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de la fondation à l’avènement
du Protectorat (808-1912)
Fès et sainteté,
de la fondation à l’avènement
du Protectorat (808-1912)
Centre Jacques-Berque
2014
Collection Les Rééditions du CJB
http://books.openedition.org/cjb/
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Notes sur la transcription et liste des abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 609
Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 615
I. Le plan de la ville à l'époque médiévale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 617
II. Carte générale de Fès, de ses zāwiyas, sanctuaires et mosquées
principales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 620
III. Tableaux des filiations spirituelles et tableaux généalogiques. 623
Table des matières 9
IV. Liste des noms des principaux personnages cités dans cet
ouvrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 629
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 639
1. Liste chronologique des sources de l'histoire de la tradition
spirituelle de Fès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 639
2. Autres sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 648
3. Les études en arabe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 654
4. Les études en d'autres langues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 660
À mes maîtres et professeurs
À mes parents et grands-parents
À Mayssan et à Azyadé
Préface
Par Denis Gril
transmis par voie orale et écrite. Son histoire de la sainteté pourrait servir
de cadre à une histoire doctrinale du soufisme non seulement à Fès mais
dans l’ensemble du Maroc. En effet, parmi les saints et maîtres spirituels
dont il est ici question, certains sont nés et morts à Fès ; d’autres y sont
nés et y ont été formés mais ont poursuivi ailleurs leur carrière ; d’autres
encore y sont venus un temps pour étudier et suivre l’enseignement d’un
maître ou pour y rencontrer leurs semblables ; d’autres, enfin, s’y sont
installés définitivement, à un certain stade de leur parcours. Ce dynamisme
de la ville et les réseaux qui se tissent à partir d’elle sont remarquablement
soulignés. Les liens de Fès avec les autres villes et régions du Maroc ainsi
qu’avec les autres parties du monde musulman pourraient, à partir de ce
travail, faire l’objet d’une recherche spécifique.
En prenant le parti d’inscrire cette histoire dans la longue durée,
Ruggero Vimercati Sanseverino a produit un ouvrage de référence qui
rendra, et pendant longtemps, de grands services. On tirera profit des
tableaux des filiations charnelles et spirituelles ainsi que des cartes qui
invitent à la ziyāra. Cependant, sa contribution à l’histoire de la spiritualité
va beaucoup plus loin. Il excelle à faire jaillir des sources tout ce qui
fait la richesse de cette histoire. Par quelles voies intérieures ou visibles
accède-t-on à l’élection divine ? Comment les saints investissent-ils la ville,
dans les divers lieux où leur présence est plus particulièrement sensible,
durant leur vie et après leur mort ? Comment leur souvenir et les traces
architecturales de leur passage marquent-ils le temps et l’espace ? L’analyse
souvent très fine de la littérature hagiographique ne va pas sans une
interrogation constante sur le statut de cette écriture héritière de l’histoire
sacrée. La distance que doit prendre le chercheur ne le dispense nullement
de chercher à comprendre les intentions profondes des hagiographes et leur
rôle dans l’élévation de Fès au rang de « ville des saints ». Telle a été la
posture scientifique de l’auteur de ce livre. Elle l’a conduit à s’interroger
sur ce qui justifie une telle appellation que d’autres villes de l’islam et
du Maroc, Marrakech en particulier, pourraient revendiquer. Dans cette
quête, la figure légendaire et historique du fondateur de Fès, venu féconder
le Maroc de la semence prophétique, a joué un rôle. Elle a fait prendre
conscience à Ruggero Vimercati Sanseverino que le couple science-sainteté
a formé à Fès, avec la descendance charnelle et spirituelle du Prophète,
un ternaire que ses saints ont reçu en héritage. On saura gré à ce jeune
chercheur d’avoir ouvert les portes d’un regard nouveau sur l’histoire de
la ville en islam. Rappelons enfin que, dans le Coran, la ville (madīna) est
souvent le symbole du cœur.
Remerciements
l’espère, un ouvrage qui soit à la hauteur de l’intérêt qu’ils lui ont porté.
Parmi les personnalités scientifiques qui m’ont soutenu et desquelles je
me suis inspiré, je voudrais saluer M. Michel Chodkiewicz et M. Jean-
Jacques Thibon.
Je tiens à adresser un grand merci à Mme Marguerite Waroquier et au
D Françoise Bourret qui se sont occupées de la relecture, tâche souvent
r
Le corpus islamique
Coran Al-Qur’ān al-karīm (traduction de l’auteur).
Kanz Al-Muttaqī al-Hindī, ‘Ala’ al-Dīn, Kanz al-‘ummāl fī sunan
al-af‘āl wa al-aqwāl, 16 vol., Beyrouth, Mu’assasat al-Risāla,
1981.
Les archives
BBY Bibliothèque Ben Youssef de Marrakech
BG Bibliothèque Générale (Nationale) de Rabat
BR Bibliothèque Royale de Rabat
BQ Bibliothèque de la Qarawiyyīn
FRAA Fondation du Roi Abdul-Aziz de Casablanca
Introduction
1
Kanz, n° 32890.
24 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2
C’est le motto de la 18e édition du Festival des musiques sacrées du monde en 2012.
26 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
les lettres et les commentaires d’Ibn ‘Abbād et le Kitāb al-ibrīz sur les
enseignements d’al-Dabbāgh. Les ouvrages de référence de certains ordres
comme le Jawāhir al-ma‘ānī pour la Tijāniyya ont été rédigés et diffusés
à partir de Fès. Enfin, une littérature hagiographique où se croisent la
généalogie, l’historiographie urbaine et les dictionnaires biographiques
des savants, probablement la plus abondante parmi celles consacrées aux
villes du monde musulman, témoigne de la richesse et de la continuité qui
caractérise la vie spirituelle de Fès.
Les auteurs de cette littérature n’hésitent pas à souligner le caractère
privilégié de la ville. Muḥammad b. Ja‘far al-Kattānī (m. 1345/1927),
représentant de la tradition hagiographique fāsie à l’aube du Protectorat,
énumère dans sa célèbre Salwat al-anfās vingt-cinq « mérites » ( faḍā’il)
dont Fès peut se prévaloir 3. Les avantages climatiques et géographiques
mis à part, l’auteur évoque avant tout son rôle de ville de sainteté et de
bénédiction prophétique. Cette idée remonte aux débuts de l’historiographie
fāsie 4. L’auteur du Rawḍ al-qirṭās, source principale pour l’histoire de Fès
jusqu’à l’époque mérinide, célèbre la ville comme capitale spirituelle et
intellectuelle dans un passage devenu classique :
« Depuis sa fondation, Fès a toujours été propice aux étrangers qui sont
venus s’y établir. Grand centre, où se réunissent en nombre les sages,
les docteurs, les légistes, les littérateurs, les poètes, les médecins et
autres savants, elle fut de tout temps le siège de la sagesse, de la science,
des études de hadith et de la langue arabe. Ses juristes sont suivis par
l’ensemble des juristes maghrébins, et elle contient à elle seule plus de
savants que le Maghreb entier. Mais, s’il n’a jamais cessé d’en être ainsi,
il faut l’attribuer aux bénédictions et aux prières de celui qui l’a fondée,
l’Imām Idrīs, fils d’Idrīs (que Dieu l’agrée !) 5. »
Comme le suggère cet extrait, la vénération dont jouit la ville de Fès
fait écho à l’invocation que l’on attribue à celui qui est traditionnellement
considéré comme le premier saint de la ville, à savoir son fondateur,
Idrīs II (m. 213/828) :
3
Voir Salwa, vol. I, p. 75-81.
4
Cela étant dit, les géographes et les historiens soulignent même avant cela la prééminence
de Fès. Selon al-Idrīsī (m. vers 560/1165), géographe du roi normand de Sicile, « Fès
est le pôle du Maghreb », et en 621/1224, l’historien des Almohades, ‘Abd al-Wāḥid
al-Marrākushī, remarque : « Je ne crois pas qu’il y ait au monde une ville comparable »
(voir H. Ferhat, « Fès », Grandes villes méditerranéennes du monde musulman médiéval,
J.C. Garcin, dir., Rome, École française de Rome, 2000, p. 215, p. 231).
5
Qirṭās, p. 45 ; la traduction d’A. Beaumier (p. 39) a été corrigée.
28 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
« Ô mon Dieu, fais que cette ville soit une demeure de savoir (‘ilm) et de
science ( fiqh), que l’on y récite Ton livre et respecte Tes commandements.
Fais que ses habitants s’attachent au Livre saint et à la Sunna tant que la
ville perdurera 6. »
De plus, la fondation de Fès par Idrīs II, ancêtre de la plupart des
shurafā’ maghrébins, est représentée comme un acte providentiel.
D’après un hadith rapporté par Darrās Ibn Ismā‘īl (m. 357/968), pionier
du malékisme au Maghreb, le Prophète aurait prédit l’existence et le rôle
eschatologique de la ville :
« Il y aura une ville du nom de Fès (Fās). Ses habitants sont ceux qui,
dans le Maghreb, ont l’orientation [du temple de La Mecque] (al-qibla)
la plus droite et qui font le plus de prières. Ils sont réunis autour de la
Sunna, du consensus de la communauté (jamā‘a) et de la voie de la vérité
à laquelle ils ne cessent de se rattacher. Ne leur font aucun tort ceux qui
s’opposent à eux : Dieu éloignera d’eux ce qu’ils n’aiment pas jusqu’au
Jour de la Résurrection 7 ! »
Bien que l’importance de Fès pour l’histoire de la sainteté et de la
spiritualité ne soit plus à démontrer, les études académiques consacrées
à la ville sont d’un nombre relativement modeste 8. En passant en revue
la documentation et les études sur Fès, l’historienne marocaine Halima
Ferhat 9 constate que « si les sources sont abondantes, les études sont
rares et les possibilités de recherche sont énormes ». Abdelahad Sebti 10
déplore pour sa part que « les chercheurs marocains dans les domaines des
sciences humaines [n’aient] pas accordé suffisamment d’attention à la ville
de Fès ». La bibliographie que ce dernier a établie récemment est assez
révélatrice à cet égard : en tenant compte de l’importance que la sainteté
revêt par rapport à l’identité et à la fonction historique de la ville, la liste
6
Salwa, vol. I, p. 75.
7
Qirṭās, p. 45. La traduction d’A. Beaumier (p. 40) est manifestement incorrecte ; nous
avons préféré celle de F. Skali (Topologie spirituelle et sociale de la ville de Fès, thèse de
doctorat, Université de Paris VII, 1990, vol. I, p. 68).
8
Nous disons bien « études académiques », car il existe un certain nombre d’ouvrages qui
présentent la ville d’une manière globale sans s’inscrire dans une perspective de recherche
universitaire. Parmi ces ouvrages, ceux qui concernent notre sujet sont celui de Titus
Burckhardt (Fès, ville de l’islam, Milan, Arché, 2007) et, dans une certaine mesure, celui
de Henry Gaillard (Fès, une ville de l’islam, Paris, J. André Éditeur, 1905).
9
« Fès », p. 216.
10
A. Sebti, Fès dans les écrits marocains et internationaux, Casablanca, Fondation du Roi
Abdul-Aziz, 2008, p. 17.
Introduction 29
11
Voir ibid. p. 43-45 pour la partie française et p. 48-52 pour la partie arabe.
12
Voir Ulémas, fondateurs, insurgés du Maghreb, Paris, Sindbad, 1982, p. 125-269.
13
Voir Ville et figures du charisme, Casablanca, Toubkal, 2003, p. 49-77, p. 80-91.
14
Voir al-Zāwiyya al-Fāsiyya : al-Taṭawwur wa al-adwār ḥattā nihāyat al-‘ahd al-‘alawī
al-awwal, Casablanca, Maṭba‘at al-Najāḥ al-Jadīda, 2001.
15
Topologie spirituelle… Un extrait a été publié récemment : Saints et sanctuaires de Fès,
Rabat, Éditions Marsam, 2007.
30 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
16
G.D. Bond, R. Kieckhefer, dir., Sainthood : Its Manifestations in World Religions,
Berkeley, Univ. of California Press, 1988.
Introduction 31
17
Comme l’a montré Talal Asad, le même problème se pose pour la notion de « religion »
(Genealogies of Religion : Discipline and Power in Christianity and Islam, Baltimore, John
Hopkins Univ. Press, 1993, p. 27-54).
32 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
18
Nous devons cette expression à Roger Bastide qui avait en vue le phénomène religieux
en général (voir « L’anthropologie religieuse », Encyclopaedia Universalis, vol. II, p. 554).
19
Voir H. Ferhat, dir., al-Tārīkh wa adab al-manāqib, Rabat, Publications de l’Association
marocaine pour la recherche historique, 1988, notamment la contribution d’A. Sebti
(« Akhbar al-manāqib wa manāqib al-akhbar », p. 93-113).
20
N. Amri, D. Gril, « Introduction », Saint et sainteté dans le christianisme et l’islam : le
regard des sciences de l’homme, idem dir., Paris, Maisonneuve et Larose, MMSH, 2007, p. 10.
21
Évidemment, l’enjeu de cette recherche est aussi contemporain. Celle-ci tient compte du
débat national concernant la place de la religion dans la société marocaine d’aujourd’hui ou
plus précisément de la « vie religieuse » (al-ḥayāt al-dīniyya). Le soufisme et son patrimoine
littéraire ont également suscité l’intérêt des autorités politiques comme moyen de réaffirmer
une tradition de l’islam marocain qui neutralise l’extrémisme religieux et qui se présente
comme tolérante et culturellement riche. Ainsi, le ministère des Affaires religieuses s’est
engagé dans la publication des éditions critiques de nombreux ouvrages hagiographiques.
Introduction 33
22
É. Geoffroy, « Hagiographie et typologie spirituelle à l’époque mamelouke », Saints
orientaux, D. Aigle, dir., Paris, De Boccard, 1995, p. 83, coll. Hagiographies médiévales
comparées 1.
23
Ceci dit, même dans les milieux soufis, les hagiographes ne font pas l’unanimité ; un
‘Abd al-‘Azīz al-Dabbāgh (m. 1141/1720) dénonce l’image déformée qu’ils donnent du saint
en évoquant seulement ses états exceptionnels, induisant ainsi le lecteur en erreur quant
à une certaine « normalité » ou « humanité » (bashariyya) de sa vie quotidienne (voir Ibn
al-Mubārak al-Lamṭī, Aḥmad, Kitāb al-ibrīz min kalām sayyidī ‘Abd al-‘Azīz, Beyrouth,
Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 1998, p. 322 ; pour la traduction française, voir Zouanat, Zakia,
Shaykh al-Dabbāgh - Paroles d’or, Paris, les Éditions du Relié, 2001, p. 280).
24
« Hagiographies et typologie spirituelle à l’époque mamelouk », op. cit., p. 98.
34 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
25
« Hagiographie », Encyclopedia Universalis, vol. XI, p. 161.
26
Dans ce contexte, il est sans doute intéressant d’évoquer la conclusion de Clifford Geertz
selon laquelle l’histoire de l’islam est celle de l’effort d’adaptation et de préservation de
la religion universaliste du Prophète dans les divers contextes culturels (voir Observer
l’islam, Paris, la Découverte, 1992). Cela nous semble particulièrement vrai pour ce qui
concerne l’histoire de la sainteté.
27
Du sacré : croisades et pèlerinages, images et langages, Paris, Gallimard, 1987, p. 221.
Introduction 35
28
Paris, PUF, 1975, p. 6.
29
Voir ibid, p. 6-9. Voir à ce propos N. Amri, D. Gril, op. cit.
36 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
30
Voir supra.
31
« Fès, une ville humaine », Études traditionnelles : hommage à Titus Burckhardt, Paris,
Chacornac, 1984, n° 484, p. 128.
32
Effectivement, l’anthropologue Abderrahmane Moussaoui (Espace et sacré au Sahara :
ksour et oasis du Sud-ouest algérien), Paris, CNRS éd., 2002, p. 52) rappelle que « l’histoire
de la communauté » se trouve parfois « cristallisée dans l’histoire de son saint ».
33
A quelques exceptions près, nous n’avons pas inclus dans notre étude les fahāris des
savants. Si ces sources représentent un certain intérêt en raison des chaînes de transmission
qu’elles contiennent, les fahāris ne concernent toutefois qu’indirectement une tradition de
sainteté et nécessitent une recherche à part. A ce propros, voir ‘A.M. al-Tughrī, Fahāris
‘ulamā’ al-Maghrib mundhu al-nash’at ilā nihāyat al-qarn al-thānī ‘ashar li-l-hijra,
Tétouan, Manshūrāt Kulliyyat al-Ādāb wa al-‘Ulūm al-Insāniyya, 1999. La littérature
juridique des nawāzil, intéressante par rapport à pratiques sociales liées à l’espace et au
temps, a été négligée pour la même raison. A ce propos, voir D.S. Powers, Law, Society
and Culture in the Maghrib, 1300-1500, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2002.
34
Pour la compléter, une liste chronologique des ouvrages hagiographiques traitant des
saints de Fès est ajoutée dans la bibliographie.
Introduction 37
35
Voir notamment l’article de Henry Terrasse (« Fez », Historic cities of the islamic world,
C.E. Bosworth, dir., Leyde, Brill, 2007, p. 137-154) ou l’ouvrage de Roger Le Tourneau
(Fès avant le Protectorat, étude économique et sociale d’une ville de l’Occident musulman,
t. XLV, Casablanca, Publications de l’Institut des Hautes-Études Marocaines, 1949).
38 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
36
Voir la préface du Président de la Commission nationale marocaine de l’Unesco, Mohamed
El Fassi, dans A. Gaudio, Fès, joyau de la civilisation islamique, Paris, Nouvelles Éditions
Latines, 1982, p. 9.
37
Il s’agit d’Abū al-‘Abbās al-Mursī (m. 686/1287), successeur du fondateur de la
Shādhiliyya (voir É. Geoffroy, Ibn ‘Atâ’Allâh : la sagesse des maîtres soufis – Latâ-if al-
minan fî manâqib al-shaykh Abîl-‘Abbâs al-Mursî wa shaykhi-hi al-Shâdhilî Abî l-Hasan,
Paris, Grasset, 1998, p. 147).
Première partie
La tradition hagiographique de Fès :
présentation des sources
Les ouvrages contenant des biographies des saints de Fès sont
remarquablement abondants. En raison de son importance historique et
symbolique, la ville d’Idrīs II, considérée comme germe du premier État
islamique orthodoxe du Maghreb occidental, forme le sujet privilégié des
lettrés marocains. La littérature biographique de la sainteté comporte à
Fès divers genres qui s’entrecroisent. Si on peut noter la constitution d’une
tradition d’hagiographie purement soufie, l’historiographie, les dictionnaires
biographiques et la généalogie se servent du récit hagiographique pour
rendre hommage à la ville, à des hommes du pouvoir, à des savants et aux
clans chérifiens en les associant d’une manière ou d’une autre à la sainteté
et à ses représentants. Enfin, les saints, ce sont aussi des citoyens de Fès,
occupant tantôt des fonctions officielles et appartenant tantôt à une branche
de shurafā’, cette catégorie socioreligieuse regroupant les descendants du
Prophète. Le métissage des genres reflète donc effectivement une réalité,
celle de la tradition spirituelle de Fès, telle qu’elle est ancrée dans sa vie
culturelle et sociale.
Pourtant, cette situation complexe possède son histoire propre,
intrinsèquement liée à celle de Fès et, évidemment, à celle du soufisme.
Les premiers ouvrages hagiographiques marocains s’inspirent des recueils
biographiques du soufisme oriental. Ils apparaissent lorsque la ville
d’Idrīs II assume, grâce à l’importance que prend la Qarawiyyīn à l’époque
almoravide et almohade, le rôle d’un centre intellectuel. A cette époque, la
vie spirituelle parvient, suite à Abū Madyan, à une certaine homogénéité.
Pendant le règne mérinide, lorsqu’une politique favorable au chérifisme est
mise en œuvre, l’historiographie rend hommage au fondateur de la ville,
à ses institutions, à ses savants et à ses saints. Elle associe ainsi le mérite
de Fès à la sainteté. La tradition savante de la ville, institutionnalisée avec
l’introduction des médersas, glorifie son authenticité et sa continuité par
les recueils biographiques, qui s’ornent avec le souvenir des grands saints
44 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
38
Pour une vue d’ensemble, voir J. Renard, Friends of God : Islamic images of piety,
commitment and servanthood, Berkeley & Los Angeles, Univ. of California Press, 2008 ;
Ch. Pellat, « Manāḳib », EI 2, vol. VI, p. 333-341. Pour la naissance de l’hagiographie soufie,
voir J. A. Mojaddedi, The Biographical Tradition in Sufism : The ṭabaqāt genre from al-Sulamī
to Jāmī, Richmond, Curzon Press, 2001. On trouve des articles concernant divers aspects de
l’hagiographie soufie dans J. Renard, dir., Tales of God’s Friends, Berkeley, Univ. of California
Press, 2009. Pour une analyse de l’hagiographie soufie comme source pour l’étude de la sainteté,
voir É. Geoffroy, « Hagiographie et typologie spirituelle à l’époque mamelouke », op. cit.,
p. 83-98, et l’introduction de D. Gril, La Risāla de Safī al-Dīn Ibn Abī l-Mansūr : biographies
des maîtres spirituels connus par un cheikh égyptien du VIIe/XIIIe siècle, le Caire, IFAO, 1986.
39
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens des chorfa, Paris, Larose éd., 2001, p. 45.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 45
40
Voir Pellat, Charles, loc. cit.
41
C’est pour cela que la vertu centrale de ces ouvrages est le scrupule (al-wara‘), c’est-à-
dire la qualité par excellence du juriste.
46 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1. Hagiographie et Révélation
Dans le Coran, le thème de l’élection divine et donc d’une forme
de sainteté est assez explicite, vu la place que revêtent les histoires
prophétiques. Or, ces récits sont en premier lieu adressés au Prophète.
Ils visent à « conforter » son « cœur » 45 face à l’hostilité de son peuple.
Les expériences de ses prédécesseurs, évoquées dans le texte coranique
de façon souvent anecdotique ou allusive 46, montrent au Prophète que les
42
Voir J.A. Mojaddedi, The Biographical Tradition… ; J.J. Thibon, l’œuvre d’Abū ‘Abd
al-Raḥmān al-Sulamī (325/937-412/1021) et la formation du soufisme, Damas, IFPO, 2009.
43
C’est une des spécificités de l’hagiographie islamique par rapport à la tradition chrétienne
où elle est liée à une utilisation liturgique : « Dans l’islam, il [le genre hagiographique] est
né de l’expansion du soufisme et d’une autre originalité de la civilisation musulmane : la
tradition de compiler des dictionnaires biographiques » (D. Aigle, « Sainteté et miracles
en Islam médiéval : l’exemple de deux saints fondateurs iraniens », Miracles, prodiges et
merveilles au Moyen Âge, Actes du XXVe congrès de la Société des historiens médiévistes
de l’enseignement supérieur public, Orléans, 1994, p. 52).
44
Pour une typologie des ouvrages hagiographiques, voir J. Renard, Friends of God…,
p. 240-246.
45
Coran, XI : 120.
46
Le style des narrations prophétiques du Coran montre que ce qui est envisagé, ce n’est pas
de raconter l’histoire d’un prophète de manière linéaire et « historique », comme c’est le cas
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 47
dans la Bible, par exemple. Il s’agit plutôt de relater les éléments des histoires prophétiques qui
concernent directement la mission de Muḥammad et qui représentent une valeur symbolique.
47
Pour une analyse sémantique de ce terme, voir T. Izutsu, Ethico-religious concepts in the
Qur’ān, 2e éd., Montreal-Kingston, McGill Univ. Press, 2002, p. 204-207.
48
Voir à ce propos D. Gril, « La walāya dans le Coran et dans la Sunna », conférence
inédite ; P. Nwyia, Exégèse coranique et langage mystique, 2e éd., Beyrouth, Dar al-Machreq,
1991, p. 113-115.
49
P. Nwyia, Exégèse coranique et langage mystique…, p. 178.
48 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
50
Voir D. Aigle, « Le statut du miracle dans l’islam », Annuaire EPHE, Section des sciences
religieuses, 1996-1997, n° 105, p. 286-287.
51
Voir M. Chodkiewicz, le Sceau des saints : prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn
Arabī, Paris, Gallimard, 1986. Les modalités selon lesquelles les saints reçoivent cet
héritage sont évidemment assez variées. Dans les premiers siècles de l’islam, c’est avant
tout l’imitatio (al-iqtidā’), alors que plus tard des formes plus intériorisées, s’appuyant sur
la présence spirituelle du Prophète (rūḥaniyya), apparaissent.
52
M. Ibn al-‘Arabī, Fuṣūṣ al-ḥikam, le Caire, Dār Iḥyā’ al-Kutub al-‘Arabiyya, 1946 (trad.
partielle par T. Burckhardt : La Sagesse des prophètes, Paris, Michel, 1974).
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 49
53
Pour un aperçu de ces thèmes, voir J. Renard, Friends of God…, ch. I.
54
Coran, XXXIII : 21.
55
Voir M. Chodkiewicz, « Le modèle prophétique de la sainteté en Islam », Al-Masāq :
Islam and the Medieval Mediterranean, 1994, vol. 7, n° 1, p. 201-226 ; A. Schimmel, Und
Muhammed ist sein Prophet, Munich, Diederichs, 1981.
56
Pour un exemple où cet aspect de l’hagiographie est explicitement mis en avant, voir
B.B. Mack, « Imitating the Life of the Prophet », Tales of God’s Friends…, p. 179-196.
57
On trouve ce hadith dans les recueils les plus connus comme celui Abū Zakariyyā Muḥy
al-Dīn al-Nawawī (voir Riyāḍ al-ṣāliḥīn min kalām sayyid al-mursalīn, n° 12).
50 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
58
Ibn al-Zayyāt al-Tādilī (m. 617/1220), l’un des premiers hagiographes marocains,
remarque à propos de l’origine du terme ṣūfī qu’il s’agit de ceux qui, après la génération
des tābi‘īn al-tābi‘īn, « se distinguent comme l’élite des gens de la Sunna, ceux qui gardent
leurs âmes avec Dieu et qui écartent leurs cœurs des voies de la distraction » (Tashawwuf,
p. 35). Al-Sulamī précise dans son introduction que son Ṭabaqāt al-ṣūfiyya est la suite de
son Kitāb al-zuhd où il traite des saints personnages des premières générations musulmanes
(voir J.A. Mojaddedi, The Biographical Tradition…, p. 11-12).
59
‘A. al-Sulamī, al-Ṭabaqāt al-ṣūfiyya, 2e éd., le Caire, Kitāb al-Sha‘b, 1998, p. 9.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 51
60
V. Cornell (Realm of the Saint : Power and authority in Moroccan Sufism, p. 98) note
que selon T. Heffernan (Sacred Biography…, p. 123-184) l’hagiographie occidentale du
Moyen Âge suit un motif analogue en se référant à la communauté des saints comme les
habitants de la « cité de Dieu » évoquée par St Augustin.
61
Voir J.A. Brown, Hadith : Muhammad’s Legacy in the Medieval and Modern World,
Oxford, Oneworld, 2009. Pour une conception spirituelle des isnād des hadiths, voir D. Gril,
« Le hadith dans l’œuvre d’Ibn ‘Arabī ou la chaîne interrompue de la prophétie », Das
Prophetenḥadiṯ, Dimensionen einer islamischen Literaturgattung, T. Nagel, C. Gilliot, dir.,
Göttingen, Nachrichten der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen, 2005, n° 1, p. 123-
144. Pour la signification que peut prendre la science des asānīd à Fès, voir M. al-Fāsī al-
Ṣaghīr, al-Minaḥ al-bādiyya fī al-asānīd al-‘āliyya, Rabat, Wazārat al-Awqāf wa al-Shu’ūn
al-Islāmiyya, 2005, 2 vol.
52 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
62
Dans son étude de la Risāla d’Ibn al-Manẓūr, D. Gril (La Risāla de Safi al-Dīn Ibn
Abī l-Mansūr : biographies des maîtres spirituels connus par un cheikh égyptien du VII e/
XIIIe siècle, le Caire, IFAO, 1986, p. 14) a remarqué que le ra’aytu minhum relève de la
convenance spirituelle (adab), car il serait prétentieux d’affirmer avoir « connu » le saint,
puisque c’est Dieu seul qui le « connaît » véritablement. L’expression fait également
référence à la définition des ṣaḥāba, les compagnons du Prophète, qui sont tels grâce au
fait de l’avoir vu.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 53
la majorité des oulémas, alors qu’à la fin du Moyen Âge, on peut observer
une adhésion au soufisme à une plus grande échelle.
D’autre part, certains ouvrages sont explicitement destinés aux
disciples d’un saint ou aux membres d’une confrérie particulière. Avec
le temps, les récits deviennent plus longs et plus détaillés. Désormais,
les saints sont considérés dans le cadre d’une continuité historique par
la filiation spirituelle. Recueillir des informations sur un saint revient à
reconstituer l’histoire sacrée d’une confrérie, d’une dynastie soufie, d’une
période historique ou d’une ville. Au lieu de présenter les saints comme
des personnages isolés qui transmettent chacun, tels les transmetteurs de
hadith, la connaissance initiatique d’un maître, les saints représentent les
protagonistes d’une histoire spirituelle.
Le principe de l’isnād, établi pour démontrer la continuité d’une
transmission, cède à une forme presque narrative s’appuyant sur des
références à des ouvrages antérieurs et des remarques personnelles de
l’auteur. Introduction, biographie plus ou moins chronologique et plus
ou moins détaillée ainsi qu’une conclusion sont souvent reconnaissables.
S’il n’est peut-être pas possible d’affirmer l’uniformité de l’hagiographie
post-moyenâgeuse, il est pourtant vrai que le discours hagiographique,
dans toute sa diversité, acquiert une certaine indépendance vis-à-vis de
la littérature de hadith ou d’autres sciences islamiques : c’est comme
si sa forme et sa structure finissaient par tenir compte de la nature
exceptionnelle de son objet, c’est-à-dire de la sainteté. En effet, l’évolution
de la tradition hagiographique et de ses modalités est inséparable de
l’histoire de la sainteté.
63
C’est notamment la vocation des écrivains comme les Qādirī, voir infra.
64
Voir par exemple l’hagiographe d’Idrīs II, al-Ḥalabī (al-Durr al-nafīs, p. 12), et al-Kattānī
(Salwa, vol. I, p. 4).
65
« Écriture hagiographique et modèles de sainteté dans l’Ifriqiya ḥafṣide (VIII e-IXe/XIVe-
XVe siècle) d’après trois recueils de manāqib », Les Cahiers de Tunisie, Tunis, faculté des
Sciences humaines et sociales, n° 173, 1996, 2e sem., p. 14.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 55
66
M. Cherif, éd., Tétouan, publications de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines
de Tétouan, 2002, 2 vol.
67
Nous abordons la biographie de cet auteur dans la deuxième partie (voir chap. IV, 2).
68
C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête du soufre rouge, Paris, Gallimard, 1987, p. 165-166.
69
V. Cornell, op. cit., p. 68-69, p. 99-100.
70
K. Honerkamp, « Tamīmī’s Eyewitness Account of Abū Ya‘zā Yallanūr », Tales of God’s
Friends, J. Renard, dir., Berkeley, Univ. of California Press, 2009, p. 30-46.
71
M. Cherif, al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād…, vol. I, p. 170.
72
É. Geoffroy, « Hagiographie et typologie spirituelle à l’époque mamelouke », op. cit.,
p. 90-92.
56 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
73
M. Cherif, Al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād…, vol. I, p. 180-192.
74
Ibid., p. 194-200.
75
Voir Uns al-Faqīr, p. 58.
76
Realm of the Saint…, p. 3-12.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 57
sentences des maîtres orientaux ainsi que des manuels comme la Ri‘āya
li-ḥuqūq Allāh d’al-Muḥāsibī, la Risāla d’al-Qushayrī, le Qūt al-Qulūb
d’Abū Ṭālib al-Makkī et surtout l’Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn d’al-Ghazālī 77. Quant
à la pratique, elle n’est pas encore organisée et codifiée. Pour al-Tamīmī
les soufis ou le qawm (« la tribu ») ce sont simplement ceux qui ont
approfondi et pleinement réalisé l’islam. C’est pour cela qu’on ne trouve
aucune allusion explicite à la doctrine initiatique. Ce qui transparaît, ce
sont plutôt la pratique et les qualités personnelles. Il s’agit donc d’un
soufisme de tendance akhlāqī (« fondé sur les vertus spirituelles »), ce qui
n’est pas du tout inhabituel pour l’époque, surtout au Maghreb.
Quelques notions techniques apparaissent cependant parfois. Au
tout début du livre 78, on lit que ‘Alī b. Ismā‘īl Ibn Ḥirzihim suit la voie
de la malāmatiyya et qu’il est le premier à l’introduire au Maroc. Sans
donner d’explications supplémentaires, al-Tamīmī remarque que les gens
désapprouvent « certains de ses états », ce qui n’empêche pas que « les
cœurs s’inclinent vers lui avec affection 79 ». Un peu plus loin, al-Ḥājj Abū
‘Abdallāh al-Bannā’ est dit avoir pratiqué « une voie qui se caractérise
par la grandeur d’âme (al-futuwwa) et l’excellence du caractère (ḥusn al-
khuluq) 80 ». Or, malāmatiyya et futuwwa sont des notions de la tradition
spirituelle du Khorasan 81, mais aucun élément ne permet d’affirmer des
liens historiques précis entre les soufis de Fès et cette dernière. Il est vrai
que ces termes désignent en effet des attitudes et des méthodes initiatiques
qui, au moins depuis l’apparition des manuels du soufisme, ne sont pas
forcément liées à une région spécifique. Ainsi, sans vouloir exclure la
possibilité d’une filiation historique, il est également possible que ces
termes aient été appliqués, par al-Tamīmī lui-même ou par d’autres, à
certains saints maghrébins après la lecture des ouvrages orientaux.
77
Voir M. Cherif, Al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād…, vol. I, p. 204-206, où l’auteur réunit
les passages qui font allusion au taṣawwuf. Dans les mêmes pages, il remarque l’importance
de l’Iḥyā’ comme référence principale des soufis mentionnés dans al-Mustafād… Le projet
du magnum opus d’al-Ghazālī d’établir « la science de l’au-delà », c’est-à-dire le soufisme,
comme principe et finalité des sciences religieuses (voir K. Garden, al-Ghazzālī’s contested
Revival : Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn and its critics in Khorasan and the Maghrib, thèse de doctorat,
Univ. of Chicago, 2005) correspond en quelque sorte au motif plus ou moins implicite du
Mustafād de considérer les saints comme les véritables transmetteurs de l’héritage prophétique.
78
Al-Mustafād…, p. 15.
79
Ibid.
80
Ibid, p. 143.
81
Voir J.J. Thibon, l’œuvre d’Abū ‘Abd al-Raḥmān al-Sulamī (325/937-412/1021) et la
formation du soufisme, Damas, IFPO, 2009, p. 45 et suiv.
58 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
82
« Les traditionnels développements sur les faveurs surnaturelles que contiennent toutes
les monographies de saints répondent au dessein d’extérioriser de façon optimale la
sainteté » (É. Geoffroy, « Hagiographie et typologie spirituelle à l’époque mamelouke »,
op. cit., p. 86).
83
C’est donc la « fonction édifiante » du miracle (voir D. Aigle, « Le statut du miracle dans
l’islam », Annuaire EPHE, Section des sciences religieuses, 1996-1997, n° 105, p. 286-287)
qui est mise en avant.
84
Voir É. Geoffroy, « Attitudes contrastées des mystiques musulmans face aux miracles »,
Miracle et karāma, D. Aigle, dir., Turnhout, Brepols, 2000, p. 301-316 ; coll. Hagiographies
médiévales comparées 2 ; D. Gril, « Le miracle en islam, critère de la sainteté ? », Saints
orientaux, p. 69-81.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 59
85
Riyāḍ al-nufūs fī ṭabaqāt ‘ulamā’ al-Qayrawān wa al-Ifrīqiyya, Beyrouth, Dār al-Gharb
al-Islāmī, 1981, 2 vol. L’ouvrage a été partiellement traduit par Hady Roger Idris
(« Contribution à l’histoire de l’Ifriqiya d’après le Riyād an-nufūs d’Abū Bakr al Mālikī »,
Revue des études islamiques, n° XXXVII, 1969, p. 117-149). Selon M. Cherif (voir
al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād…, vol. I, p. 168), c’est cet ouvrage qui a le plus inspiré
l’auteur d’al-Mustafād… quant au style et à la terminologie. Ce dernier manque toutefois
l’orientation savante et juridique du Riyāḍ al-nufūs qui concerne avant tout les fuqahā’.
86
C’est une des hypothèses qu’avance V. Cornell pour expliquer la naissance de
l’hagiographie marocaine (voir op. cit., p. 1-5). Voir aussi à ce propos D. Gril, « Le saint
et le maître ou la sainteté comme science de l’homme, d’après le Rūh al-quds d’Ibn ‘Arabī »,
Saint et sainteté dans le christianisme et l’islam : le regard des sciences de l’homme, N.
Amri, D. Gril, dir., Paris, Maisonneuve et Larose-MMSH, 2007, p. 60.
87
Voir l’introduction de ce chapitre.
88
Al-Mustafād…, p. 76.
60 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
89
Dans les premiers ouvrages hagiographiques comme les Ṭabaqāt d’al-Sulamī et la Ḥilyat
al-awliyā’ d’al-Isfahānī, la transmission des hadiths apparaît comme une marque de la sainteté.
90
Al-Mustafād…, p. 159.
91
Des termes plus spécifiquement soufis qu’on trouve notamment dans la Risāla d’al-
Qushayrī comme sukr/ṣaḥw (« ivresse/sobriété »), qabḍ/basṭ (« contraction/dilatement »),
jam‘/farq (« union/séparation ») ou fanā’/baqā’(« extinction/subsistance ») ne sont pas
employés. La figure du Khiḍr apparaît dans quelques anecdotes, ce qui présuppose la
connaissance du rôle initiatique de ce personnage.
92
Ḥāqā’iq (« les vérités spirituelles ») est employé seulement une fois, ainsi que wujūd
(« être, existence »). Il n’est pas question du tawḥīd al-khāṣṣ (« la doctrine de l’unité de
l’élite »), comme on le rencontre chez un Junayd, par exemple, ni du tajallī (« théophanie »)
si important chez Ibn al-‘Arabī, bien que l’auteur connaisse sans doute l’enseignement de
ces deux personnages.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 61
93
Il est bien sûr sous-entendu que cette tradition spirituelle soit en effet encore assez
hétérogène, et peut-être est-il trop tôt pour parler d’une tradition qui soit propre à Fès, vu
l’influence andalouse et celle du soufisme rural. Néanmoins, il nous semble légitime de s’y
référer en raison de la centralité d’Abū Madyan qui intègre les plus importants parmi ces
courants, sans oublier les Ibn Ḥirzihim et le rôle de Fès comme centre d’étude de l’Iḥyā’.
94
Plus de la moitié des récits sont des témoignages directs d’al-Tamīmī lui-même, alors
qu’un tiers a été recueilli oralement par l’auteur. Seulement 5 % des anecdotes proviennent
des sources écrites (voir M. Cherif, al-Mustafād…, p. 146-152).
62 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
95
C’est naturellement une caractéristique de toute la littérature hagiographique musulmane,
voir É. Geoffroy, « Entre hagiographie et hagiologie : les Laṭā’if al-minan d’Ibn ‘Aṭā’
Allāh », ANISL, n° 32, le Caire, IFAO, 1998, p. 50.
96
Parmi huit ouvrages connus de ce genre, six sont perdus. Il s’agit entre d’autres du
Miqbās fī akhbār al-Maghrib wa al-Andalus wa Fās de ‘Abd al-Malik b. Mūsā al-Warrāq
(m. après 578/1182) et du Muqtabas fī akhbār al-Maghrib wa Fās wa al-Andalas d’Ibn
Ḥamādā al-Sibtī (un auteur dont les dates sont inconnues). Pour un aperçu général de
l’écriture historiographique à l’époque mérinide, voir H.L. Beck, l’Image d’Idris II, ses
descendants de Fās et la politique sharifienne des sultans marinides, Leyde, Brill, 1989,
p. 53-153 ; M. Mezzine, « La mémoire effritée », Fès médiévale, idem, dir., Paris, Éditions
Autrement, 1992, p. 38-58 ; M. Shatzmiller, L’historiographie mérinide, Ibn Khaldūn et
ses contemporains, Leyde, Brill, 1982. Voir aussi ‘A. Benḥadda, dir., Écriture de l’histoire
du Maghreb, Rabat, faculté des Lettres et des Sciences humaines, 2007.
97
Voir M. Kably, « tārīkh », EI 2, vol. X, p. 277-325.
98
Selon H.L. Beck (L’image d’Idris II…), la littérature historiographique de l’époque
mérinide vise à contrôler la renaissance du culte de Mawlāy Idrīs qui pourrait servir comme
un moyen d’exprimer des ressentiments anti-mérinides.
2 éd., Rabat, Imprimerie Royale, 1999. La traduction d’Auguste Beaumier, datant de
99 e
1860, a été rééditée (Rawd al-Ḳirtās : histoire des souverains du Maghreb et annales de
la ville de Fès, Rabat, Éditions La Porte, 1999.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 63
100
Vol. I, p. 3-4.
101
Pour M. Shatzmiller, « les détails qu’il fournit sont devenus une tradition sacrée »
(L’Historiographie mérinide…, p. 136).
102
M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Idrissisme et villes idrissides », SI, n° 82,
1995/2, p. 12.
103
« La mémoire effritée », op. cit., p. 47.
2 éd., Rabat, Imprimerie Royale, 1991.
104 e
105
Voir l’introduction de l’édition critique par ‘Abd al-Wahhāb Ibn al-Manṣūr (p. dāl).
106
Rabat, Dār al-Manṣūr, 1972.
64 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
107
L’ouvrage a été publié en 2007 par K. Ṣqali à Fès (sans éd.).
108
‘A. b. H. al-Kattānī, Zahra al-ās fī buyūtāt ahl Fās, Casablanca, Al-Mawsū‘a al-
Kattāniyya li-Tārīkh Fās, 2002, 2 vol. Voir F.R. Mediano, Familias de Fez (ss. XV-XVII),
Madrid, CSIC, 1995.
109
R. Le Tourneau, « al-Fāsiyyūn », EI2, vol. II, p. 854-855.
110
Un certain nombre des familles évoquées dans les ouvrages sur les Ahl Fās étaient dans
le service de Mawlāy Idrīs, et la plupart sont qualifiées comme « maison de science et de
sainteté (ṣalāḥ) ».
111
Voir à ce propos A. Sebti, « Akhbar al-manāqib wa manāqib al-akhbar », op. cit., p. 93-113.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 65
112
Voir le chapitre « Les Marocains et l’histoire » dans É. Lévi-Provençal, Les Historiens
des chorfa, p. 21-33, et aussi F. Rosenthal, A History of Muslim Historiography, 2e éd.,
Leyde, Brill, 1968. Pour un regard plus différencié sur ce sujet, voir A. Laroui, Islam et
histoire, Paris, Flammarion, 1999.
113
« Hagiographie et religion au Maroc médiéval », Hesperis-Tamuda, vol. XXIV, 1986, p. 17-51.
114
Les Historiens…, p. 218-240.
115
Ibn ‘Abbād de Ronda, un mystique prédicateur à la Qarawīyīn de Fès, Beyrouth, Institut
des lettres orientales de Beyrouth, 1956, p. 3-11.
116
La Vie intellectuelle marocaine..., p. 440-442.
117
Al-Khiṭāb al-Ṣūfī : muqāraba wa waẓīfa, Casablanca, Maktabat al-Rashād, 1997, p. 10-18.
118
Nous n’inclurons pas les hagiographies consacrées à des saints extérieurs de Fès, comme
la biographie d’al-Shādhilī rédigée par un des maîtres fāsis d’Ibn ‘Abbād al-Rundī, ‘Abd
al-Nūr al-‘Imrānī (voir K. Honerkamp, « A biography from Abû l-Hasan al-Shâdhilî dating
from the fourteens century », Une Voie soufie dans le monde : la Shādhiliyya, É. Geoffroy,
dir., Paris, Maisonneuve et Larose, 2005, p. 73-87).
119
Pour les ouvrages perdus, voir H. Ferhat, H. Triki, « Hagiographie et religion au Maroc
médiéval », op. cit., p. 21-23.
66 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
120
Y.Y., Ibn al-Zayyāt al-Tādilī, Al-Tashawwuf ilā rijāl al-taṣawwuf wa akhbār Abī
al-‘Abbās al-Sabtī, Rabat, 2 e éd., faculté des lettres et des sciences humaines, 1997.
L’ouvrage a très tôt attiré l’attention des chercheurs, notamment Adolphe Faure, auquel nous
devons la première édition critique, et L. Massignon, qui en a signalé l’importance (voir
Al-Khiṭāb al-Ṣūfī…, p. 11-12). L’édition critique du Tashawwuf par A. Tawfīq a été traduite
en français par Maurice de Fenoyl (Regard sur le temps des soufis, Rabat, Eddif-UNESCO,
1995). Voir aussi R. El Hour, « Quelques reflexions sur la trajectoire intellectuelle des saints
d’après al-Tachawwuf ilā rijāl al-taṣawwuf d’al-Tādilī », Mélanges Halima Ferhat, Rabat,
Association marocaine pour la recherche historique, 2005, p. 23-43 ; D. Ephrat, « In Quest
of an Ideal Type of Saint », SI, n° 94, 2002, p. 67-84.
121
Voir l’introduction d’A. Tawfīq, Al-Tashawwuf…, p. 19-24 (p. 11-23 dans la version
française).
122
Voir H. Ferhat, « Abu l-‘Abbas : contestation et sainteté », Al-Qantara, 1992, n° 13/1, p. 185.
123
Tashawwuf, p. 34.
124
Ibid., p. 31.
125
Ibid., p. 34.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 67
126
Voir M. Miftāḥ, al-Khiṭāb al-Ṣūfī…, p. 12.
127
Rabat, Maktabat Khidmat al-Kitāb, 1989. Voir M. Benchekroun, La Vie intellectuelle
marocaine…, p. 99-108 ; V. Cornell, op. cit., p. 67-79 ; H. Ferhat, H. Triki, « Hagiographie et
religion au Maroc médiéval », H.T., p. 29-30 ; M. Miftāḥ, Al-Khiṭāb al-Ṣūfī…, HT, p. 12-13.
68 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
128
H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas au Maghreb, Casablanca, Toubkal, 2003, p. 15.
129
Voir M. Benchekroun, La Vie intellectuelle marocaine…, p. 195-200.
130
Voir Coran, XV : 65. Voir L. Massignon, « Élie et son rôle transhistorique, Khadiriya, en
islam », Opera Minora, Paris, PUF, 1969, vol. I, p. 142-161. Pour une interprétation de la
signification de cette figure dans l’hagiographie, voir H. Elboudrari, « Entre le symbolique
et l’histoire : Khadir im-mémorial », Studia Islamica, n° 76, 1992, p. 25-39.
131
Da‘āmat, p. 69.
132
Voir Tashawwuf, p. 415-416.
133
H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas au Maghreb, p. 16.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 69
2 éd., Rabat, Imprimerie Royale, 1993. Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens des
134 e
140
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens des chorfa, p. 222.
141
Voir M. Raïs, Aspects de la mystique marocaine au VIIe-VIIIe/XIIIe-XIVe s. : al-Minhāj
al-wāḍiḥ fī taḥqīq karamāt Abū Muḥammad al-Ṣāliḥ, thèse de doctorat, Université de
Provence, 1996, 2 vol. Voir aussi M. Benchekroun, La Vie intellectuelle marocaine sous les
Mérinides et les Waṭṭasīdes, Rabat, 1974, p. 113-116 ; H. Ferhat, H. Triki, « Hagiographie et
religion au Maroc médiéval », op. cit., p. 32-34 ; M. Miftāḥ, Al-Khiṭāb al-Ṣūfī…, p. 13-14.
142
H. Ferhat, H. Triki, « Hagiographie et religion au Maroc médiéval », op. cit., p. 40.
143
Le Caire, Dār al-Muqṭam, 2002. Voir M. Benchekroun, La Vie intellectuelle marocaine…,
p. 358-363 ; M. Fatḥa, « Uns al-faqīr li-Ibn Qunfudh aw al-intiṣār li-zāwiyat Malāra »,
Des Repères dans l’histoire culturelle et religieuse du Maroc, M. Ayadi, dir., Casablanca,
faculté des Lettres et des Sciences humaines, Université Hassan II, p. 163-169 ; H. Ferhat,
H. Triki, « Hagiographie et religion au Maroc médiéval », op. cit., p. 38-40 ; M. Miftāḥ,
Al-Khiṭāb al-Ṣūfī…, p. 17-18 ; P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda…, p. 8-11.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 71
144
Voir A. Sebti, « Hagiographie du voyage au Maroc médiéval », Al-Qantara, n° 13/1,
1992, p. 167-179.
145
Voir Uns al-faqīr, p. 106-114.
146
Salé, al-Khazānat al-‘Ilmiyya al-Ṣabīḥīyya, 1988. Voir H. Ferhat, H. Triki, « Hagiographie
et religion au Maroc médiéval », op. cit., p. 40 ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 222-
223 ; M. Miftāḥ, Al-Khiṭāb al-Ṣūfī…, p. 17 ; P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda…, p. 3-8.
72 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
147
3e éd., Casablanca, Manshūrāt Markaz al-Turāth al-Thaqāfī al-Maghribī, 2003. Voir
É. Lévi-Provençal, Les Historiens..., 231-237 ; ‘U. al-Manṣūrī, « al-Intiṣār li-l-taṣawwuf wa
al-mutaṣawwifa al-shimāl min khilāl kitāb Dawḥat al-nāshir », Des Repères dans l’histoire
culturelle et religieuse du Maroc, p. 171-187.
148
É. Lévi-Provençal, Les Historiens..., p. 51.
149
Ibid., p. 231.
150
E. Doutté, « Notes sur l’Islam maghrébin : les marabouts », Revue de l’histoire des
religions, t. XLI, Paris, 1900, p. 12.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 73
151
Dawḥa, p. 11. On trouve effectivement d’autres versions de ce hadith (voir Kanz,
n° 35130) où il est question des Ahl al-Maghrib (« les gens du Maghreb »).
152
Voir Salwa, vol. II, p. 78. Selon al-Kattānī, ce saint est enterré à Chefchaouen.
153
Voir notre chapitre « Renouveau spirituel et l’émergence du chérifisme : al-Jazūlī et ses
adeptes (IXe-Xe/XVe-XVIe siècles) ».
154
Mort en 632/1235, il s’agit du fameux poète soufi égyptien, connu comme « sultan
des désireux » (al-‘āshiqīn). Notons qu’à l’époque d’Ibn ‘Askar, ce saint fait l’objet de
critiques virulentes de la part de certains oulémas (voir E. Homerlin, From Arab Poet to
Muslim Saint : Ibn Al-Farid, His Verse, and His Shrine, le Caire, The American Univ. in
Cairo Press, 2001).
155
Ce poème, aussi connu comme « le poème de la voie », a été souvent commenté,
notamment par les adeptes de la doctrine d’Ibn al-‘Arabī.
156
Nous n’avons pas pu trouver d’informations sur ce personnage.
157
Dawḥa, p. 16.
74 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
soufisme, et il m’a fait prendre le pacte (al-‘ahd), comme son maître Abū
Muḥammad al-Ghazwānī l’avait fait avec lui. [Il m’a donné la permission]
de rapporter la filiation des maîtres spirituels de la voie de son cheikh. Je
l’ai pris comme mon imām et moyen d’accès (wasīlatī) à mon Créateur
en raison de ce que j’ai vu en lui […] 158. »
L’hagiographie intègre, comme le montrent ces extraits, l’évolution
doctrinale du soufisme. Depuis le Mustafād, où le soufi est plutôt un
individu qui se retrouve dans des cercles restreints avec ses semblables,
ici le rôle du cheikh et les pratiques qui s’attachent à sa personne, tel le
pacte de l’initiation (al-‘ahd) et le compagnonnage (ṣuḥbat al-shaykh),
sont déjà plus ou moins codifiés. L’auteur ne ressent apparemment pas le
besoin de faire preuve de discrétion concernant certaines idées, comme
l’interprétation soufie de la notion coranique de wasīla, et affirme la
nécessité d’un intermédiaire entre Dieu et ses créatures. De nombreux
personnages cités par Ibn ‘Askar ne sont pas des savants, et la science n’est
plus présentée comme une marque d’élévation spirituelle. La distinction
entre science extérieure et science intérieure, c’est-à-dire entre les sciences
islamiques et le soufisme, apparaît sans aucune ambiguïté.
La majorité des saints évoqués par Ibn ‘Askar sont originaires de
la région du Djebel al-‘Alam, berceau des shurafā’ idrissides. A cette
époque le djebel représente semble-t-il une terre propice pour les saints
et la pratique du soufisme, alors que Fès apparaît plutôt comme le lieu où
la sainteté se confronte au milieu savant et à l’élite politique, ce qui va
changer avec la fondation de la zāwiya d’Abū al-Maḥāsin Yūsuf al-Fāsī.
158
Ibid., p. 21.
159
É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 241.
160
Pour une liste des trente-trois ouvrages consacrés à ce saint, voir l’introduction de Ḥamza
al-Kattānī au Mir’āt (p. 35-38).
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 75
161
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 243-244 ; Salwa, vol. II, p. 361.
162
Rabat, ms., BG n° 1234 d.
163
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 244-247 ; Salwa, vol. II, p. 352.
164
M. al-‘A. al-Fāsī al-Fihrī, Mir’āt al-Maḥāsin min akhbār al-shaykh Abī al-Maḥāsin,
Beyrouth, Dār Ibn Ḥazm, 2008. Pour un aperçu critique de cet ouvrage, voir A.L. de Prémare,
Sīdi ‘Abd-er-Rahmān el-Majdūb : mysticisme populaire, société et pouvoir au Maroc au
16e siècle, Paris, CNRS, 1985, p. 127-130. En effet, selon les recherches de Ḥ. al-Kattānī
(voir son introduction, p. 35-36), le Mir’āt ne vient qu’en treizième position dans la
chronologie des ouvrages consacrés à Abū al-Maḥāsin, bien qu’il en constitue sans doute
le plus célèbre.
165
Sur la notion du fondateur dans l’hagiographie, voir D. Aigle, « Sainteté et miracles en
Islam médiéval : l’exemple de deux saints fondateurs iraniens », op. cit.
166
Selon A.L. de Prémare (op. cit., p. 64-65), les hagiographes cherchent à minimiser le côté
insolite du maître d’Abū al-Maḥāsin afin de le rendre plus acceptable au milieu savant de Fès.
76 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
des notables, importe le secret spirituel du grand saint à Fès et, par la
fondation de la zāwiya, y établit le centre de la Shādhiliyya marocaine.
En plus de sa signification pour l’histoire du soufisme marocain, ce récit
comporte une visée sociale. Il s’agit de légitimer l’établissement d’une
nouvelle aristocratie citadine porteuse des valeurs du milieu savant, mais
aussi de celles du milieu soufi, à savoir la science et sainteté. Grâce à la
personnalité de ses maîtres, la Shādhiliyya-Fāsiyya gagne rapidement le
milieu savant et favorise, à partir de Fès, une renaissance spirituelle et
intellectuelle dont l’impact se fait sentir avec la zāwiya dilā’ite dans le
domaine politique. L’essor de l’activité hagiographique s’inscrit dans ce
contexte et contribue de manière décisive au succès de la confrérie dans
les cercles savants.
Mais le Mir’āt constitue également une référence doctrinale et pratique
pour les adeptes de la confrérie. Il consigne soigneusement les pratiques de
la zāwiya telles qu’elles ont été instituées par Abū al-Maḥāsin et reproduit
les litanies shādhilites avec des instructions relatives aux moments de leur
récitation. Comme dans les hagiographies antérieures, les paroles du maître
sont rapportées, ainsi que les anecdotes qui montrent comment il a éduqué
ses disciples. Pour décrire le compagnonnage entre le maître spirituel et
ses disciples, l’hagiographie s’inspire de la littérature de la sīra où l’on
trouve les détails de la relation entre le Prophète et ses compagnons 167.
Comme le saint revit, en mesure de son statut spirituel, les événements de
la vie du Prophète, les disciples revivent avec leur maître la relation entre
les compagnons et l’Envoyé de Dieu.
Les passages du Mir’āt montrent la profondeur de l’enseignement
d’Abū al-Maḥāsin ainsi que son penchant pour une vision de la sainteté
prophétique fondée sur l’équilibre, alors que certains de ses contemporains,
les majdhūb, pratiquent une forme plus extravagante.
« La prière sur le Prophète, que la bénédiction et le salut divins soient sur
lui, comporte la remémoration (dhikr) de Dieu, alors que l’inverse n’est pas
le cas. C’est pour cela que le débordement (al-inḥirāf) peut se produire lors
de la remémoration de Dieu et non pas pendant la prière sur le Prophète,
ce qui est étonnant. La prosternation des anges envers Adam est une
allusion spirituelle (al-ishāra) à cela : étant absorbés dans la glorification
et la sanctification [de Dieu], quand la lumière [d’Adam] éclata devant eux
167
Voir D. Gril, « Le modèle prophétique du maître spirituel en Islam », Maestro e
discepolo, G. Filoramo, dir., Piacenza, Centro di alti studi in science religiose di Piacenza,
2002, p. 345-360.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 77
et son secret leur apparut, ils se prosternèrent devant lui afin [de trouver]
l’équilibre (al-i‘tidāl) et cette station est plus parfaite 168. »
Les thèmes abordés dans les paroles d’Abū al-Maḥāsin concernent
des sujets assez subtils de l’enseignement soufi comme la nature de la
science inspirée et l’origine des litanies confrériques, la nécessité du maître
spirituel pour que le dhikr puisse porter ses fruits, les degrés du dhikr
jusqu’à l’extinction dans le Soi divin ou les trois niveaux de l’unification
(al-ittiḥād). Le statut de la visite des tombes des saints occupe un passage
relativement long 169. Les explications du maître se basent sur la réalité
spirituelle et primordiale du Prophète :
« Il n’y a pas de visiteur et de visité pour d’autre que lui et procédant
d’autre que lui [le Prophète], que la bénédiction et le salut divins soient
sur lui, car il est le premier être qui est sorti du néant et il est le lien
(rābiṭa) entre le contingent et l’éternel. […] Il est évident que la lumière
de l’existence, sa perfection, son bien et sa beauté, dans les extérieurs
et les intérieurs, proviennent de la lumière de son essence intérieure et
sont imprégnées par elle. L’ensemble des saints, que dis-je, l’ensemble
des prophètes sont rattachés à lui et tirent de lui leur influence spirituelle
(madad).
« En vérité, aucun miracle, signe divin ou fait extraordinaire ne se
produisent si ce n’est grâce à lui. Le soufi réalise cela en vertu de ce qui
lui est dévoilé du secret aḥmadien qui pourvoit la totalité des essences
parfaites, celles du passé et celles de l’avenir. Les paroles des saints et
des savants par Dieu sont unanimes sur le fait que la totalité du soutien
spirituel des sciences et des œuvres provient de lui […].
« En somme, il [le Prophète] est l’élixir du bonheur, et tout être heureux
dans l’univers l’est par l’intermédiaire de sa bénédiction […] 170. »
Ce court extrait montre la portée initiatique d’un ouvrage comme le
Mir’āt qui pourtant se présente en premier lieu comme un hommage à
l’ancêtre de la famille soufie al-Fāsī. A remarquer aussi l’influence de
la doctrine jazūlite qui, inspirée par les idées de ‘Abd al-Karīm al-Jīlī 171
(m. 832/1428), reconduit toute forme de sainteté au Prophète. Mais, à la
différence de certains de ses contemporains, Abū al-Maḥāsin sait intégrer
cet enseignement dans une spiritualité sobre, fondée sur l’équilibre entre
168
Mir’āt, p. 158.
169
Ibid., p. 163 et suiv.
170
Ibid., p. 239-261.
171
Voir C. Addas, « A la distance de deux arcs ou plus près : la figure du Prophète chez
‘Abd al-Karîm Jilî », sans éd., 2008.
78 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
172
Mir’āt, p. 184.
173
Voir à ce propos A. Sebti, Ville et figures du charisme, Casablanca, Toubkal, 2003, p.
49 et suiv.
174
Notamment les ribats du Sud où l’aspect familial du soufisme est très tôt beaucoup plus
prononcé que dans les milieux urbains (voir V. Cornell, op. cit., p. 32-63).
175
Voir l’introduction de Ḥamza al-Kattānī (op. cit., p. 9).
176
Mir’āt, p. 249.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 79
Le Mir’āt peut sans doute être considéré comme une forme représentative
de l’hagiographie confrérique de Fès. Les auteurs postérieurs se réfèrent
abondamment à ce qu’ils considèrent comme une référence majeure de
sa tradition spirituelle. A la suite du Mir’āt, il est possible de distinguer
plusieurs genres. On peut noter les monographies consacrées à un saint,
comme le Maqṣad al-aḥmad fī ta‘rīf bi-sayydinā Ibn ‘Abdallāh Aḥmad 177
et le Mu‘tamad al-rāwī fī manāqib sayydī Aḥmad al-Shāwī 178 de ‘Abd
al-Salām b. al-Ṭayyib al-Qādirī (m. 1110/1698), le Ta‘rīf bi-l-shaykh Abī
al-‘Abbās Aḥmad al-Yamanī 179 d’al-Masnāwī (m. 1136/1724) et le fameux
Jawāhīr al-ma‘ānī wa bulūgh al-awānī fī fayḍ al-shaykh Abī al-‘Abbās
Aḥmad al-Tijānī 180 de ‘Alī al-Ḥarāzim Barrādah, le disciple majeur du
fondateur de la Tijāniyya. On trouve également à plusieurs reprises des
ouvrages qui concernent un saint et son principal disciple comme le Ibtihāj
al-qulūb bi-khabar al-shaykh Abī al-Maḥāsin wa shaykhihi al-Majdhūb 181
de ‘Abd al-Raḥmān b. ‘Abd al-Qādir al-Fāsī (m. 1096/1685) et le Nūr al-
qawī fī dhikr shaykhinā mawlānā ‘Abd al-Wāḥid al-Dabbāgh wa shaykhihi
mawlānā al-‘Arabī al-Darqāwī 182 de Muḥammad al-Mahdī Ibn al-Qāḍī
(m. 1271/1855). Dans ces cas, il s’agit d’affirmer la continuité d’une filiation
initiatique. Puis il y a les hagiographies qui traitent d’une famille soufie
comme le Tuḥfat al-ikhwān bi-ba‘ḍ manāqib shurafā’ al-Wazzān 183 d’Aḥmad
Ḥamdūn al-Ṭāhirī al-Jūṭī (m. 1777/1191), quoiqu’à Fès la majorité de ce genre
traite des Fāsī. Il faut compter aussi les monographies qui portent sur une
confrérie, notamment le Mumti‘ al-asmā‘ fī dhikr al-Jazūlī wa al-Tabbā‘ wa
man lahumā min al-atbā‘ 184 de Muḥammad al-Mahdī b. Aḥmad al-Fāsī (m.
1109/1698) et le Kanz al-asrār fī manāqib mawlānā al-‘Arabī al-Darqāwī
wa aṣḥābihi al-akhyār 185 d’Abū Zayyān al-M‘askarī al-Ighrīsī 186.
On voit que dans ce genre d’ouvrage généralement il n’est pas question
d’une confrérie, mais du fondateur et de ses disciples. Ainsi on ne trouve
177
Fès, litho., 1351 hég. (1932).
178
Rabat, Dār al-Amān, 2009.
179
Ms., BG, n° 407.
180
Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 1997, 2 vol.
181
Ms., n° 327 k.
182
Ms., BG, n° 2301 k.
183
Fès, litho., 1324 hég. (1905).
184
Sans éd., s.l., 1994.
185
Ms., BG, n ° 2339 d, 2514 k.
186
Voir J.L. Michon, « Un témoignage contemporain sur le Šayḫ Darqāwī », ARA, vol. 39,
n° 3, 1992, p. 385-392.
80 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
qu’assez rarement des ouvrages portant dans leur titre le nom d’une
confrérie comme la Shādhiliyya, la Nāṣiriyya, la Ṣaqalliyya, etc. 187. Cela
montre comment les divers genres s’entrecroisent, car dans la monographie
du saint on évoque aussi ses disciples, et, dans l’hagiographie d’une
confrérie, le protagoniste est nécessairement son fondateur, et ce dernier
a aussi des descendants. Pour résumer, il apparaît que l’hagiographie
confrérique et soufie tourne autour de ces trois axes, à savoir le saint, la
famille et la confrérie. Comme on le verra plus loin, apparaît parallèlement
l’anthologie soufie qui inclut l’ensemble des saints de la ville comme le
Rawḍ al-‘aṭir al-anfās d’Ibn ‘Ayshūn.
L’activité littéraire des Fāsī reste aussi abondante dans les générations
suivantes. Abū Zayd ‘Abd al-Raḥmān al-Fāsī 188 (m. 1096/1685), fils du
grand ‘Abd al-Qādir al-Fāsi (1091/1680) est l’auteur de plus de cent
soixante-dix ouvrages. Connu comme « le Suyūṭī de son époque », nous lui
devons plusieurs hagiographies, dont une est dédiée à Abū al-Maḥāsin et son
maître 189, une autre aux enfants et aux parents de celui-ci 190 et deux 191 sont
consacrées à ‘Abd al-Qādir. Un ouvrage 192 traite des disciples de ce dernier,
un autre 193 encore de ‘Abd al-Raḥmān al-‘Ārif al-Fāsī, et puis un autre 194
porte sur Maḥammad b. ‘Abdallāh b. Ma‘an al-Andalūsī (m. 1062/1652).
Cette activité hagiographique intense va de pair avec l’accroissement de
l’influence que prend la zāwiya al-Fāsiyya à partir des années trente du
XVIIe siècle comme centre du savoir islamique 195. Lieu de rencontre entre
le soufisme et la tradition savante, elle joue un rôle de premier plan dans la
revivification des sciences islamiques au Maroc, et le père d’Abū Zayd ‘Abd
al-Raḥmān, ‘Abd al-Qādir, en est un des protagonistes. Dans ce contexte,
187
Une exception semble être les deux filiations shādhilites qui convergent dans le maître
d’Abū al-Maḥāsin, à savoir la Jazūliyya et la Zarrūqiyya (voir annexes). Dans ce cas, il
s’agit probablement de montrer la continuité entre la Fāsiyya-Shādhiliyya de Fès et ces
deux filiations, qui constituent les filiations majeures de la Shādhiliyya maghrébine.
188
Salwa, vol. I, p. 357.
189
Ibtihāj al-qulūb bi-khabar al-shaykh Abī al-Maḥāsin wa shaykhihi al-Majdhūb, ms.,
BG, n° 327 k.
190
Anīsat al-masākin fī abnā’ Abī al-Maḥāsin, perdu.
191
Tuḥfa al-akābir fī manāqib al-shaykh ‘Abd al-Qādir, ms., BG, n° 2074 d ; Bustān
al-aẓāhir fī akhbār al-shaykh Abī Muḥammad b. ‘Abd al-Raḥmān, perdu.
192
Ibtihāj al-baṣa’ir fī man qara’a ‘alā al-shaykh ‘Abd al-Qādir, ms., BG, n° 2074.
193
Azhār al-bustān bi-tarjamat al-shaykh ‘Abd al-Raḥmān, ms., BR, n° 583 ; BG, n° 2074 d.
194
Le titre de cet ouvrage est inconnu.
195
Voir N. al-Dhahabī, Al-Zāwiyat al-Fāsiyya : al-Taṭawwur wa al-adwār ḥattā nihāyat
al-‘ahd al-‘alawī al-awwal, Casablanca, Maṭba‘at al-Najāḥ al-Jadīda, 2001, p. 307-311.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 81
196
Voir M. Lakhdar, La Vie littéraire au Maroc sous la dynastie ‘alawite, Rabat, Éditions
techniques nord-africaines, 1971, p. 109-112 ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens..., p. 273-275.
197
Ses œuvres incluent également deux opuscules sur Abū al-Maḥāsin (Al-Jawāhir al-ṣāfiyya
min al-maḥāsin al-yūsufiyya, ms., BG, n° 1234 d) et un autre sur son maître Maḥammad
b. ‘Abdallāh Ma‘an qui est perdu (‘Awārif al-minnat fī manāqib sayyidī Maḥammad
b. ‘Abdallāh Muḥyī al-Sunna).
198
Voir supra.
199
Ms., BG, n° 2990 k.
200
A ce propos, voir V. Cornell, op. cit., p. 155-160.
201
Salwa, vol. III, p. 163-166.
202
« Ibn al-Ḳāḍī », EI2, vol. III, p. 837.
82 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
sur les personnalités notoires de Fès parmi lesquelles se trouvent aussi des
saints. Le Jadhwat al-iqtibās fī dhikr man ḥalla min al-a‘lām madīnat
Fās 203, « premier tableau d’ensemble du mouvement littéraire au Maroc
sous la dynastie marīnide et sa‘dide 204 », présente dans l’ordre alphabétique
646 personnages du IVe/Xe jusqu’au XIe/XVIIe siècle et aborde l’histoire
topographique de Fès. Les rois, les savants et leurs œuvres, les maîtres
et leurs étudiants trouvent leur place à côté des saints dans cet ouvrage
polyvalent qui montre bien comment à Fès la politique, la science et la
sainteté s’imprègnent mutuellement.
Curieusement, Ibn al-Qāḍī apparaît dans les sources comme un
descendant de Mūsā b. Abī al-‘Āfiya al-Zannātī (m. 328/940), le persécuteur
des Idrissides. Le fait qu’il prenne ses distances à l’égard de son ancêtre
prêtant serment par Dieu qu’il est un « serviteur des gens de la maison
prophétique 205 » montre bien la valeur sacrée attribuée aux descendants
d’Idrīs II. Ibn al-Qāḍī étudie auprès d’Abū al-Maḥāsin al-Fāsī et visite la
zāwiya dilā’ite où il est reçu avec tous les honneurs. Il représente sans
doute la figure typique du lettré (adīb) et savant qui, sans être un adepte
engagé du soufisme, côtoie néanmoins ses représentants et contribue à la
perpétuation de leur souvenir. Oscillant entre hommes du pouvoir, savants
et saints, l’œuvre et la personnalité d’Ibn al-Qāḍī reflètent la relation d’une
certaine catégorie de la population au soufisme et à la sainteté. L’intellectuel
est à cette époque homme de lettres et historien, il honore les saints en
raison de leurs vertus, de leurs miracles et de leur sagesse et immortalise
leur souvenir parmi les personnages qui ont marqué l’histoire. Le Jadhwat
al-iqtibās est, semble-t-il, pour Ibn al-Qāḍi, essentiellement un hommage
à sa ville natale et, pour l’historien de la sainteté, une démonstration que
six siècles après sa fondation, les saints de Fès contribuent autant à sa
gloire que les rois et les savants.
Environ un siècle plus tard, une autre figure célèbre de l’histoire
culturelle du Maroc, Muḥammad b. al-Ḥajj al-Ifrānī 206 (m. 1138/1725),
203
Rabat, Dār al-Manṣūr, 1973. Voir M. Hajji, La Vie intellectuelle au Maroc à l’époque
sa’dide, Rabat, Dār al-Maghrib, 1976, vol. I, p. 22-23 ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens…,
p. 248-250.
204
É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 250.
205
Voir Salwa, vol. II, p. 164. Al-Kattānī semble avoir de doutes quant à l’authenticité de
cette filiation.
206
Voir M. Lakhdar, La Vie littéraire au Maroc sous la dynastie ‘alawide, 1971, p. 178-
185 ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 112-131.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 83
rédige son répertoire des saints du XIe /XVIIe siècle. Le Ṣafwat man
intashara min akhbār ṣulaḥā’ al-qarn al-ḥādī ‘ashar 207 s’inscrit dans la
continuité du Dawḥat al-nāshir d’Ibn ‘Askar. L’auteur, à l’œuvre duquel
E. Lévi-Provençal a consacré de nombreuses pages, est connu comme un
historien de la dynastie sa‘dienne. On connaît assez peu sa vie. Dans sa
région natale, le Sūs, il est en contact avec le milieu des zāwiyas. Afin de
poursuivre ses études, il s’établit à Fès où il assiste entre autres aux cours
d’un membre de la famille al-Fāsī. Il se consacre à l’étude de la poésie
profane et devient probablement l’historien de cour de Moulay Ismā‘īl.
Durant son activité littéraire et l’exercice de diverses fonctions officielles,
il reste en correspondance avec le chef de la zāwiya Sharqāwiyya de
Tadla. On ne sait pas clairement à quel moment de sa vie sa carrière est
troublée par des enjeux politiques, mais al-Ifrānī est considéré par ses
successeurs comme faisant partie des grands écrivains du Maroc. Son
ouvrage hagiographique sur les saints de Fès est, selon G. Deverdun,
« d’une consultation indispensable pour l’histoire du mouvement sharifien
et maraboutique au Maroc à partir de la fin du Moyen Âge 208 ». Al-Ifrānī
dit effectivement avoir consulté vingt-cinq livres pour la rédaction de
cet ouvrage. En effet, la Safwat n’est pas une véritable hagiographie,
mais elle inclut les biographies des savants et se présente, par son style
et sa méthode, comme un travail d’historien. Les anecdotes édifiantes
et les récits de miracles cèdent pour la plupart du temps le pas à une
reconstitution minutieuse des données biographiques et à des citations à
caractère littéraire. Aussi trouve-t-on relativement peu de renseignements
oraux, l’auteur ayant préféré se référer aux écrits de ses prédécesseurs et
aux listes bibliographiques des savants.
Ibn al-Qāḍī et al-Ifrānī représentent la figure du lettré et de l’intellectuel
qui, sans être ou au moins s’afficher comme adepte, entretient un lien
constant avec les cercles soufis. L’hagiographie constitue pour ces auteurs
un moyen de se « rapprocher de Dieu » et d’exprimer leur attachement aux
saints. L’œuvre de ces auteurs « profanes » permet à la sainteté de sortir
du cadre de l’écriture strictement spirituelle et de s’inscrire dans l’histoire
intellectuelle du pays. Cette approche « extérieure », mettant l’accent sur
l’aspect historique et littéraire, présente une vision différente de la sainteté
qui dévoile sa portée au-delà du cadre initiatique.
207
Casablanca, Markaz al-Turāth al-Thaqāfī al-Maghribī, 2004. Voir É. Lévi-Provençal,
Les Historiens…, p. 306-309.
208
EI2, vol. III, p. 68.
84 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
209
M. Ibn ‘Ayshūn al-Sharrāt, Al-Rawḍ al-‘āṭir al-anfās fī akhbar al-ṣāliḥīn min ahl al-Fās,
Z. al-Naẓẓām, éd., Rabat, Manshūrāt Kulliyya al-Ādāb wa al-‘Ulūm al-Insāniyya, 1997.
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 280-283.
210
Nashr al-mathānī, vol. III, p. 84.
211
Voir l’introduction de l’édition critique par Z. al-Naẓẓām, Al-Rawḍ al-‘āṭir…, p. 37-38.
212
Le jugement d’É. Lévi-Provençal, selon lequel « […] on n’a pas grand profit à attendre du
Rawḍ pour l’histoire hagiographique du Maroc » (Les Historiens…, p. 283), est difficilement
soutenable, si on considère que cet ouvrage représente un témoignage représentatif pour
une époque cruciale de l’histoire spirituelle du pays. Le fait que l’on trouve de nombreux
passages du Rawḍ dans les hagiographies ultérieures ne fait que démontrer la considération
et la diffusion dont a joui cet ouvrage.
213
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 303-307 ; Salwa, vol. III, p. 147-148.
214
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 281-282 ; Z. al-Naẓẓām, « Introduction »,
Al-Rawḍ al-‘āṭir…, p. 24-25.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 85
215
Si le rattachement des saints du IVe/Xe siècle à une forme formalisée de soufisme est
certes discutable du point de vue historique, la nature initiatique de cette sainteté ne fait
aucun doute pour Ibn ‘Ayshūn. C’est pour cela qu’il ne distingue pas entre ces saints et
ceux dont un rattachement soufi est connu, lorsqu’il accorde le même titre à tous.
216
Il s’agit al-Ḥusayn b. al-Manṣūr al-Ḥallāj (m. 309/921) auquel remonte la fameuse
déclaration Ana al-Ḥaqq (« je suis le Vrai »).
217
Coran, XXXIX : 67.
218
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 125-126.
86 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
et pratique du soufisme de Fès durant les quatre cents ans qui séparent
les deux ouvrages. Les allusions aux expériences contemplatives sont
beaucoup plus fréquentes et élaborées. La connaissance spirituelle prend
le pas sur la pratique 219, et la figure du Prophète acquiert une signification
plus intérieure 220. Le mouvement jazūlite exerce une influence importante
sur les cercles soufis de Fès. L’auteur lui-même est disciple d’un maître
de filiation jazūlite. Ainsi, dans le Rawḍ al-‘aṭir la fonction initiatique
de l’être spirituel du Prophète forme la référence centrale de la sainteté,
alors que dans l’ouvrage d’al-Tamīmī, c’est plutôt l’imitation du modèle
prophétique qui est mise en avant. Malgré ces différences d’accent, l’esprit
du Mustafād et du Rawḍ al-‘aṭir est essentiellement le même : Fès apparaît
comme ville de la sainteté, dont les facettes variées sont personnifiées par
ceux qui ont parcouru un cheminement initiatique.
L’ouvrage possède la particularité de présenter les saints selon le
lieu de leur sépulture. A notre connaissance, c’est le premier ouvrage
hagiographique du Maroc qui procède de cette manière. La préférence
pour un ordre topographique au lieu d’un ordre chronologique relève de la
vocation pratique qu’assume l’hagiographie de Fès à partir de cette époque.
Au Xe /XVIe -XIe /XVIIe siècle, la ville de Mawlāy Idrīs est désormais
considérée comme la ville des saints par excellence, « la zāwiya », comme
dit ‘Abd al-Raḥmān al-Majdhūb 221 (m. 976/1569). L’hagiographie ne vise
plus seulement à mettre en valeur la présence des saints et des traditions
initiatiques d’une époque donnée ou à fournir des modèles de sainteté, elle
constitue également le support d’une pratique populaire parmi les soufis
comme parmi la population ordinaire : la visite des tombeaux des saints
(ziyāra al-ḍarā’iḥ) 222. Ibn ‘Ayshūn ne cherche pas à justifier cette pratique
comme le fera al-Kattānī trois siècles plus tard ou comme l’avaient fait
219
Comme l’a expliqué É. Geoffroy (« Hagiographie et typologie spirituelle à l’époque
mamelouke », op. cit., p. 92), l’insistance sur « la partie immergée ou occultée du saint »
traduit l’idée que la description du seul comportement s’avère comme superficiel par rapport
à la nature essentiellement intérieure de la sainteté. C’est notamment le cas chez les auteurs
de « l’école shâdhilite », à laquelle appartient d’ailleurs Ibn ‘Ayshūn.
220
C’est d’ailleurs une caractéristique de toute l’hagiographie maghrébine à partir de la
fin du Moyen Âge. Voir N. Amri, Les Saints en islam, messagers de l’espérance, Paris,
Cerf, 2008, p. 143-156.
221
Voir F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. I, p. 78.
222
Pour l’émergence de la littérature de ziyāra au Moyen-Orient à partir du VIe/XIIe siècle,
voir A.T. Karamustafa, Sufism : The formative period, Edinburgh, Edinburgh Univ. Press,
2007, p. 132. Pour la visite des saints à Fès comme pratique initiatique, voir notre chapitre
« Sainteté et pratique initiatique ».
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 87
223
Ibn ‘Ayshūn pense sans doute au Rawḍ al-qirṭās et au Janā zahr al-ās dont il a été
question plus haut.
224
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 48-49.
88 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
225
Voir Topologie spirituelle et sociale….
226
Voir Z. al-Naẓẓām, « al-Ḥayāt al-rūḥiyya wa al-dīniyya min khilal kitāb Al-Rawḍ
al-‘aṭir al-anfās bi-akhbār al-ṣāliḥīna min ahl Fās », Actes du colloque : Fās fī tārīkh
al-Maghrib, I. al-‘Abdallāwī, Rabat, Maṭbū‘āt Akādīmiyyat al-Mamlakat al-Maghribiyya,
2009, vol. II, p. 13-31.
227
Voir notre ch. « La naissance d’une tradition initiatique fāsie : Abū al-Maḥāsin et la
zâwiya al-Fāsiyya (X e-XI e/XVI e-XVII e siècles) ». É. Lévi-Provençal leur consacre un
chapitre à part (Les Historiens…, p. 275-280).
228
Voir A. Sebti, op. cit., p. 22-25.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 89
229
Voir ibid., p. 19-22.
230
Shudhūr al-dhahab fī khayr al-nasab, ms., BG, n° 1484 d.
231
Voir G. Salmon, « Ibn Raḥmoūn et les généalogies chérifiennes », AM, n° III, 1905,
p. 159 et suiv. ; A. Sebti, op. cit., p. 23.
232
Idem, p. 23.
90 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
nous intéresse ici est de voir quel rôle la généalogie a joué à l’intérieur
de la tradition hagiographique de Fès. Il s’agit de montrer comment la
généalogie peut représenter un type d’écriture hagiographique 233.
La littérature des ansāb chérifiens contient en effet des éléments
hagiographiques, et l’inverse est également vrai. La noblesse de l’origine
représente, dans le cas de saints personnages, une indication de l’élection
divine 234. C’est aussi l’expression de la pureté qui les distingue des hommes
ordinaires 235. Chez des auteurs comme ‘Abd al-Salām al-Qādirī 236, qui
est considéré d’après E. Lévi-Provençal comme le généalogiste le plus
compétent du Maroc, les deux écritures s’enrichissent mutuellement.
Visiteur fervent du sanctuaire d’Ibn Mashīsh, cet écrivain consacre
également plusieurs monographies à des saints de Fès. Le Maqṣad al-aḥmad
fī ta‘rīf bi-sayydinā Ibn ‘Abdallāh Aḥmad 237 porte sur l’un des plus grands
maîtres de l’époque, Aḥmad Ma‘an al-Andalūsī (m. 1120/1708), alors que
le Mu‘tamad al-rāwī fī manāqib sayydī Aḥmad al-Shāwī 238 concerne un
saint très populaire autant chez le peuple que chez l’élite religieuse. Ce
dernier ouvrage vise à mettre en évidence des aspects de la personnalité
d’Aḥmad al-Shāwī qui étaient cachés de son vivant et seulement connus de
certains saints ou disciples. En se chargeant de révéler, après le décès du
saint, le rang et la fonction de ce dernier, l’hagiographe se fait son porte-
parole et continuateur post mortem et revêt le rôle du médiateur entre le
saint et la société. C’est pour cela que dans la conclusion al-Qādirī traite
de la visite du sanctuaire du saint et explicite ses convenances. Pour que
la fonction spirituelle du saint puisse s’exercer de manière directe 239 après
233
Pour les différents registres du texte généalogique, voir A. Sebti, Aristocratie citadine,
pouvoir et discours savant au Maroc précolonial : contribution à une relecture de la
littérature généalogique fāsie, thèse de doctorat, Paris VII, 1984.
234
« L’insistance sur l’origine noble n’est qu’un symptôme de la loi qui organise la vie du
saint. Alors que la biographie s’attache à déceler une évolution et donc des différences,
l’hagiographie postule que tout est donné à l’origine avec une «vocation», avec une
«élection», ou, comme dans les vies de l’Antiquité, avec un ethos initial. L’évolution tient
dès lors seulement à la manifestation de ce donné. » (M. de Certeau, « Hagiographie »,
Encyclopedia Universalis, cité par A. Sebti, Ville et figures du charisme, p. 43, note 87.)
235
Le motif de la pureté du lignage se trouve dès le début dans les ouvrages consacrés au
Prophète comme la sīra d’Ibn Hishām (m. 218/833).
236
Voir M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 112-115.
237
Fès, litho., 1351 hég. (1932).
238
Rabat, Dār al-Amān, 2009.
239
Grâce au taṣrīf (ou taṣarruf), c’est-à-dire le pouvoir d’intervenir sans être physiquement
présent, le saint peut continuer à exercer sa fonction après son décès, même si l’emplacement
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 91
de sa tombe est ignoré. La visite de sa tombe n’est donc pas une condition pour la fonction
post mortem du saint, mais elle permet aux gens de bénéficier de manière active et volontaire
de sa baraka.
240
Fès, litho., 1308 hég. (1891) ; Rabat, ms., BG, n° 1456 d. La première partie a été résumée
par G. Salmon dans « Les Chorfa idrisides de Fès », AM, n° I, 1904, p. 425 et suiv. et la
deuxième dans « Les Chorfa Filāla et Djilāla de Fès », AM, n° III, 1905, p. 97. Le titre ne doit
pas tromper sur le contenu de l’ouvrage qui passe en revue également les shurafā’ ḥusaynides.
241
L’expression est d’A. Sebti (op. cit., p. 81).
242
Les Qādirī descendent de Mūsā al-Jawn b. ‘Abdallāh al-Kāmil, un frère d’Idrīs I er.
243
AM, n° I, 1904, p. 427.
92 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
244
Voir par exemple p. 25 où il est question des litanies shādhilites.
245
Tétouan, Manshūrāt Jam‘iyya Taṭāwun Asmīr, 2004, 2 vol.
246
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 342-345 ; A. Sebti, op. cit., p. 26 et suiv.
247
Idem, p. 33.
248
Al-Ishrāf ‘alā nasab al-aqṭāb al-arba‘at al-ashrāf, Fès, litho., 1308 hég. (1891).
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 93
249
Il s’agit du Nuzhat al-nādī wa ṭurfat al-ḥādī fī-man bi-l-Maghrib min Ahl al-qarn
al-ḥādī, Rabat, Dār al-Amān, 2010.
250
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 319-326 ; M. Lakhdar, La Vie littéraire...,
p. 240-241 ; U. Rizzitano, « Un trattatello di storia dinastica sui Siciliani di illustre
discendenza nel Marocco », ANISL, III, 1957, p. 85-127.
251
Rabat, Maktabat al-Ṭālib, 1982, 3 vol. L’ouvrage a été traduit dans A. Grauille,
P. Maillard, « Nashr al-mathānī de Muhammad al-Qādirī », AM, n° XXI, 1913, et par
E. Michaux-Bellaire, AM, n° XXIV, 1917.
252
Voir notre chapitre « La fondation des grands ordres et le renouveau du soufisme ».
253
Farīḍat al-durr al-ṣafī fī waṣf al-jamāl al-yūsufī, perdu.
