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UNE CRITIQUE DE LA GLOBALISATION JURIDIQUE DE STYLE

CIVILISTE. ÉTAT DES RÉFLEXIONS LATINES SUR LA


TRANSNATIONALISATION DU DROIT À PARTIR DU DICTIONNAIRE
DE LA GLOBALISATION

Thierry Delpeuch
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Ed. juridiques associées | Droit et société

2012/3 - n° 82
pages 733 à 761

ISSN 0769-3362
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2012-3-page-733.htm
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Pour citer cet article :


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Delpeuch Thierry, « Une critique de la globalisation juridique de style civiliste. État des réflexions latines sur la
transnationalisation du droit à partir du Dictionnaire de la globalisation »,
Droit et société, 2012/3 n° 82, p. 733-761.
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de la globalisation (juridique)
Les riches facettes
À propos
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Une critique de la globalisation juridique de style civiliste.
État des réflexions latines sur la transnationalisation du droit
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à partir du Dictionnaire de la globalisation

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Thierry Delpeuch
Centre Marc Bloch, Centre de Recherche en Sciences Sociales de Berlin / An Institut an der Humboldt Universität zu Berlin,
USR3130 - UMIFRE 14 (CNRS- MAEE), Friedrichstraße 191, D-10117 Berlin.
<delpeuch@cmb.hu-berlin.de>

À propos de…
 ARNAUD André-Jean (dir.), Dictionnaire de la globalisation. Droit, science poli-
tique, sciences sociales, Paris : LGDJ Lextenso éditions, 2010, 530 p.

Introduction
Le Dictionnaire de la globalisation, publié en 2010 sous la direction de André-
Jean Arnaud, a pour but « de définir et analyser les concepts-clés introduits ou dont
le sens a été modifié à la suite de la globalisation » principalement dans les do-
maines du droit et de la science politique. Le Dictionnaire est la traduction, super-
visée par Wanda Capeller, du Dicionário da Globalização 1. L’ouvrage original en
langue portugaise a été actualisé, révisé et complété afin d’être adapté à un public
français. Cette première édition est le résultat d’un travail collectif commencé
en 2000 dans le cadre d’un programme de l’UNESCO intitulé « Globalisation éco-
nomique et droits dans le MERCOSUR » (GEDIM).
Le Dictionnaire de la globalisation contient près de 200 entrées, dont certaines
sont de simples définitions lexicales tandis que d’autres sont des articles de style
encyclopédique. Chaque entrée comporte, en outre, une bibliographie, une série de
citations extraites des principaux ouvrages de référence (les « opinions »), et une
liste des autres articles du Dictionnaire qui se rapportent à la question abordée (les
« corrélats »). Les principaux thèmes traités sont : les transformations des institutions
publiques – étatiques et internationales – générées par la globalisation, les change-
ments de la gouvernance sous l’effet de l’internationalisation des activités sociales, les
processus d’intégration régionale, les dynamiques de transnationalisation dans plu-

1. André-Jean ARNAUD et Eliane BOTELHO JUNQUEIRA (dir.), Dicionário da Globalização – Direito – Ciência
Política, Rio de Janeiro : Lumen Juris, 2006.

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sieurs domaines du droit, de la justice et des politiques publiques, les mouvements


sociaux opposés à la généralisation des modèles néolibéraux de régulation.
Sur les 133 auteurs de diverses nationalités, près de la moitié sont brésiliens. Les
chercheurs italiens et français sont également bien représentés parmi les contribu-
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teurs. De telles origines n’empêchent pas toutefois que des universitaires améri-

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cains soient abondamment cités et commentés dans les articles, ceci d’autant plus
que le principal responsable de cette publication a longuement étudié la littérature
sur la globalisation lors de son séjour d’étude au Center for Global Legal Studies de
l’université de Madison aux États-Unis. La majorité des auteurs sont juristes et
témoignent très fréquemment d’une position critique, souvent inspirée de l’alter-
mondialisme, à l’égard d’un phénomène de globalisation porteur effectivement de
dynamiques hégémoniques.
Le présent article n’est pas une simple recension du Dictionnaire. Dans la me-
sure où celui-ci s’avère tout à fait représentatif d’un certain style d’analyse et
d’interprétation de la globalisation juridique, il nous a semblé intéressant de mettre
à profit notre travail sur le Dictionnaire pour dresser un bilan critique des apports
scientifiques et des limites de cette approche. C’est pourquoi nous avons complété
la lecture du Dictionnaire par celle de plusieurs ouvrages qui constituent des réfé-
rences centrales dans beaucoup d’articles de celui-ci : les deux livres d’André-Jean
Arnaud Entre modernité et mondialisation (2004) et Critique de la raison juridique
2. Gouvernants sans frontières (2003), celui de Boaventura de Sousa Santos Vers un
nouveau sens commun juridique (2004) et celui de Jacques Chevallier L’État post-
moderne (2008). Ces quatre ouvrages ont été publiés dans la collection « Droit et
Société » (éditions LGDJ Lextenso). Lorsque nous faisons référence au Dictionnaire,
nous citons l’entrée correspondant à notre propos.
La notion de globalisation, telle qu’elle est définie dans le Dictionnaire, renvoie
à plusieurs phénomènes. Tout d’abord, elle désigne un ensemble de dynamiques
de transnationalisation des activités et des structures économiques, dont les prin-
cipales sont l’augmentation de la circulation internationale des marchandises, des
capitaux et des travailleurs, l’intégration internationale des marchés financiers, la
montée en puissance des firmes multinationales, la généralisation, à l’échelle pla-
nétaire, de modèles de production et de consommation incarnant une conception
néolibérale de l’économie capitaliste de marché.
L’intensification des échanges transfrontières à laquelle fait référence la notion de
globalisation ne concerne pas seulement le domaine économique. Le terme « globali-
sation » est également employé pour rendre compte du développement des relations
politiques internationales visant la prise en charge de différents problèmes dont les
répercussions affectent plusieurs pays, notamment en matière d’environnement
(pollution, réchauffement climatique), de sécurité (criminalité transnationale, immi-
gration clandestine), d’usages dangereux des technologies (organismes génétique-
ment modifiés, énergie nucléaire, utilisations répréhensibles d’Internet…). Ces inte-
ractions mettent aux prises des gouvernements nationaux et des institutions inter-
nationales, mais également des acteurs sociaux de diverses natures (organismes
publics, groupements professionnels, lobbies économiques, mouvements sociaux,

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Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

experts…) qui, pour défendre les intérêts et les causes au nom desquels ils se mobi-
lisent, nouent entre eux des coopérations internationales. Les processus politiques
d’intégration des États dans des blocs régionaux sont également considérés comme
participant de la globalisation. Le terme « globalisation » renvoie, en outre, à l’accrois-
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sement des contacts culturels à travers les frontières : augmentation de la mobilité

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des personnes, explosion des flux de communications électroniques, brassage des
cultures.
La transnationalisation de la régulation juridique constitue une dimension impor-
tante de la globalisation. Tandis que les interactions juridiques transfrontières enregis-
trent un essor sans précédent, les systèmes juridiques tant domestiques qu’interna-
tionaux connaissent des mutations tout à fait fondamentales qui touchent à la fois les
règles, institutions, acteurs et pratiques (V° « Sociologie juridique », p. 473).
Même si des dynamiques d’internationalisation ont existé dans le passé, la globa-
lisation juridique contemporaine est considérée par de nombreux auteurs comme un
phénomène radicalement nouveau 2. En effet, dans la plupart des secteurs d’activité
ayant connu un fort développement des interactions transfrontières, se font jour
des politiques et des régimes de régulation à l’échelle régionale ou mondiale qui
visent à prendre collectivement en charge des problèmes dont l’ampleur dépasse le
cadre national.
Ces régulations transnationales diffèrent fondamentalement des formes tradi-
tionnelles d’internationalisation du droit, qui sont basées sur l’entente entre États
souverains ayant l’autorité suprême sur toutes les matières à l’intérieur de leurs
frontières 3. Ces formes classiques d’internationalisme ont essentiellement pour
but de protéger l’intérêt national des États participants contre des forces exté-
rieures. Elles supposent que chaque gouvernement national intervient séparément
sur son propre territoire pour traiter les problèmes faisant l’objet de politiques
internationales.
En revanche, les nouveaux régimes transnationaux ont généralement vocation à
promouvoir un bien commun à l’échelle mondiale ou régionale. Ils impliquent des
formes d’exercice collectif de la souveraineté de la part des gouvernements engagés
dans le traitement de problèmes internationaux. La construction et le fonctionne-
ment de ces régimes n’est plus seulement l’affaire des États nationaux, mais associe
une variété d’acteurs non étatiques et d’autorités supranationales. De très nom-
breux secteurs, dont certains – tels que la justice et la police – étaient antérieure-
ment considérés comme relevant de la compétence exclusive des États, sont con-
cernés par ces évolutions.
Il existe une grande variété de régimes transnationaux, liée aux caractéristiques
particulières de chaque secteur d’activité, aux spécificités des formes de régulation
juridique qui s’y déploient, aux particularités des processus d’internationalisation
qui s’y déroulent. Le Dictionnaire rend bien compte de ce caractère multiforme de

2. Boaventura DE SOUSA SANTOS, Vers un nouveau sens commun juridique. Droit, science et politique dans
la transition paradigmatique, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 2004, p. 282.
3. André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondialisation. Leçons d’histoire de la philosophie du droit et
de l’État, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 2004, p. 230.

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la globalisation juridique. Il met en évidence les logiques singulières qui sous-


tendent le développement des formes de transnationalisation du droit dans diffé-
rents domaines (I), notamment la régulation des échanges économiques transfron-
tières (I.1) et la protection des droits de l’homme (I.2). Les régimes transnationaux
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sont loin de composer un ordre juridique global, tant sont nombreuses les tensions

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et les contradictions qui les opposent (I.3). Ils comportent néanmoins des caracté-
ristiques communes (II). Ainsi, le droit qui les compose est, dans une large mesure,
produit et diffusé dans le cadre d’organisations internationales (II.1). Il a, en outre,
tendance à évoluer vers des formes hybrides, négociées et flexibles (II.2), pour
s’adapter au caractère de plus en plus international, donc complexe et diversifié,
des activités sujettes à régulation juridique.
Le Dictionnaire restitue un certain nombre de critiques et de débats concernant
l’impact des processus de globalisation sur les régulations sociales affectées (III),
avec une préférence marquée pour les interprétations de style altermondialiste.
Ainsi, une grande partie des analyses exposées dans le Dictionnaire dénonce les
conséquences néfastes d’une globalisation économique qui fonctionne au profit
des acteurs « hégémoniques » de la scène internationale, c’est-à-dire des « pouvoirs
économiques privés » qui tiennent les manettes du « capitalisme financier interna-
tional », auxquels s’ajoutent les institutions financières internationales, les organi-
sations intergouvernementales d’orientation néolibérale et les autorités améri-
caines (III.1). D’autre part, le Dictionnaire pointe les effets déstabilisants de la globali-
sation sur les institutions juridiques des pays de tradition civiliste, du fait d’un triple
mouvement d’américanisation, de privatisation et de fragmentation de leur droit
interne (III.2). Deux controverses scientifiques sont évoquées dans le Dictionnaire :
celle qui oppose étatistes et globalistes concernant l’importance de l’État dans la
régulation juridique globalisée (III.3), et celle qui met aux prises positivistes et plura-
listes au sujet du degré de remise en cause de l’ordre juridique moderne (III.4).

