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Secteur Privé & Développement

La revue de proparco

No. 18 / Novembre 2013


Facteurs clés de succès des
producteurs indépendants

Les producteurs privés


en Afrique subsaharienne
Anton Eberhard
et Katharine Nawaal Gratwick

d’électricité : une solution


Graduate School of Business
(Université du Cap)
2

La production privée
d’électricité : le modèle ivoirien
pour l’Afrique ? 
Amidou Traoré
Société des Energies de Côte d’Ivoire
6 L’insuffisance des capacités électriques pèse sur le développement de
Une vérité qui dérange
l’Afrique subsaharienne. La production électrique indépendante est-elle
Bertrand Heysch de la Borde la meilleure solution pour pallier cette insuffisance ?
et Yasser Charafi
SFI
9 Éditorial PAR CLAUDE PÉRIOU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE Proparco

Stimuler la croissance Alors que la demande d’électricité augmente fortement en Afrique subsaharienne,
par une production électrique principalement en raison de la croissance économique et des politiques d’accès
économiquement viable à l’électricité, les capacités de production ne croissent que très peu depuis
Mikael Karlsson
les années 1990. Aujourd’hui encore, seulement 30 % de la population a accès
Globeleq à l’électricité – contre 80 % dans le monde – et l’économie de beaucoup de pays
13
africains est fortement handicapée par la qualité et la quantité d’électricité
Chiffres clés
disponible. En Tanzanie ou en Ouganda par exemple, les coupures de courant feraient
La production d’électricité perdre chaque année à l’économie entre 4 % et 6 % du produit intérieur brut.
en chiffres
16
Face à ce constat, la communauté internationale commence à se mobiliser. Grande
oubliée des Objectifs du millénaire pour le développement, l’énergie est maintenant
Les impacts de la production
indépendante d’électricité une priorité de l’ONU et de l’Union européenne à travers le programme Sustainable
au Kenya Energy for All, qui vise à accroître l’accès à l’énergie tout en augmentant la proportion
Jason Wendle d’énergie renouvelable et en améliorant l’efficacité énergétique.
Dalberg
18 Selon les estimations, ce sont près de 7 000 mégawatts qui doivent être ajoutés
chaque année sur la période 2005 à 2015 pour répondre à la demande insatisfaite et
L’exploitation minière, renforcer les capacités de production. Cela nécessiterait un investissement annuel
un secteur clé pour
d’environ 40 milliards de dollars – alors qu’aujourd’hui il est estimé à seulement 4,6
la production indépendante
d’électricité en Afrique milliards de dollars par an. L’investissement privé dans la production d’électricité est
Jeannot Boussougouth l’une des solutions pour accroître les ressources financières disponibles et améliorer
Standard Bank les performances du secteur électrique. Pourtant, les producteurs indépendants ne
22 représentent toujours qu’une infime partie des acteurs de ce secteur.
Le développement des énergies
renouvelables en Afrique : Ce numéro de la revue Secteur Privé & Développement interroge la pertinence et les
un partenariat public-privé
conditions d’une intervention accrue du secteur privé dans la production électrique.
Grégor Quiniou, Astrid Jarrousse
et Stéphanie Mouen Quels sont les retours d’expérience des projets indépendants de production
PROPARCO d’électricité mis en place en Afrique ? Quels sont les principaux obstacles à leur
Agence Française de Développement développement ? Les projets privés vont-ils permettre de favoriser les énergies
25 renouvelables ? Face à cet enjeu majeur qu’est le déficit électrique en Afrique
subsaharienne, le développement de partenariats public-privé efficaces semble être
la meilleure solution – si ce n’est la seule.

Secteur Privé & Développement


2

Facteurs clés de succès des


Les producteurs
privés d’électricité :
une solution
pour l’Afrique ? 

producteurs indépendants
en Afrique subsaharienne
Les producteurs indépendants d’électricité pourraient contribuer encore plus au développement
de la capacité de production électrique en Afrique subsaharienne. Il reste néanmoins un long
chemin à parcourir avant qu’ils puissent jouer un rôle majeur. L’analyse d’une trentaine de
projets implantés en Afrique subsaharienne met en lumière les aspects essentiels favorisant
leur développement dans cette région.

Anton Eberhard et Katharine Nawaal Gratwick sement concernant l’électricité sont estimées à
Graduate School of Business (Université du Cap)
4,6 milliards de dollars par an, dont 50 % sont
Consultante en énergie couverts par des ressources publiques. L’inves-
tissement privé doit donc se renforcer rapide-

E
n Afrique subsaharienne, seule 30 % de ment – notamment à travers des partenariats
la population a accès à l’électricité1. Selon public-privé.
les estimations, ce sont près de 7 000 Au début des années 1990, les institutions de
mégawatts (MW) qui doivent être ajoutés développement, qui s’étaient en grande par-
chaque année sur la période 2005 à 2015 pour tie retirées du financement de projets publics,
répondre à la demande insatisfaite et renfor- incitèrent un certain nombre de pays à adopter
cer les capacités de production. Cela implique des plans ouvrant la voie à la participation du
un investissement d’environ 40 milliards de secteur privé et à la concurrence
dollars par an (Eberhard et alii, 2011), dont dans les systèmes électriques. « Les producteurs
27 milliards pour l’investissement dans les ac- Les producteurs d’énergie indé- indépendants ne
tifs2. Ce chiffre correspond à 6,35 % du PIB de pendants sont devenus une prio- représentent toujours
l’Afrique. Actuellement, les dépenses d’investis- rité dans le cadre de la réforme qu’une infime partie
globale du secteur de l’électricité. de ce secteur. »
Ils représentaient la solution aux
difficultés d’approvisionnement persistantes,
offraient un point de comparaison avec les
opérateurs publics et contribuaient à intro-
duire progressivement la concurrence. Depuis
les années 1990, une trentaine de projets de
taille moyenne à importante – supérieurs à
40 MW et connectés au réseau3 (voir Tableau 1)
Anton Eberhard et Katharine Nawaal Gratwick – ont vu le jour dans onze pays, pour une
Anton Eberhard dirige le Après avoir été chercheuse augmentation totale de la capacité d’environ
Programme de gestion de à la Graduate School of 4,7 gigawatts (GW) (Eberhard, A., 2013).
réforme et de réglementation Business du Cap, Katharine Cependant, les producteurs indépendants ne
des infrastructures à la Nawaal Gratwick est représentent toujours qu’une infime partie
Graduate School of Business aujourd’hui consultante en
(université du Cap). Il est énergie à Houston (États-
de ce secteur. Plusieurs facteurs ont joué un
membre fondateur de Unis). Elle est spécialisée rôle crucial dans la mise en place des projets
l’Académie des Sciences dans les projets indépendants existants : la manière dont la planification,
d’Afrique du Sud et siège à la de production d’électricité la sélection des projets et la négociation des
Commission de planification en Afrique subsaharienne. contrats s’articulent; le rôle des institutions
nationale. En 2012, il a reçu Elle a travaillé avec plusieurs
le prix de la South African institutions multilatérales
financières de développement; les antécédents
National Energy Association et bilatérales sur la question 1
Contre la moitié en Asie du Sud et plus des quatre cinquièmes en Amérique
pour sa contribution de l’accès à l’électricité et latine.
exceptionnelle à l’amélioration a collaboré avec le secteur 2
Le reste est consacré à l’exploitation et la maintenance.
privé sur un grand nombre
3
Cet article traite des projets raccordés au réseau, supérieurs à 40 MW,
de l’environnement assortis de contrats d’achat d’électricité à long terme avec le service
énergétique en Afrique du Sud. de sujets. public, dont le financement a été accepté et qui sont en construction,
opérationnels, finis ou conclus à compter de la fin du second trimestre 2013.
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3

des investisseurs en matière de développement naie locale a été garantie pour pratiquement
ainsi que les outils de rehaussement de crédit. l’ensemble des projets. La demande de projets
Il existe un certain nombre de succès notables, privés dépassant l’offre, les pays dont les pro-
notamment au Kenya, en Afrique du Sud et fils d’investissement étaient plus avantageux
potentiellement au Nigéria – des pays dont les ont attiré un plus grand nombre d’investis-
politiques innovantes peuvent être répliquées. seurs et ont pu conclure des contrats à des
conditions plus favorables. L’équilibre entre
Climat d’investissement et risque et rétribution – un facteur essentiel
réglementation claire pour les investisseurs – passe par la garantie
Dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, d’un environnement d’investissement stable
les projets de production privée d’électricité et prévisible.
ont vu le jour dans un climat d’investisse- La définition de nouvelles politiques et d’une
ment difficile. Pour attirer les investisseurs réglementation claire a également été un fac-
privés, les pays ont mis en place des incita- teur clé de succès. Bien que la plupart des pays
tions fiscales. La convertibilité de la mon- aient instauré une législation autorisant

Tableau 1 : Les projets privés supérieurs à 40 MW au second trimestre 2013 en Afrique

Projet Pays Taille en MW Combustible/cycle Type de contrat Contrat (années) Achèvement


Dibamba Cameroun 88 Fuel lourd/Centrale de pointe BOT 20 2009
Kribi Cameroun 216 Gaz naturel/cycle ouvert BOT 20 2012
CIPREL Côte d’Ivoire 210+111 Gaz naturel/cycle ouvert BOOT 19 1995/2009
Azito Côte d’Ivoire 281+139 Gaz naturel/cycle ouvert BOOT 24/20 2000/2015
Takoradi II Ghana 220 Brut léger/cycle simple BOOT 25 2000
Sunon Asogli Ghana 200 Moteur à combustion BOO 20 2010
CENIT Energy Ltd* Ghana 126 3 combustibles/cycle ouvert - - 2012
Westmont Kenya 46 Kérosène/gaz BOO 7 1997
Iberafrica Kenya 44+12+52 Fuel lourd/moteur diesel BOO 7/15/25 1997/2000/2009
OrPower4 Kenya 48+36 Géothermie BOO 20 2000/2009
Tsavo Kenya 74 Fuel lourd/moteur diesel BOO 20 2001
Rabai Kenya 90 Fuel lourd BOOT 20 2009
Centrale thermique de Thika Kenya 87 Fuel lourd/moteur diesel BOO 20 En construction
Triumph (Athi River) Kenya 81 Fuel lourd/moteur diesel BOO 20 En construction
AES Barge Nigeria 270 Gaz naturel/cycle ouvert BOO 13 2001
Okpai Nigera 450 Gaz naturel/cycle combiné BOO 20 2005
Afam VI Nigeria 630 Gaz naturel/cycle combiné BOO 20 2008
Aba Integrated Nigeria 141 Gaz naturel - - 2013
Kivuwatt Rwanda 100 Méthane/générateur diesel BOO 25 En cours
GTi Dakar Sénégal 52 Diesel/nafta BOOT 15 1999
Kounoune I Sénégal 68 Fuel lourd BOO 15 2008
IPTL Tanzanie 100 Fuel lourd/moteur diesel BOO 20 1998
Songas Tanzanie 189 Gaz naturel/cycle ouvert BOO 20 2004
Centrale thermique de Lomé Togo 100 3 carburants (thermique) BOOT 25 2010
Namanve Ouganda 20+30 Fuel lourd BOOT 6 2009/2012
Bujagali Ouganda 250 Hydraulique BOT 30 2011
Tororo** Ouganda 50 Diesel BOO - 2012
Itezhi Tezhi Zambie 120 Hydraulique BOOT 25 Attendu en 2014
BOT : Construction – Exploitation – Transfert / BOOT : Construction – Propriété – Exploitation – Transfert / BOO : Construction – Propriété – Exploitation

L’île Maurice, le Cap Vert et l’Afrique du Sud n’ont pas été inclus dans ce tableau.

*CENIT Energy, également connue précédemment sous le nom de Tema Osonor, bien qu’indépendante de VRA, est détenue à 100 % par la société ghanéenne Social Security and
National Insurance Trust company. Elle n’est donc pas à proprement parler un producteur indépendant, si l’on tient compte du caractère public de son actionnaire.
**Ajout de capacité concernant Tororo en 2012 (capacité initiale de 20 MW, installée en 2009).

Source : Gratwick, K.N., Eberhard, A., 2011.


Secteur Privé & Développement
4 Facteurs clés de succès des producteurs indépendants en Afrique subsaharienne

Les producteurs la production d’électricité par le secteur de la planification, de la passation des marchés
privés d’électricité :
une solution privé, peu en réalité sont parvenus à mettre en ou de la négociation de contrats d’une nouvelle
pour l’Afrique ? 
place un cadre clair et cohérent. Par ailleurs, les centrale.
services publics en place continuent de jouer Il est également impératif d’établir des liens ef-
un rôle déterminant. En Afrique, le modèle ficaces entre ces trois fonctions. Dans certains
de réformes standard – dégroupage de la pro- pays, le manque de fiabilité des prévisions de
duction, du transport et de la distribution ; l’offre et de la demande – accentué par des sé-
introduction de la concurrence et du secteur cheresses prolongées – a conduit à la construc-
privé à tous les niveaux – n’est jamais pleine- tion, dans l’urgence, de centrales privées, ce
ment appliqué (NU-CEA/PNUE, 2007 ; Mal- qui a un coût. Bien qu’il soit facile, rétrospecti-
gas et alii, 2007 ; Gratwick, K.N., Eberhard, A., vement, d’accuser les décideurs d’avoir agi im-
2008). Néanmoins, la quasi-totalité des pays prudemment, la multiplication des délestages
qui ont entamé des réformes ont mis en place et des coupures de courant ne laissait guère
des régulateurs indépendants, ayant pour mis- d’autres choix (Eberhard et al., 2011)4. Toute-
sion de répondre aux risques auxquels les pro- fois, une amélioration de l’organisation et une
ducteurs privés sont confrontés (changements planification en amont auraient pu limiter ce
arbitraires de règles, pouvoir discrétionnaire type de situation.
excessif en matière de prix). Les régulateurs in-
dépendants contribuent également à la trans- Approvisionnement en combustible
parence globale qu’attendent les investisseurs. et contrats d’achat d’électricité
La présence d’un régulateur ne constitue pas La disponibilité en combustible à un tarif com-
en soi un facteur déterminant pour attirer les pétitif constitue un facteur déterminant dans
producteurs privés, mais elle contribue à pré- la manière dont les producteurs indépendants
server un équilibre satisfaisant entre toutes les sont perçus. Le combustible est généralement
parties prenantes. un coût transféré à l’acheteur public, et dans
de nombreux cas, au consommateur final. Les
Établir un lien entre planification, producteurs privés ont contribué à la diversifi-
sélection des projets et négociation cation énergétique de certains pays. Cependant,
de contrats comparés à ceux des centrales publiques (sou-
Intimement dépendante de politiques pu- vent des centrales hydrauliques déjà amorties),
bliques bien réfléchies, la planification du sec- leurs coûts apparaissent plus élevés – en partie
teur de l’électricité est elle-même liée aux mo- du fait du coût du combus-
dalités de sélection et à la contractualisation tible. Aux yeux des consom- « Lorsque les producteurs privés
de ces projets. Dans l’idéal, la planification doit mateurs, donc, les produc- disposent d’un combustible
permettre de définir une norme de sécurité teurs indépendants « tirent bon marché, leurs chances
énergétique, de réaliser des prévisions détail- les prix vers le haut », ce qui de réussite augmentent. »
lées de l’offre et de la demande, d’élaborer un rend l’appui du public bien
plan à moindre coût, de clarifier la répartition difficile à obtenir. Par contre, lorsque les pro-
de la production entre secteurs privé et public, ducteurs privés disposent d’un combustible bon
d’organiser les processus d’appels d’offre pour marché, leurs chances de réussite augmentent.
les nouvelles installations. Confier à une seule Les conditions du rachat de l’électricité sont
agence la planification et les passations de également décisives. Tous les projets évalués
marché est un des aspects les plus importants faisaient état de contrats d’achat d’électricité
d’une planification cohérente (voir encadré) avec la société nationale d’électricité – ce qui ga-
(Malgas, I., Eberhard, A., 2011.). Trop souvent, rantit la régularité des revenus pour les prêteurs
malheureusement, la planification ne se tra- et les investisseurs. Le contrat d’achat d’électri-
duit pas par la mise en place en temps utile de cité joue un rôle central5. Dans certains cas, il a
processus d’appels d’offres pour les nouvelles été au centre des discussions lorsque les parties
centrales. La capacité de négociation avec les estimaient que les accords étaient déséquilibrés.
soumissionnaires retenus ou à conclure des
contrats durables est, par ailleurs, souvent
assez faible. Des conseillers externes sont par- 4
Le coût de l’approvisionnement d’urgence reste inférieur aux coûts
fois nommés, mais ils n’interviennent souvent engendrés par l’absence d’électricité. La valeur de l’énergie non fournie
et des coupures de courant dans les pays d’Afrique subsaharienne est
que ponctuellement. Les marchés de l’électri- estimée en moyenne à 2,1 % du PIB.
cité hybrides, composés d’acteurs privés et pu-
5
En plus d’indiquer qui achète l’électricité, les contrats d’achat d’électricité
précisent la capacité de production disponible ainsi que le tarif. Figurent
blics, posent de nouveaux défis. Les politiques également clairement dans ces contrats : la mise en service des centrales,
le dosage du combustible, l’interconnexion, l’assurance, la clause de
publiques, les modalités de gouvernance, le force majeure, le transfert, la résiliation, le changement de dispositions
légales, les modalités de refinancement et la résolution de conflits.
fonctionnement institutionnel doivent être Les dispositions de limitation des risques incluses dans les contrats
clairement définis pour que les responsabilités d’achat d’électricité prévoient des sanctions en cas d’interruption de la
production des centrales et des sanctions plus sévères en cas d’échec des
soient précisément attribuées – qu’il s’agisse centrales, ainsi que des dispositions de rachat de l’actif.

