé de résister
quarante-huit heures; ils tinrent pendanf quinze Jours.
De Nieùport-Ville à Dixmude, nos positions, longeant la rive
gauche de I'Yser, formaient un arc de cercle dont la con-
vexité était tournée vers I'ennemi et dont la corde était formée
par la voie ferrée de Dixmude à Nieuport, courant sur un haut
-597-
simul'
remblai rectiligne. Les Allemands décidèrent d'attaqrrer
extrémités de I'arc : Nieuport et Dixmude,
i"r,e-"rrt les dleux
rive droite
et les villages occupés par nos avant-gardes sut la
de loYseru Mar,n"ù"rrr.,",*, Schoore, I{eYeInr Beersf etc' Le
16 et le 17 eurent lieu des engagements prélirninaires' Le l8'
toute l,armée de Von l(luck *"'"ù à loassaut. L'élite de h jéu-
nesse berlinoise conduisait les vagues d'attaqu_e â11 cri de
<Vaterlandl"nAttendant le succès de leur nombre et de la
en colonnes
violence de leurs cbocs, les Allemands chargeaient
profo4des,aprèsdeterribtespréparations<l'ar[illerie.Maisnos
i"oop"Ê tinrent bon, spécialement aux endroits critiques
: les
extrémitésdel'arc!Lerg,laIIef).repottssauneséried'atta.(en
ques dans le secteur de Lombaertzyde et de Saint-Georges
de la
avant de Nieuport-Ville); le 7e de ligne et les batteries
7e brigade s'y couvrirent de gloire. Dans I'après'midi du 20'
le lle et le 12e de ligne, déjà fameux par leur rôle à Liége'
rejetaientàleurtour,ducôtédeDixmude'l'ennemiqui'
stimulé par des excitants alcooliqnes, se ruait à I',assaut
avec
à leurs
frénésie. < Loin d'être'terrorisés par la masse qui s'offre
français
coups, r taconte un témoin oculaire, < Relges et marins
ne voient que les ravâges exercés pa'r leur tir ajusté dans ces
sont fauchés' d'autres les rem-
flots humains. Des rangs entiers
placent pour tomber à teur tour. c''est une hécatombe effroyable,
une vision d'enfer. Des vagues d'assaillants arrivent
pourtant
mais pour en être chassées et
jusque dans certaines tranchées,
anéanties aussitôt ). Dans la nuit du 20 au 2l et le 2l' mêmeo
(devenu
nos valeureux soldais' commandés par le colonel Meiser
général depuis), durent repousser une quatrième et une cin-
quièmeattaque.L'ordreduGrandQuartierGénéral:<Résister
à outrance; tenir rnalgre tout ! n fut qbéi' malgré' le froid'
la
pluie et des pertes eifroyables. Et ce ne fut pas seulement
mais
i,infanterie qui fit preu.rà d'une endûrance surhumaineo
aussi les artilleurs, aux rnembres raidis pnr la fatigue, et les

soldatsdugénie,plongésdansl'eaujusqrr'àlaceinture'sous
Ies rafales d'obus.
Cepend.ant,aueentredelaligne,lasituationdeslle,Ireet
IVe ài'isions était devenue particulièrement tragique' Après
maint eorps à corps et des alternatives {e' suecès et de
revers'
elles avaient dfr accablées par le feu de quatre cents pièces
d'artillerie
-
flzsstlsr les villages de la lignc at'ancée' I'e 22'
-
-598-
les Allemands passaient l'Yser dans la boucle de Tervaete.
Le2er le 4e of le 8e de ligne, ainsi que lesgrenadiers et les cara-
binierso cherchèrent à enrayer leurs progrès par des eontre-
attaques sublimes, mais les renforts ennemis augmentaient
d'heure en heure. Enfin, le 24, la XLIIe division française,
commandée par le général Grossetti, vint se placer en première
ligne du côté de Nieuport. Cet appoint procura aux nôtres
quelque soulagement. Ils en avaient d'ailleurs bien besoin, ear
les Allemands, décidés à en finir, étaient parvenus, à force de
saerifices, à atteindre le remlrlai du chemin de fei de Dixmude
à Nieuport. Dans la nuit opaque et funèbre du 24 au 25 octobre,
les tmupes de Meiser et les u demoiselles au pompon rouge > de
I'amiral Ronarch repoussèrent encore onze assauts à la baîon-
nette dans le secteur au nord-est de Dixmude et quinze dans
le secteur sud-est.
' Mais cette fois les Belges étaient à bout, décimés, sans
réserves. Les batteries n'avaient plus qu'une centaine de coups
à tirer par pièce et la moitié des canons étaient hors d'usage.
Ifeureusement, Ies Allemands aussi étaient épuisés par cette
lutte titanesque. Le 25, ils se montrèrent moins ardents à
I'attaque. Clest alors que le Roi, ayant recours à un sacrifice
héroîque, frt ouvrir les écluses de Nieuport (f). Peu à peu
la vallée de I'Yser se transforma en un marécage d.e boue, puis
en un lac immense. Les Allemands, qui venaient de forcer le
rempart du chemin de fer vers Ramscappelle, furent terriflés
par la montée sournoise des eaux. Abandonnant canons et
matériel, ils se retirèrent sur la rive droite de I'Yser. Le 31, la
sanglante bataille de I'Yser était terminée. Sept divisions
allemandes (soit plus de IOO,OO0 hommes) y avaient été, les
unes décimées, les autres détruites. Mais, de leur côté, les Belges
avaient perdu 16,000 tués et blessés, c'est-à-dire-plus du quart
de leurs effectifs.
De la fin d'octobre à la première moitié de novembre, les
Allemands, saisis de vertige et ne, comptant plus leurs morts,
firent un nouvel essai de percée vers Calais dans le secteur
d'Ypres. Cette fois, ce fut la < méprisable petite armée du

(1) Un vieux surveillant cle tr&v&ux, Charles Kogge, d.émontra la possi-


bilité d.'inonder la rég:ion de Nieupoit. Il provoqua l'infiltration des eaux
le 28 octobre.
-599-
maréchal French r,- conune I'avait impudemment dénommée
I'empereur Guillaume qui opposa aux Barbares.une invin-
-
cible résistance. Elle y perdit près dês deux tiers de ses effectifs,
mais les Allemands n'atteignirent jamais,Ypres. Cette

FJo, tr l
lL-4:

(Photo'llels')
LES R'TNES DES HALLES D'ypRES
Le bcfiroi, vu dc l'arcadtt d.u Nitrrrwerk, à I'extrémit6
les halles.

ba,taillc rnit {in Èr, la guerre de mouvctnents sttr le front ouest.


