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technologies. Mais ce n'est pas tout : des échanges


seraient également en cours avec les Émirats arabes
En plein conflit au Yémen, la France
unis, toujours pour la vente de corvettes Gowind, cette
cherche à vendre des navires de guerre à fois au nombre de deux.
l’Arabie saoudite
PAR THOMAS CLERGET
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 31 JANVIER 2019

Depuis l’affaire Khashoggi, le gouvernement


français paraît gêné dans ses déclarations publiques ;
mais en coulisses, cela ne l’empêche pas de continuer
Une corvette Gowind. © Naval group
à faire le forcing pour vendre au régime saoudien des
armes susceptibles de servir dans la guerre au Yémen. Ces négociations se déroulent alors que les deux
pays du Golfe sont engagés, depuis mars 2015, chez
« La France va-t-elle suspendre ses négociations en
leur voisin yéménite dans une sanglante intervention
cours avec l'Arabie saoudite ? » Le 30 octobre 2018,
armée visant à défaire les rebelles houthistes qui ont
dans son émission quotidienne sur RMC et BFM TV,
pris la capitale, Sanaa. Depuis 2016, plus de 62 000
où il recevait la ministre des armées, Jean-Jacques
personnes auraient péri dans les combats, selon une
Bourdin avait dû répéter plusieurs fois sa question sur
estimation de l’ONG Acled, y compris des milliers
les ventes d'armes. Poussée dans ses retranchements
de civils ciblés par les bombardements. Des crimes de
sans pour autant être mise à mal par l'insistance du
guerre, dénoncent les ONG et les Nations unies.
journaliste, Florence Parly avait fini par répondre,
catégorique : « Nous n'avons pas de négociations avec Au-delà des combats, la crise humanitaire qui sévit
l'Arabie saoudite. » au Yémen est encore plus meurtrière. « La population
en risque de famine est énorme, décrit sur place
Les informations obtenues par Mediapart indiquent
la coordinatrice d’une ONG humanitaire présente à
pourtant le contraire. Selon des sources concordantes,
Sanaa. Et la situation se dégrade. »Selon l'ONU, qui
des négociations ont notamment lieu entre Naval
n'a cessé d'aligner les superlatifs pour attirer l'attention
Group (ex-DCNS, détenu à 62,5 % par l’État) et la
sur la situation yéménite, la famine y menacerait en
monarchie saoudienne concernant la vente potentielle
effet des millions de personnes. L’ONG Save the
de cinq corvettes de classe Gowind – un navire de
Children estime que près de 85 000 enfants y seraient
combat spécialisé dans les missions de surveillance
morts de faim ou de maladie depuis 2015.
et de protection des côtes, qui peut dépasser les
100 mètres de long. Jeudi 18 octobre, soit moins de Malgré un tel constat, les ONG ont longtemps prêché
deux semaines avant la déclaration de Florence Parly, dans le désert. Les rares acteurs semblant alors
le conseil d'administration du champion français de la s’intéresser à la situation de la péninsule Arabique se
fabrication de navires militaires aurait même voté, à trouvaient dans les rangs des industriels de l’armement
destination de Riyad, une offre commerciale pour ces – dont les Français. L’Arabie saoudite est le deuxième
cinq bateaux. client de la France après l’Inde, avec 11 milliards
d’euros d’armes vendues entre 2008 et 2017. Sur cette
L’enjeu n'est pas négligeable : d’après les prix révélés
période, nombre de négociations et de ventes ont eu
par le journal La Tribune dans le cadre d’une
lieu dans le cadre du vaste plan de modernisation
proposition à la Roumanie pour des navires similaires,
de la flotte saoudienne, le Saudi Naval Expansion
le montant total du marché pourrait tourner autour de
Program (SNEP II), visant l'achat de nombreux
1,5 milliard d’euros. Si les négociations aboutissaient
bateaux de guerre : des frégates – de grands navires
avec Riyad, un bâtiment serait construit en France, à
de combat adaptés à des opérations au large – jusque,
Lorient, les quatre autres en Arabie saoudite dans le
cadre d'un partenariat incluant aussi un transfert de