I. La diversité des formes de transnationalisation du droit et de la justice


Les régulations juridiques transnationales peuvent revêtir une variété de
formes. Certaines sont fort anciennes, à l’image du traditionnel droit international
des traités conclus entre États, d’autres sont apparues plus récemment : règles
édictées par les blocs politiques et économiques régionaux (tel le droit européen),
normes et standards produits par les organisations internationales, codes de con-
duite privés des groupements économiques transnationaux, précédents jurispru-
dentiels des organismes d’arbitrage. Le Dictionnaire place l’accent sur deux en-
sembles de régimes transnationaux : ceux qui régulent les activités économiques et
financières transfrontières, et ceux qui visent à garantir une protection universelle
de la dignité humaine. Les autres régimes faisant l’objet de développements subs-
tantiels dans le Dictionnaire sont la gestion des risques environnementaux et la
répression de la criminalité internationale. Le Dictionnaire met bien en évidence
les oppositions qui séparent ces différents régimes.

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Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

I.1. La globalisation de la régulation juridique de l’économie


La globalisation juridique concerne au premier chef la régulation des échanges
internationaux économiques et financiers. Celle-ci fait l’objet à la fois d’une har-
monisation et d’une uniformisation à l’échelle mondiale et de transferts massifs
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entre les États. Les régimes transnationaux qui sont mis en place visent essentiel-

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lement à organiser les marchés et la concurrence : circulation des travailleurs et des
capitaux, garantie de la propriété et des contrats, taxation des transactions, protec-
tion des consommateurs… Le Dictionnaire se focalise sur deux des principales
formes de régulation juridique qui encadrent les activités économiques transfron-
tières, à savoir la lex mercatoria et l’arbitrage commercial international, qui sont
des régimes privés. Il insiste également sur le rôle des institutions financières inter-
nationales dans la diffusion de réformes juridiques et judiciaires en affinité avec le
modèle néolibéral de développement économique orienté vers le marché. Il est
regrettable que le Dictionnaire s’attarde très peu sur les régimes transnationaux
publics tels que, par exemple, l’Organisation mondiale du commerce (p. 384), la
régulation du secteur bancaire (V° « Comité de Bâle », p. 67), celle des marchés
financiers (V° « Organisation internationale des commissions de valeurs – OICV »,
p. 383), le Fonds monétaire international (V° « FMI », p. 223), les ententes écono-
miques régionales, qui font l’objet d’articles très courts et uniquement descriptifs.
La lex mercatoria
Les relations commerciales internationales sont régulées en grande partie par
un ensemble de règles et de principes coutumiers, appelé lex mercatoria, qui sont
largement reconnus et appliqués par les milieux d’affaires, à l’échelle planétaire.
Cet ordre juridique global a été construit à l’écart des instances étatiques de pro-
duction du droit, par des acteurs privés appartenant aux mondes de l’industrie, de
la finance et du commerce internationaux. Même si elle comprend des règles éma-
nant d’organisations internationales – lois internationales uniformes (V° « Principes
Unidroit », p. 499), standards – et du droit international public (principes généraux
de droit reconnus par les nations commerçantes), la lex mercatoria est, dans une
très large mesure, d’origine jurisprudentielle et contractuelle. Elle est, pour
l’essentiel, le produit des sentences prononcées par les instances d’arbitrage inter-
national qui ont précisé les conduites pouvant être considérées comme conformes
aux « pratiques habituelles des affaires », et qui ont validé des modèles contractuels
diffusés par les grands cabinets internationaux d’avocats.
La lex mercatoria constitue l’une des formes les plus sophistiquées de « droit dé-
territorialisé, dont les prétentions normatives ne proviennent pas des traités entre
États souverains » 4. Son usage permet d’éviter aux parties engagées dans une rela-
tion contractuelle transfrontière que l’une d’entre elles ne soit désavantagée par un
changement imprévu dans une législation nationale. Il leur procure, en outre, une
forme d’immunité vis-à-vis de juridictions nationales, dont l’impartialité est sujette
à caution dès lors qu’elles doivent trancher entre des intérêts économiques natio-
naux et des intérêts étrangers.

4. Boaventura DE SOUSA SANTOS, Vers un nouveau sens commun juridique, op. cit., p. 323.

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La nouvelle lex mercatoria constitue un cas de « localisme globalisé » en raison


de la place prépondérante qu’y occupent les modèles – pour la plupart de style
américain – fabriqués par les compagnies transnationales, les banques internatio-
nales et leurs avocats 5. Elle connaît des évolutions très rapides en fonction des
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clauses que les acteurs économiques les plus puissants parviennent à imposer à

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leurs partenaires contractuels. Ce caractère éminemment labile la rend difficile à
appréhender par les juristes qui n’ont pas l’expérience pratique des affaires 6. Du
fait de son absence d’ancrage national, elle échappe, en outre, à tout contrôle dé-
mocratique. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que la lex mercatoria
apparaisse comme favorisant l’exploitation des acteurs faibles par les acteurs forts.
Elle est dénoncée comme incarnant des normes et des valeurs contraires à la digni-
té humaine (V° « Lex mercatoria », p. 338), qui seraient tenues par beaucoup pour
moralement injustifiables si elles étaient exprimées dans le contexte de débats
politiques ou de disputes juridiques au niveau national (V° « Coutume », p. 114).
L’arbitrage commercial international
L’arbitrage commercial international est devenu le procédé le plus courant de
résolution des litiges entre entreprises engagées dans des transactions transfron-
tières. Son expansion est la conséquence des efforts déployés par les milieux
d’affaires pour maîtriser le règlement des différends économiques et pour esquiver
les contraintes, tant légales que procédurales, imposées par les systèmes juridiques
nationaux. Cette forme de justice privée, dont le fonctionnement échappe en
grande partie au contrôle des juridictions étatiques, répond aux préoccupations du
monde marchand : rejet du formalisme, souci de confidentialité et de rapidité des
procédures, volonté de maîtriser le choix des instruments juridiques à mettre en
œuvre en cas de litige. Une telle forme de privatisation de la fonction de justice est
tolérée – voire encouragée – par les États, car ceux-ci y voient un moyen de déchar-
ger les tribunaux nationaux d’un important volume de contentieux caractérisé, de
surcroît, par sa grande technicité, complexité et variété.
La diffusion de contrats-types et l’autorité croissante de la lex mercatoria consti-
tuent les principaux vecteurs de développement de l’arbitrage commercial interna-
tional (V° « Arbitrage », p. 40). Celui-ci peut revêtir plusieurs formes. Il peut être
« institutionnel » : dans ce cas, il suit les règles d’un organisme généraliste (par
exemple, la Chambre de commerce internationale de Paris ou l’American Arbitra-
tion Association) ou celles d’une instance spécialisée (par exemple, le Centre d’arbi-
trage de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle). L’arbitrage peut
aussi être « ad hoc », ce qui signifie que la procédure de résolution du conflit est
complètement régie par la volonté des parties, qui peuvent demander aux arbitres
de se prononcer en équité, et non en droit. Les tribunaux arbitraux peuvent se réfé-
rer à différents types de normes : règles de droit étatique (très souvent américaines),
coutumes en vigueur dans les milieux d’affaire, usages du commerce international,
règles de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international

5. Ibid., p. 325.
6. André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondialisation, op. cit., p. 35.

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Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

(CNUDCI). Le développement de l’arbitrage international est l’un des principaux


facteurs explicatifs de l’expansion du marché global des services juridiques trans-
nationaux, qui est largement dominé par les grands cabinets d’avocats anglo-
américains 7.
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La promotion de modèles juridiques néolibéraux par les institutions financières internationales

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Les acteurs majeurs de la régulation globalisée des activités économiques inter-
nationales sont les entreprises transnationales, les law firms anglo-saxonnes qui
défendent leurs intérêts et les institutions financières internationales. Le Diction-
naire contient très peu d’éléments sur les deux premiers types d’acteurs.
Des entreprises transnationales, il est dit qu’elles induisent des transformations
dans les régulations juridiques des pays où elles déploient leurs activités par le biais
des modèles contractuels qu’elles imposent à leurs cocontractants locaux et à travers
les actions de lobbying qu’elles entreprennent auprès des autorités publiques. Elles
sont décrites comme échappant en grande partie aux régulations juridiques tant
nationales qu’internationales. Quant aux grands cabinets internationaux d’avocats de
style américain, leur rôle consiste, selon le Dictionnaire, à fournir aux firmes transna-
tionales les prestations dont elles ont besoin pour tirer avantage des régimes transna-
tionaux. Ils amènent également leurs clients à délocaliser certaines de leurs activités
juridiques. Par exemple, ils poussent les entreprises engagées dans des litiges interna-
tionaux à exploiter les opportunités de forum shopping qui s’offrent à elles, c’est-à-
dire les possibilités de saisir les tribunaux appelés à rendre la décision la plus favo-
rable à leurs intérêts, en raison du droit applicable (V° « Transnational », p. 492). Les
cabinets internationaux d’avocats constituent eux-mêmes des lieux de règlement
amiable des différends. Leur action fait évoluer le droit et les pratiques juridiques
dans un sens favorable aux intérêts des entreprises 8.
Les institutions financières internationales (IFI) font l’objet de plus amples ana-
lyses dans différents articles du Dictionnaire (on peut regretter que les entrées qui
leur sont expressément consacrées ne fassent pas l’objet d’un traitement plus ap-
profondi), uniquement sur le mode de la critique. Est surtout mis en avant leur rôle
d’agent de propagation et de légitimation d’un capitalisme financier international
aux effets socialement destructeurs.
Les IFI, souligne le Dictionnaire, assurent la promotion, à l’échelle mondiale,
d’un modèle de développement orienté vers le marché. Elles poussent les gouver-
nements emprunteurs à opérer des « réformes structurelles » de leur droit et de leur
appareil judiciaire de manière à ce que les entreprises présentes dans le pays béné-
ficient d’un environnement juridique propice à leur efficacité économique. Ces
prescriptions d’orientation libérale, connues sous l’appellation de « consensus de
Washington », concernent différents domaines du droit économique : réduction
des obstacles aux échanges internationaux, attraction des investissements étran-

7. Yves DEZALAY et Bryant G. GARTH, Dealing in Virtue: International Commercial Arbitration and the
Construction of a Transnational Legal Order, Chicago : University of Chicago Press, 1996.
8. Yves DEZALAY, Marchands de droit. La restructuration de l’ordre juridique international par les multina-
tionales du droit, Paris : Fayard, 1992.