Pcnd:rnt trois ans et clcmi, les adversaires allaient se terrer et
se combattre de tranchée à tranchée sans qu'une modification
appréciable rles positions respectives pfrt s'indiquer sur une
carle à moyenne échelle.
CHAPITRE II
LES ANNÉBS D'OCCUPATTON (1915-191S)
LA VTCTOTRE (1918-191q)

Aperçu genéral des opérations ptilita:ires de l9t5.i f gf g (pp. 600-


603).
La Belgique sous lu dominotion ailemande (pp.603-605).
Les artnées belges.de l9l5 à l9f 8 : la guerre coloniale (pp. 6OE-
6O7); lu garde de l'Vser (pp. 607-609).
La aictoire de la uête dcs Flandres [28 septembre-4 octobre]
(pp. 609-61r).-- Laaictoire de Thielt-Thourou,tlf4-f I octobre]
(pp. 61f et 612). Les opérations jusqu,,à l,armistice du
-
ll noaembre (p. 6f 2). La libération du territoire (p. 6fg).
-
Le retour du Roi à Bruæelles
-Trône (pp. 612-6ra). [22 novembre] ; le discours ùt,

La paiæ de Versailles [28 juin t9tg\ et ses corollaires (pp. 6f a-


617).
Le ministère d'union nationale (pp. 612 et 6f8). L'aoenir
(pp. 618 et 619). -
i ,, I)isons rlu,entre tous les peuples la
Ilelgique fut choisie pour qu'un d.es
plts hauts prodiges ftt accompli par
elle; qu,elle eut l,honneur dtêtre le
premier et le plus néoessaire des rem-
parts que la civilisation dressa oontre
la sauvagerie millénairen et quo son
histoite rejoinrlra celle des rares petites
n ations o"t -""i,i'frt#îillH;;i.,

Le pla4 initial des Allemancls, < vaincre par une offensive


foudroyante >, avait échoué. Eux et leurs alliéso les Austro-
Hongrois et les Turcs (l), étaient séparés du reste du monde

(1) Ces derniors depûs Io 2 novembre 1914.


-6or-
par le blocus de I'An$leterre, de la Franee et de la Rttssie.
Cette $uerre économique devait les conduire, tôt ou tard,
à la capitulation. Mais comme les Allemands étaient préparés
à la guerre depuis quaranie ans, alors que les Alliés avaient
encore tout à faire, la lutte dépassa en durée et en horreur
les prévisions les plus pessimistes. Malgré le précieux secours
de I'Italie, qui s'était placée aux eôtés de I'Entente le 24 mai
fgfS (l), il fallut, avant de passer à I'qffensive, affroDter les
tenibles eoups de boutoir de I'Allemagne acculée. Plusreurs
circonstances vinrent en outre favoriser les tlentraux. La puis-
sance russe, minée par divers faeteurs internes, sut vaincre les
Autrichiens mais non résister à la stratégie ma-cistrale des géné-
râux von Hindenburg et von Luclendorf{. Malgré des prodiges
de vaillance, les armées du tsar perdirent la Courlande et la
Pologne (printemps-été I915). Puis ce ful. I'entrée cn scène de
la Bulgarie, le l4 octobre I915, qui bouleversa tous les plans
balkaniques de l'Flntente et contrarignit les braves Serbes à
évacuer leur territoire (octobre-décembre 1915).
L'Angleterre, conscic'nte de I'enieu .cngagé dans la pattie,
prépaia,it méthodiquement une armée de millions tl'hommes
et transformait les Iles-Britanniques en une irnm,ense usine de
canons et de munitions. En attenclant qu'elle fiit prête, Verdun
dut suhir un assaut allemand rl'une rlrrée et d'une violence
ineonnues dans I'Histoire (fér.rier-mai Igf6). Dans la seconde
moitié de I'annee 1916, la décision parut proche. I,e vaillant
Broussilow avait su galvaniser I'arrnée russe et il reprenait,
en juin-juillet, la Galicie au pas de charge. La.grande offensive
franco-anf,laise, tant attendue, se déchaînait, le ler juillet,
strr la Somme. I.e 29 aofit, les Roumains déclaraient, à leur
tour, la guerre.aux Centraux. l\[ais, helas, ces efÏorts n'étaient
pas suffisants encor-e pour vaincre-le eolosse germânique, dont
les,réserves en hommes paraissaient inépuisables. IJne nou-
velle période de s.ôuffrances allait être imposée à I'humanité
endeuillée.
L'année l9I? fut trouble et indécise. Les dllemands dési-
raient la paix, mais une,paix < forte > (eine lllachtstriedel par
laqueilà ils ne devraient renoncer à aueune de leurs odieunes
préten'tions. De leur côté, les Puissances occidentales étaient

(1) L'Italie avait proclamé sa neutralité dès le 3 aofit 1914.


_602_
forcées de soavouer que les offensives pâr à-coups, sans unité
d'action, ne les conduisaient que bien lentement vers leur but.
Les < pilonnages r d'artillerie, considprés antérieurement
comme irrésistibles,livraient bien aux assaillants quelques kilo-
mètres de terrain transformé en chaos lunaire, mais ils aver-
tissaienl en même temps I'ennemi des intentions tactiques que
I'on nourrissait à son égard. Sur ce, la révolution rlsse éclata
(février-mars 1917) et évolua rapidement vers le bolchevisme,
sorte de comrnunisme dissohant. Comme le faisait remarquer
M. Lloyd George, successeur'de M. Asquith au poste de Premier
ministre, une des < branches de la pince )) avec laquelle le
monde devait ( casser r I'Allemagne comme une noix, s'était
brisée. Alors beaucoup de gens se découragèrent et les socialistes
internationalistes, soutenus par I'Allemâgne, voulurent entre-
prendre des manæuvres pacifiques à Stockholm.
Mais entre temps le blocus faisait de plus en plus sentir ses
effets chez les Centraux. Pressé d'en finir et, par ailleurs, mal
conseillé par ses amiraux, le gouvernement allemand avait,
depuis le ler février 191.7, établi le régime infâme de la Élueffe
sous-marine renforcée. Oette faute immense lui valut, le
4 avril, une cléclaration de guerre des Ètats-Unis., bientôt
imités pâr la plupart des républiques sud-américaines.
L'entrée en scène ealme et déterminéc de la grande République
étoilée mârqua le début du dernier acte de la guerre mondiale.
Dirigées par Clérnenceau, Lloyd George et Orlando, la
Franee, I'Angleterre et I'Italie .furent galvanisécs. Certes, lors
de la grande offensive de l'Allemagne du 2l mars 1918, qui se
prolongea jusqu'en juillet, le monde connut encore des jours
d'inquiétude mortelle. lWais c'était là,le dernier effort de
I'ennerni. Le danger aiguillonna les membres dc I'Entente : les
Etats-Unis envoyèrent en Europe jusqu'à 30O,OOO hommes de
renforts par mois; les Anglais se placèrent de bonne grâee sous
les ordres du général Foch; I'arme nouvelle des tanlts fut per-
fectionnée
Alors, le 18 juillet, eornmencèrent enfin les opérations
décisives. IJne grande attaque, déclanchée inopinf,ment sur
le flanc droit des Allemânds, à la Marne, reietait I'ennemi sur
I'Aisne. N'arrêtant plus son effort, frappant sans trêve, l,antôt
sur un point du front, tantôt sur un a,utre, le génial Foch
harasse et épuise les Allemands qui ne disposent plus de
608 _
Le 24 sep-
réserves. successivement, tous les flronts cètlent.
turques de
tembre les Rulgares demandent la paix' Les armées
palestine sont en déroute. L'armée italienne
Mésopotamie ei de
venge le désastre de Caporetao (1917) et le front autriehien se

dissout (2-3 novemtrre).


