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Histoire du fer
Sommaire :
Or, cuivre, bronze, fer, fonte, acier : • Présentation
la chronologie du travail des métaux • Histoire du fer
est liée à la maîtrise progressive par
• Au cœur du métal
l’homme des lois physico-chimiques
• Historique de la Forge
et des besoins énergétiques très dif- d’Aube
férents qui conditionnent l’élabora- • Quelques éléments d’his-
tion de chacun d’eux. toire sociale…(milieu
Ainsi l’écart des températures de fu- XIXè)
sion entre le cuivre (1083 °C) et le • Découverte du site
fer (1536 °C) justifie leur ordre
Au commencement était le fer... d’entrée en scène.
Le fer est l'un des métaux les plus abondants de la croûte terrestre. On le
trouve un peu partout, combiné à de nombreux autres éléments, sous forme
de minerai. En Europe, la fabrication du fer remonte à 1 700 avant J.C. De-
puis les Hittites jusqu'à la fin du Moyen Age, l'élaboration du fer resta la
même : on chauffait ensemble des couches alternées de minerai et de bois (ou
de charbon de bois) jusqu'à obtenir une masse de métal pâteuse qu'il fallait
ensuite marteler à chaud pour la débarrasser de ses impuretés - et obtenir ain-
si du fer brut, prêt à être forgé. La forge était installée à quelques pas du
foyer où s'élaborait le métal. D'abord simple trou conique dans le sol, le foyer
se transforma en un four, le "bas-fourneau", perfectionné petit à petit : de l'or-
dre de quelques kilos à l'origine, les quantité obtenues pouvaient atteindre 50
à 60 kilos au Moyen Age. On fabriqua aussi dès le début, de petites quantité
d'acier, à savoir du fer enrichi en carbone. Un matériau qui se révéla à la fois
plus dur et plus résistant.
L’amorce d’un bouleversement technique au cours du moyen age
par les premières applications de l’énergie hydraulique à la métal-
lurgie pour le martelage puis pour le soufflage des foyers amènera
un nouveau procédé...
Puis vint la fonte….
Au XVème siècle, la génération des premiers "hauts fourneaux" de
4 à 6 mètres de haut propagea une découverte fortuite mais ma-
jeure : un métal ferreux à l'état liquide, la fonte, qui se prêtait à la
fabrication de toutes sortes d'objets (marmites, boulets de canons,
chenets, tuyau).
La fonte permettait également de produire du fer en abondance,
grâce à l'affinage : le lingot de fonte était chauffé et soumis à de
l'air soufflé, ce qui provoquait la combustion du carbone contenu
dans la fonte et un écoulement du fer goutte à goutte, formant une
masse pâteuse de fer brut.
Et enfin l’Acier ...
En 1786, Berthollet, Monge et Vandermonde, trois savants
français, établirent la définition exacte du trio Fer-Fonte-Acier
et le rôle du carbone dans l'élaboration et les caractéristiques de
ces trois matériaux.
Toutefois, il fallut attendre les grandes inventions du XIXème
siècle (les fours Bessemer, Thomas et Martin) pour que l'acier,
jusqu'alors fabriqué en faible quantité à partir du fer, connaisse
un développement spectaculaire et s'impose rapidement comme
le métal-roi de la révolution industrielle.
Le sous-sol recelait en revanche de nombreux gisements de minerai de fer. Sans doute les couches ne
présentaient-elles ni régularité ni continuité, tant dans leur répartition géographique que stratigraphique.
