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HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE
AOÛT-SEPTEMBRE 2018
N° 100
uméro
n
0 0
1spécial E MATHS
LA MUSIQUE
PHYSIQUE
MODÉLISER
PSYCHOLOGIE
LA MUSIQUE
GRAND
TÉMOIN
MISE EN POUR MIEUX REND PLUS ANDRÉ
USIQU ALGÈBRE ACCORDER INTELLIGENT MANOUKIAN
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GOOD
BEL : 9,40 € – CAN : 13,20 CAD – DOM/S : 9,40 € – ESP : 8,95 € – GR : 8,95 € – LUX : 8,95 € – MAR : 105 MAD – TOM/A : 2400 XPF – TOM/S : 1 320 XPF – PORT. CONT. : 8,90 € – CH : 17,10 CHF
VIBRATIONS
DE LA PHYSIQUE DES ONDES
À LA MUSICOTHÉRAPIE
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Édition française de Scientific American
www.pourlascience.fr
ÉDITORIAL
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« Laissez jouer
Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly
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la musique »
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Marketing & diffusion : Arthur Peys
E
Direction du personnel : Olivia Le Prévost
Direction financière : Cécile André
Fabrication : Marianne Sigogne et Olivier Lacam
Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot
n 1966, Brian Wilson, leader du groupe américain
Anciens directeurs de la rédaction : Françoise Pétry
et Philippe Boulanger The Beach Boys, s’enferme avec des kilomètres de
Conseiller scientifique : Hervé This bandes enregistrées dans divers studios californiens.
Il en sortira avec, selon les spécialistes, l’une des
PRESSE ET COMMUNICATION meilleures chansons pop de tous les temps : Good
Susan Mackie
susan.mackie@pourlascience.fr • Tél. 01 55 42 85 05 Vibrations. Elle est particulière à plus d’un titre.
PUBLICITÉ France
Stéphanie Jullien
stephanie.jullien@pourlascience.fr • Tél. 06 19 94 79 25 D’abord, elle est construite à partir de fragments, de modules inter-
ABONNEMENTS changeables, que l’on peut déplacer à l’envi. C’est un peu le principe
Abonnement en ligne : http://boutique.pourlascience.fr de la musique contemporaine élaborée quasi mathématiquement à
Courriel : pourlascience@abopress.fr
Tél. : 03 67 07 98 17 partir de motifs répétés, inversés, transposés…
Adresse postale : Service des abonnements
Pour la Science – 19 rue de l’Industrie – BP 90053
67402 Illkirch Cedex Ensuite, Brian Wilson a utilisé pour Good Vibrations les sons d’un
Tarifs d’abonnement 1 an (16 numéros) étrange instrument, une sorte de thérémine (un des plus anciens ins-
France métropolitaine : 79 euros – Europe : 95 euros
Reste du monde : 114 euros truments de musique électronique, inventé en 1919 par le Russe Lev
DIFFUSION Termen). Ce n’était pas suffisant. Le compositeur a affirmé qu’il voulait
Contact kiosques : À Juste Titres ; Benjamin Boutonnet
Tél. 04 88 15 12 41 reproduire les sons qu’il avait « dans la tête » et qu’aucun instrument
Information/modification de service/réassort : ne pouvait produire. Que n’a-t-il connu les instruments virtuels depuis
www.direct-editeurs.fr
peu disponibles !
SCIENTIFIC AMERICAN
Editor in chief : Mariette DiChristina Enfin, pourquoi ce titre ? L’idée de la chanson lui aurait été inspirée
President : Dean Sanderson
Executive Vice President : Michael Florek par sa mère, selon qui les chiens seraient dotés d’un sens particulier
Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou leur révélant les « mauvaises vibrations ». Brian Wilson pensait quant
francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents contenus dans la
revue « Pour la Science », dans la revue « Scientific American », dans les livres
à lui que les humains ressentent les bonnes vibrations !
édités par « Pour la Science » doivent être adressées par écrit à « Pour la Science
S.A.R.L. », 162 rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris.
© Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, Toujours est-il que le succès de la chanson a dépassé son créateur.
d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque et
le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de Scientific Peu après sa sortie, il commença à souffrir d’une dépression dont il ne
American, Inc. Licence accordée à « Pour la Science S.A.R.L. ».
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire sortira qu’après plusieurs décennies. Les dernières techniques de musi-
intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur
ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20 rue des cothérapie auraient-elles pu accélérer sa guérison ?
Grands-Augustins, 75006 Paris).
N° 100
Août-septembre 2018
Good
vibrations VIBRER
DE LA PHYSIQUE DES ONDES À L’UNISSON
À LA MUSICOTHÉRAPIE
P. 6 P. 16
Constituez La musique à la portée… de tous La musique est-elle universelle ?
votre collection Toutes les notions indispensables Barbara Tillmann
de Hors-Séries pour apprécier ce numéro. Le langage s’acquiert de façon tout aussi
Pour la science spontanée que l’on apprend à parler.
Tous les numéros
depuis 1996 P. 10
Avant-propos
pourlascience.fr
ANDRÉ P. 24
Algèbre et géométrie : sont-elles
MANOUKIAN inscrites dans le cerveau ?
Moreno Andreatta et Carlos Agon
« La musique, dès son Les mathématiques de la musique contemporaine
apparition, a été une seraient inhérentes à notre cerveau.
manifestation du sacré »
P. 32
Sur un air d’évolution
Emmanuel Bigand
La musique a une valeur adaptative : elle
favorise notamment la cohésion sociale.
P. 40
Un anthropologue au pays
© Éric Fougère / GettyImages
de la musique
Victor A. Stoichita
Les pratiques musicales sont diverses,
mais toujours liées à la pensée métaphysique.
En couverture :
Aleksei Derin / Shutterstock.com ;
Pour la Science
P. 108
P. 80 À lire en plus P. 120
Dans les cordes d’une harpe Art & Science
François Gautier et Jean-Loïc Le Carrou D’une explosion à l’autre
Comment accorder une harpe, instrument
complexe par excellence ? Grâce à la physique.
La musique
à la portée…
de tous
Pour qui n’est pas musicien dans l’âme,
les notions utilisées pour parcourir le monde
des notes sont parfois complexes.
Quelques explications s’imposent pour s’y
retrouver, et apprécier pleinement ce numéro.
Une note correspond à la hauteur d’un Elle correspond à l’intervalle entre Pour désigner les notes, le moine Guido
son, c’est-à-dire sa fréquence (le nombre deux notes dont la fréquence de l’une d’Arezzo, en 1028, s’est inspiré de L’Hymne
de vibrations par seconde, exprimé est le double de l’autre. Ces notes à saint Jean-Baptiste, un chant religieux
en hertz, ou Hz). L’oreille humaine perçoit portent le même nom, mais sont latin attribué au moine et érudit Paul
entre 20 et 20 000 hertz. Le la du diapason distinguées par un numéro d’octave. Diacre :
a une fréquence de 440 hertz. Pour repérer deux notes de même nom
Dans la musique occidentale, dans deux octaves différentes, Ut queant laxis
les principales notes ont pour noms : on numérote les octaves. Ainsi, le la Resonare fibris
do, ré, mi, fa, sol, la et si (voir figure à 440 hertz est le la 3. Le la 2 est à Mira gestorum
ci-dessous). 220 hertz, le la 1 à 110 hertz, le la 4 à 880… Famuli tuorum
Solve polluti
1er degré 2e degré 3e degré 4e degré 5e degré 6e degré 7e degré 8e degré Labii reatum
Tonique Sus-tonique Médiante Sous-médiante Dominante Sus-dominante Sensible Tonique (octave) Sancte Iohannes
Do Ton Ré Ton Mi Fa Ton Sol Ton La Ton Si Do L’ut a ensuite été remplacé par le do,
plus facile à chanter.
ALTÉRATION Dans d’autres pays, on utilise
plus simplement des lettres.
Une altération monte ou baisse la hauteur Ainsi, dans les pays anglo-saxons :
d’une note. Le dièse (noté #) élève la note
d’un demi-ton. Le bémol (noté ) abaisse % Français do ré mi fa sol la si
la note d’un demi-ton. Anglais C D E F G A B
Une gamme est une succession de notes Elle utilise sept notes (do, ré, mi, fa, sol, la, Toutes les notes de cette gamme sont
disposées dans l’ordre des fréquences si) de noms différents, la huitième étant la séparées par des demi-tons pas tout à fait
croissantes (ou décroissantes). Les notes répétition de la première à l’octave égaux (par construction mathématique).
d’une gamme sont assimilables à une supérieure (do ici). Les notes – ou degrés
palette de couleurs qu’un peintre – de la gamme diatonique ne sont pas
(musicien) aurait à sa disposition pour séparées d’un même intervalle (voir figure GAMME TEMPÉRÉE
réaliser ses tableaux. Changer de gamme, page ci-contre).
c’est changer le choix de ces couleurs.
Dans les gammes majeures, les écarts
entre les notes suivent cet Elle divise l’octave en douze intervalles
ordonnancement : 1 ton, 1 ton, ½ ton, DEGRÉ DE LA GAMME (ou demi-tons) égaux, à la différence des
1 ton, 1 ton, 1 ton, ½ ton. La figure autres gammes. Elle correspond aux douze
page ci-contre montre une gamme notes qui divisent l’octave sur le clavier
en do majeur. Chaque son peut être la première note d’un piano : pour la gamme de do par
Dans les gammes mineures, les écarts d’une gamme. Chaque degré, quelle que exemple, les sept touches blanches de do
entre les notes sont successivement : 1 ton, soit la note qui le représente, a un nom à si (les notes de la gamme diatonique)
½ ton, 1 ton, 1 ton, ½ ton, 1 ton, 1 ton. qui caractérise la position qu’il occupe et les cinq touches noires intercalées (leurs
dans la gamme. À cette position altérations, ci-dessous).
correspond une fonction. Ainsi, le premier Octave
degré se nomme tonique, le deuxième
INTERVALLE sus-tonique, le troisième médiante,
le quatrième sous-dominante,
le cinquième dominante, le sixième
L’intervalle entre deux notes s’exprime en sus-dominante, le septième sensible
tons et en demi-tons. Une octave compte et le huitième octave ou tonique
six tons par exemple. (voir figure page ci-contre). do ré mi fa sol la si do ré mi
QUINTE
QUARTE
OCTAVE
SECONDE
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Spektrum der Wissenschaft et Nature Publishing Group
chaque discipline – et distinguées par des organisations de
scientifiques ou des associations d’industriels renommées
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discipline ou par domaine d’expertise
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AVANT-PROPOS
ANDRÉ
MANOUKIAN
« La musique,
dès son apparition, a été
une manifestation du sacré
chez les êtres humains »
BIO EXPRESS
Quelles relations la musique commencement est le un qui se divise en
9 AVRIL 1957 deux. De ce deux, symbole de l’antago-
entretient-elle avec la science ? Naissance à Lyon.
nisme, de la sexualité, va naître le trois, le
André Manoukian : La musique, c’est 1977 tout se mouvant dans le quatre, soit le
d’abord des mathématiques. C’est d’ail- Cours de jazz nombre d’éléments. Or 1, 2, 3 et 4 forment
leurs Pythagore, un mathématicien, qui au Berklee College un nombre pyramidal, un nouveau un. À
a inventé la gamme, même s’il a sans of Music, à Boston. ce scénario, il associe les notes fa, sol et do
doute été inspiré par ce qu’il a vu en 2010 qui se trouvent aussi être celles des
Égypte, où il a enseigné. Création du festival accords du blues. Moralité, Dieu est un
Les histoires divergent sur les détails, de jazz Cosmojazz, joueur de blues, c’est Pythagore qui le dit.
mais disons qu’il prend une corde et la fait à Chamonix.
vibrer. En la divisant en deux, il s’aperçoit 2017
De là, il établit la gamme ?
qu’elle vibre à l’octave (la fréquence est Sortie de son André Manoukian : Oui, en renouve-
un multiple, la note est identique). En dernier album lant le procédé de la quinte pour obtenir
pinçant les deux tiers de la corde, il « Apatride », chez les notes : do, sol, ré, la, mi, si, fa dièse, do
obtient la quinte, avec les trois quarts, la Mad Chaman. dièse, sol dièse, ré dièse, la dièse et mi
quarte… Avec ces proportions, il construit bémol. La suivante est à nouveau un do,
© Eric Fougere / GHettyImages
les quatre notes essentielles, c’est-à-dire mais avec un léger décalage, repéré par
do, do (à l’octave), sol (la quinte) et fa (la Jean-Sébastien Bach, par rapport à celui
quarte). Ces notes constituent ce que l’on du départ. On supprime cet écart en bais-
nomme la cadence parfaite. sant artificiellement un peu les fréquences
Selon le philosophe grec, le cosmos et pour obtenir des notes justes et iden-
la création du monde étaient fondés sur la tiques, quelle que soit l’octave. C’est la
Tetraktys (du grec Tetra, pour quatre). Au gamme dite tempérée, où toutes les notes
L’ESSENTIEL L’AUTEURE
La musique
est-elle
universelle ?
Quelle que soit notre culture, le langage de la musique
est universel et on l’acquiert de façon tout aussi
spontanée que l’on apprend à parler.
D
choix de certaines combinaisons de notes et la
séparation des notes en octave refléteraient des
traits « naturels » respectant les lois de l’acous-
tique, d’une part, et celles de la physiologie du
système auditif humain, d’autre part ; ils crée-
raient une bonne consonance acoustique.
Toutefois, cette organisation de gamme
n’est pas universelle. Par exemple, dans la
musique arabe ou dans la musique gamelan de
Bali et Java, les types de gammes diffèrent ;
dans la gamme orientale, on compte vingt-
quatre notes organisées en différents sous-
ensembles de sept notes. De plus, à Bali par
exemple, la façon dont les notes sont accordées
change selon les orchestres, alors qu’en
musique occidentale, tous les orchestres s’ac-
cordent sur une même note (le la dont la fré-
epuis combien de temps les humains quence est égale à 440 hertz). Si la construction
jouent-ils de la musique ? Les plus anciens des gammes varie selon les pays, la musique
instruments avérés sont des flûtes décou- est-elle vraiment un langage universel ?
vertes dans la région du Jura souabe en La musique est une information acoustique
Allemagne, sur les sites de Hohle Fels, complexe organisée et structurée dans le
Vogelherd et Geissenklösterle. Datées d’envi- temps. Les deux principales caractéristiques de
ron 40 000 ans, pendant l’Aurignacien, elles cette organisation sont la hauteur des notes et
ont été taillées le plus souvent dans des os la dimension temporelle – la durée des sons et
d’oiseaux (vautour, cygne…). Une flûte plus leur distribution dans le temps.
ancienne encore, mise au jour en Slovénie, est Concernant la hauteur des sons, on
attribuée aux Néandertaliens, mais l’interpré- observe certaines régularités musicales quel
tation fait débat, certains ne voyant dans les que soit le système musical. D’abord, nous
trous de l’os que des traces de dents. l’avons vu, les notes sont organisées en
Quoi qu’il en soit de l’origine, la pratique gammes qui forment une progression discrète
de la musique a accompagné la diversification de hauteurs : l’ensemble des hauteurs n’est pas
de l’humanité et, aujourd’hui, toutes les continu. Par ailleurs, un nombre réduit de
cultures produisent de la musique et y sont notes (de cinq à sept) est choisi pour les sous-
sensibles. La musique serait-elle donc l’apa- ensembles de la gamme (voir
nage des humains ? À l’instar du langage, serait- l’encadré page ci-contre). Les
elle un caractère inné et universel ? Pour notes se répètent au fil des
répondre, nous devons traquer les possibles
traits communs aux différentes musiques du
octaves selon une séquence
cyclique du grave à l’aigu.
LES BÉBÉS SONT
monde – des universaux musicaux – et recher- En outre, les notes sont
cher comment les auditeurs perçoivent ces séparées par des intervalles « UNIVERSALISTES » :
« invariants » musicaux. inégaux. Ainsi, en musique
occidentale tonale, les écarts
UNE GAMME, DES GAMMES en demi-tons entre les notes ILS PERÇOIVENT
La première étape de cette quête consiste de la gamme diatonique, par
à rappeler brièvement les « fondamentaux » de
la construction des musiques du monde.
exemple la gamme de do
majeur, exprimés par rapport
LA MUSIQUE
Commençons avec la musique occidentale. à la note initiale, sont : 2, 2, 1,
Cette musique, dite tonale, repose sur les 2, 2, 2 (la deuxième est sépa- DE TOUTES
douze notes de la gamme chromatique qui rée de la première par deux
couvrent une octave. demi-tons, la troisième de la
Les notes de la gamme se répètent d’une deuxième par deux demi- LES CULTURES
octave à la suivante, du grave à l’aigu. Les hau- tons, la quatrième de la troi-
teurs des notes – leurs fréquences – sont fixées.
Parmi les douze notes, des sous-ensembles de
sièmes par un demi-tons…).
En transformant en quarts de
DU MONDE
sept notes définissent des gammes dites diato- tons le patron de la gamme de
niques. Par exemple, pour la gamme de do do majeur en demi-tons, on
majeur, les sept notes sont do, ré, mi, fa, sol, la, obtient 0-4-8-10-14-18-22-24, on peut le com-
si. Les deux notes les plus importantes de cette parer à celui de la gamme orientale nommée
gamme sont le do et le sol, la première étant la rast : 0-4-7-10-14-18-21-24.
tonique, la seconde la dominante. Le plus sou- Qui plus est, à l’instar de la musique occiden-
vent, le do commence et finit la mélodie. Le tale tonale, toutes les notes n’ont pas la même
C
ertaines structures hauteurs des notes qui se fait occidentale tonale et celle
musicales sont par niveaux discrets. Ces nommée rast de la musique D’AUTRES
présentes quelle invariants et d’autres existent orientale pour présenter INVARIANTS
que soit la culture ; on parle dans toutes les musiques ces régularités musicales La fonction d’une note
d’invariants musicaux. du monde. En revanche, (sachant que certaines change selon le contexte ;
Il s’agit notamment de le nombre de notes peut musiques ne s’écrivent pas ici le do est la tonique,
la distance variable entre changer et la façon dont sur des portées et, la note la plus importante
les notes, du nombre elles sont accordées dépend par conséquent, sont plus de la gamme, le sol
de notes par octave qui est de la culture. Nous prenons difficiles à présenter). la dominante et le si
compris entre cinq et sept, en exemple la gamme Les invariants musicaux sont la note la moins importante
de l’organisation des de do majeur de la musique écrits en caractères gras. de la gamme,
la sensible. La note la plus
22 21
18 Contour 18 importante 18 de22la gamme Contour
Si
14 mélodique 14 orientale est
14 rast. mélodique
10 La 10 10 La
Sol Housaini Sol
8 Fa 7 Le contour
8 mélodique Fa
4 Nawa 4
Contour Ré Mi Ouj Contour est le 4patron défini par Ré Mi
Hauteur des notes
Sikah
lodique Do : tonique Jiharkah mélodique les hauteurs des notes Do : tonique
Doukah Kirdan qui montent Distance entre deux notes
Distance entre deux notes
Rast : tonique et qui descendent.
Octave Octave Le rythmeOctave
est la durée des
avec un nombre limité de notes avec un nombre limité de notes avec unles
nombre
notes uneslimité
par de notes
rapport
Durée des notes Durée des notes aux autres. Durée des notes
importance dans la gamme : dans la musique traitée par le cerveau qui met à profit ses pro-
indienne, le bourdon joue le rôle de la tonique ; priétés d’organisation, d’apprentissage, de
dans la musique gamelan ce rôle revient au gong. mémorisation et d’attention.
En outre, l’organisation des notes dont les hau- L’utilisation de notes de hauteurs discrètes
teurs montent et descendent dessine un contour permet de les catégoriser ; c’est une caractéris-
mélodique, dont l’importance se retrouve dans tique cognitive de regrouper des événements
les musiques de toutes les cultures. différents dans une même catégorie selon leurs
Quant à la dimension temporelle de la propriétés similaires. Par exemple, la percep-
musique, on distingue trois caractéristiques tion catégorielle des sons contribue à la recon-
importantes : le rythme, la mesure et le tempo. Le naissance d’une mélodie même si les notes ne
premier définit la durée relative des notes dans sont pas chantées justes.
un morceau. Il varie notablement selon les pièces
musicales et les cultures. La mesure, l’unité de DES LIMITES COGNITIVES
base d’une partition, impose une pulsation régu- De même, on distingue deux notes de
lière sur laquelle les patrons rythmiques se super- hauteurs différentes (à condition qu’elles
posent. On en compte plusieurs types : la mesure soient séparées d’une différence minimale de
à deux temps ou celle à trois temps – de la valse – hauteur), mais on associe deux notes iden-
par exemple. D’autres, plus complexes, sont des tiques séparées par une octave (elles n’ont
mesures à cinq ou à sept temps qui mêlent des donc pas la même fréquence). Ces deux
groupements de deux et de trois temps par aspects – les contraintes de perception dis-
exemple. Enfin, le tempo représente la vitesse criminative des hauteurs et le phénomène
d’exécution d’une œuvre musicale. d’équivalence d’octave – reflètent des carac-
Diverses structures musicales se retrouvent téristiques du système auditif.
donc dans toutes les cultures. Pourquoi ? Poursuivons la recherche de liens entre
Certains invariants résultent vraisemblable- musique et cerveau. C’est le cas du nombre de
ment de la façon dont le cerveau traite les sons. notes par octave. Limiter ce nombre à cinq ou
La musique, comme n’importe quel son, est sept notes (et les répéter dans les différentes >
Plusieurs régions cérébrales participent à la musique. Le son est d’abord traité par les structures de l’oreille
et les régions sous-corticales et corticales propres au système auditif. Puis interviennent des parties
du cerveau impliquées dans la mémoire, les émotions, les mouvements ou d’autres modalités sensorielles.
Certaines sont communes à la musique et au langage et d’autres seraient spécifiques à la musique.
Cortex frontal
Cortex moteur
Cervelet
Hippocampe
Tronc cérébral
1 2 3
Écouter des sons active notamment le tronc Écouter une musique familière active Battre la mesure avec le pied nécessite
cérébral et le cervelet. L’information se dé- entre autres des régions impliquées dans une synchronisation temporelle et im-
place ensuite vers le cortex temporal et les la mémoire. Ce sont par exemple l’hippo- plique le cervelet ainsi que le cortex mo-
aires auditives primaires et secondaires. campe et des aires du cortex frontal. teur et le cortex frontal.
Cortex
temporal
4 5 6
Inventer une musique, par exemple en Écouter une musique et traiter ses structures Les émotions ressenties à l’écoute musi-
© Delphine Bailly
chantant, met en jeu certaines régions impliquent des régions qui participent aussi cale activent les structures participant aux
situées dans le cortex frontal et le cortex au langage, telle l’aire de Broca, ainsi que émotions, tels l’amygdale cérébrale et le
temporal. d’autres régions du cortex temporal. cortex orbitofrontal.
> octaves) diminue le nombre de données que mémoire et à la perception auditives des bébés,
l’auditeur doit traiter. Cela refléterait les considérés comme des « universalistes », c’est-
limites cognitives de la perception catégorielle à-dire capables de percevoir la musique de
et de la mémoire à court terme qui ne pourrait toutes les cultures.
stocker simultanément que quatre à neuf élé- Dans des expériences dites de préférence,
ments. De plus, prendre des distances inégales le bébé de 6 ou 12 mois est assis sur les genoux
entre les notes dans une gamme et leur attri- de sa mère et écoute des mélodies sans que la
buer des fonctions distinctes facilitent l’enco- mère ne les entende. On change ensuite une
dage et le stockage des informations caractéristique musicale de la mélodie – la dis-
mélodiques en mémoire (à court et à long tance entre les notes, le contour mélodique ou
termes) : les notes s’organisent autour d’un la hauteur des notes, selon ce que l’on cherche
point de référence – la tonique par exemple – à étudier – et on regarde quelle chanson le
qui sert de point d’ancrage cognitif. bébé préfère écouter. Par exemple, un bébé
regarde plus souvent le haut-parleur qui dif-
DES BÉBÉS MUSICIENS fuse une mélodie familière et il ignore celui qui
Dans la recherche des universaux musi- diffuse une musique qu’il ne reconnaît pas. On
caux, on peut se tourner vers les nouveau-nés, observe aussi s’il distingue des variations dans
ou des adultes n’ayant pas été exposés à cer- la structure musicale. Ainsi, on a montré que
taines musiques, pour approcher les capacités les bébés mémorisent mieux les notes quand
innées. Certains travaux se sont intéressés à la elles sont séparées de distances inégales, et
qu’ils préfèrent la consonance – des sons Les invariants musicaux présents dans les
acoustiquement cohérents ou qui sont « accor- différentes cultures refléteraient donc les
dés » – à la dissonance. mêmes contraintes perceptives et cognitives.
Qui plus est, les bébés prêtent davantage L’apprentissage des régularités qui existent dans
attention aux hauteurs relatives des notes, c’est- les structures musicales est une autre façon
à-dire au contour mélodique, qu’à la hauteur d’étudier comment le cerveau traite la musique.
spécifique des différentes notes de la mélodie. En psychologie cognitive, on a mis en évi-
Ce comportement reflète aussi une caractéris- dence une capacité qui permet d’acquérir des
tique de la perception des auditeurs adultes. connaissances sur des informations complexes
L’importance cognitive de l’information par simple exposition, sans intention d’ap-
relative s’observe aussi pour la dimension tem- prendre. Ce type d’apprentissage est dit implicite :
porelle de la musique : les bébés et les adultes étant exposé à des matériaux structurés, le cer-
focalisent leur attention sur l’organisation veau extrait des régularités et devient sensible
temporelle relative des notes, à savoir le aux structures sans connaissances explicites.
rythme, plutôt que sur les durées absolues de C’est ainsi que l’enfant (avant sa scolarisation et
chaque note. Ainsi, on reconnaît une mélodie les cours de grammaire) acquiert des connais-
grâce à son rythme, même si elle est chantée sances sur sa langue maternelle en étant exposé
de façon différente. aux flots de paroles de son environnement.
En outre, on observe dans les musiques de
différentes cultures que la mesure engendre un DES INVARIANTS LES EXPERTS IMPLICITES
comportement de synchronisation : elle crée un COGNITIFS De même, la capacité cognitive d’apprentis-
cadre de référence temporelle qui permet de • Une préférence pour des notes sage implicite permet aux auditeurs d’acquérir
proches en hauteur.
taper des mains ou du pied en cadence quand des connaissances sur le système musical de leur
on écoute une mélodie à deux, trois ou quatre • Un traitement des sons culture, notamment dans la vie quotidienne, par
temps. C’est aussi grâce à elle que l’on danse par catégories. simple exposition à des pièces musicales (ber-
sur la musique, que l’on chante et que l’on joue • Une mémoire à court terme ceuses, radio…). Et ce, sans formation musicale
sur différents instruments ensemble. Cette de cinq à neuf éléments. explicite. L’auditeur est face à la musique comme
caractéristique serait un invariant cognitif. • L’information relative l’enfant est face à sa langue maternelle : il traite
Pour trouver d’autres invariants cognitifs (le contour mélodique les structures et développe des attentes, sans
liés à la musique, on peut s’intéresser à des et le rythme) est privilégiée. être capable de les expliciter. On parle d’accultu-
domaines différents. La psychologie cognitive • On associe la musique ration musicale : l’auditeur est un expert impli-
a décrit des principes d’organisation pour la à d’autres comportements, cite de la perception de la musique de sa culture.
perception visuelle, notamment des règles de telle la danse. La plupart des travaux sur la cognition
groupement. L’idée fondamentale est que l’ob- • L’exposition à la musique musicale se sont intéressés à la perception de
servateur cherche à percevoir une « bonne et son apprentissage implicite, la musique occidentale tonale par l’auditeur
forme » dans l’information fournie. Pour ce sans intention d’apprendre, occidental et à ses principales régularités qui
entraînent des connaissances
faire, il regroupe des données semblables pour s’appliquent à une variété de styles musicaux
et des attentes musicales.
y chercher une continuité. (musique classique, pop, folk, jazz…).