***

Durantcesquatreinterminablesannées,laBelgiqueocctrpée
avait subi un lon$ rnartyre. Toutes les libertés qui faisaient
Des
atrtrefois l'orgueii des Belges avaient êté supprimées'
amendes ou des châtiments grotesques étaient infligés aux
par des mani-
communes ou aux quarbiers qui s'étaient honorés
festations patriotiques. La censure avait tué la liberté de la
presse. Au point dle vue économique, la Belgique.f.ut complè-
iement dépàuillée. Une série de < Zentrale r, où siégeaient
les
qu'autrefois nous avions béné-
eornmis, employés et vendeurs,
volement introduits dans nbs milieux eommereiaux et bancaires,
vidèrent à fond magasins et fabriques. cuil'res,laincs, bétail,
che-
Le matériel de nos usines partit pour
vaux, furent requisitionnés.
l,Allemagne.Chaquemoisnosinfclrtunéesprovincesdevaient
payer d'énormes àontributions, prétendument pour I'entretien
< Cornité National
des troupes d'occupation. Sans I'appui d'un
de Secours et dlAlimentation , organisé par des citoyens
énergiques (Ernest Solvay, Emile Francqui)r sans
le con-
leur
. direct des Etats-Unis et le dévouement infatigable de
"o.r'I population
ministre à Bruxelles, M. Brand-\ilhitlock, notre
hiver de
eût été décimée par la famine (l)' Pendant le cruel
mirent le comble à leurs infamies en
inru_rnrr,'les Allemands
déportantenAllemâgnenosouvriers,sousprétextetleréagir
contre le chômage. :

outre *or*ff"unces matérielles, nos compatriotes étaient


victimes """ tourments rnoraux ra{Iînés qu'inventaient chaque
des
jour,nos oppresseurs. Tantôt ils raillaient notre passé et nos
(2) o,
traditions, déclarant la Belgique un < avorton.politique
fut
(l) A partir d'ravril lgl7, la ColrltrssroN non Rpr, np américaine
par de Villalobar
MM'
remplacée par un comité hiepano-néorlandais dirigé
etVanVollenhoven,respectivementministrestt,Espagneetd'eNéerlancte
- Bruxelles.
à
I (Prof' Werner Sombart')
Itl - Edne Mi,ssgetncrt der Polùti'k,
604
-
tantôt ils nous calornniaient auprès des neutres en répandant chez
eux I'opinion que notre gouvernement étai! depuis longtemps
de eonnir.ence âvee I'Angleterre.Ilâillonnés, nous der"ions subir
I'action démoralisatriee des journaux vendus Èr, I'Allemagne.
Ilabiles à semer les dissensions. nos maîtres avaient favorisé
des mouvements régionalistes, à la tête desquels s'étaient places
des hommes tarés ou des illuminés : I'aetivisme flamand et
l'activisnre rvallon (1). Ainsi, dans une société otr les traîtres,
Ies espions, les fraurleurs et Ies âecapareurs avaient tout à dire,
Ie peuple r'égétait, exposé à la plus profonde détresse intellec-
tuellc et rnoralc.
Mais la vaillante nat,ion rles Belges avait hérité de ses aieux
la faculté de s'a,dapter au nmlheur. ElIe ne perdit point sa
fierté. Déjti le 26 septembre 1914 M. Max, bourgmestre de
Bruxelles, était arrêl.é à cause de son mâle civisme vis-à-vis
de la soldatesqur: allernande. Plus tard, les échevins Lemonnier
et Jacqmain furent exilés potrr avoir défendu les dernièrqs pré-
rogatives dcs citoyens belgcs. C'est pour des motifs analogues
que ûf. 'Ihéodor, bâtonnier cle I'ordre rles avocats du Bareau
de Bnrxelles, fut envoyé dans un camp en octobre 1915. Le
3 janvier rlc cettc même année, S. Ern. \Icr le carditral Mercier,
archevêque de }Ialines, avait réconfoltir les courages pâr sa
Lettre paStorale tr Patriotisme et lindurance >. Le déprrté Fra;rek,
l'échevin gantois De Bnryn, les professeurs à I'IJniversité de
Gand Pirenne et Fredericq o Ie journaliste Sevens, étaient déportés

(1) On ignore généralement, que, déjà au milieu drr xrxe siècle, la presee
a.llernande essayait tlc rniner l'unité belge en excitant l'un contre I'auùre
I'lamands et Wallons, Ire chansonnicr Cr,nssn corrlpos& à ce propos une
n Réponse rl'un Bclgc aux journaux allomancls o où figirire ce couplet :

Qu'ai-je entendu? Des journaux allemand.s,


Graves éohos de basses infamies,
Pour cliviser les \\'allons, Ies tr'lamands,
En font soudain deux races ennernies!...
Àristarques aux cheveux blonds,
Qu'ù vos youx la vérité brille!...
Sachez-lo bien, Fla,ma,nds, Wallons,
, Ce ne sont là tlue des prénoms,
Belg:e est notre nom cle famitle...
Ira fln du couplet seule est restée célèbre, car lee Prussiens, vainqueurs à
Sadowa (1866), exigèrent Ia suppression d.es FeÊsages de la chanson dés-
ggréables à leurs oreilles,
-605-
pour leur attitude hostile à l'aetivisme' Evêques'-bourgmestres'
'bref'
magistrats, avocats, professeurs, directeurs de banques'
tous ceux dont la voix ar.ait quelque autorité, usaient de la i

, seule arme que nulle force au moncle ne pou'ait leur ènlever :

la protestation! Ils protestaient contre les lois allemandes,


la justice allemande, contre les crimes allemands ! Dans
journaux
le public, la bonne humeur était entretenue par des
"orr1""
clandestins : la Libre
< Belgique >, l'< Ame belge 'r' le < Flam-

beau >, le < Vlaamsche r'eeuw ll. La masse restait optimiste,


elle supportait toutes les épreuves avec le plus grand courage
et s'amusait des mystifications à I'adresse de nos tyrans. cet
< Les
hérolsme simple et bonhomme stupéfiait les Allemand5'
Belges sont àes problèmes psychologiques, dit un jour le
'D
gouverneur général von Bissing !
Non moins intrépides que nos soldats, un certain nombre de
jeunes
patriotes travaillaient dans I'ombre, soit pour envoyer des
g"r, *, front, malgré le fil électrique à haute tension posé à la
frontière hollandaise, soit pour forrrnir au gouvernement des

renseignements précieux. C'étaient des curés, des députés' des

magisirats, des entrepreneurs, des tapissiers, des bateliers' des

loueurs d'orgues, des agents de police, des placiers en vins'


prisons
Les Allemands'leur faisaient une guerre acharnée. Les
étaient combles. On se souvient de la mort hémïque de miss
Edith cavell, directrice de I'Ecole d'infirmières Depage, de
Gabrietle Petit, la stoTque vendeuse, de'l'architecte Philippe
Éaucq, de Bril, de Lenoir, de Corbisier et de tant d'autres'
Leur Jtat d'esprit devant- la mort se reflète en cette plrase,
écriteparuncondamnéàsafemmelaveilledesonexécution:
< Demain matin, au moment otr je tomberai sous
les balles alle-
mandes, tu feras jouer et chanter aux enfants la Brabançonne.
D