Affleurant au versant des vallées, le minerai pouvait se trouver à une profondeur de deux à vingt mètres
sur les plateaux. Les conditions d'exploitation, qui ne nous sont pas connues précisément, variaient
donc selon les endroits, ici à ciel ouvert, ailleurs par puits et galeries. Cependant, avec une teneur
moyenne de 35% de fer, les minerais du Pays d'Ouche, siliceux et assez purs, donnaient une bonne
fonte. La présence de massifs forestiers, source de combustible longtemps jugée inépuisable, et un ré-
seau hydraulique dense, source d'énergie motrice, furent autant de facteurs favorables à l'implantation
d'une activité métallurgique
Dans cette région, les plus anciens témoignages du travail du fer concernent le village de Planches, ou la
Risle prend sa source, à une quinzaine de kilomètres d'Aube. Un four romain, découvert en 1832, a ain-
si livré de remarquables objets. Les sources écrites des XII' et Xlll' siècles et plusieurs toponymes - Le
Champ des Forges à Saint-Evroult, Les Forges à Orville... - montrent une poursuite de l'activité tout au
long du Moyen Age. Celle qui s'exerçait en 1166 dans l'actuelle commune du Sap, au nord de Gacé, est
particulièrement bien précisée dans un acte délimitant des possessions de
l'abbaye de Saint-André-en-Gouffern "entre la rouge mare, la croix plantée
au sommet des minières et les four- neaux de Gérout et d'Ascelin".
Le regroupement topographique des forges qui est ici suggéré et la pré-
sence d'institutions originales réunis- sant les producteurs de métal, les
"métiers de férons", indiquent que la production s'exerçait alors dans un ca-
dre communautaire. De tels métiers, dont le rôle juridique semble avoir été
essentiel, sont attestés au Sap dès 1260, à Glos-laFerrière en 1265 et,
dans l'Eure, à Rugles et à Lyre en 1269. Ils vont peu à peu se regrouper
en une instance centrale placée sous la tutelle du maître des férons de Glos-
la-Ferrière, le "métier des férons d'en- tre Orne et Avre", lequel contrôlait en-
viron deux cents forges vers 1315. Parallèlement à ces métiers, profondé-
ment intégrés au monde rural, une au- tre institution montre que la seigneurie
locale était, elle aussi, impliquée dans la production du fer. En vertu de leur titre de "barons fossiers",
les abbés de Lyre, de Saint-Wandrille et de Saint-Evroult, et les barons de Ferrières, de Gacé, de La Fer-
té-Fresnel et des Bottereaux, près de Glos-la-Ferrière, étaient autorisés à produire du charbon de bois
dans une fosse charbonnière pour alimenter une forge. Ce droit, dont semblent également avoir joui les
seigneurs de L'Aigle, de Beaufai et d'Echauffour, perdura jusqu'à la Révolution.
Aube ne resta pas à l'écart de cette activité : selon la tradition, on aurait découvert à proximité de la
forge, au lieu-dit La Butte Fumée, les vestiges d'un bas-foyer et de nombreuses scories, utilisées en 1863
pour confectionner le ballast de la voie ferrée Paris-Granville. Mais c'est surtout avec l'arrivée du procé-
dé indirect qu'elle s'y développa et qu'elle nous est connue.
Sans doute un haut fourneau était-il installé à proximité. Selon une source de seconde main, non vérifiée, Etienne
de Courdemanche aurait reçu en 1584, au terme du règlement de la succession de son père, Charles, tous les biens
se trouvant sur la paroisse d'Aube "y compris la forge, fonte et haut fourneau". La mise au jour d'épaisses cou-
ches de laitier au cours des fouilles archéologi-
ques effectuées sur le site entre 1983 et 1986
a d'ailleurs confirmé son existence. L'absence
de fondeurs dans les actes notariés qui suivent
le bail de la "forge et fourneau d'Aube" passé
en 1602, alors que des ouvriers de la forge
sont plusieurs fois cités, suggère qu'il cessa de
fonctionner au cours de la première moitié du
XVII' siècle. Dès lors, la forge s'approvision-
na en fonte auprès du haut fourneau du Lo-
geard, situé à quelques kilomètres en amont, à
Saint-Pierre-des-Loges. Mentionné pour la
première fois en 1491 dans un aveu rendu par
jehan Legrix, seigneur d'Echauffour, au duc
d'Alençon, il semble avoir d'abord alimenté la
forge, voisine, des religieux de Saint-Evroult. On ignore en quel lieu il s'approvisionnait avant la fin du XVIII'
siècle, époque à laquelle il consommait surtout le produit des mines de Champhaut et de Heugon, aux environs de
Gacé, et de Beaulieu, au sud-est de L'Aigle.