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5

Une origine commune de la dette et des financements étrangers tient au fait qu’ils sont
fonds propres généralement libellés en devises fortes, ce qui
Les entreprises étrangères dominent la pro- impose d’établir les contrats d’achat d’électricité
duction privée d’électricité en Afrique subsaha- dans la même devise. Cela a un impact négatif
rienne. Cela n’a rien d’étonnant, compte tenu sur les tarifs en cas de dévaluation des mon-
de la limitation des capitaux disponibles loca- naies locales.
lement. Cependant, l’expérience du producteur
indépendant dans le pays d’investissement et Rehaussements de crédit et garanties
les antécédents de l’investisseur en matière de Le risque de crédit sous-jacent lié aux projets
développement semblent plus révélateurs que est largement couvert par une série de rehaus-
leurs nationalités. Ainsi, Globeleq, IPS et Ald- sements de crédit tels que les comptes bloqués,
wych International sont tous issus, à l’origine, les lettres de confort des États, les garanties de
d’organismes fortement impliqués dans le déve- risque partielles ou souveraines, l’assurance du
loppement social et économique. Globeleq reste risque politique, etc. Le soutien des pouvoirs
détenu à 100 % par Actis, qui est une émana- publics continue d’être considéré par les insti-
tion du programme du Département britan- tutions de développement et les investisseurs
nique du développement international (DFID) comme le plus important (Banque mondiale,
assurant la promotion du secteur privé. IPS est 2010). Le niveau de ce soutien n’a que très peu
la branche opérationnelle du Fonds Aga Khan évolué, tous les producteurs privés bénéficiant
pour le développement économique (AKFED), d’un contrat d’achat d’électricité et le risque de
qui investit uniquement dans des projets à fort crédit étant en grande partie supporté par une
impact développemental. Enfin, Aldwych Inter- garantie gouvernementale. Il est important
national est une initiative de la banque de déve- de chercher à combler l’écart entre la percep-
loppement néerlandaise FMO. Les projets mis tion du risque par les investisseurs d’une part
en œuvre par ces sociétés doivent avoir un sens et celle des gouvernements des pays d’accueil
d’un point de vue commercial, mais ils doivent d’autre part – sans quoi, la révision des contrats
également jouer un rôle en termes de dévelop- constatée sur certains projets pourrait bien se
pement. Pratiquement aucun des projets finan- poursuivre. Le moyen d’y parvenir ne peut pas
cés par ce type de sociétés n’a fait l’objet de mo- uniquement résider dans la mise en place de
difications de leurs conditions contractuelles ; nouvelles protections, mais plutôt dans la mise
sans doute les partenaires locaux considèrent- en oeuvre systématique des nombreux éléments
ils ces accords comme plus équilibrés. qui contribuent à la réussite de ces projets.
Le financement de la dette – qui représente
souvent plus de 70 % des coûts totaux – consti-
tue également un facteur déterminant dans
la réussite des projets. En Afrique, les clés de Encadré : Planification, sélection des
projets et négociation de contrats au Kenya
ces financements reposent sur l’engagement
des institutions financières de développement La législation sur l’électricité kenyane attribue la responsabilité de
(IFD), les outils de rehaussement de crédit et la planification électrique à l’Energy Regulatory Commission (ERC).
Consciente du fait qu’elle ne dispose ni de la capacité en interne,
une certaine souplesse dans les conditions
ni des ressources, ni des outils de planification nécessaires pour
générales pour permettre un refinancement. élaborer des plans détaillés et actualisés, l’ERC convoque et dirige
La prime de risque exigée par les financeurs ou un comité de planification composé des ministères concernés et
plafonnée par l’acheteur doit correspondre aux d’entreprises publiques. Avec l’assistance de la Banque mondiale,
risques réels associés au pays et au projet, sans la Kenya Power and Light Company (KPLC) a aidé ce comité à
élaborer des plans à moindre coût. En 1997, KPLC a abandonné
être majorée. Il est important de parvenir à un
la production, aujourd’hui assurée par KenGen. Elle bénéficie
équilibre global entre la réussite de l’investis- donc d’une position neutre entre le service public, KenGen et
sement et les objectifs de développement. Les les producteurs indépendants. Le ministère de l’Énergie attribue
financements par les IFD sont longs à finaliser les projets de constructions nouvelles à KenGen ou, par le biais
mais ils présentent de réels avantages. Cet appui d’un processus d’appel d’offres, à des producteurs privés. KPLC
est également chargé de la sélection des projets privés et de la
permet de résister plus efficacement aux velléi-
négociation des contrats avec les producteurs indépendants. Les
tés de renégociation en cas de difficultés dues documents de soumission et les contrats d’achat d’électricité ont
à des facteurs externes. Ce fut le cas au Kenya, en grande partie été standardisés. Les sponsors de projets privés
par exemple, où les producteurs ont été soumis ont désormais une vision plus claire du mode de fonctionnement
à des pressions pour baisser les prix du fait de du processus de sélection de nouvelles centrales au Kenya.

la sécheresse. Le principal inconvénient de ces


Références / Banque mondiale, 2010. Communication personnelle du 17 mai, objet : credit enhancements and security arrangements. // Eberhard, A., 2013. Feed-In Tariffs or
Auctions, Procuring Renewable Energy Supply in South Africa, Viewpoint, Banque mondiale, Washington, D.C. // Eberhard, A., Rosnes, O., Shkaratan, M., Vennemo, H., 2011. Africa’s Power
Infrastructure: Investment, Integration, Efficiency, Banque mondiale, Washington D.C. // Gratwick, K.N., Eberhard, A., 2008. Demise of the standard model for power sector reform and the
emergence of hybrid power markets, Energy Policy 36. // Gratwick, K.N., Eberhard, A., 2011. When the Power Comes, An analysis of IPPs in Africa. Octobre 2011 et mis à jour en juillet 2013.
// Malgas, I., Gratwick, K.N., Eberhard, A., 2007. Moroccan Independent Power Producers: African Pioneers. Journal of North African Studies 13 (1). // Malgas, I., Eberhard, A., 2011. Hybrid
Power Markets in Africa: Generation Planning, Procurement and Contracting Challenges. Energy Policy 39, forthcoming. // NU-CEA/PNUE, 2007. Making Africa’s power sector sustainable. An
analysis of power sector reform in Africa. Addis Abeba, Ethiopie. Septembre.
Secteur Privé & Développement
6

La production privée
Les producteurs
privés d’électricité :
une solution
pour l’Afrique ? 

d’électricité : le modèle ivoirien


La Côte d’Ivoire a été l’un des premiers pays, en Afrique subsaharienne, à privatiser son secteur électrique.
Les producteurs indépendants occupent une place importante dans la production électrique du pays.
Le pays veut aujourd’hui privilégier les projets hydrauliques pour équilibrer le mix énergétique.
Mais, alors que la demande croît, le secteur présente toujours un fort potentiel pour les opérateurs privés.

Amidou Traoré modèle a permis d’assurer la pérennité de la


Directeur général, Société des Energies de Côté d’Ivoire
production privée et étatique même pendant
la crise politique de 2010-2011.
Lors de l’inauguration de la centrale ther-

L
a Côte d’Ivoire est le premier État en mique d’Aggreko en juillet 2013, le Premier
Afrique subsaharienne à avoir eu re- Ministre Ivoirien indiquait que son pays avait
cours au secteur privé pour accroître pour objectif de doubler à l’horizon 2020 la
ses capacités de production électrique. La capacité de production nationale. Cette mon-
première phase de la restructuration du sec- tée en puissance imposante répond à une
teur intervient dans les années 1990 ; en plus demande croissante et ne peut se faire sans
de la libéralisation de la production de l’élec- une implication du secteur privé.
tricité qui a toujours existé, l’État signe avec
la Compagnie Ivoirienne de l’Electricité (CIE) La part croissante du privé dans la
une convention de concession du secteur de production électrique
l’électricité en Côte d’Ivoire dans lequel il lui Les chocs pétroliers de 1973 et de 1979 ont
confie la production, le transport et la distri- conforté la Côte d’Ivoire dans son choix de
bution de l’électricité. Une deuxième phase privilégier la production hydroélectrique.
de restructuration débute en 1998 – visant L’Énergie Electrique de la Côte d’Ivoire
essentiellement à améliorer la rentabilité (EECI), société nationale en charge des in-
du secteur. Une dernière vestissements et de l’exploitation, a ainsi pu
réforme opérée en 2011, a satisfaire à moindre coût, en année de bonne
consacré la création de la hydraulicité, plus de 80 % de la
Société des Energies de Côte demande nationale d’énergie « Le pays a pour objectif
d’Ivoire (CI-ENERGIES), électrique. Les barrages de de doubler à l’horizon
société publique en charge Kossou (174 mégawatts - MW), 2020 la capacité de
de la planification et des Taabo (210 MW), Buyo (165 MW) production nationale. »
investissements dans le ont été mis en service respecti-
secteur de l’électricité (voir vement en 1972, 1979 et 1980. Mais la séche-
Amidou Traoré encadré). resse de 1983-1984 a poussé la Côte d’Ivoire à
Amidou Traoré est directeur
L’implication du privé dans rééquilibrer son mix énergétique. Ainsi, l’EECI
général de la Société des le secteur électrique en met en service dans l’urgence une centrale à
énergies de Côte d’Ivoire Côte d’Ivoire ne concerne turbines à gaz de 100 MW à Vridi. L’augmen-
(CI-ENERGIES), compagnie pas le seul domaine de la tation des coûts de production résultant de
d’État en charge de la production. L’État a mis cette décision entraine un déficit de trésore-
planification et de la mise
en œuvre des projets
en place un modèle inédit, rie que l’EECI a trainé jusqu’en 1990. À cette
d’investissements dans basé sur cette concession date, la Côte d’Ivoire décide de privatiser le
le secteur de l’électricité. à une société privée (CIE) secteur de l’électricité et crée la CIE. L’État
Depuis 27 ans, il a exercé de l’exploitation de l’en- concède à cette nouvelle structure le service
plusieurs fonctions, tant semble du secteur. Depuis public national de production, de transport,
au niveau de l’exploitation
que de la mise en œuvre de
1998, ce modèle établit de distribution, d’exportation et d’importa-
projets de développement : un système de paiements tion de l’énergie électrique – avec pour objectif
gestion d’aménagements « en cascade » pour tous d’assurer le redressement financier du secteur.
hydroélectriques, de les producteurs – source L’EECI reste en charge de la planification et de
réseaux de transport et de de confort important pour la maîtrise d’œuvre des investissements.
distribution, etc.
les producteurs privés. Ce En 1994, la demande en énergie électrique
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croit de façon importante, du fait de la relance d’énergie exportée de 610 GWh et une pointe
économique qui fait suite à la dévaluation du de 1 006 MW sur le réseau interconnecté. Le
franc CFA. Ainsi, le risque de délestage et taux de couverture nationale (nombre de lo-
le manque de moyens de l’État poussent la calités électrifiées rapporté au nombre total
Côte d’Ivoire à se tourner vers des produc- de localités) est de 34 % et le taux d’accès (po-
teurs indépendants d’électricité pour renfor- pulation vivant dans les localités électrifiées
cer les capacités du pays. Le 20 juillet 1994, rapportée à la population totale) est de 74 %.
une convention est signée avec la Compa-
gnie Ivoirienne de Production d’Electricité Facteurs clés de succès et limites du modèle
(CIPREL) pour la construction, l’exploitation Le recours au secteur privé dans la produc-
et le transfert de propriété d’une centrale tion d’électricité en Côté d’Ivoire est donc glo-
thermique de 200 MW. En septembre 1997, balement positif. Quelques facteurs clés de
un contrat est passé avec Azito Énergie pour succès peuvent être tirés de cette expérience.
le développement d’une centrale électrique Tout d’abord, il faut noter que le règlement
au gaz naturel de 300 MW à Azito. Ces ac- des factures des producteurs indépendants
cords ont donné lieu à plusieurs extensions, est sécurisé par un décret qui régit l’affec-
en 1997, 2010 et 2012 pour CIPREL et en tation des ressources du secteur ivoirien de
1999, 2000 et 2013 pour Azito. l’électricité – le paiement des producteurs
Le recours aux producteurs indépendants, indépendants étant placé en priorité dans
essentiellement au niveau de la production la gestion des flux financiers, les fonds étant
thermique, a donc permis à la Côte d’Ivoire collectés par le concessionnaire. Ce dispositif
de disposer de l’énergie électrique néces- a fonctionné même en situation de crise : les
saire pour faire face à l’accroissement de la producteurs privés ont continué à fournir la
demande nationale. En plus de répondre ra- puissance et l’énergie nécessaires à
pidement à la demande, la production indé- couvrir la demande. « Le secteur électrique
pendante permet au pays de se positionner Par ailleurs, l’achat de l’énergie pro- ivoirien est ainsi l’un
comme exportateur net d’électricité dans la duite est garanti par des contrats des plus performants
sous-région (Burkina Faso, Ghana, Bénin, de type Take or Pay1, qui assurent de la sous-région. »
Togo, Mali). Ce positionnement est renforcé au producteur privé des recettes
par le développement des producteurs indé- suffisantes pour rentabiliser le projet selon le
pendants d’électricité avec une disponibilité business plan réalisé dans le cadre de l’étude
et une fiabilité accrues. Le secteur électrique de faisabilité. Enfin, les producteurs indé-
ivoirien est ainsi l’un des plus performants pendants bénéficient de conditions fiscales
de la sous-région. Les chiffres de 2012 attractives, qui prennent la forme d’une exo-
indiquent une production totale brute de nération d’impôt sur le bénéfice commercial
6 949 gigawatt-heure (GWh), une quantité pendant quelques années – ainsi que diverses
facilités douanières.
Ce modèle, néanmoins, comprend quelques
limites. L’obligation du type Take or Pay, com-
Encadré : Organisation du sec- prise dans les contrats, induit une rigidité
teur électrique ivoirien dans la gestion du parc de production. En
La Société Energie Electrique de Côte d’Ivoire effet, l’énergie produite par les producteurs
(EECI), créée en 1952, est historiquement en
indépendants doit être achetée en priorité, ce
charge de la mise en œuvre de la politique du
gouvernement en matière d’électricité et de l’eau.
qui peut s’avérer contraignant dans le cadre
La loi du 29 juillet 1985 organise la production, le d’une programmation optimale de la pro-
transport et la distribution de l’énergie électrique duction  des ouvrages. Un parc uniquement
et ouvre aux opérateurs privés le segment de constitué de producteurs indépendants avec
la production en Côte d’Ivoire – en l’étendant
une obligation de Take or Pay n’est pas envisa-
à toutes les sources d’énergie autorisées.
Aujourd’hui, les structures étatiques comprennent
geable dans la mesure où tout le système de
la Société des énergies de Côte d’Ivoire (CI- production serait bridé.
ENERGIES) en charge de la gestion du patrimoine Afin de réduire leurs risques financiers,
du secteur électrique, de la planification et de la opérationnels et commerciaux, une forte
maîtrise d’œuvre des investissements, et l’Autorité
implication de l’État est requise par
nationale de régulation du secteur de l’électricité
(ANARE). La Compagnie ivoirienne d’électricité
les producteurs indépendants et leurs
(CIE), en charge de l’exploitation du secteur bailleurs de fonds. Elle se traduit entre autres,
électrique, est une structure privée – comme par des lettres de confort et des garanties. Par
le sont les producteurs indépendants CIPREL, ailleurs, des investissements directs
Azito, Aggreko et des producteurs de gaz naturel
(AFREN, Foxtrot, Canadian Natural Resources).
1
Take or pay : Clause d’un contrat de fourniture d’électricité par laquelle le
vendeur garantit la mise à disposition de l’électricité auprès de l’acheteur,
qui garantit en contrepartie le paiement d’une quantité minimale d’énergie,
qu’il en prenne livraison ou non.