***
r

Aucoursdelalongtrepérioded'immobilitédanslaquellese
figea le front occidental, I'armée belge se distingua par deux
tâches : la $uerre dans les colonies et la $arde de I'Yser.
Le 7 aofit 1gr4, le roi des Belges avait proposé la neutrali-
sationdubassinduCongo,maisbuitjoursplustarddes
patrouilles allemandes venaient couper des fils télégraphiques
Fur lp rive oecicleptale du lac Ta'nganika' Dès lors' rien
n'en'
-606-
pêchait les forees coroniales belges de coopérer avec Ieurs alliés
à Ia conquête du domaine colonial allernand. ces opérations
se développèrent dans trris directions :
lo En septembre Igr4, une petite colonne remonta la san$a
sur un parcours de trois eents kilomètres et aida les Français à
supprimei une tles deux antennes que les Allemands avaient,
quelques années auparavant, projetées du cameroun au congo
belge, à travers Ie Congo français;
20 En 1915, une colonne berge participa à la, campagne du
cameroun et entra, en janvier rg16, à yaunde, dernier centre
de résistance des Allemands dans ces parages;
3o La troisième opération, Ia conquête de I'Afrique orien-
tale allemande, demanda de Iongs préparatifs, l'envoi de
matériel d'Europe et la transformation de nos forces coloniales
en une véritable armee. ce fut l'æuvre du général rombeur
et du gouverneur général Henry. En avril 1916, deux brigacles
de deux régiments ehacune, sous les ordres, I'une du colonel
Molitor, I'autre du lieutenant-colonel Olsen, envahirent _
par le nord et par I'ouest
-- Ie Ruanda, riche proûince située
dans I'angle nord-ouest de I'Afrique orientale allemande. Fran-
chissant montagnes, marécages et rivières, elles prirent Kigali,
chef-lieu du Ruanda, puis r]sumbura et la rive orientale arirac
,Tanganika.
Entre temps, ce lac immense était entièrement tombé aux
mains des Belges et des Angrais, grâce arrx opérations d.'unc
flottille mixte et d'hydro-avions. En pleine saison sèche, dans
un pays monotone et sans eau, so's un soleil ardent, nos
braves soldats noiis, conduits par des ofliciers de choix, mar-
chèrent ensuite vers Tabora. Après une bataille de dix-huit
jours, ils prirent cette ville (le rg septembre rg16), la seeonde
en importance de I'Afrique allemande. 200,000 kilomètres
carrés, habités par plus de 4 millions d'indigènes,. étaient
conquis et soumis à l'autorité du eommissaire royal l\ralfeyt.
Les Anglais croyaient en avoir fini. l\rais Ie coronel von
Lettow-vorbeck, chef des dernières forces allemandes en Afrique,
était aussi brave qu'ingénieux. rl cléjoua les efforts de ses enne-
mis; aussi, en 19I7, nos alliés durent-ils faire un nouvel appel
au concours des Belges. L'alerte colonel Huyghé concentra ses
troupes à Dodoma et à r{ilossa, dans re sud-est de |Afrique
orientale. A travers un terrain hérissé dç difficultés, il pour.
-607-
chassa le major Tafel, prit Mahenge,le I octobre 1917, et traqua
son adversaire jusqu'à ce que celui-ci allât se jeter au milieu
d'une'colonne anglaise, postée près de Newala, dans I'angle
sud-est du pays, aux confins du 1\Iozambiq.ue. L'héroisme tle
nos troupes en Afrique nous valut, lors dtt partage des anciennes
colonies allemandes. la gestion de deux riches provinces : le
Ruanda et I'Urundi.

çSeriricr ]tlttttLt(ltrt plt'iqttc tlt L' ur ttréc llr;lç1e')

LA GARE DE PERVYSE. LES INONDATIONS DE L'YSER


-
(SePtembre 1916',

Sut le terrain de lrt gtlerre crttropéenne, I'arntée bclge at'ait


continué r\ ( monter la garfle rlc I'Yser r. Toujottrs 'igilarltc, ellc
arrêtait les attaques des Allerlancls et ren0tlt'elai" sans ccssc
lcs millions cle petits saes de terre ou r<ztaderlandu'ties,r qui ren-
forçaien't les parois mouvantes de ses tranchdes' Peu à peu, sa
_eog--
sittration s'améliorait : elle se rééquipait, adoptait'lè casque
eomme coiffure et le brun khaki comme nuanee rl'uniforrie,
'
.elle
était largemeht pourvue de grosse artillerie, de mitrailleuses
'et de matériel cle toute espèee. Le roi demeurait
au miiieu de ses
soldats, tandis que la reine accomplissait des æuvres de
charité

I'"rmée betse'
LA BA.'ArLLE DE MER.KEN{ÏÏïï :':::"i,':T::,i:;::'
Lignes d'irrf&nterio altcndarit, cllrrrs dcs trarrchées cle fortune,
lc signal ilt' I'assaut.

ct cle bontri clans lcs hôpitaux et les asiles, à l,arrière du


Ii'ont.
Les opérations, dc novernbre rgl4 à scpternbre lglg, furent
sptlcialenrent actir.cs dans les cireonstances suivantes :
1o It'avril lgIF, grâce à l'emploi de g*z aspliyxiants,
Ies
Allem:rnds réussire't à passer le calral de steenstraete, au
nortl d'Ypres. Nos fantassins et nos artilleurs aidèrenb les
Ë.'

609 --
-
FrançaisetlesAnglaisàreprend'retoutleterrainperdu.Ce
fut une rude bataille de huit iours'
. zo pendant l'été de lgl?, làs Belges appuyèrent faile gauche
destroupesfrancro.britanniquesquiessayaientdeperceren
Flandre.
3o Le I awil 1918, les Allemands, arrêtés devant
Amiens,
déclanchaient une terrible ôffensive sur la haute Lys' Ils mena-
de communication de I'armée belge. Le 17 avril,
çaient les lignes
lla IIIe D. 4., sous le général Jacques, et la IVe
D'A" sous le
général Michel, arrêtèrent quatre divisions dans la région de
irrrg"rrr""ck. Le 9e de ligne et le ler chasseurs à pied reçurent
la eroix de I'ordre de Lèopold. Ce fut la glorieuse bataille de
Merckern-KiPPe.
***
AlafindeseptembrelglS,lemomentétaitvenuoùl'armée
rôle actif dans le $rand mouvernent
belge allait jouer un
offensif du $énéral Foch. Le roi en informa ses l,roupes'
Ie 27, par cette courte et énergique proclamation :

< Soldats,
, > vous allez liwer un puissant assaut aux positions ennemies.
> Aux côtés de vos héroiilues camarades britanniques et
français, il vous appartient de refouler I'enva.hisseur qui trpprime
vos frères depuis plus de quatre ans' t
> L'heure est décisive.
, ,, Partout I'Allemand recule.
r Soldats,
lMontrez-vousdignesdelacausesacréedenotreindépen.
danee, dignes de nos traditions et de notre race'
r En avpnt pour le Droit, pour la Liberté, pour la Belgiquç
glorieuse et immortclle.
r ALBERT. P