254
Al-Ẓahr al-bāsim wa al-‘urf al-nāsim fī manāqib al-shaykh sayydī Qāsim wa ma’āthir
man la-hu min al-ashyākh wa al-atba‘ ahl al-makārim, ms., BG, n° 17178 d.
255
Voir vol. III, p. 82.
94 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
256
Traduit par A. Grauille, P. Maillard ; voir « Nashr al-mathānī de Muhammad al-Qādirī »,
op. cit., p. 17.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 95
257
Voir Salwa, vol. II, p. 184 ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 286-287 ; A. Sebti,
op. cit., p. 80-82.
258
Voir A. Popovic, « La Rifâ‘iyya », Les Voies d’Allāh, A. Popovic, G. Veinstein, dir.,
Paris, Fayard, 1996, p. 492-496 ; S.J. Trimingham, The Sufi Orders in Islam, Oxford,
Clarendon Press, 1971, p. 37-38.
96 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
259
Voir Salwa, vol. II, p. 185.
260
A. b. ‘A. al-Ḥalabī, Al-Durr al-nafīs wa al-nūr al-anīs fī manāqib al-imām Idrīs ibn
Idrīs, Fès, litho., 1300 hég. (1882-23). L’ouvrage a fait l’objet d’un article par A. Sebti
(« Hagiographie et enjeux urbains au Maroc : une biographie d’Idrīs II », La Religion civique
à l’époque médiévale et moderne, A. Vauchez, dir., Rome, Ecole Française de Rome, 1995,
p. 77-88) qui est reproduit dans son Ville et figures du charisme, p. 79-91. Voir aussi H.L.
Beck, L’Image d’Idrīs II, ses descendants de Fās et la politique sharīfienne des sultans
marīnides, Leyde, Brill, 1989, p. 1-4.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 97
261
Ms., BG, n° 2557 d. Voir Kh. Ṣqallī, « Min ‘ulamā’ al-‘aṣr al-‘alawī al-awwal : Aḥmad
b. ‘Abd al-Ḥayy al-Halabī », Maqālāt tārīkhiyya, Fès, Majlat Kulliyyat al-Ādāb wa al-‘Ulūm
al-Insāniyya, n° 13, 1425 hég. (2004), p. 223-238.
262
Nous allons traiter de cette question dans notre chapitre « Renouveau spirituel et
émergence du chérifisme ».
98 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
263
Voir J. Berque, Ulémas, fondateurs, insurgés du Maghreb, Paris, Sindbad, 1982,
p. 83 et suiv. ; É. Lévi-Provençal, Les Histoires…, p. 336-340. Al-Ḥawwāt a rédigé une
autobiographie, le Thamarat Unsī fī ta‘rīf bi-nafsī (Chefchaouen, Markaz al-Dirāsāt wa
al-Buḥūth al-Andalusiyya, 1996).
264
Cet ouvrage a été étudié par Jacques Berque (voir supra). Pour la bibliographie
d’al-Ḥawwāt, voir l’introduction de la Rawḍat al-maqṣūda par ‘Abd al-‘Azīz Tiylānī,
vol. I, p. 74-75.
265
Fès, Mu’assasat Aḥmad Ibn Sūda, 1994, 2 vol.
266
É. Lévi-Provençal, Les Histoires…, p. 332.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 99
267
Vol. I, p. 209-210.
268
Ibid., p. 215-218.
269
C’est le titre du troisième chapitre de l’ouvrage.
100 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
270
Casablanca, Dār al-Thaqāfa, 2004, 3 vol. Un quatrième volume d’index (2006) ainsi
qu’un cinquième volume contenant une collection d’articles (2007) ont été ajoutés.
271
Voir notre chapitre « Activisme idrisside, renaissance akbarienne et perpétuation de la
tradition initiatique ».
272
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 379 et suiv. ; ‘A. al-Fāsī, « al-‘Ālim
Muḥammad b. Ja‘far al-Kattānī wa kitābuhu Salwat al-anfās wa muḥādathat al-akyās
bi-man ‘uqbira min al-‘ulamā’ wa al-ṣulaḥā’ bi-Fās », al-Manāhil, Rabat, 1997, n° 54,
p. 116-162.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 101
sa tendre enfance dans le milieu savant et soufi de Fès. Son père Ja‘far
b. Idrīs est le shaykh al-islām du Maroc, régulièrement consulté par le
sultan Ḥasan Ier (1290-1311/1873-1894). Ayant lui-même atteint, après
un parcours intensif d’études, une certaine autorité comme savant,
Muḥammad adresse un opuscule 273 au prochain sultan, Moulay ‘Abd
al-‘Azīz (1312-1326/1894-1908), pour attirer son attention sur le danger
que court la communauté musulmane si elle consent à des compromis
avec les puissances européennes. Préférant quitter le Maroc, il s’établit
en 1907 à Médine où sa demeure devient un point de rencontre pour les
savants et les soufis du monde entier 274. Ayant entendu parler de la révolte
du frère du sultan à laquelle participe son cousin Abū al-Fayḍ Muḥammad
b. ‘Abd al-Kabīr al-Kattānī, le fondateur de la Kattāniyya-Aḥmadiyya,
il retourne au Maroc. La tentative d’une « révolution idrisside » ayant
échoué, Muḥammad al-Kattānī décide de repartir pour Médine d’où il
est apparemment expulsé par les autorités turques et finit par s’établir à
Damas. Dans la capitale syrienne, il continue à s’engager dans la défense
du monde musulman contre le colonialisme, notamment en soutenant le
mouvement Sanoussi de la Libye. Malgré son activité politique, on lui
attribue 83 écrits qui traitent de toutes sortes de sujets : la jurisprudence,
le soufisme, la politique, la poésie, la science du hadith et les biographies.
Il remanie entre autres la biographie de Mawlāy Idrīs par al-Ḥalabī 275 et
consacre un ouvrage à la science du Prophète 276, visiblement inspiré par
Ibn al-‘Arabī. Ses écrits prouvent que l’engagement politique se nourrit
d’une immersion profonde dans l’enseignement soufi, surtout dans la
doctrine de la réalité muḥammedienne et la sainteté. Retourné à Fès à
la fin de sa vie, il enseigne à la Qarawiyyīn et décède suite à un malaise
cardiaque. L’enterrement est selon certains témoignages 277 parmi les plus
grands que l’on aurait jamais vus à Fès.
273
Naṣīḥat ahl al-islām bi-mā yadfa‘u ‘anhum dā’ al-kafarāt al-li’ām, Amman, Dār al-
Bayāriq, 1999.
274
On trouve dans son Al-Riḥlat al-Sāmiyyat ilā al-Iskandariyya wa Miṣr wa al-Ḥijāz wa
al-Bilād al-Shāmiyya (Casablanca, Dār Ibn Ḥazm, 2005) le récit de ses voyages et une liste
des personnages qu’il a rencontrés.
275
Al-Azhār al-‘āṭirat al-anfās bi-dhikr ba‘ḍ maḥāsin quṭb al-Maghrib wa tāj madīnat
Fās, Fès, litho. 1307 hég. (1889).
276
Jalā’ al-qulūb min al-aṣdā’ al-ghayniyya bi-bayān iḥāṭatihi ‘alayhi al-salām bi-l-‘ulūm
al-kawniyya, le Caire, sans éd., 2004, 3 vol.
277
Voir l’introduction de Ḥ. al-Kattānī dans Al-Riḥlat al-sāmiyya…, p. 99-100.
102 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
278
R. Basset, « Recherches bibliographiques sur les sources de la Salouat al-Anfas », Recueil
de mémoires et textes publié en l’honneur du XIVe Congrès des orientalistes, Alger, 1905,
p. 1-47 ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 379 et suiv. Récemment, l’aspect politique
a fait l’objet d’un article : S. Bazzaz, « Reading reform beyond the state: Salwat al-Anfās,
Islamic revival and Moroccan National history », JNAS, n° 13/1, 2008 (mars), p. 1-13.
279
Une présentation forte utile nous semble celle de Ḥamza al-Kattānī dans le volume
rajouté en 2007 à l’édition de la Salwa (« Kitāb Salwat al-anfās : al-qīmat wa al-minhaj »,
Salwa, vol. V, p. 165-192), quoique l’auteur ne fasse aucune référence aux études
occidentales. Dans le même volume, on trouve une collection d’articles des chercheurs
marocains qui analysent divers aspects de l’ouvrage, notamment historiques, littéraires,
topographiques et anthropologiques.
280
Voir en arabe ‘A. al-Filālī, « al-Naz‘at al-ṣūfiyyat fī kitāb Salwat al-anfās », Salwa,
vol. V, p. 145-155.
281
Voir notre chapitre « La pratique de la sainteté » où cette partie de la Salwa est analysée
en détail.
282
Pour tout ce qui concerne la structure topographique de l’ouvrage, voir ‘A. Binmalīḥ,
« Amākiniyya madīnat Fās min khilāl kitāb Salwat al-anfās », Salwa, vol. V, p. 237-261.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 103
connu et j’ai rapproché les endroits selon les indices de gens. De certains,
je connais la contrée de manière générale sans connaître l’endroit précis.
J’ai alors évoqué les détails connus. J’ai clos le livre en ajoutant l’évocation
de ceux dont je sais qu’ils sont enterrés dans les environs habités, sans
avoir trouvé dans les livres des informations concernant l’emplacement
exact, pour que le livre soit exhaustif 283. »
La structure topographique de la Salwa vise en effet à constituer un
plan de la topographie sacrée de Fès 284. Ce plan est ordonné selon les
hommes et les lieux. Ainsi, on trouve les tombes des saints, mais aussi
des zāwiyas, des retraites spirituelles, des salles de prière fréquentées
par un saint, un magasin où le Prophète est apparu 285, la mosquée où
fut enseigné pour la première fois le manuel de fiqh d’al-Khalīl, etc. Ces
« lieux de visite » (mazārāt 286) conservent le souvenir d’un événement
spirituel et sont de ce fait porteurs d’une baraka spécifique 287. Ainsi
l’hagiographie rend-elle hommage aux saints mais aussi aux lieux. Elle
décrit les supports de la sainteté et retrace ses manifestations historiques
et géographiques.
A la différence du Rawḍ al-‘aṭir 288, l’auteur affirme vouloir recenser
non seulement les tombeaux de saints notoires, mais l’ensemble des
tombeaux de saints, même ceux dont seulement le nom est connu. En
plus, l’ouvrage d’al-Kattānī inclut de nombreux savants qui ne semblent
pas être rattachés au soufisme. Le projet d’al-Kattanī est donc plus vaste
que celui de son prédécesseur et dépasse celui d’une nouvelle anthologie
biographique des soufis de Fès. Il s’agit, semble-t-il, de constituer, dans
une époque annonciatrice de changements sociopolitiques graves, un
testament écrit du patrimoine spirituel de la ville. Dans l’introduction,
al-Kattānī déplore effectivement l’oubli dont sont l’objet les saints, c’est-à-
283
Salwa, vol. I, p. 10-11.
284
Cet aspect a été exploité par F. Skali dans sa thèse doctorale (Topologie spirituelle et
sociale de la ville de Fès, thèse de doctorat, Université de Paris VII, 1990, 4 vol). L’auteur a
tenté de reconstituer la « topographie spirituelle » de Fès en identifiant les saints de chaque
quartier selon leur rang dans la hiérarchie initiatique.
285
Voir Salwa, vol. I, p. 245.
286
Voir par exemple Ibid., p. 186, p. 238.
287
Voir notre chapitre « Les traces du saint dans la ville ».
288
Dans l’édition critique, on trouve en annexe le supplément du Rawḍ al-‘aṭir concernant
les tombes et sanctuaires connus et visités par les habitants de Fès à propos desquels l’auteur
n’a pas pu trouver d’informations biographiques certaines (Al-Tanbīh ‘alā man lam yaqi‘
bihi min fuḍalā’ Fās tanwīh, p. 331-363).
104 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
dire ceux qui font de la ville de Mawlāy Idrīs un centre spirituel 289, « grâce
auxquels l’état de celui qui la visite ou y séjourne se rectifie (ṣaluḥa) 290 ».
Naturellement, dans le même passage l’auteur lie le mérite de la ville à
son saint fondateur. Le testament de Fès et de ses saints est dans ce sens
aussi un testament de Mawlāy Idrīs et des valeurs dont il est le symbole,
comme l’autorité politique des Idrissides, la sainteté, l’indépendance vis-
à-vis des forces étrangères, la sharī‘a comme loi ainsi que le Coran et le
modèle prophétique comme les seules références sociales et culturelles du
Maroc. C’est là que se rejoignent l’écriture hagiographique et l’engagement
politique de l’auteur, bien qu’on ne puisse accorder trop d’importance,
comme a parfois tendance à le faire la recherche contemporaine 291, à cet
aspect dans la rédaction de la Salwa. Al-Kattānī s’inscrit explicitement
dans la tradition des hagiographes fāsis, et c’est avant tout en tant que soufi
désireux de bénéficier de la baraka et de transmettre un héritage spirituel
aux futures générations et en tant que savant et historien fāsi qu’il transcrit
la vie des saints et le lieu de leur dernier repos.
La volonté de constituer une somme de la vie spirituelle de Fès
apparaît aussi clairement lorsqu’al-Kattānī fait cas des diverses confréries
et familles chérifiennes. On trouve par exemple dans le premier volume
un passage sur la zāwiya al-Nāṣiriyya 292, la zāwiya Ḥamdūshiyya 293 un
autre sur la Wazzāniyya 294, et plus loin il est question des Tāhirites dans
la demeure desquels se trouve une sandale du Prophète 295. Aḥmad al-Azmī 296
a pu recenser huit familles soufies auxquelles l’auteur de la Salwa a
consacré des passages importants. Al-Kattānī inclut également dans son
répertoire les saints qui ne sont pas enterrés à Fès mais qui ont marqué
par leur séjour ou leur influence la tradition spirituelle de la ville, comme
289
Voir ‘A. al-Filālī, « al-Naz’at al-ṣūfiyya fī kitāb Salwat al-anfās », p. 148 : « L’idée
(hūwiyya) de Fès dans le livre est celle du “Fès de la bénédiction” (Fās al-baraka),
notamment grâce à ses savants et leurs sciences, ses dévots et leur dévotion, ses saints et
soufis et leur richesse spirituelle ».
290
Ibid., p. 3-5. L’auteur donne aussi une raison pour cet oubli en expliquant que les saints
évitent de laisser des traces écrites ou autres par scrupule et souci d’anonymat.
291
Voir S. Bazzaz, « Reading reform beyond the state: Salwat al-Anfās, Islamic revival
and Moroccan National history », JNAS, n° 13/1, mars 2008, p. 1-13.
292
Salwa, vol. I, p. 297.
293
Ibid., p. 404.
294
Ibid., p. 107 et suiv.
295
Ibid., p. 391 et suiv.
296
« Salwat al-anfās ka-maṣdar li-kitābat tārīkh al-Maghrib », Salwa, vol. V, p. 214-216.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 105
297
Voir par exemple A. al-Rahūnī,‘Umdat al-rāwīn fī tārīkh tiṭāwīn, Tétouan, Manshūrāt
Jam‘iyya Tiṭāwun Asmīr, 2007, 7 vol.
298
Voir A. al-Azmī « Salwat al-anfās ka-maṣdar li-kitābat tārīkh al-Maghrib », p. 195-221.
299
Un Océan sans rivage : Ibn Arabī, le Livre et la Loi, Paris, Seuil, 1992, p. 25.
300
Voir, à propos de la typologie akbarienne dans l’hagiographie, É. Geoffroy, « Hagiographie
et typologie spirituelle à l’époque mamelouke », op. cit., p. 94.
106 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
301
Salwa, vol. II, p. 328.
302
Ibid., p. 379.
303
Ibid., vol. I, p. 145-146.
304
Voir W. Chittick, « Towards sainthood: states and stations », The Meccan Revelations,
M. Chodkiewicz, dir., New York, Pir Press, 2002, vol. I, p. 189 et suiv.
305
Voir ‘A. al-Filālī, « al-Naz‘at al-ṣūfiyya fī kitāb Salwat al-anfās », p. 146.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 107
recherche d’un surcroît de grâce spirituelle. C’est pour cela que les soufis
remplissent leurs livres avec ces souvenirs 306. »
Dans cette optique, la Salwa assume l’héritage initiatique des saints de
Fès et transmet l’enseignement qu’il contient sous une forme hagiographique.
Certes, une analyse profonde de la Salwa mériterait une étude à part,
et il n’est possible ici que d’indiquer quelques éléments qui nous semblent
importants par rapport à l’histoire et à la caractéristique de la tradition
spirituelle fāsie. Le fait que l’ouvrage d’al-Kattānī représente notre source
principale suffit pour comprendre l’intérêt de cet ouvrage et saisir sa
fonction comme testament spirituel de la ville de Mawlāy Idrīs 307.
306
Salwa, vol. I, p. 16.
307
Cela ne veut évidemment pas dire que la Salwa soit le dernier ouvrage hagiographique
consacré à Fès, mais après Muḥammad b. Ja‘far al-Kattānī, aucun auteur n’a plus essayé
de se lancer dans un projet d’écriture qui concerne la tradition spirituelle de la ville dans
son ensemble. Pour les ouvrages postérieurs à la Salwa, voir l’annexe.
308
On doit ces trois notions à Nelly Amri (« Écriture hagiographique et modèles de sainteté
dans l’Ifriqiya ḥafṣide (VIIIe-IXe/XIVe-XVe siècles) d’après trois recueils de manāqib »,
op. cit., p. 24).
309
M. Chodkiewicz remarque à ce propos : « Je retiens donc provisoirement un critère
intellectuellement peu rigoureux mais pratique : la « canonisation » par la littérature. Sont
saints les personnages identifiés comme tels par la tradition hagiographique – et plus
particulièrement, ceux dont les noms reviennent toujours dans les grandes compilations »
(« Le saint illettré dans l’hagiographie islamique », Les Cahiers du Centre de recherches
historiques, n° 9, 1992).
310
Ibid., p. 13.
108 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
311
Nous devons cette expression à l’historien des religions, M. Eliade (voir Le Sacré et le
profane, Paris, Gallimard, 1964).
312
P. Brown, « The saint as exemplar in late antiquity », Saints and Virtues, J.S. Hawley,
dir., Berkeley, Univ. of California Press, 1987, p. 9.
313
Les Historiens…, p. 218.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 109
314
Au Maroc, la ville de Sabta (Ceuta) fait également l’objet, durant les VIII e-IXe/XIVe-
XVe siècles, de quelques ouvrages hagio-biographiques consacrés aux savants et aux saints
(ṣulaḥa’) de la ville (voir M. Benchekroun, La Vie intellectuelle marocaine…, p. 444-445).
110 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
315
Voir p. ex. pour Tunis, H.R. Idris, Manâqib d’Abû Isḥâq al-Jabanyânî par Abû l-Qâsim
al-Labîdî et Manâqib de Muḥriz b. Ḫalaf par Abû l-Ṭâhir al-Fârisî, Paris, PUF, 1959, et
N. Amri, « Écriture hagiographique et modèles de sainteté dans l’Ifriqiya Ḥafṣide (VIII e-
IXe/XIVe-XVe siècles) d’après trois recueils de manāqib », op. cit., p. 12-31. Pour Damas,
on peut mentionner le Ghāyat al-bayān fī tarjamat al-shaykh al-Arslān al-Dimashqī
(voir É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte et en Syrie sous les derniers Mamelouks et les
premiers Ottomans, orientations spirituelles et enjeux culturels, Damas, Institut Français de
Damas, 1995, p. 30) de Muḥammad Ibn Ṭulūn (m. 953/1546). Pour Bagdad, Ibn al-Jawzī
(m. 597/1200) a rédigé le Manāqib Ma‘rūf Karkhī wa akhbāruhu (voir l’édition du texte
dans la revue Al-Mawrid, n° 4, Bagdad, 1982, p. 609-680) où il rapporte entre autres les
anecdotes des habitants de la ville à propos du saint.
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 111
316
Nous rappelons que dans cette invocation la science (al-‘ilm) constitue un des éléments
qui caractériseront Fès jusqu’à la fin des temps.
112 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
317
Ibn Maryam, al-Bustān fī dhikr al-awliyā’ wa al-‘ulamā’ bi-Tilimsān, Alger, s. d. Cet
ouvrage a été traduit par F. Provenzali (El-Boustane ou Jardin des biographies des saints
et savants de Tlemcen, Tlemcen, Editions Ibn Khaldoun, 2003).
318
Nuzhat al-anẓār fī ‘ajā’ib al-nawārīkh wa al-akhbār wa manāqib al-sādat al-aṭhār,
Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2011.
319
Voir Ch. Pellat, « Manāḳib », EI2, vol. VI, p. 333-341. Une littérature urbaine existe
bien sûr en dehors de Fès dès le Ve/XIe siècle, mais généralement ces ouvrages ne peuvent
pas être considérés comme étant des hagiographies. Ainsi, un ouvrage comme le Manāqib
Baghdād d’Ibn al-Jawzī (m. 597/1201) traite des mérites et des caractéristiques de Bagdad.
Quant au reste du Maghreb, le Iftikhār fī manāqib fuqahā’ al-Qayrawān de ‘Atīq al-Tujībī
(m. 422/1030) et le Ma‘ālim al-īmān fī manāqib al-mashhūrīn min ‘ulamā’ al-Qayrawān
d’al-Dabbāgh (m. 699/1300) sont essentiellement des ouvrages biographiques portant sur des
savants malékites, bien qu’ils contiennent des éléments hagiographiques (voir M. Mackeen,
« The early history of Sufism in the Maghreb prior to al-Shādhilī », JAOS, vol. 91, n° 3,
1971 (jul.-sep.), p. 407) comme tous les ouvrages de ce genre. Une exception est le Riyāḍ
al-nufūs fī ṭabaqāt ‘ulamā’ al-Qayrawān wa al-Ifrīqiyya (Beyrouth, Dār al-Gharb al-Islāmī,
1981, 2 vol.) d’Abū Bakr al-Mālikī (m. 541/1047) où l’on trouve entre autres des sections
consacrées aux biographies des ascètes (‘ubbād et nussāk) ifriqiyens. Toutefois, selon ‘Ī. Luṭfī
(Maghrib al-mutaṣawwifa min al-qarn 10 ilā al-qarn 17, Tunis, Markaz al-Nashr al-Jāmi‘ī,
2005, p. 52), cette littérature, qui est même marquée par une forte connotation juridique, est
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 113
avant tout destinée à défendre la version malékite du sunnisme face à l’influence fatimide
et kharijite. Il ne s’agit donc pas d’un ouvrage hagiographique stricto sensu.
320
A. Vauchez, « Préface », Saints orientaux, p. 13. Le médiéviste français parle ici
d’une des caractéristiques de l’hagiographie musulmane, notamment celle du Maroc et du
Khorasan, par rapport à l’hagiographie chrétienne.
321
Un cas analogue représente peut-être la ville de Damas pour laquelle on dispose d’un
dictionnaire biographique contemporain portant sur les savants du IVe/XXe siècle, le Tārīkh
‘ulamā’ Dimashq fī al-qarn al-rābi‘ ‘ashar al-hijrī de Muḥammad al-Ḥāfiẓ (Damas, Dār
al-Fikr al-Mu‘āsir, 1986).
322
Voir É. Geoffroy, Le Soufisme en Egypte et en Syrie sous les derniers Mamelouks et les
premiers Ottomans, Damas, IFD, 1995, p. 111-114, 135-143 ; N. Amri, « Le pouvoir du saint
en Ifriqiya aux VIIIe-IXe/XIVe-XVe siècles : le «très visible» gouvernement du monde »,
Politique et religion en Méditerranée, Moyen Âge et époque contemporaine, H. Bresc,
G. Dragher, C. Veauvy, dir., Paris, Éditions Bouchène, 2008, p. 167-196.
323
Le Dīwān al-awliyā’, tel qu’il est décrit par ‘Abd al-‘Azīz al-Dabbāgh (voir A. Ibn
al-Mubārak al-Lamṭī, Kitāb al-ibrīz min kalam sayyidī ‘Abd al-‘Azīz, Beyrouth, Dār al-Kutub
al-‘Ilmiyya, 1998, p. 278 et suiv.) est présidé par le Prophète. Il faut donc distinguer entre
l’assemblée universelle et l’assemblée locale spécifique à la ville de Fès.
114 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
revenir sur cela plus tard, mais ce qu’il convient de souligner ici, c’est que
l’importance de l’hagiographie réside dans le fait d’avoir exprimé et propagé
cette idée. La conception d’une communauté des saints traduit de la façon
la plus explicite la vocation de Fès à être un centre spirituel et initiatique.
Pour conclure, il reste à remarquer que l’élément chérifien représente
sans doute la caractéristique la plus spécifique de la tradition hagiographique
fāsie, ainsi que le fait d’intégrer l’historiographie urbaine, la généalogie et
la biographie savante, autrement dit d’associer l’histoire profane à l’histoire
sacrée. L’hagiographie dépasse ainsi le cadre strict du soufisme, et son
écriture assume une vocation éclectique qui, en dernier compte, ne fait que
refléter les divers aspects à travers lesquels se manifeste à Fès la sainteté.
324
Il faut sans doute relativiser la thèse d’É. Lévi-Provençal selon laquelle ce sont « bien
souvent [...] des descendants du saint lui-même qui écrivent sa vie, ou, s’ils ne s’en sentent
La tradition hagiographique de Fès : présentation des sources 115
pas capables, la font écrire par un lettré » (Les Historiens…, p. 48). Les exemples étudiés
auparavant suffisent pour démontrer l’infondé d’une telle remarque.
325
Les Historiens…
326
« Hagiographie et typologie spirituelle à l’époque mamelouke », op. cit., p. 83.
327
É. Geoffroy analyse les différentes manières grâce auxquelles l’hagiographie « manifeste
la sainteté » et remarque dans ce sens que « l’hagiographie a pour vocation de mettre
en relief la sainteté et donc de souligner son aspect tangible et manifeste ». Il s’agit de
l’« extérioriser de façon optimale » (« Hagiographie et typologie spirituelle à l’époque
mamelouke », idem, p. 86-89). Mais en même temps, une certaine prudence a toujours été
observée, ce qui transparaît dans « la relative pauvreté des textes de manāqib en matière
de typologie » (ibid., p. 97).
116 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
On sait que la fondation d’une ville revêt dans les sociétés pré-modernes
une signification sacrée. Fonder une ville, c’est hiérarchiser l’espace et
l’ordonner par l’établissement d’un centre symbolique. Dans le cas de Fès,
cela est particulièrement visible. La ville est aussi la capitale d’un nouvel
empire et le centre de rayonnement d’un nouvel ordre sacré, celui de l’islam
sunnite. Telle est, en tout état de cause, la vision traditionnelle, fixée par les
historiographes et hagiographes musulmans, de la genèse de Fès. Pour les
historiens modernes, la réalité historique, dont la configuration exacte est
encore sujette à controverses, diverge de cette représentation. N’empêche
que le récit traditionnel est riche de sens pour le sujet qui nous intéresse ici,
à savoir le lien entre Fès et la sainteté. En tant qu’établissement d’un centre
symbolique, la fondation d’une ville comporte également la fondation d’une
tradition qui gère, perpétue et explique le sens qui s’y attache. De ce fait,
cette tradition se construit davantage sur des événements symboliques et
sacrés que sur des faits historiques tels que nous les entendons aujourd’hui.
Sa finalité s’inscrit dans une vision mythologique ou eschatologique qui
se veut située dans un au-delà de l’histoire.
Reconstruire cette formation, identifier ses éléments, structures et
dynamiques constitutifs, c’est le sujet de cette partie, allant des Idrissides
au III e /IXe siècle, dynastie d’ascendance prophétique qui revêt une
signification sacrée pour l’islam marocain et sa culture, jusqu’au Xe /
XVIe siècle et l’avènement du jazūlisme. Le mouvement soufi qui se réfère
à al-Jazūlī renoue avec l’aspect spirituel et muḥammadien de cet héritage
idrisside, préparant ainsi une nouvelle ère dans l’histoire de la sainteté à
Fès. Les sept siècles séparant les deux époques témoignent d’une diversité
extraordinaire d’influences alimentant et marquant la vie spirituelle de la
ville. C’est une période particulièrement féconde où les structures sociales
122 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
328
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc, Paris, Perrin, 2009, p. 40-54 ; D. Eustache, Corpus
des dirhams idrisites et contemporains, Rabat, Banque du Maroc, 1971 ; idem, « Idrīsides »,
EI2, vol. III, p. 1061-1063 ; Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord : des origines à
1830, 3e éd., Paris, Payot, 1994, p. 376-380 ; A. Laroui, L’Histoire du Maghreb : un essai
de synthèse, 2e éd., Casablanca, Centre culturel arabe, 2001, p. 105-108.
329
Voir É. Lévi-Provençal, « La fondation de Fès », Les Historiens des chorfa, Paris,
Maisonneuve et Larose, 2001, (annexes) p. 1-30 ; M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno,
« Idrissisme et villes idrissides », SI, n° 82, 1995, p. 5-33. Plus récemment, C. Benchekroun
Histoire de la sainteté à Fès 123
s’est intéressé à une source inexploitée sur Idrīs Ier apportant quelques nouveaux éléments sur
l’histoire de cette dynastie et de la fondation de Fès, « Les Idrissides : l’histoire contre son
histoire », MASAQ, vol. 23, n° 3, 2011, p. 171-188. Malgré l’intérêt historique de cet article,
on peut regretter son ton virulent. Taxer l’auteur du Rawḍ al-qirṭās de fabriquer « un tissu
usé de mensonges » (p. 186) parce qu’il ne respecte pas les critères de l’historicité moderne,
témoigne d’une certaine méconnaissance de ce qu’est l’historiographie traditionnelle et
la conception de l’histoire sur laquelle elle se fonde. Voir à ce propos M. Shatzmiller,
L’Historiographie mérinide : Ibn Khaldūn et ses contemporains, Leyde, Brill, 1982 ;
A. Laroui, Islam et histoire, Paris, Flammarion, 1999.
330
C’est un fait reconnu par les historiens : « […] dans les sources tardives […] les
Idrissides, en plus de l’avantage d’avoir un caractère eschatologique et messianique […],
acquièrent les caractéristiques de certains des principaux archétypes de l’hagiographie
maghrébine, à savoir le saint-fondateur, le saint-missionnaire, le saint-sultan, tout cela
principalement autour d’Idrīs II » (M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Idrissisme
et villes idrissides », idem, p. 10-11).
331
Telle est, d’après M. Eliade, la fonction du mythe (voir Aspects du mythe, Paris,
Gallimard, 1963). Voir également D. Aigle, « Le mythe créateur de l’histoire », Figures
mythiques des mondes musulmans, idem, dir., REMMM, n° 89/90, 2000, p. 7-38.
332
D’après M. Eliade « c’est toujours dans une certaine situation historique que le sacré se
manifeste » (Traité d’histoire des religions, Paris, Payot, 1949, p. 24).
333
Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord : des origines à 1830, p. 379.
334
M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Idrissisme et villes idrissides », op. cit., p. 5.
124 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
335
Voir A. Gateau, Ibn ‘Abd al-Ḥakam : conquête de l’Afrique du Nord et de l’Espagne,
2 e éd., Alger, Éditions Carbonel, 1948 ; É. Lévi-Provençal, « Un nouveau récit de la
conquête de l’Afrique du Nord par les Arabes », ARA, t. I, 1954, p. 16-34 ; B. Rosenberger,
« Les premières villes islamiques du Maroc : géographie et fonctions », Genèse de la ville
islamique en al-Andalus et au Maghreb occidental, P. Cressier, M. Garcia-Arenal, dir.,
Madrid, CSIC, 1998, p. 229-235.
336
Voir Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord…, p. 367-374.
337
Voir E. Mercier, Histoire de la Berbérie, Paris, Leroux, 1888, vol. I, p. 179 et suiv.
338
Voir Qirṭās, p. 17-30 ; ‘A. Ibn Salāma, dir., al-Imām Idrīs : Mu’assas al-dawlat al-
maghribiyya, 2e éd., Rabat, Manshūrāt Wazārat al-Awqāf, 2008. On y trouve entre autres
le discours qu’Idrīs Ier aurait adressé aux Maghrébins, analysé par Muḥammad al-Mannūnī
(ibid., p. 57-67). Voir aussi D. Eustache, « Idrīs Ier », EI2, vol. III, p. 1057.
339
A. Laroui, L’Histoire du Maghreb…, p. 107.
340
Voir L. Veccia-Vaglieri, « Fakhkh », EI2, vol. II, p. 744-745.
Histoire de la sainteté à Fès 125
341
Voir A. Akerraz, « Recherches sur les niveaux islamiques de Volubilis », Genèse de la
ville islamique…, p. 295-304 ; A. Siraj, « Vie et mort d’une cité islamique : à propos du
phénomène urbain dans le Maroc idrisside septentrional », ibid., p. 285-290.
342
Voir H.L. Beck, L’Image d’Idris II, ses descendants de Fās et la politique sharīfienne
des sultans marīnides, p. 13.
343
Voir par exemple H.L. Beck, L’Image d’Idris II…, p. 38-41 ; M. Garcia-Arenal,
E. Manzano Moreno, « Légitimité et villes idrissides », La Genèse de la ville islamique…,
p. 257-284 ; M. Talbi, L’Emirat aghlabide, 184-296/800-909, Histoire politique, Paris,
Adrien-Maisonneuve, 1966, p. 362-380.
344
Voir M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Légitimité et villes idrissides », idem,
p. 260.
345
Topologie spirituelle et sociale de la ville de Fès, thèse de doctorat, Université de Paris
VII, 1990, vol. I, p. 72.
126 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
346
Voir Qirṭās, p. 30-61 ; Salwa, vol. I, p. 71-85 ; D. Eustache, « Idrīs II », EI2, vol. III,
p. 1057-1058 ; H.L. Beck, L’image d’Idris II…. Il existe deux monographies hagiographiques
sur Idrīs II : A. b. ‘A. al-Ḥalabī, Al-Durr al-nafīs wa al-nūr al-anīs fī manāqib al-imām Idrīs
b. Idrīs, Fès, litho, 1300 hég. (1882-83) ; M. b. J. al-Kattānī, Al-Azhār al-‘āṭirat al-anfās
bi-dhikr ba‘ḍ maḥāsin quṭb al-Maghrib wa tāj madīnat Fās, Fès, litho. 1306 hég. (1889).
347
A. Laroui, L’Histoire du Maghreb…, p. 107.
348
Voir Qirtās, p. 40-59 ; Azhār, p. 135 et suiv. ; M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno,
« Idrissisme et villes idrissides », p. 12 et suiv. ; É. Lévi-Provençal, « La fondation de Fès »,
op. cit. ; R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat, étude économique et sociale d’une ville de
l’Occident musulman, Casablanca, publications de l’Institut des Hautes-Etudes Marocaines
(t. XLV), 1949, p. 30-45 ; S. O’Meara, Space and Muslim Urban Life : At the Limits of the
Labyrinth of Fez, Londres & New York, Routledge, 2007, p. 57-67 ; B. Rosenberger, « Les
premières villes islamiques du Maroc : géographie et fonctions », op. cit., p. 235-241. Pour
le récit de la fondation dans les écrits pré-mérinides et les problèmes de datation, voir H.L.
Beck, L’Image d’Idris II…, p. 44-45.
349
Voir « Les Idrissides : l’histoire contre son histoire », op. cit., p. 176.
Histoire de la sainteté à Fès 127
350
Voir « La fondation de Fès », op. cit.
351
M. Garcia-Arenal et E. Manzano Moreno relativisent le rôle des immigrants (voir
« Idrissisme et villes idrissides », op. cit., p. 16).
352
Pour A. Siraj, ce choix « exprime un projet religieux nouveau » (« Vie et mort d’une
cité islamique : à propos du phénomène urbain dans le Maroc idrisside septentrional »,
op. cit., p. 289).
353
Voir A. Sebti, « Akhbar al-manāqib wa manāqib al-akhbar », Al-Tārīkh wa adab al-
manāqib, H. Ferhat, dir., Rabat, Publications de l’Association marocaine pour la recherche
historique, 1988, p. 93-113. Pour l’aspect légendaire dans la fondation des villes islamiques,
voir G. Calasso, « Genealogie e miti di fondazione : Note sulle origini di Fas secondo le
fonti merinidi », La Bisaccia dello Sheikh : Omaggio ad Alessandro Bausani, Islamista
nel sessantesimo compleanno - Venezia, 29 maggio 1981, Rome/Venice, Università degli
Studi di Venezia, 1981, p. 17-28 ; S. O’Meara, Space and Muslim Urban Life…, p. 57-71 ;
Ch. Wendell, « Baghād : Imago Mundi, and other Foundation-Lore », IJMES, n° 2, 1971,
p. 99-128.
354
« La ville idrisside devient [...] une entité plus qualitative qu’historique. En fait, elle
est un symbole. On se trouve devant une implantation géographique mythique unie à la
sainteté de ses fondateurs » (M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Idrissisme et villes
idrissides », op. cit., p. 6).
355
Il s’agit d’un passage d’Aḥmad b. Muḥammad al-Ashmāwī, d’après la traduction de
L.Ch. Feraud (« Les chorfa du Maroc (suite) », RA, n° 21, 1871, p. 381-382).
128 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
356
« Légitimité et villes idrissides », op. cit., p. 260.
357
Qirṭās, p. 45. La traduction d’A. Beaumier (p. 40) est manifestement incorrecte ; nous
avons préféré celle de F. Skali (Topologie spirituelle et sociale…, vol. I, p. 68).
358
Voir p. 40-61.
359
Le lien entre Sāf et Fās est illustré par l’inversion phonétique des deux noms : « On
rapporte que lorsque les constructions furent achevées, l’Imām Idrīs dit : « Il faut donner
à cette ville le nom de l’ancienne cité qui exista ici pendant dix-huit cents ans et qui fut
détruite avant que l’islam ne resplendît sur la terre. » Cette ville se nommait Sāf, et en
renversant le mot on lit Fās. Cette version dernière est la plus probable de toutes ; mais
Dieu seul connaît la vérité. » (Qirṭās, p. 54 ; traduction : 46.) Selon la légende, l’ancienne
ville aurait existé pendant mille ans : « Un juif, creusant les fondements d’une maison près
du pont de ’Azīla, sur un lieu qui était encore, comme la plus grande partie de la ville,
couvert de buissons, de chênes, de tamarins et autres arbres, trouva une idole en marbre,
représentant une jeune fille, sur la poitrine de laquelle étaient gravés ces mots en caractères
antiques : En ce lieu, consacré aujourd’hui à la prière, étaient jadis des thermes florissants,
qui furent détruits après mille ans d’existence. » (Qirṭās, p. 46 ; traduction : p. 40-41.)
Histoire de la sainteté à Fès 129
endroit. « Que le salut soit sur toi ! dit le solitaire en s’arrêtant ; réponds,
émir, que viens-tu faire entre ces deux montagnes ? – Je viens, répondit
Idrīs, élever une ville où je demeurerai et où demeureront mes enfants
après moi, une ville où le Dieu Très-Haut sera adoré, où son Livre sera lu
et où l’on suivra ses lois et sa religion ! – Si cela est, émir, j’ai une bonne
nouvelle à te donner. – Qu’est-ce donc, ermite ? – Écoute. Le vieux solitaire
chrétien qui priait avant moi dans ces lieux et qui est mort depuis cent ans
m’a dit avoir trouvé dans le livre de la science qu’il exista ici une ville
nommée Sāf qui fut détruite il y a dix-sept cents ans, mais qu’un jour il
viendrait un homme appartenant à la famille des prophètes, qui rebâtirait
cette ville, relèverait ses établissements et y ferait revivre une population
nombreuse ; que cet homme se nommerait Idrīs ; que ses actions seraient
grandes et son pouvoir célèbre et qu’il apporterait en ce lieu l’islam qui
y demeurerait jusqu’au dernier jour. – Loué soit Dieu ! Je suis cet Idrīs,
s’écria l’imām, et il commença à creuser les fondations 360. »
Il s’agit là de souligner la continuité symbolique entre un Maghreb
« primordial » enterré par l’histoire et sa résurgence grâce aux Idrissides
et la fondation d’une civilisation islamique. Selon ces mêmes sources,
Fès est construite après qu’Idrīs ait rendu son environnement, auparavant
hostile et sauvage, habitable et sécurisé. Il est question de bêtes sauvages,
d’une forêt obscure, mais aussi de divers personnages aussi mystérieux
que dangereux 361. Comme l’a remarqué F. Skali : « Il n’est pas difficile
de relever ici le thème archétypal de la naissance de la cité-cosmos par
le passage du chaos (ténèbres primordiales) à l’ordre 362. » S. O’Meara 363
établit un parallèle assez significatif avec l’arrivée du Prophète à Médine 364.
Lorsque ce dernier s’établit dans la ville, les conditions de vie s’améliorent
de manière miraculeuse. La fièvre et les mauvaises odeurs disparaissent.
Grâce à la venue du Prophète, la ville devient al-Ṭayyiba, « la ville pure,
celle qui sent bon 365 ».
360
Qirṭās, p. 46 (traduction : p. 40).
361
Voir Qirṭās, p. 47-48.
362
Voir Topologie spirituelle et sociale…, vol. I, p. 68 et suiv.
363
Voir Space and Muslim Urban Life…, p. 64 et suiv.
364
F. Skali (voir Topologie spirituelle et sociale…, vol. I, p. 72-73) évoque également ce
rapprochement, notamment par rapport à la tradition juridique de Médine qui exerce une
influence importante sur Fès à travers la théorie malékite de la pratique locale (‘amal).
365
« Idrīs leur ordonna de diviser les terres et de les cultiver, ce qu’ils firent, en plantant
en même temps des arbres sur les bords de la rivière, dans Fès Saïs, depuis sa source
jusqu’à l’endroit où elle se jette dans le fleuve Sebou. Un an après, ces arbres donnèrent
des fruits, et c’est là un prodige dû à la bénédiction et aux vertus d’Idrīs et de ses ancêtres
(Que le Dieu Très-Haut les agrée !) » (Qirṭās, p. 59 ; traduction : p. 30-31). Ce motif se
130 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
reproduit dans diverses formes dans les récits de fondation des autres villes islamiques,
p. ex. Kairaouan, fondée par des compagnons du Prophète (voir S. O’Meara, Space and
Muslim Urban Life…, p. 60 et suiv.).
366
M. Eliade, Le Sacré et le profane…, p. 26 et suiv.
367
Coran, II : 126, XIV : 35-37.
368
Qirṭās, p. 59 (traduction : p. 49).
369
Salwa, vol. I, p. 75.
Histoire de la sainteté à Fès 131
370
Qirṭās, p. 45 ; la traduction de A. Beaumier (p. 39) a été corrigée. Ce passage est devenu
classique. Al-Kattānī le reproduit dans sa Salwa (voir vol. I, p. 3).
371
Voir Qirṭās, p. 47 (traduction : p. 41).
372
Voir L. Paye, « La corporation des tanneurs et l’industrie de la tannerie à Fès », Hespéris,
n° 20-21, 1935, p. 167.
373
M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Légitimité et villes idrissides », p. 261.
L’auteur du Rawḍ al-qirṭās évoque effectivement cette idée lorsqu’il dit : « Il faut cinq
choses à une ville, ont dit les philosophes : eau courante, bon labour, bois à proximité,
constructions solides et un chef qui veille à sa prospérité, à la sûreté de ses routes et au
respect dû à sa puissance. A ces conditions, qui accomplissent et ennoblissent une ville, Fès
joint encore de grands avantages, que je vais décrire, s’il plaît à Dieu » (p. 40 ; traduction :
p. 37).
132 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
comme actes de piété pèsera dans sa balance [le Jour du Jugement] et sera
inscrit dans son registre 374. »
Le fait qu’Ibn ‘Ayshūn (m. 1109/1697) débute ainsi son dictionnaire
hagiographique des saints de Fès indique la fonction éminente que
l’on attribue à Idrīs II dans la tradition spirituelle de la ville. Dans les
divers manāqib qui lui sont consacrés 375, on trouve tous les éléments de
l’hagiographie traitant des prophètes ou des saints. Ainsi il est question
d’une naissance accompagnée par des signes prodigieux :
« Entre ses deux épaules se trouve un sceau dans lequel il est écrit : « Il
n’y a de divinité que Dieu, Muḥammad est l’Envoyé de Dieu, que le salut
et la paix divine soient sur lui, comme il plaise à Dieu, il n’y a de force si
ce n’est par Dieu, toute affaire est entre les mains de Dieu, ceci est de la
descendance du Prophète de Dieu, Muḥammed l’Envoyé de Dieu, que le
salut et la paix divine soient sur lui. » La nuit de sa naissance une étoile
lumineuse surgit de l’Orient vers l’Occident et y reste sept jours. Treize
autres étoiles surgissent comme une tente blanche. Ce sont des signes
énormes, un héritage (wirātha) de son grand-père, que le salut et la paix
divine soient sur lui 376. »
L’hagiographe évoque ici l’ascendance prophétique d’Idrīs II, mais
il souligne que cela comporte également un héritage d’un autre ordre
qui se traduit par des grâces particulières. Dans le récit, les insignes ne
laissent aucun doute : naissance annoncée par la lumière 377 et sceau sont
des caractéristiques prophétiques. Toute la biographie du fondateur de Fès
développe l’idée que cette ascendance et cet héritage, le dotant des qualités
et des capacités prodigieuses, le disposent à agir comme représentant du
Prophète. Du fait que cette fonction s’exerce dans deux domaines, celui
de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel, Idrīs II excelle dans les
disciplines intellectuelles et militaires :
374
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 48.
375
Nous nous basons ici principalement sur l’Azhār al-‘āṭirat al-anfās d’al-Kattānī. Cet
ouvrage, imprimé à la fin du XIXe siècle, réunit les biographies antérieures et représente
l’aboutissement de la tradition hagiographique sur le fondateur de Fès. Sur l’image d’Idrīs II
dans l’hagiographie, voir A. Sebti, « Akhbar al-manāqib wa manāqib al-akhbar », op. cit.,
p. 106 et suiv. ; idem, Ville et figures du charisme, p. 79-91.
376
Azhār, p. 117-118.
377
Comme le rappelle A. Sebti, cela ressemble au récit de la naissance du Prophète où la
mère de ce dernier voit une lumière qui illumine les palais de la Syrie. Ce même motif
de la lumière se trouve entre autres dans la biographie d’Abū Muslim (m. 137/755), chef
militaire charismatique qui mène les Abbassides au pouvoir (voir « Akhbar al-manāqib wa
manāqib al-akhbar », op. cit., p. 95-96).
Histoire de la sainteté à Fès 133
« Rashīd s’occupa de lui jusqu’à ce qu’il fut sevré et eut grandi. Il l’éduqua
et lui récita le Coran, qu’il arriva à mémoriser entièrement à l’âge de huit
ans. Puis il lui enseigna la Sunna, la jurisprudence, la grammaire, les
hadiths, la poésie ainsi que les contes et les sentences des Arabes. Il lui
apprit également l’histoire des rois, de leur règne et des guerres, l’entraîna
dans l’art chevaleresque, le tir à l’arc et la tactique de guerre. Idrīs excella
dans tout cela, alors qu’il n’avait seulement que dix ou onze ans 378. »
C’est son héritage prophétique inné qui explique également le fait qu’il
puisse diriger la communauté selon les principes de la tradition musulmane
orthodoxe à seulement onze ans :
« A onze ans, la communauté lui prêta alliance dans la ville de Walīla.
[...] Il monta alors sur le minbar et s’adressa aux gens en disant [après
l’introduction laudative] : « Ô gens, nous avons assumé cette affaire qui
est une cause de récompense pour les bienfaiteurs et une charge fatale
pour les malfaiteurs. Nous poursuivons, que Dieu en soit loué, un but
louable ; ne tendez pas vos nuques vers autre que nous, car certes, ceux
qui recherchent l’établissement de la vérité (iqāmat al-ḥaqq), ils ne le
trouveront que chez nous ! » 379 »
Le géographe andalou al-Bakrī (m. 487/1091) cite une anecdote
rapportée par un compagnon d’Idrīs II qui constitue un témoignage rare
concernant l’image hagiographique de la personnalité du fondateur de Fès,
« Je me trouvais au Maghreb avec Idrīs II, et je l’accompagnai dans une
expédition contre les Kharidjites. Les ayant enfin rencontrés, il leur livra
bataille, bien que leur armée fût trois fois plus nombreuse que la sienne.
On se battit avec un acharnement extrême, et ce jour-là je ressentis une
telle admiration pour Idrīs que j’avais toujours les yeux fixés sur lui.
– « Qu’as-tu donc? me dit-il, pourquoi me regarder avec tant d’attention ?
– Pour trois choses, lui répondis-je ; d’abord vous crachez abondamment,
tandis qu’il me reste à peine assez de salive pour m’humecter la bouche.
– Cela, répondit-il, tient à ce que mon cœur reste inébranlable, et votre
bouche s’est desséchée parce que vous avez perdu votre sang-froid. – La
seconde raison, lui dis-je, c’est à cause de la force de corps que vous
déployez. – Cela, me dit-il, tient aux prières que notre saint Prophète
offre en notre faveur. – La troisième raison, ajoutai-je, c’est de vous voir
presque toujours en mouvement ; à peine pouvez-vous demeurer tranquille
sur votre cheval. – Cela provient, me répondit-il, du désir que j’éprouve
de combattre ; ne croyez pas que ce soit un effet de la peur. C’est à bon
droit que je puis réciter ces vers : Notre aïeul Hasan n’a-t-il pas retroussé
son manteau pour enseigner à ses fils comment on frappe avec la lance et
378
Azhār, p. 117-118.
379
Ibid., p. 121-122.
134 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
380
W. McGuckin de Slane, Description de l’Afrique septentrionale par Abou-Obeïd El-Bekri,
Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient, Adrien-Maisonneuve, 1965, p. 240-241.
381
Ibid., p. 133.
382
Voir Azhar, p. 213 et suiv.
383
Voir ibid., p. 226 et suiv.
384
Voir G. Salmon, « Le culte de Moulay Idris et la mosquée des Chorfa à Fès », AM, n° III,
1905, p. 413-429. Pour les aspects sociopolitiques de cette redécouverte, voir H.L. Beck,
L’Image d’Idris II…, p. 225 et suiv. Voir notre chapitre « Renouveau spirituel et émergence
du chérifisme ».
Histoire de la sainteté à Fès 135
385
Voir D. Gril, « Le corps du Prophète », REMMM, n° 113-114, 2006, p. 37-57.
386
Voir Azhār, p. 256 et suiv.
387
Voir notre chapitre « Sainteté chérifienne, ordres soufis et science inspirée ».
388
Ibid., p. 240 et suiv. A propos de l’idée de « protection » et son rapport avec l’image
d’Idrīs II, voir A. Sebti, Ville et figures du charisme, p. 86-91.
389
Ishrāf, vol. I, p. 104.
390
« Dieu ne les châtiera pas tant que tu es parmi eux. » (Coran, VIII : 33.)
391
A ce propos, voir F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. II, p. 550 et suiv. Dans
un autre passage, l’auteur cite Ibn al-‘Arabī qui dit : « C’est Dieu qui a rendu la Mecque
sacrée et qui a permis au Prophète de sacraliser Médine. » (ibid., vol. I, p. 53.)
136 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
voué à la perdition, et sont corrigés ceux qui s’en approchent sans respecter
les convenances. Ces représentations, récits et motifs hagiographiques
expriment l’idée que la sacralité de la ville, s’il y en a une, se confond avec
Idrīs II, héritier du Prophète, celui « en qui [Dieu] a réuni l’ascendance
prophétique et le califat, la science et la sainteté 392 ».
392
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 49.
393
Voir A. Sebti, Aristocratie citadine, pouvoir et discours savant au Maroc précolonial,
contribution à une relecture de la littérature généalogique fassie, thèse de doctorat,
Université de Paris VII, 1984, p. 125-151. Ce phénomène n’est pas spécifique à Fès. La
fondation des villes idrissides et la « diaspora idrisside » après la chute de la dynastie se
présentent dans l’hagiographie comme une sanctification du Maroc par un clan sacré. Voir
M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Légitimité et villes idrissides », op. cit., p. 258
et suiv. Les deux chercheurs concluent que « l’arrivée d’un lignage sacré venu de l’Orient
tendrait à charpenter un territoire à l’origine désorganisé et cela grâce au rôle de cohésion
affiché par le message que ce lignage incarne et qui n’est autre que le sunnisme » (ibid.).
394
Pour un aperçu général, voir É. Lévi-Provençal, « Shurafā’ », EI2, vol. IV, p. 401-403 ;
I. al-‘Arabī, Dawlat al-adārisa, mulūk Tilimsān wa Fās wa Qurṭuba, Beyrouth, Dār al-Gharb
al-Islāmī, 1983.
395
Voir Ishrāf, vol. I, p. 105-114, p. 149-266 ; G. Salmon, « Les chorfa idrissides de Fès
d’après Ibn al-Tayyib al-Qadiry », AM, n° I, 1904, p. 425-454. Voir aussi A. Sebti, Ville et
figures du charisme, p. 16-48.
396
Le nombre des fils d’Idrīs II est sujet à controverse. Nous nous référons ici à l’avis
de D. Eustache (« Idrīsides », op. cit.) qui s’appuie vraisemblablement sur la version
traditionnelle (voir Ishrāf, vol. I, p. 104).
397
Voir Ishrāf, vol. I, p. 149-199 ; G. Salmon, « Les chorfa idrissides de Fès d’après Ibn
al-Tayyib al-Qadiry », op. cit., p. 432-435.
398
Voir Ishrāf, vol. I, p. 219-266. Un ouvrage complet est consacré à cette branche :
Ṭ. al-Lahyawī al-‘Alamī, Kitāb al-ḥiṣn al-matīn li-l-shurafā’ awlād Mawlāy ‘Abd al-Salām
ma‘a abnā’ ‘ammihim al-‘Alamiyyīn, s.d., s.l.
399
Voir Ishrāf, vol. I, p. 221.
Histoire de la sainteté à Fès 137
rôle important dans tout ce qui concerne à Fès le culte de Mawlāy Idrīs,
le chérifisme et la sainteté. Les Jūṭiyyūn, dont dérivent entre autres les
‘Imrānī 400, jouent un rôle important dans la représentation officielle des
shurafā’ et dans la gestion du sanctuaire de Mawlāy Idrīs. C’est aussi un
Jūṭī que l’on choisit comme nouveau sultan après la révolte des shurafā’
et de certains oulémas de Fès contre le Mérinide ‘Abd al-Ḥaqq II au IXe/
XVe siècle 401. Les ‘Alamiyyūn se rattachent à Abū Bakr, un descendant de
Sallām Ibn Aḥmad al-Mazwār de la lignée de Muḥammad (m. 223/838).
Sallām s’installa dans la région de la montagne al-‘Alam, entre Tétouan
et Tanger, à la demande des tribus indigènes. Ces dernières espéraient
ainsi bénéficier de la bénédiction des Idrissides. Le saint patron du Maroc,
‘Abd al-Salām Ibn Mashīsh (m. 622/1225) descend de cette filiation,
ainsi que les Wazzānī, l’une des familles soufies les plus importantes du
Maroc, et de nombreux saints, tels Qāsim Ibn Raḥmūn (m. 1249/1834),
Muḥammad al-Ḥarrāq (m. 1261/1846), ‘Alī Ibn Ḥamdūsh (m. 1131/1716)
ou Qaddūr al-‘Alamī (m. 1265/1850). De Muḥammad b. Idrīs II, par son
fils Yaḥyā (245/859), descendent les Kattānī 402, une famille qui fonde sa
propre confrérie au XIIIe/XIXe siècle et qui s’engage dans la lutte contre
le colonialisme. La branche issue de ‘Īsā b. Idrīs II 4 03, originalement
installée dans la région de Salé, comporte des ramifications importantes
comptant des saints majeurs, tels les Dabbāgh 404 et les Būzīdī. Al-Shādhilī
(m. 656/1258) ainsi que les chérifs Ghummārī descendent de la lignée de
‘Umar Ibn Idrīs II 405, le seigneur du Rif. Les Amghāriyyūn, qui fondent
au VIe/XIIe siècle la zāwiya de Tīṭ-n-Fiṭr au sud d’Azemmour, descendent
de ‘Abdallāh b. Idrīs 406.
Les descendants d’Idrīs jouent un rôle central du fait qu’ils prolongent
dans l’histoire marocaine la sainteté de leur ancêtre. Comme on va le voir
au cours de notre aperçu de l’histoire religieuse de Fès, les Idrissides vont
400
De cette filiation est issu le maître d’al-Darqāwī, ‘Alī « al-Jamal » al-‘Imrānī (ou
al-‘Amrānī selon certains) (m. 1194/1779).
401
Voir M. Garcia-Arenal, « The revolution of Fās in 869/1465 and the death of sultan
‘Abd al-Ḥaqq al-Marīnī », BSOAS, n° XLI, p. 43-66.
402
Voir Ishrāf, vol. I, p. 208-218.
403
Voir ibid., p. 113.
404
Voir ibid., vol. I, p. 199-208.
405
C’est l’avis de l’auteur de la Salwa (vol. I, p. 86) et de l’auteur de l’Ishrāf (vol. I,
p. 107-111). Selon d’autres (voir Kubrā, p. 19), l’ascendance du fondateur de la Shādhiliyya
remonte à Idrīs II par ‘Īsā.
406
Voir Ishrāf, vol. I, p. 113-115.
138 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2. La succession d’Idrīs II
Les descendants d’Idrīs II continuent l’œuvre de leur père, l’islamisation
du Maroc 410. La mère berbère d’Idrīs II, Kenza, pousse ses petits-fils à
partager le royaume entre eux 411. Muḥammad b. Idrīs 412 (213-221/828-836)
devient le régent de Fès et détermine le cours politique de la dynastie.
L’hagiographie 413 voit en lui un digne successeur de son père et surtout
407
Nous reviendrons sur ces « valeurs » à la fin de ce chapitre.
408
Voir M. Garcia-Arenal, « La conjonction du soufisme et du sharîfisme au Maroc : le
Mahdī comme sauveur », REMMM, n° 55-56, 1990, p. 233-256.
409
Voir A. Sebti, op. cit., p. 15 et suiv.
410
Au fait, A. Laroui (L’Histoire du Maghreb…, p. 108) souligne justement que cette
islamisation n’implique pas une arabisation.
411
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 42. Pour B. Rosenberger (voir « Les premières villes
islamiques du Maroc : géographie et fonctions », op. cit., p. 238), il ne s’agit pas d’un partage
dans le plein sens du terme, car l’autorité globale reste entre les mains de Muḥammad b. Idrīs.
412
Voir Qirṭās, p. 61-67.
413
Voir Salwa, vol. I, p. 88-90.
Histoire de la sainteté à Fès 139
La Qarawiyyīn
Malheureusement, on ne sait que relativement peu de choses sur les
deux sœurs mythiques, Maryam et Fāṭima al-Fihrī al-Qarawī 417, qui sont
à l’origine de la construction des deux principales mosquées de Fès. Il
s’agit de deux filles de Muḥammad b. ‘Abdallāh al-Fihrī, un immigrant
originaire de Kairouan. Selon le récit traditionnel, la première des deux
mosquées qui a été fondé, la Qarawiyyīn 418, est bâtie sur l’initiative de
Faṭīma, connue aussi comme « Umm al-Banīn ». Avec l’argent hérité de
son père, elle achète le terrain sur lequel elle jette les premières fondations
414
Ibid.
415
Voir Qirṭās, p. 65.
416
Voir Salwa, vol. I, p. 92-95.
417
Voir Qirṭās, p. 68-69 ; Salwa, vol. I, p. 91-92.
418
Voir G. Deverdun, « al-Karawiyyīn », EI2, vol. IV, p. 657-661 ; ‘A. al-Tāzī, Al-Jāmi‘
al-Qarawiyīn – al-masjid wa al-jāmi‘at madīnat Fās, Beyrouth, Dār al-Kitāb al-Lubnānī,
1972-1973, 3 vol. ; H. Terrasse, La Mosquée al-Qarawiyyīn à Fès, Paris, Klincksieck, 1968.
140 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
en 245/859. C’est elle aussi qui fait creuser un puits « de sorte que cette
mosquée sacrée fut entièrement bâtie avec les matériaux de son propre
sol et que l’on eut ainsi la certitude que rien de ce qui aurait pu n’être pas
parfaitement légitime et pur n’avait été employé 419 ». La mosquée subit
des restaurations sous Dāwūd b. Idrīs en 877, comme en témoigne une
inscription sculptée sur une poutre en bois, et est à l’époque idrisside un
simple oratoire. La prière du vendredi se tient encore dans les mosquées
fondées par Idrīs II, la Jāmi‘ al-Shurafā’ sur la rive kairouanaise et la
Jāmi‘ al-Ashyākh sur la rive andalouse. C’est à partir de la présence
fatimide dans la ville que la Qarawiyyīn occupe cette fonction. Quant à
la construction de la mosquée al-Andalus 420, elle est commanditée par
Mariyam, également avec l’argent hérité de son père, à peu près la même
année que la construction de la Qarawiyyīn.
La construction des deux mosquées constitue un évènement majeur
dans l’histoire de Fès. Elle pose les fondements du rôle de centre des
sciences religieuses que la ville va jouer, notamment à partir de l’époque
almoravide. La Qarawiyyīn va donc consolider l’idée exprimée dans
l’invocation d’Idrīs selon laquelle Fès a vocation d’être une ville de science.
419
Qirṭās, p. 68-69 (traduction : p. 53).
420
Voir Qirṭās, p. 92-93 ; H. Terrasse, La Mosquée des Andalous à Fès, Paris, les Éditions
d’Art et d’Histoire, 1940.
421
Voir par exemple l’article de ‘Alāl al-Fāsī (m. 1394/1974), qui fut un des protagonistes de
l’indépendance marocaine, « al-Mawlā Idrīs al-Akbar », Al-Imām Idrīs : mu’assis al-dawla
al-maghribiyya, p. 15-39.
422
Ce sont les al-Kattānī qui se font les porte-parole de cette idée pendant que se prépare
l’avènement du protectorat. Voir notre chapitre « Activisme idrisside, renaissance akbarienne
et perpétuation de la tradition initiatique ».
423
A. Beaumier (p. 36) traduit ce terme par « paix ».
Histoire de la sainteté à Fès 141
424
Qirṭās, p. 40 (traduction : p. 36).
425
« Légitimité et villes idrissides », op. cit., p. 261.
426
S. O’Meara, Space and Muslim Urban Life…, p. 58.
427
Ibid., p. 62-67.
428
L’auteur (ibid., p. 58-62) identifie les quatre éléments suivants : « le rang élevé et
glorifié du fondateur de la ville, le moine érémitique avec ses prophéties scripturaires,
l’acte physique de la fondation grâce auquel est établie une matrice du pouvoir, les ruines
de l’ancienne cité de Sāf à partir desquelles s’élève [une nouvelle cité de] l’islam ». A ce
propos, voir aussi A. Sebti, « Akhbar al-manāqib wa manāqib al-akhbar », op. cit., p. 103.
429
L’épisode du moine Baḥīra, l’authentification de la prophétie de Muḥammad, la
déclaration d’inviolabilité (ḥarām) du territoire médinois et l’hégire entendue comme
« processus de changement d’état » représentent les quatre motifs archétypiques qui sont
reproduits d’une façon ou d’une autre dans les légendes de fondation des villes islamiques
(S. O’Meara, Space and Muslim Urban Life…, p. 66).
430
Cela étant dit, l’auteur anonyme du Kitāb al-istibṣār fī ‘ajā’ib al-amṣār, ayant vécu à
l’époque almoravide, évoque le fait que la ville de Fès est comblée de la bénédiction de
son fondateur (voir H.L. Beck, L’Image d’Idris II…, p. 32).
142 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
qui se pose pour nous est celle du modèle de sainteté que ce souvenir
véhicule. Autrement dit, quel rôle jouent Idrīs et ses descendants pour la
tradition spirituelle de Fès ?
431
« Ceux d’entre vous, dit-il, qui auront choisi un terrain et qui auront sur ce terrain établi
des maisons ou des jardins avant que les murs d’enceinte soient entièrement achevés, en
resteront propriétaires. Je le leur donne, dès à présent, pour l’amour du Dieu Très-Haut. »
(Qirṭās, p. 47, traduction, p. 41.)
432
On lit par exemple dans la célèbre al-Burda : « Lorsque les hautes montagnes s’offrirent
à lui (changées) en or pour le tenter, quelle grandeur d’âme il montra ! / La détresse où il
était ne faisait qu’affirmer son détachement des biens de ce monde : la nécessité ne peut
rien contre l’impeccabilité / Comment pourrait-elle attirer vers ce monde celui sans lequel
ce même monde ne serait pas sorti du néant ? » (Voir R. Basset, La Bordah de Cheikh El
Bouṣiri : poème en l'honneur de Moḥammed, Paris, Leroux, 1894, p. 32-35.) On connaît de
nombreux hadiths à propos de la générosité du Prophète, p. ex. dans la fameuse description
de ‘Alī : « [...] Il est le Sceau des envoyés et il est le plus généreux des hommes. » (Kanz,
n° 18568) ; ou encore : « Dieu est le plus Généreux des plus généreux et moi je suis le
plus généreux des enfants d’Adam. » (Kanz, n° 28771.)
Histoire de la sainteté à Fès 143
433
Il représente même le premier poète du Maroc, car nous lui devons le plus ancien
fragment marocain de poésie (voir M. Lakhdar, La Vie littéraire au Maroc sous la dynastie
‘alawide, p. 22).
434
C’est ce qu’ont déjà remarqué M. Garcia-Arenal et E. Manzano Moreno : « Dans les
sources tardives, sous forme de traditions populaires ou sources orales, les Idrissides, en
plus de l’avantage d’avoir un caractère eschatologique et messianique et dont le retour est
attendu pour restaurer le Règne de la Justice sur la terre, acquièrent les caractéristiques
de certains des principaux archétypes de l’hagiographie maghrébine, à savoir le saint-
fondateur, le saint-missionnaire, le saint-sultan, tout cela principalement autour d’Idris II. »
(« Idrissisme et villes idrissides », op. cit., p. 10-11.)
435
F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. I, p. 68. Voir à ce propos le volume
de la REMMM consacré aux Figures mythiques des mondes musulmans, D. Aigle, dir.,
n° 89/90, juillet 2000.
144 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
436
Voir l’introduction d’Al-Mustafād…, vol. I, p. 23-24.
437
Ibid., p. 25, note 10.
438
Voir A.T. Karamustafa, Sufism : the formative period, Edingburgh, Edingburgh Univ.
Press, 2007, p. 1-7.
439
Qirṭās, p. 68.
440
Si, à notre connaissance, Kenza n’est pas qualifiée de sainte dans les sources, elle fait
pourtant l’objet d’une vénération par les habitants de Fès, bien que la tombe qui lui est
attribuée soit, d’après l’auteur de la Salwa, celle d’une autre sainte (voir Salwa, vol. I,
p. 102).
Histoire de la sainteté à Fès 145
confère aux deux sœurs une aura de sainteté. C’est parce que cette sainteté
participe d’une manière aussi décisive à la fondation de la ville, fondation
dont nous avons montré la nature et la forme prophétique, qu’elle est rendue
visible par le récit historiographique. Pour si peu que l’on connaisse de la
vie religieuse et spirituelle à l’époque idrisside, les données hagiographiques
et historiques permettent de constater que c’est effectivement la référence
prophétique, dans ses diverses formes, qui fonde la sainteté et donc les
débuts de la tradition spirituelle de Fès.
441
Voir Qirṭās, p. 96-98.
442
Voir ibid., p. 100-105.
443
P. 101.
444
C’est probablement de cette époque que date la dissimulation de la tombe d’Idrīs II,
laquelle ne fut redécouverte qu’au VIIIe/XIVe siècle, pendant le règne des Mérinides.
445
Voir P. Cressier et al., « Ḥagar al-Nasr, “capitale” idrisside du Maroc septentrional :
archéologie et histoire », Genèse de la ville islamique en al-Andalus et au Maghreb
occidental, P. Cressier, M. Garcia-Arenal, dir., Madrid, CSIC, 1998, p. 305-334.
146 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
446
Voir Qirṭās, p. 105-117.
447
Voir Qirṭās, p. 108-117.
448
Pour un aperçu historique de cette période qui porte un regard particulier sur le rôle de
ces deux confédérations berbères, voir E. Mercier, Histoire de la Berbérie, Paris, Leroux,
1888, vol. I.
449
Qirṭās, p. 141-142.
450
Pour l’importance économique de Fès comme passage pour le commerce saharien, andalou
et oriental, voir A. Laroui, L’Histoire du Maghreb : un essai de synthèse, p. 127, p. 134.
451
Voir R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat : étude économique et sociale d’une ville
de l’Occident musulman, t. XLV, Casablanca, Publications de l’Institut des Hautes-Études
Marocaines, 1949, p. 54.
Histoire de la sainteté à Fès 147
452
Realm of the Saint…, p. 3-12. Voir aussi H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas au
Maghreb, p. 156-161.
453
L’interprétation de l’islamologue américain du terme ṣalāḥ comme « socially conscious
virtue » (op. cit., p. 6) nous semble quelque peu restrictive. Dans le Coran, ṣalāḥ désigne
avant tout la mise en pratique de la foi, al-īmān (voir T. Izutsu, Ethico-religious concepts
in the Qur’ān, 2e éd., Montreal-Kingston, McGill Univ. Press, 2002, p. 204-207). L’aspect
social est donc plutôt secondaire, d’autant plus que certains des ṣulaḥā’ se tiennent à l’écart
de la vie sociale et évitent scrupuleusement de se démarquer de leurs contemporains ou de
manifester leur vertu. Pour les significations et l’évolution que peut prendre le terme ṣāliḥ
dans l’hagiographie, voir N. Amri, Al-Walāya wa al-mujatama‘, musāhama fī al-tārīkh
al-dīnī wa al-ijtimā‘ī li-Ifrīqiyya fī al-‘ahd al-ḥafṣī, Tunis, Manshūrāt Kulliyyat al-Ādāb
bi-Mannūba, 2001, p. 511-523.
454
L’interprétation de V. Cornell (op. cit., p. 9), selon laquelle la notion de watad fait
allusion à l’ancrage de la sharī‘a sunnite au Maghreb à travers les ṣulaḥā’, nous paraît
difficile à admettre, car il s’agit avant tout d’une notion qui fait référence à la hiérarchie
initiatique et donc à une fonction spirituelle.
148 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
455
Voir M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints : prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn
Arabî, Paris, Gallimard, 1986, p. 125. Il est à noter que la notion de watad existe bien
avant Ibn al-‘Arabī. Pour ce qui concerne Fès, elle apparaît à plusieurs reprises dans le
plus ancien ouvrage hagiographique, Al-Mustafād…, rédigé par un des nombreux maîtres
d’Ibn al-‘Arabī, Muḥammad b. ‘Abd al-Karīm al-Tamīmī (m. 603/1207).
456
Al-Mustafād…, vol. II, p. 209.
457
Voir C. Melchert, « The Transition from Asceticism to Mysticism at the Middle of the
Ninth Century C.E. », SI, n° 83, 1996, p. 51-70.
Histoire de la sainteté à Fès 149
458
V. Cornell, op. cit., p. 3-12. H. Ferhat (Le Soufisme et les zaouyas…, p. 8) souligne
seulement que les saints de cette époque se caractérisent par le caractère isolé de leur
sainteté.
459
Pour la question du lien historique entre les mouvements ascétiques locaux et le soufisme
classique de Bagdad, voir J. Chabbi, « Remarques sur le développement historique des
mouvements ascétiques et mystiques du Khurasan : IIIe/IXe siècle - IVe/Xe siècle », SI,
n° 46, 1977, p. 5-72.
460
Qu’il y ait eu à l’époque des saints « pré-soufiques » une forme de rattachement à une
filiation d’ordre spirituel par le biais du compagnonnage a été suffisamment démontré (voir
D. Gril, « Les débuts du soufisme », Les Voies d’Allah : les ordres mystiques dans l’islam
des origines à aujourd’hui, A. Popovic, G. Veinstein, dir., Paris, Fayard, 1996, p. 31-33).
461
Voir les deux hagiographies tunisiennes traduites et étudiées par Hady Roger Idris (Manāqib
d’Abū Isḥāq Al-Jabanyānī par Abū l-Qāsim Al-Labīdī et Manāqib de Muḥriz B. Khalaf par Abū
l-Ṭāhir Al-Fārisī, Paris, Presses Universitaires de France, 1959). Voir aussi ‘Ī. Luṭfī, Maghrib
al-mutaṣawwifa min al-qarn 10 ilā al-qarn 17, Tunis, Markaz al-Nashr al-Jāmi‘ī, 2005, p. 49-
86 ; M. Mackeen, « The early history of Sufism in the Maghreb prior to al-Shādhilī », JAOS,
vol. 91, n° 3, 1971, p. 406-407. En exploitant l’hagiographie tunisienne, N. Amri fournit
quelques exemples de ṣulaḥā’ du IVe/Xe qui rassemblent fortement ceux de Fès de la même
époque, notamment par rapport à l’importance du fiqh et du zuhd, à l’invocation exaucée ainsi
qu’à la notion de watad (al-Walāya wa al-mujatama‘…, p. 520-522).
462
Comme l’a remarqué ‘Ī. Luṭfī (Maghrib al-mutaṣawwifa…, p. 52), dans les ouvrages
comme le Riyāḍ al-nufūs d’Abū Bakr ‘Abdallāh al-Mālikī (m. 541/1047), les ascètes
apparaissent comme les défenseurs du sunnisme malékite face aux Shi‘ites et aux ‘Ibadites.
150 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
463
Voir A. T. Karamustafa, Sufism : The formative period, Edinburgh, Edinburgh Univ.
Press, 2007, p. 71-74 ; M. Marin, « The early development of zuhd in al-Andalus », Shia
Islam, Sects, and Sufism: Historical Dimensions, Religious Practice and Methodological
Considerations, F. De Jong dir., Utrecht, Houtsma, 1992, p. 83-94 ; idem, « Zuhhād d’al-
Andalus (300/912-420/1029) », QT, 1991, XII, 439-469. Dans ce dernier article, l’auteur
offre une typologie des zuhhād andalous qui montre une similitude remarquable entre les
cercles spirituels de la péninsule ibérique et de Fès, si ce n’est que les Andalous ont tendance
de s’isoler du milieu savant celui-ci étant plus développé et institutionnalisé qu’au Maroc.
464
La biographie de ce saint traverse toute la littérature historique et hagiographique du
Maroc et de Fès. Voir A. al-Qāḍī ‘Iyāḍ, Tartīb al-madārik wa taqrīb al-masālik li-ma‘rifat
a‘lām madhhab Mālik, Rabat, Wazārat al-Awqāf wa al-Shu’ūn al-Islāmiyya, vol. VI, 1981,
p. 81-82 ; Al-Mustafād…, p. 180-183 ; Qirṭās, p. 45, p. 125 ; Janā zahr al-ās, p. 20-21,
p. 95 ; Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 49-52 ; Salwa, vol. II, p. 197-200.
465
Voir M. Cherif, Al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād…, vol. I, p. 25 ; Muṭrib, p. 42.
466
Voir Salwa, vol. II, p. 197.
Histoire de la sainteté à Fès 151
467
Ibid., p. 198.
468
Le motif de l’envahisseur empêché de prendre la ville par le saint apparaît dans l’histoire
de plusieurs villes sacrées de l’islam, comme la ville de Konya, qui est sauvée par Mawlānā
Jalāl al-Dīn Rūmī (m. 672/1273) lors du siège des Mongols (voir E. Vitray-Meyerovitch,
Rûmî et le soufisme, Paris, Seuil, 1977, p. 68).
469
Il est à noter que l’anecdote est rapportée dans un ouvrage hagiographique du VI e/
XIIe siècle (voir Al-Mustafād…, p. 209.), ce qui montre que l’image de Fès comme ville
sacrée est bien antérieure à la redécouverte de la tombe d’Idrīs II et de la propagande
mérinide comme il est soutenu par Herman L. Beck (L’Image d’Idris II, ses descendants
de Fās et la politique sharīfienne des sultans marīnides).
470
Pour la signification des quatre directions dans la doctrine soufie et leur lien avec la
notion des awtād, voir S. Akkach, Cosmology and Architecture in Premodern Islam, New
York, SUNY, 2005, p. 173-175, p. 186.
471
Coran, LXXVIII, 6-7.
472
S. Akkach, Cosmology and Architecture…, p. 186.
473
M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints…, p. 120.
152 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Darrās Ibn Ismā‘īl et qui sera reproduit dans tous les ouvrages postérieurs
traitant de la fondation de Fès :
« Il y aura une ville du nom de Fès (Fās). Ses habitants sont ceux qui,
dans le Maghreb, ont l’orientation [du temple de La Mecque (al-qibla)]
la plus droite et qui font le plus de prières. Ils sont réunis autour de la
Sunna, du consensus (jamā‘a) et de la voie de la vérité à laquelle ils ne
cessent de se rattacher, n’éprouvant aucune souffrance de la part de ceux
qui s’opposent à eux : Dieu éloignera d’eux ce qu’ils n’aiment pas jusqu’au
Jour de la Résurrection 474 ! »
La thématique du hadith – Sunna, piété, orthodoxie et eschatologie –
semble particulièrement cohérente avec l’invocation d’Idrīs II. En le
rapportant, notre personnage réaffirme, après l’échec politique et l’exode
des Idrissides, le caractère saint de la ville et, précisément, en vertu de la
bénédiction prophétique qui résulte de la prédiction 475.
Le saint et son lieu d’enterrement gardent une valeur symbolique pour
la ville à travers les siècles. Divers sultans restaurent le sanctuaire de « Sīdī
Darrās », qui n’a jamais cessé d’être très visité, puisque l’invocation dans
ce lieu est réputée exaucée. Diverses anecdotes sont rapportées 476 illustrant
le mérite qui s’attache à la visite de la tombe du saint. Ainsi la présence
spirituelle du Prophète ne quitte jamais ce lieu ou, selon d’autres, c’est au
moment du coucher du soleil de chaque jeudi qu’elle s’y manifeste.
« Sīdī Bū Jīda »
Bū Jīda, ou Abū Jīda Ibn Aḥmad al-Yazghītnī 477 (m. 365/975), présente
à peu près les mêmes caractéristiques que son contemporain Ibn Ismā‘īl.
« Pilier » et juriste d’un savoir prodigieux, Abū al-Nūr, « le père de la
lumière », est resté dans la mémoire des habitants de Fès jusqu’à nos
jours. Sa tombe est parmi les sanctuaires les plus célèbres de la ville, et
la porte des remparts très proche porte le nom du saint. Les hagiographes
474
Qirṭās, p. 45. La traduction d’A. Beaumier (p. 40) est manifestement incorrecte ; nous
avons préféré celle de F. Skali (Topologie spirituelle et sociale de la ville de Fès, p. 68).
475
Fès n’est pas le seul cas de bénédiction prophétique liée à un hadith. Ainsi, il est connu que
le ‘alaykum bi-l-Shām du Prophète est encore aujourd’hui considéré comme un indice que la
Syrie est une terre sainte. Le même vaut pour Damas en raison des événements eschatologiques
prédits comme y ayant lieu (voir p. ex. Sh. al-Maqdisī, Faḍā’il al-Shām, Damas, Maktabat
al-Bayrūtī, 2000). Des exemples analogues existent entre d’autres pour l'Egypte et le Yémen.
476
Voir Salwa, vol. II, p. 200.
477
Voir Al-Mustafād…, p. 192 ; Iqtibās, vol. I, p. 107 ; Salwa, vol. III, p. 115-118 où l’auteur
reproduit une quantité considérable d’extraits concernant ce personnage.
Histoire de la sainteté à Fès 153
478
Voir par exemple Salwa, vol. III, p. 116.
479
« Ô mon Dieu, ne les rends pas malheureuses ! »
480
Salwa, vol. III, p. 118.
481
C’est une idée développée particulièrement par l’anthropologue américain Ernest Gellner
dans son Saints of Atlas, Londres, Weidenfeld & Nicholson, 1969.
482
Selon cette théorie, c’est à partir du Xe/XVIe siècle que la figure du « marabout » émerge
dans les sociétés maghrébines. Pour les faiblesses de la notion de « maraboutisme », introduite
par l’historien Alfred Bel (La Religion musulmane en Berbérie, Paris, P. Geuthner, 1938)
et développée dans un sens anthropologique par Clifford Geertz (Islam observed, Chicago,
Univ. of Chicago Press, 1971), voir V. Cornell, op. cit., p. XXV-XXXIII.
154 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Abū Jīda est considéré comme un des grands saints de Fès par les soufis
et les savants du XIIe/XVIIIe siècle, comme ‘Abd al-Raḥmān b. al-Qāḍī
(m. 1082/1671) et al-Masnāwī (m. 1136/1724), qui lui attribue le degré du
quṭb 483. Al-Yūsī (m. 1102/1691) remarque que la visite de sa tombe est
bénéfique pour la mémoire, et c’est pour cela qu’elle est très fréquentée
par les étudiants en sciences religieuses.
483
Al-Mustafād…, p. 209 ; Iqtibās, vol. II, p. 506-507 ; Salwa, vol. III, p. 118.
484
Salwa, vol. II, p. 6
485
Voir Al-Mustafād…, p. 194 ; Iqtibās vol. I, p. 102 ; Salwa, vol. II, p. 125.
486
Al-Mustafād…, p. 194.
Histoire de la sainteté à Fès 155
487
‘A. al-Shādhilī, Al-Taṣawwuf wa al-mujtama‘, Casablanca, Manshūrāt Jāmi‘at al-Ḥasan
al-Thānī, 1989, p. 73.
488
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 48 ; Qirṭās, p. 45, reproduit dans la Salwa (vol. I, p. 3-4).
489
G. Deverdun, « al-Karawiyyīn », EI2, vol. IV, p. 632.
490
Qirṭās, p. 71.
156 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
491
Voir H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas…, p. 86-92.
492
Voir A. Sebti, « Hagiographie du voyage au Maroc médiéval », op. cit., p. 167-179.
493
La recherche de la science, ṭalab al-‘ilm, est à cette époque une entreprise hasardeuse,
qui est parfois associée à la guerre sainte, comme on l’a vu dans le cas de Darrās Ibn
Ismā‘īl. Le rapprochement entre le voyage dans la recherche de la science et le jihād est
envisagé dans les hadiths (voir p. ex. A. al-Ghazālī, Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn, tome II, ch. VII,
« Kitāb ādāb al-safr »). L’aspect initiatique du voyage se perpétuera dans le soufisme en
tant que « pérégrination », la siyāḥa.
494
Voir Tashawwuf, p. 87-89 ; V. Cornell, op. cit., p. 33-39.
Histoire de la sainteté à Fès 157
sainteté sont strictement liées lorsque Fès cherche à réaffirmer, dans une
période d’instabilité, sa vocation de centre intellectuel et spirituel du
Maghreb. C’est une des raisons pour lesquelles c’est à cette époque, au
moment où la sainteté se développe de manière indépendante, que Fès
commence à assumer ce rôle.
Post mortem ces saints continuent à symboliser cette synthèse
exemplaire entre science et sainteté. Le sanctuaire de Darrās Ibn Ismā‘īl,
sans doute un des plus anciens du grand cimetière de Bab al-Futūḥ, le
maṭraḥ al-‘ulamā’ (« la banquette des savants »), est l’objet de vénération
des soufis savants du XIIe/XVIIIe siècle. La tombe de Sīdī Bu Jīda est
visitée par les étudiants en sciences religieuses dans l’espoir que la baraka
du saint puisse couronner leurs études de succès.
Le fait qu’ils personnifient l’instauration d’une tradition spirituelle ne
signifie pourtant pas qu’ils rompent avec le passé de la ville. Étant de
par leur personnalité porteurs d’une science associée à la sainteté, les
ṣulaḥā’ du IVe/Xe siècle consolident et continuent, en effet, les valeurs
exprimées dans l’invocation d’Idrīs II, comme le montre par exemple le
hadith rapporté par Darrās Ibn Ismā‘īl. Si les diverses tentatives de rétablir
un règne idrisside échouent, l’entreprise spirituelle et religio-culturelle 495
dont les fondateurs de Fès ont semé la graine est d’abord perpétuée par
les saints-savants. Ces derniers ne représentent pas une rupture avec les
valeurs fondatrices de l’identité urbaine, mais leur continuité dans un
nouveau contexte historique. La sainteté s’allie ainsi à la science pour
assumer et protéger la sacralité de la ville. Les siècles à venir montreront
l’importance de cette alliance pour la personnalité de Fès, au point qu’un
géographe dira au VIIe/XIIIe siècle que « les habitants [de Fès] sont des
gens lettrés, studieux, et intelligents ; c’est un vrai arsenal où l’on trouve
plus de docteurs, de lettrés, de gens instruits, de chérifs que dans nulle
autre ville 496 ».
495
C’est ce que certains historiens marocains, mettant en avant l’aspect politique,
interprètent comme « da‘wa idrisside », soulignant qu’en vérité la fondation de leur royaume
marocain devait servir comme base pour renverser les Abbasides et instaurer un califat des
descendants du Prophète (voir M. al-Mannūnī, « al-Imām Idrīs al-Awwal min khilāl sīratihi
wa ahdāf da‘watihi », al-Imām Idrīs, Mu’assis al-dawla al-maghribiyya, Rabat, Manshūrāt
Wazāra al-Thaqāfa, 2008, p. 57-67).
496
Il s’agit d’Abū Sa‘īd al-Gharnātī, cité dans M. Shatzmiller, « Les premiers Mérinides et
le milieu religieux de Fès, l’introduction des médersas », SI, n° 43, 1976, p. 111.
158 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
497
Voir É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte et en Syrie sous les derniers Mamelouks et
les premiers Ottomans, orientations spirituelles et enjeux culturelles, p. 110-114. L’auteur
montre notamment le lien entre l’occultation du saint et la fonction des piliers (awtād) et
l’idée de protection de la ville qu’elle comporte.
498
Voir A. al-Iṣfahānī, Ḥilyat al-awliyā wa ṭabaqāt al-aṣfiyā’, Beyrouth, Dār al-Kutub
al-‘Ilmiyya, 1988, vol. I, p. 24.
499
Voir M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints…, p. 113 et p. 137-138 pour les implications
initiatiques du saint « caché ».
Histoire de la sainteté à Fès 159
D’autre part, ces saints archaïques sont présentés comme les porteurs
de la science des salaf, c’est-à-dire un savoir qui est encore préservé des
spéculations théologiques ou des querelles juridiques et dont la raison
d’être est avant tout sa mise en pratique. Darrās Ibn Ismā‘īl constitue le
prototype du savant malékite, champion de la Sunna, alors que Bū Jīda
est un faqīh averti qui utilise sa science pour résoudre les problèmes de
la cité. Dans tous les cas, la science est scrupuleusement mise en pratique,
d’une part, comme moyen pour atteindre le salut individuel et, d’autre part,
pour servir les intérêts de la communauté.
