Les Annales de la recherche

urbaine

Ulrich Beck, La société du risque, Sur la voie d'une autre modernité,

(trad. de l'allemand par Laure Bernardi, préface de Bruno Latour),
2001
Anne Querrien

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Querrien Anne. Ulrich Beck, La société du risque, Sur la voie d'une autre modernité, (trad. de l'allemand par Laure Bernardi,
préface de Bruno Latour), 2001. In: Les Annales de la recherche urbaine, N°94, 2003. L’accueil dans la ville. pp. 165-166;

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Daniel Cefaï, Isaac Joseph (dir.),
L'héritage du pragmatisme. Conflits d'urba¬
nité et épreuves de civisme, La Tour d'Aiguës,
Éditions de l'Aube, 2002.
Pragmatisme : « Doctrine selon laquelle l'i¬
dée que nous avons d'un phénomène, d'un
objet n'est que la somme des idées que nous
pouvons avoir au sujet des conséquences
pratiques de ce phénomène, des actions
possibles sur cet objet » {Le Petit Robert.
Dictionnaire de la langue française). Ne
serait-ce qu'à travers ces quelques lignes de
définition destinées à une compréhension
commune du sens de l'anglicisme
« pragmatisme », nous saisissons la raison
pour laquelle la lecture de « L'héritage du
pragmatisme. Conflits d'urbanité et épreu¬
ves de civisme » est longue et ardue. Pour
nous apporter un éclairage sur les tenants et
les aboutissants de cette doctrine, les coor-
donnateurs de cet ouvrage collectif ont
compilé les interventions d'une vingtaine
de participants à un Colloque du Centre
Culturel International de Cerisy la Salle. Le
résultat est passionnant à découvrir et
convaincant dans le sens où les postulats
théoriques et les conclusions empiriques
issues des analyses successives épousent par¬
faitement les prolégomènes.
Ainsi, au fur et à mesure de la lecture,
retrouvons-nous cités maintes fois les
mêmes Chicagoans (Dewey, Mead, Wirth,
Parsons), mais selon des approches variées
et sur des terrains d'observation différents,
la plupart situés en Amérique latine. Les
exemples et les situations vont de l'inter¬
vention des Peace Corps dans les favelas de
Rio de Janeiro à des expériences d'action
collective civile à Caracas, en passant par les
manifestations festives à Notting Hill
Tumaco Bahia. Plus encore, retenons-nous
l'originalité des regards, des champs de
cohérence de chacun des chercheurs
conviés ici.
En effet, le pragmatisme, héritage de
l'École
des sciences
de Chicago,
sociales de Alfred
la phénoménologie
Schütz entre
autres influences méthodologiques et théo¬
riques, n'est pas seulement une doctrine, il
se pose comme articulation entre faire et
savoir. En quelque sorte, c'est la fin du pou¬
voir sans partage de l'expertise scientifique,
de l'ingénierie technocratique et de la
représentation politique. Dès l'introduc¬
tion, Cefaï et Joseph soulignent : « Qu'il
s'agisse de recherche médicale, d'aménage¬
ment du territoire ou de politique de l'en¬
vironnement, un questionnement est enga¬
gé sur le statut de l'expertise scientifique et
technique, sur les modalités du choix poli¬
tique, sur la place des associations de
citoyens, sur le rapport entre le local et le
global et sur le sens de l'intérêt général »
(p. 7). Tel est l'enjeu décisif de cette relec¬
ture des théoriciens et des praticiens « prag-
matistes » proposant une approche trans¬
versale des phénomènes urbains et faisant
travailler les concepts en les déplaçant
d'une discipline à l'autre.
Enfin, cette ouverture théorique nous
pousse à nous positionner nous chercheur,
à nous interroger sur les modes de confec¬
tion de notions autant que d'action.
L'épreuve de civisme, mentionnée dans le
sous-titre de l'ouvrage, est bien celle-là.