- Le roi avait sous ses ordres, outre I'armée belge, clirigee par
le général Gilain, chif d'état'major g&réral, tà VI-e armée fran-
çaiie (général Desgouttes) et la IIe armée anglaise
(général
itr"*"*1. Son but était de chasser les Allemands du littoral par
une percée foudroyante, opérée ( en secret, avec audaee et
F. vaN KÂLKEN. Ersrornn DE Bnr'clraun' 1924' 20
- -
-610_
surprise o, o"r, Thourout et Bruges. pour cela, il échelonna
trois D. A. : la 1re (général Bernheim), Ia rrJe (général Jacques)
et la vre (général Biebuyck), du fort de la r(nâcke (au sud de
Dixmude) jusqu'au wieltje, au nord d'ypres. plus au nord, le
génûal Micbel, avec Ia 4edivision d'infanterie, devait fâire une
démonstration vers 'wournen et Dixmude (r). L'attaque fut
txée au samedi 28 septembre.
L'effort à fournir par les nôtres était terrible. rs devaient
traverser un terrain découvert, criblé de milliers de trous d'obus
jointifs, dus aux c pilonnages r de rglz-lgrg. chaque cratère
était transformé en mare. Devant le centre du front d'attaque
se dressait Ie rempart de Ia forêt de Houthurst, le sinistre
vrijbosch des aneiens détrousseurs de la 'west-Flandre. c'est
devant eette forêt, avec ses abris bétonnés, ses rideaux de fiIs
de fer barbelés et ses nids à mitmilleuses que la grande offen-
sive franco-anglaise de l9l? avait échoué. bechi{uetée par le
tbu de I'artillerie, elle apparaissait comme une ( lande piquée
de manehes à balai r. Les Allemands étaient protégés par six
systèines de tranchées : la Bayemstellung,la preussenstelhmg,
la Frankenstellung, etc.
Mais nos soldats savaient que derrière ees remparts les atten-
daient Ieurs familles frémissantes d'espoir, ils savaient que la
Patrie martyre comptait les minutes qui ra séparaient de Ia
libération. Animés du plus pur patriotisme, ils furent sublimes.
A 2 heures et demie du matin commença un tir préparatoire
foudroyant qui dura trois heures. puis, à 5 heures et demie, dans
I'aube livide, ce fut I'assaut, sur un sol glissant et couvert
d'obstacles, sous une pluie torrentielle. En un instant, trois
Iignes furent enlcvées. LaTe D. r. (générar van Acker) prit d'un
seul effort Ies deux tiers du bois de Houthulst. En tout, les
neuf D. r. avancèrent de plus de six kilomètres sur un fmnt de
dix-huit kilomètres. Le général Foeh se fit plusieurs fois confir-
mer par téléphone I'annonce de ces incroyables succès.
Le lendemain, I'armée belge conquérait, malgré la présence '
de quatre divisions allemancles de renfort, toute la crête des
Flandres, d'Eessen à Passchendaele, avec les villages de
clercken et de Z'arren. ce magnifique fait d'armes amena l'éva-

(1) r,r 2ê et la 5â D. r. (infanterie) contirruaient entre temps à gardor


l'Yset.
6rr --
-
cuation de Dixmude et la retraite des Allemands jusqu'aux
abords de Roulers. Du côté d'Ypres et de la Lys, le général
Plumer enregistrait aussi de beaux succès. Malheureusement, le
temps était épouvantable, la pluie tombait à flots I sur le terrain
boueux et bouleversé que les nôtres venaient de reprendre, Ies
canons et le charroi ne parvenaient plus à avancer. La bataille
de la crête des Flandres dut forcément être interrompue,
Ie 4 octobre, pour rétablir les communications avec I'arrière.
Les troupes étaient d'ailleurs épuisées. Elles avaient subi de
Iourdes pertes. Dans la division Bernheim, par exemple' il était
tombé I officier pour ll hommes. Néanmoins, la victoire était
superbe : 6,oOO prisonniers, 15O canons, 30O mitrailleuses et
beaucoup de mortiers de tranchées, de minenwerfer, de dépôts
de munitions, étaient restés entre nos mains et, en certains
points, I'avance réalisée avait été de dix-huit kilomètres.
Dix jours plus tard, des pistes en bois, des chaussées con-
struites par le génie, avec des madriers et des moellons, permet-
taient à notre grosse artillerie d'appuyer un nouvel et déeisif
effort. La bataille dite de Thielt-Thourout commença Ie Iundi
t4 octobre. Entre les armées des gén(raux Michel et Biebuyck
étaient venus s'intercaler deux corps français : le 7e (général
Massenet) et le 34e (général Nudant). L'attaque eut lieu à
I'aube et fut précédée d'un formidable feu de barrage de quel-
ques minutes à peine. Le succès fut immécliat, sur tout le front
(f8 km.). Handzaeme, Cortemarck, Hooglede, Roulers fur.ent
délivrées. I)ans la brume d'octobre, I'ennemi fuyait épcrdu,
poursuivi pa,r la cavalerie. Cette fois,le front était bien r percé >!
Le 15, la < garde de l'Yser > était terminée, nos avant-postes
franchissaient le fleuve sacré. Ce même jour, au frond sud,
Plumer prenait Menin, sur la Lys. Le 16, ce fut la débâcle :
la cavalerie belge entrait dans Thourout, Lichtervelde, Ardoye,
Iseghem et fngelmunster; les Anglais occupaient Courtrai.
Le 17, nous reprenions Ostende et Bru$es. Dix-sept divisions
allemandes battaient en retraite, de Ia frontière hollandaise à
La Lys, abandonnant toute leur artillerie de côte, leur matériel,
leurs dépôts et notamment la, grosse pièce de 38O, établie au
< Leugenboofir r, au nord'ouest de Thourout, d'où les Allemands

avaient tant de fois bombardé Dunkerque. Ce recul ne s'arrêta


qu'à I'est du canal de dérivation de la Lys et du canal de Schip--
donek, de Maldeghem à Deynze. La Flandre occidentale était
.t

612 _
-
libérée. Bo,00o prisonniers, 500 canons, r,200
mitrailreuses
étaient restés aux mains des vairiqueurs !
Entre temps,I'écroulement de ra puissânee germanique
avait
atteint des proportions gigantesques. Le to àctobre,
les Alle-
mands avaient perdu < I'imprenable r ligne
Hindenburg qui,.
s'étendait d'Arras à saint-euentin et ils avaient
évacué Ie
massif de saint-Gobain-Laon. A partir du 20
octobre,la retraite
de I'ennemi f.t générale, de la mer à ta tueuse.( - -"**^"-
Dès le 4 octobre, au'soir, re nouveau chancelier
de l,Empire,
le prince Max de Bâde, avait térégraphié au président
'pour le < prier de se charger du rétabrissement wilson
de la paix ,.
Tandis que wilson subordonnait son infslvention
à r,accepta-
tion, par les Alremânds, de certaines conditions préalables,
la
révolution éetatait à r'intérieur de l'Empire. Enfin,
au moment
oir les Allemands acceptaient la négociation d,un
-n'importe armistice, à
quel les conditions, t' empi rL,r"* Hori"n
rotr"rr, s,effon -
drait : le g'.ovembre, Guilaume rr abdiquait et fuyait
en Hol_
landè; à I'arrière du front, res troupes formaient des <
conseirs
de soldats > et arrachaient à rerrrs oflieiers lcs insignes
dq leur
grade.
Le lundi rl novembre, à lr heures d.. niatin, l,armistice
mit
fin à la plus grande guerre que le monde ait jamais connue.
, t ." moment les alliés avaient atteint Ie canal de Gand à
Terneuzen, sotte$em, Grarnmont, Mons et les
confins
de I'Entre-sambre-et-Meuse. La participation dc notre
armée à la carnpagne de ribération lui avait lotrte B,E0o
tués
(dont 258 ofliciers) et 81,000 blessés, mais elle s'était
couverte
d'trne gloire impérissable.
L'armée allemande quitta notre pays par étapes cre
rE kilo-
mètres par jo.r. Beaucoup de régiments étaient pr"irr"-dil;_-
'lution, vendaient ou abandonnaient "" i"r". muni-
leurs arm".,
tions et leurs vivres.
Le roi rentra suceessivement dans ses < bonnes vites r,,
lrccueilli par des démonstrations de joie indesuiptibles
lr même, il était à Gand, le rg à Anvers. r,a veille, il avait : le
adressé à ses troupes u.e proelamation otr ir le*r disait
: < vous
avez bien mérité de.la patrie! r
' Le vendrcdi zz novembre la rentrée triomphare
'souverains de nos
à Bruxelles eut un caractère upoihéotiqrr". Le
temps était splendide, une fbure immense remplissait
res rues
-_ 613 _
pavoisées. Le roi, la reine et leurs enfants firent leur tr Joyeuse-
Rentrée r à cheval,à la tête d'imoosants détachements allié.
et de la glorieuse Vfe D. A.
Dans un cliscours du Trône enrprein0 de Ia plus grande éléva-
tion de sentiments, le Roi-Soldat exposa aux représentants drr
penple Ia tâche accomplie en quafre ans par lui et par ses