L’ascétisme est un trait commun à tous ces personnages et est garant de
l’authenticité de leur savoir. Ils pratiquent le renoncement (al-zuhd) comme
une discipline spirituelle, mais également, à l’instar des ascètes orientaux,
comme principe de leur comportement vis-à-vis de leur milieu social 500.
Si Ibn Shabba refuse d’accomplir publiquement une prière pour la pluie,
c’est comme un « renoncement » à toute valorisation sociale. L’ascétisme
de Darrās se présente comme une exigence de sincérité et de scrupule
conformément à sa prédilection pour l’étude de la Sunna prophétique.
De même, le motif du saint dont les prières sont exaucées (mujāb
al-du‘ā’), qui apparaît dans les biographies des quatre personnages
évoqués, marque, malgré la dissimulation de leur sainteté, l’élévation
de leur rang spirituel et le rapport privilégié avec Dieu. C’est en effet le
miracle (karāma) par excellence. Il fait de ces saints, de leur vivant et post
mortem, des médiateurs entre les habitants de Fès et Dieu.
Ces traits archétypiques de sainteté, « instaurés », en quelque sorte, par
les saints du IVe/Xe siècle, seront perpétués et adaptés, parfois dépassés,
selon les contextes. Mais ces traits ne cessent de constituer une référence
incontournable pour la tradition spirituelle de Fès en tant que critères pour
les formes de sainteté qui la déterminent. Ainsi on retrouvera par exemple
la figure du savant soucieux des intérêts de la communauté chez un Ibn
‘Abbād al-Rundī (m. 793/1390) et un ‘Abd al-Qādir al-Fāsī (m. 1091/1680).
Au VIe/XIIe siècle, al-Barnūsī dit avoir conclu un pacte avec Mawlāy Idrīs
pour surveiller la ville, ce qui lui vaut le surnom de ḥarrās Mawlāy Idrīs,
et six siècles plus tard, les mausolées des « pôles » comme Aḥmad Ṣaqallī,
‘Alī al-Jamal et Aḥmad al-Tijānī s’ajoutent au sanctuaire de Mawlāy Idrīs
et font de Fès un espace sacré inviolable. Bien que l’occultation (al-sitr, al-
khumūl) soit pratiquée principalement par tous les soufis, elle caractérise, à
500
Voir L. Kinberg, « What is meant by zuhd », SI, 1985, n° 61, p. 27-44.
160 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
501
É. Geoffroy remarque avec justesse que le zuhd « ne représentera plus désormais qu’une
attitude spirituelle parmi d’autres » et que le « le terme taṣawwuf s’affirme en contraste
avec celui de zuhd » (Le Soufisme en Egypte…, p. 287). Si cette évolution s’annonce en
Orient à partir du IIIe/IXe siècle, au Maroc il faut attendre que l’introduction des manuels
du soufisme ait un impact effectif au VIe/XIIe siècle. A l’époque moderne, on trouve des
attitudes contrastées allant de celle d’Aḥmad al-Tijānī qui tend à dévaloriser la notion de
zuhd à la position d’al-‘Arabī al-Darqāwī qui la réhabilite en affirmant sa signification
intérieure (voir notre chapitre « Les facettes de la sainteté »).
502
Évidemment, la Sunna constitue une référence essentielle pour toutes les voies
initiatiques, mais dans les cas évoqués, l’étude des hadiths revêt une importance particulière.
Ces zāwiyas sont de véritables centres pour l’étude des recueils de hadiths.
503
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc, Paris, Perrin, 2009, p. 57-71 ; P. Guichard, « Les
Almoravides », États, sociétés et cultures du monde musulman médiéval : Xe-XVe siècle,
J.C. Garcin, dir., Paris, PUF, 1995, vol. I, p. 205-232.
Histoire de la sainteté à Fès 161
504
Voir V. Cornell, The Way of Abū Madyan, Cambridge, The Islamic Texts Society, 1996.
505
Voir R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat : étude économique et sociale d’une
ville de l’Occident musulman, p. 51-54 ; J.A. Ṭahā, Madīnat Fās fī ‘asr al-Murābiṭīn wa
al-Muwaḥḥidīn, Alexandrie, Dār al-Wafā’, 2001.
506
R. Le Tourneau, « Yusuf Ben Tashfin, second fondateur de Fès ? », Mélanges Mohammed
El Fassi, Rabat, Université Mohamed V, 1967 ; H. Terrasse, « Fās », EI2, vol. II, p. 837-842.
507
F. Skali, Topologie spirituelle et sociale de la ville de Fès, vol. I, p. 85.
162 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
508
Pour l’origine de l’expression murābiṭ et son lien avec les ribats et le soufisme, voir
F. Meier, « Almoraviden und marabute », Die Welt des Islams, vol. 21, n° 1/4, 1981, p. 80-163.
509
Voir Tashawwuf, p. 87-89 ; V. Cornell, op. cit., p. 33-35 ; H.R. Idris, « Deux maîtres de
l’école juridique kairouanaise sous les Zirides : Abu Bakr Ahmad b. ‘Abd al-Rahman et
Abu ‘Imran al-Fasi », AIEO, 1955, p. 28-58.
510
Voir K. Garden, Al-Ghazzālī’s contested Revival : Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn and its critics in
Khorasan and the Maghrib, thèse de doctorat, Univ. of Chicago, 2005, p. 152-155. Pour
la figure du cadi à l’époque almoravide et son aspect politique, voir M. Fierro, « The qadi
as ruler », Saber Religioso y Poder Político en el Islam, Madrid, Agencia Española de
Cooperación Internacional, 1994, p. 71-116.
511
Pour les différentes sources qui relatent cet événement, voir K. Garden, Al-Ghazzālī’s
contested Revival…, p. 155-166.
512
M. al-Maghrāwī, « Fatwā Abī al-Faḍl b. al-Naḥwī ḥawl kitāb Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn li-
l-imām Abī Ḥāmid al-Ghazālī », Mutanawwa‘āt Muḥammad Ḥijjī, Rabat, Dār al-Gharb
al-Islāmī, p. 117.
Histoire de la sainteté à Fès 163
l’étude du Saint Livre et des Traditions (Hadith) […] et l’on allait alors
jusqu’à traiter d’impie quiconque s’adonnait à l’une ou l’autre branche de la
philosophie scolastique 513 ». L’ouvrage de Ghazālī, véhiculant de nouvelles
approches intellectuelles et spirituelles, met en danger l’unité religieuse du
royaume qui constitue, en effet, le ciment du règne almoravide 514.
L’hostilité envers l’ouvrage le plus célèbre dans les cercles soufis
de l’époque est également la conséquence du soupçon que les autorités
religieuses nourrissent contre ceux qui le lisent, c’est-à-dire certains soufis
andalus comme Ibn Barrajān (m. 536/1141), connu comme « le Ghazālī
de l’Andalus ». La popularité de ce dernier auprès de la population 515 lui
attire, ainsi qu’à son compagnon Ibn al-‘Arīf (m. 536/1141), la suspicion
de la cour almoravide et les amène à être exécutés à Marrakech 516. Un
présumé disciple d’Ibn Barrajān, Abū al-Qāsim Aḥmad Ibn Qasī (m.
546/1151) finit par organiser une révolte dans l’Algarve, connue comme
la révolte des Murīdūn 517, et favorise ainsi l’arrivée des Almohades en
Espagne. A Fès, le conflit est moins sanglant, mais des saints comme Ibn
al-Naḥwī (m. 513/1119), qui entretient des contacts avec Ibn Barrajān et
Ibn al-‘Arīf, manifestent ouvertement leur refus de renoncer à l’Iḥyā’. Les
Ibn Ḥirzihim se profilent comme les défenseurs de l’ouvrage ghazalien et
font de Fès le centre d’un soufisme fortement influencé par l’Iḥyā’.
Cependant, il serait sans doute excessif de voir une opposition
systématique entre les cercles soufis et les Almoravides. Certains
513
C’est une citation de l’historien ‘Abd al-Mālik al-Marrākūshī (m. 703/1304), par
P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. xvii.
514
Pour A. Laroui, l’appartenance d’al-Ghazālī au shaféisme et le dogmatisme juridique
des savants malékites sont les raisons principales de l’autodafé de son œuvre (l’Histoire
du Maghreb : un essai de synthèse, p. 158). Selon K. Garden (Al-Ghazzālī’s contested
Revival…, p. 194), c’est la critique que l’Iḥyā’ avance contre les fuqahā’ et la revendication
de la supériorité du soufisme face aux autres sciences qui poussent les dirigeants almoravides
à le condamner. Au Maghreb du VIe/XIIe siècle, la figure d’al-Ghazālī est considérée comme
l’emblème du soufisme, et en le condamnant les Almoravides marquent leur hostilité envers
un milieu qu’ils jugent désormais comme potentiellement subversif. L’auteur (p. 167)
relativise également les thèses d’I. Goldziher et de V. Cornell selon lesquelles les uṣūl al-
fiqh seraient au cœur du conflit entre les soufis et les fuqahā’ almoravides.
515
Il est dit être reconnu comme imām par 130 villages andalous (voir A. Faure, « Ibn
Barradjān », EI2, vol. III, p. 754-755).
516
À propos de cet incident, voir D. Gril, « La lecture « supérieure » du Coran selon Ibn
Barrajān », ARA, vol. 47, n° 3, 2000, p. 511-512.
517
Voir V. Lagardère, « La tariqa et la révolte des Murīdūn en 539h/1144 en Andalus »,
ROMM, 1983, n° 35, p. 157-170.
164 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
personnages ayant une relation plus ou moins directe avec ces derniers,
comme Abū Bakr al-Ma‘āfirī 518 (m. 543/1149) et les muḥaddithūn de Sabta,
s’engagent dans une défense du mouvement almoravide et de son alliance
avec le malékisme. Son fameux disciple, le Qāḍī ‘Iyāḍ (m. 544/1150)
de Sabta, est un opposant au régime almohade 519. Ce dernier attaque le
malékisme almoravide en se référant à la théologie ash‘arite d’al-Ghazālī.
La doctrine mahdiste des Almohades n’est d’ailleurs à aucun moment
acceptée par les cercles soufis, et ces derniers semblent avoir entretenu des
doutes quant à l’orthodoxie de ce mouvement politico-religieux.
518
On voit la complexité de l’affaire dans le fait que ce personnage est un des disciples
maghrébins les plus proches d’al-Ghazālī. En effet, c’est grâce aux renseignements d’al-
Ma‘āfirī que le théologien de Nishapur décide de faire l’éloge du sultan almoravide Ibn
Tashfīn.
519
Voir H. E. Kassis, « Qāḍī ‘Iyāḍ’s Rebellion against the Almohads in Sabtah (a.h. 542-
543/a.d. 1147-1148) », JAOS, vol. 103, n° 3, 1983, p. 504- 514.
520
Voir V. Cornell, Realm of the Saint..., p. 40-49 ; H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas
au Maghreb, p. 97-102 ; M. al-Māzūnī, « Ribāṭ Tīṭ - min al-ta’sīs ilā ẓuhūr al-ḥarakat
al-jazūliyya », Al-Ribāṭāt wa al-zawāyā fī tārīkh al-Maghrib, N. al-Dhahabī, dir., Rabat,
faculté de Sciences humaines et sociales, 1997, p. 25-52 ; M. Miftāḥ, Al-Khiṭāb al-ṣūfī :
muqāraba wa waẓīfa, p. 147-152 ; M. al-Shayāẓimī, Tārīkh madīnat Tīṭ, Rabat, al-Ma‘ārif
al-Jadīda, 2003. Comme source hagiographique, voir M. al-Zammūrī, Bahjat al-nāẓirīn
wa uns al-‘ārifīn wa wasīlat Rabb al-‘ālamīn fī manāqib rijāl Amghār al-ṣāliḥīn, ms.,
BR, n° 1358.
521
V. Cornell, op. cit., p. 46.
Histoire de la sainteté à Fès 165
522
Voir Tashawwuf, p. 95-101 ; M. al-Maghrāwī, « Fatwā Abī al-Faḍl b. al-Naḥwī ḥawl
kitāb Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn li-l-imām Abī Ḥāmid al-Ghazālī » ; M. al-Azhar Bāy, Ibn al-Naḥwī :
ḥayātuhu wa athāruhu, Tunis, Ḥawliyāt al-Jāmi‘a al-Tūnīsiyya, 1983.
166 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
523
Voir Tashawwuf, p. 99.
524
Cette supplication en forme poétique véhicule sous une forme populaire l’enseignement
soufi en s’appuyant notamment sur la notion du riḍā bi-l-qaḍā’ : « la satisfaction du décret
divin ».
525
Rawḍ al-Qirṭās, p. 41.
Histoire de la sainteté à Fès 167
526
Traduit par A. Beaumier, Histoire des souverains du Maghreb et annales de la ville de
Fès, p. 37.
527
Voir Uns al-faqīr, p. 80 ; Rawḍ al-‘aṭir, p. 322-323 ; Salwa, vol. III, p. 244-251. On
trouve une biographie et une bibliographie détaillée dans V. Lagardère, « La haute judicature
à l’époque almoravide en al-Andalus », QT, n° VII, 1986, p. 195-215 ; idem, « Abū Bakr
R. Al ‘Arabi, grand cadi de Séville », ROMM, n° 40, 1985, p. 91-102.
528
Il a composé entre autres un commentaire coranique de 80 volumes contenant
80 000 pages, l’Anwār al-fajr fī tafsīr al-Qur’ān (voir V. Lagardère, « Abū Bakr R. Al
‘Arabi, grand cadi de Séville », idem, p. 99). Voir son volumineux traité sur les méthodes
d’interprétation théologique Qanūn al-ta’wīl, Beyrouth, Mu’assasat ‘Ulūm al-Qur’ān, 1990.
529
Voir K. Garden, Al-Ghazzālī’s contested Revival…, p. 160-161.
530
V. Lagardère, « La haute judicature à l’époque almoravide en al-Andalus », op. cit.,
p. 203.
531
P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda…, p. Xl.
168 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
532
Voir Tashawwuf, p. 209-211 ; V. Cornell, op. cit., p. 43 et suiv.
533
Voir V. Cornell, op. cit., p. 46 ; V. Lagardère, « Abû Bakr R. Al ‘Arabi, grand cadi de
Séville », p. 99. L’ouvrage a été édité récemment (Beyrouth, Dār Ibn Ḥazm, 2009).
534
Voir Salwa, vol. III, p. 244. Voir aussi A. Benabdellah, « Fès, héritière de Cordoue », Fās,
manba‘ al-ish‘ā‘ fī al-qārra al-ifrīqiyya, Rabat, Imprimerie Royale, 2001, vol. II, p. 866.
535
Voir Salwa, vol. III, 250.
536
Ibid.
537
Pour d’autres, le cadi andalou serait même un des maîtres d’Abū Ya‘zā (voir Ma‘zā,
p. 133).
Histoire de la sainteté à Fès 169
538
Voir al-Mustafād…, vol. II, p. 183-184 ; Tashawwuf, p. 94 ; Rawḍ al-qirṭās, p. 37 ;
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 56-58 ; Salwa, vol. III, p. 87-89.
539
C’est-à-dire : « Il fait lui-même parti des abdāl (substituts) » et donc de la hiérarchie
initiatique.
540
Al-Mustafād…, p. 183-184.
541
Voir ibid. Pour les problèmes de datation voir Salwa, vol. III, p. 88-89.
542
Le Caire, al-Maktabat al-Azhariyya li-l-Turāth, 2002.
170 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
543
Voir notamment A. al-Wārith, « Sayyidī Ḥarāzim wa al-ṭarīqat al-suhrawardiyya »,
Mélanges Halima Ferhat, Rabat, Institut des Recherches africaines, 2005, p. 7-41.
544
K. Garden remarque : « There is good evidence that the catalyst for the sudden
florescence of Sufism in the mid 6th/12th century was Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn (p. 147). » Pour
une étude détaillée de la réception de cet ouvrage, voir la thèse de cet auteur (K. Garden,
al-Ghazzālī’s contested Revival…).
545
La Sāḥiliyya de Muḥammad Abū ‘Abdallāh al-Sāḥilī (m. 754/1353) de Malaga se
réclame de la filiation des Ibn Ḥirzihim. Voir Bughiyat al-sālik fī ashraf al-masālik, Rabat,
Wazārat al-Awqāf, 2 vol.
546
Voir al-Mustafād…, vol. II, p. 15-28 ; Tashawwuf, p. 168-173 ; Salwa, vol. III, p. 90-94 ;
V. Cornell, op. cit., p. 24-26.
547
Voir A. Faure, « Ibn Ḥirzihim », EI2, vol. III, p. 823-824 ; Tashawwuf, p. 170.
548
Voir Tashawwuf, p. 172.
Histoire de la sainteté à Fès 171
549
Al-Mustafād…, vol. II, p. 15 ; Al-Rawḍ al-‘atir, p. 58.
550
Voir Minaḥ, p. 168, note 10.
551
Ibid., p. 122.
552
Voir S.J. Trimingham, The Sufi Orders in Islam, Oxford, Clarendon Press, 1971, p. 33-37.
553
En effet, c’est son neveu Abū Ḥafṣ ‘Umar al-Suhrawardī (m. 632/1234) qui est considéré
comme le véritable fondateur de la Suhrawardiyya en tant que confrérie.
554
Voir Al-Mustafād…, p. 15-28.
172 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
555
Ibid., p. 15-16.
556
C’est un adage qu’on trouve dans tous les manuels soufis, voir p. ex. ‘Abd al-Karīm
al-Qushayrī, Al-Risālat al-qushayriyya, le Caire, Dār al-Sha‘b, 1989, p. 410.
557
Cela est particulièrement visible dans un poème qui lui est attribué, voir V. Cornell, The
Way of Abū Madyan, p. 176-179.
Histoire de la sainteté à Fès 173
558
Voir Al-Mustafād…, p. 105-111.
559
On trouvera les biographies d’autres saints de l’époque dans le Al-Mustafād… et le
Tashawwuf. Le Rawḍ al-‘aṭir et la Salwa offrent parfois des informations supplémentaires.
174 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Abū Jabal Ya‘lā 560 (m. 503/1109-10), connu aussi comme Abū Drār,
est un boucher auquel on attribue selon al-Tādilī le rang de badal.
A ses débuts, il est connu pour son scrupule intransigeant par rapport à
l’origine licite de la viande qu’il propose à la vente. Pendant douze ans,
il passe son temps entre la mosquée du quartier et sa boucherie où ses
« disciples » lui préparaient les moutons pour la vente. Lorsqu’il entend
parler des saints d’Aghmāt, il les rejoint aussitôt pour huit ans. Puis, afin
d’accomplir le pèlerinage, Ya‘lā se rend à La Mecque où il reste encore
huit ans. Après avoir passé quelque temps en errance dans le désert où
il est nourri par un personnage mystérieux, il rencontre au Caire Abū
al-Faḍl ‘Abdallāh al-Jawharī 561 (m. 480/1087). Ce dernier explique que le
personnage rencontré dans le désert n’était autre qu’al-Khiḍr et que celui-
ci lui a annoncé que Ya‘lā, qui s’appellera désormais Abū Jabal (« le père
de la montagne »), rejoindra les abdāl. Le saint raconte : « Quand il me
l’annonça, je désirai rejoindre ma famille et mon pays, et je lui demandai
de pouvoir retourner dans ma patrie 562. » A Fès il devient réputé pour
sa sainteté. Il fait disparaître un ulcère de la tête d’un de ses visiteurs
et explique à un autre que les anges viennent de partir à cause de son
état d’impureté rituelle. Une ruelle 563 et une mosquée portent encore
aujourd’hui son nom, étant le lieu supposé où le saint aurait habité et
fait ses retraites spirituelles. Abū al-Ḥasan Ibn Ḥirzihim transmet à ses
disciples certaines anecdotes du saint, ce qui montre la considération qui
lui est accordée par les soufis contemporains.
Abū Khazar Yakhluf b. Khazar al-Awrabī 564 (m. 572/1176-77) est
un spécialiste dans les questions du droit et « absorbé dans son instant
(waqt), il ignore les occupations de ses contemporains 565 ». Les anecdotes
560
Voir Al-Mustafād…, p. 189 ; Tashawwuf, p. 101-105 ; Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 291-294 ;
Salwa, vol. III, p. 197-199.
561
Il s’agit d’un soufi égyptien notoire, décédé en 480/1087 (voir Y. b. I. al-Nabahānī, Jāmi‘
karamāt al-awliyā’, Beyrouth, Dār al-Fikr, 1991, vol. I, p. 286). Sa filiation initiatique
remonte, selon le Mināh al-bādiya (voir p. 127) de Muḥammad al-Ṣaghīr al-Fāsī, à Abū
al-Ḥassan al-Nūrī (m. 295/907-908).
562
Tashawwuf, p. 103 (trad., p. 88).
563
Il est possible que la ruelle portant le nom de « Derb Sīdī Ya‘lā » ne soit pas celle évoquée
par l’auteur de la Salwa à propos d’un autre saint descendant de Muḥammad b. Idrīs connu
comme « Sīdī Ya‘lā » (voir Salwa, vol. I, p. 271-272).
564
Voir Al-Mustafād…, p. 97-100 ; Tashawwuf, p. 177 ; Uns al-faqīr, p. 23 ; Al-Rawḍ
al-‘atir, p. 204-206 ; Salwa, vol. III, p. 49.
565
Al-Mustafād…, p. 98.
Histoire de la sainteté à Fès 175
566
Voir Tashawwuf, p. 178.
567
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 206.
568
Salwa, vol. II, p. 21-27.
569
Voir p. ex. H. Gaillard, Fès, une ville de l’islam, p. 135-136.
570
Salwa, vol. II, p. 22.
571
Ibid., p. 21.
176 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
572
Voir al-Mustafād…, p. 186-189 ; Tashawwuf, p. 156 ; Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 266-271 ;
A. Bel, « Sidi Bou Medyan et son maître Ed-Daqqāq de Fès », Mélanges René Basset, Paris,
E. Leroux, 1923, vol. I, p. 57-68 ; V. Cornell, Realm of the Saint…, p. 29-30.
573
Al-Mustafād…, vol. II, p. 186.
574
Voir V. Cornell, op. cit., p. 29.
575
Ibid., p. 187.
576
Voir C. Addas, Ibn Arabī et le voyage sans retour, Paris, Gallimard, 1996, p. 166, note
n° 1.
577
Al-Futūḥāt al-makkiyya fī ma‘rifat al-asrār al-malakiyyat wa al-mālikiyya, le Caire,
Dār Sādir, 1329 hég., vol. IV, p. 503.
578
Ibid., vol. I, p. 244.
579
Tashawwuf, p. 157.
580
Voir A. Bel, « Sidi Bou Medyan et son maître Ed-Daqqāq de Fès », op. cit., p. 40-43.
Histoire de la sainteté à Fès 177
avoir été très notoire parmi les habitants de Fès, bien que les données
hagiographiques soulignent le caractère exceptionnel de sa personnalité.
Ses maîtres sont, selon Ibn ‘Ayshūn 581, de Sijilmassa, et al-Daqqāq est
sans doute un de ces personnages qui assurent la correspondance entre
les cercles soufis de la métropole caravanière et Fès. Ce saint apparaît en
effet comme le représentant d’une méthode initiatique particulière d’un
haut niveau. C’est Abū Madyan qui en sera l’héritier et qui l’intégrera
dans une « voie » qui déterminera la vie spirituelle du Maghreb jusqu’à
l’avènement du shādhilisme.
581
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 266.
582
Voir Tashawwuf, p. 228-229 ; Uns al-faqīr, p. 63 ; Salwa, vol. II, p. 28-30.
583
Salwa, vol. II, p. 29.
584
Voir Tashawwuf, p. 118-125.
585
Voir Ma‘zā, p. 138-139 ; H. Ferhat, Le soufisme et les zaouyas…, p. 145.
586
Voir M. Asin Palacios, Ibn al-‘Arīf, Maḥāsin al-majālis, Paris, Geuthner, 1933, p. 3-8 ;
idem, The Mystical Philosophy of Ibn Masarra and his Followers, Leyde, Brill, 1978 ;
V. Cornell, Realm of the Saint…, p. 19-21.
178 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
comme « des maladies que les choisis ont honte de souffrir et des causes
occasionnelles, qu’ils tâchent d’éliminer 587 » du fait qu’ils constituent un
voile à l’égard de Dieu. La prétention et la volonté individuelle, même si
elles sont louables et concernent le cheminement spirituel, contreviennent
aux convenances que les connaissants doivent respecter par rapport à la
Présence divine :
« II ne leur reste, dans leurs relations avec Dieu, ni volonté, ni par rapport
à ses dons, désir quelconque de les voir augmentés. Dieu est le seul but
de leurs aspirations et le terme de leurs désirs. Ils croient que tout ce qui
n’est point Lui est un obstacle qui les sépare de Lui 588. »
Cet enseignement, basé sur une compréhension initiatique du tawḥīd,
trouvera, en passant par Abū Madyan, une vulgarisation importante avec
l’avènement du shādhilisme, tel qu’il est formulé dans l’œuvre d’Ibn ‘Aṭā’
Allāh al-Iskandarī (m. 709/1309), notamment dans le Tanwīr fī isqāṭ al-
tadbīr 589.
587
M. Asin Palacios, Ibn al-‘Arīf…, p. 56.
588
Ibid.
589
T. Ibn ‘Aṭā’Allāh al-Iskandarī, al-Tanwīr fī isqāṭ al-tadbīr, 3 e éd., Beyrouth, Dār
al-Bayrūtī, 2002, p. 52-55.
590
Voir V. Cornell, The Way of Abū Madyan. Pour la période de Fès, voir A. Bel, « Sidi
Bou Medyan et son maître Ed-Daqqāq à Fès », op. cit., p. 31-68. Voir aussi l’Uns al-faqīr
où Ibn Qunfudh traite des maîtres et des disciples d’Abū Madyan et présente quelques-uns
de ses sentences et traités, puis al-Mustafād…, p. 41-45 ; Tashawwuf, p. 319-326 ; Ma‘azā,
p. 105-133 ; Salwa, vol. I, p. 416-418.
591
Voir Uns al-faqīr, p. 64.
Histoire de la sainteté à Fès 179
592
Tashawwuf, p. 322.
593
Al-Mustafād…, p. 42-43.
594
Ma‘zā, p. 108.
595
C’est le « combat intérieur » contre les vices et les habitudes de l’âme.
596
Tashawwuf, p. 214.
597
The Way of Abū Madyan…, p. 7.
180 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
598
Voir G. Elmore, « Ibn al’Arabī’s « cinquian » on a poem of Abū Madyan », ARA, vol. 46,
n° 1, 1999, p. 64.
599
C’est un fait qui a déjà été remarqué par H. Ferhat (Le Soufisme et les zaouyas…, p. 3).
Histoire de la sainteté à Fès 181
600
La figure du khādim (« serviteur ») du saint est déjà connue, puisque le transmetteur
d’une anecdote à propos d’Abū al-Ḥasan‘Alī Ibn Ḥirzihim est identifié comme son khādim
(voir Tashawwuf, p. 173) ainsi que le transmetteur relatif à Abū ‘Abdallāh Muḥammad
al-Andalusī (ibid., p. 126).
601
L’œuvre d’Abū ‘Abd al-Raḥmān al-Sulamī (325/937-412/1021) et la formation du
soufisme, p. 59.
602
Voir Uns al-faqīr, p. 106 et suiv.
603
Salwa, vol. III, p. 215. Cette anecdote se trouve dans le Kitāb al-Isfār d’Ibn al-‘Arabī
(voir M. Ibn al-‘Arabī, Le Dévoilement des effets du voyage, 3e éd., édité, traduit et présenté
par Denis Gril, Paris, Éditions de l’Éclat, 2004, p. 68-69).
604
Voir D. Gril, « Le saint fondateur », Les Voies d’Allah, les ordres mystiques dans l’islam
des origines à aujourd’hui, p. 104-120.
182 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
605
On ne sait pas avec certitude qui est visé par l’expression ahl al-ṣalāḥ, « les gens de la
vertu et de la sainteté », que l’on rencontre notamment dans al-Mustafād… d’al-Tamīmī.
Le terme murīd (« aspirant, adepte ») apparaît quatre fois (voir index des termes soufis,
al-Mustafād…, p. 240).
606
Abū al-Ḥasan, remarque al-Tamīmī (al-Mustafād…, p. 16), est expert dans la science
du taṣawwuf comme dans les autres disciplines islamiques.
607
Al-Mustafād…, p. 111-112.
608
Tashawwuf, p. 157.
Histoire de la sainteté à Fès 183
609
Al-Mustafād…, p. 188.
610
Ibid., p. 77.
611
Voir p. ex. ibid., p. 88, p. 135, p. 189.
612
Le terme revient neuf fois dans al-Mustafād…
613
D’ailleurs, le watad (« pilier ») est aussi un badal (« substitut »), alors que le contraire
n’est pas vrai. A travers le premier, Dieu protège une des quatre directions de l’espace, alors
que par le deuxième, dont il existe toujours sept, Il garde un des sept climats.
614
M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints : prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn
Arabī, p. 116 et suiv. ; voir aussi p. 129-130.
615
D. Aigle, « Le statut du miracle dans l’islam », op. cit., p. 286-287.
184 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
616
Al-Mustafād…, p. 143-145.
617
Tashawwuf, p. 157.
618
Voir p. ex. al-Mustafād…, p. 68, p. 87, p. 155.
619
Le compagnonnage (ṣuḥba) du maître est alors considéré comme supérieur au voyage,
voir ‘U. al-Suhrawardī, ‘Awārif al-ma‘ārif, le Caire, Maktabat al-Thaqafat al-Dīniyya,
2006, vol. II, p. 137 et suiv.
Histoire de la sainteté à Fès 185
620
Fait relevé par H. Ferhat.
621
Ce terme apparaît fréquemment dans al-Mustafād….
622
‘U. al-Suhrawardī, ‘Awārif al-ma‘ārif, vol. II, p. 135. Cette idée forme également une
notion-clé d’un ouvrage d’Ibn al-‘Arabī (voir Le Dévoilement des effets du voyage…).
A propos de la notion de maîtrise de l’espace comme motif hagiographique du voyage, voir
A. Sebti, « Hagiographie du voyage au Maroc médiéval », op. cit., p. 167-179.
623
M. Mackeen, « The early history of Sufism in the Maghreb prior to al-Shādhilī »,
op. cit., p. 478-484.
624
M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints…, p. 43.
186 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
625
Le Sceau des saints…, p. 221.
626
L’œuvre d’Abū ‘Abd al-Raḥmān al-Sulamī…, p. 83.
627
Al-Mustafād…, p. 157.
628
D. Gril, La Risāla de Safi al-Dīn Ibn Abī l-Mansūr : biographies des maîtres spirituels
connus par un cheikh égyptien du VIIe/XIIIe siècle, le Caire, IFAO, 1986, p. 50.
629
Pour le lien entre futuwwa et ṣidq, voir J.J. Thibon, L’œuvre d’Abū ‘Abd al-Raḥmān
al-Sulamī…, p. 235-236. Pour le rôle de la sincérité dans la réalisation spirituelle d’après
Abū Sa‘īd al-Kharrāz (m. 286/899), voir A.J. Arberry, The book of truthfulness, Londres,
New York & Bombay, Humphrey Milford Oxford Univ. Press, 1937.
630
Al-Mustafād…, p. 44.
Histoire de la sainteté à Fès 187
Nous avons vu qu’al-Daqqāq pratique une voie basée sur cette vertu.
Or, le terme ṣidq ne se trouve qu’assez rarement dans le Mustafād,
mais, en effet, la plupart des anecdotes offrent une leçon de sincérité.
Harmonie entre l’extérieur et l’intérieur, la sincérité exige de ne pas
craindre d’exprimer son opinion dans des situations difficiles comme un
Ibn al-Naḥwī et de faire preuve d’humilité envers les membres les plus
faibles de la société comme Abū al-Ḥasan Ibn Ḥirzihim lorsqu’il reconnaît
s’être mal comporté envers des enfants qui le dérangent.
631
Pour une vue d’ensemble des manuels et des hagiographies soufis dont il est question
ici, voir A.T. Karamustafa, Sufism : The Formative Period, Edinburgh, Edinburgh Univ.
Press, 2007, p. 83 et suiv.
632
Al-Mustafād…, p. 155.
188 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
633
Ibid., p. 177.
634
Ibid., p. 177-178.
635
Ibid., p. 148.
636
Voir p. ex. ibid., p. 168-169, où il s’agit d’une rābiṭa en dehors de Bāb al-Jīsa et d’une
autre à l’extérieur de Bāb Īṣlaytan.
637
A.T. Karamustafa, Sufism…, p. 89-90.
638
Voir l’index des hadiths (vol. II, p. 217).
639
Al-Mustafād…, p. 161.
Histoire de la sainteté à Fès 189
Prophète conseillait cela à ses compagnons 640. Ibn Ghālib est sans doute
le représentant d’une nouvelle tendance consistant à émanciper le hadith
du fiqh, et c’est pour cela qu’il choisit le recueil d’al-Tirmidhī, connu pour
laisser une place importante aux hadiths non juridiques.
640
Voir ibid., p. 17-18.
190 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
641
Tashawwuf, p. 109.
Histoire de la sainteté à Fès 191
642
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc, p. 72-113 ; R. Bourouiba, Ibn Tumart, Alger, SNED,
1974 ; M. Garcia-Arenal, Messianism and Puritanical Reform : Mahdis of the Muslim West,
Leyde, Brill, 2006 ; D. Urvoy, « La pensée d’Ibn Tūmart », BEO, 1974, n° xxvii, 19-44. Sur
le mouvement almohade en général, voir M.I. Fierro, The Almohad Revolution : Politics and
Religion in the Islamic West during the Twelfth-Thirteenth Centuries, Farnham, Ashgate, 2012.
643
C’est le fait de déclarer quelqu’un incroyant (kāfir).
644
Voir Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord : des origines à 1830, p. 444-448 ;
A. Laroui, L’Histoire du Maghreb : un essai de synthèse, p. 166-167.
645
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 80-89.
192 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
646
Voir J. Dreher, « L’Imāmat d’Ibn Qasi à Mértola (automne 1144 - été 1145) : légitimité
d’une domination soufie ? », MIDEO, n° 18, 1988, p. 195-210.
647
Voir M. Cherif, al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād…, vol. I, p. 42.
648
Voir Ibid., p. 242.
649
Topologie spirituelle et sociale de la ville de Fès, p. 95-96.
Histoire de la sainteté à Fès 193
650
V. Cornell, Realm of the Saint…, p. 98.
651
R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat, étude économique et sociale d’une ville de
l’Occident musulman, p. 59.
194 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
652
Voir Aḥmad b. Muḥammad al-‘Azafī, Da‘āmat al-yaqīn wa za‘āmat al-muttaqīn, Rabat,
Maktabat Khidmat al-Kitāb, 1989 ; Al-Mustafād…, p. 28-40 ; Tashawwuf, p. 213-222 ;
Salwa, vol. I, p. 186-189 ; V. Loubignac, « Un saint berbère : Moulay Bou‘azza, histoire
et légende », Hespéris, 1944, n° 31, p. 15 et suiv. ; H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas
au Maghreb, p. 102-109. Le passage d’al-Mustafād… a été traduit, voir K. Honerkamp,
« Tamīmī’s Eyewitness Account of Abū Ya‘zā Yallanūr », Tales of God’s Friends, p. 30-46.
653
Après le décès du saint, le pèlerinage à son sanctuaire se fait notamment le jour du ‘Īd
al-Fiṭr, à la fin du mois de Ramadan (voir al-Mustafād…, p. 29, note 63).
654
Voir Tashawwuf, p. 146-150. Selon V. Cornell (op. cit., p. 54-57), la filiation d’Abū
Ya‘zā remonte à travers al-Wayḥlān à Abū al-Ḥusayn al-Nūrī (m. 295/907), le compagnon
du fameux saint de Bagdad, Abū al-Qāsim al-Junayd (m. 297/911).
Histoire de la sainteté à Fès 195
655
Tashawwuf, p. 146.
656
Voir Tashawwuf, p. 187-192 ; Uns al-faqīr, p. 57-63.
657
Voir V. Cornell, op. cit., p. 57-62 ; H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas…, p. 112-113.
La recherche distingue par rapport au soufisme de l’époque entre une tradition rurale
sud-marocaine et une tradition urbaine d’origine andalouse, remontant à l’école d’Almeria.
196 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
658
Voir Ma‘zā, p. 105 et suiv.
659
V. Cornell (The Way of Abū Madyan, p. 181-187) a traduit la seule trace écrite du saint.
Il s’agit probablement de la transcription d’un enseignement oral par un de ses disciples.
660
Tashawwuf, p. 215.
661
Al-Mustafād…, p. 28.
Histoire de la sainteté à Fès 197
662
Ibid., p. 36.
663
Ibid., p. 39.
664
Voir Ma‘zā, p. 88.
665
P. 38-39.
666
Tashawwuf, p. 170 et suiv.
198 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
dise : Tu es cela, ton but est ceci et tu es venu pour cela 667 ». Abū Ya‘zā
peut également reconnaître si quelqu’un s’apprête à accomplir une prière
sans être en état de pureté rituelle.
Il est intéressant de noter qu’Abū Ya‘zā est associé à plusieurs reprises
à son fameux contemporain oriental, ‘Abd al-Qādir al-Jīlanī (m. 561/1166).
On attribue aux deux saints le don de secourir post mortem ceux qui font
appel à leur intercession 668. Les deux saints exercent-ils la même fonction,
l’un pour l’Orient et l’autre pour l’Occident musulman, bien que leur profil
soit assez différent ? L’association des deux personnages est d’autant plus
significative qu’Abū Madyan est considéré comme rattaché à tous les
deux 669. On sait que l’avènement d’al-Jīlanī a préfiguré la constitution des
ordres soufis orientaux, mais on ne peut dire la même chose d’Abū Ya‘zā.
C’est plutôt le fait d’être doté de pouvoirs initiatiques très apparents qui
est commun aux deux personnages, ainsi que le rôle de dispensateur du
secours spirituel, notamment après leur existence terrestre.
Conformément au rang spirituel d’Abū Ya‘zā, l’éducation qu’il donne à
ses proches disciples est particulièrement exigeante. Quand Abū Madyan
arrive avec les autres fuqarā’ à la montagne du saint, il est soumis à une
épreuve initiatique :
« Lorsque nous arrivâmes, il reçut le groupe, à l’exception de moi-même.
Il leur présenta de la nourriture et m’empêcha d’en manger avec eux.
Quand la nourriture fut servie, je me levai vers elle, mais il m’en écarta.
Je me dis alors : « Ceux-là, il les reçoit parce qu’ils viennent de cette rive
[marocaine], alors que moi je suis andalou. »
« Je restai ainsi trois jours. La faim et l’indigence m’accablèrent. Puis je
me dis : « Quand le maître se lèvera de sa place, j’essuierai mon visage
dans ce lieu. » Il se leva et j’essuyai mon visage. Quand je me levai, je ne
vis plus rien. Je me dis alors : « Je suis devenu aveugle ! » Je restai toute
la nuit en pleurant et en implorant Dieu. Quand je me réveillai, il m’appela
en me disant : Approche-toi, Andalous. » Je m’approchai et lui dis que je
ne voyais plus rien et que j’étais devenu aveugle. Il frotta alors ses mains
sur mes yeux et ma vue revint, puis il frotta ses mains sur ma poitrine. Il
dit aux autres : « Celui-là parviendra à telle et telle chose. » 670 »
667
Al-Mustafād…, p. 87.
668
Voir p. ex. ibid., p. 90, p. 134.
669
Cela a été contesté historiquement, voir V. Cornell, op. cit., p. 10.
670
Uns al-faqīr, p. 49.
Histoire de la sainteté à Fès 199
Abū Madyan visite encore souvent son maître et devient son représentant
à Fès ainsi que son défenseur face aux critiques de certains oulémas. Cette
critique traduit un certain conflit entre la tradition savante qui domine
la ville à cette époque et le type de soufisme incarné par Abū Ya‘zā.
Le parcours d’Abū Madyan le montre bien. Si c’est à Fès qu’il reçoit sa
formation intellectuelle et la tradition ghazalienne du soufisme oriental
et andalou, il doit quitter la ville pour achever sa réalisation spirituelle.
Le soufisme, attaché, grâce à la Qarawiyyīn, à la tradition savante, est
ainsi complété par un soufisme fondé sur l’inspiration et sortant du cadre
urbain et savant. Après avoir assimilé l’enseignement du saint illettré,
Abū Madyan revient à Fès pour l’adapter et pour le rendre accessible à
un public plus large.
Abū Ya‘zā atteint selon ses biographes 671 l’âge d’environ cent trente
ans. Son tombeau, situé dans un village qui porte le nom de « Moulay
Bouazza », constitue un des lieux de pèlerinage les plus importants du
Maroc. Immortalisé par les diverses hagiographies et notices qui lui sont
consacrées, il personnifie le modèle du saint illettré (ummī) 672, qui aura
encore maints représentants à Fès. A part l’influence qu’il exerce sur les
milieux soufis du pays, l’importance d’Abū Ya‘zā réside dans le fait qu’il
démontre la nature inspirée de la sainteté et ainsi le lien entre cette dernière
et la fonction prophétique. Ce qui est pour le Prophète la Révélation
(al-waḥy) correspond chez le saint à l’inspiration (al-ilhām), alors que
les savants ordinaires n’accèdent qu’à la science formelle et indirecte.
En outre, avec Abū Ya‘zā s’affirme l’idée du saint comme dispensateur
de la bénédiction divine. Tel un pivot, il attire autour de lui les acteurs
religieux de son époque pour leur transmettre sa bénédiction et donc une
forme de « soutien spirituel » grâce auquel s’opère une vivification de la
vie religieuse. Le saint d’Īrūjān joue ce rôle pour Fès notamment, où le
soufisme commence à s’affirmer de manière visible face à l’hégémonie des
juristes almoravides et des théologiens almohades. Les représentants du
soufisme « ghazalien » dont a traité le chapitre précédent, comme les Ibn
Ḥirzihim, font partie de ceux qui se réclament de sa bénédiction. Cette
fonction vivificatrice d’Abū Ya‘zā s’exerce aussi en révélant de manière
irrécusable la réalité intérieure de la sainteté. Après lui, la sainteté n’a
plus à se trouver sous la tutelle de la science religieuse.
671
Voir p. ex. Tashawwuf, p. 214.
672
Voir à propos de ce type de sainteté M. Chodkiewicz, « Le saint illettré dans l’hagiographie
islamique », op. cit.
200 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
673
Al-Mustafād…, p. 49.
674
Voir Uns al-faqīr, p. 56 et suiv.
675
Voir Al-Mustafād…, p. 48-50 ; Salwa, vol. III, p. 214-215.
676
Al-Mustafād…, p. 48.
677
Salwa, vol. III, p. 215. Cette anecdote se trouve dans le Kitāb al-Isfār d’Ibn al-‘Arabī
(voir Le Dévoilement des effets du voyage, p. 68-69).
Histoire de la sainteté à Fès 201
Ibn ‘Arabī, qui visite sa tombe à Fès, considère al-Khashshāb dans ses
Futūḥat al-makkiyya comme faisant partie des muḥaddathūn, c’est-à-dire
ceux à qui Dieu parle 678.
Abū ‘Abdallāh Muḥammad b. Ya‘lā al-Tawdī 679 (m. 580/1184) fait partie
des afrād. Son premier maître semble avoir été ‘Alī Ibn Ḥirzihim, mais il
fréquente aussi Abū Ya‘zā puis Abū Madyan. Le saint berbère fait l’éloge
de ce saint. Ses « états », explique al-Sāḥilī 680, « montrent l’élévation de
sa station spirituelle et la fermeté (tamkīn) de sa connaissance par Dieu ».
Ibn Ḥirzihim dit de lui qu’il a franchi toutes les stations spirituelles
d’al-Bisṭāmī en quarante jours seulement 681.
Enseignant le Coran aux enfants, al-Tawdī distribue le salaire qu’il
reçoit des parents riches aux enfants pauvres parmi ses élèves. Avec le
même soin, il s’occupe des vêtements des enfants, les lavant si nécessaire
ou même les cousant. Dans les anecdotes rapportées dans l’hagiographie,
al-Tawdī apparaît comme dévoué au service de ses contemporains. Son
enseignement se traduit dans les actes de la vie quotidienne. Voyant deux
chats dormir tendrement l’un sur l’autre, al-Tawdī remarque que telle est en
effet la fraternité entre les hommes. Puis, jetant un bout de pain aux deux
chats qui aussitôt se battent mutuellement pour l’avoir, le saint explique
que voilà ce que devient cette même fraternité quand les affaires de ce
bas-monde (al-dunyā) entrent en jeu.
D’autres anecdotes mettent en évidence le rang spirituel du personnage.
Ainsi, un « homme de mérite » de Fès qui organise un repas de mariage
fait un rêve dans lequel on lui annonce la venue du « soleil de ce pays » à
son banquet. Lorsqu’au jour du mariage l’homme en question réfléchit à
ce rêve, al-Tawdī apparaît en lui disant : « A propos de quoi réfléchis-tu ?
C’est moi le soleil de ce pays 682 ! »
Muḥammad b. ‘Alī al-Anṣārī al-Saqaṭī 683 (auteur dont les dates sont
inconnues) « fait partie des gens de la récitation du Coran ». Quand les
678
Al-Mustafād…, p. 48, note 129.
679
Voir Al-Mustafād…, p. 137-140 ; Tashawwuf, p. 272-275 ; Uns al-faqīr, p. 67-68 ;
al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 271-274 Salwa, vol. III, 136-138. Ce personnage est enterré à Fès à
l’extérieur de Bāb al-Jīsa.
680
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 274. Muḥammad Abū ‘Abdallāh al-Sāḥilī al-Malaqī
(m. 754/1353) est un soufi andalou dont la filiation initiatique remonte à ‘Alī Ibn Ḥirzihim.
681
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 274.
682
Ibid.
683
Voir Al-Mustafād…, p. 94-95.
202 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
684
Voir ibid., p. 55-58.
685
Ibid., p. 46-47.
686
Voir D. Gril, op. cit., p. 27.
687
Voir É. Geoffroy, « Le rayonnement spirituel et initiatique de Sidi Abū Madyan au
Proche-Orient », Religio Perennis, 12/05/2010, www.religioperennis.org/documents/
geoffroy/Madyan.pdf.
Histoire de la sainteté à Fès 203
688
Voir V. Cornell, op. cit., p. 28-35. Pour la réception de son enseignement chez Ibn al-‘Arabī,
voir D. Gril, « La présence d’Abū Madyan dans l’enseignement d’Ibn Arabi » (conférence
inédite) et dans la tradition shādhilite classique et moderne, voir J. Gonzales, M. Chabry,
« La figure d’Abū Madyan dans la Shādhiliyya et le commentaire de ses ḥikam par le cheikh
‘Alawī (m. 1934) », Une Voie soufie dans le monde : la Shādhiliyya, p. 303-113.
689
Voir Tashawwuf, p. 214.
690
Voir R. Deladrière, Junayd, Sayyid al-Tā’ifa : enseignement spirituel, Paris, Sindbad,
1983.
204 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
691
Publié entre autres dans T. Ibn ‘Aṭā’Allāh al-Iskandarī, ‘Unwān al-tawfīq fī ādāb al-
ṭarīq, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2004. On trouve une traduction française de
la plupart de ces sentences dans la traduction réalisée par M. Chabry et J. Gonzalez du
commentaire d’Aḥmad al-‘Alawī (m. 1351/1934) de Mostaganem (Sagesse céleste : traité
de soufisme, Cugnaux, La Caravane, 2007).
692
Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord…, p. 482.
Histoire de la sainteté à Fès 205
693
M. Cherif, al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād fī madīna Fās wa mā yalīhā min al-bilād.
694
Voir al-Mustafād…, p. 132.
206 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
695
Le hadith en question est le suivant : « L’amour de ce bas monde est la racine de toute
erreur. » Voir Al-Mustafād…, p. 42.
696
Voir M. Cherif, Al-Mustafād…, vol. I, p. 98.
697
Voir Al-Mustafād…, p. 171-173 ; Salwa, vol. II, p. 134.
698
Voir Al-Mustafād…, p. 124-125.
699
Voir H. Ferhat, Sabta des origines au XIV e siècle, Rabat, ministère des Affaires
culturelles, 1993 ; I. al-Khaṭīb, Al-Ḥarakat al-‘ilmiyya fī Sabta khilāl al-qarn al-sābi‘,
Rabat, Dār al-Ḥadīth al-Ḥasaniyya, 1986.
700
Voir M. Bencherifa, Al-Ta‘rīf bi-l-qāḍī ‘Iyāḍ, Rabat, Wazārat al-Awqāf al-Maghribiyya, 1974.
Histoire de la sainteté à Fès 207
701
Al-Tamīmī les mentionne tous dans son al-Nujūm al-mushriqa fī dhikr man akhadhnā
‘anhu min kull thabt wa thiqa qui est perdu, comme tous ses autres ouvrages.
702
D. Gril, « Les débuts du soufisme », Les Voies d’Allah, les ordres mystiques dans l’islam
des origines à aujourd’hui, p. 43.
703
Voir l’article de C. Gilliot à son propos dans EI2, vol. IX, p. 301-302.
704
Ce personnage transmet à al-Tamīmī des anecdotes hagiographiques qu’il a recueillies
auprès d’un disciple directe d’al-Qushayrī, Abū al-Maḥāsin Mas‘ūd Ibn Muḥammad.
705
Voir al-Mustafād…, p. 22-23.
706
Voir à propos de ce livre C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête du soufre rouge, p. 128.
707
Voir M. Cherif, al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād…, vol. I, p. 34.
708
Voir C. Addas, Le Livre de la filiation spirituelle, Marrakech, al-Qoubba al-Zarqua, 2000,
p. 51-52, p. 35-36 (texte arabe) ; idem, Ibn ‘Arabī ou la quête…, p. 176 ; ‘A. Miftāḥ, Khatm al-
Qur’ān Muḥy al-Dīn Muḥammad Ibn al-‘Arabī, Marrakech, Dār al-Qubba al-Zarqā’, 2005, p. 183.
208 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
709
Voir C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête…, p. 182-183 ; ‘A. Miftāḥ, Khatm al-Qur’ān…,
p. 188.
710
M. Ibn al-‘Arabī, al-Futūḥāt al-makkiyya fī ma‘rifat al-asrār al-malakiyyat wa al-
mālikiyya, le Caire, Dār Sādir, 1329 hég., vol. IV, p. 503.
711
Ibid., p. 541 : « La foi du serviteur n’est parachevée tant qu’il ne possède pas ces
cinq qualités : se confier (al-tawakkul) à Dieu, se soumettre (al-taslīm) à l’ordre de Dieu,
s’abandonner (al-tafwīḍ) à Dieu, agréer (al-riḍā) le décret de Dieu, faire preuve de patience
dans l’épreuve de Dieu ; celui qui aime et déteste pour Dieu, qui donne et refuse pour Dieu,
il accomplit la foi. » La foi est mise en rapport avec les vertus spirituelles qui forment
diverses stations et états du soufisme.
712
Voir M. Cherif, al-Mustafād…, vol. I, p. 118-119. A titre d’exemple, citons Adab al-murīd
al-sālik wa al-ṭarīq ilā Allāh al-Mālik qui semble être un manuel de soufisme.
713
Spécialiste des hadiths et compilateur des anecdotes, al-Tamīmī rappelle à maints
égards son prédécesseur oriental, « l’historien du soufisme » al-Sulamī (m. 412/1021), qui
assume au Khorasan l’héritage de divers courants initiatiques, voir J.J. Thibon, « Hiérarchie
spirituelle, fonctions du saint et hagiographie dans l’œuvre de Sulamī », Le Saint et son
milieu, R. Chih, D. Gril, dir., IFAO, n° 19, 2000, p. 13-31.
Histoire de la sainteté à Fès 209
une hagiologie et définit ainsi un modèle de sainteté (ṣalāḥ) centré sur une
tradition spirituelle qui aboutit à Abū Madyan 714.
714
L’auteur ne lui consacre que relativement peu de pages par rapport à Abū Ya‘zā ou ‘Alī
b. Ismā‘īl Ibn Ḥirzihim par exemple, ce qui ne diminue pas l’importance qu’il accorde au
maître andalou auquel il accorde le titre honorifique « le maître des maîtres ». La raison
en est peut-être à chercher dans le fait que l’auteur ne dispose que de peu de témoignages
personnels à son sujet et que c’est à Bougie et non à Fès que ce saint poursuit la partie la
plus importante de son magistère initiatique.
715
Voir M. Miftāḥ, al-Khiṭāb al-ṣūfī…, p. 5 ; A. Taoufiq dans son introduction du Tashawwuf
(p. 14) et dans « al-Tārīkh wa adab al-manāqib min khilāl manāqib Abī Ya‘zā » (al-Tārīkh
wa adab al-manāqib : histoire et hagiographie, Publications de l’Association marocaine
pour la recherche historique, Rabat, 1988, p. 84). Voir M. Cherif, al-Mustafād…, vol. I,
p. 226-227 pour des références ultérieures.
716
Voir M. Cherif, al-Mustafād…, vol. I, p. 227.
717
Voir ibid., p. 242-243.
718
Voir Ibid.
210 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
719
D. Gril, « Le saint et le maître ou la sainteté comme science de l’homme », Saint et
sainteté…, p. 60.
720
J.L. Michon (Le Soufi marocain Aḥmad Ibn ‘Ajība et son Mi‘rāj, Paris, Libraire
philosophique J. Virin, 1990, p. 19) résume parfaitement ce fait lorsqu’il dit : « Cette
évolution est décrite, par exemple, par Abū Bakr al-Kalābādhī, mystique de Boukhâra
(mort en 280/990), dans son célèbre ouvrage sur « la doctrine des soufis ». Il dit comment
le flambeau de la perfection spirituelle, allumé par le Prophète et porté, de son vivant, par
certains compagnons, se transmit, après sa mort, à l’élite de la nation. « Le premier ne
cessait d’exhorter le second, celui qui marchait devant d’exhorter celui qui était resté en
arrière, ceci par la langue des seuls actes, sans qu’il soit besoin des paroles. Puis le désir
Histoire de la sainteté à Fès 211
diminua, la volonté faiblit, et ce fut alors qu’apparurent les questions et les réponses, les
livres et les traités. »
721
Voir M. Cherif, al-Mustafād…, vol. I, p. 228.
212 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
contre son maître Abū Ya‘zā les prémisses d’un enseignement initiatique
qui sera la référence du soufisme maghrébin.
Les soufis, au moins certains d’entre eux, se trouvent également
impliqués dans des événements politiques qui entraînent un changement
de gouvernement. L’introduction de l’Iḥyā’ à part, l’emprisonnement d’Ibn
Barrajān en 536/1141 et la révolte (538/1144) d’Ibn Qasī en al-Andalus
créent un rapport ambigu entre le pouvoir politique et la sainteté. La
concentration de la présence soufie entraîne l’hostilité de l’élite religieuse
et de l’élite politique qui craignent de perdre la légitimation de leur
pouvoir. Les charges d’hérésie sont l’instrument privilégié de cette politique
ambiguë, ce qui conduit le milieu soufi à développer un discours légitimant
la doctrine et la pratique initiatique au sein de la tradition musulmane 722.
En effet, apologie et élaboration de la doctrine se présentent souvent comme
les deux faces de la même médaille. Si nous avons schématisé quelque peu
ce processus, ce n’est que pour insister sur le fait que Fès joue aux VIe/
XIIe-VIIe/XIIIe siècles un rôle de « condensateur » qui est tout au moins
analogue à celui des autres capitales de la spiritualité musulmane. Comme
les centres de l’élaboration doctrinale du soufisme oriental, tels Bagdad ou
le Khorasan, la ville idrisside, foyer de la tradition savante du Maghreb,
constitue une sorte de moule où les différents courants initiatiques présents
au Maroc se concentrent pour recevoir leurs premiers contours 723.
722
Al-Tamīmī fait référence à cela quand il dit : « Il n’est pas possible d’inclure [les
grâces spirituelles de certains maîtres] dans le livre en raison du grand nombre de ceux
qui contestent ce genre de choses. » (Cité par M. Cherif, al-Mustafād…, vol. I, p. 160.)
723
Rédigé une vingtaine d’années après, le Tashawwuf d’al-Tādilī (m. 617/1220) élargit
le champ géographique aux saints de Marrakech et du Sud marocain, bien que la figure
centrale reste toujours Abū Madyan. Comme l’indique le titre de l’ouvrage, cet auteur se
réfère plus explicitement aux soufis qu’al-Tamīmī qui parle plutôt « des gens de la vertu
et de l’excellence » (ahl al-faḍl wa al-iḥsān). Al-Bādisī (m. 722/1322) fera la même chose
qu’al-Tadilī pour les saints du Rif dans son Maqṣad.
724
Pour cette période de la biographie d’Ibn al-‘Arabī, voir C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la
quête…, p. 163-204 ; ‘A. Miftāḥ, Khatm al-Qur’ān…, p. 178-192.
Histoire de la sainteté à Fès 213
725
C. Addas, Ibn Arabī et le voyage sans retour, p. 68.
726
Voir C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête…, p. 165-168.
727
Il s’agit des hadiths n° 1, 6, 28 et 36.
728
Voir Tashawwuf, p. 390-391.
729
Voir al-Mustafād…, p. 87-90.
730
On ne sait pas si le masjid al-jāmi‘ correspond à la Qarawiyyīn ou à al-Andalus.
731
Ibn al-‘Arabī lui-même préfère d’utiliser le terme malāmiyya.
214 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
A Fès, Ibn al-‘Arabī est déjà reconnu comme un maître spirituel et réunit
autour de lui un groupe de disciples avec lesquels il s’adonne aux exercices
spirituels. Il instaure notamment la pratique de la récitation continue du
Coran. Dans des ouvrages comme le Kitāb al-Kunh 732, Ibn al-‘Arabī définit
son enseignement relatif au cheminement initiatique, fondé sur la stricte
observance de la sharī‘a, l’acquisition des vertus prophétiques, les exercices
spirituels, l’examen de conscience, le dhikr et la soumission à l’éducation du
maître spirituel. Mais la renommée d’Ibn al-‘Arabī dépasse déjà les cercles
soufis. Pour se cacher des habitants de Fès qui cherchent à le rencontrer,
il porte des vêtements luxueux, dissimulant ainsi l’état de pauvreté dans
lequel il vit. Ibn al-‘Arabī ne fréquente pas seulement des représentants du
soufisme dans la ville de Fès. Dans les Futūḥāt al-Makkiyya 733, il relate le
débat qu’il avait eu avec le représentant de l’école théologique ascharite, Abū
‘Abdallāh al-Kattānī 734 (m. 597/1200). Le cheikh dit avoir été positivement
étonné du fait que ce théologien, tout en étant en désaccord avec lui sur la
question des qualités divines, ne l’accuse pas et tolère son point de vue 735.
732
Voir J.W. Morris, « Ibn ‘Arabī’s Book of the Quintessence concerning what is
indispensable for the spiritual seeker », Spiritual Practice and Spiritual Path : Ibn ‘Arabī’s
Advice for the Seeker, sans éd. (en cours de publication).
733
Vol. III, p. 15, p. 13. Voir C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête…, p. 167-168.
734
Voir Tashawwuf, p. 335-337.
735
Voir ‘A. Miftāḥ, Khatm al-Qur’ān…, p. 180.
736
Ce traité a été édité par Su‘ād Ḥakīm (Beyrouth, Dāndarat li-l-Tabā‘at wa al-Nashr,
1988). Voir M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints, p. 181-221 ; J. W. Morris, « Ibn ‘Arabī’s
spiritual Ascension », Les Illuminations de la Mecque, Sindbad, 1988, p. 351-381 ; idem,
« The Spiritual Ascension: Ibn ‘Arabī et the Mi‘rāj », JAOS, vol. 107, n° 4, 1987, p. 629-652.
737
« Dites : Nous avons foi en Dieu, en ce qui nous a été révélé et en ce qui a été révélé
à Ibrāhīm, à Ismā‘īl, à Isḥāq, à Ya‘qūb et aux tribus [d’Israël] ; et aussi ce qui a été révélé
de la part de leur Seigneur à Mūsā, à ‘Īsā et aux prophètes. Nous ne faisons de différence
entre aucun d’entre eux ; Il est Celui qui entend et sait tout. »
Histoire de la sainteté à Fès 215
738
Al-Futūḥāt al-Makkiyya…, vol. III, p. 350 (trad. C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête…,
p. 188).
739
Voir Al-Futūḥāt al-Makkiyya…, vol. I, p. 491, vol. II, p. 486.
740
C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête…, p. 182.
741
C. Addas remarque à ce propos que « si Ibn ‘Arabī avait eu à choisir un nom symbolique
pour la ville de Fès, il l’eût sans doute appelée Nūr, Lumière » (ibid., p. 181).
742
Ibid., p. 182.
743
« Apparently only a relatively short time after certain decisive personal inspirations
concerning the ultimate unity of the prophets in the spiritual “station of Muhammad” and
the inner meaning of the Qur’ân in its full eternal reality that were soon to coalesce in
Ibn ‘Arabī’s conception of his own unique role as “Seal of the Muhammadan Saints” »
(J.W. Morris, « Ibn ‘Arabī’s spiritual Ascension », p. 353).
216 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
744
Vol. III, p. 514 (trad. C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête…, p. 191).
745
Il s’agit encore des rangs de la hiérarchie initiatique, le quṭb ou pôle en étant le plus
élevé. Selon C. Addas le pôle rencontré par Ibn al-‘Arabī s’appelle Ashall al-Qabā’ilī (Ibn
‘Arabī ou la quête…, p. 183).
746
Al-Futūḥāt al-Makkiyya…, vol. I, p. 10 (trad. D. Gril, « Le Kitāb al-inbāh ‘alā ṭariq
Allāh de ‘Abdallāh Badr al-Ḥabaşī : un témoignage de l’enseignement spirituel de Muḥyi
l-dīn Ibn ‘Arabī », ANISL, n° 15, 1979, p. 97-164).
Histoire de la sainteté à Fès 217
747
Voir Salwa, vol. III, p. 267-270. La date du décès est contestée.
748
Voir ibid., p. 270-271.
218 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Orient ; ceux qui fondent des centres initiatiques locaux, comme Abū
Muḥammad Ṣālih al-Mājirī (m. 631/1234), érigent leur ribat à Asafi 749.
Le maître d’al-Shādhilī, ‘Abd al-Salām Ibn Mashīsh 750 (m. 622/1225), qui
se retira dans les montagnes du Rif, ne semble guère intervenir à Fès.
Un person nage com me Abū a l-‘Abbās A ḥ mad I bn Qun f ud h
(m. 810/1407), dont le grand-père était rattaché à d’Abū Madyan, est sans
doute représentatif du passage entre l’avènement d’Abū Madyan et les
saints du XVIIIe/XIVe siècle. A Fès, Ibn Qunfudh dit avoir rencontré divers
saints, dont il ne précise pas la filiation initiatique, tel Abū al-Ḥajjāj Yūsuf
b. ‘Umar (m. 761/1360) qui est imām à la Qarawiyyīn, Muḥammad al-
Mishnazā’ī (m. VIIIe/XIVe siècle) et Abū ‘Abdallāh Muḥammad al-Jannātī
(m. VIIIe/XIVe siècle), deux ascètes connus pour leur attachement à l’Iḥyā’
d’al-Ghazālī ou encore Abū al-Ḥasan al-Lajjā’ī (m. XIIIe/XIVe siècle).
Si ces personnages témoignent sans doute d’une présence vivante du
soufisme à Fès, c’est pourtant ailleurs que les protagonistes s’établissent,
loin des enjeux politiques de la nouvelle capitale. L’Uns al-faqīr d’Ibn
Qunfudh décrit le soufisme du XIII e /XIVe siècle comme étant un
phénomène de ṭā’ifa, c’est-à-dire de confréries à caractère régional, fondées
par les disciples d’Abū Shu‘ayb « al-Sāriyya » ou d’Abū Madyan 751.
Parmi ces personnages, le plus notoire est sans doute Abū Zayd ‘Abd
al-Raḥmān al-Hazmīrī 752 (m. 707/1308) dont se réclame la ṭā’ifa des
Ghamātiyyūn. La filiation de ce saint n’est pas exactement connue ; on le
rattache communément à la confrérie d’Abū Mūḥammad Ṣāliḥ. A Aghmāt,
les saints et les savants de Marrakech suivent son enseignement, dont
le célèbre mathématicien Ibn al-Bannā’ 753 (m. 721/1321) qui le consulte
lorsqu’il est confronté à un problème mathématique insoluble. Selon les
749
Voir M. Raïs, Aspects de la mystique marocaine au VIIe-VIIIe/XIIIe-XIVe s. : al-Minhāj
al-wāḍiḥ fī taḥqīq karamāt Abū Muḥammad al-Ṣāliḥ, thèse de doctorat, Aix-en-Provence,
Université de Provence, 1996, 2 vol.
750
Voir Z. Zouanat, Ibn Mashīsh : maître d’al-Shādhilī, Casablanca, sans éd., 1998.
751
Voir p. 106 et suiv. On trouve un aperçu très utile du soufisme marocain de cette époque
dans P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda, un mystique prédicateur à la Qarawīyīn de Fès,
p. XXVIII-LX.
752
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 206-221 ; Salwa, vol. II, p. 60-64 ; H. Ferhat, Le Soufisme et
les zaouyas…, p. 99-102.
753
Voir M. Abdallagh, « La tradition du savoir », Fès médiévale : entre légende et histoire,
M. Mezzine, dir., Paris, Éditions Autrement, 1992, p. 64-75 ; H.P. Renaud, « Ibn al-Bannâ
de Marrâkech, ṣûfî et mathématicien », Hesperis, 1938, p. 39 et suiv. ; P. Nwyia, Ibn ‘Abbād
de Ronda..., p. XLIII.
Histoire de la sainteté à Fès 219
754
Sur la Ḥāḥiyya, voir Uns al-faqīr, p. 106-108 ; V. Cornell, Realm of the Saint..., p. 142-
144 ; M. Miftāḥ, al-Khiṭāb al-Ṣūfī…, p. 146.
755
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 312-316 ; Salwa, vol. III, p. 223-224.
756
Herman L. Beck (L’Image d’Idris II…) s’est appliqué à démontrer que le culte de
Mawlāy Idrīs remonte à l’initiative mérinide pour des fins politiques. Or, cela peut être
valable par rapport à une forme de « culte » plus ou moins institutionnalisée et publique,
mais cela n’exclut évidemment pas qu’il n’y ait eu auparavant une vénération particulière
pour le saint fondateur de la ville. Nous y reviendrons.
220 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
On ne vient pas seulement à Fès pour s’instruire, mais pour aussi pour se
consacrer à une vie spirituelle en compagnie des saints. En tant que centre
initiatique, la ville joue un rôle important pour la constitution des « réseaux
soufis 757 ». La présence d’Abū Madyan et de ses héritiers attire les soufis
vers Fès, ainsi que le fait qu’elle constitue un carrefour des divers traditions
initiatiques, notamment celle du célèbre Abū Ya‘zā. Seulement, lorsque la
voie d’Abū Madyan inspire la formation de groupes soufis multiples, Fès
perd son rôle central au profit de foyers régionaux de la sainteté.
Une question se pose qui est celle du lien entre les circonstances
politiques et l’épanouissement de la vie spirituelle. Le règne almohade a-t-il
favorisé les manifestations de la sainteté ? On manque d’arguments pour
l’affirmer. Il semble plutôt que l’émancipation de la tradition spirituelle
du Maghreb, découlant d’une nécessité historique, entraîne une présence
particulièrement visible du soufisme. A cet égard, la ville de Fès a un rôle
crucial à jouer.
757
« Dès la fin du XIe siècle, Fès étend son influence sur un vaste territoire bien peuplé et bien
cultivé et attire étudiants et novices. [...] Les relations spirituelles avec al-Andalus, Aghmat,
Marrakech et Sijilmassa sont constantes » (H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas…, p. 157).
758
« Le saint illettré dans l’hagiographie islamique », op. cit., n° 9.
Histoire de la sainteté à Fès 221
controverse entre les critiques et les adeptes du soufisme. « De toutes les
prétentions des awliyâ », constate M. Chodkiewicz, « la plus insupportable à
leurs yeux [ceux qui les contestent] est précisément de posséder ce ‘ilm bi-lâ
wâsita, cette « science sans intermédiaire 759 ». » A cause de son caractère
inspiré, elle est au-delà des conventions et des réglementations qui régissent
l’acquisition de la science formelle. Capitale de la science religieuse, Fès
devient aussi le lieu où se transmet une science tout intérieure et initiatique.
759
« Le saint illettré dans l’hagiographie islamique », idem, p. 16.
Abū Madyan a insisté sur le caractère réservé du samā‘ (voir V. Cornell, The Way of Abū
760
Madyan, p. 34), et Ibn al-‘Arabī fait de même. On voit que la pratique soufie se déroule
dans un contexte non accessible au grand public.
222 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
761
Son œuvre écrite n’aura que relativement tardivement un impact visible sur le milieu
soufi de la ville. L’enseignement jazūlite, influencé, en vertu de son rattachement égyptien,
dans une certaine mesure par la tradition akbarienne des Wafā, est imprégné par la pensée
du Shakh al-akbar par rapport à l’être spirituel du Prophète.
Histoire de la sainteté à Fès 223
762
Nous avons vu que les dévoilements d’Ibn al-‘Arabī à Fès déterminent sa doctrine de
la sainteté, notamment l’idée de la sainteté muḥammadienne. Nous y reviendrons dans la
conclusion.
224 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
763
Voir A. Popovic, T. Zarcone, dir., Melāmis-Bayrāmis : étude sur trois mouvements
mystiques musulmans, Istanbul, Isis, 1998, notamment à propos d’Ibn al-‘Arabī l’article de
M. Chodkiewicz (« Les malāmiyya dans la doctrine d’Ibn ‘Arabī », p. 15-26).
764
Traduction de M. Chodkiewicz, « Les malāmiyya dans la doctrine d’Ibn ‘Arabī », idem.
Histoire de la sainteté à Fès 225
765
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc, Paris, Perrin, 2009, p. 114-161 ; M. Kably, Société,
pouvoir et religion au Maroc à la fin du Moyen Âge, Paris, Maisonneuve et Larose, 1986 ;
A. Khaneboubi, Les premiers sultans mérinides, 1269-1331 : histoire politique et sociale,
Paris, l’Harmattan, 1987 ; M. al-Mannūnī, Waraqāt ‘an ḥaḍārat al-Marīniyyīn, 3e éd.,
Rabat, Publications de la faculté des Lettres et des Sciences humaines, 2000. Concernant
le milieu soufi de cette époque, on lira avec profit l’introduction de P. Nwyia, Ibn ‘Abbād
de Ronda, un mystique prédicateur à la Qarawīyīn de Fès.
766
Pour ce qui concerne la ville de Fès à l’époque mérinide, voir M. Mezzine, dir., Fès
médiévale : entre légende et histoire, Paris, Éditions Autrement, 1992.
767
Voir p. ex. H. Gaillard, Fès, une ville de l’islam, Paris, J. André Editeur, 1905, p. 143-
147 ; F. Mediano, Familias de Fez (siglos XV-XVII), Madrid, CSIC, 1995, p. 31-71. Nous
allons traiter de cette notion plus loin.
768
Voir J. Cohen, dir., Juifs de Fès, Montréal, Éditions Élysée, 2004 ; M. Kenbib, « Juifs
dans une cité sainte de l’islam », Fès médiévale…, p. 166-175.
226 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
769
Voir A. Alaoui, « Le génie du négoce », Fès médiévale…, p. 176-183. On trouve une
belle description de ces corporations dans H. Gaillard, Fès…, p. 149 et suiv. Voir aussi la
bibliographie concernant l’artisanat de Fès dans A. Sebti, Fès dans les écrits marocains et
internationaux, Casablanca, Fondation du Roi Abdul-Aziz (bibliographies), 2008, p. 64-71.
770
Voir L. Paye, « Les cordonniers de Fès », Hespéris, n° 23, 1936, p. 9-54.
771
Voir M. Benchekroun, La Vie intellectuelle marocaine sous les Mérinides et les
Waṭṭāsides, Rabat, 1974.
772
Le tombeau d’Ibn al-Khaṭīb se trouve dans un cimetière de Fès à l’extérieur de la ville.
773
Voir les travaux de René Pérez : La Rawdat at-ta‘rīf bi-l-hubb as-sharīf : traité de
mystique musulmane sur l’amour de Dieu, de Lisân ad-Din Ibn al-Khatîb, présentation
générale et analyse de la notion d’amour de Dieu, thèse de doctorat de 3 e cycle, Université
Lyon II, 1981 ; Ibn Khaldūn, la Voie et la Loi, Arles, Actes Sud, 1991.
774
Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord : des origines à 1830, p. 557.
775
Voir M. Kably, Société, pouvoir et religion au Maroc….
Histoire de la sainteté à Fès 227
776
Si cela est moins perceptible à Fès, le cas d’Ibn Mashīsh (m. 622/1225) et des chérifs
du Djebel al-‘Alam montre bien que les descendants du Prophète jouissent déjà à l’époque
almohade d’une place privilégiée dans la société marocaine (voir Z. Zouanat, Ibn Mashīsh :
maître d’al-Shādhilī, Casablanca, 1998, p. 116 et suiv).
777
« La politique sharifienne prit plusieurs aspects. On officialisa la célébration du Mawlid,
initiative déjà adoptée par la ville de Sabta. Et dans la même logique, les sharîf-s reçurent
honneurs et privilèges : dons, pensions et exemptions fiscales. En fait, ces libéralités furent
sélectives, les bénéficiaires se repartirent en trois groupes : les Idrissides, particulièrement
favorisés à cause de leur nombre et de leur ancienneté ; les Siqillī-s de Sabta, qui ont
acquis un grand poids dans la hiérarchie de cette ville ; et les sharīf-s de Sijilmassa (future
dynastie alaouite) qui devaient assurer l’allégeance d’un relais commercial stratégique autant
que précaire » (A. Sebti, Ville et figures du charisme, p. 21). Voir à ce propos H.L. Beck,
L’Image d’Idris II, ses descendants de Fās et la politique sharīfienne des sultans marīnides.
778
Voir H. Ferhat, « Le culte du Prophète au Maroc au XIII e siècle : organisation du
pèlerinage et célébration du mawlid », Le Religion civique à l’époque médiévale et moderne,
Rome, École Française de Rome, 1995, p. 89-97 ; M. al-Mannūnī, Waraqāt…, p. 515-540.
Pour la question du Mawlid en général, voir N.G. Kaptein, Muhammad Birthday Festival.
Early History in the Central Muslim Lands and Development in the Muslim West until the
10th/16th Century, Leyde, Brill, 1993 ; M. Holmes Katz, The birth of the prophet Muḥammad:
devotional piety in Sunni Islam, Londres et New York, Routledge, 2007.
228 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
779
Dans son chapitre consacré à l’introduction du Mawlid au Maroc, H. Ferhat note que
« le Mawlid donne aux confréries un cadre légal quasi officiel qu’elles vont largement
exploiter » (op. cit., p. 166).
780
Voir Uns al-faqīr, p. 114 et suiv.
781
Voir P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. XXX-XL ; R. Pérez, Ibn Khaldūn…, p. 25.
Histoire de la sainteté à Fès 229
782
Voir L. Golvin, « La médersa, nouvel outil du pouvoir », Fès médiévale…, p. 92-99 ;
M. Shatzmiller, « Les premiers Mérinides et le milieu religieux de Fès, l’introduction des
Médersas », SI, n° 43, 1976, p. 109-118.
783
Voir Salwa, vol. III, p. 344-345 ; M. Abdallagh, « La tradition du savoir », Fès
médiévale..., p. 74-75.
784
Cité dans P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. XXVII.
785
Pour une étude détaillée de la Qarawiyyīn à l’époque mérinide, voir le deuxième volume
de ‘A. al-Tāzī, al-Jāmi‘ al-Qarawiyīn : al-masjid wa al-jāmi‘a madīna Fās, Beyrouth,
Dār al-Kitāb al-Lubnānī, 1972-1973, 3 vol. Voir aussi A. Maghnia, « La Qarawiyine,
carrefour du savoir », Fès médiévale…, p. 109-123 ; M. Nashāṭ, « al-Marīniyyūn wa Jāmi‘
230 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
al-Qarawiyyīn », Des Repères dans l’histoire culturelle et religieuse du Maroc, M. Ayadi, dir.,
Casablanca, Faculté des lettres et des sciences humaines, Université Hassan, s.d., p. 25-37.
786
« Ville et Université : aperçu sur l’histoire de l’École de Fās », Revue historique de droit
français et étranger, n° 27, t. IV, 1949, p. 64-117.
787
Voir P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. XXIV et suiv.
788
Voir surtout P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. 55 et suiv., et aussi M. Benchekroun,
La Vie intellectuelle marocaine…, p. 258-264 ; A. Faure, « Ibn ‘Āshir », EI2, vol. III, p. 742.
Pour les sources hagiographiques, voir Uns al-faqīr, p. 39, p. 42 ; A. al-Ḥāfī, Tuḥfat al-zā’ir
bi-ba‘ḍ manāqib sayydī al-ḥajj Aḥmad Ibn ‘Āshir, Salé, Manshūrāt al-Khazanat al-‘Ilmiyyat
al-Ṣabīḥiyya, 1988 ; Salwa, vol. II, p. 313-314.
Histoire de la sainteté à Fès 231
789
Sur la Ḥāḥiyya, voir Uns al-faqīr, p. 106-108 ; V. Cornell, Realm of the Saint..., p. 142-
144 ; M. Miftāḥ, Al-Khiṭāb al-Ṣūfī…, p. 146.
790
Cité dans P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. 59.
791
A. Faure, « Ibn ‘Āshir ».
792
Salé, al-Khazānat al-‘Ilmiyya al-Ṣabīḥīyya, 1988.
793
Ibn Qunfudh remarque dans son Uns al-faqīr (p. 42) : « Sa voie (ṭarīqa) consistait en ce
qu’il avait mis devant ses yeux de l’Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn et en suivait toutes les prescriptions
avec application, science, sincérité et soumission. Il était réellement la preuve vivante de
cette voie » (traduit dans P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. 60).
232 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
794
Pour P. Nwyia (Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. XIX) il s’agit d’un résidu de la politique
religieuse almohade : « La réforme almohade, si superficielle qu’elle fût, […] influença […]
d’une façon négative, pourrait-on dire, en ce sens qu’après les Almohades, les docteurs
maghrébins vivent dans la crainte de l’hérésie. »
795
Ibn Khaldūn…, p. 22.
796
Voir Salwa, vol. II, p. 52-55.
797
Cité dans P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. XXXV.
Histoire de la sainteté à Fès 233
798
Ibid., p. XXXVI. Voir aussi R. Pérez, Ibn Khaldūn…, p. 22-24.
799
Cité dans R. Pérez, Ibn Khaldūn…, p. 34.
800
L’auteur de la Salwa, tout en reproduisant ce propos étonnant par rapport à al-Qushayrī
et al-Ghazālī, l’appelle « le grand saint vertueux ». Pour V. Cornell, il s’agit d’un soufi
(voir « Faqīh versus faqīr in Marinid Morocco : epistemological dimensions of a polemic »,
Islamic Mysticism contested, Thirteen Centuries of Controversies and Polemics, F. De Jong,
B. Radtke, dir., Leyde, Brill, 1999, p. 215).
801
M. Benchekroun, La Vie intellectuelle…, p. 488.
802
Voir « Faqīh versus faqīr in Marinid Morocco: epistemological dimensions of a
polemic », idem.
803
Voir M. Benchekroun, La Vie intellectuelle…, p. 489. Ce sultan construit le sanctuaire
d’Abū Madyan d’al-‘Ubbād dans les environs de Tlemcen.
234 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
804
Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. XXVIII.
805
Voir P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda…. Comme source hagiographique fāsie, voir
‘A. al-Manālī al-Zabbādī, Ifādat al-murād bi-l-ta‘rīf bi-l- shaykh Ibn ‘Abbād, Fès, sans
éd., 2002 ; Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 195-204 ; Salwa, vol. II, p. 149-159.
806
Cité dans P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda…, p. 48-49.
Histoire de la sainteté à Fès 235
« Par déférence pour lui, le cheikh Ibn ‘Āshir subvenait à ses besoins et
se montrait plein d’attention pour lui ; ses compagnons reconnaissaient
en lui un conseiller sincère, un cœur droit et un caractère généreux. Tout
entier à ses propres affaires, il a un bagage culturel assez grand, un esprit
éclairé et ses pas marchent dans le bon sentier. D’un air plein de dignité,
il a les pensées profondes et le jugement pénétrant. En un mot, il n’y a
en lui que du bien, extérieurement et intérieurement, car nombreuses sont
les faveurs qu’il a reçues et insignes ses mérites. Il est en outre épris de
sciences étranges, et son exercice de piété consiste le plus souvent dans
l’étude. Aussi passe-t-il son temps à lire et à jouir de toutes espèces de
sciences, dans un silence jalousement gardé 807. »
Le même auteur, attribuant à chaque personnage de son hagiographie
une vertu particulière, caractérise Ibn ‘Abbād par l’amour du silence
(al ṣamt). En général, le jeune Andalou se fait remarquer par sa particularité
et son indépendance qui poussent certains à lui reprocher de dévier de
la voie de son maître. Mais ce dernier semble approuver la conduite de
son disciple favori. P. Nwyia a sans doute raison de remarquer que « si le
qabḍ, ou la tension intérieure, était l’état habituel d’Ibn ‘Āshir et l’examen
de conscience son exercice préféré, Ibn ‘Abbād vivait plus volontiers dans
l’action de grâce (aš-šukr), ayant le regard fixé, non pas sur soi pour la
muḥāsaba, mais sur Dieu à qui il référait en tout, heurs et malheurs, avec
reconnaissance 808 ». C’est ainsi que s’explique la prédilection de notre
personnage pour les Ḥikam d’Ibn ‘Aṭā’ Allāh et le shādhilisme dont il
deviendra un des premiers grands représentants au Maroc.
807
Salsal, p. 77. Nous devons la traduction à P. Nwyia (Ibn ‘Abbād de Ronda…, p. 65).
808
Ibn ‘Abbād de Ronda…, p. 64.
809
Voir P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda…, p. 65 ; Salwa, vol. II, p. 155.
810
Voir « A biography of Abū l-Hasan al-Shâdhilî dating from the Fourteenth Century »,
Une Voie soufie dans le monde…, p. 73-76.
236 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
811
Salwa, vol. II, p. 49-50. Malheureusement, on connaît très peu ce personnage, important
à plusieurs égards.
812
P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda…, p. 54.
813
Voir Salwa, vol. II, p. 162 ; A. Sebti, op. cit., p. 19 ; S. Sqalli-Houssini, Les lettres d’Ibn
‘Abbād de Ronda au sultan Abū Fāris et le nush mulūk al-Islām d’Ibn as-Sakkāk, thèse de
doctorat, Université de Provence, Aix-en-Provence, 1992.
814
Nuṣḥ mulūk al-islām bi-l-ta‘rīf bi-mā yajib ‘alayhim min ḥuqūq āl al-bayt al-kirām,
Fès, litho., 1316 hég. (1898).
815
K. Honerkamp, « A biography of Abû l-Hasan al-Shādhilī dating from the Fourteenth
Century », op. cit., p. 75.
816
Voir Salwa, vol. II, p. 159-162. Ce personnage a fait l’objet d’une étude détaillée par
M. Ibn ‘Azzūz (Ḍaw’ al-sirāj fī tarjamat Abī Zakariyyā al-Sarrāj, Beyrouth, Dār Ibn Ḥazm,
2009) qui constitue une source précieuse pour la vie et l’enseignement d’Ibn ‘Abbād.
Histoire de la sainteté à Fès 237
vise par cela qu’à éveiller ton attention, car l’extinction et l’immersion ne
t’adviendront pas jusqu’à ce que tu connaisses ce qui se trouve derrière toi
et avant toi. Je sais d’une science certaine que celui qui délaisse quelque
chose pour Dieu, Il lui accordera en compensation mieux que cela. Il n’est
pas obligatoire que cette compensation soit du même genre que ce qu’il a
délaissé, mais il se peut qu’il s’agisse de la satisfaction, de la patience, du
contentement, du détachement et de ce qui lui ressemble comme objet de
convoitise de tout homme intelligent doué de perspicacité 817. »
C’est sur la demande de ses compagnons qu’il rédige son commentaire
des Ḥikam d’Ibn ‘Aṭā’ Allāh al-Iskandarī (m. 709/1309), bréviaire des
shādhilites. Son Tanbīh 818 connaît un succès important et constitue un
des ouvrages de prédilection pour les soufis de Fès. Encore au XII e /
XVIIIe siècle, un Aḥmad al-Ṣaqallī (m. 1177/1763) est connu pour s’adonner
quotidiennement à la méditation du Tanbīh dans sa boutique, et Aḥmad
Ibn ‘Ajība (m. 1223/1809), qui rédigera lui-même un commentaire des
Ḥikam, découvre son intérêt pour le taṣawwuf grâce à la lecture du même
ouvrage. Comme le témoigne son commentaire des Ḥikam, Ibn ‘Abbād est
imprégné de l’enseignement shādhilite, basé sur l’abandon de la volonté
propre, la pauvreté spirituelle et la reconnaissance des bienfaits divins
face aux manquements de l’âme dans l’accomplissement de la servitude.
Le commentaire des Ḥikam et les lettres 819 d’Ibn ‘Abbād ont pour
effet de rendre accessible et de faire connaître l’enseignement shādhilite
à une grande échelle. De cette façon il consolide et développe l’influence
que les savants shādhilites ifriqiyens exerçaient discrètement sur Fès. Par
rapport à l’histoire de la sainteté à Fès, il représente l’introduction d’une
certaine forme de soufisme dans le monde des oulémas. Cette forme est
fondée sur la vision de la grâce divine et la pauvreté spirituelle au lieu de
l’effort individuel. Certes, c’est à Abū Madyan que revient le mérite d’avoir
harmonisé la voie ghazalienne avec une conception métaphysique de la
voie, mais la tradition issue de lui a toujours été réservée à une élite de
spirituels qui a préféré la discrétion face à la critique des savants officiels.
Grâce au génie pédagogique d’Ibn ‘Abbād, cet enseignement, désormais
intégré par le shādhilisme, trouve sa place au sein du milieu savant du
Maroc mérinide et est admis dans le curriculum de la Qarawiyyīn.
817
Cité dans M. Ibn ‘Azzūz, Ḍaw’ al-sirāj…, p. 114-115.
818
Le Caire, Markaz al-Ahrām, 1988.
819
Voir P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda… ; J. Renard, Ibn ‘Abbād of Ronda : Letters on the
Sūfī Path, New York, Paulist Press, 1986 ; K. Honerkamp, Lettres de Direction Spirituelle,
Collection Majeure (al-Rasā’il al-Kubrā), Beyrouth, Dar el-Machreq, 2005.