Pouvons-nous nous satisfaire de jeter un
regard froid et distancié sur la réalité envi¬
ronnante, consistant ainsi à apporter les
arguments et justifier la mise en œuvre de
politiques (sociale, urbaine) ? La mise en
exergue de la place occupée par la civilité
ou l'hospitalité dans notre société contem¬
poraine - que ce soit dans l'analyse de la
situation des SDF et du traitement qui en
est proposé, ou de la lutte d'une association
parisienne pour être entendue par les pro¬
moteurs immobiliers et les édiles - ne peut
que nous faire réagir en rappelant l'engage¬
ment volontaire ou non du chercheur dans
la résolution de conflits d'urbanité.
Une série de questions sera donc servie
au lecteur désireux de s'interroger à son tour
sur ses engagements et sa participation à la
réflexion sur la société dans laquelle nous
vivons : « Quelle sorte de résultats sociaux
nous voulons par-dessus tout ? »(p. 129,
Joëlle Zask citant Dewey) ; et au sujet des
conditions du « vivre-ensemble » « Qu'est-
:
ce qui nous réunit et qu'avons-nous à faire
ensemble ? » (p. 132, Louis Quéré). À cha¬
cun de s'interroger pour tirer de cet ouvra¬
ge prolifique les outils nécessaires à ses pro¬
pres constructions méthodologique et épis-
témologique à venir.
Walter Lanchet
Ulrich Beck, La société du risque, Sur la
voie d'une autre modernité, (trad, de l'alle¬
mand par Laure Bernardi, préface de
Bruno Latour), Paris, Aubier-Alto, 2001.
Ce livre, paru en Allemagne en 1986,
fait de nos peurs contemporaines les consé¬
quences de l'action des grandes puissances
chargées de nous en protéger l'industrie,
:
l'Etat-providence, la science diffusent cha¬
cun à sa manière de puissants toxiques.
Une nouvelle démocratie serait nécessaire,
qui ferait appel aux nouveaux pouvoirs que
cette situation laisse déjà émerger les
:
médias, la justice, les citoyens.
La première partie est consacrée par
l'auteur à la toxicité jugée par lui la plus
grave, et la plus irrémédiable, celle produi¬
te par l'industrie : les substances qui empes¬
tent l'eau que nous buvons, l'air que nous
respirons, l'herbe ruminée par les animaux
que nous mangeons, les légumes que nous
cuisinons « les risques sont les passagers
clandestins de la consommation normale »
:
(p. 74). À cette intoxication généralisée, les
riches n'échappent pas plus que les pauvres,
car elle est devenue omniprésente, sans
échappatoire. Cependant les pauvres sont
encore plus soumis « au Belzébuth de la
potentialisation des risques » (p. 77). Tout
le monde est logé à la même enseigne, et
cette enseigne n'est pas locale, elle est mon¬
diale. C'est au niveau mondial que se défi¬
nissent les mesures contre ces pollutions
généralement transfrontières, et surtout
que se définissent les taux de pollution
localement admissibles. Une jolie propriété
en Bavière peut perdre brutalement toute
valeur parce qu'elle vient d'être condamnée
comme « à risques ». On ne peut pas la ven¬
dre, qu'en faire si on la garde ? On assiste à
un « phénomène rampant d'expropriation
écologique » (p. 69).
Certes savants et politiques essaient de
minimiser le message en fabriquant des
taux d'exposition moyenne, qui sont rare¬
ment atteints. Mais on s'aperçoit vite que
dans un autre pays ce ne sont pas les
mêmes, ou qu'ils ne concernent qu'un pol¬
luant alorsdont
sieurs qu'onlesest toujours
combinaisons
exposé à sont
plu¬
inconnues... Le doute s'installe, et s'accroît
avec la fréquentation assidue de documen¬
tations diverses où on peut lire tout ce
qu'on veut. L'argumentation rationnelle
n'est plus capable d'endiguer la crainte qui
trouve toujours davantage à se nourrir. La
confiance dans la société, dans ses respon¬
sables politiques, est brisée. Les stratégies
de fuite privées, familiales ou de petits
groupes se multiplient, et se heurtent tou¬
tes au mur de l'impuissance.