En analysant les structures mélodiques de On sait qu’une même note peut remplir dif-
différents systèmes musicaux, on a constaté férentes fonctions musicales selon son contexte
que des lois similaires existent pour la percep- d’utilisation. Par conséquent, une note peut
tion auditive, puisque l’auditeur groupe les être adéquate pour finir une mélodie donnée,
séquences de notes selon une similarité de mais pas pour en terminer une autre. Pendant
timbre ou d’intensité et une proximité (tem- l’écoute, un auditeur acculturé développe donc
porelle ou de hauteur). des attentes perceptives sur les notes futures
En 2002, Glenn Schellenberg, de l’université qui diffèrent selon le début de la mélodie.
de Toronto, et ses collègues ont étudié l’influence Ces attentes musicales sont semblables aux
de la proximité de hauteur dans la perception des attentes face au langage : un même mot, « neige »
mélodies. Ils ont présenté aux participants des par exemple, est plus attendu après « Le skieur
débuts de mélodies dont la dernière note variait glisse sur la » qu’après « Le chauffeur conduit
en hauteur (donc en proximité avec la note pré- sur la ». Les connaissances sur la langue fran-
cédente) et les participants devaient juger si elle çaise, les relations sémantiques entre les mots
convenait bien pour terminer la séquence. Dans et leur fréquence d’association permettent de
une autre étude, les participants chantaient la développer des attentes sur la suite d’une
suite des mélodies et les chercheurs analysaient phrase ; et ces attentes sont plus fortes pour un
la distance de hauteur entre la dernière note mot plus probable. Ainsi, lors d’une expérience
entendue et la première note chantée. de psychologie cognitive, un participant perçoit
Les participants préfèrent produire ou plus vite « neige » dans la première phrase que
entendre des notes proches en hauteur de la dans la seconde. Plus un événement est attendu,
dernière entendue. Et ce, quel que soit leur âge, plus on le traite rapidement.
leur expertise musicale, leur origine culturelle Cette expérience étudiant les connais-
et le style musical des mélodies. sances de l’auditeur sur le langage a été >
> transposée à l’étude des connaissances de la mesures complexes. En revanche, des auditeurs
musique. On a proposé à des participants deux bulgares et macédoniens sont sensibles aux
mélodies qui ne différaient que par une seule deux types de mesures : ils sont acculturés pour
note. Musicalement, ce changement d’un demi- les deux, car la musique folklorique des Balkans
ton – une note proche en hauteur – laisse contient des mesures complexes.
inchangé le contour mélodique, mais modifie De plus, Erin Hannon et Sandra Trehub ont
la tonalité installée, de sorte que la dernière montré que des bébés américains de six mois
note de la mélodie est adéquate en note finale sont sensibles aux deux types de mesures ;
pour la première mélodie, mais ne l’est pas cependant, dès l’âge de 12 mois, l’acculturation
pour la seconde ; cette dernière note prend la s’est mise en place et les bébés américains
fonction de la tonique (la note la plus impor- obtiennent les mêmes résultats que les adultes
tante de la tonalité) dans la première mélodie, américains. Les bébés pourraient donc
mais la fonction d’une sous-dominante (une apprendre différentes structures musicales (ici
fonction moins importante) dans la seconde. temporelles), mais après une période res-
Un auditeur non musicien, sans formation treinte, ils se spécialiseraient aux caractéris-
musicale explicite, fait-il cette différence, tiques musicales de leur culture.
même si acoustiquement les deux mélodies Il existe donc des invariants cognitifs liés
sont presque identiques ? Oui. Il traite plus à la perception de la musique : les auditeurs
rapidement la dernière note de la première apprennent des informations sur le système
mélodie. Comme il s’agit de la même informa- musical de leur culture par simple exposition
tion acoustique, cela suggère que l’auditeur a – ils reconnaissent les notes utilisées, leur
des connaissances sur le système musical et combinaison en gammes, leurs organisa-
l’utilisation des notes, ce qui lui permet de tions –, et ces connaissances musicales impli-
distinguer les deux mélodies ; en d’autres cites influent sur le traitement des structures
termes, les débuts des mélodies – qui varient musicales, par exemple par la formation
du fait d’une note – activent différemment les d’attentes perceptives. Alors quelles sont les
connaissances musicales et engendrent des aires cérébrales dédiées au traitement des
attentes perceptives distinctes, qui influent structures musicales ? Existe-t-il des régions
sur la perception de la dernière note. Voilà une cérébrales et des capacités cognitives spéci-
démonstration de l’acculturation tonale des fiques à la musique ?
auditeurs occidentaux via une exposition à la De nombreuses études sur les fondements
musique occidentale tonale. biologiques de la musique ont montré un recou-
Quelques études avec des musiques et des vrement des réseaux neuronaux impliqués dans
auditeurs d’autres cultures confirment que le traitement de la musique et du langage (voir
l’acculturation par simple exposition est un l’encadré page 20). Par exemple, certaines études
invariant cognitif. Par exemple, en comparant ont appliqué à la musique des méthodes expéri-
la perception de la musique indienne par des mentales utilisées pour le langage, notamment
auditeurs indiens – c’est-à-dire acculturés – et en introduisant un événement inattendu dans
par des auditeurs américains – dits naïfs –, on une séquence musicale et en comparant la réac-
constate que les deux groupes sont sensibles tion du cerveau à cette violation de structure
aux caractéristiques acoustiques des notes
entendues (leur durée et leur fréquence d’ap-
parition), mais seuls les auditeurs indiens per-
çoivent les différences d’organisation
fonctionnelle des notes.
APPRENDRE EN ÉCOUTANT
Un autre exemple porte sur la perception
des structures temporelles. Plusieurs études Les berceuses
avaient montré que les auditeurs occidentaux
préfèrent les rythmes avec des mesures simples sont universelles :
(à deux ou trois temps). On pensait alors que on les reconnaît dans
les mesures plus complexes nécessitaient
davantage de ressources cognitives. les autres cultures, même
En 2005, Erin Hannon et Sandra Trehub, de
l’université de Toronto, bousculent cette inter-
sans comprendre
prétation en suggérant l’importance de l’accul- les paroles
turation musicale, même pour les structures
temporelles. Ils montrent que les auditeurs
américains perçoivent facilement les mesures
simples pour lesquelles ils sont acculturés, mais
qu’ils rencontrent des difficultés pour des
personnes n’avoueraient pas leur handicap joie est souvent associée à un tempo rapide et
musical. Ce dernier contraste avec les capacités à une large variété de hauteurs. Toutefois, cer-
musicales des bébés et les connaissances musi- taines émotions, évoquées par les structures
cales des adultes non musiciens. spécifiques d’un système musical, renvoient à
Les fondements neuronaux de l’amusie l’invariant cognitif de l’acculturation musicale.
congénitale commencent seulement à être étu- Ainsi, un des universaux de la musique serait
diés. Le déficit musical serait présent dès la lié à un resserrement de son universalité à un
naissance (par opposition à l’amusie acquise contexte culturel particulier. Un comble ? n
Algèbre et géométrie :
sont-elles inscrites
dans le cerveau ?
La musique contemporaine se comprend mieux avec
les mathématiques et notamment avec la théorie
des groupes. Ce sont des concepts abstraits, pourtant, do
A
11 1
>
la# = si ré
10 2
la 9 3 ré# = mi
>
>
8
Euler est l’un des nombreux mathématiciens, sol# = la 4 mi
depuis Pythagore, qui se sont intéressés à la 7 6 5
fa
>
sol
musique. Depuis une vingtaine d’années, grâce à fa# = sol
l’informatique, l’étude des relations entre mathé-
matiques et musique a connu de nombreux déve-
loppements. La musicologie est devenue une
discipline systématique, jusqu’à donner naissance LA GAMME
à un nouveau champ d’études, la « musicologie
computationnelle ». Il s’agit d’analyser les œuvres TEMPÉRÉE
musicales de façon à mettre en évidence les struc-
tures mathématiques sous-jacentes.
L
Cependant, à mesure qu’elle prenait son a gamme tempérée,
essor, la musicologie computationnelle s’est éloi- c’est-à-dire celle où toutes
gnée d’autres démarches systématiques, en par- les notes sont séparées
par un demi-ton, correspond
ticulier celles orientées vers la cognition et la à l’octave d’un piano. Elle est
u début du xviie siècle, le mathématicien perception musicales. Les deux visions sont-elles représentée par un cercle
suisse Leonhard Euler se penche sur une compatibles ? Oui et, plus encore, nous verrons où chaque note est numérotée,
question cruciale : pourquoi la musique
apporte-t-elle du plaisir ? Dans son Tentamen
qu’elles s’enrichissent mutuellement dans un
dialogue entre mathématiques et cognition.
les dièses (#) et les bémols ( )
étant considérés comme >
équivalents selon le principe de
novae theoriae musicaeex certissimis harmoniae L’utilisation des méthodes algébriques pour l’identification enharmonique
principiis dilucide expositae (« Essai d’une nouvelle étudier la musique, notamment contemporaine, (par exemple le do# est égal au
théorie de la musique, exposée en toute clarté
selon les principes de l’harmonie les mieux fon-
met en œuvre trois aspects souvent liés, à savoir
les aspects théoriques et analytiques, qui nous
>
ré ). Dans cette représentation,
un ensemble de n notes, par
exemple un accord ou une série
dés »), en 1739, il répond. Selon lui, l’élément clé intéresseront ici, ainsi que ceux d’aide à la com- dodécaphonique, correspond
est la perfection, qu’il recherche dans les rap- position. Trois compositeurs et théoriciens sont à un polygone à n côtés
ports de nombres représentant les accords. emblématiques de cette réflexion théorique sur > (en rouge).
0
11 1
do
si do# Sol à l’octave supérieure
10 2 Do à l’octave supérieure Mi à l’octave supérieure
la# ré
0
1
L’invariance transpositionnelle 0
1
11 11
do do
si do# Hexacorde A Hexacorde B si do#
10 10
la# ré 2 la# ré 2
9 la ré# 3 9 la ré# 3
la la# do ré# mi fa# fa sol sol# si do# ré
sol# mi (9) (10) (0) (3) (4) (6) (5) (7) (8) (11) (1) (2) sol# mi
8 4 8 4
sol fa 3 1 2 3 1 2 2 1 3 2 1 3 sol fa
fa# fa#
7 5 7 5
6 Structure intervallique Structure intervallique 6
La structure intervallique met en évidence la symétrie interne mouvement de la Serenade op. 24 en deux hexacordes
de certaines séries de notes, tel un accord ou une gamme. (A et B). Chacun des deux hexacordes est doté d’une propriété
Par exemple, des accords coïncident avec une, voire plusieurs d’invariance transpositionnelle : dans les deux cas, la structure
de leurs transpositions. Une telle structure se nomme, d’après intervallique est « redondante », c’est-à-dire qu’elle
le compositeur français Olivier Messiaen (1908-1992), un mode se décompose en deux structures intervalliques plus petites
à transpositions limitées. Tout mode de ce type est donné identiques, respectivement (3, 1, 2) et (2, 1, 3). Les deux
par une structure intervallique ayant des périodicités internes, hexacordes ne sont pas équivalents à une transposition près,
c’est-à-dire des sous-structures intervalliques qui se répètent. car les structures intervalliques correspondantes ne sont pas
On trouve de telles structures par exemple lorsqu’on partage les rotations circulaires l’une de l’autre : elles sont chacune
une série dodécaphonique de Schoenberg dans le cinquième la lecture rétrograde de l’autre.
> transposées par k demi-tons d’une série rétro- à une origine 0). Ces quatre transformations
grade TkR, d’une série renversée TkI et d’une d’une série dodécaphonique et, plus générale-
série renversée rétrograde TkRI. ment, d’un profil mélodique constituent les élé-
La musique sérielle est une extension du ments d’une structure algébrique nommée groupe
dodécaphonisme où l’idée de série est appli- de Klein de quatre éléments. Il tient compte de
quée aux notes, mais aussi aux rythmes, aux toutes les transformations de la musique dodéca-
intensités et à tous les paramètres du son. phonique, alors que le groupe cyclique Z/12Z ne
L’ensemble des entiers modulo 12 offre un rend compte que des transpositions.
premier exemple musical de structure de groupe, Le groupe cyclique Z/12Z et le groupe de
celui noté Z/12Z. Il peut être interprété musica- Klein ne sont pas les seules structures algébriques
lement de plusieurs façons : soit comme le intéressantes en musique. Deux autres groupes
groupe des intervalles musicaux (avec l’addition sont importants, mais avant de les décrire, nous
modulo 12), soit comme un groupe de transfor- devons définir deux concepts importants, celui
mations, celui engendré par les transpositions, de la structure intervallique – l’énumération des
l’un des types des transformations utilisées dans intervalles, en demi-tons, qui séparent les notes
la technique dodécaphonique. On peut représen- successives d’un accord – et de la symétrie axiale
ter ce groupe par un cercle, celui-ci correspon- généralisée, soit la composition d’une transposi-
dant à une octave, divisé en 12 parties. tion et d’une inversion (voir l’encadré page 26). La
L’hypothèse sous-jacente de cette repré- représentation circulaire de ces deux idées, ajou-
sentation circulaire est qu’elle permet de for- tées à celles de la transposition et de l’inversion,
maliser tout accord musical : tout accord de nous fournira un ensemble d’outils d’analyse qui
m notes distinctes correspond, d’un point de nous aideront à comprendre la structure de
vue géométrique, à un polygone à m côtés ins- diverses œuvres.
crit dans le cercle (voir la figure page 24).
Dans la tradition américaine, la note do est UNE BOÎTE À OUTILS
notée 0, tandis que les compositeurs sériels euro- Ainsi, la notion de symétrie axiale généralisée
péens de la seconde moitié du xxe siècle, tels le nous éclaire sur la composition d’une polyphonie
Français Pierre Boulez (1925-2016) et l’Alle- sérielle constituée de deux hexacordes (séries de
mand Karlheinz Stockhausen (1928-2007), ont six notes) liés par une telle symétrie (voir la figure
privilégié une autre représentation faisant corres- ci-dessous). Le recours à une symétrie axiale géné-
pondre au do l’entier 1. La différence entre les ralisée dans le sérialisme n’est pas étonnant, car
écoles américaine et européenne est moins une cette technique de composition est fondée sur
différence de notation qu’une distance concep- une structure mathématique de groupe. En
tuelle qui sépare les deux traditions théoriques. revanche, et cela soulève des questions quant au
Dans cet article, nous adopterons la notation caractère universel de certaines constructions
américaine. algébriques, on trouve de telles symétries chez
Milton Babbitt propose au début des des compositeurs utilisant d’autres techniques
années 1950 d’exprimer les opérations sérielles que le sérialisme, par exemple dans la musique
comme des transformations de la structure du modale d’Olivier Messiaen ou dans des chansons LA SYMÉTRIE AXIALE GÉNÉRALISÉE
groupe cyclique Z/12Z. En effet, il remarque de musique pop (voir l’encadré page 31). permet d’analyser cet extrait d’une
que l’on peut interpréter les quatre formes En musique, le mode d’une gamme est polyphonie sérielle (à gauche) à deux
voix. Ces deux voix correspondent
d’une série dodécaphonique (P, R, I et RI) constitué des mêmes notes que la gamme dont à deux hexacordes (l’un en bleu,
comme les quatre transformations suivantes : il est issu, mais a une sonorité qui lui est propre, l’autre en rouge) liés par une symétrie
P : (a, b) => (a, b) caractérisée par une tonique et par les intervalles axiale généralisée, comme le montre
I : (a, b) => (a, (12 – b)12) entre cette tonique et les autres notes. Par la représentation circulaire (à droite).
R : (a, b) => (11 – a, b) exemple, à partir de la gamme de do majeur, dont On peut aussi vérifier que
si on segmente l’extrait en deux
IR : (a, b) => (11 – a, (12 – b)12) la tonique est la note do (do, ré, mi, fa, sol, la et parties correspondant aux barres
Ici, la série dodécaphonique P est représentée si), avec pour structure intervallique (en demi- de mesure, on obtient également
par une suite de couples (a, b), a indiquant la posi- tons : 2, 2, 1, 2, 2, 2, 1), on peut déplacer l’axe deux hexacordes en rapport
tion de la note dans la série et b, la note (relative tonal sur la deuxième note afin d’obtenir un de symétrie axiale généralisée.
0 0
11 1 11 1
do do
3 si do# si do#
4 10
la# ré
2 10
la# ré
2
p
Barre de mesure 9 la ré# 3 9 la ré# 3
sol# mi sol# mi
3 8 4 8 4
4 sol
fa#
fa sol
fa#
fa
7 5 7 5
6 T I (x) = (3 – x) 6
3 12
4 p p p mf
5 f
3 p mf
8 8 f mf 8
mf f
0 0 0 0 0
11 1 11 1 11 1 11 1 11 1
do do do do do
do# si
si do# do# si do# si do#
10 2 10 2 10 2 10 2 10 2
la#
la
a# ré
ré la#
la#
la ré la# réé la# réé la# réé
9 ré# 3 9 ré# 3 9 la 3 9 la 3 9 la # 3
s
so
sol# mi sol
sso
o
ol mi sol# so
so
sol sol
so
ol mi
8 4 8 4 8 4 8 4 8 4
sol fa sol fa
fa sol
fa# fa# fa# fa
7 5 7 5 7 5 7 5 7 5
6 6 6 6 6
T7I T6 T7I T10I
> des techniques utilisées par les musiciens de jazz, philosophe allemand Ernst Cassirer (1874- LES PREMIÈRES MESURES
comme, par exemple, la substitution d’accords. 1945) a étudié les relations entre le concept de du Klavierstück III, de Stockhausen :
La description de ces différents groupes groupe et les théories de la perception. Il a mon- un processus de segmentation
« par imbrication » met en évidence
nous conduit à l’approche dite paradigma- tré que la ressemblance perceptive entre diffé-
une structure de pentacorde
tique du problème de la classification des rentes transpositions d’un même profil (cinq notes) à partir de laquelle
structures musicales. Nous avons intégré ce mélodique est liée « à un problème beaucoup toutes les notes de la partition
concept d’analyse musicale, qui s’inspire des plus général, un problème qui concerne les sont obtenues, grâce à des
travaux du linguiste belge Nicolas Ruwet, mathématiques abstraites ». On peut compléter : transpositions et à des symétries
axiales généralisées.
dans notre démarche d’analyse musicale com- le groupe des transpositions engendre une rela-
putationnelle. Grâce à OpenMusic, un lan- tion d’équivalence entre structures musicales.
gage de programmation visuelle pour la En d’autres termes, une mélodie est reconnais-
théorie, l’analyse et la composition assistées sable à une transposition près.
par ordinateur, conçu et développé à l’Ircam,
un catalogue d’accords, ainsi qu’une analyse LA PERCEPTION ALGÉBRIQUE
qui utilise ce catalogue, est valable à l’inté- Peut-on généraliser cette propriété aux autres
rieur d’un paradigme qui sera plus ou moins paradigmes ? Malheureusement, dans le cas
pertinent selon le type de contexte qu’il d’autres structures algébriques, comme les trois
essaie de décrire. autres groupes que nous avons détaillés, le pro- A1 A2 A3 A4 A5
1
L’application de la théorie des groupes à la blème n’a pas fait l’objet d’études approfondies. A
10
la#
classification des structures musicales soulève Pourtant, les compositeurs qui ont, consciem- 9 la
des questions qui dépassent l’étude combina- ment ou non, utilisé ce type de transformations sol#
B 8
toire du système tempéré. En effet, le en musique n’étaient sans doute pas insensibles B1 B2 B3 B4 B5 7
0 0 0 0 0 10
11 1 11 1 11 1 11 1 11 1 la#
A5 si
do
do# si
do
do# si
do
do# si
do
do# si
do
do# 9 la
10 2 10 2 10 2 10 2 10 2
la# ré la# ré la# ré la# ré la# ré 8
sol#
A1 A2 A3 A4 7
9 la ré# 3 9 la ré# 3 9 la ré# 3 9 la ré# 3 9 la ré# 3
0 0 0 0 0
11 1 11 1 11 1 11 1 11 1
do do do do do
si do# si do# si do# si do# si do#
10 2 10 2 10 2 10 2 10 2
la# ré la# ré la# ré la# ré la# ré
LES PROGRESSIONS A et B sont « préservées », dans leur caractère cadentiel, par les transformations affines : si on les analyse à l’aide des représentations
circulaires, on constate qu’elles sont constituées de seulement deux types d’accords (en rouge et en bleu) qui alternent via l’application affine.
GÉOMÉTRIE
ET MUSIQUE POP
Q
u’ont en commun majeur ou mineur, les deux accords majeurs et en verte). Une transformation
Madeleine de Paolo types d’accords do étant reliés par minuscule pour les mineurs). similaire est celle (en pointillé
Conte, Easy Meat de trois symétries :
si le do# = ré
0 le « relatif » (R) >
Avec ce procédé, chaque côté noir), reliant les deux accords
L
!-----afd------Òf-c------Ò--fd--------fd--
Frank Zappa et Shake the « parallèle » (P),
11 1 de l’hexagone correspond à majeurs (ré bémol et si bémol).
>
Disease de Depeche Mode ? et le « leading tone » (L). Onré l’une des trois symétries R, P RP La transformation
L entreRP
la# = si 10 2 un
Étonnamment, ces pièces peut les représenter dans et L. Le refrain de Shake the le deuxième et le troisième
partagent une même espace où chaque triangle est Disease est constitué de quatre accord, ainsi que celle clôturant
% %
>
par un point. Le3 ré# = miaccords qui se répètent d
préoccupation quant laremplacé
9 f
le cycle, changeD la nature deB
à l’organisation harmonique « dual » ainsi obtenu (voir la cycliquement en déployant l’accord (on passe de fa mineur
>
ou, plus exactement, figure) est un maillage 4 diverses symétries. Une à ré bémol majeur et de
sol# = la 8
l’utilisation des symétries dans hexagonal, chaque sommetmi première (en noir)doest celle
ré mi si bémolfa majeursol à ré la
mineur).si
le déploiement des accords indiquant7 un accord
6 5majeur ou reliant deux accords (ré mineur Elle correspond à la troisième
sol (ici représentéfa C D E symétrie F du maillage
G Ahexa B
>
consonants majeurs et mineurs mineur dans la et fa mineur) et obtenue en
dans l’espace tonal. Pour fa# = sol avec des
notation américaine, composant les symétries R gonal, la symétrie L (flèche
mettre en évidence ces lettres en majuscule pour les (flèche rouge) et P (flèche bleue).
similitudes, nous pouvons
utiliser
do la représentation b B %
si circulaire, mais
0
do# =aussi
>
ré une
L
!-----afd------Òf-c------Ò--fd--------fd--
représentation
11 1 géométrique f# F # g G
>
la# = si 10 dont les origines 2
réremontent
à Euler : le Tonnetz (ou « réseau
RP L RP
d D d# % E e E %
% % %
>
la 9 des notes »). 3 ré# = mi d f D B B b B c C c# C#
Au xviiie siècle, ce mathémati
cien suisse a proposé de g G g# A a A a# %
>
sol# = la 8 4 mi
considérer les notes et les do ré mi fa sol la si
5
e E f F f# F#
7
tonalités
%
6 comme des points
fa C D E F G A B c#
>
sol d’un espace bidimensionnel, D d D
fa# = sol
b% B%
une représentation géomé
trique qu’il nomme le
B%
speculum musicum. Dans la Transformations géométriques à la base du refrain ayant deux notes en commun. On distingue des symétries
b
tradition analytique américaine, de Shake the Disease, de Depeche Mode. La progression miroir entre le premier et le dernier accord, ainsi qu’entre
le Tonnetz correspond à une # F# de quatre
harmonique, fconstituée g accords,
G le deuxième et le troisième (transformation L, en bleu).
triangulation de l’espace est%représentée
d D dans le
d# E%
Tonnetz à l’aideed’un Emaillage Les premier et deuxième accords ainsi que les troisième
bidimensionnel où chaque
triangle représente un accord %
hexagonal où les transformations P, R et L permettent
deBpasser d’unb accord
c
B majeur à un autreC c# C#
mineur, les deux
et quatrième sont reliés par une composition
des symétries miroirs R et P.
g G g# A % a A a#
e E f F f# F#
c# %
D d D
b% B%
à des considérations d’ordre perceptif. On a vu établir des critères formels utiles à son inter-
plusieurs exemples d’utilisation musicale de la prétation. En effet, la construction d’un réseau
BIBLIOGRAPHIE
symétrie axiale généralisée et d’invariance par transformationnel s’appuie sur une volonté
M. ANDREATTA, Math’n pop : rapport à l’action d’un groupe sur un ensemble. implicite de rendre « intelligible » une logique
géométrie et symétrie au service Certains compositeurs, tel Elliot Carter, ont uti- musicale à l’œuvre dans la pièce analysée.
de la chanson, Hors-Série lisé intuitivement le paradigme diédral. Cette démarche analytique a probablement
Tangente, n° 51, pp. 92-97, 2013.
L’hypothèse d’une articulation entre pro- des implications théoriques inédites pour les
L. BIGO, Représentations gressions et réseaux transformationnels que sciences cognitives. Ainsi, l’approche transfor-
symboliques musicales et calcul nous avons décrite dans le cas de l’analyse par mationnelle non seulement représenterait un
spatial, thèse, Université Paris
Est, Ircam, 2013. David Lewin du Klavierstück III, de Stockhausen, tournant en théorie et analyse musicales, mais
conduit à proposer une alternative aux elle déterminerait aussi une position singulière
Y. CAO ET AL., The perception
approches traditionnelles de l’analyse des dans les rapports entre mathématiques,
and learning of contextually-
defined inversion operators in formes temporelles. musique et cognition.
transformational pitch patterns, L’analyse transformationnelle implique, En somme, le concept de groupe est loin
5th International Conference d’une part, la « construction » d’un réseau, d’être simplement un outil technique de calcul.
of Students of Systematic mais aussi, d’autre part, l’« utilisation » de Souvenons-nous de ce que disait le mathémati-
Musicology, Montreal, 2012.
cette architecture formelle pour dégager des cien Henri Poincaré : « Le concept général de
M. ANDREATTA ET AL., Autour critères de pertinence pour la réception de groupe préexiste dans notre esprit. Il s’est imposé
de la Set Theory. Rencontre l’œuvre et pour son interprétation. Autrement à nous, non pas comme une forme de notre sen-
Musicologique Franco-
Américaine, Collection dit, l’intérêt de construire un réseau transfor- sibilité, mais comme une forme de notre enten-
« Musique/Sciences », mationnel réside dans la possibilité de l’utili- dement. » C’est à nous, un siècle après, d’en tirer
Ircam-Delatour, 2008. ser, à la fois pour « structurer » l’écoute et pour toutes les conséquences en musique. n
Sur un air
d’évolution
Les émotions musicales sont reconnues instantanément, aussi vite
qu’un signal de danger. D’où sa valeur adaptative : la musique
favorise la cohésion sociale. Au point d’adoucir les mœurs ?
Q
traite-t-il les informations musicales ?) sont
étudiés depuis longtemps, alors que les
réponses affectives à la musique (comment la
musique déclenche-t-elle des émotions ?) ont
été négligées jusqu’à présent. Pourtant, si nous
écoutons de la musique, ce n’est pas pour le
plaisir d’entendre des structures sonores bien
construites, que notre cerveau redéploierait
lors de l’écoute, même si cette conception très
formaliste correspond sans doute à une réalité
pour certains mélomanes érudits.