238 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
820
R. Pérez a traité ce sujet en détail dans son Ibn Khaldūn…, voir p. 11-83. Voir aussi
P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda…, p. XLVIII et suiv.
821
R. Pérez, Ibn Khaldūn…, p. 15.
822
Voir Salwa, vol. III, p. 304-305.
823
Voir à ce propos L. Silvers, « The teaching relationship in early sufism : a reassessment
of Fritz Meier’s definition of the shaykh al-tarbiya and the shaykh al-ta‘līm », MW, n° 93,
2003, p. 69-97.
Histoire de la sainteté à Fès 239
824
C’est par exemple l’opinion d’al-Fishtālī.
825
Voir M. Chodkiewicz, Un Océan sans rivage : Ibn Arabī, le Livre et la Loi, Paris, Seuil, 1992.
826
Cité dans R. Pérez, Ibn Khaldūn…, p. 57.
827
Ibid., p. 58.
828
L’écrivain tunisien, qui ne fait que reprendre Ibn al-Khaṭīb, distingue à juste titre entre
Ibn al-‘Arabī et Ibn Sab’īn. Le premier aurait fondé « l’école de la théophanie (tajallī) » et le
deuxième « l’école de l’unicité absolue (al-waḥdat al-muṭlaqa) ». M. Chodkiewicz a analysé
les différences doctrinales entre les deux courants dans l’introduction de son traduction de
L’épitre de l’unicité absolue d’Awḥād al-Dīn al-Balyānī (Paris, les Deux Océans, 1982).
240 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
829
Voir É. Geoffroy, « De l’influence d’Ibn ’Arabī sur l’école shâdhilie égyptienne », HM,
n° 41, 2000, p. 83-90.
830
Cité dans P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. 74.
831
Popular culture in medieval Egypt, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1993, p. 12.
832
‘A. al-Tāzī, al-Jāmi‘ al-Qarawiyyīn…, vol. II, p. 321. Voici le texte : « Au nom de Dieu,
le Tout-Miséricordieux, le Miséricordieux, que Dieu prie sur notre seigneur Muḥammad
et sa famille ».
833
Voir P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. 79-80 ; L. Paye, « Les cordonniers de Fès »,
Hespéris, 1936, n° 23, p. 9-54.
Histoire de la sainteté à Fès 241
soucie du bien-être des habitants de Fès, est aimé par les enfants, intervient
auprès des princes pour leur cause et paye de sa propre personne pour
l’intérêt général. Sans doute aussi pour manifester son désaccord avec
le milieu savant mérinide, il donne le salaire qui lui revient en tant que
professeur de la Qarawiyyīn pour la construction d’un bain public qui
porte encore aujourd’hui son nom.
A Fès, Ibn ‘Abbād incarne le saint prêcheur et défenseur du peuple. Après
lui, l’image typique du saint, notamment dans la population, s’oriente vers ce
modèle. En effet, Ibn ‘Abbād suit l’exemple d’Ibn ‘Aṭā’ Allāh, un des auteurs
majeurs du shādhilisme, qui était lui-même un prêcheur proche du peuple et
en même temps une autorité célèbre enseignant à la mosquée al-Azhar 834.
Cette fonction va de pair avec une attitude spirituelle dont les grandes lignes
sont résumées ainsi par Aḥmad Zarrūq, un des continuateurs d’Ibn ‘Abbād :
« Ce qui dominait son état, c’est la honte (al-ḥayā’) devant Dieu et
l’abaissement devant Sa magnificence, ainsi que le fait de se rabaisser
devant les gens au rang des moindres insectes. Il ne s’attribuait aucune
excellence par rapport aux autres créatures, à cause de la crainte
révérencielle qu’il éprouvait vis-à-vis de la majesté et de la magnificence du
Seigneur, ainsi qu’en raison de la vision qu’il avait des bienfaits divins 835. »
Presque trois siècles plus tard, l’auteur du Nafḥ al-ṭīb 836 remarque que
le tombeau d’Ibn ‘Abbād, auprès duquel les invocations sont réputées être
exaucées, représente pour Fès ce qu’est le fameux tombeau d’al-Shāfi‘ī pour
le Caire 837. Dans la Salwa 838, on trouve même un poème sur les vertus de
la visite de sa tombe, notamment en temps de détresse. Son enterrement
fut un événement majeur à Fès, présidé par le sultan et par une grande
foule. La postérité 839 considère Ibn ‘Abbād comme quṭb, un pôle spirituel
de son époque.
Les dernières années du magistère d’Ibn ‘Abbād se poursuivent dans
des circonstances qui entament le déclin du régime mérinide. La faiblesse
834
Voir B. Shoshan, Popular Culture…, p. 13-16.
835
Salwa, vol. II, p. 154.
836
Il s’agit de Shihāb al-Dīn al-Maqqarī (m. 1041/1632), cité dans Salwa, vol. II, p. 157.
837
Le sanctuaire, dans lequel sont enterrés certains compagnons d’Ibn ‘Abbād et des membres
de la famille chérifienne des Ṭāhirites, tomba en ruine et fut reconstruit au XIe/XVIIe siècle
par un sultan dilā’ite. Aujourd’hui, il est de nouveau en ruine et se trouve dans un état
déplorable, mais des associations locales préparent un projet de nettoyage et de reconstruction.
838
Salwa, vol. II, p. 157.
839
Ibid., p. 155.
242 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
840
Voir V. Cornell, « Socioeconomic dimensions of the Reconquista and Jihad in Morocco :
Portuguese Dukkala and the Sa’did Sus, 1450-1557 », IJMES, n° 22, 1990, p. 359 et suiv.
841
Voir Dawḥa, p. 48-51 ; Salwa, vol. III, p. 225 ; M. Benchekroun, La Vie intellectuelle…,
p. 373-384 ; A. F. Khushaim, Zarrūq the Ṣūfī : A Guide in the Way and a Leader to the Truth :
a Biographical and Critical Study of a Mystic from North Africa, Tripoli, General Company
for Publication, 1976 ; S. Kugle, Rebel between Spirit and Law : Ahmad Zarrūq, Sainthood,
and Authority in Islam, Bloomington, Indiana Univ. Press, 2006. ‘Abdallāh Najmī (« Bayna
Zarrūq wa Lūtar : fī al-iṣlāḥ al-dīnī wa al-‘uṣūr al-ḥadītha », al-Ribāṭāt wa al-zawāyā fī tārīkh
al-Maghrib, N. al-Dhahabī, dir., Rabat, faculté des Sciences humaines et sociales, 1997,
p. 77-120) se livre à une comparaison entre le projet de Zarrūq et celui de Martin Luther
qui nous semble peu appropriée. Néanmoins, cet article comporte des éléments intéressants,
notamment concernant le rapport entre Zarrūq et le mouvement jazūlite (voir p. 100 et suiv.).
842
La critique de Zarrūq se dirige surtout contre les adeptes de ‘Amr Ibn Sayyāf
(m. 890/1485), un adepte de la voie jazūlite qui déclarait exercer la fonction eschatologique
de Mahdī (voir M. Garcia-Arenal, « La conjonction du soufisme et du sharîfisme au Maroc :
le Mahdī comme sauveur », REMMM, n° 55-56, 1990, p. 240 et suiv).
Histoire de la sainteté à Fès 243
843
Voir Salwa, vol. II, p. 130 ; F.R. Mediano, Familias de Fez (ss. XV-XVII), Madrid, CSIC,
1995, p. 224-227.
844
Dans son article « Usūlī Sūfis : Ahmad Zarrūq and his South-Asian Followers », Une
Voie soufie dans le monde…, p. 182-186. S. Kugle qualifie al-Qawarī (ou al-Qūrī) de soufi,
alors que l’hagiographie n’évoque aucun rattachement initiatique ni une association avec
le soufisme. Z. Istrabadi et A.F. Khushaim le comptent parmi les professeurs de Zarrūq en
sciences religieuses et non pas parmi ses maîtres spirituels.
845
Comme l’explique R. Pérez (Ibn Khaldūn…, p. 29), à l’époque mérinide le taṣawwuf
« fait partie désormais de cet ensemble de connaissances que tout homme cultivé se doit
de posséder ».
846
Salwa, vol. II, p. 131.
244 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
847
Voir ibid., p. 89-91 ; M. Benchekroun, La Vie intellectuelle…, p. 422 et suiv.
848
Voir M. Garcia-Arenal, « The revolution of Fās in 869/1465 and the death of sultan
‘Abd al-Ḥaqq al-Marīnī », BSOAS, n° XLI, p. 43-66.
849
Selon A.F. Khushaim (voir Zarrūq the Ṣūfī…, p. 14-15), c’est la position qu’il prend
dans ces événements qui force Zarrūq à quitter sa ville bien-aimée.
850
Voir M. Garcia-Arenal, « Sainteté et pouvoir dynastique au Maroc : la résistance de Fès
aux Sa‘diens », ESC, vol. 45, n° 4, 1990, p. 1028.
Histoire de la sainteté à Fès 245
851
Nous allons traiter de cet événement capital dans le prochain chapitre.
852
Voir Salwa, vol. III, p. 209-210 où il est question des ancêtres de la branche qâdirite
de Fès. Pour plus de détails, voir Ishrāf, vol. II, p. 60 et suiv. ; F.R. Mediano, Familias
de Fez…, p. 218-224.
853
Voir ‘A. al-Qādirī, Kitāb al-zāwiyat al-Qādiriyya ‘abra al-tārīkh wa al-‘uṣūr, Tétouan,
1986.
854
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 261.
855
Voir Jadhwa, vol. I, p. 240-241 ; Salwa, vol. I, p. 208-209 ; S. Kugle, Rebel between
Spirit and Law…, p. 70-79. L’auteur de la Salwa remarque que la tombe d’al-Zaytūnī n’est
pas à Fès, contrairement à ce que croient certains.
856
Voir V. Cornell, « Mystical doctrine and political action in Moroccan Sufism: The Role of
the Exemplar in the Ṭarīqa al-Jazūliyya », QANT, n° 13/1, 1992, p. 211 et suiv. ; A.F. Khushaim,
Zarrūq the Ṣūfī…, p. 101-102 ; S. Kugle, Rebel between Spirit and Law…, p. 70-79.
857
Ce lieu est connu comme Bū al-Quṭṭūṭ et se trouve dans le quartier al-Qalī‘a.
246 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
afin de mettre fin aux désordres politiques et sociaux. Al-Zaytūnī est aussi
l’un des maîtres du jeune étudiant Zarrūq 858. Les sources divergent quant à
la relation entre les deux personnages, mais il est pratiquement sûr qu’al-
Zaytūnī initie Zarrūq au soufisme. Dans le Dawḥat al-nāshir d’Ibn ‘Askar,
on lit qu’une épreuve initiatique poussa Zarrūq à quitter la compagnie de
son maître auquel il voue une grande admiration :
« Zarrūq éprouvait un grand amour pour al-Zaytūnī et clamait une
prérogative à cet égard. Il fut éprouvé dans cela lorsqu’il visita son maître.
Quand il frappa à la porte, il entendit une voix lui donnant la permission
d’entrer. Il entra dans la maison, mais ne trouva personne. Alors il monta
dans la chambre supérieure où il trouva le maître assis au milieu. A sa droite
il vit une jolie femme et à sa gauche une autre, le maître se penchant tantôt
vers l’une et tantôt vers l’autre. Abū al-‘Abbās Zarrūq se dit à lui-même « cet
homme est un hérétique » et se détourna en retournant sur ses pas. Alors
le maître al-Zaytūnī l’appela : « Ô menteur ! Reviens ! » Il revint et ne vit
plus personne à côté du maître. Il comprit alors que c’était une épreuve.
Al-Zaytūnī lui dit : « Celle que tu as vu à ma droite, c’est l’au-delà, et celle
que tu as vu à ma gauche, c’est ce bas monde. Tu es menteur quant à ta
prétention de m’aimer. Certes, tu ne resteras pas une heure au Maroc. » 859 »
Dans d’autres versions, les deux femmes sont des sœurs du maître 860.
En tout cas, selon l’hagiographie, c’est cette rupture temporaire et non pas
les événements politiques qui poussent Zarrūq à quitter Fès. Après avoir
visité le sanctuaire d’Abū Madyan et s’être réconcilié avec al-Zaytūnī, qui
alors l’honore avec des louanges, notre personnage décide d’accomplir le
pèlerinage à la Mecque.
858
S. Kugle (voir Rebel between Spirit and Law..., p. 67-70) évoque également la
fréquentation de la zāwiya d’un certain Muḥammad al-Amīn al-‘Aṭṭār. Ce serait ce dernier
qui aurait introduit Zarrūq dans le cercle d’al-Zaytūnī.
859
Dawḥa, p. 49.
860
Chez al-Kūhin on trouve encore une version quelque peu différente. Ici, ce sont les
deux femmes qui se penchent vers le maître. Ce dernier explique après que l’au-delà et ce
bas monde symbolisé respectivement par les deux femmes l’appellent, mais que lui s’en
détourne (voir Kubrā, p. 118).
861
Voir Mir’āt, p. 440 ; Kubrā, p. 114-115 ; S. Kugle, Rebel between Spirit and Law...,
p. 118-129. Zarrūq a consacré une biographie à son maître, les Manāqib al-Ḥaḍramī,
le Caire, Dārat al-Karaz, 2008.
Histoire de la sainteté à Fès 247
862
Voir Mir’āt, p. 379. Pour cette voie égyptienne, voir R.J. McGregor, Sanctity and
mysticism in medieval Egypt : The Wafā’ Sufi order and the legacy of Ibn al-‘Arabī, Albany,
SUNY, 2004.
863
Voir S. Kugle, Rebel between Spirit and Law..., p. 124. L’auteur darqāwī Aḥmad Ibn
‘Ajība traite cette idée dans son commentaire des ḥikam (voir Īqāẓ al-himām fī sharḥ al-
Ḥikam, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2005, p. 432).
864
Dawḥa, p. 49.
865
Voir la traduction d’A. Épaulard : Description de l’Afrique, Paris, Adrien-Maisonneuve,
t. I, 1956, p. 179-241.
248 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
866
Ibid., p. 49-50.
867
On ne sait pas avec certitude si ses disciples fāsis, comme Ibrāhīm Ibn ‘Alī Āfḥām al-
Zarhūnī, ont fait leur initiation auprès de lui pendant cette période.
868
Zarrūq the Ṣūfī..., p. 24.
869
Voir Dawḥa, p. 50.
870
Voir A.F. Khushaim, Zarrūq the Ṣūfī..., p. 22-25.
871
Il s’agit du quartier ‘Ayn Zlītan (voir annexes, carte n° 3).
Histoire de la sainteté à Fès 249
872
Cité dans A.F. Khushaim, Zarrūq the Ṣūfī..., p. 24.
873
Voir Kubrā, p. 118.
874
Cité dans A.F. Khushaim, Zarrūq the Ṣūfī..., p. 27.
875
A.F. Khushaim (Zarrūq the Ṣūfī..., p. 45) nie que Zarrūq soit l’auteur d’un de ces poèmes,
mais ses arguments sont très subjectifs.
250 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
une critique des soufis de son époque 876, notamment ceux qui semblent
être trop tolérants par rapport aux exigences de la loi sacrée, mais ces
critiques s’adressent aussi au milieu des savants. Il s’agit pour Zarrūq de
rétablir l’équilibre entre l’aspect normatif et l’aspect initiatique de l’islam.
L’engagement parfois tenace de Zarrūq est compréhensible lorsqu’on
considère les controverses de l’époque. La nécessité d’une médiation et
d’une réconciliation 877 entre le monde des oulémas urbains et le soufisme,
dont les formes rurales avaient la réputation de donner lieu à des déviations,
explique sans doute l’apparition de figures comme Ibn ‘Abbād et Zarrūq.
La production littéraire de ce dernier est considérable. On lui attribue
plusieurs commentaires des Ḥikam d’Ibn ‘Aṭā Allāh 878. Dans ses Qawā‘id
al-taṣawwuf 879, une de ses œuvres les plus originales, Zarrūq cherche à
montrer que le soufisme fait partie de la tradition islamique en l’identifiant
à l’iḥsān (« le perfectionnement ») du fameux hadith dit de Jibrīl 880. Or,
explique l’auteur, il existe deux voies menant à la réalisation de l’iḥsān,
la première correspondant à celle de la tradition shādhilite et l’autre
exposée par al-Ghazālī. La première, la plus rapide, correspondant à
celle des uṣūliyyūn, « ceux qui s’occupent d’embellir leur foi par la
certitude (al-īqān) jusqu’à être prêts pour la vision spirituelle (al-‘iyān) 881
». Mais, comme l’auteur le montre dans la règle n° 11 où il définit les
qualifications (ahliyya) de l’aspirant, le taṣawwuf n’est pas pour tout le
monde. Sa distinction entre trois types de maître est intéressant par rapport
à son modèle Ibn ‘Abbād et le débat dont nous avons traité au début de
ce chapitre. Dans le principe n° 66 882 il fait la distinction, comme son
876
Il s’agit notamment de son ‘Uddat al-murīd al-ṣādiq (Beyrouth, Dār al-Kutub al-
‘Ilmiyya, 2007). Voir à ce propos I. ‘Azūzī, al-Shaykh Aḥmad Zarrūq : ārā’uhu al-iṣlāḥiyya,
Rabat, Wazārat al-Awqāf wa al-Shu’ūn al-Islāmiyya, 1998 ; M. Kably, Société, pouvoir et
religion au Maroc…, p. 317-319.
877
Voir M. Benchekroun, La Vie intellectuelle…, p. 491.
878
Pour la traduction des commentaires de cet ouvrage, notamment ceux d’Ibn ‘Abbād et
Zarrūq, voir Y.W. Schwein, Illuminated arrival in the Ḥikam al-‘Aṭā’iyyah and three major
commentaries, Mémoire de Master, Athens, Univ. of Georgia, 2007.
2 éd., Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2005. Voir Z. Istrabadi, “The Principles
879 e
883
Voir Z. Istrabadi, “The Principles of Sufism”..., p. 54-55. Règle n° 4 dans l’édition
arabe (Qawā‘id…, p. 22).
884
Voir Z. Istrabadi, “The Principles of Sufism”..., p. 79. Règle n° 40 dans l’édition arabe
(Qawā‘id…, p. 39).
885
Dans le contexte du renouveau darqāwī au début du XIII e/XIXe siècle, Ibn ‘Ajība (m.
1223/1809) relativise l’importance de cette approche « scolastique » dans le soufisme
(voir K. Honerkamp, « Ibn ‘Abbād, modèle de la Shādhiliyya », Une voie soufie dans le
monde…, p. 164).
886
Voir Salwa, vol. I, p. 21.
252 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
La Zarrūqiyya
Si, grâce à ses écrits et sa personnalité, Zarrūq personnifie pour les
générations suivantes le soufi juriste intransigeant envers toute forme
d’« excentricité », par rapport à Fès, son impact le plus considérable résulte
de ses disciples. Par son rattachement à al-Ḥaḍramī, Zarrūq introduit
dans la capitale la filiation shādhilite égyptienne remontant à Ibn ‘Aṭā
Allāh et al-Mursī. C’est cette filiation, et non pas la branche tunisienne
du cercle d’Ibn ‘Abbād, qui donnera lieu à la tradition shādhilite de Fès
et à la zāwiya al-Fāsiyya, sans oublier les autres branches de cette voie,
dont les représentants marquent la ville, comme la voie d’Abū al-Qāsim
« al-Ghāzī » al-Dar‘ī (m. 981/1574), de Yaḥya al-Lamṭī (m. 980/1572)
et d’autres. S’il est vrai que les saints shādhilites investissent toute la
typologie spirituelle, il semble néanmoins surprenant que ces héritiers fāsis
de Zarrūq ne se conforment qu’assez peu au type de soufisme représenté
par leur maître. Ainsi, Ibrāhīm Ibn ‘Alī Āfḥām al-Zarhūnī (m. 922/1520)
fait partie des malāmatī et est un « ravi en Dieu » (majdhūb) qui se
trouve sans cesse dans un fort état d’absence spirituelle. Son disciple,
Abū al-Ḥassan ‘Alī al-Sanhājī « al-Dawwār » (m. 941/1540) sera le maître
du célèbre ‘Abd al-Raḥmān Ibn Majdhūb (m. 976/1568), c’est-à-dire le
représentant marocain le plus célèbre de ce type de sainteté extatique. Il
ne s’agit donc pas simplement d’une alternance dans les tempéraments
spirituels que l’on constate parfois entre un maître et son successeur,
mais d’une évolution d’ordre plus général. Or, comment l’expliquer ? On a
déjà évoqué l’influence du jazūlisme. Comme on le verra dans le chapitre
suivant, le phénomène du jadhb, le « ravissement spirituel », marque la
sainteté des prochains siècles, et la Zarrūqiyya n’y fera pas exception.
Le disciple direct le plus connu de Zarrūq est sans doute Aḥmad Ibn
Yūsuf al-Milyānī 887 (m. 927/1521). Voyageur infatigable entre Fès, l’Algérie
887
Sur ce saint et sa confrérie, voir M. Cherif, « Spiritualité et engagement historique : le cas
du cheikh Ahmad Ben Youssef », Une Voie soufie dans le monde…, p. 173-780 ; M. Hady-
Sedok, Milyana et son patron Sayyid Aḥmad Ibn Yūsuf, Alger, Office des publications
universitaires, 1964 ; ‘A. Najmī, al-Taṣawwuf wa al-bid‘at bi-l-Maghrib, Rabat, Manshūrāt
Kulliyyat al-Ādāb wa al-‘Ulūm al-Insāniyya, 2000. Voir aussi Dawḥa, p. 112-113 ; Salwa,
vol. II, p. 14-16.
Histoire de la sainteté à Fès 253
et l’Égypte, il organise une alliance avec les Turcs pour défendre les côtes
algériennes contre les invasions espagnoles. Son engagement politique
mis à part, il est considéré comme l’un des saints les plus importants
du Maghreb 888 et comme un éminent représentant de la Shādhiliyya 889.
Comme d’autres maîtres de son époque, Aḥmad Ibn Yūsuf affirme la
supériorité de « la voie de l’attraction divine » (ṭarīqa al-jadhb) 890 et
caractérise sa sainteté par la maîtrise de la science extérieure et intérieure,
un rang éminent dans la hiérarchie initiatique et la vision du Prophète en
état de veille 891. Comme dans tout le Maghreb, la Milyāniyya est aussi très
présente à Fès, et des saints comme ‘Umar al-Sharīf al-Ḥusaynī 892 (m. Xe/
XVIe siècle) ou Muḥammad b. ‘Abdallāh Āmghār 893 (m. Xe/XVIe siècle)
se rattachent directement à lui. Ce dernier est un descendant du clan des
Āmghār qui tient le fameux Ribat Tīṭ-n-Fiṭr au sud du Maroc. On sait très
peu sur lui, si ce n’est que les soufis du XIIe/XVIIIe siècle le comptent
encore parmi l’élite des saints (akābir al-awliyā’).
888
Pour l’auteur de la Salwa, il est un des « piliers » du Maghreb (voir vol. II, p. 15).
889
L’un des saints algériens les plus populaires et souvent considéré par la population
comme symbole de la résistance face aux puissances européennes, Aḥmad Ibn Yūsuf a
retenu l’attention des orientalistes français. M. Bodin dit à son propos : « De tous les saints
de l’Islam si nombreux dans l’Afrique du Nord et particulièrement abondants, grâce à Dieu,
dans le Maghreb central, nul ne jouit d’une renommée plus étendue que Sidī Ahmad Ben
Youssef. » (Revue africaine, n° II, 1925, p. 161.)
890
Voir ‘A. Najmī, al-Taṣawwuf wa al-bid‘at…, p. 137.
891
Voir Salwa, vol. II, p. 15.
892
Voir Ibid., p. 14.
893
Voir Ibid., p. 245-247.
894
Voir M. Shatzmiller, L’Historiographie mérinide…, p. 33 et suiv.
254 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
895
Histoire de l’Afrique du Nord…, p. 557.
896
Voir F.R. Mediano, Familias de Fez…, p. 31-76.
Histoire de la sainteté à Fès 255
897
Voir F. Mediano, Familias de Fez…, p. 31-71.
898
Voir Z. Istrabadi, “The Principles of Sufism”..., p. 108. Dans la version arabe, voir la
règle n° 76.
256 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
899
Voir É. Geoffroy, « Entre ésotérisme et exotérisme, les Shādhilis, passeurs de sens
(Égypte XIIIe-XVe siècles) », Une Voie soufie dans le monde…, p. 117-129.
900
K. Honerkamp, Lettres de direction spirituelle…, p. 32.
Histoire de la sainteté à Fès 257
901
Cela restera ainsi jusqu’en 1324/1906, lorsque le taṣawwuf sera exclu du curriculum
avec l’astronomie.
258 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
902
Voir Z. Istrabadi, “The Principles of Sufism”..., p. 70 (règle n° 26 dans le texte arabe).
903
Nous traitons d’al-Jazūlī dans le chapitre prochain, bien qu’il soit antérieur à Zarrūq,
parce que ce dernier s’inscrit dans la tradition d’Ibn ‘Abbād, alors qu’al-Jazūlī inaugure
une nouvelle époque dans l’histoire religieuse du Maroc.
904
Voir M. Garcia-Arenal, « The revolution of Fās in 869/1465 and the death of sultan
‘Abd al-Ḥaqq al-Marīnī », BSOAS, n° XLI, p. 43-66.
905
Fès avant le Protectorat : étude économique et sociale d’une ville de l’Occident
musulman, t. XLV, Casablanca, Publications de l’Institut des Hautes-Études Marocaines,
1949, p. 78.
Histoire de la sainteté à Fès 259
906
Ce phénomène est propre au Maghreb en général et a fait l’objet de diverses études :
N. Amri, Les Saints en islam, messagers de l’espérance, Paris, Cerf, 2008 ; L. ‘Īsā, Maghrib
al-mutaṣawwifa : al-in‘ikāsāt al-siyāsiyya wa al-ḥarāk al-ijtimā‘iyya min al-qarn 10 ilā al-
qarn 17, Tunis, faculté des Sciences humaines et sociales, 2005 ; ‘A. Najmī, Al-Taṣawwuf
wa al-bid‘at bi-l-Maghrib, Rabat, faculté des Sciences humaines et sociales, 2000.
907
Pour un aperçu sur l’évolution du chérifisme au Maroc par rapport au soufisme, voir
Z. Zouanat, Ibn Mashīsh : maître d’al-Shādhilī, Casablanca, 1998, p. 116-148.
908
Voir M. Kably, Société, pouvoir et religion au Maroc à la fin du Moyen Âge, Paris,
Maisonneuve et Larose, 1986.
260 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
909
Voir H.L. Beck, L’Image d’Idris II, ses descendants de Fās et la politique sharīfienne
des sultans marīnides, p. 208 et suiv.
910
Voir M. Shatzmiller, L’Historiographie mérinide, Ibn Khaldūn et ses contemporains,
Leyde, Brill, 1982, p. 140 et suiv. Selon l’historienne, les Fāsis, désireux de garder
l’indépendance dont jouissait leur ville à l’époque almoravide et almohade, n’ont jamais
accepté la gouvernance mérinide.
911
Voir G. Salmon, « Le culte de Moulay Idris et la mosquée des Chorfa à Fès », AM,
n° III, 1905, p. 413-429.
912
Voir H.L. Beck, L’Image d’Idris II…, p. 233 et suiv. L’auteur passe en revue les
diverses interprétations de cet événement. Voir surtout M. Shatzmiller, L’Historiographie
mérinide…, p. 138 et suiv. On trouve une analyse sociopolitique et anthropologique dans
A. Sebti, op. cit., p. 83 et suiv.
913
« Les premiers Mérinides et le milieu religieux de Fès : l’introduction des Médersas »,
SI, n° 43, 1976, p. 110.
914
Voir Rawḍ al-qirṭās, p. 71.
Histoire de la sainteté à Fès 261
915
W. McGuckin de Slane, trad., Les Prolégomènes d’Ibn Khaldoun, première partie,
Paris, 1863, p. 123.
916
Kitāb al-istibṣār fī ‘ajā’ib al-amṣār, Casablanca, Dār al-Nashr al-Maghribiyya, 1985,
p. 181.
917
Voir H.L. Beck, L’Image d’Idris II…, p. 233.
918
L’interprétation de ces fins ne fait pas l’unanimité parmi les historiens. Si pour
Ch.A. Julien (Histoire de l’Afrique du Nord : des origines à 1830, p. 563) il s’agit de faire
de la capitale « une zāwiya dont le prestige écraserait les autres », H.L. Beck (L’Image
d’Idris II…, p. 225 et suiv.) opte pour la volonté de regrouper le mouvement chérifien à
Fès pour mieux pouvoir le contrôler.
262 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
919
Cette version a été contestée par les historiens modernes, voir M. Garcia-Arenal,
E. Manzano Moreno, « Idrissisme et villes idrissides », SI, n° 82, 1995, p. 5-33.
920
Voir notre chapitre sur la tradition hagiographique de Fès.
921
Voir M. Shatzmiller, L’Historiographie mérinide…, p. 136-152.
922
La Qarawiyyīn, deuxième symbole de Fès, est naturellement associée à la sacralité de
la science religieuse, autre élément fondateur de la tradition spirituelle de la ville. Nous
y reviendrons.
923
Voir D. Gril, « Le corps du Prophète », REMMM, n° 113-114, 2006, p. 37-57.
924
Voir F. Skali, Topologie spirituelle et sociale de la ville de Fès, vol. II, p. 540-549.
Cela dit, il existe un ḥurm spécifique au sanctuaire de Mawlāy Idrīs qui est délimité par
des barrières de bois (voir ibid., p. 545).
925
Voir M. Kably, Société, pouvoir et religion au Maroc…, p. 324 et suiv.
926
Voir M. Razūq, Al-Andalusiyyūn wa hijratuhum ilā al-Maghrib khilāl al-qarnayn 16-17,
3e éd., Casablanca, Afrīqiyā al-Sharq, 1998.
Histoire de la sainteté à Fès 263
germes des grandes familles savantes. La notion d’Ahl Fās, « les gens de
Fès », désignant à l’origine les plus anciens clans de la ville, s’associe à
l’ascendance chérifienne et aux savants. La constitution ethnique et sociale
de la ville est réagencée, ce qui entraîne des conséquences perceptibles
au niveau de la vie spirituelle à partir des Xe -XIe/XVIe -XVIIe siècles.
Certaines des familles qui jouent un rôle important à cet égard comme
les Fihrī (plus tard al-Fāsī) ou des shurafā’ comme les Dabbāgh et les
Kattānī s’installent à Fès durant cette période.
927
Voir Realm of the Saint ; idem, « Mystical doctrine and political action in Moroccan Sufism :
The role of the exemplar in the Ṭarīqa al-Jazūliyya », QANT, n° 13/1, 1992, p. 205-231
928
Le Ribat sera pris par les Portugais quelques années plus tard, en 914/1510, et celui de
Safi en 912/1508. Al-Jazūlī peut donc être considéré comme le dernier héritier spirituel de
ces deux institutions majeures du soufisme marocain.
929
Voir Muḥammad al-Mahdī al-Fāsī, Mumti‘ al-asmā‘ fī dhikr al-Jazūlī wa al-Tabbā‘
wa mā lahumā min al-atbā‘, Casablanca, Maṭba‘at al-Najāḥ al-Jadīda, 1994. On trouve
une traduction partielle de cet ouvrage par A. Graulle dans AM, t. XIX, 1913, p. 243-253.
264 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
V. Cornell (Realm of the Saint..., p. 151 et suiv.) attire l’attention sur le fait que le Mumti‘
al-asmā‘ fut rédigé deux siècles après al-Jazūlī et que l’ouvrage minimise l’aspect politique
de l’enseignement jazūlite pour le rendre acceptable par les autorités alawites. L’auteur
admet en même temps que ce problème concerne avant tout l’aspect doctrinal du Mumti‘
et ne met pas en doute sa valeur pour la reconstitution de la biographie d’al-Jazūlī. Cela
étant dit, de nombreuses zones d’ombre demeurent concernant certaines périodes de la
biographie du saint. Voir aussi H. Jallāb, Muḥammad Ibn Sulaymān al-Jazūlī : Muqārabat
taḥliliyya li-kitābatihi al-ṣūfiyya, Marrakech, Tīnmal, 1993 ; J. Kansoussi, « Al-Jazūlī ,
auteur des Dalā’il al-khayrāt », HM, 1994, vol. 23-24, p. 57-61.
930
Voir Salwa, vol. II, p. 246-247 ; M. al-Māzūnī, « Ribāṭ Tīṭ : min al-ta’sīs ilā ẓuhūr al-
ḥarakat al-jazūliyya », al-Ribāṭāt wa al-zawāyā fī tārīkh al-Maghrib, N. al-Dhahabī, dir.,
Rabat, faculté des Sciences humaines et sociales, 1997, p. 25-52.
931
Salwa, vol. II, p. 246.
932
Voir « Ribāṭ Tīṭ - min al-ta’sīs ilā ẓuhūr al-ḥarakat al-jazūliyya », p. 36. Dans le Mumti‘
(p. 38) on trouve effectivement une filiation shādhilite d’Abū ‘Abdallāh Muḥammad
Āmghār al-Ṣaghīr.
933
Il s’agit de la défaite des Portugais qui rend Sabta au Maroc.
Histoire de la sainteté à Fès 265
934
P. 25.
935
Voir Mumti‘, p. 20-21. On trouve cette anecdote également dans l’introduction des
commentaires du Dalā’il, comme p. ex. le Dalālāt al-wāḍiḥāt ‘alā Dalā’il al-khayrāt de
Yūsuf b. Ismā‘īl al-Nabahānī, 2e éd., Damas, al-Jaffān wa al-Jābī, 2004, p. 34-35.
936
Pour ce qui concerne les pratiques de la voie jazūlite, nous nous sommes appuyés sur les
recherches de V. Cornell (Realm of the Saint..., p. 180-183). Voir aussi M. Raïs, Aspects de
la mystique marocaine au VIIe-VIIIe/XIIIe-XIVe s. : al-Minhāj al-wāḍiḥ fī taḥqīq karamāt Abū
Muḥammad al-Ṣāliḥ, Aix-en-Provence, thèse de doctorat, Université de Provence, 1996, 2 vol.
937
Voir Mumti‘, p. 46-47.
266 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
938
Ainsi, selon al-Jazūlī, le fait « de suivre et de se conformer extérieurement et
intérieurement au cheikh » constitue la première condition de la démarche du repentir
(al-tawba) que doit réaliser l’aspirant (Mumti‘, p. 41). Il précise également vingt règles de
conduite (ādāb) que le disciple doit respecter vis-à-vis de son maître et précise que « celui
qui respecte la bonne conduite (ta’addaba) avec son maître respecte la bonne conduite avec
son Seigneur » (voir Mumti‘, p. 45).
939
Ainsi, le saint déclare : « J’ai vu le Prophète et il m’a dit : « Je suis l’ornement des
envoyés et tu es l’ornement des saints. » » (Mumti‘, p. 18.) Cette investiture se traduit
par une fonction de représentation prophétique : « [...] je détiens son autorité (ḥukmuhu fī
yadī) (ibid., p. 19). »
940
Voir E. Landau-Tasseron, « The cyclical reform : a study of the Mujaddid tradition »,
SI, n° 70, 1989, p. 79-117.
941
Le fait que le biographe fāsi d’al-Jazūlī considère nécessaire de justifier une pratique
jazūlite comme le rasage du crâne en citant l’opinion des savants notoires montre le
problème que pose le caractère distinctif de la Jazūliyya encore deux siècles après sa
naissance (voir Mumti‘, p. 32-36).
Histoire de la sainteté à Fès 267
942
Une lettre, conservée aujourd’hui dans la bibliothèque de la Qarawiyyīn (Risālat ilā
‘ulamā’ al-ẓāhir, ms., BQ, n° 723/7), témoigne de l’attitude critique d’al-Jazūlī à l’égard
du milieu savant de Fès.
943
Voir Mumti‘, p. 26 et suiv.
944
Voir Mumti‘, p. 30-31. Ce fait rappelle Idrīs II, qui fut également trouvé intact lors de
la redécouverte de sa tombe une trentaine d’années après la mort d’al-Jazūlī.
268 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
945
Ainsi il déclare : « Notre règne (dawla) c’est le règne de ceux qui s’engagent avec
effort et luttent (al-mujāhidīn) dans le chemin de Dieu, combattant les ennemis de Dieu. »
(Mumti‘, p. 19.)
946
Voir É. Geoffroy, « De l’influence d’Ibn ‘Arabī sur l’école shâdhilie égyptienne »,
Horizons maghrébins, n° 41, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2000, p. 83-90.
947
Mumti‘, p. 22.
948
Ibid., p. 19.
949
Ibid., p. 18.
Histoire de la sainteté à Fès 269
950
En effet, nous ne disposons que de relativement peu de traces écrites d’al-Jazūlī en
dehors du Dalā’il al-khayrāt. La version complète du Nuṣḥ al-tamm li-man qāla Rabbī Allāh
thumma istiqām est perdue, une copie de la Risāla fī al-maḥabba, interprétant l’histoire
coranique du prophète Yūsuf, est conservée à Marrakech (ms., BBY, n° 587/3), et une copie
de la Risālat ilā ‘ulamā’ al-ẓāhir, dont on trouve une partie dans le Mumti‘ (p. 32-36), est
conservée à Fès (ms., BQ, n° 723/7). Pour le petit traité dogmatique (‘aqīda) d’al-Jazūlī, voir
H. Jallāb, Al-Harakat al-ṣūfiyya bi-Marrākish wa athāruhā fī al-adab, vol. II, p. 187-204.
951
Voir surtout Mumti‘, p. 18-19, p. 37-47.
270 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
952
Dans le passage où l’auteur relate divers hadiths concernant le mérite de la taṣliya, il
remarque : « [L’appel de grâce sur le Prophète] est parmi les choses les plus importantes
(ahamm al-muhimmāt) pour celui qui aspire à la proximité du Seigneur suprême. »
953
Mumti‘, p. 19 (traduction par M. Garcia-Arenal, « La conjoction du soufisme et du
sharîfisme au Maroc : le Mahdī comme sauveur », REMMM, n° 55-56, 1990, p. 239).
954
« Le maître accompli (al-shaykh al-wāṣil), explique-t-il, c’est celui qui reçoit la science
directement de Dieu sans intermédiaire. » (Mumti‘, p. 42.)
955
Le maître représente en effet le Prophète : « La sacralité du maître pour les disciples
correspond à la sacralité du Prophète pour ses compagnons. » (Mumti‘, p. 45.)
956
Voir A. al-Wārith, al-Ṭarīqat al-Jazūliyya : al-taṣawwuf wa al-sharaf wa al-sulṭat fī
al-Maghrib al-ḥadīth, Casablanca, Maṭba‘at al-Najāḥ al-Jadīda, 2010.
Histoire de la sainteté à Fès 271
957
A. Laroui parle d’une « élite maghrébine isolée, désespérée et sceptique » (L’Histoire du
Maghreb : un essai de synthèse, p. 213). Voir aussi M. Hajji, La Vie intellectuelle au Maroc
à l’époque sa‘dide, Rabat, Dār al-Maghrib, vol. I, 1976, p. 65-67 ; R. Le Tourneau, Fès
avant le Protectorat, étude économique et sociale d’une ville de l’Occident musulman, p. 77.
958
M. Hajji, La Vie intellectuelle…, vol. I, p. 63.
959
« La culture désintéressée (philosophique, mathématique) ne peut prospérer que dans
un environnement favorable. Elle suppose non seulement la tolérance des princes, mais
l’existence de cercles intellectuels étoffés, l’existence de mécènes qui commanditent les
ouvrages, d’un public prêt à acheter les livres, etc. Or, à quelques exceptions près, les
princes musulmans ne s’intéresseront plus guère à ces luxes de l’esprit. » (H. Bellosta,
D. Gril, P. Lory, « Destin de la pensée musulmane médiévale », États, sociétés et cultures
du monde musulman médiéval Xe-XVe siècles, Paris, PUF, vol. III, 2000, p. 196.)
960
Voir C. Gilliot, « Évolution et sclérose de la tradition », États, sociétés et cultures du
monde musulman médiéval…, vol. III, p. 183-194.
961
Cependant, les oulémas de Fès ne constituent pas un corps homogène. Ainsi,
M. Shatzmiller (L’Historiographie mérinide…, p. 33 et suiv.) a montré qu’une des
motivations de l’historiographie mérinide est de manifester l’indépendance du milieu
religieux de Fès vis-à-vis du pouvoir et des oulémas zénètes de la cour.
962
Voir V. Cornell, op. cit., p. 166, p. 187-188.
963
Il semble que ce sont surtout les soufis qui cherchent à mobiliser les savants et les
responsables politiques pour le jihād. Le savant Muḥammad Ibn Yaggabsh al-Tāzī
(m. 920/1514), disciple du soufi qādirite al-Zaytūnī (voir le chapitre V sur Zarrūq), insiste
272 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
forme d’autorité spirituelle, non pas basée sur la science, mais sur le
Prophète et la sainteté, remplissant ainsi le vide laissé par l’élite savante
et politique.
Enfin, ce n’est pas seulement la situation sociopolitique qui favorise la
mise en scène temporelle des zāwiyas. Le projet d’al-Jazūlī implique la
sortie du soufisme de son cadre strictement initiatique : le saint apparaît
comme celui qui s’emploie en fonction de son autorité d’origine prophétique
à être un modèle pour toute la communauté et non pas seulement pour
ses disciples ou ses étudiants 964. Selon cette conception, l’autorité du saint
concerne la société entière, et pas seulement ceux qui se rattachent à lui
pour réaliser un parcours initiatique 965. Cette interprétation de la sainteté
contrebalance le repliement de l’élite religieuse sur elle-même et fournit
une justification doctrinale pour la fonction que la sainteté exerce déjà
depuis des siècles au sein de la société.
L’élite religieuse et politique ne peut pas rester indifférente à ce discours
et aux critiques qu’il implique. Le langage et le charisme d’al-Jazūlī attirent
l’attention des masses, ce qui amène le sultan ‘Abd al-Ḥaqq II à s’opposer à
la ṭā’ifa al-jazūliyya. Comme l’a remarqué V. Cornell, les conséquences de
l’activité d’al-Jazūlī et de ses disciples n’affectent pas seulement le domaine
religieux, mais aussi le destin politique du Maroc : « Sous l’influence de
l’ordre soufi de la Jazūliyya et des mystiques alliés, l’ancien paradigme
de l’autorité politique de la région fut remplacé dans le siècle suivant par
une doctrine chérifienne qui créa une identité distincte pour le Maroc et
qui posa les fondations idéologiques de la monarchie contemporaine 966. »
Ses plus éminents disciples se chargent de perpétuer et de développer
l’enseignement du maître dans la capitale.
dans son Kitāb al-jihād sur la nécessité de réformes et de l’unification des forces militaires
pour répondre au défi portugais (voir V. Cornell, Realm of the Saint..., p. 237-240).
964
Ainsi, dans ses propos, il s’adresse à la communauté musulmane en général, voir p. ex. :
« Ô vous les musulmans (ma‘shar muslimīn), ne savez-vous pas que le Prophète est proche
de moi et que je détiens son autorité (ḥukmuhu fī yadī) ; celui qui me suit fait partie de
ceux qui le suivent et celui qui ne me suit pas n’est pas parmi ceux qui le suivent. »
(Mumti‘, p. 19.)
965
Voir V. Cornell, « Mystical doctrine and political action in Moroccan Sufism : The role
of the exemplar in the Ṭarīqa al-Jazūliyya », QANT, n° 13/1, 1992, p. 205-231.
966
V. Cornell, op. cit., p. 195.
Histoire de la sainteté à Fès 273
967
Voir Dawḥa, p. 122 ; Mumti‘, p. 52-53 ; Salwa, vol. II, p. 238.
968
Voir S.P. Stetkevych, The Mantle Ode, Arabic Praise Poems to the Prophet Muḥammad,
Bloomington, Indiana Univ. Press, 2010.
969
Il s’agit d’un disciple d’al-Jazūlī qui se prétend son successeur pour mener une action
politique, mettant sous son contrôle la région du Sūs pendant presque vingt ans. Voir
M. Garcia-Arenal, « La conjonction du soufisme et du sharīfisme au Maroc : le Mahdī
comme sauveur », p. 240 et suiv.
970
Voir Dawḥa, p. 124 ; al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 167 ; Salwa, vol. II, p. 316-317. Aucune source
n’évoque un lien parental avec le fondateur de la voie jazūlite.
274 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
971
Parmi les disciples d’al-Tabbā‘ à Fès et ses environs, il faut mentionner aussi ‘Umar
al-Khaṭṭāb al-Zarhūnī (m. 937/1531), dont nous traiterons à propos de ‘Abd al-Raḥmān
al-Majdhūb.
972
Voir Mumti‘, p. 71-72 ; al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 176-178 ; Salwa, vol. II, p. 234-235.
973
Ibn ‘Ayshūn (al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 177) cite le Mir’āt al-Maḥāsin.
974
Auguste Cour voit une raison politique et anti-wattasside derrière ce phénomène, ce qui
est contesté par Mercedes Garcìa-Arenal (voir « Sainteté et pouvoir dynastique au Maroc :
la résistance de Fès aux Sa‘diens », ESC, vol. 45, n° 4, 1990, p. 1020-1021).
975
Voir Realm of the Saint…, p. 214 et suiv. Nous nous appuyons sur l’analyse de l’auteur
pour l’aperçu qui suit.
976
Ms., BR, n° 5697.
Histoire de la sainteté à Fès 275
977
Traduction de l’anglais, voir V. Cornell, op. cit., p. 217.
978
L’auteur fait allusion à un hadith bien connu selon lequel le Prophète est la ville de la
science (madīnat al-‘ilm) et ‘Alī sa porte (voir Kanz, n° 32890).
979
Voir R. Brunel, Essai sur la confrérie religieuse des Aïssaoua au Maroc, Paris, Geuthner,
1926 ; M. Nabti, Les Aïssawa : soufisme, musique et rituel de transe au Maroc, Paris,
l’Harmattan, 2011.
980
Voir Salwa, vol. I, p. 203.
276 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Cette voie, mettant en avant l’amour spirituel et les dons de son fondateur,
connaît une diffusion importante au point que 600 de ses adeptes sont dits
avoir atteint la perfection spirituelle. Organisée autour des descendants du
fondateur, qui joue un rôle d’intercesseur pour ses disciples, la ‘Īsāwiyya
se caractérise par un rituel fort élaboré rappelant les transes chamanistes.
La pratique des charmeurs de serpents qui rend les ‘Īsāwā célèbres fait
référence à la grâce d’immunité contre le poison des serpents et des
scorpions dont est gratifié le fondateur.
Pour le Maghreb, la confrérie représente en effet un type d’enseignement
initiatique particulier dont le prototype s’était déjà manifesté quelques
siècles auparavant en Orient par la voie Rifā‘īyya ; à Fès, on aura au XIIe/
XVIIIe siècle avec la Ḥamdūshiyya un autre représentant de cette tradition.
Par rapport aux autres voies, ces confréries ont tendance à être assimilées
à une spiritualité populaire, contrebalançant le soufisme des grands saints
souvent assez sophistiqué et élitiste 981. Quoi qu’il en soit, l’ordre des ‘Īsāwa
joue un rôle considérable de médiation dans la société de Fès. Grâce à
sa capacité à assimiler des éléments locaux, la ‘Īsāwiyya établit un lien
important entre la culture populaire et le soufisme. A travers les processions
annuelles 982 par exemple, elle extériorise et rend visible la présence du
soufisme dans la société. Ce cérémonial public, accompagné par des
phénomènes spectaculaires, des costumes particulièrement décorés et de la
musique, permet aux habitants de la ville de participer à l’hommage du saint
et de célébrer son souvenir. Ce type de présence du soufisme et de la sainteté
restera au cours des siècles une des bases de la vie religieuse de Fès. Encore
au début du XIVe/XXe siècle, P. Ricard a pu observer 35 groupes ‘Īsāwa.
Parmi les représentant de la ‘Īsāwiyya de Fès, notons par exemple ‘Abd
al-Salām Ibn Aḥmad Barrāda 983 (m. 1164/1751). Préférant vivre pauvre,
il refuse de prendre en charge le magasin hérité de son père ainsi qu’une
grande somme d’argent. Ayant voué sa vie à s’occuper des membres de
981
Évidemment, il ne s’agit pas d’un élitisme mondain, puisque toutes les classes sociales
y furent représentées, ni d’un élitisme culturel, vu le phénomène des saints illettrés, mais
d’une démarcation faisant référence à la notion de khāssat Allāh (« l’élite de Dieu »). Ceci
dit, le phénomène de popularisation ne doit pas empêcher d’inclure les fondateurs et les
grandes personnalités de ces voies dans cette élite, car l’élévation de leur rang spirituel
fait l’unanimité auprès des hagiographes et des autres saints.
982
Nous devons un beau récit de ces processions à P. Ricard (« Le Mouloud à Fès et les
Aïssaouas », France-Maroc, revue mensuelle, 1917, n° 3, p. 32-33). Nous y reviendrons
dans le chapitre portant sur les temps sacrés.
983
Voir Salwa, vol. I, p. 202.
Histoire de la sainteté à Fès 277
l’ordre, son tombeau est devenu la zāwiya des ‘Īsāwā à Fès. Si l’on fait
exception de quelques protagonistes de ce genre, il est vrai qu’on ne trouve
que peu de personnages appartenant à ce type de confrérie dans les ouvrages
hagiographiques. Les auteurs de ces recueils étant dans la grande majorité
des savants ou des lettrés renommés, ils semblent toujours avoir préféré
prendre leurs distances à l’égard des formes « populaires » du soufisme.
C’est peut-être pour cela que ces ordres jouent un rôle aussi important en
remplissant un espace que le soufisme « savant » s’interdit d’assumer.
Une autre lignée jazūlite très présente à Fès passe par Abū Muḥammad
‘Abdallāh al-Khayyāṭ al-Zarhūnī 984 (m. 939/1531-1532) qui est initié par
un certain al-Ḥassan Ibn ‘Umar Ujānā 985, un des compagnons d’al-Jazūlī.
Il est ensuite pris en charge par Ibn Yūsuf al-Milyānī, le célèbre disciple
de Zarrūq dont il a déjà été question. Maître spirituel reconnu, al-Zarhūnī
est enterré dans le village d’Idris Ier, mais parmi ses disciples figurent
des soufis et des savants de Fès tels que Aḥmad b. Yahyā al-Lamṭī 986 (m.
980/1572), Muḥammad b. Aḥmad al-‘Āyyadī 987 (m. 984/1575-1576) et Abū
al-Ḥajjāj Yūsuf al-Maṣmūdī 988 (m. 950/1543). Ce dernier est atteint un
certain temps par la lèpre, mais est reconnu durant son vivant comme un
saint. S’appliquant à de durs exercices spirituels, il possède le don de percer
les intentions des hommes. Si les hagiographes de Fès n’évoquent que peu
de choses à son propos, il semble pourtant faire partie de ces personnages
discrets qui jouent un certain rôle dans l’économie de la sainteté. Ainsi,
il prédit l’apparition d’un saint nommé « Riḍwān », allusion peut-être à
Riḍwān al-Janwī dont il sera question plus loin.
984
Voir Dawḥa, p. 77 ; Mir’āt, p. 438-439 ; Salwa, vol. III, p. 236-237. Il existe une
biographie sur ce saint : Muḥammad b. Ibrāhīm al-Khayyāṭī al-Rīfī, Kitāb jawāhir al-simāt
fī dhikr manāqib sayyidī ‘Abdallāh al-Khayyāṭ, ms., BG, n° 1185 d.
985
Voir Mumti‘, p. 83-84.
986
Voir Salwa, vol. I, p. 209-210. C’est le maître d’Aḥmad al-Shāwī (m. 1014/1605), un
saint de Fès très célèbre.
987
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 180.
988
Voir Salwa, vol. III, p. 184.
989
Realm of the Saint..., p. 235.
278 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
990
Voir H. Jallāb, « al-Ṣūfī Abū Muḥammad ‘Abdallāh al-Ghazwānī wa ṭarīqatuhu », Buḥūth
fī al-taṣawwuf al-maghribī, Marrakech, 1995, p. 199-216 ; Dawḥa, p. 88 ; Mir’āt, p. 419-
423. Les écrits de ce saint sur l’être spirituel du Prophète ont été réunis par ses disciples
dans al-Nuqtat al-azaliyya fī sirr al-dhāt al-muḥammadiyya, ms., BG, n° 2617 k. Pour une
analyse de ce traité, voir V. Cornell, op. cit., p. 219 et suiv.
991
Voir Dawḥa, p. 91. Il s’agit de ‘Ajāl Abū al-Barakāt al-Ghazwānī (m. 910/1504-1505).
992
Voir Z. Zouanat, Ibn Mashīsh : maître d’al-Shādhilī, Casablanca, 1998, p. 125.
Histoire de la sainteté à Fès 279
qui sera celle de Muḥammad Ibn al-Ṭālib 993. Après un certain temps, al-
Ghazwānī décide d’aller à Marrakech en prononçant la fameuse phrase :
« Le pouvoir quitte les Mérinides 994 avec mon départ de chez eux ! » Le
maître se rallie à Marrakech à une dynastie naissante qui correspond aux
valeurs du mouvement jazūlite, les Sa‘diens.
Au passage du XVe au XVIe siècle, le Maroc souffre du démembrement :
dans le Nord, diverses régions refusent l’autorité wattasside, et le Sud se
rend indépendant. Au milieu de ce désordre général, une nouvelle force
politique émerge : les zāwiyas. Comme l’a remarqué Pierre Berthier 995, deux
choses, la crise du pouvoir et la menace européenne, font que les zāwiyas
réussissent à acquérir une influence qui dépasse leur autorité simplement
religieuse. Face à l’incapacité d’une dynastie wattasside paralysée par les
conflits internes, ce sont les zāwiyas du Sud qui, animées par une tradition
de guerre sainte et favorisées par le prestige de l’ascendance prophétique,
prennent l’initiative. Les zāwiyas jazūlites du Sūs désignent les Sa‘diens 996,
clan d’origine arabe et chérifienne, pour organiser la guerre sainte contre
les Portugais installés à Agadir. En 917/1511, al-Qā’im bi-Amrillāh
(m. 920/1514) réussit à repousser la présence portugaise, consolidant ainsi
l’autorité et le prestige du clan sa’dien. Les notables de Marrakech, ayant
eux aussi souffert économiquement de l’occupation portugaise de Safi,
décident alors de se rallier au nouveau chef de guerre. Pour asseoir sa
légitimité religieuse, ce dernier s’installe dans le village d’Āfūghāl où se
trouve le tombeau d’al-Jazūlī, ce qui montre l’importance du jazūlisme
dans cette période agitée de l’histoire marocaine. Le premier fils d’al-
Qā’im, Aḥmad al-A‘rāj (m. 945/1540), force finalement les Portugais à
renoncer à leurs ambitions expansionnistes. Les victoires des Sa‘diens
divisent le Maroc en deux parties, le Nord étant encore sous l’autorité des
Wattassides. Le deuxième fils d’al-Qā’im, Muḥammad al-Mahdī al-Shaykh
(m. 964/1557), met fin à cette situation. Il s’empare en 947/1541 d’Agadir et
en 961/1554 il fait son entrée à Fès en éliminant le dernier Wattasside 997.
993
Voir infra.
994
L’expression « Banū Marīn » prononcée par al-Ghazwānī inclut ici les Wattassides qui
étaient à l’origine les vizirs des Mérinides.
995
Voir La Bataille de l’oued el-Makhazen, Paris, CNRS, 1985.
996
Voir M. Garcia-Arenal, « Mahdī, Murābiṭ, Sharīf : l’avènement de la dynastie sa‘dienne »,
SI, n° 71, 1990, p. 77-113 ; M. Hajji, La Vie intellectuelle….
997
Voir F.R. Mediano, Familias de Fez (ss. XV-XVII), Madrid, CSIC, 1995, p. 85-102 ;
idem, « Los ulemas de Fez y la conquista de la ciudad por los sa’dies », HT, vol. 30, 1992,
p. 21-38.
280 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
998
Voir Dawḥa, p. 74-75 ; Mumti‘, p. 129-131.
999
Surnommé « merveille de son temps », ce saint est sans doute un des personnages les
plus extraordinaires de l’époque. Il est enterré à Meknès dans le sanctuaire de son maître
Muḥammad Ibn ‘Īsā.
1000
Selon la thèse d’A. Cour (voir L’Etablissement des dynasties des chérifs au Maroc et
leur rivalité avec les Turcs de la Régence d’Alger, Paris, 1904, réédité chez Bouchène en
2004), les soufis qâdirites de Fès, parmi lesquels l’auteur compte Zarrūq, seraient employés
par les Mérinides et affichent de ce fait une position pro-mérinide et anti-sa’dienne, ce
qui expliquerait l’opposition de Fès aux Sa‘diens. Mercedes Garcìa-Arenal (« Sainteté et
pouvoir dynastique au Maroc : la résistance de Fès aux Sa‘diens », p. 1019-1042) a montré
que la question est bien plus complexe.
1001
Voir R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat…, p. 79.
1002
Il faut mentionner al-Ghazwānī, ‘Alī al-Sanḥājī, bien qu’il soit de filiation zarrūqienne,
et le jazūlite Abū Muḥammad ‘Abd al-Karīm al-Fallāh, « ami personnel des deux frères
Sa‘diens » (voir M. Garcia-Arenal, « Sainteté et pouvoir dynastique au Maroc : la résistance
de Fès aux Sa’diens », p. 1022).
Histoire de la sainteté à Fès 281
1003
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 224 ; Salwa, vol. II, p. 82-86 ; M. Hajji, La Vie intellectuelle…,
vol. II, p. 398 et suiv. Voir aussi Fahrasat Ibn Ghāzī, Casablanca, Dār al-Maghrib, 1979.
1004
Après avoir vu sur la route de Fès al-Ghazwānī enchaîné par le sultan, al-Ghāzī annonce
sa propre mort en disant qu’il avait demandé à Dieu de lui montrer l’un de Ses saints avant
de mourir. Voir Salwa, vol. II, p. 85.
1005
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 167-173 ; Salwa, vol. II, p. 290-291 ; Mawsū‘a, vol. 2, p. 941-
942 ; L. Būshantūf, « Ṣūrat ‘ālim min qarn 9h/16m Riḍwān al-Janwī min khilāl : Tuḥfat al-
ikhwān wa mawāhib al-imtinān fī sayyidī Riḍwān », Des Repères dans l’histoire culturelle et
religieuse du Maroc, M. Ayadi, dir., Casablanca, Faculté des Lettres et des Sciences humaines,
Université Hassan II, s.d., p. 45-70 ; M. Hajji, La Vie intellectuelle…, vol. II, p. 413-414.
282 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1006
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 171.
1007
Voir Dawḥa, p. 56-57.
1008
Tuḥfat al-ikhwān wa mawāhib al-imtinān fī manāqib sayyidī Riḍwān, ms., BG, n° 154 k.
1009
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 170.
1010
Ibid., p. 171.
1011
Voir Dawḥa, p. 59 ; al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 226.
1012
Voir Dawḥa, p. 15-21 ; V. Cornell, op. cit., p. 266 et suiv.
Histoire de la sainteté à Fès 283
1013
Voir al-Rawḍ al-‘āṭir, p. 85-86 ; Salwa, vol. II, p. 254-256.
1014
Selon certains généalogistes, le cheikh Ḥamāmūsh est un chérif idrisside par Qāsim
Ibn Idrīs II. Voir Salwa, vol. II, p. 256.
1015
Il s’agit probablement du grand cimetière de Bāb al-Futūḥ.
1016
Vol. I, p. 155.
284 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1017
Voir Mir’āt, p. 388. Ce saint s’associe à Zarrūq après avoir vu le Prophète en songe et
ayant ainsi été gratifié de l’illumination spirituelle. Il n’est pas enterré à Fès, mais dans le
village où se trouve le sanctuaire d’Idrīs Ier. Dans le Mumti‘ (p. 131), on trouve un passage
qui cherche à affirmer l’influence de l’enseignement jazūlite sur le saint.
1018
Voir Dawḥa, p. 75-76 ; Mumti‘, p. 131-135 ; al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 73-85 ; Salwa, vol. II,
p. 247-249.
1019
On trouve ce traité dans le Rawḍ al-‘aṭir (p. 77-79).
1020
Pour le rôle des soufis dans la chute des Wattassides, voir M. Garcia-Arenal, « Sainteté
et pouvoir dynastique au Maroc : la résistance de Fès aux Sa‘diens », p. 1022-1023.
Histoire de la sainteté à Fès 285
1021
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 86-87 ; Salwa, vol. II, p. 251.
1022
Rabat, Dār al-Manṣūr, 1973, 2 vol.
1023
E. Burke dit dans ce sens : « Les caractéristiques de la société marocaine telle qu’elle
existait à l’aube de la conquête [sic] française ont été formées durant les années turbulentes
de 1500 à 1650. » (« The Moroccan Ulama, 1860-1912 : An Introduction », Scholars, Saints,
and Sufis : Muslim Religious Institutions in the Middle East since 1500, N.R. Keddie, dir.,
Berkeley and Los Angeles, Univ. of California Press, 1978, p. 94.)
286 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1024
Realm of the Saint..., p. 235.
1025
Les sources parlent de 12 665 disciples qui se seraient affilés à la Jazūliyya directement
à travers son fondateur (voir Mumti‘, p. 18).
1026
Voir A.L. de Prémare, op. cit., p. 83, où il est question des disciples féminins du saint.
Histoire de la sainteté à Fès 287
Sainteté et chérifisme
Comme nous avons eu l’occasion de le constater à plusieurs reprises,
nous assistons dans la période qui correspond à la fin du règne mérinide-
wattaside et à l’avènement des Sa‘diens à un changement crucial du
climat religieux. Grâce au jazūlisme, le rang privilégié qui est accordé
aux descendants du Prophète se traduit dans la spiritualité. Le Mumti‘
al-asmā‘ 1028 évoque l’idée que les maîtres de la Shādhiliyya-Jazūliyya
se distinguent par l’amour qu’ils portent au Prophète et à sa postérité,
ajoutant qu’un grand nombre d’entre eux font partie de ses descendants. Si
la vénération des shurafā’ acquiert une valeur particulière, elle ne fait que
traduire une nouvelle conception de la réalisation initiatique selon laquelle
la sainteté consiste essentiellement dans une relation privilégiée avec le
Prophète. Ce n’est plus l’effort personnel du disciple dans l’amendement
de l’âme comme exposé par al-Ghazālī, ni la réalisation intérieure du
tawḥīd enseigné par Abū Madyan qui sont mis en avant 1029, mais c’est
avant tout l’amour sincère de celui qui est considéré comme représentant
l’accès à la lumière divine. Il s’agit effectivement d’une application pratique
1027
Voir Realm of the Saint…, p. 170, note 60. Nous n’avons pas pu trouver le passage
auquel fait allusion l’auteur.
1028
P. 21-22.
1029
Cela dit, ces deux éléments restent très présents dans l’enseignement d’al-Jazūlī.
288 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1030
Voir C. Addas, Une Victoire éclatante : le Verus Propheta dans la doctrine d’Ibn
‘Arabī, sans éd., 2005.
1031
Voir idem, “A la distance de deux arcs ou plus près” : la figure du Prophète chez ‘Abd
al-Karīm al-Jīlī, sans éd., 2008.
1032
Voir Z. Zouanat, Ibn Mashīsh…, p. 76-112. Cette oraison est à notre connaissance le
premier texte au Maroc qui développe une doctrine initiatique et métaphysique de la figure
prophétique. Cela dit, nous ignorons le moment précis de son introduction dans les cercles
soufis de Fès, car la filiation d’Ibn Mashīsh se déplace à travers al-Shādhilī pour quelque
temps en Tunisie et en Egypte. Ce qui est certain, c’est qu’au XI e/XVIIe siècle elle est
récitée régulièrement dans la zāwiya al-Fāsiyya (voir Mir’āt, p. 169).
1033
V. Cornell s’applique à montrer l’influence d’al-Jīlī, voir op. cit., p. 208-211.
1034
Il est dit à propos du maître marocain d’al-Jazūlī, Abū ‘Abdallāh Muḥammad Āmghār
al-Ṣaghīr, qu’il voit le Prophète en état de veille comme l’avait affirmé le successeur d’al-
Shādhilī, Abū al-‘Abbās al-Mursī (voir Mumti‘, p. 21).
1035
Voir M. Chodkiewicz, « Le modèle prophétique de la sainteté en Islam », MASAQ,
vol. 7, n° 1, 1994, p. 201- 226.
Histoire de la sainteté à Fès 289
1036
Voir N. Amri, « Le pouvoir du saint en Ifriqiya aux VIIIe-IXe/XIVe-XVe siècles : le
“très visible” gouvernement du monde », Politique et religion en Méditerranée : Moyen
Âge et époque contemporaine, H. Bresc et al., dir., Paris, Bouchène, 2008, p. 167-196 ;
É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte et en Syrie sous les derniers Mamelouks et les premiers
Ottomans : orientations spirituelles et enjeux culturels, Damas, Institut français de Damas,
1995, p. 111-114, p. 135-143 ; C. Mayeur, « L’intercession des saints en islam égyptien :
autour de Sayyid al-Badawî », ANISL, n° 25, 1990, p. 363-388.
1037
Parfois on lit aussi la variante taṣarruf.
1038
Voir F. Meier, Nachgelassene Schriften, Band 1 : Bemerkungen zur Mohammedverehrung,
Teil 1 : Die Segenssprechung über Mohammed, B. Radtke, G. Schubert, éd., Leyde, Brill,
2002 ; C.E. Padwick, Muslim devotions : A Study of Prayer-Manuals in Common Use,
Oxford, Oneworld, 1996, p.152-166.
1039
D’après l’auteur du Mumti‘ (p. 21), « c’est la base sur laquelle reposent sa voie et
celle de ses adeptes ».
1040
Cet ouvrage a été régulièrement réédité, p. ex. à Damas (Maktabat al-Ghazālī, 2000). Il
existe une traduction française réalisée par M. El-Fateh (Ach-chifā’ sur la reconnaissance
des droits de l’élu Mohammed, Paris, Universel, 2004).
1041
Voir supra.
Histoire de la sainteté à Fès 291
est sans doute le premier à avoir fondé une voie initiatique sur cette pratique
et, de surcroît, à avoir affirmé l’élévation du degré spirituel par le fait de
s’y consacrer. C’est pourquoi le Mumti‘ al-asmā‘ 1042 s’emploie à démontrer
le rang privilégié d’al-Jazūlī et de sa voie en raison de l’importance qu’il
accorde à la prière sur le Prophète.
Le manuel de taṣliya qui fonde la renommée d’al-Jazūlī dans l’ensemble
du monde musulman représente un moyen important par lequel le soufisme
investit la culture populaire. De ce point de vue, il s’inscrit dans ces
initiatives d’origine soufie comme le Mawlid 1043 ou le poème al-Burda du
shādhilite égyptien al-Buṣīrī qui diffusent la vénération du Prophète dans
la société 1044. A Fès cela est particulièrement visible. Il n’est probablement
pas exagéré de penser que la lecture du Dalā’il constitue encore de nos
jours la pratique dévotionnelle la plus répandue 1045 et qu’il n’est pas de
manifestation religieuse sans qu’une partie ne soit consacrée à la récitation
d’un passage. Si le Dalā’il est récité dans un cadre soufi comme dans un
contexte populaire, il est pourtant porteur d’une conception cosmique et
métaphysique de la figure prophétique 1046, conception qui va alimenter
les cercles soufis de Fès. La popularité incessante de l’ouvrage exprime
véritablement la continuité de l’attachement à la dimension spirituelle du
Prophète qui caractérisera la tradition initiatique de la ville.
1042
P. 22-23.
1043
Nous avons vu qu’au Maghreb ce sont les soufis qui poussent les Mérinides vers
l’institutionnalisation du Mawlid.
1044
Voir à propos de cette évolution et de la visibilité du soufisme à la fin de l’époque
médiévale D. Gril, « Spiritualités », op. cit., p. 206 et suiv.
1045
En même temps, il est vrai que la tradition maghrébine insiste particulièrement sur la
permission (al-idhn) de lecture qui est transmise par les shuyūkh al-Dalā’il, transmission
qui ne coïncide pas forcément avec l’initiation dans un ordre soufi. Cela n’exclut pas pour
autant la participation aux lectures collectives, ni le fait de l’utiliser comme talisman, ce
qui est assez répandu.
1046
Voir S. Jāb al-Khayr, « al-Ḥaqīqat al-muḥammadiyya fī kitāb Dalā’il al-khayrāt », Actes
du colloque d’Annaba (Algérie), 11-14 déc. 2010, « L’homme universel dans le soufisme
opératif », CNRPAH, en cours de publication.
292 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1047
Voir al-Mustafād…, p. 15.
1048
Maghrib al-mutaṣawwifa…, p. 407. Voir aussi ‘A. Najmī, « Min tārīkh al-taṣawwuf
al-maghribī fī al-qarn al-‘āshir al-hijrī - al-Malāmatiyya », Majallat tārīkh al-Maghrib,
Rabat, vol. I, p. 15-57 ; voir A.L. de Prémare, Sīdi ‘Abd-er-Rahmān el-Majdūb…, p. 91
et suiv.
1049
La question se pose de savoir si les hagiographies tardives auraient qualifié des saints
comme Abū ‘Abdallāh al-Daqqāq (m. fin du VIe/XIIe siècle) de malāmatī, alors que leurs
prédécesseurs ne l’ont pas fait, bien que leur profil se prêtât à une telle qualification.
1050
Voir É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte…, p. 309-333 ; A.L. de Prémare, op. cit.,
p. 59-67 ; F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. II, p. 375-538.
1051
Voir É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte…, p. 312-113.
Histoire de la sainteté à Fès 293
1052
Casablanca, Dār al-Kitāb, 1954-1956, 9 vol (trad. : Archives marocaines, 1906-1907,
1936).
1053
Voir A.L. de Prémare, op. cit., p. 55.
1054
F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. I, p. 121.
1055
‘Alī Ibn Muḥammad Ṣāliḥ al-Andalusī, responsable de la zāwiya jazūlite de Fès,
remarque dans ce sens : « Si nous parlions d’une infime partie des grâces (karamāt) de
notre maître Muḥammad b. Muḥammad b. Sulaymān al-Jazūlī, que Dieu nous accorde
sa satisfaction, les cerveaux et les intelligences seraient rendus perplexes à cause des
significations spirituelles qu’ils impliquent (Mumti‘, p. 19). »
1056
Al-Jazūlī enjoint à ses disciples : « Ne vous occupez pas des âmes, ni des cœurs, mais
occupez-vous de la magnification (ta‘ẓīm) du Connaisseur des mystères, c’est-à-dire ne visez
pas par votre adoration la contrariété des âmes, ni la purification des cœurs, mais occupez
vous exclusivement de la magnification de Dieu (Mumti‘, p. 42). » Le saint distingue entre
la voie de l’effort spirituel (al-mujāhada) et celle de la contemplation (al-mushāhada) et
affirme la précellence de cette dernière (voir ibid.).
1057
Voir Mumti‘, p. 43.
294 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1058
É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte…, p. 313.
1059
Le Caire, Maktabat al-Ādāb, 1993. Pour une traduction partielle de cet ouvrage, voir
V. Vacca, Vite E Detti Di Santi Musulmani, Milan, TEA, 1988.
1060
É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte…, p. 268.
1061
Voir p. ex. Salwa, vol. I, p. 208.
Histoire de la sainteté à Fès 295
1062
Pour Ch.A. Julien (Histoire de l’Afrique du Nord…, p. 563), la cause de l’émergence
des zāwiyas réside en premier lieu dans l’affaiblissement du pouvoir gouvernemental.
1063
N. Amri, « Zāwiya et territoire en Ifriqiya du VII e /XIII e siècle à la fin du IX e /
XV siècle », Actes du colloque : Les sanctuaires et leur rayonnement dans le monde
e
1069
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc, Paris, Perrin, 2009, p. 165-229 ; M. Hajji, La Vie
intellectuelle au Maroc à l’époque sa‘dide, Rabat, Dār al-Maghrib, vol. I, 1976, p. 50-67. Voir
aussi J. Berque, Ulémas, fondateurs, insurgés du Maghreb, Paris, Sindbad, 1982, p. 17 et suiv.
1070
Les zāwiyas du Sud qui avaient favorisé l’ascension des Sa‘diens sont transformés en
centres d’enseignement.
Histoire de la sainteté à Fès 299
1071
É. Lévi-Provençal, Les Historiens des chorfa, p. 88.
1072
Voir p. ex. N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya : al-Taṭawwur wa al-adwār ḥattā nihāyat
al-‘ahd al-‘alawī al-awwal, Casablanca, Maṭba‘at al-Najāḥ al-Jadīda, 2001, p. 41 et suiv.
300 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
imprègne à son tour. Si les fondateurs des voies et les maîtres s’y sont
formés et n’ont, souvent, pas cessé de visiter leurs disciples fāsis, ce n’est
pas ici qu’ils décident d’établir leur foyer principal. Néanmoins, Fès a
changé considérablement durant les dernières décennies, et une nouvelle
étape de son histoire s’annonce. Les nouveaux éléments ethniques, sociaux
et religieux, tels que l’immigration andalouse, le chérifisme et la sainteté
extatique, se mettent en place et réforment l’ancienne configuration. La
période mérinide a certes laissé des traces ; les médersas et la Qarawiyyīn
ne cessent d’alimenter et d’animer la culture du savoir et de la science
religieuse ainsi que les structures sociales qui la soutiennent. En revanche,
de nouveaux protagonistes surgissent. Parmi ceux-là figurent les saints
formés par la spiritualité jazūlite et les membres d’une élite citadine
imprégnée de culture andalouse. C’est dans ce nouveau contexte qu’émerge
la zāwiya d’Abū al-Maḥāsin Yūsuf al-Fāsī al-Fihrī 1073 (m. 1013/1605), à
l’origine de laquelle se trouve une personnalité célèbre 1074 de l’histoire
religieuse du Maroc : ‘Abd al-Raḥmān al-Majdhūb de Meknès, le
représentant emblématique de cette génération de saints « extatiques » et
malāmatī.
1073
Cette période de l’histoire religieuse de Fès est assez bien documentée. Nous
disposons grâce à la chercheuse marocaine N. al-Dhahabī (al-Zāwiyat al-Fāsiyya…)
d’une étude approfondie sur la zāwiya al-Fāsiyya ainsi que sur les courants initiatiques et
les personnalités majeures qui en sont issus. Voir aussi J. Berque, Ulémas, fondateurs…,
p. 137 et suiv. ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 240-247, p. 264-269 ; F.R. Mediano,
« L’élite savante andalouse à Fès (XVe et XVIe siècles) : Orientations », Poetry, Politics
and Polemics. Cultural Transfer between the Iberian Peninsula and North Africa, vol. 4,
1996, p. 83-94 ; A. Sebti, op. cit., p. 49 et suiv. Le Mir’āt al-maḥāsin nous fournit des
informations précieuses sur le fonctionnement de la zāwiya, l’enseignement qui y est
dispensé et le rapport qu’elle entretient avec les différents éléments de la société.
1074
Curieusement, en 2009-2010 la télévision marocaine a dédié un feuilleton à ce
personnage, qui rencontra un succès considérable.
1075
Voir Mir’āt, p. 106 ; Mumti‘, p. 138-145 ; Salwa, vol. II, p. 249-250. En français,
voir l’étude approfondie d’A.L. de Prémare, op. cit. On trouve la traduction des passages
hagiographiques consacrés au saint et à son entourage à partir de la page 119 de cet
ouvrage.
Histoire de la sainteté à Fès 301
1076
Sur le jadhb, la place qu’il occupe dans la culture et la religiosité marocaine et son rôle
dans le parcours spirituel de ‘Abd al-Raḥmān al-Majdhūb, voir A.L. de Prémare, idem, p. 59-67.
1077
Voir le chapitre précédent.
1078
Voir Dawḥa, p. 79 ; Mumti‘, p. 74-75. Ce saint est enterré dans la cité d’Idrīs I er.
1079
Voir Dawḥa, p. 79.
1080
Muṭrib, p. 168.
1081
Voir à ce propos M. Garcia-Arenal, « Sainteté et pouvoir dynastique au Maroc : la
résistance de Fès aux Sa‘diens », ESC, vol. 45, n° 4, 1990, p. 1022-1023.
1082
Vol. II, p. 250.
1083
Voir Dawḥa, p. 74-75 ; A.L. de Prémare, op. cit., p. 107 et suiv.
1084
A.L. de Prémare, idem, p. 62.
302 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1085
Sur ce personnage et sa zāwiya de Meknès, voir Dawḥa, p. 72-73. Il est connu à
A.L. de Prémare (idem, p. 73) et à l’auteur du Mumti‘ (p. 71) comme al-Mashtarā’ī.
1086
Pour un aperçu des filiations spirituelles de ‘Abd al-Raḥmān al-Majdhūb, voir Mir’āt,
p. 376-378.
1087
Pour une étude de ses quatrains, voir A.L. de Prémare, La Tradition orale du Mejdub :
récits et quatrains inédits, Aix-en-Provence, Edisud, 1986 ; J. Scelles-Millie, B. Khelifa, Les
Quatrains de Medjoub le sarcastique, poète maghrébin du XVIe siècle, Paris, Maisonneuve
et Larose, 1966.
1088
« En somme, Sīdi ‘Abd-er-Raḥmān al-Majdhūb semble résumer en lui tout ce que le
peuple voit et croit de tous les extatiques qu’il a connus ou connaît encore. [...] » (A.L. de
Prémare, Sīdi ‘Abd-er-Raḥmān al-Majdhūb…, p. 58.) L’un des plus célèbres souverains de
l’histoire marocaine, le sultan ‘alawite Ismā‘īl (1083-1139/1672-1727), choisit de se faire
enterrer dans sa capitale de Meknès auprès du saint.
Histoire de la sainteté à Fès 303
1089
La référence hagiographique principale est le Mir’āt al-Maḥāsin. Voir aussi al-Rawḍ
al-‘aṭir, p. 87-109 ; Mumti‘, p. 161-171 ; Salwa, vol. II, p. 345-352. Voir N. al-Dhahabī,
al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 73-113. Pour les autres sources hagiographiques consacrées à
ce personnage, voir notre chapitre sur la tradition hagiographique de Fès.
1090
Voir A.L. de Prémare, op. cit., p. 75. Voir aussi F.R. Mediano, Familias de Fez (ss. XV-
XVII), Madrid, CSIC, 1995, p. 105-108.
1091
Voir Muṭrib, p. 169.
1092
Voir Mir’āt, p. 113-121. Voir aussi le tableau de N. al-Dhahabī (al-Zāwiyat al-Fāsiyya...,
p. 76) et son arbre généalogique des filiations initiatiques (p. 78).
1093
Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 75.
1094
Voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 61 et suiv.
1095
Ce lignage indique que la famille est d’origine qurayshite, c’est-à-dire qu’elle remonte
à la confédération tribale de la Mecque dont faisait partie le Prophète. Voir A. Sebti,
op. cit., p. 51-54.
304 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Maroc ils décident d’utiliser les avoirs qu’ils ont pu ramener pour se lancer
dans le commerce de chandelles à Ksar El Kabīr, un centre économique
important de l’époque. C’est là que l’on commence à les appeler « al-Fāsī »,
à cause de leur premier séjour à Fès après leur départ d’al-Andalus et en
vertu de leur lien commercial avec l’ancienne capitale. Le père d’Abū
al-Maḥāsin réussit à faire prospérer le commerce et à rétablir la position
sociale et économique de la famille, ce qui lui permet d’offrir une bonne
éducation intellectuelle à son fils. Abū al-Maḥāsin apprend le Coran et
le corpus de base des sciences islamiques dès son jeune âge. Visiblement
plus motivé que ses frères, qui deviendront des commerçants habiles, notre
personnage visite Fès pour fréquenter les grands oulémas de son temps 1096.
Selon l’hagiographie, la rencontre avec son futur maître spirituel ‘Abd
al-Raḥmān al-Majdhūb se fait déjà lors de cette période d’apprentissage. Il
le visite dans l’école coranique et prédit au professeur le destin exceptionnel
de son élève 1097, tout en lui enjoignant de porter un soin particulier à ce
dernier. A ceux qui s’émerveillent de sa sollicitude pour le jeune garçon il
répète : « Je me suis empressé vers lui avant que quelqu’un d’autre ne
l’approche 1098 ». Si les sources insistent sur l’aisance avec laquelle grandit
Abū al-Maḥāsin, il s’agit sans doute de mettre en relief le caractère
inhabituel de la relation entre le majdhūb et son disciple qui « ne connut
guère la pauvreté et ne savait pas ce que c’est 1099 ». Lorsqu’Abū al-Maḥāsin
atteint à peine la puberté il est gratifié, grâce à la sollicitude et aux visites
de son maître, d’une expérience spirituelle pendant laquelle « son intérieur
est illuminé par la lumière de l’unité divine et dégagé de toute chose autre
que Dieu 1100 ». Quand il reprend ses esprits, il voit dans sa tablette d’écriture
l’image de son maître tracée par la lumière, et dans son for intérieur il n’a
d’autre pensée que d’aller le visiter. Il est ainsi amené à assister à une séance
des disciples de ‘Abd al-Raḥman al-Majdhūb alors qu’il est encore dans
un âge nécessitant l’autorisation de son père pour pouvoir passer la nuit à
l’extérieur. Le maître pose la main sur l’enfant et dit plusieurs fois : « Tu
es là mon frère ; que Dieu te dote de bénédiction pour nous 1101 ! »
1096
Voir Mir’āt, p. 107 et suiv.
1097
La phrase rapportée est la suivante : « Il est inévitable que cette fleur (nawwāra)
s’ouvre. » (Voir Mir’āt, p. 106.)
1098
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 88
1099
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 88.
1100
Mir’āt, p. 106 ; al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 88.
1101
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 89.
Histoire de la sainteté à Fès 305
1102
Mir’āt, p. 110.
1103
Ibid., p. 111.
1104
Ibid.
1105
Voir Mir’āt, p. 123-125 ; N. al-Dhahabī, Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 91-93
1106
Mirāt, p. 125.
1107
Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 91.
1108
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 90.
1109
Mir’āt, p. 124. Il s’agit d’un certain Abū Sarḥān Mas‘ūd b. ‘Abd al-Raḥmān al-Ḥimyarī,
connu comme al-Qaṣṣāra. Nous n’avons pas pu trouver des références biographiques sur
ce personnage.
306 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1110
Ce personnage est lui-même un soufi rattaché à la voie d’al-Milyānī (voir N. al-Dhahabī,
al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 93).
1111
Voir Mir’āt, p. 125.
1112
Ibid., p. 122.
1113
Mir’āt, p. 122.
1114
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 89. Voir les extraits hagiographiques traduits par A.L. de Prémare,
op. cit., p. 122-138).
1115
Voir pour cet épisode al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 90.
Histoire de la sainteté à Fès 307
1116
Ibid., p. 92.
1117
Ibid.
1118
Ibid.
1119
Voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 90.
1120
Mir’āt, p. 131.
308 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1121
Mir’āt, p. 131.
1122
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 91.
1123
Mir’āt, p. 151.
1124
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 91.
1125
Mir’āt, p. 151.
1126
Ibid., p. 152-153. L’auteur du Mir’āt cite un extrait de cette lettre.
Histoire de la sainteté à Fès 309
1127
Voir N. al-Dhahabī, Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 119-120.
1128
Voir Mir’āt, p. 158.
1129
Il s’agit du ‘Umdat al-aḥkām min kalām khayr al-anām de ‘Abd al-Ghanī b. ‘Abd
al-Wāḥid al-Maqdisī (m. 1204/600) qui fut déjà l’ouvrage de prédilection d’Ibn ‘Āshir, le
maître d’Ibn ‘Abbād al-Rundī.
1130
Voir Mir’āt, p. 317.
1131
Voir ibid., p. 158-161. Aujourd’hui, dans toutes les mosquées de Fès, les prières rituelles
sont accomplies en s’écartant à presque 45° de la direction du miḥrāb, la niche de la prière.
Voir Michael-E. Bonine « The Sacred Direction and City Structure: A Preliminary Analysis
of the Islamic Cities of Morocco », Muqarnas, vol. 7, 1990, p. 50-72.
1132
Voir F.R. Mediano, « L’élite savante andalouse à Fès (XV e et XVI e siècles) :
Orientations », op. cit., p. 83-91.
1133
Voir N. al-Dhahabī, Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 134.
310 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
De même, il n’accepte que les dons pour la zāwiya dont l’origine n’est
pas équivoque du point de vue de la loi islamique. Il s’agit de garder
l’indépendance de l’institution, tout en assumant un rôle au sein de la
société, rôle qui doit être reconnu par l’autorité politique pour être efficace.
En tant que voie initiatique, la ṭarīqat al-Fāsiyya s’inscrit pleinement
dans la tradition shādhilite telle qu’elle s’est transmise par les filiations
jazūlites et zarrūqites. Conséquemment, l’enseignement tel qu’il apparaît à
travers les dires du maître rapportés dans le Mir’āt al-Maḥāsin se focalise
sur « la réunion du cœur avec Dieu 1134 » afin de parvenir à « la contemplation
de Dieu en toutes choses 1135 ». Dans ce but, l’abandon de la volonté propre
que l’adepte réalise grâce à la compagnie du maître spirituel revêt une
importance particulière, notamment sur la base de la vision de la sollicitude
divine dans les afflictions. Autre élément crucial : l’influence et le soutien
spirituel du Prophète transmis par le maître. C’est cela qui fonde la sainteté :
« Les paroles des saints et des savants par Dieu sont unanimes sur le fait
que le soutien spirituel (al-madad) pour les sciences et les œuvres provient
tout entier du Prophète. Il est l’envoyé dans l’absolu et tous les prophètes
et les envoyés avant lui furent tels ses lieutenants. Avant son apparition
et l’existence de sa personne la lieutenance consista en la prophétie et
ensuite devint sainteté 1136. »
Parmi les pratiques initiatiques figurent notamment la remémoration du
nom suprême de Dieu, telle qu’elle est d’usage dans la Shādhiliyya, et la
prière sur le Prophète. Abū al-Mahāsin va jusqu’à affirmer la supériorité
de cette dernière sur le dhikr, parce qu’elle inclut le souvenir de Dieu et
protège le disciple contre le fait d’être emporté par l’état spirituel 1137. La
lecture des litanies shādhilites dans le cadre des rencontres quotidiennes
à la zāwiya visent à structurer la vie de l’ordre, et l’étude religieuse,
notamment les ouvrages de hadiths, alimente le rattachement à la tradition
intellectuelle de l’islam. Toutefois, l’efficacité de tous ces « moyens »
consiste dans le compagnonnage (al-ṣuḥba) et le service (al-khidma) du
maître, héritier du Prophète et détenteur du secret de l’illumination 1138,
1134
Mir’āt, p. 230.