Les risques sont d'autant plus redouta-
L'ACCUEIL DANS LA VILLE 165
 Note de lecture
bles alors qu'il y a un siècle la faim et les
différences de classes sautaient au visage.
Les risques ne sont sensibles qu'agrégés,
désindividualisés,
rebasculés dans la réalité
mis en: sistatistiques,
les morts surpuisla
route dans l'année sont comparés à la
population d'une petite ville, leur nombre
fait tout d'un coup effet. Et ces risques ne
sont pas ceux de la pénurie « la commu¬
nauté de peur vient se substituer à la com¬
:
munauté de misère. » (p. 90). Mais il s'agit
tout de même pour l'auteur d'une « paupé¬
risation civilisationnelle » (p. 91), caractéri¬
sée par la perte de la souveraineté humaine,
la perte du plaisir des sens et l'installation
du risque aux commandes du développe¬
ment « les « risques sont le tonneau des
:
Danaïdes du besoin » (p. 101). Tonneau
des Danaïdes que la science et l'économie
viennent remplir avec entrain en produi¬
sant de nouveaux risques au fur et à mesu¬
re qu'on les convoque à répondre aux pré¬
cédents ! Certes on essaie sur les animaux
avant d'essayer sur l'homme, mais comme
cela ne prouve pas grand-chose finalement
on y va. « La science s'est transformée en
administratrice d'une contamination mon¬
diale de l'homme et de la nature » (p. 127)
Face à cette situation se renforce la soli¬
darité de l'ensemble des êtres vivants ;
l'homme se sent blessé quand on abat un
arbre. Cette solidarité non travaillée cultu-
rellement, non argumentée collectivement,
peut se détériorer en attitudes extrêmes
voire dangereuses. D'où l'importance de
donner à tous les moyens d'un travail per¬
sonnel sur l'incertitude créée par les risques
(p. 139), moyens que ne donne pas pour
l'instant l'Etat-providence, mais qu'apporte
peut-être l'élévation du niveau de culture
générale par la formation.
Une des originalités de ce livre consiste
aussi dans la critique des formes individua¬
lisantes, bureaucratiques qu'a prises l'Etat
providence dans les démocraties sociales
européennes. « Le mouvement ouvrier a
été en quelque sorte transféré de la rue vers
les couloirs de l'administration par la juri-
dicisation des acquis. » (p. 181). Pour l'Etat-
providence les classes ne sont pas des classes
sociales, liées à des rapports sociaux de tra¬
vail, mais des classes de risques liées soit à la
maladie, soit à la plus ou moins grande
aptitude au travail abstrait ; et les non-tra-
vailleurs sont ignorés. L'Etat-providence et
le marché du travail (allemands) excluent
les femmes, les jeunes et tous ceux qui
expérimentent à un moment de leur vie
166 LES ANNALES DE LA RECHERCHE URBAINE N° 94
d'autres formes d'insertion sociale. On
reconnaît aux travailleurs des ayants-droits,
héritiers de la vieille tradition familiale,
mais l'important développement de la for¬
mation générale secondaire et universitaire
s'accompagne de fortes inégalités en défa¬
veur de ceux qui ne sont pas chefs de
famille,
bien classés.
ou déjà bénéficiaires des postes
Dans une atmosphère « de déchéance
collective » (p. 188), par rapport aux pro¬
motions sociales que la formation aurait dû
offrir, la vie quotidienne se fait exploration
en tous sens d'autres possibilités et notam¬
ment des frontières de l'interdit, et du
risque. L'Allemagne connaît depuis le
début des années 1980 le chômage de
masse qui prive les individus de leurs réfé-
rents familiaux et de classes. Ce chômage
touche tous les milieux, mais davantage les
plus défavorisés, et l'Etat-providence qui ne
connaît que l'absence de travail provisoire
n'a pas de réponse sociale à la hauteur de la
situation (le livre est écrit en 1985).