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T. DELPEUCH

gers, libre concurrence, protection des droits de propriété (notamment intellec-


tuelle), garantie des obligations contractuelles (insolvabilité, faillite), allègement
des contraintes règlementaires et administratives pesant sur les activités écono-
miques, flexibilisation du rapport salarial, équilibre des comptes publics, marchan-
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disation et privatisation des services publics (V° « Consensus de Washington »,

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p. 85 ; V° « Bonne gouvernance », p. 270). Les États nationaux sont encouragés à
mettre en place des garde-fous institutionnels pour empêcher les modifications
électoralistes ou clientélistes de la législation, ainsi que pour limiter au maximum
les pouvoirs discrétionnaires d’interprétation, de transaction et d’exemption oc-
troyés aux administrations.
En matière de transformation du système judiciaire, le Consensus de Washing-
ton prône quatre orientations majeures. Tout d’abord, les IFI préconisent d’assurer
une plus grande autonomie des institutions judiciaires vis-à-vis du pouvoir poli-
tique par le biais de la modification des règles de recrutement, de promotion et de
sanction des magistrats, de la création de conseils supérieurs de la justice. En deu-
xième lieu, les IFI recommandent d’accélérer le traitement des affaires judiciaires
au moyen de réorganisations des tribunaux selon les principes du new public ma-
nagement. En troisième lieu, les IFI sont favorables au développement des méca-
nismes dits « alternatifs » de résolution des litiges, à travers la création de dispositifs
d’arbitrage, de médiation ou de conciliation dont certains sont mis en concurrence
avec les tribunaux. Enfin, les IFI prônent la professionnalisation des personnels
judiciaires, dont les moyens peuvent être, par exemple, l’élaboration de codes de
déontologie, ou encore la réforme de l’enseignement du droit dans les universités
(V° « Justice », p. 306).

I.2. L’universalisation des droits de l’homme


La promotion des droits de l’homme constitue la deuxième forme majeure de
transnationalisation de la régulation juridique. L’universalisation des droits de
l’homme est liée à la propagation transnationale, après la Seconde Guerre mon-
diale, d’attitudes compassionnelles à l’égard des personnes atteintes dans leur
dignité humaine, indépendamment de leur collectivité d’appartenance. La diffu-
sion d’une « culture juridique cosmopolite » des droits de l’homme 9 a bénéficié des
mouvements de démocratisation qui se sont succédé dans plusieurs régions du
monde depuis les années 1980 (V° « Globalisation en Amérique latine », p. 257 ;
V° « Globalisation en Europe centrale », p. 261). Elle a également été favorisée par
les luttes menées par les mouvements féministes et par diverses minorités contre
les discriminations et pour la reconnaissance des spécificités identitaires des
groupes dominés. Cette culture a permis le développement d’un régime global des
droits de l’homme, dont l’Organisation des Nations unies constitue l’acteur central.
Les éléments clé de ce régime sont l’universalisation du principe de dignité hu-
maine, le développement de juridictions ayant vocation à en assurer le respect au

9. Boaventura DE SOUSA SANTOS, Vers un nouveau sens commun juridique, op. cit., p. 377.

742  Droit et Société 82/2012


Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

niveau international et la propension croissante des mouvements militants à utili-


ser ce type de voie de recours.
Le régime transnational de protection de la dignité humaine
En dépit de sa faiblesse pour ce qui est de sa mise en œuvre, qui continue de
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dépendre de la volonté politique des gouvernements nationaux, ce régime jouit
d’une autorité croissante sur la scène internationale. Le système européen de ga-
rantie des droits de l’homme en représente la composante la plus développée et la
plus efficace. Celui-ci se distingue par la capacité de la Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH) à prendre des décisions obligatoires pour les États membres du
Conseil de l’Europe, ainsi que par la possibilité ouverte aux victimes d’une violation
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de déposer un
recours directement auprès de la CEDH. Les autres systèmes régionaux (interaméri-
cain, africain) de mise en œuvre des droits de l’homme ont une effectivité très limitée.
Un ensemble de principes et de valeurs liés à la dignité humaine acquièrent une
portée universelle : interdiction d’infliger un traitement dégradant aux personnes
humaines sans distinction entre nationaux et étrangers, prohibition de réduire
l’être humain à la condition de marchandise, protection des libertés et droits fon-
damentaux – y compris les droits à un minimum de subsistance, à l’image, à
l’intimité, à l’honneur (V° « Dignité de la personne humaine », p. 149) –, lutte contre
la pauvreté, suppression des discriminations à l’égard des femmes (V° « Femme –
Empowerment », p. 217) et des minorités (V° « Minorités », p. 359), promotion de la
démocratie et de l’État de droit, transparence et responsabilité de l’action publique
(V° « État de droit », p. 210), renforcement du contrôle de constitutionnalité et indé-
pendance de la justice (V° « Justice constitutionnelle », p. 327).
Des variations nationales subsistent quant à la définition de la dignité humaine et
quant à l’interprétation des obligations découlant des droits de l’homme 10, mais les
régimes démocratiques en ont développé une vision relativement consensuelle qui se
traduit par une convergence progressive des droits constitutionnels, dont la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée à Nice en 2000 en constitue
une illustration. L’éventail des droits faisant l’objet d’une protection au niveau inter-
national est en voie d’élargissement. Il est progressivement étendu à des questions
telles que le traitement des immigrés clandestins, l’accueil des réfugiés, le secours
humanitaire aux populations contre la volonté de leur gouvernement, la garantie de
droits sociaux minimaux... Les mêmes règles de prohibition et de répression des
crimes portant le plus gravement atteinte à la dignité humaine sont reconnues par un
nombre croissant de pays (V° « Justice pénale internationale », p. 330).
Certains auteurs voient dans le mouvement contemporain de promotion des
droits de l’homme une expression de l’hégémonisme juridique manifesté par les
pays occidentaux (V° « Droit international des droits de l’homme », p. 175). Ils ap-
pellent de leurs vœux l’ouverture d’un dialogue interculturel sur la définition des
droits de l’homme, ouvert à des visions non occidentales de la dignité humaine 11.

10. André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondialisation, op. cit., p. 211.


11. Boaventura DE SOUSA SANTOS, Vers un nouveau sens commun juridique, op. cit., p. 390-391.

Droit et Société 82/2012  743


T. DELPEUCH

D’autres auteurs critiquent l’individualisme libéral sous-jacent à la conception


dominante des droits de l’homme et souhaitent que les capacités et besoins collec-
tifs soient davantage pris en compte. Ils contestent la priorité accordée aux droits
civils et politiques sur les droits économiques, sociaux et culturels (V° « Droits so-
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ciaux », p. 183).

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Les juridictions internationales assurant la protection des droits de l’homme
L’adhésion grandissante dont font l’objet les droits de l’homme sur la scène inter-
nationale a suscité la création d’instances supranationales et nationales chargées
d’en assurer la promotion et la protection : juridictions régionales telles la Cour euro-
péenne des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme,
Cour pénale internationale, certaines juridictions nationales lorsqu’elles revendi-
quent une « compétence universelle » pour juger les crimes contre l’humanité com-
mis dans d’autres pays, mécanismes de surveillance par lesquels des États sont pous-
sés à remplir leurs engagements en matière de respect des droits de l’homme, voies
de recours et procédures de réclamation permettant aux personnes de s’opposer aux
violations (V° « Droit international des droits de l’homme », p. 173).
Le souci transnational de défense universelle des libertés et droits fondamen-
taux a débouché sur l’affirmation d’un « constitutionnalisme transnational limitant
la souveraineté étatique et assurant un contrôle juridictionnel exogène sur les actes
des gouvernements » (V° « Justice », p. 303). Cette dynamique entraîne une homo-
généisation de la manière dont les droits de l’homme sont conçus et mis en œuvre
(V° « Justice – Cour de justice de l’Union européenne – CJUE », p. 312). Elle pro-
voque une diminution de la marge de manœuvre des juridictions pénales des États
du fait d’une « harmonisation progressive des règles d’interdiction et de répres-
sion » qui s’appliquent aux agissements portant gravement atteinte à la dignité
humaine (V° « Justice pénale internationale », p. 331).
La judiciarisation du militantisme transnational
De nombreux mouvements sociaux et politiques ont pris conscience des avan-
tages qu’ils peuvent retirer de l’utilisation des ressources juridiques et des voies de
recours qu’offrent les régimes internationaux, en particulier celui des droits de
l’homme (V° « Droit international », p. 171). Ces acteurs ont appris à formuler leurs
revendications en termes de droits à conquérir ou à faire respecter 12. Ils se dotent
d’une expertise juridique et s’investissent d’un rôle de surveillance de la manière
dont les régulations juridiques transnationales sont appliquées.
Ces mouvements ont, de plus, compris l’intérêt qu’il peut y avoir à s’assembler
au sein d’organisations ou de réseaux internationaux afin d’être mieux à même de
faire entendre leur voix dans les forums où sont négociées les règles transnatio-
nales. Ils deviennent ainsi « autant des acteurs que des vecteurs de la globalisation,
trouvant en elle de nouveaux modes de résolution des conflits (par les instances
internationales notamment), mais étant également confrontés dans leur défense

12. Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, Paris : LGDJ Lextenso éditions, coll. « Droit et Société », 3e éd.,
2008, p. 112.