(Plwto Nels.)
L'ENTRÉE TRIoMPHALE DE Nos soUvERAINs A BRUXELLES.
LE 22 NOVEMBRE 1918

_À la ggyehg du Roi, la ruinc Elisabeth; à sa tlr.oitc, le priuce


ÀIbert d'Àugleterre. Âu sccond. rang, les f,roise.fantÉ roiàui;
, lln peu phrs loin, lcs chefs d'armées alliécs et belges et-Ieurs
officiers d'état-major.

homrnes. rl prêcha ensuite I'union ct promit la réalisation de


réformes politiques (le suffrage égal), économiques (alliance
Ioyale du capital ct du Trarail, Iiberté syndicare) et linguis-
tiques (stricte égalité des langues, université flamande). tr Mes-
sieurs, r dit-il en terminâDt, <t parmi les granrles leçons de cette
guerre, il n'en est pas de plus saisissante que lc désordre politirlue
et social des nations autrefois prospères. L'ordre est r\ Ia base
de la vie sociale; sans lui, eelle-ci ne peut se développer. Mais
:\
I
_614_
I'ordre fécond ne consiste pas dans une soumission forcée ni
dans les effets d'une contrainte extérieure; il doit être dans
I'accord commun des cæurs et des volontes. c'est ainsi que
I'esprit de fraternité et d'entente apparait comme un devoir
civique au même titre que le souci du maintien de I'ordre. >
Tous Ies points saillants de cette noble harangue fbrent
ponctués d'applaudissements. Lorsque Ie roi, longuement
ôvationné, commença par ces simples mots : <r Messieurs, je
vous apporte le salut de I'armée. Nous arrivons de I'yser, mes
soldats et moi, à travers nos villes et nos campagnes libérées, >
la majestueuse.vision apparut à I'assemblée de ce qu'avaient
aceompli, en ces longues années de deuil et cle gloire, ce prinee
et ees soldats-héros. Lorsqu'il décrivit le martyre des popu-
lations civiles, subissant o le supprice prorongé âe vivre et de
souffrir sans savoir ce que la destinée leur réservait >, les assis-
tants sentirent au plus profond du cceur quels liens indissoltrbles
unissaient à jamais Albert Ier et son peuple (l).

***
Le samedi 28 juin tgrg, la palx a été signée à versailles
entre I'Allemagne d'une paf,, les puissances alliées et associées

(1) Ayant été à la poine, I'am.ée belg:e fut auesi appelée ou légitime hon-
neur d'occuper une partie do l'Àllemagne cisrhén&ne, ce territoiro dovant
servir de ga€ie pour l'accomplissement des promesses du vaincu. au d.ébut
de décembre, lorrque les Belges pénétrèrent sur le territoire allemand, le
Rol leur adlessa la proclamation euivante :
n Oflciers, Sous-Ofrciers et Soeats,
o En 1914, l'amée befu:e s'est levéo contre l,envahibseur pour d.éfend.re
l'hon.eur de la nation. Pendant plus de quatre années, yous avez combattu
loyalemeut un adversaire qut, se basant sur sa, force, a commis tous les abug.
La victoire a récompeusé vos eflorts. vous alloz rnaintenant pénétrer sur
lo territoire ennemi non pa,B pour y procéder à des représailles, mais pour
assurer I'exécution d.es clauseg d.e l,arrnistice.
I Sold.ats de I'honneur, lrous ne ternir.ez pas I'éclat de votre gloire. Vous
coD.tinuerez ù remplir vos devoirs aveo fermeté, mai:s aussi aveo la même
loyauté.
' En respectant lee populatioùs, en sa,uyeg:&rclant les propriétés, voue
achèverez de confond.re I'ad.versairo et d.e vous élevor d.ang l,estime de nos.
alliés.
, officiers, sous-oflciers et sold.ats, ie compte que vous resterez dignes
de la Belgique. o
-615-
d'autre part. Le traité et les accords qui lui servent de
eorollaires, ont établi en notre favepr les stipulations sui-
vantes (l) :

l. Au point de vue temitorial :


lo Notre pays a, incorporé à son territoire le district neutre
de Moresnet ainsi'que les cercles d'Eupen et de Malmédy.
Une possibilité de protestation avait été laissée aux habitants
de ces eercles. En 1920, le délai ûxé vint à expiration sans
que les registres d'opposants eussent compris d'autres noms
que ceux de quelques fonctionnaires d'origine prussienne.
2o La frrance a déclaré qu'elle se.désintéressaiD de Ia ques'
tion du $rand-duché de Luxembour$,. Le gouveûrement de
la République s'est préoccupé cependant du Luxembourg
grand-ducal au point de vue stratégique. IJne garnison fran-
çaise en a oceupé la capitale jusqu'à constitution d'une force
défensive sérieuse par les Luxembourgeois, c'est-à-dire jus-
qu'aux derniers jours de 1928.
Le 25 juiltet I,g2I-, un accord économique a rapproché le
Luxembourg de la Relgique pour une période de cinquante
ans.fl comporte la suppression de I'ancienne frontière
douanière bel$o-luxernbour$eoise et. I'adoption, par le
Grand-Duehé, des tarifs et règtements en vigueur chez nous.
La. eonvention comporte en outre d'heureuses stipulations
d'ordre monétaire, constrlaire, ferroviaire, industriel, intellec-
tuel, dans le but de rèsserrer les liens entre les deux part,ies
séparees des anciens Pays-Bas.
3o Les traités de 1831 et 1839,'qui maintenaient Ia Belgique
dans < les lisières d'une neutralité fallacieuse, entravant sa
marche, sans lui garantir la sécurité >, ont été abolis. La
Belgique peut désormais, en toute indépendance, choisir ses
alliés et orienter sa politique comme bon lui semble (2).
4o Des négociations devaient être engagées avec les Pays-
Bas, au sein doune commission oir figureraient aussi des

(tr) L'éohange des ratiflcations du traité cle Yersailles t eu lieu le 10 jan-


vler 1920.
(2) En 1920, la Belgique a conclu un accord mllltalre délenslf avec la
Frauce.
':i, r;,..