ANALYSE ET ÉMOTIONS
Pour beaucoup de compositeurs et pour la
plupart des auditeurs, le propre de la musique
est d’être expressive. La musique renvoie à
autre chose qu’aux sons et aux architectures
sonores qui la composent : elle nous plonge
dans des états psychologique et physiologique
ui n’a jamais ressenti de frissons en écoutant spécifiques, qui ne se confondent pas avec
un morceau de musique ? Que ce soit le l’excitation sensorielle produite par les signaux
Requiem, de Mozart, La Jeune Fille et la Mort, de acoustiques et qui se différencient clairement
Schubert, une ritournelle bien troussée, un tube de l’état psychologique déclenché par les autres
soul des années 1970, la musique exerce un effet stimulations sonores de l’environnement.
profond sur l’être humain bien au-delà des L’étude de la perception de la musique auprès
sphères restreintes des mélomanes cultivés. des enfants malentendants en est une démons-
Selon des statistiques économiques, la musique tration. Lorsque le signal acoustique, tout appau-
représenterait l’un des marchés les plus dévelop- vri qu’il soit par la surdité, est perçu comme une
pés, bien avant l’industrie pharmaceutique. Les production musicale, l’émotion devient mani-
pratiques musicales ont une importance notable feste dans le regard de celui qui l’écoute. Ce n’est
© Alvaro D’apollonio / EyeEm / GettyImages
tant dans les sociétés industrialisées que dans d’ailleurs pas un hasard si le second souhait le
les sociétés non occidentales. Ainsi, dans cer- plus fréquemment exprimé par les personnes
taines cultures traditionnelles, on consacre plus atteintes d’une surdité profonde est de pouvoir
de temps aux activités musicales qu’à celles dont retrouver la perception de la musique (juste
dépend la tribu, la chasse notamment. Pourquoi après celui de mieux comprendre le langage). La
la musique a-t-elle un tel impact ? C’est musique ouvre sur un monde sensible où émo-
aujourd’hui un important objet d’études en tions, expressions et sentiments se côtoient.
neurosciences et en psychologie cognitive. Les sciences des activités mentales ont long-
Les processus cognitifs impliqués dans la temps dominé les sciences de l’affectivité, y com-
perception musicale (comment le cerveau pris dans le domaine de la musique. À l’image >
> d’un ordinateur qui traiterait froidement les produit jamais. Les œuvres musicales ont une
informations du monde extérieur, l’auditeur est structure expressive suffisamment puissante
le plus souvent présenté comme un « analyseur » pour imposer des états émotionnels communs
de signaux acoustiques mettant en œuvre des à un grand nombre d’auditeurs. La musique peut
méthodes précises. On ne songe pas à s’intéres- mettre à l’unisson émotionnel une foule entière.
ser à ses réactions sensibles ni à l’influence de Ce pouvoir lui confère une force de cohésion
ces réactions sur sa façon d’écouter la musique. sociale essentielle dans la plupart des cultures du
Il est vrai qu’il est plus facile de trouver des monde. Il s’exerce déjà chez le nourrisson par
indicateurs comportementaux et neurophysio- l’intermédiaire des comptines qui lui sont chan-
logiques des traitements de l’information qu’ef- tées. Le bébé est d’ailleurs plus fasciné par la voix
fectue le cerveau que de trouver des paramètres de sa mère quand elle chante que quand elle parle.
associés aux réactions émotionnelles. Ainsi, on Le choix approprié des comptines permet de
mesure des temps de réponse, on analyse des moduler ses états émotionnels, et il existe mani-
mouvements oculaires, on enregistre une acti- festement des universaux expressifs puisque les
vité cérébrale, mais on n’a pas identifié de para- comptines du monde entier partagent de nom-
mètres fiables de mesure des réactions breux traits structuraux (voir La musique est-elle
émotionnelles. Autrement dit, en quoi les para- universelle ?, par B. Tillmann, page 16).
mètres « objectifs » nous renseignent-ils sur La fonction de cohésion sociale s’exerce
l’état émotionnel, sur le ressenti de l’auditeur ? ensuite tout au long de la vie, et plus particuliè-
Ces difficultés n’ont pas empêché la psycho- rement au moment de l’adolescence. À ce stade,
logie des émotions de se développer dans de la musique traduit les états émotionnels traversés
nombreux domaines, mais elles ont longtemps par les adolescents, ce qui facilite les regroupe-
paru insurmontables dans le cas de la musique. ments par affinité. Les réponses émotionnelles à
Contrairement à certains sons qui peuvent évo-
quer un danger (un sifflement de serpent, un
aboiement de chien…), la musique n’a pas de
conséquences immédiates : la survie d’un indi-
vidu ne dépend pas de sa sensibilité à la musique.
Nous écoutons de la musique pour le plaisir
qu’elle nous procure, mais ce plaisir est libre de UN BÉBÉ
prendre des formes variées, lesquelles dépendent
seulement du vécu de l’auditeur et de son état au
moment de l’écoute. La situation a changé ! PRÉFÈRE LA VOIX
Aujourd’hui, les émotions musicales sont
au cœur de nombreuses recherches. Les résul-
tats obtenus sont souvent surprenants et
DE SA MÈRE
contribuent à mieux comprendre la place de la
musique dans les sociétés humaines. Plusieurs QUAND ELLE CHANTE
idées reçues ont ainsi été remises en question.
C’est par exemple le cas de celle voulant que
les réponses émotionnelles à la musique soient PLUTÔT QUE QUAND
uniquement subjectives.
ÉMOTIONS PERÇUES,
> chinoises sans signification pour un sujet occi- scanner les musiques qui leur procurent habituel-
dental). On fait précéder la projection du sti- lement de fortes émotions. Ils ont constaté que
mulus par un extrait musical auquel le sujet la musique active les mêmes régions cérébrales
n’est pas invité à prêter attention, mais qui est que les stimulus ayant une forte implication bio-
soit gai, soit triste. On demande ensuite au logique, tels que la nourriture et les stimulations
sujet de dire s’il trouve le dessin projeté (théo- sexuelles (et aussi certaines drogues).
riquement neutre) gai, triste ou neutre. On Les résultats obtenus en imagerie cérébrale
constate que le caractère émotionnel attribué suggèrent que des liens anatomiques et fonction-
au stimulus neutre est influencé par l’émotion nels se sont créés entre les systèmes cérébraux
déclenchée par le morceau qui précède. Un tel anciens (liés aux émotions) et les régions corti-
effet est qualifié d’amorçage affectif et suggère cales (plus récentes et liées au raisonnement et
que la musique modifie l’état affectif du sujet, autres processus cognitifs supérieurs). C’est ce
ce qui le conduit à projeter l’émotion musicale qui nous permet de ressentir des émotions en
ressentie sur le stimulus neutre. Dans ce type présence de stimulus abstraits et culturels,
d’études, l’émotion musicale influe sur le com- notamment la musique. Les stimulations les plus
portement du sujet sans qu’il n’ait à exprimer intenses sont provoquées par des musiques géné-
ce qu’il a ressenti. ralement qualifiées de tristes ou mélancoliques.
Eckart Altenmüller, de l’Institut de musique
SEXE, DROGUE ET MUSIQUE de Hanovre, a cherché à identifier la signature
L’analyse des réponses physiologiques à la électrophysiologique des « frissons dans le dos ».
musique constitue un moyen supplémentaire En présentant des extraits du Requiem de Mozart
pour s’assurer que les émotions musicales sont à des auditeurs allongés dans un scanner, il a
bien « vécues ». Nos émotions sont suffisam- associé cette émotion à des passages précis de
ment fortes pour entraîner de nombreuses l’œuvre. L’analyse des indices électrophysiolo-
modifications physiologiques, telles que le giques montre que la musique ne provoque pas
rythme cardiaque, le rythme respiratoire ou simplement des sentiments abstraits, mais
encore la conductance de la peau (une émotion qu’elle déclenche des changements d’activité au
fait transpirer, ce qui modifie la capacité que cœur même du cerveau.
présente la peau de conduire un infime courant Certaines émotions semblent plus fré-
électrique). Le frisson dans le dos ou la chair de quemment associées à des modifications phy-
poule mentionné au début seraient une traduc- siologiques spécifiques. Selon Carol LES CHANTEURS D’OPÉRA
(ici, La Flûte enchantée, de Mozart)
tion physiologique spécifique (mais non exclu- Krumhansl, de l’université Cornell, aux États-
accentuent les émotions véhiculées
sive) de l’émotion musicale. Unis, la gaieté entraînerait une accélération du par la musique en « jouant »
L’imagerie par résonance magnétique fonc- rythme respiratoire et une respiration plus la comédie. Costumes,
tionnelle, IRMf, confirme l’implication des profonde, alors que la tristesse se manifesterait mise en scène, expressions et jeux
réseaux neuronaux émotionnels quand on écoute par des changements du rythme cardiaque, par des comédiens permettent aux
spectateurs de percevoir encore
de la musique. Ann Blood et Robert Zatorre, de une augmentation de la pression sanguine et mieux si l’émotion associée
l’université McGill, au Canada, ont demandé à une diminution de la conductance de la peau. à la musique est la gaieté, la tristesse
des auditeurs volontaires d’écouter dans un D’autres études d’imagerie cérébrale ou l’inquiétude.
suggèrent que les deux hémisphères ne contri- émotionnelles permet d’isoler les dimensions
bueraient pas de façon identique aux émotions psychologiques qui structurent l’espace de nos
DES EXTRAITS MUSICAUX
musicales : l’hémisphère gauche semble plus émotions musicales. Trois dimensions princi-
sont diffusés à des sujets qui
actif lors de l’écoute de musique gaie, et l’hémis- doivent dire s’ils les trouvent
pales ont été observées : l’axe de l’énergie des
phère droit, lors de l’écoute de musique triste. gais, tristes, sereins émotions ressenties, l’axe de valence émotion-
Toutefois, même si l’imagerie cérébrale nous ou inquiétants. L’analyse nelle et l’axe de la dynamique (voir ci-contre).
permet de localiser les aires impliquées dans des résultats montre qu’on peut L’axe de l’énergie des émotions ressenties va
l’émotion musicale, et la chorégraphie de leur les décomposer selon trois des émotions de grande énergie, intenses (gaieté,
paramètres : la valence
activation, cela ne nous suffit pas pour com- émotionnelle, l’émotion colère) à des émotions de faible énergie, repo-
prendre comment naît une expérience émotion- corporelle (ou corporalité) santes (dépression, sérénité). Le second axe
nelle et en quoi elle consiste. Dès lors, il faut et l’énergie. On constate oppose des émotions positives (gaieté ou séré-
avoir recours à la psychologie expérimentale. que les extraits sont regroupés nité) aux émotions négatives (colère ou déses-
en quatre zones que l’on associe
Quatre grandes catégories d’émotions à la tristesse (valence négative,
poir). Cet axe ne retrace pas le caractère agréable,
semblent prédominer en musique : la gaieté, la corporalité faible et énergie généralement rapporté dans les études sur les
colère (ou la peur), la tristesse et la sérénité, qui faible), la sérénité (valence émotions. En effet, l’une des spécificités de la
seraient identifiées sans difficulté dès l’âge de positive, corporalité faible musique est de pouvoir être jugée plaisante
cinq ans. La musique peut-elle déclencher des et énergie faible), la gaieté même si l’émotion induite est triste, c’est-à-dire
(valence positive, corporalité
émotions plus subtiles ? Tout mélomane sera élevée et énergie élevée) même si elle a une valence négative. Enfin, nous
tenté de répondre oui, et l’on pourrait même et la colère ou la peur (valence avons pu dégager un dernier axe qui est lié au
penser que la musique suscite des émotions spé- négative, corporalité élevée mouvement corporel induit par la musique, l’axe
cifiques – mais cela n’est pas démontré. En 2005, et énergie élevée). de l’émotion corporelle ou corporalité.
en collaboration avec l’équipe de Stephen Comme l’avait noté le psychologue Robert
McAdams, de l’Ircam, nous avons voulu tester Colère Francès dès 1956, la musique réveille des sché-
Énergie des émotions
Peur Gaieté
diverses méthodes pour approfondir cette ques- mas sensorimoteurs qui renforcent l’expé-
tion. Une des méthodes, déjà évoquée, consiste rience affective du sujet : il y a une interaction
à présenter sur un écran d’ordinateur un entre les schémas purement cognitifs, l’affect
ensemble de vingt-sept extraits musicaux, suf- Tristesse relle
Sérénité et le corps. L’émotion ressentie par l’auditeur
r p o
co
fisamment longs pour installer un climat expres- tion active des schémas moteurs – des mouve-
Émo
sif précis, et suffisamment courts pour que ce ments – mémorisés qui, en retour, agissent sur
Valence émotionnelle
climat reste stable tout au long de l’extrait. la perception de la musique écoutée. Autrement
Ces extraits étaient choisis en collaboration dit, cette troisième dimension indique que nos
avec le musicologue François Madurell, à émotions musicales ne sont pas purement
Sorbonne-Université, à Paris, pour représenter intellectuelles : elles puisent dans l’ensemble
une large variété de styles musicaux, de forma- des affects liés aux expériences corporelles que
tions instrumentales et d’expressions. Le dispo- le sujet a déjà vécues. Dans notre étude, cette
sitif expérimental permettait aux sujets d’écouter dimension de l’espace oppose des œuvres dont
ces extraits autant de fois qu’ils le voulaient ; ils le processus musical est continu (par la forme
devaient ensuite grouper par deux, trois ou de la courbe mélodique, le rythme, ou le type
davantage ceux qui, selon eux, évoquaient une de progression harmonique) à des œuvres dont
même émotion. Une fois réalisée avec un nombre les processus sont plus fragmentés (arpèges
suffisant de sujets, l’expérience fournissait une brisés, rythme irrégulier, modulations subites).
matrice de co-occurrence, qui indiquait combien Les œuvres que nous écoutons engendrent
de fois tel ou tel morceau avait déclenché la des émotions qui prennent des positions spéci-
même émotion. C’est une matrice dite de proxi- fiques sur ces dimensions d’énergie, de valence
mité émotionnelle des extraits. et de corporalité, en fonction de leurs caractéris-
tiques structurelles. Ces dimensions étant conti-
DES ÉMOTIONS nues, il y a une infinité de façons de combiner
EN TROIS DIMENSIONS ces valeurs, laissant ainsi place à un nombre
Cette démarche est facile à réaliser, plai- quasi infini d’émotions subtilement différentes.
sante pour les sujets, et n’exige pas de formuler Cette approche rend mieux compte de la com-
ses émotions. Elle permet d’identifier les plexité et de la richesse des émotions en musique
dimensions psychologiques qui organisent les qu’une approche sous forme de catégories.
distances émotionnelles entre les différents Les quatre grands types d’émotions (gaieté,
extraits. Si, par exemple, la matrice contenait désespoir, sérénité, colère) existent bien, mais
les distances en kilomètres séparant différentes ils ne représentent qu’un tout petit aspect de
villes de France (à la place des morceaux de nos émotions. Les pièces musicales « gaies »
musique), l’analyse statistique permettrait déclenchent des émotions de grande dyna-
d’extraire les dimensions physiques qui struc- mique et de forte positivité qui sont localisées
turent l’espace des distances entre les villes. en haut et à droite de cet espace. Selon que ces
Trois dimensions seraient nécessaires, corres- pièces ont ou non un caractère dansant (émo-
pondant aux axes nord-sud, est-ouest, et à l’alti- tion corporelle plus ou moins élevée), elles ont
tude. De même, l’analyse des matrices une place différente sur le troisième axe. Les >
Cortex
orbitofrontal
Striatum droit
ventral
Mésencéphale
> pièces colériques suscitent des émotions de Stéphanie Khalfa, Michel Paindavoine et L’IMAGERIE CÉRÉBRALE révèle les
forte énergie, mais de valence négative. De Charles Delbé. Nous avons enregistré en temps aires activées par différents types
même, les pièces tristes ou dépressives se réel, dans différentes aires cérébrales, les de musiques (ici, très plaisante).
Le débit sanguin augmente dans le
situent dans la région de l’espace émotionnel réponses émotionnelles d’auditeurs à différents
mésencéphale, le striatum et le
où la dynamique est faible et la valence néga- types de musiques très contrastées. Nous avons cortex orbitofrontal droit. Il décroît
tive. Les pièces sereines, telles que les comp- constaté que, chez certains d’entre eux, la puis- dans le cortex préfrontal
tines pour enfants, engendrent des émotions de sance du signal électrophysiologique change en ventromédian, l’amygdale cérébrale
faible dynamique et de valence positive. Cette synchronie avec les structures musicales qu’ils et l’hippocampe.
représentation laisse transparaître la richesse écoutent. Par exemple, dans le cas d’une fugue,
possible des émotions induites par la musique. chaque entrée de voix entraîne une modifica-
tion de la puissance du signal enregistré dans la
UNE PARTITION DANS LA TÊTE quasi-totalité des structures cérébrales.
Toutefois, le problème reste entier : comment Les changements sont parfaitement syn-
déterminer ce qui, dans les œuvres, module l’in- chronisés avec la structure musicale. Pour cer-
tensité de nos émotions sur chacun de ces axes ? tains de ces auditeurs (qui n’étaient pas des
Cette question est à l’intersection de la musico- musiciens), le signal électrophysiologique pre-
logie, de la psychologie et des neurosciences nait des allures de partition musicale !
cognitives. La psychologie isole les traits musi- D’autres changements ont des effets sur les
caux porteurs d’expression, les neurosciences émotions et ce quelle que soit la culture. Ainsi,
cognitives observent comment ces traits affectent Simone Dalla Bella et Isabelle Peretz, de l’univer-
l’auditeur. La musique étant un objet de culture, sité de Montréal, au Canada, ont montré que les
certains éléments ne seront jugés expressifs que changements de mode et de tempo ont des effets
par les membres de telle ou telle culture. systématiques sur la valence émotionnelle des
Ainsi tout un ensemble d’organisations morceaux et que ces effets sont perceptibles
musicales liées à la tonalité a un pouvoir expres- dans plusieurs cultures. Il ne s’agit bien sûr pas
sif qui peut être confirmé par des méthodes de prétendre que les musiques en mode majeur
directes auprès d’auditeurs occidentaux (on sont systématiquement perçues comme plus
demande au sujet d’indiquer quel passage dans gaies que les musiques en mode mineur, mais un
un extrait musical lui semble le plus expressif même morceau semblera plus gai lorsqu’il est
par exemple), ou indirectes (on mesure les joué en mode majeur plutôt qu’en mode mineur.
modifications physiologiques de l’auditeur qui De même, un morceau donné semblera plus
écoute un trait spécifique). On peut ainsi gai lorsque son tempo augmente. Le mode et le
constater qu’une modulation, c’est-à-dire le tempo constituent deux caractéristiques musi-
passage d’un ton à un autre (de la gamme de do cales essentielles pour faire varier les émotions
à la gamme de sol) ou d’un mode à un autre selon les dimensions de valence émotionnelle
(majeur à mineur) et surtout la vitesse à et de dynamique. D’autres paramètres liés aux
laquelle cette modulation est réalisée pro- multiples qualités acoustiques des sons contri-
voquent des réponses émotionnelles. buent également à faire varier l’expression des
C’est ce qui a été vérifié lors d’une étude extraits musicaux. La sérénité et la douceur sont
conduite à l’hôpital La Timone, à Marseille, en généralement déclenchées par des sons joués à
collaboration avec Catherine Liégeois-Chauvel, faible amplitude, avec des harmonies très
Un anthropologue
au pays
de la musique
M
culturelle dont la définition fluctue. La recon-
naître et la comprendre nécessiteraient alors un
apprentissage, et il vaudrait mieux dans ce cas
parler de musiques, au pluriel.
En tant qu’anthropologue vous vous gardez
bien de trancher. Vous observez simplement que
ce que les Français nomment « musique » oscille,
en pratique, entre ces deux conceptions. Une
ethnographie plus détaillée indique aussi que ce
consensus bipolaire s’érode sur ses marges.
Comment qualifier le « son » des free parties et
teknivals (celui de la veine hardtek par exemple,
que même ses amateurs nomment juste « son »
plutôt que « musique ») ? Rapper, est-ce encore
ettez-vous dans la peau d’un anthropo- chanter ? Les musiques dites « bruitistes » par-
logue. Votre mission ? Vivre au sein d’une viennent-elles à être en même temps musicales ?
population inconnue et comprendre ce qu’est Qu’en est-il des défis avant-gardistes comme le
la musique pour les individus que vous allez silencieux 4’33’’ de John Cage ? Sur toutes ses
côtoyer. Vous voudriez savoir, par exemple, franges, le sens commun du mot « musique »
comment ils la jouent, comment ils l’appré- tend à s’éparpiller en opinions contradictoires.
cient, à quoi elle leur sert. La première étape L’extension du concept de musique au
serait de déterminer ce qu’est leur musique monde animal soulève d’autres questions. Les
parmi toutes leurs autres activités sonores. Et oiseaux chantent-ils au même titre que les
là, les ennuis commencent… humains ? En éthologie, la démonstration d’une
« écoute hédonique » chez certaines espèces
UNE MUSIQUE OU PLUSIEURS ? redonne du crédit à une hypothèse avancée par
Supposons que votre terrain d’enquête Darwin : aux côtés de la sélection naturelle, un
soit… la France. Vous ignorez ce que les « goût pour le Beau » pourrait jouer un rôle dans
Français nomment « musique », ou vous vou- l’évolution des espèces. Il conduirait les
lez leur laisser le soin de vous l’expliquer. femelles à préférer les mâles dont les atours,
Un dictionnaire, ou consulter un musi- les parades et les vocalises leur procurent la
cologue, seraient des solutions, mais plus grande jouissance esthétique.
vous êtes un scientifique de terrain ! En fin de compte, votre enquête
Les usages courants et populaires Le sens commun du mot conclurait probablement que la musique
de cette notion vous intéressent au est, pour les Français, un type d’expé-
moins autant que ses définitions « musique » tend souvent rience auditive relativement singulier,
d’autorité. Au terme de votre dont la réalité ne fait aucun doute, mais
enquête, croisant les points de vue à s’éparpiller en opinions dont les contours et la nature exacte
de différents protagonistes, vous restent pour eux quelque peu imprécis.
arriveriez alors probablement à une contradictoires Renfilez votre costume d’anthropologue
conclusion proche de celle de… et partez plus loin. Le problème devient
Wikipedia. En France : « La musique vraiment aigu lorsque l’écart culturel se
est un art et une activité culturelle creuse et que les gens auxquels vous avez
consistant à combiner sons et silences au affaire ne distinguent, dans leur monde sonore,
cours du temps. » L’encyclopédie collaborative plus rien de comparable à ce que vous pourriez
est bien, par construction, un mécanisme de entendre par « musique ».
matérialisation des consensus. Mais pourquoi
cet étrange dédoublement : « un art et une acti- LES LIMITES DE L’INTUITION
vité culturelle » ? En Arménie par exemple, les kurdophones
La suite de l’article ainsi que les nombreux Yézidis vous diront qu’un « chant » (stran) est
échanges sur la page de discussion qui l’accom- nécessairement joyeux. Ils désignent par ce mot
pagne répondent : pour obtenir un relatif des productions vocales ou instrumentales
consensus, il a fallu ménager une place à deux sous-tendues par une pulsation régulière.
conceptions de la musique au fond assez diffé- Celle-ci rend les « chants » d’emblée dansants et
rentes. Selon la première, certains sons ou struc- donc propices aux fêtes comme les mariages.
tures sonores seraient intrinsèquement Leurs paroles sont choisies avant tout pour leurs
musicaux. Ils cibleraient des structures innées sonorités, et leurs significations importent peu.
et universelles de nos cerveaux (une préférence Les Yézidis d’Arménie emploient une tout
pour les sons harmonieux par exemple). Parler autre expression pour désigner les productions
de musique, au singulier, serait alors possible. vocales ou instrumentales mélodisées qui n’ont
Selon une autre conception, non moins cou- pas de pulsation régulière. Ce sont des « paroles
rante, la musique serait une construction sur [quelque chose] » : paroles sur les morts
> récompense » était impliqué dans le plaisir et En effet, si l’on envisage la musique comme
les émotions qu’un mélomane peut ressentir. une capacité liée à l’espèce, on peut se demander
Dans les faits, ce circuit s’active plus souvent pour quelle raison elle existerait dans toutes les
quand des besoins « primaires » (nourriture, sociétés humaines, alors qu’elle semble si dis-
sexualité…) sont satisfaits. La musique ne fait crète dans le reste du monde animal. Dans une
que « recruter » les structures cérébrales cor- logique évolutionniste, plusieurs hypothèses ont
respondantes, et s’il s’agit de les cibler artifi- été avancées pour répondre à cette question. La
ciellement les substances psychotropes sont musique pourrait être apparue comme un
bien plus efficaces ! La musique a-t-elle alors « protolangage », une forme première d’expres-
une façon particulière d’agir sur nous ? sion qui se serait affinée ensuite pour aboutir à
La question se pose en fait pour toutes les la communication verbale telle que nous la
fonctions auxquelles on la lie habituellement. connaissons. Ou bien, à l’inverse, elle serait peut-
Il ne fait aucun doute que la musique peut être un « produit dérivé » de nos compétences
structurer des identités collectives et induire linguistiques : une façon plaisante et détournée
de puissants sentiments d’appartenance, mais de les mobiliser (pour cibler par exemple le cir-
on pourrait en dire autant d’une compétition cuit des récompenses dopaminergiques), mais
sportive. On a montré à diverses reprises que sans autre avantage adaptatif.
la musique pouvait avoir des effets bénéfiques Une autre théorie part du constat que dans
contre des maladies neurodégénératives. le monde présent, la musique est fréquemment
Toutefois, en 2015, l’équipe de Séverine une activité collective et qu’elle entraîne les
Samson, de l’université Charles-de-Gaulle, à participants dans une coordination motrice (la
Lille, a montré que cette efficacité n’est guère danse) ou émotionnelle (l’empathie). Cette
supérieure à celle d’ateliers de cuisine menés forme de coopération aurait pu favoriser l’émer-
dans les mêmes conditions. L’amélioration de gence dans les groupes protohumains de formes
l’état des patients pourrait être due aux effets d’action collective inédites chez les autres
socialisants de ces activités, ces dernières espèces. Certes distinctes, ces hypothèses ont
mobilisant souvenirs et sensorialités, plus qu’à en commun de considérer que la musique serait
une efficacité de la musique en tant que telle. apparue en lien avec les nécessités de la com-
Une longue histoire nous pousse à attribuer munication intraspécifique.
aux sons des effets plus ou moins magiques, Une autre piste propose d’explorer les liens
un biais culturel qui reste observable dans la de la musique avec l’émergence d’une pensée
façon dont nous surinterprétons couramment métaphysique. De celle-ci découle en effet la
certains résultats expérimentaux. nécessité de communiquer non plus avec les
seuls humains, mais aussi avec d’autres ordres
VARIATIONS de réalité et d’autres êtres animés ou animables
SUR UN MÊME THÈME (animaux non humains, forces naturelles, divi-
Mais est-ce vraiment un biais culturel ? À nités, ancêtres…). Pour qualifier notre faculté de
défaut de penser universellement une musique, il faudrait alors
« musique », les sociétés humaines isolent s’intéresser moins aux sons
toutes certaines pratiques sonores au pré- eux-mêmes qu’à cette
texte que celles-ci auraient des effets trans- étrange façon de les écouter
formateurs particuliers et remarquables. Ils en y décelant des choses et LA PROPENSION
vont de l’« enchantement » des sens à la magie des êtres qui échappent à
occulte en bonne et due forme, en passant par
toutes les variantes des « ravissements » et
nos habitudes familières.
Pour entendre de la
À LIER CERTAINS
« extases » esthétiques. musique, résume le philo-
Les pratiques elles-mêmes diffèrent, mais sophe britannique Roger SONS À DES
lorsque des humains investissent ainsi les sons Scruton, « il faut être capable
de la capacité de modifier leur monde, ils mobi- d’entendre un ordre qui ne
lisent peut-être une même faculté d’écoute. Les nous informe pas sur le CONJECTURES
théories qui accompagnent ces pratiques monde physique, qui se tient
« chargées » les font découler de révélations
surnaturelles, affirment leur capacité à dialo-
à l’écart de l’enchaînement
habituel des causes et des
MÉTAPHYSIQUES
guer avec des esprits, ou à exploiter un ordre effets, et qui est irréductible
du monde autrement caché. aux réalités qui lui ont donné APPARAÎT
Comme le remarque l’ethnomusicologue physiquement naissance ».
