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CRISE

MICHEL ALBOUY
Université Pierre Mendès France,
Grenoble École de management
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Crise financière:
quelles leçons
pour la finance?

L
’année 2008 restera longtemps dans gieuse banque américaine Lehman Brothers
les annales comme l’année noire de et failli envoyer au tapis les plus grandes
la finance, un peu comme la crise institutions financières mondiales. Le sauve-
économique de 1929 est restée gravée dans tage in extremis du système financier mon-
l’inconscient collectif du monde occidental. dial n’est dû qu’à l’action conjuguée des
Commencée en France avec l’affaire États qui n’ont pas hésité à injecter des cen-
Kerviel, un trader qui a fait perdre quelque taines de milliards pour assurer la liquidité
5 milliards d’euros à la Société Générale et garantir les dépôts afin d’éviter une crise
avec des positions spéculatives d’un mon- systémique. Au final sur l’année 2008, le
tant supérieur aux fonds propres de la CAC 40 a reculé de - 42,7 %, l’Euro Stoxx
banque, elle se termine avec l’escroquerie 50 de - 44,3 %, le S&P 500 de - 38,4 % et le
géante de Bernard Madoff, un gérant de Nikkei de - 42,1 %. Sur les marchés de taux,
fonds américain et ancien président de la la faillite de Lehman Brothers a provoqué
Bourse des valeurs technologiques de New une paralysie des marchés interbancaires et
York (le Nasdaq), qui a fait perdre 50 mil- a propulsé les taux à très court terme vers
liards de dollars à ses clients. Entre-temps, des sommets. Le climat de défiance extrême
la crise des subprimes, des CDO et autres a incité les investisseurs à se reporter vers
actifs titrisés, ainsi que des emprunts les emprunts d’État, provoquant un effon-
« toxiques », aura eu raison de la presti- drement des rendements obligataires. Que

DOI:10.3166/RFG.193.15-20 © 2009 Lavoisier, Paris


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s’est-il passé, se demande encore le citoyen rien ne va changer ? Répondre oui à une
informé et le petit investisseur ? Un véritable telle question est impossible. La situation
tsunami sur la planète financière ! Pour 2009 est telle qu’il est légitime de se demander
on attend dans la plupart des pays, notam- s’il n’est pas temps de revisiter nos connais-
ment « développés », une récession brutale sances en finance et ce que l’on enseigne à
avec malheureusement son cortège de licen- nos étudiants. Qu’est-ce qui n’a pas marché
ciements, une baisse de revenus et de très et que doit-on revoir ? Vaste chantier. Une
graves difficultés pour les pays en voie de certitude cependant, les réponses que nous
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développement. cherchons à exposer ci-dessous sont sûre-


Pour certains commentateurs, c’est la fin du ment incomplètes, tant le phénomène est
capitalisme financier ou tout au moins multiforme et complexe. Soyons modestes
d’une « certaine » forme d’économie de et avouons que nos réponses sont partielles
marché. Le Président de la République, et ce d’autant plus que nous sommes loin de
Nicolas Sarkozy, dans son discours de Tou- tout savoir sur la profondeur de cette crise.
lon (25 septembre 2008) a stigmatisé ce Sans prétendre être exhaustif, voici
changement en déclarant : « l’idée de la quelques leçons à retenir à la lumière de la
toute-puissance du marché qui ne devait crise financière :
être contrarié par aucune règle, par aucune – soyons modestes quant à nos capacités de
intervention politique, était une idée folle. prévisions,
L’idée que les marchés ont toujours raison – améliorons nos pratiques d’évaluation des
était une idée folle… Le marché qui a tou- risques et de notation,
jours raison, c’est fini ». Bien que la crise – intégrons dans nos analyses la finance des
trouve plutôt son origine dans le système événements rares,
bancaire (un secteur pourtant bien régle- – prenons mieux en compte le comporte-
menté, cf. Bâle 2) que sur les marchés ment des acteurs et l’impact des systèmes
financiers organisés, ce sont les marchés, incitatifs sur leurs décisions,
leurs produits et leurs traders qui font l’ob- – intéressons-nous davantage à la finance
jet des critiques les plus fortes. Dans cette des particuliers.
critique on retrouve un peu de tout pêle-
mêle : la spéculation, les stock-options, les La prévision :
parachutes dorés des dirigeants, les normes un art de plus en plus difficile
comptables, la logique du court terme, l’in- Lorsque le CAC 40 était encore à
suffisance de réglementation, le manque de 4 000 points, à la mi-septembre 2008 après
transparence, le rôle des agences de nota- avoir perdu quelque 1 600 points depuis le
tion (rating), etc. Certains vont même jus- début de l’année, nombreux étaient les stra-
qu’à rejeter le système tout entier. tèges des marchés, y compris de grands
Et pourtant, malgré la crise il y aura tou- noms comme Patrick Artus et Christian de
jours des entreprises à financer, des actions, Boissieu, qui recommandaient d’investir
des obligations, des options et des contrats « une part non négligeable des portefeuilles
de futures, des portefeuilles à gérer… Alors en actions »1 vu la faible valorisation des