Secteur Privé & Développement


8 La production privée d’électricité : le modèle ivoirien

Les producteurs de l’État en infrastructures de trans- développer ce type de grands projets, l’État
privés d’électricité :
une solutionmission et de distribution sont nécessaires. veut poursuivre les mécanismes de finance-
En outre, il faut noter les durées relative-
pour l’Afrique ? 
ment basés  sur les partenariats public-privé.
ment longues des phases d’instruction et Dans ce contexte, l’État s’est également en-
de sécurisation des financements des pro- gagé à rétablir l’équilibre financier du secteur
jets privés – qui s’étendent sur plusieurs électrique en Côte  d’Ivoire et à renforcer ses
mois en raison des exigences juridiques des capacités d’investissement. Cette volonté de
bailleurs de fonds. l’Etat est traduite dans le Plan d’Actions Stra-
Il convient également de signaler les expé- tégiques élaboré par le Ministre du Pétrole et
riences malheureuses de conventions signées de l’Energie de la Côte d’Ivoire.
avec des promoteurs privés (2 cas), qui se sont Le recours aux producteurs indépendants
parfois trouvés dans l’incapacité de sécuriser permet de faire face à une croissance de la
un contrat de construction ou demande. Sur plus de 1 500 MW de nouveaux
« L’État s’est également le financement du projet. Ces projets que la Côte d’Ivoire envisage de mettre
engagé à rétablir conventions ont par consé- en service d’ici 2020, les centrales thermiques
l’équilibre financier quent toutes été résiliées. et hydrauliques développées par des promo-
du secteur électrique Ainsi, les facteurs clés du teurs privés représentent environ 85%. Par
en Côte d’Ivoire. »  succès de la production ailleurs, la volonté de l’État de disposer d’un
privée d’électricité sont mix énergétique équilibré devrait favoriser
principalement le cadre institutionnel, la la production privée hydroélectrique et celle
volonté des acteurs publics, le choix d’opéra- des énergies nouvelles et renouvelables. Le
teurs de référence et la viabilité des projets. nouveau Plan Directeur de Production 2013-
2030 en cours de réalisation explorera toutes
Un secteur à fort potentiel les sources de production potentielles en Côte
La puissance installée de la Côte d’Ivoire – de d’Ivoire. De plus, le nouveau code de l’électri-
1 421 MW au 1er janvier 2013 – passera à cité, en cours d’adoption, traduit la volonté
1 632 MW en fin d’année 2013 avec la mise de l’ouverture au privé en définissant le nou-
en service de la centrale d’Aggreko (100 MW) veau cadre réglementaire du secteur pour les
et de la première phase du projet Ciprel 4 investissements futurs. Enfin, les besoins en
(111 MW). L’objectif de la Côte d’Ivoire est de énergie induits par de gros projets (industries
doubler sa puissance installée à l’horizon 2020 extractives par exemple) vont également aug-
(Figure 1). Dans la planification des ouvrages menter. Il y a donc un fort potentiel pour la pro-
à moyen et long terme, la priorité est donnée duction privée d’électricité en Côte d’Ivoire.
désormais aux ouvrages hydrauliques, qui
en plus d’être une énergie renouvelable, pré-
sente des coûts de production plus bas. Pour

Figure 1 : évolution des capacités de production électrique en Côte d’Ivoire


En MW
5000 4 922

4000

3 290
3000

2000

1 391
1 210
1000
704
604

50
0
1970 1980 1990 2000 2010 2020 estimé 2030 estimé

Hydroélectrique public Hydroélectrique privé Thermique public Thermique privé Autres ENR public

Source : CI-ENERGIES, 2013

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9

Une vérité qui dérange


Les défaillances de son secteur électrique pénalisent l’Afrique subsaharienne. Si le secteur privé est
le mieux positionné pour accroître les capacités de production, il reste confronté à de nombreux
obstacles. Les États africains peuvent agir pour créer un climat plus favorable à ces investissements.
L’une des principales mesures à prendre consiste à renforcer leur secteur électrique. Facturer le prix
réel de l’électricité constitue la première étape vers cet objectif.

Bertrand Heysch de la Borde et Yasser Charafi Afrique du Sud n’est que de 28 gigawatts
Directeur, Infrastructures Afrique, Société financière
(GW) – soit celle des Pays-Bas, un pays qui ne
internationale1, Dakar compte que 17 millions d’habitants (Foster, V.,
Chargé d’affaires, Infrastructures Afrique, Société financière
1
Briceño-Garmendia, C. 2010).
internationale , Dakar Cette réalité préoccupe énormément les ac-
teurs du développement  car le défi à rele-

L
’accès à l’électricité est un des fac- ver, en effet, peut paraître insurmontable. En
teurs de progrès et de développement Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud),
économique parmi les plus importants. la consommation annuelle d’électricité par ha-
Pour les 80 % de la population mondiale qui bitant se situe autour de 200 kilowattheures
ont accès à l’électricité, il n’y a aujourd’hui (kWh). Pour atteindre le niveau de consomma-
plus aucune magie à éclairer sa maison en ap- tion des pays à revenus moyens de la tranche
puyant sur un simple interrupteur. Mais pour inférieure – qui se situe en
plus de 69 % des habitants d’Afrique subsa- moyenne autour de 700  kWh « Pour plus de 69 % des
harienne – soit quelque 585 millions de per- par an –, il faudrait augmen- citoyens de l’Afrique
sonnes (IEA, 2011) –, l’accès à l’électricité ter d ’au moins 125 GW la subsaharienne [...],
demeure un rêve lointain. La capacité to- capacité de production et déve- l’accès à l’électricité
tale installée de l’Afrique subsaharienne hors lopper les réseaux de transport demeure un rêve
et de distribution nécessaires. lointain. »
Ce scénario, pour se réaliser,
nécessiterait 400  milliards de dollars – soit
40 milliards de dollars d’investissement par an
sur dix ans. Cette somme représente de 7,5 %
à 10 % du PIB du continent ; un tel investisse-
ment semble bien peu probable.
Les subventions et les prêts des institutions de
développement ne suffiront pas non plus : le total
de l’aide publique au développement (APD) dont
Bertrand Heysch de la Borde et Yasser Charafi bénéficie l’Afrique dans le secteur des infrastruc-
tures s’élève à 3,5 milliards de dollars par an en-
Fort de plus de 20 ans Diplômé de la Harvard
d’expérience, Bertrand University Kennedy School of
viron (Foster, V., Briceño-Garmendia, C. 2010),
Heysch de la Borde dirige Government, Yasser Charafi tandis que les banques de développement et les
les opérations liées aux est chargé d’affaires au sein institutions comparables fournissent près de 30
infrastructures en Afrique de l’équipe Infrastructures milliards de dollars supplémentaires par an2 sous
subsaharienne pour la Société de la SFI pour l’Afrique forme de prêts. Même dans l’éventualité très peu
financière internationale basée à Dakar. Spécialisé
(SFI), appuyé par une équipe dans les infrastructures
probable où un tiers de ces fonds (évalués globa-
de 40 professionnels de de transport (comme les lement à 35 milliards de dollars) seraient affec-
l’investissement. Après avoir ports, aéroports et routes tés au développement de l’énergie électrique, ces
débuté sa carrière au sein du à péage) ainsi que dans les quelque 10 à 15 milliards ne représenteraient à leur
groupe Agence française de projets d’énergie thermique tour qu’un tiers des besoins.
développement, il devient et renouvelable, il est plus
responsable du financement particulièrement responsable
des projets d’infrastructures des investissements sous
1
Les avis et les opinions exprimés dans le présent article ne représentent pas
nécessairement ceux de la SFI ou de son conseil d’administration, ni ceux de
à la Société générale. Il rejoint forme de « financement de la Banque mondiale, de ses administrateurs ou des pays qu’ils représentent.
la SFI en 2007. projet » dans ces secteurs. Ils ne peuvent donc leur être attribués.
2
Estimation des auteurs (comprend les banques de développement et les
principales banques Exim).

Secteur Privé & Développement


10 Une vérité qui dérange

Les producteurs Le privé : une source de financement Quels freins à cet investissement privé ?
privés d’électricité :
à développer
une solution L’investissement privé et le développement
D’où peuvent donc venir les investisse-
pour l’Afrique ? 
des producteurs indépendants sont souvent
ments  nécessaires au développement du freinés par l’attitude des autorités publiques.
secteur électrique ? Du secteur privé, na- Elles semblent en effet parfois réticentes à
turellement. En 2012, les 20 principales accepter l’impact transformationnel de l’in-
banques commerciales ont accordé des vestissement privé dans la production élec-
prêts d’un montant de 21,5 milliards de dol- trique. Certains pays continuent de penser
lars pour financer des projets dans le monde que la production d’électricité est un secteur
entier. Avant la crise, cette enveloppe s’éle- stratégique qui doit rester aux mains de l’État.
vait même à 45,5 milliards de dollars. Du D’autres ont une perception négative du sec-
côté des institutions financières internatio- teur privé, du fait d’expériences passées. Par-
nales (IFI), rien que pour l’année écoulée, fois encore, le maintien du contrôle de l’État
la Société financière internationale (SFI), sur ce secteur est vu comme un moyen de re-
qui soutient le secteur privé, a débloqué porter des réformes douloureuses. Les gou-
environ 1,5  milliard de dollars pour le fi- vernements sont aussi tentés par des prêts
nancement de projets de développement concessionnels, des subventions ou les prêts
du secteur électrique en Afrique subsa- attractifs des agences de crédit à l’exportation.
harienne, catalysant au total plus de trois Enfin, ils sont parfois persuadés que les pro-
milliards de dollars d’investissements, ma- ducteurs indépendants pourraient, compara-
joritairement en cofinancement avec Pro- tivement, augmenter les coûts.
parco, un de ses principaux partenaires. Par ailleurs, les autorités publiques n’as-
Le rôle des capitaux privés est donc surent pas toujours correctement le recou-
essentiel. Ils pourraient davantage béné- vrement des coûts et la pérennité financière
ficier aux producteurs d’électricité indé- de leur secteur électrique. Les États peinent
pendants, généralement plus performants. souvent à considérer l’électricité comme une
En moyenne, les centrales thermiques gé- simple marchandise et refusent de la faire
rées par les services publics en payer à son véritable coût. L’investissement
« Les producteurs Afrique excèdent rarement une nécessaire à la construction d’une centrale
privés fournissent [...] disponibilité de 65 %3 tandis électrique est globalement le même à l’échelle
de l’électricité à un que les producteurs indépen- mondiale, voire souvent plus cher en Afrique
tarif satisfaisant. » dants dépassent souvent 90 % : du fait des coûts de transport du matériel et
motivés par les perspectives de de l’absence d’économies d’échelle. Les coûts
gain, ils se concentrent sur la performance variables (principalement le coût du combus-
opérationnelle. Ils permettent également tible), eux, dépendent de la dotation en res-
aux États d’économiser d’importants coûts sources naturelles et de leur disponibilité
initiaux, ce qui permet de déployer de pré- dans le pays. Compte tenu de ces éléments, le
cieuses ressources dans d’autres secteurs – coût de production d’un kilowattheure d’élec-
le prix d’une centrale au mazout lourd de tricité en Afrique est au moins aussi élevé que
100 MW équivaut à celui de 50 centres mé- dans les pays plus riches.
dicaux bien équipés. Enfin, il va sans dire que la bonne gouver-
Les producteurs privés fournissent égale- nance au sein des institutions publiques
ment de l’électricité à un tarif satisfaisant – constitue une condition préalable au succès
le coût moyen est inférieur à 0,05 dollar par des producteurs indépendants. D’une façon
kWh4 pour les centrales thermiques à l’ex- générale, les investisseurs sont attachés à la
ception de celles fonctionnant au fioul – et visibilité et aux règles claires. Le secteur de
déchargent les gouvernements des risques l’électricité est un secteur d’activité complexe
liés à la construction et au financement. Ce- – qui allie des aspects financiers, économiques
pendant, au cours des trois dernières an- et sociaux –, pour lequel une gestion compé-
nées, seule une dizaine de projets privés ont tente constitue un élément essentiel pour at-
vu le jour en Afrique subsaharienne (hors tirer les investisseurs privés.
Afrique du Sud). Neuf pays seulement sur
48 ont eu recours à des producteurs indé- La nécessité d’une tarification adaptée
pendants. aux revenus
En Afrique, les gouvernements gèrent la pro-
blématique de l’accessibilité à l’électricité en
fixant des tarifs bas. Dans de nombreux pays,
3
Estimation des auteurs (données propriétaires). Le terme « disponibilité » le secteur de l’électricité est, de ce fait, rapi-
désigne la proportion de temps pendant laquelle une centrale électrique est
potentiellement capable de générer de l’électricité.
dement devenu financièrement non viable
4
Échantillonnage de projets extrait des données des auteurs et dépendant des subventions publiques.
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11