Au XVII' siècle, Aube, comme la plupart des autres établissements sidérurgiques, se dota d'une fenderie hydrauli-
que. Cet atelier, ancêtre du laminoir, permettait de découper mécaniquement les barres de fer en tiges ou en ver-
ges. Mis au point en pays liégeois à la fin du XVI' siècle, il s'implanta dès 1608 dans le Bocage normand. Située
entre le fourneau du Logeard et la forge, la fenderie d'Aube, attestée en 1635, est sans doute la première à avoir
été établie en Pays d'Ouche.
La forge d'Aube fut alors exploitée de concert avec les autres usines Mouchel, la tréfilerie de Boisthorel à Rai,
aux mains de cette famille depuis 1770, et celle de Tillières-sur-Avre dans l'Eure, construite en 1825. A la mort
de Pierre Jean Félix Mouchel, survenue en 1871, cet ensemble passa à son fils adoptif, jules Olivier. En 1898,
la société anonyme des Usines Mouchel, constituée trois ans plus tôt, fut intégrée à la Compagnie générale d'Elec-
tricité puis gérée par sa filiale, la Compagnie générale du Duralium et du Cuivre, à partir de 1943. Le groupe Tréfi-
métaux, qui lui succéda en 1967, abandonna la forge à la commune d'Aube en 1980 pour le franc symbolique..
La production du fer
Le site de la forge ne paraît pas avoir subi de notables modifications depuis la première moitié du XVIII' siècle au
moins. Le plan dressé en 1731 par Leroux, arpenteur royal à Louviers, le montre en effet pratiquement tel qu'il était
encore au début du XIX' siècle. On y retrouve les dispositions classiques d'une forge wallonne - autour de raffinerie
se dressent une halle à charbon, une grange, le logement du maître de forges et ceux des ouvriers, des jardins et, entre
la forge et la rivière, un tas de scories. Sans doute ce plan témoigne-t-il d'un état plus ancien : les baux passés après
1750 prévoient en effet qu'en fin de gestion la forge doit être remise conformément à un état des lieux, malheureuse-
ment non conservé, dressé en 1702.
Au XVIII, siècle, la forge d'Aube amorça son déclin. Comme la plupart des
autres établissements normands, elle fut incapable de faire face aux grands
ensembles sidérurgiques qui se mettaient alors en place en Bretagne, dans le
Maine et en Berry, réunissant sur un même site haut fourneau, forge et fende-
rie. En 1783, la vétusté des bâtiments nécessita plusieurs interventions, no-
tamment sur les cheminées, le mur du marteau, le magasin à fer et les loge-
ments. Une nouvelle campagne de travaux due à Michel Brézin, alors pro-
priétaire, démarra le 9 mars 1818 : la fenderie se vit pourvue d'un grand four
'.en brique et maçonnerie... pour chauffer le fer avec des bourrées au lieu de
charbon de bois" et d'un petit four, le fourneau de logements et de deux halles
à charbon. La forge fut également dotée de nouveaux logements, mais ce
sont surtout ses équipements qui furent l'objet de réfections : les cames en
bois garnissant l'extrémité des arbres des roues de la chaufferie et des fours
d'affinage furent remplacées et renforcées de cuivre, de grands colliers de
fonte furent posés sur les arbres des roues, le marteau et sa charpente furent
rénovés.