1. Le Cercle des gérants, « Il faut bien que l’épargne aille quelque part ! », Les Échos, 19-20 septembre 2008.
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sociétés. Malheureusement en janvier 2008 feuille reposant sur l’optimisation d’une


le CAC 40 passait sous la barre des frontière rentabilité-risque dans les années
3 000 points. Ceux qui ont suivi leur 1950. Un peu plus tard, dans les années
conseil, ont perdu 25 % en quelques mois ! 1960, naîtra le célèbre modèle d’équilibre
Bien sûr on peut espérer que les marchés des actifs financiers (MEDAF ou CAPM en
d’action remonteront à moyen ou long anglais) avec les contributions majeures de
terme, mais quitte à investir en actions, Sharpe, Lintner et Mossin. Plus tard encore,
autant les acheter le moins cher possible. Ce viendra le très célèbre modèle de Black et
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petit rappel nous montre qu’il faut rester Sholes (1973) permettant d’évaluer les
très prudent en matière de prévisions. Plus options sur actions et adopté par toute la
que jamais, il est difficile de prévoir l’évo- communauté financière des marchés. Cer-
lution à court terme des marchés et on tains disent même que ce modèle est à l’ori-
assiste à des variations de prix extraordinai- gine de l’industrie des produits dérivés…
rement brutales, y compris en ce qui Bien d’autres modèles2 viendront complé-
concerne les matières premières. C’est ainsi ter ces bases théoriques qui ont été couron-
que le prix du baril de pétrole a été divisé nées de plusieurs prix Nobel d’économie.
par trois au cours de l’année 2008. Dans ces Point essentiel et commun à ces modélisa-
conditions comment faire des prévisions ? tions le risque est mesuré par l’écart type de
Même pour les investissements industriels, la distribution des taux de rentabilité (sup-
qui reposent également sur des scénarios posée normale). Or, c’est là que le bas
économiques cela pose problème. Tel inves- blesse : les taux de rentabilité ne sont pas
tissement, par exemple dans l’éolien, est distribués de façon normale. La probabilité
rentable (valeur actuelle nette positive) avec que des variations extrêmes se produisent
un pétrole à 150 dollars le baril alors qu’il est plus grande que ce qu’indique la loi nor-
ne l’est plus avec un baril à 50 dollars ; de male. En d’autres termes, les queues de dis-
même pour une plate-forme pétrolière en tribution sont plus épaisses ; les anglo-
mer. On pourrait multiplier les exemples de saxons parlent de fat tales. Des événements
l’impact de la volatilité des marchés sur jugés très improbables dans la loi normale
l’économie réelle. ne sont, en fait, pas si improbables que ça
dans la réalité des marchés. De là découle
Le risque : une variable à retravailler toute la plus ou moins bonne appréciation
La finance c’est l’économie du temps et du des risques encourus, comme par exemple
risque. Pour les financiers le risque est leur dans les modèles de Value at Risk (VaR) uti-
matière première : il se gère, se négocie et lisés par les banques pour gérer leurs
se transmet. La théorie financière moderne risques. La modélisation du risque au-delà
repose pour l’essentiel sur une modélisation de la loi normale reste une avenue de
du risque représentée par la loi normale. recherche incontournable. Encore faudrait-
C’est en effet à Markowitz que l’on doit le il que les professionnels révisent leurs
premier grand modèle de gestion de porte- modèles. Or, il semble que les pratiques des