1135
Ibid., p. 233.
1136
Ibid., p. 250.
1137
Voir ibid., p. 234-235.
1138
Voir Mir’āt, p. 236-237. Comme Abū al-Maḥasin l’explique dans un passage,
l’illumination spirituelle s’opère grâce à la lumière prophétique, car c’est elle qui constitue
la lumière de l’existence (voir ibid., p. 250).
Histoire de la sainteté à Fès 311
1139
Voir ibid., p. 127-128.
1140
Voir ibid., p. 138. Cette expression se réfère à un hadith (voir Kanz, n° 5717).
1141
Voir Mir’āt, p. 244-247.
1142
Mir’āt, p. 142.
1143
Ibid., p. 145-146.
312 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1144
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 99.
1145
Voir infra.
1146
L’index de la Salwa concernant le sanctuaire des Fāsī dans le cimetière de Bāb al-Futūh
permet de se faire une idée à ce sujet (voir vol. II, p. 436).
1147
Voir Mir’āt, p. 317-329 ; Salwa, vol. II, p. 361.
1148
C’est quelqu’un qui mémorise 100 000 hadiths.
1149
Voir Mir’āt, p. 319-320.
1150
Voir ibid., p. 320.
Histoire de la sainteté à Fès 313
1151
Voir les tableaux généalogiques de N. al-Dhahabī (al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 379-384).
1152
Voir Mir’āt, p. 330-336 et l’introduction de l’éditeur H. al-Kattānī, (p. 58-70). Voir
aussi notre chapitre « La tradition hagiographique de Fès ».
1153
Voir Mir’āt, p. 310-313 ; Mumti‘, p. 190-193 ; al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 110-115 ; Salwa,
vol. II, p. 341-345 ; N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 179-180 ; F.R. Mediano,
Familias de Fez…, p. 116-122.
1154
Mumti‘, p. 191.
314 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1155
Il s’agit du traité de théologie spéculative de Muḥammad b. Yūsuf al-Sanūsī
(m. 895/1490).
1156
Ibid., p. 191.
1157
Ibid., p. 192.
1158
P. 196.
Histoire de la sainteté à Fès 315
1159
N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 181.
1160
Cette évolution est traitée par Abdelahad Sebti lorsqu’il analyse « l’itinéraire » de la
zāwiya al-Fāsiyya comme « maison de science » (op. cit., p. 49 et suiv.).
1161
Voir à ce propos F.R. Mediano, Familias de Fez…, p. 119-121.
1162
Salwa, vol. II, p. 344.
1163
Voir Salwa, vol. II, p. 414-415.
316 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
un maître jazūlite 1164 dont la filiation remonte, à travers ‘Alī Ṣāliḥ al-
Andalusī, à al-Tabbā‘ 1165. Selon la Salwa 1166, c’est le premier soufi de Fès qui
« s’empresse vers le compagnonnage d’Abū al-Maḥāsin » lorsque ce dernier
s’installe dans la ville. Il enseigne le Coran aux enfants dans sa mosquée
du quartier al-Makhfiyya, le même que celui de la zāwiya al-Fāsiyya. Il
semble qu’il y ait établi sa propre zāwiya et qu’il soit entouré par un groupe
de disciples. Dans la Salwa, il est qualifié de quṭb, ou pôle spirituel.
‘Abdallāh al-Darāwī al-Ḥaddād 1167 (m. 1040/1631) a le don de parcourir
des longues distances en un seul pas et fait partie des « gens du secours »
(ahl al-ighātha). En tant que malāmatī, il manifeste des comportements
« dont l’aspect extérieur est incompréhensible 1168 ». Son premier maître
‘Alī b. ‘Alī al-Ḥaddād 1169 (m. XIe/XVIIe siècle) lui enjoint de se rattacher
à Abū al-Maḥāsin en disant :
« Ô mon seigneur, certes les hommes de Dieu prêtent serment à mon
seigneur Yūsuf [Abū al-Maḥāsin] al-Fāsī. S’il te trouvait ici dans ce pays,
tu ne pourrais pas réussir avec lui, va donc le rejoindre ! »
Il va donc à Ksar El Kabīr pour trouver Abū al-Maḥāsin et lui rend
service dans son jardin pendant quarante jours. Son nouveau maître lui dit
alors d’aller à Fès et de l’attendre là-bas. Quand Abū al-Maḥāsin arrive, il ne
le quitte plus jusqu’à sa mort. Cette anecdote montre que l’apparition d’Abū
al-Maḥāsin est considérée par les saints du Maroc comme un événement
majeur, et cela même avant la fondation de la zāwiya al-Fāsiyya, sans doute
lorsque ‘Abd al-Raḥmān al-Majdhūb l’annonce comme son héritier spirituel.
Par ailleurs, ‘Abdallāh al-Darāwī est enterré à côté de ‘Alī Ḥamāmūsh.
Abū ‘Abdallāh Muḥammad Shuqrūn al-Fakhkhār 1170 (m. 1028/1619) est
d’origine andalouse et est l’un des compagnons les plus illustres d’Abū
al-Maḥāsin. Etant déjà gratifié d’une expérience spirituelle élevée sous la
direction du fondateur de la zāwiya, il « abandonne sa volonté au frère »
de ce dernier, ‘Abd al-Raḥmān, quand celui-ci prend la relève. On raconte
qu’un jour l’extase (al-wajd) s’empare de lui dans le sanctuaire de Mawlāy
1164
Il s’agit d’un certain Abū ‘Abdallāh Muḥammad al-Ghummārī al-Mālaqī (m. 968/1561).
1165
Voir notre chapitre « Renouveau spirituel et émergence du chérifisme ».
1166
Vol. II, p. 415.
1167
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 181-182 ; Salwa, vol. II, p. 262-263.
1168
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 181.
1169
Voir Salwa, vol. II, p. 262.
1170
Voir Al-Rawd al-‘aṭir, p. 139-141 ; Salwa, vol. II, p. 371-373.
Histoire de la sainteté à Fès 317
1171
Salwa, vol. II, p. 372.
1172
Voir Mir’āt, p. 337-342.
1173
Ibid., p. 340.
1174
Ibid., p. 341.
1175
Voir Nashr, vol. I, p. 263.
1176
Ms., BG, n° 114 k.
1177
Voir Mumti‘, p. 193-210 ; Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 115-135 ; Salwa, vol. II, p. 322-325 ; N. al-
Dhahabī, Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 194 et suiv. ; F.R. Mediano, Familias de Fez…, p. 187-193.
318 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1178
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 117.
1179
P. 119.
1180
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 120.
Histoire de la sainteté à Fès 319
1181
Ibid., p. 121. Curieusement, selon les dires de Maḥammad Ma‘an lui-même, ce sont
les djinns qui se rattachent en premier à lui, du fait qu’« ils sont plus judicieux (akyas)
que les hommes ».
1182
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 121.
1183
Ibid., p. 122. Le maître a l’habitude de dire : « Les gens se croient dans la situation
qui exige l’endurance (al-ṣabr), mais, en vérité, ils se trouvent dans celle qui exige la
gratitude (al-shukr) » (ibid.).
1184
Ibid.
1185
Voir Kanz, n° 34501.
320 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1186
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 124.
1187
Voir Mumti‘, p. 213-214.
1188
Voir N. al-Dhahabī, Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 158
1189
Voir ibid., p. 146-149.
Histoire de la sainteté à Fès 321
Le maître n’agrée pas que ses disciples fréquentent les hommes d’État. En
effet, Abū al-Maḥāsin avait pris position dans un événement-clé, à savoir
la bataille d’oued el-Makhazin en 986/1578 1190 dont il a été question au
début de ce chapitre. Il avait apporté un soutien important à ‘Abd al-Mālik
en guidant les jazūlites et un contingent des chérifs du Djebel al-‘Alam
dans le combat. Son engagement est considéré comme héroïque par les
historiens marocains 1191, d’autant qu’il renonce au butin.
Al-Manṣūr rémunère les chérifs ‘alamiyyūn pour leur soutien en
déclarant inviolable le sanctuaire de Mawlāy Ibn Mashīsh et en leur
assurant une part des dons versés au sanctuaire de Mawlāy Idrīs à Fès. Il
reconnaît également par des dons matériels l’aide des chefs des zāwiyas
sans laquelle il n’aurait pas pu consolider son autorité. Cette politique et
l’entretien de son armée coûtent pourtant cher, ce qui pousse al-Manṣūr à
envahir le Soudan afin de faire provision de ses ressources en or, raison
pour laquelle il est appelé « le sultan doré », al-Dhahabī. C’est lui enfin qui
instaure le makhzen, organisme central de l’État dont la fonction principale
est d’administrer la fédération des tribus marocaines. Ce souverain ne se
contente pas de son succès militaire, il fait aussi appel au langage de la
spiritualité pour mettre en évidence le rôle providentiel de sa personne.
Ainsi, il est question de la lumière prophétique et de la vision du Prophète
en rêve, notions qui appartiennent normalement au domaine de la sainteté.
Il s’agit, comme l’a montré Nabil Mouline 1192, de consolider la connotation
califale du sultan-sharīf par une légitimité d’ordre mystique et prophétique
afin de concurrencer les autres grands souverains de l’époque. Le besoin
de « sacraliser » la prise de pouvoir de cette manière révèle l’importance
que prend la sainteté à cette époque. Toute d’autorité, semble-t-il, ne peut
plus se passer d’une certaine forme de charisme dont la gérance revient,
en vérité, aux saints. Quoi qu’il en soit, il est vrai que le sultan « doré »
est l’un des souverains les plus marquants de l’histoire marocaine et que
« rarement le Maroc connut autant de calme et de prospérité que sous
son règne 1193 ».
1190
Voir Mir’āt, p. 215-222 ; N. al-Dhahabī, Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 165-171.
1191
Voir N. al-Dhahabī, Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 168.
1192
« Sens et puissance : L’idéologie califale du sultan Aḥmad al-Manṣūr al-Dhahabī (1578-
1603) », SI, 2006, n° 102/103, p. 91-156.
1193
Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord…, p. 580.
322 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1194
Ulémas, fondateurs..., p. 20-22.
1195
Voir H. Touati, « L’Arbre du Prophète : prophétisme, ancestralité et politique au
Maghreb », REMMM, n° 91-94, 2000, p. 137-156. Abū Maḥāllī a étudié à Fès entre 980/1572
et 986/1578, mais on ne sait pas s’il a eu des contacts avec les cercles soufis de la ville.
1196
P. 322-323.
1197
M. Hajji, Al-Zāwiyat al-Dilā’iyya wa dawruhā al-dīnī wa al-‘ilmī wa al-siyāsī, 2e éd.,
Casablanca, Maṭba‘at al-Najāḥ al-Jadīda, 1988, p. 61.
1198
Voir Nashr, vol. I, p. 350.
Histoire de la sainteté à Fès 323
1199
A. Grauille, P. Maillard, « Nashr al-mathānī de Mouhammad al-Qādirī », AM, n° XXI,
1913, p. 326.
1200
Voir B.A. Mojuetan, « Legitimacy in a Power State : Moroccan Politics in the Seventeenth
Century during the Interregnum », IJMES, vol. 13, n° 3, 1981 (août), p. 347-360.
1201
L’ouvrage de référence reste celui de M. Hajji (Al-Zāwiyat al-Dilā’iyya wa dawruhā
al-dīnī wa al-‘ilmī wa al-siyāsī, ). Voir aussi l’étude de J. Berque (Ulémas, fondateurs...,
p. 81-113), dont une partie est consacrée à un manuscrit sur l’histoire des Dilā’ites.
1202
Voir Mir’āt, p. 436-437 ; Mumti‘, p. 173-176 ; M. Hajji, al-Zāwiyat al-Dilā’iyya…, p. 45-48.
1203
Voir M. Hajji, Al-Zāwiyat al-Dilā’iyya…, p. 50-54.
1204
É. Lévi-Provençal, Les Historiens des chorfa, p. 300.
324 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1205
Al-Zāwiyat al-Dilā’iyya…, p. 54.
1206
C’est Muḥammad b. Aḥmad al-Fāsī (m. 1084/1678-1679) qui a prononcé cette phrase
célèbre (voir M. Hajji, Al-Zāwiyat al-Dilā’iyya…, p. 59-60). Nous traiterons des deux autres
personnages, ‘Abd al-Qādir al-Fāsī et Maḥammad Ibn Nāṣir, plus tard.
1207
Voir M. Hajji, Al-Zāwiyat al-Dilā’iyya…, p. 59-69.
1208
Mir’āt, p. 436.
1209
Voir M. Hajji, Al-Zāwiyat al-Dilā’iyya…, p. 226-233.
1210
Voir p. ex. Ch.A. Julien (Histoire de l’Afrique du Nord…, p. 590) et R. Le Tourneau
(Fès avant le Protectorat…, p. 82-83). Il revient à J. Berque d’avoir signalé l’importance
de cette dynastie et de son projet politique (voir Ulémas, fondateurs..., p. 81 et suiv.).
1211
Aḥmad al-Dilā’ī (m. 1064/1651) reconstruit le sanctuaire d’Ibn ‘Abbād qui était
complètement tombé en ruine (voir Nashr, vol. II, p. 108).
Histoire de la sainteté à Fès 325
cimetière portant leur nom symbolise la contribution que les Dilā’ites ont
apportée à la préservation de la tradition spirituelle de Fès en des temps
de crise. Même après la fin de l’activité politique des Dilā’ites, les liens
entre eux et les shādhilites fāsis restent intacts. C’est notamment dans la
première moitié du XIIe/XVIIIe siècle qu’ils reprennent sous l’invitation
des sultans ‘alawites des positions importantes, surtout comme directeurs
des médersas. Cette installation des Dilā’ites donne ainsi un nouvel élan
à la vie intellectuelle de Fès 1212.
1212
Voir M. Hajji, al-Zāwiyat al-Dilā’iyya…, p. 263-274.
1213
Pour un aperçu général du milieu soufi de cette période, voir Z. al-Naẓẓām, « al-Ḥayāt
al-rūḥiyya wa al-dīniyya min khilal kitāb al-Rawḍ al-‘aṭir al-anfās bi-akhbār al-ṣāliḥīna
min Ahl Fās », Fās fī tārīkh al-Maghrib…, vol. II, p. 13-31.
1214
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 303-307 ; Salwa, vol. III, p. 147-148.
1215
Cela veut dire qu’il s’agit d’une filiation initiatique qui remonte à al-Ghazwānī. Voir
notre chapitre VI « Renouveau spirituel et émergence du chérifisme ».
1216
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 303.
326 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
le Prophète s’exprime, entre autres, dans ses états d’extase lorsqu’il répète
sans cesse : « Je suis le Mas‘ūd de l’Envoyé de Dieu ! », faisant allusion au
célèbre compagnon. Plusieurs faits miraculeux sont rapportés à son sujet.
Dans l’une de ces anecdotes, un homme qui s’était repenti après avoir
rencontré Mas‘ūd al-Sharrāṭ trouve dans sa maison la femme avec laquelle
il avait l’habitude de commettre l’acte interdit. Ses réticences et son aveu
de s’être repenti ne suffisent finalement pas pour repousser l’insistance
de la femme et l’empêcher de recommencer, mais lorsqu’il découvre ses
parties intimes, les deux s’aperçoivent que son sexe s’est transformé en
celui d’une femme. Ils se repentent aussitôt et rapportent cela au saint qui
enjoint à la femme d’accomplir le pèlerinage et de se marier, alors que
l’homme devient un de ses disciples.
Mas‘ūd al-Sharrāṭ n’est pourtant pas un simple thaumaturge. Les
maîtres de la zāwiya al-Fāsiyya attestent de son haut rang spirituel,
et plusieurs personnalités soufies de Fès se rattachent à lui. A part
l’hagiographe évoqué plus haut et le père de celui-ci, il convient de
mentionner ‘Abd al-Wārith al-Yāṣlūṭī 1217 (m. 1076/1665-1666). Celui-ci
dirige à Fès une zāwiya dans laquelle il s’adonne avec ses disciples aux
lectures des litanies le matin et le soir. Selon al-Kattānī, on y pratique
également la ḥadra, le dhikr collectif, de la même façon que dans la zāwiya
d’un autre disciple de Mas‘ūd al-Sharrāṭ, un certain Ḥamdūn b. ‘Abdallāh
al-Malāḥifī 1218 (m. 1072/1661-1662). Ce dernier appartient à une tribu
qui fabrique traditionnellement des couvertures (al-malāḥif ), ce qui ne
l’empêche pas d’être « constamment absorbé dans le souvenir de Dieu 1219 »
et de pratiquer la danse sacrée et l’audition spirituelle.
Ces personnages témoignent de l’activité intensive de cette filiation
initiatique dont les membres semblent se caractériser par le jadhb et le
phénomène de bahlūl.
1217
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 309 ; Nashr, vol. II, p. 156 ; Salwa, vol. I, p. 246.
1218
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 307-309.
1219
Ibid., p. 307.
Histoire de la sainteté à Fès 327
1220
Voir Salwa, vol. I, p. 135-136. Cette zāwiya n’a pas encore été suffisamment étudiée.
Voir X. Coppolani, O. Depont, Les Confréries religieuses musulmanes, Alger, Jourdan,
1897, p. 468.
1221
Salwa, vol. III, p. 238.
1222
Ibid., p. 238-240. Ibn ‘Ayshūn (voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 361) évoque seulement le nom
de ce saint sans donner d’autres informations.
1223
Salwa, vol. III, p. 238. Ce saint est enterré à Séfrou à quelques kilomètres de Fès.
1224
Ibid., p. 239.
1225
Ibid., vol. I, p. 135.
1226
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 227.
328 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1227
Ibid.
1228
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 233-256 ; Salwa, vol. I, p. 309-315; A.L. de Prémare, op. cit.,
p. 57. Deux monographies, le Mu‘tamad al-rāwī fī akhbār sayydī Aḥmad al-Shāwī de ‘Abd
al-Salām Ibn al-Ṭayyib al-Qādirī (m. 1110/1698) et le al-Kawkab al-ḍāwī fī ikmāl al-rāwī
de Muḥammad Ibn al-Ṭayyib al-Qādirī (m. 1187/1773), ont été édités ensemble par Kh.
Ṣqallī de l’Université de Fès (Dār al-Amān, Rabat, 2009).
1229
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 232-233; Salwa, vol. I, p. 209-210.
1230
Salwa, vol. I, p. 210.
1231
Cité dans ibid.
1232
Ibid.
Histoire de la sainteté à Fès 329
1233
Ibid., p. 311.
1234
Ibid.
1235
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 233.
1236
Salwa, vol. I, p. 311.
1237
Voir ibid., p. 312.
330 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1238
Ibid., p. 309.
1239
Ibid., p. 312.
1240
Voir Salwa, vol. I, p. 6-7 ; G. Salmon, « Quelques légendes relatives à Moulay Bou
Selhām », AM, t. IV, 1905/1906, p. 412-421.
1241
Voir supra.
1242
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 257-258 ; Salwa, vol. I, p. 315-316.
Histoire de la sainteté à Fès 331
1243
Salwa, vol. I, p. 315.
1244
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 259-260.
1245
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 258-259 ; Salwa, vol. I, p. 316-317.
1246
Salwa, vol. I, p. 317.
332 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Une figure typique est Abū Muḥammad ‘Abd al-‘Azīz 1247 (m. 1031/1622)
connu comme « ‘Azūz Ddā Allāh » 1248, « absorbé dans l’unité divine,
exempt de la charge légale (sāqiṭ al-taklīf) », c’est-à-dire que les charges de
la loi sacrée ne lui incombent pas, comme c’est le cas pour les enfants ou
pour les personnes atteintes de maladies mentales et les « malāmatī » 1249.
Son comportement étrange traduit en effet un enseignement profond. Par
exemple, il est connu pour avoir l’habitude de se chauffer en été avec du feu
et de se rafraichir en hiver avec de l’eau froide, jusqu’à y dormir parfois.
Un maître soufi explique qu’il fait cela pour se conformer de la manière
la plus totale au décret divin. Ainsi, il aime se chauffer en été parce que
la chaleur correspond à la volonté divine en été, et il aime se refroidir en
hiver parce que le froid correspond à la volonté divine en cette période ;
« il suit toujours ce qui est voulu par Dieu 1250 ! ».
Muḥammad al-Rāmī al-Tawātī 1251 est « le maître du moment » (ṣāḥib
al-waqt) à Fès lorsqu’Abū al-Maḥāsin s’apprête à s’y installer. Le disciple
de ce dernier, Ibrāhīm al-Ṣayyād 1252 (m. 1008/1599-1600), devance son
maître pour organiser son installation dans la ville, et c’est à cette occasion
qu’il rencontre le majdhūb al-Tawātī qui annonce avoir transféré à Abū
al-Maḥāsin l’autorité sur l’ensemble des aménagements (manāfi‘) et des
commodités (marāfiq) de Fès. Cette anecdote, exprimant en premier lieu
la transmission d’une fonction spirituelle à l’égard d’un lieu et de ses
habitants, s’inscrit dans la territorialisation du pouvoir des saints, motif mis
en avant, à partir du IXe/XVe siècle, par l’hagiographie aussi bien orientale
que maghrébine. Le fait que ce motif apparaisse dans ce contexte précis
est tout à fait significatif, si l’on considère le rôle important que revêtent
Abū al-Mahāsin et sa zāwiya par rapport à Fès en tant que lieu de la
sainteté. Le pouvoir dont il est question ici, le taṣrīf, est d’une tout autre
nature que celui des hommes d’État, ce qui relativise la portée politique de
telles anecdotes, en fait bien moindre qu’il n’y semblerait à première vue.
1247
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 230-231.
1248
D’après Z. al-Naẓẓām (« al-Ḥayāt al-rūḥiyya wa al-dīniyya min khilal kitāb al-Rawḍ
al-‘aṭir al-anfās bi-akhbār al-ṣāliḥīna min Ahl Fās », p. 230, note 467), le préfixe Ddā’
provient du dialecte populaire et signifie : « celui qui est pour Dieu ».
1249
Z. al-Naẓẓām, « al-Ḥayāt al-rūḥiyya wa al-dīniyya min khilal kitāb al-Rawḍ al-‘aṭir
al-anfās bi-akhbār al-ṣāliḥīna min Ahl Fās », p. 230.
1250
Ibid.
1251
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 265 ; Salwa, vol. III, p. 125-126.
1252
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 135-138 ; Salwa, vol. II, p. 366-368.
Histoire de la sainteté à Fès 333
1253
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 316-317 ; Salwa, vol. I, p. 216.
1254
Voir Nashr, vol. I, p. 91 ; Salwa, vol. II, p. 310-312 ; K. Honerkamp, « Ibn ‘Abbād,
modèle de la Shādhiliyya », Une Voie soufie dans le monde : la Shādhiliyya, p. 167-168.
Il existe une monographie sur ce personnage réalisée par ‘Abd al-Mughīth Muṣṭafā Baṣīr
(al-Faqīh ‘Abd al-Wāḥid Ibn ‘Āshir : ḥayātuhu wa āthāruhu al-fiqhiyya, Rabat, Manshūrāt
Wazārat al-Awqāf wa al-Shu’ūn al-Islāmiyya, 2007). Ibn ‘Ayshūn (voir Al-Rawḍ al-‘aṭir,
p. 340) n’évoque que son nom et le lieu où il est enterré.
1255
A. Ibn ‘Āshir, Al-Murshid al-mu‘īn ‘alā ḍarūrī min ‘ulūm al-dīn, Tunis, Maṭba‘at
al-Manār, 1977.
1256
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 264-265 ; Salwa, vol. I, p. 163-164.
1257
Voir ‘A. al-Sha‘rānī, Al-Ṭabaqāt al-ṣughrā, le Caire, Maktabat al-Qāhira, 1970, p.78-
79 ; A. Sabra, « Household Sufism in Sixteenth-Century Egypt : The Rise of al-Sāda
al-Bakrīya », Le Soufisme à l’époque ottomane, XVIe-XVIIIe siècles, R. Chih, C. Mayeur-
Jaouen, dir., le Caire, IFAO, 2010, p. 101-118.
1258
Vol. I, p. 164.
334 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1259
« Ibn ‘Abbād, modèle de la Shādhiliyya », p. 168.
1260
R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat…, p. 82.
1261
Sur l’avènement de cette dynastie, voir J. Berque, Ulémas, fondateurs..., p. 113-124 ;
N. Cigar, « Société et vie politique à Fès sous les premiers Alawites », HT, n° 18, 1978/1979,
p. 93-172 ; Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord…, p. 594 et suiv. ; B.A. Mojuetan,
« Myth and Legend as Functional Instruments in Politics : The Establishment of the ‘Alawī
Dynasty in Morocco », JAH, vol. 16, n° 1, 1975, p. 17-27.
1262
Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord…, p. 594.
Histoire de la sainteté à Fès 335
1263
Voir Nashr, vol. II, p. 119, p. 129, p. 134, p. 149.
1264
Voir Nashr, vol. II, p. 169 et suiv. ; M. Hajji, al-Zāwiyat al-Dilā’iyya…, p. 248-252.
1265
Voir Salwa, vol. III, p. 98-99.
1266
Voir B.A. Mojuetan, « Myth and Legend as Functional Instruments in Politics : The
Establishment of the ‘Alawī Dynasty in Morocco ».
1267
On trouve dans le Nashr al-Mathānī une autre version, plus compatible avec les faits
historiques. Voir la traduction d’E. Micheau-Bellaire dans AM, t. XXXIV, 1917, p. 99 et suiv.
336 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1268
Voir P. de Cenival, « La Légende du Juif Ibn Mash‘al et la fête du Sultan des Tolba à
Fès », Hesperis, n° V, 1925, p. 137 et suiv.
1269
Pour la position de la zāwiya al-Fāsiyya dans les événements de l’ascension au trône
du sultan Rashīd voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 219-224.
1270
Nous n’avons pas pu trouver d’informations sur l’identité de ce personnage.
1271
Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord…, p. 597.
Histoire de la sainteté à Fès 337
successeurs, et, certes, tous les savants du monde seraient venus à lui, si
son règne s’était davantage prolongé 1272. »
Néanmoins, il est vrai que les souverains ‘alawites de la première heure
font preuve d’une sorte de respect méfiant envers les ordres soufis et, de
surcroît, les successeurs d’al-Rashīd écartent Fès des affaires politiques, ce
qui favorise naturellement un certain épanouissement de sa vie spirituelle.
A part la zāwiya al-Fāsī qui ne cesse de produire des savants et saints et
qui, désormais, est considérée comme une « institution » incontournable
ainsi que les autres cercles soufis, la zāwiya fondée dans le quartier al-
Makhfiya par Maḥammad Ma‘an al-Andalūsī joue un rôle considérable
comme centre de transmission initiatique. Ce dernier est souvent comparé,
quant à sa personnalité et à son importance, à son premier maître Abū
al-Maḥāsin.
1272
Cité dans M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 47.
1273
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 152-167 ; Salwa, vol. II, p. 319-321 ; N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat
al-Fāsiyya..., p. 198-201. Muḥammad b. al-Ṭayyib al-Qādirī lui a consacré une monographie
intitulée al-Zahr al-bāsim fī manāqib al-shaykh sayyidī Qāsim wa ma’āthir man lahu min
al-ashyākh wa al-atbā‘ ahl al-makārim (ms., BG, n° 1770 d).
1274
Voir Salwa, vol. II, p. 319.
1275
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 154.
338 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1276
Voir Salwa, vol. II, p. 320.
1277
Voir ibid., vol. III, p. 174-176.
1278
Ibid, p. 175. L’auteur de la Salwa rapporte que l’invocation auprès de la tombe du saint,
sur laquelle Aḥmad Ma‘an lui-même a construit un sanctuaire, est réputée être exaucée.
1279
Ibid., p. 154.
1280
Ibid., vol. II, p. 320.
1281
Ibid.
Histoire de la sainteté à Fès 339
1282
Voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 200.
1283
N. al-Dhahabī précise avec justesse que ‘Abd al-Qādir al-Fāsī ne semble pas être
impliqué dans cette affaire (voir al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 200). Voir également à ce
propos A. Sebti, op. cit., p. 65.
1284
Voir Nashr, vol. III, p. 191 ; Salwa, vol. II, p. 325-329 ; N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat
al-Fāsiyya..., p. 202-203. Ibn ‘Ayshūn ne consacre pas une biographie indépendante à ce
saint, sans doute parce qu’il est encore en vie lorsqu’il rédige l’ouvrage. En revanche, le
personnage est évoqué à de très nombreuses reprises dans les biographies d’autres saints
(voir l’index, al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 403). Il existe une monographie de ‘Abd al-Salām al-
Qādirī, le Kitāb al-maqṣad al-aḥmad fī ta‘rīf bi-sayydinā Ibn ‘Abdallāh Aḥmad (litho.,
Fès, 1351 hég./1932), voir A. Sebti, op. cit., p. 62 et suiv.
1285
Salwa, vol. II, p. 326.
1286
Ibid., p. 326. Ce terme se réfère à la notion de futuwwa, discipline soufie du don de
soi. L’expression dédiée à Aḥmad Ma‘an est la suivante : « Il est un fatā comme il n’en
est pas d’autre. »
1287
Ibid.
340 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1288
Voir ibid., p. 328.
1289
Ibid., p. 327.
1290
Ibid.
1291
Ibid.
1292
Ibid.
1293
Voir Salwa, vol. II, p. 377-381.
1294
Voir ibid., p. 378. Ces maîtres sont des représentants de diverses voies initiatiques,
parmi lesquelles la Suhrawardiyya, la Qādiriyya et la Shādhiliyya.
Histoire de la sainteté à Fès 341
1295
Ibid.
1296
Ibid., p. 379.
1297
Naṣīḥat al-murīd fī ṭarīq ahl al-sulūk wa al-tajrīd, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya,
2005 p. 14.
1298
Salwa, vol. II, p. 379-380.
1299
Ibid., p. 327.
342 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1300
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 142-144.
1301
Ibid. p. 142.
1302
Il est intéressant de noter que la fonction de la naṣīḥa, le « bon conseil », qui est
habituellement exercée par le saint envers le peuple et les autorités politiques, est attribuée
à ‘Ā’isha par rapport à ses enfants (voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 142), c’est-à-dire dans son
rôle de mère.
1303
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 144-149.
1304
Voir ibid., p. 150-151.
1305
Ibn ‘Ayshūn (ibid., p. 144) cite le Kitāb al-maqṣad al-aḥmad.
1306
Ibid.
Histoire de la sainteté à Fès 343
1307
Voir Salwa, vol. II, p. 338.
1308
Ibid., p. 145.
1309
Le poème est reproduit dans le Rawḍ al-‘aṭir (p. 147-149).
1310
Ibid., p. 151.
1311
Voir l’analyse d’A. Sebti à ce propos (op. cit., p. 66 et suiv.).
344 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1312
Terme riche de sens qui désigne toutes sortes de « causes de troubles ».
1313
C’est un extrait du Kitāb al-maqṣad al-Aḥmad traduit par A. Sebti, op. cit., p. 70.
1314
Il s’agit d’une litanie quotidienne qui est transmise au néophyte lorsqu’il se rattache
à une voie initiatique.
1315
Ulémas, fondateurs..., p. 133.
1316
D’un point de vue anthropologique, il s’agit, d’après A. Sebti, op. cit., p. 70, de garantir
« l’efficacité d’intercession », car celle-ci est conditionnée par les notions d’invisibilité et
de pureté.
1317
Voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 307 et suiv.
Histoire de la sainteté à Fès 345
1318
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 234-253 ; Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique
du Nord…, p. 598-600.
1319
Voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 225 et suiv. ; R. Le Tourneau, Fès
avant le Protectorat…, p. 84-85.
1320
Voir J. Berque, Ulémas, fondateurs..., p. 236-240.
1321
Pour la relation entre le sultan et Fès, voir la lettre de celui-ci étudiée par A. Cour,
« Une lettre inédite de Mūlay Ismaïl aux gens de Fès », HT, vol. XV, 1974.
1322
Sur ce personnage et son lien avec la zāwiya al-Fāsiyya, voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat
al-Fāsiyya..., p. 227. Voir aussi Nashr, vol. II, p. 268.
1323
Fès avant le Protectorat…, p. 85.
1324
Al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 241-249. Voir aussi J. Berque, op. cit., p. 240 et suiv.
346 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
la relation avec Aḥmad Ma‘an évoquée plus haut et le fait que Moulay
Ismā‘īl restaure et déclare ḥurm la zāwiya Fāsiyya de Qalqliyyīn 1325.
Enfin, il se fait enterrer à côté de ‘Abd al-Raḥmān al-Majdhūb, qui est
à l’origine de la Fāsiyya. Ce respect pour les saints va de pair avec une
méfiance naturelle à l’égard de leur pouvoir invisible et leur influence
sur les masses. Tout soupçon d’ambition politique est immédiatement
sanctionné, notamment s’il s’agit de zāwiyas rurales. Pouvoir temporel et
autorité spirituelle se tiennent dans un équilibre délicat.
Pendant cette période, la zāwiya al-Fāsiyya assume une fonction active
et considérable dans la société fāsie, fonction qui dépasse celle d’un
centre initiatique. Al-Yamanī et Aḥmad Ma‘an représentent un soufisme
de couleur explicitement initiatique, tandis que leur fameux contemporain,
‘Abd al-Qādir al-Fāsī 1326 (m. 1091/1680), lui-même un disciple de
Maḥammad Ma‘an, représente une orientation beaucoup plus savante qui
vise à reformer et à revivifier la tradition intellectuelle et même la pratique
religieuse de la ville. Nous avons déjà évoqué le fait que ce cheikh est
considéré comme l’un des trois savants qui ont sauvé la science sacrée au
Maghreb dans une époque fortement troublée. Avant ‘Abd al-Qādir, dit-
on, on vendait la science au marché et personne ne voulait l’acheter 1327.
Pourtant, ‘Abd al-Qādir n’est pas né à Fès, mais à Ksar El Kabīr, dix
ans après la mort d’Abū al-Maḥāsin. Il vient dans la ville pour étudier
et fréquente également la zāwiya de son grand-oncle, ‘Abd al-Raḥmān
al-‘Ārif. Ce dernier veille à ce que ‘Abd al-Qādir reste à Fès afin de
poursuivre une démarche initiatique. Lorsque son protégé quitte la ville
avec un groupe de compagnons et est obligé de regagner Fès après avoir
été pillé par des brigands, il lui dit :
1325
Voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 246. Le souverain restaure également
le sanctuaire de Mawlāy Idrīs (voir J. Berque, op. cit., p. 250-254).
1326
Ce saint a été largement présenté et étudié. Nous mentionnons ici seulement les
références que nous avons utilisées : al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 262-263 ; Salwa, vol. I, p. 351-
357 ; J. Berque, op. cit., p. 125-159 ; N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 205-213 ;
É. Lévi-Provençal, op. cit., p. 264-269. Il existe diverses monographies sur ce saint, p. ex.
le Tuḥfat al-akābir fī manāqib al-shaykh ‘Abd al-Qādir de son fils ‘Abd al-Raḥmān. C’est
sur cet ouvrage que s’est basée l’étude de J. Berque. Pour les références complètes, voir
N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 205.
1327
D’autres disent que les gens de Fès « ne s’occupent pas d’autre chose que de la
grammaire, du fiqh et de la science des lectures coraniques, délaissant tout ce qui ne
représente pas d’intérêt mondain » (cité dans N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 210).
Histoire de la sainteté à Fès 347
1328
Salwa, vol. I, p. 352.
1329
Ibid.
1330
La lecture des ouvrages soufis fait partie du programme de la zāwiya autant que la
récitation du Dalā’il al-Khayrāt et le chant des poèmes dédiés à l’hommage du Prophète.
1331
Vol. I, p. 352. Il est connu que le saint refuse de vivre de son enseignement mais gagne
son pain en tant que copiste.
1332
N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 207.
1333
Voir ibid., p. 209-210.
1334
C’est une permission d’enseigner et de transmettre des sciences ou des ouvrages
déterminées. L’auteur de la Salwa (vol. I, p. 352) ajoute qu’ « il n’existe de savant ou
d’enseignant au Maroc ou en Tunisie sans qu’il soit un de ses élèves ou un des élèves de
ceux-là ». L’ijāza de ‘Abd al-Qādir a été étudiée par M. Ben Cheneb (« Études sur les
personnages mentionnés dans l’Idjâza du cheikh Abd al-Qâdir al-Fâsî », Actes du XIVe
Congrès international des Orientalistes, Paris, Éditions Leroux, t. IV 1907).
1335
C’est pour cela que son enseignement comporte une dimension sociale, comme le montre
cet extrait traduit par J. Berque, op. cit., p. 154 : « Prends garde de ne pas te précipiter
au surrérogatoire en délaissant l’obligatoire, et de ne pas t’en remettre à la repentance du
devoir de lutter contre l’injustice, et de satisfaire aux droits. »
348 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1336
Cité dans J. Berque, op. cit., p. 140.
1337
Voir à ce propos ibid., p. 130-131, p. 145 et suiv. Curieusement, dans le Rawḍ al-‘aṭir
ou dans la Salwa on ne trouve aucune allusion à cela.
1338
Cité dans J. Berque, op. cit., p. 142.
Histoire de la sainteté à Fès 349
des Ma‘an dans le sens où il agit sur un terrain qui dépasse celui des ordres
initiatiques. C’est à la fin de sa vie seulement que sa sainteté et la fonction
spirituelle qui en découle se manifestent de manière explicite. Selon son
disciple Abū Sālim al-‘Ayyāshī 1339, le profil spirituel de ‘Abd al-Qādir est
celui d’Abū al-‘Abbās al-Mursī (m. 686/1287), le successeur d’al-Shādhilī,
qui est connu pour avoir dit voir constamment le Prophète en état de veille.
Certains le considèrent comme un pôle, et d’autres précisent qu’il assume
cette fonction durant sept ans 1340. On lui octroie à diverses occasions le titre
de « sultan », voire celui de « prince des hommes de Dieu 1341 ». A la fin de
sa vie, il a l’habitude de dire : « Ne sera pas malheureux celui qui m’a vu ou
qui a vu celui qui m’a vu 1342 ! » L’importance de son rôle apparaît aussi par
le fait qu’il forme toute une génération de savants et de saints, génération
qui constitue le sujet du prochain chapitre. Le nombre des personnalités
qui se réclament de ‘Abd al-Qādir al-Fāsī est considérable.
Dans le cadre de son engagement pour la réforme de la vie intellectuelle
et sociale de Fès, ‘Abd al-Qādir s’emploie à une critique intrépide de la
classe politique, ce qui n’altère guère la grande vénération que celle-ci a
pour le saint 1343. La population reconnaît en lui la figure d’un al-Ḥasan
al-Baṣrī 1344, le prototype du saint savant et gardien de la tradition austère
des ṣaḥāba à un moment où Bassora devient le centre culturel d’un empire
musulman de plus en plus puissant et riche. Le charisme de ‘Abd al-Qādir
s’exprime également par des faits miraculeux, comme son invocation qui
sauve Fès de la sécheresse.
En somme, la personnalité de ‘Abd al-Qādir, conciliant des opposés
comme les fonctions officielles et la pratique de la « voie du blâme »
est, comme l’a déjà souligné J. Berque 1345, très complexe, et nous ne
pouvons ici qu’en tracer les contours. Ce qui apparaît clairement, c’est que
similairement à son fameux ancêtre Abū al-Maḥāsin, ‘Abd al-Qādir se
1339
Celui-ci consacre un passage de son Iqtifā’ al-athār (Rabat, Manshūrāt Kulliyyat al-
Ādāb, 1996, p. 110-113, p. 142-147) au maître.
1340
Voir Salwa, vol. I, p. 353.
1341
Ibid.
1342
Ibid.
1343
Voir J. Berque, op. cit., p. 148 et suiv.
1344
Al-Kattānī remarque dans sa Salwa (vol. I, p. 352) : « Les gens de Fès lui vouent
un amour sincère et ont une opinion extraordinaire à son égard, que ce soit les gens du
commun ou l’élite, ce qui a poussé certains à dire : « Il est pour les habitants de Fès ce
que fut al-Ḥasan al-Baṣrī pour les gens de Bassora. »
1345
Voir J. Berque, op. cit., p. 126.
350 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1346
A cet égard, il perpétue en quelque sorte l’héritage de son professeur Ibn ‘Āshir.
1347
Il s’agit effectivement pour la première fois d’une tradition soufie qui s’identifie profondément
à la ville de Mawlāy Idrīs et y joue un rôle dépassant le cadre des ordres initiatiques. Les
grands saints qui précèdent, comme Abū Madyan, Ibn ‘Abbād, Zarrūq ou al-Jazūlī, ne se sont
pas établis définitivement à Fès ou n’y ont pas fondé une lignée spirituelle que l’on pourrait
considérer comme spécifiquement fāsie. Sauf pour Ibn ‘Abbād, dont les traces apparaissent
pourtant surtout dans ses écrits, la ville idrisside était une étape dans la carrière spirituelle de
ces saints, mais non l’endroit où ils fondèrent un centre pour transmettre leur enseignement
et pour exercer leur fonction initiatique. Seulement chez les Ibn Ḥirzim du VI e/XIIe siècle et
leur zāwiya où l’on s’adonnait à l’étude du Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn, on peut discerner l’intention de
faire de Fès le centre d’une tradition du soufisme « ghazalien ». Mais ce courant est finalement
absorbé par Abū Madyan qui en élargit remarquablement l’extension géographique.
Histoire de la sainteté à Fès 351
1348
J. Berque, op. cit., p. 137.
1349
Il s’agit d’une expression que le Coran emploie par rapport à la Mecque.
1350
Mir’āt, p. 152. N. al-Dhahabī (al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 113) rapporte une autre
déclaration dans ce sens, prononcée par l’auteur du Mir’āt en hommage à Abū al-Maḥāsin
et Fès : « Tout ce qui nous est parvenu extérieurement et intérieurement provient de sa
bénédiction, que Dieu en soit loué. Nous sommes à Fès, la mère des villes maghrébines
(umm al-qurā al-maghribiyya), la source des arts intellectuels. »
352 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
l’évolution d’une zāwiya ainsi que sur le rapport entre cette fondation et une
tradition spirituelle. D’abord, il est intéressant de noter les conséquences
du rattachement d’Abū al-Maḥāsin à al-Majdhūb. La bénédiction de ce
dernier est considérée comme étant la véritable cause grâce à laquelle les
Fāsī se développent en une famille de saints et de savants 1351. C’est donc
la transmission initiatique qui fonde une telle lignée et renouvelle ainsi
une tradition spirituelle. La constitution de la Fāsiyya en tant que voie est
intrinsèquement liée à une famille. La zāwiya se confond au début avec
la demeure du maître, celle où habite sa famille. L’aisance économique
des Fāsī leur permet d’acheter des maisons voisines pour y construire une
mosquée et une zāwiya indépendante. Avec ces élargissements la Fāsiyya
sort du contexte familial et devient une institution officielle qui joue un
rôle actif dans l’espace public. La transmission initiatique d’al-Majdhūb,
auparavant réservée à un petit cercle, agit ainsi sur un plan plus large,
incluant la vie sociale et culturelle de Fès.
Cet aspect familial apparaît également à travers les Ma‘an. Autour
de la zāwiya se trouvent les demeures d’al-Khaṣṣāṣī, d’Aḥmad Ma‘an, de
ses enfants et de ses sœurs, « les portes étant ouvertes d’une demeure à
l’autre 1352 ». Le maître spirituel est quasiment intégré dans la vie familiale.
De même, le processus de réalisation initiatique ne se situe plus tellement
en dehors d’un cadre familial. Maḥammad Ma‘an se marie avec la fille
d’un condisciple, et leurs enfants atteignent la sainteté sans devoir quitter,
comme les soufis d’antan, leur famille. Au contraire, c’est dans et par la
famille que le parcours initiatique se réalise. Certes, les Ma‘an apparaissent
plutôt comme un cas exceptionnel, cependant ils représentent un exemple
particulièrement évident d’une tendance générale. Les familles porteuses
de sainteté seront assez nombreuses à Fès. La famille et le clan s’imposent
comme un support privilégié de la sainteté.
Dans le cas des Ma‘an, il apparaît également que l’émergence des zāwiyas
familiales entraîne la visibilité de l’élément féminin. La mère, la femme et
les sœurs du maître jouent des rôles importants pour le fonctionnement de
la vie collective de la zāwiya 1353. En effet, elles prolongent l’influence du
1351
Cette idée s’exprime dans l’invocation que le saint fait pour Abū al-Maḥāsin et ses
descendants.
1352
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 145.
1353
Voir M. Marin, « Images des femmes dans les sources hagiographiques maghrébines :
les mères et les épouses du saint », Saint et sainteté dans le christianisme et l’islam : le
regard des sciences de l’homme, p. 235-248.
354 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1354
Voir p. ex. D.P. Gutelius, « The path is easy and the benefits large: The Nasiriyya
networks and economic change in Morocco 1640-1830 », JAH, n° 43, 2002, p. 27-49.
1355
A propos de la figure du « saint nourricier », voir H. Elboudrari, « Quand les saints
font les villes : lecture anthropologique de la pratique sociale d’un saint marocain du
XVIIe siècle », AESC, 40e année, n° 3, 1985, p. 498-501.
1356
Nous devons cette remarque au Dr. F.R. Mediano du Centro de Ciencas Humanas y
Sociales de Madrid.
Histoire de la sainteté à Fès 355
Enfin, l’exemple des Dilā’ites montre comment une zāwiya peut être à
l’origine d’une dynastie et d’un projet politique, après avoir été un centre
du soufisme et du savoir islamique. En tout cas, ce modèle d’origine
rurale, n’est pas celui qui s’impose dans un contexte urbain comme celui
de Fès. L’époque étudiée montre qu’ici les centres soufis assument un rôle
différent. Il s’agit de préserver et de perpétuer la tradition intellectuelle et
spirituelle, notamment en temps de crise.
Le maître et le sultan
Le rapport entre la sainteté et le pouvoir temporel semble se modifier
durant la période qui nous intéresse ici. Certes, les maîtres spirituels évitent
la fréquentation des hommes de l’Etat autant que leurs prédécesseurs,
mais il se peut que le saint accepte de s’entretenir avec le sultan. Aḥmad
Ma‘an lui envoie même un cadeau tous les printemps. Cependant, le saint
se présente maintenant de manière différente. Il est un maître spirituel
et représente désormais une communauté de disciples et une institution.
C’est en leur nom qu’il s’adresse au sultan et au nom d’une entente entre
les représentants du pouvoir temporel et ceux de l’autorité spirituelle. La
fonction du saint vis-à-vis de la ville ne se limite plus au domaine de
l’invisible, mais elle se manifeste de manière visible et concrète. Cela
s’explique sans doute par le fait que la sainteté soit désormais associée à des
lieux et à des hommes, autrement dit à une zāwiya qui joue un rôle social et
culturel et aux adeptes, parmi lesquels se trouvent aussi de simples citoyens.
1357
Master and Disciple : The Cultural Foundations of Moroccan Authoritarianism,
Chicago, Univ. of Chicago Press, 1997.
Histoire de la sainteté à Fès 357
1358
Voir à ce propos J.A. Mojaddedi, « Getting Drunk with Abū Yazīd or Staying Sober with
Junayd : The Creation of a Popular Typology of Sufism », BSOAS, vol. 66, n° 1, 2003, p. 1-13.
358 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1359
J. Berque, op. cit., p. 176. Pour un aperçu du climat socioculturel caractérisant cette
époque, voir idem, Al-Yousī : Problèmes de la culture marocaine au XVIIe siècle, Paris,
Mouton, 1958.
1360
A propos de la relation entre ce sultan et la ville de Fès, voir l’étude de J. Berque,
op. cit., p. 236-256. L’orientaliste français résume ainsi la situation de la ville pendant les
premiers ‘Alawites : « Pendant tout le règne de Moulay Ismaël et de ses successeurs, Fès
aura-t-elle connu simultanément ou alternativement l’opposition, allant jusqu’à la révolte
ouverte, et la répression, allant jusqu’au meurtre (p. 238). »
1361
Voir ibid., p. 236.
1362
Voir R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat, p. 84-85.
1363
Il s’agit de Mahdiyya, Larache, Tanger et Asilah. Voir Ch.A. Julien, Histoire de l’Afrique
du Nord : des origines à 1830, p. 603-605.
1364
Topologie spirituelle et sociale de la ville de Fès, vol. I, p. 133.
Histoire de la sainteté à Fès 359
1365
Cette politique s’avère une réussite si on considère, avec J. Berque (op. cit., p. 245), que
« d’Abū Mah’allī à Abū’l-Fayd’ al-Kattānī au début du XXe siècle, c’est-à-dire durant trois
siècles, il n’y aura pas eu au Maroc de tentatives d’action directe procédant d’un cheikh ».
1366
Voir H.L. Beck, « Plier ou être écrasé : les relations entre Mawlāy Ismā‘īl, sultan du
Maroc, et Mawlāy al-Tihāmī, sharīf de Wazzān », SI, n° 70, 1989, p. 149-161 ; A. Sebti,
op. cit., p. 22-25.
1367
A ce propos voir J. Berque, op. cit., p. 250-254.
1368
‘Abd al-Salām al-Qādirī a consacré une monographie aux descendants de ‘Abd al-Qādir
al-Fāsī intitulé Al-‘Urf al-‘aṭir fī man bi-Fās min abnā’ al-shaykh ‘Abd al-Qādir (voir
É. Lévi-Provençal, Les Historiens des chorfa, p. 279).
1369
Voir Salwa, vol. I, p. 357-358 ; J. Berque, op. cit., p. 141 et suiv. ; M. Lakhdar, La Vie
littéraire..., p. 88-95 ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 266-269.
360 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1370
Salwa, vol. I, p. 358.
1371
Ms., BG, n° 285, n° 6585. Voir M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 93-95.
1372
Idem, p. 163-193.
1373
Ms., BG, n° 957 d. Voir J. Berque, op. cit., p. 195-229 ; M. Lakhdar, op. cit., p. 90-93.
1374
M. Lakhdar, idem, p. 90.
Histoire de la sainteté à Fès 361
1375
Voir Salwa, vol. II, p. 355-357 ; M. Lakhdar, idem, p. 109-112 ; É. Lévi-Provençal,
op. cit., p. 273-275.
1376
Idem, p. 273.
1377
Al-Jawāhir al-ṣafiyya min al-maḥāsin al-yūsufiyya, ms., BG, n° n° 1234 d.
1378
‘Awārif al-minnat fī manāqib sayyidī Maḥammad b. ‘Abdallāh Muḥyī al-Sunna, perdu.
1379
L’un de ceux-là a été édité récemment.
1380
Voir Salwa, vol. II, p. 356.
1381
Voir Mabāḥith, p. 299 ; Salwa, vol. I, p. 359-361 ; N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya :
al-Taṭawwur wa al-adwār ḥattā nihāyat al-‘ahd al-‘alawī al-awwal, Casablanca, Maṭba‘at
al-Najāḥ al-Jadīda, 2001, p. 253-275.
362 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1382
Vol. I, p. 359.
1383
N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 258-269.
1384
Voir Salwa, vol. I, p. 359.
1385
Voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 297-303.
1386
A. Sebti, op. cit., p. 49.
Histoire de la sainteté à Fès 363
1387
Voir É. Lévi-Provençal, op. cit., p. 275-280.
1388
Voir Salwa, vol. II, p. 168-169.
1389
Voir ibid., p. 392-394 ; M. Lakhdar, op. cit., p. 112-115 ; É. Lévi-Provençal, op. cit.,
p. 275-280.
1390
Salwa, vol. II, p. 392.
1391
Voir Salwa, vol. II, p. 389-391 ; É. Lévi-Provençal, op. cit., p. 275-276.
1392
Mentionné dans la Salwa (vol. II, p. 390) sans titre.
364 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1393
Voir Salwa, vol. II, p. 396-397.
1394
Voir É. Lévi-Provençal, op. cit., p. 321-326.
1395
Voir Salwa, vol. I, p. 171-173 ; M. Lakhdar, op. cit., p. 169-171.
1396
M. Lakhdar, idem, p. 169.
1397
Al-Ilmām wa al-I‘lām bi-nafthat min buḥūr ‘ilm mā taḍammanathu ṣalāt al-quṭb
Mawlānā ‘Abd al-Salām, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2010.
1398
Voir Salwa, vol. I, p. 173.
Histoire de la sainteté à Fès 365
1399
Voir M. Lakhdar, op. cit., p. 126-133 ; É. Lévi-Provençal, op. cit., p. 287-290.
1400
En tout cas, nous rencontrons encore certains de ses disciples dans la partie restante
du chapitre.
1401
Cet ordre a été amplement étudié, notamment récemment par l’anthropologue Hassan
Elboudrari. Voir G. Drague, Esquisse d’histoire des confréries religieuses au Maroc,
Paris, Peyronnet, 1951, p. 227-250 ; H. Elboudrari, La « maison du cautionnement » :
Les shurfa d’Ouezzane de la sainteté à la puissance, étude d’anthropologie religieuse et
politique, thèse de doctorat, Paris, EHESS, 1984 ; idem, « Transmission du charisme et
institutionnalisation : le cas de la zāwiya d’Ouezzane, Maroc XVIIe-XIXe siècles », QANT,
12, 2, 1991, p. 523-536 ; idem, « Quand les saints font les villes : lecture anthropologique
de la pratique sociale d’un saint marocain du XVIIe siècle », ESC, 40e année, n° 3, 1985,
p. 489-508. Pour une étude des sources hagiographiques, voir M. al-Manṣūr, « Taṣawwuf
al-shurafā’ : al-mumārasa al-dīniyya wa al-ijtimā‘īyya li-l-zāwiya al-Wazzāniyya min khilāl
manāqibihā », al-Tārīkh wa adab al-manāqib, p. 15-28.
1402
Voir Ḥ. al-Ṭāhirī al-Jūṭī, Tuḥfat al-ikhwān bi-ba‘ḍ manāqib shurafā’ Wazzān, Fès,
Manshūrāt Kulliyyat al-Ādāb wa al-‘Ulūm al-Insāniyya, 2011.
366 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1403
Pour la présence de la Wazzāniyya à Fès voir ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya
bi-Fās – khaṣā’iṣuhā wa a‘lāmuhā, Casablanca, Mu’assasat Mawlāy ‘Abdallāh al-Sharīf, s.d.
1404
Voir Salwa, vol. I, p. 257-259.
Histoire de la sainteté à Fès 367
1405
Ibid.
1406
Ibid.
1407
Voir ibid., p. 258.
1408
Ibid.
1409
Voir ibid., p. 331-334.
368 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1410
Ibid., p. 332.
1411
Ibid.
1412
Ibid.
1413
Voir ibid., p. 103-106.
1414
Certains généalogistes attribuent une ascendance husaynite aux Awlād Raḥmūn.
L’auteur de la Salwa soutient l’ascendance hasanite par Muḥammad Ibn Idrīs II (voir
vol. I, p. 103-104).
Histoire de la sainteté à Fès 369
1415
Salwa, vol. III, p. 105.
1416
Ibid., p. 139.
1417
Voir ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya…, p. 72.
1418
Voir ibid.
1419
Voir H.L. Beck, « Plier ou être écrasé : les relations entre Mawlāy Ismā’īl, sultan du
Maroc, et Mawlāy al-Tihāmī, sharīf de Wazzān », op. cit., p. 149-161.
1420
Voir ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya…, p. 58.
1421
Voir Salwa, vol. I, p. 136-137.
1422
Voir ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya…, p. 65.
1423
Lit. « la veille du bien » correspond au « bonsoir » en français.
1424
Salwa, vol. I, p. 136.
370 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1425
Voir ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya…, p. 31.
1426
Voir A. ‘Ammālak, Jawānib min tārīkh al-zāwiyat al-Nāṣiriyya, Rabat, Manshūrāt
Wazārat al-Awqāf, 2006, 2 vol. A cause de son influence, la Nāṣiriyya a attiré l’attention
des orientalistes coloniaux : Voir M. Bodin, « La zaouia de Tamgrout », Archives berbères,
1918, vol. III, p. 259-295 ; G. Drague, Esquisse d’histoire des confréries…, p. 185-225. Pour
une étude anthropologique, voir A. Hammoudi, « Sainteté, pouvoir et société, Tamgrout
aux XVIIe et XVIIIe siècles », AHSS, 35e année, n° 3-4, 1980, p. 615-641.
1427
Cela étant dit, une branche de la Wazzāniyya, la Ṭayyibiyya, est assez répandue en Algérie.
1428
G. Drague, op. cit., p. 267.
1429
L’auteur de la Salwa lui a consacré une biographie bien que le saint ne soit pas enterré
à Fès (voir vol. I, p. 297-298). Pour la production littéraire du maître, voir M. Lakhdar,
op. cit., p. 63-65.
1430
Op. cit.,
1431
Voir D.P. Gutelius, « The path is easy and the benefits large : The Nasiriyya networks
and economic change in Morocco 1640-1830 », JAH, n° 43, 2002, p. 27-49.
Histoire de la sainteté à Fès 371
1432
Cité dans A. ‘Ammālak, Jawānib min tārīkh…, vol. I, p. 121.
1433
Maqṣūda, vol. I, p. 400.
1434
Ibid.
1435
Voir Salwa, vol. I, p. 287
372 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1436
Salwa, vol. I, p. 287.
1437
Ibid.
Histoire de la sainteté à Fès 373
1438
Al-‘Arabī al-Darqāwī, Majmū‘at al-rasā’il Mawlāy al-‘Arabī al-Darqāwī al-Ḥasanī,
Abu Dhabi, al-Mujamma‘ al-Thaqāfī, 1999, p. 63.
1439
Salwa, vol. I, p. 298.
1440
Voir Ṣafwa, p. 344-350 ; J. Berque, op. cit., p. 172 et suiv. ; idem., Al-Yousî… ;
M. Lakhdar, op. cit., p. 95-107 ; É. Lévi-Provençal, op. cit., p. 269-272. On trouve une
biographie détaillée avec toutes les références bibliographiques dans K. Honerkamp,
« Al-Ḥasan ibn Mas‘ūd al-Yūsī », Dictionary of Literary Biography, vol. Arabic Literary
Culture 1350-1830, J. Lowry, D. Stewart, dir., Detroit, Thomson Gale, 2007, p. 409-418. En
arabe, voir ‘A. al-‘Alawī al-Madghārī, al-Faqīh Abū ‘Alī al-Yūsī : namūdhaj min al-fikr al-
maghribī fī fajr al-dawlat al-‘alawiyya, Rabat, Wazārat al-Awqāf wa al-Shu’ūn al-Islāmiyya,
1989. Pour une étude de son enseignement soufi, voir ‘A. Miflāḥ, « al-Mu‘jam al-ṣūfī ‘inda
al-Ḥasan b. Mas‘ūd al-Yūsī min khilāl rasā’ilihi fī al-taṣawwuf », al-Manāhil : al-Zawāyā
fī al-Maghrib t. II, Rabat, Wazārat al-Thaqāfat al-Maghribiyya, n° 82-83, 2007, p. 255-268.
Al-Yūsī a aussi rédigé sa propre autobiographie, publiée sous le titre de Fahrasat al-Yūsī
(Casablanca, Dār al-Furqān, 2004).
1441
É. Lévi-Provençal remarque à propos d’al-Yūsī que « la renommée populaire s’est
tellement étendue au Maroc qu’il est devenu l’un des saints les plus vénérés du pays »
(op. cit., p. 269).
1442
Même s’il avait été également juste de traiter cette personnalité complexe dans le
chapitre VII avec les Dilā’ites, nous évoquons al-Yūsī dans le contexte de la Nāṣiriyya, parce
que son enseignement spirituel s’appuyait avant tout sur Ibn al-Nāṣir, comme en témoigne
al-Ifrānī (Ṣafwa, p. 348) lorsqu’il dit : « Quant à la science intérieure, son appui principal
fut l’imām Abū ‘Abdallāh Ibn Nāṣir ; ce fut le médecin de ses défauts et l’étancheur de
sa soif. » Al-Yūsī a rédigé un poème en l’honneur de son maître intitulé : al-Qaṣīdat al-
dāliyyat fī madḥ al-shaykh Maḥammad Ibn Nāṣir (le Caire, Maṭba‘at al-Taqaddum, 1911).
374 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
brillants esprits de son époque. Auprès d’Ibn Nāṣir, dont il devient l’un
des disciples les plus proches, al-Yūsī étudie les textes classiques du
soufisme, s’imprègne de l’enseignement et de la pratique shādhilite, tout
en approfondissant parallèlement l’étude du fiqh. Sa soif de connaissance
l’amène enfin à la zāwiya al-Dilā’iyya qui est dirigée par le petit-fils du
fondateur et devenue désormais un foyer des grands savants du sud du
Maroc. C’est ici, pendant un séjour de quinze ans (1063-1079/1653-1668),
qu’il acquiert le profil d’un intellectuel hors norme, ce qui lui vaut le titre
de shaykh al-jamā‘at al-ḥaḍrat al-dilā’iyya (« guide de la communauté
dilā’ite »). Le fruit de cette période est un ouvrage en trois volumes
contenant des aphorismes et sagesses arabes 1443 qui témoigne, malgré son
origine berbère, de ce talent linguistique auquel il doit sa célébrité.
Lorsque le nouveau sultan ‘alawite al-Rashīd s’empare de la zāwiya
en 1079/1668, al-Yūsī est transféré à Fès avec les membres de la famille
dilā’ite, ce qui lui donne l’occasion de fréquenter ‘Abd al-Qādir al-Fāsī.
Malgré le fait que le sultan lui accorde, ou plutôt lui impose, une chaire
d’enseignement à la Qarawiyyīn, les oulémas de la capitale semblent
manifester une certaine hostilité à son égard, vraisemblablement par
jalousie pour son savoir prodigieux qui, dit-on, ravit littéralement les
auditeurs. Il se peut aussi que ses méthodes inhabituelles ainsi que
la prétention de pouvoir se passer « de l’érudition d’emprunt » et de
« s’affranchir de la référence au passé 1444 » offensent les gardiens de la
science. Enfin, le fait qu’il ne soit pas issu du monde des médersas ne fait
qu’accroître la méfiance de celui-ci. Al-Yūsī se plaint de cette attitude
malveillante dans des vers fort connus :
« Ni Fès, ni ses savants n’ont équitablement jugé mon savoir et n’ont reconnu
la grandeur de mon rang ! S’ils avaient été justes, ils m’auraient accueilli
comme le berger des années stériles accueille le nuage chargé de pluie 1445 ! »
Lors de la révolte de Fès en 1083/1672 contre Moulay Ismā‘īl, il lui est
possible de quitter la ville et de visiter le sanctuaire d’Ibn Mashīsh. Il ne
revient à Fès que quelques années plus tard, sur l’ordre du sultan, à qui il
adresse à cette occasion une lettre poignante 1446. Après quelques années
1443
Il s’agit du Zahr al-aḥkām fī al-amthāl wa al-ḥikam (Casablanca, Dār al-Thaqāfa,
1981, 3 vol.).
1444
J. Berque, Al-Yousī....
1445
Ṣafwa, p. 345.
1446
Voir A. Kilito, « Speaking to Princes : Al-Yusi and Mawlay Isma‘il », The Shadow of
the Sultan, R. Bouqia, S.G. Miller, dir., Cambridge, Harward Univ. Press, 1999, p. 30-46.
Histoire de la sainteté à Fès 375
d’errance encore, il finit par s’établir dans son village natal, Tamzzīt, lieu
où il trouve son dernier repos et où se trouve aujourd’hui son sanctuaire
généreusement décoré.
Sa relation avec les oulémas et le rapport tendu avec le sultan font de lui
un personnage anticonformiste à travers lequel s’expriment en quelque sorte
les lacunes du milieu savant de l’époque. Selon F. Skali, il s’agit de l’un « de
ces personnages charnières qui ont réalisé en leur personne une synthèse
de réalités culturelles fort complexe et qui devaient, pour les périodes
ultérieures, servir de modèles-types 1447 ». Cela étant dit, le soufisme forme
incontestablement « la dominante de sa pensée 1448 ». C’est la lecture des
biographies des saints qui avait poussé l’enfant al-Yūsī à se consacrer à la
vie spirituelle et à la science. Ces deux éléments se confondent d’ailleurs
de manière naturelle dans sa démarche et sa personnalité :
« Je m’étais mis à rechercher la science jusqu’à ce que Dieu m’accorde
comme illumination ce qu’Il m’a accordé ; ma lecture devint alors tout
entière ou pour la plupart une expérience illuminative seigneuriale, et
j’ai été gratifié, que Dieu en soit loué, d’un don, d’une autorité et d’une
intelligence perspicaces 1449. »
Al-Yūsī a laissé un patrimoine écrit considérable. Ses Muḥāḍarāt 1450,
sorte de recueil de mémoires et de considérations sur les soufis et le milieu
savant de son époque, « témoignent », selon K. Honerkamp, « des principes,
des attitudes et des comportements fondamentaux qui caractérisent la
spiritualité islamique au Maroc pendant le XVIIe siècle 1451 ». L’auteur
ajoute que « c’est comme si al-Yūsī écrivait pour ceux qui, comme lui-
même, cherchent à mener une vie spirituelle fondée sur l’effacement de soi-
même, sur un comportement correct et une connaissance intime de Dieu,
en dépit des vicissitudes auxquelles sont confrontés ceux qui empruntent
cette voie 1452 ». Les Muḥaḍarāt constituent une référence souvent citée
par les auteurs soufis du Maroc, tel l’auteur de la Salwa. Les lettres sur
1447
Topographie spirituelle et sociale…, vol. I, p. 138.
1448
Y.L. Bellefonds, « Recension : Al-Yousi : problèmes de la culture marocaine au
XVIIe siècle », ARA, n° 6, 1959, p. 203.
1449
Cité dans ‘A. Miflāḥ, « al-Mu‘jam al-ṣūfī ‘inda al-Ḥasan b. Mas‘ūd al-Yūsī min khilāl
rasā’ilihi fī al-taṣawwuf », p. 258.
1450
Rabat, Dār al-Maghrib, 1977. Pour une étude de cet ouvrage, voir J. Berque, Al-Yousī…
Pour les références bibliographiques des autres œuvres éditées, voir ‘A. Miflāḥ, « al-Mu‘jam
al-ṣūfī ‘inda al-Ḥasan b. Mas‘ūd al-Yūsī min khilāl rasā’ilihi fī al-taṣawwuf », p. 267.
1451
« Al-Ḥasan ibn Mas‘ūd al-Yūsī », p. 416.
1452
Ibid.
376 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1453
Rasā’il al-Yūsī, Casablanca, Dār al-Thaqāfa, 1981.
1454
Voir Ṣafwa, p. 348.
1455
Voir Salwa, vol. II, p. 222-228 ; l’introduction de J. O’Kane et de B. Radtke dans leur
traduction du Kitāb al-ibrīz (Pure Gold from the Words of Sayydī ‘Abd al-‘Azīz al-Dabbāgh,
Leyde, Brill, 2007, p. XIV).
1456
A. Ibn al-Mubārak al-Lamṭī, Kitāb al-ibrīz min kalām sayyidī ‘Abd al-‘Azīz, Beyrouth,
Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 1998 (dorénavant Ibrīz). L’ouvrage est régulièrement réédité et est
très populaire auprès des cercles soufis de l’Orient, ce qui fait dire à M. Chodkiewicz (Un
Histoire de la sainteté à Fès 377
océan sans rivage : Ibn Arabī, le Livre et la Loi, p. 30) qu’« il n’est guère de bibliothèque
de zāwiya du monde arabophone où l’on ne trouve le célèbre Kitāb al-ibrīz sous forme
manuscrite ou imprimée » (cité par Z. Zouanat dans sa traduction partielle du Kitāb al-ibrīz
(Shaykh al-Dabbāgh : Paroles d’or, Paris, les Éditions du Relié, 2001, p. 15). Il existe une
traduction partielle en français et une complète en anglais (voir supra).
1457
Ce clan berbère est dit descendre d’Idrīs II par le biais de son fils ‘Īsā. Voir Ishrāf,
vol. I, p. 199-208.
1458
Pour B. Radtke (Pure Gold from the Words…, p. XVI), cela veut dire qu’il n’a pas
bénéficié d’une éducation intellectuelle telle qu’on l’acquiert dans les médersas. Quoi qu’il en
soit, il apparaît qu’al-Dabbāgh n’a pas d’accès direct à la littérature religieuse et spirituelle.
Voir M. Chodkiewicz, « Le saint illettré dans l’hagiographie islamique », op. cit., p. 8 et suiv.
1459
Voir Ibrīz, p. 13.
1460
Il s’agit d’un poème rédigé par le shādhilite al-Būṣīrī (m. entre 694/1294 et 697/1298) qui
est consacré à la louange du Prophète et est très répandu dans l’ensemble du monde musulman.
1461
Voir Ibrīz, p. 14
1462
É. Geoffroy, « Khadir, le Verdoyant », DCOR, p. 470.
1463
Coran, XVIII, 65.
1464
Sur ce saint et la difficulté de l’identifier, voir S.R. O’Fahey, Enigmatic Saint, Ahmad
Ibn Idris and the Idrisi Tradition, Londres, C. Hurst and Co., 1990, p. 41-42. L’auteur
envisage la possibilité qu’al-Barnāwī ne soit autre qu’Aḥmad al-Yamanī (1113/1712), le
compagnon d’Aḥmad Ma‘an.
378 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1465
Voir Ibrīz, p. 8-13 ; Salwa, vol. II, p. 257-258.
1466
Voir Ibrīz, p. 9.
1467
Voir ibid., p. 14.
1468
Voir ibid., p. 15 et suiv., p. 361 et suiv. On ne trouve guère d’indications supplémentaires
dans les ouvrages hagiographiques de Fès sur ces maîtres, dont certains proviennent du
Soudan ou de l’Égypte. Voir Salwa, vol. II, p. 223-224.
1469
Ibrīz, p. 16.
1470
Ibid. C’est l’expression du maître qui accompagne al-Dabbāgh à ce moment, un certain
al-Barnāwī.
1471
Cela ressort de plusieurs passages de l’Ibrīz. Al-Kattānī s’accorde avec cette opinion
lorsqu’il caractérise le saint comme « celui qui a fait apparaître les sciences de la Vérité
métaphysique (al-ḥaqīqa) après que leurs lumières furent éteintes » (Salwa, vol. II, p. 223).
Histoire de la sainteté à Fès 379
1472
Voir Ibrīz, p. 278 et suiv. F. Skali en traduit quelques extraits et évoque aussi la
conception d’Ibn al-‘Arabī concernant la hiérarchie initiatique (voir Topologie spirituelle
et sociale…, vol. I, p. 185-195).
1473
Voir Ibrīz, p. 55 et suiv.
1474
Le Sceau des Saints…, p. 112.
1475
Différents aspects ont été étudiés. Voir M. Archetti Maestri, « La lingua primordiale nel
Kitāb al-ibrīz di Ibn al-Mubārak », Quaderni di Studi Arabi, Università di Venezia, n° 14,
1996, p. 77-100 ; V.J. Hoffman, « Annihilation in the Messenger of God : The Development
of a Sufi Practice », IJMES, vol. 31, n° 3, 1999, p. 359-361.
1476
Voir Ibrīz, p. 469.
1477
V.J. Hoffman, « Annihilation in the Messenger of God : The Development of a Sufi
Practice », op. cit.
1478
Voir Nashr, vol. IV, p. 40-42 ; Salwa, vol. II, p. 228-230.
380 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1479
Rappelons seulement le saint illettré Abū Ya‘zā qui représente déjà au VIe/XIIe siècle
un cas semblable.
1480
Voir M. Gaborieau, N. Grandin, « Le renouveau confrérique », Les Voies d’Allah, les
ordres mystiques dans l’islam des origines à aujourd’hui, p. 68-83.
1481
Voir B. Radtke, « The Question of Authority : Ahmad Ibn Idrīs, the madhāhib, and the
tarîqa muhammadiyya », Une Voie soufie dans le monde : la Shādhiliyya, p. 250.
1482
Nous devons à S.R. O’Fahey une étude détaillée du séjour d’Ibn Idrīs à Fès (voir
Enigmatic Saint, Ahmad Ibn Idris and the Idrisi Tradition, Londres, C. Hurst and Co., 1990,
p. 33-50). Nous pouvons développer ici seulement quelques aspects. Voir aussi Ṣ. al-Ja‘farī,
Al-Muntaqā al-nafīs fī manāqib quṭb dā’irat al-taqdīs sayyidī Aḥmad Ibn Idrīs, 4e éd.,
le Caire, Dār Jawāmi‘ al-Kalima, 1998.
1483
Voir Salwa, vol. III, p. 56.
Histoire de la sainteté à Fès 381
1484
Voir Kubrā, p. 137-138.
1485
Voir S.R. O’Fahey, Enigmatic Saint…, p. 46-47.
1486
Voir Ibid., p. 193 et suiv.
1487
Voir J. O’Kane, B. Radtke, K.S. Vikor, The Exoteric Ahmad Ibn Idrīs : A Sufi’s Critique
of the Madhāhib and the Wahhābis, Leyde, Brill, 1999.
1488
A part l’article de M. Gaborieau et N. Grandin déjà cité (voir supra), nous devons à
B. Radtke une étude qui concerne plus spécifiquement le rôle d’Ibn Idrīs (voir « Sufism in
the 18th century », WISL, n° 63, p. 326-364).
1489
Voir C. Addas, « À la distance de deux arcs ou plus près - La figure du Prophète chez
‘Abd al-Karīm Jīlī », sans éd., 2008, p. 16 et suiv. Voir aussi Ṣ. al-Ja‘farī, Risālat al-awrād
al-idrīsiyya, 2e éd., le Caire, Dār Jawāmi‘ al-Kalima, 2007, p. 33-34 où il est question de
la pratique de l’istiḥḍār al-ṣūrat al-muḥammadiyya (« le fait de se rendre présente à l’esprit
l’image muhammadienne ») à laquelle fait allusion ‘Abd al-Karīm al-Jīlī dans son al-Insān al-
kāmil (Casablanca, Dār al-Rashād al-Ḥadītha, 1997, p. 184 et suiv). Voir aussi V.J. Hoffman,
« Annihilation in the Messenger of God : The Development of a Sufi Practice », op. cit.
1490
Voir S.R. O’Fahey, J. O’Kane, B. Radkte, « Two Sufi treatises of Aḥmad Ibn Idrīs »,
ORI, 1996, vol. 35, p. 143-178.
382 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
sur notre seigneur Muḥammad, qui est doté d’une valeur magnifique,
et sur la famille du Prophète de Dieu le Magnifique, à la mesure de la
magnificence de l’Essence de Dieu le Magnifique, dans chaque clin d’œil
et souffle, au nombre de la science de Dieu le Magnifique, une prière
éternelle par l’éternité de Dieu le Magnifique, afin de magnifier ta réalité,
ô notre seigneur Muḥammad, ô toi qui es doté d’un caractère magnifique !
Prie, ô mon Dieu sur le Prophète et sur sa famille de cette manière et
réunis-moi avec lui comme Tu réunis l’esprit avec l’âme, extérieurement
et intérieurement, en état de veille et dans le sommeil, et fais de lui, ô
mon Seigneur, l’esprit de mon essence (dhātī) dans tous les aspects, dans
ce monde avant l’autre, ô Magnifique 1491 ! »
Cette litanie, qui est assez répandue dans les cercles soufis de nos jours,
résume bien la doctrine initiatique d’Ibn Idrīs, où l’extinction dans la vérité
muḥammadienne se confond avec la contemplation de la magnificence
divine, conduisant ainsi à la réalisation spirituelle.
Le cas d’Ibn Idrīs, comme celui d’autres saints avant lui, tels Abū
Madyan, Zarrūq ou al-Jazūlī, montre comment Fès joue souvent le rôle
de la première station dans le parcours d’un saint. Ibn Idrīs y reçoit
la formation intellectuelle et spirituelle qui lui permit d’assumer sa
« mission » de saint en dehors de Fès. D’autre part, l’itinéraire d’Ibn
Idrīs représente l’exportation d’une filiation de type khiḍriyya ayant pris
origine, par al-Dabbāgh, dans la ville de Mawlāy Idrīs. Du point de vue
de l’histoire du soufisme, ce n’est pas un fait négligeable, étant donné
l’intérêt que les soufis portent au personnage d’al-Khiḍr et la notoriété du
saint du Kitāb al-ibrīz.
Un autre saint de cette filiation, Muḥammad Ibn ‘Abd al-‘Azīz al-
Ṣanhājī 1492 (m. 1154/1742), est muezzin dans la mosquée dite de Darrās
Ibn Ismā‘īl. Il se rattache à la filiation khiḍriyya d’al-Dabbāgh mais aussi
aux Wazzānī, à la zāwiya Nāṣiriyya et aux Ma‘an. Al-Sanhājī dispense
l’initiation à un grand nombre de gens venus « des pays lointains et
proches 1493 » et est considéré comme faisant partie des « grands saints »
(akābir al-awliyā’). De nombreux miracles sont rapportés à son sujet,
parmi lesquels le fait de gonfler énormément lors de ses états d’immersion
spirituelle. Les hagiographes soulignent son attachement et le service qu’il
rend aux descendants du Prophète, aux savants et bien sûr aux adeptes
1491
Voir Ṣ. al-Ja‘farī, al-Muntaqā al-nafīs…, p. 15-16.
1492
Voir Salwa, vol. II, p. 200-202.
1493
Ibid., p. 202.
Histoire de la sainteté à Fès 383
1494
Voir Salwa, vol. I, p. 404.
1495
Voir V. Crapanzano, « The Hamadsha », Saints, scholars and sufis, N. Keddie, dir.,
Berkeley and Los Angeles, Univ. of California Press, 1972, p. 327-348 ; idem, The
Hamadsha, a Study in Moroccan Ethnopsychiatry, Berkeley and Los Angeles, Univ. of
California Press, 1973.
1496
V. Crapanzano (« The Hamadsha », op. cit., p. 330) contredit la filiation mentionnée par
l’auteur de la Salwa (vol. I, p. 404-405) et ajoute, sans préciser sa source, qu’Ibn Ḥamdūsh
assimile l’influence spirituelle de son maître en avalant le vomi de celui-ci.
1497
Voir Salwa, vol. I, p. 404.
1498
Ibid.
1499
Voir V. Crapanzano, « The Hamadsha », op. cit., p. 348. Selon l’auteur, les groupes qui
maintiennent une véritable pratique soufie sont beaucoup moins nombreux de nos jours que
les groupes déviés dont la fonction est principalement thérapeutique.
384 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1500
Selon une tradition orale, le servant du maître, Aḥmad al-Dghughi, se frappe violemment
la tête lorsqu’il apprend la mort de ce dernier. C’est pour imiter cet acte que les adeptes
de la voie se frappent lors du dhikr collectif (voir V. Crapanzano, « The Hamadsha »,
op. cit., p. 330-331).
1501
Voir Salwa, vol. I, p. 400-401.
1502
Voir ibid., p. 403.
1503
Voir notre chapitre IX « La fondation des grands ordres et le renouveau du soufisme ».
1504
Salwa, vol. I, p. 401.
1505
Voir ibid., p. 402-403.
1506
Ibid., p. 402.
Histoire de la sainteté à Fès 385
1507
Voir J. Berque, op. cit., p. 257.
1508
R. Le Tourneau, op. cit., p. 87-88.
1509
Voir R. Le Tourneau, « Le Maroc sous le règne de Sidi Mohammed ben Abdallah
(1757-1790) », ROMM, n°1, 1966, p. 113-133.
1510
Le fait que l’université moderne de Fès porte son nom illustre bien cette image.
386 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1511
Voir M. Lakhdar, op. cit., p. 210-214.
1512
Il s’agit d’un courant de savants qui refusent le recours à la réflexion personnelle des
fuqahā’ (al-ray’) pour l’établissement des dispositions normatives de la loi sacrée, estimant
préférable de se baser directement sur les hadiths, même sur ceux qui sont peu connus
et répandus (āḥād). Le fondateur de ce courant est Aḥmad Ibn Ḥanbal (m. 241/855), le
fondateur d’une des quatre écoles juridiques du sunnisme encore en vigueur aujourd’hui.
Le sultan Ibn ‘Abdallāh se déclare effectivement malékite quant à la pratique et hanbalite
quant au dogme.
1513
Voir Salwa, vol. III, p. 59-61 ; M. Hajji, Al-Zāwiyat al-Dilā’iyya wa dawruhā al-dīnī
wa al-‘ilmī wa al-siyāsī, 2e éd., Casablanca, Maṭba‘at al-Najāḥ al-Jadīda, 1988, p. 267-271 ;
É. Lévi-Provençal, op. cit., p. 301-302, M. Lakhdar, op. cit., p. 152-158.
1514
É. Lévi-Provençal, op. cit., p. 301.
1515
Ms., BG, n° 471 d, n° 1419 d.
1516
Voir A. Sebti, op. cit., p. 23, note 30.
Histoire de la sainteté à Fès 387
1517
Voir M. Lakhdar, op. cit., p. 156.
1518
Voir Salwa, vol. I, p. 156-157 ; M. Lakhdar, op. cit., p. 197-200 ; É. Lévi-Provençal,
op. cit., p. 312-113.
1519
Voir J. Schacht, « al-Bannānī », EI 2, vol. I, p. 1050-1051. Pour les juifs de Fès
convertis à l’islam en général, voir M. Garcia-Arenal, « Les bildiyyīn de Fès, un groupe
de néo-musulmans d’origine juive », SI, n° 66, 1987, p. 113-143 ; A. Sebti, Aristocratie
citadine, pouvoir et discours savant au Maroc précolonial, contribution à une relecture de
la littérature généalogique fassie, thèse de doctorat, Université de Paris VII, 1984, p. 199.
1520
Vol. I, p. 156.
1521
Voir ibid., vol. III, p. 52. Celui-ci a également fréquenté ‘Alī « al-Jamal » al-‘Amrānī
(m. 1194/1779), le maître d’al-Darqāwī.
1522
Voir ibid., p. 52-53.
1523
Voir ibid., vol. I, p. 150-152.
388 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1524
Voir Ishrāf, vol. II, p. 121.
1525
Voir Salwa, vol. III, p. 43-44.
1526
Voir ibid., p. 121-122.
1527
Ibid., vol. I, p. 200.
1528
Voir ibid.
1529
Voir ibid., p. 200-201.
Histoire de la sainteté à Fès 389
1530
Voir K.S. Vikor, Sufi and Scholar on the Desert Edge : Muḥammad b. ‘Alī aal-Sanūsī
and his brotherhood, Londres, Northwestern Univ. Press, 1995.
1531
Voir B. Radkte, « Lehrer, Schüler, Enkel : Ahmad b. Idrīs, Muhammad ‘Uthmān al-
Mīrghanī, Ismā ‘īl al-Walī, ORI, n° 33, p. 94-132.
Histoire de la sainteté à Fès 391
259 ; M. Lakhdar, La Vie littéraire au Maroc sous la dynastie ‘Alawide, op. cit., p. 210-214.
392 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
une autorité supérieure à celle des oulémas, autorité qui lui permet d’éliminer
l’étude des textes soufis du curriculum de la Qarawiyyīn et de dénoncer les
formes de soufisme qui dépassent celle du « soufisme modéré » 1533. A Fès, la
réaction des cercles soufis est formellement hétérogène mais correspond, au
fond, à une visée identique. Certaines zāwiyas comme la Fāsiyya continuent
à assumer un rôle visible et constructif en assurant la transmission des
sciences religieuses de façon relativement indépendante. Les héritiers de
‘Abd al-Qādir al-Fāsī rendent ainsi possible la perpétuation d’une tradition
intellectuelle laquelle, rattachée indirectement au soufisme, formera encore
au XIIIe/XIXe siècle une fraction importante de l’élite savante de Fès. La
plupart des groupes soufis semblent rester derrière la scène publique et
se consacrer, de manière assez discrète, à la transmission d’un héritage
initiatique. Tel est le cas par exemple de la zāwiya Ma‘an.
Quelles que soient les réactions des divers cercles soufis de la ville,
le ressentiment d’une certaine sclérose de la vie spirituelle semble être
généralement répandu, ce qui d’ailleurs n’est pas particulier à Fès. Des
personnalités qui prêchent la nécessité d’une réforme apparaissent à la
fin du XIIe/XVIIIe siècle dans pratiquement tout le monde musulman 1534.
Face aux changements socioreligieux qui s’annoncent avec l’affaiblissement
politique et économique des états arabes et de l’empire ottoman, certains
cercles soufis s’engagent à renouveler le cadre organisationnel et doctrinal
de leur enseignement et de leur pratique. Le Hedjaz, le Yémen et le
Caire semblent constituer le point de départ d’une démarche doctrinale
renouvelée qui investit l’Afrique, l’Inde, l’Asie centrale, l’Indonésie. S’il
n’est en aucun cas possible de parler d’une rupture avec le soufisme
médiéval, il s’agit néanmoins de revisiter les fondements de la tradition
islamique et du soufisme selon une approche réformée. En somme, il est
question d’un accès plus direct à la spiritualité prophétique, en écartant
notamment la multitude parfois antagoniste des courants juridiques et des
ordres soufis. Il s’agit donc d’un effort de réunification et de concentration
1533
S.R. O’Fahey, Enigmatic Saint, Ahmad Ibn idris and the Idrisi Tradition, Londres,
Hurst, 1990, p. 34.
1534
Voir R. Chih, C. Mayeur-Jaouen, « Introduction », Le Soufisme à l’époque ottomane
XVIe-XVIIIe siècles, idem, dir., le Caire, IFAO, 2010, p. 13-19 ; M. Gaborieau, N. Grandin,
« Le renouveau confrérique », Les Voies d’Allah, les ordres mystiques dans l’islam des
origines à aujourd’hui, A. Popovic, G. Veinstein, dir., Paris, Fayard, 1996, p. 68-83 ;
S.J. Trimingham, The Sufi Orders in Islam, Oxford, Clarendon Press, 1971, p. 105-132.
Pour une analyse critique du concept de renouveau soufi, voir S.R. O’Fahey, B. Radtke,
« Neo-Sufism Reconsidered », ISL, 70/1, 1993, p. 52-87.
Histoire de la sainteté à Fès 393
1535
« Le renouveau confrérique », op. cit., p. 83.
1536
Voir R. Chih, « Cheminements et situation actuelle d’un ordre mystique réformateur :
la Khalwatiyya en Égypte (fin XVe siècle à nos jours) », SI, n° 88, 1998, p. 181-201.
1537
Voir F. De Jong, « Mustafa Kamal al-Din al-Bakri (1688-1749) : Revival and Reform
of the Khalwatiyya Tradition ? », Eighteenth-Century Renewal and Reform in Islam,
N. Levtzion, J.O. Voll, dir., New York, Syracuse Univ. Press, 1987, p. 117-132.
394 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1538
Voir ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya bi-Fās : khaṣā’iṣuhā wa a‘lāmuhā,
Casablanca, Mu’assasat Mawlāy ‘Abdallāh al-Sharīf, s.d., p. 31.