744  Droit et Société 82/2012


Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

des minorités ou des exclus à ses conséquences sociales et économiques les plus
dramatiques. La globalisation de leurs savoir-faire, de leurs réseaux et de leurs stra-
tégies est rendue nécessaire par la transnationalisation des acteurs auxquels ils sont
confrontés » (V° « Cause lawyering », p. 58). L’ONG internationale constitue la forme
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institutionnelle privilégiée du militantisme juridique transnational.

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Les mouvements militants transnationaux déploient des stratégies visant à in-
fluencer les orientations d’institutions internationales jouissant d’un fort capital de
légitimité sur la scène internationale. Certains sont dépendants de la reconnais-
sance officielle et du soutien matériel que leur apportent ces institutions 13.
Ce type d’action militante qui emploie l’arme du droit a beaucoup contribué à
l’expansion du contentieux international des droits de l’homme, dans la mesure où
les protestations sont qualifiées en termes de violation des droits fondamentaux. Il
a également participé à la diffusion de formes collectives d’action juridique, telle la
class action qui « permet à un membre d’un groupe d’engager une action en justice
au nom de ce groupe, tout autre membre pouvant se joindre à l’action afin de profi-
ter de la réparation accordée par le juge » 14.

I.3. Les tensions entre formes de transnationalisation


Un troisième domaine d’expansion du droit transnational est la gestion des
risques touchant à l’environnement. De plus en plus d’ordres juridiques nationaux
et internationaux incorporent des dispositions destinées à préserver l’environ-
nement et à favoriser un « développement durable », par exemple la jurisprudence
de la Cour de justice de l’Union européenne ou les règles de l’Organisation mon-
diale du commerce (V° « Développement durable », p. 141). Ces systèmes intègrent
un devoir de « responsabilité envers les générations futures » (V° « Droit écono-
mique », p. 168) et reconnaissent le principe de précaution (V° « Précaution – prin-
cipe de », p. 323). De fortes divergences persistent néanmoins entre les différents
ordres juridiques quant à la manière plus ou moins stricte d’appliquer ces prin-
cipes, ce qui entraîne un contentieux international.
Le quatrième secteur dans lequel la dynamique de transnationalisation s’avère
particulièrement prononcée est la lutte contre les formes transnationales de crimi-
nalité. Cette évolution favorise le durcissement des politiques criminelles dans de
nombreux pays : criminalisation de comportements auparavant tolérés, surveil-
lance intrusive des groupes sociaux considérés comme dangereux, priorité accor-
dée à la prohibition et la répression en tant que réponses aux déviances, alourdis-
sement des peines et accroissement de la population carcérale (V° « Criminalité et
système pénitentiaire », p. 118), diminution des moyens consacrés à la prévention, à
l’éducation et à la réinsertion sociale des délinquants, banalisation des régimes et
pratiques d’exception (au nom de la protection contre les menaces terroristes), cri-
minalisation de l’immigration clandestine. La transnationalisation des politiques de
répression constitue à la fois une réponse des gouvernements face à l’internationa-

13. André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondialisation, op. cit., p. 228.


14. Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, op. cit., p. 113.

Droit et Société 82/2012  745


T. DELPEUCH

lisation de certaines activités criminelles (trafics d’êtres humains, de drogues, de


produits contrefaits, blanchiment d’argent sale, cybercriminalité…), une consé-
quence de la prédominance des idées néolibérales, pour lesquelles l’État gendarme
est préférable à l’État-providence (V° « Droit », p. 154), et le résultat de stratégies
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poursuivies de manière semi autonome par les appareils policiers dans le but

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d’accroître leur pouvoir (V° « Police », p. 402).
Il existe des tensions et des contradictions entre ces différents axes de transnatio-
nalisation du droit. La déréglementation économique et les politiques sécuritaires
peuvent aller à l’encontre des droits de l’homme. La liberté de mouvement et d’action
conférée aux entreprises favorise l’essor de nouvelles formes d’esclavage et de surex-
ploitation des travailleurs liées à la compétition internationale pour la réduction des
coûts de la main d’œuvre (V° « Esclavage moderne », p. 202). La lutte contre le terro-
risme sert de prétexte à l’usage des technologies de l’information et de la communica-
tion pour faire intrusion dans la vie privée des personnes ou pour porter atteinte à
leur dignité. Mais les droits de l’homme peuvent aussi constituer un moyen de limiter
les possibilités d’exploitation ouvertes aux pouvoirs économiques privés, ainsi que de
sauvegarder la liberté, la dignité et la vie privée des personnes contre un excès de
contrôle et de répression de la part des pouvoirs publics (V° « Autonomie privée »,
p. 44). D’autre part, l’accroissement des marges de liberté accordées aux firmes pri-
vées engagées dans des activités économiques ou financières internationales fait
obstacle à l’efficacité tant des politiques de défense de l’environnement que des poli-
tiques de protection et d’inclusion sociale (V° « Pauvreté », p. 399), de même qu’il
facilite l’introduction de produits et de capitaux issus d’activités répréhensibles dans
les circuits économiques légaux (V° « Économie illicite », p. 191).

II. Les caractéristiques du droit transnational


Selon le Dictionnaire, les nouveaux régimes transnationaux de régulation sont
fondamentalement différents des formes traditionnelles d’internationalisme juridique,
qui ont pour finalité de rendre possible une certaine coordination entre les États-
nations tout en respectant scrupuleusement la souveraineté des plus puissants d’entre
eux. Ces formes classiques de droit international se caractérisent par la suprématie des
États dans l’élaboration et la mise en œuvre des conventions internationales.
La nouveauté des régimes transnationaux réside dans la participation d’acteurs
non étatiques, au premier rang desquels les organisations internationales, aux dif-
férents processus et étapes de la régulation juridique. D’autre part, les régimes
transnationaux se distinguent du droit international par la nature particulière des
règles juridiques qui les composent, dont une grande partie a un caractère hybride,
négocié et flexible.

II.1. Un droit produit et diffusé avec la participation d’organisations internationales


Les règles des régimes transnationaux ont deux sources principales. D’une part,
elles sont le résultat du contentieux international qui met aux prises des acteurs de
diverses natures (publics et privés, nationaux et internationaux, individuels et col-
lectifs…) visant la protection d’intérêts spécifiques ou la défense de causes plus

746  Droit et Société 82/2012


Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

générales (V° « Droit transnational », p. 491). Ces litiges sont tranchés par une
grande variété de juridictions internationales dont beaucoup ont un champ de
compétences limité à un type bien spécifique d’activité.
D’autre part, les règles transnationales sont conçues et édictées dans l’enceinte et
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avec la participation active d’organisations internationales. Beaucoup d’entre elles

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ont été créées à l’initiative de gouvernements nationaux afin de faciliter la prise en
charge, au niveau international, de problèmes dont l’ampleur dépasse les limites
territoriales des État affectés. Toutefois, ces organisations finissent généralement par
acquérir, « par le jeu de l’institutionnalisation », une logique d’action qui leur est
propre 15.
Un nombre croissant d’organisations internationales se voit reconnaître le pou-
voir d’énoncer des règles juridiques, d’en assurer la promotion à l’échelle interna-
tionale et d’en vérifier la mise en œuvre. Les États intégrés dans ces organisations
acceptent de se plier aux règles élaborées en leur sein, voire se résolvent à leur délé-
guer une partie de leurs prérogatives en matière de production et de mise en appli-
cation du droit (V° « Droit », p. 151). Ils se résignent à ce que leurs politiques natio-
nales soient de plus en plus déterminées par les orientations définies dans le cadre
de l’organisation internationale (V° « Politiques publiques », p. 407).
Il existe différents types d’organisations internationales ayant la capacité de géné-
rer un ordre juridique. Celles-ci se distinguent les unes des autres par l’étendue de
leur champ de compétences – qui peut être limité à un secteur particulier ou couvrir
un large éventail de domaines d’activité –, le caractère plus ou moins contraignant
des normes qu’elles édictent, la marge de liberté plus ou moins étendue laissée aux
pays membres pour en adapter la teneur. Le droit produit dans le cadre des régimes
transnationaux est de plus en plus conçu comme étant au service d’un intérêt général
de la communauté d’acteurs étatiques et non-étatiques concernés. Il se rapproche en
cela de ce qu’est le droit public à l’intérieur des États (V° « Privé/Public », p. 426) et
devient progressivement une source de droits subjectifs pour les individus, qui voient
s’ouvrir à eux des voies de recours pour sanctionner ses violations et réclamer son
application.
La capacité des organisations internationales à propager et à rendre effectives
les règles qu’elles produisent ne dépend pas seulement de la « pression juridique »
qu’elles sont en mesure d’exercer sur les États membres. Elle repose également sur
leur aptitude à persuader les gouvernements nationaux du bien-fondé des solu-
tions juridiques préconisées. Différents procédés d’influence peuvent être mobili-
sés à cet effet : développement d’expertises et diffusion d’argumentations scienti-
fiques, production de classements internationaux, évaluation et comparaison des
mérites respectifs de différents types de mesures (benchmarking).

II.2. Le caractère hybride, négocié et flexible des règles juridiques transnationales


Le droit transnational est élaboré et interprété à partir d’un travail de comparai-
son et d’hybridation entre divers ordres juridiques nationaux et internationaux. La

15. Ibid., p. 127.

Droit et Société 82/2012  747


T. DELPEUCH

démarche comparative peut, dans certains cas, revêtir un caractère systématique du


fait de son institutionnalisation via des procédures et des instruments, comme c’est le
cas dans les dispositifs de policy intelligence ou de benchmarking (V° « Intelligence »,
p. 291).
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Différents types d’acteurs juridiques apportent une contribution majeure aux pro-