Bernd Brabec de Mori, de l’université de Graz, Alors que nous passons
en Autriche, la propension à lier ainsi certains le plus clair de notre temps à DANS TOUTES
sons à des conjectures plus ou moins métaphy- remonter des sons vers leurs
siques apparaît avec une régularité remar- causes physiques (une porte
quable dans les sociétés du présent. Elle claque, la pluie tombe sur le LES SOCIÉTÉS
pourrait aussi être très ancienne. toit, un merle chante dans
L’holographie
au secours des luthiers
Lorsqu’il fabrique un instrument, le luthier le peaufine
en écoutant les sons que ses vibrations produisent.
Une nouvelle technique d’analyse et de visualisation
des vibrations – l’holographie acoustique –
T
lui faciliterait la tâche.
oc toc toc ! Plutôt que de demander : « Qui table d’harmonie mise en vibration grâce aux
est là ? », vous feriez mieux de poser la ques- cordes est la source principale du son de l’ins-
tion : « Qui fait vibrer la porte ? » Car en effet, trument, comme la membrane d’un haut-parleur
en frappant à la porte, on la fait vibrer. Le ou la peau d’un tambour. La table d’harmonie de
mouvement, imperceptible à l’œil nu, crée l’instrument étant un objet tridimensionnel
dans l’air environnant une alternance de sur- complexe, sa vibration est riche et ne produit
pressions et de dépressions locales qui se pro- pas une fréquence unique, mais tout un
pagent à 340 mètres par seconde et atteignent ensemble de fréquences. Celles-ci sont caracté-
nos oreilles. La vibration engendre ainsi une ristiques d’un instrument : c’est pourquoi le son
P
our comprendre comment les chercheurs
analysent les vibrations de la table d’harmonie
de la guitare, on doit s’intéresser aux ondes
mécaniques et acoustiques. Commençons avec
le cas d’un objet suspendu à un ressort,
qui présente une fréquence d’oscillation naturelle.
Cette fréquence est proportionnelle à la racine
carrée de k/m, où m est la masse de l’objet et k
la raideur du ressort, qui mesure sa résistance
à l’étirement. Si l’objet est déplacé de sa position
au repos, par un choc par exemple, il entre dans un
mouvement oscillant à cette fréquence, ce qu’on
désigne par mode propre et fréquence propre.
Lorsque l’objet qui vibre a une structure complexe,
chacun de ses points oscille d’une façon différente.
On établit une carte des vibrations. Mais celle-ci est
difficile à exploiter directement. L’étude des ondes
nous indique que la vibration d’une structure, telle
la table d’harmonie de la guitare, est une somme,
ou superposition, de plusieurs modes propres.
Chaque mode propre est caractérisé par une
fréquence et une certaine répartition (fixe)
des nœuds et ventres de vibration, et intervient
avec un certain coefficient de pondération dans
la vibration globale. Les fréquences et les modes
propres dépendent de la masse et de l’élasticité
de la structure, de sa géométrie et de la façon dont
elle est liée à son support. Il y a donc une grande
variabilité d’une guitare à une autre.
Ainsi, pour étudier les vibrations d’une guitare,
les acousticiens cherchent à décomposer le signal
en modes propres. Le son est enregistré puis
analysé par des techniques d’« imagerie
acoustique », ou d’« analyse modale », pour
produire une représentation visuelle du mode
associé à chaque fréquence propre.
Dans la technique décrite dans l’article LA TABLE D’HARMONIE DE LA GUITARE vibre lorsqu’on
l’enregistrement du son, plus rapide que dans les la frappe avec un petit marteau ou que les cordes de guitare oscillent
autres techniques, ne suffit pas à reconstruire une (ci-dessus). Les déformations élastiques de la table sont indiquées par
carte assez précise des vibrations pour déterminer les couleurs. Une impulsion, tel un coup de marteau, excite tous
les modes propres. La stratégie consiste alors les modes propres pouvant contribuer à la vibration de la guitare.
à utiliser le fait qu’un mode propre se décompose La vibration d’une seule corde n’excite qu’une partie d’entre eux.
à son tour en une somme d’ondes planes.
Ces dernières sont des ondes élémentaires idéales, LES MODES PROPRES (ci-contre) contribuent à la vibration
dont le front d’onde (l’ensemble des points de la table d’harmonie, mais les contributions de chaque mode diffèrent
de l’espace dont l’état vibratoire est exactement en intensité. La réponse acoustique d’un instrument donné est unique,
le même) est un plan infini et perpendiculaire car de nombreux paramètres physiques de la structure interviennent.
à la direction de propagation de l’onde.
Tout l’art de la méthode réside dans CHAQUE MODE PROPRE se décompose en une somme
la détermination des ondes planes qui seront de plusieurs ondes planes (à droite), qui sont des objets mathématiques.
utiles pour reproduire les vibrations de la guitare. Un algorithme sélectionne des ondes planes dans un catalogue
de ces objets. La superposition de ces ondes doit reproduire la table
des vibrations obtenues grâce à l’enregistrement des microphones.
Le processus est répété pour réduire le nombre d’ondes planes
nécessaires. Ici, les ondes planes en surimpression contribuent
au troisième mode propre.
c
BATAILLE NAVALE ET b Masque
A
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
ÉCHANTILLONNAGE B
C
D
E
P
our comprendre le principe a F
G
de l’échantillonnage compressé, 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
H
prenons une analogie simple : le jeu A
B I
de la Bataille navale, que nous allons J
C
encore simplifier en considérant que les D
cinq bateaux n’occupent qu’une seule E Superposition
case chacun, dans une grille de 10 x 10. F e
d Masque 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Le but du jeu est de retrouver la position G
H A
de tous les bateaux ennemis en posant B
le minimum de questions, chacune I
J C
testant une case à la fois : A7 ? F4 ? D
On s’aperçoit vite que cette façon E
de sonder l’ensemble de la grille n’est F
pas très efficace : presque tous les coups G
« tombent à l’eau » et, en fin de compte, H
I
il ne faudra pas beaucoup moins J
de 100 questions pour finir la partie
(il faut en moyenne 84 questions).
Pour être plus efficace – en faisant
abstraction des règles du jeu ! –, il faut Dans une bataille navale simplifiée avec cinq bateaux rouges sur une grille (a), tester chaque case
que chaque question nous renseigne l’une après l’autre n’est pas la meilleure stratégie pour trouver tous les bateaux. On gagne
simultanément sur plusieurs positions en efficacité en utilisant des masques non réguliers (b et d). Chacun fournit un certain nombre
spatiales : par exemple, « y a-t-il au d’informations (c et e). On retrouve la position de tous les navires avec quelques masques
moins un bateau sur la colonne D ? et en superposant les informations recueillies avec chacun.
Sur la ligne 7 ? » C’est mieux, car on a
ainsi des chances d’éliminer toute une secondes pour retrouver entièrement efficacement possible des données
série de cases en une seule question. la grille de l’adversaire. Le nombre complexes, sachant qu’elles vérifient
L’étape suivante est de poser une de « questions » a été divisé par quatre ! la propriété de parcimonie. Dans le cas
question qui nous renseigne, certes La performance n’est cependant pas de l’holographie acoustique
de façon imparfaite, sur l’ensemble toujours au rendez-vous. Cela ne compressée, on sait a priori que notre
de la grille. Nous utilisons alors des fonctionne ici que parce que le nombre donnée inconnue (un mode propre)
méthodes liées aux nombres aléatoires. de bateaux est faible par rapport se décompose comme une somme
Par exemple, construisons un « masque à la taille de la grille : seules 5 % des d’un petit nombre de formes
binaire », de même taille 10 x 10 que la cases sont occupées. En mathématiques, élémentaires (des ondes planes) parmi
grille, avec autant de cases opaques que cette propriété est nommée parcimonie : une infinité – ou au moins un catalogue
de cases transparentes, réparties un objet complexe (telle une grille important – d’ondes planes. Le but
aléatoirement. Les nouvelles questions de Bataille navale) peut être décrit est de retrouver cette combinaison :
seraient : « À travers ce masque, combien comme la somme d’un très petit nombre on ne sait pas ce qu’elle est, on sait juste
peut-on voir de bateaux ? Et à travers cet d’objets élémentaires. qu’elle existe et qu’un petit nombre
autre masque ? » Avec une vingtaine D’une façon générale, la théorie d’observations judicieusement placées
de ces masques et les réponses de l’échantillonnage compressé, peut la révéler.
correspondantes, un petit programme développée il y a une dizaine d’années,
numérique ne met que quelques décrit comment acquérir le plus
> la carte des vibrations. Il faut répartir de Dans le cas d’une table d’harmonie de gui-
façon aléatoire les microphones pour maxi- tare, le résultat de l’holographie compressée est
BIBLIOGRAPHIE
miser l’information de l’hologramme. excellent : avec une antenne de quelques dizaines
Lorsque la surface est régulière, nous plaçons de micros et une seule mesure, les modes de J. ESPIAU DE LAMAËSTRE ET AL.,
en pratique les microphones de façon irrégu- vibration sont parfaitement identifiés. Ainsi, en Écouter pour voir,
lière, mais raisonnable par rapport aux « transférant » une partie de la complexité depuis Interstices (revue numérique) :
http://bit.ly/inters-EPV
contraintes physiques de la structure de l’an- le matériel vers le logiciel, nous obtenons une
tenne et nous vérifions que l’information enre- technique rapide (deux secondes pour l’acquisi- G. CHARDON ET AL., Nearfield
gistrée sera suffisante. En revanche, si la tion, quelques minutes de calcul), peu onéreuse acoustic holography using
sparsity and compressive
surface vibrante est de forme irrégulière, l’in- (moins de micros, possibilité dans un futur très sampling principles, J. Acoust.
formation est maximisée même avec un place- proche d’utiliser des micros numériques simi- Soc. Am., vol. 132, 1521, 2012.
ment régulier de micros. Ce principe, dit laires à ceux des téléphones portables, très peu
C. BARDOS, Les ondes, entre
d’incohérence, est crucial pour que l’algo- coûteux) et simple à mettre en place. physique et mathématiques,
rithme de reconstruction parcimonieuse fonc- Reste à savoir si la technique sera adoptée Pour la Science, n° 409,
tionne bien ; il impose donc des contraintes dans le monde de la lutherie, et plus largement novembre 2011.
lors de l’enregistrement du son. par celui de l’imagerie acoustique… n
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PORTFOLIO
LES TRÉSORS
DE LA MUSIQUE
L’histoire de la musique
racontée en plus de
1 000 instruments. Telle est
la vocation du musée de la
Musique, au sein de la
Philharmonie de Paris, qui
fête cette année ses 20 ans.
Morceaux choisis.
HARPE
Connue depuis l’Antiquité, la harpe évolue
jusqu’au début du xixe siècle. L’instrument
est très en vogue dans l’aristocratie
à la fin du xviiie siècle, les décors soignés
en attestent (ci-contre, une console de harpe
Érard, Paris, 1873).
© Gil Lefauconnier
GUITARE
À la fin du xve siècle, la vihuela
de mano, donne naissance à la
guitare. Au xvie siècle, cette
dernière colonise rapidement la
France et l’Italie. Au xviie siècle,
elle est montée de cinq paires de
cordes, avec un dos plat
(ici, l’instrument de Jacques
Dumesnil, Paris, 1648) ou bombé
comme le luth.
GUITARE ÉLECTRIQUE
La célèbre entreprise allemande
Höfner produit sa première
guitare électrique monobloc
© Albert Giordan
(solidbody) en 1956.
Le modèle 173 (ci-dessous),
commercialisé en 1962, emprunte
sa forme et son circuit électronique
à celle de la Fender Stratocaster.
© Gil Lefauconnier
VIOLONCELLE
Témoignage emblématique
de la Première Guerre mondiale,
ce violoncelle dit le « Poilu » fut
construit pour Maurice Maréchal
© Yazid Medmoun
© Gil Lefauconnier
CLAVECIN
Les plus anciens clavecins italiens (à un seul clavier) datent
du xvie siècle. Leur facture varie peu jusqu’au xviiie siècle.
La caisse extérieure (ci-dessus) de celui-ci (Faby, Bologne, 1677)
est peinte en faux marbre. Le clavier (ci-contre)
est en ivoire gravé et en ébène incrusté.
© Nora Houguenade
LUTHERIE ÉLECTRONIQUE
© Pomme Célarié
© Nicolas Borel
PIANOS À QUEUE
Ces instruments (Érard, Paris, 1802 et 1812)
sont les premiers pianos de concert
français. Leur succès dépasse largement
les frontières de la France.
Des compositeurs tels que Haydn et
Beethoven ont possédé
un modèle identique au piano à queue
du premier plan.
CRISTAL BASCHET
Mis au point dans les années 1950 par Bernard et François
Baschet, l’instrument est constitué d’une rangée de 56 tiges
de verre (couvrant 4 octaves et demie) encastrées dans
une plaque de métal. Une grande feuille en acier inox conique
pliée à la main et deux cônes en fibres de verre ainsi qu’un
réseau de tiges métalliques servent d’amplificateurs. On joue
en frottant ses doigts humides sur les baguettes de verre.
© Jean-Marc Anglès
Des instruments
de musique...
virtuels
Comment créer des instruments de musique
virtuels aux sonorités réalistes ? En modélisant
les phénomènes physiques en jeu dans les vrais
instruments et en utilisant des outils
mathématiques et informatiques.
P
simuler sur ordinateur et piloter en temps réel
des instruments de musique virtuels avec un
rendu réaliste.
Dans l’histoire de la synthèse sonore, qui
vise à créer des sons de façon artificielle (par
voie électronique ou informatique), on peut
distinguer deux types de procédés. Dans la
« synthèse par modèles de signaux », on s’at-
tache à construire directement le signal élec-
trique à envoyer dans les haut-parleurs, pour
obtenir des sonorités insolites qu’on trouve par
exemple dans la musique dite électronique. La
« synthèse par modèles physiques » s’intéresse,
au contraire, au générateur de l’onde sonore,
c’est-à-dire à l’instrument et à l’instrumentiste,
plutôt qu’au son lui-même. Dans ce cas, qui fait
ourquoi, lorsqu’on souffle plus fort dans l’objet du présent article, on veut mimer la
une flûte, le son produit est non seulement réponse de l’instrument à tous les gestes pos-
plus fort, mais la note ou le timbre sibles du musicien : attaques, transitoires entre
changent aussi ? Quelle est l’influence de la notes, évolution du timbre avec la nuance.
géométrie et du matériau sur l’instrument ?
Pourquoi un musicien a-t-il besoin d’un DES INSTRUMENTS
apprentissage long et difficile pour donner de CHIMÉRIQUES
l’expressivité à son art ? De telles questions Quel est l’intérêt de la synthèse par modèles
laissent entrevoir la complexité des phéno- physiques ? Il est, bien sûr, de disposer de ver-
mènes mis en jeu dans le fonctionnement des sions virtuelles et jouables d’instruments réels,
© Jan Gieselmann /shutterstock.com
> évoluant continûment en saxophone au cours l’excitateur et de son couplage avec le résona-
du temps, ou même un conduit vocal de dragon teur (voir l’encadré page ci-contre). L’expression
ou de dinosaure pour le son au cinéma... De « non linéaire » signifie que la réponse (ou
même, on sait aujourd’hui concevoir virtuelle- « sortie ») du système n’est pas proportionnelle
ment des matériaux évoluant du métal au bois à l’action (ou « entrée ») qu’on lui applique.
pendant la vibration ! Il a été montré que ces modèles simples et
Les travaux pionniers du savant allemand peu coûteux à simuler incorporent assez la
Hermann von Helmholtz, à la fin du xixe siècle, physique de l’instrument pour produire des
et de nombreux autres, en partie rassemblés comportements comparables à ceux de l’ins-
par les Américains Neville Fletcher et Thomas trument réel : le son synthétisé est déjà carac-
Rossing à la fin du xxe siècle, ont permis de téristique de telle ou telle classe d’instruments.
comprendre le fonctionnement élémentaire Cependant, il faut raffiner les modèles pour
des instruments de musique. En n’en retenant réussir à leurrer l’oreille quant à la nature syn-
que les éléments clés, plusieurs équipes dans thétique du son. Comment le faire de façon
le monde ont proposé dès la fin des compatible avec une synthèse en temps réel,
années 1980 des premières synthèses sonores c’est-à-dire en n’allongeant pas trop les temps
en temps réel, c’est-à-dire des synthétiseurs, de calcul ?
des instruments électroniques, qui calculent
suffisamment vite pour que l’opérateur DES TUBES OU DES CYLINDRES ?
humain ne perçoive aucun délai entre son L’une des approches est de modéliser de
action (appuyer sur la touche du clavier) et façon simplifiée la forme géométrique du
le résultat sonore. résonateur. Les résonateurs d’instruments,
Depuis, les travaux s’attachent à améliorer qu’ils soient mécaniques (cordes, plaques,
les modèles pour augmenter le réalisme etc.) ou acoustiques (tubes) sont le lieu où
sonore tout en préservant le traitement en se propagent des ondes. Simuler précisément
temps réel. Un autre défi pour le réalisme cette propagation dans une géométrie tridi-
reste le contrôle de l’instrument virtuel : mensionnelle se révèle souvent trop coûteux
même avec une excellente modélisation de en calculs. Prenons le cas d’un résonateur
l’instrument, le premier son que l’on produit d’un instrument tel qu’une trompette, qui a la
en jouant sur un instrument virtuel est sou- forme d’un tube à section variable – on parle
vent… un canard ! Il s’agit de construire les de la « perce » de l’instrument. Comment le
« réflexes coordonnés » acquis par le musicien représenter de façon simplifiée ? La première
expert et qui lui permettent de bien jouer. idée pour la synthèse sonore était d’approcher
Avant toute tentative de synthèse par modèle cette perce par un profil en marches d’escalier,
physique, il faut étudier et comprendre le comme si l’on raccordait des tubes droits
fonctionnement d’un instrument de musique. (voir la figure page 68).
Depuis Helmholtz, on sait que ce fonction- Dans ce cadre, quand une onde acoustique
nement repose sur une boucle de rétroaction plane, c’est-à-dire dont les fronts sont plans et
où un excitateur (anche, archet, lèvre, plectre, perpendiculaires à l’axe du tube, se propage le
jet d’air…) se couple à un résonateur (tuyau, long du tube et arrive à une discontinuité de
corde, membrane…). Ce faisant, le résonateur section, elle subit une réflexion partielle
cède un peu d’énergie sous la forme d’un rayon-
nement acoustique, perçu par nos oreilles.
Dans le cas des instruments entretenus – c’est-
à-dire capables d’auto-osciller spontanément à
partir d’une excitation statique telle qu’un
souffle constant, par opposition aux instru-
ments pincés ou frappés –, l’émission d’une
note résulte d’un couplage entre l’excitateur et
le résonateur, et requiert en permanence des
ajustements très fins de la part du musicien.
Virtuellement,
Pour la synthèse sonore en temps réel, on
doit réduire au maximum la complexité du
on conçoit aujourd’hui
modèle de l’instrument afin d’avoir des temps
de calcul courts. Mais le modèle simplifié doit
des matériaux évoluant
aussi pouvoir expliquer une grande partie du
fonctionnement d’un instrument. Une telle
du métal au bois
« formulation minimale » peut intégrer des des-
criptions sommaires de l’excitateur et du réso-
nateur, mais, pour expliquer et reproduire le
phénomène d’auto-oscillation, elle ne peut
faire l’impasse sur la nature non linéaire de
DES MODÈLES
MINIMAUX Retour de l'onde
avec retard
L
(modulation du débit
es simulations les plus simples du d'air parOnde
l'anche)
de pression
fonctionnement d’un instrument de
musique intègrent deux ingrédients clés.
D’une part, il faut représenter le mécanisme Onde de pression
non linéaire d’excitation (modulation du débit
d’air par l’anche dans le cas d’une clarinette,
Retard T2 Retard T1
frottement entre l’archet et la corde dans le cas
d’un violon...) par un système simple
d’équations non linéaires, bâti à l’aide de Retard T2 Retard T1
fonctions élémentaires. D’autre part, on doit Excitateur non linéaire
prendre en compte les retards des ondes, (frottement corde-archet)
c’est-à-dire les temps mis par les ondes pour Excitateur non linéaire
effectuer un aller et retour au sein de Onde de flexion Onde de flexion
(frottement corde-archet)
se propageant vers se propageant
l’instrument. Ainsi, une onde acoustique qui se l'extrémité du manche vers le chevalet
propage d’une distance L dans un tube droit, Onde de flexion Onde de flexion
puis se réfléchit, subit un retard T =2L/c, se propageant vers se propageant
imposé par la vitesse du son c. l'extrémité du manche vers le chevalet
Considérons l’exemple d’une clarinette. Un
mouvement d’anche crée une fluctuation de
pression qui se propage à la vitesse c le long
de l’instrument, jusqu’au premier trou ouvert
(situé à une distance L), où elle est réfléchie sur chaque partie de la corde. Ces ondes se
avec un changement de signe. Cette onde propagent à une certaine vitesse, l’une vers le
revient donc à l’anche après un retard T =2L/c chevalet, l’autre vers l’extrémité du manche.
et y modifie les conditions de pression. En Parvenues à l’extrémité, elles y sont
conséquence, l’extrémité de l’anche se réfléchies. Après des temps de parcours
déplace, ce qui modifie le débit d’air entrant différents T1 et T2 (sauf si l’archet frotte la
et crée une nouvelle perturbation de pression. corde en son milieu, auquel cas les temps de
Autre exemple : un violon et son archet. Le parcours sont égaux), les deux ondes
frottement entre le crin enduit de colophane reviennent à l’archet et interagissent à
et la corde engendre des ondes de flexion nouveau avec lui.
instantanée (comme si une partie de l’onde pour un instrument à perce régulière, la simu-
rebondissait sur cette jonction) et se transmet lation crée des artefacts que l’oreille perçoit.
aussi partiellement au tronçon voisin. Pour renforcer le réalisme tout en restant com-
En fin de compte, on aboutit à une « struc- patible avec un traitement en temps réel, nous
ture de guide d’ondes » où, du point de vue avons conçu vers 2002 un modèle à une dimen-
mathématique et informatique, n’intervient sion qui respecte mieux la géométrie du tube.
qu’un petit nombre d’opérations élémentaires :
retards de l’onde proportionnels à la longueur LA GÉOMÉTRIE DE LA PERCE
du tube, additions, multiplications des ampli- On part d’un tube à symétrie axiale, avec
tudes ondulatoires par des coefficients de une perce dont le rayon dépend régulièrement
réflexion qui dépendent des sections du tube. de la coordonnée z mesurée le long de l’axe. Le
© Shutterstock/Sergey Lavrentev ; Andrew Duany
Ce modèle a été utilisé dès les années 1960 calcul des sons produits par un tel tube
pour simuler le conduit vocal humain ; une fois implique de déterminer la pression acoustique
optimisée, la structure informatique corres- régnant en chaque point à l’intérieur du tube,
pondante a été nommée, d’après les deux cher- en réponse à une certaine pression appliquée à
cheurs qui l’ont introduite, structure de l’entrée. Ainsi, pour chaque position z le long
Kelly-Lochbaum (encore utilisée pendant cha- de l’axe, on s’intéresse à la pression acoustique
cun de nos appels téléphoniques pour la resyn- régnant à la distance r de l’axe. Cette pression
thèse de nos voix). obéit à une équation, qui décrit la propagation
Mais des tubes droits raccordés restent une des ondes acoustiques, et dépend à la fois de la
approximation grossière du profil doux des position et du temps. Dans le plan (z, r) et à
pavillons et de nombreux instruments. Ainsi, un instant donné, les points associés à une >
> même valeur de la pression constituent des complexités similaires, selon les matériaux. On
courbes, nommées isobares comme sur une devrait pouvoir leur adapter les méthodes
carte météorologique (voir la figure page 70). mathématiques utilisées pour le cas des instru-
Les isobares dessinent en général des lignes ments à vent, ce à quoi nous nous attelons.
courbes, ce qui traduit le fait que la pression Comme on l’a vu, la géométrie du résona-
dépend à la fois de la coordonnée radiale r et teur et les phénomènes d’amortissement vis-
de la coordonnée axiale z. L’idée de notre cothermiques sont deux points clés pour
modélisation unidimensionnelle revient en élaborer un instrument virtuel à rendu réaliste.
quelque sorte à construire un miroir déformant Un troisième est que, dans un instrument de
qui redresse les isobares, pour les transformer musique, les ondes d’amplitude élevée sont
en lignes droites perpendiculaires à l’axe. Dans souvent distordues par des effets non linéaires.
cette nouvelle image, la pression devient indé-
pendante de la coordonnée radiale, ce qui DES DISTORSIONS
réduit la dimension effective du problème à un NON LINÉAIRES
et simplifie beaucoup les calculs. Voyons comment sur l’exemple de la gui-
L’outil mathématique qui effectue cette tare. Pour accorder votre guitare, vous réglez
transformation est un changement de coordon- la tension des cordes grâce aux mécaniques :
nées dynamique : on passe des coordonnées z plus la tension est élevée, plus la célérité de
et r à deux autres coordonnées a et b grâce à des propagation des ondes (et donc la hauteur du
fonctions appropriées f et g, qui dépendent du son !) l’est aussi. Or pendant que la corde
temps t (et de la perce de l’instrument). On vibre, sa longueur varie par élasticité, ce qui
réécrit ensuite l’équation des ondes en termes modifie la tension et, partant, la vitesse de pro-
de coordonnées a et b, de façon que la pression pagation des ondes. Il s’ensuit une distorsion
y apparaisse comme une fonction de la nou-
velle coordonnée a uniquement, et non de b.
La géométrie du résonateur n’est pas le
seul aspect à prendre en compte dans la syn-
thèse sonore. Un autre est l’amortissement.
Si l’archet ou le souffle du musicien s’arrête,
le son finit par s’éteindre : un instrument de
musique est un système amorti, où l’énergie
perdue par l’instrument est essentiellement
le son émis lui-même. Or les émissions acous-
tiques des tubes, barres, plaques sont connues,
et on sait les prendre en compte avec une
bonne approximation dans les simulations du
fonctionnement d’un instrument.
Cependant, d’autres types d’amortisse-
ments intrinsèques au résonateur ont un effet
important sur le son. Reprenons le cas des
tubes. La colonne d’air en vibration dans le
tube crée un frottement sur ses parois et
échange de la chaleur avec elles. Ces phéno-
mènes viscothermiques dépendent de la tex-
ture de la surface du tube, du type de matériau
et de son aptitude à conduire la chaleur. De des ondes, effet d’autant plus marqué que l’on Pour modéliser un instrument à vent
plus, leur effet sur les ondes sonores dépend pince fortement la corde. en forme de tube de perce (ou profil)
de la fréquence de celles-ci. Autre exemple : pour accorder votre variable, on peut en première
approximation l’assimiler à un
Si la modélisation n’intègre pas bien cet trompette, vous réglez la longueur du tube à ensemble de trois tubes droits. À
amortissement, le son produit par l’instrument l’aide d’une petite coulisse… mais seulement chaque jonction entre tubes, une
virtuel semble, à l’oreille, synthétique. Or la après avoir joué un peu pour chauffer l’ins- partie des ondes acoustiques est
prise en compte du bon amortissement peut se trument. Car plus l’air est chaud, plus la célé- réfléchie (en bleu) dans le même tube
révéler parfois délicate sur le plan mathéma- rité du son y est grande et la note est haute. et une autre transmise (en rouge) ; au
tronçon voisin. Le modèle
tique, avec par exemple une opération éton- Or une surpression d’une onde sonore correspondant, après optimisation, est
nante telle qu’une dérivation temporelle échauffe l’air où elle se propage, ce qui aug- nommé structure de Kelly-Lochbaum.
fractionnaire (de même que les puissances non mente aussi la célérité. Ainsi, comme pour la
entières généralisent les mises au carré ou au corde de guitare que l’on pince plus forte-
cube, dériver une demi-fois généralise la déri- ment, souffler plus fort dans la trompette
© Bruno Bourgeois
vée qui donne la vitesse à partir de la position, distord l’onde sonore produite.
ou l’accélération à partir de la vitesse). En résumé, modestes à faible amplitude,
Pour les résonateurs à cordes, barres ou ces effets non linéaires peuvent devenir signi-
plaques, les amortissements peuvent avoir des ficatifs aux nuances fortissimo et participent
même à la signature sonore naturelle d’un ins- soufflé dans la trompette ou lorsque la corde
trument. C’est le cas du « cuivrage » pour les oscille sous l’action du frottement de l’archet.
trombones et trompettes : la brillance (renfor- C’est déjà beaucoup, mais pas suffisant pour en
cement des hautes fréquences par rapport aux faire un instrument virtuel !
basses) provient de telles distorsions. Pour transformer un programme informa-
Maintenant, rêvez un peu et supposez que, tique qui simule la physique de la production
grâce à la modélisation physique et aux tech- du son en instrument de musique, il faut lui
niques mathématiques, votre trompette au adjoindre une interface homme-machine
profil optimisé ou votre stradivarius virtuels adaptée. Par ce biais, l’utilisateur peut modi-
sont là. À vous de jouer ? Pas si simple… fier les valeurs de certains paramètres des
En effet, le modèle physique ne fait que équations du modèle physique (souffler plus
reproduire virtuellement la production du son fort, tendre ses lèvres, modifier la vitesse de
lorsque les lèvres vibrent au passage de l’air l’archet ou son appui sur la corde…). C’est le >
U ne vibration
sonore se compose
d’oscillations
d’amplitudes et de
fréquences différentes,
toutes les composantes
fréquentielles en relation
d’octave (c’est-à-dire
partageant le même nom de
note) sont alignées sur un
la fondamentale (le do 3
correspond à la tache la
plus étendue, en rose).