Du fer au cuivre …
Toutes ces entreprises ne permirent cependant pas à la forge d'Aube de relever une activité en sommeil. La produc-
tion d'environ 200 tonnes de fer martelé vers 1789 n'était plus que de 147 tonnes en 1817 et restait à ce même niveau
une vingtaine d'années plus tard. En 1841, un ingénieur du service hydraulique constatait que l'établissement ne tra-
vaillait qu'irrégulièrement et que jamais il ne tournait plus de deux roues à la fois. Le projet formulé l'année précé-
dente par Jean Baptiste Palyard, alors fermier de la forge, d'introduire la fabrication du fer à la houille, technique que
la sidérurgie française commença d'adopter à partir des années 1820, ne fut que partiellement réalisé. Contrairement
à ce qui avait été initialement prévu, le système de soufflerie ne fut pas modifié. Seul le marteau fut changé, pour un
autre "d'un poids moindre que celui qui était nécessaire pour la fabrication de fer au bois". Cette ultime et modeste
modification ne permit guère que de diminuer les dépenses d'eau. Condamnée comme l'ensemble des autres forges
au bois, la forge d'Aube n'a finalement dû sa survie qu'au passage de la métallurgie du fer à celle du cuivre. Les pro-
duits semi-finis qui dès lors en sortirent alimentèrent soit le moulin d'Aube, construit en amont et converti en chau-
dronnerie en 1852, soit la tréfilerie de Boisthorel, établie à quelques mètres en aval de la forge, où Pierre jean Félix
Mouchel avait introduit vers 1819 l'usage de ce métal et celui du laiton. Il s'employa, sitôt son acquisition, à ré-
aménager le site de la forge.
Ses interventions, qui se firent heureusement sans apporter de trans-
formations radicales à l'équipement existant, sont précisément décri-
tes dans un acte passé devant le notaire de L'Aigle le 30 juin 1868 :
les fours d'affinage et de chaufferie furent adaptés aux exigences im-
posées par le traitement du cuivre ; de nouveaux fours, une soufflerie,
une machine locomobile, une turbine et un cabinet d'essais furent mis
en place. L'installation d'un marteau pilon mû par un générateur à
vapeur, qui semble n'avoir servi que peu de temps, et celle de fours
dits "potagers", réalisées entre 1868 et 1895, marquent les ultimes
aménagements du site. Dans les toutes dernières années du XIX'siè-
cle, la forge ne traitait cependant plus que les déchets et boues de cui-
vre et de laiton produits par Boisthorel. Le bâtiment voisin de la fon-
derie devint une annexe du service entretien de cette usine, moulant
occasionnellement quelques pièces en fonte. Seul le marteau, affecté
à l'écrasement de plaques de cuivres destinées à la fabrication de pha-
res de voitures pour les usines Ducelier, resta en service jusqu'en
1939. A partir de 1947, la forge devint le "musée des usines de Bois-
thorel", dont la visite était réservée aux cadres et invités de la société
Tréfimétaux.
Avant 1840, 18 personnes travaillaient sur le site, dont quatre administratifs, mais un seul marteleur.
La répartition était la suivante ( entre parenthèses les salaires annuels versés en francs):
- administration : un régisseur (1500), un caissier (1150), un garde magasin (600) et un commis de bureau sortant aux
minerais (262.5).
- production : un marteleur (1104), un chauffeur (816 pour la chaufferie), un petit valet pour la chaufferie (192), un affi-
neur du haut (552), un valet pour cette affinerie (480), un petit valet n’étant pas nourri pour l’affinerie (342), un affi-
neur pour celle du bas (816), un valet pour la dite affinerie (480), petit valet nourri par l’affineur (168), deux journaliers
( total 672), un charpentier et souffletier (732) et un compagnon maréchalerie (360).
Après 1850 l’usine devient une annexe de Boisthorel, les effectifs baissent sensiblement : en 1879 il ne reste que sept ouvriers.
L’alcoolisme
A la forge, la journée reste longue, mais le labeur est haché par des pauses boisson fréquentes qui ne peuvent être entrevues que
par les témoignages d'anciens ouvriers. Ce type de source est toujours aléatoire en raison des imprécisions de la mémoire; mais
pourquoi ne pas en faire état quand les renseignements sont concordants et que les témoins ont été visiblement marqués par le
phénomène. Le dernier forgeron, avait la réputation d' absorber 16 à 17 litres de cidre par jour qu'il buvait directement au litre.
C'était à chaque fois l'occasion de s'arrêter, d'autant plus qu'il fallait aller remplir la bouteille à la pipe dans la cave à une quaran-
taine de mètres (205), et uriner (ordre d'idée: 45 fois par jour). Boire était certainement un des rares moyens de s'évader du tra-
vail.