Sie sind auf Seite 1von 3

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

Les États-Unis entendent affirmer une hégémonie


nouvelle dans la région, dans un contexte favorable
Avec le Venezuela, «Trump joue un jeu
pour eux puisque le continent est désormais dirigé par
très dangereux» des gouvernements très à droite.
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX
ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 27 JANVIER 2019
Il y a vingt ans, le Venezuela avait été le premier
Donald Trump a été le premier dirigeant à « pays à remettre en cause l'agenda néolibéral sur le
reconnaître » Juan Guaidó, l’adversaire de Nicolás continent. Il y a cette envie de donner le coup de
Maduro, comme « président par intérim » du grâce. La volonté d'isoler la Chine et la Russie et la
Venezuela. Que cherchent les États-Unis ? Faut-il Turquie, de plus en plus impliquées au Venezuela,
craindre une intervention américaine ? Entretien croisé joue aussi un rôle certain. Par ailleurs, les États-Unis
avec Federico Finchelstein et Alejandro Velasco, essaient de se positionner pour tirer des bénéfices
historiens à la New School de New York et à la New d'un éventuel changement de pouvoir à Caracas, en
York University. termes de ressources, de marchés. Cela tombe bien :
Bolsonaro, Macri et Duque [les présidents brésilien,
Donald Trump a reconnu le 23 janvier le président de
argentin et colombien – ndlr] veulent renforcer leurs
l'Assemblée nationale Juan Guaidó comme « président
liens économiques avec les États-Unis.
par intérim » du Venezuela. Il a été le premier
dirigeant à le faire, suivi par une dizaine de pays Il y a aussi des raisons internes. Trump se moque
d'Amérique latine, mais aussi le Canada. Le Kremlin complètement du Venezuela, mais la droite américaine
a dénoncé une « tentative d’usurpation du pouvoir ». y est très attentive, en particulier le sénateur de Floride
L'Union européenne a appelé à des élections « libres Marco Rubio, soutien actif de Guaidó, à qui Trump a
et justes », sans reconnaître pour autant Guaidó. À ce quasiment sous-traité sa politique en Amérique latine.
stade, l'armée, par la voix du ministre de la défense, Ou encore le conseiller néoconservateur à la sécurité
le général Vladimir Padrino, a annoncé son soutien à nationale, John Bolton, un des architectes de la guerre
Maduro. en Irak, adepte des « changements de régime », qui
prône une intervention en Iran.
Pourquoi les États-Unis de Trump, président
isolationniste entouré de faucons, mènent-ils la Dans un contexte politique très polarisé, c'est aussi
contestation contre Nicolás Maduro ? Doit-on un moyen d'obtenir un certain soutien bipartisan.
craindre une intervention, dans la longue tradition Une partie des démocrates, et non des moindres,
des ingérences américaines sur le continent ? notamment les élus de Floride, suivent la ligne de
Entretiens croisés avec Alejandro Velasco, chercheur l'administration Trump. [D'autres démocrates, comme
vénézuélien à la New York University, et les jeunes élues Alexandria Ocasio-Cortez et Ilhan
Federico Finchelstein, spécialiste des relations entre Omar ou le sénateur Bernie Sanders, ont mis en garde
l'Amérique du Sud et les États-Unis, professeur à la contre toute intervention américaine – ndlr.]
New School for Social Research de New York. Federico Finchelstein : Cela vient s'inscrire dans
Mediapart : Comment expliquer la décision une longue tradition d'ingérences dans la région et
soudaine de Donald Trump de reconnaître comme quand les États-Unis se mêlent de politique intérieure
président Juan Guaidó, le président de l’Assemblée en Amérique latine, ce n'est jamais un bon signe.
nationale ? Surtout dans un contexte où Bolsonaro et le président
colombien Duque cherchent à se mettre dans la roue
Alejandro Velasco : Maduro est une cible facile. C'est
de l'administration Trump.
davantage Noriega qu’Allende ! Le « fruit » de son
régime est mûr. Il manque de légitimité. Il pensait De toute évidence, le régime vénézuélien est
avoir neutralisé l'opposition, elle était au contraire désormais plus proche de la dictature que de la
coordonnée et bénéficie de soutiens internationaux. démocratie autoritaire de Chavez. Maduro a presque