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en passant par les corvettes, des patrouilleurs de « Quand on fournit des armes à une coalition
taille plus modeste, aux vedettes armées, appelées en guerre, ne participe-t-on pas à cette
« intercepteurs ». guerre ? »
Pour décrocher ces juteux contrats, plusieurs pays Mais les accolades, c'était avant l'affaire Khashoggi.
occidentaux sont sur les rangs : début 2018, les L'assassinat du journaliste dans des conditions
Américains ont remporté la commande de quatre sordides, le 2 octobre 2018 à Istanbul, a rappelé à
frégates, tandis que les Espagnols ont fini, malgré l’opinion publique la cruauté et le caractère tyrannique
quelques questionnements éthiques, par officialiser la du régime saoudien. L'affaire a relancé du même
même année la vente de quatre corvettes. Quant aux coup l’intérêt pour la guerre au Yémen… ainsi que
Français, ils ne sont pour le moment pas parvenus pour les armes destinées à ses belligérants. « Quand
à placer leurs fleurons. Les chantiers Couach ont on fournit des armes à une coalition en guerre,
toutefois réussi à décrocher en 2015 la construction de est-ce qu’on ne participe pas à cette guerre ? »,
79 intercepteurs, dont les derniers exemplaires ont été interroge le député (ex-LREM) Sébastien Nadot, à
livrés en septembre 2018. l’origine d’une mission d’information parlementaire
Les Constructions mécaniques de Normandie (CMN), sur le contrôle des exportations d’armement mise en
de leur côté, ont récupéré début 2018 un contrat de 250 place fin octobre.
millions d'euros pour trois patrouilleurs de 56 mètres, Certains pays européens – tels que l'Allemagne et le
initialement destinés à l'armée libanaise. Un autre Danemark – ont en tout cas annoncé vouloir cesser
accord aurait été trouvé avec CMN pour la commande leurs exportations en direction de la péninsule. Le
de 39 nouveaux patrouilleurs – d'un modèle plus petit 25 octobre, les députés européens se prononçaient
–, pour un montant estimé à environ 500 millions également pour un embargo des ventes d’armes des
d'euros. La société saoudienne spécialisée dans le pays de l’UE. « Cette résolution a été votée plusieurs
naval, Zamil Offshore, revendiquait ce partenariat le fois, et par plus de 500 députés européens », insiste
13 avril 2018 sur son compte Twitter, soulignant que Sébastien Nadot.
la moitié des bateaux seraient construits en Arabie Malgré la position européenne et la pression des
saoudite. défenseurs des droits humains et des ONG – qui
La date coïncide avec la visite diplomatique en France viennent à nouveau d'écrire aux députés français
du sulfureux prince héritier et ministre de la défense pour leur réclamer un « contrôle de l'action du
saoudien Mohammed ben Salmane, dit MBS, reçu gouvernement » et une suspension des ventes d'armes
avec faste par Emmanuel Macron, Florence Parly et le aux acteurs du conflit –, la France n’a, à ce jour, pas
ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. choisi le même chemin. « C’est de la pure démagogie
Côté saoudien, on se félicitait alors, photos à l’appui, de dire : “Il faut arrêter de vendre des armes.” Ça n’a
d’une rencontre « qui a permis de passer en revue […]
les zones de coopération stratégique entre les deux
pays […] notamment sur les aspects militaires et de
défense ». Le président français évoquait quant à lui
la signature de deux accords-cadres importants, des
« convergences » en matière de défense, ainsi qu'une
invitation à Riyad « acceptée avec plaisir » et fixée à
l’époque pour la fin de l'année 2018.

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rien à voir avec l’affaire Khashoggi », a ainsi asséné navales saoudiennes, Naval Group n'a pas démenti.
Emmanuel Macron le 26 octobre, contestant de ce fait L'entreprise se contente d'indiquer : « Nous ne
la légitimité du débat. commentons pas nos campagnes commerciales et
les contenus de nos échanges avec les autorités
émiriennes sont confidentiels. Concernant les Royal
Saudi Naval Forces, c'est un client de longue date et
nous les rencontrons régulièrement en France et en
Arabie saoudite. »
Même son de cloche du côté du Quai d'Orsay qui,
Le prince héritier d'Arabie saoudite, dit MBS, avec interrogé sur une possible prochaine visite de Jean-
la ministre française de la défense Florence Parly.
Yves Le Drian à Riyad, se contente d'évoquer « des
La position française est toutefois devenue bien plus contacts bilatéraux réguliers avec l’Arabie saoudite ».
difficile à défendre. Si Emmanuel Macron a affiché sa Et d'ajouter : « Une éventuelle visite du ministre de
proximité avec MBS lors du G20 de Buenos Aires, le l’Europe et des affaires étrangères dans ce pays sera
30 novembre dernier, sa visite à Riyad, initialement annoncée le moment venu. »
prévue fin 2018, n’a pour le moment pas eu lieu.
Questionnés par Mediapart sur l’aspect éthique et
Pourrait-elle être reportée prochainement ? Sera-t-
légal d’éventuelles ventes d'armes dans le contexte
elle l’occasion d’évoquer les négociations en cours,
de la guerre au Yémen, Naval Group et le ministère
y compris les cinq corvettes proposées aux forces
de l'Europe et des affaires étrangères escamotent le
navales saoudiennes ? Ou encore Sawari III, le contrat
sujet. L’industriel se réfugie derrière les autorisations
« serpent de mer » qu'aimerait également décrocher
préalables d’exportation qui lui sont délivrées par
Naval Group et qui pourrait comprendre de nouvelles
le gouvernement, tandis que le ministère répète ses
frégates, voire des sous-marins ?
éléments de langage quant à l'existence d'un « cadre
Interrogé sur l'existence de négociations avec Riyad législatif et réglementaire rigoureux ». Sans répondre
et Abu Dhabi pour la vente de corvettes, ainsi plus précisément aux questions soulevées concernant
que sur d'éventuels contacts récents avec les forces d'éventuels crimes de guerre.

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