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cessus de métissage des droits. Tout d’abord les cabinets internationaux d’avocats, qui
sont devenus l’un des principaux lieux d’élaboration d’un droit des affaires en voie
d’uniformisation à l’échelle globale.
Participent également à cette hybridation les juridictions supérieures des États et
les tribunaux régionaux et internationaux, entre lesquels s’opère une circulation de
plus en plus intense des idées et des solutions juridiques à tel point que certains au-
teurs évoquent l’émergence de « jurisprudences globales », par exemple dans le do-
maine du droit constitutionnel (V° « Justice constitutionnelle », p. 328). Les juridic-
tions régionales et internationales constituent des lieux particulièrement propices au
dialogue et au rapprochement entre traditions juridiques nationales, ainsi qu’à la
formation de conceptions cosmopolites du droit. En effet, elles s’investissent à des-
sein d’un rôle de forum dans lequel des connexions entre juges nationaux peuvent
s’établir, et au sein duquel des débats juridiques internationaux peuvent prendre
place dans le cadre de rapports non hiérarchiques (V° « Justice – Cour de justice de
l’Union européenne – CJUE », p. 313 ; V° « Cour internationale de justice », p. 322). Ces
juridictions parviennent ainsi à asseoir leur légitimité et à renforcer leur influence en
même temps qu’elles contribuent à faire émerger et à rendre acceptables des com-
promis nécessaires au développement d’un droit transnational. La sociologie du droit
anglo-saxonne a nommé « cross-fertilization » ces phénomènes d’influences croisées
et d’emprunts réciproques entre juridictions à l’échelle internationale.
Enfin, l’hybridation peut être effectuée par des instances internationales dédiées à
la création d’ordres juridiques transnationaux. Par exemple, l’Institut international
pour l’unification du droit privé, une organisation intergouvernementale basée à
Rome, a pour objet d’élaborer des instruments, des principes et des règles de droit
uniformes en vue d’harmoniser et de coordonner le droit commercial au niveau glo-
bal. Cette organisation fabrique les « Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du
commerce international », aussi appelés « lois uniformes ». Ceux-ci constituent une
forme d’homogénéisation et de codification des pratiques et des usages existant dans
les milieux d’affaires internationaux (V° « Unidroit – Principes », p. 499).
Une grande partie des règles qui composent le droit transnational ont été adop-
tées par compromis, à l’issue d’un processus de concertation au cours duquel diffé-
rents acteurs intéressés ont eu la possibilité de faire valoir leur position. Dans beau-
coup de cas, ces règles négociées ont été élaborées dans le cadre d’une instance parti-
cipative de prise de décision, associant un éventail hétérogène de stakeholders appar-
tenant aux secteurs d’activité concernés (V° « Gouvernance », p. 268). Ces scènes de
délibération constituent des lieux propices à la production de normes convention-
nelles adaptées aux spécificités sectorielles, qui recueillent un large assentiment tant
de la part des destinataires que des contrôleurs de la mise en œuvre. Les autorités
publiques nationales y sont une partie prenante parmi d’autres. La gamme des

748  Droit et Société 82/2012


Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

acteurs non gouvernementaux qui interviennent dans les forums d’élaboration des
règles transnationales a tendance à se diversifier (V° « Droits sociaux », p. 186). Le
haut degré d’adhésion ainsi suscité est supposé accroître les chances que les règles
soient effectivement appliquées. L’instrument juridique couramment employé pour
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mettre en forme les accords concernant les règles transnationales est le contrat.

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Le droit transnational a un caractère flexible. Tant ses producteurs que ses des-
tinataires considèrent qu’il doit être constamment ajusté en réponse aux change-
ments dans le domaine d’activité régulé. Ainsi, il est largement admis qu’un contrat
international peut être renégocié lorsque surviennent des circonstances – telles des
variations du marché – qui modifient substantiellement la répartition des coûts et
des bénéfices entre les participants (V° « Hardship – Clause de », p. 279). Les dispo-
sitifs de régulation sont aménagés de manière à trouver des solutions rapides aux
conflits qui surgissent entre les parties prenantes afin d’éviter, autant que faire se
peut, l’interruption ou la rupture de la relation économique. C’est pourquoi les
modes amiables de règlement des litiges, tels que la médiation ou l’arbitrage, sont
préférés aux mécanismes juridictionnels. Certaines formes et techniques de média-
tion connaissent une large diffusion internationale qui doit beaucoup aux efforts de
promotion déployés par les milieux de l’aide au développement : ombudsman,
commissions de vérité et de réconciliation, médiation d’entreprise, conciliation
judiciaire (V° « Médiation », p. 351).
Les règles dépourvues de force obligatoire au sens juridique strict occupent une
place importante dans le droit transnational. Ce droit doux (sans obligation contrô-
lée par la puissance publique) et mou (sans sanction judiciaire ni administrative)
trouve sa source dans des textes de natures variées, qui peuvent avoir un caractère
de programme, de résolution, de déclaration, de recommandation ou encore d’avis.
Il émane de divers types d’autorités : organisations internationales, agences éta-
tiques de coopération internationale, ONG, associations patronales ou syndicales
(codes de conduite destinés aux entreprises d’une branche)… Certaines règles de
soft law ont une réelle force normative et peuvent avoir une portée supérieure à
celle d’instruments de hard law comme les traités. Elles constituent une référence
incontournable pour leurs destinataires, auxquels elles fournissent des modèles de
comportement effectivement suivis. Dans certains cas, elles sont utilisées comme
source d’inspiration par des instances étatiques ou internationales de production
de droit, et connaissent ainsi un processus de conversion en droit positif. Par
exemple, « le principe de précaution contenu dans la déclaration de Rio (1992), où il
ne constituait qu’un principe déclaratoire parmi d’autres, destinés à inspirer le
droit à venir, a fini par devenir un principe de droit positif communautaire (traité
de Maastricht, 1992) et français, légal (loi Barnier, 1995) puis constitutionnel
(Charte de l’environnement, 2005) » (V° « Soft Law », p. 475).
Enfin, dans beaucoup de cas, le droit transnational est un droit orienté vers la
prévention des risques. Il a moins pour finalité de sanctionner des comportements
désignés comme répréhensibles que d’entraver l’accomplissement de pratiques
pouvant entraîner l’aggravation d’un problème ou la réalisation d’un risque ayant
un impact global. Le droit transnational met en avant les principes de précaution,

Droit et Société 82/2012  749


T. DELPEUCH

de vigilance, de surveillance permanente, d’action préventive (V° « Droit », p. 153),


en particulier lorsque les risques qu’il s’agit de maîtriser ont un caractère systé-
mique (instabilité des marchés financiers globalisés) ou peuvent provoquer des
situations catastrophiques (V° « Risque », p. 459).
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III. Critique de la globalisation juridique
La globalisation juridique suscite critiques et débats au sein de la sociologie du
droit. Le Dictionnaire accorde une large place à deux répertoires d’arguments. Le
premier dénonce le poids excessif des acteurs d’orientation néolibérale dans les
processus de transnationalisation du droit. Le second s’inquiète de ce que la globa-
lisation ébranle les architectures juridiques de type civiliste qui se trouvent progres-
sivement démantelées sous les coups de boutoir de l’impérialisme des modèles de
style américain, de la privatisation rampante d’un nombre croissant de régulations
sectorielles (ainsi détournées de l’intérêt public national) et de la prolifération des
foyers de juridicité autres qu’étatiques. D’autre part, le Dictionnaire fait référence à
deux débats en sciences sociales concernant les effets de la globalisation juridique.
Le premier porte sur la place – toujours centrale pour les étatistes, désormais se-
condaire pour les globalistes – qu’occupe l’État dans les régimes juridiques globali-
sés. Le deuxième concerne la réalité sociale – tenue pour évidente par les positi-
vistes, mise en doute par les pluralistes – d’un ordre juridique moderne dont la
globalisation provoquerait la dislocation.

III.1. La dénonciation de la globalisation néolibérale


Plusieurs articles du Dictionnaire prêtent une valeur nettement négative à la
forme économique de la globalisation juridique. Celle-ci est décrite comme étant
sous l’emprise de la « bourgeoisie corporative transnationale » 16 qui fait prévaloir
ses intérêts par le biais d’un ensemble d’acteurs « hégémoniques » ayant adhéré à
l’idéologie néolibérale. Ces acteurs sont les compagnies transnationales et les lob-
bies défendant leurs intérêts, les agences de notation financière, les grandes socié-
tés de conseil et d’audit, les law firms, les institutions financières internationales et
le gouvernement des États-Unis.
Les détracteurs de la « globalisation hégémonique » accusent celle-ci de propa-
ger une conception individualiste et antiétatique du droit, qui appréhende les rela-
tions humaines et le bien public à travers la notion d’efficacité économique, à
l’exclusion de toute autre préoccupation (V° « Law and Economics », p. 335). Ils
reprochent aux « acteurs dominants » d’instrumentaliser le droit pour encourager
les comportements visant à maximiser les profits économiques, pour susciter la
marchandisation de toutes les formes d’échange social, pour privatiser la propriété
de toutes les ressources susceptibles d’être exploitées de manière rentable (« Pro-
priété », p. 437) ainsi que pour conférer aux entreprises transnationales des préro-
gatives semblables à celles des États en termes de privilèges, immunités, droits
spéciaux d’accès aux ressources naturelles et aux infrastructures publiques, avan-

16. Boaventura DE SOUSA SANTOS, Vers un nouveau sens commun juridique, op. cit.

750  Droit et Société 82/2012


Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

tages fiscaux 17. Est également pointé du doigt le lobbying exercé par les « acteurs
dominants » pour que soient diminuées les réglementations destinées à encadrer
les activités économiques, à protéger les producteurs nationaux contre la concur-
rence internationale, à redistribuer les richesses et à établir une protection sociale
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(V° « Droits sociaux », p. 182 18).

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Par leur mainmise sur les instances nationales et internationales de régulation
juridique, les coalitions d’intérêts privés et publics rassemblées autour des entre-
prises transnationales réduiraient peu à peu le droit à l’état de « simple appendice »
de la classe capitaliste transnationale, si bien que les systèmes juridiques nationaux
offriraient une protection de moins en moins efficace contre les abus perpétrés par
les pouvoirs économiques privés (V° « Flexibilisation », p. 222). Coupé de la poli-
tique démocratique, livré aux mains des experts, placé au service de la performance
économique, aligné sur les exigences du capital financier international, le droit
deviendrait de plus en plus insensible aux préoccupations du public, de plus en
plus indifférent à la quête du bien-être général (ou du moins à la conception qu’en
ont les autorités publiques).
Seul l’article spécifiquement consacré au néolibéralisme porte un jugement
nuancé sur la forme économique de la globalisation juridique. Selon son auteur, les
pouvoirs économiques privés admettent l’utilité du droit pour créer le cadre insti-
tutionnel indispensable au bon fonctionnement du marché et à la prévisibilité dans
les affaires. Ils estiment certes que le droit doit être placé au service de la promotion
des valeurs du libéralisme économique : esprit d’entreprise, responsabilité indivi-
duelle, régulation par le marché, liberté contractuelle. Mais ils reconnaissent que
les règles juridiques doivent aussi contribuer à ce que chacun ait concrètement la
possibilité de participer à la compétition économique. Elles doivent, en particulier,
assurer l’égalité des chances (V° « Néolibéralisme », p. 369).
L’auteur souligne également que certains des instruments juridiques mis à
l’honneur par la « globalisation hégémonique » sont couramment employés pour
défendre des intérêts autres qu’économiques : constitution de marchés des droits à
polluer pour lutter contre la dégradation de l’environnement, création de marques
et de labels pour promouvoir des pratiques économiques répondant à des critères
de justice sociale (commerce équitable, entreprises socialement responsables…),
utilisation du contrat pour officialiser les décisions prises dans le cadre de poli-
tiques publiques comportant des procédures participatives, recours à la certifica-
tion et au benchmarking pour améliorer la qualité des services publics, mise en
place de partenariats public-privé pour élargir la gamme des prestations offertes
aux usagers des administrations…