Un rapport publié récemment par le Fonds Le cercle vicieux des défaillances


monétaire international indique que les ta- du système électrique africain
rifs de l’électricité en Afrique subsaharienne Le refus des gouvernements de faire payer
ne permettent le recouvrement que d’en- aux citoyens le véritable prix de l’électricité
viron 70 % des coûts (FMI, 2013). Les sub- décourage les producteurs indépendants cré-
ventions accordées au secteur de l’électricité dibles. Pourquoi investiraient-ils des centaines
représentent en moyenne 2 % du PIB et 9 %5 de millions de dollars lorsque l’acheteur – le
du total des recettes publiques. En comparai- service public ou l’État – ne demande pas un
son, les dépenses de santé et d’éducation dans tarif suffisant aux utilisateurs finaux pour
cette région du monde représentent au total couvrir les coûts, laissant l’investisseur exposé
8  % du PIB. De plus, ces subventions sont aux impayés ?
inéquitables et socialement dégressives : elles Sur l’ensemble du continent africain, l’ineffica-
avantagent en très grande majorité les plus cité des opérateurs d’électricité – le plus sou-
riches. La tranche des 20 % les plus pauvres vent étatiques – est quasiment toujours à l’ori-
ne reçoit généralement que 9 % du total des gine des défaillances du secteur électrique. Un
subventions destinées au secteur de l’électri- opérateur de qualité joue un rôle central dans la
cité (FMI, 2013). Enfin, elles détournent des stabilisation du secteur, comme l’attestent les
ressources budgétaires rares qui pourraient exemples de la Compagnie ivoirienne d’électri-
être consacrées à des dépenses en faveur des cité (CIE) en Côte d’Ivoire, d’Umeme en Ou-
plus pauvres. ganda, de la société Kenya Power and Lighting
Bien que légitime, la priorité accordée au carac- Company (KPLC) et dans une certaine mesure,
tère abordable du prix fait trop souvent l’ob- celui d’AES-Sonel au Cameroun. La gestion
jet d’une approche restrictive et l’attribution professionnelle de ces entreprises ainsi que
de subventions aussi importantes au secteur leur volonté de réduire les coûts, d’imposer aux
de l’énergie est contestable. Lorsque les utilisa- utilisateurs finaux des tarifs raisonnables et de
teurs finaux ne disposent pas d’électricité, ils défendre la viabilité financière ont joué un rôle
ont recours à des solutions de remplacement déterminant pour maintenir ce secteur à flot.
beaucoup plus onéreuses comme le pétrole Il ne faut donc pas s’étonner que ces quatre
lampant pour l’éclairage, qui se situe à près de pays se caractérisent par une présence signi-
0,75 dollar par kWh6. Le manque d’électrici- ficative de producteurs privés, y compris dans
té a également un impact indéniable sur l’éco- des projets emblématiques
nomie. Les entreprises qui peuvent se le per- comme ceux de la centrale «Le refus des
mettre disposent de générateurs – produisant hydraulique de Bujagali gouvernements de faire
ainsi en général de l’électricité à un coût supé- (Ouganda), de la centrale payer aux citoyens le
rieur à 0,50 dollar par kWh. Enfin, le prix au ki- au gaz naturel d’Azito et des véritable prix de l’électricité
lowattheure ne constitue pas une donnée aussi projets de développement décourage les producteurs
pertinente que beaucoup semble le croire. S’il d’énergie thermique - Com- indépendants.»
est vrai qu’un kilowattheure à 0,20 dollar peut pagnie Ivoirienne de Pro-
sembler élevé pour le citoyen africain moyen, duction d’ Electricité - CIPREL (Côte d’Ivoire)
seule la part totale du revenu consacrée à l’élec- - et de la centrale électrique de 87 megawatts
tricité compte réellement. Le citoyen moyen de de Thika (Kenya).
l’OCDE consomme environ 20 fois plus d’élec- L’absence de stratégie étatique en faveur
tricité que son homologue africain, tout en d’acteurs privés et l’instabilité financière du
ayant un revenu 20 fois supérieur. Les deux secteur de l’électricité produisent un cercle vi-
consacrent donc à peu près la même propor- cieux qui entraîne une détérioration de la qua-
tion de leurs revenus à l’électricité. lité de service, une augmentation des coûts et
des difficultés à sélectionner les bons investis-
5
Calculs effectués par les auteurs seurs privés (Figure 1). Toutes les difficultés
6
Estimation réalisée par les auteurs sur la base d’un litre de pétrole lampant
à 0,50 dollar, 10 kWh/litre de pétrole lampant ayant une teneur calorifique naissent de la vulnérabilité du service public.
et une efficacité énergétique d’environ 0,1 lumen/watt.
Comment sortir de ce piège ? Principalement
en assurant le recouvrement des coûts. Il n’est
R E p è res pas possible d’échapper à cette vérité simple,
même si elle est dérangeante : les utilisateurs
Émanation de la Banque mondiale, la Société financière finaux doivent payer le prix réel de l’électricité.
internationale (SFI) est un des plus importants financeurs du secteur Il faut également admettre que la production
de l’énergie en Afrique. En 2012, elle a consacré environ 1,5 milliards d’électricité est une activité qu’il vaut mieux
de dollars au secteur et a catalysé quelques trois milliards de dollars déléguer au secteur privé, au même titre que
d’investissements privés. La SFI investit en dette ou en fonds-propres
dans le transport, la production ou la distribution d’électricité.
les télécommunications.
Elle soutient également en amont le développement de projets Dans l’ensemble, les producteurs d’électricité
privés au travers de son fonds InfraVentures. privés semblent, de loin, la meilleure
Secteur Privé & Développement
12 Une vérité qui dérange

Les producteurs
privés d’électricité :
Figure 1 : Le cercle vicieux des défaillances du système électrique africain
une solution
pour l’Afrique ? 

Choc
(externe ou interne)*
Point de départ (équilibre instable)

1 Détérioration rapide des finances


« Service public »
vulnérable 2
Difficultés financières
7
Détérioration accrue
de la qualité
du service
3
La situation s’aggrave encore plus
Détérioration
pour atteindre un point de non-retour
de la qualité Moyens insuffisants pour payer
du service le combustible, l'entretien
(ex. délestages)
6 du réseau, etc.
Aggravation
supplémentaire
des difficultés
financières
4
Aggravation
(coûts)
des difficultés financières
Les solutions rapides sont onéreuses… 5 (perte de recettes) Augmentation des pertes de recettes,
et aggravent le problème Mesures d’urgence refus des abonnés d’acquitter leur facture, etc.
(ex. location
de capacités d'urgence)

Recherche de solutions rapides

*Peut être externe (ex. prix du pétrole) ou interne (forte croissance, réseau défaillant, etc.) ou les deux.

Source : Figure réalisée par les auteurs pour la revue Secteur Privé & Développement

solution pour augmenter rapidement et cité, en grande partie grâce à la privatisation


de façon rentable la production d’électricité du service. Le Kenya est en train d’accroître
en Afrique subsaharienne. Ils sont très adap- massivement sa capacité de production, à
tés aux partenariats public-privé car  ils sont la fois thermique et renouvelable grâce à un
relativement faciles à sélectionner au moyen ensemble de nouveaux producteurs privés
d’appels d’offres  et ils peuvent être encadrés et l’Afrique du Sud a su tirer parti du secteur
par des modèles contractuels privé pour augmenter rapidement sa capacité
« Il n’y a pas de pénurie qui ont fait leurs preuves de production solaire et éolienne. Si les pays
de financement pour les dans le temps. Il n’y a pas créent les conditions minimales favorables
projets de production de pénurie de financement à l’investissement dans la production privée
privés bien structurés pour les projets de produc- d’électricité, les investisseurs et des financeurs
et généralement fiables. » tion privés bien structurés et répondront présents.
généralement fiables.
De leur côté, les producteurs privés ont sim-
plement besoin d’un pays hôte accueillant et
d’être à peu près assurés d’être payés. Si ces
deux conditions sont réunies, le secteur privé
aidera les Africains à accéder à l’électricité, de
la même façon que les opérateurs privés de té-
léphonie mobile leur ont permis d’être connec-
tés. La Côte d’Ivoire a attiré plus d’un milliard
de dollars d’investissement en 18 mois pour
augmenter la capacité de production du pays
de 30 %. L’Ouganda a divisé par deux le coût de
l’électricité et triplé son taux d’accès à l’électri-

Références / FMI, 2013. Energy Subsidy Reform: Lessons and Implications. IMF Policy Paper, Washington D.C, Mars. // Foster, V., Briceño-Garmendia, C. 2010. Africa’s Infrastructure: A
Time for Transformation. Copublication de l’Agence Française de Développement et de la Banque mondiale, Washington D.C. // IEA, 2011. World Energy Outlook. OECD/IEA, Paris, France.

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13

Stimuler la croissance par


une production électrique
économiquement viable
Globeleq est spécialisée dans les projets de production d’électricité indépendante, en Afrique
et en Amérique centrale. Si la production électrique indépendante reste, en Afrique, économiquement
fragile, les exemples sud-africain, nigérian et kenyan sont encourageants. Pour répondre mieux
à la demande, les États africains doivent clairement favoriser l’investissement privé et mettre
en place des processus d’attribution transparents.

Mikael Karlsson représentant au total 520  mégawatts


président-directeur général de Globeleq
(MW) et l’expansion d’une centrale de
139 MW. La société investit dans des actifs dont
la capacité se situe entre 50 MW et 500 MW et

G
lobeleq a été créée en 2002 pour se privilégie des investissements en capital allant
consacrer aux projets de production de 50 à 150  millions de dollars par actif. Les
indépendante d’électricité dans les objectifs de rendement de Globeleq reflètent
marchés émergents. À cette époque, beaucoup la dynamique du marché et le profil de risque
pensaient que l’aide étrangère était indispen- d’un projet. Lorsque les risques sont limités,
sable au développement du continent africain ses exigences de rendement peuvent être plus
et à la réduction de la pauvreté. Cependant, au faibles. Globeleq investit dans toutes les tech-
fil du temps, il est apparu que le changement nologies utilisées par les centrales électriques
passait plutôt par la création d’entreprises – y compris les énergies renouvelables.
économiquement viables – par l’investisse- Globeleq cible les pays qui pratiquent un pro-
ment privé, elles soutiennent en effet le déve- cessus de sélection des opérateurs transparent,
loppement économique. renforcé par un plan énergétique cohérent.
Certains pays sont par- D’autres critères d’investissement sont pris
venus à créer un envi- en compte : capacité de négocier des contrats
ronnement favorable à d’achat d’électricité à long terme ; tarifs justes
l’investissement privé  ; et stables à long terme  ; acheteurs solvables.
d’autres travaillent à le Globeleq essaie d’obtenir une participation
mettre en place. Pour majoritaire et le contrôle opérationnel du pro-
quelques-uns, en revanche, jet. Même lorsque ces critères sont remplis, la
la situation n’a pas évolué, réalisation des projets peut s’avérer longue et
Mikael Karlsson alors que l’insuffisance de difficile. En Tanzanie, le projet Songas soutenu
Mikael Karlsson a commencé
capacités de productions par Globeleq était le premier projet de centrale
sa carrière chez ABB Equity électriques constitue au gaz naturel du pays. Il bénéficiait du soutien
Ventures, une société pour la majeure partie du du gouvernement, des acteurs du secteur, de la
chargée de développer et continent un frein au dé- législation, d’un régulateur nouvellement nom-
d’investir dans des projets veloppement économique. mé et de la Banque mondiale. Mais le bouclage
de production d’électricité
indépendante dans le monde
financier de ce projet a été suspendu pendant
entier. Sa collaboration Développer les projets de quatre ans quand un autre producteur privé a
avec Globeleq a débuté production d’électricité été accusé de corruption. Une fois la confiance
en 2002. Il en devient le indépendante en Afrique dans les producteurs indépendants restaurée,
président-directeur général Au cours des deux der- la centrale au gaz a pu entrer en service. Un an
en 2009. Il est aussi l’un des
cofondateurs d’InfraInvest,
nières années, les acti- plus tard, un projet d’expansion a permis d’en
cabinet de conseil spécialisé vités de Globeleq se sont accroître la capacité. Songas a ainsi permis à
dans les investissements rapidement développées. la Tanzanie d’économiser plusieurs milliards
pour les secteurs de l’énergie Elle a ainsi entrepris la de dollars d’importation de fioul. Néanmoins,
et des infrastructures. construction de plusieurs la Tanzanie dispose de moins d’investisseurs
unités de production potentiels dans le secteur de l’électricité
Secteur Privé & Développement
14 Stimuler la croissance par une production électrique économiquement viable

Les producteurs que le Kenya en raison de tarifs qui sont de la production d’énergie est assurée dans
privés d’électricité :
maintenus en deçà du niveau qui reflèterait
une solution la région par une vingtaine de producteurs
correctement les coûts, du manque de liquidité
pour l’Afrique ? 
indépendants – à comparer avec les marchés
dans ce secteur et des délais de paiement spo- africains, où le Kenya et le Nigéria figurent en
radiques. tête avec quatre ou cinq producteurs privés de
Fin 2010, Globeleq a accru sa participation taille significative chacun. La réussite des pro-
dans la centrale d’Azito (288 MW) en Côte ducteurs indépendants en Amérique centrale
d’Ivoire pour en augmenter rapidement la s’explique en grande partie par l’engagement
capacité et la convertir en centrale à cycle des pouvoirs publics en faveur du secteur privé
combiné plus performante. Peu après le bou- – qui est l’acteur principal du secteur de l’éner-
clage financier du projet, l’élection présiden- gie – ainsi que par la transparence des proces-
tielle a été suivie par six mois sus de sélection des opérateurs et la stabilité
«Globeleq recherche de troubles civils, menaçant le de la réglementation, nécessaire à la réussite
des projets sur des climat de stabilité et d’investis- à long terme.
marchés bénéficiant sement qui caractérisait le pays De plus, le développement des énergies renou-
d’un soutien depuis le processus de privatisa- velables est prioritaire – cette région bénéficiant
gouvernemental.» tion du secteur lancé au début de larges réserves en ressources naturelles.
des années 1990. Lorsque le Ainsi, des mécanismes structurants propres
climat s’est apaisé, le gouvernement nouvel- aux énergies renouvelables ont été mis en
lement élu a poursuivi le projet. La construc- place – comme la facturation nette, des tarifs
tion a commencé en février 2013 et 139 MW de rachat économiquement viables et tout un
supplémentaires seront ajoutés au réseau en arsenal législatif concernant leur production.
2015. L’engagement et le soutien sans faille Bien que l’Afrique dispose également de res-
du gouvernement, un secteur bien structuré sources renouvelables abondantes, de nom-
disposant de réglementations bien établies, breux pays doivent encore mettre en place des
une législation conçue pour le long terme ex- tarifs de rachat économiquement viables ou
pliquent la réussite de ce projet. structurer des processus spécialement adaptés
De fait, Globeleq recherche des projets sur aux projets d’énergies renouvelables.
des marchés bénéficiant d’un soutien gou-
vernemental tant politique que contractuel. Des spécificités africaines
La participation à long terme d’agences de Si le secteur de l’électricité reste, en Afrique,
développement multilatérales et bilatérales confronté à des problèmes économiques, il
dans les projets est, elle aussi, appréciée. Si existe toutefois des signes de changement.
leur participation est souvent incontournable L’Afrique du Sud, le Nigéria et le Kenya recon-
– en dehors de l’Afrique du Sud, il est difficile naissent aujourd’hui officiellement la nécessité
de trouver un financement à long terme autre de faire appel aux investissements du secteur
que ceux proposés par ces institutions –, elle privé. L’Afrique du Sud a lancé en 2010 un
confère au projet une aura politique réelle. vaste programme1 visant à ajouter 3 725 MW
au réseau national. Les problèmes prévisibles
Le contraste avec l’amérique centrale auraient découragé n’importe quel producteur
En Amérique centrale, Globeleq Mesoamerica privé expérimenté. Néanmoins, ce processus
Energy – une filiale dont Globeleq est l’action- a été un succès : 28 nouveaux projets d’éner-
naire majoritaire –, est le principal producteur gie renouvelable d’une capacité de 1 416 MW
d’énergie éolienne de la région. Le développe- ont ainsi été attribués au terme de la première
ment du secteur de l’énergie dans cette région phase de sélection des opérateurs. Globeleq et
est très différent du modèle qui prévaut en ses partenaires ont remporté le projet de parc
Afrique. Les producteurs d’électricité privés éolien de Jeffreys Bay (138 MW) et deux pro-
jouent un rôle déterminant dans la crois- jets d’énergie solaire, celui de Droogfontein
sance du secteur. En moyenne, environ 63 % (50 MW) et celui de De Aar (50 MW). Partout
dans le monde, ce programme fait figure de pro-
R e p è res cessus exemplaire – les deux premières phases2
ayant permis de mobiliser près de 9,5 milliards
Globeleq – détenue par Actis, le fonds d’investissement spécialisé
de dollars d’investissement, provenant
dans les marchés émergents – a investi plus de 1,3 milliard de principalement du secteur privé. Comment
dollars dans 41 projets de production d’électricité. Depuis 2007, expliquer un tel succès  ? Le gouvernement
elle concentre ses activités en Afrique subsaharienne et en s’est pleinement engagé dans cette initiative
Amérique centrale. Ses investissements sont destinés à améliorer
et a mis en place un processus transparent en
les performances d’actifs existants ou à développer de nouvelles
centrales électriques. Globeleq a ainsi soutenu récemment des 1
Renewable Energy IPP Procurement Programme (REIPPPP)
projets de construction représentant une capacité total de 520 MW 2
La seconde phase s’est achevée en mai 2013 avec l’attribution de 19
et d’expansion, pour 139 MW. projets, soit un total de 1 044 MW.