Puis après un tour de
spire (dans le sens des
composantes par rapport
aux traits de repère (ici,
tracés pour le tempéra-
ment égal) exprime les
déviations aux références
dont l’ensemble forme le rayon de l’escargot et aiguilles d’une montre, de ce tempérament.
« spectre du son ». Les partagent le même angle. vers l’extérieur), vient L’ensemble offre en fin de
analyseurs de spectres Graphiquement, les l’harmonique 2 (le do 4), compte un outil précis
sonores standards composantes actives du puis 3 (sol 4), puis 4 pour le musicien ou une
affichent des courbes spectre sont reportées sur (do 5), puis 5 (mi 5, décalé personne travaillant dans
d’amplitude, correspon- ce squelette en spirale de par rapport à la ligne), le son. De plus, cet outil
dant au volume du son, en sorte qu’un stimulus auditif puis 6 (sol 5, non aligné est utilisable dès le plus
fonction de la fréquence. se traduit par un stimulus avec le sol 4), puis 7 (si jeune âge, par exemple,
L’application « The visuel en cohérence avec bémol 5), puis 8 (do 6), pour affiner le contrôle de
Snail – IrcamLab » repose l’échelle perceptive. puis 9 (ré 6, plus haut)... la hauteur de la voix avec
sur la combinaison de deux Si l’on repère sur la spirale Le défaut d’alignement des consignes simples
éléments : un nouveau l’angle associé à une entre les composantes des telles que « chanter en
procédé d’analyse du fréquence de référence (un notes (do, mi, sol…) essayant d’aligner ses
spectre du son, et une la à 440 hertz par exemple) exprime précisément propres points lumineux
représentation de ce spectre et que l’on divise un tour l’inharmonicité : on ne sur une note de la grille ».
sous une forme en spirale complet en douze angles parle plus dans ce cas THOMAS HÉLIE ET
CHARLES PICASSO
(d’où le nom snail, c’est-à- égaux, on conçoit une grille d’harmonique, mais de Laboratoire STMS
dire escargot) adaptée à une correspondant à la gamme partiel. La déviation des (Ircam-CNRS-SU)
échelle musicale. tempérée, où les douze
Le procédé apporte une pré- notes sont séparées par un
cision fréquentielle assez demi-ton (voir la figure).
fine pour travailler sur D’autres choix de marquage
l’accordage ou le microac- permettent d’exploiter
cordage. La représentation d’autres diapasons et
cartographie les compo- d’autres tempéraments.
santes du son sous une La figure montre l’analyse
forme assez intuitive. L’axe par Snail du do central (noté
des fréquences, enroulé en do 3) d’un piano droit (le
spirale, va des graves (au point en cyan indique le
centre) vers l’aigu (à diapason, ici, 440 Hz). On
l’extérieur), de sorte qu’un constate qu’une note est
tour correspond à une composée de plusieurs
octave (soit le doublement vibrations simultanées. La L’analyse par Snail du do central (do 3) d’un piano droit (le point en cyan
d’une fréquence). Ainsi, composante la plus forte est indique le diapason, ici, 440 Hz).
> point clé qui permet au musicien d’interagir cordes – s’ajoute un mode hybride, où les mar-
avec le modèle physique et d’en jouer comme teaux frappent des capteurs qui envoient à un
BIBLIOGRAPHIE
un instrument virtuel. synthétiseur les caractéristiques de la frappe
Quelle forme peut prendre l’interface (instant et vitesse du choc). Ainsi, plus de pro- T. HÉLIE ET A. AGULLO,
homme-machine ? Il en existe une multitude, blèmes de voisinage, le jeu au piano peut se Le Snail-Absolute Tuning :
allant des plus simples aux plus élaborées. Les faire en silence, un casque sur les oreilles ! visualiser les sons et accorder
des instruments de manière
claviers de commande (qui ressemblent à un précise et intuitive, Presse CNRS,
clavier de piano) sont parmi les plus anciennes DES CLARINETTES HYBRIDES ? 2016. http://bit.ly/2l3IbB8
et les plus répandues, mais certainement pas Pour les instruments à anche comme la
A. CHAIGNE
les plus adaptées pour transmettre des gestes clarinette et le saxophone, le projet de ET J. KERGOMARD,
comme l’évolution d’une pression dans la recherche INVENTHEA (un partenariat CEA Acoustique des instruments
bouche ou le frottement d’un archet. List, le Laboratoire de mécanique et d’acous- de musique, 2e édition,
Pour les instruments à vent, une alterna- tique du CNRS et le fabricant Buffet Belin, 2013.
tive a été proposée avec des contrôleurs de Crampon) cherche aujourd’hui à proposer Le projet INVENTHEA, 2015.
souffle, dispositifs qui peuvent évoquer des instruments hybrides à anche. http://bit.ly/2l2o0ne
visuellement un instrument à vent mais qui Dans le même esprit que pour le piano, E. RECK MIRANDA
ne produisent pas de son. En revanche des l’idée est de pouvoir rendre facilement l’ins- ET M. WANDERLEY,
paramètres sont mesurés (par exemple la trument muet, tout en mesurant de manière New Digital Musical
pression d’air avec laquelle on souffle, le non intrusive ce que fait l’instrumentiste Instruments : Control And
Interaction Beyond the Keyboard,
doigté choisi) et envoyés au modèle physique. (souffle, doigté, pincement de l’anche) pour A-R Editions, 2006.
Ces dernières années, avec l’avènement des envoyer ces informations à un modèle phy-
smartphones et tablettes, l’écran est égale- sique qui assurera la production du son. Les
ment devenu une interface homme-machine calculs du son pourront être faits par le télé-
pour le pilotage des modèles physiques. phone dans la poche du musicien. Le son sera
Par exemple, votre doigt frottant l’écran alors, selon les envies et le contexte, amplifié
peut devenir un archet qui joue du violon vir- ou écouté au casque. Et ce n’est plus de la
tuel : la corde que vous frottez à l’écran, la science-fiction d’imaginer que, demain, un
vitesse de déplacement du doigt et son écra- saxophoniste pilotera depuis son saxophone
sement sont autant d’informations trans- un modèle physique de clarinette, de trom-
mises en temps réel au modèle physique pette, ou de violon !
© Thomas Hélie et Christophe Vergez
MATHS ET FORMES
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Un son en trois
dimensions
Essentielle aux jeux vidéo et aux home cinémas,
la spatialisation du son consiste à créer l’illusion que
des sons proviennent de diverses directions et à organiser
ainsi des scènes sonores en trois dimensions.
Un domaine en plein essor.
B
ien installé dans votre fauteuil, vous savou-
rez : les cuivres se font entendre à votre
droite, les bois suivent à gauche, avant de lais-
ser place aux ensembles de cordes droit
devant vous. Incroyable cette nouvelle philhar-
monie parisienne avec son acoustique presque
parfaite ! Pourtant, vous n’êtes pas dans ce nou-
veau lieu dédié à la musique symphonique, vous
êtes... dans votre canapé, à écouter de la musique
via votre tout nouveau système de home cinéma.
C’est en tout cas ce que vantent les publi-
cités pour les systèmes de « son 3D ». Y a-t-il
tromperie sur la marchandise ? Non, mais la
spatialisation du son proposée par les équipe-
ments audio grand public est loin d’être par-
faite. En conséquence, ce domaine de recherche
est en plein essor. Au fait, de quoi parle-t-on ?
© wacomka / shutterstock.com
Source microphonique
c
a
Filtre HRTF Filtre HRTF
b
Microphones
Amplitude l
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Fré r izo
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An
> considérablement enrichi le répertoire des La restitution binaurale. Pour une horizontal) sont de l’ordre de trois degrés pour
timbres, mais aussi la mise en scène des sons dans source donnée, on mesure d’abord les des sources voisines du plan de symétrie de la
différences de temps d’arrivée et
l’espace. La spatialisation du son est devenue un tête. Elles tombent à une dizaine de degrés pour
d’amplitudes aux deux oreilles d’un
aspect incontournable de la création musicale. auditeur (a). Ces différences, qui des sources situées sur le côté.
Grâce à l’outil informatique, il est désormais pos- permettent de localiser la source Comment fonctionne la localisation en azi-
sible de placer et d’animer des sources sonores sonore, sont caractérisées par une mut ? Les deux indices fondamentaux sont la dif-
de façon arbitraire, dans n’importe quelle direc- paire de filtres dits HRTF (b). On férence entre les temps d’arrivée aux oreilles
construit de même des filtres pour
tion, et ainsi de prolonger la scène traditionnelle toutes les directions. Pour spatialiser (ITD, pour interaural time difference), traduisant
où se trouvent les instrumentistes. un son monophonique, il suffit ensuite leur écartement, ainsi que la différence d’inten-
En parallèle, la spatialisation du son a connu d’appliquer au signal émis la paire de sité (ILD, pour interaural level difference), liée à
une percée fulgurante chez le grand public par filtres correspondant à la direction l’obstacle de la tête. Ces indices dits binauraux
souhaitée : tout se passe comme si le
le biais des dispositifs de son 3D pour le home décrivent les relations entre les signaux captés
son reconstruit venait d’une source
cinéma ou les jeux vidéo. Dans ces derniers, une virtuelle située au même endroit que par les deux oreilles. Toutefois, des considéra-
composante sonore spatialisée est essentielle la source réelle d’origine (c). tions géométriques simples révèlent qu’à un
pour accroître le réalisme et l’immersion du couple de valeurs données des indices interau-
joueur dans l’environnement de synthèse. raux de retard et d’intensité correspondent plu-
Quel que soit leur domaine d’application, sieurs directions possibles. Ainsi, pour chaque
les procédés de spatialisation font appel à plu- direction dans le plan médian, les différences
sieurs disciplines : informatique, acoustique, interaurales sont nulles. Des mécanismes plus
traitement du signal, psychoacoustique ou fins sont nécessaires pour différencier les direc-
encore cognition. La synthèse de la direction tions dans cette zone de confusion et plus géné-
et de la distance des sources sonores, de la pro- ralement permettre la localisation en élévation.
pagation du son, ainsi que sa reproduction En raison de l’interaction complexe des
s’appuient à la fois sur la modélisation phy- ondes sonores avec notre corps (diffraction par
sique des phénomènes en jeu et sur des le crâne, le pavillon de l’oreille, les épaules...),
modèles de la perception auditive spatiale. les variations de différences d’intensité
dépendent de la fréquence du son. Dans les
D’OÙ VIENT CE SON ? basses fréquences, les longueurs d’onde – plu-
Intéressons-nous d’abord à la perception spa- sieurs mètres – sont grandes par rapport aux
tiale du son, à la base de diverses techniques de dimensions de la tête. Celle-ci n’est donc pas un
spatialisation du son. Contrairement à la vue, qui obstacle majeur et la différence de niveau sonore
chez l’être humain, souffre d’un champ limité, entre l’oreille du côté de la source (ipsilatérale)
l’audition couvre l’ensemble de l’espace. Notre et l’oreille opposée (controlatérale) est faible.
capacité à localiser des sources sonores repose Plus la fréquence du son est élevée – plus sa
sur la comparaison entre les signaux parvenant à longueur d’onde diminue –, plus les caractéris-
nos deux oreilles, qui dépendent bien sûr de la tiques morphologiques contribuent à différencier
position de celles-ci, mais aussi de la diffraction les signaux parvenant aux deux oreilles. Ainsi,
des ondes acoustiques sur notre tête. Ces phéno- chaque direction d’incidence s’accompagne d’une
© Bruno Bourgeois
mènes dépendent de la direction d’incidence des « coloration spectrale » particulière du son, que
ondes et permettent de localiser la source. notre cerveau apprend à identifier. En d’autres
Les performances de localisation du système termes, la perception auditive spatiale consiste à
auditif humain en azimut (dans le plan décoder l’effet de notre propre perturbation sur
le champ d’ondes acoustiques. Les indices spec- D’autres facteurs s’ajoutent dans le cas d’en-
traux sont notamment sollicités pour discriminer vironnements réverbérants comme une salle,
les directions avant, arrière et, de façon plus géné- pour lesquels notre perception s’appuie sur le
rale, dans le plan vertical. La nature plus subtile rapport entre l’intensité directe de la source, qui
de ces indices explique les performances assez varie avec la distance, et l’intensité réverbérée,
médiocres de la localisation en élévation (angle qui est uniformément répartie dans la salle.
vertical), de l’ordre de 10 degrés de face, jusqu’à Les systèmes de restitution sonore spatiale
30 degrés vers le haut ou l’arrière. visent, de façon générale, à reproduire aux oreilles
La perception de la distance dépend de plu- d’un auditeur les valeurs appropriées de ces
sieurs facteurs. L’éloignement de la source indices de localisation selon la position souhaitée
entraîne une baisse de l’intensité sonore et une d’une source sonore virtuelle. Pour ces systèmes,
atténuation des hautes fréquences liée à l’absorp- on distingue trois familles : la stéréophonie et ses
tion par l’atmosphère. Ces indices ne sont cepen- extensions, les techniques binaurales, réservées
dant pas absolus ; ils supposent eux aussi un à la restitution sur casque, et les techniques de
traitement cognitif fondé sur une connaissance synthèse du champ acoustique. Au-delà de la fidé-
préalable de la puissance et du spectre émis par lité avec laquelle elles reproduisent les indices de
la source. Lorsque nous identifions une voix, un localisation, les mérites respectifs de ces diffé-
véhicule..., nous en comparons le niveau et le rentes techniques se mesurent en termes de
timbre par rapport à d’autres événements du nombres de canaux à gérer et de contraintes sur
même type, dans diverses situations spatiales la position et la mobilité de l’auditeur par rapport
(proche, derrière...), gardés dans notre mémoire. au dispositif de restitution.
EN HIFI ET EN STÉRÉO
Le modèle de restitution spatiale du son le
plus utilisé encore aujourd’hui reste la stéréopho-
nie. Deux haut-parleurs sont placés devant l’audi-
teur. En jouant sur le retard ou le niveau relatif
des signaux envoyés à chaque haut-parleur, on
LA DÉCOMPOSITION contrôle de façon simplifiée les indices de locali-
HARMONIQUE sation interauraux (ITD et ILD), ce qui donne
naissance à une source sonore fictive. La direc-
tion de cette « source fantôme » est limitée à la
zone encadrée par les deux haut-parleurs.
L
a spatialisation par d’ordre 1 (dipôles) L’utilisation d’un simple retard entre les deux
décomposition caractérisent chacune un
harmonique consiste à gradient de pression selon canaux aboutit à une zone de restitution très limi-
représenter l’organisation une des trois directions de tée. La plage de variation du retard pour laquelle
spatiale du champ l’espace. Les cinq les signaux fusionnent pour créer une image fan-
acoustique d’un point de vue harmoniques d’ordre 2, puis tôme est en effet très restreinte. Dès que le retard
angulaire (sans notion de celles des ordres supérieurs,
distance) sous forme d’une représentent des modes de dépasse une milliseconde (soit un décalage de
superposition de fonctions vibration plus complexes ; 30 centimètres environ), le signal en retard est
périodiques de l’espace, les elles permettent de préciser inhibé : il n’intervient plus dans le traitement per-
harmoniques sphériques, de façon progressive la ceptif de la localisation (effet Hass). En consé-
chacune associée à un canal dépendance angulaire du quence, un auditeur décalé, même légèrement,
audio. champ acoustique. La
L’harmonique d’ordre 0 description exacte de de l’axe médian des deux haut-parleurs aura l’illu-
(monopôle) correspond à celle-ci requiert en théorie sion que l’ensemble de la scène stéréophonique
une variation de pression un nombre infini se déporte de façon abrupte vers le haut-parleur
homogène dans toutes les d’harmoniques, et donc le plus proche. L’utilisation conjointe d’une dif-
directions. Les harmoniques de canaux.
férence de gain contribue à limiter cet effet, sans
HARMONIQUES SPHÉRIQUES toutefois le compenser totalement.
Par extension, il est possible de reproduire un
Ordre 0 (monopôle)
son spatialisé sur des ensembles de haut-parleurs,
plans ou tridimensionnels, disposés autour de
Ordre 1 (dipôles) l’auditeur. L’exemple le plus courant est la confi-
guration « 5.1 » (cinq haut-parleurs répartis dans
le plan horizontal) des formats sonores cinéma-
Ordre 2 tographiques, également utilisés dans les jeux
vidéo. Les installations sonores plus ambitieuses
nécessitent la mise en place de dômes constitués
de quelques dizaines de haut-parleurs. Pour syn-
thétiser la direction d’une source sonore, on
Ordre 3 sélectionne la paire ou le triplet de haut-parleurs
entourant la direction désirée et l’on règle les >
> gains et éventuellement les retards relatifs en préalable d’une banque de sons enregistrés, par-
fonction de la direction souhaitée. fois note par note, sur de vrais instruments, puis
Ces systèmes partagent toutefois les mêmes la restitution simple ou faiblement modulée de
limitations : l’illusion d’une source fantôme ces sons lors du jeu sur l’instrument virtuel.
n’est valide qu’en un point particulier de l’es-
pace (au centre du dispositif) et, à l’instar des CASQUE OBLIGATOIRE
trompe-l’œil, l’auditeur ne peut s’écarter de Dans le cas de la synthèse binaurale, la pre-
cette position sous peine de déformations, voire mière étape ne consiste pas à enregistrer des
de dissipation totale de l’illusion spatiale. sons spatialisés, mais à mesurer la transforma-
La technique binaurale, pour sa part, court- tion – ou filtrage – subie par une onde sonore
circuite toute connaissance et modélisation au cours de sa propagation, de sa source
physique ou perceptive des phénomènes en jeu jusqu’aux tympans d’un auditeur. Pour cela, on
et se contente de reproduire la réalité : son prin- insère des microphones dans les conduits audi-
cipe est de reconstruire directement l’ensemble tifs et on enregistre la réponse à un signal (en
des indices de localisation à partir de mesures pratique, une impulsion) émis depuis une
acoustiques effectuées sur une tête humaine. direction donnée. Ces mesures doivent se
Longtemps confinée au laboratoire, elle a dérouler en chambre anéchoïque (sans écho)
aujourd’hui atteint un degré de maturité qui pour éviter les perturbations entraînées par la
rend possible son utilisation dans des contextes réflexion des parois. La réponse à cette impul-
grand public, tels le jeu ou les télécommunica- sion élémentaire suffit à caractériser une fois
tions. La technique binaurale repose sur une pour toutes le couple de filtres (correspondant
procédure d’analyse et de synthèse du son perçu aux oreilles droite et gauche) associé à la direc-
dans plusieurs directions. On peut l’assimiler tion d’incidence de l’onde sonore.
aux techniques d’échantillonnage très utilisées Ces filtres, connus sous le nom de « fonc-
dans le domaine de la synthèse sonore, où la tions de transfert de la tête » ou HRTF (pour
simulation d’un instrument (piano, trompette, head related transfer functions), portent la trace
orgue…) repose sur deux étapes : la constitution de l’ensemble des phénomènes acoustiques
a b c d
Source
virtuelle
Front d’ondes résultant
Ondes secondaires
secondaires
Source
Sources
primaire Source
virtuelle
survenus durant la propagation du son. auditive spatiale, mais également sur le terrain
L’opération est répétée pour un grand nombre du jeu ou des installations sonores interactives.
de directions, de façon à baliser toute la sphère Enfin, des approches plus récentes de la
auditive et constituer une base de données de reproduction sonore s’attachent à modéliser et
filtres directionnels. à reconstruire de façon précise les propriétés
Par la suite, lors de la synthèse spatiale, il physiques du champ acoustique dans une zone
suffit d’appliquer à tout signal monophonique, plus ou moins large autour des auditeurs, en
par exemple une voix captée par un microphone, s’appuyant sur la résolution de l’équation
le couple de filtres correspondant à la direction d’onde. Parmi ces méthodes, on distingue les
de la source virtuelle souhaitée. Les deux techniques holophoniques comme la wave field
signaux obtenus, diffusés dans un casque, resti- synthesis (WFS) et les approches par « décom-
tuent de façon exhaustive les indices acous- position harmonique », comme les formats
tiques responsables de la localisation auditive Ambisonics. Développée dans les années 1980
spatiale, et ce pour n’importe quelle direction à l’université de Delft, aux Pays-Bas, la WFS sus-
présente dans la base de données. cite aujourd’hui un large intérêt, car le grand
Cette technique est réservée à la restitution nombre de canaux (jusqu’à plusieurs centaines)
sur un casque, faute de quoi, lors de la diffusion, que nécessite cette technique de synthèse spa-
le filtrage propre au trajet entre les enceintes et tiale n’est plus un obstacle technique.
les oreilles de l’auditeur se superpose au filtre
choisi et perturbe l’illusion sonore. En adaptant JOUER AVEC LES FRONTS D’ONDE
« en temps réel » le couple de filtres appliqué en Le signal sonore d’une source primaire que
fonction de la direction de la source ou des mou- l’on désire spatialiser est diffusé sur un réseau de
vements de l’auditeur, on obtient sans peine haut-parleurs très proches les uns des autres.
une source fictive en mouvement. Sous certaines conditions, la juxtaposition
La synthèse binaurale partage les des fronts d’onde émis par chacune de ces
mêmes limites que l’échantillonnage : sources secondaires est alors équiva-
ne reposant sur aucune modélisa- L’holophonie lente au front d’onde d’une unique
tion, elle se prête mal aux manipu- onde acoustique, provenant d’une
lations. Elle nécessite par exemple
ou synthèse du champ source primaire virtuelle. Un contrôle
la constitution d’une lourde banque
de filtres. En effet, bien qu’il soit
acoustique s’appuie sur adéquat du retard temporel et de
l’intensité du signal envoyé sur
possible de reconstruire une direc-
tion manquante par interpolation
le formalisme ondulatoire chaque haut-parleur permet d’obtenir
la création d’un front d’onde commun
entre deux directions voisines, de Huygens qui a pour origine n’importe quelle
celles-ci ne doivent pas être éloignées position souhaitée (voir l’encadré page
de plus de 15 degrés sous peine de voir ci-contre). Ce traitement doit être répété
apparaître des effets indésirables. La de façon indépendante pour chaque source
reproduction de sources en mouvement composant la scène sonore.
nécessite même des mesures tous les cinq En toute rigueur, la reproduction exacte du
degrés environ, ce qui conduit à des bases de champ acoustique requiert une infinité de sources
données de l’ordre de 200 à 600 couples de secondaires. En pratique, on se limite à créer des
filtres pour couvrir l’ensemble des directions. sources virtuelles dans le plan horizontal des
En outre, les filtres HRTF dépendent par auditeurs. Les sources secondaires sont alors
nature de la morphologie de l’auditeur. Ainsi, elles-mêmes placées dans ce plan, et moyennant
l’utilisation de filtres « génériques », mesurés quelques termes correctifs, il suffit d’installer des
sur une tête artificielle, entraîne en général des haut-parleurs le long d’une couronne autour des
erreurs de localisation, en particulier des auditeurs, ou d’une rangée devant eux.
confusions avant-arrière. De même, la distribution en théorie continue
Cependant, le couplage d’un dispositif de de sources secondaires est remplacée par un
synthèse binaurale avec un capteur d’orienta- nombre fini de haut-parleurs régulièrement espa-
tion de la tête permet d’asservir de façon conti- cés. Cette discrétisation se traduit par une dégra-
nue la scène sonore diffusée aux mouvements dation de la qualité de restitution spatiale dans les
de l’auditeur. Cette rétroaction est détermi- hautes fréquences. En pratique, pour assurer que
nante pour l’auditeur, puisqu’elle lui permet de l’indice interaural de retard soit reproduit de façon
rétablir la corrélation entre ses propres mou- fiable dans la gamme de fréquences où il est pri-
vements et les variations des indices acous- mordial et sur l’ensemble de la région d’écoute, la
tiques transmis et réduit de façon considérable fréquence limite est fixée au-dessus d’un kilo-
les confusions avant-arrière. hertz, ce qui conduit à un écartement maximal des
La technologie binaurale reste à ce jour le haut-parleurs de l’ordre de 15 centimètres.
mode de restitution spatiale le plus rigoureux, et Si la stéréophonie s’appuie sur un modèle
son utilisation se justifie non seulement dans le centré sur l’auditeur, la WFS adopte au contraire
cadre d’études sur la perception et la cognition un point de vue exocentrique : le champ sonore >
> est décrit et reproduit quel que soit le placement composant une scène virtuelle. Ils doivent aussi
des auditeurs. La technique est donc particuliè- rendre compte de l’interaction des ondes avec
rement adaptée aux situations où les auditeurs l’environnement, dont la réflexion et la diffrac-
sont multiples et en mouvement, comme les tion sur les obstacles et les parois. Reproduire ces
concerts, les installations sonores, les exposi- effets est primordial pour que l’auditeur puisse
tions... Cette technique a d’ailleurs été utilisée estimer correctement la distance de la source et
pour les expositions Dada, en janvier 2006, et construire une représentation auditive cohérente
Beckett, en 2007, au Centre Pompidou, à Paris. du lieu virtuel où il évolue.
Parmi les différentes approches, on retrouve
LA DÉCOMPOSITION DU SON la distinction entre la synthèse par échantillon-
L’autre approche pour reconstruire le nage, par modèle physique ou par analyse et
champ acoustique est la décomposition en har- synthèse des propriétés acoustiques de la salle
moniques (la famille des formats Ambisonics). virtuelle. Toutes aboutissent cependant à un
Introduite dans les années 1970 par Michael filtre, par lequel le son brut émis par la source
Gerzon, alors à l’université d’Oxford, elle fait doit être transformé pour reproduire les effets
depuis une vingtaine d’années l’objet de nom- de l’environnement. Une première possibilité
breuses recherches. Elle repose également sur est d’acquérir des réponses acoustiques d’envi-
un formalisme physique, mais adopte un point ronnements réels. C’est l’extension de la tech-
de vue centré sur l’auditeur. nique binaurale, à ceci près que l’enregistrement
Par analogie avec l’analyse de Fourier, qui est réalisé non plus dans une chambre Grâce au théâtrophone, Marcel
consiste à représenter un signal sous la forme anéchoïque, mais dans la salle que l’on veut Proust écoutait en stéréo des pièces
d’une superposition de fonctions sinusoïdales, simuler. Le filtre obtenu consigne l’ensemble de théâtre sans sortir de chez lui.
le champ acoustique entourant l’auditeur est
représenté par une superposition de fonctions
périodiques de l’espace (des harmoniques sphé-
riques ou cylindriques), chacune associée à un
canal audio (voir l’encadré page 75). Pour repré-
senter un signal ayant une forte variabilité tem-
porelle, on utilise des composantes sinusoïdales
de fréquences élevées ; de même, plus on désire
décrire de façon précise l’organisation spatiale
d’une scène sonore, plus il faut tenir compte des
harmoniques spatiales d’ordre élevé et donc uti-
liser un nombre important de canaux. Pour
encoder l’intégralité de l’information spatiale, il
faudrait en théorie une infinité de canaux.
