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foire aux questions de la liberté d'expression
Depuis une semaine, des lecteurs nous posent des questions sur la liberté d'expression, ou
s'étonnent de la manière dont est appliquée la loi.
Le Monde.fr | 14.01.2015 à 15h54 • Mis à jour le 15.01.2015 à 09h10 | Par Samuel Laurent et
Damien Leloup
Depuis une semaine, de nombreuses remarques et questions de nos lecteurs et des internautes
nous interpellent sur la liberté d'expression et ses limites, ou s'étonnent de la manière dont est
appliquée la loi. Nous avons tenté de faire un tour d'horizon des messages les plus fréquents.
La liberté d'expression n'est pas absolue. Un certain nombre de propos, racistes, antisémites,
appelant à la haine, à la violence, faisant l'apologie du terrorisme, sont des délits selon la loi. On
ne peut donc pas les tenir en public. Il ne s'agit pas de « censure » ou de « pensée unique »,
mais d'une règle de droit, qui ne date pas d'aujourd'hui : la loi sur la liberté de la presse
remonte à 1881.
Encore une fois, tout dépend de l'existence d'une plainte. Donc si quelqu'un estime que vos
propos sont offensants et qu'il y a accès, vous pouvez être condamné.
« J'ai bien le droit de faire de l'humour »
Oui, vous avez le droit. Mais dans certaines limites, toujours les mêmes : ne pas diffamer, ne
pas faire l'apologie du crime, du terrorisme, du racisme… En réalité, une personne s'estimant
offensée par votre humour peut porter plainte contre vous. Et ce sera alors à la justice de
décider s'il s'agit d'humour ou si vous déguisez du militantisme ou des injures sous des traits
humoristiques. S'il existe un « droit à la satire et à l'outrance » consacré par la jurisprudence,
l'humour n'autorise pas tout, et ne permet pas de tout justifier.
On pourrait multiplier les cas, par exemple celui du compte Twitter « Jeunepopkemon »,
condamné aux dépens de Rachida Dati pour avoir usurpé son identité dans un but pourtant
revendiqué comme humoristique. Autre exemple, celui de Boris Le Lay, nationaliste breton qui
multiplie les condamnations pour propos racistes sur Internet.
La loi est la même à chaque fois : racisme ou antisémitisme sont des délits, et tenir des propos
en faisant l'apologie est condamnable.
Surtout, le droit français reconnaît bien un droit à la satire et à la caricature, et c'est la raison
pour laquelle Charlie Hebdo a régulièrement échappé à une condamnation. Dieudonné a
également été relaxé pour les mêmes raisons après une plainte d'associations juives contre un
sketch diffusé en 2004 sur France 3, le tribunal considérant par ailleurs que ses propos « ne
s'adressaient pas à la communauté juive en général ».
Mais les avocats de Dieudonné n'ont pas toujours utilisé cet argument : lors de son procès
visant la chanson « Shoahnanas », « l'humoriste » s'était borné à expliquer que son texte parlait
de « chauds ananas », une ligne de défense intenable.
Son placement en garde à vue, mercredi 14 janvier, est encore un autre cas de figure : il a été
fait sur la base de la toute dernière loi de lutte contre le terrorisme, qui punit très sévèrement
l'apologie du terrorisme, après que Dieudonné a publié un message sur le Web se revendiquant
comme « Charlie Coulibaly ». Sa garde à vue ne signifie cependant pas qu'il sera condamné.
Enfin, dans le cas précis des caricatures de Mahomet republiées par Charlie Hebdo, rappelons
que le droit français ne sanctionne pas le blasphème – une disposition en ce sens existe encore
en Alsace et en Moselle, héritage historique du concordat, mais n'est plus appliquée, et
plusieurs responsables religieux ont réclamé la semaine dernière son abrogation définitive.
Comme le résume le dessinateur américain XKCD, la liberté d'expression n'oblige pas les gens
qui sont en désaccord avec vous à vous écouter !
Par ailleurs, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont apporté depuis les
années 1980 de nouvelles limites à la liberté d'expression – régulièrement avec les voix de
l'opposition. Sous des gouvernements de gauche, on peut rappeler notamment la loi Gayssot
(qui sanctionne la négation de crimes contre l'humanité) ou la toute dernière loi de lutte contre
le terrorisme (également votée très largement par l'opposition). Sous la présidence de Nicolas
Sarkozy, une proposition de loi réprimant la négation du génocide arménien avait finalement
été censurée par le Conseil constitutionnel, mais François Hollande s'était engagé durant sa
campagne à présenter un nouveau texte en ce sens. Ce qu'il n'a toujours pas fait.