_ 6t6 _-
déIégués français et anglais, afin de Éaliser les desiderata belges
en ce qui concerne I'Escaut et la Meuse.
Ces négociations o4t, en effet, eu lieu, mais elles ont profon-
dément déçu beaueoup de Belges, tant au point de vue terri-
torial qu'économique. Sans doute, Ia convention hollando-belge
nous a réservé des avantages économiques mais, par contre, le
gouvernement hollaudàis a prétendu eonserver la souveraineté
sur toutes les passes de I'Bscaut, y compris celle des
\ilielingen, située en face de Heyst et de Zeebrugge !
5o Dans I'Est africain, Ia Société des Nations a conféré à Ia
Belgique, placée au rang des grandes Puissanees alliées, un
mandat de gestion coloniale pour le Ruanda et I'IJrundi,
territoires peuplés par trois millions d'habitants et très iiches
en bétail.

II. Au point de vue économique :


rJ
lo Les Puissances nous ont donné quittance de notre dette
de guerre de six milliards;
2o La Belgique devait être indemnisée dans I'espace de
trente ans; en attendant, elle obtenait un ilrolt de priorité
pour le versement tl'une indemnité de deux milliards et demi
en or, payables avant le ler mai lg2l;
3o L'Allemagne devait rendre à la Belgique le matériel et
le cheptel volés ou détruits. Elle devait lui fournir du ton-
nage, du charbon', des colorants, des produits chimiques, ete.
Le lecteur ne sait que trop hélas ! combien I'Allemagne
a manqué à tous ses devoirs- en rnatière - de réparations.
Toujours vietime de son orgueil, elle a préféré la banqueroute
à un essai loyal de remplir ses obligations. Le ll janvier 1928,
Français et Belges, à bout de patienee, ont occupé le dlstrict
de la Ruhr, afin de tenir en mains un gage sérieux vis-à-vis
de leur narquoise débitrice.
Aussitôt, le Reich a organisé la réslstance passive. fl se
sentait, en effet, moralement soutenu par I'Angleterre qui
ayant retiré de Ia paix son maximum d'avantages pour-
-suit depuis quatre --
ans, à l'égard de I'Allemagne, une politique
de mansuétude qu'elle croit utile au salut du meinde en géné.
ral et à ses intérêts économiques en particulier. Ainsi est née
une situation affligeante et pleine de dangers. De septembre
{'.
.-617-
à décembre I.923, heureusement, I'Allemagne, à bout de
, forces, a dfr renoncer z\ sa téméraire et désastreuse résis-
tance.

III. Au point de vue moral


lo L'empereur Guillaume Ir, son fils aîné, le Kronprinz,> 2t
Ies Allemands coupables de crimes contraires aux lois de
I'humanité devaient être rnis en iu$ement'
Les Pays-Bas ont, depuis lors, refusé de livrer Guillarrme II.
Par ailleurs, la plupart des Puissances ont aband'onné leur
attitude première concernant cette clause' Quant aux pour-
suites intentées par la llaute cour de Leipzig contre quelques
militaires particulièrement compromis, elles n'ont été qu'une
duperie, trn scandaleux simulacre.
20 certaines (Euvres d'art essentiellement belges nous ont
été restituées par I'Allemagne et par I'Autriche. En 1920, le
polyptiquedesfrèresVanEyck,intitulé:<loAdorationde
. i'Agn"ro mystique > (église de Saint-BavQn, à Gand), a été
complètement reconstitué, grâce au retour de six volets figu-
rant au musée de Berlin. L'Autriche nous a rendu dcs arrnures
historiques, extrêmement rares, enlevées de Bruxelles à I'ap-
proche des réprrblieains français, en 1792'

***.

La Betgique a. trav".*à rn" telle crise et l'épuisement de ses


sources de riehesses était si absolu que tous les partis com-
prirent, en 1918, la necessité de former momentanément une
i-lofo11 sacrée pour chercher en commun les mesures les plus
prcpres à relever rapidement la patrie. Le cabinet
-Delacroix
ào*pt" des catholiques (Delacroix lui-même, Jaspar, De
Broqueville, Renkin, Harmignies et Ruzette); des libéraux
(Vandervelde,
lHymans, Masson, Franck), des socialistes
Anseele, Wauters):
ces hommes énergiques et de bonne volonté ont entrepris très
sérieusement l'æuvre de la restauration nationale. Il est vrai
qu'e+ octobre 1921, les socialistes ont quitté Ie ministère, à.la
ùit" d'incidents grossis par des polémiques et des interventions
-.s
-.f
r

_618_-
personnelles. Mais, rentrés dans l,opposition, ils observent
vis-à-vis des ministres catholiques et libéraux une attitude
d'expectative en somme bienveillante.
Pour le moment d'ailleurs, les préoccupations poritiques et
sociales sont subordonnées aux questions éeonomiques et finan-
cières. Réparations, budgets, emprunts,lois le com-
merce' les loyers, la vie chère, le change "or""*arrt
déprécié, tels sont
les points principaux figurant au programme du ministère et
des Chambres.
' Entre temps, nos dirigeants ont néanmoins aecompli, ou
commencé à accomplir les promesses eontenues soit ouver-
tement, soit implicitement, dans Ie discours du Trône du
22 novembre lgt8 : suffrage *niversel à vingt et un ans (y
compris le suffrage férninin pour les élections communales),
impôt sur le revenu, loi des huit heures, assurance obligatoire
eontre les maladies et les accidents du travail, loi contre la
consommâtion abusive de I'alcool, abrogation de I'artiele glo
du code pénal, qui entravait la liberté syndicale, université
flamande, à Gand, égalité des subsides en matière seolaire.
Au point de vue extérieur, la Bergique s'est efforcée de con-
tinuer à mériter, dans la Paix,la confiance et I'estime qu'avaient
placées en elle les peuples pendant Ia Grande Gueire. souvent,
au cours des négociations difficiles de ces dernières années entre
la France et la Grande-Bretagne ces fières nations que tant
-
d'affinités unissent et que tant d'intérêts séparent nos diplo-
mates ont joué un rôle actif et syrnpathique. En- cela ils ont
repris une des plus grandes traditions des doctrinaires de lggo,
cles Lebeau, des Devaux, des Nothomb, qui rêvaient d'édifier .

la liberté de l'Europe sur le < noble trépied r formé par Ia


tr'rance, I'Angleterre et la Belgique.
Quant au peuple belge, fier de sa vietoire, eonfiant dans
I'avenir, sûr de I'affection de son grand Roi et de sa bonne
Reine, il s'est remis courageusement au travail. Déjà en lglg,
le grand philosophe français Emile Boutroux, membre de
I'Académie, écrivait à propos de
lui (I) :
< rronneur à ce peuple, non moins soucieux des realités
pratiques que jaloux de son indépendance et respectueux de

0) Lô Glaulois du 9 juiltet 1919.


q i l'

-619-
par sa conduite aussi noble que sage'
la loi suprême du devoir!
ce contraste grandiotg-d"- la sublimité
il réalise singulièrement
moraledansl'exiguitématériellequ'avaitcélébre.Aristoteen
doctrine classique
un passâge immoiel; et il d.onne raison à cette
desnationalitésqui,faisantabstractiondesdifférencesd'éten-
toutes les nations
due et de puissanË*, p"o*lrrrre égales entre elles
vraimentdignesde-""nom,conformémentaupremierarticle
de la Déclaration des Droits'de I'Homme
: c Tous les hommes
> (Cest-à-dire tous Ies êtres marqués du caractère de la per-
, àonnalité) naissent libres et égaux en'droits' D
i'h,.