Le principal intérêt du format Ambisonics
est que l’encodage est indépendant du dispositif
de restitution et hiérarchique. Le signal envoyé
à chaque haut-parleur est une combinaison
linéaire des canaux correspondant à chaque
harmonique, dont les coefficients ne dépendent
que du nombre et de la position des enceintes
autour des auditeurs. Pour reproduire une
scène sonore avec une précision spatiale – un
ordre d’harmonique – donnée, il suffit de dis-
poser d’un nombre de haut-parleurs supérieur
ou égal aux nombres de canaux. Si l’on ne dis-
pose pas d’assez de haut-parleurs, la scène peut
être néanmoins décodée sans déformation,
mais avec une précision spatiale inférieure.
Cette technique est bien adaptée aux appli-
cations de réalité virtuelle. On peut en effet
enregistrer une scène sonore complexe com-
portant de nombreuses sources en encodant
son organisation tridimensionnelle, puis l’im-
porter dans un environnement virtuel. La faci-
lité de manipulation permet de réorienter la
scène en 3D pour compenser le mouvement de
la tête de l’utilisateur.
Les systèmes de spatialisation ne peuvent se
contenter de simuler la direction des sources
L
risqués à construire de vrais gaffophones,
mais aucun n’a intégré d’orchestre sympho-
nique, les harpistes préférant sans doute des
instruments dont la qualité a fait ses preuves,
notamment ceux de facteurs renommés.
e 9 mars 1967, un étrange instrument de buts sont objectifs, d’autres reposent sur la per-
« musique » est inventé… par Gaston ception subjective de l’instrument par l’auditeur.
Lagaffe dans le journal Spirou. Ce gaffo- Pourtant, les implications économiques font de
phone tient plus de l’engin de démolition par la qualité un enjeu majeur, car elle justifie sou-
les nombreux dégâts que ses vibrations ont vent des différences de prix notables.
entraînés que de la harpe dont il est pourtant Les instruments de musique résultent d’un
une sorte d’avatar. Quelques amateurs se sont processus d’optimisation, par approximations >
Console
Colonne
Intensité croissante
Évent
Table
d'harmonie
Caisse
de résonance
c
a b
> successives, sur lequel les contraintes écono- mouvement l’air, et ainsi de créer un son La production d’un son avec une
miques pèsent en permanence. Par exemple, audible. Elle est donc associée à un système harpe se déroule selon plusieurs
aujourd’hui, les accords internationaux de pro- vibrant plan, une plaque nommée table d’har- étapes : le doigt excite la corde (a,
en rouge) qui communique son
tection de la faune et de la flore limitent entre monie (voir la figure ci-dessus). Cet élément mouvement à la table d’harmonie (b,
autres les prélèvements de pernambouc (un a un rôle essentiel, celui du rayonnement en noir) et crée un rayonnement
bois brésilien) pour les archets ou de palis- acoustique, mécanisme par lequel la struc- sonore, visible sur la carte d’intensité
sandre pour les guitares et les percussions. Pour ture vibrante (principalement la table) acoustique (c).
contourner ces obstacles, les constructeurs ont transmet son mouvement à l’air environnant,
besoin de matériaux alternatifs et d’innovations mouvement ensuite propagé de proche en
qui ne peuvent venir que d’outils scientifiques. proche jusqu’à nos oreilles.
Ils sont aussi nécessaires pour améliorer la com- Cependant, pour une plaque seule, les
pétitivité des entreprises artisanales. Cela place rayonnements des deux faces créent des
l’étude de la physique des instruments de contributions presque opposées qui ont ten-
musique au cœur d’un processus conduisant à dance à s’annuler. L’introduction d’une cavité
une facture performante. diminue ce phénomène de court-circuit acous-
tique en réduisant le rayonnement de la face
UN MODÈLE À CORDES arrière de la plaque. Enfin, l’aménagement de
Les instruments à cordes sont classés trous dans cette cavité, des ouïes ou des
selon la façon dont le son est produit : on dis- évents, produit une résonance des basses fré-
tingue ainsi les instruments pour lesquels des quences qui augmente l’importance du champ
sollicitations sont entretenues (la corde frot- rayonné dans ce registre de fréquences. La
tée du violon) et ceux à cordes libres qui plupart des instruments à cordes sont
peuvent être frappées (le piano) ou pincées construits sur ce modèle, dont nombre de
(la harpe ou la guitare). Dans ce dernier cas, paramètres sont ajustables par le luthier. Le
les oscillations résultent d’une perturbation choix de l’artisan est un équilibre entre son
de l’état initial et constituent un phénomène intuition et des règles issues de l’analyse du
quasi périodique, s’amortissant avec le temps. fonctionnement acoustique des instruments.
Rappelons que les vibrations d’une corde sont Examinons maintenant une harpe.
la superposition de contributions élémen- Connue depuis l’Antiquité sous sa forme
taires, nommées modes, dont les fréquences actuelle (elle est représentée sur un sceau
sont des multiples entiers d’une fréquence dite sumérien), elle a néanmoins beaucoup évolué
fondamentale. Chaque mode de vibration est et donné lieu à de multiples modèles sur les
doté de caractéristiques, tels sa fréquence différents continents selon la forme, la taille
© F. Gautier et J.-L. Le Carrou
y
x
x
z
x
y
z
a b
L’analyse modale d’une harpe recouverte d’un plaquage dont la composition polarisations pour les cordes, correspondant à
consiste à déterminer ses modes de exacte est à la discrétion du luthier. deux mouvements vibratoires, l’un dans le plan
vibration, c’est-à-dire les fréquences Cette plaque, trapézoïdale, est renforcée par des cordes de la harpe et l’autre dans un plan
et les champs vibratoires associés. On
identifie ainsi le champ vibratoire de plusieurs raidisseurs et par une barre centrale perpendiculaire passant par la corde jouée.
l’instrument soit expérimentalement, métallique. L’arrière de la table est raccordé à Ces différents couplages donnent lieu à des
comme ici pour le premier mode une caisse de résonance tronconique, tandis phénomènes de battements et de décroissances
d’air, nommé mode de Helmholtz et qu’une colonne soutient la console à l’avant. La multiples. De quoi s’agit-il ? Les battements sont
noté A0 (a), soit numériquement pour
les premiers modes de la table
difficulté d’accorder l’instrument est connue, des fluctuations lentes de l’amplitude du son dues
d’harmonie (b). tant les tensions des cordes rendent l’équilibre à des interférences destructives et constructives
mécanique précaire. Un jeu de sept pédales entre des composantes spectrales de fréquences
reliées à un système de tiges articulant près de proches. Le phénomène de décroissance multiple
1 500 pièces mécaniques différentes permet de apparaît quand plusieurs composantes du son
modifier la longueur vibrante de chaque corde, sont amorties différemment : certaines sont
et donc sa fréquence fondamentale. dominantes au début du son, mais s’éteignent
plus rapidement que d’autres, qui perdurent et
COUPLAGES SYMPATHIQUES sont dominantes à la fin du son (le son est alors
Autre particularité de l’instrument, les nom- dit rémanent). Voyons maintenant le mouve-
breuses cordes créent des résonances par sym- ment vibratoire de la table d’harmonie, élément
pathie : la vibration d’une corde donnée entraîne, essentiel du rayonnement acoustique. L’analyse
essentiellement par couplage solide, c’est-à-dire de la harpe a montré que, pour les premiers
via les points d’insertion des cordes et l’en- modes, ceux dont les fréquences propres sont les
semble de l’instrument, la vibration de ses voi- plus basses, le volume occupé par la caisse de
sines selon des amplitudes variables. En effet, le résonance reste constant au cours de la vibration.
couplage entre des cordes est d’autant plus Ces modes, sans grande importance acoustique,
grand qu’il existe des relations simples entre les correspondent à des mouvements vibratoires de
fréquences mises en jeu : une corde excite faci- la caisse autour de ses points de fixation.
lement les cordes situées à l’octave (le rapport
des fréquences de vibrations est égal à 2) ou à LES MODES DE L’INSTRUMENT
la quinte de l’octave supérieure (le rapport est En revanche, les modes de fréquences plus
de 3). Ces couplages sympathiques engendrent élevées entraînent un mouvement de flexion
un phénomène de halo sonore, qui est une signa- important de la table d’harmonie et modifient
ture acoustique de l’instrument. Trop impor- le volume interne de la cavité ; ils engendrent
tant, ce halo est gênant et peut rendre un rayonnement acoustique notable. C’est le
l’instrument injouable. Le luthier doit donc le cas de deux modes nommés T1 (le premier
maintenir dans une limite raisonnable. mode de la table, ou mode de table) et A0 (le
Du fait de ces couplages sympathiques, premier mode de l’air, aussi nommé mode d’air
parmi d’autres, les sons produits ont un grand ou mode de Helmholtz). Les modes de table
nombre de composantes spectrales, dont les mettent en jeu principalement des vibrations
fréquences sont parfois proches. Un autre type de la table d’harmonie, tandis que les modes
de couplage est dû à l’existence de deux d’air correspondent à des mouvements >
P
our émettre un son, le exercer une tension maximale, puis
du mode T1 est décalée vers les graves. musicien pince la corde de laisse glisser la corde sur sa
Le mode A0 amplifie les basses fréquences, l’instrument. Cette opération, première phalange. Cette façon
car il donne lieu à une résonance qui relève les extrêmement répétable et d’attaquer la corde est
niveaux acoustiques autour de sa fréquence. caractéristique de chaque caractéristique du son de chaque
Cet effet, nommé bass-reflex, est utilisé dans instrumentiste, est l’objet de harpiste, ce qui rend possible
recherche au sein de l’équipe l’identification de l’instrumentiste
certaines enceintes acoustiques. Son rôle est Lutheries-Acoustique-Musique de dès les premières notes jouées.
important dans le cas de la guitare classique, où l’institut Jean-Le-Rond-d’Alembert Pour approfondir notre
les modes A0 et T1 ont des fréquences voisines de Sorbonne Université. Dans cette connaissance sur ce pincement et
respectivement de 100 et 200 hertz. Petite, la première étape, l’interaction du en caractériser les paramètres
doigt et de la corde joue un rôle physiques discriminants, nous
table d’harmonie de la guitare rayonne mal, essentiel, car l’instrumentiste avons mis au point un modèle de
c’est-à-dire de façon inefficace, les fréquences contrôle de nombreux paramètres cette interaction tenant compte du
inférieures à environ 100 hertz, à cause du phé- rendant l’excitation dépendante de comportement viscoélastique du
nomène de court-circuit acoustique. Aussi, sa morphologie. Pour la harpe de doigt, du frottement (similaire à
accorder A0 à cette fréquence renforce le rayon- concert, le pincement de la corde celui d’un archet sur une corde de
s’effectue par la pulpe du doigt et violon) ainsi que des paramètres de
nement de la guitare dans une plage de fré- peut se décomposer en deux contrôle de l’instrumentiste. Le
quences où la table seule fonctionne mal. étapes avant le lâcher. D’abord, le geste instrumental étant bref, nous
Si la résonance du mode A0 est une carac- musicien tire la corde jusqu’à avons obtenu les paramètres d’un
téristique acoustique importante pour une gui-
tare, qu’en est-il pour une harpe ? Des
expériences lors desquelles on a bouché tous
les évents et ajouté des masses sur la table
d’harmonie d’une harpe ont permis d’identifier
A0 et T1 à des fréquences d’environ 170 et fort : la vibration et donc le son produit sont
150 hertz. Comment cela se traduit-il ? L’effet de grandes amplitudes, mais plutôt brefs. À
bass-reflex est moins marqué que dans le cas l’inverse, quand le seau est vidé lentement, le
de la guitare, car les phénomènes d’amortisse- couplage est faible : le son créé est modéré,
ment sont plus importants et la présence mais dure longtemps.
d’autres modes que A0 et T1 rend la réaction de Dans une harpe, ce degré de couplage est
la table plus complexe et masque l’effet. Et sur- mesuré par l’admittance. Il s’agit du rapport,
tout, la fréquence de A0 est trop élevée ! Dans dans le domaine des fréquences, entre la vitesse
la harpe, le rôle attendu de l’effet bass-reflex vibratoire en un point (celle de son déplace-
serait de compléter le rayonnement en basses ment périodique selon un axe perpendiculaire
fréquences de la table, là où le court-circuit au plan de la table) et la force appliquée pour
acoustique est important. Pour cela, la fré- entraîner cette vitesse. Ce paramètre dépend
quence de A0 devrait être faible, et au moins de la fréquence de la corde et de sa position sur
inférieure à celle de T1. Cette condition n’est l’axe où sont fixées les cordes : on peut donc
pas remplie : la harpe n’utilise donc pas l’effet représenter l’admittance sous forme d’un plan
amplificateur que l’on pourrait attendre de A0. position/fréquence où les cordes sont notées
De fait, dans une harpe, les évents sont par des points. Pour ces derniers, l’abscisse est
d’abord conçus pour faciliter… un accès aux la position du point d’attache et l’ordonnée, la
cordes ! En outre, le voisinage des évents est fréquence fondamentale de la corde. L’ensemble
modifié par la présence du corps de l’instrumen- de ces points constitue une trajectoire (voir la
tiste. Dans une harpe, l’effet bass-reflex n’est figure page ci-contre).
donc pas encore optimisé, ou plutôt le proces-
sus, opéré par l’histoire de la musique, est ici LA CARTE D’ADMITTANCE
inachevé. Cela peut s’expliquer par le nombre Quelles informations en tire le luthier ?
de harpes fabriquées, qui est bien moins impor- Les variations de l’admittance le long de cette
tant que le nombre de guitares, pour lesquelles trajectoire constituent un indicateur de l’ho-
le processus d’optimisation est plus abouti. La mogénéité de l’instrument. Lorsque le long de
harpe est donc un instrument en évolution. la trajectoire l’admittance varie trop ou de
Comment les cordes et la table sont-elles façon chaotique, les conditions de couplage
couplées ? Une image peut aider à répondre. entre les cordes et la table sont alors très fluc-
L’énergie qu’une corde transmet à la table est tuantes d’une corde à l’autre : certaines cordes
comparable à l’eau d’un seau que l’on vide dans sonnent trop, et d’autres trop peu. L’artisan
une mare. Quand le seau est vidé rapidement, en déduit alors les différences d’amplitude et
la mare est agitée, ce qui traduit un couplage de décroissance entre les cordes. Grâce à ces
© J.-L. Le Carrou
des harpistes, nous avons analysé instrumentale et l’ergonomie de
les mouvements de leurs membres l’instrument pour limiter, par
et de leur corps par Motion exemple, l’apparition de certaines
Capture. Nous avons notamment pathologies.
renseignements, il peut diagnostiquer les colonne. C’est pourquoi, parmi les « ventres »
notes donnant lieu à un son de forte ampli- des différents modes de flexion de la table (les
tude, mais s’atténuant rapidement (couplage régions pour lesquelles le champ vibratoire de
fort) ou un son d’amplitude plus faible, mais ce mode est maximal), celui qui est dans la par-
durant plus longtemps (couplage faible). tie supérieure de l’instrument (la plus souple)
Cette caractéristique, importante pour le a une amplitude supérieure à celle de ses voi-
musicien, est ainsi mesurée objectivement par sins. Ce ventre, plus marqué que les autres, est
des paramètres physiques pertinents. d’autant plus haut sur l’instrument que l’ordre
Le luthier influe sur la carte d’admittance, de ce mode est élevé.
La carte d’admittance d’une table sans le savoir, en modifiant la géométrie de la
d’harmonie de harpe décrit le degré table et par le choix des matériaux. La trajec- DE L’UTILITÉ DES MONOPOLES
de couplage entre cordes et table
(plus il est fort, plus la zone est noire), toire est quant à elle fixée par les fréquences de La carte d’admittance met en évidence ce
qui dépend de la fréquence et de la jeu et les positions des points d’accrochage. résultat : quand la fréquence augmente, le
position sur l’axe de l’instrument. Le physicien Chris Waltham, de l’université nombre de ventres visibles augmente (un ventre
Chaque corde est représentée par un de Vancouver, au Canada, a développé une pour une fréquence de 200 hertz et six à
point, dont l’abscisse est la fréquence
fondamentale de la corde et
interprétation physique de cette carte d’admit- 850 hertz), les régions pour lesquelles l’admit-
l’ordonnée la position de son point tance. La table d’harmonie est moins épaisse tance est la plus élevée (les régions noires de la
de fixation. près de la console qu’à proximité du pied de la carte ci-contre) correspondant aux ventres de
grande amplitude. Du point de vue acoustique,
ce phénomène a une conséquence importante
en termes de directivité : plus la fréquence aug-
1 000 mente plus le rayonnement acoustique de l’ins-
trument présentera une certaine complexité
Distance (en millimètres)
> Mais que se passe-t-il à plus hautes fré- Le prix à payer pour faire « chanter les équa- Selon les fréquences, les vibrations
quences, lorsque les modes ne sont plus dis- tions » est le temps de calcul. d’une harpe (en rouge, vue de profil en
cernables ? À partir de la carte d’admittance, il Les caractéristiques vibratoires et acous- haut et, en vert, vue de dessus en bas)
se diffusent différemment dans l’air.
est possible d’exprimer un niveau moyen de tiques d’un instrument sont utiles pour l’analyse
couplage qui nous a permis d’identifier des de son fonctionnement. Ces caractéristiques sont
stratégies différentes de fabrication des fac- accessibles via nombre d’outils, mais il s’agit le
teurs de harpes. Certains privilégient une faible plus souvent d’instruments de laboratoire diffi-
mobilité de la table d’harmonie et de la caisse ciles à mettre en œuvre chez les artisans luthiers.
tandis que d’autres font l’inverse. Ces choix ont Aujourd’hui, des outils métrologiques dédiés,
une conséquence sur l’acoustique des instru- à coût réduit, portables et robustes, associés à
ments, entraînant, in fine, des spécificités des interfaces en ligne permettant le calcul de
sonores propres à chaque fabricant. Nous paramètres acoustiques sont conçus pour
avons aussi pu montrer qu’en suivant la pro- répondre aux besoins de la profession. Cette
duction de deux grandes familles de facteurs démarche, nommée Pafi (Plateforme d’aide à la
du xviiie et xixe siècle (la famille Cousineau et facture instrumentale) est développée au
la famille Erard), leurs stratégies de fabrication Laboratoire d’acoustique de l’université du Les auteurs remercient Vincent
ont évolué au cours des années allant vers une Maine (Laum) depuis plusieurs années, en par- Doutant et Jakez François qui
sont à l’origine de ces travaux
diminution de la mobilité de la table et de la ticulier grâce à des projets d’élèves de l’École sur la harpe de concert.
caisse liée très probablement à l’augmentation nationale d’ingénieurs de l’université du Maine
du nombre et à la tension des cordes. (Ensim) en lien avec le pôle d’innovation de
L’ingénierie mécanique a notablement évo- l’Institut technologique européen des métiers de
lué depuis cinquante ans grâce aux modèles la musique (Itemm) et les activités de l’Union
numériques qui mettent en évidence les effets nationale de la facture instrumentale (Unfi).
de modifications structurelles et évitent la Pour le luthier, plusieurs applications sont visées.
construction de prototypes longs et coûteux à D’abord, l’établissement d’une sorte de carte
réaliser. La lutherie est en passe aujourd’hui d’identité technique, qui facilite la traçabilité des
d’utiliser ces outils pour guider ses évolutions. interventions tout au long de la vie de l’instru- BIBLIOGRAPHIE
ment. En cas de restauration ou de réparation, les J.-L. LE CARROU ET AL., 18th and
FAIRE « CHANTER comportements d’origine peuvent ainsi être 19th French harp classification
LES ÉQUATIONS » retrouvés et l’on mesure la qualité d’une interven- using vibration analysis, Journal
Les artisans disposeront ainsi de prototypes tion, par exemple le revernissage. Ensuite, l’arti- of Cultural Heritage, Wooden
Musical Instruments Special Issue,
virtuels dont la conception est assistée par ordi- san s’assure de la reproductibilité d’un procédé vol. 27S, pp. S112-S119, 2017.
nateur. Toutefois, la connaissance des caracté- de fabrication en archivant des fréquences
D. CHADEFAUX, Interaction
ristiques mécaniques d’un instrument, qui sont modales à différents stades. Les outils métrolo-
musicien/instrument : cas de la
les données qu’utilise ce type de modèle, n’est giques aident également au choix du matériau. harpe de concert, Thèse de
pas toujours aisée. En effet, les paramètres Enfin, on peut confectionner des copies d’un ins- l’université Pierre-et-Marie-
mécaniques du bois varient souvent selon les trument de référence, non pas uniquement en Curie, 2012.
échantillons et dépendent en outre des condi- copiant sa géométrie, ses matériaux et son aspect, J.-L. LE CARROU ET AL., Some
tions hygrométriques et thermiques. Les carac- mais en reproduisant ses modes de vibration. characteristics of the concert
téristiques des liaisons mécaniques, tels les Comparer deux instruments peut alors s’ef- harp’s acoustic radiation.
collages, ainsi que les précontraintes introduites fectuer au moyen d’une écoute des sons de syn- Journal of the Acoustical Society
of America, vol. 127(5), pp. 3203-
dans l’instrument lors de la fabrication sont éga- thèse dite hybride utilisant, d’une part, les modes 3211, 2010.
lement difficiles à quantifier. Néanmoins, les mesurés d’un instrument et, d’autre part, un
C. WALTHAM ET AL.,
© J.-L. Le Carrou
informations fournies par ces modèles sont geste et des cordes connues numériquement.
Vibrational characteristics of
riches et révèlent des quantités physiques diffi- Si Gaston Lagaffe avait eu vent de ces harp soundboards, Journal of the
cilement mesurables, comme les transferts ou outils, son gaffophone n’aurait sans doute pas Acoustical Society of America,
les couplages entre certaines parties du système. entraîné autant de dommages ! n vol. 124 (3), pp. 1774-1780, 2008.
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LA MUSICOTHÉRAPIE
François-Xavier Vrait
«
BIO EXPRESS
Président fondateur
de la Fédération
française
de musicothérapie.
Que la musique ait des effets sur l’être Directeur de la fermeture. Dans un autre domaine,
humain, nous en avons tous fait l’expé- de l’institut la musique permet de supporter des situa-
rience, que nous soyons amateur de de musicothérapie, tions potentiellement anxiogènes, comme
musique, mélomane averti, chanteur à la faculté dans les ascenseurs ou les salles d’attente.
de médecine
occasionnel ou instrumentiste confirmé. de Nantes.
Le champ est vaste des utilisations pos-
Ce pouvoir de la musique est bien sibles de ces “techniques psychomusi-
connu et utilisé depuis longtemps. Les cales”, et de nombreux travaux étudient
chants de travail avaient pour fonction de le pouvoir des sons musicaux, non seule-
régler le rythme d’une tâche collective en ment chez l’humain mais aussi en multi-
assurant la cohésion du groupe des tra- pliant les expérimentations auprès des
vailleurs, tout en leur donnant “du cœur animaux et des plantes.
à l’ouvrage”. C’est au son des tambours et Il ne nous viendrait pas à l’idée de par-
des marches militaires que des troupes ler de “musicothérapie” pour définir cet
entières sont parties gaillardement à la usage fonctionnel de la musique. En
guerre. Plus récemment et dans un but revanche, la question se pose de façon
commercial, les publicitaires ont bien plus subtile lorsque nous évoquons les
compris comment un fond musical appro- bienfaits de la musique et ses effets posi-
prié module le déplacement des clients et tifs sur notre comportement ou notre
les amène à flâner tranquillement dans les ressenti. “La musique me fait du bien.”
rayons des hypermarchés, ou à accélérer “Lorsque je chante je retrouve mon éner-
la cadence quelques minutes avant l’heure gie, ma joie de vivre.” “Écouter un CD me
[…]
D’une part, il émet le postulat selon sion de trois extraits musicaux.
lequel la musique détient en elle-même Le premier extrait tente de refléter
Dans les années un pouvoir et produit des effets que le l’état psychologique du patient avant ou
1960‑1970, un premier centre français de thérapeute doit connaître : ce sont des au début de la séance. Cette musique
musicothérapie fut créé, à Paris, sous le effets sur le corps (effets psychophysio- cherche à entrer en résonance avec les
nom d’Association de recherches et d’ap- logiques) et sur le psychisme (effets psy- aspects pathologiques et à les exprimer,
plications des techniques psychomusi- choaffectifs). Un traitement statistique afin que la personne puisse s’y recon-
cales (ARATP). L’équipe est rassemblée de la réaction des sujets à l’écoute de telle naître. Le deuxième extrait vient en
autour de Jacques Jost, un technicien du ou telle musique peut répondre aisément quelque sorte neutraliser ces ressentis
son à l’ORTF qui va engager, à partir de à ce premier présupposé, et l’équipe de morbides et préparer la troisième audi-
1954, des expérimentations sur les effets l’ARATP organise des rendez-vous régu- tion, que Jost décrit comme une œuvre
thérapeutiques de l’audition musicale, en liers au siège de l’association, ouverts à thérapeutique : “La troisième œuvre doit
collaboration notamment avec une cli- toute personne volontaire qui devra réaliser l’action recherchée.”
nique psychiatrique en région parisienne. répondre à un questionnaire après avoir
[…]
Dans ce contexte d’hospitalisation privée, entendu des extraits musicaux. Un fichier
Jacques Jost se voit confier des patients est ainsi progressivement constitué, col-
souffrant majoritairement de troubles lectant méthodiquement un répertoire Un exemple actuel de musico-
anxieux, d’hyperémotivité, mais surtout d’œuvres à utiliser, et notifiant précisé- thérapie fonctionnelle. Une entreprise
de pathologies de l’humeur, principale- ment ce que le musicothérapeute peut française commercialise depuis plu-
ment des états dépressifs aigus ou espérer comme amélioration de l’état du sieurs années un procédé de “soin par la >
© ermess / shutterstock.com
conscience, vous amenant progressive-
ment à une modification de celui-ci
pour arriver à une phase de relaxation
(deuxième phase), puis une reprise
progressive de l’état de conscience
(troisième phase ou phase d’éveil)”.