III.2. La crainte du délitement des systèmes juridiques civilistes


Le Dictionnaire souligne à de nombreuses reprises que la prise en compte des
régulations transnationales par les systèmes juridiques étatiques entraîne de pro-

17. Ibid., p. 326.


18. Voir aussi Alain SUPIOT, L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Paris : Seuil, 2010.

Droit et Société 82/2012  751


T. DELPEUCH

fondes mutations de ceux-ci, tant sur le plan des pratiques qu’au niveau des idées,
intérêts et institutions. La pression adaptative est particulièrement forte dans les
pays de tradition juridique civiliste, dans la mesure où les modèles dominants au
niveau global proviennent principalement des systèmes de common law.
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La pénétration de formes juridiques transnationales dans le droit interne est fa-

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vorisée par l’essor du contrôle de constitutionnalité, qui engendre un impératif de
conformité au droit international, si bien que celui-ci s’impose comme une clé
d’interprétation du droit national (V° « Droit civil », p. 159). Les institutions juri-
diques des États sont de plus en plus soumises à l’influence des autorités de régula-
tion et des juridictions internationales dont les décisions deviennent une référence
incontournable pour les producteurs nationaux de règles juridiques.
Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, l’adoption, au niveau international, de
principes visant à protéger la dignité des femmes et des enfants provoque des
changements radicaux dans le droit de la famille de nombreux pays : une plus
grande variété de formes de famille est acceptée, les relations de filiation devien-
nent indépendantes du mariage (parité de traitement des enfants nés hors-
mariage), l’intérêt de l’enfant devient la préoccupation majeure dans les divorces,
une égale autorité est reconnue aux membres du couple, toute contrainte violente est
rendue répréhensible, il est proclamé que la famille doit avoir pour but l’épanouis-
sement de la personne, la démocratisation des rapports familiaux est consacrée
(V° « Famille », p. 214 ; V° « Famille démocratique », p. 216 19).
L’américanisation des systèmes juridiques nationaux
Nombreux sont les auteurs qui considèrent que la transnationalisation du droit
entraîne une convergence des systèmes nationaux vers des modèles imprégnés par
la culture juridique anglo-saxonne, en particulier dans le domaine économique.
Ainsi, les pays européens de tradition romano-germanique ont été amenés à
s’aligner sur des standards juridiques provenant des États-Unis, par exemple en
matière de pratiques anticoncurrentielles (V° « Concurrence », p. 78), propriété
intellectuelle, contrats commerciaux, protection des consommateurs, règlementa-
tion boursière, règles comptables, faillites, organisation et gouvernement des socié-
tés… Des dynamiques d’américanisation existent également dans les institutions
judiciaires : importance croissante de la jurisprudence dans la décision judiciaire,
introduction de règles procédurales empruntées au système américain (place ac-
crue de l’oral par rapport à l’écrit, plaider coupable, procès pénal accusatoire, ac-
tion de groupe…) (V° « Chose jugée », p. 63), changement de rôle et de statut des
magistrats. Les juges européens alignent leurs répertoires d’action sur ceux de leurs
homologues d’Outre-Atlantique en ce qu’ils « tentent souvent expressément de
résoudre des problèmes sociaux et économiques, s’attaquent aux questions poli-
tiques sans hésiter et défient l’exécutif et le législatif à un degré inconnu jusqu’ici
dans l’État européen moderne » 20. Pour expliquer l’influence exercée par les mo-
dèles juridiques américains, certains auteurs mettent en avant le caractère haute-

19. Voir aussi André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondialisation, op. cit.
20. Mathias REIMANN, « Droit positif et culture juridique », Archives de philosophie du droit, 45, 2001, p. 71.

752  Droit et Société 82/2012


Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

ment flexible de la régulation juridique de common law, qui s’avère particulière-


ment bien adapté à l’évolution des échanges économiques 21. Cette souplesse du
droit anglo-saxon est opposée à la rigidité, au formalisme et au « profond loca-
lisme » qui continue de caractériser les approches juridique s’inscrivant dans la
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tradition romano-germanique (V° « Globalisation en Amérique latine », p. 257).

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Le mouvement d’américanisation touche également les professions juridiques.
Une partie des avocats des pays de tradition civiliste s’est résolue à imiter les modes
d’organisation et les pratiques développées par les grands cabinets anglo-américains.
Ces avocats ont dû s’habituer à résoudre les conflits par la transaction amiable, la
conciliation ou l’arbitrage plutôt que par les procès judiciaires. Comme leurs col-
lègues américains – portés par leur éducation à envisager le droit dans une perspec-
tive plus pragmatique que formaliste –, ils ont appris à conjuguer une multiplicité
d’ordres normatifs (juridiques et non-juridiques, étatiques et internationaux) pour
être en mesure d’élaborer des raisonnements complexes, conciliant et pondérant
une grande variété de normes et d’intérêts (V° « Professions juridiques », p. 430).
Beaucoup d’entre eux ont acquis des compétences techniques très poussées dans
d’autres domaines que le droit de manière à élargir la gamme des conseils qu’ils
sont capables de prodiguer à leurs clients. Ils peuvent ainsi prendre complètement
en main, en tant qu’« avocat mandataire en transactions », toutes les étapes de la
négociation d’un contrat pour le compte d’un client. Enfin, ces avocats ont consen-
ti l’effort nécessaire pour s’insérer dans des réseaux internationaux de juristes.
L’évolution des critères de professionnalisme qu’induit l’américanisation des pra-
tiques juridiques entraîne la transformation des formations universitaires en droit
(V° « Enseignement du droit », p. 194).
L’influence exercée par les modèles transnationaux sur un système juridique
national dépend de plusieurs facteurs : le niveau de puissance du pays dans la vie
internationale, l’intensité des pressions extérieures auxquelles il est soumis, sa
capacité à défendre sa souveraineté (V° « Globalisation », p. 231), les résistances
opposées par des acteurs internes (V° « Consommateur », p. 91), le degré d’inertie
institutionnelle du champ juridique national – ou, pour le dire autrement, la force
de l’attachement des acteurs qui le composent à certaines traditions bien établies –,
la « trajectoire historique du pays jusqu’à la modernité et à travers cette dernière »,
la culture juridique dominante dans le pays 22. Certains systèmes juridiques natio-
naux – généralement ceux des pays les plus puissants – sont peu réceptifs aux trans-
ferts internationaux, tandis que d’autres sont incapables de s’opposer aux pressions
extérieures. Les transplantations juridiques sont reçues et intégrées de manières
très diverses par les différents pays importateurs, chacun composant sa propre
version des règlementations importées en fonction de son style juridique histo-
rique. C’est pourquoi des disparités importantes persistent entre les systèmes juri-
diques et judiciaires des différents pays, y compris à l’intérieur des blocs régionaux.
De nombreux domaines spécialisés du droit continuent, du reste, de relever uni-
quement des États.

21. Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, op. cit., p. 137.


22. Boaventura DE SOUSA SANTOS, Vers un nouveau sens commun juridique, op. cit., p. 299.

Droit et Société 82/2012  753


T. DELPEUCH

La privatisation de la régulation juridique


Les pouvoirs privés économiques jouent un rôle majeur dans le fonctionnement
des régimes juridiques transnationaux, dans la mesure où ils exercent une forte
influence sur les autorités de régulation qui en définissent les règles. Le règles éla-
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borées dans le cadre de ces régimes sont vues comme étant de nature publique en

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raison de leur juridicité, mais elles ont en réalité un caractère privé car elles sont
globalement favorables aux intérêts des acteurs privés transnationaux 23 et, d’autre
part, elles échappent largement aux formes classiques (nationales) de contrôle
démocratique.
Les nouvelles formes de régulation juridique globalisée supposent un déplace-
ment des frontières entre domaine public et domaine privé et facilitent la formation
de nouvelles combinaisons de pouvoirs publics et privés. Des dispositifs juridiques
permettant la marchandisation des services d’intérêt général sont instaurés. Des
acteurs privés sont associés au processus d’élaboration et de mise en œuvre des
textes juridiques. Les idées, valeurs et préoccupations véhiculées par le monde de
l’entreprise – et plus particulièrement par la finance internationale – exercent une
influence croissante sur la conception du droit destiné à réguler le domaine public
des États nationaux. Les instances nationales de production de droit manifestent
un souci grandissant de ménager les intérêts des acteurs économiques implantés
sur le territoire. « La logique utilitaire du marché global circule dans le domaine
public où elle finit par émerger comme politique d’État 24. » L’État fait sien et met
lui-même en œuvre le projet global de diminuer son rôle.
Des fonctions de régulation juridique auparavant assumées par des autorités
publiques sont confiées à des acteurs privés : définition des normes comptables,
prestations dédiées au maintien de la sécurité, règlement des différends interentre-
prises, maintien des règles de marché financier par les places boursières (qui sont
des entreprises privées 25). Un tel déplacement entraîne un basculement de leurs
logiques d’action « qui passent du service du “bien public” au service d’un intérêt
privé, le plus souvent un bien privé très spécifique » 26. Dans ce type de configura-
tion, la privatisation de la source de règles revêt un caractère tout à fait officiel.
Certains régimes internationaux ont été privatisés à dessein afin de surmonter
l’obstacle du manque de coopération entre les gouvernements nationaux.
La généralisation, à l’échelle du globe, du modèle de l’agence de régulation in-
dépendante (ARI) constitue l’une des principales manifestations de cette dyna-
mique de privatisation de la régulation juridique.
Les ARI sont des organismes chargés de normaliser les activités et de résoudre
les conflits dans un secteur spécifique. Elles détiennent des pouvoirs de surveil-
lance, d’enquête et de sanction sans être des juridictions. Elles font volontiers usage

23. Saskia SASSEN, Losing Control? Sovereignty in an Age of Globalization, New York : Columbia University
Press, 1996.
24. Saskia SASSEN, Critique de l’État. Territoire, Autorité et Droits, de l’époque médiévale à nos jours, Paris :
Demopolis – Le Monde diplomatique, 2006, p. 176.
25. Voir André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondialisation, op. cit., p. 165.
26. Saskia SASSEN, Critique de l’État. Territoire, Autorité et Droits, de l’époque médiévale à nos jours, op. cit., p. 162.