TABLE DES MATIIPP5 trr

PAOES
I
PREMIÈNP PARTIE
La Belgique daps l,antiquité.
Cserrrnr Irt. Temps préhlstorlques et protohlstorlqu6.
CEerrznn II. - L,a Gaule Belgtque avaat . 5
la ....
C'a-LprrnnIII.-Loconquêteromalne conquête --"1o"
-
.;.....
l0
Che-prrnn IY. La Belgtque roûalne lB
- . 16

DEUXIÈME PARTIE
La pérlode, franque.
CErfrrnn 1"r.-_ Les t€mpE mérovlngleae
CErrrrn,n II. 23
L€s temps carollnglens
- 3l

TROISIÈME PARTIE
Le haut moyen âge.
oa1.lrnn J*. Leeié"éoemente polrttques en Flûrdre
- du D;o et du Xc stècte.
rlnÉte au cours et e,, tatha-
30
40.
S 2. La Lotharingie
CErgrrnp II.
- tl
La vle économlque et soclale aux pays-Bas durant
le IJ(€ et le - Xr alècle

(l) Pour le alétail d.es sommaires, voir le texte.


d\/ri'
--62L-

QUATRIÈME PARTIE
Le ré$irne féodal à son aPo$ée.
PÀGEg

G1EA3I'IiREIe!. Les événements poutlques eû Flandre et en lÆtba-


- du XIe au mllleu du XIIo stècle .
rln$le, du début 52
I
g 1or.-IraX'lanctre. ..;... 52
Lothier. 55
f.
t $ 2. Lre d.uché de
! 3. - I/es dynasties looales , r. i - r 57
-
G1EaPI.I'EE IL Ia vte économlque et eoclale dans les Paya-Bas'
- la premlère moltlé du XIIg slècle.
au XIc et dans "' ' '.' ' ' ' 62

CINQUIÈÙIE PARTIE

La Période cornrnunale'

Cg^e-prrlrr Iôr. Lee éïénemeats polltlques en Flandre et eû Lotha'


rlnEle. - ...... 69

La Flandre. 69.
S 1.r.
$ 2,- Le duché do Lothier. TO
- aÛs Pays-Bast dans la
Oreprrnn II. La vle éconornlque et soclale
-
seconde moltté du XIIo et au XIIIg slècle '
79

SIXIÈME PARTIE
La période urbaine dérnocratique'
I

Cs'eprrtn Le comté de Flandre, de l28O à 1385


Ie?.
96
-
g !or. La tutte de la F'landre contre Philippe le Bel 99

$ 2. -- Le sorrlèvement tle la X'Iandre maritime 105


108
$ 3. - Ir'époque de Ja<lquos van Artevelde " ' " " " L12
S l. - t e rèeine de Louis de.Male
CEerrrnp II. Le ducbé de Brabant, de 1294 à 1383 119
CEepirep III.
- nrtnclpauté de Llége, de la ûn du XIIc à la ffn
-. du XfV. 8lècle- !a 125
Gge.prrnnIv._Lavleéconomlqueetsoclaledaneles'Pays.Bas
au XfVc stècle. L32
f f-;, ,r !. f l.

-622-
SEPTIÈME PARTIE
Les Pays-Bas sous les ducs de Bourgogne.
P.|OES
CEevrrnu Jû'. Lee premlers ducs de Bour$o$ne .... 138
CErPrxat II. - Le règne de Phlltppe le Bon, . . . J. .
-
$l.'. La polltlque extérieure tle Philippo le Bon. 111
! 2. -- L'unlflcetion territoriale dos Paye-Bae .. 1t5
$ 3. - La coutralisation d.ee institutlous 161
$ 4. - I/es aonflits entre Philppe lti Bon et les Communes fla.
mandeg. 155
QEenrnu III. Lo prlnctpauté de LléÉe à l'époque dee duce de
Bouttogre- 159
CEerrrnp IV. La vle économlque et soclale dans les Payc-Bar
rons lea ducs- de Bourgogne 187
CEe.prrnn V. ;- I2e rèlne de Chartes le Téméralre

HUITIÈTIE PARTIE
Les Pays-Bas sous les premiers Habsbour$s. t

Cgl-prz1Rn If. Le rè$ne de Marle de Bourllogne . .. 188


Cslprfgn II. - Lo rég,ence de Maxltnilten d'Autrlche 1S3
Csrprrnn III. - Le règne de Pblltppe le.Beau. 198
Cneprrtp IV. - La prlnclpauté de Lté8,e, de 1468 à I5O5. 202
CsâprrB,E V. - Le rè$ne de Chartes-Qulût.... 204
-
$ 1"'. Iro ninorité d.e Charlee de l-ruxembourg... 204
$ 2. -- I.,a politique extérieure tle Charles'Quint 206
$ 3. -- I-ra bottique intérieure de Charles-Quint. . ?lO
CE-a.nrrB,E VI. Ia vle économlque et soélale aux Pays-Bas, dans
-
la premlère moltlé du )(VIâ slècle . 217

NEIiVIÈME PARTIE
La domination èspa$nole et la révolution
du XVIe slècle.
CErFrrtsE I.r. -Iæs débuts du rè$nedePhlltppe II.......1.... 240
Canprrg,p II. La réslstance natloaale 211
CErprrtn III. - La réoletance relllleuse ....:..... 249
-
nrxrÈun PARTIn
espagnol'
La fin du ré$ime 90+

Le rèêûe des arcblduce .':::: 301


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319

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I
I ONZIÈME PARTIE
l
t Le ré$ime autrlèhien' 354

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385
o"iJ#T liL;,ï
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ÏrePrrns - --
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399
ltégeolse'
CEaPTTRE
VI' - La t,i""f"U"n

nouzrÈur PARTilT

Le.ré$irne français'

; i:
ffiffi"'{:-â*ffi
-Âô16ê lrançgls ' '
-illEi'?:',Ë'
t''.".qh

-624- ')

TREIZIÈME PARTIE
Le régime hollandais et la révolution de f830.
PÀCE8
Cgeprrnu I.r. La, réualon de la Belgtque et de la Hollande.
À
L€û
Cent-Jours- - 495
CsAPrrer II. Les début8 du règne de Gulllaume I.r.. LLI
CEeprtnr III. - l,a vle économlque et soclale en Belglque sous le
-
réglme bolaodals {.Ll
Oneprrnr IY. Les Erlets des Belges et I'Unlon des opposltloûa... 451
-
Oneptrnr Y. La révolutlon de l83O
Cseprrnp VI. - La constltutton du royaume dc Belglque 4?0
-

QUATORZIÈÛIE PARTIE $

La Belgique indépendante. {
CEÂPIT'II,E Iê.. Ia potltlque extérleure de la Belglque, de tggt
à 1914. Le- probtèr4e de la défense natlonale 490
Cslrrrnr - II. _- La pottttque lntérleure'de Ia Belglque, de tgSl
à l9r4
Cs.lprrnn III. L'évolutlon économlque de la Belglque, de lESt
à t9r4. - 52L
Cnaprtnn IY. -- L'expaaslon colonlale de la BelÉlque, de lg?6
à 1918.
Cueprtnr: \t. La vle soclalp en BelÉliquer de lSgl à f914. 613
-

QUINZIÈME PARTIE
La Belgique et la guerre rnondiale.
Cru:rrnp fcr. La guerre mondlale et la campagne dc lgl4 en
'Belgtque - 5?3
CnnPtrnu IL Les années d'occupatlon. La vlctolre. 600
- -

No 176{t. Brur. Impr. de l'Orrrcr on Puar,rcrrÉrr ?, imp. du Sureau.


-

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