Cette méthode, dite “séquence en
U”, est une reprise à l’identique de la En Italie, la tarentelle est à l’origine une danse ou une série de musiques exécutées pour parvenir à faire
sortir le malade (mordu par une tarentule) de sa torpeur, le faire entrer dans un processus de transe et le
technique des trois œuvres de Jost. Les ramener à son état normal.
progrès technologiques permettent
dorénavant au patient de bénéficier de
l’application à son domicile et de
manière autonome, même si le plus sou- afin de provoquer une modification lors possible de visualiser sur écran les
vent la proposition est faite par les profes- comportementale. Lorsqu’il cherche à aires cérébrales qui sont activées en rela-
sionnels de santé d’un établissement ouvrir un canal de communication avec tion directe avec une stimulation senso-
médical. En effet, la méthode est préconi- un patient mutique, prostré, dépressif rielle, et par conséquent d’avoir une vision
sée “dans le contexte de la prise en charge ou autiste, le musicothérapeute est sensi- globale et détaillée de l’activité du cer-
de la douleur et de ses composantes émo- blement dans le même positionnement veau, de façon à la fois diachronique et
tionnelles associées (anxiété, dépression, que le musicien exécutant une tarentelle. synchronique. Évidemment, les applica-
troubles du comportement et difficultés De même, il sait interroger la force et la tions sont immenses, notamment dans le
sociales)”. Il s’agit d’une technique psy- pertinence des rituels qui entourent et domaine des apprentissages, de la cogni-
cho musicale qui ne requiert pas la pré- structurent les dispositifs groupaux de tion, de la pédagogie, mais aussi sur le
sence d’un thérapeute : la fonctionnalité ses séances. terrain médical, psychologique et
musicale est recherchée pour elle-même, Notre musicothérapie contemporaine thérapeutique.
la musique est utilisée pour ses effets, son se situe à la confluence et sous l’influence
[…]
pouvoir générateur de mieux-être, induc- de ces diverses origines. Tout autant, elle
teur de changements psychoaffectifs et se laisse questionner, bousculer et
comportementaux. remettre en cause, afin de pouvoir évoluer Le défi contemporain con
comme elle l’a toujours fait, en phase avec cernant la musicothérapie n’est plus tant
[…]
les remaniements anthropologiques et les sa définition, sa pertinence et sa spécifici-
progrès technologiques de son temps. En té dans le champ du soin, de la relation
La musicothérapie ne peut ce qui concerne ces dernières décennies, d’aide, de l’accompagnement, du soutien
se développer dans l’ignorance des ra- elle bénéficie en l’occurrence des remar- psychologique, que la reconnaissance du
cines sur lesquelles elle s’est construite quables avancées sur le plan des sciences métier de musicothérapeute parmi les
et continue à s’édifier. Le système mo- humaines et de la médecine. professions de santé. À cet égard, les si-
dal qui fut longtemps un repère pour les Une autre période s’ouvre avec le pas- tuations sont très diverses selon les pays,
praticiens n’a plus cours aujourd’hui. Et sage d’un siècle à l’autre. Les considé- et c’est pourquoi la Confédération euro-
pourtant, même si les registres mineur rables progrès dans le domaine de péenne de musicothérapie (EMTC) s’at-
et majeur constituent aujourd’hui les l’imagerie médicale en constituent la prin- telle à penser et à construire une cohé-
deux seuls modes de notre musique to- cipale raison. L’IRM (imagerie par réso- rence au niveau européen, en ce qui
nale, attribuer un sentiment de tristesse nance magnétique) fonctionnelle permet concerne la réglementation internationale
à une musique mineure ou un affect désormais de localiser de manière extrê- de la profession, la formation et la protec-
joyeux à une pièce en majeur revient à mement précise l’activité de chaque partie tion du titre de musicothérapeute. Musi-
utiliser la fonctionnalité de la musique du cerveau en “temps réel” : il devient dès cothérapeute : un métier en devenir ? «
92 / POUR LA SCIENCE HORS-SÉRIE N° 100 / Août-septembre 2018
Tous les papiers se recyclent,
alors trions-les tous.
C’est aussi
simple à faire
qu’à lire.
Quand
la musique
est bonne
Personne – ou presque – n’est
insensible au pouvoir de la musique.
Nous passons en moyenne plus
de deux heures par jour à en écouter.
Probablement parce que notre cerveau
établit un pont entre son et émotion.
S
elon un sondage de la Sacem réalisé
en 2014, 99 %, soit presque tous les
Français, écoutent de la musique et trois
quarts d’entre eux ne pourraient pas s’en
passer. La musique met 92 % des Français de
bonne humeur et pour 85 % d’entre eux, elle
donne de l’énergie. Pour 94 %, elle évoque
des souvenirs, et est appréciée dans ses diffé-
© Smith Collection/Gado / GettyImages
> C’est ici que les pistes se brouillent. Car pour un Mafa d’associer la musique à des évé-
l’universalité suppose l’existence de points com- nements tristes de l’existence.
muns. Or, si pour nous Occidentaux, le terme Comment l’émotion prend-elle forme
« musique » semble bien défini, au Tibet le dans notre cerveau quand nous écoutons de
terme « n’ga-ro » désigne toute émission sonore, la musique ? D’une part, notre cerveau perçoit
qu’elle soit « musicale » ou non, et aucun mot les sons et les analyse, d’autre part, il leur
n’existe pour décrire le champ que nous asso- confère une résonance émotionnelle. Deux
cions à la musique. Dans de nombreuses langues grandes régions cérébrales sont dévolues à
africaines, le terme « musique » n’existe pas, ni chacune de ces actions (voir la figure page 98),
le terme générique pour « mélodie » ou auxquelles il faut ajouter une troisième com-
« rythme ». Le mot « musique » n’a pas d’équi- posante d’interprétation qui sera évoquée
valent non plus en arabe yéménite de même ultérieurement.
qu’en arabe classique, du moins pas avant le
xxe siècle. L’ethnomusicologie et l’anthropologie SONS ET SENTIMENTS
nous montrent l’impossibilité d’une définition Il faut donc supposer une connexion entre
universellement satisfaisante de la musique les modules de perception et d’émotion,
(voir Un anthropologue au pays de la musique, par connexion qui pourrait aussi bien se former au
V. Stoichita, page 40). contact de la musique
qu’être altérée par des
DE L’ÉMOTION ! dommages cérébraux. De
Et pourtant, nous aimons tous la musique. fait, c’est ce que l’on L’EXPÉRIENCE DU
Voilà donc peut-être le dénominateur commun constate chez certains cas
de toutes les musiques : l’émotion. La musique
nous apporte de l’émotion de manière large et
cliniques. Le neurologue
Bernard Lechevalier et ses
FRISSON MUSICAL
consensuelle. De fait, plus de trente années de collaborateurs à Caen ont
recherche ont révélé que les émotions éprou- examiné, en 1984, le cas N’EST PAS INNÉE,
vées par diverses personnes face à la musique d’une patiente qui, à la suite
sont très semblables. Dans une culture don- d’une méningite à pneumo-
née, la plupart des gens répondent de la même coques ayant causé de MAIS SE CONSTRUIT
façon à la question : trouvez-vous cette mélo- vastes lésions des lobes
die gaie ou triste ? En outre, ils se fondent sur
les mêmes indices musicaux, à savoir le
temporaux, ne pouvait plus
identifier des bruits cou-
AU FIL DE L’ENFANCE,
« mode » et le tempo. Ils trouvent gaie une rants – verre brisé, vent
musique jouée sur un mode majeur (la Petite dans les arbres, moteurs de AU CONTACT
Musique de nuit de Mozart…) et triste une voitures. Elle ne compre-
musique jouée sur un mode mineur (Tristesse nait plus le langage parlé,
de Chopin…). Les musiques rapides (au tempo ne reconnaissait plus les DES PREMIÈRES
élevé) sont perçues comme gaies et celles au mélodies, n’identifiait plus
tempo lent comme plus tristes.
Même constat dans des cultures éloignées.
les rythmes, ne pouvait pré-
ciser si un son était grave ou
MÉLODIES
En 2009, le neuroscientifique allemand aigu, ne savait pas si un
Thomas Fritz s’est rendu au Cameroun pour morceau était du tango ou
rencontrer les Mafa, peuple des montagnes qui des chants grégoriens. Et
n’avait alors jamais entendu de musique occi- pourtant... elle continuait à écouter la radio ou
dentale. Il leur a fait écouter des morceaux ses anciens disques, et à y prendre du plaisir !
pour piano qui, pour des oreilles européennes, Le phénomène inverse existe aussi. Un
expriment la gaieté, la tristesse ou l’angoisse. patient percevait les sons sans difficulté, com-
Ensuite, il leur a montré des visages exprimant prenait le langage parlé et les paroles des
ces émotions tout en leur demandant d’indi- musiques, il savait distinguer les bruits cou-
quer l’expression correspondant à chaque rants, mais la musique ne lui procurait plus
extrait musical... Les Mafa ont alors désigné, aucun plaisir et lui était même devenue désa-
sous ses yeux, le visage triste pour la musique gréable. Il éprouvait en outre de la difficulté à
triste, le visage gai pour la musique gaie, le reconnaître les airs familiers et n’arrivait plus
visage apeuré pour la musique effrayante... à chanter, à localiser les sons dans l’espace ou
Universalité des émotions ? Peut-être, mais à suivre leurs déplacements.
dans certaines limites fixées par la culture. Car Même si de tels cas sont rares, ils montrent
si les Mafa identifient aisément la joie (d’après que, si la perception des sons et l’émotion sont
Thomas Fritz, parce que ces musiques ont un le plus souvent connectées, la courroie de
tempo rapide et qu’elles s’insèrent surtout transmission entre l’une et l’autre peut se dis-
dans les moments joyeux de la vie sociale), tendre ou se rompre. C’est bien le signe que le
l’identification de la peur ou de la tristesse cerveau doit établir un pont entre ces deux
reste moins fiable – car il serait peu approprié fonctions centrales.
L’ÉDUCATION AU PLAISIR
Contrairement à l’image d’Épinal du plai-
sir musical comme un fait naturel et universel,
les recherches en neurosciences de la musique
nous forcent donc à reconsidérer les liens
entre musique, émotion, jugement esthétique
et plaisir. L’expérience du fameux frisson
musical n’est pas innée, mais s’est construite
Des peuples n e connaissant pas la Première conséquence : le plaisir musical durant l’enfance grâce au renforcement de
musique occidentale (ici, les Mafa ne serait pas « inné ». L’équipe du neuroscien- situations que nous avons pu trouver agréables
du Cameroun) ressentent pourtant
des émotions similaires aux nôtres en
tifique Robert Zatorre, de l’université McGill, ou satisfaisantes. Le jeune enfant entendant
découvrant des extraits de... piano à Montréal, a montré pour la première fois ses premières chansons ou comptines y asso-
pour films muets. l’existence, chez des personnes sans aucun cie des moments de bonheur qui contribuent
trouble neurologique ou psychiatrique, d’une probablement à renforcer la connexion entre
absence complète de plaisir musical nommée son cerveau affectif et son cerveau perceptif.
« anhédonie musicale ». Ces individus ne ren- Manifestement, certains sujets adultes
contrent aucun problème dans leur vie de tous n’éprouvent pas ou peu d’émotions à l’écoute
les jours, y compris pour ressentir du plaisir de musique, et cela sans anomalie neurolo-
en mangeant, en gagnant de l’argent ou en gique claire qui pourrait l’expliquer.
ayant des relations sexuelles. Simplement, ils Une des questions les plus passionnantes
n’éprouvent aucun plaisir en écoutant de la aujourd’hui est de savoir en quoi consiste ce
musique. Même s’ils savent très bien identifier lien entre notre perception des sons et la mise
et nommer les titres de chansons ou de mor- en action de nos émotions profondes. Il ne
ceaux qu’ils entendent, reconnaître si ces suffit pas d’entendre pour vibrer. Encore faut-
morceaux expriment de la joie, de la nostalgie il que la musique soit décodée ; que sa struc-
ou quelque autre émotion (ils ont d’ailleurs ture, sa mélodie et son rythme soient analysés
une vie émotionnelle normale), force leur est à la fois par les parties de notre cerveau qui
d’admettre qu’ils n’éprouvent pas de plaisir à entendent et par celles qui décomposent,
l’écoute d’extraits de musique. Plus encore : comparent la hauteur des sons, effectuent des
les manifestations classiques de l’émotion au rapprochements avec les mélodies déjà en
niveau du corps (légère sudation, variations mémoire. Ainsi, les sujets présentant une
du rythme cardiaque) sont absentes. amusie congénitale (incapacité à distinguer
la hauteur des sons) sont rarement « tou-
L’INSENSIBILITÉ À LA MUSIQUE chés » émotionnellement par la musique, car
La raison de cette anhédonie musicale a été les difficultés qu’ils rencontrent générale-
identifiée en 2016, toujours par le même Robert ment dans la perception de la hauteur sonore
Zatorre, associé à des chercheurs barcelonais. ne leur permettent pas, par exemple, de
Ils ont étudié 45 individus présentant une telle construire une représentation fidèle et dis-
anhédonie musicale, et ont observé grâce à des tinctive des mélodies.
techniques de neuro-imagerie que la connexion Voilà qui nous amène à distinguer au
reliant la zone de perception des sons dans leur moins trois niveaux d’expression du plaisir
cerveau (le cortex auditif) à celle qui fait musical. Au premier niveau se situe le plaisir
éprouver du plaisir (le noyau accumbens) était primaire de l’expérience sonore. Les instru-
anormalement faible. ments de musique produisent des ondes
La construction du plaisir musical est plus sonores dont les vibrations stimulent l’en-
complexe que celle du plaisir lié aux besoins semble du corps, en particulier les récepteurs
basiques, tels le sexe ou la nourriture, et tactiles de la peau, mais aussi les récepteurs
nécessite un dialogue entre ces différentes internes des viscères. Cette expérience sen-
régions. Les personnes « anhédoniques musi- sorielle physique et viscérale suffit à déclen-
cales » n’auraient pas pu mettre en place les cher une émotion, même sans construction
bases de ce dialogue entre perception, perceptive élaborée. Le deuxième niveau >
Cortex cingulaire
Cortex cingulaire postérieur
antérieur
- Émotions / dopamine
- Résolution des attentes - Plaisir
- Effets de surprise
- Jugement esthétique
➋ - Mémoire de musiques
passées
➌
Cortex préfrontal
➊
ventromédian Hippocampe
- Perception
et analyse
Lobe temporal des sons
antérieur - Attentes
Noyau accumbens
Cortex auditif
© Raphael Queruel
Amygdale
Perception et émotion. Dans le cerveau, le cortex auditif (1) perçoit et analyse les sons, en anticipant leur
développement. Les noyaux gris centraux et l’hippocampe (2) suscitent l’émotion et mobilisent les souvenirs. Les zones
plus frontales (3) notent si nos attentes sont confirmées ou déjouées, tout en prenant conscience de notre état affectif.
> représente le fameux frisson musical, capa- déjouées, le plaisir qui en découle peut déclen-
cité à mettre en relation une expérience per- cher « la chair de poule ». Ce deuxième niveau
BIBLIOGRAPHIE
ceptive présente avec des représentations ne nécessite aucune expertise dans le domaine
stockées en mémoire : tel morceau nous fera de la musique, mais il implique une imprégna- N. MARTÍNEZ-MOLINA ET AL.,
vibrer parce qu’il active des traces de mélo- tion à cet art, et notamment des expériences Neural correlates of specific
dies en partie similaires, au moins par frag- musicales répétées pendant l’enfance. musical anhedonia, PNAS, vol.
113(46), pp. E7337-E7345, 2016.
ments, qui ont déjà été mémorisées et Enfin, à un troisième niveau se développe
associées à des émotions. Ce plaisir est étroi- le plaisir musical que nous pourrions qualifier C. CLARK ET AL.,
tement lié au décodage perceptif réalisé par de « plaisir de l’expert » ou du mélomane. De Music Biology : All This Useful
Beauty, in Current Biology,
le cortex auditif et à la mémoire des expé- même principe que le frisson, et se confondant vol. 24, pp. 234–237, 2014.
riences déjà éprouvées en musique. parfois avec lui, il naît de la satisfaction de
décrypter la construction d’une pièce musi- E. MAS-HERRERO ET AL.,
Dissociation between musical
LA CHAIR DE POULE cale, tout comme l’expert en peinture éprouve and monetary reward responses
DU MÉLOMANE de l’intérêt et de l’émotion pour une œuvre in specific musical anhedonia, in
La musique entendue peut être alors fami- « en rupture » ou techniquement exception- Current Biology, vol. 24,
lière, réminiscente de situations plaisantes qui nelle, dimensions qui ne sont pas accessibles pp. 699-704, 2014.
permettent d’en anticiper le déroulement, ou sans une éducation formelle préalable. Ce plai- T. FRITZ ET AL., Universal
bien totalement nouvelle – mais là encore sir esthétique est donc culturellement recognition of three basic
notre cerveau forme des attentes en fonction construit, et n’a rien à voir avec une transmis- emotions in music, in Current
Biology, vol. 19, pp. 573-576, 2009.
de ce qu’il connaît, schémas ou scénarios pos- sion innée de l’émotion par la musique. Est-il
sibles qu’il a déjà expérimentés dans d’autres du registre de l’émotion ? Pas nécessairement,
situations d’écoute musicale. mais il comporte certainement la possibilité
Les situations d’attente sont particulière- d’une « récompense » au sens cérébral du
ment génératrices d’émotion et de plaisir, car terme. Bien évidemment, ces trois dimensions
on sait aujourd’hui que le circuit cérébral « de ne sont pas exclusives et l’auditeur d’un
la récompense » libère de la dopamine non seu- concert peut espérer faire l’expérience des
lement lorsqu’il obtient une gratification, mais trois simultanément. C’est d’ailleurs une des
tout au long du processus d’attente – et y com- joies les plus rares qu’offre la musique : nous
pris d’incertitude – qui le précède. Lorsque les faire connaître simultanément l’émoi viscéral
attentes sont satisfaites, ou au contraire et les délices de l’intellect. n
belin-editeur.com
FAIRE VIBRER LA CORDE SENSIBLE
FRANCIS
WOLFF
Philosophe,
Pour vous, philosophe, professeur émérite à musicaux. Elle se fonde par exemple sur
l’École normale la psychologie évolutionniste et s’inté-
que représente la musique ? supérieure, à Paris,
Francis Wolff a
resse à la façon dont la musique a pu, ou
Francis Wolff : Avant tout, c’est un phé- enseigné dans les non, procurer un avantage adaptatif à un
nomène anthropologique universel : par- universités de Reims, certain moment de l’évolution humaine.
tout où il y a des humains, il y a de mu- d’Aix en Provence, de Cette fois, on insiste sur l’universalité et
sique. Ce constat est le point de départ de Nanterre, de São on néglige un peu la diversité.
Paulo...
ma réflexion philosophique, entamée il y J’ai aussi cherché des universaux,
a dix ans sur la musique. Pourquoi tant de Il a publié Socrate, mais en tant que philosophe, c’est-à-dire
diversité et au fond d’universalité ? Aristote et la que je me suis demandé ce que la musique
Au xx e siècle, plusieurs sciences politique et Dire le elle-même impliquait comme rapport au
sociales, relativistes, ont insisté sur monde, aux PUF, monde pour les humains. J’ai fait le paral-
ainsi que D’Aristote
l’extrême diversité des musiques du aux neurosciences, Il lèle avec deux autres modes d’expression
monde au point d’oublier l’universalité. n’y a pas d’amour universels chez les êtres humains, les
En particulier, avec les ethnomusicolo- parfait et Pourquoi images et les récits.
gues, la notion même de musique s’est la musique ? chez
Fayard.
dissoute car elle accompagnait ici un Qu’est-ce qui les distingue ?
rite, là une danse... Certains faisaient Francis Wolff : Produire des images
même remarquer que dans plusieurs consiste à représenter des choses vi-
langues, notamment africaines, le mot suelles, spatiales, en faisant abstraction
musique n’a pas d’équivalent. du temps. On fige le temps, et on em-
À l’inverse, une nouvelle science née prunte aux choses leurs qualités sensibles
au tournant du xxe et du xxie siècle, la visuelles pour les figurer. Pour dessiner
biomusicologie, traque les universaux une fleur, on extrait du modèle sa forme,
> Dans ce panorama, où placer Venons-en à la beauté en musique. m’avertissent) et l’attitude cognitive.
le morceau 4’33’’ de John Cage, Vous distinguez ce qu’en disent les Cette dernière est par exemple celle
qui n’est qu’un long silence ? discours savant et populaire ? d’un ornithologue qui, dans une forêt,
Francis Wolff : Ce morceau, qui est un Francis Wolff : Le plus souvent, le dis- écoute les chants d’oiseaux pour les
peu une provocation, appartient à ce mou- cours savant évite le mot beauté qui lui comprendre. Dans l’attitude esthétique,
vement d’avant-garde qui, au xxe siècle, a semble relever de la subjectivité, de la mon écoute n’est pas non plus fonction-
tenté de « déconstruire » la musique. Beau- relativité des cultures, des goûts person- nelle, mais je ne suis concerné que par
coup d’artistes se sont interrogés, au deu- nels. Dans l’analyse d’une œuvre, un les qualités sensibles elles-mêmes. Face
xième degré, sur leur art en en retirant un musicologue ne recourra que très rare- à un tableau, l’attitude esthétique
à un tous les caractères qui le définissaient ment à cette notion de beauté, celle-ci consiste à s’intéresser aux relations
ordinairement. En peinture, on peut pen- semblant échapper à toute description, purement sensibles : le bleu s’associe
ser à Marcel Duchamp ou au cubisme qui conceptualisation. bien avec le jaune, la composition est
ont interrogé les conditions de la repré- À l’inverse, l’idée de beauté est très harmonieuse... Avec une musique, ce
sentation imagée. banale dans le discours populaire. Nous sera plutôt les timbres, les rythmes...
De même, on a défini la musique en nous sommes tous exclamés un jour : Dans tous les cas, l’attitude esthé-
retirant, parfois à titre expérimental, des « tiens, c’est beau ! » Or le plus souvent, tique réduit ce que je vois ou ce que j’en-
caractères qu’on lui prêtait ordinaire- ce jugement trahit le fait que l’on ne sait tends à ce qui retient mon attention,
ment (la mélodie, l’harmonie, le pas quoi dire de plus excepté que ce que c’est-à-dire les qualités sensibles.
rythme...) ou en les combinant jusqu’au l’on entend nous plaît.
paradoxe de 4’33’’ qui répond à la ques- Dans les deux cas, la notion de L’une d’elles correspond-elle
tion : « Que se passe-t-il lorsqu’à l’art des beauté n’est pas conceptualisable, elle à la beauté ?
sons (puisque c’est ainsi qu’on définit de relève du jugement arbitraire et surtout Francis Wolff : Non. Une phrase du
façon extrêmement banale la musique) de la relativité extrême des goûts indivi- philosophe autrichien Ludwig Wittgens-
on retire le son ? » duels ou culturels. tein aide à comprendre ce que nous en-
tendons par beauté : « Essayer d’imaginer
un beau papillon exactement tel qu’il est,
mais laid et non beau. » Impossible sans
Glenn Gould s’attachait
à ce qu’il y a de totalement faire varier quelque chose de ses proprié-
objectif et d’impersonnel tés sensibles. Et pourtant, si l’on vous
dans la musique. demande de décrire entièrement ce papil-
lon, toutes ses qualités sensibles, vous le
feriez sans faire mention de la « beauté ».
Nous parvenons à un paradoxe : la beauté
est dans les qualités sensibles, mais elle
ne fait pas partie des qualités sensibles
elles-mêmes. En d’autres termes, la beau-
té est une qualité des qualités.
mation d’une succession d’événements par quelqu’un dans une certaine dispo- de premier ordre sont des qualités
sonores disjoints en un seul processus. sition subjective : il faut être prêt. Cet d’ordre, des qualités rationnelles, par
Ces événements discrets sont nécessai- aspect est parfois difficile à admettre. Je exemple le maximum d’effets pour un
rement séparés par du silence. Mais la qualifie l’attitude en question d’esthé- minimum de causes.
musicalité résulte du fait que vous enten- tique. Elle se distingue de deux autres Prenons un exemple simple, la symé-
dez seulement la succession elle-même, attitudes par rapport au monde sonore : trie. Quand vous voyez un visage, vous
les silences internes « disparaissant ». l’attitude fonctionnelle (les sons percevez globalement plus de choses que
L’ESSENTIEL L’AUTEUR
Oui, la musique
rend intelligent
L’apprentissage de la musique demande des efforts,
mais entraîne une pluie de retombées positives
sur la concentration, l’intelligence,
la sociabilisation… et ce dès la maternelle !
L
annonçait ainsi le ministre. « Nous allons
aussi encourager les pratiques instrumentales
et les concerts. »
Que penser de cette annonce ? Les écoliers
doivent déjà apprendre la lecture, l’écriture, le
calcul, la géographie, l’histoire… La pratique
musicale mérite-t-elle une place de choix dans
leurs agendas surchargés ?
DES BIENFAITS
DÈS LA MATERNELLE
Oui, à en croire les recherches en psycho-
logie. Dès le plus jeune âge, l’exigence et la
© wavebreakmedia / shutterstock.com
> dès la maternelle. Dans leur expérience, des modélisent une hauteur de son et un rythme
paires d’enfants d’environ 4 ans et demi étaient mélodique.
placés face à des fausses grenouilles prétendu- Sylvain Moreno, de l’institut de recherche
ment endormies, qu’ils avaient pour mission Rotman, à Toronto, au Canada, et ses collègues
de réveiller. La moitié des binômes étaient se sont quant à eux intéressés aux effets de la
armés de petits instruments de percussion, musique sur le langage. L’hypothèse était là
avec lesquels ils devaient jouer en rythme sur aussi que ces deux domaines mobilisent cer-
une chanson et un accompagnement de gui- taines compétences identiques, comme la
tare, tandis que l’autre moitié n’avaient que capacité à manipuler des symboles, et mettent
leur voix à disposition. Après cette tâche, les donc en jeu des aires cérébrales communes ; en
deux enfants de chaque duo devaient retourner outre, l’entraînement musical stimulerait l’at-
en même temps un tube transparent contenant tention et la mémoire, des capacités précieuses
des boules de couleur. L’astuce a consisté à mal pour retenir de nouveaux mots au jour le jour.
fermer l’un des deux tubes, afin que les boules Les chercheurs ont élaboré un programme
tombent et que l’on puisse tester si les enfants relativement court, comportant une vingtaine
s’entraidaient pour les ramasser. Et ce fut bien d’heures de musique réparties sur quatre
le cas, mais pas pour tous ! Alors que 54 % des semaines. Des exercices de rythme, de mélodie
enfants ayant effectué le jeu musical s’assis- et de tonalité alternaient avec une initiation
taient mutuellement, seuls 17 % des membres aux concepts musicaux de base. Des enfants de
de l’autre groupe se montraient solidaires. 4 à 6 ans ont suivi ces leçons, délivrées par des
personnages de dessins animés dans des films
PLUS D’ENTRAIDE ET projetés sur le mur de la classe.
DE COOPÉRATION Les résultats ont été spectaculaires : 90 % des
Dans la suite de l’expérience, les cher- enfants ont amélioré leur intelligence verbale,
Source : S. Kirschner et M. Tomasello, Joint music making promotes prosocial behavior in 4-year-old children, Evolution and Human Behavior, vol. 31, pp. 354–364, 2010.
cheurs ont introduit une tâche qu’il était pos- mesurée par un test de vocabulaire (les enfants
sible de résoudre seul ou, de manière plus devaient expliquer le sens de 25 mots diffé-
efficace, en coopérant. Or les petits musiciens rents) ; le score obtenu à ce test a progressé de
en herbe ont davantage opté pour ce dernier 20 % en moyenne. Un mois de cours de musique
type de stratégie. Comment expliquer cette suffit donc à obtenir des bénéfices cognitifs !
progression des comportements d’entraide et Reste que ceux-ci sont d’autant plus grands
de coopération ? Chanter et jouer de la musique que la pratique est longue, comme le montrent
ensemble implique de regarder autrui, de se les travaux de Kathleen Corrigall et Laurel
coordonner et de se représenter une intention Trainor, de l’université McMaster, au Canada.
collective. Au point d’affermir le sentiment Ces chercheurs ont administré une série de
d’appartenir à une même communauté. tests à un groupe d’enfants de 6 à 9 ans, ayant
Outre ces bénéfices sur la sociabilisation, la eu plus ou moins de contacts avec la musique :
pratique musicale renforce nombre de capacités certains étaient presque totalement néophytes,
cognitives. Elle aide notamment les jeunes tandis que d’autres, qui avaient commencé à
enfants à acquérir les briques élémentaires du l’âge des couches-culottes, jouaient d’un
raisonnement abstrait, comme l’ont montré
Terry Bilhartz et ses collègues de l’université
d’État Sam-Houston, à Huntsville, au Texas.
Dans leur expérience, un groupe d’enfants de
4 à 5 ans suivait une formation musicale pen-
dant neuf mois, à raison d’une séance par
semaine. Le programme était bien sûr adapté à
leur âge : chant, exercices vocaux, percussions,
lecture et écriture de notes sur une partition, L’amélioration
gestes du bras suivant un rythme précis… Ils
devaient en outre travailler ces exercices et de l’attention est
écouter des CD de musique à la maison.