754  Droit et Société 82/2012


Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

de règles molles, élaborées au moyen de procédures de consultation très poussées.


Dans de nombreux cas, les ARI sont mises en place pour contrôler la manière dont
des prestataires privés s’acquittent de missions de service public qui leur ont été
confiées par les autorités publiques (V° « Services publics », p. 466). Elles jouent
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désormais un rôle central dans la régulation des activités bancaires (banques cen-

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trales indépendantes), boursières, de télécommunications… L’une des principales
fonctions des ARI est de mettre en place l’infrastructure de règles nécessaire aux
échanges transfrontières dans le secteur en question, généralement dans une op-
tique de suppression des barrières juridiques et techniques. Elles contribuent ainsi
à la transnationalisation et à l’uniformisation des régulations sectorielles.
Les ARI disposent d’importantes marges d’autonomie vis-à-vis des autorités
gouvernementales démocratiquement élues. L’indépendance qui leur est octroyée
est censée les préserver des influences partisanes, donc diminuer les chances
qu’elles ne procèdent à des interventions intempestives car motivées par des inté-
rêts électoralistes à courte vue. De ce fait, les décisions des ARI sont perçues comme
impartiales, uniquement fondées sur la rationalité technique. Les membres des ARI
sont, en effet, choisis sur la base de leur expertise, de leur connaissance approfon-
die des pratiques en vigueur dans un milieu professionnel. Ainsi, les acteurs du
secteur concerné sont supposés bénéficier d’une régulation juridique conforme à
leurs besoins de stabilité, de sécurité et de transparence.
L’instauration d’une ARI dans un secteur donné implique que les pouvoirs pu-
blics se sont rangés à l’idée selon laquelle ce secteur mérite d’être encadré par un
système juridique particulier, placé à l’abri du jeu démocratique. Est également
acceptée la croyance selon laquelle l’efficacité de la régulation nécessite que les
acteurs dominants du secteur, qui sont le plus souvent de grandes compagnies
privées, soient largement associés au processus de définition des normes. C’est
pourquoi les ARI sont considérées par certains auteurs (telle Saskia Sassen) comme
un nouveau type d’autorité privée.
La fragmentation de la régulation juridique étatique
Les dynamiques de globalisation entraînent une prolifération et une dispersion
aussi bien des lieux de production du droit que des arènes de règlement des litiges.
Des régimes internationaux de régulation ont été mis en place dans la plupart des
domaines d’activité, qui développent chacun leur propre système de règles, leurs
propres mécanismes de mise en œuvre et leurs propres instances de résolution des
conflits. Ces régimes sectoriels ne composent pas un ensemble hiérarchisé ni cohé-
rent. Ils forment un enchevêtrement d’ordres normatifs partiellement indépen-
dants les uns vis-à-vis des autres, animés par des logiques de régulation relative-
ment déconnectées les unes par rapport aux autres. Les régimes internationaux
établissent avec le droit étatique des relations d’une grande complexité. Leur in-
fluence sur le champ juridique national est plus considérable que celle des interac-
tions classiques entre systèmes juridiques étatiques telles qu’elles s’opèrent à tra-
vers le droit public international 27.

27. Boaventura DE SOUSA SANTOS, Vers un nouveau sens commun juridique, op. cit., p. 135 et 271-272.

Droit et Société 82/2012  755


T. DELPEUCH

Le renforcement de ces régimes au niveau international a pour effet d’accroître


l’autonomie des régulations correspondantes au niveau national. Par conséquent,
le droit interne s’apparente de plus en plus à une juxtaposition d’espaces juridiques
distincts entre lesquels existent de multiples contradictions, chevauchements con-
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flictuels et concurrences 28. Ce phénomène de diversification et de fragmentation de

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la régulation juridique étatique est particulièrement prononcé dans les pays qui sont
contraints d’opérer des transpositions massives de règles exogènes, soit parce qu’ils
n’ont pas les moyens de résister aux pressions exercées par des exportateurs de mo-
dèles juridiques, soit parce qu’ils sont engagés dans des processus d’harmonisation
liés à leur adhésion à des régimes juridiques internationaux et à des blocs politiques
régionaux. Le pluralisme juridique qui existait déjà, à des degrés divers, à l’intérieur
des États, s’en trouve considérablement accentué.
Les systèmes juridiques nationaux doivent, de surcroît, prendre en compte le
multiculturalisme que favorise la globalisation (V° « Multiculturalisme », p. 365). Les
migrations internationales entraînent la formation, dans les pays d’accueil, de mi-
norités culturelles dont certaines composantes réclament des droits spécifiques tels
que, par exemple, la possibilité de perpétuer certaines pratiques juridiques ayant
cours dans le pays d’origine.
Les juristes de tradition civiliste s’inquiètent de ce que le droit interne perd ainsi
sa cohésion et son caractère logico-systématique – c’est-à-dire fondé sur une hié-
rarchie logique des règles –, ce qui accroît les marges d’interprétation des metteurs
en œuvre (V° « Judiciarisation du politique/Politisation du droit », p. 299) et aug-
mente le degré d’insécurité juridique (V° « Sécurité juridique », p. 464).
L’exemple suivant, tiré de l’entrée « Globalisation en Amérique latine » du Dic-
tionnaire, rédigée par le sociologue colombien César Rodríguez Garavito sur les
mutations du droit du travail au Mexique et en Amérique centrale, illustre la dislo-
cation de l’ordre juridique étatique générée par la globalisation : « Dans la pratique,
les conditions de travail sur les chaînes de production globalisée de biens sont ré-
gies par une multitude d’accords privés et publics qui constituent un caléidoscope
normatif plus qu’un système juridique. Ainsi la lutte pour les droits des travailleurs
latino-américains a-t-elle lieu dans un contexte de pluralisme juridique, dans le-
quel les normes de travail nationales se superposent aux conventions internatio-
nales de l’OIT [Organisation internationale du travail], aux codes de conduite des
entreprises, aux clauses sociales des accords bilatéraux et régionaux de commerce,
et aux sanctions unilatérales imposées par l’Union européenne ou les États-Unis,
les unes et les autres s’entrechoquant » (p. 258).

III.3. Étatistes, globalistes et transnationalistes


Les approches de la globalisation se répartissent sur un continuum allant des
plus étatistes aux plus globalistes, en fonction du degré d’importance qu’elles attri-
buent aux États nationaux dans la construction et le fonctionnement des régimes
de régulation transnationaux.

28. Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, op. cit., p. 105.

756  Droit et Société 82/2012


Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

Les perspectives étatistes considèrent que l’action des pouvoirs transnationaux


– qu’il s’agisse des organisations internationales, des ententes régionales, ou encore
des forces économiques – reste très largement déterminée par les États. Pour les
étatistes, les gouvernements nationaux continuent de jouer un rôle central sur la
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scène internationale car ils conservent la capacité de fixer les règles du jeu et les

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orientations politiques que doivent suivre les acteurs transnationaux. C’est à l’ini-
tiative des États que des pouvoirs de régulation sont délégués à des autorités supra-
nationales, et l’État est tout à fait capable de se ressaisir de ces pouvoirs si la néces-
sité s’en fait sentir (comme ils l’ont fait en matière de contrôle de l’immigration
suite aux attentats du 11 septembre 2001).
Selon les étatistes, les autorités nationales n’ont pas non plus perdu la main sur
la vie juridique qui se déroule à l’intérieur de leurs frontières. Dans bien des do-
maines, le droit étatique demeure le mode prééminent d’encadrement et
d’orientation de l’action sociale. Dans les secteurs soumis à des régulations trans-
nationales, l’État conserve une autorité prépondérante dans la mesure où les
centres de pouvoir supranationaux dépendent de lui pour la mise en application
des règles qu’ils produisent. En effet, l’État est le seul acteur juridique qui peut
légitimement mettre en œuvre des capacités de coercition. Les règles de soft law
fabriquées dans le cadre des régimes transnationaux ne deviennent juridiquement
obligatoires – ou, pour le dire autrement, ne sont converties en hard law – qu’à
partir du moment où elles sont incorporées dans le droit interne des États 29.
À l’opposé, les globalistes pensent que les pouvoirs transnationaux ont acquis
une très large autonomie vis-à-vis des États, qui ne parviennent plus guère à leur
imposer les orientations souhaitées par leurs gouvernements. Les globalistes pla-
cent l’accent sur l’affaiblissement des allégeances nationales, l’érosion du principe
de souveraineté, l’extrême porosité des frontières (qui sont incapables de filtrer les
flux internationaux que les États voudraient maîtriser), l’accroissement des con-
nexions transfrontières entre les forces sociales infranationales, qui ont de moins
en moins besoin de la médiation des autorités nationales pour influencer la cons-
truction des régulations transnationales. La globalisation est vue comme la résul-
tante d’une « double dynamique d’intégration et de fragmentation du système
international » qui entraîne la mutation de celui-ci d’une structure dominée par les
États à une structure composée de multiples centres de pouvoir (V° « Relations
internationales », p. 449).
Un troisième ensemble de travaux opte pour une posture intermédiaire entre
étatisme et globalisme, qualifiée par nous de « transnationalisme ». Cette approche
soutient que l’État conserve « son rôle d’acteur prépondérant de la gouvernance
nationale et globale », mais doit néanmoins composer avec l’apparition de nou-
velles formes d’action politique, caractérisée par la participation d’acteurs transna-
tionaux et d’instances supranationales à la prise de décision. La posture transna-
tionaliste réfute l’idée selon laquelle les dynamiques de globalisation constituent
des forces extérieures qui obligent les État nationaux à adapter leurs composantes

29. Ibid., p. 133.

Droit et Société 82/2012  757


T. DELPEUCH

internes. Elle refuse « d’assimiler le global à l’externe et le national à l’interne » 30.