1539
Voir ibid., p. 72.
1540
Voir ibid., p. 71.
Histoire de la sainteté à Fès 395
1541
Voir Salwa, vol. I, p. 141-146 ; A. al-Wārith, « Min namādhij al-tawāṣul bayna Miṣr
wa al-Maghrib : al-ṭarīqat al-Ṣaqaliyyat al-Khalwatiyya », al-Tawāṣul al-ṣūfī bayna Miṣr
wa al-Maghrib, ‘A. al-Saqqāṭ, A. al-Sulaymānī, dir., Muḥammadiyya, Kulliyyat al-Ādāb
wa al-‘Ulūm al-Insāniyya, 2000, p. 94 et suiv.
1542
Voir Ishrāf, vol. II, p. 95 et suiv. ; U. Rizzitano, « Un trattatello di storia dinastica sui
Siciliani di illustre discendenza nel Marocco », ANISL, n° 3, 1957, p. 85-127. D’après une
autre vocalisation, ce nom se prononce al-Ṣiqillī, « le Sicilien ». Nous avons opté pour la
vocalisation sous laquelle cette famille est généralement connue à Fès.
1543
Voir Salwa, vol. II, p. 207-208 ; M. Lakhdar, op. cit., p. 192-197.
1544
Voir Nashr, vol. IV, p. 182-183 ; Maqṣūda, p. 522-525. Selon les auteurs et les
chercheurs maghrébins, on le prononce al-Ḥafnāwī.
1545
Voir supra.
1546
A. al-Wārith, « Min namādhij al-tawāṣul bayna Miṣr wa al-Maghrib : al-ṭarīqat al-
Ṣaqaliyyat al-Khalwatiyya », p. 83.
1547
Voir à ce propos les divers articles réunis dans ‘A. al-Saqqāṭ, A. al-Sulaymānī, dir.,
al-Tawāṣul al-ṣūfī….
396 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1548
Voir Salwa, vol. I, p. 160-161. Ce saint se rattache aux maîtres d’Ouezzane.
1549
Voir A. al-Wārith, « Min namādhij al-tawāṣul bayna Miṣr wa al-Maghrib : al-ṭarīqat
al-Ṣaqaliyyat al-Khalwatiyya », p. 95.
1550
Voir Ṭayyib, p. 71.
1551
Le sultan Ḥassan Ier (1290-1312/1873-1894) sera enterré dans la zāwiya, ainsi que de
nombreuses personnalités de l’élite religieuse, culturelle et politique du Maroc.
1552
Voir Ishrāf, vol. II, p. 83 et suiv.
1553
Il y a effectivement un grand nombre de saints qui sont enterrés en dehors de ces
murailles, comme la plupart des Fāsī, les Ma‘an, les Ibn Ḥirzihim, les Dabbāgh, etc. L’auteur
de la Salwa (voir vol. I, p. 145) précise que les deux saints ont voulu dire que « Mawlāy
Ṣqallī » est le seul quṭb d’ascendance hussaynite enterré à l’intérieur des murailles, puisqu’il
y a certainement d’autres aqṭāb qui y sont enterrés, notamment ceux d’ascendance hassanide
comme Mawlāy Idrīs et ‘Alī « al-Jamal ».
Histoire de la sainteté à Fès 397
1554
Voir Salwa, vol. I, p. 146-17.
1555
Voir Salwa, vol. I, p. 196-199 ; Jawāhir ; ‘A. Bin ‘Abdallāh, Ma‘allim al-taṣawwuf
al-islāmī, Rabat, Dār Nashr al-Ma‘rifa, 2001, vol. II, p. 160 et suiv ;
1556
Voir J.M. Abun-Nasr, The Tijaniyya : a sufi order in the modern world, Londres, Oxford
Univ. Press, 1965 ; J. El Adnani, La Tijāniyya : Les origines d’une confrérie religieuse au
Maghreb, Rabat, Marsam, 2007.
1557
Pour les nombreux maîtres d’al-Tijānī, voir Jawāhir, p. 35-45 ; ‘A. Bin ‘Abdallāh,
Ma‘allim al-taṣawwuf…, p. 166 et suiv. ; J. El Adnani, La Tijāniyya…, p. 65-72.
1558
Curieusement, les deux saints se rencontrent sans se parler, mais restent immobiles
jusqu’à ce qu’ils se quittent (voir Salwa, vol. I, p. 197).
398 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1559
Voir infra. Le successeur d’Aḥmad Ma‘an bénit al-Tijānī en lui disant trois fois : « Que
Dieu prenne soin de toi ! » (Voir Jawāhir, p. 36.)
1560
Voir Kubrā, p. 137-138 ; M. Gaborieau, N. Grandin, « Le renouveau confrérique »,
p. 72-73 ; C. Addas, « A la distance de deux arcs ou plus près : la figure du Prophète chez
‘Abd al-Karīm Jīlī », s. éd., 2008, p. 26 et suiv.
1561
Al-Tijānī n’est pas le premier maître à soutenir une telle revendication. Citons à titre
d’exemple le maître de Zarrūq, ‘Uqba al-Ḥaḍramī (m. 895/1490), dont nous avons déjà traité.
1562
Voir La Tijāniyya…, p. 157-164.
1563
Pour l’histoire de cette litanie et ses commentaires, voir ‘A. Bin ‘Abdallāh, Ma‘allim
al-taṣawwuf…, vol. II, p. 199-203.
Histoire de la sainteté à Fès 399
1564
Voir A. Būkārī, al-Iḥyā’ wa al-tajdīd al-ṣūfī fī al-Maghrib, Rabat, Wazārat al-Awqāf
wa al-Shu’ūn al-Islāmiyya, 2006, vol. II, p. 3.
1565
Voir M. Chodkiewicz, Un océan sans rivage : Ibn Arabī, le Livre et la Loi, Paris, Seuil,
1992, p. 27 ; P.J. Ryan, « The mystical theology of Tijānī sufism and its social significance
in West Africa », JRA, t. XXX, n° 2, p. 208-224.
1566
On trouve aussi l’expression « le sceau caché » (voir J. El Adnani, La Tijāniyya…,
p. 155). Pour la doctrine du sceau chez al-Tijānī, voir P. Urizzi, « Il Segreto del Sigillo dei
santi », Perennia Verba n° 54, idem, dir., Rimini, Cerchio Iniziative Editoriali, 2004, p. 3-60.
1567
Voir La Tijāniyya…, p. 155-156.
400 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
dans lequel cette voie s’est constituée. Celle-ci a vocation, dans ce qui
est vu comme des circonstances particulièrement difficiles pour une
démarche spirituelle, de faciliter à un nombre important d’adeptes l’accès
à la grâce que le Prophète aurait accordée à al-Tijānī. C’est pourquoi la
Tijāniyya se présente comme étant moins exigeante par rapport à l’ascèse,
à la science religieuse et à l’éducation initiatique que les autres voies et
s’appuie sur un rituel spécialement élaboré 1568 dont l’efficacité est attribuée
à son institution prophétique. Enfin, l’orientation de la Tijāniyya sur la
personne du fondateur s’explique aussi par les tensions qui règnent à un
certain moment entre les disciples les plus proches d’al-Tijānī. Le fait de
concentrer le rattachement sur ce dernier peut être interprété comme une
façon de prévenir les conflits d’autorité entre les représentants de l’ordre,
conflits qui s’annoncent du vivant du maître 1569.
En 1213/1798, soit vingt ans après la fondation de la confrérie, Aḥmad
al-Tijānī s’installe définitivement à Fès 1570. Sur l’ordre du Prophète, il
bâtit trois ans plus tard sa zāwiya au cœur de la ville, dans un quartier
de corporations, entre la Qarawiyyīn et le sanctuaire de Mawlāy Idrīs 1571.
D’après les hagiographes, le lieu était occupé par certains majdhūb-s
de la ville qui avaient annoncé la fondation peu de temps auparavant.
Le sultan Sulaymān (1206-1237/1792-1822) propose au saint de soutenir
généreusement la construction avec des dons financiers, mais celui-ci
refuse en déclarant que la zāwiya ne peut être bâtie qu’avec de l’argent
légitimement acquis 1572. En tout cas, le souverain est attiré par cette nouvelle
voie et son fondateur. D’après l’hagiographie 1573, il s’est rattaché à al-Tijānī
et aurait insisté auprès de lui pour qu’il lui fasse voir le Prophète. Le saint
l’avertit qu’il ne pourra pas supporter une telle vision mais finit par satisfaire
sa requête. Lorsque les deux personnages se trouvent seuls dans une
chambre et que le lieu est « rempli par les lumières muḥammadiennes 1574 »,
Moulay Sulaymān s’évanouit. Le lien entre al-Tijānī et le sultan inaugure
1568
Voir O. Kane, « La Tijāniyya », Les Voies d’Allah, les ordres mystiques dans l’islam
des origines à aujourd’hui, Paris, Fayard, 1996, p. 476.
1569
Voir J. El Adnani, La Tijāniyya…, p. 83 et suiv.
1570
Voir 179-185.
1571
Un savant retraité de la Qarawiyyīn nous a expliqué que les trois sanctuaires, celui de
Mawlāy Idrīs, la Qarawiyyīn et la zāwiya de Mawlāy Aḥmad al-Tijānī, forment les trois
pôles (aqṭāb) du centre-ville de Fès.
1572
Voir ‘A. Bin ‘Abdallāh, Ma‘allim al-taṣawwuf…, vol. II, p. 235-240.
1573
Voir Ghāya, p. 60-61.
1574
Ibid., p. 60.
Histoire de la sainteté à Fès 401
1575
Voir ‘A. Bin ‘Abdallāh, Ma‘allim al-taṣawwuf…, vol. II, p. 205-211.
1576
Voir J. El Adnani, La Tijāniyya..., p. 76-79.
1577
Voir ibid., p. 148-149.
1578
Voir ibid., p. 166.
1579
Voir Salwa, vol. I, p. 198.
1580
J. El Adnani (La Tijāniyya..., p. 70) remarque qu’al-Tijānī semble également avoir un
lien particulier avec Abū Madyan et la ville de Tlemcen où ce dernier est enterré.
1581
Salwa, vol. I, p. 82.
1582
Ibid.
402 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1583
Ibid.
1584
Voir Salwa, vol. II, p. 418-419 ; Ghāya, p. 28-29.
1585
Le texte de la litanie est comme suit : « Ô mon Dieu, je Te demande les dons des
réservoirs (khazā’in) de Ta faveur ! » (Ghāya, p. 29.)
1586
Le sanctuaire d’al-Tijānī jouit d’un statut particulier. Ainsi, à la différence des autres
zāwiyas, les Tijānīs interdisent d’y enterrer d’autres personnes, même des saints. De plus,
certains représentants de l’ordre refusent d’y enseigner, considérant cela comme un manque
de respect vis-à-vis du fondateur.
1587
Voir J.L. Triaud, D. Robinson, dir., La Tijāniyya, une confrérie musulmane à la conquête
de l’Afrique, Paris, Karthala, 2000.
1588
Voir J. El Adnani, La Tijāniyya..., p. 136.
Histoire de la sainteté à Fès 403
1589
On trouve de nombreuses biographies des Tijānī de Fès dans le Ghāyat al-amānī fī
manāqib wa karamāt aṣḥāb al-shaykh Aḥmad al-Tijānī de Muḥammad al-Sayyid al-Tijānī
(Casablanca, Dār al-Rashād al-Ḥadītha, 2004).
1590
Voir Ghāya, p. 7 ; ‘A. Bin ‘Abdallāh, Ma‘allim al-taṣawwuf…, vol. II, p. 231-233 ;
É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 376-377.
1591
Il s’agit probablement de noms divins.
1592
Ghāya, p. 7.
1593
Voir Jawāhir, p. 36.
1594
P. ex. É. Lévi-Provençal (Les Historiens…, p. 377) et J. El Adnani (La Tijāniyya...,
p. 102-111).
1595
Voir à ce propos J. El Adnani, La Tijāniyya..., p. 93 et suiv.
404 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1596
Ibid.
1597
Voir Ghāya, p. 32-33.
1598
Voir Salwa, vol. III, p. 36 ; Ghāya, p. 35.
1599
Voir Salwa, vol. III, p. 36-37 ; Ghāya, p. 27-28.
1600
Son ouvrage le plus connu est sans doute les Kashf al-ḥijāb ‘amman talāqā ma‘a
al-shaykh al-Tijānī min al-aṣḥāb (Beyrouth, Maktabat al-Sha‘biyya, 1988). Voir J. El
Adnani, La Tijāniyya..., p. 182.
1601
Si nous savons que ce personnage est né deux mois avant la mort d’al-Tijānī en
1230/1815, nous n’avons pas pu trouver d’informations sur la date de son décès (voir J.L.
Histoire de la sainteté à Fès 405
1607
Voir Salwa, vol. I, p. 374-376.
1608
Voir ibid., vol. II, p. 17-19.
1609
Voir ibid., p. 334-336.
1610
Voir A. al-Jamal al-‘Amrānī, Naṣīḥat al-murīd fī ṭarīq ahl al-sulūk wa al-tajrīd,
Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2005, p. 342-343.
1611
Ibid., p. 335.
Histoire de la sainteté à Fès 407
1612
Coran, IX : 60.
1613
Naṣīḥat al-murīd…, p. 335.
1614
Voir A. Būkārī, al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. I, p. 81.
1615
L’auteur de la Salwa parle de la tradition d’al-Shushtarī (m. 668/1270) (Salwa, vol. I,
p. 409), le fameux saint itinérant d’origine andalouse, disciple d’Ibn Sab‘īn (m. 668/1269)
et auteur de nombreux poèmes très populaires et fréquemment utilisés dans les séances
de samā‘.
1616
Al-Darqāwī remarque : « Notre maître, que Dieu l’agrée, mendiait dans l’ancienne cité
de Fès tout au long de sa vie de magasin en magasin comme un grand indigent, alors qu’il
occupait la fonction du secours spirituel (ghawth) durant la plus grande partie de sa vie
dont la durée dépassa les quatre-vingt ans. » (Salwa, vol. I, p. 410.)
1617
Ibid.
408 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1618
Ibid.
1619
L’ouvrage est édité sous le titre de Naṣīḥat al-murīd…
1620
Le maître explique en ce sens : « Sache que les attributs que nous décrivons à propos
de l’élection sont tous comme celui qui fait un dessein de la Mecque sur un papier sans la
voir. » (Naṣīḥat al-murīd…, p. 187.)
1621
Un disciple d’al-Darqāwī remarque que ‘Alī al-Jamal est « connu par rapport à la
science des contraires, c’est-à-dire la loi et la vérité, la liberté et la servitude, l’union et la
séparation, le cheminement et le ravissement, etc. » (Salwa, vol. I, p. 410).
Histoire de la sainteté à Fès 409
(al-sharā’i‘). Par rapport à Dieu, toutes ces choses représentent des réalités,
sauf que les premières constituent les réalités de la descente (al-nuzūl),
alors que les secondes correspondent aux réalités de l’élévation (al-ṭulū‘).
« L’homme se tient entre ces contraires et par eux se tient dans cette
existence, mais, comme quelqu’un a dit, «entre l’élévation et la descente les
fils se confondent (takhabbalat al-ghuzūl)». De ce fait, quand les réalités
de l’élévation dominent l’homme, les réalités de la descente le recherchent,
et quand les réalités de la descente dominent l’homme, les réalités de
l’élévation le recherchent. C’est pourquoi les gens dotés d’une intelligence
accomplie s’établissent dans les descentes [...]. C’est ainsi parce que le
désordre est la racine de la rectitude, et la rectitude s’amplifie à la mesure
que s’amplifie le désordre, et il en est de même pour tous les contraires : à
mesure qu’une chose s’amplifie, son contraire s’amplifie par là-même 1622. »
Comme les maîtres de la Shādhiliyya-Ma‘aniyya avant lui, ‘Alī « al-
Jamal » développe la signification profonde de la notion de l’isqāṭ al-tadbīr,
« l’abandon de la volonté propre », en soulignant la notion de l’iktifā’
bi-Allāh, le fait de « se suffire de Dieu » dans tout état :
« La qualité du saint accompli (al-walī al-kāmil), c’est qu’il n’a besoin de
rien d’autre que de l’état dans lequel son Seigneur l’établit à chaque instant.
Autrement dit, il n’a pas d’objet de désir si ce n’est ce qui se manifeste
comme toute-puissance divine ; son âme ne souhaite autre que cela, comme
disait le maître accompli notre seigneur Aḥmad al-Yamanī 1623 […] : « La
réalité de la sainteté c’est que si son détenteur est assis dans l’ombre, son
âme ne désire pas s’asseoir dans le soleil, et s’il est assis dans le soleil
son âme ne désire pas s’asseoir dans l’ombre. » 1624 »
Comme le montrent ces extraits, l’enseignement de ‘Alī « al-Jamal »
représente la cristallisation d’un enseignement ésotérique transmis surtout
oralement, raison pour laquelle il n’existe pas de véritable corpus écrit de
la tradition Ma‘aniyya. Al-Darqāwī à part, ‘Alī al-Jamal a comme disciple
un autre saint illustre, Abū al-Qāsim Ibn Ḥammū al-Wazīr al-Ghassānī 1625
(m. 1213/1799). Ce dernier est considéré comme occupant une fonction
spirituelle éminente 1626 et dirige sa propre zāwiya où il est fréquenté par un
nombre important de fidèles, notamment des chérifs ‘Alawī et les membres
1622
Naṣīḥat al-murīd…, p. 343.
1623
C’est un des maîtres d’Aḥmad Ma‘an, le père d’al-‘Arabī Ma‘an.
1624
Naṣīḥat al-murīd…, p. 14.
1625
Voir Salwa, vol. III, p. 37-38.
1626
L’auteur de la Salwa (voir ibid., p. 38) évoque le terme bien connu de quṭb (« pôle »).
410 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1627
Voir ibid., p. 38-40.
1628
Voir S.R. O’Fahey, Enigmatic Saint, Ahmad Ibn idris and the Idrisi Tradition, Londres,
Hurst, 1990, p. 38.
1629
Voir Salwa, vol. I, p. 191 ; A. Būkārī, Al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. I, p. 75-235 ;
G. Drague, Esquisse d’Histoire des confréries religieuses au Maroc, Paris, Peyronnet, 1951,
p. 251-277 ; J.S. Trimingham, The Sufi orders in Islam, Oxford, Clarendon Press, 1971,
p. 110-114 ; A. Meftah, « L’initiation dans la Shādhiliyya-Darqāwiyya », Une Voie soufie
dans le monde : la Shādhiliyya, p. 237-248 ; M. Zekri, « La tarīqa Shādhiliyya-Darqāwiyya :
les empreintes du shaykh al-‘Arabī al-Darqāqī », ibid., p. 229-236 ; I. Weismann, « The
Shādhiliyya-Darqāwiyya in the Arab East », ibid., p. 255-270 ; F. de Jong, « Materials
relative to the History of the Darqāwiyya Order and its Branches », ARA, vol. 26, n° 2,
1979, p. 126-143.
1630
C’est al-Darqāwī lui-même qui qualifia ces deux voies comme respectivement
extérieures et intérieures (voir Majmū‘at al-rasā’il…, p. 63).
Histoire de la sainteté à Fès 411
1631
Voir Salwa, vol. I, p. 301.
1632
Voir Muṭrib, p. 160-161. Sur cette famille, voir F.R. Mediano, Familias de Fez
(ss. XV-XVII), p. 136-140.
1633
Voir al-Shushtarī.
1634
M. al-Tamsamānī, Al-Imām al-‘Arabī al-Darqāwī…, p. 178-179.
1635
La critique d’un réformiste marocain du XIII e/XIX e siècle témoigne d’un certain
sentiment général à l’époque d’al-Darqāwī : « Chaque tariqa est devenue, en ces derniers
412 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
temps, comme si elle était une autre chari‘a […]. Plus grave encore, chaque tariqa se montre
très souple envers la chari‘a et crée d’autres prières comme si elles étaient de nouveaux
moyens valables de dévotion. » (Cité dans J. El Adnani, La Tijāniyya..., p. 145.)
1636
M. al-Tamsamānī, al-Imām al-‘Arabī al-Darqāwī…, p. 184. Comme l’indique le titre
de cette lettre (al-Mudhakarat al-qalbiyya fī al-ṭarīqat al-Makhfiyya), elle traite de la
tradition initiatique des Ma‘an.
1637
Voir al-Risāla al-shushtariyya, Casablanca, Dār al-Thaqāfa, 2004, p. 52.
1638
Voir Majmū‘at al-rasā’il…, p. 227. Voir aussi à ce propos ibid., p. 142-144,
p. 179-180.
1639
Īqāẓ al-himām fī sharḥ al-Ḥikam, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2005, p. 30.
1640
Cette conception du dépouillement rappelle la notion de khalwa (« retrait ») dans la
jalwa (« en public ») employée dans la Nashbandiyya.
Histoire de la sainteté à Fès 413
« Sache, toi qui es juriste, que j’aimerais que ton caractère soit à l’inverse
de celui des juristes de ton temps, que Dieu leur accorde Sa bienveillance.
Ils ont, en effet, abandonné les nobles qualités et ont adopté de vils traits de
caractère : ils savent mais ne mettent pas en pratique ; ils s’enorgueillissent
au lieu d’être humbles [...].
« Mon Dieu ! Comme ils sont loin de la science et proches de l’ignorance !
Fuis, mon frère ! Fuis-les, et ne te retourne pas ! Si tu veux hériter des
prophètes, adopte donc leurs traits de caractère, chemine sur leur voie. Le
secret, la grâce, la bénédiction et les bienfaits sont dans le détachement du
bas monde, car c’est précisément le chemin emprunté par les prophètes et
les saints. Se dépouiller du bas monde, intérieurement et extérieurement,
c’est la Voie du Prophète et de ceux qui s’attachent fermement à sa tradition
selon une preuve évidente (bayyina) de leur Seigneur. Voilà ce que tu dois
faire. Que Dieu t’accorde la réussite en cela. Paix 1641. »
Dans cette même logique, al-Darqāwī affirme que le principe de la
sainteté ne consiste pas en la science, mais en la réalisation de la vérité
muḥammadienne, réalisation qui se traduit par la « vision du Prophète en
état de veille » :
« Par Dieu, mes frères, jamais je n’aurais pensé qu’il fût possible à un
homme de science de rejeter l’idée que l’on puisse voir le Prophète à
l’état de veille, avant d’avoir rencontré, un jour, un groupe de savants à la
mosquée Qarawiyyīn. Ils me dirent : « Comment est-il possible de le voir
alors qu’il est mort depuis plus de mille deux cents ans ? » [...] Je leur
répondis alors : « Assurément, seul peut le voir à l’état de veille celui qui
fut élevé par sa spiritualité du monde des corps vers le monde des esprits.
Là, il le verra nécessairement. Il verra de même tous ceux qu’il a aimés
en Dieu. » Ils se turent alors et ne posèrent pas de questions sur ce que
j’avais dit concernant le monde des esprits [...]. Pour ma part, je dis que la
vision du Prophète n’est en rien impossible pour qui est fermement attaché
à sa tradition et qui se revêt de ses qualités [...] 1642. »
Tout en suivant une démarche qui lui est propre, al-Darqāwī s’inscrit
visiblement dans cette approche de la réalisation initiatique fondée sur une
conception spirituelle de la figure prophétique qui caractérise également
ses contemporains comme Aḥmad Ibn Idrīs et al-Tijānī. Comme ces
derniers, il sait traduire cela dans le cadre d’une voie dont le rayonnement
dépasse le Maroc. Néanmoins, la ville de Fès joue un rôle central dans la
constitution et l’épanouissement de l’ordre.
1641
Texte arabe et traduction : T. Chouiref, Cheikh al-‘Arabī al-Darqāwī : lettres sur le
Prophète et autres lettres sur la voie spirituelle, Wattrelos, Tasnim, 2010, p. 116.
1642
Texte arabe et traduction : T. Chouiref, Lettres sur le Prophète…, p. 46-48.
414 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1643
Voir A. Būkārī, al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. I, p. 160 et suiv.
1644
Voir Salwa, vol. I, p. 293-295 ; A. Būkārī, al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. I, p. 199-202.
1645
Voir Salwa, vol. I, p. 294. D’après al-Ghazālī, il s’agit du degré spirituel le plus élevé
restant accessible après l’avènement du Prophète. Pour Ibn al-‘Arabī, la « station de la
proximité » (maqām al-qurba) est pourtant supérieure. Voir à ce propos M. Chodkiewicz,
Le Sceau des saints : prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn Arabī, p. 77.
1646
Al-Munājāt al-fardiyya al-ilāhiyya fī tabayyun ma‘ālim al-ṭarīqa al-Muḥammadiyya
(connu aussi comme al-Rasā’il al-kubrā), ms., BG, n° 2475 k, n° 1869 d ; al-Rasā’il
al-ṣughrā, ms., BG, n° 1845 d. On trouve des extraits dans M. al-Tamsamānī, al-Imām
al-‘Arabī al-Darqāwī…, p. 90-99.
1647
Salwa, vol. I, p. 294.
1648
A. Būkārī, Al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. I, p. 200-214 ; G. Drague, Esquisse d’histoire
des confréries..., p. 258-260.
1649
Voir Salwa, vol. I, p. 413-414.
Histoire de la sainteté à Fès 415
1650
Voir J.L. Michon, L’Autobiographie du Soufi marocain Ahmad Ibn ‘Ajība, 2 e éd.,
Milan, Arché, 1982.
1651
Voir Salwa, vol. I, p. 389 ; Kubrā, p. 155-157 ; Muṭrib, p. 229-232 ; T. Bengarai, Le Soufi
et juriste Muhammad al-Harrāq (m. 1845) : son éducation, sa mystique, son œuvre poétique
et musicale, thèse de doctorat, Paris, la Sorbonne, 2005.
1652
Voir Salwa, vol. I, p. 291-292 ; Kubrā, p. 158-159 ; A. Būkārī, Al-Iḥyā’ wa al-tajdīd...,
vol. II, p. 195.
1653
Voir A. Būkārī, Al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. II, p. 195-196.
1654
Al-Nūr al-qāwī fī dhikr shaykhinā mawlānā ‘Abd al-Wāḥid al-Dabbāgh wa shaykhihi
mawlānā al-‘Arabī al-Darqāwī, ms., BG, n° 2301 k. On trouve un extrait traitant d’al-
Darqāwī dans M. al-Tamsamānī, Al-Imām al-‘Arabī al-Darqāwī…, p. 9-10, p. 23.
1655
Voir A. Būkārī, Al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. II, p. 195-198.
1656
Voir A. Būkārī, Al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. II, p. 167 ; P.B. Fenton, « Hasan al-Kūhin
et son recueil de biographies shādhilītes », Une Voie soufie dans le monde…, p. 513-520.
1657
Voir J.L. Michon, L’Autobiographie du Soufi marocain…, p. 87.
1658
Voir P.B. Fenton, « Hasan al-Kūhin et son recueil de biographies shādhilītes », op. cit.,
p. 515-517.
416 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1659
Al-Ṭabaqāt al-shādhiliyya al-kubrā, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2005.
1660
Voir Salwa, vol. II, p. 217-218.
1661
Voir ibid., vol. I, p. 191.
1662
Les Darqāwī descendent d’Idrīs II à travers son fils Aḥmad (voir M. al-Tamsamānī,
al-Imām al-‘Arabī al-Darqāwī…, p. 18-20).
1663
Pour les autres fils dont aucun est installé à Fès, voir M. al-Tamsamānī, al-Imām
al-‘Arabī al-Darqāwī…, p. 74-79.
Histoire de la sainteté à Fès 417
1664
Voir A. Būkārī, al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. II, p. 184-194 ; G. Drague, Esquisse
d’histoire des confréries..., p. 260-261 ; A. al-Yaḥyāwī, Malāmiḥ al-tawāṣul al-ṣūfī bayna
Fās wa Kandar wa al-nawāḥī, Rabat, sans éd., 2000.
1665
Voir Salwa, vol. II, p. 220.
1666
Voir Salwa, vol. I, p. 387-389 ; A. Būkārī, Esquisse d’histoire des confréries..., vol. II,
p. 189 ; M. al-Tamsamānī, Sayyidī al-Khaḍri al-Saj‘ī : tarjumatuhu wa ba‘ḍ āthāruhu,
Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2007.
1667
Voir Salwa, vol. I, p. 388 ; A. Būkārī, al-Iḥyā’ wa al-tajdīd..., vol. II, p. 190.
1668
Voir A. al-Yaḥyāwī, Malāmiḥ al-tawāṣul…, p. 84 et suiv.
1669
Voir ibid., p. 60 et suiv.
1670
Voir ibid., p. 235-237.
1671
Voir Salwa, vol. I, p. 320 ; G. Drague, Esquisse d’histoire des confréries..., p. 261.
1672
Voir Salwa, vol. I, p. 308.
418 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
« En vérité, celui qui te voit me voit et celui qui te tend la main la tend
à moi 1673. »
Après la mort de son maître, les disciples s’adressent à Bannānī pour
perpétuer la zāwiya. De ce cercle sortent diverses personnalités 1674 qui
constituent au XIVe/XXe siècle un élément important de la présence de la
Darqāwiyya à Fès. La zāwiya reste active jusqu’à il y a quelques décennies,
notamment grâce aux disciples du petit-fils de ‘Abd al-Mu’min, le fondateur
de la Ṣiddīqiyya, Muḥammad b. al-Ṣiddīq 1675 (m. 1354/1936) de Tanger.
Les disciples d’al-Darqāwī, extrêmement nombreux, sont présents
dans toutes les grandes villes, et on ne peut étudier ici le rayonnement
exceptionnel de la confrérie 1676. Sans doute Fès permet-elle à la Darqāwiyya
de se diffuser dans tout le Maroc, en Algérie et ensuite au Moyen-Orient,
mais le fait que le fondateur quitte la ville et s’établisse dans un terrain
plus neutre montre aussi la volonté de se rendre indépendant d’un milieu
urbain aussi marqué comme l’est celui de Fès. Si l’installation d’al-Tijānī
permet à cet ordre de se réunir autour d’une zāwiya-mère, al-Darqāwī, dont
l’enseignement ne se base pas sur le personnage du fondateur, pressent
probablement la nécessité de délocaliser sa voie, de façon à rendre possible
une diffusion trans-régionale. Cette décentralisation explique aussi le
grand nombre de voies dont les fondateurs sont des disciples plus ou
moins directs d’al-Darqāwī, telle la Ṣiddīqiyya de Tanger, la Būzidiyya,
la Ḥarrāqiyya et la ‘Ajībiyya de Tétouan, la Badawiyya, la Ghūmariyya, la
Madāniyya libyenne, la Yashrūtiyya syrienne, etc., bien que les descendants
du fondateur continuent à perpétuer une filiation directe et chérifienne.
Toutes les branches de la Darqāwiyya manifestent toujours une profonde
vénération pour cette filiation familiale, ce qui ne les empêche pas de
garder une autonomie très marquée. La ville de Fès ne joue pas le rôle du
centre de la confrérie, bien que le fond doctrinal et la méthode initiatique
exportés par toutes ces branches dans le monde musulman relèvent de la
tradition fāsie de ‘Abd al-Raḥmān al-‘Ārif et de ses héritiers, notamment
la zāwiya Ma‘an et ‘Alī al-Jamal.
1673
Ibid.
1674
Voir ibid.
1675
Voir Muṭrib, p. 242-251.
1676
Voir G. Drague, Esquisse d’histoire des confréries..., p. 267 et suiv. ; F. de Jong,
« Materials relative to the History of the Darqāwiyya Order and its Branches », Arabica,
t. II, n° 26, 1979, p. 126-143 ; I. Weismann, « The Shādhiliyya-Darqāwiyya in the Arab
East », op. cit.
Histoire de la sainteté à Fès 419
1677
Voir Esquisse d’histoire des confréries..., p. 252 et suiv.
1678
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc, p. 280-286. Mohamed El Mansour a dédié une
monographie à ce monarque et son règne (Morocco in the reign of Mawlāy Sulaymān,
Wisbech, Middle East and North African Studies Press Ltd., 1990).
1679
Voir R.A. El-Nasser, Morocco, from Kharijism to Wahhabism : The Quest for Religious
Purism, thèse de doctorat, Université de Michigan, 1981.
1680
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 284-286.
1681
Voir ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya…, p. 32.
1682
On n’est pas sûr de la présence d’al-Darqāwī. G. Drague, qui tend à affirmer la
signature du cheikh, cite le petit-fils de ce dernier comme niant la participation active de
son grand-père.
1683
Voir M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 311-313.
420 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1684
Voir Maqṣūda ; Salwa, vol. I, p. 118-120 ; Kubrā, p. 149-150 ; M. Lakhdar, La Vie
littéraire..., p. 257-262 ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 332-334. Voir aussi Abū
‘Abdallāh Muḥammad al-Tawdī Ibn Sūda, al-Fahrasat al-ṣughrā wa al-kubrā, Beyrouth,
Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2002.
1685
Les Historiens…, p. 332.
1686
Sur ce personnage, voir S. Reichmuth, The World of Murtadā al-Zabīdī : Life, networks
and writings, Oxford, Gibb Memorial Trust, 2009. Ce célèbre traditionniste est un des
transmetteurs de la khirqa akbariyya, initiation remontant à Ibn al-‘Arabī (voir C. Addas,
Ibn ‘Arabī ou la quête du soufre rouge, p. 371).
1687
Voir Maqṣūda, p. 558.
1688
Traduit par M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 260.
1689
On trouve le texte de l’idhn (« permission de transmission initiatique ») dans la Rawḍat
al-maqṣūda (p. 686).
Histoire de la sainteté à Fès 421
1690
Kubrā, p. 150.
1691
Voir Maqṣūda, p. 684.
1692
Voir ibid., p. 267.
1693
Voir ibid., p. 619.
1694
Voir Salwa, vol. I, p. 121-122.
1695
Voir Salwa, vol. III, p. 3-4 ; M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 275-277. Il est
l’auteur d’un commentaire de l’oraison d’Ibn Mashīsh qui a été édité (Sharaḥ al-Ṣalāt
al-Mashīshiyya, Abu Dhabi, al-Mujamma‘ al-Thaqāfī, 1999).
1696
Voir M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 311 et suiv.
422 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1697
Voir Salwa, vol. I, p. 169-170.
1698
Tétouan, Manshūrāt Jam‘iyya Taṭāwun Asmīr, 2004, 2 vol.
1699
Voir Salwa, vol. I, p. 164-167.
1700
Voir A. Kharchafi, ‘Abd-el-Qāder, dit sidi Qaddūr el-‘Alami (115-1266/1741-1850), le
célèbre poète du melhūn à Meknès. Corpus, transcription, traduction et confrontation des
versions, thèse de doctorat, université d’Aix-Marseille I, 1993, 5 vol. ; M. Lakhdar, La Vie
littéraire..., p. 335-338 ; É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 339.
1701
Sur ce saint et son ordre, voir R. Brunel, Le Monachisme errant dans l’islam : Sīdī
Heddi et les Heddāwa, Paris, Larose, 1955.
1702
Ibid., p. 39-40.
Histoire de la sainteté à Fès 423
1703
Voir ibid., p. 39.
1704
Vol. III, p. 240.
1705
Ibid., p. 240-241.
1706
Voir Salwa, vol. III, p. 40. Il s’agit du fils d’al-Tā’i‘ Ibn Muḥammad al-Balghīthī
(m. 1234/1818) et neveux de al-Makkī Ibn Muḥammad al-Balghīthī (m. 1248/1832), tous
les deux des disciples d’al-Ghassānī (voir supra). Pour l’origine des Balghīthī, voir Ishrāf,
vol. II, p. 32-32.
424 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1707
Voir C. Addas, « A la distance de deux arcs ou plus près : la figure du Prophète chez
‘Abd al-Karīm Jīlī », p. 20 et suiv. ; V.J. Hoffman, « Annihilation in the Messenger of God :
The Development of a Sufi Practice », op. cit.
1708
Voir F. Meier, « Eine auferstehung Mohammeds bei Suyuti », ISL, n°62, 1985, p. 20-58.
1709
Voir p. ex., p. 88, p. 135, p. 189.
1710
« Eine auferstehung Mohammeds bei Suyuti », op. cit., p. 40.
1711
Ibid., p. 51.
1712
La formation initiatique du shaykh al-akbar se poursuit dès son début à travers la vision
des prophètes (voir C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête…, p. 58 et suiv.).
1713
Il s’agit d’une vision qui rend possible le fait de s’entretenir avec le Prophète comme
s’il était encore vivant physiquement (voir C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête…, p. 126-128).
426 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1714
Ce sujet continue d’occuper les esprits à Fès. Un des représentants de la Kattāniyya
cherche à convaincre le sultan ‘Abd al-Ḥafīẓ (1325-1330/1907-1912) de la présence post
mortem du Prophète (voir F. Meier, « Eine auferstehung Mohammeds bei Suyuti », op. cit.,
p. 57).
Histoire de la sainteté à Fès 427
1715
Voir Ishrāf, vol. I, p. 211 ; Āl al-Kattānī, p. 128.
1716
Pour les diverses branches des Kattānī à Fès, voir Ishrāf, p. 208-218.
1717
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens des chorfa, p. 377-389.
428 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1718
Voir Azhār, p. 260.
1719
Pour cette période qui préfigure la perte de l’indépendance du Maroc, voir J.L. Miège,
Le Maroc et l’Europe (1830-1894), Paris, PUF, 1964, 3 vol.
1720
Voir M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 311-313.
1721
M. Abitbol, Histoire du Maroc, p. 289.
1722
Voir M. Kenbib, « The impact of French Conquest of Algeria on Morocco », HT,
t. XXIX, n° 1, 1991, p. 47-60.
1723
Voir S. Aouli, R. Redjela, P. Zoummeroff, Abd el-Kader, Paris, Fayard, 1994. Pour ses
écrits soufis, voir M. Chodkiewicz, Abd el-Kader : Écrits spirituels, Paris, Seuil, 1982 ;
M. Lagarde, ‘Abd al-Qādir al-Jazā’irī : Le livre des haltes, Leyde, Brill, 2000, 3 vol.
1724
Voir K. Bennison, « The relationships between Mawlay ‘Abd al-Rahman et ‘Abd el-
Kader », HT, t. XXXIII, 1995, p. 39-55.
Histoire de la sainteté à Fès 429
1725
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 293-299.
1726
Certains groupes tribaux de la région de Fès cherchent à rejoindre l’Émir mais sont
massacrés en 1263/1847 par les troupes du sultan, voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 305.
1727
Voir M. Abitbol, ibid., p. 312-314.
1728
Cité dans ibid., p. 319.
430 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1729
Voir N. Cigar, « Socio-economic structures and the Developpement of an Urban
Bourgeoisie in Pre-colonial Morocco », MR, n° 6, 1981, p. 55-76.
1730
Voir M. Abitbol, op. cit., p. 341-344 ; M. Kenbib, Les Protégés : contribution à l’histoire
contemporaine du Maroc, Rabat, Université Mohamed V, 1994.
1731
Voir E. Burke, Prelude to the Protectorate in Morocco : Precolonial Protest and
Resistance, 1860-1912, Chicago, Univ. of Chicago Press, 1976, p. 20-24.
Histoire de la sainteté à Fès 431
1. La Kattāniyya
Les Kattānī, une des branches majeures idrissides de Fès, ne sont pas
des nouveau-venus dans les cercles soufis de la ville. Au XIIe/XVIIIe siècle,
certains d’entre eux se rattachent par l’intermédiaire d’Ibn al-Fqīh à la
filiation wazzānī, tandis que les Kattānī-Ḥamdūshī 1733 s’affilient à la voie
de ‘Alī Ibn Ḥamdūsh. D’autres sont des adeptes de la Darqāwiyya, comme
al-Ṭayyib Ibn Muḥammad al-Kattānī 1734 (m. 1253/1837), qui rencontre le
fondateur sur la route d’une visite du sanctuaire d’Ibn Mashīsh. Retourné
à Fès, il liquide ses affaires, et le jadhb, l’attraction divine, s’empare de
lui. Après une période de vie dans la rue, il revient à l’observance de la
voie et à ses convenances et devient un saint célébré pour ses nombreux
miracles. Son compagnon, Ḥammādī Ibn ‘Abd al-Hāfiẓ al-Kattānī 1735
(m. 1250/1834), qui a déjà été évoqué, est disciple de ‘Alī al-Jamal puis
d’al-Darqāwī. Majdhūb et sujet à des états spirituels contraignants, il
stupéfie les gens de Fès par ses comportements étranges mais révélateurs
de faits extraordinaires. Ainsi, il se couvre de vêtements portés par les
1732
Voir « The Moroccan Ulama, 1860-1912 », Scholars, Saints, and Sufi : Muslims
Religious Institutions in the Middle East since 1500, N. Keddie, dir., Berkeley and Los
Angeles, Univ. of California Press, 1972, p. 93. L’auteur fait la remarque pertinente que
la guerre hispano-marocaine et ses répercussions politiques bouleversent l’équilibre de la
société marocaine (ibid., p. 99).
1733
Voir Salwa, vol. II, p. 271-273 ; Shirb, p. 40.
1734
Voir Salwa, vol. II, p. 274-283 ; Āl al-Kattānī, p. 130-131.
1735
Voir Salwa, vol. II, p. 217-218; Shirb, p. 56-58.
432 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
chrétiens pour annoncer la prise de l’Algérie par les Français. Idrīs Ibn
al-Ṭāyi‘ al-Kattānī 1736 (m. 1281/1864), disciple d’al-Ḥarrāq, enseigne
dans sa zāwiya dans le quartier Makhfiyya. Le magasin de Ibn al-Ṭāyi‘
devient le rendez-vous des majdhūb-s de Fès. Il participe à la bataille de
Tétouan contre les Espagnols, engagement qui lui valut le titre de mujāhid.
D’autres Kattānī, comme al-‘Ābid Ibn al-Fuḍayl al-Kattānī 1737 (auteur
dont les dates sont inconnues) et Ibrāhīm Ibn Muḥammad al-Zamazamī
al-Kattānī 1738 (m. 1265/1849), sont affiliés à travers Muḥammad al-Mahdī
al-‘Irāqī 1739 (m. 1258/1843), un saint notoire qui dirige les séances de dhikr
dans une mosquée de Fès, au fils d’Aḥmad Ṣaqallī. On trouve aussi, comme
dans les autres familles chérifiennes, un certain nombre de majdhūb-s
indépendants parmi les Kattānī, tel Muḥammad al-Munaṣṣar bi-Allāh Ibn
al-Ṭā’i‘ 1740 (1278/1862) qui est saisi par le ravissement lors d’une retraite
dans le sanctuaire de son ancêtre Mawlāy Idrīs.
La fondation de la voie
Ces exemples donnent une idée du rôle que jouent les Kattānī dans les
cercles soufis du XIIIe/XIXe siècle. Ils ont pratiquement « puisé à toutes
les sources », et leur diversité permet la perpétuation des multiples facettes
de la sainteté. Pourtant, avec Muḥammad b. ‘Abd al-Wāḥid al-Kattānī 1741
(m. 1289/1872), les Kattānī fondent leur propre ordre soufi 1742 en 1272/1865
et deviennent porteurs d’une tradition initiatique spécifique. Spécialiste de
hadiths et visiteur assidu du sanctuaire de Mawlāy Idrīs, le fondateur est un
représentant typique du milieu religieux et soufi de Fès où s’interpénètrent
la science, le chérifisme et la sainteté. Les sources hagiographiques le
classent, à cause de ses comportements parfois excentriques, parmi les
« gens du blâme ».
1736
Voir Salwa, vol. II, p. 220 ; Āl al-Kattānī, p. 132.
1737
Voir Salwa, vol. II, p. 192-193.
1738
Voir ibid., p. 218.
1739
Voir ibid., p. 404-405 ; Shirb, p. 61-62. Ce maître est connu pour ses visions récurrentes
du Prophète. Il est enterré à proximité du sanctuaire d’Aḥmad al-Yamanī.
1740
Voir Salwa, vol. II, p. 221.
1741
Voir ibid., vol. I, p. 132-134 ; Shirb, p. 133-134..
1742
Voir A. Būkārī, al-Iḥyā’ wa al-tajdīd al-ṣūfī fī al-Maghrib, Rabat, Wazārat al-Awqāf wa
al-Shu’ūn al-Islāmiyya, 2006, vol. III, p. 95-120 ; Y. al-Kattānī, al-Ṭarīqat al-Kattāniyya :
arkānuhā, ‘uhūduhā wa awrāduhā, Rabat, Dār Abī Qarāq, 2008, 2 vol. Voir aussi
l’introduction de Ḥ. al-Kattānī au Khabī’at al-kawn de Muḥammad b. ‘Abd al-Kabīr al-
Kattānī (Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, vol. I, 2009, p. 15-50).
Histoire de la sainteté à Fès 433
1743
Parmi les maîtres du fondateur figurent également plusieurs Kattānī évoqués supra dont
certains sont rattachés à la Darqāwiyya.
1744
Voir Salwa, vol. III, p. 54-55. Ce saint est l’auteur d’un traité concernant la prière sur
le Prophète intitulé Sharāb ahl al-ṣafā fī al-ṣalāt ‘alā al-Nabī al-Muṣṭafā (‘Ayn Melila, Dār
al-Hudā, 2008). On trouve sa biographie dans l’introduction. Son ascendance prophétique
lui a été confirmée dans une vision du Prophète (voir Salwa, vol. III, p. 54).
1745
L’éditeur du traité mentionné supra évoque également le rattachement à un maître
de la Qādiriyya dont l’identité est pourtant inconnue (voir Sharāb ahl al-ṣafā…, p. 15).
1746
Al-shaqāwa, « le malheur », est une notion coranique et fait généralement référence
au séjour infernal, alors que la sa‘āda (« la félicité ») correspond au séjour paradisiaque.
1747
Salwa, vol. III, p. 54.
1748
Sharāb ahl al-ṣafā…
434 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1749
Voir Shirb, p. 89. On trouve certaines de ses calligraphies dans M. Sijelmassi, A. Khatibi,
L’Art calligraphique de l’Islam, Paris, Gallimard, 2001.
1750
Muḥammad b. ‘Abd al-Wāḥid al-Kattānī a reçu la filiation naqshbandī durant son
pèlerinage (voir Shirb, p. 133).
1751
Voir Y. al-Kattānī, al-Ṭarīqat al-Kattāniyya…, vol. I, p. 32-43.
1752
C’est l’auteur du Shirb al-muḥtaḍar wa al-sirr al-muntaẓar min mu‘īn ahl al-qarn
al-thālith ‘ashar, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2004. Pour la biographie, voir
l’introduction de l’éditeur (p. 19-22).
Histoire de la sainteté à Fès 435
1753
Voir Shirb, p. 142-145.
1754
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 341-357.
1755
Voir Kitāb al-istiqṣā’ li-akhbār al-duwal al-Maghrib al-Aqṣā, vol. 9, Casablanca, Dār
al-Kitāb, 1954-1956, p. 193-199 (trad., AM, vol. X, 1907, p. 358-368).
1756
Voir A. Sebti, Ville et figures du charisme, p. 96.
1757
Pour cet incident, voir ibid., p. 93-124.
436 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1758
S. Bazzaz, Forgotten Saints : History, Power and Politics in the Making of Modern
Morocco, Cambridge/Massachusetts, Harvard Univ. Press, 2010, p. 31.
1759
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 357-366.
1760
Voir E. Burke, « The Moroccan Ulama, 1860-1912 », op. cit., p. 107.
1761
Voir J. Abun-Nasr, « The Salafiyya Movement in Morocco: The Religious Bases of the
Moroccan nationalist Movement », Social Change: The Colonial Situation, I. Wallerstein,
dir., New York, John Wiley and Sons, 1966, p. 494.
1762
M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 367.
1763
Ibid.
1764
« Le palais royal de Fès-Jdid devint ainsi une véritable galerie d’attraction où s’amoncelaient
les objets les plus divers : jouets mécaniques, uniformes militaires, appareils photo dont un en
or massif, pianos, orgues de barbarie, pendules, phonographes, cinématographes, bicyclettes,
automobiles, carrosses de gala, etc. Cet engouement quasi enfantin et excessif pour les gadgets
culturels occidentaux fut très peu apprécié de l’opinion publique (ibid., p. 387). »
Histoire de la sainteté à Fès 437
1765
Célèbre est la révolte du « sultan des montagnes » Aḥmad b. Muḥammad al-Raysūnī
(voir R. Forbes, El Raisuni, the Sultan of the mountains, Londres, Butterworth, 1924).
1766
Voir E. Burke, « The Moroccan Ulama, 1860-1912 », op. cit., p. 108-109.
1767
Un exemple est l’introduction de l’imprimerie, symbole de la modernisation de la
transmission du savoir, qui porte atteinte au système traditionnel de l’éducation religieuse
(voir F.A. Abdulrazak, The Kingdom of the Book : The History of printing as an Agency of
Change in Morocco between 1865 and 1912, thèse de doctorat, Boston University, 1990).
1768
D’après M. Abitbol, il s’agit d’un missionnaire (voir Histoire du Maroc…, p. 388).
1769
Voir R.E. Dunn, « The Bu Himara Rebellion in Northeast Morocco », MES, vol. 17,
n° 1, 1981, p. 31-48.
1770
Al-Kattānī, qui consomme pourtant du café, dénonce également l’effet nuisible du
sucre. Selon certaines sources, la condamnation de la consommation du thé et du sucre avait
déjà distingué Aḥmad al-Tijānī. A ce propos, voir S. Bazzaz, Forgotten Saints…, p. 98-99.
1771
Voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 392-394 ; E. Burke, Prelude to Protectorate…,
p. 77 et suiv. ; R. Pennell, Morocco since 1830 : a history, Londres, Hurst, 2000, p. 130
et suiv.
1772
Voir E. Burke, Prelude to Protectorate…, p. 79-80.
438 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1773
Voir S. Bazzaz, Forgotten Saints…, p. 125-142 ; H. Munson, Religion and Power in
Morocco, New Haven, Yale Univ. Press, 1993, p. 56-76.
1774
Voir S. Bazzaz, Forgotten Saints…, p. 130.
1775
Ibid., p. 3.
1776
Voir Āl al-Kattānī, p. 152-156; Mawsū‘at, vol. VIII, p. 2961-2964.
1777
Voir S. Bazzaz, « Reading reform beyond the state : Salwat al-Anfās, Islamic revival
and Moroccan National history », JNAS, n° 13/1, mars 2008, p. 1-13.
1778
Naṣīḥat ahl al-islām bi-mā yadfa‘u ‘anhum dā’ al-kufrat al-la’ām, Amman, Dār al-
Bayāriq, 1999. C’est le « bon conseil » que les oulémas donnent traditionnellement au
sultan ou au roi. Voir M. Ayadi, « Raf‘at al-islām wa sulūk al-faqīh al siyāsī min khilāl
namūdhaj Naṣīḥat al-islām li-l-shaykh Muḥammad b. Ja‘far al-Kattānī », Des Repères dans
Histoire de la sainteté à Fès 439
l’histoire culturelle et religieuse du Maroc, M. Ayadi, dir., Casablanca, Faculté des lettres
et des sciences humaines, Université Hassan II, s.d., p. 237-271.
1779
Un auteur contemporain, descendant de ‘Abd al-Ḥayy al-Kattānī, compare la fermeture
de la zāwiya à ce qui est arrivé au sanctuaire d’Idrīs II à l’époque des Zénètes (voir M. Ibn
‘Azzūz, Tarqiyat al-murīdīn bi-mā taḍammanathu sīrat al-sayyidat al-wālida min aḥwāl
al-‘ārifīn, Casablanca, Markaz al-Turāth al-Thaqāfī al-Maghribī, 2007, p. 191-196). La
réouverture de la zāwiya sera autorisée par Lyautey en 1912 pour calmer les habitants de
Fès (voir M. Abitbol, Histoire du Maroc…, p. 410).
1780
Voir J. Abun-Nasr, « Tha Salafiyya Mouvement in Morocco : The Religious Bases of
the Moroccan Nationalist Mouvement », p. 494-496 ; A. Laroui, Les Origines sociales et
culturelles du nationalisme marocain, 1830-1912, Paris, Maspéro, 1977.
440 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
La Kattāniyya-Aḥmadiyya
Les Kattānī sont peut-être parmi les soufis de Fès ceux qui s’engagent
le plus contre l’occidentalisation de la société. Cet engagement traduit
l’idée, déjà adoptée par al-Jazūlī, que le fait d’assumer l’héritage spirituel
du Prophète, c’est-à-dire la sainteté, comporte le devoir de veiller au
bien-être de la communauté musulmane et d’assurer la perpétuation de ce
patrimoine également dans ses aspects mondains. Mais qui est donc cet
Abū al-Fayḍ Muḥammad b. ‘Abd al-Kabīr al-Kattānī 1781 (m. 1327/1909),
principal agent du jihād contre les Français et opposant aux deux sultans
du pré-protectorat ? Ce personnage ne joue pas seulement un rôle
important dans le destin politique du Maroc, il est, comme nous l’avons
évoqué, le fondateur de la Kattāniyya-Aḥmadiyya. C’est en 1308/1890-1891
qu’Abū al-Fayḍ fonde sa voie, la distinguant de celle de son grand-père, la
Kattāniyya-Muḥammadiyya ; si cette dernière se fonde sur l’assimilation
de l’aspect extérieur du Prophète, c’est-à-dire ses actes, ses paroles et ses
vertus, l’Aḥmadiyya se rattache plus directement à son être intérieur 1782. Il
s’agit donc d’une doctrine encore plus intériorisée, qui traduit effectivement
un enseignement métaphysique assez sophistiqué.
Abū al-Fayḍ Muḥammad Ibn ‘Abd al-Kabīr al-Kattānī est un personnage
assez remarquable. Ayant atteint l’ouverture spirituelle à seulement dix-
huit ans lors d’une vision du Prophète en état de veille et faisant preuve
d’un savoir exceptionnel, c’est un saint reconnu même en Orient, et un
nombre considérable de savants et de soufis, sans pourtant se rattacher
à la Kattāniyya, l’eut comme maître 1783. Pendant ses débuts, il parcourt
les régions rurales du Maroc dans le but de maintenir à une époque de
confusion générale et de quasi-anarchie la continuité de l’enseignement
traditionnel et de la tradition soufie. Il s’ensuit une période d’engagement
politique dont nous avons tracé les événements-clés plus haut. Malgré
sa mort précoce à trente-sept ans, on lui attribue la rédaction de
340 ouvrages 1784.
1781
Voir Āl al-Kattānī, p. 138-142. On trouve une biographie assez détaillée dans
l’introduction de Ḥ. al-Kattānī au Khabī’at al-kawn sharḥ al-ṣalāt al-anmūdhajiyyat fī al-
ma‘ārif al-ilāhiyyat wa al-aḥmadiyya (Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2004, p. 26-37).
D’après cet auteur (ibid., p. 36-37), il existe presque quarante biographies sur le fondateur
de la Kattāniyya-Aḥmadiyya. Voir aussi S. Bazzaz, Forgotten Saints…, p. 33 et suiv.
1782
Voir ibid.
1783
Voir ibid., p. 33-34.
1784
Voir ibid., p. 37.
Histoire de la sainteté à Fès 441
1785
Consulter à ce propos les entretiens n°10, n° 11, n° 19 réalisés par F. Skali (Topologie
spirituelle et sociale de la ville de Fès, vol. III, p. 644-654, p. 702-707).
1786
On trouve ce thème dans la plupart de ses écrits. Nous nous sommes appuyés
principalement sur al-Dīwānat fī waqt thubūt al-fatḥ li-l-dhāt al-muḥammadiyya (Beyrouth,
Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2004, p. 66 et suiv.), ouvrage qui a la vocation d’être inspiré par
« la lumière du trône divin ».
1787
Voir C. Addas, Une victoire éclatante : le Verus Propheta dans la doctrine d’Ibn ‘Arabī,
sans éd., 2005.
1788
Voir idem, “A la distance de deux arcs ou plus près” : la figure du Prophète chez ‘Abd
al-Karīm al-Jīlī, sans éd., 2008.
1789
Il s’agit de la Ṣalāt al-anmūdhajiyya. Les Kattānī accordent une importance considérable
à cette prière qui rappelle le rôle que joue la Ṣalāt al-Fātiḥ dans la Tijāniyya.
1790
Voir Khabī’at al-kawn…, p. 324 et suiv.
1791
Ibid., p. 326.
442 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1792
Ibid.
1793
Pour les « enjeux » de la question du sceau à l’intérieur des ordres soufis, voir
É. Geoffroy, « L’élection divine de Muḥammad et ‘Alī Wafā (VIIIe/XIVe s.) ou comment la
branche wafā’ī s’est détachée de l’arbre shādhilī », Le Saint et son milieu ou comment lire
les sources hagiographiques, R. Chih, D. Gril, dir., le Caire, IFAO, 2000, p. 52-54. Le cas
de Muḥammad b. ‘Abd al-Kabīr al-Kattānī rappelle en fait celui de ‘Alī Wafā (m. 807/1404).
Lecteur fervent d’Ibn al-‘Arabī, ce dernier s’attribue également la fonction de khatm et
avait l’habitude de se voiler le visage. Le fondateur de la Kattāniyya-Aḥmadiyya est connu
pour le même geste. Si les Wafā se réfèrent à ‘Alī b. Abī Ṭālib pour marquer leur rang
privilégié, les Kattānī font de même par rapport à Mawlāy Idrīs. Chez les deux saints la
revendication de la khatmiyya va de pair avec l’idée que leur ordre dépasse les autres voies.
1794
Khabī’at al-kawn…, p. 118-139. Son cousin Muḥammad al-Ṭāhirī b. al-Ḥasan al-
Kattānī (m. 1347/1928) développe cette idée dans son ouvrage sur la deuxième partie de
l’attestation de foi, le Maṭāli‘ al-sa‘ādat fī iqtirān kalimatay al-shahāda (Beyrouth, Dār
al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2007, p. 271 et suiv.). Sur cet auteur, voir Āl al-Kattānī, p. 156-166.
1795
Khabī’at al-kawn…, p. 259-260.
1796
Voir S. Bazzaz, Forgotten Saints…, p. 50-69.
Histoire de la sainteté à Fès 443
1797
Pour les enjeux politiques du procès voir ibid., p. 65-66.
1798
Voir ibid., p. 61-62.
1799
Voir supra.
1800
Voir S. Bazzaz, Forgotten Saints…, p. 63-64, p. 68.
1801
S. Bazzaz (Forgotten Saints…, p. 71-72) attire l’attention sur le climat particulier de
Fès à cette époque lorsqu’elle remarque que « le débat [entre al-Kattānī et ses détracteurs]
concernant la limite de la sharī‘a et de la bid‘a est également le reflet des différences
régionales entre Fès et Marrakech ».
1802
Voir R. Boubrik, Saints et société en Islam : la confrérie ouest-saharienne Fādiliyya,
Paris, CNRS, 1999 ; F. Miller, A. Vandome, J. McBrewster, Ma Al-’Aynayn, Sarrebruck,
VDM Publishing House, 2010. L’alliance entre ce saint et le Makhzen ne veut pas dire que
le sultan soit particulièrement favorable au soufisme, puisqu’il s’agit d’une relation de nature
avant tout politique basée sur le rôle que joue Mā’ al-‘Aynanyn dans le jihād sud-marocain.
1803
Voir S. Bazzaz, Forgotten Saints…, p. 71, p. 82-83.
1804
Voir ibid., p. 82-83.
444 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1805
Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2007.
1806
Voir ibid., p. 227 et suiv.
1807
Voir ibid., p. 85 et suiv.
1808
Voir ibid., p. 178 et suiv.
1809
Voir Āl al-Kattānī, p. 117 et suiv.
1810
Voir K. Zakharia, « Uways al-Qaranī, Visages d’une légende », ARA, vol. 46, n° 2,
1999, p. 230-258.
Histoire de la sainteté à Fès 445
1811
Le terme est coranique et exprime l’idée d’élection divine qui caractérise les prophètes.
1812
Voir l’introduction au Khabī’at al-kawn, p. 49-50.
1813
A ce propos voir Y. Kattānī, al-Ṭarīqat al-Kattāniyya…, p. 87.
446 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
donc centrée sur la figure prophétique, fait qui peut s’expliquer en partie
par l’origine fāsie de leur voie.
1814
A ce propos, voir p. ex. M. al-Filālī al-‘Alawī, « al-Qarawiyyīn wa uṣūl al-salafiyya
bi-l-Maghrib : Muḥammad Gannūn namūdhajan », Des Repères dans l’histoire culturelle
et religieuse du Maroc, p. 71-90.
1815
Une partie de l’énorme œuvre écrite des Kattānī va, encore aujourd’hui, dans ce sens.
Voir p. ex. l’ouvrage « Fès capitale des Idrissides » : Fās ‘āṣimat al-adārisa, 2e éd., s.l., al-
Mawsū‘at al-Kattāniyyat li-Tārīkh Fās, 2002, de Muḥammad al-Munaṣṣar Ibn Muḥammad
al-Zamzamī al-Kattānī (m. 1419/1996).
1816
Voir Āl al-Kattānī, p. 171-176.
1817
Beyrouth, Dār al-Gharb al-Islāmī, 1982, 3 vol.
1818
‘Abd al-Ḥayy al-Kattānī, décédé à Nice, est très controversé au Maroc. On l’accuse
d’avoir entretenu des relations avec les Français contre le roi Muḥammad V. A propos
de ce personnage, des événements dans lesquels il est impliqué et de son image dans
l’historiographie moderne du Maroc, voir S. Bazzaz, Forgotten Saints…, p. 149-158.
Histoire de la sainteté à Fès 447
d’une autorité naturelle qui leur permet d’agir comme les représentants du
milieu soufi de Fès et ainsi, de toute la tradition spirituelle dont ils sont
issus. Intéressant est également le fait que leur activité s’inscrit, en raison
de l’importance que revêt l’œuvre d’Ibn al-‘Arabī et grâce aux contacts
des Kattānī en Orient, dans un phénomène qui dépasse le cadre de Fès, à
savoir la « renaissance akbarienne » de la fin du XIIIe/XIXe siècle.
1819
Voir l’entretien avec Muḥammad al-‘Aṭṭār (F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…,
vol. III, p. 581-597).
1820
Voir G. Drague, Esquisse d’Histoire des confréries religieuses au Maroc, p. 117-124.
1821
Voir J. Abun-Nasr, « The Salafiyya Mouvament in Morocco: The Religious Bases of
the Moroccan Nationalist Mouvement » ; A. Laroui, Origines sociales et culturelles du
nationalisme marocain.
Histoire de la sainteté à Fès 449
1822
C’est notamment le cas du milieu de la Qarawiyyīn. Voir P. Shinar, « Salafiyya », EI2,
vol. VIII, p. 931-937.
1823
Ceci dit, au début du Protectorat, ce furent avant tout des chefs de zāwiyas rurales qui
s’opposèrent militairement aux Français. Cette résistance fut néanmoins dépourvue d’un
fond idéologique et dépassa rarement un objectif strictement régional. Dans les milieux
urbains comme celui de Fès, cette guérilla tribale n’eut pas d’impact considérable sur les
mouvements d’opposition contre les Français.
1824
Nous voyons ainsi le ministre Muḥammad al-Ḥajwī (m. 1376/1956) critiquer à la
manière des réformistes la visite des saints ainsi que les pratiques et les doctrines du
soufisme dans un traité sur les zāwiyas et les sanctuaires de Fès (Ṭayyib al-anfās fī tārīkh
ba‘ḍ zawāyā wa aḍriḥat Fās, Rabat, Dār al-Aman, 2011). Bien que l’auteur manifeste son
respect envers les diverses personnalités soufies qu’il cite, il qualifie leurs revendications
de sainteté ou de fonctions initiatiques comme des « conjectures » (awhām).
1825
Voir N. al-Dhahabī, al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 9. Concernant les enjeux liés à l’étude de
la sainteté, voir C. Mayeur-Jaouen, « Conclusions », Saint et sainteté dans le christianisme
et l’islam : le regard des sciences de l’homme, p. 353-362.
1826
Voir M. Tozy, Monarchie et islam politique au Maroc, Paris, Presses de Sciences Po, 1999.
1827
Voir à ce propos l’ouvrage d’un adepte de cet ordre : K. Ben Driss, Sidi Hamza al-Qādiri
Boudchich : le renouveau du soufisme au Maroc, Paris, Al Bouraq, 2002.
1828
A ce propos, voir P. Haenni, R. Voix, « God by all means ... : Eclectic Faith and Sufi
Resurgence among the Moroccan Bourgeoisie », Sufism and the ‘Modern’ in Islam, M. Van
Bruinessen, J.D. Howell, dir., Londres, Tauris, 2007, p. 241-256.
450 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1829
Un défi dont l’issue est encore incertaine sera de concilier le soufisme « traditionnel »,
tel qu’il est encore vécu dans plusieurs zāwiyas de la ville, avec cette « mise en scène »
culturelle afin de garantir à cette dernière son authenticité et sa crédibilité.
Troisième partie
Formes de la sainteté, sainteté de la ville
Chapitre 1
Fès et sainteté
1830
Pour D. Gril, le sens que le terme ṭarīqa garde encore au Moyen Âge est celui d’« une
certaine manière de progresser vers Dieu sous la direction d’un maître » (voir « De la khirqa
à la ṭarīqa : continuité et évolution dans l’identification et la classification des voies », Le
Soufisme à l’époque ottomane XVIe-XVIIIe siècle, p. 57).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 455
P. 99.
1831
1833
Voir H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas au Maghreb…, p. 83.
1834
Pour les formes d’initiation chez ce maître, voir D. Gril, « De la khirqa à la ṭarīqa :
continuité et évolution dans l’identification et la classification des voies », op. cit., p. 58-59,
p. 62-63.
1835
Voir Minaḥ, vol. II, p. 127.
1836
Al-Mustafād…, p. 186.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 457
part des savants, mais en Libye. Ce n’est qu’une génération après, celle de
Yūsuf al-Milyānī, que le rayonnement de cette voie atteint la ville idrisside.
Lorsqu’au Moyen-Orient, voire dans certaines régions du Maghreb, la
transmission spirituelle s’organise sous forme de véritables ordres, la ville
de Fès représente donc une exception. Ce « retard » n’est rattrapé qu’au
moment où les circonstances qui en sont la cause, à savoir la particularité
du système politico-religieux mérinide, s’effondrent.
1837
Voir Uns al-faqīr, p. 106.
1838
Nous renvoyons le lecteur au chapitre consacré à ce sujet dans l’aperçu historique.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 459
1839
La question de savoir si ce saint a constitué son propre ordre reste à étudier.
460 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Voir ‘A. al-Saqqāṭ, A. al-Sulaymānī, dir., al-Tawāṣul al-ṣūfī bayna Miṣr wa al-Maghrib,
1840
1841
Cela n’empêche pas certains adeptes de la Darqāwiyya, notamment Aḥmad Ibn ‘Ajība
(m. 1223/1809), de s’adonner à des développements doctrinaux.
1842
Pour V. Cornell, l’idée de la ṭarīqat al-muḥammadiyya remonte au Maroc déjà à al-
Jazūlī (voir op. cit., p. 191 et suiv.).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 463
1843
Maqṣūda, vol. I, p. 381.
464 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1844
Concernant l’émergence de ce courant au Maghreb, voir ‘Ī. Luṭfī, Maghrib al-
mutaṣawwifa : al-in‘ikāsāt al-siyāsiyya wa al-ḥarāk al-ijtimā‘iyya min al-qarn 10 ilā al-
qarn 17, Tunis, Faculté des sciences humaines et sociales, 2005, p. 379-440 ; ‘A. Najmī,
al-Malāmatiyya : Risālat li-nīl diblūm al-dirāsāt al-‘ulyā, Rabat, Kulliyyat al-Ādāb, 1987.
Voir aussi É. Geoffroy, « La voie du blâme : une modalité majeure de la sainteté en islam,
d’après l’exemple du cheikh ‘Alī Ibn Maymūn al-Fāsī (m. 917/1511) », Saint et sainteté dans
le christianisme et l’islam : le regard des sciences de l’homme, p. 139-149 ; A. Popovic,
T. Zarcone, dir., Melāmis-Bayrāmis : étude sur trois mouvements mystiques musulmans,
Istanbul, Éditions Isis, 1998.
1845
Al-Mustafād…, vol. II, p. 15 ; al-Rawḍ al-‘atir, p. 58.
1846
Voir M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints : prophétie et sainteté dans la doctrine
d’Ibn ‘Arabī, p. 136 et suiv. ; idem, « Les malāmiyya dans la doctrine d’Ibn ‘Arabī »,
op. cit., p. 15-26.
1847
Voir C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête du soufre rouge, p. 166.
1848
Le saint décrit cette méthode comme consistant dans « le blâme de l’âme dans tous ses
états » (voir Minaḥ, vol. II, p. 168, note 10).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 465
1849
A ce propos, voir A.L. de Prémare, op. cit.
1850
Muḥammad al-Fāsī fait remonter une filiation malāmatī à ces deux saints (voir Minaḥ,
vol. II, p. 168).
1851
N. al-Dhahabī est du même avis (voir al-Zāwiyat al-Fāsiyya..., p. 197).
1852
Si l’on s’en tient à Ibn al-‘Arabī, pour lequel le saint malāmatī est celui qui se limite
aux actes obligatoires et à ceux relevant de la Sunna, respecte les causes secondes établies
par Dieu et cache son état vis-à-vis des hommes, tout en se blâmant pour son insuffisance
à l’égard des droits divins, le modèle des Ma‘an peut être qualifié comme relevant de ce
type de sainteté.
466 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1853
Voir Qawā‘id al-taṣawwuf, 2e éd., Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2005, p. 25, n° 9.
1854
Voir J.L. Michon, Le soufi marocain Aḥmad Ibn ‘Ajība et son Mi‘rāj, p. 263.
1855
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 230.
1856
Voir Salwa, vol. III, p. 31-32.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 467
« La malāmatiyya est fondée sur le fait de quitter les ruses de l’âme et de
la purifier de l’autosatisfaction, de l’ostentation et de l’amour de la dignité
et de la commanderie. Elle repose également sur le fait de faire chuter
la position [de l’adepte] dans l’opinion des gens par des comportements
méprisés par les non-initiés. [...] Les chaînes de transmission de cette voie
remontent à Abū Yazīd al-Bisṭāmī et à d’autres encore, puis à Abū Bakr
al-Ṣiddīq 1857. »
Il est intéressant de noter le fait que cette voie est reconduite à un
compagnon, notamment au compagnon le plus proche du Prophète.
D’après les auteurs maghrébins, la malāmatiyya relève donc de l’éducation
spirituelle prophétique, laquelle s’est transmise au sein du soufisme
oriental, représenté ici par al-Bisṭāmī.
Quant à al-Tijānī, il fréquente des maîtres qualifiés de malāmatī tel
Aḥmad al-Ṭawwāsh (m. 1204/1790). Mais sa voie semble mettre en avant
d’autres aspects de la réalisation spirituelle et de la sainteté. En effet,
le maître fonde un ordre qui a pour vocation de dépasser les diverses
méthodes et catégories initiatiques, fait qui se traduit par l’idée du khatm.
Similairement, la voie des Kattānī ne semble pas spécialement intégrer des
éléments qu’on pourrait qualifier de malāmatī 1858, et les maîtres eux-mêmes
ne la qualifient pas de cette manière 1859. Ici, c’est encore la mise en avant
de la Sunna, notamment dans une perspective de renouveau religieux et
spirituel, qui relègue la malāmatiyya à l’arrière-plan. Le saint est appelé à
jouer un rôle exemplaire vis-à-vis de la société. La conformité extérieure
à un modèle de piété unanimement admis est donc indispensable.
La deuxième filiation qui se situe hors des structures « habituelles » et
qui joue un rôle central dans la tradition spirituelle de Fès est la khiḍriyya,
filiation qui remonte à al-Khiḍr, le mystérieux initiateur évoqué dans le
Coran 1860. Ce personnage apparaît déjà cinq fois dans le Mustafād. Dans la
biographie de ’Alī Ibn Ḥirzihim par exemple, al-Khiḍr assiste à un cours du
saint où il est incapable de s’exprimer à cause d’une pensée de prétention
1857
Maqṣūda, vol. I, p. 382.
1858
Ceci dit, le fondateur de la Kattāniyya-Muḥammadiyya, Muḥammad b. ‘Abd al-Wāḥid
al-Kattānī (m. 1289/1872) est compté parmi les « gens du blâme » à cause de ses
comportements parfois excentriques (voir Salwa, vol. I, p. 132-134).
1859
Ainsi est-il question de la ibrāhimiyya, de l’ūwaysiyya, de l’ijtibā’iyya et la ṣiddīqiyya.
1860
Voir H. Elboudrari, « Entre le symbolique et l’historique : Khadir im-mémorial », op. cit.,
p. 25-39 ; É. Geoffroy, « Khadir, le Verdoyant », DCOR, p. 467-471 ; P. Franke, Begegnung
mit Khidr : Quellenstudien zum Imaginären im Islam, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2000.
468 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
individuelle qu’il avait eue la nuit précédente 1861. Mais dans ces cas, il n’est
pas question d’une véritable initiation ou filiation. La fonction de Khiḍr
semble être avant tout celle de la transmission d’un enseignement. L’auteur
du Tashawwuf lui consacre un passage où il essaye d’élucider la question
de son statut 1862 : s’agit-il d’un prophète ou d’un saint ? De plus, l’auteur
vise visiblement à prouver la survivance du Khiḍr et donc l’authenticité
des anecdotes hagiographiques dans lesquelles il apparaît. On trouve un
passage similaire dans la biographie d’Abū Ya‘zā, le Da‘āmat al-yaqīn 1863
d’al-‘Azafī (m. 633/1236). Si ce dernier remarque la fréquence avec laquelle
le mystérieux initiateur apparaît dans les biographies des saints, il s’agit
surtout de confirmer la possibilité de la science inspirée dont est gratifié
Abū Ya‘zā. La question du statut de Khiḍr est également évoquée dans
une anecdote rapportée dans la Salwa 1864. Le Prophète apparaît en rêve à
un homme pieux et lui explique que le Khiḍr est un prophète (nabī), alors
qu’Abū Madyan est un saint (walī).
S’il apparaît effectivement dans l’histoire de Fès comme représentant du
‘ilm al-ladunnī, c’est à Ibn al-‘Arabī de dévoiler toute la portée initiatique
de cette figure. L’auteur du Minaḥ cite des passages des Futūḥat où il est
question de Khiḍr 1865. Ibn al-‘Arabī évoque sa rencontre avec lui à Séville
et explique : « Il m’a aidé (afādanī) à me soumettre aux stations spirituelles
des maîtres, pour que je ne les conteste plus jamais. » On sait que le maître
andalou sera investi d’une khirqa khiḍriyya 1866 en Orient, mais aucune
transmission de cette filiation n’est mentionnée par rapport à Fès.
Comme dans le cas de la malāmatiyya, l’époque mérinide semble
plutôt muette à ce propos, mais à partir du XIe/XVIIe siècle environ, le
Khiḍr réapparaît fréquemment dans les biographies des saints. Certains
d’entre eux ont une relation privilégiée avec lui. A un soufi qui demande
des explications sur le mystérieux personnage, on lui répond d’aller voir
Aḥmad al-Shāwī, car « il le visite trois fois par jour 1867 ». On dit qu’il
1861
Voir al-Mustafād…, p. 21-22.
1862
P. 56-58.
1863
P. 81-93.
1864
Vol. I, p. 416.
1865
Voir Minaḥ, vol. II, p. 154-157.
1866
Voir C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête…, p. 176. Voir aussi idem, Le Livre de la filiation
spirituelle, p. 27.
1867
Salwa, vol. I, p. 314.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 469
1868
Ibid., p. 353.
1869
Ibid., p. 372.
1870
Voir Tashawwuf, p. 103.
1871
Salwa, vol. I, p. 280.
1872
Vol. II, p. 187.
1873
Voir Ibrīz, p. 14.
1874
Salwa, vol. II, p. 380.
1875
Ibid., vol. I, p. 199.
1876
Voir Minaḥ, vol. II, p. 129-130.
470 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1877
Voir M. Chodkiewicz, Un Océan sans rivage, p. 33 et suiv.
1878
Voir A.D. Knysh, Ibn ‘Arabi in the later Islamic tradition : the making of a polemical
image in medieval Islam, New York, Albany, 1999, p. 167 et suiv.
1879
Qawā‘id…, p. 51, n° 60.
1880
Minaḥ, vol. II, p. 129.
1881
Voir M. Chodkiewicz, Un océan sans rivage…, p. 27-28 ; A. D. Knysh, Ibn ‘Arabi in
the later Islamic tradition…, p. 167. Al-Darqāwī cite son al-Yawāqīt wa al-jawāhir dans
ses lettres pour extraire un passage d’Ibn al-‘Arabī (voir Majmū‘at al-rasā’il Mawlāy
al-‘Arabī al-Darqāwī al-Ḥasanī, Abu Dhabi, al-Mujamma‘ al-Thaqāfī, 1999, n° 163,
p. 301 et n° 265, p. 406).
1882
Vol. I, p. 281-282. Nous devons cet indice à A. Knysh (voir Ibn ‘Arabi in the later
Islamic tradition…, p. 343-344, note 6).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 471
1883
Voir V. Cornell, op. cit., p. 206 et suiv.
1884
Voir C. Addas, « A la distance de deux arcs ou plus près » : la figure du Prophète chez
‘Abd al-Karīm Jīlī, s. éd., 2008
1885
Voir Mir’āt, p. 230.
1886
Voir p. ex. ibid., p. 249 et suiv. où il évoque entre autres la fonction prophétique de
barzakh.
1887
Un océan sans rivage…, p. 31.
1888
M. Chodkiewicz, Un océan sans rivage…, p. 27.
472 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
plus explicite à Ibn al-‘Arabī. Nous avons vu qu’ils s’en font les défenseurs
et les interprètes. Leur engagement s’inscrit dans le cadre d’une diffusion
de ses ouvrages et de son enseignement à travers certains cercles soufis
disséminés dans le monde musulman. C’est au sein de cette famille et
de cet ordre que nous retrouvons une initiation à la ḥātimiyya. Un soufi
de l’époque contemporaine affirme avoir reçu cette initiation par ‘Abd
al-Ḥayy al-Kattānī 1889.
La transmission héréditaire
Une question qui représente un intérêt particulier par rapport à Fès
en tant que berceau du chérifisme marocain est celle de la transmission
initiatique par voie d’appartenance familiale 1890. Nous avons évoqué le cas
particulier d’Idrīs II et des Ahl al-bayt. Le premier exemple de ce qui est
traditionnellement considéré comme une transmission, à la fois temporelle
et spirituelle, relève donc d’une filiation charnelle.
Or, comme le remarque C. Mayeur-Jaouen, « le saint musulman est
généralement un père 1891 ». A Fès comme dans les autres régions du monde
musulman, l’idée que la bénédiction du père se prolonge dans ses enfants
ne représente rien d’inhabituel 1892. L’invocation de ‘Abd al-Raḥman al-
Majdhūb pour Abū al-Maḥāsin explique que les Fāsī ne cessent de produire
des hommes de science et de sainteté pendant plusieurs générations. Les
buyūt al-ṣalāḥ wa al-‘ilm (« familles de vertu et de science ») forment
même le sujet d’un genre littéraire 1893. En outre, il existe plusieurs cas
de succession filiale à la tête d’une filiation ou d’un ordre. Cependant,
par rapport aux zāwiyas rurales, les cercles soufis de Fès semblent moins
1889
Voir ibid., p. 35. Ce renseignement provient de F. Skali (voir Topologie spirituelle et
sociale…, vol. III, p. 650).
1890
Pour le rôle de la transmission familiale au Maroc, voir H. Elboudrari, « Transmission
du charisme et institutionnalisation : le cas de la zāwiya d’Ouezzane, Maroc XVII e-
XIXe siècles », QANT, n° 12, 2, 1991, p. 523-536. Pour le « système de transmission » à Fès
et le rôle des grandes familles voir F.R. Mediano, Familias de Fez (ss. XV-XVII), p. 31-76.
1891
« Le saint musulman en père de famille », Saint et sainteté…, 2007, p. 249-267. Cet
article offre un aperçu assez représentatif sur la sainteté héréditaire, le rapport entre la
paternité spirituelle et charnelle ainsi que sur la vie familiale du saint.
1892
L’auteur du ‘Awārif al-ma‘ārif (‘U. al-Suhrawardī, le Caire, Maktabat al-Thaqāfat al-
Dīniyya, vol. I, 2006, p. 118) mentionne un hadith qui exprime cette idée : « Certes Dieu
rectifie par la rectitude de l’homme (yuṣlaḥ bi-ṣalāḥ al-rajul) son enfant et l’enfant de son
enfant, ainsi que les gens de son domicile et des domiciles autour du sien ; ils restent dans
la protection divine tant qu’il est parmi eux. »
1893
Voir F.R. Mediano, Familias de Fez (ss. XV-XVII).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 473
1894
Cela étant dit, al-Khaṣṣāṣī s’interpose entre Maḥammad Ma‘an et son fils Aḥmad.
1895
C. Mayeur-Jaouen remarque dans ce sens que « la sainteté tendit effectivement à
devenir héréditaire dans un mouvement profondément lié à la structuration et à l’essor
des confréries soufies, ainsi qu’à une évolution majeure de la piété musulmane, de plus en
plus centrée sur les personnes du Prophète et de ses descendants » (« Le saint musulman
en père de famille », op. cit., p. 249).
1896
Voir R.J. McGregor, Sanctity and mysticism in medieval Egypt : The Wafā’ Sufi order
and the legacy of Ibn al-‘Arabī.
474 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1897
Ou « la source de tout lignage/rattachement ».
1898
Salwa, vol. II, p. 380.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 475
1899
Il est vrai qu’al-Tijānī est initié à la Naqshbandiyya, mais sa voie peut difficilement
être considérée comme une branche de celle-ci. La même chose peut être dite des Kattānī.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 477
Conclusion
Vu le caractère composite des filiations initiatiques à Fès, est-il
vraiment possible d’affirmer une continuité de la transmission spirituelle et
de la sainteté ? En fait, l’histoire de Fès montre que la transmission d’une
tradition spirituelle ne dépend pas uniquement des chaînes initiatiques. Ces
dernières expriment avant tout la continuité d’une investiture initiatique
stricto sensu. Bien entendu, en islam, les silsila constituent la condition
sine qua non de la validité de toute transmission initiatique. Mais,
évidemment, en raison de leur disposition essentielle, elles ne tiennent pas
compte de tous les autres éléments qui contribuent également de manière
effective à la transmission, à la formation et à la perpétuation d’une
spiritualité. Par exemple, si certains maîtres se sont rattachés à l’Égypte,
l’imprégnation dans le milieu fāsi constitue une partie importante de leur
formation et, lorsqu’ils y retournent, ils opèrent toujours une certaine
adaptation à leur milieu. La personnalité du transmetteur, formée dans un
certain contexte et par rapport à des références et des modèles déterminés,
constitue donc un paramètre crucial. En outre, ces chaînes ne font pas cas
des rattachements initiatiques précédents. Avant de fonder leur propre
ordre, les Kattānī sont les disciples d’Ibn al-Fqīh et plus tard d’al-Darqāwī,
mais cela n’apparaît pas dans leur silsila. C’est dans cette même optique
qu’il faut considérer la présence des filiations, des courants et des voies
« isolés », tel que la malāmatiyya, la khiḍriyya et l’akbariyya. Malgré
478 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1900
Vol. II, p. 179.
1901
Ibid., p. 108.
1902
Pour des typologies spirituelles, voir É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte et en Syrie
sous les derniers Mamelouks et les premiers Ottomans, orientations spirituelles et enjeux
culturels, p. 283-360 ; D. Gril, La Risāla de Safi al-Dīn Ibn Abī l-Mansūr : biographies
des maîtres spirituels connus par un cheikh égyptien du VII e/XIII e siècle, p. 39-42.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 479
Concernant la réflexion sur le rapport entre l’hagiographie et les modèles de sainteté, voir
N. Amri, « Écriture hagiographique et modèles de sainteté dans l’Ifriqiya ḥafṣide (VIII e-
IXe/XIVe-XVe siècles) d’après trois recueils de manāqib », op. cit., p. 12-31 ; É. Geoffroy,
« Hagiographie et typologie spirituelle à l’époque mamelouke », Saints orientaux,
(Hagiographies médiévales comparés 1), p. 83-98. Concernant les premiers exemples de
typologie spirituelle dans le soufisme, voir J.J. Thibon, « Hiérarchie spirituelle, fonctions
du saint et hagiographie dans l’œuvre de Sulamī », Le Saint et son milieu, p. 13-30.
1903
La profondeur et l’ampleur de la typologie akbarienne montrent la complexité de ce
sujet. Voir M. Chodkiewicz, « La sainteté et les saints en islam », Le Culte des saints dans
le monde musulman, H. Chambert-Loire, C. Guillot, dir., Paris, Ecole française d’Extrême-
Orient, 1995, p. 18-22 ; idem, Le Sceau des saints : prophétie et sainteté dans la doctrine
d’Ibn ‘Arabī, p. 94 et suiv.
1904
« Nous ne percevons de la sainteté que la face extérieure, car sa face intérieure relève
d’un processus d’élection intime entre l’homme et Dieu. Elle échappe non seulement aux
sciences sociales, mais à tous ceux qui côtoient le saint, et tout particulièrement ses proches
ou son hagiographe. [...] Nos études, qu’elles reposent sur les vies de saints ou sur une enquête
auprès de leurs dévots, sont-elles autre chose que le décryptage de ce regard déjà lointain ? »
(N. Amri, D. Gril, « Introduction », Saint et sainteté dans le christianisme et l’islam…, p. 9).
1905
Voir « Hagiographie et typologie spirituelle à l’époque mamelouke », op. cit., p. 83.
480 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1906
Voir supra.
1907
Rabat, Dār al-Amān, 2010.
1908
Selon l’auteur lui-même, c’est pour lutter contre le mauvais usage qu’en font ses
contemporains qu’il explique ces termes. Ainsi, il dénonce le fait que l’on appelle ‘ārif
(« connaissant ») quelqu’un qui n’a pas encore pleinement réalisé la station correspondante
et que l’on qualifie quelqu’un de majdhūb seulement parce que « quelques traces de l’amour
spirituel » apparaissent sur lui (voir Nuzhat al-nādī…, p. 106-108).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 481
1909
Voir É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte…, p. 287-291.
1910
Voir Al-Risālat al-Qushayriyya, p. 42.
1911
Voir C. Melchert, « The Transition from Asceticism to Mysticism at the Middle of the
Ninth Century C.E. », SI, n° 83, 1996, p. 51-70.
1912
Voir Al-Mustafād…, p. 87-90.