L'auteur se prononce pour un revenu mini¬
mum garanti pour tous, sans exclusive
(p. 316). Car le chômage de masse fait s'a¬
gripper à ses petites possessions, quelle
qu'en soit la valeur, et partager la peur de
les perdre. La crise sociale prend l'apparen¬
ce d'une crise individuelle (p. 213) et le
travail culturel sur soi-même et par soi-
même semble la seule issue possible ainsi
que l'atteste l'importance de la vague psy.
Elle se traduit notamment par l'augmenta¬
tion des divorces (30 % des mariages) et
l'augmentation des ménages d'un seul indi¬
vidu (30 % pour toute l'Allemagne, près de
la moitiémassive
L'entrée dans des
les femmes
plus grandes
sur le marché
villes).
du travail (50 % des chômeurs, 30 % de la
population active en 1985) est le principal
aspect positif de cette crise aux yeux de
l'auteur. De nouvelles formes de vie com¬
munes doivent être trouvées pour ne pas
obliger celle qui est seule à élever son
enfant à le faire dans la pauvreté, et pour
éviter au couple la solution d'une garde
payante et privée.
dissociation du moment
Sinon du
on désir
aboutitd'enfant
à une
chez l'homme et chez la femme (p. 259), et
à un nouveau risque de disharmonie. Le
maintien de la famille traditionnelle qui
fait référence
conduire à une en
exclusion
Allemagne,
sociale risque
croissante
de
des femmes et des jeunes, tandis que l'en¬
couragement par des mesures sociales à
l'hyper-mobilité demandée par le marché
du travail
destin collectif
risque standardisé
de conduire d'ermites
chacun « de
au
masse » (p. 285). Face aux risques là aussi
l'invention sociale et culturelle est de
rigueur.
Mais d'où pourrait venir cette force
d'invention ? Sûrement pas de la science
qui est la troisième puissance néfaste,
intoxicante, de notre trépied civilisation-
nel. Et c'est l'objet de la troisième partie du
livre qui développe l'idée de « modernité
réflexive », d'une modernité dans laquelle
la réflexion est démocratiquement à la por¬
tée de tous, même si c'est pour chacun
selon des modalités différentes. Les poli¬
tiques, les usagers, l'ensemble des acteurs
deviennent des producteurs actifs du pro¬
cessus de production de la connaissance, et
même du processus de définition scienti¬
fique par la voie de la commande de
recherche, mais aussi du débat public orga¬
ciatif.
nisé parIl est
les médias
notamment
ou le nécessaire
mouvementde asso¬
s'in¬
terposer pour que ne se constituent pas en
« tabous » les sujets constitutifs de la puis¬
sance intoxicante de l'alliance entre science
et économie (p. 245), bien gardés par les
féodalités corporatistes chargées de veiller à
la bonne santé des laboratoires (p. 368), par
une résistance au changement sans faille.
D'où il n'y a que de l'extérieur du milieu
des experts, du politique et du mouvement
social, que peut venir la capacité d'arbitrer,
de choisir
tion des entre
effetsles redoutés
dires d'experts,
et souhaités.
en fonc¬
L'action publique est ainsi revalorisée, mais
décentralisée, dans la multiplicité des
initiatives de ceux qui se disent concernés,
et dont la coordination n'est pas vraiment
étudiée. Seules les limites de la judiciarisa-
tion, pourtant incontournable, sont souli¬
gnées. Le côté « conservateur » du mouve¬
ment social souhaité, défenseur des droits
acquis, est affirmé in fine (p. 493) contre
toute attente.
Ce résumé est évidemment cavalier : la
lecture de l'ouvrage est décapante, et offre de
nombreux petits développements acérés sur
tous les problèmes abordés, qui feront le
bonheur de tous ceux qui veulent aborder
travail professionnel ou militant sur l'envi¬
téronnement
réflexive ».dans une posture de « moderni¬
Anne Querrien