Elle insiste au contraire sur « l’émergence d’une globalisation de l’action politique
par laquelle la recherche de puissance, d’ordre, de justice et la défense des intérêts
transcendent les régions et continents, et brouillent la distinction entre l’interne et
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l’externe » (V° « Relations internationales », p. 450). Selon les transnationalistes, une

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nouvelle forme de régulation globale est assurée par un « réseau composé d’États-
nations transformés et intégrés à des forums économiques et politiques suprana-
tionaux sans institution centralisée » (même entrée, p. 451). Notons ici que les
transnationalistes observent que certaines politiques publiques – mais aussi cer-
taines décisions ponctuelles d’acteurs étatiques ralliés à des idées portées par des
réseaux transnationaux – favorisent la dénationalisation de la régulation juridique
dans le secteur concerné. Ils constatent, en outre, que certaines composantes des
systèmes juridiques étatiques font office de supports institutionnels pour le déve-
loppement de régimes transnationaux. Ces segments spécialisés, qui entretiennent
des liens étroits avec les structures équivalentes dans d’autres pays, sont vus
comme des « sites stratégiques » pour le développement de régulations globales 31.
Les banques centrales autonomes, les autorités de régulation indépendantes, cer-
tains services ministériels spécialisés constituent des exemples de sites spécifiques
de la régulation étatique qui participent à la transnationalisation de larges pans du
droit en dehors d’accords intergouvernementaux formels. Enfin, les transnationa-
listes discernent la manière dont certaines capacités étatiques sont détournées de
la finalité pour laquelle elles ont été édifiées et réorientées vers des buts conformes
aux intérêts d’acteurs transnationaux.

III.4. Positivistes et pluralistes


De nombreux auteurs situés dans une tradition juridique civiliste estiment que,
dans la mesure où la globalisation remet en cause l’absolue domination de l’État
sur la vie juridique, elle détruit les deux fondements de l’ordre juridique moderne
que sont le positivisme et le monisme juridiques 32.
Le positivisme juridique considère que l’État doit monopoliser la création de
droit et que le droit étatique doit être la seule norme ayant force obligatoire. Pou-
voir souverain est reconnu à la puissance publique, et à elle seule, d’utiliser le droit
pour gouverner les activités sociales et redistribuer les richesses sur son territoire.
Or, les dynamiques constitutives de la globalisation aboutissent à ce que l’État-
nation soit de plus en plus « relayé, suppléé et supplanté » par des acteurs transna-
tionaux dans son rôle de producteur et de garant du droit 33. Le système juridique
étatique se trouve relayé lorsque des blocs politiques régionaux sont mandatés

30. Saskia SASSEN, Critique de l’État. Territoire, Autorité et Droits, de l’époque médiévale à nos jours, op. cit.,
p. 182.
31. Ibid., p. 183.
32. Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, op. cit. ; et André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondiali-
sation, op. cit.
33. André-Jean ARNAUD, Critique de la raison juridique 2 : Gouvernants sans frontières. Entre mondialisa-
tion et post-mondialisation, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 2003, p. 189.

758  Droit et Société 82/2012


Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

pour prendre des décisions juridiques qui, antérieurement, relevaient de la souve-


raineté nationale. Il est suppléé quand il cède le pas devant des instruments non-
juridiques de régulation administrés par des organisations internationales (telles
des normes techniques). Enfin, le droit de l’État est supplanté quand il perd prise
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sur le fonctionnement de régimes internationaux dominés par des acteurs privés

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(par exemple, les marchés internationaux de gré à gré 34).
L’ampleur de la démonopolisation est telle que la domination des constitutions
nationales sur le droit interne a tendance à décroître au profit du droit internatio-
nal. Une proportion croissante de la régulation juridique étatique est subordonnée
à des ensembles supranationaux de règles fondamentales, à tel point que certains
textes constitutionnels font davantage figure de « charte d’identité politique et
culturelle » que de loi suprême (V° « Constitution », p. 95). Quant aux cours consti-
tutionnelles, elles jouent de plus en plus un rôle d’agents d’importation de règles
transnationales dans l’ordre juridique national (V° « Globalisation en Europe cen-
trale », p. 261).
Quant au monisme juridique, il tient pour primordial que toutes les régulations
juridiques existant à l’intérieur d’un État puissent être ramenées à un agencement
parfaitement unitaire, cohérent et hiérarchisé, ordonné selon un modèle pyrami-
dal 35. La pluralisation de la régulation juridique qu’entraîne la globalisation rend
impossible le maintien d’un degré aussi élevé qu’auparavant de rationalité, de co-
hésion et de systématicité dans la construction de l’ordre juridique interne. Un
nombre sans cesse croissant de règles se caractérisent aujourd’hui par leur validité
incertaine, leur signification ambigüe, leur légitimité contestée, la difficulté
d’identifier leur source (V° « Polycentricité », p. 409).
L’affaiblissement des liens qui unissaient la citoyenneté et la reconnaissance de
droits est souvent pris en exemple pour illustrer le déclin de l’ordre juridique mo-
derne. Du fait de l’accroissement des flux migratoires et de la multiplication des dias-
poras, la « base essentiellement sédentaire » des systèmes de droits démocratiques est
remise en cause (V° « Migrations », p. 356). Les populations immigrées se mobilisent
pour réclamer que leur soient attribués des droits politiques indépendamment de
leur statut de citoyenneté (V° « Globalisation en Amérique latine », p. 259). En Europe,
la définition et la mise en œuvre des droits attachés à la citoyenneté n’est plus
l’apanage exclusif des États, mais fait l’objet d’une protection au niveau supranational
(V° « Citoyenneté », p. 65). D’autre part, la reconnaissance des minorités implique
l’attribution à certains groupes de citoyens partageant une même identité collective
d’une personnalité spécifique vis-à-vis du droit (V° « Minorités », p. 359). Il existe une
tension entre les principes des droits de l’homme et la volonté souveraine des États
de choisir les personnes admises à pénétrer sur leur territoire 36.
L’idée selon laquelle l’État moderne est parvenu à s’imposer sans partage
« comme la seule source de droit, le seul foyer de juridicité » 37 à l’intérieur de ses

34. Voir André-Jean ARNAUD, Entre modernité et mondialisation, op. cit., p. 132.
35. Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, op. cit., p. 131.
36. Boaventura DE SOUSA SANTOS, Vers un nouveau sens commun juridique, op. cit., p. 339.
37. Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, op. cit., p. 101.

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T. DELPEUCH

frontières est contestée par le courant pluraliste en sociologie du droit. Pour les
tenants de cette approche, l’État, bien qu’occupant indubitablement une position
hégémonique dans le champ juridique national, a toujours dû composer avec
d’autres acteurs désireux d’influer sur la vie du droit. Avant la globalisation, l’État
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s’accommodait déjà de la coexistence, sur son territoire, d’une pluralité d’ordres

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normatifs, voire, dans certains pays, d’une pluralité de systèmes juridiques, entre
lesquels les relations n’étaient pas forcément harmonieuses. La régulation juri-
dique étatique était elle-même tiraillée par de multiples logiques sectorielles. Loin
d’être une entité monolithique, le champ juridique national se présentait comme
« un tissu de légalités élaboré par une dialectique nationale-locale entrelaçant le fil
juridique étatique hégémonique et de multiples fils juridiques locaux » 38. D’autre
part, les systèmes juridiques domestiques ont, selon les pluralistes, toujours été
soumis à des pressions extérieures, en réponse auxquelles des adaptations et des
transferts ont été entrepris.

Conclusion
Le Dictionnaire de la globalisation contient assurément un nombre considé-
rable de précieuses informations et analyses sur les dynamiques de transnationali-
sation du droit actuellement à l’œuvre. Compte tenu de l’ampleur de l’entreprise, il
est toujours possible de souligner des lacunes ou d’exprimer des regrets. Parmi
ceux-ci, la place peut-être insuffisante accordée aux acteurs de la transnationalisa-
tion du droit, ce qui est sans doute un effet du choix de privilégier des approches de
théorie du droit plutôt que sociologie ou de science politique même si ces disci-
plines sont ici très présentes. En particulier, les pratiques juridiques des cabinets
internationaux d’avocats, des entreprises transnationales et des organisations in-
ternationales auraient, selon nous, pu être abordées davantage en profondeur. De
même, on aurait pu souhaiter des développements plus importants portant sur des
thématiques centrales pour comprendre la transnationalisation des régulations
juridiques, par exemple : l’histoire des internationalismes juridiques, la question
des articulations entre règles juridiques et autres types de normes (standards,
normes techniques, soft law…) dans les régulations internationales, ou encore la
question des transferts internationaux de formes et modèles juridiques.
Il reste que beaucoup d’articles du Dictionnaire – généralement les plus longs –
sont de très grande qualité. Ces entrées sont celles auxquelles nous faisons réfé-
rence dans l’article. L’article « Justice » de Jacques Commaille mérite une mention
spéciale, dans la mesure où il propose un cadre analytique complet et sociologi-
quement rigoureux de la globalisation juridique et constitue, à ce titre, l’une des
meilleures portes d’entrée dans le Dictionnaire.
Les défauts inhérents à une œuvre de cette ampleur et à l’extraordinaire éventail
des contributions sollicitées n’enlèvent rien à sa valeur et à son inestimable utilité dans
la mesure où il s’agit bien là d’un véritable outil de référence pour les spécialistes de la
globalisation. Inscrit opportunément dans le processus actuel d’internationalisation et

38. Boaventura DE SOUSA SANTOS, Vers un nouveau sens commun juridique, op. cit., p. 271.

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Une critique de la globalisation juridique de style civiliste

d’ouverture pluridisciplinaire des réflexions sur le droit, dont il est l’une des belles
expressions, ce dictionnaire est une étape importante et, pour cette raison, nul
doute qu’il sera remédié aux quelques lacunes qu’il comporte dans une future édi-
tion que le succès de celle-ci annonce déjà.
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 L’auteur
Thierry Delpeuch est chargé de recherche au CNRS, au Centre Marc Bloch de Berlin. Ses
recherches portent sur la circulation internationale des politiques publiques et sur la
construction de l’information et des connaissances dans le domaine des politiques de
sécurité.
Parmi ses publications :
— Droit et régulations des activités économiques : perspectives sociologiques et institu-
tionnalistes (avec Christian BESSY et Jérôme PÉLISSE), Paris : LGDJ Lextenso éditions,
2011 ;
— Les policy transfers en question (avec Laurence DUMOULIN et Cécile VIGOUR), dossier
de la revue Critique internationale, 48, 2010/3 ;
— « Des transferts aux apprentissages : réflexions à partir des nouveaux modes de ges-
tion du développement économique local en Bulgarie » (avec Margarita VASSILEVA), Cri-
tique internationale, 48, 2010/3 ;
— « Contribution à une sociologie politique des entrepreneurs internationaux de trans-
ferts de réformes judiciaires » (avec Margarita VASSILEVA), L’année sociologique, 59 (2),
2009.

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