1/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

détruit la démocratie. Mais je ne suis pas sûr que Federico Finchelstein : Les États-Unis veulent-ils
Trump et Bolsonaro soient les personnalités les jouer un rôle actif dans le changement de régime à
plus adaptées pour gérer cette crise. Eux-mêmes Caracas ? Bolton et Trump pensent sans doute qu'il
sont très autoritaires et ne prônent pas des valeurs est possible d'intervenir au Venezuela de façon rapide,
démocratiques. Des leaders à tendance autoritaire qui légère, mais ce genre d'idées prouve leur ignorance.
attaquent d'autres pays au nom de la démocratie, on a La situation au Venezuela est très complexe et il
vu ça avec l'Irak et la Libye, et on a vu le résultat… n'y a pas de solution immédiate. On ne peut pas
dire que les interventions américaines passées dans
la région aient été des succès. À vrai dire, je ne suis
même pas sûr que l'administration américaine ait un
plan. En tout cas, suivre le leadership de Trump pour
refonder la démocratie est dangereux. Franchement,
c'est comme donner à un terroriste les commandes d'un
Le général Vladimir Padrino Lopez (à droite), ministre de la
avion de ligne. Tout ce qu'il fait abîme la tradition
défense, a assuré Nicolás Maduro du soutien de l'armée. © Reuters démocratique américaine et encourage des leaders
« Toutes les options sont sur la table », nous antidémocratiques partout dans le monde. Il faut que
dit aujourd'hui l'administration Trump. Il est les parties prenantes puissent participer au dialogue,
question d'un embargo pétrolier, de nouveaux à un futur processus démocratique. Le Venezuela
gels des avoirs. Quel est le plan des États-Unis ? a besoin de négociations et d'élections libres, pas
Faut-il craindre une escalade militaire ? « Nous d'ultimatums.
devons tirer les leçons du passé et pas soutenir des La politique étrangère de Donald Trump est
changements de régime ou des coups d'État, comme chaotique. Il y a un mois, le patron du Pentagone
nous l'avons fait au Chili, au Guatemala, au Brésil a annoncé sa démission après que Donald
ou en République dominicaine », a averti Bernie Trump a confirmé son intention de retirer des
Sanders. troupes américaines d'Afghanistan et de Syrie. Au
Alejandro Velasco : De toute évidence, on Venezuela, il laisse entrevoir depuis l'été 2017 la
retrouve les procédés interventionnistes classiques possibilité d'une intervention. Où est la logique ?
des administrations américaines. Mike Pompeo [le Alejandro Velasco : C'est de la pure realpolitik.
secrétaire d'État américain – ndlr], John Bolton et Maduro est en grande difficulté politique. Vu les
Marco Rubio jouent un jeu très dangereux. Après distances, il y a peu de risques que la Russie, la Chine
que Maduro a donné soixante-douze heures aux ou la Turquie interviennent. Le paysage régional
diplomates américains pour quitter le pays, Pompeo est favorable. C'est l'occasion pour l'administration
a dit qu'ils ne partiraient pas. C'est du jamais-vu ! d'affirmer son hégémonie, dans un contexte régional
En retour, un proche de Maduro, Diosdado Cabello, désormais favorable pour elle.
a laissé entendre que le Venezuela pourrait couper Federico Finchelstein : Il y a ce débat parmi les
l'électricité ou le gaz des diplomates américains. experts des relations internationales pour savoir si
Ce genre de déclarations peut être interprété par Trump est isolationniste ou non, quelle est sa doctrine.
Pompeo, Bolton et Rubio comme un acte de guerre À vrai dire, ce genre de discussion avec des dirigeants
contre les citoyens américains. Ce ne serait pas la erratiques comme lui est un peu vain. Il fait ce qui
première fois que les États-Unis invoquent la sûreté correspond à ses intérêts immédiats. Les politiques de
de leurs ressortissants pour justifier une intervention Trump sont globalement en échec, il peut avoir un
américaine, même limitée. intérêt à se présenter comme le leader d'une coalition
internationale au Venezuela. Ce qui, au passage, risque

2/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

de renforcer Maduro, qui tient une occasion de s'ériger À rebours des autres pays de la région, le Mexique
en défenseur du pays face aux États-Unis. Encore et l'Uruguay appellent à des négociations. Quels
une fois, ce dont le Venezuela a besoin, c'est du sont vos espoirs et vos craintes ?
rétablissement de la démocratie à travers des élections Alejandro Velasco : Si des négociations ont lieu, un
libres. des enjeux sera le départ du pouvoir de Maduro. On
Comment qualifier ce qui se passe actuellement au n'en est plus à un scénario de partage du pouvoir. Mais
Venezuela. Est-ce un coup d'État ? encore faut-il que ces discussions aient lieu. Or les
Alejandro Velasco : En tout cas, la légitimité États-Unis ne semblent pas intéressés par un transfert
constitutionnelle invoquée par Guaidó s'effondre assez pacifique du pouvoir. C'est inquiétant.
vite. Les articles qu'il invoque pour justifier sa Federico Finchelstein : Andrés Malamud, un
proclamation comme président l'obligent aussi à spécialiste des relations internationales en poste à
convoquer des élections sous trente jours, ce qu'il l'université de Lisbonne, a bien résumé la situation. En
ne va pas faire. Ce qui est en jeu en ce moment référence aux printemps arabes, il a dit qu'il souhaitait
au Venezuela, c'est une pure guerre pour le pouvoir pour le Venezuela une transition démocratique
entre des factions rivales qui bénéficient de soutiens pacifique à la tunisienne, qu'il voyait se profiler une
puissants à l'étranger. situation à l'égyptienne – des élections suivies d'un
Federico Finchelstein : Ce n'est pas clair pour coup d'État –, et qu'il redoutait une guerre civile
l'instant, car tout cela se déroule sous nos yeux. Ce comme en Libye. Toutes ces options sont aujourd'hui
qu'on peut dire, c'est qu'une situation déjà complexe envisageables.
est en train de devenir d'autant plus toxique à cause
de la politique de l'administration Trump et de ses
acolytes comme Bolsonaro.

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

3/3

Das könnte Ihnen auch gefallen