2. Pour un exposé des contributions majeures en finance, voir Les grands auteurs en finance, ouvrage collectif dirigé
par M. Albouy, éditions EMS Management & Société, 2003.
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gérants et des agences de notation reposent La finance des événements rares obéit à des
en grande partie sur des hypothèses de nor- logiques différentes de la finance tradition-
malité des rendements qui au final donnent nelle qui modélise à peu près correctement
des règles de gestion non pertinentes. les situations dans 95 % des cas. Mais avec
la survenance de chocs macroéconomiques
Le pari contre les événements rares de plus en plus violents, les 5 % restants ne
Traditionnellement les banques empruntent peuvent plus être négligés.
des liquidités à court terme pour prêter à
Le comportement des acteurs
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long terme aux entreprises à des taux supé-


rieurs. En faisant cela, elles parient sur le et leur système d’incitation
fait que le marché monétaire sera toujours Le comportement des acteurs de la finance
liquide, ce qui est en pratique toujours le ne peut également plus être négligé. Avec la
cas. Or avec l’assèchement du marché inter- théorie de l’agence formalisée initialement
bancaire sur lequel s’emprunte l’argent à par Jensen et Meckling (1976), nous savons
court terme, les banques n’ont pas pu se pourtant tous que le modèle de rationalité
refinancer. La liquidité qui est normalement substantielle de la finance traditionnelle
la règle sur le marché interbancaire a brus- rend compte de façon très imparfaite du
quement disparu entraînant avec elle les fonctionnement des organisations. Les
graves difficultés qu’ont connues les agents censés gérer dans l’intérêt de leurs
banques. Autre exemple : celui des rehaus- mandants s’écartent parfois de leurs obliga-
seurs de crédit dont le métier est d’assurer tions et recherchent aussi à maximiser leur
les créanciers contre le risque de défaut. En propre intérêt. Bref, il faut compter avec leur
échange d’une garantie d’intervention ils comportement opportuniste et calculateur.
encaissent des primes d’assurance. Norma- La crise financière actuelle éclaire avec une
lement le risque qu’ils couvrent ainsi ne doit lumière particulièrement crue ces dysfonc-
pas se matérialiser sauf cas très improbable tionnements observés dans les banques
de défaillances généralisées. Ils empochent mais également dans les entreprises indus-
ainsi des primes censées couvrir un risque trielles et commerciales. Contrairement à ce
qui ne doit pas se produire… La crise a que l’on pensait, de nombreux mécanismes
montré que ce risque n’était pas virtuel. d’incitation des managers se sont retournés
D’une certaine façon les banques améri- contre les actionnaires. C’est bien entendu
caines qui prêtaient à des ménages peu sol- le cas pour les banques avec les bonus fara-
vables faisaient le pari que la valeur de mineux des traders qui les incitent à dépas-
l’immobilier ne pouvait pas baisser et que ser leurs limites, mais également de ceux
leurs créances hypothécaires étaient sécu- chargés de commercialiser des créances
risées, ou encore de façon plus cynique que titrisées comme les fameux CDO (Collate-
la bulle immobilière se dégonflerait après rised Debt Obligation). Ne pas entrer dans
leur départ : « après nous le déluge » ! Qui le jeu de la production massive de CDO
pensait sérieusement, à part quelques rares était un comportement difficile à adopter
spécialistes, que le décrochage de l’immo- compte tenu des bonus indexés sur le
bilier américain serait comparable à celui volume d’affaires. De même, les stock-
des années 1930 ? options attribuées aux dirigeants des entre-
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prises dans le but d’aligner leurs intérêts sur même de nos économies de marché. La
ceux des actionnaires n’ont pas toujours crise actuelle prend sa source dans les
bien fonctionné et se sont parfois retournés risques pris par de très nombreux particu-
contre les actionnaires. C’est ainsi que les liers avec les emprunts subprimes. En soi,
stock-options ont incité de nombreux diri- chaque risque individuel est faible, mais
geants à adopter une gestion à trop court agrégés au sein de produits structurés très
terme, voire à se livrer à des manipulations largement disséminés auprès des banques et
comptables visant à doper artificiellement autres investisseurs cela peut devenir explo-