www.proparco.fr
15

veillant à ce que les meilleurs conseillers tech- disposent de ressources énergétiques consi-
niques, juridiques et financiers soient impliqués. dérables continuent de connaître des pénuries
L’appui du Trésor – au travers d’une garantie d’électricité. Il existe trois principaux modes de
des obligations de l’acheteur public – a donné sélection des opérateurs – les appels d’offres, les
confiance aux prêteurs et aux investisseurs. tarifs publics de rachat garantis et les accords
Afin d’assurer un approvisionnement en bilatéraux réglementés. Tous peuvent être effi-
électricité compétitif, abordable et durable, caces, mais seulement s’ils s’accompagnent de
l’Afrique du Sud a opté pour un processus d’ap- processus transparents et clairs qui s’appuient
pel d’offres concurrentiel – et non pour un tarif sur la législation. L’engagement des pouvoirs
de rachat garanti. Des objectifs de développe- publics en faveur d’un secteur de l’énergie
ment sociaux et économiques ont été intégrés, reposant sur des bases financières saines doit
afin que chaque projet bénéficie aux commu- être sans faille  ; la présence du secteur privé
nautés rurales locales. doit être souhaitée et les tarifs doivent refléter
Au Nigéria, la privatisation et la restructu- les coûts et les risques.
ration du secteur de l’électricité présentent De manière générale, ce secteur reste extrê-
un potentiel considérable. Avec près de mement politique et certains pays continuent
170 millions d’habitants, pour une capacité d’exiger que les opérateurs publics soient res-
installée de seulement 4  000 MW, la plupart ponsables de la croissance du secteur, dont les
des citoyens ont recours à des générateurs tarifs sont subventionnés. Dans de nombreux
individuels. Après des années de faux départs, pays, les processus transparents, ainsi que les
de promesses non tenues et de corruption, ce cadres et les mécanismes législatifs permet-
secteur semble avancer dans la bonne direc- tant de créer un environnement favorable à
tion. Différents dispositifs et organismes des- l’investissement privé n’existent pas – et les
tinés à attirer les inves- acheteurs d’électricité solvables font défaut.
« Le secteur africain de tisseurs privés ont été Pour intervenir, les institutions financières et
l’électricité connaît sans doute mis en place. En 2012, le les investisseurs privés continuent, en outre,
aujourd’hui les prémices gouvernement a validé de demander la mise en place de soutiens au
d’une évolution décisive.» 2,3 milliards de dollars crédit – via, par exemple, l’Agence multilatérale
d’offres pour la pro- de garantie des investissements ou la Garan-
duction et la distribution. L’électricité pro- tie de risque partiel proposée par le groupe
duite sera achetée dans le cadre d’un contrat Banque mondiale.
à long terme signé avec la Nigerian Bulk Par ailleurs, les projets développés par des in-
Electricity Trading Company, renforcé par des vestisseurs internationaux sont perçus comme
garanties apportées par la Banque mondiale. ayant un intérêt limité pour l’économie locale.
Les tarifs sont progressivement relevés afin Il s’agit là d’une contrevérité manifeste lorsque
d’atteindre des niveaux reflétant les coûts et l’on prend en compte tous les avantages directs
les autorités travaillent actuellement sur la et indirects liés à la mise à disposition d’une
sécurisation de l’approvisionnement en gaz. énergie fiable, à des prix stables. L’exemple
Reposant sur la production d’électricité hy- sud-africain montre que des objectifs de dé-
draulique et thermique, le Kenya souhaite veloppement socio-économiques spécifiques
diversifier son portefeuille d’énergies renou- pouvaient être atteints s’ils sont bien planifiés.
velables en ajoutant, au cours des trois à cinq
prochaines années, un gigawatt d’électricité Un avenir prometteur
géothermique et plusieurs projets d’énergie Le secteur africain de l’électricité connaît sans
éolienne. Ce pays a mis en place des tarifs de doute aujourd’hui les prémices d’une évolu-
rachat garantis pour les énergies renouvelables tion décisive. Tous les indicateurs font état des
et ce programme bénéficie du soutien de la progrès encourageants dans la restructuration
Banque mondiale et de la Banque africaine de du secteur de l’électricité au Nigeria et des op-
développement. Des appels d’offres concurren- portunités supplémentaires voient le jour au
tiels pour des centrales géothermiques sont Kenya. Le succès du programme sud-africain
actuellement mis en oeuvre par les entités est réjouissant. Plus globalement, Globeleq
publiques Geothermal Development Corporation espère que d’autres pays d’Afrique subsaha-
et Kengen. rienne tireront les enseignements des proces-
sus réussis mis en œuvre par ces trois pays et
Les principaux obstacles permettront la réalisation de davantage de
Hormis pour ces trois géants de l’économie projets privés – garantie d’une électricité éco-
africaine, la mise en place de processus de sé- nomiquement viable, moteur de la croissance
lection de nouveaux projets reste, dans le sec- pour l’ensemble du continent.
teur de l’énergie, marquée par la lenteur et le
manque de transparence. Même les pays qui
Secteur Privé & Développement
16

Les producteurs
privés d’électricité : L’insuffisance des capacités électriques en Afrique subsharienne est un frein au développement
une solution
pour l’Afrique ?  économique du sous-continent. Malgré le fort potentiel énergétique de la région, les nouvelles
capacités peinent à se développer. Les moyens financiers nécessaires pour combler ce déficit
sont en effet considérables et les Etats n’ont pas les ressources nécessaires pour y faire face.
Dans ce contexte, le secteur privé a sans doute un important rôle à jouer.

Consommation électrique et part du secteur privé


dans les capacités installées en Afrique
subsaharienne, 2013*

123 855
Cap Vert
Sénégal
23 %
14 %
2 312 4 841
Nigéria1
Ghana
30 %
1 384 18 %
Côte d'Ivoire 204
44 % Togo 1 235
49 % Cameroun
24 %
850 1 534
Ouganda Kenya
42 % 18 %

1 642
Tanzanie
17 %
731
Capacités installées totales en MW
2 025 Île Maurice
Zambie 40 %
Part en pourcentage des IPPs dans la capacité 3%

Supérieur à 1 000 kWh par habitant

Entre 500 et 1 000 kWh par habitant 47 010


Afrique du Sud
4%
Entre 100 et 500 kWh par habitant
..
Entre 50 et 100 kWh par habitant
.

Inférieur à 50 kWh par habitant

1
Capacités installées disponibles

Source : CIA, 2009 - Banque mondiale, 2010 - Proparco / Secteur Privé & Développement, 2013

www.proparco.fr
17

Accès à l’électricité et consommation Évolution des capacités installées en


en fonction des régions, 2009* Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud)
93 % entre 1990 et 2010
81 %
2 752 En Gigawatts (GW) En millions d’habitants
80 900
1 892 70
800
60
33 % 700
50
20 %
40 600
414
124 30
500
20
Afrique subsaharienne Asie du Sud Amérique latine Monde 400
(hors Afrique du sud) & Caraïbes 10
0 300
Consommation par habitant (en kWh/habitant/an)

90

92

98

02

0
94

96

0
0

1
Taux d’accès à l’électricité (en % de la population)

0
0

20
19

19

20
19

20
20
19

19

20
20
Capacité installée Population
Sources : Banque Mondiale, 2009 ; IEA, 2009 ; AICD, 2008
Source : EIA  2012

Répartition des capacités par type d’énergie,


2013 Impact des faiblesses du système
en MW de production électrique sur le PIB, 2008
39 768 Secteur privé Secteur public En % du PIB
1 339

3,3 %

21 302
344
6,4 %
5,6 % 5,3 % 1,3 %
0,2 % 1,7 %
7 797 0,9 %
3 299 1,9 % 1,9 % 1,1 % 1%
5 757 i d da a al n a r
695 law Su an Ke
ny ég ro
u sc
318 Ma ed
u
Ou
g Sé
n
me ag
a
1910 76
qu Ca Ma
d
ri
Coal Hydro Gaz Fioul Nucléaire Energies Af
Renouvelables
3%* 2%* 30%* 11%* 0%* 19%* Sous-tarification du prix de l’électricité Coût des délestages
* % du secteur privé
Source : Eberhard et al., 2008, Briceño-Garmendia et al., 2008
L’Afrique du Sud représente 96 % des capacités installées alimentées à partir de charbon
(dont 100 % des capacités à capitaux privés). Les données ci-dessus excluent la cogénération.

Source : Proparco / Secteur Privé & Développement, 2013 Intérêt économique des ENR (éolien, PV) 2013*

Besoins et sources de financement des Coût moyen de production USD cents/kWts

infrastructures en Afrique subsaharienne, 2008 Burkina Faso (therm. 88 %, hydro. 12 %)


20 cents Mauritanie (therm. 87 %, hydro. 13 %)
En milliards de dollars par an

Secteur de Dépenses Dépenses d’investissement Besoins Déficit de 15 cents Sénégal (therm. 92 %, hydro. 8 %)
l’infrastructure d’exploitation globaux de financement Logique prioritaire
et maintenance dépense de diversification
de la production
10 cents
Secteur public Secteur public Secteur privé Kenya (hydro 53 %, therm. 34 %, géotherm. 13 %)
et aide au
développement
5 cents
Afrique du Sud (charbon local. 83 %, therm. Autres 9 %, hydro. 4 %, nucl. 4 %)
Électricité 7 4,1 0,5 40,8 29,2 Ethiopie (hydro. 87 %, therm. 9 %, ENR 4 %)
Transports 7,8 7,3 1,1 18,2 1,9 0 cents
TIC 2 1,3 5,7 9 0 Intérêt économique certain Intérêt économique à étudier
Faible intérêt économique Très faible intérêt économique
Eau et 3,1 2,5 2,1 21,9 14,3
assainissement
TOTAL 19,9 15,2 9,4 89,9 45,4 Source : Nodalis, Axenne, 2013 ; Nodalis, Equilao, 2012 ; Proparco, 2013

Source : Briceño-Garmendia et al., 2008 *Les données sont basées sur des estimations de source et d’années différentes.

Secteur Privé & Développement


18

Les impacts de
Les producteurs
privés d’électricité :
une solution
pour l’Afrique ? 

la production indépendante
d’électricité au Kenya
Les investissements des producteurs indépendants d’électricité renforcent les capacités de
production électrique du Kenya, nécessaires au développement du pays. Une évaluation des impacts
économiques des projets développés – qui prend en compte les impacts pour l’ensemble des parties
prenantes - est indispensable pour orienter ces investissements de manière optimale.
Dans l’exemple kenyan, cette évaluation montre tout l’intérêt des producteurs indépendants
et met en lumière différents facteurs favorables à leur financement.

Jason Wendle ment insuffisant lié aux sécheresses se sont


Associé, Dalberg Global Development Advisors produites à deux reprises au cours des quatre
dernières années. L’incapacité du Kenya à
s’affranchir de sa dépendance à l’électricité

U
n producteur indépendant d’électri- coûteuse produite à partir de générateurs
cité n’aura un réel impact sur le déve- diesel de secours représente un autre signe
loppement d’un pays que s’il fournit, là évident du manque de capacités de produc-
où la demande excède l’offre, plus d’électricité tion plus pérennes. Les acteurs privés rem-
que les entités publiques ou s’il supplante une placent l’énergie produite par ces systèmes
source d’énergie plus coûteuse. C’est le cas au d’alimentation de secours au Kenya (Figure 1),
Kenya, où l’impact des producteurs indépen- sans toutefois la faire disparaître totalement.
dants d’électricité sur La majorité de la population n’est pas encore
le secteur énergétique reliée au réseau électrique et la demande
et l’économie est clair devrait augmenter au Kenya de plus de 6 %
– bien qu’il existe un par an à court terme (ERC, 2013) et 10 % à
débat sur l’optimisation moyen terme (Ministère de l’Énergie, 2011).
des sources d’énergie La société publique de production d’électricité
à utiliser. KenGen développe aussi
Le manque d’énergie rapidement que possible de « Les coupures de courant
est souvent considéré nouvelles capacités de pro- feraient perdre à l’économie
comme un frein à la duction, dans la limite de (…) 2 % du PIB total. »
Jason wendle croissance du Kenya. ses contraintes de capital et
Basé à Nairobi (Kenya), Jason
Les coupures de cou- organisationnelles. Chaque mégawatt (MW)
Wendle est associé à Dalberg rant feraient perdre installé par les producteurs indépendants ne
Global Development Advisors à l’économie 7 % du se substitue donc pas à l’investissement public
où il conseille les clients sur chiffre d’affaires du sec- mais s’y ajoute.
leur stratégie – y compris
teur privé, 2 % du pro-
en matière d’évaluation des
impacts. Il a publié plusieurs
duit intérieur brut (PIB) Évaluer les impacts des producteurs privés
études sur le secteur de total et 1,5 % de la crois- L’analyse de l’impact d’un projet de production
l’énergie, le financement sance du PIB (Minis- privée d’électricité est complexe. Au Kenya, un
des PME et les méthodologies tère de l’Énergie, 2011). exercice basé sur la théorie du changement a été
de mesure des impacts.
Certes, les problèmes conduit par une équipe de Dalberg pour éva-
Il est titulaire d’un Master
en administration publique
énergétiques ne sont luer les modalités des impacts de Rabai Power
et développement pas uniquement liés à et d’Olkaria III – respectivement producteurs
international à la Harvard la capacité de produc- indépendants d’électricité thermique et géo-
University Kennedy School tion. Mais des coupures thermique, dont la production est achetée par
of Government.
généralisées causées Kenya Power and Lighting Company (KPLC),
par un approvisionne- la société de distribution publique kényane. La

www.proparco.fr
19
Figure 1 : Réponse à la demande de pointe par principales sourceS d’énergie
au Kenya (en MW)
1 750
1 637

1 480 120
1 500
1 416 60
1 336 60
1 266 347
1 250 146 347
1 135 1 153 146 347
204
80 96 143 150
1 000
143 143 143
115 110 141 236 Demande de pointe
115 115 182
750 135 135 125 Installations de secours
135 135
Producteurs indépendants
500 Kengen géothermique
770
719 730 728 735
657 659 Kengen thermique*
250
Kengen Hydro