1913
Dans son article, L. Kinberg montre que le zuhd comporte effectivement un ensemble
de vertus et de pratiques (voir « What is meant by zuhd », SI, n° 61, 1985, p. 27-44).
1914
P. 240-242.
482 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1915
Salwa, vol. III, p. 197.
1916
Ibid, p. 198.
1917
Al-Mustafād…, p. 60-61.
1918
Al-Mustafād…, p. 138.
1919
Nuzhat al-nādī…, p. 96.
1920
Ibid.
1921
Voir Mirāt, p. 142.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 483
1922
M. al-Tamsamānī, al-Imām al-‘Arabī al-Darqāwī : tarjumatuhu wa ba‘ḍ āthārihi,
Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2007, p. 178-179.
484 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1923
Uns al-waḥīd wa nuzḥat al-murīd (édité en annexe de T. Ibn ‘Aṭā’ Allāh al-Iskandarī,
‘Unwān al-tawfīq fī ādāb al-ṭarīq), Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2004, p. 86.
1924
Voir Ibrīz, p. 298-299 (pour la traduction, voir Z. Zouanat, Shaykh al-Dabbāgh :
paroles d’or, p. 266).
1925
Voir S. Kugle, Rebel between Spirit and Law : Ahmad Zarruq, Sainthood, and Authority
in Islam, Bloomington, Indiana Univ. Press, 2006, p. 124.
1926
‘A. al-Qādirī, Nuzhat al-nādī…, p. 94.
1927
Ibid.
1928
Ibid., p. 97-98.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 485
chose. Le saint est alors zāhid dans le sens où il est détaché de sa propre
volonté pour s’effacer devant la volonté divine.
1929
Il s’agit d’al-‘Arabī al-Darqāwī.
1930
Voir Le Soufisme en Égypte…, p. 293-297.
486 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Mais ce n’est pas tout. En tant que cadi andalou ayant côtoyé al-Ghazālī,
le ribat Tīṭ-n-Fiṭr et les traditionalistes de Sabta, al-Ma‘āfirī représente
un pivot où convergent les courants intellectuels et spirituels qui vont
constituer le milieu religieux de Fès. C’est donc cette capacité à transmettre
un héritage et ainsi contribuer de manière conséquente à la formation de
la tradition spirituelle de Fès qui fait la sainteté du savant, lequel devient
de ce fait un guide, un imām pour toute la communauté.
L’époque mérinide connaît plusieurs exemples de ce genre, comme
al-Qabbāb (m. 778/1376) et, une génération après, al-Qūrī, le professeur
de Zarrūq. On ignore si ces personnages sont rattachés au soufisme. Il
n’empêche qu’ils jouent un rôle important pour la tradition spirituelle de
Fès, ne serait-ce qu’en formant intellectuellement de futurs saints. Ibn
‘Abbād, prêcheur à la Qarawiyyīn, autorité respectée par l’élite politique
et religieuse, avocat du peuple, incarne, lui, parfaitement la figure du
saint-savant, mais il ajoute une dimension soufie qui transparaît dans
sa formation initiatique et ses écrits. Une des façons par lesquelles se
manifeste la sainteté de cette catégorie de savant est le fait de personnifier
la stabilité de la science à des époques troublées. Tel était le cas de Darrās
Ibn Ismā‘īl, mais on trouve cela aussi plus tard. Ibn Ghāzī al-Maknāsī
(m. 919/1513) se présente au début de l’époque sa’dienne, lorsque Fès
traverse une période d’incertitude et d’inquiétude, comme le garant d’un
ordre fondé sur l’autorité de la science. Si sa fonction n’a à première vue
rien de spirituel, Ibn Ghāzī vénère les saints et reconnaît leur précellence.
Il demande à Dieu la grâce d’en rencontrer un avant de mourir, ce qui
se réalise. De même, le Shaykh al-jamā‘a ‘Abd al-Qādir al-Fāsī, sans
doute le représentant le plus remarquable de cette figure fāsie du savant
et de l’imām de la communauté, apparaît comme un garant de stabilité.
Traditionnellement considéré comme l’un des trois savants qui sauvent
la science sacrée au Maroc 1931, il revivifie à Fès cette culture animée par
l’idéal de la tradition prophétique, du savoir et de la sainteté. Avant lui,
dit-on, la science était vendue au marché et personne ne voulait l’acheter.
Mais, à la différence des savants mérinides, il enseigne dans une zāwiya,
celle qu’il a hérité de ‘Abd al-Raḥmān al-‘Ārif et qu’il transforme en centre
d’étude de hadiths. On pourrait en conclure que la figure du saint-savant
s’associe progressivement au soufisme. Ce qui est vrai dans une certaine
mesure, mais le trait prépondérant reste le fait de mettre la science au
1931
Voir M. Hajji, Al-Zāwiyat al-Dilā’iyya wa dawruhā al-dīnī wa al-‘ilmī wa al-siyāsī,
2e éd., Casablanca, Maṭba‘at al-Najāḥ al-Jadīda, 1988, p. 59-60.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 487
1932
Rappelons seulement à titre d’exemple qu’al-Ghazālī débute son opus magnum avec
un chapitre sur la science.
1933
Voir F. Rosenthal, Knowledge Triumphant : The concept of knowledge in medieval
Islam, Leyde, Brill, 1970.
488 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1934
Nuzhat al-nādī…, p. 93.
1935
Ibid.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 489
1936
Voir al-Mustafād…, p. 49.
490 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1937
Voir ‘A. al-Qādirī, Nuzhat al-nādī…, p. 95. L’auteur définit le mutamakkin ainsi : « C’est
le ravi en Dieu dont l’état d’absorption spirituelle ne transparaît pas dans son extérieur ;
l’état spirituel ne le gagne pas de façon à ce qu’il manifeste une intempérance (tafrīṭ) par
rapport aux affaires de la loi sacrée. »
1938
Mumti‘, p. 191.
1939
Voir É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte…, p. 335-342.
1940
Voir p. ex. par rapport à Aḥmad al-Shāwī, Salwa, vol. I, p. 309.
1941
Voir Salwa, vol. II, p. 250.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 491
l’hagiographie n’en parle pas dans la mesure où les saints ont été des
disciples eux-mêmes. Ce sont donc eux qui représentent le modèle du
disciple idéal. Le murīd ordinaire est envisagé plus comme un lecteur de
l’hagiographie que comme son protagoniste.
4. L’initié réalisé
Naturellement, les saints ne sont pas tous des savants ou des maîtres
spirituels. On trouve de nombreux hommes de Dieu qui n’exercent pas
de fonction « publique ». Il s’agit pour la plupart des cas de disciples les
plus proches d’un maître. Ainsi, parmi les adeptes d’Abū al-Maḥāsin se
trouvent des personnalités aussi illustres que ‘Abdallāh al-Darāwī al-
Ḥaddād (m. 1040/1631), « le grand saint vertueux, le connaissant arrivé
et célèbre 1942 », et Abū ‘Abdallāh Muḥammad Shuqrūn al-Fakhkhār
(m. 1028/1619), qualifié de « saint vertueux [...] doté du ravissement et de
la maîtrise de soi 1943 ». L’existence de ces « initiés » nous est révélée grâce
à la célébrité de leur maître. Yūsuf Ibn Aḥmad al-Fijījī (m. 1058/1648)
nous est connu grâce à la sollicitude que lui apporte son maître Mas‘ūd
Ibn Mubārak al-Filālī, disciple direct d’Abū al-Qāsim « al-Ghāzī » Ibn
Aḥmad al-Dar‘ī (m. 981/1574) de Sijilmassa. De même, les nombreux
disciples d’al-Tijānī consignés dans le Ghāyat al-amānī nous sont connus
en raison de leur proximité du maître.
On pourrait facilement multiplier les exemples. L’hagiographie en fait de
plus en plus état, raison pour laquelle le nombre des biographies augmente
au fur à mesure. La majorité des personnalités présentées dans la Salwa ont
vécu après le Xe/XVIe siècle. Mais, comment définir ce type de saint s’il ne
se caractérise pas par une fonction ou un rôle quelconque ? On rencontre
plusieurs titres dans leurs biographies. Il peut s’agir du wāṣil, « l’arrivé »,
qui d’après al-Qādirī désigne « celui qui est arrivé à une station connue dans
lequel le saint est gratifié des contemplations des qualités divines et des
visions du monde angélique ainsi que des connaissances et des secrets 1944 ».
C’est aussi le ‘ārif, « le connaissant » dont il a été question plus haut, ou le
muḥibb, « l’amoureux, à savoir celui dont le cœur n’est dominé par autre
que le Bien-aimé 1945 ». Bref, divers types spirituels peuvent correspondre
1942
Salwa, vol. II, p. 262.
1943
Ibid., p. 371.
1944
Nuzhat al-nādī…, p. 98.
1945
Ibid., p. 97.
492 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
5. Le saint chérifien
Un des traits les plus caractéristiques de la tradition spirituelle de Fès
est le grand nombre de saints d’ascendance prophétique qui apparaît à
partir du XIe/XVIIe siècle environ. Excepté la période des Idrissides, il
est plutôt rare de trouver à Fès un maître spirituel ou un saint de souche
chérifienne avant cette époque. Pourtant, les plus grands maîtres soufis
du Maroc sont déjà assez tôt des shurafā’ : Ibn Mashīsh, al-Shādhilī, les
Banū Amghār et al-Jazūlī. Mais à part ce dernier, ces saints ne se trouvent
pas à Fès. Dans le Mustafād, aucune mention n’est faite d’une ascendance
prophétique. Le premier exemple d’un personnage chérifien qui nous
semble significatif est celui de ‘Abd al-Nūr Ibn Muḥammad al-‘Amrānī
(m. VIIIe /XIVe siècle) qui initie Ibn ‘Abbād au shādhilisme tunisien.
Quelque temps après, la politique mérinide, la découverte de la tombe
d’Idrīs II, l’avènement d’al-Jazūlī et les dynasties chérifiennes préparent
la « conjonction 1946 » de la sainteté et de l’ascendance prophétique. Dès
lors, il apparaît que les maîtres soufis incitent particulièrement leurs
disciples à se comporter avec déférence (iḥtirām) envers les shurafā’. Abū
al-Maḥāsin est connu pour « l’intense vénération (shadīd ta‘ẓīm) » qu’il
porte aux Ahl al-Bayt 1947.
Toutefois, le milieu soufi semble encore dominé par les Fāsis d’origine
andalouse ou berbère : les Fāsī et les Ma‘an, d’une part, et des saints
1946
Voir M. Garcia-Arenal, « La conjonction du soufisme et du sharīfisme au Maroc : le
Mahdī comme sauveur », REMMM, n° 55-56, 1990.
1947
Mir’āt, p. 140.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 493
1948
A propos de ces deux types de transmission, voir H. Elboudrari, « Transmission
du charisme et institutionnalisation : le cas de la zāwiya d’Ouezzane, Maroc XVII e-
XIXe siècles », op. cit., p. 523-536.
1949
Ibrīz, p. 452 (traduction, Z. Zouanat, Shaykh al-Dabbāgh…, p. 336).
494 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
les épouses et les compagnons du Prophète ainsi que par ses « héritiers
parfaits parmi les saints de Dieu comme le secours et les pôles ».
Al-Darqāwī 1950 remarque que les descendants du Prophète se distinguent
par le caractère sublime et les bonnes mœurs, en vertu du verset coranique
Et certes, tu es doté d’un caractère sublime 1951. Vu que le soufisme se
définit également comme étant « le bon caractère tout entier 1952 », il est
facilement concevable que la sainteté des shurafā’ soit considérée comme
étant en quelque sorte « latente ». Le cheminement initiatique ne fait que
révéler et réaliser une réalité qu’ils portent potentiellement en eux. A la
proximité naturelle au Prophète s’ajoute alors la proximité spirituelle. A
la différence des autres awliyā’, la « lumière prophétique » transparaît
dans leur être extérieur et se manifeste comme un statut et une autorité
à la fois d’ordre religieux et social 1953. Cela est particulièrement visible
chez les Kattānī. Les représentants de cette famille de shurafā’ soufis
s’appuient sur l’autorité que leur confère leur ascendance idrisside pour
s’engager dans la réforme de la société et dans un projet politique. La
vénération de la progéniture du Prophète et le fait de respecter leur autorité
constituent pour eux des valeurs fondamentales de la société marocaine et
une des causes de son intégrité. C’est cette idée que Muḥammad b. Ja‘far
al-Kattānī s’efforce de démontrer dans son recueil de hadiths concernant le
mérite des shurafā’ 1954. L’auteur cite cette phrase d’Ibn Zikrī qui exprime
bien la valeur que l’on accorde à Fès aux Ahl al-Bayt : « Le bien et les
bénédictions ne cessent de se manifester sur celui qui fait preuve d’un bon
comportement envers eux et qui leur procure la joie 1955. »
En définitive, il apparaît que le chérifisme revêt une fonction importante
au sein de la tradition spirituelle de Fès, notamment lorsque la sainteté
se définit par rapport à la figure prophétique et devient un paramètre
sociopolitique de premier ordre. L’ascendance au Prophète se profile
alors, d’une part, comme l’expression d’une sainteté « naturelle » et donc
1950
Voir Majmū‘at al-rasā’il Mawlāy al-‘Arabī al-Darqāwī al-Ḥasanī, Abu Dhabi, al-
Mujamma‘ al-Thaqāfī, 1999, p. 163.
1951
Coran, LXVIII : 4.
1952
Al-Darqāwī lui-même (voir Majmū‘at al-rasā’il…, p. 305) reprend cette fameuse
définition mentionnée dans le traité d’al-Qushayrī (voir al-Risālat al-Qushayriyya, le Caire,
Dār al-Sha‘b, 1989, p. 466).
1953
Voir A. Sebti, op. cit., p. 42-48.
1954
Al-Arba‘ūna fī faḍl āl bayt khayr al-bariyya, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya,
2009.
1955
Ibid., p. 42.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 495
6. Le majdhūb-bahlūl
Une figure récurrente du milieu spirituel de Fès est le majdhūb-bahlūl.
Il s’agit du saint « ravi » 1956 qui ne revient plus à la raison et de ce fait
n’est plus responsable devant la loi (sāqiṭ al-taklīf ). Pour al-Qādirī 1957, le
bahlūl (« le débile ») est celui qui « est emporté par l’ivresse spirituelle
au point de perdre conscience de lui-même et de sa vision du monde
sensible jusqu’à perdre la raison ». Sa caractéristique, explique l’auteur,
« c’est de ne penser (al-hamm) qu’à Dieu ou à Son Envoyé dans tous ses
mouvements et ses états de repos, ainsi que la véracité de ses annonces et
de ses dévoilements s’il en a 1958 ». ‘Abd al-‘Azīz al-Dabbāgh explique que
le majdhūb « est celui dont l’extériorité est influencée par ce qu’il voit et
qui s’en réjouit ; il se met alors à imiter ce qu’il voit avec son corps et à
l’illustrer avec ses gestes. Et celui à qui Dieu Très Haut a fait miséricorde
et ouvert la vision intérieure ne cesse de voir les merveilles ineffables et
insoutenables du Plérome suprême [...]. Il imite avec son corps ce qu’il
voit avec sa vision intérieure, or ce qu’il voit avec cette vision est illimité.
C’est pourquoi il ne connaît l’équilibre dans aucun état. Ainsi, si tu vois
des attirés (majdhūb-s) qui dansent, c’est parce qu’ils sont absents dans la
vision des houris 1959 dont ils reproduisent les mouvements 1960 ».
Faouzi Skali, qui associe les malāmatī aux majdhūb-s, a étudié les
biographies de ces personnages dans l’ordre topographique de leurs
tombes 1961. De même, nous avons déjà esquissé ce type de saint dans le
chapitre consacré à al-Jazūlī du fait que l’apparition des majdhūb-s est liée
1956
Voir É. Geoffroy (voir Le Soufisme en Égypte…, p. 309-333) a retracé l’histoire
doctrinale concernant ce type de sainteté. Pour le Maroc, voir A.L. de Prémare, op. cit.,
p. 59-67. Voir aussi F.R. Mediano, « Santos arrebatados : algunos ejemplos de maydub en
la Salwat al-anfas de Muhammad al-Kattani », QANT, vol. 13, 1992, p. 237-260.
1957
Nuzhat al-nādī…, p. 95.
1958
Ibid.
1959
Il s’agit des épouses paradisiaques.
1960
Ibrīz, p. 290 (traduction : Z. Zouanat, Shaykh al-Dabbāgh…, p. 261).
1961
Topologie spirituelle et sociale de la ville de Fès, vol. II, p. 375-538.
496 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1962
Idem, p. 393.
1963
Voir Salwa, vol. I, p. 136-137.
1964
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 316-317.
1965
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 265.
1966
Vol. III, p. 278-279. Voir également F. Skali, op. cit., p. 388.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 497
1967
Vol. I, p. 155.
498 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1968
Voir N. Amri, L. Amri, Les Femmes soufies et la passion de Dieu, Saint-Jean-de-Braye,
Éditions Dangles, 1992 ; M. Chodkiewicz, « La sainteté féminine dans l’hagiographie
islamique », Saints orientaux (Hagiographies médiévales comparées 1), p. 99-115 ;
A. Schimmel, Mon âme est une femme : la femme dans la pensée islamique, Paris, Lattès, 1998.
1969
Voir M. Ibn ‘Azzūz, « Tarājim dufīna li-mashāhīr nisā’ Fās », Tarqiyat al-murīdīn bi-mā
taḍammanathu sīrat al-sayyidat al-wālidat min aḥwāl al-‘ārifīn, ‘A. al-Kattānī, Casablanca,
Markaz al-Turāth al-Thaqāfī al-Maghribī, 2007, p. 15-47. F. Skali a consacré tout un chapitre
de sa recherche aux saintes femmes de Fès (voir Topologie spirituelle et sociale…, vol. II,
p. 322-373). Certaines femmes de Fès se trouvent aussi dans ce dictionnaire biographique
sur les personnalités féminines de l’histoire de l’islam : ‘U. R. Kaḥāla, A‘lām al-nissā’ fī
‘ālamī al-‘arab wa al-islāmī, Beyrout, Mu’assasat al-Risāla, s.d, 5 vol.
1970
C’est peut-être ce qui distingue Fès du reste du Maghreb (voir N. Amri, « Les sālihāt
du Ve au IXe siècles/XIe-XVe siècles dans la mémoire maghrébine de la sainteté à travers
quatre documents hagiographiques », QANT, n° XXI, 2000, p. 481-509).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 499
1971
Voir Salwa, vol. III, p. 118.
1972
Voir M. Marin, « Images des femmes dans les sources hagiographiques maghrébines :
les mères et les épouses du saint », Saint et sainteté…, p. 238-243.
1973
« Garde-toi de la compagnie des innovateurs pour préserver ta religion et garde-toi de
la compagnie des femmes pour préserver ton cœur » (Uns al-waḥīd wa nuzḥat al-murīd,
édité en annexe de T. Ibn ‘Aṭā’ Allāh al-Iskandarī, op. cit., p. 78).
1974
Voir R. W. Austin, Ibn ‘Arabī : les Soufis d’Andalousie, Paris, Sindbad, 1979, p. 31.
1975
Voir S. Kugle, Rebel between Spirit and Law…, p. 47-48.
1976
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 86-87 ; Salwa, vol. II, p. 251.
500 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1977
Voir F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. II, p. 324 et suiv.
1978
Voir M. Chodkiewicz, « La sainteté féminine dans l’hagiographie islamique », op. cit.,
p. 105.
1979
Voir F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. II, p. 332.
1980
Voir al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 150-151.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 501
ses avoirs pour les pauvres et évitant la compagnie des autres femmes.
Son entourage familial craint qu’elle ne puisse pas trouver de mari, car
elle ne manifeste aucun intérêt pour les affaires qui préoccupent les autres
femmes de son âge. Même si elle finit par se marier, le modèle de sainteté
qu’elle incarne reste néanmoins celui d’une conformité scrupuleuse au
rôle social de la femme. Comme le montre cet exemple, la figure de la
femme sainte « rendue visible » par la zāwiya ne résorbe pas à elle toute
seule toutes les figures de la sainteté chez les femmes. Elles investissent,
en effet, la quasi-totalité des types spirituels. Force est de constater que
les femmes saintes ont existé en Orient, en Ifriqiya et même au Maroc, si
l’on en croit le Tashawwuf 1981, indépendamment de ces facteurs sociaux
et bien avant leur existence.
Aussi, un nombre assez important de tombes de saintes est connu à
Fès, mais nous ne disposons que de peu de sources hagiographiques sur
elles. Même les vies des saintes qui jouissent d’une certaine notoriété
sont pratiquement inconnues. C’est le cas notamment de « Lalla Kanza »,
personnage que la tradition populaire confond avec la mère d’Idrīs II et
dont la tombe se trouve dans une boutique à l’intérieur de l’enceinte de
Mawlāy Idrīs. En vérité, il s’agit d’une femme d’ascendance prophétique,
une certaine Zaynab b. Idrīs al-Jūṭī al-‘Amrānī 1982 dont on ignore tout
sauf sa piété et son ascétisme. De même, on trouve un certain nombre de
saintes presque anonymes dont on connaît à peine le nom, comme par
exemple Ruqayya al-Sab‘īyya 1983, ‘Ā’isha Lakriniyya 1984 ou encore Fāṭima
bint Khāwa 1985, que l’on compte parmi les Ahl al-Khaṭwa.
Comme chez les hommes, le phénomène du jadhb et des bahlūl-s existe
aussi chez les femmes, notamment au XIIe/XVIIIe siècle, quand ce type de
sainteté fut particulièrement répandu. Āmina al-Sakima 1986 (m. 1150/1737)
est une majdhūba qui s’adonne au silence et a l’habitude de s’asseoir
devant les magasins où l’on vend des balais. Āmina al-Bastiyūniyya 1987
1981
Voir p. 94, p. 265-266, p. 316-318, p. 331-332, p. 385-388.
1982
Voir Salwa, vol. I, p. 102 ; M. Ibn ‘Azzūz, « Tarājim dufīna li-mashāhīr nisā’ Fās »,
p. 29-30 ; F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. II, p. 334.
1983
Voir Nashr, vol. II, p. 394 ; M. Ibn ‘Azzūz, « Tarājim dufīna li-mashāhīr nisā’ Fās », p. 27.
1984
Voir M. Ibn ‘Azzūz, « Tarājim dufīna li-mashāhīr nisā’ Fās », p. 39.
1985
Voir Ṣafwa, p. 38 ; M. Ibn ‘Azzūz, « Tarājim dufīna li-mashāhīr nisā’ Fās », p. 42-43.
1986
Voir Nashr, vol. III, p. 402 ; Salwa, vol. III, p. 209 ; M. Ibn ‘Azzūz, « Tarājim dufīna
li-mashāhīr nisā’ Fās », p. 19-20.
1987
Voir Salwa, vol. I, p. 308 ; M. Ibn ‘Azzūz, « Tarājim dufīna li-mashāhīr nisā’ Fās », p. 15.
502 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1988
Voir Salwa, vol. II, p. 10.
1989
Voir M. Ibn ‘Azzūz, « Tarājim dufīna li-mashāhīr nisā’ Fās », p. 30-31.
1990
Voir ibid., p. 43.
1991
Voir ibid.
1992
Voir ibid., p. 20.
1993
Voir ibid., p. 24-25.
1994
Voir ibid., p. 40.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 503
Conclusion
Que révèle cet aperçu des types et des modèles de sainteté tels qu’ils
apparaissent dans la tradition spirituelle de Fès ? Évidemment, nous
n’avons pas pu tenir compte de toute la diversité des types spirituels. Il
est problématique de vouloir catégoriser par exemple un personnage aussi
complexe qu’Aḥmad al-Shāwī. Comment traiter la figure du saint illettré
ou inculte qui apparaît à certains moments sans être pourtant à Fès une
figure fréquente ? Ou encore, les saints qui fondent une voie, un ordre ou
une zāwiya, constituent-ils un modèle indépendant ? Les frontières entre
les types et les modèles de sainteté sont floues 1996, et il est toujours risqué
d’enfermer dans une typologie historique un personnage dont la vocation
est de dépasser les conventions humaines. De plus, « l’entrecroisement » du
type, du degré et de la fonction du saint 1997 rend une telle reconstruction
particulièrement difficile. Déterminer de manière cohérente si les divers
rangs initiatiques correspondent à des fonctions précises par rapport
à la tradition spirituelle de Fès nécessiterait une analyse complexe et
méticuleuse. Néanmoins, certains faits permettent de formuler des
conclusions concernant les fonctions et les caractéristiques des diverses
facettes à travers lesquelles la sainteté se manifeste dans l’histoire de Fès.
1995
Voir « La sainteté féminine dans l’hagiographie islamique », op. cit., p. 113-115.
1996
En effet, comme le remarque M. Chodkiewicz (« La sainteté et les saints en islam »,
op. cit., p. 19) par rapport à la classification akbarienne des awliyā’, « ces dénominations »
dénotent « bien entendu un accent particulier de leur personnalité » et n’excluent
« aucunement la possession des autres vertus ».
1997
Voir M. Chodkiewicz, « La sainteté et les saints en islam », idem, p. 20. L’auteur
remarque à ce propos que les « filtres successifs » que représentent la confusion entre les
vocabulaires et les usages régionaux fait qu’une hiérarchie initiatique comme celle établie
par Ibn al-‘Arabī « perd inévitablement [...] une partie de sa cohérence » (ibid.). Voir aussi
F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. I, p. 198 et suiv.
504 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Le premier trait qui nous semble significatif, c’est que le modèle initial
de sainteté, celui qui fonde la tradition spirituelle de Fès, est incarné par
Mawlāy Idrīs, le quṭb de la ville. La continuité historique de ce modèle
et sa reconstitution postérieure posent évidemment problème, mais il
est néanmoins vrai que la figure du bâtisseur de Fès est un élément
fondateur de sa tradition. Nous avons mis en évidence, dans ce chapitre et
ailleurs, les traits qui le caractérisent, à savoir l’ascendance prophétique,
la transmission ainsi que l’établissement de la science et de la tradition
islamiques orthodoxes, l’exercice de la justice et la noblesse des mœurs,
notamment le zuhd. Or, tous ces aspects apparaissent à un moment ou à un
autre dans l’histoire de Fès. Même l’élément sociopolitique de la sainteté
idrisside est revivifié avec le jazūlisme et les Kattānī. Si on peut parler
d’une particularité de la tradition spirituelle fāsie, c’est donc en premier
lieu celle-là, c’est-à-dire la signification à la fois historique, symbolique et
archétypique qu’y revêt Idrīs II 1998. Cette autre caractéristique de la sainteté
à Fès qui est l’importance de la science religieuse s’inscrit, à travers la
Qarawiyyīn, dans cette même logique de l’histoire sacrée. Car, même si ce
n’est qu’à l’époque almoravide que cette institution commence à acquérir
son importance, son récit de fondation quasi légendaire montre que son
prestige est incontestablement lié au fait d’avoir été fondée à l’époque des
origines mythiques de la ville. Il va sans dire que le chérifisme, autre
élément typique de la tradition spirituelle de Fès, est intrinsèquement lié
à l’identité idrisside de la ville. Malgré les discontinuités historiques, il est
donc possible d’affirmer que le modèle de sainteté que constitue la figure
d’Idrīs II représente la spécificité principale de la tradition de sainteté
qui s’est développée à Fès. En effet, l’histoire sacrée ne tient pas toujours
compte de la succession et de la cohérence des faits dont est formée
l’histoire sociale et politique.
Si l’on considère l’évolution historique de la sainteté en détail, il
apparaît que l’avènement de certains modèles de sainteté et types de
spiritualité est lié en général à des personnalités spécifiques. Le passage
du zāhid au ‘ārif s’accomplit à travers Abū Madyan, la nécessité d’un
équilibre entre science extérieure et science intérieure est communément
1998
A. Sebti remarque à ce propos : « Mais le souverain marocain a surtout capté, dans
son portrait reconstruit, des valeurs de légitimation qui ont dominé depuis le XVIe siècle :
une monarchie imprégnée de sainteté et de sharifisme, et au niveau de l’élite citadine, un
prestige fondé sur une triple composante, à savoir le sang noble, la sainteté et la science
(‘ilm). » (Voir op. cit., p. 89.)
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 505
1999
Voir J. Berque, « Quelques problèmes de l’islam maghrébin », ASR, n° 3, 1957, p. 3.
2000
C’est le titre que l’on donne traditionnellement au Maghreb par rapport à l’Orient qui
est alors « la terre des prophètes (arḍ al-anbiyā’) ».
2001
Certes, comme toujours, les exceptions confirment la règle. Par exemple, le rôle que
joue au Maroc l’Iḥyā’ d’al-Ghazālī représente plutôt un fait doctrinal. Voir le chapitre
suivant « Sainteté et connaissance ».
506 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2002
Il convient de considérer le cas du majdhūb comme l’exception qui confirme la règle.
2003
Voir G. Böwering, « Règles et rituels soufis », Les Voies d’Allah : les ordres mystiques dans
l’islam des origines à aujourd’hui, A. Popovic, G. Veinstein, dir., Paris, Fayard, 1996, p. 139-
165 ; É. Geoffroy, Le soufisme : voie intérieure de l’islam, Paris, Fayard, 2003, p. 218-276.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 507
2004
M. al-Manālī al-Zabbadī, Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat bi-l-shaykh wa al-murīd wa al-
zāwiya, Marrakech, sans éd., 2010, p. 112. Il s’agit d’une parole d’al-Qushayrī.
2005
La Risāla de Safi al-Dīn Ibn Abī l-Mansūr : biographies des maîtres spirituels connus
par un cheikh égyptien du VIIe/XIIIe siècle, p. 46.
2006
Pour une description détaillée du rite de transmission du dhikr, voir L. Patrizi,
« Transmissione iniziatica e regole dell’invocazione (dhikr) secondo ‘Abd al-Wahhāb al-
Sha‘rānī », Divus Thomas : la preghiera comme tecnica, une prospettiva orientale, n° 54,
anno 112°, 2009, p. 17-43.
508 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2007
Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat..., p. 112-113.
2008
Uns al-waḥīd wa nuzḥat al-murīd, p. 79.
2009
Voir M. Gloton, Ibn ‘Aṭā’ Allāh : traité sur le nom Allāh, Paris, les Deux Océans,
2001 ; R. Macnamara, Ibn ‘Ata’ Allāh al-Iskandarī : la clef de la réalisation spirituelle et
l’illumination des âmes, Beyrouth, Albouraq, 2002 ; G. Cecere, « Maestro nelle due scienze :
Ibn ‘Atā Allāh al-Iskandarī e le forme della preghiera », Divus Thomas : la preghiera comme
tecnica, une prospettiva orientale, p. 94-113.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 509
2010
P. 234-235.
2011
Voir Sharāb ahl al-ṣafā fī al-ṣalāt ‘alā al-Nabī al-Muṣṭafā, ‘Ayn Melila, Dār al-Hudā, 2008.
2012
A ce propos, voir A. Meftah, « L’initiation dans la Shādhiliyya-Darqāwiyya », Une Voie
soufie dans le monde : la Shādhiliyya, p. 237-248.
2013
Majmū‘at al-rasā’il Mawlāy al-‘Arabī al-Darqāwī al-Ḥasanī, Abu Dhabi, al-Mujamma‘
al-Thaqāfī, 1999, p. 415.
2014
Lit. : « la présence ».
2015
Voir Salwa, vol. II, p. 21.
510 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2016
Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat..., p. 115-116.
2017
D’après un chanteur soufi de nos jours, les zāwiyas maghrébines préfèrent les poésies
d’al-Shushtarī, parce qu’il utilise des notions propres à la tradition spirituelle de cette région.
2018
Voir Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat..., p. 109 et suiv.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 511
2019
Voir ibid., p. 120-121.
2020
Sur un aperçu de la figure du maître spirituel au Moyen-Orient, voir É. Geoffroy, « La
direction spirituelle en Islam : statut et fonctions du maître soufi », La Formation des cadres
religieux en France, Paris, l’Harmattan, 1999, p. 67-79. Pour une étude du fondement
doctrinal de la fonction de maître, voir R. Chih, « Sainteté, maitrise spirituelle et patronage :
les fondements de l’autorité dans le soufisme », ASSR, n° 125, 2004, p. 79-98. A propos du
fondement prophétique de cette fonction, voir D. Gril, « Le modèle prophétique du maître
spirituel en Islam », Maestro e discepolo, G. Filoramo, dir., Piacenza, Centro di alti studi
in science religiose di Piacenza, 2002, p. 345-360.
2021
‘A. al-Zabbādī, Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat..., p. 50.
512 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
« Lorsque fut révélé le verset N’est-il pas vrai que les protégés de Dieu ne
connaîtront ni la peur ni l’affliction ? 2022, les compagnons demandèrent
au Prophète : « Décris-les nous ô Envoyé de Dieu. » Celui-ci répondit :
« Ce sont ceux qui rappellent à Dieu lorsqu’on les voit. » 2023 »
Pour ‘Abd al-‘Azīz al-Dabbāgh 2024, saint illettré du XIe/XVIIe siècle,
l’éducation s’impose face à la décadence des aspirants. Il explique
que dans les trois premières générations de l’islam, considérées par le
Prophète comme les meilleures générations, les hommes sont encore
« attachés (muta‘alliq) à Dieu et à Son Prophète » de manière intuitive
les rendant aptes à recevoir l’illumination spirituelle directement de Dieu.
C’est pourquoi les saints de cette période se distinguent par la quantité
miraculeuse des œuvres d’adoration. Après cette époque, ainsi al-Dabbāgh,
les aspirations s’affaiblissent et se tournent vers le bas monde, ce qui rend
nécessaire l’éducation spirituelle (tarbiya) par un maître. Celui-ci ordonne
alors à l’aspirant de s’isoler et de pratiquer des exercices spirituels afin de
purifier son intérieur « de la sorte qu’il s’attache à Dieu et à Son Prophète ».
Malgré son importance, la ṣuḥba ne devient visible qu’au moment où
la sainteté se manifeste dans le cadre du soufisme 2025. Aucune mention
n’est faite des maîtres fréquentés par Darrās Ibn Ismā‘īl ou Abū Jīda. On
sait seulement qu’ils ont étudié auprès de maîtres andalous et ifriqiens. La
raison en est peut-être qu’à cette époque l’enseignement d’une science est
encore associé au Maghreb à une éducation et à une forme de discipline
consistant principalement dans le scrupule (al-war‘a) et le renoncement
(al-zuhd). La séparation entre exotérisme et ésotérisme n’est pas encore
aussi nette qu’à la même époque déjà au Moyen-Orient. Nul besoin alors
de mettre en relief la nécessité d’une éducation spécifiquement initiatique.
Encore à l’époque d’Ibn al-Naḥwī, lorsque commencent à se distinguer
les domaines respectifs de la science et de la sainteté, il est question de
la fréquentation des saints (al-ijtimā‘ bi-l-awliyā’) de manière générale.
Rares sont les exemples où une forme de rattachement (intisāb) est visible.
L’idée d’initiation, en des termes de lubs al-khirqa, « la transmission du
manteau initiatique » n’apparaît que grâce au témoignage d’Ibn al-‘Arabī
2022
Coran, X : 62.
2023
Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat..., p. 67.
2024
Voir Ibrīz, p. 298-299. Ce passage a été traduit par Z. Zouanat (voir Shaykh al-Dabbāgh :
paroles d’or, p. 266).
2025
Concernant l’émergence du magistère initiatique au Moyen-Orient, voir L. Silvers,
« The teaching relationship in early sufism : a reassessment of Fritz Meier’s definition of
the shaykh al-tarbiya and the shaykh al-ta‘līm », MW, n° 93, 2003, p. 69-97.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 513
2026
Le premier à évoquer ce rattachement semble être l’auteur du Bughiyat al-sālik fī
ashraf al-masālik (Rabat, Wazārat al-Awqāf, 2 vol.), Muḥammad Abū ‘Abdallāh al-Sāḥilī
(m. 754/1353) de Malaga, dont la filiation spirituelle remonte à Ibn Ḥirzihim. Voir Salwa,
vol. III, p. 87-89.
2027
Uns al-waḥīd…, p. 88.
2028
Ibid., p. 171.
2029
Voir Ibrīz, p. 359 (trad. Z. Zouanat, Shaykh al-Dabbāgh…, p. 294).
514 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
« Le maître qui mérite qu’on se confie à lui est celui qui connaît les états
du Prophète 2030 ; c’est celui dont la personne est abreuvée par la lumière
du Prophète de manière à être complètement sur ses pas 2031. »
De même il enjoint à ses compagnons :
« Ne me cachez rien des choses qui vous arrivent, que ce soit celles de
la religion ou du bas monde, informez-moi même de vos péchés. Si vous
ne m’en informez pas, je vous informerai. Un compagnonnage (ṣuḥba)
dans lequel les états des compagnons sont occultés ne peut être bon 2032. »
Prudence liée au contexte peu favorable, modèle de sainteté, exigence
d’humilité ou encore attitude pédagogique, le fait de refuser extérieurement
le statut de maître montre le caractère insignifiant de l’aspect visible et
social de cette fonction aux yeux de ceux qui l’exercent.
Néanmoins, pour les saints de Fès la ṣuḥba et donc la tarbiya restent
indispensables, de quelque manière qu’on les envisage. Dans une période
où la science et le milieu des médersas occupent, au détriment de la
sainteté, l’espace public du religieux, le débat concernant la nécessité
du maître spirituel surgit. Ibn ‘Abbād 2033 défend habilement le magistère
initiatique et la nécessité de la ṣuḥba. La lecture des ouvrages soufis,
support de l’éducation spirituelle, ne saurait dispenser du compagnonnage
d’un maître. Zarrūq, tentant d’harmoniser les sciences religieuses avec
le soufisme, développe la démarche de son modèle. Dans ses célèbres
Qawā‘id al-taṣawwuf, il explicite les diverses raisons qui rendent la ṣuḥba
indispensable pour celui qui s’engage dans une démarche spirituelle 2034.
L’exemple de Waraqa Ibn Nawfal auquel a recours le Prophète après
sa première révélation et celui des compagnons constitue pour lui des
fondements scripturaires suffisants.
Ce débat semble avoir réglé une fois pour toutes la question de
la ṣuḥba dans le milieu de Fès. La formation à la sainteté se fonde
désormais essentiellement sur le compagnonnage et l’éducation. Cela
devient particulièrement visible chez les majdhūb-s du Xe/XVIe siècle.
Ces personnages ne se distinguent pas par la science, mais leur sainteté
2030
La traduction de cette phrase provient de Z. Zouanat (Shaykh al-Dabbāgh…, p. 267),
le reste du passage n’étant pas traduit.
2031
Ibrīz, p. 299.
2032
Ibid., p. 354 (trad. Z. Zouanat, Shaykh al-Dabbāgh…, p. 293).
2033
Voir R. Pérez, Ibn Khaldūn, La Voie et la Loi, p. 11-83 ; P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de
Ronda, un mystique prédicateur à la Qarawīyīn de Fès, p. XLVIII et suiv.
2034
Voir 2e éd., Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2005, p. 54-55, n° 66-67.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 515
2035
Voir Salwa, vol. I, p. 155.
2036
A ce propos, voir C.E. Farah, « Rules Governing the Šayḥ-Muršid’s Conduct », NMN,
vol. 21, fasc. 2, 1974, p. 81-96.
2037
M. al-Zabbādī al-Manālī, Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat..., p. 77.
516 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2038
Ṣafwa, p. 40.
2039
Jawāhir, p. 114.
2040
Ibid., p. 117.
2041
Ibid.
2042
Voir ibid., p. 116.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 517
2043
Al-Baḥr al-madīd fī tafsīr al-Qur’ān al-majīd, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya,
vol. II, 2002, p. 174.
2044
Voir É. Geoffroy, Le Soufisme : voie intérieure de l’islam, p. 266-269 ; C.E. Padwick,
Muslim devotions : A Study of Prayer-Manuals in Common Use, p. 3-25.
2045
Voir p. ex. l’« Oraison de la Mer » d’al-Shādhilī traduite et présentée par É. Geoffroy
(Ibn ‘Atā’ Allāh : la sagesse des maîtres soufis, p. 277-283).
2046
Al-Mustafād…, p. 17.
518 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
al-qulūb d’Abū Ṭālib al-Makkī. Mais les maîtres rédigent aussi leurs propres
litanies qu’ils transmettent à leurs disciples. La Ṣalāt al-mashīshiyya d’Ibn
Mashīsh, à laquelle Ibn Zikrī (m. 1144/1731-1732) consacre un commentaire
remarquable, et le Ḥizb al-baḥr d’al-Shādhilī, pour lequel Ibn ‘Abbād
possède une ijāza, comptent parmi les oraisons les plus lues à Fès. Sans
doute récite-t-on chez les Qādirī ceux de ‘Abd al-Qādir al-Jīlanī. S’ajoutent
à partir du Xe/XVIe siècle les litanies de Zarrūq et d’al-Jazūlī.
Nous disposons grâce au Mir’āt al-Maḥāsin d’une description
détaillée de la pratique rituelle d’une zāwiya fāsie 2 047. Ce témoignage
est d’autant plus précieux qu’il s’agit d’une des traditions initiatiques les
plus importantes de la ville. Le programme quotidien commence avec la
prière de l’aube. On y récite le Ḥizb al-falāḥ d’al-Jazūlī, deux formules
de glorification provenant du Qūṭ al-qulūb, l’oraison de Zarrūq et le Ḥizb
al-kabīr d’al-Shādhilī. Comme l’explique l’auteur du Mir’āt, les adeptes
qui ont une occupation professionnelle ou autre partent à ce moment-là, et
c’est la majorité. Quant à ceux qui restent, ils se consacrent à la lecture du
Dalā’il al-khayrāt. Après la prière du Maghreb, les adeptes de la Fāsiyya
récitent encore le Ḥizb al-falāh d’al-Jazūlī et la Ṣalāt al-mashīshiyya.
Le vendredi, ils se réunissent après la prière de l’après-midi pour se
consacrer à la prière sur le Prophète. Abū al-Maḥāsin a également prescrit
des lectures particulières pour les autres jours festifs. Il s’agit visiblement
d’un programme assez chargé. La journée et la semaine de l’aspirant qui
s’engage dans la voie de la sainteté sont effectivement rythmées par ces
récitations. C’est avec elles qu’il commence la journée et qu’il la clôt.
Mais en quoi consistent-elles, d’après les soufis de Fès, ces aḥzāb et
awrād ? Cité par l’auteur du Mir’āt, Zarrūq résume ainsi leur contenu et
leur finalité :
« Il s’agit d’un ensemble de formules d’invocation (adhkar), de supplication
(ad‘iya) et d’orientation (tawajjuhāt) mises en forme pour le souvenir de
Dieu, le rappel édifiant, le refuge contre le mal et la demande du bien, la
réalisation des connaissances et l’obtention de la science en concentrant
le cœur sur Dieu grâce à cela 2048. »
Mais en dernière analyse, c’est un héritage que le saint lègue à ses
disciples, comme l’illustre la parole d’al-Shādhilī et l’explication d’Ibn
‘Abbād :
2047
P. 178-207. Voir A. Zarrūq, Sharḥ Ḥizb al-baḥr, Zlaytan, Maktabat Ibn Ḥamūda, s.d., p. 4.
2048
Mir’āt, p. 205.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 519
« « Celui qui lit [mon oraison] aura ce que j’ai et il lui sera accordé ce qui
m’est accordé. » Mon seigneur Abū ‘Abdallāh Ibn ‘Abbād précise que cela
veut dire : « Il aura ce que j’ai comme sacralité protectrice (ḥurma) et il
lui sera accordé ce qui m’est accordé comme miséricorde (raḥma). » 2049 »
Les aḥzāb et les awrād revêtent une importance toute particulière dans
les ordres introduits à Fès à partir du XIe/XVIIe siècle. Dans la Wazzāniyya,
on récite à peu près les mêmes litanies que dans les autres zāwiyas de
Fès 2050, exception faite de prières prophétiques remontant à ‘Abdallāh al-
Sharīf. Le Du‘ā’ al-Nāṣirī, rédigé par le fondateur de l’ordre, s’est propagé
dans l’ensemble du Maroc et même au Moyen-Orient. Les awrād de la
Nāṣiriyya semblent particulièrement diffusés parmi les oulémas comme
Tawdi Ibn Sūda et Muḥammad b. ‘Abd al-Salām al-Bannānī (m 1163/1750).
Ce dernier rédige un commentaire du Ḥizb al-kabīr d’al-Shādhilī et un
autre de la Mashīshiyya 2051. Dans la Tijāniyya, voie qui s’est inspirée de
ces ordres, la waẓīfa, l’office quotidien, occupe une fonction centrale dans
le processus de réalisation spirituelle 2052. C’est à travers elle que passe
l’influence spirituelle du maître, même lorsque ce dernier n’est plus vivant,
et c’est donc ainsi que l’adepte peut participer à la grâce dont est l’objet
al-Tijānī en vertu de sa proximité avec le Prophète. L’auteur du Jawāhir
al-ma‘ānī, la célèbre biographie d’al-Tijānī, cite Zarrūq à propos de la
signification des litanies transmises par les maîtres spirituels :
« Les litanies des maîtres représentent la description de leur état, l’essence
de leur paroles, l’héritage de leurs sciences et de leurs œuvres 2053. »
Cette explication montre bien la fonction des litanies comme héritage
à la fois pratique, doctrinal et initiatique d’un maître à ses disciples.
Elles constituent de ce fait une forme importante de la transmission
spirituelle. Il va sans dire que les maîtres imitent en cela le Prophète qui
a laissé un corpus assez important d’invocations. Les shuyūkh incorporent
effectivement dans leurs litanies des formules recommandées par le
Prophète et ajoutent parfois tout simplement des phrases qui développent
leur sens profond ainsi que des invocations du Coran ou des versets à
portée protectrice.
2049
Ibid. p. 205-206.
2050
Voir ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya bi-Fās : khaṣā’iṣuhā wa a‘lāmuhā,
Casablanca, Mu’assasat Mawlāy ‘Abdallāh al-Sharīf, s.d, p. 39-41.
2051
Voir Salwa, vol. I, p. 157.
2052
Voir Jawāhir, p. 96 et suiv.
2053
Ibid., vol. I, p. 90.
520 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2054
Voir F. Meier, Nachgelassene Schriften, Band 1 : Bemerkungen zur Mohammedverehrung,
Teil 1 : Die Segenssprechung über Mohammed ; C.E. Padwick, Muslim devotions…, p.152-
166.
2055
Maqṣūda, vol. I, p. 381.
2056
Vol. III, p. 240.
2057
Voir Salwa, vol. III, p. 111.
2058
Voir ibid., p. 320.
2059
Voir L. Būshantūf, « Ṣūrat ‘ālim min qarn 9h/16m Riḍwān al-Janwī min khilāl : Tuḥfat
al-ikhwān wa mawāhib al-imtinān fī sayyidī Riḍwān », Des repères dans l’histoire culturelle
et religieuse du Maroc, p. 53.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 521
2060
Voir Y. al-Kattānī, al-Ṭarīqat al-Kattāniyya : arkānuhā, ‘uhūduhā wa awrāduhā, vol. I,
Rabat, Dār Abī Qarāq, 2008, p. 45.
2061
Voir S. Pickney Stetkevych, « From text to Talisman : al-Buṣīrī’s Qaṣīdat al-burda
(Mantle Ode) and the Supplication Ode », JAL, n° 2, 2006, p. 145-187.
2062
Voir N.H. Olesen, Culte des saints et pèlerinages chez Ibn Taymiyya (661/1268-728/1328),
Paris, Geuthner, 1991. Concernant l’aspect « matériel » de la tombe, voir Y. Ragheb,
« Structure de la tombe d’après le droit musulman », ARA, n° 39, 1992, p. 393-403.
522 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2063
Un adage populaire dit qu’on ne peut pas faire un pas à Fès sans marcher sur la tombe
d’un saint.
2064
Voir N. Amri, « Pour une histoire du sentiment religieux en Égypte : l’expérience
pérégrine », RHR, n° 4, 2007, p. 485-502.
2065
Le culte des saints a été amplement étudié, voir p. ex. É. Dermengheim, Le Culte des
saints dans l’Islam maghrébin, Paris, Gallimard, 1982 ; F. de Jong, « Cairene Ziyāra-Days :
A Contribution to the Study of Saint Veneration in Islam », WISL, vol. 17, n° 1/4, 1976-
1977, p. 26-43 ; C.S. Taylor, In the Vicinity of the Righteous : Ziyara and the Veneration
of Muslim Saints in Late Medieval Egypt, Leyde, Brill, 1999. Pour un aperçu du culte des
saints dans les diverses régions du monde musulman voir H. Chambert-Loir, C. Guillot,
dir., Le culte des saints dans le monde musulman, Paris, École française d’Extrême-Orient,
1995. On trouve une analyse intéressante des notions et des concepts liés à la ziyāra dans
J. W. Meri, The Cult of Saints among Muslims and Jews in Medieval Syria, Oxford, Univ.
Press, 2002. F. Skali étudie dans son travail les convenances de la visite des saints et les
implications anthropologiques de cette pratique en se référant à la Salwa (voir Topographie
spirituelle et sociale…, vol. II, p. 571-576).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 523
Le saint et la mort
La longue introduction de la Salwa dont nous nous proposons d’analyser
la partie concernant la visite des tombes des saints 2066 relève avant tout
d’un dessein didactique. La méticulosité avec laquelle al-Kattānī expose la
notion de sainteté et les caractéristiques de l’état post mortem témoigne de
la nécessité de justifier la vénération des saints. Si l’élément apologétique de
l’introduction est explicite, il est autant vrai qu’il s’agit également d’exposer
la doctrine soufie du rapport entre le mort, lorsqu’il s’agit d’un saint 2067,
et le monde des vivants, afin d’en souligner le fondement initiatique. Des
interrogations comme celle concernant la fonction du saint sont amplement
discutées. Est-elle limitée à la présence physique du saint ou bien le monde
des esprits peut-il agir sur les vivants ? Si le saint est vivant dans sa tombe,
comme l’affirme al-Kattānī, la frontière entre les deux mondes se dissout
sur le plan de l’esprit. Loin d’être des spéculations théologiques, ces
considérations permettent de justifier la visite des tombes et d’en mettre
en évidence le bénéfice et la finalité. Il s’agit aussi de l’affirmer comme
une pratique concernant l’ensemble de la communauté et non seulement
un cercle restreint d’initiés.
2066
Vol. I, p. 16-70.
2067
Voir à ce propos É. Geoffroy, « La mort du saint en Islam », RHR, n° 215/1, , 1999,
p. 17-34.
2068
M. Ibn al-Ḥājj, al-Madkhal, le Caire, al-Maktabat al-Tawfīqiyya, s.d., vol. I, p. 252.
524 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
« Il convient de ne pas délaisser l’habitude de la visite des saints, ceux par
la vision desquels Dieu vivifie les cœurs morts comme Il vivifie la terre
morte par les pluies abondantes et par lesquels Il épanouit les poitrines...
[...], car ceux-là se tiennent devant la porte du Généreux Donneur. Celui
qui les recherche ne saurait être privé, et celui qui s’assied avec eux, fait
leur connaissance et les aime ne saurait être déçu, car ils sont la porte
ouverte de Dieu pour Ses serviteurs 2069. »
Ce passage et d’autres cités par al-Kattānī soulignent que la visite des
saints morts est au même titre méritoire et justifiée que la visite des saints
vivants, car ce qui se transmet dans leur rencontre n’est pas du domaine
des corps. A ce propos, l’auteur cite Aḥmad Zarrūq :
« L’influence spirituelle (al-madad) du [saint] mort est plus forte que
celle du [saint] vivant, parce que le premier se trouve sur le tapis de la
proximité divine (bisāṭ al-ḥaqq) et parce que sa fréquentation intime est
exempte des ambitions et des difficultés habituelles liées à la familiarité.
Notre maître al-Ḥaḍramī (m. IXe/XVe siècle) disait : La générosité divine
envers les saints ne s’interrompt pas avec leur mort, au contraire, elle
peut augmenter comme cela est connu pour beaucoup d’entre eux 2070. »
Avec sa mort, la mission physique du saint est achevée, et, étant dégagé
de la charge que comporte la fréquentation des hommes et des affaires de
ce monde, il se trouve dans un état de contemplation essentielle. La visite
d’un mort ne peut procurer aucun avantage d’ordre mondain, et elle est
dépourvue des complications qui accompagnent les relations humaines.
Ceci dit, la visite des saints morts ne saurait se substituer à la fréquentation
d’un saint vivant, comme le précise al-Kattānī :
« Le compagnonnage et la visite du [saint] vivant sont plus bénéfiques
par rapport à l’imitation et à l’association [dans le cadre de l’éducation
spirituelle], à l’enseignement et au témoignage des œuvres, des actes, des
paroles et des états [du maître]. La visite du [saint] mort est plus convenable
(aslam) pour celui qui vise la [simple] bénédiction, dès lors que le visiteur
ne met en œuvre aucun moyen pour éprouver et pour tester [le saint] 2071. »
Dans les passages cités, la notion d’accès est également fondamentale.
Les saints, « portes » que Dieu ouvre pour ses serviteurs, sont des
intermédiaires permettant d’entrer dans cette vie terrestre dans un rapport
direct avec Dieu et d’être l’objet de Sa grâce. La tombe, gardienne des
vestiges terrestres du saint et de son souvenir, devient ainsi un passage du
2069
Salwa, vol. I, p. 17.
2070
Ibid., p. 29.
2071
Ibid.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 525
2072
Pour la signification de la tombe du saint comme lieu sacré, voir C. Mayeur-Jaouen,
« Tombeau, mosquée et zāwiya : la pluralité des lieux saints musulmans », Lieux sacrés,
lieux de culte, sanctuaires, A. Vauchez dir., Rome, Collection de l’École française de
Rome, 2000, p. 133-147.
2073
Salwa, vol. I, p. 23.
2074
Ibid., p. 24.
2075
Ibid.
2076
Voir Kanz, n° 12728.
2077
Salwa, vol. I, p. 24.
2078
Ibid.
526 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2079
Ibid.
2080
Voir Kanz, n° 21341.
2081
Al-‘Arabī al-Darqāwī dit à ce propos : « Celui qui désire s’exposer aux souffles de
Dieu, qu’il montre de la pudeur vis-à-vis de Dieu et qu’il ne s’écarte pas de la Sunna de
l’Envoyé. » (Majmū‘at al-rasā’il…, p. 404.)
2082
Voir Coran, XX : 9-14.
2083
Salwa, vol. I, p. 24.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 527
2084
Pour un aperçu sur l’aspect thérapeutique de la visite des saints en islam, voir
M.C. Inhorn, « Healing and medicine : Popular healing practices in Middle Eastern
cultures », ER2, vol. VI, p. 3834-3836.
2085
C’est le cas d’al-Darqāwī par exemple (voir Majmū‘at al-rasā’il…, p. 40-41).
2086
Maḥammad Ma‘an reçoit son investiture initiatique lors d’une visite du sanctuaire du saint.
2087
Voir Salwa, vol. I, p. 32-70. Voir aussi J.W. Meri, « The Etiquette of Devotion in the
Islamic Cult of Saints », The Cult of Saints in Late Antiquity and the Middle Ages : Essays
on the Contribution of Peter Brown, J. Howard-Johnston, P.A. Hayward, dir., Oxford, Univ.
Press, 1999, p. 263-286.
528 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
soit sur toi ô untel ! » […] et puis qu’il dise : « J’atteste qu’il n’y a de divinité
que Dieu seul sans associé et j’atteste que notre seigneur Muḥammad est Son
serviteur et Son envoyé, que les prières et les saluts divins soient sur lui et
sur les membres de sa famille ! » Lorsque le visiteur prononce l’attestation
de la foi, le saint s’assied dans sa tombe, s’occupe de l’affaire du visiteur et
répond à tout ce qu’il demande jusqu’à ce qu’il le quitte 2088. »
Ce passage montre l’importance de l’aspect rituel de la visite, puisque
c’est la prononciation de l’attestation de la foi qui rend possible la
« communication » avec la présence spirituelle du saint. L’ensemble de
la formule est identique à celle que l’on prononce dans la position assise
de la prière canonique, c’est à dire le tashahhud, dont l’origine remonte à
l’ascension céleste du Prophète, ce qui suggère que cet « entretien » entre
visiteur et saint se réalise dans le monde céleste et spirituel.
« Puis le visiteur », poursuit al-Kattānī, « récite du Coran ce qu’il lui est
aisé d’en réciter ou s’applique à d’autres actes de piété consistant en une
récitation comme la répétition de lā ilāh illā Allāh (« il n’y a de divinité
que Dieu »), de subḥān Allāh (« gloire à Dieu »), de la prière sur le
Prophète ou autre. Il doit ensuite dédier la récompense de ces récitations
au saint 2089. »
L’auteur précise que le fait de considérer cet acte de dédicace comme
une ṣadaqa, une aumône, relève d’un mauvais comportement (sū’ al-adab)
et contrevient aux convenances de la visite. Les dires des différents savants
qu’il cite visent tous à souligner que le visiteur doit être conscient du fait
que le profit de sa visite revient essentiellement à lui-même : S’il offre au
saint ses lectures coraniques ou d’autres actes pieux, ce n’est pas parce
que le saint en a besoin, mais parce que le visiteur lui-même a besoin de
l’intercession du saint. Dans cette perspective, les offrandes ne sont que le
moyen permettant au visiteur de réaliser une « transaction » (mu‘āmala) 2090
spirituelle et un échange avec le saint. Afin de démontrer la justesse de ses
propos, al-Kattānī rapporte diverses paroles prophétiques comme celle-ci :
« Lorsque l’un d’entre vous meurt, ne l’enfermez pas, mais empressez-vous
de le conduire à sa tombe ; récitez auprès de sa tête la sourate al-Fātiḥa
et auprès de ses pieds la fin de la sourate al-Baqara 2091. » 2092
2088
Salwa, vol. I, p. 32.
2089
Ibid., p. 32.
2090
Salwa, vol. I, p. 36. Ce terme est cité par al-Kattānī comme étant employé par un savant
et soufi égyptien, Muḥammad ‘Abd al-Ra’ūf al-Munāwī (m. 1031/1622).
2091
Voir Kanz, 42390.
2092
Salwa, vol. I, p. 33-34.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 529
2093
Ibid., p. 35.
2094
Ibid., p. 24.
2095
Voir M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints…, p. 104 et suiv.
2096
Voir Salwa, vol. I, p. 40.
530 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2097
Ibid., p. 37.
2098
« Huwa al-mazūr ‘ala al-ḥaqīqa » (voir Salwa, vol. I, p. 43).
2099
Voir ibid.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 531
Conclusion
Le lecteur aura remarqué que les Idrissides n’ont pas été évoqués.
Évidemment, il est problématique de vouloir analyser, d’après les catégories
établies dans ce chapitre, la pratique spirituelle qui caractériserait Idrīs II
et ses descendants en tant qu’acteurs de l’histoire de la sainteté. Nous ne
disposons que de peu de renseignements à ce sujet, et il semble que ces
derniers n’aient transmis aucun corpus rituel aux générations suivantes. Le
peu d’indices qui nous sont parvenus et que nous avons déjà évoqués dans
l’aperçu historique suggère une pratique qui ne diffère guère de celle des
saints comme Darrās Ibn Ismā‘īl et Abū Jīda. L’ascèse est mentionnée dans
l’énumération des vertus, tandis que la lecture coranique et la pratique de
la Sunna transparaissent dans l’invocation d’Idrīs II. Cet apparent manque
de connotation initiatique s’explique par le fait que l’idéal de sainteté
incarné par Idrīs se fonde, d’une part, sur son ascendance, d’autre part,
sur la propagation de la tradition musulmane orthodoxe. Autrement dit,
c’est la transmission de l’héritage prophétique, celui auquel fait allusion le
hadith fort connu : « Je vous ai laissé deux choses après lesquelles vous
ne vous égarerez plus, à savoir le Livre de Dieu et ma Sunna 2100. » Dans
ce contexte, il n’est nul besoin d’une pratique spécifiquement initiatique
qui se distinguerait de la conformité à la loi sacrée et au dogme.
La première chose qui apparaît clairement après cet aperçu sur la
pratique spirituelle de Fès, c’est qu’elle s’adapte aux divers contextes
historiques. De même que les modèles de sainteté, les moyens pour y
accéder et rendre sa transmission effective répondent aux exigences
dictées par les circonstances culturelles, politiques et intellectuelles. Si le
principe de la ṣuḥba reste toujours actif, les formes à travers lesquelles
elle se manifeste varient selon les époques. Implicite chez les ascètes du
Ve/Xe siècle, elle est mise au centre de la formation spirituelle dans un
ordre soufi comme la Darqāwiyya. Similairement, le dhikr ne se distingue
pas tellement des autres œuvres d’adoration chez les premières générations
de saints, mais il devient fondamental lorsque la tradition initiatique
s’émancipe des sciences religieuses. C’est seulement après al-Jazūli que
la prière sur le Prophète s’impose comme pratique par excellence du
saint et de l’aspirant à la sainteté. Au fur à mesure, certaines pratiques se
cristallisent alors au détriment des autres, et chaque courant ou ordre se
2100
Kanz, n° 875. Dans une autre variante, il s’agit de la descendance du Prophète (‘itra)
au lieu de sa Sunna (voir Kanz, n° 870).
532 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
distingue ainsi par un certain corpus rituel. Mais s’il existe des nuances
entre les diverses voies, la tradition fāsie dans son ensemble diffère-t-elle
de celles des autres lieux du monde musulman ? On conçoit aisément
que la ziyāra revête à Fès une importance particulière du fait que la ville
est dotée d’un nombre de tombes de saints assez exceptionnel. En outre,
les diverses pratiques associées à la figure prophétique, notamment la
taṣliya, semblent être particulièrement diffusées dans les cercles soufis. La
présence du chérifisme y est sans doute pour quelque chose, sans oublier
l’histoire même de Fès, ville des Idrissides et de ceux qui se considèrent
comme les héritiers du Prophète. Nous y reviendrons.
Remarquons simplement le rôle crucial des saints à cet égard. Si les
savants se présentent comme les gardiens de la loi et donc de l’ordre
traditionnel, les maîtres spirituels et les hommes de Dieu apparaissent
comme ceux qui assurent la vitalité de la vie religieuse et spirituelle.
Le cas de la ziyāra montre comment le soufisme s’attache à valoriser
spirituellement une pratique taxée de « populaire » et soupçonnée
d’hétérodoxie. Lorsque la ṣuḥba est mise en question à l’époque mérinide,
l’intervention d’Ibn ‘Abbād permet de trancher le débat et d’affirmer le
caractère orthodoxe de l’éducation initiatique. Un auteur comme al-Zabbādī
inscrit la ḥaḍra, pratique critiquée par les non-soufis, dans l’orthodoxie
en mettant en évidence sa finalité et en la différenciant nettement d’une
forme profane de « présence ». Les saints et leurs adeptes apparaissent
véritablement comme ceux qui assurent que l’aspect pratique de la
transmission initiatique est en phase avec les exigences de leur époque. En
mettant l’accent sur la taṣliya, al-Jazūlī associe définitivement la sainteté à
la vénération du Prophète, alors que la science dominait l’espace religieux.
Pour l’auteur du Dalā’il al-khayrāt, ce renouveau de la pratique répond à
la nécessité de vivifier la spiritualité de son époque.
Enfin, la pratique spirituelle constitue un héritage légué par les maîtres
aux générations ultérieures. Les litanies d’Ibn Mashīsh, d’al-Shādhilī, de
Zarrūq et des autres véhiculent et perpétuent un certain type de spiritualité
incarné par ces saints. Ils permettent une transmission à long terme, même
en dehors des filiations initiatiques. Le Ḥizb al-baḥr d’al-Shādhilī est aussi
récité dans les zāwiyas qui ne sont pas rattachées au saint, et le Dalā’il
al-khayrāt est lu en dehors des cercles soufis. C’est donc par l’institution
d’une pratique que le saint atteint un milieu plus large, car certains rituels
initiatiques finissent par imprégner la vie religieuse dans son ensemble. La
diffusion de la vénération du Prophète et des pratiques qui l’expriment est
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 533
2101
Voir Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat..., p. 134.
2102
Ibid.
2103
Kanz, n° 43078.
2104
Ibid., n° 19981.
534 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Sainteté et connaissance
Dans les chapitres précédents, nous nous sommes principalement
interrogés sur les modalités à travers lesquelles la sainteté se manifeste
et se transmet à Fès. Ici, il s’agit d’aborder son « contenu » : ce qui est
transmis dans les voies, exemplifié à travers les diverses facettes de la
sainteté et visé par les pratiques spirituelles, autrement dit cet « élément
constitutif de la walāya 2105 » qu’est la science spirituelle, la connaissance
(al-ma‘rifa) de Dieu. C’est donc étudier l’histoire de la sainteté en tant
qu’elle constitue et donne accès à une connaissance. Dans cette optique,
la tradition spirituelle de Fès est envisagée comme correspondant à la
transmission de la ma‘rifa dans ses diverses formes. Le saint est alors
avant tout un ‘ārif bi-Allāh, « connaissant de Dieu », à savoir « celui qui
reçoit dans son cœur ce que Dieu révèle de Lui-même 2106 ». La définition
d’al-Qādirī évoquée dans un chapitre précédent affirme cette même
corrélation entre le saint et le connaissant :
2105
Voir M. Chodkiewicz, « La sainteté et les saints en islam », Le Culte des saints dans
le monde musulman, p. 21.
2106
D. Gril, « Doctrine et croyances », Les Voies d’Allah : les ordres mystiques dans l’islam
des origines à aujourd’hui, p. 123.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 535
« Le ‘ārif c’est celui qui connaît par Dieu Ses noms et Ses attributs, étant
dans un état de contemplation perpétuelle et éteint dans l’unique Adoré ;
son signe est qu’il abandonne son âme au bon vouloir divin de façon à être
conforme à l’exigence de l’instant, de même que « l’eau prend la couleur
de son récipient 2107. » 2108 »
La connaissance à laquelle aspirent les soufis apparaît dans l’histoire de
Fès selon des formes variées. Elle peut se manifester comme dévoilement
de réalités transcendantes, comme contemplation, vision ou clairvoyance.
Enfin, il est nécessaire de faire la distinction entre la connaissance en tant
que fruit du cheminement initiatique et la connaissance des modalités de
ce cheminement. Al-Qādirī fait la différenciation classique entre le ‘ilm
al-ṭarīqa et le ‘ilm al-ḥaqīqa. La « science de la Voie » concerne « la
façon de retourner vers Dieu 2109 » et inclut la connaissance des moyens
qui permettent de se débarrasser des vices et d’acquérir les vertus, puis
de réaliser les états et les stations spirituelles. La « science de la Vérité
ou Réalité suprême » correspond « à la science par Dieu, par Ses noms,
Ses qualités et Ses attributs de perfection », autrement dit, c’est « la
contemplation de la Seigneurie divine (mushāhadat al-rubūbiyya) 2110 ».
Ces deux formes de connaissance spirituelle, métaphysique et initiatique,
font l’objet d’une littérature spécifique. Fès est donc un lieu où l’on reçoit
la connaissance mais aussi où on la consigne par écrit. C’est sur cette
dimension « cognitive » de la tradition spirituelle de Fès, dimension si
centrale dans la culture islamique 2111, que nous voulons attirer l’attention
dans ce chapitre.
2107
Il s’agit ici d’une allusion à la célèbre définition de la connaissance spirituelle
(al-ma‘rifa) par al-Junayd.
2108
Nuzhat al-nādī…, p. 97-98.
2109
Ibid., p. 100.
2110
Ibid.
2111
Voir F. Rosenthal, Knowledge Triumphant : The concept of knowledge in medieval
Islam, Leyde, Brill, 1970.
536 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2112
Traduit en français par I. de Vos (al-Ghazālī : les merveilles du cœur, Paris, Al Bouraq,
2010).
2113
Ma‘zā, p. 108.
2114
Voir à ce propos D. Gril, « Doctrine et croyances », op. cit., p. 122-124.
2115
Uns al-waḥīd wa nuzḥat al-murīd, p. 81.
2116
Voir W.C. Chittick, « Ibn ‘Arabī on the benefit of knowledge », The Essential Sophia,
S.H. Nasr, dir., Bloomington, World Wisdom, 2006, p. 126-143.
2117
Voir W.C. Chittick, The Sufi Path of Knowledge, New York, SUNY, 1989.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 537
2118
Allusion au Coran, XX : 114.
2119
Cité dans W.C. Chittick, « Ibn ‘Arabī on the benefit of knowledge », p. 127 (voir
al-Futūḥāt al-makkiyya fī ma‘rifat asrār al-malakiyya wa al-mālikiyya, le Caire, vol. II,
1329 hég./1911, p. 612-619).
2120
Pour la controverse entre les représentants du milieu soufi et ceux du milieu savant à
l’époque mérinide, voir V. Cornell, « Faqīh versus faqīr in Marinid Morocco : epistemological
dimensions of a polemic », Islamic Mysticism contested, Thirteen Centuries of Controversies
and Polemics, F. de Jong, B. Radtke, dir., Leyde, Brill, 1999, p. 207-224.
538 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
perpétue avec les ordres « populaires » et avec les buhāla. Dans tous
ces cas, la supériorité de la connaissance spirituelle est affirmée de toute
évidence, notamment depuis l’apparition de ‘Abd al-‘Azīz al-Dabbāgh.
Malgré son état d’ummī, ce dernier défie le savoir érudit des savants de Fès
avec ses réponses aux questions les plus difficiles. Les Kattānī, engagés
dans la revivification de la tradition savante de la ville, marquent une
dernière étape dans l’histoire du rapport entre la science formelle et la
connaissance spirituelle à Fès ; le ‘ilm se présente, grâce à l’herméneutique
akbarienne, comme un support de connaissance métaphysique.
L’histoire de Fès montre que la sainteté évolue entre ces deux pôles de
la connaissance acquise et inspirée 2121. La vocation savante et spirituelle
de la ville telle qu’elle apparaît dans l’invocation d’Idrīs II se traduit
effectivement par ce processus perpétuel d’affirmation de la nature
transcendante et supérieure de la ma‘rifa puis du retour à l’équilibre avec
la science formelle.
2121
Comme le montre É. Geoffroy, c’est une caractéristique du monde musulman en général
(voir « Le dévoilement intuitif (kashf) et l’inspiration (ilhâm) : enjeux et débats dans la
culture islamique médiévale », L’Inspiration : le souffle créateur dans les arts, littératures
et mystiques du Moyen Âge européen et proche-oriental, Paris, l’Harmattan, 2006, p. 85-90).
2122
Voir l’introduction de l’Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn.
2123
Al-Mustafād…, p. 48.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 539
2124
Ibid., p. 51.
2125
Voir al-Risālat al-Qushayriyya, p. 398-409.
2126
P. 43-44.
2127
P. 33.
2128
P. 75.
2129
Vol. I, p. 216.
540 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
de l’Algérie par les Français 2130. Les exemples sont nombreux. Ce qui nous
importe ici, c’est le fait que le dévoilement représente une des modalités
de la connaissance du saint. Le walī est celui qui a accès au caché et qui,
par une permission divine, le dévoile si cela apporte un profit. Cependant,
‘Abd al-‘Azīz al-Dabbāgh précise qu’il existe des nuances importantes en
ce qui concerne le dévoilement. Le kashf, explique-t-il, « est le plus faible
degré de la sainteté, car il se trouve chez les gens de la vérité et chez
ceux du faux, et son détenteur n’est assuré contre le danger d’être coupé
et de rejoindre les gens des ténèbres que lorsqu’il a traversé et dépassé sa
station 2131 ». Ce n’est qu’après la deuxième illumination ( fatḥ), celle qui
comporte la vision des saints et du Prophète, que l’aspirant a atteint la
sainteté. Al-Dabbāgh ajoute que pour le saint la connaissance des choses
cachées constitue des ténèbres par rapport à la vision de la lumière de
Dieu. Il descend vers ces connaissances seulement si c’est nécessaire.
Si le dévoilement, entendu comme une sorte de clairvoyance, est
donc, par rapport au saint, une forme de connaissance inférieure, c’est
la contemplation, al-mushāhada, qui en constitue la forme supérieure.
Al-Qādirī en définit trois sortes :
« La contemplation par le Vrai (bi-l-Ḥaqq), c’est le fait de voir les choses
à travers [ou : comme] les preuves de l’unicité divine, la contemplation
pour le Vrai (li-l-Ḥaqq) qui signifie la vision du Vrai dans les choses et
la contemplation du Vrai qui correspond à la réalité profonde (ḥaqīqa)
de la certitude 2132. »
La signification de la notion de mushāhada se précise à partir du
VI /XIIe siècle avec Abū Madyan et Ibn al-‘Arabī. Chez le premier, la
e
2130
Voir Salwa, vol. II, p. 217.
2131
Ibrīz, p. 431 (traduction, voir Z. Zouanat, Shaykh al-Dabbāgh : paroles d’or, p. 327).
2132
Nuzhat al-nādī…, p. 104.
2133
Uns al-waḥīd wa nuzḥat al-murīd, p. 85.
2134
Ibid., p. 79.
2135
Voir S. Ruspoli, Ibn ‘Arabī : le livre des contemplations divines, Paris, Sindbad,
1990. Pour l’édition du texte arabe, voir P. Beneito, C. Twinch, Muḥyīddīn Ibn ‘Arabī :
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 541
Contemplation of the Holy Mysteries and the Rising of the Divine Lights, Oxford, Anqa
Publishing, 2001. Voir également M. Chaouki Zine, Connaissance et dévoilement chez Ibn
‘Arabī, thèse de doctorat, Université de Provence, Aix-Marseille I, 2004.
2136
Voir C. Addas, Ibn ‘Arabī ou la quête du soufre rouge, p. 157-160.
2137
Voir ibid., p. 168.
2138
Ibid., p. 170.
2139
Voir ibid., p. 182-183.
2140
Voir ibid., p. 186-195.
2141
Voir à ce propos M. Valsan, « Le livre de l’extinction dans la contemplation du Cheikh
al-Akbar Muhyiu-d-dīn ibn ‘Arabī », Études traditionnelles, n° 363, Paris, Chacornac, 1961,
p. 26-36. Et pour une étude détaillée, voir W.C. Chittick, The Sufi Path…
2142
Ibrīz, p. 301 (traduction, voir Z. Zouanat, Shaykh al-Dabbāgh…, p. 269).
542 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2143
Voir D. Gril, « Doctrine et croyances » op. cit., p. 125-130 ; A.T. Karamustafa, Sufism :
The formative period, p. 83-113 ; D. Matringe, « La littérature soufie », Les Voies d’Allah…,
p. 173-184.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 543
2144
Qawā‘id al-taṣawwuf, p. 51 (n° 60).
2145
Voir al-Mustafād…, p. 15.
2146
Voir ibid., p. 105-111.
2147
Voir à ce propos É. Geoffroy, Le Soufisme…, p. 17-18.
2148
Voir K. Garden, al-Ghazzālī’s contested Revival : Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn and its critics in
Khorasan and the Maghrib, p. 146 et suiv. ; M. al-Mannūnī, « Iḥyā’ ‘ulūm al-dīn fī manẓūr
al-gharb al-islāmī ayyām al-Murābiṭīn wa al-Muwaḥḥidīn », Abū Ḥāmid al-Ghazālī fī fikrihi
wa ‘aṣrihi wa ta’thīrihi, Rabat, Manshūrāt Kulliyyat al-Ādāb wa al-‘Ulūm al-Insāniyya, 1988.
544 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2149
Tashawwuf, p. 214.
2150
Uns al-faqīr, p. 42.
2151
Voir p. ex. A. Zarrūq, al-Qaw‘āid…, p. 69-70 (n° 77).
2152
P. 134.
2153
Voir ibid.
2154
P. 452-494.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 545
(« la remise confiante en Dieu ») selon laquelle « il n’y a pas plus parfait
dans l’univers que ce qu’il y a ». Dans le même passage 2155, l’auteur met
en évidence le mérite de l’Iḥyā’ et la louange des oulémas à son égard. Il
évoque la vénération dont faisaient preuve Ibn Ḥirzihim et Abū Madyan
en notant que ce dernier fut le maître du Shaykh al-akbar, Ibn al-‘Arabī.
Ainsi l’auteur avait l’habitude de lire l’Iḥyā’ devant la Ka‘ba à la Mecque.
Après l’Iḥyā’, deux ouvrages jouent un rôle significatif. La Ri‘āya
li-ḥuqūq Allāh d’al-Muḥāsibī, ouvrage consacré à la connaissance de l’âme,
exerce une influence considérable dans les cercles soufis du Maroc, et Fès
ne fait pas exception. Al-Tamīmī écrit à propos d’Ibn Ḥirzihim : « Quant
à l’enseignement de la Ri‘āya [li-ḥuqūq Allāh] d’al-Muḥāsibī, personne
ne pouvait l’égaler dans le scrupule, le renoncement dans ce monde, la
rudesse de l’habillement, l’indulgence et la bonté du caractère 2156 ». En
effet, la Ri‘āya se distingue de l’Iḥyā’ par son style moins savant : c’est
plutôt un manuel d’introspection comparé à cette somme de la spiritualité
musulmane que représente l’œuvre d’al-Ghazālī. De même, il n’y a aucune
allusion au taṣawwuf. On comprend ainsi pourquoi cet ouvrage est la
lecture préférée des saints de tendance ascétique. La Ri‘āya marque ainsi
cette génération de zuhhād et des ‘ubbād qui constituent le passage de la
sainteté informelle vers le soufisme. Cela étant dit, nous trouvons encore
Ibn ‘Āshir de Salé comme un lecteur assidu de la Ri‘āya, alors que son
disciple Ibn ‘Abbād prend une autre orientation en considérant la faveur
divine plutôt que les défauts de l’âme. Contrairement à l’Iḥyā’, l’ouvrage
d’al-Muḥāsibī semble perdre progressivement sa popularité. Alors que
l’Iḥyā’ est évoqué 17 fois dans le Mir’āt al-maḥāsin, on ne trouve aucune
mention de la Ri‘āya.
Quant à al-Tamīmī, il s’appuie principalement sur la Risālat
al-Qushayriyya pour illustrer ses anecdotes et montrer l’analogie
entre l’expérience des saints fāsis et celle des saints orientaux. Recueil
biographique et thématique des paroles des saints orientaux, la Risāla,
connue comme « le bréviaire des soufis », accorde une importance
considérable à la terminologie. Ayant une vocation purement initiatique,
le traité d’al-Qushayrī est certainement l’ouvrage le plus soufi parmi ceux
mentionnés jusqu’ici. C’est pourquoi il est sujet à des réserves. Lorsqu’al-
Tamīmī demande à Abū Madyan de lui expliquer un passage, le maître
2155
P. 462.
2156
Al-Mustafād…, p. 15.
546 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2157
« L’amour de ce monde est le principe de toute erreur. » (Kanz, n° 6114.)
2158
Al-Mustafād…, p. 42.
2159
Cela étant dit, il est connu qu’Abū Madyan accorde une importance considérable à
la Risāla.
2160
Voir M. Chodkiewicz, « Mi‘rāj al-kalima : de la Risāla Qushayriyya aux Futūḥāt
Makkiyya », Reason and Inspiration in Islam : Theology, Philosophy and Mysticism in
Islamic Thought, T. Lawson, dir., New York, I.B. Tauris, 2005, p. 248-261.
2161
Dans la zāwiya al-Fāsiyya, par exemple, on récite le matin une litanie provenant du
Qūt (voir Mir’āt, p. 179).
2162
Al-Jāmi‘ al-Qarawiyyīn : al-masjid wa al-jāmi‘at madīnat Fās, Beyrouth, Dār al-Kitāb
al-Lubnānī, 1972-1973, vol. I, p. 129.
2163
Voir P. Nwyia, Ibn ‘Aṭā’ Allāh et la naissance de la confrérie šāḏilite, 2e éd., Beyrouth,
Dār al-Machreq, 1990 ; Y.W. Schwein, Illuminated arrival in the Ḥikam al-‘Aṭā’iyyah and
three major commentaries.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 547
2164
Voir Ibn ‘Aṭā’ Allāh..., p. 3.
2165
Voir ‘A. al-Tāzī, al-Jāmi‘ al-Qarawiyyīn..., vol. II, p. 426.
2166
Voir P. Nwyia, Ibn ‘Aṭā’ Allāh..., p. 4.
2167
P. 134.
2168
Voir Salwa, vol. I, p. 142.
2169
Voir ibid., p. 171.
2170
Il s’agit de l’Īqāẓ al-himām fī sharḥ al-Hikam, ouvrage qui a été édité de nombreuses
fois (voir p. ex. Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2005).
2171
Voir Salwa, vol. I, 375.
548 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2172
Voir notre chapitre « Les voies de la transmission de Fès, filiations et ordres initiatiques ».
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 549
2173
Voir ‘A. al-Tāzī, al-Jāmi‘ al-Qarawiyyīn..., vol. II, p. 426.
2174
Voir Al-‘Arabī al-Darqāwī, Majmū‘at al-rasā’il…, p. 55.
2175
Il existe plusieurs éditions de cet ouvrage (voir p. ex. le Caire, al-Sa‘āda, 1970 ; le
Caire, Markaz al-Ahrām li-l-Tarjama wa al-Nashr, 1988).
2176
Voir K. Honerkamp, Lettres de Direction Spirituelle, Collection Majeure : al-Rasā’il
al-Kubrā ; P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda : Lettres de Direction Spirituelle (al-Rasā’il
al-ṣughrā), Beyrouth, Dar El-Mashreq, 1974 ; J. Renard, Ibn ‘Abbād of Ronda : Letters on
the Sūfī Path, New York, Paulist Press, 1986.
2177
Cité dans K. Honerkamp, « Ibn ‘Abbād, modèle de la Shādhiliyya », Une Voie soufie
dans le monde : la Shādhiliyya, p. 161.
2178
P. 134.
2179
Voir J.L. Michon, L’Autobiographie du Soufi marocain Ahmad Ibn ‘Ajība, 2e éd., Milan,
Arché, 1982, p. 63.
550 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2180
Qawā‘id…, p. 21.
2181
Voir S. Kugle, Rebel between Spirit and Law : Ahmad Zarruq, Sainthood, and Authority
in Islam, Bloomington, Indiana Univ. Press, 2006, p. 135-136.
2182
Al-Minaḥ al-qudusiyya fī sharḥ al-Murshīd al-mu‘īn bi-ṭarīq al-ṣūfiyya, 2 e éd.,
Mostaganem, al-Maṭba‘at al-‘Alāwiyya, 1998.
2183
Rabat, Wazārat al-Awqāf wa al-Shu’ūn al-Islāmiyya, 2009. Pour l’histoire de cet
ouvrage, voir l’introduction, p. 16.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 551
2184
Al-Ilmām wa al-I‘lām bi-nafthat min buḥūr ‘ilm mā jaḍammanathu ṣalāt al-quṭb
Mawlānā ‘Abd al-Salām, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2010, p. 71.
2185
Voir ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya…, p. 72.
2186
A. Ibn al-Mubārak al-Lamāṭī, Kitāb al-ibrīz min kalām sayyidī ‘Abd al-‘Azīz, Beyrouth,
Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 1998.
2187
A. Ḥarāzim Barādah, Jawāhir al-ma‘ānī wa bulūgh al-āmānī fī fayḍ sayyidī Abī al-
‘Abbās al-Tijānī, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 1997.
552 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Conclusion
Dans l’histoire de Fès, sainteté et connaissance apparaissent comme
étant intrinsèquement liées. Grâce à la présence des saints, ces dépositaires
d’une science inspirée et non humaine, la ville apparaît comme un lieu
de dévoilements, de visions et de contemplation, donc comme un lieu
de spiritualité privilégié. « Héritage direct de la Révélation et de la
prophétie 2195 », les diverses formes de ma‘rifa reçues et transmises par
2188
M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints : prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn
‘Arabī, p. 112, note 1.
2189
Un Océan sans rivage : Ibn ‘Arabī, le Livre et la Loi, p. 30.
2190
Naṣīḥat al-murīd fī ṭarīq ahl al-sulūk wa al-tajrīd, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya,
2005.
2191
Voir T. Burckhardt, Lettres d’un maître soufi, Milan, Arché, 1978 ; M. Chabry,
J. Gonzales, Lettres sur la Voie spirituelle : Al-Rasā’il, Saint-Gaudens, La Caravane, 2003 ;
T. Chouiref, Lettres sur le Prophète et autres lettres sur la Voie spirituelle, Wattrelos,
Tasnīm, 2010.
2192
Pour la liste des ouvrages édités, voir l’annexe du Khabī’at al-kawn d’Abū al-Fayḍ
Muḥammad b. ‘Abd al-Kabīr al-Kattānī (Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, p. 495-502).
2193
2 vol., sans éd., 2004.
2194
Sans éd., 2003.
2195
Voir D. Gril, « Doctrine et croyances », op. cit., p. 122.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 553
les hommes de Dieu inscrivent Fès dans la continuité des villes saintes
de l’islam, la Mecque et Médine, ces lieux sanctifiés par la Révélation
coranique et la mission prophétique. La connaissance du saint révèle donc
la réalité spirituelle de la ville et affirme ainsi la vocation de Fès à être
un centre spirituel et une cité sacrée.
La connaissance des saints oscille, dans ce centre des sciences
religieuses qu’est Fès, entre les deux pôles de l’inspiration et de l’érudition.
Les représentants de la walāya affirment un aspect plus qu’un autre en
fonction des circonstances sociopolitiques, culturelles et religieuses. Il s’agit
de mettre en avant soit l’aspect formel, normatif et humain de l’héritage
prophétique soit sa réalité inspirée, contemplative et transcendante. C’est
en cela que réside véritablement l’enjeu de cette relation complexe entre
la science exotérique et la science ésotérique.
Fès apparaît aussi dans les sources comme un centre de la littérature
spirituelle. C’est un lieu marqué par l’empreinte des grandes œuvres
de la spiritualité musulmane. Si l’on voulait tenter une schématisation
historique, on pourrait distinguer trois périodes principales : la première
marquée par l’Iḥyā’ d’al-Ghazālī et cette recherche de symbiose entre les
sciences religieuses et la science intérieure ; la deuxième caractérisée par
l’harmonisation entre la loi sacrée et la voie initiatique, entre le ‘ilm et le
jadhb, et imprégnée par les ḥikam et les ouvrages shādhilites ; la troisième,
portant la marque de l’œuvre akbarienne, notamment sa prophétologie,
influence qui transparaît d’une manière ou d’une autre depuis al-Jazūlī
jusqu’aux Kattānī. Mais surtout, Fès inspire l’écriture, qu’il s’agisse des
commentaires des ouvrages classiques, des prières prophétiques, des livres
traitant de la connaissance initiatique et métaphysique ou des écrits propres
aux ṭuruq, les ouvrages composés à Fès occupent une place importante
dans la littérature spirituelle de l’islam. Ces livres représentent des traces
écrites et sont eux aussi des témoins de la vocation spirituelle dont se
réclame la ville idrisside depuis sa fondation. Ils alimentent, réinterprètent
et renouvellent sa tradition spirituelle et contribuent de ce fait à la
continuité de la sainteté. Remarquons pour conclure que ce rôle crucial de
la connaissance procède de la réalité profonde de l’héritage prophétique.