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le cours de Bourse de leur société. Ces sif comme on l’a vu avec cette crise. Une
mêmes stock-options ont été aussi parfois à fois titrisées, les créances des particuliers
l’origine de délits d’initiés. sont devenues des instruments financiers
Mais la révision à faire ne s’arrête pas à une très difficilement évaluables, notamment en
meilleure analyse de ces mécanismes inci- matière de risque. Bien entendu, le compor-
tatifs et aux problèmes d’asymétrie d’infor- tement des ménages a été amplifié par les
mation dans les contrats. Il faut mieux inté- courtiers en prêts d’autant plus scrupuleux
grer dans nos recherches le comportement qu’ils passaient le bébé à des banques qui à
irrationnel des agents : dirigeants, action- leur tour le repassaient à des investisseurs
naires, investisseurs, créanciers, etc. La via leur machine à laver (la titrisation). Tant
finance traditionnelle repose encore trop sur que le marché immobilier était orienté à la
l’hypothèse de rationalité. En fait, ces hausse, tout allait bien. La mécanique s’est
acteurs ne sont pas dénués de sentiments et enrayée lorsqu’il s’est retourné de façon
de biais de comportement comme par brutale. L’investissement immobilier est
exemple l’excès de confiance dans leurs trop souvent présenté aux particuliers
décisions d’investissement ou de finance- comme étant sans risque. Tout le monde a
ment. Ils pêchent également parfois par entendu l’adage « la pierre ne ment pas » ou
excès d’optimisme et/ou de pessimisme. La « la pierre c’est du solide ». Cette croyance
recherche en finance comportementale s’est populaire dans la valeur de l’immobilier qui
fortement développée ces dernières années, ne peut que monter ou au pire ne pas bais-
mais visiblement ce programme de ser est également au cœur de la crise.
recherche doit être amplifié. Contrairement aux marchés d’actions ou
d’obligations qui font l’objet de très nom-
Les ménages : breuses recherches, le marché des particu-
un acteur financier à redécouvrir liers est relativement peu étudié. Une
Dans cette crise, nombreux ont été ceux qui meilleure compréhension des comporte-
ont pointé le doigt sur les banques, les mar- ments individuels des ménages face à leurs
chés financiers et les dirigeants des grandes investissements, notamment immobiliers,
entreprises. Assez paradoxalement, les est nécessaire.
ménages, notamment américains, qui se
sont endettés au-delà de limites raison- En guise de conclusion (partielle)
nables n’ont pas fait l’objet de beaucoup Doit-on, comme le disent les anglo-saxons,
d’attention. Pourtant l’endettement et jeter le bébé (la théorie financière) avec
l’épargne des ménages se trouvent au cœur l’eau du bain (la crise financière) ? Certains
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n’hésitent pas à franchir le pas et dénoncent majeure nos anticipations relatives à la per-
l’arrogance3 de la finance bâtie sur des jus- formance espérée des actions à long terme.
tifications prétendument scientifiques. Tel Les fonds de pension, les compagnies d’as-
n’est pas notre point de vue. Tout d’abord, surance vie, les fonds souverains et certains
et même si l’état de connaissances est investisseurs comme la Caisse des Dépôts
encore loin d’être satisfaisant, nul ne peut en France, ont la capacité de lisser les chocs
nier les progrès considérables accomplis financiers. Et ils le font, pour certains
dans cette discipline encore jeune. En fait, d’entre eux depuis plusieurs siècles.
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ce qu’il nous faut c’est encore davantage de Enfin, pour terminer quand même sur une
recherches. Nous avons esquissé dans cet note positive, rappelons que malgré la crise,
article quelques pistes, il y en a sûrement depuis sa création en 1988, le CAC 40 a
bien d’autres. Il nous faudra peut-être éga- permis de multiplier un capital initial par
lement travailler davantage sur des horizons plus de cinq en 20 ans en tenant compte du
de long terme. À cet égard, nous partageons réinvestissement des dividendes (total
le point de vue de chercheurs de l’école return index). Une performance somme
d’économie de Toulouse4 qui estiment que toute honorable et qui remet en perspective
la crise actuelle ne modifie pas de façon certaines déclarations.

3. Henri Gourguinat et Eric Briys, L’arrogance de la finance, éditions La découverte, 2009.


4. Jacques Cremer et Christian Gollier, « La myopie triomphante des pessimistes », Les Échos, 17 décembre 2008.

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