* Inclut les centrales à gaz d’urgence


0
2005/06 2006/07 2007/08 2008/09 2009/10 2010/11 2011/12

Note : les facteurs de charge 1 pour l’énergie hydraulique sont compris entre 34 % et 60 % durant cette période, ce qui explique que la capacité ne couvre pas la demande.
Source : KPLC, 2006-2012

première étape consiste à établir la liste des ré- rait construite – un scénario utile pour calculer
sultats escomptés pour les différentes parties un taux de rentabilité économique2.
prenantes  : diversification de la production
électrique, augmentation de la production pri- L’impact économique
vée, réduction des émissions de CO2, augmen- Dans le cas du Kenya, les estimations indiquent
tation des revenus des investisseurs et des tra- que, en l’absence d’investissements dans la pro-
vailleurs et amélioration des impacts pour les duction privée, le déficit énergétique serait non
communautés locales. Des indicateurs comme couvert ou couvert par un recours à des généra-
la réduction du prix de l’électricité, l’augmen- teurs diesel de secours. Le coût implicite pour le
tation des recettes publiques et la réduction du Kenya de l’électricité non fournie serait d’envi-
délestage permettent de mesurer ces résultats. ron 0,84 dollar/kWh3 et le coût des générateurs
Ils font l’objet d’une approche à la fois qualita- de secours d’environ 0,31  dollar/kWh selon
tive et quantitative  : calcul des changements les prix actuels du combustible. Alors que ces
de prix de l’électricité dus à la production à chiffres restent hypothétiques, ils peuvent tout
moindre coût, utilisation d’un classement de de même être utilisés comme des points de ré-
la fiabilité des centrales électriques, entretiens férence pour estimer les économies faites par le
auprès des membres de la communauté locale pays, en se basant sur le coût actuel de l’électri-
sur les changements provoqués par la nouvelle cité produite par les producteurs indépendants.
centrale électrique dans leur vie. La prise en Si les 367 gigawattheures (GWh)4 fournis par
compte de ces facteurs d’impacts permet d’uti- Olkaria III à 0,09 dollar/kWh en 2011 avaient
liser l’évaluation pour comparer différents pro- été générés par du diesel, les consommateurs
jets de production indépendante d’électricité. auraient payé 89  millions de dollars supplé-
Cela permet aussi d’effectuer une comparaison mentaires sur leurs factures d’électricité. Cela
avec le cas où aucune centrale électrique ne se- signifie que les prix en 2011 auraient aug-
1
Le facteur de charge d’une centrale électrique est le rapport entre l’énergie
re p è res effectivement produite sur une période donnée et l’énergie qu’elle aurait
produite si elle avait fonctionné à sa puissance nominale durant la même
période.
Dalberg Global Development Advisors est une société de consultants en 2
Taux d’intérêt pour lequel le coût et les bénéfices d’un projet, actualisés
stratégie fondée en 2001 qui travaille sur les modalités d’amélioration sur la durée de vie, sont égaux. Dans ce cas, les bénéfices concernent les
économies de coûts globaux et excluent les retours sur investissement pour
du niveau de vie des populations dans les pays en développement. l’investisseur.
Son expertise, qui porte notamment sur l’accès au crédit, les politiques
3
Ce montant est cité dans le Kenya’s Least Cost Power Development Plan
2011 et par la Banque mondiale. Il est tiré d’une étude antérieure estimant
énergétiques, la santé et l’agriculture, aide les gouvernements, les le coût implicite de l’électricité non fournie du fait des insuffisances des
institutions de financement internationales, des ONGs ou de grands capacités de production.
4
Cela représente 6 % de l’électricité totale produite au Kenya cette année-
groupes internationaux à améliorer l’impact de leurs interventions sur les là, mais les économies estimées sont supérieures à 6 % des coûts totaux de
populations les plus défavorisées. l’électricité, car le coût de l’alternative est trois fois plus élevé par kWh.

Secteur Privé & Développement


20 Les impacts de la production indépendante d’électricité au Kenya

Les producteurs menté de 0,015  dollar/kWh. Le gouver- suffisent pas à répondre à la demande. KPLC
privés d’électricité :
nement aurait perçu 11 millions de dollars de
une solution achète de l’électricité à la société publique
recettes supplémentaires, provenant des taxes
pour l’Afrique ? 
KenGen et aux producteurs privés par le biais
sur le combustible et KPLC aurait payé 19 mil- d’accords transparents supervisés par la Com-
lions de dollars de moins au producteur d’élec- mission de régulation de l’énergie. Si KPLC
tricité pour les coûts de production hors  com- était capable d’obtenir un approvisionnement
bustible. En conclusion, Olkaria III a permis à suffisant à moindre coût de la part de KenGen,
l’économie de gagner 59 millions de dollars par il n’y aurait plus de marché pour les indépen-
rapport aux alimentations de secours. dants – un scénario bien peu probable dans
Calculé en utilisant le coût d’investissement un futur proche.
total du projet, le taux de rentabilité écono- En outre, l’évaluation des projets de production
mique de Rabai Power (une centrale au fioul privée au Kenya semble indiquer l’existence
lourd) serait de 16 % si l’alternative était un d’impacts positifs aux niveaux local et secto-
générateur de secours et de 112 % si l’électri- riel – au-delà du développement de l’approvi-
cité n’était pas fournie. En ce qui concerne sionnement. Les producteurs indépendants
Olkaria III – une centrale géothermique aux sont souvent perçus par les acteurs du secteur
coûts initiaux plus élevés mais comme étant fiables. Ils ont souvent été les
« Les résultats illustrent jouissant d’économies annuelles premiers à utiliser de nouvelles technologies au
également l’intérêt, pour le plus importantes  –, les résul- Kenya  : récupération de chaleur pour alimen-
développement des pays, tats seraient respectivement de ter les turbines à vapeur dans les centrales
d’investir dans un contexte 27 % et 89 %. Le principal inté- thermiques, production par tête de puits et
d’énergie limitée. » rêt de cette méthodologie du utilisation de l’isopentane pour les centrales
taux de rentabilité économique géothermiques. Les producteurs indépendants
réside dans le fait qu’elle permet d’observer ont partagé leurs connaissances avec KenGen,
à quel point les rendements varient en fonc- qui les utilise pour ses nouvelles centrales élec-
tion des hypothèses – comme la répartition de triques. Enfin, les producteurs indépendants
la production par type d’énergie ou le prix du sont habituellement financés par des institu-
pétrole. Mais les résultats illustrent également tions financières de développement (IFD), qui
l’intérêt, pour le développement des pays, suivent des normes environnementales, so-
d’investir dans un contexte d’énergie limi- ciales et gouvernementales strictes.
tée et montrent que même des options ther- Ils introduisent donc de fait dans l’environ-
miques à coût élevé sont intéressantes quand nement local de meilleures pratiques – Rabai
on les compare à un scenario où la demande Power a été qualifié par les militants commu-
n’est pas satisfaite. nautaires de modèle à suivre.
Dans un contexte tel que celui du Kenya où
l’offre est limitée, déplorer le coût de l’électri- Les limites
cité produite par des acteurs privés n’a aucun Bien sûr, certains investissements sont plus
sens : les capacités de production publiques ne bénéfiques au développement que d’autres ;

Figure 2 : Coût dE l’électricité au Kenya, par type de sources (en dollar/kWh)

0,84

Electricité non utilisable en base

Prix hors taxes carbone potentielles


~0,31
~0,23
Une augmentation du tarif de 0,02 dollar
pourrait accélérer les investissements
0,10 0,11 0,13
0,07 0,09

Hydro importée Géothermie, PIE* Charbon local, PPP** Eolien, PIE* Charbon importé, Fioul lourd, Générateurs Demande
d’Ethiopie (meilleur prix estimé) (ex : LTWP) PPP** (ex : Daewoo) PIE* de secours non satisfaite
(estimée)
*PIE : producteur indépendant d’électricité **PPP : partenariat public-privé
Source : Dalberg, analyse des PPA existants et en projet et estimations d’experts

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21

une nouvelle centrale au fioul lourd construite doit encore avoir recours à des générateurs de
aujourd’hui aurait un impact positif moindre. secours. Le développement de certaines cen-
La centrale thermique au fioul lourd de Rabai trales géothermiques a été retardé pendant
Power, construite en 2009, fournit de l’élec- des années en attendant que la GDC valide le
tricité à un coût plus élevé que la centrale niveau de productible. Pour que les investisse-
géothermique d’Olkaria III, mais ce type de ments privés atteignent leur plein potentiel, le
centrales répond immédiatement quand il Kenya devra accroître la capacité de ces deux
s’agit d’empêcher les délestages sur la côte. Le institutions.
premier avantage des centrales au fioul lourd
est leur rapidité de développement ; à court Optimiser les investissements
terme, elles sont utiles. Mais à long terme, La production indépendante d’électricité ken-
elles peuvent représenter les sources d’éner- yane est l’une des plus importantes d’Afrique,
gie les plus coûteuses achetées par KPLC. en partie grâce à l’engagement des IFD à sou-
L’investissement des producteurs indépen- tenir des projets que d’autres investisseurs
dants ne garantit pas, en outre, un mix éner- n’accepteraient pas. Les rendements élevés
gétique optimal. Les producteurs répondent exigés par les investisseurs privés peuvent
aux incitations induites par les tarifs de rachat facilement être compensés par une efficacité
garantis, fixés par le gouvernement. Les diri- de production plus importante, une fiabilité
geants du secteur privé kenyan estiment que accrue, un transfert de technologies nouvelles,
les tarifs de rachat actuels favorisent trop etc. Aujourd’hui, les investisseurs sont en
l’électricité thermique – et nombre suffisant  ; tous n’ont pas besoin de
« L’expérience du Kenya montre pas suffisamment la géother- l’aide des IFD et certains accepteraient même,
qu’il est possible de tirer profit mie. La géothermie est une compte tenu de la fiabilité des paiements de
du secteur privé pour atteindre source énergétique de tout KPLC, de renoncer aux lettres de confort don-
des objectifs nationaux premier plan : renouvelable, nées par l’État. Avec plus de 20 % d’électricité
en matière d’énergie.» peu émettrice de CO2, extrê- provenant actuellement des producteurs indé-
mement fiable, utilisable en pendants, l’expérience du Kenya montre qu’il
période de base, aux coûts de fonctionnement est possible de tirer profit du secteur privé
peu élevés. Les experts suggèrent que les tarifs pour atteindre des objectifs nationaux en
de rachat pour la géothermie soient relevés au matière d’énergie. Elle apporte aussi quelques
moins de 0,02 dollar/kWh pour accélérer son enseignements permettant d’optimiser les
développement par les producteurs privés. investissements futurs.
Cela entraînerait un surcoût pour les consom- L’investissement dans la production indépen-
mateurs, mais l’augmentation pourrait faci- dante doit clairement être basé sur les béné-
lement être compensée par les économies fices économiques qu’elle offre et faire l’objet
réalisées – si l’on considère le coût de l’électri- d’une stratégie de développement précise.
cité produite actuellement par les centrales Dans le cas du Kenya, le ministère de l’Éner-
thermiques (Figure 2). gie et KPLC se sont tous deux mis d’accord
Les producteurs, qu’ils soient privés ou éta- sur le besoin urgent d’une augmentation de
tiques, ont tous besoin d’investissements la capacité de production, avec une évolution
publics complémentaires pour financer les du mix énergétique dans un second temps.
infrastructures de transport  – voire même Par ailleurs, la séparation de la production
pour subventionner les phases amont du dé- publique et de la distribution bénéficie aux
veloppement des projets, comme l’exploration acteurs privés. KPLC, a pour objectif d’obte-
géothermique. Pour ce faire, le Kenya a mis en nir de l’électricité fiable à un bon prix quelle
place deux entités publiques : KETRACO, qui que soit la source de production et d’établir
doit construire des lignes de transport et la une relation commerciale équilibrée avec les
Geothermal Development Corporation (GDC) producteurs indépendants. Enfin, l’investis-
qui doit mener des explorations géother- sement public dans les infrastructures (com-
miques. Mais des retards dans la mise en place prenant le développement du réseau) joue lui
de leurs activités ont freiné l’investissement aussi un rôle très important pour le dévelop-
des producteurs indépendants ou ont réduit pement de l’investissement dans la production
leurs bénéfices. Ainsi, une nouvelle ligne de privée d’électricité.
transport entre Mombasa et Nairobi, qui de-
vait être terminée en 2011, ne sera opération-
nelle qu’en 2014. Par conséquent, les centrales
de la côte restent sous-utilisées et Nairobi

Références / ERC, 2013. Updated Retail Tariffs Application. Rapport KPLC. 7 février 2013, Kenya. // KPLC, 2006-2012. Rapports annuel de 2006 à 2012. // Ministère de l’énergie, 2011.
Mise à jour du Kenya Least Cost Power Development Plan (2011-2031), Nairobi, Kenya, Mars.

Secteur Privé & Développement


22

L’exploitation minière,
Les producteurs
privés d’électricité :
une solution
pour l’Afrique ? 

un secteur clé pour la


production indépendante
d’électricité en Afrique
En Afrique, les besoins en électricité sont réels alors que, à l’échelle d’un pays, les financements sont
limités. Le secteur privé pourrait investir dans la production d’électricité, en particulier là où il est
le plus puissant – dans le secteur de l’extraction des ressources naturelles. Les compagnies minières
disposent de fonds, sont des acheteurs crédibles, ont besoin d’énergie – elles ont donc tout intérêt
à favoriser la production privée d’électricité.

Jeannot Boussougouth cas au Nigeria – où les onze sociétés de dis-


Senior Manager, Standard Bank Corporate & Investment Banking
tribution et les six sociétés de production de
la Power Holding Company of Nigeria ont

P
our atteindre les Objectifs du Millénaire été privatisées. Il est probable que cette ten-
pour le développement, les besoins de dance se poursuive dans les autres pays afri-
l’Afrique en investissements consa- cains qui présentent un déficit en électricité.
crés aux infrastructures s’élèveraient à près
de 93 milliards de dollars par an. Environ Le potentiel non exploité de la RDC
44  % de cette somme seraient consacrés au À l’instar de nombreux autres pays africains, la
seul secteur de l’électricité. Compte tenu des République démocratique du Congo (RDC) bé-
problèmes récurrents néficie d’un énorme potentiel hydroélectrique.
relatifs à la sécurité Le bassin versant du fleuve Congo pourrait
énergétique, il est néces- théoriquement produire 100  GW. Pourtant,
saire de diversifier en moins de 9  % des habitants de la RDC ont
Afrique subsaharienne accès à l’électricité – un chiffre qui descend à
les sources de produc- 1 % dans les zones rurales. Le pays n’a déve-
tion d’électricité. Le total loppé et installé que 2,4 GW
de la puissance instal- – dont seul 1,2 GW est actuel- « Environ 40 % des sociétés
lée de la région se situe lement disponible. Dans la en RDC (...) utilisent des
actuellement autour de région du Katanga, les com- groupes électrogènes
Jeannot Boussougouth 70 gigawatts (GW), dont pagnies minières s’approvi- comme source d’électricité. »
Jeannot Boussougouth
environ 60  % sont pro- sionnent en électricité auprès
est Senior Manager duits par l’Afrique du Sud. de la centrale hydroélectrique d’Inga, malgré
dans la division Power & Bien que le secteur public 19 coupures par mois en moyenne. Les mines
Infrastructure de Standard bénéficie encore d’une po- ont besoin de 900  mégawatts (MW) supplé-
Bank Corporate & Investment
sition dominante, le sec- mentaires pour fonctionner. En raison des
Banking, et a participé à
plusieurs transactions en
teur privé gagne du terrain. fréquentes coupures de courant, environ 40 %
Afrique du Sud et en Afrique. Le rôle des producteurs des sociétés en RDC possèdent et utilisent des
Avant cela, il a travaillé indépendants d’électricité groupes électrogènes comme source d’électri-
comme consultant dans le a été pleinement reconnu, cité – ce qui entraîne des coûts de fonctionne-
domaine de l’énergie au sein
par exemple en Afrique ment plus élevés, en particulier dans les mines.
du cabinet de conseil Frost
& Sullivan. Il est diplômé de
du Sud où le Programme La puissance installée de la RDC n’est donc
l’Université de Stellenbosch d’achat auprès de produc- actuellement opérationnelle qu’à 48  % et la
Business School (Afrique teurs d’électricité indépen- demande en électricité des compagnies mi-
du Sud) en financement du dants à partir d’énergies nières reste soutenue. Selon les prévisions, le
développement.
renouvelables  a été mis secteur minier de la RDC devrait progresser
en place. C’est aussi le au rythme annuel de 13,7 % jusqu’à 2015.