Avant et après ce programme, les enfants la clé des bénéfices
ont subi une batterie de tests cognitifs, extraits
de l’échelle d’intelligence de Stanford-Binet. que procure
Résultat : par rapport au groupe contrôle, ils
ont davantage développé leur capacité de la musique
mémoriser et manipuler des images mentales,
une des bases du raisonnement abstrait. Rien
d’étonnant, car la pratique musicale mobilise
en permanence les facultés d’abstraction. Les
enfants doivent ainsi jongler avec des symboles
comme des ronds sur une portée, qui
que vient de confirmer une vaste étude, publiée homme postait une photo de lui sur son profil
par Artur Jaschke et ses collègues de l’univer- Facebook, tantôt avec une guitare et tantôt
sité d’Amsterdam. Elle porte sur près de sans, puis demandait des jeunes filles incon-
150 enfants âgés d’un peu plus de 6 ans au nues comme amies. Sans la guitare, elles n’ont
départ, et qui ont suivi des cours de musique été que 10 % à accepter, contre 28 % avec. Soit
pendant deux ans et demi. Les évaluations ont près de trois fois plus ! Voilà qui en motivera
révélé que par rapport aux membres du groupe sans doute certains pour les longues et fasti-
contrôle, leurs fonctions exécutives ont dieuses séances de solfège… n
JEUNESSE
Les Clefs
NADIA WASIUTEK
PAPIERS MUSIQUE, 2018
(56 PAGES, 17 EUROS)
CÉRÉALES
POISSONS
FLEURS
FRUITS
HERBES
VIANDE
FRUITS SECS
PLANTES
DÉRIVÉS DE PLANTES
ÉPICES
LÉGUMES
LAITAGES
RENDEZ-VOUS
50
Bœuf rôti
Thé noir
Fraises
40
Parmesan
Cheddar
Fromages suisses 20
Bœuf Bœuf cru
Gruyère Camembert Orange Graine
Café de soja
Vin Cognac Fromages
Rhum
Cabernet sauvignon Rhum jamaïcain Thé vert
Vin rouge Cacahuète grillée
Sherry Beurre de cacahuète
Saumon fumé Citron
Porto Thon
Saumon Airelle Poivron
Cidre Cabillaud
Épaule de porcFramboise
Calvados Saucisses 10
Whisky Poisson Poulet Cannelle
Champagne Cassis Thé Oignon
Foie de porc Cacao Gingembre Haricot noir
Caviar Fleurs Ananas Menthe poivrée Zeste de citron Poivre noir
Poivron vert
Lait Jasmin Lime Romarin Ail
Œuf Pain complet Caviar d’esturgeon Mandarine Veau Cacahuète Extrait de menthe poivrée
Lavande
Popcorn Beurre Champignon
Katsuobushi Rose Raisin Basilic Agneau Noix de cajou Macis
Miel Pain Ciboulette
Crème Bergamote Abricot Livèche Noix de coco Zeste d’agrumes Anis Tomate
Farine Olive Vanille
Pain blanc Babeurre Poulpe Jus de citron Aneth Jambon Amandes grillées
Échalote
Saké Lard
Crevette Violette Noix Huile végétale Cumin
Gélatine Fécule
Yaourts Pelargonium Persil Sumac
Bouillon de poulet Levure 0
P. 118 P. 120
SPÉCIMEN ART & SCIENCE
UN ANIMAL ÉTONNANT CHOISI COMMENT UN ŒIL SCIENTIFIQUE
PARMI CEUX PRÉSENTÉS SUR OFFRE UN ÉCLAIRAGE INÉDIT
LE BLOG « BEST OF BESTIOLES » SUR UNE ŒUVRE D’ART
L
à Jérusalem,
des archéologues ont
e Hors-Série n° 99 : « Cancer. que dans les cellules souches, les cellules récemment mis au jour
L’arsenal des nouvelles thérapies » germinales, les follicules pileux, et dans 90 % trois pièces juives datant
listait l’ensemble des propriétés des cellules tumorales. de cette époque. Très
petites, (7 millimètres
des cellules tumorales. L’une d’elles est Les biologistes ont identifié deux enzymes, de diamètre), en argent,
l’immortalité, et elle pourrait bien vaciller la peroxirédoxine 1 (PRDX1) et la 7,8-dihydro- elles sont frappées d’un
grâce à la découverte de Joachim Lingner et 8-oxoguanine triphosphatase (MTH1), qui hibou et de l’inscription,
en hébreu ancien, « yhd ».
Wareed Ahmed, de l’École polytechnique ensemble protègent les télomères des ravages du Ces lettres renvoient
fédérale de Lausanne, en Suisse. La clé de stress oxydatif. Pourraient-elles aider à lutter à Yehoud, le nom d’une
province semi-autonome
cette immortalité réside dans les télomères. contre l’immortalité des cellules tumorales ? de l’Empire perse. Elle
De quoi s’agit-il ? C’est bien le cas, l’inhibition de ces deux enzymes perdit son indépendance
À chacune de ses extrémités, les chromo- dans des cellules cancéreuses déclenche le rac- à l’arrivée d’Alexandre
le Grand.
somes sont dotés de longues séquences courcissement des télomères et même leur dis-
d’ADN répétitives : les télomères. À chaque parition. Les cellules redeviennent mortelles, car HTTP://BIT.LY/ALG-YHD
division cellulaire, ils raccourcissent jusqu’à la cible de la télomérase, dépourvue de la protec-
disparaître. L’inflammation et le stress oxy- tion de PRDX1 et de MTH1, est endommagée
datif (l’agression des constituants de la cel- par les composés réactifs oxygénés. Le spectre
lule par des composés réactifs oxygénés) Ainsi, plutôt que de viser la télomérase, du réseau
favorisent aussi cet effet. En fin de compte, une piste très étudiée aujourd’hui en cancé-
les chromosomes deviennent vulnérables, ce rologie, mais aux résultats encore décevants,
de neurones
qui entraîne la sénescence des cellules. Ainsi,
les télomères constituent une sorte de
le blocage de PRDX1 et de MTH1 ciblerait son
substrat, c’est-à-dire l’extrémité du chromo-
L es réseaux de neurones
sont au cœur
de l’apprentissage profond,
compte à rebours de la cellule. Des télomères some, pour qu’elle ne puisse pas l’allonger. clé de voûte de l’intelligence
courts sont associés à des risques de maladies L’immortalité des cellules cancéreuses est artificielle décrite dans le
Hors-Série n° 98 : « Big Data.
cardiovasculaires, au vieillissement… peut-être sur le point de… mourir. Vers une révolution
Toutefois, ce phénomène n’est pas iné- de l’intelligence ? ». John
Peurifoy, de l’institut
luctable. De fait, il est contré par une enzyme, de technologie du
la télomérase, qui naturellement allonge les W. AHMED ET J. LINGNER, GENES & DEVELOPMENT, Massachusetts, aux
télomères. Mais la télomérase n’est active PRÉPUBLICATION EN LIGNE, 2018 États-Unis, et ses collègues
proposent d’en utiliser
un pour modéliser
Aux extrémités des chromosomes, les télomères influent sur la longévité des cellules. Sans cesse réparés le spectre de diffusion
dans les cellules cancéreuses, ils leur confèrent l’immortalité. Est-ce réversible ? de la lumière par des
nanoparticules de diverses
tailles (un phénomène qui
obéit aux lois de Maxwell).
Selon leurs calculs, peu
de données seraient
nécessaires pour obtenir
une bonne approximation,
meilleure que celle obtenue
par des simulations
conventionnelles. De plus,
le réseau pourrait
fonctionner « à l’envers » :
quand on lui fournit
un spectre de diffusion
quelconque, il renseigne
sur la meilleure géométrie
© vitstudio / shutterstock.com
J. PEURIFOY ET AL.,
SCIENCE ADVANCES,
VOL. 4(6), EAAR4206, 2018
L
très peu chargée.
Plus précisément, les résultats d’Edges s’ex- es prouesses du deep learning (l’apprentissage profond) étaient
pliquent quand on suppose que moins de détaillées dans le Hors-Série n° 98 : « Big Data. Vers une révolution
1 % de la matière noire portait une charge de l’intelligence ? ». La technique consiste à entraîner une machine,
1 million de fois inférieure à celle de l’électron. un réseau de neurones artificiels dont l’architecture est inspirée de celle du
L’idée d’une matière noire chargée n’est pas cerveau humain, avec un nombre considérable de données (du big data) pour
récente : elle a déjà été formulée au début des qu’elle développe une expertise dans un domaine précis. C’est ainsi qu’un
années 1990, notamment par Sheldon Glashow, programme peut devenir imbattable au jeu de go, vous répondre lorsque
Prix Nobel de physique en 1979. Cette fois, elle vous interrogez votre smartphone, classifier des galaxies, reconnaître des
vient en soutien d’une observation. Cependant, visages… Holger Hänssle, de l’université de Heidelberg, en Allemagne, a
celle-ci reste encore à affiner. En fin de compte, ajouté une nouvelle corde à l’arc de l’intelligence artificielle : le diagnostic
le « portrait-robot » de la matière noire reste des mélanomes, l’un des plus fréquents cancers de la peau.
encore flou. D’ordinaire, ces lésions sont repérées et identifiées par des dermatologues
dont l’œil a été exercé pendant de longues années. Cette fois, un algorithme,
J. MUÑOZ ET A. LOEB, NATURE, VOL. 557, PP. 684-686, 2018 Inception V4 de Google, a été « nourri » avec plus de 100 000 images annotées
de lésions de la peau et de grains de beauté. Son efficacité a ensuite été comparée
à celle de 58 dermatologues internationaux. Résultat ? Sur 100 cas jugés difficiles
à diagnostiquer (avec la seule vue), la machine à fait mieux que l’humain :
95 % contre 89 %. Qui plus est, Holger Hänssle précise que l’algorithme a « fait
moins d’erreurs de diagnostic consistant à voir des mélanomes dans des grains
de beauté bénins ». En d’autres termes, il y a moins de faux positifs, et donc
moins de traitements inutiles.
© all_is_magic / shutterstock.com
À
médecins. Cette méthode
la mort du héros du Hors-Série n° 96 : une technique plus fine, la microtomodensito- consiste à « réveiller »
le système immunitaire pour
« Alexandre le Grand. Quand métrie. Il a présenté ses résultats à l’occasion qu’il combatte le cancer.
l’archéologie bouscule le mythe », en du Congrès international d’études sur les Ces espoirs sont fondés,
à en croire le nombre
332 avant notre ère, ses généraux se momies, qui s’est tenu fin mai 2018, à Tenerife, d’études sur cette méthode
partagèrent son empire et fondèrent, avec dans l’archipel des Canaries. présentées au congrès
plus ou moins de succès, des dynasties. La L’individu momifié est un garçon, mort-né annuel de l’Asco (la Société
américaine d’oncologie
plus célèbre est celle des Lagides, fondée par entre 23 et 28 semaines de grossesse. Il souffrait clinique), à Chicago, début
Ptolémée, qui régnèrent près de trois siècles sur de graves malformations : son cerveau, son crâne juin 2018. L’une d’elles,
l’Égypte jusqu’à la défaite de Cléopâtre. L’époque et ses vertèbres ne s’étaient pas développés nor- menée par Gilberto Lopes,
de l’université de Miami,
dite Ptolémaïque a été globalement une période malement (on parle d’anencéphalie). Cette ano- aux États-Unis, montre
de prospérité culturelle qui a laissé de nombreux malie résulte d’une fermeture incomplète du tube qu’un immunotraitement
(en l’occurrence
trésors, et notamment des momies. Andrew neural lors de l’embryogenèse. En conséquence, le pembrolizumab,
Nelson, de la Western University, en Ontario, au toute la partie supérieure de la tête, au-dessus des commercialisé par
Canada, et ses collègues, viennent de faire une yeux, est comme coupée, ce qui expliquerait la le laboratoire Merck) est
plus efficace qu’une
étonnante découverte au sujet de l’une d’elles. confusion avec un oiseau. chimiothérapie à base
Tout commence au musée de Maidstone, L’anencéphalie traduit souvent une carence de platine, souvent prescrite,
dans le Kent, en Grande-Bretagne. L’établissement maternelle en acide folique (la vitamine B9), contre le plus courant des
cancers du poumon.
s’enorgueillit d’une riche collection dédiée à un composé que l’on trouve notamment dans Non seulement les patients
l’Égypte antique et de plusieurs momies. L’une, les fruits secs (noisette, noix, amande…) et les ayant reçu
l’immunothérapie vivent
datée de 2 100 ans, est inventoriée ainsi : « EA 493, légumes verts (épinards, salade, oseille…). plus longtemps que les
faucon momifié, époque ptolémaïque. » Un Doit-on en conclure à une famine à l’époque de autres, mais en plus, ils ont
faucon, vraiment ? Les premières révélations la grossesse ? On peut aussi s’interroger, avec moins d’effets secondaires.
Ce n’est pas encore la fin
quant à une erreur d’identification sont apparues Andrew Nelson, sur la motivation d’une telle des chimiothérapies, mais le
en 2016 lors d’un examen par tomodensitomé- momification. Attribuait-on des vertus, des cancérologue John Heymach
trie, effectué en marge de l’étude de la star du pouvoirs à ce fœtus ? Voyait-on en lui une l’affirme : « Nous sommes
en train de quitter l’ère
musée, la momie d’une femme vieille de image d’Horus, le dieu à tête de… faucon ? où la seule solution était
2 700 ans. EA 493 n’est pas la momie d’un oiseau, la chimiothérapie. »
mais celle d’un fœtus. Cependant, les images LE COMMUNIQUÉ DE L’ASCO
obtenues manquaient de détail. DE G. LOPES : HTTP://BIT.LY/
Pour en savoir plus, Andrew Nelson, à la tête LE COMMUNIQUÉ DE LA WESTERN UNIVERSITY :
ASCO-LOPES
d’une équipe internationale, a décidé d’utiliser HTTP://BIT.LY/UWO-MUM
Coup de pression
L a nucléosynthèse
primordiale est cette
phase de l’Univers pendant
laquelle les premiers
noyaux d’atomes ont été
formés. Détaillée dans
le Hors-Série n° 97 : « Et si
le Big Bang n’avait pas
existé ? », elle a notamment
conduit à la production
des protons. Des physiciens
ont récemment mesuré
Maidstone Museum UK/Nikon Metrology UK
la distribution de pression
subie par les quarks,
à l’intérieur de ces
particules. Au centre,
elle atteint 1035 pascals…
Rappelons que la pression
atmosphérique est de
105 pascals.
ALCOOLS
CÉRÉALES
POISSONS
FLEURS
FRUITS
HERBES
VIANDE
FRUITS SECS
PLANTES
DÉRIVÉS DE PLANTES
ÉPICES
LÉGUMES
LAITAGES
50
Bœuf rôti
Thé noir
Fraises
40
30
Fromages bleus
Parmesan
Cheddar
Fromages suisses 20
Bœuf Bœuf cru
Gruyère Camembert Orange Graine
Café de soja
Vin Cognac Fromages
Rhum
Cabernet sauvignon Rhum jamaïcain Thé vert
Vin rouge Cacahuète grillée
Sherry Beurre de cacahuète
Saumon fumé Citron
Porto Thon
Saumon Airelle Poivron
Cidre Cabillaud
Framboise Épaule de porc
Calvados Saucisses 10
Whisky Poisson Poulet Cannelle
Champagne Cassis Thé Oignon
Foie de porc Cacao Gingembre Haricot noir
Caviar Ananas Menthe poivrée
Fleurs Zeste de citron Poivre noir
Poivron vert
Lait Jasmin Lime Romarin Ail
Œuf Pain complet Caviar d’esturgeon Mandarine Veau Cacahuète Extrait de menthe poivrée
Lavande
Pop-corn Beurre Champignon
Katsuobushi Rose Raisin Basilic Agneau Noix de cajou Macis
Miel Pain Ciboulette
Crème Bergamote Abricot Livèche Noix de coco Zeste d’agrume Anis Tomate
Farine Olive Vanille
Pain blanc Babeurre Poulpe Jus de citron Aneth Jambon Amandes grillées
Lard Huile végétale Cumin Échalote
Saké Crevette Violette Noix
Gélatine Fécule
Yaourt Pelargonium Persil Sumac
Bouillon de poulet Levure 0
ANIMAL PRODUCT
CEREAL/CROP
FISH/SEAFOOD
FLOWER
FRUIT
HERB
MEAT
NUT/SEED/PULSE
PLANT
PLANT DERIVATIVE
SPICE
VEGETABLE
DAIRY
C
ombien y a-t-il de recettes de cuisine
dans le monde ? Ce serait de l’ordre du
million. Pourtant, en théorie, le nombre de
recettes possibles est bien supérieur à 1015 !
Partant de ces données, qu’ils ont eux-
mêmes établies, Albert-László Barabási, de
l’université Northeastern, à Boston, aux
États-Unis, et ses collègues sont partis en
quête de possibles principes généraux qui guideraient l’association
d’ingrédients en cuisine. Ils ont notamment voulu tester une
hypothèse qui a les faveurs de nombreux chefs aujourd’hui : on
mêlerait d’autant plus volontiers des ingrédients qu’ils partagent un
nombre élevé de composés aromatiques (on ne parle pas ici de la
Bœuf Bœuf
nature chimique des molécules).
cru Café Graine de soja
Pour le vérifier, l’équipe a analysé 56 498 recettes en collec-
tant les informations sur la composition chimique des ingré-
dients correspondants et établi un gigantesque « réseau
CACAHUÈTE
GRILLÉE
culinaire » ! Le designer néerlandais Jan Willem Tulp a recueilli
Beurre
de cacahuète les données et les propose dans une datavisualisation simplifiée
(page ci-contre) interactive sur le site http://bit.ly/Sciam-TFC
Comment lire cette datavisualisation (ci-contre) ? Les aliments
Foie de porc (les points bleus) sont répartis en quatorze catégories (pour autant
de colonnes). La taille des points rend compte de la fréquence
Cacahuète avec laquelle les aliments apparaissent dans les recettes : on utilise
Pop-corn Amandes
grillées Frites plus souvent du bœuf que du pop-corn. Les lignes (en gris dans la
Noix Amande Huile végétale
même catégorie et en rouge entre catégories) joignent les aliments
partageant des composés chimiques. Plus ces substances en com-
mun sont nombreuses, plus la ligne est épaisse.
La cacahuète grillée a beaucoup en commun
avec la graine de soja, mais peu avec le foie de porc ! Qu’en est-il de l’hypothèse explorée ? L’étude montre qu’elle
est surtout vérifiée en Europe occidentale et en Amérique du
Nord, mais beaucoup moins en Asie et dans le Sud de l’Europe.
Quoi qu’il en soit, vous pouvez désormais vous lancer dans
des associations hardies. Un exemple ? Le cacao se marie bien
avec la bière, ou bien la noix de coco avec les fromages à pâte
persillée. Bon appétit !
Y.-Y. Ahn et al., Flavor network and the principles of food pairing,
Scientific Reports, vol. 1, art. 196, 2011.
© Jan Willem Tulp
À LIRE À VISITER
Belles plantes
L’Intelligence des plantes La Guerre des fourmis
STEFANO MANCUSO ET ALESSANDRA VIOLA
ALBIN MICHEL, 2018
FRANCK COURCHAMP ET MATHIEU UGHETTI
EN LIGNE
C omment enseigner
et transmettre les beautés
du monde végétal afin que les
élèves en saisissent
(240 PAGES, 18 EUROS) WWW.LAGUERREDESFOURMIS.COM l’organisation et le
fonctionnement ? Au xixe siècle,
La Terre
à tout âge Récifs coralliens,
À quoi ressemblait notre
planète au moment
un enjeu pour l’humanité
S
de l’apparition de la vie
pluricellulaire ? De celle des
dinosaures ? Des primates ?
Pour le savoir, rendez-vous elon une étude récente, près d’un tiers de la grande barrière
sur le site conçu par l’université de corail, en Australie, a été victime des vagues de chaleur
Northern Arizona, en 2016. Au Japon, près de l’île d’Okinawa, à peine 1 % du plus
aux États-Unis. Grâce
à une interface interactive, grand récif corallien du pays serait encore en bonne santé. Pas de
vous décidez de l’époque doute, le corail va mal. Pourtant, il est essentiel : les récifs couvrent
(parmi 26 possibles) où vous
voulez retourner ( jusqu’à moins de 0,2 % de la surface des océans, mais ils abritent 30 % des espèces
750 millions d’années animales et végétales marines. Il est donc urgent de les protéger. Des
en arrière) et pouvez alors mesures sont prises, et l’on peut citer la décision de l’archipel d’Hawaii de
observer à quoi ressemblaient
les continents. À chaque arrêt, bannir les crèmes solaires toxiques (seulement à partir de 2021), ou celle de
un petit descriptif vous l’Australie d’affecter plus de 300 millions d’euros à la protection et la
renseigne sur la période. restauration de la grande barrière. De son côté, l’Unesco a décidé d’alerter
Le tracé des frontières des pays
actuels est aussi superposé, la population sur la nécessité de préserver les récifs coralliens de tous les
pour mieux vous repérer… océans. De quelle façon ?
ou vous perdre !
À l’occasion de l’année internationale des récifs coralliens (IYOR 2018),
http://bit.ly/2sxdtDH l’institution propose une exposition immersive et multimédia des photogra-
phies d’Alexis Rosenfeld, photojournaliste et plongeur professionnel, qui a
parcouru le monde (mer Rouge, océans Indien, Pacifique et Atlantique…)
À VOIR pendant deux ans avec la journaliste Alexie Valois. Le photographe a utilisé
une technique d’images particulière qui restitue ces paysages sous-marins
dans toute leur majesté.
Chimie Outre les photographies grand format accrochées le long des grilles du
à grand spectacle siège de l’Unesco, à Paris, des textes et des interviews filmées, des reportages
Q uel souvenir garder vous
de vos cours de chimie ?
Ennuyeux ? Ternes ? Pourtant,
et des photographies à 360° expliquent les changements auxquels les récifs
font face, et donnent la parole à ceux qui les connaissent bien. Cette exposition
il y a matière à grand spectacle, préfigure la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service
comme le prouve une vidéo du développement durable (2021-2030). Face à la dégradation des océans, il
du site Futura Sciences.
Elle montre, à travers est urgent de trouver des solutions scientifiques pour comprendre les change-
cinq expériences saisissantes, ments en cours, et de mettre fin au déclin de l’Océan, le plus grand écosystème
comment le simple mélange de notre planète, dont les récifs coralliens sont des rouages essentiels.
de quelques produits entraîne
des effets fantastiques. « Récifs coralliens, un enjeu pour l’humanité »,
Un exemple ? Le mélange jusqu’au 30 août 2018, au siège de l’Unesco, à Paris
de sucre et d’acide sulfurique
se traduit par l’érection d’une
colonne noire qui monte bien
au-delà du bord du récipient.
C’est digne d’un film
de science-fiction ! Dans une
autre expérience, une solution
d’iode, d’acide citrique
et de sulfite de sodium reste
transparente quelques instants
puis devient bleu très sombre
d’un seul coup. Le remake
de l’eau transformée en vin.
D’autres expériences sont
encore plus bluffantes,
mais réclament parfois
de grandes précautions tant
les produits manipulés sont
toxiques. En vidéo, pas
d’inquiétude !
https://youtu.be/wqgI5WcrJEs
Contre la lèpre,
tatou compris ?
118//Février
02 POUR LA2017
SCIENCE HORS-SÉRIE
/ POUR N° 100
LA SCIENCE / Août-septembre 2018
N° 472
U
n mécanisme immunitaire impliqué dans la
lutte contre les mycobactéries (par exemple
l’agent de la lèpre Mycobacterium leprae) fait
intervenir des lymphocytes T nommés V9V2
(du nom du récepteur dont ces cellules sont
dotées). On pensait ces cellules caractéristiques des primates
chez qui elles représentent de 1 à 5 % des lymphocytes T. Thomas
Hermann, de l’université Julius-Maximilian, à Würzburg, en
Allemagne, et ses collègues, ont détecté les acteurs (des gènes)
de ce système de défense dans d’autres lignées de mammifères
placentaires et notamment chez l’alpaga Vicugna pacos, le grand
dauphin Tursiops truncatus et le tatou à neuf bandes Dasypus
novemcinctus, ce dernier étant justement connu pour être un
réservoir de l’agent infectieux de la lèpre. Toutefois, le système à
lymphocytes T V9V2 n’est pas fonctionnel chez le tatou :
l’espèce ne serait qu’un « témoin » de l’émergence de ce système
de défense chez les mammifères placentaires.
D’une explosion
à l’autre
Une œuvre exposée à la Fondation Louis-Vuitton
R
nous renvoie 540 millions d’années en arrière,
au moment où la vie a connu une explosion de diversité.
Veillons à ce que le mouvement inverse n’advienne pas.
échauffement climatique, effondrement de la à une explosion des formes de vie, à l’émergence Cambrien Explosion 10, de Pierre
biodiversité, pollutions… L’humanité n’est des grands plans d’organisation des animaux Huyle, est un écosystème artificiel,
pas tendre avec la Terre qu’elle dégrade à vive actuels (multicellulaires, bilatériens...), à l’ins- symbole d’un passé lointain.
allure et il est difficile d’espérer une inflexion tallation des interactions complexes telles que la
des tendances. Quel monde construisons- prédation et à l’apparition de nombreux embran-
nous ? Quelle planète laisserons-nous ? Ces ques- chements encore représentés aujourd’hui,
tions sur la place de l’humain dans l’Univers, ses notamment les arthropodes, les vertébrés…
liens avec son environnement, ses relations avec L’éponge bleue d’Yves Klein, exposée dans
ses congénères, les autres animaux, les plantes la même salle, aurait pu être immergée dans
et même le minéral, sont au cœur de l’exposi- l’aquarium, car les éponges sont parmi les plus
tion « Au Diapason du monde », à la Fondation anciens animaux pluricellulaires. La limule est
Louis-Vuitton, à Paris. La nouvelle sélection des elle aussi pertinente : cet arthropode apparenté
œuvres de la collection révèle des artistes aux araignées date d’au moins 450 millions
conscients des dangers qui pèsent sur nous. d’années. En revanche, les crabes sont plus
L’Homme qui chavire, d’Alberto Giacometti, récents, le plus ancien fossile datant de
pourrait être le symbole d’un nouvel équilibre à 170 millions d’années.
trouver. Devant tant d’incertitude, on peut aussi Symbole d’une exubérance originelle à qui
suivre le proverbe : « Lorsque tu ne sais pas où tu nous devons tout, Cambrien Explosion 10 est
vas, regarde d’où tu viens. » Une œuvre du aussi un avertissement : la minéralité qui s’en
Français Pierre Huyle nous fait justement remon- dégage peut préfigurer le monde de demain,
ter dans le temps, et même très loin ! lorsque tous nos repères auront... explosé.
Il s’agit de Cambrien Explosion 10. Conçue
en 2014, elle consiste en un aquarium d’eau salée
« Au Diapason du monde »,
sur lequel semble flotter un bloc de roche volca- jusqu’au 27 août 2018,
nique. Au fond, sur du sable noir, évoluent des Fondation Louis-Vuitton, Paris.
crabes et des limules. Cet écosystème fait écho à
l’explosion du Cambrien, il y a 540 millions d’an-
nées, un épisode majeur de l’histoire de la vie.
À cette époque, alors que les organismes
étaient essentiellement unicellulaires, on assiste
Les plantes
SONT-ELLES DES ANIMAUX
COMME LES AUTRES ?
L’intelligence des plantes, et notamment celle des arbres, fait beaucoup
parler d’elle, les succès en librairies de plusieurs ouvrages en témoignent.
Mais de quoi parle-t-on précisément ? De communication ? De résolution de problèmes ?
De sentiments ? Les limites de l’anthropomorphisme ne sont-elles pas outrepassées ?
Il est temps de faire le point sur les réelles capacités des plantes.
© Sergei Kornilev / shuttestock.com
Achevé d’imprimer chez Roto Aisne (02) – N° d’imprimeur N° 18/05/0030 – N° d’édition : M0770700-01 – Dépôt légal : juillet 2018.
Commission paritaire n° 0922K82079 du 19-09-02 – Distribution : Presstalis – ISSN 1 246-7685 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot.
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