Alexis Kohler et Benoît Ribadeau-Dumas
Affreux, sales et technos
Les deux principaux collaborateurs de Macron et Philippe sont la cible
de presque toute la majorité. Grossier, mais efficace.
'EST UN PEUgros-
~~
'' C sier comme manip,
comme une mau-
vaise pièce de théâtre, avec les
méchants désignés, les gentils
tout plein de bonne volonté qui
se sont fait avoir, et les phrases
toutes préparées >>, rigole un
vieux communicant. Ils en
prennent plein la tête, ces
jours-ci, les deux petits hom-
mes gris. Alexis Kohler et
Benoît Ribadeau-Dumas (46
ans tous les deux), respective-
ment secrétaire général de
l'Elysée et directeur de cabinet
à Matignon. C'est bien simple,
tout est leur faute. lls ont une
calculette à la place du cœur,
ils prennent leurs ordres à
Bruxelles, freinent et édulco-
rent les réformes en sous-
main, ont isolé Macron à l'Ely-
sée, lui ont fait perdre son
flair.
Boucs émissaires
Les macronistes les plus
zélés ont relayé la partition.
« Cene sont pas les technos qui
doivent gouverner dans ce
pays >>, a tonné la très dévouée
députée Aurore Bergé. Le nou-
veau chefdu parti majoritaire,
le député de Paris Stanislas
Guerini, a pris un ton martial :
<< L'emprise de la techno-
structure nous a empêchés
d'avancer suffisamment, eh
bien, c'est fini 1» Même le pa-
tron a surjoué la colère : << Ces
mesures doivent être tangibles
ACTE VIl
pour les gens, et je ne veux pas
qu'on m'emmerde avec le com-
ment 1 >>Le message sublimi-
nal est toujours le même : pro-
téger le chef.
TI faut dire que les deux in-
téressés ne se sont pas fait que
des copains. Kohler, énarque
passé par le Trésor, n'a qu'un
souci : la cohérence des déci-
sions et la tenue des comptes
publics. C'est lui, dit-on, qui a
fait annuler l'idée d'un mora-
toire sur les taxes carburants,
finalement annoncé par
Edouard Philippe le 4 dé-
cembre, provoquant la fureur
de Richard Ferrand et Fran-
çois Bayrou, pour une fois d'ac-
cord. Et pendant la campagne
présidentielle, lors des ré-
unions forcément << disrup-
tives » entre Macron
et ses partisans, Koh-
ler avait le chic pour
doucher les enthou-
siasmes dès que le pa-
tron avait tourné les
talons. Dites donc, mes
petites cailles, ça va nous
coûter combien, vos délires ?
Quant à Ribadeau-Dumas,
il est tenu pour responsable
du couac gouvernemental sur
l'extension du chèque énergie
et le doublement de la prime
à la conversion pour les gros
rouleurs. Ce membre du
Conseil d'Etat a hérissé tous
les politiques qui l'ont croisé.
,, Il est passé chez Raffarin,
censé représenter une forme de
centrisme, il n'est pas inspec-
teur des Finances et il se dit
préoccupé par le social, mais,
en fait, moins social que ce
gars-là, franchement, tu
meurs ''• raconte un jeune dé-
putéLRM.
Pourtant, la fable des deux
hommes bloquant la machine
amuse les politiques les plus
expérimentés. <<Il faut arrêter
de raconter des histoires : dans
nos institutions, le Président
est le vrai patron. Quand les
technocrates prennent trop de
place, c'est parce qu'on leur
laisse cette place. Qu'on ne me
fasse pas croire que Kahler et
Ribadeau-Dumas, qui sont des
technocrates sans guère d'en-
vergure, tirent toutes les fi-
celles, c'est trop facile >>, tacle
Jean Glavany, ancien chef de
cabinet de François Mitter-
rand et deux fois ministres
dans les gouvernements Béré-
govoy et Jospin.
Une thèse partagée par un
banquier d'affaires qui fré-
quente le nouveau pouvoir.
<< La technostructure est puis-
sante, et Bercy aussi. Les di-
recteurs de cabinet de Darma-
nin et de Le Maire, énarques
orthodoxes tous deux, ont les
coudées franches, mais unique-
ment parce que leurs mi-
nistres sont des nouilles, des
nuls en économie. Il y a
quelques mois,j'ai dû expli-
quer en détail à Le Maire,
qui est avant tout un diplo-
mate, les mécanismes du taux
d'intérêt 1 >>
Bercy et Ribadeau-Dumas
sont d'autant plus efficaces
dans leur action que le pôle so-
cial du gouvernement est po-
litiquement faible. «Agnès
Buzyn montre peu d'intérêt
pour le social, Muriel Péni-
caud se comporte comme une
cadre dirigeante d'entreprise
qui explique qu'on ne peut pas
augmenter le smic sinon on va
perdre des emplois, et Sophie
Cluzel, en charge des
handicapés. est incon-
nue du grand public>>,
s'agace un haut fonc-
tionnaire socialiste de
Bercy. Et le conseiller
social d'Emmanuel
Macron, Pierre-André
Imbert, passé chez le
pape du social ,, Raymond
Soubie et par le cabinet de
Myriam El Khomri, tente
comme il peut d'éviter la
marginalisation.
Tous les mêmes
« Macron avait toutes les
cartes en main après son élec-
tion. Il se plaint d'être entouré
d'hommes gris, mais tous ceux
qu'il a promus sont sur le
même moule. Tous les direc-
teurs d'administration qui
l'avaient abreuvé de notes pen-
dant la campagne étaient prêts
à bosser pour lui, autant dire
qu'il avait le choix. Mais l'ad-
joint de Ribadeau-Dumas à
Matignon, Thomas Fatome, est
lui aussi un "budgétaire".
Quand on panache aussi peu
.les profils, il ne faut pas se
plaindre du résultat "• s'agace
un député de la majorité.
<< Ces gens exécutent des dé-
cisions qui relèvent des poli-
tiques. Faire le procès des tech-
nos, c'est confondre la maladie
et les symptômes >>, a confié
récemment au << Monde >> un
proche de Macron.
En voilà encore un qui n'a
pas gobé la belle histoire.
Anne-Sophie Mercier