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23

À cette date, celui-ci devrait avoir doublé de financer des infrastructures électriques sur les
taille par rapport à 2010. La demande en élec- seules finances publiques. Le secteur bancaire
tricité sera donc certainement plus impor- intérieur a peu de liquidités et des niveaux
tante, dans un pays où elle est consommée d’activité insuffisants pour soutenir des in-
à 85  % par des utilisateurs de courant haute vestissements de cette taille : les 20 banques
tension – notamment les compagnies minières. accréditées de la RDC disposent actuellement
La majorité des centrales hydroélectriques d’un niveau de liquidité et de prêts de matu-
existantes se situent dans la partie sud de la rité insuffisante pour des financements de
RDC, où elles produisent 467,2 MW. Les mines projets à long terme. Le fait que la RDC ne
et les compagnies minières sont réputées sol- soit évaluée par aucune des quatre agences de
vables et disposent de flux de trésorerie fiables notation n’aide en rien et il en résulte que les
en dollars. Leurs besoins importants en élec- prêts consentis par les banques commerciales
tricité signifient qu’il y aura, sur se feront probablement sur le court terme.
« Les compagnies les capacités de base des projets
minières sont réputées électriques indépendants, des Les producteurs d’électricité indépen-
solvables et disposent opportunités de contrats de dants : la solution la plus appropriée ?
de flux de trésorerie rachat sur le long terme à saisir. La rénovation des anciennes centrales hy-
fiables en dollars. » Leur engagement apporterait droélectriques et le développement de nou-
une certaine confiance aux prê- velles unités sont urgents pour satisfaire les
teurs potentiels, qui demandent généralement besoins actuels d’électricité, par exemple au
des garanties à la société mère. Un producteur Katanga. Pour apporter une solution à leurs
d’électricité indépendant pourrait apporter problèmes, les compagnies minières pour-
aux compagnies minières une sécurité d’appro- raient unir leurs efforts pour travailler en
visionnement non négligeable – et limiterait collaboration avec la Société nationale d’élec-
la dépendance aux groupes électrogènes. Alors tricité (SNEL), le producteur local d’électricité.
que le diesel devrait atteindre près de 3,82 dol- Si l’on tient compte du potentiel hydroélec-
lars le gallon (0,84 dollar le litre) en 2014 (EIA, trique élevé et du risque limité que présentent
2013) et compte tenu de la situation actuelle les contrats d’achat d’électricité signés avec
du marché, tout projet de production d’électri- des compagnies minières de premier plan, les
cité que les compagnies de minerai et de char- producteurs d’électricité indépendants pour-
bon décideraient de développer serait aisé- raient constituer une partie de la solution.
ment justifiable d’un point de vue économique. Pour développer des projets de production pri-
Cependant, plusieurs facteurs affectent sou- vée d’électricité dans des pays comme la RDC,
vent la capacité d’un pays à résoudre ses pro- il faut prendre en compte plusieurs facteurs.
blèmes d’électricité – notamment, en premier Face à un sentiment d’incertitude politique,
lieu, une marge de manœuvre financière limi- les prêteurs potentiels demanderont proba-
tée. Le développement potentiel des projets de blement des garanties auprès des autorités pu-
production d’électricité comme celui d’Inga III bliques ou de la société mère de l’entité ache-
(d’une puissance de 4,8 GW) contribuerait à y teuse. La relative stabilité dans le sud de la
remédier, à l’heure où l’Afrique du Sud s’apprête RDC et la solidité du secteur minier devraient
à acheter environ 2,5 GW de cette capacité de néanmoins conforter les investisseurs et les
production à venir. Pourtant, les besoins en in- prêteurs au Katanga – en particulier s’il s’avère
vestissement se mesurent en milliards de dol- possible de faire appel aux garanties partielles
lars. Quelles mesures devrait prendre la RDC du risque de la Banque mondiale. Dans le cas
– et, par extension, tout autre pays africain – de la RDC, il est possible que les compagnies
pour réaliser cet investissement au cours des minières soient amenées à contribuer au fi-
dix prochaines années ? Étant donné la taille nancement des coûts de développement, en
de l’économie de la RDC – le PIB devrait selon échange, peut-être, d’une réduction des tarifs
les estimations atteindre 23,9 milliards de dol- à long terme. D’autres éléments sont néan-
lars en 2014 (FMI, 2013) –, il sera difficile de moins à prendre en considération. Compte
tenu de la probabilité de la multiplicité des ac-
re p è res tionnaires dans la plupart des projets indépen-
dants de production d’électricité africains, on
Forte d’une capitalisation boursière de 23 milliards de dollars et d’un considère souvent qu’un montage en finance-
total d’actifs estimé à 183 milliards de dollars en 2012, Standard Bank ment de projet est la structure de financement
est le groupe bancaire le plus important d’Afrique. La banque, présente
optimale. En outre, on peut prévoir qu’un pro-
dans 18 pays, est un acteur financier de premier plan dans les secteurs
des infrastructures et de l’électricité. Elle joue un rôle de conseil dans des
jet de production d’électricité de ce type sera
projets énergétiques couvrant les principales technologies : charbon, gaz, financé par un large éventail de prêteurs, y
nucléaire, éolien, photovoltaïque, hydraulique, etc. compris des banques africaines et inter-

Secteur Privé & Développement


24 L’exploitation minière, un secteur clé pour la production indépendante d’électricité en Afrique

Les producteurs nationales ainsi que des agences de crédit prix minimal de l’électricité à partir duquel un
privés d’électricité :
export, avec pour conséquence une évaluation
une solution projet de production génère des recettes suf-
de la solvabilité et des taux de couverture de la
pour l’Afrique ? 
fisantes pour couvrir ses coûts tout en assu-
dette du producteur indépendant d’électricité. rant un retour suffisant pour les investisseurs.
Le choix de la société chargée de l’ingénierie, de Certaines banques commerciales disposent de
la passation des marchés et de la construction l’expérience et du savoir-faire nécessaire pour
peut en outre avoir un impact sur l’éventail élaborer et financer de grands projets élec-
de prêteurs. Une société originaire d’un pays triques en Afrique, notamment en RDC. Si les
disposant d’une banque publique de dévelop- efforts des compagnies minières et de SNEL
pement et/ou d’une agence de crédit export devaient aboutir au Katanga, alors les béné-
pourrait donner à l’IPP accès à des sources de ficiaires ne seraient pas seulement les mines
financements plus larges ou à des mécanismes elles-mêmes, mais également la population
de garantie. En général, les agences de crédit dans son ensemble. En effet, l’industrie lo-
export proposent une couverture du risque cale et la population en général disposeraient
politique allant jusqu’à 100  % – et jusqu’à d’un surplus d’électricité, ce qui stimulerait
85 % en ce qui concerne le risque commercial. l’économie. Les compagnies minières ont là
Une banque commerciale l’opportunité de jouer un rôle favorable à ce dé-
« Les tarifs déconnectés des telle que Standard Bank, veloppement, à la fois en tant qu’acheteurs po-
coûts de production sont capable de fournir à la tentiels d’électricité et en tant que promoteurs
souvent considérés comme une fois des services de levée de projets de production d’électricité sur de
contrainte commerciale. » de fonds, de conseil finan- nombreux marchés de l’électricité en Afrique.
cier et de structuration de Au cours des dix dernières années, six des dix
dette, pourrait alors apporter à l’agence de cré- pays du monde qui connaissaient le dévelop-
dit export la garantie complémentaire sur le pement le plus rapide étaient africains – un
risque commercial. phénomène qui s’explique en partie par l’ex-
Les risques potentiels de transport consti- plosion du marché des matières premières.
tuent également une source de préoccupation. La demande d’électricité devrait continuer
En RDC, des problèmes d’entretien nuisent à d’augmenter à court et moyen terme du fait
l’efficacité du réseau de transport électrique de la nécessité, pour les BRIC, d’accéder aux
du pays, qui affiche des pertes d’environ ressources que détient l’Afrique. L’importance
60  %. Cette situation est analogue à celle de des besoins en électricité et la dimension
nombreux autres pays africains. Enfin, sur de des investissements requis limitent de fait le
nombreux marchés de l’électricité africains, nombre de projets de production d’électricité
les tarifs déconnectés des coûts de produc- pour lesquels un financement interne au pays
tion sont souvent considérés comme une est envisageable. Le secteur privé pourrait dé-
contrainte commerciale. En RDC, le tarif tenir une partie de la solution, en particulier
moyen actuel de l’électricité se situe à environ là où il est le plus solidement implanté – c’est-
0,04 dollar par KWh (Africa in Fact, 2012), soit à-dire dans le développement et l’extraction
un niveau très inférieur au tarif qu’il convien- des ressources naturelles. Les compagnies mi-
drait d’appliquer. Sachant qu’en règle géné- nières disposent de capitaux, sont de fait des
rale, les investisseurs demandent que le tarif acheteurs crédibles ; ils pourraient favoriser la
soit calculé sur la base d’un coût normalisé de réalisation de projets de production d’électri-
l’énergie1, la mise en place d’un paiement de cité indépendants. Dès lors, une région riche
capacité2 semble la mesure la plus appropriée. en ressources naturelles comme le Katanga ne
Par ailleurs, le coût normalisé prend généra- constitue-t-elle pas un site idéal pour s’engager
lement en compte le coût moyen pondéré du sur cette voie ? Plusieurs projets de production
capital du promoteur et l’inflation du pays  – d’électricité développés par le secteur privé de-
l’indice des prix à la consommation devant vraient être mis en exploitation au cours des
augmenter en RDC d’environ 8  % en 2014 années à venir en Guinée Conakry, au Mozam-
(FMI, 2013). Cela permet de déterminer le bique, au Ghana, en Afrique du Sud, en Zambie
etc. Leur développement doit constituer une
1
Le coût normalisé de l’énergie est une évaluation économique du coût priorité absolue pour les décideurs nationaux.
d’un système de production énergétique qui comprend l’ensemble des
coûts tout au long de sa vie : investissement initial, fonctionnement et La vitesse de réalisation de ces projets passe
entretien, coût du combustible et coût des capitaux.
2
Les paiements de capacité ont pour objectif, entre autres, de fournir au par un dialogue constructif avec le secteur
producteur des revenus permettant de couvrir les coûts des capitaux, ce
qui comprend un taux de rendement normal, ainsi que les coûts fixes de
minier africain – actuellement en plein essor.
fonctionnement et d’entretien.

Références / Africa in Fact, 2012. Les pannes de courant en Afrique : un frein à la croissance. The Journal of Good Governance Africa. Numéro 4, septembre 2012.
Johannesburg, Afrique du Sud. // Energy Information Administration, 2013. Perspectives à court terme dans les secteurs de l’énergie et des carburants de chauffage.
Etats-Unis. Octobre 2013. // Fonds monétaire international, 2013. Perspectives de l’économie mondiale Espoirs, réalités, risques. Études économiques et financières
mondiales. Washington, DC. (États-Unis). Avril 2013. // Fonds monétaire international, 2013. Country Report No. 13/94. Washington, DC. USA. Avril 2013.

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25

Le développement des énergies


renouvelables en Afrique :
un partenariat public-privé
A l’instar de la téléphonie mobile qui a permis l’essor des télécommunications en Afrique subsaharienne,
le développement des énergies renouvelables (EnR)1 sera-t-il de nature à combler les besoins en capacités
de production ? Le potentiel des EnR y est réel. Les producteurs privés peuvent jouer un rôle essentiel
pour le développer. Pour cela, les États doivent mettre en place un cadre réglementaire et une planification
adaptés, aux côtés des bailleurs dont le rôle est particulièrement structurant dans la phase
amont des projets.

Grégor Quiniou, Astrid Jarrousse et Stéphanie Mouen œuvre de ces projets et leur compétitivité éco-
Responsable adjoint, division Infrastructures et mines, Proparco
nomique par rapport aux énergies fossiles les
Chargée d’affaires, division Infrastructures et mines, Proparco rendent désormais attractives à court terme.
Chef de projets, division Transports et énergies durables, Agence
française de développement Le potentiel de production électrique à base
d’énergies renouvelables

L
’Afrique subsaharienne compte environ Le potentiel des EnR en Afrique est énorme ; le
83 gigawatts (GW) de capacité de pro- potentiel hydroélectrique est estimé par exemple
duction électrique, dont 22 GW2 d’origine à environ 1 844 térawattheures (TWh) (IRENA,
renouvelable. L’hydroélectricité, avec 21,6 GW 2012), soit 18 fois la production d’hydroélec-
installés représente 98 % du total, aux côtés de tricité du continent en 2009. Environ la moitié
l’éolien – 120 mégawatts (MW), la géothermie de ce potentiel est jugé économiquement viable
(210 MW) et le solaire (une dizaine de MW, (soit une capacité additionnelle potentielle de
pour l’essentiel non connectés au réseau). 100 GW à 150 GW). Les ressources éoliennes
Alors que les maîtrises d’ouvrages publiques sont elles aussi très impor-
sont en général concentrées sur les moyens de tantes et exploitables, même «Le potentiel des EnR en
production électrique traditionnels (thermique, si elles ne sont pas uniformé- Afrique est énorme.»
gros projets hydrauliques principalement) et ment réparties sur le terri-
certaines compagnies d’électricité parfois réti- toire : 87 % des ressources de haute qualité sont
centes à l’égard des énergies intermittentes, les situés dans les zones côtières de l’Est et du Sud.
développeurs privés ont un rôle important à La ressource y est l’une des meilleures au monde.
jouer dans la promotion des projets d’EnR en La ressource solaire est abondante en Afrique et
Afrique subsaharienne. La rapidité de mise en elle est mieux répartie sur l’ensemble du conti-
nent. Soutenu par des politiques publiques adé-
quates et par la réduction continue des coûts de
Grégor Quiniou, Astrid jarrousse et Stéphanie Mouen
production, le solaire photovoltaïque pourrait
Grégor Quiniou a développé des transports. Diplômée de jouer un rôle très important dans l’approvi-
une expertise de plus 15 ans Science Po Paris et de l’EPSCI, sionnement énergétique de l’Afrique d’ici 2030,
en conseil et en financements après une expérience de avec des estimations comprises entre 15  GW
structurés au sein de la conseil chez Eurogroup, elle
Société Générale puis de rejoint le groupe AFD en 2007.
et 62 GW (EREC/Greenpeace, 2010). Enfin,
Proparco, qu’il a rejoint en l’énergie géothermique est aussi prometteuse
2010. Il a arrangé plusieurs Stéphanie Mouen a rejoint avec un potentiel estimé entre 7 GW et 15 GW
transactions dans le domaine le groupe AFD après une (AU-RGP, 2010), mais cette ressource reste limi-
des énergies renouvelables et expérience de dix ans en tée pour l’essentiel aux pays de la Vallée du Rift
de l’efficacité énergétique. financements structurés à
la Société Générale. Depuis
(Afrique de l’Est).
Astrid Jarrousse structure et huit ans, elle travaille plus De nombreux projets d’EnR sont en cours
met en place des projets de particulièrement sur le secteur
de l’énergie en Afrique – tout
1
L’appellation EnR dans cet article recouvre l’hydroélectricité, la géo-
financement, en particulier thermie, l’éolien et le solaire.
dans le secteur de l’énergie et d’abord à Proparco puis à l’AFD. 2
Estimations des auteurs, étant considéré qu’une portion de cette
capacité ins tallée n’es t pas opérationnelle et requiert des travaux de
remise en état.