Chapitre 2
La ville et les saints
2196
Le terme aṣlan désigne l’origine familiale ou tribale d’un personnage.
556 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2197
A ce propos, voir M. Ibn al-‘Arabī, Le Dévoilement des effets du voyage.
2198
Voir ‘U. al-Suhrawardī, ‘Awārif al-ma‘ārif, vol. I, le Caire, Maktabat al-Thaqāfat al-
Dīniyya, 2006, p. 140-141.
2199
On peut se demander comment considérer le pèlerinage du fait qu’il implique la
fréquentation des soufis et des savants et comporte souvent un séjour plus ou moins long
en Égypte ou en Syrie. S’agit-il d’un séjour de formation, et faut-il donc compter les
saints qui l’ont accompli parmi ceux qui se sont formés à l’étranger ? Nous avons décidé
d’inclure dans cette catégorie seulement ceux pour lesquels le pèlerinage comporte un
nouveau rattachement initiatique.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 557
pas une partie de leur formation à un séjour à l’étranger, ce qui est assez
étonnant si l’on considère l’importance et la renommée que la ville acquiert
progressivement. A l’époque mérinide, elle est la capitale intellectuelle du
Maroc et l’un des centres majeurs de l’Occident musulman. Néanmoins,
aucun représentant majeur de la sainteté n’est fāsī mawlid an wa dāran
wa wafātan. Jusqu’à Ibn ‘Abbād, qui est d’origine andalouse, les maîtres
célèbres ne se trouvent pas dans la capitale mérinide. Abū Muḥammad
Ṣāliḥ est à Safi, Ibn Mashīsh et al-Shādhilī sont du Rif, Abū al-‘Abbās
al-Sabtī est à Marrakech et Ibn ‘Āshir à Salé. Quant aux Fāsī, famille
soufie d’origine andalouse qui s’établit à Ksar El Kabīr, le premier membre
né à Fès dont fait état l’hagiographie est Muḥammad al-‘Arabī al-Fāsī 2200
(m. 1052/1642), l’auteur du Mir’āt al-maḥāsin. Mais ce dernier décède à
Tétouan après avoir quitté la ville avec son frère Aḥmad al-Fāsī à cause de
l’affaire de Larache. En outre, bien que la famille Fāsī fonde la première
tradition initiatique spécifiquement fāsie, elle garde un lien fort avec son
premier lieu de séjour, peut-être à cause des activités commerciales que
certains de ses membres continuent d’y poursuivre.
Néanmoins, après la fondation de la zāwiya, le nombre des saints qui
ne quittent pas Fès semble augmenter. Les fils de ‘Abd al-Qādir al-Fāsī,
l’auteur de l’Uqnūm ‘Abd al-Raḥmān 2201 (m. 1096/1685) et Maḥammad 2202
(m. 1116/1704), eux-mêmes d’éminentes personnalités du milieu savant
et soufi, sont nés à Fès. Bien qu’ils ne doivent leur formation qu’à leur
ville natale, ils sont connus pour avoir maîtrisé l’ensemble des sciences
religieuses de leur temps. Au lieu de partir pour visiter les savants de
leur époque 2203, ce sont ces derniers qui viennent les voir à Fès. La
perpétuation de la filiation de ‘Abd al-Raḥmān al-Fāsī semble avoir un
effet similaire. Si les Ma‘an n’appartiennent pas aux vieilles familles de
Fès 2204, ils comptent pourtant parmi le nombre restreint de saints qui y sont
nés, y ont été formés et enterrés. De même al-Khaṣṣāṣī, dont la famille
est d’origine andalouse 2205, est né à Fès et ne semble pas quitter la ville.
2200
Voir Mir’āt, p. 330-331.
2201
Voir Salwa, vol. I, p. 357-358.
2202
Voir ibid., p. 359-361.
2203
Cela étant dit, Maḥammad b. ‘Abd al-Qādir al-Fāsī reçoit des ijāza pendant son
pèlerinage (voir ibid., p. 360).
2204
Ils ne font pas partie des familles recensées par ‘Abd al-Raḥmān b. ‘Abd al-Qādir al-
Fāsī dans son Dhikr ba‘ḍ mashāhīr Ahl Fās fī al-qadīm (Fès, s. éd., 2007).
2205
Voir Salwa, vol. II, p. 319.
558 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2206
Voir le chapitre de H. Ferhat concernant les « Soufis maghrébins en Orient » (Le
Soufisme et les Zaouyas au Maghreb : mérite individuel et patrimoine sacré, p. 87-92).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 559
2207
Voir al-Mustafād…, p. 189.
2208
Voir Salwa, vol. I, p. 119.
2209
Al-Riḥlat al-sāmiya ilā al-Iskandariyyat wa Miṣr wa al-Ḥijāz wa al-bilād al-shāmiyya,
Beyrouth, Dar Ibn Ḥazm, 2005.
2210
Ibid., p. 107.
560 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2211
Voir É. Geoffroy, « La voie du blâme : une modalité majeure de la sainteté en islam,
d’après l’exemple du cheikh ‘Alī Ibn Maymūn al-Fāsī (m. 917/1511) », Saint et sainteté
dans le christianisme et l’islam…, p. 139-149.
2212
Majmū‘at al-rasā’il Mawlāy al-‘Arabī al-Darqāwī al-Ḥasanī, Abu Dhabi, al-Mujamma‘
al-Thaqāfī, 1999, p. 166, p. 192.
2213
Voir S.R. O’Fahey, Enigmatic Saint, Ahmad Ibn Idrīs and the Idrisi Tradition, Londres,
C. Hurst and Co., 1990, p. 33-50.
2214
M. Gaborieau, N. Grandin, « Le renouveau confrérique », Les Voies d’Allah, les ordres
mystiques dans l’islam des origines à aujourd’hui, p. 73. Voir aussi à ce propos B. Radtke,
« Sufism in the 18th century », WISL, n° 63, p. 326-364..
2215
Signalons au passage que son disciple Muḥammad b. ‘Alī al-Sanūsī (m. 1275/1859)
est né à Mostaganem en Algérie et a lui aussi étudié à Fès. Il s’installe ensuite en Libye
où il fonde l’ordre qui porte son nom. Voir J.L. Triaud, « La Libye », Les Voies d’Allah…,
p. 409-412 ; K.S. Vikor, Sufi and Scholar on the desert Edge : Muḥammad b. ‘Alī al-Sanūsī
and his brotherhood, Londres, Northwestern Univ. Press, 1995.
2216
Voir Kubrā, p. 180-207 ; S. Makhlouf, « The Legacy of Shaykh Muhammad al-Fāsī
al-Shādhilī in the spiritual Journey of al-Amīr ‘Abd al-Qādir al-Jazā’irī», Une voie soufie
dans le monde : la Shādhiliyya, p. 271-283. Voir aussi I. Weismann, « The Shādhiliyya-
Darqāwiyya in the Arab East », idem, p. 259-260.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 561
2217
Ibn ‘Arabī et le voyage sans retour, Paris, Seuil, 1996, p. 68.
562 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2218
J.L. Michon, Le Soufi marocain Aḥmad Ibn ʻAjība et son Miʻrāj, p. 38.
564 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2219
Voir L. Būshantūf, « Ṣūrat ‘ālim min qarn 9h/16m Riḍwān al-Janwī min khilāl : Tuḥfat
al-ikhwān wa mawāhib al-imtinān fī sayyidī Riḍwān », Des Repères dans l’histoire culturelle
et religieuse du Maroc, p. 53.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 565
2220
Cité dans P. Nwyia, Ibn ‘Abbād de Ronda..., p. 48-49.
2221
Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 91.
2222
Voir Mir’āt, p. 152.
566 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
de Fès comme une allusion au fait qu’il doit rester dans la ville. ‘Abd
al-Qādir devient effectivement un des saints les plus représentatifs de la
tradition savante et spirituelle de Fès. Après une période de pérégrination
Aḥmad al-Yamanī arrive du Soudan à Fès. Il est d’abord accueilli par un
homme généreux, et lorsque les gens se rendent compte de sa sainteté,
Aḥmad Ma‘an décide d’aller le voir. Ayant compris qu’il s’agit de celui
que son maître décédé al-Khaṣṣāṣī lui avait annoncé comme l’homme
qui devait achever sa formation initiatique, il l’installe chez lui. Il semble
qu’al-Yamanī, auquel on attribue un rattachement à la Qādiriyya, vient à
Fès pour transmettre et apporter un héritage spirituel dont il a été investi
ailleurs. La différence entre celui qui vient pour apprendre et celui qui
vient pour transmettre est particulièrement visible chez al-Yamanī lorsqu’il
déclare : « Je ne suis l’objet d’aucun don (minna) de la part d’un saint du
Maroc en dehors du cheikh Ibn ‘Abbād qui s’est acquitté d’une affaire
pour moi 2223 », autrement dit, il doit sa formation aux saints d’ailleurs, et
il n’est venu qu’en tant que maître. Aḥmad al-Tijānī bâtit sa zāwiya à Fès
sur l’ordre du Prophète. Il connaît bien la ville idrisside et affirme avoir
un lien particulier avec son fondateur. Dans un premier temps, il était
venu à Fès pour étudier et pour rencontrer des maîtres du soufisme. La
ville constituait pour lui une des étapes de son parcours initiatique. Mais,
après s’être rattaché aux plus grands maîtres de son temps et après avoir
reçu du Prophète l’ordre de fonder sa propre voie, il revient et cette fois-ci
pour y rester. Il est difficile de déterminer le lien entre ces deux séjours.
En tout cas, l’installation d’al-Tijānī se présente comme providentielle,
et son sanctuaire affirme effectivement la vocation de Fès à être un des
centres spirituels du monde islamique.
Dans certains cas, on ignore pourquoi les saints s’établissent à Fès,
notamment les ascètes des époques almoravide et almohade. Abū al-‘Abbās
Aḥmad al-Khashshāb (auteur dont les dates sont inconnues) est d’origine
andalouse et s’établit à Fès après une période d’intense pérégrination 2224.
Muḥammad b. Ya‘lā al-Tāwdī (m. 580/1184), compagnon d’Ibn Ḥirzihim
puis d’Abū Madyan, est originaire de la région entre le Sahara et le Soudan
et vient lui aussi s’installer à Fès 2225. Aucun indice ne permet d’affirmer
le motif de leur choix. Aḥmad al-Shāwī 2226 vient à Fès lorsqu’il a à peine
2223
Salwa, vol. II, p. 378.
2224
Voir Al-Mustafād…, p. 48.
2225
Voir Salwa, vol. III, 136.
2226
Voir ibid., vol. I, p. 309-310.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 567
Conclusion
Grâce à l’analyse de l’hagiographie et de l’histoire de Fès, il est possible
d’élucider certains aspects de la relation des saints avec la ville. D’après
les parcours analysés plus haut, elle apparaît comme un creuset alchimique
où, à différents stades de la transmutation, l’homme ou le savant ordinaire,
parce qu’ils y sont prédestinés et prédisposés, passent de manière initiale,
médiane ou finale à la condition de saint et contribuent ainsi à attirer vers
elle d’autres candidats à la sainteté. Pour certains hommes de Dieu, Fès
est un centre de formation à la fois savant et initiatique mais aussi un
lieu d’inspiration et d’expérience spirituelle. C’est notamment le cas de
ceux dont le rayonnement dépasse un cadre local. Pour des personnages
2227
Voir ibid., vol. II, p. 63.
568 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2228
D’après l’anthropologie, le saint organise effectivement l’espace en l’investissant de
son souvenir. Voir A. Moussaoui, Espace et sacré au Sahara : ksour et oasis du Sud-ouest
algérien », p. 101.
2229
É. Geoffroy, « L’empreinte de la sainteté », Damas, Miroir brisé d’un Orient arabe,
A.M. Bianquis, dir. ; Autrement, H.S., n° 65, janvier 1993, p. 166-174.
2230
Voir M. Eliade, Le Sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1965, p. 22. Pour une analyse
de la notion de homo religiosus, voir B.S. Rennie, Reconstructing Eliade : Making Sense
of Religion, New York, SUNY, 1996, p. 41-46.
2231
Pour la notion de sacré en islam, voir J. Chelhod, Les Structures du sacré chez
les Arabes, Paris, Maisonneuve et Larose, 1964 ; L. Gardet, « Notion et sens du sacré
en Islam », Le Sacré, études et recherches, Actes du Colloque de Rome, E. Castelli,
dir., Paris, Aubin-Montagne, 1974, p. 317-331 ; J. Ries, Les Chemins du sacré dans
l’histoire, Paris, Aubier, 1985, p. 193-210 ; A. Schimmel, Deciphering the Signs of God :
A Phenomenological Approach to Islam, Albany, SUNY, 1994.
2232
Voir S. Akkach, Cosmology and Architecture in Premodern Islam, New York, SUNY,
2005, p. 164-168.
2233
Voir Kanz, n° 31901 : « La terre [entière] m’a été rendue un lieu de prosternation et
un moyen de purification. »
2234
Voir C. Jambet, « Pour une esthétique de l’espace en islam », Lieux d’islam : cultes
et cultures de l’Afrique à Java, M.A. Amir-Moezzi, dir., Paris, éditions Autrement, 1996,
p. 14-21.
2235
Comme l’explique D. Gril : « Si l’on définit le sacré par ce qui porte la trace du divin
par opposition au monde ordinaire ou profane, le sacré en islam prend avant tout sa source
dans la Révélation, réalité transcendante descendue, selon le Coran, sur le cœur du Prophète.
Récepteur et transmetteur de la parole sacrée et sacralisante, le Prophète est donc le premier
à participer à l’institution du sacré. » (« Le corps du Prophète », REMMM, n° 113-114,
2006, p. 38.) Pour ce qui concerne un lieu comme la Mecque dont la sacralité a priori
ne remonte pas au Prophète Muḥammad mais à Abraham et à Ismaël, on peut remarquer
qu’il s’agit néanmoins toujours de prophètes à travers lesquels Dieu sanctifie un lieu. De
570 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
1. La Qarawiyyīn
Les saints et les cercles soufis ont une relation ambiguë avec la
Qarawiyyīn 2240. Ils la vénèrent en tant qu’institution mais se heurtent, dans
certains cas, à son personnel. La relation des saints avec la Qarawiyyīn
reflète le rapport entre la sainteté et la science religieuse : héritage des
prophètes 2241, le ‘ilm est en soi un élément constitutif de la walāya, mais
il peut se heurter à elle à cause du formalisme de ceux qui en sont les
gardiens. Malgré le milieu auquel elle peut être associée, la Qarawiyyīn
est avant tout un véritable sanctuaire de la science dans son acception la
plus ample, et c’est en tant que telle qu’elle est vénérée par les saints. Ils
s’y retirent pour s’adonner à la lecture du Coran, à la méditation, à l’étude
et à la prière. Ainsi, al-Mahdawī (m. 595/1199) n’a jamais manqué une
prière canonique dans la Qarawiyyīn à l’exception d’une seule fois 2242, et
Ibn ‘Āshir s’y retire pour se consacrer à la lecture de l’Iḥyā’ 2243. Ibn ‘Abbād
incarne toute la complexité du rapport entre la sainteté et la Qarawiyyīn.
Comme beaucoup de ses contemporains il vient dans la capitale mérinide
pour étudier, mais au cours de cette première rencontre, le milieu de la
Qarawiyyīn lui semble défavorable à une démarche spirituelle. Cela ne
l’empêche pas de revenir quelques années plus tard et de finir par occuper
le poste du prêcheur principal à la prestigieuse mosquée. De surcroît, Ibn
‘Abbād devient le modèle du saint qui réussit à harmoniser le soufisme avec
une fonction à la Qarawiyyīn. Il n’est donc pas étonnant que le lieu porte
son souvenir. Il est rapporté 2244 qu’il aurait inscrit sur une colonne : « Au
nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Miséricordieux, que Dieu prie sur
notre seigneur Muḥammad et sa famille. » L’inscription est connue comme
ta‘āwīdh Ibn ‘Abbād, et on lui attribue la vertu de protéger du mauvais
œil. La mosquée abrite aussi une chaire qui porte le nom du saint, le kursī
Ibn ‘Abbād 2245. En somme, comme le remarque l’historien marocain ‘Abd
2240
Une source précieuse pour l’étude du rapport entre les saints et la mosquée principale
de Fès est l’ouvrage de ‘Abd al-Ḥādī al-Tāzī (Al-Jāmi‘ al-Qarawiyyīn : al-masjid wa al-
jāmi‘at madīnat Fās, Beyrouth, Dār al-Kitāb al-Lubnānī, 1972-1973, 3 vol.).
2241
« Certes, les savants sont les héritiers des prophètes. Certes, les prophètes ne donnent
en héritage aucun dinar ou dirham ; ils ne donnent en héritage que la science ; celui qui la
prend se saisit d’un profit abondant. » (Kanz, n° 28746.)
2242
Voir ‘A. al-Tāzī, Al-Jāmi‘ al-Qarawiyyīn…, vol. I, p. 175.
2243
Voir ibid., vol. II, p. 492.
2244
Voir ibid., p. 321.
2245
Voir ibid., vol. I, p. 378.
572 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2246
Ibid.
2247
Voir Al-Mustafād…, p. 114.
2248
Voir ibid., p. 189-199.
2249
Voir Salwa, vol. I, p. 133.
2250
Voir ibid., p. 105.
2251
Voir N. al-Dhahabī, Al-Zāwiyat al-Fāsiyya : al-Taṭawwur wa al-adwār ḥattā nihāyat
al-‘ahd al-‘alawī al-awwal, Casablanca, Maṭba‘at al-Najāḥ al-Jadīda, 2001, p. 180.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 573
2252
Voir ‘A. al-Tāzī, Al-Jāmi‘ al-Qarawiyyīn…, vol. I, p. 94-95.
2253
Salwa, vol. I, p. 409.
2254
Voir Salwa, vol. I, p. 404.
2255
Kanz, n° 32890.
2256
Voir C. Mayeur-Jaouen, « Tombeau, mosquée et zāwiya : la pluralité des lieux saints
musulmans », Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires, p. 133-147.
2257
Voir L. Patrizi, « Impronte, ritratti e reliquie di profeti nell’Islām », Sacre impronte
e oggetti «non fatti da mano d’uomo» nelle religioni, Atti del Convegno Internazionale
Torino 18-20 maggio 2010, A. M. Castagno, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2011, p. 81-94.
2258
Voir D. Gril, « Le corps du Prophète », op. cit., p. 38.
2259
La Burda en parle en ces termes : « Il n’y a pas de parfum qui vaille la poussière qui
couvre ses membres : heureux celui qui en respire l’odeur et l’embrasse ! » R. Basset ajoute
à la traduction de ce vers les remarques suivantes : « D’après El Azhari, Dieu a interdit à
la terre de détruire les corps des prophètes. La poussière ne fait que les recouvrir et prend
leur parfum de sainteté. Ce dernier phénomène est expliqué de la manière suivante par El
Bādjouri : « Le tombeau est la première des stations de l’autre vie, soit (pour le juste) une
des portes du Paradis, soit (pour le méchant) une des fosses de l’enfer. » Il établit que le
tombeau d’un prophète ne peut être que l’un des premiers. Il est naturel, en conséquence,
574 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
qu’il répande un parfum délicieux. » (La Bordah du Cheikh El Bouṣiri, Poème en l’honneur
de Moḥammed, Paris, Leroux, 1894, p. 46-47.)
2260
Voir Kanz, n° 34835.
2261
Voir ibid., n° 1885.
2262
Rappelons que pour al-Kattānī « en vérité, c’est le Prophète que l’on visite » quand on
accomplit la ziyāra de la tombe du saint (voir Salwa, vol. I, p. 43).
2263
Voir notre « Sainteté et pratique initiatique ».
2264
Voir G. Salmon, « Le culte de Moulay Idrīs et la mosquée des chorfa à Fès », op. cit.,
p. 413-429 ; F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. II, p. 540-549.
2265
Voir H.L. Beck, L’Image d’Idrīs II, ses descendants de Fās et la politique sharīfienne
des sultans marīnides, p. 233 et suiv. ; A. Sebti, op. cit., p. 83-91.
2266
Voir M. Kably, Société, pouvoir et religion au Maroc à la fin du Moyen Âge, p. 324.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 575
2267
Voir infra.
2268
Voir aussi G. Salmon, « Le culte de Moulay Idrīs et la mosquée des chorfa à Fès »,
op. cit., p. 425-427.
2269
Il s’agit d’Aḥmad b. Mūsā al-Murābī al-Andalūsī (m. 1034/1624-25), biographe de
Riḍwān al-Janwī et disciple d’Abū al-Maḥāsin.
2270
Salwa, vol. I, p. 105.
2271
Ibid., p. 401.
2272
Rawḍ al-‘aṭir, p. 140.
2273
Voir Salwa, vol. II, p. 221.
576 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2274
Ibid., vol. I, p. 82.
2275
Voir Azhār, p. 256-271.
2276
Dans l’acception que M. Eliade (voir Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963) donne
à ce terme, le mythe raconte l’histoire de « l’irruption du sacré dans le monde ». Du fait
que dans les sociétés traditionnelles tout acte et événement fondateur revêtent un caractère
sacré, il est possible de considérer la fondation de Fès comme fait « mythique » dans le
sens eladien.
2277
A. Sebti, op. cit., p. 90.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 577
2278
Salwa, vol. I, p. 152.
2279
Voir vol. I, p. 152-153.
2280
Ibid., p. 152.
2281
Voir ‘A. al-Tāzī, Al-Jāmi‘ al-Qarawiyyīn..., vol. II, p. 332-333.
2282
Voir Salwa, vol. I, p. 242.
2283
Voir « Sidi Bou Medyan et son maître Ed-Daqqāq à Fès », Mélanges René Basset, Paris,
Publications de l’Institut des Hautes-Études Marocaines, 1923, vol. I, p. 31.
578 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
une khalwa d’Abū Madyan 2284, consistant en une petite cellule dans une
mosquée aujourd’hui en ruine. Quant à la khalwa d’Abū Shitā’, on ignore
s’il s’y est retiré ou si quelqu’un l’a vu en rêve dans ce lieu. En tout cas,
certains représentants de la tradition spirituelle affirment la valeur de cet
endroit. Le fils d’Ibn Zikrī, par exemple, a l’habitude de s’y adonner aux
actes d’adoration 2285.
En effet, ces saints – al-Jīlanī, Abū Madyan et Abū Shitā’ – ne sont pas
enterrés à Fès. Ces khalwa marquent-elles alors physiquement le souvenir
de leur présence en remplaçant leur tombe ? Cela semble une explication
plausible. En outre, nous savons grâce aux sources hagiographiques que de
nombreux saints avaient leur propre retraite spirituelle avant d’exercer la
fonction de maître spirituel, mais le souvenir de l’endroit s’est perdu. C’est
la zāwiya, lieu du magistère initiatique, puis le sanctuaire qui ont pris la
place de la khalwa comme trace du saint dans la topographie de la ville.
4. Les zāwiyas
La vocation de Fès à être un centre spirituel se traduit entre autres par
le nombre considérable des zāwiyas. Lieu de l’initiation au soufisme, de
l’enseignement et de la pratique spirituelle, de la rencontre avec le Shaykh,
la zāwiya 2286 est à l’origine un « coin », voire une partie d’une maison où
le maître se retire pour s’adonner aux exercices spirituels et où il reçoit
ses disciples. Comme dans le cas d’Abū al-Maḥāsin, qui avait réservé
une partie de sa demeure pour les séances d’enseignement et des rituels
initiatiques, cette zāwiya privée peut se développer en une institution
indépendante, devenant alors le siège officiel d’un ordre soufi. C’est cette
dernière acception que le terme revêt communément dans les sources. La
zāwiya peut ne pas être une partie de la demeure du maître, notamment
lorsqu’il s’agit d’un ordre dont le siège principal est ailleurs. L’emplacement
de la zāwiya al-Nāṣiriyya a été aménagé spécifiquement pour établir le
2284
Voir également Salwa, vol. III, p. 129, p. 223.
2285
Voir Salwa, vol. I, p. 154.
2286
Voir N. Amri, « Zāwiya et territoire en Ifriqiya du VII e/XIIIe siècle à la fin du IX e/
XV e siècle », Actes du colloque : Les sanctuaires et leur rayonnement dans le monde
méditerranéen de l’Antiquité à l’époque moderne, J. de La Genière, A. Vauchez, J. Leclant,
dir., Paris, Diffusion De Boccard, 2010, p. 243-294 ; idem, Al-Walāyat wa al-mujatama‘,
musāhalat fī al-tārīkh al-dīnī wa al-ijtimā‘ī li-Ifrīqiya fī al-‘ahd al-ḥafṣī, Tunis, Manshūrāt
Kulliyyat al-Ādāb bi-Mannūba, 2001, p. 121-256 ; C. Mayeur-Jaouen, « Tombeau, mosquée et
zāwiya : la pluralité des lieux saints musulmans », Lieux sacrés, lieux de culte…, p. 133-147.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 579
2287
Salwa, vol. I, p. 287.
2288
Pour M. Ḥajjī « cette zāwiya fait partie des lieux de visite (mazārāt) les plus importants
de Fès » (Mawsū‘a, vol. 5, p. 1900).
2289
Pour une liste des personnalités enterrées dans la zāwiya de ‘Alī al-Jamal, voir M. al-
Tamsamānī, Kitāb Sayyidī ‘Alī al-Jamal, Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2007, p. 411.
2290
Ibid., vol. I, p. 135.
2291
Ṭayyib, p. 62.
2292
Voir Ibid.
580 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2293
Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat bi-l-shaykh wa al-murīd wa al-zāwiya, Marrakech, sans éd.,
2010, p. 95-105.
2294
Voir p. ex. le ‘Awārif al-ma‘ārif d’al-Suhrawardī (le Caire, Maktabat al-Thaqāfat al-
Dīniyya, 2006, vol. I, p. 121-125).
2295
Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat…, p. 95.
2296
Ibid., p. 99.
2297
Ibid., p. 101.
2298
Voir ibid., p. 99-101.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 581
avec des aspects plus sociaux. Ainsi, dans les zāwiyas d’Aḥmad al-Shāwī,
la distribution de nourriture revêt une importance particulière. De même,
on donne de la nourriture dans la zāwiya al-Fāsiyya lors du Mawlid, et
dans la zāwiya Ma‘an, ce sont les sœurs d’Aḥmad Ma‘an qui s’occupent de
distribuer la nourriture aux pauvres. Mais selon al-Zabbādī, cette coutume
de distribution de la nourriture remonte aussi à la tradition prophétique
des Ahl al-Ṣuffa 2299. Il décrit comment le Prophète et ses compagnons
s’employèrent à nourrir les pauvres qui trouvèrent refuge dans ce lieu. La
nourriture physique matérialise en quelque sorte la nourriture spirituelle
distribuée par le maître aux cœurs des fuqarā’, les « pauvres en Dieu ».
Si la zāwiya est donc essentiellement un lieu de formation et de
participation à la sainteté, quelle place occupe-t-elle par rapport à la
présence du sacré à Fès ? ‘Abd al-Raḥmān al-Majdhūb n’a a-t-il pas affirmé
que la ville idrisside représente à elle-même une zāwiya ? En effet, cette
remarque ne fait qu’exprimer l’idée que la ville est un lieu de réalisation
spirituelle, sanctifié par la présence des hommes de Dieu. Autrement
dit, c’est la zāwiya, espace de l’initiation et, à l’instar d’al-Ṣuffa, de la
présence prophétique, qui caractérise la réalité sacrée de Fès, cette « cité-
zāwiya 2300 ». Les différentes zāwiyas fondées par les saints et les soufis
réaffirment donc chacune à sa manière cette vocation de Fès d’être un lieu
de réalisation spirituelle et de formation à la sainteté. Elles contribuent
ainsi de manière significative à la sacralisation de la ville.
Rentrons un peu plus dans les détails historiques. Le terme même de
zāwiya n’apparaît que relativement tard dans les sources 2301. Probablement
le premier établissement qu’on peut qualifier de centre soufi dans l’enceinte
de Fès est celui des Ibn Ḥirzihim, qui est désigné comme rābiṭa 2302.
Dans le cas de Fès, il semble que cette dernière corresponde à un lieu
où se retirent les saints et les aspirants pour se consacrer à la pratique
initiatique 2303. C’est une sorte de khalwa collective. Le Mustafād évoque
2299
Sulūk al-ṭarīq al-wāriyat…, p. 95-96.
2300
F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. I, p. 78.
2301
D’après S. Blair (« Zāwiya », EI2, vol. XI, p. 506-507), le terme est introduit au Maroc
par les Mérinides qui construisent une zāwiya dans leur nécropole familiale à Rabat.
2302
Voir V. Cornell, Realm of the Saint…, p. 24.
2303
Dans d’autres contextes, le terme rābiṭa peut comporter des significations diverses. A ce
propos, voir N. Amri, « Zāwiya et territoire en Ifriqiya du VIIe/XIIIe siècle à la fin du IXe/
XVe siècle », op. cit., p. 249, note 34 ; F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. I,
p. 59-67. Pour l’auteur du ‘Awārif al-ma‘ārif, les gens du ribāt sont ceux qui « attachent
(rabiṭū) leurs âmes à l’obéissance de Dieu et se consacrent à Lui de manière exclusive
582 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
(inqaṭi‘ū ilā Allāh) » ; le murābīt est « celui qui combat son âme (mujāhid nafsahu) » (voir
vol. I, p. 118-119).
2304
Voir p. 86, p. 145, p. 152, p. 168-169.
2305
Selon H. Ferhat (Le Soufisme et les zaouyas…, p. 157), cette rābiṭa est fréquentée par
Ibn Ḥirzihim. Néanmoins, on ne sait pas s’il s’agit de sa propre rābiṭa, c’est-à-dire celle
où Abū Madyan étudie l’Iḥyā avec lui.
2306
Voir S. Kugle, Rebel between Spirit and Law : Ahmad Zarruq, Sainthood, and Authority
in Islam, Bloomington, Indiana Univ. Press, 2006, p. 67, p. 71.
2307
Voir Salwa, vol. II, p. 234-235.
2308
Voir Al-Rawḍ al-‘aṭir, p. 226.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 583
2309
Pour sa zāwiya voir Ṭayyib, p. 71-73.
2310
Voir ibid., p. 76-80.
2311
Voir ibid., p. 48-49.
2312
Voir Salwa, vol. I, p. 297 ; Ṭayyib, p. 68-70.
2313
Voir Ṭayyib, p. 52-53, p. 58-62 ; ‘A. Wazzānī, al-Zāwiyat al-Wazzāniyya bi-Fās :
khaṣā’iṣuhā wa a‘lāmuhā, Casablanca, Mu’assasat Mawlāy ‘Abdallāh al-Sharīf, s.d., p. 60-65.
2314
Voir Ṭayyib, p. 70-71.
2315
Voir ibid., p. 54-58.
2316
Voir ibid., p. 50.
2317
Voir Mu‘tamad, p. 33 ; Ṭayyib, p. 66-68.
2318
Voir Ṭayyib, p. 73-75.
2319
N. Amri, « Zāwiya et territoire en Ifriqiya du VII e /XIII e siècle à la fin du IX e /
XVe siècle », op. cit., p. 253. Cela est autant plus vrai des zāwiyas de Fès qu’elles sont
plus indépendantes du gouvernement que dans les pays qui forment l’Empire ottoman
584 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
comme une indication divine du fait que le saint doit rester à Fès. Ce no
man’s land revêt donc un sens pour les aspirants à la sainteté. En effet,
le danger et le caractère sauvage, voire inconnu, de cet espace loin des
hommes lui confèrent, dans le cadre du cheminement spirituel, une valeur
initiatique 2322. Malgré cette connotation négative des alentours de la ville,
ils constituent aussi un territoire fréquenté par les saints, notamment dans
les premiers siècles de son histoire.
Le premier ouvrage hagiographique de Fès fait peut-être allusion à cela
dans son titre : le Bénéfice dans le récit des vies des dévots de Fès et de
ses environs 2323. L’ouvrage relate effectivement plusieurs anecdotes qui se
situent à l’extérieur de la ville, montrant que les saints s’approprient ces
contrées dangereuses et inconnues. Après tout, la ville de Fès elle-même
était à l’origine habitée par des bêtes sauvages et des bois denses, et c’est le
saint fāsī par excellence, Mawlāy Idrīs, qui rendit le lieu habitable. Vu que
les alentours de Fès représentent un espace spécifique dans l’hagiographie,
la question suivante se pose : que représentent-ils pour les saints ? Dans
un premier temps, ils leur permettent de fuir la fréquentation des hommes
non initiés, pour se retrouver dans des rābiṭa. Bien que Fès représente un
véritable foyer des ṣulaḥā’, son rôle politique et économique en fait très tôt
un lieu qui peut être considéré comme mondain. C’est ce qu’exprime une
anecdote rapportée dans le Tashawwuf : un certain Abū Mūsā al-Rafrūfī
(m. VIe/XIIe s.) quitte Fès après une journée, et lorsqu’on lui demande la
raison de son départ il répond : « Je n’ai vu en elle que ce bas monde 2324. »
Quant à Abū Jabal Ya‘lā, il se réfugie dans une rābiṭa à l’extérieur de la
ville, fréquentée par ceux qui « se retirent vers Dieu 2325 ». C’est peut-être
la même que celle dont il est question dans une anecdote concernant ‘Alī
Ibn Ḥirzihim 2326. Dans le Tashawwuf 2327 il est question aussi de la rābiṭa
de Zarhūn où se trouve « un groupe de saints » 2328.
2322
Voir H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas…, p. 85.
2323
Al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād bi-madīnat Fās wa mā yalīhā min al-bilād. Pour les
saints enterrés dans les « régions de Fès », voir F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…,
vol. IV, p ; 939-944.
2324
Tashawwuf, p. 109.
2325
Ibid., p. 103.
2326
Ibid., p. 172.
2327
Ibid., p. 368.
2328
Notons au passage que la tombe d’Idrīs Ier, qui forme aujourd’hui le centre du village
Moulay Idrīs dans le massif de Zarhūn, ne sera redécouverte qu’en 717/1318-1319 (voir
M. Kably, Société, pouvoir et religion au Maroc à la fin du Moyen Âge, p. 295).
586 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2329
Voir Tashawwuf, p. 172.
2330
Voir Al-Mustafād…, p. 117.
2331
Voir Tashawwuf, p. 103. Voir également Al-Mustafād…, p. 121-122.
2332
Concernant les animaux dans l’hagiographie maghrébine du Moyen Âge, voir
H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas…, p. 57-60. Concernant les animaux et les saints,
voir M.H. Benkheira, J. Sublet, C. Mayeur-Jaouen, dir., L’Animal en islam, Paris, les Indes
savantes, 2005.
2333
Voir Tashawwuf, p. 322-323.
2334
H. Ferhat, Le Soufisme et les zaouyas…, p. 60.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 587
2335
Voir H. Ferhat, « Fès », p. 226-229 ; R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat : étude
économique et sociale d’une ville de l’Occident musulman, p. 306-321.
2336
Voir Coran, XXV : 7.
2337
Voir Salwa, vol. I, p. 244.
2338
Voir ibid., p. 245.
2339
Voir ibid., vol. II, p. 220.
2340
Voir ibid., vol. I, p. 202.
2341
R. Le Tourneau, « Les cordonniers de Fès », op. cit., p. 42.
588 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2342
Voir R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat…, p. 295-306 ; F. Skali, Topologie
spirituelle et sociale…, vol. I, p. 164-166. Concernant les artisans de Fès de manière générale,
voir aussi H. Berrada, Fès, les deux rives, Casablanca, la Croisée des chemins, 2009.
2343
R. Le Tourneau, « Les cordonniers de Fès », op. cit., p. 49.
2344
Pour un aperçu général du calendrier islamique et des rites et des cérémonies qui
accompagnent les fêtes religieuses dans les diverses régions du monde musulman, voir
A. Schimmel, Das islamische Jahr : Zeiten und Feste, Munich, Beck, 2001. Pour ce qui
concerne le Maroc spécifiquement, voir J.M. Ruiz, Moussems et fêtes traditionnelles au
Maroc, Paris, ACR, 1997.
2345
Voir M. al-Mannūnī, Waraqāt ‘an ḥaḍārat al-Marīniyyīn, 3e éd., Rabat, Publications
de la Faculté des lettres et des sciences humaines, 2000, p. 517 et suiv. ; H. Ferhat, « Le
culte du Prophète au Maroc au XIIIe siècle : organisation du pèlerinage et célébration du
mawlid », op. cit., p. 89-97 ; P. Shinar, « Traditional and reformist maulid celebrations in
the Maghrib », Studies in Memory of Gaston Wiet, M. Rosen-Ayalon, dir., Jerusalem, The
Hebrew Univ., 1977, p. 371-413.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 589
2346
Voir M. al-Mannūnī, Waraqāt…, p. 525.
2347
C’est ce qui transparaît dans la Kurrāsat fī al-mawlid al-nabawī, un recueil de quinze
de ses prêches sur le Mawlid (voir M. al-Mannūnī, Waraqāt…, p. 532). Ce recueil est lu à
Fès pendant le Mawlid à l’époque des Sa‘diens.
2348
P. 287-289.
2349
Voir Mir’āt, p. 279.
2350
Voir P. Ricard, « Le mouloud à Fèz : les Aissaouas », FM, n° 15, 1917, p. 32-33.
2351
Voir p.ex. R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat…, 301-304.
2352
Voir Azhār, p. 296-297 ; Salwa, vol. I, p. 63-65.
590 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2353
A ce propos, voir C. Mayeur-Jaouen, Histoire d’un pèlerinage légendaire en Islam :
le mouled de Tantā du XIIIe siècle à nos jours, Paris, Aubier-Flammarion, 2004.
2354
Salwa, vol. I, p. 64.
2355
G. Salmon, « Le culte de Moulay Idrīs et la mosquée des chorfa à Fès », op. cit., p. 424.
2356
Salwa, vol. II, p. 200.
2357
Voir vol. I, p. 66.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 591
Conclusion
Évidemment, l’inventaire des lieux et des temps de la sainteté de Fès
que nous avons présenté ici ne saurait être exhaustif. Malgré son statut
particulier, le saint se conduit aussi comme un citadin ordinaire et fréquente
les lieux communs de la vie urbaine. Au risque de prolonger inutilement
la documentation de ce chapitre, nous aurions pu continuer notre analyse
en l’élargissant aux bains publics, aux prisons, aux fours du quartier, au
palais, etc. En tout état de cause, les exemples étudiés nous semblent
suffisants pour montrer que les saints contribuent de manière décisive à
la sacralisation de Fès. Ils en sont même les acteurs principaux. Comme
explique M. Eliade, « un espace sacré tire sa validité de la permanence de
l’hiérophanie qui l’a une fois consacré 2360 ». Si l’hiérophanie qui a consacré
Fès réside dans la bénédiction prophétique symbolisée par sa fondation
à travers Idrīs II, cette sacralité originale de la ville est perpétuée et
revalorisée par les saints, les héritiers spirituels du Prophète.
Cette re-sacralisation se réalise à travers des modalités diverses.
L’histoire de la Qarawiyyīn montre que les saints révèlent la sacralité
d’un lieu par le fait de le fréquenter ou d’y attacher un intérêt particulier
ainsi qu’à travers les miracles, les expériences et les visions spirituelles 2361
2358
Voir Mir’āt, p. 199-200.
2359
C’est ce qu’a déjà remarqué A. Moussaoui (Espace et sacré au Sahara…, p. 101) : « Le
saint organise l’espace plus que le temps. Ce dernier est inscrit dans un cosmos immuable
au sein duquel le temps du saint s’inscrit (ex. : mawlid, nativité) ».
2360
Traité d’histoire des religions, op. cit., p. 366.
2361
Les expériences spirituelles représentent une valeur particulière car, comme explique
M. Eliade, « la théophanie consacre un lieu par le fait même qu’elle le rend ouvert vers en
592 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
dont ils y sont gratifiés, mais aussi par le seul fait de l’avoir imprégné de
leur souvenir. Le lieu qui porte la trace de la présence du saint devient un
mazār, un « lieu de visite 2362 ». Les mazār implantent la sainteté dans la
topographie de Fès et rappellent de manière visible qu’elle est une ville de
saints. A travers ces lieux, les hommes de Dieu dévoilent également des
aspects particuliers de la réalité sacrée de Fès. Ainsi, grâce à l’établissement
des retraites spirituelles et des zāwiyas, la ville apparaît comme un lieu de
formation initiatique et de réalisation spirituelle. D’autre part, les saints
investissent également l’espace qui est normalement associé à une valeur
plutôt négative, comme par exemple le marché et les alentours de la ville.
Leur présence au sein des magasins et des corporations montre que la
sainteté est au cœur même de la vie quotidienne de Fès. Non seulement
ses lieux privilégiés comme la Qarawiyyīn et le sanctuaire d’Idrīs II, mais
la ville entière est pénétrée par la présence des élus de Dieu. C’est l’espace
où ils se forment et s’adonnent aux exercices spirituels, mais aussi celui
où ils vivent, gagnent leur pain et font leurs courses.
En somme, si Fès a pu développer sa vocation d’être un espace
sacré grâce auquel « l’état de celui qui le visite ou y séjourne se rectifie
(ṣalaḥa) 2363 », c’est en premier lieu à cause des saints 2364. Naturellement,
cette sacralisation s’inscrit dans une optique de réactualisation du modèle
prophétique comme il est particulièrement visible par rapport au temps sacré.
D’une part, les saints vivifient les fêtes sacrées du calendrier musulman,
leur conférant ainsi leur valeur spirituelle originelle. Mais surtout, étant des
représentants du Prophète, leur présence même au sein de la ville reconstitue
spirituellement ce temps sacré qu’est celui des origines 2365. Le « meilleur
haut, c’est-à-dire communiquant avec le Ciel, point paradoxal du passage d’un mode d’être
à un autre » (Voir Le Sacré et le profane…, p. 30). Le même auteur ajoute qu’« en effet, le
lieu n’est jamais choisi par l’homme ; il est simplement «découvert» par lui, autrement dit,
l’espace sacré se révèle à lui sous une espèce ou sous une autre » (voir Traité d’histoire
des religions…, p. 367).
2362
Concernant cette notion, voir F. Skali, Topologie spirituelle et sociale…, vol. II, p. 546.
2363
Salwa, vol. I, p. 3-5.
2364
Ceci dit, les awliyā’ ne sont pas les seuls responsables, car, comme l’indique la remarque
de l’historien marocain ‘Abd al-Wahhāb al-Filālī, l’héritage prophétique est partagé par
d’autres acteurs de la vie religieuse : « L’idée (hūwiyya) de Fès dans le livre [Salwat al-
anfās] est celle du «Fès de la bénédiction» (Fās al-baraka), notamment grâce à ses savants
et leurs sciences, ses dévots et leur dévotion, ses saints et soufis et leur richesse spirituelle. »
(« al-Naz‘at al-ṣūfiyyat fī kitāb Salwat al-anfās », Salwa, vol. V, p. 148.)
2365
D’après M. Eliade, le temps sacré est en effet « un temps mythique primordial rendu
présent » (Le Sacré et le profane…, p. 63) et une « régénération par le retour au temps
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 593
originel » (ibid., p. 73). A. Schimmel remarque : « Pour les musulmans, l’histoire du salut
(Heilsgeschichte) commence avec Muḥammad, car son essence est la première chose
créée [...]. Son apparition dans le temps, après les longs âges dans lesquels les prophètes
antérieurs enseignaient les commandements divins, marque le sommet de l’histoire
humaine ; en lui la plénitude du temps est atteinte. Cette conviction permet de comprendre
l’attrait constant que le musulman éprouve pour le temps du Prophète, car aucun autre temps
n’a pu être ni sera aussi béni que les années durant lesquelles lui, porteur du verbe divin,
agissait sur terre. » (Voir Deciphering the Signs of God…, p. 66-67.)
2366
Voir Kanz, n° 32005.
2367
Voir P. Lory, « Les lieux saints du Hedjaz et de Palestine », Lieux d’islam : cultes et
cultures de l’Afrique à Java, M.A. Amir-Moezzi, dir., Paris, éditions Autrement, 1996, p. 24-
45. La sainteté de ces trois lieux est attestée par des hadiths, p. ex. : « N’apprêtez-vous au
voyage que pour trois mosquées : la mosquée du Ḥarām [à la Mecque], ma mosquée ici [à
Médine] et la mosquée d’al-Aqṣā [à Jérusalem]. » (Kanz, n° 34648.)
2368
Qirṭās, p. 45. La traduction d’A. Beaumier (p. 40) est manifestement incorrecte ; nous
avons préféré celle de F. Skali (Topologie spirituelle et sociale de la ville de Fès, p. 68).
594 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2369
Salwa, vol. I, p. 75-81.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 595
A. Sebti écrit que « malgré les aléas dynastiques, Fès a conservé une
hégémonie multiple qu’elle doit à son réseau commercial, au magistère de
la Qarawiyyīn et au rayonnement de son saint patron, Mawlay Idrīs 2370 ».
Pour l’anthropologue A. Moussaoui, « les villes ne sont pas toujours le
produit de logiques physiques, elles sont même très souvent le résultat de
croyances et d’attitudes spirituelles 2371 ». La question qui se pose quant
à l’histoire de la sainteté, c’est de savoir comment se présentent l’aura
sacrée de Fès et son rôle de ville des saints et de centre de la spiritualité
dans l’hagiographie. Quel est le rapport entre la fondation par Idrīs et les
saints qui peuplent la ville après lui ? Quel est le rôle des savants à cet
égard ainsi que celui des shurafā’ ; enfin, peut-on parler d’une spécificité
de Fès comme centre de spiritualité, notamment par rapport à d’autres
villes musulmanes comme Kairouan ou Marrakech au Maghreb ou le
Caire au Moyen-Orient ?
1. Ville et hagiographie
Nous devons à R. Blachère, à E. Lévi-Provençal et à R. le Tourneau
d’avoir analysé l’image de Fès chez les géographes et les historiens
arabes 2372. Il apparaît que les remarques des premiers auteurs comme al-
Ya‘qūbī 2373 (m. après 287/891) ou Ibn Ḥawqal 2374 (m. après 367/977) mettent
en avant deux aspects : les conditions naturelles exceptionnellement
favorables de Fès et l’état de guerre presque constant, notamment entre les
factions de ses deux rives. Un géographe oriental, qui pourtant n’a jamais
mis pied au Maghreb, al-Muqaddasī 2375 (m. 378/988) va jusqu’à conclure
que « les habitants de Fès, vous le voyez, du fait des guerres, sont dans
la détresse ; ils sont lourds et grossiers, et ils ont peu de savants, mais
beaucoup de séditieux 2376 » ! Sans doute cette observation n’est-elle pas
2370
A. Sebti, op. cit., p. 17.
2371
Espace et sacré au Sahara : ksour et oasis du Sud-ouest algérien », p. 7.
2372
« Fès chez les géographes arabes du Moyen Âge », Analecta, Damas, Institut français
de Damas, 1975, p. 541-548 ; É. Lévi-Provençal, « La fondation de Fès », Les Historiens
des chorfa, p. 1-30 ; R. Le Tourneau, Fès avant le Protectorat : étude économique et sociale
d’une ville de l’Occident musulman, p. 12-13, p. 25-29. Voir également H.L. Beck, L’Image
d’Idrīs II, ses descendants de Fās et la politique sharīfienne des sultans marīnides, p. 11-46.
2373
Voir l’édition critique par M.J. de Goeje : Kitāb al-buldān, Leyde, Brill, 1892, p. 357-358.
2374
Voir al-Masālik wa al-mamālik, W. McGuckin de Slane, éd., Leyde, Brill, 1873,
p. 57, p. 65.
2375
Description de l’Occident musulman au IVe/Xe siècle, Ch. Pellat, éd., Alger, Carbonel, 1950.
2376
Cité dans R. Blachère, « Fès chez les géographes arabes du Moyen Âge », op. cit., p. 543.
596 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
fausse, car il s’agit d’une époque où Fès est sous le règne des divers princes
zénètes et se trouve régulièrement confrontée à la guerre civile. En outre,
il convient d’interpréter la remarque d’al-Muqaddasī en tenant compte du
mépris que les auteurs orientaux ont tendance à montrer vis-à-vis de leurs
coreligionnaires du Maghreb.
Le premier témoignage significatif ne date que du VIe/XIe siècle et
provient d’al-Bakrī 2377 (m. 487/1094) qui souligne quant à lui l’importance
économique et politique de Fès ainsi que la prospérité de ses habitants.
Al-Idrīsī 2378 (m. 560/1166) semble être le premier à évoquer la beauté et
le nombre exceptionnel des édifices de Fès, notamment ceux à caractère
religieux. La situation centrale de Fès et le caractère cosmopolite de la
ville attirent également l’attention du géographe du roi de Sicile. Les
auteurs de l’époque almoravide et almohade nous offrent des éléments
plus intéressants. L’auteur anonyme du Kitāb al-istibṣār souligne le fait
que l’essor économique de Fès et la présence de la Qarawiyyīn et de la
mosquée al-Andalus en son sein sont dues au fait que « la bénédiction
(baraka) du fondateur de la ville Idrīs II » règne sur la ville 2379. ‘Abd
al-Wāḥid al-Marrākushī 2380 (m. au milieu du VIIe/XIIIe siècle), écrivant
son ouvrage sur la demande d’un vizir abbasside, ne mentionne pas les
Idrissides, mais fait l’éloge de leur ville :
« Fès est la capitale actuelle et le centre intellectuel du Maghreb, l’endroit
où se sont concentrées la science de Kayrawân et celle de Cordoue, ville
qui était le centre de l’Espagne comme Kayrawân l’était du Maghreb. Après
la ruine de cette dernière ville par les Arabes et la déchéance que subit
Cordoue par suite de la dispersion des Omeyyades après la mort d’Abou
‘Amir Mohammed b. Abou ‘Amir et celle de son fils, les savants et les
hommes distingués de toute catégorie de l’une et de l’autre de ces villes
s’enfuirent loin des lieux où le trouble régnait, et la plupart s’installèrent
à Fès 2381. »
2377
Al-Masālik wa al-mamālik, W. McGuckin de Slane, éd., Alger, Jourdan, 1911, p. 262-266.
2378
Muḥammad. b. Muḥammad al-Idrīsī, Description de l’Afrique et de l’Espagne (Kitāb
nuzhat al-mushtāq fī ikhtirāj al-āfāq) édité et traduit par Reinhart Dozy et M.J. De Goeje,
Leyde, Brill, 1984, p. 80 et suiv.
2379
Kitāb al-istibṣār fī ‘ajā’ib al-amṣār, Casablanca, Dār al-Nashr al-Maghribiyya, 1985,
p. 181 ; E. Fagnan, L’Afrique septentrionale au XIIe siècle de notre ère : description extraite
du Kitab el-istibçar, Constantine, D. Braham et fils, 1900, p. 121-122.
2380
‘A. al-Marrākushī, Al-Mu‘jib fī talkhīṣ akhbār al-Maghrib, Casablanca, Dār al-Kitāb,
1978.
2381
E. Fagnan, Histoire des Almohades d’Abd El-Wâh’id Merrâkechi, Alger, Jourdan,
1893, p. 306.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 597
2382
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que ce que nous entendons ici par « sacralité »
est la « bénédiction » (baraka) dont parlent généralement les auteurs musulmans à propos
d'une ville. Parfois cette idée de bénédiction est également comprise comme « mérite » et
« faveur » (faḍl). Voir notre chapitre « Les traces du saint dans la ville : les lieux et les
temps de la sainteté ».
2383
B. Rosenberger, « Les premières villes islamiques du Maroc : géographie et fonctions »,
op. cit., p. 248.
2384
Ibid., p. 246.
2385
M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Idrissisme et villes idrissides » op. cit.
2386
P. 263. Cela étant dit, il convient de rappeler que plusieurs écrits relatifs à Fès antérieurs
au Rawḍ al-qirṭās sont perdus (voir M. Shatzmiller, L’Historiographie mérinide : Ibn
Khaldun et ses contemporains, p. 136-137).
2387
M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Légitimité et villes idrissides », op. cit., p. 261.
L’auteur du Rawḍ al-qirṭās évoque effectivement cette idée lorsqu’il dit : « Il faut cinq choses
à une ville, ont dit les philosophes : eau courante, bon labour, bois à proximité, constructions
solides et un chef qui veille à sa prospérité, à la sûreté de ses routes et au respect dû à sa
puissance. A ces conditions, qui accomplissent et ennoblissent une ville, Fès joint encore de
grands avantages, que je vais décrire, s’il plaît à Dieu. » (P. 40 ; traduction, p. 37.)
2388
« Légitimité et villes idrissides », idem, p. 258.
598 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2389
M. Eliade, Le Sacré et le profane…, p. 85.
2390
A ce propos, voir idem, Aspects du mythe, 1963.
2391
P.M. Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris, Seuil, 1983, p. 87. Nous
devons cette citation aux auteurs de « Légitimité et villes idrissides », op. cit., p. 258.
2392
M. Garcia-Arenal, E. Manzano Moreno, « Légitimité et villes idrissides », idem, p. 258.
2393
Ibid.
2394
Dans son excellent essai, A. Laroui montre que l’objectif de l’historiographie musulmane
consiste, à l’instar de la science des hadiths dont elle s’inspire, moins dans l’authentification
critique de la vérité historique que dans le fait de garantir la transmission d’une tradition
considérée comme sacrée et donc comme nécessairement « vraie » (voir Islam et histoire :
essai d’épistémologie).
2395
« La ville idrisside », expliquent M. Marcìa-Arenal et E. Manzano Moreno, « devient,
grâce à ce processus [de fondation mythique], une entité plus qualitative qu’historique »
(« Légitimité et villes idrissides », op. cit., p. 258).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 599
2396
Cette « substance hagiographique » semble caractériser l’historiographie urbaine
musulmane de manière générale. Ce qui est vrai pour l’histoire urbaine l’est dans
une certaine mesure également pour l’histoire de la communauté ou de la civilisation
musulmane. L’anthropologue A. Moussaoui constate que « l’histoire de la communauté »
est « cristallisée dans l’histoire de son saint » à travers les lieux de son parcours (Espace
et sacré au Sahara…, p. 52). « L’histoire de l’Islam, écrit A. Laroui, se réduit [...] à celle
de ses champions ; elle tend nécessairement à être un recueil de biographies exemplaires. »
(Histoire et Islam…, p. 78.) On pourrait ajouter que la conception coranique de l’histoire,
celle-ci ayant nécessairement inspiré les auteurs musulmans, conçoit l’histoire de l’humanité
à travers les prophètes (voir notre « Hagiographie et révélation »). F. Rosenthal, qui
souligne le problème de l’historicité de l’historiographie musulmane (A History of Muslim
Historiography, p. 15-17), cite al-Sakhāwī qui définit l’objet de la science de l’histoire
comme étant « l’homme et le temps » et non l’événement.
2397
Qirṭās, p. 45 ; la traduction de A. Beaumier (p. 39) a été corrigée.
2398
Voir Salwa, vol. I, p. 75.
2399
Voir Al-Mustafād…, p. 209. Rappelons que cette anecdote relate un événement qui se
serait produit au IVe/Xe siècle, c’est-à-dire dans la période qui suit directement la dynastie
idrisside.
600 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2400
« Lire c’est aller voir » écrit M. de Certeau, car « l’itinéraire même de l’écriture conduit
à la vision du lieu. » (L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 286.) De même,
lire la vie des saints de Fès c’est « voir » les lieux, les époques et les hommes de la ville.
2401
Naturellement, nous nous référons ici principalement aux saints. Pour le rôle des savants
et des descendants du Prophète à cet égard, voir infra.
2402
Nous avons déjà abordé cette question dans « La renaissance du culte d’Idrīs II et les
Ahl Fās » dans le chapitre VI de la deuxième partie (« Renouveau spirituel et émergence
du chérifisme : al-Jazūlī et ses adeptes »).
2403
Il s’agit de l’auteur du Kitāb al-istibṣār ; voir supra.
2404
Dans ce sens, M. Eliade explique qu’« en effet, le lieu n’est jamais choisi par l’homme ;
il est simplement «découvert» par lui, autrement dit, l’espace sacré se révèle à lui sous une
espèce ou sous une autre » (voir Traité d’histoire des religions…, p. 367).
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 601
2405
Le mythe, constate M. Eliade à plusieurs occasions, raconte « l’irruption du sacré dans
le monde » et « en narrant comment les choses sont venues à l’existence, on les explique »
(Le Sacré et le profane…, p. 86).
2406
C’est à cette orientation métahistorique de l’historiographie musulmane que fait allusion
A. Laroui quand il constate que « la philosophie islamique de l’histoire appartient en fait à
la théologie » (Histoire et Islam…, p. 91). Le rôle de l’historien se limite au fait de préserver
de l’oubli une suite d’événements dont les causes et les finalités, et donc l’explication, se
situent au-delà de l’histoire des faits. L’historien, ainsi A. Laroui, « n’appréhende que les
apparences dans le miroir du temps (mir’āt al-zamān) », car « l’origine et la fin de l’histoire
sont connues, le sens de chaque événement est donné, le récit n’est, dans son ensemble,
qu’une métaphore (majāz) que le chroniqueur enregistre et que le théologien interprète.
Le temps devient, dans cette perspective, pur divertissement (lahw), oubli (nisyān), sujet
à rappel (dhikr) pour celui qui vit » (ibid., p. 94-95).
2407
Voir Qirṭās, p. 46 (traduction, p. 40).
2408
C’est cela que s’efforcent à démontrer al-Ḥalabī et, quelques siècles plus tard, al-Kattānī
dans leurs biographies du fondateur de Fès, lesquelles, rappelons-le, constituent les seules
monographies consacrées à ce personnage. Voir aussi notre « Idrīs II comme saint » (dans
« Les Idrissides »).
602 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2409
Pour être plus exact, il faudrait mentionner ici Idrīs II, communément considéré lui aussi
comme un savant versé dans les sciences religieuses de l’Orient qui lui ont été transmises
par Rashīd, le serviteur de son père. Mais nous avons choisi Ibn Ismā‘īl parce qu’il est à
la fois le premier saint « classique » de Fès et le premier personnage chez lequel la science
est un trait constitutif de la sainteté.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 603
2410
Cela a été le rôle d’Abū al-Maḥāsin al-Fāsī après la généralisation du jadhb dans les
milieux soufis du Xe/XVIe siècle. Le cas de Zarrūq et de sa tentative d’harmonisation entre
le soufisme shādhilite et les uṣūl al-fiqh représente un autre exemple de ce genre parmi les
nombreux cas qui ont marqué l’histoire de Fès.
2411
Il va sans dire, et nous l’avons constaté à plusieurs reprises dans l’aperçu historique,
que les oulémas critiques du soufisme ne sont pas d’accord avec cette vision des choses.
Cela étant dit, leur point de vue ne s’est pas imposé dans la littérature qui trace l’histoire
religieuse de Fès et de ses acteurs, au moins dans la période qui nous intéresse, le cas
des réformateurs modernes concernant de toute évidence l’historiographie contemporaine.
2412
‘Alī Maymūn al-Fāsī (m. 917/1511), installé en Syrie, remarque que les savants de sa
ville natale surpassent quant à la transmission et à la mise en pratique de la loi sacrée tous
les savants des autres métropoles musulmanes (voir Salwa, vol. I, p. 76).
2413
Pour les hadiths qui concernent cette conception, voir notre « Sainteté et connaissance ».
604 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
qu’exprime le fameux passage du Rawḍ al-qirṭās cité plus haut, mais aussi
les événements symboliques de l’histoire de Fès comme la fondation de la
Qarawiyyīn laquelle est, comme nous l’avons montré, étroitement associée
à la sainteté à travers le récit de Fāṭima al-Fihrī. Enfin, toute l’évolution
du milieu savant et de ses institutions est incontestablement animée par
l’influence de la sainteté et de ses représentants.
3. La spécificité de Fès
Avant de passer à la conclusion de notre étude, quelques remarques
s’imposent sur la spécificité de Fès, car il ne s’agit pas de la seule ville du
monde musulman qui se caractérise par une tradition savante importante
et par la présence des saints. La ville de Kairouan 2 414 , notamment,
présente plusieurs éléments analogues avec Fès. Selon l’historiographie
traditionnelle, cette ville a été fondée par ‘Uqba Ibn Nāfi‘ (m. 063/683),
général omeyyade qui inaugure la conquête islamique de l’Afrique du
Nord, « afin de perpétuer la gloire de l’islam jusqu’à la fin des temps ».
L’élément prophétique de la ville est symbolisé par le fait qu’elle est
considérée comme le lieu d’enterrement d’un compagnon du Prophète
qui aurait conservé trois cheveux de son maître. Le corps, disparu, fait
l’objet d’une redécouverte miraculeuse relevée par les chroniqueurs du
IVe/Xe siècle et donne lieu à la construction d’un mausolée connu comme
« Zāwiya Sīdī Ṣāḥib ». Les sources affirment également que Kairouan a
été fondée sur les ruines d’une ancienne cité byzantine nommée Qūniya
ou Qamūniya, habité par des bêtes sauvages et des reptiles, ce qui rappelle
tout à fait le récit de la fondation de la ville de Fès. Enfin, les deux villes
se distinguent par la présence d’une grande mosquée dont le prestige et
l’importance dépassent le Maghreb. Outre ces analogies, il n’est plus besoin
2414
Pour un aperçu général de l’histoire de la ville et des sources, voir M. Talbi, « al-
Ḳayrawān », EI2, vol. IV, p. 824-832 et F. Mahfoudh, « Kairouan », Encyclopédie berbère,
vol. 27, Aix-en-Provence, Edisud, 2005, p. 4095-4102. Voir aussi N. Amri, « Ribāt et idéal
de sainteté à Kairouan et sur le littoral ifrīqiyen du II e/VIIIe au IVe/Xe siècles, d’après
Riyād al-nufūs d’al-Mālikī », Islamisation et arabisation de l’Occident musulman médiéval
(VIIe-XIIe siècle), D. Valerian, dir., Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 331-368 ;
idem, « Magistère scientifique, ascèse et patronage rural : les figures du saint homme à
Kairouan du VIIe/XIIIe siècle au IX e/XV e siècle, d’après le dictionnaire biographique
d’Ibn Nājī », Saint et sainteté dans le christianisme et l’islam : le regard des sciences de
l’homme, p. 167-230 ; H.R. Idris, « Contributions à l’histoire de l’Ifriqiya : tableau de la vie
intellectuelle et administrative à Kairouan sous les Aghlabides et les Fatimides (4 premiers
siècles de l’Hégire) d’après le Riyād En-Nufūs de Abū Bakr al-Mālikī », Revue des études
islamiques, n° 9, 1935, p. 273-297.
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 605
2415
Voir H. Jallāb, Sab‘a rijāl Marrākich wa adwāruhum al-siyāsiyya wa al-ijtimā‘īyya,
Marrakech, Muntadā Ibn Yūsuf, 2004.
2416
M. Ibn Maryam, al-Bustān fī dhikr al-awliyā’ wa al-‘ulamā’ bi-Tilimsān, Alger, s.d.
La traduction de cet ouvrage par F. Provenzali a été récemment rééditée (El-Boustane ou
Jardin des biographies des saints et savants de Tlemcen).
606 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2417
Nous avons avec Sayrām un exemple intéressant d’une ville de l’Asie centrale qui fait
l’objet d’un ouvrage historio- et hagiographique du XIIe/XVIIIe siècle. Ce dernier comporte
un récit de fondation intégrant l’élément prophétique et inclut la vie des saints de la ville,
ainsi qu’une topographie sacrée. Voir D. DeWeese, « Sacred History for a Central Asian
Town : Saints, Shrines, and Legends of Origin in Histories of Sayrām, 18th-19th Centuries »,
Figures mythiques des mondes musulmans, p. 245-295.
2418
T. Bianquis, J.C. Garcin, « De la notion de mégapole », op. cit., p. 10.
2419
Voir ibid., p. 8.
2420
Voir ibid., p. 9.
2421
Voir É. Geoffroy, Le Soufisme en Égypte et en Syrie sous les derniers Mamelouks et
les premiers Ottomans, orientations spirituelles et enjeux culturelles, 1995.
2422
A. Sebti, op. cit., p. 90.
2423
Voir S. O’Meara, Space and Muslim Urban Life : At the Limits of the Labyrinth of
Fez, Londres et New York, Routledge, 2007, p. 60 et suiv. L’auteur montre qu’il s’agit en
Formes de la sainteté, sainteté de la ville 607
apparaît être celui d’un ancien centre spirituel, Fès constitue néanmoins, à
la différence des nombreuses autres métropoles islamiques comme le Caire
ou Damas, une ville nouvellement fondée et, ce qui est remarquable, fondée
par un descendant du Prophète. Dans un premier temps, c’est en cela que
réside la spécificité de Fès ; c’est ce qui fait d’elle une ville aussi singulière
et, en quelque sorte, une « ville prophétique ». Pour M. Garcìa-Arenal et
E. Manzano, Fès se présente comme « la ville des Idrissides considérés
comme les ancêtres initiateurs, ceux qui préservent l’essence de l’islam des
origines, restaurateurs potentiels de la pureté et de la justice des Premiers
Temps 2424 ». La présence des shurafā’, héritiers et représentants naturels
du Prophète et de ce fait porteurs de sa bénédiction, perpétue et réaffirme
la spécificité de Fès comme ville de la descendance prophétique. Cette
idée, qui correspond évidemment à une certaine réalité, se traduit assez
visiblement dans la littérature. Déjà l’historiographe mérinide al-Jaznā’ī
fait l’éloge des shurafā’ dans son histoire de Fès et justifie le mérite de
la ville par leur présence 2425, et de même chez un auteur soufi comme al-
Kattānī, tout ce qui est lié à Idrīs II et à ses descendants occupe une place
importante dans son énumération des « mérites » de la ville 2426.
Conclusion
Si Fès ne constitue pas une ville sainte dans le sens canonique du terme,
elle se présente néanmoins comme une cité sacralisée par la bénédiction
prophétique et de ce fait prédestinée à jouer le rôle d’un centre spirituel.
Cette bénédiction prophétique sacralisante, incarnée dans un premier
temps par les Idrissides, est ensuite perpétuée par les héritiers spirituels
du Prophète, à savoir les saints. L’histoire de la ville comme lieu sacré se
confond alors avec l’histoire de ses awliyā’, présentés comme les véritables
acteurs, garants et représentants de la vitalité spirituelle de Fès. Si les saints
représentent principalement ceux qui alimentent la vocation spirituelle de
la ville, les savants et les shurafā’, eux aussi les héritiers du Prophète à leur
façon, jouent un rôle indispensable dans la spécificité de la ville d’Idrīs.
Le rayonnement de la tradition savante et la fonction de cette dernière
effet d’un leitmotiv que l’on retrouve dans divers récits légendaires relatifs à la fondation
d’une ville musulmane.
2424
« Légitimité et villes idrissides », op. cit., p. 260.
2425
Voir H. Ferhat, « Fès », op. cit., p. 220.
2426
Voir supra. Les trois premiers « mérites » concernent ainsi la fondation par Idrīs II,
la présence de ce dernier au centre de la ville et le fait d’être « un lieu des shurafā’ ».
608 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
2427
L’auteur de la Salwa (vol. I, p. 43) écrit : « Les saints ne sont que les portes du
Prophète, ses délégués et les valets de sa proximité et de sa présence, alors que c’est lui qui
les pourvoit tous de son influence et de son soutien spirituels (madad). » Abū al-Maḥāsin
al-Fāsī propose la métaphore suivante, inspirée sans doute par Ibn ‘Aṭā’ Allāh al-Iskandarī
(voir É. Geoffroy, La Sagesse des maîtres soufis : Latā-if al-minan fī manāqib al-shaykh
Abīl-‘Abbās al-Mursī wa shaykhi-hi al-Shādhilī Abī l-Hasan, p. 34), pour illustrer cette
conception : « Les lumières qui apparaissent sur les saints de Dieu ne proviennent d’autre
chose que du rayonnement des lumières de la prophétie sur eux. L’exemple de la réalité
muhammadienne est celui du soleil, alors que les cœurs des saints sont comme des lunes :
la lune n’apparaît et ne resplendit que par le rayonnement de la lumière du soleil en elle et
grâce au fait qu’elle lui fait face. De cette manière le soleil ne cesse d’illuminer l’existence,
que ce soit de jour ou de nuit, à travers sa lumière dans la lune ; ainsi, à aucun instant il
n’y a de coucher de soleil, comprends donc ! » (Mir’āt, p. 251.)
Conclusion
2428
Cela étant dit, chez un Ibn al-‘Arabī toutes ces dimensions sont évidemment présentes
déjà au VIe/XIIe siècle. Mais, dans l’histoire de la tradition spirituelle de Fès, ce n’est que
plus tardivement que certains aspects deviennent déterminants et plus ou moins généralisés.
Ainsi, c’est à partir d’al-Jazūlī seulement que la dimension initiatique de la figure
prophétique s’impose dans la vie religieuse de la ville comme fondement de la spiritualité.
Conclusion 611
2429
Nous rappelons au passage l’idée de C. Geertz (voir Observer l’islam) évoquée dans
l’introduction de notre travail selon laquelle l’histoire de l’islam consiste essentiellement
dans l’effort constant d’affirmer la religion universaliste du Prophète dans des contextes
culturels particuliers.
2430
C’est avant tout dans les études sur la doctrine du soufisme que l’importance de
cette notion a été mise en évidence. Par ailleurs, la figure prophétique et la fonction
« sacralisante » qui s’y attache constituent un élément qui est généralement ignoré, malgré
Conclusion 613
son importance, dans les études traitant de la conception du sacré dans l’islam (voir p. ex.
J. Chelhod, Les Structures du sacré chez les Arabes ; L. Gardet, « Notion et sens du sacré
en Islam », Le Sacré, études et recherches, Actes du colloque de Rome, p. 317-331.
614 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
‘Abdallāwī, Aḥmad
Abū Ghālib al-Ṣārīwī, Abū al-Ḥasan ‘Alī
Abū Ḥafṣ ‘Umar b. ‘Abd al-Majīd
Abū Jīda al-Yazghītnī, Ibn Aḥmad
Abū Madyan, Shu‘ayb
Abū Rawāyin
Abū Ṣabr al-Fihrī, Ayyūb b. ‘Abdallāh
Abū Salhām, ‘Abdallāh b. Aḥmad
Abū Shitā’
Abū Shu‘ayb al-Sanhājī
Abū Ya‘zā al-Dukkālī, Ibn Maymūn
Āfḥām al-Zarhūnī, Ibrāhīm Ibn ‘Alī
Aghṣāwī al-, Aḥmad
‘Ajamī al-, ‘Abd al-‘Azīz
‘Alamī al-, Qaddūr
Āmghār al-Ṣaghīr, Abū ‘Abdallāh Muḥammad
Āmghār, Muḥammad b. ‘Abdallāh
Andalūsī al- al-Rundī, Aḥmad Ibn ‘Alī
Andalūsī al-, ‘Alī Ibn Muḥammad Ṣāliḥ
Anṣārī al- al-Saqaṭī, Muḥammad b. ‘Alī
‘Aṭṭār, Muḥammad
Awrabī al-, Abū Khazar
Awrabī al-, Abū Muḥammad ‘Abdallāh b. Muḥammad
‘Āyyadī al-, Muḥammad b. Aḥmad
‘Ayyāshī al-, Abū Sālim
*. Cette liste de noms est donnée à titre indicatif. La recherche sur ces noms peut se faire
à partir de la version en ligne de cet ouvrage : http://books.openedition.org/cjb/498.
630 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Ja‘far al-Ṣādiq
Janwī al-, Riḍwān
634 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
• VIe/XIIe siècle
A l-warrāq, ‘Abd al-Malik b. Mūsā (m. après 578/1182).
– Al-Miqbās fī akhbār al-Maghrib wa al-Andalus wa Fās, perdu 1.
A l-sabtī al-Barnūsī, Muḥammad b. Ḥammāda (m. VIe/XIIe s.)
– Al-Muqtabas fī akhbar al-Maghrib wa Fās wa al-Andalas, perdu 2.
• VIIe/XIIIe siècle
A l-tāmīmī, Abū ‘Abdallāh Muḥammad b. ‘Abd al-Karīm (m. 603/1207).
– Al-Mustafād fī manāqib al-‘ubbād bi-madīna fās wa mā yalīhā min
al-bilād, Chérif, Mohamed, éd., Tétouan, Manshūrāt Kulliyyat al-Ādāb
wa al-‘Ulūm al-Insāniyya, 2002, 2 vol.
A l-tādilī, Yusūf b. Yaḥya Ibn Zayyāt m. (617/1220)
– Al-Tashawwuf ilā rijāl al-taṣawwuf wa akhbār Abī al-‘Abbās al-Sabtī,
2e éd., Tawfīq, Aḥmad, éd., Rabat, Manshūrāt Kulliyyat al-Ādāb, 1997.
– Regard sur le temps des soufis, de Fenoyl, Maurice, trad., Rabat, Eddif-
Unesco, 1995.
1
Voir Dalīl, n° 141, p. 36.
2
Voir ibid., n° 142.
640 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
• VIIIe/XIVe siècle
I bn abī zar‘, ‘Alī b. ‘Abd Allah (m. 710-720/1310-1320).
– Al-Anīs al-muṭrib bi-rawḍ al-qirṭās fī akhbar mulūk al-Maghrib wa
tārīkh madīnat Fās, 3e éd., Ibn Manṣūr, ‘Abd al-Wahhāb, éd., Rabat,
al-Maṭba‘at al-Malikiyya, 1999. Trad. : Ali ibn-abi-Zar‘ : Rawd al-
Kirtās, Histoire des Souverains du Maghreb et annales de la ville de
Fès, Beaumier, Auguste, trad., Rabat, La Porte, 1999.
A l-jaznazā’ī, Abū al-Ḥasan ‘Alī (m. après 766/1365)
– Janā zahr al-ās fī binā’ madīna Fās, 2 e éd., Ibn Manṣūr, ‘Abd al-
Wahhāb, éd., Rabat, al-Maṭba‘at al-Malikiyya, 1991.
Trad. : La Fleur du myrthe traitant de la fondation de la ville de Fès,
Bel, Alfred, trad., Alger, Jules Carbonel, 1923.
A l-haḍramī, Muḥammad b. Abī Bakr (m. après 763/1362)
– A l-Salsal al-‘adhb wa al-manhal al-aḥlā al-marfū‘ li-l-khilāfa al-
‘azīziyya allatī lā tazālu manāqibuhā ‘alā marr al-duhūr tutlā fī
silk man taḥallā silkihim al-‘arba‘īnī fī jīl Fās wa Maknās wa Silā,
Al-Khabbār, Muṣṭafā, éd., Salé, Manshūrāt al-Khazānat al-‘Ilmiyya al-
Ṣabīḥiyya, 1988.
• IXe/XVe siècle
I bn al-aḥmar, Ismā‘īl (m. 808/1405)
– Buyūtāt Fās al-kubrā, Rabat, Dār al-Manṣūr, 1972.
Titre inconnu (concernant les personnalités et les familles de Fès),
perdu 3.
I bn qunfudh, Abū al-‘Abbās Aḥmad b. al-Khaṭīb (m. 810/1407).
– Uns al-faqīr wa ‘izz al-ḥaqīr, Ṣyām, Abū Sahl Najāḥ ‘Iwaḍ, éd., le Caire,
Dār al-Muqṭam, 2002.
• Xe/XVIe siècle
I bn ghāzī, Abū ‘Abdallāh Muḥammad (m. 919/1513).
– Fahrasat Ibn Ghāzī, Al-Zāhī, Muḥammad, éd., Casablanca, Dār al-
Maghrib, 1979.
3
Voir Dalīl, n° 55, p. 22.
Bibliographie 641
• XIe/XVIIe siècle
A l - h a r aw ī a l -T ā di l ī , Abū al-‘Abbās A ḥmad b. Abī al- Qāsim
(m. 1013/1604-1605).
– A l-Ma‘zā fī manāqib sayyidī Abī Ya‘zā, Al-Mazīdī, Aḥmad F., éd.,
Beyrouth, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2006.
A l-fāsī al-fihrī, al-Ḥāfiẓ Aḥmad b. Yūsuf (m. 1021/1612)
– A l-Minaḥ al-ṣafiyya fī asānīd al-yūsufiyya, ms., BG, n° 1234 d,
n° 1388 k.
I bn al- qāḍī, Abū al-‘Abbās Shihāb al-Dīn al-Miknāsī (m. 1025/1616)
– J adhwat al-iqtibās fī dhikr man ḥalla min al-a‘lām madīnat Fās, Rabat,
Dār al-Manṣūr, 1973, 2 vol.
A l-murābī, Aḥmad b. Mūsā al-Andalūsī (m. 1034/1624-1625)
– Tuḥfat al-ikhwān wa mawāhib al-imtinān fī manāqib sayyidī Riḍwān,
ms., BG, n° 154 k, n° 114 k.
Ibn ‘ayshūn al-sharrāṭ, Muḥammad b. Muḥammad (m. 1035/1625-1626)
– A l-Rawḍ al-‘āṭir al-anfās fī akhbar al-ṣāliḥīn min ahl al-Fās, Al-
Naẓẓām, Zahrā’, éd., Rabat, Manshūrāt Kulliyyat al-Ādāb wa al-‘Ulūm
al-Insāniyya, 1997.
– Al-Tanbīh ‘alā man lam yaqa‘ bihi min fuḍalā’ Fās tanwīh, ms., FRAA,
n° 1/352.
A l-muqrī, Aḥmad b. Muḥammad (m. 1041/1631-1632)
– Rawḍat al-ās al-‘āṭirat al-anfās fī dhikr man laqītuhu min a‘lām al-
ḥaḍratayn Marrākish wa Fās, 2e éd., Ibn Al-Manṣūr, ‘Abd al-Wahhāb,
éd., Rabat, al-Maṭba‘at al-Malikiyya, 1983.
I bn sa‘īd, al-Ḥājj ‘Alī (m. XIe/XVIIe siècle)
– Titre inconnu (biographie d’Abū al-Maḥāsin al-Fāsī), perdu 4.
4
Mentionné par l’auteur du Mir’āt (p. 208).
642 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
5
Voir ibid.
6
Voir ibid.
7
Voir Dalīl, p. 23, n° 64 ; M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 62.
Bibliographie 643
8
Voir Dalīl, p. 50, n° 226.
9
Voir É. Lévi-Provençal, Les Historiens…, p. 275.
644 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
–A
l-Durr al-nafīs wa al-nūr al-anīs fī manāqib al-imām Idrīs b. Idrīs,
Fès, litho., 1300 hég. (1882-1883).
XIIe/XVIIIe siècle
A l-willālī, Abū al-‘Abbās Aḥmad b. Muḥammad (m. 1128/1716)
– Mabāḥith al-anwār fī akhbār ba‘ḍ al-akhyār, Bu‘Aṣṣāb, ‘Abd al-‘Azīz,
éd., Rabat, Manshūrāt Kulliyyat al-Ādāb, 1999.
Bardalah, Abū ‘Abdallāh Muḥammad b. al-Qāḍī Muḥammad al-‘Arabī
al-Andalusī (m. 1134/1721).
– Taqyīd fī ṣulaḥā’ bi-Fās, perdu 10.
A l-fāsī al-F ihrī, Abū ‘Abdallāh Muḥammad al-Ṣaghīr (m. 1134/1722)
– A l-Minaḥ al-bādiyya fī al-asānid al-‘āliyya, Al-Ṣqallī, Muḥammad,
éd., Rabat, Manshūrāt Wazārat al-Awqāf wa al-Shu’ūn al-Islāmiyya,
2005, 2 vol.
A l-masnāwī, Muḥammad b. Aḥmad al-Dilā’ī (m. 1136/1724)
– A l-Ta‘rīf bi-al-shaykh Abī al-‘Abbās Aḥmad al-Yamanī, ms., BG,
n° 471 d, n° 1419 d.
A l-ifrānī, Muḥammad al-Sūsī (m. 1140/1727-1728)
– Ṣ af wat man intashar min akhbār ṣulaḥā’ al-qarn al-ḥādī ‘ashr,
Khayālī, ‘Abd al-Majīd, éd., Casablanca, Markaz al-Turāth al-Thaqāfī
al-Maghribī, 2004.
A l-mudra‘, Muḥammad al-Andalusī (m. 1147/1734-1735)
– Urjūza fī mashāhīr ṣulaḥā’ Fās, Ṣqallī, Khālid, éd., Rabat, Dār al-
Amān, 2010.
I bn al-mubārak al-Lamāṭī, Aḥmad (m. 1156/1743)
– Kitāb al-ibrīz min kalām sayyidī ‘Abd al-‘Azīz, Beyrouth, Dār al-Kutub
al-‘Ilmiyya, 1998.
Trad. : Zouanat, Zakia, Shaykh al-Dabbāgh : paroles d’or, Paris, les
Éditions du Relié, 2001 ; O’kane, John, Radtke, Bernd, Pure Gold from
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A l-zabbādī, ‘Abd al-Majīd al-Manālī (m. 1163/1750)
– Ifādat murād bi-l-ta‘rīf bi-l- shaykh Ibn ‘Abbād, Al-Ṣqallī, Khālid, éd.,
Fès, 2002.
A l- qādirī, Muḥammad b. al-Ṭayyib b. ‘Abd al-Salām (m. 1187/1773)
10
Voir Dalīl, p. 24, n° 69.
Bibliographie 645
11
Voir Dalīl, p. 26, n° 84.
12
Voir M. Lakhdar, La Vie littéraire..., p. 259
13
Voir ibid.
14
Voir ibid.
646 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
• XIIIe/XIXe siècle
A l-ḥawwāt, Abū Rabī‘ Sulaymān al-Shafshāwanī (m. 1231/1816)
– Al-Rawḍat al-maqṣūda wa al-ḥulal al-mamdūda fī ma’āthir banī Sūda,
Tīlānī, ‘Abd al-‘Azīz, éd., Fès, Mu’assasat Aḥmad Ibn Sūda, 1994, 2 vol.
– T hamarāt Unsī fī ta‘rīf bi-nafsī, Al-Ḥimyar, ‘Abd al-Ḥaqq, éd.,
Chefchaouen, Markaz al-Dirāsāt wa al-Buḥūth al-Andalusiyya, 1996.
– A l-Sirr al-ẓāhir fī-man abraza bi-Fās al-sharaf al-bāhir min a‘qāb
al-shaykh ‘Abd al-Qādir, Fès, litho., s.d.
A l-‘alawī, Abū Rabī‘ Sulaymān b. Muḥammad (m. 1237/1822)
– ‘Ināyat ālī al-majd bi-dhikr āl al-Fāsī b. al-jadd, Fès, litho., 1347 hég.
(1928).
A l-ighrīsī, Muḥammad Būziyyān al-M‘askarī (m. XIIIe/XIXe siècle)
– Kanz al-asrār fī manāqib mawlānā al-‘Arabī al-Darqāwī wa aṣḥābihi
al-akhyār, ms., BG, n° 2339 d, n° 2514 k.
Trad. partielle : Michon, Jean-Louis, « Un témoignage contemporain sur
le Šayḫ Darqāwī », ARA, vol. 39, n° 3, 1992, p. 385-392.
I bn al- qāḍī, Muḥammad al-Mahdī (m. 1271/1855)
– Al-Nūr al-qāwī fī dhikr shaykhinā mawlānā ‘Abd al-Wāḥid al-Dabbāgh
wa shaykhihi mawlānā al-‘Arabī al-Darqāwī, ms., BG, n° 2301 k.
I bn al -ḥājj al -Sulamī, Muḥammad al-Ṭālib b. Ḥamdūn al-Mirdāsī
(m. 1273/1857)
– Al-Ishrāf ‘alā ba‘ḍ man bi-Fās min mashāhīr al-ashrāf, Ibn Al-Ḥājj
Al-Sulamī, Ja‘far, éd., Tétouan, Manshūrāt Jam‘iyya Tiṭāwun Asmīr,
2004, 2 vol.
– Naẓm al-durr wa al-lā’al fī shurafā’ ‘aqaba b. Ṣawwāl, Al-Kattānī, ‘Alī,
éd., Casablanca, Manshūrāt Jam‘īyyat al-shurafā’ al-Kattāniyyīn, 2000.
– Al-Ta‘rīf bi-l-Tawdī Ibn Sūda, Ibn Al-Ḥājj Al-Sulamī, Ja‘far, éd., Damas,
Maktabat al-Kātib al-‘Arabī, 1991.
A l-ṣaqallī, Muḥammad al-Fāṭimī (m. 1311/1893)
– Wafayāt al-Ṣiqillī, Al-‘Irāqī, Aḥmad, éd., Fès, 2001.
• XIVe/XXe siècle
A l-kāttānī, Ja‘far b. Idrīs, (m. 1323/1905)
– Al-Shirb al-muḥtaḍar wa al-sirr al-muntaẓar min mu‘īn ahl al-qarn
al-thālith ‘ashar, Al-Kattānī, Muḥammad Ḥamza, éd., Beyrouth, Dār
al-Kutub al-‘Ilmiyya, 2004.
Bibliographie 647
15
Voir Dalīl, p. 32, n° 116.
648 Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Auteurs non-identifiés
A l-rīfī, Muḥammad b. Ibrāhīm al-Khayyāṭī
– Kitāb jawāhir al-simāṭ fī manāqib sayyidī ‘Abdallāh al-Khayyāṭ, ms.,
BG, n° 1185 d.
A l-fāsī al-F ihrī, ‘Abd Allah b. Muḥammad
– A l-I‘lām bi-man ghabara min ahl al-qarn al-ḥādī ‘ashar, ms., BG,
n° 1080 k.
A l-sharqī, ‘Alī b. al-Ṭayyib,
– Bughyat al-anfās bi-maḥāsin Fās, ms., BG, n° 119.
2. Autres sources
A bū bakr al -M ālikī, Abū ‘Abdallāh Muḥammad, Riyāḍ al-nufūs
fī ṭabaqāt ‘ulamā’ al-Qayrawān wa Ifrīqiya, éd. par B. al-Kūsh,
Beyrouth, Dār al-Maghrib al-Islāmī, 1981, 3 vol.
A l-andalusi, Abū al-Ḥasan ‘Alī Ṣāliḥ, Miftāḥ al-sa‘āda li-ahl al-irāda,
ms., BR, n° 8967.
A l-andalusi, Abū al-Ḥasan ‘Alī Ṣāliḥ, Sharḥ Raḥbat al-amān, ms., BR,
n° 5697.
Al-‘ayyāshī, Abū Sālim, al-Riḥlat al-‘Ayyāshiyya, éd. par M. Ḥajji, Rabat,
Dār al-Maghrib, 1977.
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Benchekroun C.T., « Les Idrissides : l'histoire contre son histoire »,
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