Secteur Privé & Développement


26 Le développement des énergies renouvelables en Afrique : un partenariat public-privé

Les producteurs de développement (voir encadré) et ils tendance haussière et sont soumis à une forte
privés d’électricité :
une solution sont le plus souvent soutenus par des produc- volatilité – les EnR sont, elles, globalement à la
pour l’Afrique ? 
teurs indépendants. Ainsi, 98  % des capacités baisse et permettent d’assurer sécurité et indé-
solaires (64% hors Afrique du Sud) et plus de pendance énergétiques.
90% des MW éoliens en phase de développe- Les EnR se caractérisent par une structure de
ment émanent de producteurs privés. Ces pro- coûts très capitalistique : les coûts de dévelop-
jets se développent toutefois presque exclusi- pement (liés notamment à l’évaluation de la
vement dans les pays où sont déjà présents des ressource) et d’investissements sont impor-
producteurs indépendants ou qui disposent tants, alors que les coûts d’exploitation sont très
déjà de capacités en EnR. faibles. La rentabilité de ces projets s’en trouve
donc différée. L’évaluation de leur intérêt éco-
La compétitivité des projets d’énergies nomique par rapport aux énergies fossiles doit
renouvelables se faire sur une période longue (15 à 20 ans)
Les EnR sont souvent perçues comme trop coû- et selon des critères adéquats : coût moyen de
teuses, en raison notamment de coûts d’inves- production actualisé du kWh pour les projets
tissement élevés. Or, elles sont déjà compéti- hydroélectriques ou géothermiques  ; méthode
tives en réseau isolé et ont atteint dans bien des dite des « coûts variables évités»3 pour les éner-
cas, sur le réseau, la parité avec le coût moyen de gies intermittentes, etc. Au vu de sa nature
production électrique. C’est le cas pour les éner- capitalistique, le coût du financement (dette et
gies de stockage comme l’hydroélectricité et la rémunération des fonds propres) est détermi-
géothermie, mais également pour les énergies nant pour la compétitivité d’un projet d’EnR.
intermittentes comme l’éolien et le solaire. Les
pays d’Afrique subsaharienne présentent une Conditions spécifiques à l’émergence des
grande variété de situations en ce qui concerne énergies renouvelables
le coût du mix de production. Certains ont accès Pour faciliter l’émergence de tels projets, les
à des ressources peu chères (potentiel hydroé- pays d’Afrique subsaharienne doivent tout
lectrique en Éthiopie, Guinée, Cameroun, RDC ; d’abord prendre conscience du potentiel, de
réserves de charbon en Afrique du Sud) et dis- la compétitivité et des avantages des EnR. Il
posent donc d’un mix de production très com- faut aussi qu’ils se dotent d’une réelle planifi-
pétitif. Ici, l’intérêt économique des EnR est cation en amont, intégrant les EnR dans leur
faible, sauf dans une logique de diversification plan directeur. La plupart des pays d’Afrique
de la production – pour pallier, par exemple, subsaharienne se sont fixé des objectifs de taux
le risque de périodes de sécheresse prolongées de pénétration des EnR dans leur mix énergé-
en cas de forte dépendance à l’hydroélectricité. tique à horizon 10 ou 15 ans. C’est un signal
D’autres pays ont un mix de production basé politique fort, mais insuffisant  : les objectifs
sur les énergies fossiles, en particulier le pétrole doivent être traduits en capacité de production
(pays du Sahel notamment). Pour ceux-là, les et aboutir à la sélection de premiers projets et
EnR représentent l’alternative la moins chère. de sites prioritaires à développer. La planifi-
De nombreux pays ayant des ressources en gaz cation doit intégrer aussi les contraintes tech-
(Côte d’Ivoire) se trouvent dans une situation niques liées à l’injection d’énergies intermit-
intermédiaire. La perception d’une énergie re- tentes (éolien, solaire) sur le réseau. Elle sera
nouvelable chère est d’autant plus erronée que d’autant plus pertinente qu’elle s’appuiera sur
les énergies fossiles bénéficient de nombreux une cartographie des énergies renouvelables
mécanismes de subvention qui masquent un permettant de déterminer le potentiel du pays
coût réel beaucoup plus élevé. De plus, les coûts 3
Comparant le coût de revient du kWh d’EnR aux coûts variables
(essentiellement celui des combustibles pour le thermique) des centrales
de l’électricité d’origine fossile présentent une dont la production est substituée.

Encadré : Projets d’énergies renouvelables en Afrique subsaharienne

Des études récentes financées par l’Agence française de développement en Afrique subsaharienne (Nodalis, Axenne, 2013 ;
Nodalis, Equilao, 2012 ; Tractebel Engineering GDF-Suez, 2012) ont permis de recenser les centrales en exploitation, en construction
et en phase développement en 2012.

(MW) Hydroélectricité Géothermie éolien Solaire


Capacités installées 210 75,5 12
21 500
Centrales en construction 223 4,3
320
Projets en développement 48 000 3 790 1 876

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27

mais également la localisation et la taille opti- L’importance d’un soutien en amont


male des projets. Cette planification permettra Les promoteurs privés aujourd’hui présents en
aux gouvernements de mieux gérer la multipli- Afrique subsaharienne ne peuvent se prévaloir
cation d’initiatives privées et de passer d’une d’une expertise spécifique en matière d’EnR. Les
approche par l’offre à une approche par la de- spécialistes, eux, sont de petits développeurs, à
mande. Il existe à ce jour trop peu d’approches l’assise financière réduite et sans expérience de
intégrées en Afrique subsaharienne – l’Afrique la sous-région. Une offre de financement ciblant
du Sud faisant plutôt figure d’exception. les énergies renouvelables serait de nature à
Dans le cadre de sa planification, l’État doit permettre leur développement à plus grande
également proposer un mode de structuration échelle. Cependant, les initiatives ne visent pas
(maîtrise d’ouvrage publique ou privée), fixer les explicitement les projets privés, sont d’une por-
règles d’appel à la concurrence (appels d’offres, tée souvent plus large (le changement clima-
appels à projets ou d’attribution de conces- tique) et sont peu connues des développeurs.
sions de gré à gré) et les modalités éventuelles L’appui durant la phase amont apparaît particu-
de soutien à la filière. Plusieurs pays d’Afrique lièrement déterminant. C’est sur ce terrain que
subsaharienne ont développé des politiques de les institutions financières de développement
soutien spécifiques aux EnR. Le plus avancé, peuvent contribuer à l’émergence des projets,
l’Afrique du Sud, a mis en place un programme par exemple en s’associant à des fonds africains
d’appel à projets dont l’ampleur et la solidité qui commencent à se développer sur ce segment.
attire de nombreux développeurs et investis- Pour favoriser son développement, les spécifici-
seurs potentiels. Le Kenya a mis en place dès tés relatives à une EnR considérée doivent être
2008 un mécanisme de tarifs de rachat subven- prises en compte. Longue, coûteuse et risquée,
tionnés qui a rencontré un succès mitigé dû à la phase d’exploration d’un gisement géother-
un tarif trop peu incitatif. D’autres pays comme mal est par exemple traditionnellement finan-
l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda (projets cée sur fonds propres par le développeur. Cela
hydroélectriques) ont suivi ou y réfléchissent constitue un facteur limitant, malgré les qualités
(Ghana, Botswana). Les méca- de cette ressource. Plusieurs initiatives tentent
«L’appui durant la nismes reposant sur des tarifs de favoriser l’émergence de ces projets. Ainsi, le
phase amont apparaît de rachat subventionnés ou sur Kenya a créé en 2009 la Geothermal Develop-
particulièrement des appels à projets semblent ment Company. Cette structure publique a pour
déterminant.» intéressants pour des pays à vocation de porter le risque d’exploration, mais
fort potentiel. Ils sont plus dif- aussi de vendre la vapeur des puits dont il aura
ficiles à répliquer pour des marchés de petite assuré le développement à des promoteurs de
taille : leur mise en place est lourde et il est diffi- centrales géothermiques (privées ou publiques).
cile de fixer un tarif de rachat « juste » – à la fois Cela permet à ces derniers de se concentrer sur
attractif et stable dans le temps. l’exploitation sans supporter le risque d’appro-
Pour faciliter l’émergence de projets d’EnR, cer- visionnement. D’autre part, des programmes4
tains pays pourrait mettre en place une période visent, à l’échelle des pays concernés par ce type
de transition (trois à cinq ans) où certains pro- d’énergie, à mettre en place des mécanismes
jets pourraient être octroyés de gré à gré (si la d’assurance destinés à indemniser partiellement
loi le permet), sur la base d’autorisations ou les développeurs en cas d’échec durant la phase
d’une sélection préalable – en attendant qu’une d’exploration. Pour soutenir en amont les projets
réglementation spécifique aux producteurs d’EnR, plusieurs voies sont possibles : enveloppe
indépendants ou aux EnR soit établie. Cette ap- d’assistance technique dédiée, fonds publics
proche pourrait à la fois permettre de répondre affectés, rationalisation de l’offre existante et
aux nombreux projets à l’initiative du secteur mutualisation des facilités offertes par les bail-
privé tout en les encadrant. leurs. Une mise en place rapide de solutions est
critique pour exploiter le potentiel des EnR en
re p è res Afrique subsaharienne. Par son effet démons-
tratif, le succès des premiers projets devrait per-
mettre de crédibiliser le modèle et de catalyser
Le secteur de l’énergie constitue un axe prioritaire du groupe AFD,
l’investissement, en limitant à l’avenir le recours
avec en moyenne 1,5 milliards d’euros d’engagements annuels
depuis 2007. Les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique
à ces mécanismes de soutien.
ont connu la plus forte croissance sur la période 2007-2012, avec au 4
African Rift Geothermal Development Program de la Banque mondiale
total plus de 4,4 milliards d’euros engagés (soit 50% du total). ou Geothermal Risk Mitigation Facility de l’Union africaine et KfW.

Références / AU-RGP, 2010. The East African Rift System (EARS) Geothermal Energy Resource Development, The African Union Commission, Addis Abeba. Avril // EREC/
Greenpeace, 2010. Energy [r]evolution: A sustainable global energy outlook. Bruxelles, Belgique /Amsterdam, Pays-Bas. // IRENA, 2012. Prospects for the African Power
Sector: Scenarios and strategies for Africa Project. Abu Dhabi // Nodalis/Axenne, 2013. Étude sur le montage des projets photovoltaïques en Afrique subsaharienne. //
Nodalis/Equilao, 2012. Étude sur le montage des projets éoliens en Afrique subsaharienne. // Tractebel Engineering GDF-Suez, 2012. Étude sur le Développement
de l’hydroélectricité de moyenne et petite puissance en Afrique subsaharienne.

Secteur Privé & Développement


Les enseignements du numéro
Par CHARLOTTE DURAND, rÉdacteur en chef ADJOINT couvrir ses coûts n’a pas les moyens d’augmenter ses
capacités de production, ce qui l’oblige à recourir à de
En Afrique subsaharienne, le déficit de capacité coûteux générateurs d’urgence plus chers qui aggravent
électrique limite l’accès des populations à un service de encore sa situation financière.
base et constitue un frein important au développement
économique de la région. Les financements nécessaires Les autorités publiques doivent également se doter
pour augmenter les capacités installées sont des moyens humains et organisationnels nécessaires
considérables. Ils ne peuvent reposer uniquement sur pour créer un cadre de concurrence et contractuel
les États. Le secteur privé semble donc tout indiqué clair et lisible. Celui-ci repose notamment sur la
pour répondre à ce besoin de financement. Sa part présence d’un régulateur indépendant, des processus
dans la production électrique reste toutefois marginale. clairs d’attribution des marchés et la séparation
Beaucoup de pays n’ont pas pu ou pas voulu engager les des fonctions de distribution, de transport et de
réformes nécessaires au développement du secteur privé production. Ces éléments rassurent les investisseurs,
dans ce domaine – souvent considéré comme stratégique et sont indispensables pour assurer l’équilibre entre la
et sensible d’un point de vue social. De leur côté, les rentabilité des acteurs privés, d’une part, et l’impact
entreprises privées demeurent réticentes à investir dans économique et développemental des projets pour le pays,
des environnements qu’elles jugent peu transparents, d’autre part.
avec comme client direct unique des sociétés nationales
d’électricité souvent peu ou pas solvables. Et pourtant, Les États doivent en outre développer et pérenniser des
les exemples du Kenya, de l’Afrique du Sud ou de plans de développement des capacités à moindre coût et
la Côte d’Ivoire montrent que le secteur privé, outre à moyen terme. Les coûts de production des producteurs
des financements, peut apporter un réel savoir- indépendants sont réputés pour être comparativement
faire technique et favoriser la diversification du mix élevés. C’est vrai quand ces projets sont développés
énergétique. Par ailleurs, il est souvent plus performant dans l’urgence pour pallier un déficit de capacité mal
que le secteur public. Si son coût de production peut être anticipé. Mais quand ils s’intègrent dans un plan de
plus élevé, il ne l’est pas nécessairement plus que celui développement à long terme et qu’ils ne se substituent
des nouvelles centrales du secteur public. Différentes pas à des projets publics moins chers, leur impact est
études montrent, en outre, qu’il est toujours préférable, tout à fait positif. La planification permet également aux
d’un point de vue économique, de produire cher que États d’investir sur des options de long terme, comme les
de ne pas produire du tout. Ces exemples semblent énergies renouvelables, qui ont l’avantage d’améliorer
confirmer que, si la planification du secteur relève du l’indépendance énergétique des pays mais nécessitent
secteur public, la production peut, au moins en partie, des investissements importants en amont.
être gérée par le secteur privé.
Le chemin à parcourir est encore long et la prise de
L’une des premières mesures que les États peuvent conscience de l’intérêt que présente le secteur privé
mettre en œuvre vise l’assainissement financier des prend du temps. Dans ce contexte, le rôle des bailleurs de
sociétés nationales d’électricité, qui passe notamment fonds reste essentiel pour soutenir les projets du secteur
par l’application d’un juste prix de l’électricité. Les privé et accompagner les États dans la mise en place
difficultés de ces dernières s’expliquent le plus souvent, d’un cadre favorable au développement des producteurs
en effet, par la réticence des autorités publiques à indépendants d’électricité.
facturer le prix réel de l’électricité – notamment pour
des raisons sociales. Cette approche, si elle peut sembler
légitime, n’atteint toutefois pas forcément son but : les
subventions qu’elle implique ne bénéficient pas toujours
Au sommaire de notre prochain numéro
à ceux qui en ont le plus besoin. En outre, elle n’est pas Comment rendre le logement accessible
viable à long terme : un opérateur public qui ne peut au plus grand nombre ?

secteur privé & Développement est une publication de PROPARCO, Groupe Agence Française de Développement, société au capital de 420 048 000 , 151 rue Saint-Honoré, 75001
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Stéphanie Mouen (AFD) et Grégor Quiniou (PROPARCO) • Ont collaboré à ce numéro • Jeannot Boussougouth (Standard Bank), Yasser Charafi (SFI), Anton Eberhard (Graduate
School of Business, Université du Cap), Bertrand Heysch de la Borde (SFI), Astrid Jarrousse (PROPARCO), Mikael Karlsson (Globeleq), Stéphanie Mouen (AFD), Katharine
Institution financière de développement, Nawaal Gratwick (consultante en énergie), Grégor Quiniou (PROPARCO), Amidou Traoré (Société des Energies de Côté d’Ivoire), Jason Wendle (Dalberg Global Development
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les investissements privés dans les pays
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